Le convoi.
Le front de l’Absynthe était strié d’une ride inquiète. Elle écoutait attentivement les paroles de Huang Hua, la mine sombre, expliquant les trouvailles des membres de l’Ombre. La brune savait depuis quelques temps déjà qu’il se tramait de drôles de choses en dehors du QG, mais de là à s’imaginer qu’un marché noir avait été mit en place…
Edmia avait été appelée pour assister à la réunion de préparation en sa qualité de druide, ses prouesses en tant que guérisseuse étant connues de tous. Elle avait immédiatement accepté car Nevra, en tête des opérations, jugeait qu’il y avait un risque de bataille. Elle n’avait pas la moindre envie de voir quiconque être blessé, encore moins le vampire, raison de plus pour aider autant qu’elle le pouvait.
Ses fines mains s’entortillaient inlassablement sous la grande table de verre autour de laquelle plusieurs membres de l’Ombre et de l’Etincelante étaient regroupés. Plus leur cheffe parlait, moins la druide était rassurée. Un petit coup de coude la tira cependant de son tourbillon de ruminations.
- Calme-toi, tu veux ? Marmonna Ray. On ne va pas se jeter dans la gueule du loup, seulement repérer le convoi.
- Je sais… Mais nous ne savons même pas ce qu’ils trafiquent, ces marchands. Nous n’avons pas assez d’informations.
- Nevra en sait suffisamment. Fais-lui confiance.
Lui faire confiance ? Edmia esquissa un petit sourire, tournant la tête vers l’ancien chef de l’Ombre. Celui-ci était plongé dans ses notes, feuilletant plusieurs parchemins à la fois pendant que Chrome, son successeur, lui montrait quelque chose que la brune ne pouvait pas distinguer d’où elle se tenait. Elle lui faisait confiance, entièrement même. Mais elle ne voulait pas le voir en danger, et redoutait surtout que ses sentiments, aussi confus soient-ils, impactent la mission contre son gré.
La fin de la réunion lui arracha un soupir de soulagement, rapidement suivi par une montée d’adrénaline. Nevra la fixait, l’invitant d’un petit mouvement de l’index à venir le voir. Non sans une petite remarque amusée de Ray, la druide se dirigea vers le chef de mission tout en essayant d’empêcher son idiot de coeur de battre trop fort.
- Alors, tu sais avec qui tu partageras ta tente ? Demanda le brun en arborant son éternel sourire énigmatique.
- Certainement pas avec toi ! Répliqua la jeune druide. J’aimerais pouvoir dormir sans t’entendre ronfler.
- Oh, ma douce…
Nevra se pencha légèrement en avant, juste assez pour que seule Edmia l’entende.
- Si je devais t’empêcher de trouver le sommeil, ce ne serait certainement pas comme ça.
Sur ces mots, le vampire tourna les talons et laissa la jeune femme bouche bée, quoique drôlement charmée.
Les jours qui suivirent furent entièrement consacrés à la préparation de la mission. Edmia avait passé le plus clair de son temps enfouie sous des piles d’ingrédients, cachée dans le laboratoire d’alchimie, à préparer autant de potions qu’il lui était possible de transporter. Il en avait de toutes sortes : certaines accéléraient la cicatrisation, d’autres arrêtaient les hémorragies, sans compter celles permettant de se battre. La druide avait à peine trouvé le temps de méditer, et elle se sentait plus fatiguée que jamais. Elle n’avait fait que croiser Nevra au détour d’un couloir, entre deux préparatifs visiblement urgents… Elle devait se l’avouer, ses petites remarques lui manquaient. Edmia n’avait pas toujours été aussi proche du vampire, à dire vrai cet étrange rapprochement avait commencé quelques mois auparavant. Bien sûr, Nevra restait lui-même, il avait souvent tendance à la draguer de manière plus ou moins subtile, mais depuis quelques temps tout était différent. Il était plus attentionné, plus séducteur… Et la brune ne s’en plaignait pas, au contraire. Elle adorait jouer avec ses nerfs, le rembarrer la plupart du temps non sans avoir tendu la perche en premier lieu. Elle appréciait particulièrement ce petit jeu mais se retrouvait désormais à en vouloir un peu plus. Elle se surprenait à penser au vampire plus souvent que de raison, à le chercher du regard lors des entrainements, et parfois même se demandait ce qu’elle ressentirait si ses lèvres se posaient sur celles de l’Etincelant…
Ray l’avait remarqué, et ne manquait pas une occasion de la narguer gentiment à ce sujet en lui disant qu’elle était “mordue” d’un vampire, soulignant avec force l’ironie de la chose.
Edmia esquissa un sourire mutin en se remémorant les mots de son amie. Avait-elle raison ?
- Edmia, je crois que nous avons ce qu’il faut.
La druide se tourna vers sa capitaine et hocha la tête.
- Tu devrais retourner dans ta chambre et préparer ton sac, vous partez avant le lever du soleil, conseilla Huang Chù. Fais attention à toi, d’accord ?
- Ne t’en fais pas, la rassura la jeune femme. Je ne suis pas la personne la plus discrète d’Eldarya mais je ne m’en sors pas si mal !
La Feng Huang soupira en secouant la tête avant d’adresser un bref signe de la main à sa subordonnée quittant les lieux. Edmia savait précisément ce qu’elle ferait de sa soirée : méditer et dormir. Elle passa en coup de vent dans ses quartiers pour troquer sa tenue de travail contre une petite robe plus légère aux couleurs des feuilles de l’érable automnal et fila dans les jardins. Une petite brise soufflait dans ses cheveux, agitant quelques mèches contre ses joues rosies. Elle se sentait bien mieux dehors qu’enfermée dans un laboratoire, mais sa passion pour l’alchimie restait intacte. C’était une concession qu’elle avait faite en connaissance de cause.
Quand ses pieds nus s'enfoncèrent dans l’herbe verte entourant le cerisier, la brune ferma les yeux. Elle pouvait déjà ressentir le flux de maana qui traversait la moindre plante, celui qui animait les familiers jouant dans le jardin adjacent, et l’énergie revigorante de la Terre Mère qui grimpait le long de ses mollets, de ses cuisses pour venir se loger au creux de son ventre. Edmia n’était pleinement heureuse que quand elle était en harmonie avec la Nature. Le battement de son coeur se callait sur celui de la Terre, elle respirait en même temps qu’elle, chantait avec elle.
Ces moments d’accalmie avaient le don de lui remonter le moral comme rien ni personne ne le pouvait. Quoique…
- Je te dérange ? Demanda la voix de basse de Nevra.
Edmia souleva les paupières, plongeant son regard améthyste dans celui, plus froid, de l’élu de son coeur. Si l’unique oeil valide de Nevra était d’un gris acier, il n’en était pas moins capable de véhiculer une douceur sans pareil. Il y avait quelque chose dans sa manière de regarder Edmia qui la faisait frémir. Quelque chose… D’indécent. Délectablement indécent.
- Je méditais, dit-elle enfin. Tu me cherchais ?
- Pas exactement… Je cherchais un peu de calme. Les préparatifs m’ont vraiment épuisé, j’avais besoin de prendre l’air…
La druide adressa un sourire compatissant au capitaine, posant une main délicate sur son avant-bras.
- Tu veux en parler ? Proposa-t-elle.
Nevra secoua la tête.
- Non, je veux…
Son regard s’attarda sur les lèvres de la jeune femme, remontant vers ses yeux pour s’y plonger avec fermeté. Le vampire s’approcha prudemment, poussant Edmia à faire un pas en arrière, puis deux… Jusqu’à ce que son dos heurte l’écorce rêche du cerisier. Elle sentait son coeur battre dans sa gorge, ses joues chauffaient, sa respiration était si lourde qu’elle se demandait comment elle pouvait encore rester sur ses deux jambes sans suffoquer.
Le visage de Nevra était si près qu’elle pouvait sentir l’odeur de sa peau, douce et sucrée. Il glissa une main contre le bras dénudé de la druide et remonta sur son épaule. Le contact frais la fit frémir.
- Je dois faire mes bagages, dit-elle dans un souffle.
- Moi aussi, répondit-il sur le même ton.
Pourtant aucun des deux ne bougèrent, comme emprisonnés dans une bulle d'appréhension. Edmia savait qu’il valait mieux mettre fin à ce moment, aussi agréable fut-il. C’était précipité, mais tellement tentant…
Sa raison et sa timidité prirent le dessus, et elle posa sa main sur le torse de l’Etincelant.
- Je dois vraiment y aller, insista-t-elle avec douceur.
Nevra sourit, presque amusé, et s’écarta. Quand la brune quitta les jardins, il pouvait encore sentir son parfum tourbillonner autour de lui, le suivant jusqu’à sa chambre.
*
Le trajet jusqu’aux coins les plus reculés de la Baie des Diables n’avait pas été aussi inconfortable que ce à quoi Edmia s’était attendue. Sa monture avait été d’une obéissance légendaire, et la météo était au beau fixe. Il leur fallut plusieurs jours avant de parvenir à leur but : la Pinède du Dalbha, si dense qu’il y faisait presque nuit tant la lumière du soleil peinait à traverser les aiguilles regroupées sur les branches. Le paysage était saisissant cependant. Quelques petits marais se faufilaient dans les parties les plus basses de la forêt, abritant des familiers qui ne vivaient que dans la Baie des Diables. Il n’était pas rare que la jeune femme s’arrête pour prélever quelques plantes à étudier, parfois des poils ou plumes étant inconnues à Eel. Sa curiosité prenait souvent le dessus et elle descendait régulièrement de son shau’kobow pour observer les traces de pattes mystérieuses qui se dirigeaient vers les marécages en contrebas.
Le campement fut établi à l’orée de la forêt, sur une falaise surplombant la baie. L’endroit semblait calme, mais une agitation nouvelle agitait le port qui s’étendait sous leurs pieds. Le convoi devait passer dans la pinède sur un chemin que seuls les trafiquants devaient connaître… C’était sans compter sur les membres infiltrés de l’ombre. Plusieurs agents bien renseignés s’étaient glissés dans la troupe gérant le convoi pour faciliter l’intervention de la garde, et tout devait se passer normalement… Si ces derniers n’étaient pas démasqués avant. Cette supposition composait la plus grande crainte d’Edmia. Si les infiltrés étaient percés à jour, toute la mission serait compromise, ainsi que leur sécurité.
La soirée fût tout aussi paisible que le reste du voyage, mais une sorte de tension commençait à parcourir les rangs, sans compter les regards furtifs de Nevra en direction de la druide. Elle était assise confortablement au coin du feu, lisant un traité d’alchimie, mais elle sentait l’attention du vampire sur elle. Parfois Edmia se risquait à jeter un oeil vers lui pour s'apercevoir que son profil, supposément contemplatif de la mer en contrebas qui s’écrasait contre les falaises. A chaque fois qu’elle se remémorait leur échange au pied du cerisier, la brune perdait le souffle. Elle en aurait presque regretté de ne pas avoir saisi une telle opportunité d’enfin pouvoir connaître la sensation des lèvres de Nevra… Presque. Il était difficile pour elle de savoir précisément si Nevra ressentait ce qu’elle pouvait ressentir, et bien sûr le vampire n’était pas spécialement du genre à exprimer très clairement ses sentiments.
Sur ces pensées confuses, Edmia alla se coucher. Ses rêves furent hantés par des scènes de catastrophe, de mission tournant au fiasco, et du visage de Nevra tordu par l’inquiétude. Elle était loin de se douter que Mère Nature lui avait offert un éclair de lucidité.
Juste avant le lever du soleil, notre petite troupe se prépara silencieusement avant de se faufiler dans la pinède. Le chemin emprunté par le convoi était encore calme, absent de toute vie si ce n’était du chant des oiseaux les plus matinaux. Nevra, Ray et deux autres Ombres s’étaient perchés sur des branches fournies d’aiguilles, juste assez pour les dissimuler, tandis que la druidesse était accroupie dans une position des plus inconfortables derrière un talus de houx, accompagnée par une jeune brownie.
- Surtout, ne faites pas le moindre bruit, avait intimé Nevra lors du briefing précédant le départ. Si vous vous faites repérer, vous mettez toutes nos vies en danger. Ces hommes n'hésiteront pas à attaquer, et nous ne savons pas ce qu’ils ont en leur possession.
Edmia se passait les mots du vampire en boucle, espérant de toutes ses forces que les choses se dérouleraient sans heurt. Ce fut presque le cas, au début. Les premières caravanes du convoi se firent entendre une dizaine de minutes après leur installation. Un signal seulement connu d’eux informa la brune de leur nombre : quatre. Les faeliens étaient quant à eux bien plus nombreux que prévu. Une vingtaine au minimum, soit deux fois l’effectif de la mission. Le pressentiment de la jeune femme ne faisait que prendre en ampleur a mesure que leur cible se rapprochait, et elle ne savait toujours pas pourquoi… Jusqu’à ce qu’une branche de houx craque sous sa sandale, coinçant son pied au milieu des feuilles épineuses. Un couinement de douleur et de surprise mêlées lui échappa. Elle tenta de l’étouffer en plaquant vivement sa main contre ses lèvres, mais les gardes armés du convoi s’arrêtèrent brutalement.
- Fouillez les environs, ordonna l’un d’eux en dégainant une épée courte.
Sans réfléchir, Edmia se redressa brusquement pour se révéler aux yeux des hommes.
- Inutile, dit-elle doucement. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous inquiéter. Je me suis fais mal pendant ma cueillette, le houx se fait rare par chez-moi et…
- Vous êtes qui, au juste ? La coupa celui qui semblait être leur chef.
- J-je m’appelle Edmia, je suis une druidesse, je voyage pour refaire mon stock d’herbes diverses et variées, improvisa-t-elle dans un souffle.
Sur la branche au dessus d’elle, Nevra était prêt a sauter. Deux gardes se trouvaient juste sous ses pieds, il pouvait s’en débarrasser en moins de dix secondes, avant que le chef n’atteigne Edmia. Un frisson de peur le secoua. La voir ainsi a découvert, face à cette vingtaine de soldats armés jusqu’aux dents…
Pourtant il devait bien l’admettre, le petit mensonge de l’Absynthe semblait fonctionner.
- D’où venez-vous ? Demanda le chef.
- Des Terres Kappas, répondit-elle sans hésiter.
- Ça fait un sacré bout de route, ça. Seule ?
Edmia hocha la tête, avant de commenter :
- Enfin, je suis seule depuis hier soir. J’ai dormi en ville, je suis arrivée par une petite caravane de voyageurs.
- Ah oui ?
La brune déglutit péniblement. Plus elle parlait, plus son interlocuteur semblait suspicieux.
- Vous avez dormi à quelle auberge ? Le Filet de la Crique ? Insista-t-il.
- Non, non, j’ai dormi dehors. Nous les druides, vous savez… Nous préférons vivre en pleine nature.
Elle força un rire timide, croisant les bras sur sa poitrine.
- Jolie broche, commenta un autre des soldats.
Edmia baissa les yeux sur le petit bijou qui retenait sa cape : le symbole de la garde Absynthe. Ses bras se tenaient juste en dessous.
- Elle n’est pas à moi, dit-elle presque aussitôt. Je l’ai trouvée…
- Saisissez-là ! Coupa le chef.
Au moment où il articula sa phrase, Ray et Nevra se jetèrent du haut de l’arbre sur les gardes en contrebas. La dague du capitaine s’enfonça dans une gorge avant qu’il ne se laisse glisser sur le sol pour trancher les tendons d’Achille d’un second homme. Tout se déroula très vite : Ray se défoulait telle une tempête assassine sur les hommes encerclant Edmia tandis que cette dernière projetait une bombe fumigène au milieu du groupe. Les deux vampires n’eurent aucun mal à percer la défense des soldats au milieu du nuage, mais le plus dur restait à venir : la suite du convoi. En entendant le bruit causé par le conflit, une seconde vague se jeta sur notre groupe pour le maîtriser. Bien que leurs capacités soient hors normes, Nevra et Ray commençaient à ne plus savoir où donner de la tête… Mais l’attention de l’Etincelant fut vite rappelée près du petit talus de houx. Un cri, échappé de la gorge d’Edmia. Le vampire se retourna et découvrit la jeune femme écrasée contre le torse du chef, une lame sous le menton.
- Si tu tiens à ta petite menteuse, tu as intérêt à arrêter de massacrer mes hommes !! S’écria-t-il.
Nevra marqua une seconde d’arrêt avant de se détourner de la scène. Au même moment, un gargouillis humide se fit entendre par-dessus l’épaule de la brune. Le chef la relâcha, yeux exorbités, puis il s’écroula sur le sol. Derrière lui se tenait la brownie auparavant cachée dans le talus à ses côtés.
La druidesse lui adressa un signe de tête reconnaissant avant de recommencer ses lancers de potions, causant des flash lumineux de différentes couleurs. Certains étaient des diversions, d’autres des réactifs très puissants visant à paralyser ceux qui étaient touchés. Elle réserva ces petites merveilles alchimiques pour les groupes qui déferlaient de la deuxième partie du convoi, tant et si bien que très vite, tous furent maîtrisés. Cependant Edmia ne se sentait pas plus en sécurité. L’indifférence de Nevra quant à sa posture quelques instants plus tôt l’avait profondément blessée. Comment pouvait-il avoir ignoré la jeune femme de la sorte ? Lui en voulait-il de s’être fait repérer ? Elle n’en était pourtant pas responsable, n’importe qui aurait pu faire son erreur… Mais peut-être pas des membres de l’Ombre. Le cœur lourd, Edmia l’écouta ordonner au groupe de gardiens de commencer la fouille des caravanes, et de se diriger vers le campement pour les soins. La druidesse saisit le sous-entendu et retourna sur ses pas, le cœur lourd.
Après avoir passé le reste de la journée à panser des plaies et badigeonner des ecchymoses, la brune se posa enfin dans sa tente à la nuit tombée, seule. Elle baissa son regard embrumé vers la broche qui l’avait trahie, retirant sa cape d’un geste énervé. Elle ne se sentait pas à la hauteur pour ce genre de missions. Elle aurait dû décliner. Elle aurait dû dire à Huang Hua qu’elle laissa sa place à Koori, ou n’importe qui d’autre de l’Absynthe.
Sa gorge se serra, la prévenant de l’arrivée d’un sanglot qu’elle étouffa péniblement.
- Edmia ?
L’interpelée se retourna vers l’entrée de la tente pour y trouver le vampire à l’expression fermée.
- Si tu es venu me faire une leçon de morale, c’est inutile, coupa-t-elle en reniflant légèrement. J’ai compris, je ne suis pas de taille. J’aurais pu faire tuer tout le monde.
- Toi la première, lança Nevra sur un ton acerbe. Je crois qu’au contraire, tu ne comprends pas.
La druidesse se releva, poings serrés.
- Je comprends très bien ! Tu m’en veux tellement que tu as préféré me laisser aux mains d’un soldat !
- Pardon ?
- Ne fais pas l’idiot ! Tu m’as vue, tu as remarqué la lame sur ma gorge et tu n’as rien fait ! Je peux comprendre que tu m’en veuilles d’avoir manqué de discipline mais de là à me laisser mourir aux mains d’un soldat !
- Edmia, je savais-
- Tu aurais au moins pu faire semblant d’être inquiet, coupa-t-elle dans un élan d’émotivité. J’ai tenté de les détourner, j’ai tenté de réparer mon erreur et je m’en veux de l’avoir commise mais je ne méritais pas un tel dédain de ta part !
- Edmia, bon sang ! S’écria le vampire en la saisissant par les épaules. Tu racontes n’importe quoi !
Son œil valide brillait d’une lueur nouvelle que la druidesse ne lui connaissait pas : la peur. Nevra semblait aussi terrifié qu’elle.
- Je ne t’ai pas ignorée ! Je savais qu’Adresia était juste derrière toi, je l’ai vue ! Elle avait bien plus de chances de te sauver que moi, alors j’ai feins l’indifférence pour déstabiliser le soldat et laisser le champ libre à quelqu’un d’autre !
Edmia ne disait plus rien. Elle restait là, immobile, les bras emprisonnés dans la poigne du vampire.
- Comment peux-tu croire une seule seconde que je t’aurais laissée là ? Je me fiche que notre couverture soit grillée, je me fiche d’avoir dû me battre contre ces mercenaires, mais que tu me reproches de t’avoir abandonnée alors que… Que…
Les mots lui manquèrent.
- Que quoi ? Insista la brune.
Le vampire n’ajouta rien. A la place, il écrasa ses lèvres contre celle de la jeune femme, priant tous les dieux pour que ne serait-ce qu’une infime partie de ses sentiments soient communiqués dans ce baiser à l’arrière goût de désespoir. Edmia senti la prise de Nevra faiblir, ses mains remontèrent vers ses joues pour s’enfouir dans ses cheveux, la pressant tout contre lui. Elle fit de même, enlaçant la nuque de l’Etincelant de ses bras frêles, rendant son baiser avec au moins autant de ferveur.
Quand ils s’écartèrent enfin l’un de l’autre, Nevra semblait avoir retrouvé la parole.
- C’était le seul moyen de te sauver, Edmia… Si tu savais à quel point j’avais envie de me jeter sur lui et de…
Il semblait presque l’avoir retrouvée.
- J’ai compris, interrompit la jeune femme. Je suis désolée…
- Non, c’est moi. J’aurais dû réagir autrement, j’aurais dû…
- Tais-toi un peu, tu veux ?
La brune se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un second baiser sur les lèvres tremblantes de Nevra.
- Edmia…, soupira-t-il faiblement.
- Hmm ?
Le vampire baissa les yeux pour rencontrer ceux de la jeune femme.
- Je… Je t’aime.
Un autre baiser, plus doux. Celui-ci semblait presque providentiel.
- Je t’aime aussi, répondit doucement la jeune druidesse.
*
Non loin de là, une bière à la main, Ray soupira dans un sourire.
- Bon sang… Ils ont pris leur temps, ces deux-là marmonna-t-elle entre deux gorgées.