1er OS
Un rayon de soleil tomba sur mon visage et me fit froncer les sourcils. Un bâillement m’échappa et je levai les bras pour m’étirer dans un froissement de draps. J’avais la bouche pâteuse et mon esprit encore cotonneux. C’était une sensation agréable que de se réveiller pleinement reposée après une nuit d’un sommeil réparateur. Puis j’ouvris les yeux et comme à chaque fois à mon réveil, les même pensées m’envahirent et une douce nostalgie résonna en moi. Voilà trois semaines que je m’étais réveillée du cristal dans lequel j’avais dormi sept longues années. Tellement de chose avait changé dans la garde et bien que tous les gardiens semblaient s’y être habitués, je ne me remettais que doucement de ces événements qui paraissaient s'être déroulés le mois dernier. Je ne pus empêcher mon esprit de rejouer les dernières scènes de cette bataille, le bruit du corps de Valkyon qui tombait, mon sacrifice, celui de Leiftan et toutes ces nouvelles que je n’arrivais pas encore à assimiler : le départ de Miiko, d’Ezarel… La porte de ma chambre résonna de vifs coups toquées avec entrain.
— Dia ! Allez réveille-toi !
— Mais je suis réveillée ! me défendis-je.
La porte s’ouvrit sur Koori qui prit largement ses aises en oubliant qu’elle n’était pas la propriétaire des lieux. Je me redressai avec mes cheveux ébouriffés comme les plumes de mes ailes blanches.
— Est-ce que je me trompe en devinant que tu étais en train de ruminer ? déclara Koori perspicace en s’asseyant sur le rebord du lot.
J’eus une moue ébahie, comment pouvait-elle deviner mes pensées ? La kitsune blanche éclata d’un rire malicieux et je la suivis, amusée par la spontanéité et la fraîcheur de ma nouvelle amie.
— Bon, fini la déprime, Mathieu nous attend pour le petit déjeuner.
Koori patienta dans la chambre pendant que je fis un brin de toilette dans la petite salle de bain privative avant de m’équiper d’une tenue pratique. Depuis une semaine environ, j’avais commencé un entrainement auprès d'Adalric. Les sessions de travail étaient difficiles mais je voyais mes efforts porter leurs fruits. Ensemble, nous rejoignions le réfectoire où, à une table, Mathieu ne nous avait pas attendu pour entamer les plats étalés devant lui.
— Bon alors, tu ne nous attends même pas ! se moqua la kitsune en rejoignant la table.
— Tout ça m’avait l’air beaucoup trop bon pour patienter.
— C’est pour Dia que j’ai préparé tout ça, expliqua Karuto en allant à notre rencontre. Tu as besoin de force pour ton entrainement.
— C’est vraiment trop adorable, souris-je, reconnaissante.
Sur la table, une dizaine de plateaux et bols avec différents produits et préparations : fromage blanc, bananes, chocolat, muesli de fruits, œufs brouillés et bacon fumant. L’appétit me vint tout de suite à la bouche et nous nous régalâmes. Je régulai toutefois ma gourmandise contrairement à Mathieu qui alla jusqu’à lécher les assiettes. Mieux valait ne pas trop se goinfrer avant un entrainement. Nous discutâmes un peu, le temps que Mathieu digère tout ce qu’il avait mangé puis chacun quitta la table pour vaquer à ses occupations quotidiennes. De mon côté, je me dirigeai vers les Jardins de la Musique, lieu de prédilection pour mes entraînements. Sans surprise, je n’y trouvai pas Adalric. Le sylphe n’était jamais à l’heure alors sans me départir de mon calme et de ma bonne humeur, je me mis en quête de mon collègue. Je fis le tour de la cité et tombai sur la silhouette volatile d’Adalric qui s'arrêta pour me saluer.
— Bien le bonjour chère Arcadia !
— Adalric, auriez vous oublié notre rendez vous ce matin… pour notre entrainement, complétai-je alors qu’il restait muet.
— Ah… ah bien sûr ! L’entraînement ! Où avais-je la tête ! s’exclama le sylphe en se grattant l'arrière de la nuque.
— Comme tous les jours… ajouta-je légèrement moqueuse.
— Oui, je sais … Maintenant ça me revient. Bon, allons- y !
Nous retrouvâmes le Jardin de la Musique et commençâmes l’entraînement. Dans un premier temps, je pris la position du lotus et avec les conseils d’Adalric, j’entrai en méditation pour pleinement puiser dans mes ressources magiques. Puis Adalric me fit faire quelques exercices de concentration magique et de matérialisation de mon pouvoir. Le sylphe était toutefois très prudent quand à l’exploitation de mes capacités. Il n’en connaissait ni les limites, ni les déclencheurs et préférait avancer en étape, bien que j’aurais voulu progresser plus rapidement. S’en suivit une mise en pratique en alliant combat au corps à corps à des sort magiques de faible amplitude.
— On arrête là pour aujourd’hui, tu as bien travaillé, me félicita Adalric.
— Je me sens de mons en moins fatiguée après chaque entrainement.
— Tu peux faire quelques exercices par toi-même dans la journée, si tu t’en sens capable.
— Je vous remercie Adalric.
— Que comptez-vous faire du reste de votre journée ?
— Oh, et bien pourquoi ne pas me promener dans la cité, réfléchis-je.
— Vous avez raison, il fait un temps magnifique.
Adalric repartit et je débutai ma balade au sein de la cité, longeant les marches, nourrissant les poissons dans un bassin puis je me posai au pied de l’arbre centenaire. Je trouvai dans ce lieu une sérénité à nulle autre égal. Je comprenais pourquoi Valkyon aimait tant cette partie du jardin. Repenser à mon meilleur ami provoqua une nouvelle vague de nostalgie. Il méritait bien plus que moi de vivre…
Puis je repensai à Koori, la kitsune n'aurait sûrement pas aimé me voir se morfondre alors je se forçai à se remettre en route. Dans le marché, de délicieuses odeurs guidaient mes pas dans les étals s’épices et de fleurs. Puis un sentiment de malaise m’envahit. Bien que je ne pouvais pas clairement voir les individus qui m’entouraient, une voix attira son oreille. Cela ne pouvait pas être lui et pourtant, l’homme discutait tranquillement avec un négociateur de métaux.
Je m’approchai encore et, à l’aide de mes pouvoirs, je pus mettre une image sur cette voix et mon sang se glaça d’effroi. Lance était là, devant moi, le plus naturellement du monde, en tenue de combat, une longue épée au côté et l’insigne des Obsidiens épinglé sur sa poitrine. Mon pouvoir vacilla, mon esprit vrilla et les images de notre dernière bataille menée contre Lance me revinrent violemment en tête. La chute de la falaise, Valkyon qui se battait contre son frère puis le choc lorsque le corps du dragon fut transpercé de part en part avant de heurter le sol... Je pouvais encore ressentir l’effroi de cette scène, comme si je la revivais.. Puis je perdis pied, mes ailes se déployèrent et en un battement, je se retrouvai sur Lance. Celui-ci avait esquivé à la dernière seconde mon attaque et, bien que surpris, il s’était mis en garde et me faisait face, les mains levées en signe s’apaisement.
— Qu’est-ce que tu fais là ! ASSASSIN ! MEURTRIER ! s’écriai-je, faisait fi de tous les regards apeurés que les passants me lançaient.
— Attends, Dia… je vais t’expliquer.
— Je ne vais pas t’en laisser l’occasion !
Je sentais mes ailes s’ouvrir et mes cheveux flotter au dessus de ma tête comme une auréole menaçante. Les iris, habituellement blanches se tintèrent de mauve, à l’instar des pointes qui coloraient mes mèches. Mes pieds quittèrent le sol et une aura de puissance émana de moi. Lance, lui, me faisait toujours face sans broncher et me regardait droit dans les yeux, sa main sur la garde de son épée. Autour de nous, la foule s’écarta apeurée par la démonstration de puissance que je leur offrais. Puis comme si un simple geste pouvait apaiser toutes les tensions de mon corps, la lourde main de Jamon se posa sur mon épaule. Ma colère me quitta soudainement, mes pieds touchèrent à nouveau le sol et je retrouvai ses esprits. Déboussolée un temps, je fus désolée de lire la crainte dans le regard des passants. Face à moi, Lance me renvoyait une expression indéchiffrable, entre compréhension et compassion.
— Je n’ai pas besoin de ta pitié… lui crachai-je prête à sombrer une fois encore dans la haine.
— Toi t’expliquer avec Huang Hua, déclara Jamon dans mon dos.
— J’y compte bien.
Aigrie, je tournai les talons, et traversai le marché dans une allure forcée. Jamais je n’avais ressenti autant de colère avec une furieuse envie de tuer quelqu'un. Je pénétrai dans le Q.G.et rejoignis en quelques secondes la salle du conseil. J’y pénétrai et trouvai des yeux la phénix. La chef de l’Étincelante était en pleine réunion avec Nevra mais je m’en fichais. J’avançai vers la Ren-Fenghuang qui, en un instant, comprit la raison de ma présence et surtout de mon comportement impulsif et colérique.
— Pourquoi ! tonai-je. Pourquoi est-il là ? Comment as-tu pu l’accepter au sein de la garde ?! Comment tu as pu faire ça !
— Arcadia… tenta le vampire.
— Non Nevra, l'arrêta Huang Hua. Je m’en charge. Laisse nous.
L’Étincelant fit une moue agacée, à la fois par mon intrusion et aussi par la façon font la phénix l’avait rabroué. Il quitta la salle du conseil et je repris ma furieuse accusation.
— Tu te souviens de se ce qu’il a fait ? De ce qu’il a provoqué ! Valkyon, Mery, Ykhar, énumérai-je.
— Arcadia, s’il te plait, écoute moi.
Je dus me faire violence pour laisser la chef de l’Étincelante puisse parler.
— Je sais que tu as beaucoup de mal à comprendre nos choix mais Lance a prouvé sa valeur.
— Mais vous êtes totalement fou !
— Non !
Je serrai la mâchoire et les poings jusqu'à ce que mes dents ne me fassent mal et que mes ongles n’entrent dans la chair de mes paumes de mains.
— Après la bataille, après avoir constaté tout le mal que ses actions avaient entrainé, Lance s’est rendu et a accepté de payer ses erreurs. Il a été enfermé et quand nous avions eu besoin de ses compétences, il nous a aidés alors qu’il aurait pu refuser. Nous nous sommes rendus compte que la garde d’Eel avait besoin de lui, de ses capacités de guerrier. Valkon n’était plus là, Ezarel, toi, Leiftan, Miiko et tellement d’autres… Nous avons décidé de lui donner une chance et, en sept ans, il nous a largement prouvé sa valeur. Et l’aura qui émane de lui me conforte dans ce choix. Je ne regrette absolument pas.
Je secouai la tête, le regard noir, outrée que l’Étincelante ait accepté dans ses rangs un meurtrier…
— Tu devrais l’accepter ou partir si tu ne le fais pas.
Huang Hua conclut son sermon de façon violente et durant un instant, je considérai sa proposition : quitter la garde et Eel plutôt que de tolérer la présence de Lance. Je fis volte face et quittai la salle du conseil pour rejoindre sa chambre d’un pas furieux. Lance au sein de la garde ! C’était une aberration ! Si Hua avait été dupée par le dragon, ça ne sera pas mon cas.
Devant la porte de ma chambre, la silhouette Mathieu faisait les cent pas, agité. Lorsqu’il me vit, il s’avança vers moi.
— Dia ! Tu vas bien ? J’ai entendu dire que tu avais failli te battre contre Lance ?
— Tu t’inquiètes pour lui ou pour moi ? lui rétorquai-je abruptement.
— Pour vous deux… j’avais peur de ta réaction.
— Pourquoi personne ne me l’a dit avant que je ne découvre !
— Ça aurait changé quelque chose ?
— Non, ça n'aurait rien changé au fait que je suis furieuse de l’aveuglement et du naïf pardon d’Huang Hua !
J’ouvris la porte de sa chambre puis la commode de vêtements pour retirer les quelques affaires que je possédais.
— C’est la première fois que je te vois aussi furax mais je te promets, le Lance que tu connaissais n’existe plus. Il était lui-même aveuglé par la colère et il a pris conscience de ses erreurs. Maintenant, il a fait amande honorable.
— Ma parole ! Toi aussi tu es tombé sous son charme ou bien ?
— Attends Dia, écoute moi s’il te pali.
Mathieu me saisit par les épaules et me força à lui faire face. Il me dominait de plus de trente centimètres et pourtant, je n’avais pas peur de lui lancer un regard assassin.
— Je n’ai pas connu le Lance que tu connaissais mais celui que je connais est quelqu’un de bien. Il part en mission dès qu’il le peut, il aide ce monde. Il est juste, fort et courageux.
— Tu n’as pas besoin de lui lécher les bottes pour intégrer l’Obsidienne. Il n’est pas là.
L’humain leva les mains au ciel en soupirant agacé de mes réactions. Je me détournai de lui pour reprendre ma tâche.
— Qu’est ce que tu fais ?
— Huang Hua m’a laissé le choix de rester ou non et puisque Eel habite un meurtrier, j’ai pris ma décision.
— Quoi ? Tu vas vraiment partir ? paniqua Mathieu.
— Laisse moi, s’il te plait...
Mathieu rendit les armes presque trop vite et je fus triste de le voir abandonner aussi vite. Se fichait-il que je parte ? Préférait-il Lance à moi ? Je m’allongeai en étoile sur le lit et mon esprit reprit ses sombres ruminations.
Je restai de longues heures ainsi à ressasser le passé, à imaginer comment Lance avait fini, non seulement gardien mais surtout chef de l’Obsidienne ! Valkyon se serait retourner dans sa tombe… Non, non, Valkyon avait toujours voulu croire que son frère restait quelqu’un de bien. Quelqu'un de bien qui l’avait assassiné.
Heureusement en fin de soirée, quelqu’un toqua à ma porte pour mettre fin à mes tergiversations. Je sus que c’était Koori et j’allai lui offrir. Beaucoup moins enjouée qu’à son habitude, la kitsune était calme et chose rare, inquiète.
— J’ai appris que tu avais l’intention de nous quitter et je venais pour voir si je pouvais y changer quelque chose.
— Je ne suis pas sur le départ.
Depuis que Mathieu était parti, je n’avais plus touché aux vêtements que j’avais précipitamment sortis de ma commande.
— Je vois que ton choix n’est pas fait, je suis soulagée.
— Et qui se passerait-il si je partais de toute façon. Vous avez vécu sept ans sans moi.
— Ne dis pas de bétise...
— Mathieu est parti sans un regard. Il s’en fiche...
— Tu dis n'importe quoi, m’arrêta Koori. Lance est son mentor, il ne souffre d'aucun défaut pour lui. Et toi, tu es sa meilleure amie, tu aurais du voir dans quel état il était lorsqu'il est venu me trouver pour m’expliquer que tu voulais partir.
— Il t’a raconté ?
— Oui, confirme Koori en s’asseyant sur le rebord du lit à mes cotés. Reste encore et constate par toi même le bien qu’a fait Lance autour de lui. Oublie ta colère pour juger l'homme aujourd’hui.
— Jamais je ne pourrais lui pardonner…
— Tu n’as pas à lui pardonner, juste à l’accepter. On n’a pas envie de te perdre toi non plus.
Je hochai la tête et la fis tomber sur l’épaule de Koori. Elle avait raison, je ne voulais pas partir alors que je venais de retrouver une vie normale, mes repères, mes amis… alors si je devais enquêter sur Lance, ses actions, ce n’était qu’un faible prix à payer. S’il était resté l’homme mauvais et cruel que je connaissais, je réunirais les preuves et je le dénoncerais. Et s’il avait réellement changé, alors j’aviserai…
Alors je fouinais pendant plusieurs jours, à interroger les gardiens, les habitants de la cités, les commerçants, les vieux, les jeunes… Tous s’accordaient à dire que Lance était un homme bien qui avait fait des erreurs de jugement. Il regrettait son passé sombre mais il faisait tout pour racheter des fautes. Je ne doutais pas de leur bonne foie mais je n’arrivais toujours pas à lui pardonner. Ma colère avait certes disparu mais je ne pouvais rien faire contre la défiance que j’éprouvais toujours envers Lance. Il avait tué Valkyon…
Lassée des discours élogieux que j’entendais sur le chef des Obsidiens, je décidai de prendre un peu de recul avec la cité. Le printemps embellissait l’extérieur d’Eel et je voulais apprécié les odeurs que la nature offrait en cette période. Les plaines étaient calmes, je sentais le vent balayer mon visage et je pouvais entendre les familiers qui jouaient avec les gardiens chargés de leur dressage. Je marchai jusqu’à la falaise et le recoin d’une roche où je prenais place habituellement. C’était le lieu privilégier de Valkyon, là où il venait pour réfléchir et c’était de cela dont j'avais besoin. Mais, arrivée sur place, je constatai que la roche était déjà occupée… par Lance. Il avait beau être silencieuse, je pouvais reconnaître son aura puissante. Celle-ci était toujours aussi impressionnante mais aussi bien violente que dans mes souvenirs.
J’aurais pu partir mais, et peut-être aussi à la mémoire de son frère, je ne le fis pas. De toute façon, il avait aussi remarqué ma présence et se redressa pour me céder la place. Il était inutile de fuir plus longtemps la conversation qu’on devait avoir, alors autant interroger le principal intéressé.
— Est-ce que tu as réellement changé ou bien tu cherches à manipuler Huang Hua dans un but secret ?
Lance resta silencieux à me regarder, cherchant les bons mots pour me convaincre.
— Je cherche simplement à racheter mes erreurs Dia et je ne peux rien dire de plus pour te convaincre. Je pense que tu as pu te faire ton idée en parlant de moi à tout le monde…
— Tu as tué ton frère, répliquai-je plus violemment que je ne le voulais.
— J’aurais préféré mourir à sa place, crois-moi. Je sais que je ne pourrais jamais le remplacer et je ne cherche pas à le faire mais je veux honorer sa mémoire en essayant de remplir au mieux mon rôle de chef de garde.
C’était à moi d’être muette face à sa réplique qui était d’une touchante sincérité.
— J’aurais aussi préféré que tu meures à sa place, murmurai-je entre mes dents.
Lance déglutit mais il accepta la violence de mes propos sans broncher.
— Mais, repris-je, il aurait aussi voulu que je te laisse une chance, alors pour lui, je vais essayer de dépasser mes ressentiments envers toi et je te donne une chance comme gardien et chef.
L’Obsidien hocha la tête, comme un signe de reconnaissance.
— Je te remercie. Valkyon t’appréciait beaucoup, il a toujours chercher à te protéger. Sache que, au nom de votre amitié, je poursuivrais sa tâche…
Il esquissa un pas pour partir et quitta la falaise, me laissant seule avec le fantôme de Valkyon. Il aurait été heureuse que nous arrivions à dépasser notre relation conflictuelle. Une bise agréable balaya mes cheveux comme si l’âme du guerrier décédé m’étreignit.
Mine de rien, le fait que je sois réconcilié avec Lance m’allégea d’un fardeau qui grignotait mon optimisme et mon énergie. Le conflit n’était pas constructif ni mon deuil, ni pour mon travail au sein de la garde.
Après une heure de réflexion, je me sentais apaisée et plus souriante, je pris la direction de la cité. A traverser le marché avec les effluves de viande rôtie ouvrirent mon appétit. Mes pas me guidèrent jusqu’au réfectoire encore vide. Karuto s’approcha de moi en essuyant ses mains dans un torchon.
— Un p’tit creux ?
— Qu’est-ce que tu as à me proposer ?
— Allez viens, tu pourras choisir ce que tu veux.
Je choisis une soupe froide de légumes et une tourte de seigle. Karuto s’attabla avec moi pendant mon repas et s’amusa de mon appétit.
— On dirait que ça va mieux toi, remarqua-t-il.
— Oui… oui ça va mieux. Je me suis faite à l’idée que Ance est toujours là, qu’il ait intégré la garde.
— Vraiment ? s’étonna le cuisiner.
— Oui, ça ne veut pas dire que je lui pardonné ses actes mais j’accepte de lui donner une seconde chance.
Karuto se rembrunit et durant un instant, je m’amusais de revoir son côté râleur qui resurgissait de temps en temps. Une fois le repas achevé, il me raccompagna à la sortie du réfectoire.
— Fais quand même attention à toi.
— T’inquiète papa-faune, je sais me défendre.
Le cuisinier grommela puis un groupe de gardiens arriva pour se restaurer et parmi eux, le visage de Lance émergea. Son regard trouva le mieux et ses iris bleus de glace dégageaient une lueur douce qui résonna en moi.
— Bon allez, tu dois sûrement être occupée, me bouscula Karuto pour rompre le contact visuel. On se voit plus tard.
Il repartir et je me retrouvais seule dans la grande salle des portes, un étrange sentiment venait de me traverser fugacement.
2nd OS
Je me réveillai reposée après une bonne nuit de sommeil. Mes yeux s'ouvrirent sur le monde mais seule l'obscurité m'accueillit. Mes autres sens s'éveillèrent, mon ouïe perçut le chant heureux des oiseaux, les bruits de la foule au pied du château. Le soleil éclairait la cité et chauffait les chambres ouverts de baies vitrées.
Je me levai et fis une toilette jusqu'u bout de mes ailes et quittai ma chambre de bonne humeur. Ma journée débutait par un petit déjeuner copieux que Karuto composait spécialement pour moi. Je me sentais veinarde ! Je m'orientai à travers les couloirs jusqu'aux cuisines, guidée par les bonnes odeurs et par les intuitions de mon pouvoir. À l’une des tables, Koori et Mathieu étaient déjà installés
— Bonjour à toi jeune dame ! Comment te portes-tu par cette belle journée ?
— Monsieur est d'humeur lyrique ce matin ! se moqua la kitsune.
— Et toi de mauvais poil, c'est ça ? rétorqua l'humain.
Avec un sourire amusé, je pris place à leurs côtés et m'amusai de leurs chamailleries. Karuto approcha dans mon dos et, sentant sa présence, je le saluai d'un sourire avenant. Il posa devant moi un plateau spécialement concocté pour ma personne. Les fruits dégageaient une odeur alléchante, mélangée aux aromes suaves d'un pain fraichement sorti du four.
— Un petit déjeuner de champion pour un entrainement efficace !
— Merci, j'en aurais bien besoin.
Le faune resta à la table, appuyé contre le dossier d’une chaise pour nous faire la causette. On profitait tous du calme avant de tous nous mettre en route pour notre journée.
Nous finîmes par nous séparer, Mathieu avait des rapports à écrire et Koori des préparation à surveiller.
De mon côté, je poursuivais mon entrainement en compagnie de Jamon, une à deux fois par semaine en fonction de nos disponibilités à chacun. Je voyais enfin les progrès poindre. Armée d’une épée, je me trouvais moins godiche, un peu plus à l’aise. Je sentais mon corps se muscler après avoir ressenti des courbatures pendant plusieurs jours.
Je me dirigeai vers les jardins de la musique, là où l’ogre s’échauffait déjà. Son sourire m’accueillit alors que je le saluai joyeusement.
— Bonjour Dia, toi prête ?
— Oui ! Toujours !
Après un échauffement rapide, les choses sérieuses débutèrent. Je constatai aussi que les entrainements s'intensifiaient parce que Jamon me ménageait un peu moins. Ses attaques étaient plus rapides et ses coups plus puissants. Je savais toutefois que cela restait très loin de ses capacités maximales.
Au moment où l’ogre allait s’élancer, je réussis à anticiper son geste, je tendis mes ailes, fis un bond et survolai le gardien pour atterrir dans son angle mort. D’un geste assuré, j’optai pour un coup de taille, visant précisément la zone fragile de son aisselle. En une fraction de seconde, la hallebarde imposante de Jamon vint s’interposer au prix d’une esquive in extremis.
L’ogre para mais, déséquilibré, il tomba sur les fesses et sa surprise se lut sur son visage. Je me retrouvai désolée et l’aidai à se relever.
— Bien joué Dia. Jamon sur le derrière.
— C’est le cas de le dire !
Au même moment, Lance apparut. Je ressentis son humeur moqueuse et une vague de chaleur irradia de mon visage. Je baissai la tête pour que mes cheveux dissimule mon embarras. Le dragon était accompagné de Leiftan qui restait discrètement en retrait.
— Tu t’es bien débrouillée Dia, me complimenta Lance.
— Elle être très rapide, Jamon être content et surpris !
— On dirait que tu progresses. Je n’en doutais pas, ajouta Leiftan.
L’aengel s'approcha et immédiatement, je ressentis des sentiments contradictoires, teintés de ses émotions et des miennes. Ce tumulte provoquait une vague d'irritation en retour. Je n’aimais pas éprouver en miroir cette intrusion intime et cette colère se reportait sur l’aengel qui ne cherchait même pas à se camoufler, au contraire, il était très présent, gravitant autour de moi, empiétant mon espace et cela aussi commençait fortement à m’agacer.
— Merci, répondis-je simplement.
— Jamon soif !
L’ogre posa son hallebarde sur la pierre qui entourait le bassin de la fontaine. Il s’accroupit et plongea sa tête massive dans l’eau dans un gros splash. Lance émit un ricanement en observant la scène de l’ogre parmi les poissons.
— Je suis fier de constater que tes pouvoirs se développent. Je savais que tu arriverais à dépasser tes doutes, reprit Leiftan.
Je grimaçai un sourire, en subissant une conversation avec l’aengel alors que j’avais préféré être seule avec Lance, avoir son avis sur ma performance et pourquoi pas des conseils.
— L’entrainement physique, c’est bien mais il faudrait aussi te concentrer sur un entrainement à base de maana, de visualisation mentale et énergétique...
Je n’écoutai que d’une oreille, Jamon venait de sortir la tête de l’eau et sa chevelure rouge dégoulinait le long de son crâne. Il s’ébroua et nous arossa tous. Je m’exclamais vivement en sentant les gouttes froides sur ma peau et le rire de Lance chanta à mes oreilles. C’eut au moins le mérite de faire taire Leiftan.
— Qu’en dis tu ? Voudrais-tu que l’on travaille ensemble ? reprit-il néanmoins
« Non ! » eus-je envie de répondre avec insolence. Je voulais simplement que quelqu’un me débarrasse de cette sangsue. Heureusement, Lance sembla comprendre mon agacement.
— Laisse-la tu veux ! Qu’elle profite de cette petite victoire. Je ne pense pas avoir déjà vu Jamon dans une cette situation !
— Lance se moquer ! Toi vouloir te battre avec Dia ?
Mon visage s’enflamma contre contre gré à l’idée d’un combat en corps à corps contre le chef de l’Obsidienne.
— Un entrainement physique me semble moins indispensable qu’un entrainement psychique, contra Leiftan en désaccord.
— Ça suffit ! m’exclamai-je comme si cette remarque venait de faire déborder mon vase de patience.
Il eut un silence surpris et tous les visage se tournèrent vers moi.
— Ne vous emballez pas ! Je ne suis pas un mannequin d’entrainement pour lequel vous devez vous battre pour le plaisir de me maltraiter. Je sais très bien que j’ai eu de la chance de déstabiliser Jamon et je n’aurais aucune chance de vaincre Lance… Maintenant, laissez moi tranquille !
Je tournai les talons et quittai rapidement les jardins. Mes pas me conduisirent jusqu’à l’extérieur de la cité. Là, le calme m’accueillit enfin et apaisa mes émotions contradictoires. Ma fierté d’avoir réussi à faire plier Jamon s’était vite envolée… Leiftan semblait obsedé par mes pouvoirs et prétextait vouloir m’aider à les développer mais je savais que ce n’était qu’une fausse intention pour se rapprocher de moi… Cela m’agaçait et il fallait que je trouve le courage de lui toucher un mot sur ce problème.
Quant à Lance… Eh bien, j’étais de plus en plus perturbée par sa présence au quotidien. Même quand je ne le croisais pas dans les couloirs du château, je sentais son aura partout où il passait. Sa trace m’était familière et progressivement, elle devint rassurante, par sa présence et sa coloration froide mais douce. A début, cela avait pertubé mes sens, je croyais percevoir Valkyon à chaque détour de couloirs, ce qui renforçait ma peine. Mais les jours passaient et ma douleur s’était transformée en douce mélancolie.
Valkyon me manquait, il aurait eu le bon mot pour me faire retrouver le sourire. Mais à cet instant, ce ne fut pas le visage de mon meilleur ami qui m’apparut, mais celui de Lance. Le dragon de glace avait remplacé son frère à son poste mais aussi dans mon esprit.
**
Lance quitta le Bastion d’Ivoire pour se rendre au château. Le soir avait recouvert la cité et le dragon ressentait la faim qui creusait son ventre. Après avoir rempli des rapports de mission pendant presque une heure, il avait besoin de se changer les idées et de manger.
Dans la salle des portes, il croisa quelques collègues et Leiftan. Il ressentait un rejet violent envers l'aengel. Il lui renvoyait en pleine figure ses échecs et tout ce que sa croisade envers Eel lui avait apporté : la mort de Valkyon, le sacrifice d’Arcadia, sa profonde dépression suite à son emprisonnement et sa longue période pour retrouver la confiance de la garde. Il pensait que ce temps était derrière lui…
Son avis était toutefois bien différent pour la divinité de Tir Na Og. Il s’était surpris d’éprouver une affection troublante envers Arcadia, ce qui rendait le comportement de Leiftan encore plus pénible à supporter. Il cherchait toujours à attirer, son attention. C’était désespérant alors qu’il était évident que ses sentiments n’étaient pas réciproques.
Dans ses pensées, Lance tourna dans un couloir et tomba nez à nez avec Arcadia. Elle semblait moins surprise que lui de la croiser. Surement avait-elle senti sa présence avait même de le voir. Lance resta muet devant sa pâle beauté qui l’avait déjà saisi lorsqu’il l’avait revue pour la première fois au marché. Il était impressionné par sa fougue, son énergie rayonnante et son sourire. Ce dernier sublimait son visage et lui se sentit idiot.
— Bonsoir. Comment s’est passé ta journée ? demanda-t-elle.
— Bien.
Sa réponse était bourrue et maladroite mais il était désarçonné. Son regard se perdit dans le cou de l’Absynthe et glissa jusqu’à la naissance de ses seins. Embarrassé, il releva rapidement les yeux mais se souvint qu’Arcadia était aveugle… Enfin selon le point de vue.
— Je m’en vais au réfectoire. Est-ce que tu as déjà manger ? l’invita-t-il juste ensuite.
— Eh bien, non. Je t'accompagne avec plaisir.
Lance eut une étrange sensation de contentement et d’un geste poli, il pria Arcadia de le suivre jusqu’aux cuisines. Sur place, il était tard et les tables étaient rarement occupées. Karuto les accueillit un peu froidement et quand Aradia et lui s’installèrent seuls à une table à l’écart, le faune eut un air encore plus renfrogné.
— Je tenais à m'excuser, débuta le dragon. Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise ce matin suite à ton entrainement avec Jamon.
— Non, tu ne m’as pas mise mal à l’aise. C’est plutôt Leiftan qui s’est montré… insistant.
— Je comprends. En tout cas, si tu le souhaites, je pourrais aussi te donner quelques conseils et même si nos méthodes de combat sont bien différentes.
Karuto déposa devant un plat généreux, garni de viande de poisson aux délicieux fumé et une sorte de semoule aromatisée d'épices. Lance fit le service, étrangement il se sentait bien.
— Je ne pensais pas qu’un jour nous mangerions ensemble à la garde.
Le ton de Arcadia était légèrement amusé et Lance gloussa en retour de sa réplique.
— Valkyon serait sûrement satisfait de voir que nous avons pu dépasser nos différends.
Le dragon vit l’expression d’Arcadia s’attrister et son coeur se serra, autant pour sa peine que celle de la jeune femme.
— Je suis désolé d’avoir abordé le sujet. C’est encore frais pour toi.
— Non, non. J’y pense tous les jours c’est vrai. Je ressens encore de la tristesse mais ma peine s’efface de semaine en semaine et je garde de lui les meilleurs souvenirs. Et quand je me sens seule ou perdue, je pense à lui, à ce qu’il pourrait me dire pour que je me sente mieux.
Lance eut un regard touché pour la jeune femme qui le bouleversait par sa sincérité mais aussi pour l’affection qu’elle portait pour son frère. Une question piqua violemment et soudainement son coeur.
— Vous étiez proche… conclut-il.
— Nous n’étions que des amis, je le considérais comme mon meilleur ami mais je ne me voyais pas envisager quelque chose avec lui et je pense que nous étions sur la même longueur d’onde.
Lance en fut rassuré sans vraiment comprendre tous ces sentiments qui l’assaillaient en la présence de la jeune femme.
Ils mangèrent en parlant de la garde, des cheffes, de quelques potins et Lance se surprit même une fois à rire aussi, chose rare.
Au moment de quitter la table, Leiftan fit son apparition et Lance eut le plaisir de constater sa mine déconfite de l’Absynthe et il retint un sourire narquois.
— Dia, je suis désolé de te déranger. Est-ce que je peux te parler un instant ?
— Nous sommes en train de manger, rétorqua Lance.
— Vos assiettes sont vides…
— J’arrive.
A contre cœur, Arcadia se leva de table et quitta les cuisines, laissant le dragon amer. Pourquoi se sentait-il aussi irrité ?
Agacé, le dragon quitta à son tour le réfectoire, sans adresser un mot à qui que ce soit et rejoignit sa chambre. Pourtant, il serait bien incapable de dormir car il sentait une certaine tension émanant de lui. Que lui faisait ressentir Arcadia pour être dans cet état ? Pourquoi l’Aengel le mettait dans cette sourde colère ? On aurait presque dit… de la jalousie.
Lance s’arrêta net au milieu du couloir, frappé par cette révélation. Oui, il était jaloux de l’attention que la divinité portait à Leiftan. Est-ce qu’il avait des sentiments pour elle ? Cela lui semblait tellement étrange de ressentir ça…
Et pourtant, lorsqu’il ferma les yeux et imagina Arcadia devant lui, allongée sous lui, il se sentit étourdi par une brusque vague d’excitation. Oui, il semblait qu’il était en train de tomber amoureux.
Puis un profond sentiment de honte sourda en lui, comme un retour de bâton. Comment pourrait-il prétendre la rendre heureuse alors qu’elle avait aimé Valkyon comme un frère et que Lance l’avait privée de lui… Il lui avait fait trop de mal pour avoir le droit de l’aimer. Son cœur était comme un oiseau chantant enfermé dans une cage trop étroite.
**
J'étais fâchée. Leiftan m’avait encore bassinée pour cette histoire d'entrainement et cette fois je lui avais fait comprendre sans détour qu’il était temps qu’il me laisse décider seule de ce qu’elle voulait faire.
En revenant aux cuisines, je remarquai que Lance était parti et la frustration m’envahit.
J’avais été tellement surprise et flattée qu’il me propose de manger avec lui ! Alors, ce n’était pas à visée romantique puisque le réfectoire ne s’y prêtait pas mais j’avais passé un très bon moment que j’aurais voulu prolonger.
Donc j’avais rejoint ma chambre, dépitée et je m’étais couchée bien seule.
Au milieu de la nuit, mes rêves s'emballèrent et mes fantasmes prirent vie. Une vague de chaleur traversa mon cœur et le visage de Lance se matérialisa au dessus de moi, le gout de ses lèvres sur les miennes, l’ardeur de son corps qui me caressait agréablement. J’entendis son souffle près de mon oreille qui me fit frissonner de plaisir et soudainement, je me réveillai dans mon lit, seule mais moite de ce rêve érotique qui révélait mes fantasmes naissants avec Lance. Un homme que j’avais pourtant détestait... Un homme dont je commençai à ressentir des sentiments fort…