L’Arbre-Monde
Medusis déambulait dans le marché aux épices des halles de Bandor. L’endroit était réputé pour y trouver les meilleurs mets des neufs mers d’Eldarya. La cité du Sud se trouvait sur l’une des plus grandes îles de l’archipel qui constituait le territoire de Bandor. Pourtant, depuis plusieurs années, la population s’étant vue croître rapidement, la cité avait progressivement empiété sur l’océan grâce à des extensions en bois flottant sur l’eau. C’était ainsi que Medusis évoluait, de plate-forme flottante en plate forme flottante, parfois dans un équilibre rendu précaire par le nombre de Faeries qui allaient et venaient sur les construction, mettant en péril la stabilité.
La jeune femme passa près d’un étal de préparations culinaires qui affolèrent ses narines de délicieuses odeurs. On pouvait passer des mois au sein du marché qu’on n’aurait pas assez de temps pour goûter tous les mets que l’on pouvait y trouver. Carrefour des continents, la cité de Bandor constituait un cœur hétéroclite d’Eldarya. En plus de son marché réputé, la cité possédait un immense port où l’on pouvait embarquer dans à peu près toutes les directions. Le mouvement et la diversité étaient les fondements même de cette cité.
Celle que l’on dénommait la Déchue se faufila jusqu'à un grand panneau d’affichage qui disposait de dimensions assez impressionnantes. On y trouvait toute sorte d’annonces entre les naissances, les unions, les décès, les disparitions, mais aussi des offres d’emploi, des recherches de main-d’oeuvres et des publicités ou des prières, le tout, dans des dialectes aussi nombreux que le nombre de races qui peuplaient ce monde. Le panneau était en libre accès et les annonces les plus anciennes étaient rapidement recouvertes par de nouvelles. Il était possible de tout y demander, si l’on mettait les formes et le prix.
Medusis releva un peu la capuche qui couvrait sa tête et laissa son regard d’ambré balayer le panneau à la recherche de celle qu’elle y avait laissée deux jours plus tôt. Elle la retrouva épingler sous une autre annonce, une vente de bébé meepers.
« Cherche homme à tout faire pour déménagement nord du continent. »
Comme un code crypté, « Homme à tout faire » désignait un mercenaire, « déménagement » un cambriolage. Pour d’autres annonces, on pouvait lire « Travaux divers » qui signifiait que la tâche n’était pas spécifiée et « nettoyage » impliquait un assassinat.
Un instant, Medusis crut n’avoir obtenu aucune réponse. Elle tendit une main, exposant ainsi ses cicatrices et leva du bout des doigts l’annonce qui cachait la sienne. Un sourire se dessina sur ses lèvres dissimulées sous l’ombre de sa capuche. Il y avait un lieu de rendez-vous ainsi qu’une heure. La Déchue arracha la note et quitta le marché aux épices.
**
Le Bécola de Granit était l’une des nombreuses tavernes de Bandor qui cernaient le port de la cité. Marins, voyageurs et négociants s’y rencontraient régulièrement. Il était donc tout à fait logique que le contact de Medusis lui demande de l’y retrouver. Le lieu était agréable, la nourriture délicieuse, autant que la boisson, la clientèle respectable et le patron possédait la fibre commerçante et une autorité naturelle pour maintenir dans son établissement une prospérité certaine. Medusis, qui pourtant, venait d’arriver à Bandor, connaissait la réputation des lieux. Le soleil était sur le point de se coucher sur la cité du Sud quand elle y pénétra. Elle avisa la salle, mais ne vit aucun individu solitaire qui pouvait répondre à ses critères. Elle décida de s’attabler en attendant un signe et commanda deux doigts de liqueur de pêche qu’elle savoura.
Le temps passait, les groupes de clients allaient et venaient, mais aucun ne vint la trouver. La jeune femme allait devoir ronger son frein. Elle serra les dents et oscilla entre prendre son mal en patience et son impatience justement. Sa quête n’en était qu’à ses prémices et le temps jouait contre elle. Son trône perdu attendait son retour comme ses ennemis attendaient sa vengeance. Peut-être ignoraient-ils qu’elle était vivante bien qu’ils aient tout tenté pour la détruire. Medusis en gardait d’ailleurs de terribles cicatrices, un sentiment d’injustice et une profonde rancœur qui guidaient ses envies de reconquête et de vengeance.
Ses ruminations furent interrompues par l’intervention du patron qui pourtant ne quittait jamais l’abri de son comptoir. Il essuyait négligemment ses mains dans un torchon tout en s’adressant vaguement à Medusis sans pour autant la regarder dans les yeux.
— Alors, on prévoit de déménager dans le nord ?
La Déchue leva la tête vers le patron ventripotent en haussant les sourcils de surprise. Dans un premier laps de temps, elle ne comprit pas de quoi il parlait quand enfin, l’évidence lui sauta bêtement aux yeux.
— Oui, mai j’ai besoin d’aide d’un professionnel, répondit-elle en portant à nouveau son regard sur le reste de la salle.
— Je connais quelqu’un qui pourrait voir aider. Il est dans la remise.
Le tenancier pointa du menton une porte estampillée d’un interdit.
— Merci.
La jeune femme sortit quelques pièces pour payer sa consommation et une fois seule, se leva et se dirigea vers l’extrémité de la salle. Une nouvelle fois, elle balaya les lieux et franchit la porte. Elle donnait sur une arrière-cuisine pleine de denrées et plus loin une porte s’ouvrait sur une courette. Medusis se concentra, mais ne ressentit aucune menace, aucun danger et elle poursuivit sa progression. La courette était à moitié éclairée par les derniers rayons de soleil et l’autre partie déjà mangée par l’ombre que projetait la taverne. Medusis vit la petite construction dont devait parler le patron. Il y avait devant un tonneau d’eau de pluie et des cagettes de légumes vides. Elle but baisser la tête pour passer l’ouverture et découvrit tapi dans l’ombre, un homme tout de noir vêtu assis à une table et dont l’épée reposait sur le plateau. C’était une façon assez charmante de recevoir, mais la Déchue n’exprima pas son point de vue. L’homme porta son regard bleu de glace sur elle qui la détailla scrupuleusement. Medusis en profita pour retirer sa cape, dévoilant ainsi ses nombreux bijoux qu’elle aimait porter autour du cou, poignets et doigts, mais surtout, elle voulait montrer ses cicatrices et voir la réaction du mercenaire qui lui faisait face. Il resta de marbre.
— Je m’appelle Medusis.
— Lance.
— Je dois me rendre à Eel pour récupérer un document.
— Quel genre de document ?
— Une carte.
— C’est très vague… remarqua le mercenaire dubitatif.
— Je suis désolée de ne pas disposer de plus d’information pour te faciliter la tâche, répliqua amèrement la jeune femme.
La tension s’était sensiblement accrue et un instant, Medusis crut tourner les talons devant l’impétuosité de l'homme en noir. Mais après quelques secondes, Lance ricana et secoua la tête.
— Non, je n’aime pas quand c’est trop facile de toute façon. Quand est-ce que nous partons ?
— Dès que possible, répondit Medusis rassurée.
— Bien, rendez-vous demain matin au quai est du port. Je connais un capitaine qui acceptera de nous rendre à Eel.
**
Lance guetta l’océan de Lik qui lui s’étendait sous ses yeux. Le soleil tapait déjà rudement et les vagues charriaient une douce odeur d’iode et de cris des mouettes au loin. L’Ours Vagabond était une chaloupe destinée au petit commerce de droguerie et dont le capitaine avait déjà eu recours aux services de Lance. Ce dernier n’avait pas exigé de paiement en retour, mais de pouvoir embarquer librement sur son navire, et ce, gratuitement pendant un an. Le dragon se tourna vers le quai et vit la silhouette sombre de Medusis. Il trouvait la jeune femme bien mystérieuse, mais cela rendait la tâche plus intéressante. Il connaissait Eel comme sa poche et jouer au cambrioleur était un travail facile. Malgré le tangage de l’embarcation, Lance avança vers la planche d’amarrage au pied de laquelle la jeune femme attendait d’y être invitée.
— J’espère que naviguer en mer ne te pose pas de souci ? questionna Lance plus comme un défi qu’une véritable considération.
— On ne vient pas à Bandor si on ne supporte pas l’eau, réplique Medusis avec aplomb.
Lance sourit, il appréciait le mordant de sa commanditaire.
— Nous allons bientôt embarquer, l’informa-t-il. Est-ce que je peux en savoir un peu plus sur les objectifs de cette mission ?
— Une fois que nous serons partis.
Il fallut encore attendre un peu avant que les cales ne soient pleines de marchandises, puis le capitaine et l’équipage débutèrent les délicates manœuvres pour quitter le port. Si tout se passait bien, le voyage prendrait trois jours jusqu’à Eel.
Medusis voulut s’installer au cabin, sorte d’espace où les marins pouvaient manger à l’abri de la pluie et des tempêtes. Là, elle se départit de sa longue cape mauve foncé et laissa voir ses cicatrices. Lance se questionnait quant à leur origine et surtout, comment elle avait pu y survivre. S’il suivait les découpes de sa peau, elle aurait dû se retrouver en morceaux… Littéralement.
Outre ses marques, Medusis portait une fine brassière blanche en voilage et un pantalon de toile fine qui tranchait avec sa peau mat et ses cheveux blancs et surtout, elle arborait beaucoup de bijoux. Le dragon avait du mal à saisir l’utilité de tant de bibelots. C’était lourd, cela faisait du bruit, c’était cher… Surtout, il était méfiant de cette pierre magique qui sertissait une tiare, en raison de la légère brume qu’elle diffusait.
Au-delà de ces étrangetés, Medusis avait une jolie plastique, mince et athlétique.
— Je préfère éviter le soleil directement, se justifia-t-elle.
Le dragon ne renchérit pas et croisa les bras sur son torse en attenant que son interlocutrice ne débute ses explications.
— Je recherche un artefact. J’ignore où il peut être, mais je pense qu’à Eel, je pourrais trouver plus d’informations.
— Quel genre d'artefact ?
Lance sentit tout de suite la méfiance poindre à l'énoncé de sa question.
— Il n'a qu'une valeur symbolique pour mon peuple... Et j'ai juste besoin de toi pour découvrir son emplacement et non pas le récupérer, répliqua Medusis sur la défensive.
Lance leva les mains pour se dédouaner et recula le buste.
— Je ne cherche pas à te voler si c'est ce que tu crois.
La jeune femme le fixa d'un regard noir qui trahissait sa défiance.
— Par où commençons-nous nos recherches ? questionna-t-il pour dépasser ses craintes de la commanditaire.
— Il y a une boutique d'Antiquités à Eel et dans laquelle nous pouvons trouver des informations.
— Oui, je pense savoir où c'est. J'imagine que c'est là que j’interviens.
— Si ce que nous recherchons y est, alors oui.
Le dragon réfléchit. Le propriétaire de cette boutique s'appelait Brax, C'était un vrai renard, un voleur et un receleur d’Antiquités et d’œuvres d'art réputé mais que la garde d'Eel n'avait jamais réussi à coincer. Le lieu était bien gardé et il pouvait sentir le piège à des kilomètres à la ronde, cependant, mais rien n'était impossible ...
— Si je peux me permettre, en quoi cet objet t'est utile ?
Il observa la jeune femme se rembrunir. Décidément, elle n'était pas facile à percer. Toutefois, elle prit une inspiration et répondit.
— J'ai été injustement exclue par mon peuple et, avec cet artefact, je vais pouvoir retrouver ma place.
— C'est à cause d'eux, ces cicatrices ?
Lance désigna les marques et il remarqua la tristesse dans les yeux de Medusis. Le sujet semblait sensible et il pouvait bien comprendre.
— Je dois le retrouver à tout prix.
— On va le trouver, sinon je n'accepte aucun paiement, seulement à la livraison.
L'expression mélancolique de Medusis disparut, remplacé par un sourire amusé.
— Je voudrais bien voir ça.
**
Les trois jours de voyage furent une occasion pour le mercenaire et sa commanditaire d'apprendre à mieux cerner l'autre. Medusis préférait éviter les pleines heures de chaleur durant lesquelles elle restait à l'abri dans une cabine. Elle sortait aux heures propices de fraîcheurs et pour assister le soleil dans sa ronde quotidienne. Lance avait remarqué qu’elle mettait mal à l'aise les marins qui, de un, ne supportaient pas avoir de femme à bord et, de deux, ils l'imaginaient sorcière, nécromancienne ou pire, diablesse à cause de tous ses talismans et surtout, ses cicatrices. Lance s'amusait à renforcer leurs craintes avec des mensonges gros comme des couleuvres qu'ils gobaient en entier. Lui, il trouvait Medusis intrigante, mais aussi avec un aplomb déconcertant et une histoire de vie franchement pas joyeuse. Et puisque c'était la seule créature féminine de l'équipage, son regard revenait souvent à se perdre sur elle.
La Déchue de son côté, se moquait de ce que Lance racontait sur elle, au contraire, elle s'amusait à voir les réactions apeurées des marins lorsqu'il contait qu'elle revenait d'entre les morts après avoir passé un pacte avec un démon ou bien qu'elle se nourrissant de sang d'enfants. Elle-même en rajoutait à l'histoire en baragouinant devant eux dans une langue inconnue. C'était un jeu auquel Lance et elle se prêtaient pour passer le temps.
Outre ses farces à l'équipage, le dragon passait du temps à s’entraîner. Même si elle était retranchée dans les niveaux inférieurs du navire, il y avait toujours une lucarne qui apportait de la lumière et qui lui donnait une vue sur le pont et sur Lance. Là, elle pouvait admirer son physique avantageux, la forme de ses bras, les muscles qui dessinaient son torse et l'allure altière de ses gestes. Il maniait avec une grande dextérité son épée et son regard bleu de glace pouvait être aussi froid et douloureux que le blizzard que tendre comme de la poudreuse. Elle aurait pu tomber sur un mercenaire moins appréciable à regarder. Il fallait encore voir s'il était bon dans son domaine.
La nuit venait de tomber et, comme à son habitude, Medusis était à la proue du bateau à fixer l'horizon invisible où le soleil avait rencontré l'océan un peu plus tôt. Elle avait retiré sa cape, laissant ses cheveux blancs et ondulés flotter au vent et Lance s’approcha d’elle avec deux assiettes de ragoût de poisson. Elle se retourna une seconde avant qu'il n'ait l'intention de l'interpeller. Elle sourit quand il lui tendit sa part et lui, voulut rester pour discuter.
— Le capitaine vient de me dire que nous serons à Eel demain dans la matinée.
— Très bien.
Les deux jeunes adultes restèrent à manger quelques cuillères de leurs repas, un peu salé mais agréablement chaud.
— Tu connais bien Eel ? questionna Medusis.
— Oui, j'y ai vécu pendant quelques années. Tu n'y es jamais allé ?
— Non, je connais assez mal Eldarya.
— Tu viens d'un autre monde ? se moqua Lance.
— Eh bien, tu ne crois pas si bien dire... Xénora est l'un des nombreux mondes où la vie s'est développée.
— Je pense en avoir déjà entendu parler mais je n'ai jamais eu l'occasion de m'y rendre.
Medusis reposa sa cuillère et à l'évocation de son monde, Lance crut voir dans son regard les fantômes de son passé défiler devant eux.
— En certains points, Eldarya lui ressemble. Il y a beaucoup de races différentes, de religions et de culture variées qui s'y côtoient. Les peuples d’êtres exceptionnels et tolérants. Et c'est un monde chargé de magie.
— Et comment ça marche pour voyager d'un monde à l'autre ? J'imagine qu'il faut plus qu'un bateau.
La Déchue eut un sourire charmant face à la boutade du dragon.
— C'est un peu différent en effet mais on va dire que, au lieu de naviguer sur de l'eau, on navigue sur du maana. Vois-tu, dans notre conception, tous les mondes sont reliés par des courants d'énergie cosmique qui nous permettent de vivre, mais aussi de voyager. Xenora, comme Eldarya sont traversées de veines invisibles aux yeux de tous et, à la jonction de ses veines, on retrouve des points de passage, matérialisés par des Autels.
Lance écoutait attentivement, la jeune femme qui semblait enfin lui faire assez confiance pour se livrer.
— Ces Autels sont implantés un peu partout dans les différents mondes pour permettre à ceux qui en ont la connaissance de voyager.
— Un peu comme des ponts ?
— Hm oui et non. C'est plutôt comme un arbre géant. À toutes les branches, il y a un monde, alimenté par de la sève qui représenterait le maana.
— C'est un point de vue très intéressant. Je suis loin d'être un expert de la théorie des univers, mais contre je peux trouver des milliers de manières de tuer un homme.
— Je n'en doute pas, ricana Medusis. Mais j'espère que nous n'aurons pas besoin d'achever de vie.
Le dragon hocha la tête et ils restèrent silencieux jusqu'à ce que la jeune femme n'attrape froid et décide de renter.
**
Lance s'était réveillé aux aurores après une nuit au sommeil agité. C'était comme si son inconscient sentait l'approche d'Eel. Il y avait laissé tous ses souvenirs douloureux et surtout, son frère. Toutes ses pensées le hantèrent, mais le doux frottement de la cape de Medusis sur le pont du bateau lui fit tourner la tête et ses préoccupations s'envolèrent. Il devait se concentrer sur sa mission. La jeune femme le salua d'un sourire timoré et s'accouda au bastingage.
— Je serais bien contente de retrouver la terre ferme, débuta-t-elle. Je commence à étouffer dans cette cabine.
— Je connais un brasseur qui pourra nous héberger.
— Je ne doute pas que tu connaisses les meilleurs sites d'Eel, le taquina-t-elle.
— Sa bière est infâme, je ne te conseille pas d'en boire mais je sais que je peux lui faire confiance, enfin en partie.
Au milieu de la matinée et après des manœuvres dirigées avec expertise par l'équipage et son capitaine, l'Ours Vagabond amarra au port d'Eel. Comme tous les ports de ce monde et des autres, il y avait une forte odeur de poissons, des chats et des mouettes en quête de restes et une agitation constante à laquelle Medusis et Lance se fondirent. Il y avait une procession qui remontait la falaise en gré vers la cité, mais le passage exigeait de passer par la grande porte, surveillée de gardiens. Or, Lance voulait éviter d'être reconnu et préféra un autre passage.
— Tu n'es plus le bienvenu à Eel ? s'interrogea la Déchue.
— C'est plutôt que la garde me croit mort, alors je préférerais autant le rester à leurs yeux.
Medusis suivit Lance qui trouva une autre issue pour pénétrer à l’intérieur de la cité. Ils atterrirent sur le derrière des Jardins de la Musique et se mêlèrent rapidement aux badauds qui en appréciaient la beauté.
Le dragon voulut s’assurer qu’ils n’avaient pas été repérés avant de se rendre à la boutique d’Antiquité, alors ils déambulèrent parmi les étals du marché sur la place du kiosque. Medusis ne prêtait pas attention à la foule ou aux gardiens, elle fut conquise par la majesté du cerisier centenaire, par les couleurs des fleurs qui embellissaient les jardins et par les vibrations positives et l’ambiance paisible et bienheureuse qui se dégageaient d’Eel. Le dragon lui, était particulièrement vigilant à la présence des gardiens et la crainte de tomber, à chaque coin de rue sur Valkyon. Or, rien ni personne ne vint les embêter et soulagé, Lance conduisit Medusis auprès de la boutique de Brax, aussi antiquaire que voleur. Le magasin se tenait au bout d’une ruelle qui débouchait sur la rue des ébénistes, fabricants ou revendeurs de meubles en tout genre et à hauteur de toutes les bourses. C’était toujours un lieu bondé de jeunes couples à la recherche de premier prix pour un premier logement ou des amateurs de pièces plus rares.
— Eh merde… lâcha Lance lorsqu’ils se retrouvèrent devant la boutique d’Antiquité, à la devanture ravagée par les flammes.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? questionna Medusis interloquée.
— Je ne sais pas, sinon, je ne t’aurais pas amené ici ! répliqua le dragon visiblement contrarié.
Il interpella un habitué des lieux et le pria de lui raconter l’incident.
— Ah ça ! Sale histoire, débuta un vieux faune. Les magouilles de Brax et ses trafics. Il y a dû arnaquer les mauvais clients à vouloir lui vendre du plomb au prix de l’or. Sa boutique s’est vue cramée en quelques heures et lui avec.
— Est-ce qu’il y a eu de la marchandise sauvée ? l’interrogea Medusis fébrile.
— Oui, oui. Tout ce qu’il y avait dans les deux hangars derrière ont été emmené, mais il ne reste que des cendres de ce qu’il y avait à l’intérieur de la boutique même.
— Je recherche un coffret en bois avec la gravure d’un arbre… reprit-elle.
— Est-ce que vous savez où est stocké le reste ? la coupa Lance.
— La garde d’Eel bien sûr ! Ils ont enquêté sur l’incendie, mais n’ont rien trouvé et comme le Brax était un arnaqueur de premier ordre, alors ils cherchent à retrouver les propriétaires des objets volés, mais sans registre, la tâche ne doit pas être évidente.
Lance jura et le visage de Medusis s’était décomposé. Si le coffret qu’elle recherchait avait disparu dans les flammes, alors elle ne mettrait jamais la main sur l’artefact que lui permettait de retrouver son trône. Tout ça pour que cette piste ne mène nulle part ? En un instant, un lourd sentiment de désespoir l’accabla. Elle était prête à partir sans un mot pour Lance, sans un regard pour lui, à tenter de noyer sa sourde douleur de n’importe quelle manière possible. Lance dut lire en elle comme dans un livre ouvert puisqu’il posa une main sur son bras et son regard bleu de glace trouva ses pupilles d’or.
— Tout n’est pas encore perdu. Donne-moi encore une chance.
Medusis sonda Lance, ses dernières onces d’espoir reposaient sur les épaules d’un homme qu’elle ne connaissait que depuis trois jours. Et, comme toutes les étincelles fébriles, l’espoir résista et la Déchue voulut lui accorder sa confiance.
Abattus, mais pas résignés, les deux jeunes adultes reprirent leur route vers le centre de la cité et la brasserie dont Lance avait parlé. L’endroit ne payait pas de mine et après s’être isolé un moment avec le patron, le dragon proposa à Medusis de le suivre dans la grange où étaient stockées les différentes céréales utiles à la confection de l’alcool. Une échelle menait au grenier, muni d’une paillasse. C’était loin d’être le grand luxe, mais ils avaient la chance de disposer d’un coin discret et à l’abri du sec. Les arômes suaves de fermentation embaumaient le bâtiment et les alentours. La Déchue n’avait pas décroché un mot, bloquée par ses craintes d’avoir perdu la seule chance de retrouver sa place. À travers l’une des lucarnes qui offrait une vue surplombante de la cité baignée des derniers rayons de soleil, Medusis se sentait perdue et fatiguée. Lance s’assit en face d’elle.
— Tu penses que, ce qu’on recherche peut-être en possession de la garde d’Eel ? questionna-t-elle.
— Je ne sais pas, c’est le seul endroit qu’il nous reste. Ce n’est peut-être pas grand chose mais ça a le mérite d’aller voir, la rassura Lance comme il put.
— Tu connais bien l’endroit ?
— Oui. Le souci, c’est que c’est une zone de stockage et comme toutes les zones de ce genre, c’est le bordel complet. On risque de mettre du temps pour retrouver ce qu’on cherche, surtout que je ne sais pas vraiment ce qu’on cherche… lança-t-il vaguement.
Medusis hocha la tête et son regard d’or se perdit à nouveau à la contemplation de la cité.
— C’est un coffret à bijoux. Il y a un tiroir secret qui contient normalement une carte vers l’artefact.
— Comment le reconnaître ?
— Il est en bois laqué avec le dessin d’un arbre gravé.
— Un arbre ?
Medusis soupira et se tourna vers Lance.
— L’Arbre-Monde, tu connais ?
— Le fameux arbre dont tu me parlais hier ?
— Oui, voilà. Cette métaphore est connue dans beaucoup de cultures. Dans l’empire du Haut, l’Arbre-Monde est appelé Kien Mou. Dans le territoire des Scandives, c’est Yggdrasil et chez les mayaas, c’est Ceiba. Cette allégorie de l’arbre comme symbole de connexion des mondes se retrouve à travers les âges, à travers les mythes et légendes. Il est tantôt un signe de sagesse, de magie, mais aussi d’unification des peuples, s’exalta Medusis.
— C’est passionnant la façon dont tu le racontes. J’aurais pu m'endormir en t’écoutant.
La Déchue se tut, décontenancée un instant par la remarque de Lance avant qu’il ne lui décroche un sourire moqueur. Bonne joueuse, elle le repoussa du bout des bras. Ils rirent à leur boutade et se sentirent enveloppés d’un agréable sentiment de complicité.
**
L’entrepôt de la garde d’Eel se trouvait entre le Bastion d’Ivoire et le Verger aux Mandragores. Il servait de stockage de tout ce que les gardes pouvaient retrouver durant leur mission : des objets volés ou abîmés, mais aussi des meubles qui ne servaient à rien. Les objets les plus précieux étaient séparés du reste et stockés ailleurs mais si les déductions de Lance étaient bonnes, les Antiquités volées par le receleur devaient se trouver ici. Les deux complices avaient réussi à infiltrer la zone avant la tombée de la nuit et s’étaient cachés dans un réduit. Ils n’échangèrent pas un mot, très concentrés au moindre bruit mais cela n’empêcha ni les reagrds, si les sourires entre l’un et l’autre. Une heure après le coucher du soleil et la fermeture des lourdes portes qui verrouillaient l’espace, Lance et Medusis sortirent de leur cachette, aux aguets. L’endroit était un vaste hangar en bois dont le plafond très haut était soutenu par d’immenses poutres semblables à des troncs d’arbre. Le tout était en permanence éclairé par des globes lumineux qui offraient une lumière légère. Entre chaque poteau, des caisses s’entassaient entre des malles, des coffres et des armoires remplies d’objets divers.
— Normalement, il y a différentes sections et chaque objet est numéroté et recensé.
En effet, Medusis remarqua des panneaux ornés de glyphes et de numéros, suspendus à intervalles réguiliers.
— Encore, faut-il trouver une sorte de liste...
Elle se retourna et vit Lance la fixer avec un sourire victorieux. Il tenait dans ses mains un parchemin qu’il déroula, dévoilant ladite liste. Medusis lui sourit en secouant la tête, amusée.
— Mettons nous rapidement à l’œuvre, conseilla le dragon.
Ils se répartirent les allées et commencèrent leur recherche mais il y avait tellement de boîtes, d’armoires et de caisses que, au bout d’une heure de quête intensive, ils avaient l’impression de ne pas avancer.
— Il faut trouver une autre méthode, sinon il nous faudra revenir toutes les nuits pendant un mois avant de mettre la main sur ce coffret, soupira Lance. Non pas que ça me dérange de travailler avec toi…
Medusis saisit des yeux le sourire taquin qu’il lui renvoya et haussa les épaules.
— Peut-être que moi, ça me dérange…
— Et peut-être que je te croirai si c’était vrai !
Il eut un nouvel échange de sourires et de regards complices puis, Medusis eut une idée dont elle fit part à son partenaire.
— Tu penses que ça va marcher ?
— Je ne sais pas, mais j’ai besoin de me concentrer.
Lance se tut alors et vit la jeune femme fermer les yeux. Il émanait d’elle une aura violine à peine perceptible qui, pendant un instant, mut autour d’elle jusqu’à ce que Medusis n’ouvre les yeux. Son regard d’ambre se posa immédiatement sur le fond nord-ouest de l’entrepôt et, sans un mot, se mit en marche vers le même recoin. Lance la suivit sans émettre d’objection. En approchant de la zone, il commença à percevoir l’odeur de brûler qui flottait dans l’air C’était bon signe. Il y avait des meubles noircis, des armoires de livres à moitié calcinés. Medusis entreprit d’escalader une malle, et le dragon monta à sa suite.
— Je sais que ce n’est pas loin.
La Déchue enjamba un autre empilement de caisses mais une planche craqua sous son poids, elle fut déséquilibrée un instant et faillit tomber sur Lance ne l’avait pas retenue. Les mains sur ses hanches, le mercenaire déglutit et les retira vivement, embarrassée. La paume de ses mains semblaient chauffer d’avoir ainsi effleurer ses formes.
— A-Attention, souffla-t-il simplement.
Medusis ne répondit pas, elle reprit son ascension et dans une armoire renversée sur le dos, elle attrapa un objet étiqueté.
— Je pense que je l’ai… murmura-t-elle fébrile.
Ils redescendirent de la montagne d’empilement et Lance prit l’objet. C’était bien un coffret mais sans gravure d’arbre sur le dessus. Mais Medusis, persuadée de ne pas avoir fait d’erreur, passa sa main sur le dessus et fit apparaître, sous une épaisse couche de cendres, le dessin gravé de l’Arbre-Monde.
— C’est ça… C’est lui !
Mesudis ne put se réjouir plus longtemps qu’ils entendirent la lourde porte principale coulisser. Il faisait noir, la cité était endormie mais la garde toujours en activité à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Les deux compères se cachèrent derrière un portant d’épées abîmées. Quatre gardiens apportaient une lourde statue, commandés par un cinquième homme qui pointait un recoin vide. Lance retint son souffle en reconnaissant les cheveux clairs de Valkyon. Il jura intérieurement et son regard cherchait déjà les issues de sorties possibles. Les gardiens achevèrent leur tâche et quittèrent l’entrepôt, suivi de Valkyon qui avançait en dernier.
Au moment de franchir la grande porte, l’Obsidien releva la tête et huma l’air. Le visage de Lance de fronça de contrariété alors qu’il observait son frère faire demi-tour à la recherche de ce qui venait d’éveiller ses sens.
— Il faut partir, vite… Sinon il va rameuter toute la garde, glissa-t-il tout près de l’oreille de Medusis.
Elle hocha la tête en tentant de refréner le frisson que ce contact proche venait de provoquer. Ils se faufilèrent entre les allées le plus silencieusement possible, s’approchant de la sortie de l’entrepôt. Deux autres gardiens franchirent l’entrée et interpellèrent leur collègue.
— Valk ? Un problème ?
— Hm, non… répondit l’Obsidien. J’ai cru…
Il ne finit pas sa phrase et tourna les talons pour repartir. Medusis sentit son cœur battre furieusement dans sa poitrine. L’adrénaline qui s’était libérée dans son sang, mettait ses sens en alerte et son regard perçant détailla l’homme qui partait. Ses cheveux clairs et son regard pénétrant lui rappelaient vaguement quelqu’un. Puis elle sentit la main de Lance se poser dans son dos et ses pensées en furent chamboulées. Il la poussa à le suivre mais d’un geste maladroit, elle fit basculer une vieille armure pleine de toiles d’araignées qui s’écrasa au sol dans un fracas que le silence rendait assourdissant.
— Eh ! Là !
Le cri de Valkyon alerta les gardiens à l’extérieur qui firent irruption dans le hangar. Lance jura et se redressa en rabattant sur son visage sa capuche. Il sauta sur le premier gardien et d’un coup à la nuque, le neutralisa. Medusis aussi se releva, tira ses lames des recoins de sa cape et les envoya en direction des gardiens. Lance évolua d’un homme à l’autre, à coup de poings et de pieds, il les mettait au sol en quelques secondes sans qu’ils n’aient le temps de se défendre. Lorsqu’il arriva devant son frère, il hésita toutefois. Il baissa la tête par réflexe et attendit. L’Obsidien avait dégainé son épée, prêt à se défendre, mais Medusis arriva sur le flanc en poussant un cri. Valkyon l’esquiva, fit un pas en arrière et se remit en garde. Lance attrapa la main de la jeune femme et ils s’enfuirent de l’entrepôt. Entre temps, il avait commencé à pleuvoir sur la cité et, en quelques pas, Lance et Medusis étaient trempés.
Dans leur dos, Valkyon criait déjà des ordres à quelques gardiens présents qui se lancèrent à leur poursuite. Bientôt, la cité grouillerait de gardiens à la recherche de voleurs. Le dragon et la Déchue s’étaient retranchés dans le jardin d’une demeure particulière, mais tous les accès étaient bloqués et s’ils restaient sur place, il était certain qu’ils seraient repérés. Lance se tourna vers Medusis qui le regardait de ses grands yeux jaunes inquiets.
— Écoute-moi. J’ai une idée. Prends-ça et va à la grange. Je t’y rejoindrais.
Lance lui tendit le coffret recouvert d’un tissu et retourna au portail du jardin.
— Attends ! Tu vas faire quoi toi ?
— Je vais faire diversion pour que tu puisses t’enfuir.
— Non ! Ne fais pas ça ! Le retint-elle.
C’était trop tard, Lance avait déjà disparu dans la nuit malgré les protestations de la jeune femme. Medusis attendit encore à l’abri, en serrant le coffret contre elle. Déboussolée, elle entendit des cris et une trentaine de gardiens passèrent en courant devant sa cachette, à la poursuite de Lance qui les rameutait dans une autre section de la cité.
Quand elle fut à peu près sûre qu’il n’y avait plus rien à craindre, elle quitta le jardin et reprit la route vers la brasserie. Trempée, mais en sécurité et le coffret avec elle, Medusis restait toutefois inquiète pour Lance. Intuitivement, elle savait qu’il reviendrait, mais dans quel état ? Oubliant sa quête, le temps d’une nuit, Medusis s’assit devant la lucarne et, de son regard pénétrant la nuit, elle contempla l’obscurité en espérant à chaque instant, voir son ami revenir à elle.
**
Lance était blessé, épuisé physiquement et mentalement en approchant de la brasserie en boitant. Le soleil commençait à éclaircir le ciel à l’horizon et la pluie avait enfin cessé. La cité était encore inondée de gardiens qui l’avaient pourchassé toute la nuit. Il avait réussi à les semer plusieurs fois, mais ils avaient réussi à le retrouver, sauf cette fois-ci. Cela faisait quelques heures qu’il n’avait plus de poursuivants et il était temps de retourner à la grange. Il espérait y retrouver Medusis, il espérait qu’elle ait réussi à s’enfuir et qu’elle soit saine et sauve. En pénétrant dans la grange, il eut un sourire bienheureux en apercevant le visage soulagé de la jeune femme.
— J’y failli attendre, souffla-t-elle, plus touchée de le voir que ce qu’elle voulait éprouver.
— Tu es blessée ? s’enquit Lance en retour.
— Non, et toi ?
— Je me suis foulé la cheville bêtement.
— Tu aurais pu fuir avec élégance, se moqua-t-elle.
— Aide moi plutôt à monter…
Douloureusement, le dragon grimpa à l’échelle et s’effondra près de Medusis. Avec son aide, il se déchaussa en grimaçant et jura en constatant que sa cheville était violette et gonflée. La Déchue tâta l’articulation qui a priori n’était pas cassée et ensemble, à l’aide de tissus, ils fabriquèrent une atèle.
Medusis donna aussi au dragon un peu de nourriture et de la bière qui ne manquait pas dans le coin. Lance était fatigué et il aurait bien voulu dormir, mais sa curiosité le poussa à questionner.
— Alors, qu’est-ce qu’il y a dans ton coffret ?
— Oh, je n’ai pas encore regardé… avoua-t-elle.
— Vraiment ? Je me suis donné du mal pourtant !
Medusis alla ouvrir le coffret poussiéreux de cendres mouillées et l’ouvrit. Il était vide, mais elle savait qu’il y avait une cachette secrète. Elle le retourna, avisa un petit espace pour y glisser son ongle et un clapet s’ouvrit. Un sentiment d’excitation l’envahit et elle découvrit un petit rouleau de papyrus qu’elle déroula précautionneusement.
— Tu avais raison, c’est une carte pour trouver ton artefact.
Lance détailla la carte, mais aussi, inscrit sur le côté, un texte qui décrivait l’objet en question.
— Le sceptre de l’Arbre-Monde… souffla la jeune femme. Enfin.
Elle caressa le papier, mais fronça les sourcils.
— Je n’arrive pas à lire cette langue et toi ?
La dragon prit le document dans les mains et déchiffra les glyphes.
— Oui, c’est de l’orméin. Attends… « Arbre-Monde » … « Magie qui donne une grande puissance à son détenteur » … « Être divin parmi les Faeries » … Ce n’est pas un simple objet de décoration comme tu l’avais prétendu, comprit-il enfin d’un léger froncement de sourcils.
— Hm, non, pas vraiment. Mais je ne savais pas si je pouvais te faire confiance à l’époque.
La Déchue sentait bien que Lance était touché par cet aveu, surtout après les derniers jours qu’ils venaient de passer. Toutefois, elle savait aussi qu’il n’était plus nécessaire d’être méfiante envers lui. S’il voulait lui nuire ou la voler, il avait eu de multiples occasions. Pour le rassurer, elle posa sa main sur celle de Lance et lui offrit un sourire engageant.
— Je suis désolée mais ma quête est capitale et le Sceptre de l’Arbre-Monde est mon seul espoir pour y parvenir.
— Je comprends...
— Il me permettra de retrouver mes pouvoirs et décupler ma puissance et plus personne ne pourra contester mon autorité.
— En quoi est-il si spécial cet objet ?
— La légende dit qu’il serait taillé dans l’Arbre-Monde directement et qu’il influencerait la volonté des Faeries.
— Mais je pensais que ce n’était qu’une métaphore ?
Medusis haussa les épaules. Elle n’avait par les réponses mais grâce à cette carte, bientôt, elle les obtiendrais.
— Est-ce que tu as encore besoin de moi à présent ?
La question de Lance la fit douter. Elle eut envie de répondre spontanément que non et pourtant quelque chose dans le regard bleu de glace du dragon, son intensité et sa douceur, la fit douter. D’une certaine manière, oui, elle avait encore besoin de lui et plus que ce qu’elle était prête à l’admettre. Elle hocha la tête et le visage de Lance s’adoucit.
— Alors laisse-moi le temps de me reposer avant de nous mettre en route, lui répondit-il en baillant.
— Bonne nuit, lui retourna la jeune femme alors que le soleil inondait à présent à cité.
Lance gloussa et se retourna pour lui offrir la vue de son dos. Il posa la tête sur son barda, mais ne put fermer les yeux. Son visage devint grave et son esprit se mit à cogiter. Si le Sceptre de l’Arbre-Monde avait autant de pouvoir, alors lui aussi pouvait s’en servir à ses propres fins. Le sacrifice des dragon avait injustement profité aux Faeries qui ne méritaient pas cette chance. S’il voulait rétablir l’ordre, il devait détruire le grand cristal d’Eel.
Mais s’il venait à voler cet artefact, cela reviendrait à tuer Medusis. En serait-il capable alors que chaque jour les rapprochait un peu plus ?
Épuisé par sa nuit et les perspectives qu’elle lui offrait, Lance s’endormit.
**
Le lendemain matin, la cheville du dragon avait dégonflé, il boitait déjà moins mais elle restait encore fragile et il valait mieux la ménager. De son côté, Medusis avait décrypté la carte qui menait au Sceptre. Avec chance, il se trouvait à Eldarya, au milieu du continent, au cœur d’une vaste forêt. Un grain de sable dans un désert...
— Il y a plusieurs jours de marche, il faudra sûrement voler des cheveux.
— Je ne me fais pas de souci pour ça mais j’ai besoin que tu me traduises ça ici, le sollicita la Déchue.
— « Arbre majestueux ». Je pense que ça, ça veut dire « Chêne » . Tu parles d’un indice…
— Tu devrais être content, on repart à l’aventure !
Medusis remarque un sourire plus timide que d’habitude. Elle sentait Lance troublé, mais elle ne savait pas pourquoi.
• Enfin, si ça te tente. Tu n’es pas obligé de me suivre si tu as d’autres projets…
• Non, non, je vais t’accompagner. Je veux accomplir cette mission jusqu’au bout !
Il jouta un clin d’œil à sa remarque qui fit sourire Medusis à demi.
**
La forêt du Blesys ressemblait à un dôme de verdure impénétrable où trônaient en son cœur, les plus vieux et majestueux arbres du continent qui y régnaient en rois millénaires.
Lance et Medusis avaient volé deux cheveux chez un maréchal-ferrant et avaient quitté la cité en laissant derrière eux une garde affolée et frustrée de ne pas avoir réussi à mettre la main sur les voleurs de l’entrepôt.
Cela ne faisait qu’une semaine que les deux complices s’étaient rencontrés, mais leur mission était tellement semée d’embûches qu’ils leur semblaient se connaître depuis plus longtemps. Durant leur trajet vers la forêt, ils avaient longuement parlé de leurs idéaux, de leurs souvenirs d’enfance, tout en évitant pudiquement leurs plus douloureuses blessures.
Après deux jours de trajet, ils entrevirent enfin la canopée et son camaïeu de vert telle une mer végétale. Un seul et unique chemin balisé permettait de traverser l’immensité. Si on venait à dévier du parcours, les malheureux risquaient de s’y perdre à jamais. Or, la carte indiquait bien un endroit éloigné du chantier principal.
— Je pense que nous devrions camper ici cette nuit et pénétrer dans la forêt demain à la première heure, proposa Lance.
Medusis hocha la tête et ils trouvèrent un coin à l'abri pour dresser leur campement. Le dragon fit un feu pendant que la jeune femme nourrissait les montures. Ce faisant, elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d’œil au dragon. Quelque chose avait changé dans leur relation. Elle prenait doucement conscience des sentiments d'affection naissant qu'elle éprouvait pour lui. Mais d'un autre côté, elle avait senti une certaine distance apparaître depuis qu'elle lui avait révélé la véritable nature de l'artefact magique. Était-ce de la crainte ou autre chose ?
Qu'importe tous ses imbroglios de pensées et de sentiments, la Déchue était tout proche du Sceptre de l'Arbre-Monde et elle ne devait pas se relâcher. A nouveau focalisée sur sa mission, elle effleura une poche de sa cape et sentit la carte. Elle y était presque.
Ils mangèrent en silence, tous les deux pris par leurs pensées et sentiments. Lance se proposa de veiller cette nuit pendant que sa partenaire se reposait.
L'environnement était très agréable, l'air était doux et le silence à peine perturbé par la faune variée qui vivait en harmonie dans la forêt. D'un bâton, Lance remua les braises et replaça une bûche. Le bois se mit à craquer sous l'effet de la chaleur et bientôt, les flammes léchèrent le bois. Un hibou hulula tout près et le dragon leva la tête vers le ciel étoilé.
Qu'est-ce qu'il faisait là ? À vendre ses talents de mercenaire contre de l'argent, à parcourir le globe pour les autres, à risquer sa vie...
Son regard tomba sur Medusis et son cœur se serra. Il avait à portée de main un artefact puissant dont il pourrait lui aussi se servir pour ses ambitions personnelles. Après tout, il n'était pas obligé de la tuer... juste de la voler.
Résigné, le dragon se redressa et s'approcha de la jeune femme endormie. Aussi discret qu'une ombre, il s'empara du rouleau dans l'une des poches de la cape qui servait de couverture de fortune. C'était presque trop facile, mais Lance se sentait coupable.
La carte en main, il resta accroupi à observer la jeune femme. Elle lui faisait confiance... Grossière erreur.
À l'origine, sa trahison n'était pas calculée, mais c'était une occasion à saisir, une opportunité qui ne se présentera qu'une fois...
Le regard du dragon passa sur le visage de Mesudis et s’arrêta sur ses cicatrices. Il eut envie de passer ses doigts sur le tracé disgracieux, mais elles faisaient aussi partie d'elle. Ses blessures étaient physiques mais aussi psychologiques. Il repensa à ce que Medusis lui avait raconté, il imagina ce qu'elle avait pu vivre. Il ne pouvait pas faire la même chose, il ne voulait pas la blesser. Il était trop attaché à elle.
Sûr de son choix, acceptant aussi d’abandonner cette opportunité, le dragon replaça le parchemin à sa place et, du bout des doigts, il effleura la joue de la jeune femme qui ne se réveilla pas.
**
Les deux aventuriers se mirent en route le lendemain et Medusis remarqua le visage plus serein de Lance. La nuit avait du lui porter conseil.
Ils avancèrent le long du chemin balisé, un large sentier de pavés blancs qui serpentaient entre les arbres, grands comme des montagnes. Ils croisèrent un petit groupe de pélerins, munis de longues capes et de grands bâtons, ainsi que quelques locaux qui vivaient des denrées de la forêt. Mis à part ces Faeries, les deux partenaires ne croisèrent pas d’autres individus. Enfin, après plusieurs heures à un rythme monotone et serpentant sans fin sur ce chemin dont le paysage n’évoluait guère, ils rencontrèrent un pont.
— Nous devons prendre par là, informa Medusis.
—Sur combien de kilomètres ?
— Ce n’est pas précisé, on doit suivre la rivière jusqu’à tomber sur une sorte de construction. — Allons y alors, décida le dragon.
Ils abandonnèrent leurs montures un peu en retrait de la route avec assez d’herbes à grignoter et se mirent en route. Lance sortit son épée et tailla une petite marque sur un premier arbre, puis sur les suivants comme un fil rouge pour retrouver leur chemin s’ils venaient à se perdre. Le sentier était beaucoup moins praticable, sillonné par les racines épaisses comme des cuisses et des troncs d’arbre effondrés sur lesquels la mousse et les champignons se plaisaient à pousser. Leur progression en était ralentie et la nuit vint rapidement assombrir leur route. La Déchue fut obligée de s’arrêter en raison de la visibilité presque nulle du dragon et c’était impossible pour elle de le guider. Ils décidèrent de s’arrêter, car le bois était tellement humide qu’ils ne pouvaient pas non plus allumer de torche ou de feu. Lance ne percevait que les mouvements fugaces des ombres dans la nuit. Le silence ajoutait à l’impression d’insécurité qui l’entourait et aux bruits des animaux qui se réveillaient en même temps que le soleil se couchait.
— Je vais faire le guet cette nuit, proposa Medusis.
— Oui, ça me parait cohérent.
Le dragon tenta de trouver le sommeil, appuyé contre un arbre, l’épée au travers de son corps, la main sur la garde. Medusis de son côté, avait la chance de détailler la faune et la flore de son regard ambré qui perçait le noir. Elle vit à plusieurs reprises des yeux curieux la guetter, mais rien dont elle devait se méfier.
Puis un point lumineux l’interpella un peu en hauteur et sans que rien ne l’explique. Il y eut une autre étincelle, deux, trois, une dizaine et plus. D’un sourire enfantin et enchanté par le phénomène, elle tapota la jambe de Lance qui ouvrit instantanément les yeux.
C’étaient des centaines de lucioles qui scintillaient et volaient autour d’eux, offrant une lumière naturelle couplée d’un spectacle magique. Le regard du mercenaire s’illumina de ses étoiles à portée de main et suivit le chemin tracé par les insectes.
— Regarde, montra-t-il à Medusis.
Ensemble, ils progressèrent à la lumière des lucioles, sur plusieurs centaines de mètres et tombèrent sur une petite chapelle en pierre construite au cœur même du plus grand arbre que la Déchue ait pu voir de sa vie. Il était plus vaste qu’un château et sa cime semblait effleurer la voûte céleste.
— Je pense que nous avons trouvé ton arbre majestueux, ironisa Lance.
— Qu’est-ce qui est écrit au-dessus ? questionna Medusis.
Lance s’approcha de la chapelle, balaya une branche feuillue qui cachait une inscription qui surplombait une grille en fer, manifestement scellée par un sortilège magique. À l’aide des lucioles et de la douce lumière qu’elles apportaient, il put lire à voix haute les quelques mots gravés.
« Un seul cœur pur »
Lance était perplexe. S’il n’y avait vraiment qu’un individu au cœur pur pour ouvrir cette porte et accéder au Sceptre, alors il était absolument certain qu’il n’était pas un bon candidat. Son cœur était aussi pur qu’une plaie purulente. Il se tourna vers Medusis en pleine réflexion.
— Attends, j’ai une idée, sourit-elle malicieusement.
Sans le consulter, elle prit la main du dragon et entrelaça ses doigts aux siens. Lance eut un geste de recul, conséquence de son embarras, mais la jeune femme serrait fort pour l’encourager à lui faire confiance.
Toujours éclairés des lucioles, ils posèrent ensemble leurs mains jointes sur la poignée de la petite porte. Le voile magique de protection s’effaça devant eux et la chapelle s’ouvrit d’un léger grincement.
— Je ne comprends pas, souffla Lance incrédule.
— Je pense que chacun de nous rend l’autre meilleur… répondit Medusis d’un ton moqueur qui dissimulait sa gêne. Peut-être que nous formons ensemble un seul cœur pur.
Mal à l’aise par cette révélation, la Déchue pénétra à l’intérieur de la chapelle et avisa un reliquaire en verre qui trônait sur un autel de pierre et qui contenait le Sceptre de l’Arbre-Monde. C’était un objet sublime dont chaque extrémité était taillée dans une écorce noire agrémentée d’or. Un côté ressemblait à une canopée de feuilles noires parcourues de nervures dorées qui coulaient comme des vaisseaux sanguins à travers le tronc pour finir leur course de l’autre côté par des racines vivaces. L’objet était tellement magnifique que Medusis crut qu’aucune race de Faerie connue aurait pu fabriquer un tel chef d’œuvre. Seul un être divin aurait pu imaginer et réaliser un tel artefact.
Avec beaucoup de précaution, la Déchue prit le Scepte et sentit à son contact, la magie s’infiltrer en elle et courir sur sa peau.
— C’est incroyable…
— Je n’en reviens pas, On l’a trouvé !
— Tu doutais de moi ? questionna Lance taquin.
— Non, mais je doutais de la véracité de mes informations ! Et sans toi, je n’y serai jamais parvenue.
— Maintenant, tu peux me payer.
— Oh oui. Je te donnerai tout ce que j’ai ! s’exclama Medusis de joie.
Son rire mourut dans sa gorge lorsqu’elle aperçut le regard que le dragon lui lançait.
Profond, touchée, touchant. Presque…
**
Les deux compères avaient quitté la forêt le lendemain matin et avec les indications de Medusis, ils avaient cherché l’un des Autels magiques qui permettaient à ceux qui en possédaient le pouvoir, de voyager entre les mondes. Le Sceptre de l’Arbre-Monde, soigneusement dissimulée par la cape de Lance, était accroché sur le dos de Medusis. Elle avait donné à son partenaire une lourde bourse d’or qui compensait largement l’investissement qu’il avait fourni. Même ainsi riche tous les deux, l’un d’or et l’autre de son artefact, ils avaient comme perdu leur bonne humeur. Même s’ils avaient tenté de faire traîner les choses, leur chemin finit inexorablement au portail qui reliait les univers.
Devant l’Autel, Medusis mit une éternité à se concentrer pour créer un passage. Elle était peinée et ne savait pas si elle devait faire part ou non de son état d’esprit à son ami. Assurément, elle ne voulait pas le quitter.
— Et si tu venais avec moi pour m’aider à ma quête ? Proposa-t-elle d’une voix basse, pleine de doute et de tristesse.
— J’aimerais mais c’est une tâche que toi seule peux accomplir. Et de mon côté, j’ai aussi d’autres projets, lui répondit Lance sur le même ton monocorde et sombre.
— Je sais.
Ils restèrent silencieux, le cœur lourd, sans oser se regarder, à taire des sentiments qu’ils savaient regretter s’ils osaient les énoncer.
— Est-ce que tu me promets qu’on se reverra ? questionna Medusis.
Lance ne sut quoi répondre, car aucun de ses mots ne semblait assez puissant pour exprimer ce qu’il ressentait. Un geste étant plus fort que n’importe quelle parole, le dragon se pencha sur Medusis et l’embrassa. La jeune femme prit une inspiration et s’agrippa à ses vêtements avec force, désespoir et envie. Leurs lèvres transmettaient plus d’amour que ce que les mots pouvaient dire. C’était un baiser d’adieu, mais chargé de promesses d’avenir. Lorsqu’ils se quittèrent, aucun d’eux n’osa trouver le regard de l’autre, préférant garder le souvenir d’un amour qui promettait de s’épanouir dès leurs retrouvailles.