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A tous les enfants d'Eldarya
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Modifications Importantes
➜ Nevra n'a pas de sœur. Karenn n'existe pas dans "Apotheosis".
➜ Valkyon n'a pas de frère. Lance n'existe pas dans "Apotheosis".
EDIT du 03/03/2022 : Pour le bon déroulement de l'histoire et la volonté d'attirer l'attention des lecteurs et des lectrices sur un point important, j'ai décidé de revenir sur ce point. Ainsi, vous lirez le nom de Lance dans Apotheosis, car ceci est important pour un point majeure de l'histoire et beaucoup plus parlant pour vous qu'un personnage inconnu, mais vous ne rencontrerez jamais Lance dans Apotheosis.
Seul son nom est présent et mentionné.
➜ Valkyon est un faelien à l'ethnie indéterminée et non un dragon.
➜ Leiftan est un lorialet et non un Daemon.
➜ L'Eldarya qui vous sera présenté est un monde plus sombre. Ne vous attendez pas à la même ambiance que le jeu original.
La Liste des Aventuriers d'Apotheosis
Waïtikka
Kikidamours
MayaShiz
Caprix
ZuzoHyo
Lethos
Serenata
Florianne
Alric-Sasheris
Les Annexes
Les Jours de la Semaine
Lundi : Talez
Mardi : Marim
Mercredi : Nephilum
Jeudi : Azuj
Vendredi : Vega
Samedi : Suhel
Dimanche : YadiLes Mois de l'Année
Janvier : Techav
Février : Midag
Mars : Hetal
Avril : Roch
Mai : Mimouet
Juin : Sartane
Juillet : Arieh
Août : Toulab
Septembre : Nazmoyim
Octobre : Vraka
Novembre : Teshek
Décembre : DigLes Règles Du Cartel Des Typhons
Règle numéro 1 : Chaque membre du cartel doit se rendre au quartier général une fois par jour pour recevoir ses ordres.
Règle numéro 2 : Ne jamais emprunter la ruelle du dépotoir aux déchets. Toujours se servir des portes de couleurs.
Règle numéro 3 : Le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie.
Règle numéro 4 : Les membres du cartel qui s'adonnent au commerce ou à la fabrication de substances illicites seront bannis.
Règle numéro 5 : Le chef du cartel des Typhons donne les ordres, choisit ses partenaires de commerce et distribue les missions. Mais les décisions importantes se prennent en groupe et se votent à la majorité.
Règle numéro 6 : Le chef ou la cheffe du cartel des Typhons ne doit jamais imposer son opinion pendant les réunions. Il ou elle doit respecter la majorité du vote et agir en conséquence.
Règle numéro 7 :
Règle numéro 8 :
Règle numéro 9 :
Règle numéro 10 : Le chef ou la cheffe du cartel doit garantir la protection des membres du cartel en échange de leur loyauté.
Dictionnaire de la Langue Orc
Dictionnaire Français-Orc
La Bibliothèque des Personnage d'Apotheosis
La Bibliothèque d'Apotheosis
Prologue
Tu le vois ? Il vous manque une…
Je sais pas, elle a rien dit.
Non, non ! Tu rêves ! Tiens, la patrouille est de sortie. Je te crois pas !
Planque ça, si tu veux pas qu'on te le pique ! Nell..
Laisse-moi ! … avait pas. Tsss… Circulez ! T'as rien…
Eh ! Att… Lui dit pas… … Va chialer. Diana ?
Circulez ! … Se croient tout permis. Ils…
Attendez ! … Tout perdu. Tout perdu hier, j'te dis !
Nell… ! Broderies des Côtes de Jade ! Approchez !
Encore de la… Circulez !
NELL… Il y en a plus, fallait venir avant ! A... Tsss… toujours pareil ...DEL
...Chef de la Garde de l'Ombre… Circulez !
Tiens, la parade ! … Et ta femme ? ...veux cinq.
Merci. Circulez ! Circulez ! Des gratte-papiers, c'est sûr !
… Pas vu, t'inquiète pas. … Le joyau sur la couronne, quoi.
CIRCULEZ ! … Les Alfirin ! Eh, mes sacs !
Circulez ! Circulez ! … "Circulez", tsss, de vrais pantins ! Bouge de là !
Cheffe ! Cheffe ! … Vraie merveille. Un carrosse sur une rivière d'or.
CIR…
...CU…
...LEZ
…
B.O.U.G.E
« Non. »
Sa voix est un marteau qui vient cogner l'orichalque d'une armure et sa silhouette ressemble à un caillou face à une montagne.
Adossée contre le mur crasseux de cette ruelle des bas-quartiers de la plus grande cité d'Eldarya, elle est la nonchalance incarnée.
Mais ce n'est pas vrai. Tout le monde le sait.
Lui, le premier.
"Lui", c'est ce soldat, c'est la montagne. Un orc bien bâti par des années de discipline ainsi qu'une allégeance aux êtres tapis dans la litière, derrière lui.
Comme tous ses semblables, il a des cheveux sombres, la peau cuivrée et la mâchoire saillante. Ses deux petits crocs, retranchés derrière sa lèvres inférieure, s'apparentent à des défenses d'ivoire. Lorsqu'il s'agace, l'orc se retient de gronder.
Un soldat qui sert la prestigieuse famille "Alfirin" n'est tout de même pas une bête et encore moins un barbare.
Là, confiné dans son épaisse armure d'orichalque, il fait face à un obstacle qui refuse de se soumettre à l'ordre qu'il beugle depuis un long moment, en fendant la foule.
Il se pense peut-être capable de séparer un continent en deux, rien qu'à la force d'un "circulez !".
Mais elle, elle s'en moque.
"Elle", c'est la troll adossée à son mur. C'est le caillou sombre taillé dans de l'onyx, dont les billes de charbon toisent son assaillant sans sourciller.
Elle est le barrage aux cheveux tressés qui glissent sur son corps massif comme des serpents de terre, de paille et de bronze. Elle paraît si misérable dans ses habits troués et délavés, certes, mais elle est digne.
Même la foule bordant la rue pavée, même le grand soldat d'orichalque et même la litière aux merveilles qui attend son droit de passage ne lui font pas baisser les yeux.
L'orc fixe la troll.
Son visage a été taillé à coups de burin, ses longues oreilles lui font songer aux ailes d'un crylasm et si ses lèvres pulpeuses se retroussent, il sait qu'il y trouvera des dents pointues.
Son mur crasseux lui sied, c'est vrai, mais les Alfirin attendent.
"Circulez !" va-t-il dire.
« La rue est bien assez grande pour l'illustre carrosse de tes maîtres, crache-t-elle, alors circulez et disparaissez du quartier avec votre or. »
Ses yeux noirs luisent de colère. Le soldat, la litière, le cortège tout entier… ils incarnent tout ce qu'elle déteste.
Ils se prennent pour le soleil des pauvres qui les regardent passer, les yeux vides et un sourire stupide accroché à leurs lèvres, comme des familiers face à une nuée de lucioles.
Ils pensent que leur parade ridicule est un cadeau pour la crasse de la cité, alors ils se permettent d'arrêter leur ballet misérable pour gratifier les pavés sales de leurs pas.
En exhibant des richesses que la population des bas-quartiers ne peut que rêver d'effleurer.
Et quelles richesses…
Elle jette un bref regard sur la litière. Elle a l'air tout droit tirée du rêve d'un artiste aux mains miraculeuses.
Cet écrin à bijoux transporte l'une des trois familles les plus fortunées d'Eldarya et brille par la finesse de ses matériaux.
Orichalque couvert d'or, bois précieux et quatre orcs pour transporter le tout. On a même cru bon de peindre un splendide paysage de forêt sur les portières… on a presque l'impression de s'y perdre en s'attardant sur les couleurs et les détails…
Deux lourds rideaux de soie, d'un vert impérial, masquent les Alfirin d'un décor qui ne les concerne pas. Ils ne font que traverser après tout.
Elle a un rictus qui découvre un croc, émet un sifflement dédaigneux et s'entête :
« Partez ! »
Mais le soldat n'est pas d'accord.
Cette situation l'agace au plus haut point, lui qui déteste ramper dans les rues des bas-quartiers comme un ver. Il sent moult paires d'yeux sur sa nuque et parmi elle, il devine les prunelles céruléennes de Ciryandil Alfirin, ainsi que le regard noisette de son jeune fils, Sheraz.
Il ne peut pas courber l'échine devant cette troll qui se prend pour la déesse des miséreux.
Yüljet Bianka, dit "Titan".
Il sait qui elle est. Tout le monde sait qui elle est et personne ne viendra lui demander de laisser passer la superbe litière.
Personne n'osera.
Sauf le soldat qui se croit intouchable sous son orichalque.
Si la foule qui les entoure est un océan, alors l'orc et Yüljet en sont les remous et l'orage éclate lorsque la troll ose prononcer ces mots :
« Si tes maîtres veulent passer, qu'ils descendent de leur carrosse pour me le demander eux-mêmes. Mais la rue n'est peut-être pas assez large pour leurs cul pompeux. »
La cohue retient son souffle mais il est trop tard : le vent se lève et les voix aussi.
La rue pavée des bas-quartiers n'est plus qu'un couloir de décibels et bientôt, des murmures ainsi que des conversations à demi-mots viennent se joindre au chaos.
La parade de la famille Alfirin est toujours un spectacle mais aujourd'hui, c'est un véritable théâtre !
La litière a rejoint le sol et deux porteurs sont venus prêter main forte au soldat. Peut-être qu'à trois orcs confinés dans de l'orichalque, ils parviendront à intimider Yüljet.
Ils peuvent rêver.
D'ordinaire, la litière des Alfirin parvient à se frayer un chemin sans encombres. La foule devient un mur de figures admiratives et derrière leurs beaux rideaux, Ciryandil et son fils adressent des sourires timides à toutes ces personnes.
Mais aujourd'hui, Yüljet est là et lorsqu'elle commence à en venir aux mains avec les orcs, c'est une seconde décisive qui marque le temps.
Tapis dans son bel écrin, il y a une elfe sylvestre de trente-huit ans qui braque ses yeux bleus vers l'altercation. Ses mains d'ivoire couvrent sa bouche délicate et son cœur s'accélère en imaginant le pire.
Elle voudrait être ailleurs mais malheureusement, la richesse de sa litière et de ses atours ne peuvent pas exaucer son souhait, alors aussi précieuse soit-elle, Ciryandil est vouée à rester plantée sur les pavés de cette rue crasseuse.
Dans le carrosse aux merveilles, il y a aussi Sheraz Alfirin. Son jeune fils de vingt-deux ans, accompagné de sa fidèle ciralak, Céleste.
Lorsque la tempête s'est levée, il a vu la seconde. Il a su que c'était maintenant.
Pendant que la troll et les orcs se menacent, pendant que la foule s'agite, pendant que sa mère assiste au tumulte, Sheraz profite des remous et lance une bouteille à la mer.
Personne ne remarque la portière de la litière qui s'entrouvre en créant une faille dans la forêt peinte, personne ne prête attention à la ciralak qui se glisse parmi l'attroupement.
Céleste est intelligente. Elle sait ce qu'elle a à faire.
Serrant un petit morceau de parchemin dans l'une de ses gueules, ses yeux d'or cherchent leur objectif. Ils le trouvent facilement.
C'est la femme à la peau brune qui se dresse contre les soldats. C'est celle qui se fait appeler "Titan".
Céleste louvoie entre les corps, les tuniques et les sacs besaces pour se trouver un coin tranquille et attendre la fin de la discorde. Ensuite, elle se collera aux pieds de la troll et la suivra jusqu'à lui remettre le message du jeune maître.
Il tient peut-être la clé de sa liberté et la ciralak ne peut que prier pour lui.
Elle s'assoit et patiente.
Titan est peut-être emplie de hargne, elle reste seule face aux trois orcs. Céleste la regarde valser contre le mur où elle se tenait adossée et ses lèvres se tordent en une grimace de douleur.
Les soldats ont enfin maîtrisé Yüljet et c'est ce que Ciryandil croit. Mais la foule, quant à elle, pense que Yüljet s'est finalement lassée de son petit jeu et a choisi d'y mettre un terme.
Qu'importe : la seconde décisive s'est dissipée et le temps reprend son ballet.
Les deux porteurs retournent à la litière, le soldat ouvre la marche et la parade peut, enfin, achever son spectacle. Le rideau tombera lorsqu'elle se sera hissée dans les riches quartiers de la cité, non loin du grand palais.
On regarde le cortège s'éloigner, on s'extasie encore une fois sur la beauté du joli carrosse des Alfirin, puis on retourne à son quotidien.
La tension s'en est allée avec les soldats, alors la rue pavée peut souffler.
Yüljet Bianka pousse un soupir en se laissant glisser contre le mur. Ses muscles se relâchent et ses nerfs se détendent, mais la hargne ne la quitte jamais.
Ce qu'elle vient de faire est stupide et elle en est consciente, mais elle aime rappeler sa présence aux soldats d'Odrialc'h, la plus grande cité d'Eldarya.
Ils savent qui elle est. Même les Alfirin le savent. Et un jour, sa tête tombera.
Un rictus vient ourler ses lèvres pleines : elle n'est pas encore morte et il est bien loin, le couperet qui mettra un terme à sa vie.
La troll s'apprête à se redresser lorsqu'un miaulement aigu attire son attention. Elle tourne la tête, surprise et ses yeux noirs se plissent lorsqu'elle avise six perles d'or.
Six perles d'or et un pelage d'un vert sombre.
Ses queues fouettant l'air, un ciralak la dévisage et Yüljet se tend alors qu'un puzzle étrange se forme dans son esprit.
Les ciralak sont des familiers de luxe. Si l'un d'entre eux se tient face à elle, en cet instant, alors il est facile de deviner d'où il vient.
Tombé de la litière des Alfirin ? Peut-être. Mais elle se trompe. Elle le comprend quand elle remarque un petit morceau de parchemin plié en quatre, siègeant dans l'une des trois gueules.
Yüljet regarde le familier et le familier regarde Yüljet.
Il attend quelque chose. Il attendra longtemps, s'il le faut, quitte à trottiner derrière la troll jusqu'au cœur d'Odrialc'h.
Au fond de ses yeux d'or, il y a une détermination sans faille, mais aussi autre chose. Une étincelle que seul Sheraz parvient à lire, puisqu'elle lui est destinée et c'est elle qui permet à Céleste de s'adresser à Titan, aujourd'hui.
Avec lenteur, cette dernière lève une grande main brune et offre sa paume au familier, qui se déleste de son trésor.
Sa mission est accomplie alors à présent, Céleste va prier.
Elle ouvre des yeux grands comme des soucoupes afin de ne pas perdre une miette de la scène. Elle veut décrypter chaque détail du visage de Titan pour mieux mettre des mots sur les émotions qui vont se manifester, et ainsi espérer.
La troll déplie le parchemin, puis elle se fige. La stupeur vient marquer ses traits alors que ses mains froissent le papier.
D'instinct, Yüljet fait quelque pas, son regard se lançant à la poursuite de la litière qui à déjà disparue. Tant pis : elle lève la tête à s'en briser la nuque, pour fixer le sommet de la cité.
Là où se tiennent les riches quartiers ainsi que le grand palais.
Céleste voit sa poitrine se soulever, entend ses larges poumons brasser de l'air pendant qu'elle devine les rouages de son esprit s'activer sous son crâne.
Titan est en train de prendre une décision.
Là, fermement campée sur ses pieds, ses semelles épaisses semblant écraser les pavés de la rue, elle ressemble à un pilier.
Elle transpire une dignité et une volonté flamboyante et nul doute que Céleste ne s'est pas trompée : elle vient de confier les espoirs de son jeune maître à Yüljet Bianka, dit "Titan".
La cheffe du cartel des Typhons.
« Eh.»
Céleste redresse ses trois têtes. Yüljet a déjà commencé à marcher et la troll lui adresse un signe de la main.
Viens.
La ciralak ne sait encore si son jeune maître est sauvé, mais peut-être que l'on va essayer. Peut-être…
Tout en souplesse, Céleste détend ses pattes arrière et bondit vers sa nouvelle compagne. Ses yeux d'or attrappent son poing serré, en train d'étouffer le parchemin qui doit former une balle imparfaite.
Depuis sa litière et seulement armé d'un morceau de fusain, Sheraz n'a pas eu le temps d'écrire grand-chose.
Deux mots tracés à la va-vite avec des lettres qui ont bavées.
Sauve-moi.***
À présent, il est temps de faire votre premier choix, et pas des moindre ! En effet, ce dernier va vous suivre durant toute la fiction et il vous sera impossible d'en changer.
Alors réfléchissez bien !Choix du Prologue : de quel point de vue souhaitez-vous suivre l'histoire ?
➜ Le point de vue de Yüljet Bianka, dit "Titan".
➜ Le point de vue de Sheraz Alfirin.
Chaque point de vue possède ses avantages ainsi que ses inconvénients. Pour vous aider, je vais les lister sous spoiler et ensuite, à vous de faire votre choix !Yüljet Bianka, dit "Titan"
Suivre "Apotheosis" du point de vue de Yüljet vous offrira des paysages ainsi que des voyages. Il vous sera possible de découvrir des personnages dans d'autres cités que celle d'Odrialc'h, puisqu'étant la cheffe du cartel des Typhons, Yüljet possède des complices dans tout Eldarya.
Néanmoins, les choix à effectuer du point de vue de Yüljet seront complexes et il vous sera bien difficile de parvenir à vous immiscer parmi les riches quartiers afin de sauver Sheraz. Il faudra faire preuve d'ingéniosité.
Le point de vue de Yüljet vous apporte beaucoup de liberté, certes, mais trop de choix peut tuer le choix.Sheraz Alfirin
Suivre "Apotheosis" du point de vue de Sheraz vous apportera un espace confiné. Vous serez enfermé dans des cages dorées avec l'accès à des informations importantes, mais il vous sera très difficile de les faire circuler à l'extérieur.
D'ailleurs, cet extérieur ne vous sera pas accessible si vous ne faites pas les bons choix.
Le point de vue de Sheraz est intense par les vérités que l'on peut apprendre, mais complexe par la manière dont on peut les utiliser, au travers des choix. De plus, beaucoup de vie seront en jeu et il est certainement terrible de connaître le sort réservé à un personnage sans être certain que l'on puisse faire quelque chose pour l'en empêcher…
Du point de vue de Sheraz, vous n'avez presque pas de liberté et c'est à vous de la gagner. Mais saurez-vous seulement repérer l'aide extérieure pour vous sauver, sans la confondre avec ceux qui veulent vous manipuler ?
Chapitre 1 - Le Cartel Des Typhons
Bonjour et bienvenue dans ce nouveau chapitre !
Avant de commencer, je tiens à préciser que le topic de présentation a subi une petite mise à jour, puisque nous accueillons un nouvel invité : lilymoe, le personnage de ZuzoHyo !
Ce personnage avait déjà sa petite place dans le projet, lorsqu'il a été conçu quelques années auparavant, alors c'est un grand plaisir pour moi de l'accueillir !
De ce fait, les invités sont au complet !
ZuzoHyo, bienvenue à toi et à ton lilymoe. J'espère que tu apprécieras de voir évoluer ton personnage dans cette histoire et que ses aventures te plairont !
Tu y avais ta place il y a quelques années, et tu l'as toujours. Voilà qu'Apotheosis a deux adorables renards, maintenant !
À présent, place au chapitre et bonne lecture à vous !
⁂
La Place des Échanges est le quartier le plus animé d'Odrialc'h et pour cause : c'est le cœur de la cité.
Si l'on sait se servir de ses yeux ainsi que de ses oreilles correctement, il est possible de capturer des informations si précieuses qu'elles valent de l'or.
Entourée d'habitations aussi hautes que des géants, la Place des Échanges est un marché qui brasse de l'argent au rythme des secondes, dans une guerre de slogans criés à tue-tête.
Souvent, des étrangers venus par delà les mers d'Eldarya viennent se joindre au combat, après avoir triomphé d'une douane implacable.
Pour un touriste en train de visiter Odrialc'h, ce marché est un véritable labyrinthe de bruits, d'odeurs et d'espèces en train de flâner entre les étals.
Mais pour Yüljet, c'est une bonne occasion de disparaître pour mieux filer vers sa planque.
Malgré le vent frais qui s'engouffre dans les ruelles, la troll voyage bras nus. Quelques regards curieux s'attardent sur le paquet étrange qu'elle tient dans ses bras, emmitouflé dans une veste qu'elle portait quelques minutes plus tôt.
Une précaution non négligeable.
Nul besoin de coudes pour se creuser un chemin dans la foule, car sa démarche pressée lui ouvre la voie et ses grandes mains brunes sont crispées sur son précieux chargement.
Dissimuler le ciralak aux yeux d'autrui a été une évidence mais maintenant, il lui faut regagner sa planque et ordonner une réunion.
Les membres du cartel s'y rendront aussi.Règle numéro 1 : Chaque membre du cartel doit se rendre au quartier général une fois par jour pour recevoir ses ordres.
Par bonheur, le ciralak a la bonne idée de ne pas miauler. Ainsi, Yüljet peut poursuivre sa chute et mieux s'enfoncer dans la quintescence de la misère.
La cité d'Odrialc'h est une montagne : la richesse s'étend au sommet et la pauvreté grouille à ses pieds. Les quartiers sont empilés les uns sur les autres et puisque le Gouverneur Suprême a interdit l'utilisation de familiers pour se déplacer, alors la population voyage d'un quartier à un autre grâce à de petits aéronefs.
Loués sont les ingénieurs qui effectuent quotidiennement la maintenance des brûleurs, des sangles, des nacelles et des enveloppes pour la population qui a les moyens d'emprunter ces engins.
Quand on ne se promène pas dans une litière dorée, évidemment…
Les semelles de Yüljet claquent sur les escaliers inégaux qui l'emportent vers les enfers d'Odrialc'h et les silhouettes des premiers démons commencent à apparaître.
Le nez de la troll n'est que trop habitué aux odeurs qui règnent en ces lieux, mais elle devine ceux des ciralak en être incommodés.
Les démons de la plus grande cité d'Eldarya sont ceux qui ne peuvent se hisser ni au sommet, ni aux bas-quartiers. Ce sont des êtres enveloppés dans des capes de voyages qui ne les emmènent nulle part et des corps décharnés empoisonnés par des substances fabriquées par les ennemis du cartel des Typhons.Règle numéro 4 : Les membres du cartel qui s'adonnent au commerce ou à la fabrication de substances illicites seront bannis.
L'enfer possède des maisons aux murs sales, des fissures qui courent sur des habitations maudites recelant de corps gangrénés par la faim, la pauvreté ou le manque du poison qui domine leurs consciences.
Le tap.
Yüljet fulmine en avisant quelques malheureux aux yeux vides et aux lèvres gercées, rendues noires par ce fameux tap. Elle est certaine qu'ils ne la voient même pas.
La troll continue de marcher à la hâte, listant mentalement les objectifs de cette réunion d'urgence qu'elle compte organiser.
Le sujet principal étant un "sauve-moi” griffonné sur un papier, à présent chiffonné.
Qui, dans la litière des Alfirin, veut être sauvé ? Pourquoi ? Qu'attend-t-on du cartel des Typhons ?
Yüljet n'aime pas ça.
Nombreux sont les riches citoyens d'Odrialc'h ainsi que leurs têtes pensantes, au gouvernement, à souhaiter voir le cartel disparaître.
À leurs yeux, ce sont les rats en train de ronger la corde du plus beau navire d'Eldarya ainsi que les auteurs des meurtres sordides perpétrés à travers le monde.
Ils ont en partie raison.
Justiciers, malchanceux, rebelles, génies… Les membres du cartel des Typhons sont comme des cristaux à multiples facettes et chacun d'entre eux a ses raisons d'avoir intégré l'organisation. Mais, en faisant partie de la même famille, ils ont maintenant deux objectifs communs : saboter les tentatives de conquête de la Terre et découvrir le moyen de fertiliser les sols d'Eldarya.
La porte verte lui fait face. L'un des six accès qui mène à la planque et l'un des six échappatoires, si besoin.
Porte verte, rue du tap.
Pour le commun des mortels, il ne s'agit que d'un panneau de bois recouvert d'une peinture écaillée par le temps et la saleté. Elle semble à peine tenir sur ses gonds pourtant, son trésor est grand.
Yüljet pousse le battant sans ménagement avec son épaule, serrant le ciralak contre sa poitrine. La bâtisse, vieillotte, peut s'apparenter à un assemblage de clapiers dont les lapins seraient libres de quitter leurs cages. La troll et son chargement se tiennent dans une remise qui ne voit pas grand monde, mais le chemin ne s'arrête pas là.
Bien trop habituée aux bruits des lieux, elle n'a aucun sursaut lorsqu'à l'étage au-dessus, elle entend une voix de femme hurler après quelqu'un.
La voix se brise quand elle effleure les aiguës et Yüljet sait que la femme en question est une brownie à la queue et aux oreilles simiesques qui déteste son compagnon lorsque le tap lui manque et qui l'aime de nouveau quand elle peut s'en acheter.
Des objets sont éclatés au sol pourtant, Yüljet devine que le triton vivant avec ce chaos ambulant doit river son regard de poisson mort sur une tapisserie défraîchie. Il ne la voit et ne l'entend même plus, sûrement, un calumet fiché entre des lèvres noires et gercées.
La troll s'aventure dans la remise où de vieux meubles se sont endormis sous la poussière. Elle emprunte une porte, traverse le hall de l'immeuble et s'enfonce dans les caves pour atteindre une brèche qui mène vers l'extérieur. Ce trajet est pénible, mais il est nécessaire.
Le trou béant dont personne ne se soucie donne sur une ruelle si étroite que Yüljet peut à peine y mouvoir sa carrure. Tant pis : elle est presque arrivée.
Une odeur atroce la mène vers un cimetière d'ordures : là, s'amoncellant comme une montagne putréfiante, de nombreux sacs à déchets pourrissent sous le soleil d'Odrialc'h.
Le tissu couleur sable, attendant d'être brûlé lorsque les ramasseurs le conduira jusqu'aux incinérateurs, s'est gorgé d'immondices au point d'en perdre sa jolie teinte.
Certains sacs, éventrés, ressemblent à des cadavres en train de vomir leur contenu sur le sol et même l'un d'entre eux a l'air d'avoir été pourfendu par une tringle.
Pourtant, au centre du dépotoire, il y a une plaque menant jusqu'aux égouts d'Odrialc'h.Règle numéro 2 : Ne jamais emprunter la ruelle du dépotoir aux déchets. Toujours se servir des portes de couleurs.
L'odeur est si ignoble que Yüljet a l'impression que ses poumons vont se mettre à pourrir, eux aussi. Mais elle continue.
Dans le dédale des eaux usées de la cité, elle sait où elle va et les autres membres du cartel le savent aussi, quand ils obéissent à la règle numéro deux du code des Typhons.
Il serait facile de semer un individu trop curieux dans ce lieu putride, mais il serait encore plus simple d'y dissimuler son cadavre.
Le salut prend l'apparence d'une petite porte verrouillée qui accueille la troll avec un cliquetis sonore.
Elle est arrivée à bon port.
Yüljet se permet de souffler.
La planque du cartel des Typhons se tient bien loin de l'image que l'on peut avoir d'un lieu de rassemblement pour truands. Loin de cela, elle fait également office de foyer pour les membres qui n'en ont plus.
Le lieu possède quelques chambres. Exiguë, certes, mais assez confortable pour s'y endormir.
La pièce principale quant à elle est grande, avec une belle table en bois encerclée par une dizaine de chaises, sur un tapis effiloché.
Trois fauteuils en tissus gris se font face, un petit peu plus loin et une bibliothèque croulant sous des dossiers, chemises et papiers confidentiels domine le décor.
Il ne manquerait plus qu'une cheminée, selon le membre du cartel qui emprunte la porte orange.
Porte orange, rue des flots.
Une façon presque poétique de désigner l'antre des soulards.
Aux bruits qu'elle entend, Yüljet le devine assis sur un des fauteuils, en train de démonter son arbalète pour en nettoyer les pièces, minutieusement.
Elle s'avance et remarque qu'elle a raison : penché sur son arme, sa queue de renard flamboyante battant presque la cadence, Fawkes s'attelle à son labeur. Le tissu marine de son débardeur jure avec le châtain de ses cheveux en bataille, tirant vers le roux, mais aussi de ses oreilles dressées au pelage duveteux.
Le renard-garou ne lève pas la tête pour regarder Yüljet, mais la troll sait qu'il l'a entendu arriver. Ses yeux marrons sont rivés sur le cran de visée de son arme, pendant qu'une main le nettoie avec précision.
« Cheffe, salue-t-il de sa voix rugueuse.
- Fawkes, lui répond-t-elle, réunion. »
L'ordre est lancé. Yüljet regarde Fawkes déposer son arbalète, ainsi que ses pièces sur le fauteuil. Il achèvera son travail tout à l'heure.
Le renard-garou se redresse et se dirige vers la grande table en bois. Son visage arbore son éternelle expression taciturne et si sa cheffe devait lui attribuer une étiquette, elle serait celle de la force tranquille.
Fawkes est une énigme, aussi. Le flou semble entourer son existence complète et si ses actes pour le cartel n'ont jamais trahi sa loyauté, le doute peut être de rigueur. Mais Yüljet ne le lui a jamais accordé, parce que le renard-garou montre toujours pattes blanches, que ce soit à travers des têtes, des cibles transpercées par les carreaux de son arbalète ou bien des rapports, écrits par ses soins, mentionnant un travail accompli et vérifiable.
Pourquoi Fawkes est entré dans le cartel ? Pour sauver une vie. C'est tout ce que l'on sait et c'est tout ce qu'il a dit.
En cet instant, Yüljet se demande ce qu'il pensera d'un "sauve-moi" écrit de la main d'un Alfirin.
Le bruit d'une chaise en train de racler le sol tire la troll de ses pensées. Avec précaution, elle dépose son paquet sur la table et soulève sa veste.
Six yeux d'or plongent dans ceux de Fawkes qui écarquille les siens.
Yüljet s'assoit à son tour.
« Où tu l'as trouvé ?
- "Pourquoi je l'ai trouvé ?" et "pourquoi je l'ai ramené ?". Ce sont de meilleures questions. »
Le ciralak s'étire et se met à bailler. Le trajet a été trop long à son goût et les lieux qu'il a traversé ne quitteront certainement jamais ses petites têtes.
Fawkes dévisage sa cheffe, stupéfait, pendant qu'elle tire une petite boulette de papier de la poche de son pantalon, avant de la lui remettre.
« Je n'ai pas trouvé le ciralak, explique Yüljet, c'est lui qui est venu à moi. Il avait ce papier dans la gueule, et le message a été écrit par un Alfirin.
- Quoi ? »
Le mot a quitté la bouche de Fawkes sans son autorisation. Mais la situation que lui décrit sa cheffe frise l'improbabilité.
Si un ciralak, un familier de luxe, ne trônait pas à l'instant même sur la grande table de la planque, il ne l'aurait pas cru. Dans la poitrine du renard-garou, la méfiance se réveille et c'est avec ses yeux qu'il prend connaissance du message, griffonné sur le papier.
"Sauve-moi".
« Qui, chez les Alfirin, veut être sauvé ? » grogne Fawkes.
Yüljet sait qu'il est en train d'analyser ces deux petits mots. Il doit même être en train de douter de leur auteur pourtant, la troll a beau ressasser les évènements survenus plus tôt dans tous les sens, le résultats de ses pensées n'est rien d'autre que la certitude : c'était la litière des Alfirin, la parade des Alfirin et personne d'autre qu'un Alfirin ne peut se tenir dans le carrosse des Alfirin. Cela ne serait pas permis.
Mais qui ? Le père ? La mère ? Le fils ? Qui veut être sauvé ?
« Si c'est vraiment un Alfirin qui a écrit ça, alors c'est le quel ? » songe Fawkes qui se pose la même question que sa cheffe.
Cette dernière rive ses yeux noirs dans ceux du ciralak. Le familier ne bouge pas et les regarde parler, semblant suivre une conversation qu'il peut comprendre. Mais jusqu'où ?
Les trois têtes se penchent, observent les lourdes tresses de Yüljet, les angles de son visage et même ce petit endroit sur son col, où la couture a craqué.
La troll décide de tenter quelque chose. Sous l'oeil inquisiteur de Fawkes, elle se penche en avant et demande d'une voix forte :
« La mère ? »
Pas de réaction.
« Le père ? »
Toujours rien.
« Le fils ? »
Le ciralak cligne des yeux et ses queues fouettent l'air. Il s'étire les pattes avant et s'assoit sur son derrière. Yüljet se met à réfléchir.
« Les ciralaks sont des familiers de luxe, mais pas seulement parce que leur pelage est beau… ils sont intelligents… »
Pourtant, le ciralak ne semble pas comprendre ses questions. Du mouvement a ses côtés la tire de ses pensées et la troll voit Fawkes en train de se diriger vers la bibliothèque. Il semble chercher une étagère en particulier, quand enfin il met la main sur un carton : celui qui recense les informations sur les trois familles les plus fortunées d'Eldarya.
Alfirin / Mircalla / Milliget
Le renard-garou apporte son lourd chargement sur la table et se met à fouiner. Il attrape la chemise bleue qui contient des rapports sur la famille Alfirin et ses mains plongent dans les parchemins couverts d'écriture et de portraits réalisés à l'encre quand enfin, il trouve ce qu'il cherche : des noms.
« Peut-être qu'il associe pas certains mots à son maître… mais par contre, avec les noms… »
Il plisse ses yeux bruns et Yüljet hoche la tête. Oui. Peut-être qu'avec les noms, ils obtiendront une réaction.
Alors, en attendant les autres membres du cartel, cela vaut la peine d'essayer.
« Ciryandil. »
Lorsque Fawkes rejoint sa chaise, le ciralak le suit des yeux. Les trois têtes se tournent à l'unisson.
« Gorthol. »
Le familier semble humer l'air et lorsque des bruits lointains résonnent, ses oreilles félines tressautent. La règle numéro une sera honorée dans peu de temps.
« Sheraz. »
Un miaulement aigu retentit au sein de la planque et le ciralak s'agite. Il ouvre de grands yeux d'or et ses queues s'animent avec ferveur. Yüljet a un léger sourire : l'auteur derrière le message n'est plus un secret.
D'un geste machinal, elle attrape le parchemin listant les informations basiques des membres de la famille Alfirin et ses yeux courent jusqu'à celui de leur jeune fils.
Sheraz Alfirin,
22 ans,
Héritera de l'empire joaillier "Alfirin" à la mort de ses parents.
1m78 / Entre 50 et 60 kilos / Ne pratique aucun art du combat (cible facile)
Ne quitte jamais le domicile familial seul, est toujours accompagné de ses parents, d'une escorte et de son familier (ciralak, femelle, a été nommée "Céleste").
[Rumeur entendue le azuj 23 du mois de dig : proche de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash]
Yüljet relève la tête. Elle abandonne sa lecture et souffle par le nez en bénissant les rapports détaillés qu'elle impose aux membres du cartel.
Elle sait que c'est une tâche que la plupart d'entre eux détestent faire, mais dans des instants comme celui-ci, chaque prise de note est précieuse.
Avec lenteur, elle lève une main brune qu'elle offre aux museaux du ciralak. De la ciralak.
« Salut, Céleste. »
Un miaulement enjoué lui répond. La troll serait curieuse de savoir ce qui peut bien se passer dans ces trois petits crânes, mais l'arrivée des autres membres du cartel la fait lever de son siège.
Comme d'ordinaire, ils sont à l'heure : présents à la mi-journée.
Quatre silhouettes pénètrent dans la planque, quatre visages se montrent au sein de la pièce principale et quatre paires d'yeux fixent Céleste avec surprise. Cette dernière se tasse sur elle-même, face à ces invités si soudains.
« Fawkes l'a volé pour qu'il soit revendu ? » lance une voix traînante.
Une peau de pêche sous des cheveux noirs en bataille, des yeux félins et des lèvres rouges, la trésorière du cartel a déjà marqué Céleste d'un prix alléchant.
Sexta Stoker de son nom, la grande vampire en habits bleus qui frise la cinquantaine et dont les relations permettent aux Typhons de poursuivre leurs activités sans craindre la misère financière.
Têtes mises à prix, achats et reventes d'objets douteux ainsi que d'informations précieuses… Sexta est celle qui explore toutes les pistes capables de rapporter de grosses sommes d'argent, tout en restant fidèle à la règle numéro quatre, qui interdit la fabrication ainsi que la vente de substances illicites.
Pas de tap au cartel des Typhons.
« Je suis pas un braconnier, grogna le renard-garou en croisant les bras sur son torse.
- Je me disais aussi que ce n'était pas ton genre. »
Proche de Sexta, une sirène aux cheveux d'un rose dragée gratifie Fawkes d'un large sourire.
Fuya Pyle, la traqueuse d'informations et la membre la plus jeune du cartel.
Elle et Sexta sont connues pour former les deux faces d'une même pièce et ne se quittent que pour les missions. Derrière ses airs détachés, la vampire a pris Fuya sous son aile et lui a enseigné tout ce qu'elle savait pour survivre dans ce monde imparfait, que l'on veut délaisser pour la Terre.
Fuya s'installe à côté de Sexta. Parmi cette dernière, Fawkes et Yüljet, elle fait presque tâche, tant son visage de poupée, ses oreilles membraneuses aux rayons opalins et ses yeux bleus font songer aux traits d'une jeune demoiselle de bonne famille.
« Il faudra que je te parle de quelque chose d'important, déclare Fuya à la troll.
- Très bien, mais après la réunion. »
La sirène hoche la tête et son regard azuré attrape celui de la ciralak qui se contorsionne presque pour la regarder. Elle a envie de la caresser mais elle n'ose pas.
Un pas lourd et deux raclements de chaises indiquent que les derniers membres du cartel se sont installés.
Aussi discrète que d'ordinaire, une licorne d'une quarantaine d'années a pris place auprès de Yüljet. Son visage fatigué est auréolé d'un carré de cheveux blonds alors que sous son crâne, les rouages d'une formidable faculté intellectuelle tournent à plein régime.
Sous cette apparence inoffensive d'une mère de deux enfants sans histoires, se cache la maîtresse des poisons capable de réaliser de formidables prouesses d'alchimie.
Ryan Qilin, que Fuya aime comparer au Chef de la Garde Absynthe pour son talent, même si la licorne n'est pas d'accord.
Pourtant, nombreux sont les clients les plus sombres adressant leurs commandes sordides au cartel des Typhons pour de complexes poisons tous plus terribles les uns que les autres.
Une bonne partie de la trésorerie provient de ce commerce.
Si elle se penchait sur la question, Ryan serait même capable de réaliser du tap. Le plus pur et le plus cher.
Mais il en est hors de question.
« Alors ? Que fait un familier de luxe sur la table de notre joli salon ? »
Le ton jovial, la voix rauque caractéristique de son espèce, Nash Gro Shulong se pare d'un sourire amusé derrière sa mâchoire saillante.
Sa silhouette massive rend presque sa chaise trop petite et des muscles puissants roulent sous sa peau cuivrée.
L'orc d'une vingtaine d'année est l'auteur de toutes les fiches de renseignements concernant les grandes familles fortunées, ainsi que l'armée d'Odrialc'h, puisqu'il en a fait partie avant d'être renvoyé.
Nash a eu le culot de revendre son armure d'orichalque au marché noir, afin d'en tirer une bonne somme d'argent qui permet, aujourd'hui, à ses parents de vivre décemment.
Selon Fawkes, il a un esprit un petit peu trop idéaliste pour le monde dans lequel il vit, mais ses capacités en combat et la discipline qu'il a apprise au sein de l'armée font de lui un bon élément.
Toutefois et même si Yüljet le lui a proposé, le renard-garou ne sait pas encore s'il tient vraiment à partir en mission avec l'orc, lui qui préfère faire cavalier seul.
Les membres du cartel sont tous présents, la réunion peut commencer.
« Fawkes, lance Yüljet, fais passer le message. »
Le renard-garou s'exécute et tend le parchemin froissé à Sexta qui se met à l'examiner. La vampire arque un sourcil.
« Qui a écrit ça ?
- Sheraz Alfirin, répond Yüljet, et le messager est sa ciralak ici présente. »
Tous se mettent à dévisager Céleste qui se ratatine quelque peu sur elle-même. Mais pour son jeune maître, elle restera digne. D'ailleurs et contrairement à ce qu'elle a pensé, les membres du cartel des Typhons n'ont pas une apparence si effroyable que cela.
Leur cheffe se met à raconter la parade des Alfirin, puis l'altercation qu'elle a eu avec les soldats, pour terminer sur sa rencontre avec Céleste.
« C'est du fusain, intervient Ryan qui a enfin le parchemin entre les mains, et c'est un matériel bien trop cher pour les personnes de classe moyenne. Même Fuya doit dessiner les portraits de nos cibles à l'encre. »
La sirène hoche la tête en songeant à son petit équipement de plume et d'encriers. D'ailleurs, elle ajoute qu'elle n'a pas le souvenir d'avoir un jour dessiné Sheraz Alfirin.
« Ce sont surtout ses parents qui apparaissent en public, dit Fawkes.
- Et je me souviens très bien de sa mère ! Quelle classe ! s'enthousiasme Fuya.
- Et je suppose que le but de cette réunion, c'est de savoir ce que l'on fait ? coupe Sexta, tu veux savoir ce que l'on en pense, cheffe ? »
Exactement.Règle numéro 5 : Le chef du cartel des Typhons donne les ordres, choisit ses partenaires de commerce et distribue les missions. Mais les décisions importantes se prennent en groupe et se votent à la majorité.
Yüljet balaye les membres du Typhons de ses yeux noirs. Elle a besoin d'écouter leurs avis avant de donner le sien, et enfin de lancer le vote à la majorité.
« Si je peux me permettre, nous ne devrions pas tarder à prendre notre décision. À l'heure qu'il est, des soldats doivent être déjà en train de chercher la ciralak de Sheraz. Je suis même certain que les Alfirin ont même fait appel à la Capitaine elle-même, affirme Nash.
- La sacro-sainte Capitaine ? Pour un familier ? » rétorque Fuya d'une voix aigre avant de lever les yeux au ciel, un rictus sur ses lèvres.
L'orc se contente de hausser les épaules. Les gens fortunés peuvent se permettre de louer les services d'une des figures emblématiques de la cité d'Odrialc'h pour un ciralak perdu. C'est ainsi.
« Je ne veux pas entendre parler d'elle dans mes quartiers, tranche Yüljet, mais Nash a raison : hors de question de garder ce familier ici. Alors réfléchissons et votons.
« C'est très simple, commence Sexta, une question se pose : qu'est-ce que ça peut nous rapporter ? Ce monsieur Sheraz Alfirin veut être "sauvé", mais de qui ou de quoi ? Honnêtement, cheffe, à part nous plonger dans les ennuis jusqu'au cou, je ne vois pas où cette histoire peut nous mener.
- Tu penses donc que l'on ne devrait pas s'en mêler ? »
Sexta hoche la tête avant de s'appuyer contre le dossier de sa chaise. Se mêler des histoires des riches, ça n'amène jamais rien de bon. Et qui peut dire que ce n'est pas un piège ? Le risque n'en vaut pas la peine.
« Personnellement, je pense que ce message mérite qu'on s'y intéresse, déclare Ryan, parce qu'il s'agit d'un appel de détresse. Si je regarde attentivement le papier, je peux voir que les mots ont été tracés avec empressement et même si je ne sais pas si les deux parents étaient présents dans la litière, avec Sheraz, il est clair qu'il ne souhaitait pas être vu quand il écrivait ce message. C'est mon hypothèse.
- Et qu'est-ce que tu proposes ? demande Yüljet.
- Une enquête approfondie sur la famille Alfirin. S'il se passe quelque chose de grave dans les hauts-quartiers, je pense que notre cartel doit être au courant. Peut-être même que certaines informations pourraient nous être utiles pour notre objectif. »
Très bien.
À présent, Yüljet se tourne vers Fuya, plongée dans ses réflexions. Elle sait que la sirène hésite, car elle considère le point de vue de Sexta comme important, mais aujourd'hui, elle n'est pas certaine de pouvoir le rejoindre.
« Je n'ai pas vraiment envie que l'on s'attire des ennuis avec cette histoire, explique-t-elle enfin, mais Ryan a raison sur un point : on devrait s'intéresser à ce qui se passe dans la haute société. Par contre, je ne pense pas qu'approcher directement les hauts quartiers soit une bonne idée, alors on devrait plutôt se servir de nos complices hors d'Odrialc'h pour mener l'enquête et trouver des informations utiles. »
La cheffe du cartel des Typhons note mentalement la réponse de Fuya dans sa tête, puis se tourne vers Nash qui pousse un léger soupir. Ses souvenirs de l'armée se présentent à son esprit, surtout celui de la puissante Capitaine du corps armée d'Odrialc'h, qu'il a servi pendant quatre ans.
S'il sait une chose, c'est que personne ne peut lui échapper, et encore moins la vaincre.
« On n'aura aucune chance, finit-il par dire, croyez-moi qu'on ne s'en prend pas aux grands pontes d'Odrialc'h sans en payer les conséquences.
- La trouille de ta déesse "la Capitaine", plutôt…» marmonne Fuya.
Nash lui lance un regard las, mais poursuit :
« Je sais que parler de la Capitaine ici n'est pas de bonne augure, mais si on parle d'enquêter sur les Alfirin et la haute société d'Odrialc'h, il faut être réaliste : on se heurtera forcément à la Capitaine à un moment ou à un autre. Et pour l'avoir servi pendant quatre ans, je pense être le mieux placé pour dire qu'elle mérite son grade et toutes les louanges que l'on entend dans la cité. »
Puissante, juste, loyale, rigoureuse, à l'écoute de ses recrues et fidèle à la cité d'Odrialc'h.
Son nom est connu dans tout Eldarya et lorsqu'elle voyage dans maintes et maintes cités, elle est toujours accueillie avec le respect qui lui est dû.
Shakalogat Gra Ysul, la Capitaine à la tête de l'armée d'Odrialc'h est un modèle de perfection, mais aussi le symbole de la paix. Ses interventions ont fait cesser de nombreuses guerres et pour les impies qui ont voulu s'attaquer aux territoires placés sous la protection d'Odrialc'h, ils ont gouté à l'épée de la Capitaine.
Alors en effet, Nash pense que leur entreprise, pour deux mots tracés au fusain sur un morceau de parchemin, ne résultera que par leurs têtes qui tomberont.
« Je ne dis pas que Fuya et Ryan ont tort, je dis simplement qu'il faut connaître les risques d'une mission avant de s'y lancer. Et ici, le risque majeur, c'est justement la Capitaine. »
Yüljet hoche la tête. Même si le fait d'entendre parler de Shakalogat Gra Ysul lui hérisse le poil, elle doit admettre que les paroles de Nash ne sont pas dénuées de sens.
Enfin, elle se tourne vers le dernier membre du cartel resté silencieux. Lorsqu'il se sera exprimé, on pourra prendre une décision et commencer à réaliser l'ébauche d'un plan.
Au beau milieu de la table, Céleste semble suivre les conversations, toutes ses pensées tournées vers le jeune maître.
« Fawkes ? Ton avis ? » demande Yüljet.⁂Le Thème de la Rue du Tap
Les choix :
➜ UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes a connaissance des faits qui se sont produits lors de la parade des Alfirin. Il a également écouté les avis des autres membres du cartel, et c'est à son tour de donner le sien : quel est son avis sur la question ? Selon lui, que devrait-on faire au sujet du message de Sheraz ?
➜ Pour les autres lecteurs : À travers ce chapitre, vous avez pu découvrir les autres membres du cartel des Typhons. Concernant le message de Sheraz, chaque membre du cartel s'est exprimé sur la question.
Avec qui êtes-vous d'accord ? Vos réponses influenceront le vote à la majorité ainsi que la suite de l'histoire, alors réfléchissez bien !
Important : Vous pouvez attendre la réponse de Waïtikka concernant le point de vue de Fawkes et vous rallier à son avis, si vous le souhaitez !
Chapitre 2 - Le Dernier Mot
Bonjour à vous !
On se retrouve avec le second chapitre d'Apotheosis mais avant d'entamer la lecture, nous allons discuter un petit peu car j'ai plein de choses à vous dire !
Comment ça, c'est nul ?
Mais non ! Tout d'abord, nous allons parler "interactivité" vu que c'est un petit peu le but du projet. Déjà, je remercie vraiment tous les lecteurs qui jouent le jeu et font leurs choix, car c'est vraiment cool et je suis toujours surpris de voir autant de post le jour de la sortie du chapitre.
Un petit point vite fait sur le délai : les votes sont et seront toujours ouverts du dimanche au jeudi, 23h59. Cette semaine était exceptionnelle car à cause de mon planning IRL, je n'ai pas eu le choix et j'avais vraiment besoin d'un jour en plus pour écrire.
Pour revenir à nos moutons, j'ai demandé l'autorisation à notre cher modérateur renardesque et de ce fait : vous êtes autorisés à échanger sur ce topic pour vous aider, les uns et les autres, à faire vos choix si vous le souhaitez. Je me disais que ça pourrait être sympa de discuter entre vous. (^_^)
Aussi et à venir, le topic de présentation se verra pourvu de :
➜ La liste des règles du cartel des Typhons.
➜ La bibliothèque des personnages qui sera mise à jour au fur et à mesure de vos découvertes.
➜ D'un lien vers un Google Doc qui vous mènera à un petit dictionnaire de langue orc, au fur et à mesure des mots et expressions que vous découvrirez au fil de votre lecture.
➜ D'un lien vers une galerie qui recensera tous les dessins et illustrations réalisés par nos talentueux artistes d'Eldarya.
➜ De mini points culture sur l'univers en général (vous en choisirez les sujets).
Voilà voilà !
Et un tout dernier point qui est une annonce :
Je suis à la recherche d'un bêta lecteur ou d'une bêta lectrice. Pour le moment, je travaille seul à la relecture et deux âmes charitables (MayaShiz, ma bae et l'adorable Green <3) qui me relisent, mais je souhaiterai travailler avec un bêta lecteur ou une bêta lectrice qui serait axé / axée sur les corrections orthographiques.
Les petites coquilles qui trainent, c'est désagréable pour les lecteurs alors je voudrais vraiment livrer des chapitres tout beaux tout propres.
Je sais que la correction est un travail qui prend du temps et dans mon cas, il me faudrait quelqu'un qui serait disponible pour corriger un chapitre toutes les semaines et le rendre avant dimanche après-midi, alors je ne me permettrais pas de demander un service sans donner de retours.
En échange de son temps et de ses yeux de lynx pour traquer les coquilles, mon bêta lecteur ou ma bêta lectrice pourra choisir, tous les mois, une illustration pour la fiction, avec bien évidemment le ou les personnages de l'histoire qu'il ou elle préfère.
Que celles et ceux qui sont intéressés pour travailler avec moi en tant que bêta me contactent par MP mais je vais vraiment insister là-dessus : avant de vous engager, soyez assurés d'être disponibles pour la bêta d'un chapitre toutes les semaines. De mon côté, je tâcherai de vous fournir ledit chapitre le plus rapidement possible.
Aussi et même si c'est du bon sens, je préfère le dire : ne pas spoiler le chapitre à venir, que ce soit sur le forum ou sur les serveurs Discord liés à Eldarya. Le spoil, ce n'est pas cool !
Voilà voilà ! J'ai fini de vous embêter ! À présent, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
⁂
Lorsqu'elle lui demande son avis, Fawkes ne répond pas. Le renard-garou est plongé dans des réflexions profondes qui mêlent deux désirs bien distincts : celui de répondre à l'appel de détresse, à ce "Sauve-moi" et celui de l'ignorer.
Sexta n'a pas tort, après tout : le cartel des Typhons ne doit rien à la noblesse d'Odrialc'h.
Les Alfirin, les Mircalla, les Milliget… ils ne sont que des figures qui vivent au sommet du monde d'Eldarya, loin de la misère qui règne derrière les rues pavées et Fawkes les imagine sans peine vivre dans l'opulence, le pouvoir et l'insouciance.
Ils n'ont rien en commun.
Mais ils n'ont pas choisi d'être nobles. Sheraz Alfirin n'a pas choisi d'être le fils de Gorthol et Ciryandil Alfirin, l'une des trois familles les plus fortunées d'Eldarya, à la tête d'un empire joaillier.
Quels dangers peuvent guetter un jeune elfe de vingt-deux ans, couvert d'or, de soie et de bijoux de la tête aux pieds ? Il n'en sait rien, et personne dans le salon du cartel des Typhons ne le sait.
Il hésite.
« On gagnera rien à s'en mêler, commence-t-il, mais on peut pas ignorer un appel à l'aide. Qu'importe d'où il vient. »
Fawkes sent le regard de Sexta brûler sur sa peau. Il ne peut que deviner les pensées qui s'agitent dans son esprit et l'incompréhension en train de la gagner, de tous les voir prêts à se lancer dans une aventure au risque d'y laisser leurs têtes.
« On choisit pas où on naît, poursuit le renard-garou, et peut-être que dans les beaux quartiers de la noblesse, il y a des problèmes dont on a même pas idée.
- Mais qui ne nous concernent pas.
- Sexta. Les votes n'ont pas commencé. Laisse Fawkes terminer. » intervient Yüljet.
La vampire se ravise et lance un regard d'excuse à son comparse. Le renard-garou peut la comprendre, mais que serait un cartel des Typhons dominé par la peur et le dédain pour ceux qui demandent de l'aide ?
« Ça nous concerne pas si on décide que ça nous concerne pas. Mais c'est nous que Sheraz Alfirin a contacté. Peut-être que c'est un piège mais dans ce cas, c'est à nous d'être plus rusés. Et je pense que c'est dans nos cordes. »
Il voit le regard de Nash briller de détermination, même s'il sait son esprit en train de ployer devant la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
Fuya redresse le buste et croise les bras sur le rebord de la table, prête à procéder au vote pendant que Ryan reste à l'écoute.
Fawkes a partagé sa pensée et ses yeux marron s'attardent sur la ciralak en train de l'observer. Un très beau familier, c'est vrai. Une robe d'un vert impérial avec quelques touches de jade, puis ces six yeux d'or comme des bijoux.
Le renard-garou avance la main et lui effleure le menton. Céleste approche ses museaux pour lui renifler les doigts pendant qu'il lui demande :
« Tu veux qu'on fasse sortir ton maître de sa cage dorée, toi ? »
Un miaulement aigu lui répond avec trois têtes levées à l'unisson. Fawkes ne le sait pas mais à cet instant, Céleste songe à son jeune maître. Elle peut le voir s'accroupir et lui ouvrir les bras, un sourire radieux sur le visage pendant qu'elle s'y jetterait en ronronnant de bonheur.
Mais elle le revoit aussi allongé dans son lit, parmi les ténèbres offertes par de lourds rideaux tirés sur des fenêtres cintrées. Elle est blottie contre lui et il la serre de toutes ses forces pendant qu'il verse des larmes.
Alors : oui. Oui, Céleste veut qu'on le sorte de sa cage dorée.
« Passons au vote. » ordonne Yüljet.
Les membres du cartel des Typhons se regardent les uns et les autres. Pendant cette prise de parole, il y a eu des points de vue qui ont divergé, quand d'autres se sont rejoints et même si elle s'exprimera en dernier, Titan a déjà formé l'ébauche d'un plan dans sa tête.
Quant à sa propre opinion durant cette réunion, elle n'est pas autorisée à la partager, selon les lois du cartel.Règle numéro 6 : Le chef ou la cheffe du cartel des Typhons ne doit jamais imposer son opinion pendant les réunions. Il ou elle doit respecter la majorité du vote et agir en conséquence.
« Avant le vote, on aimerait quand même savoir ce que vous en pensez, cheffe. » dit Ryan d'une voix douce.
Yüljet lui adresse un léger sourire. Elle entend Fuya ajouter qu'elle est d'accord avec la licorne, puis Nash appuyer ses propos, mais elle ne leur cèdera pas :
« C'est contre nos lois et je ne veux pas influencer le vote. »
Puis, son regard devient plus dur alors qu'elle s'apprête à recueillir les voix et prendre des décisions. Titan sait déjà quels genre de paysages se dessineront devant leurs yeux dans les prochains jours et ça, ce sera seulement à l'issue d'une longue route.
Elle adresse un signe de tête à l'attention de Nash et lui somme, en silence, de commencer.
L'orc souffle par le nez et prend le temps de rassembler ses idées avant de s'exécuter.
Comme Sexta, il tient à garder le cartel loin des dangers qui peuvent se trouver au sommet d'Odrialc'h, au sein de la cage dorée. Il ne voit pas vraiment de chemin tortueux à emprunter pour aller à la rencontre de Sheraz, non, c'est pire que ça : il voit des barrages, des prisons et des étaux.
Le pire, restant bien entendu la Capitaine. Le cartel ne doit pas se laisser dominer par la peur, c'est vrai, mais il sait aussi que personne ici n'a le pouvoir de se dresser face à Shakalogat Gra Ysul.
Néanmoins, il s'incline :
« Je rejoins le point de vue de Fawkes. Il n'a pas tort quand il dit que l'on ne choisit pas où on naît, et qu'on ne peut pas refuser un appel à l'aide. Et puis si on tente de nous coincer, on s'en sortira. »
Pas si sûr, mais on verra bien. Peut-être qu'il n'y a pas de piège. Peut-être que tous ici regretteront que ça n'ait pas été un piège quand ils se trouveront face à une vérité encore plus horrible.
« Sexta. » l'interpelle Titan en comptabilisant mentalement la voix de Nash pour Fawkes.
La vampire hausse les épaules. Son point de vue ne change pas et elle préférerait largement se tenir loin des nobles. D'ailleurs, elle jure que si jamais Sheraz les a contacté pour échapper à un après-midi imposé en compagnie de sa grand-mère, elle le plongera la tête la première dans les eaux usées en train d'embaumer les égouts, non loin de leur planque.
Mais elle se doute que le problème est plus important.
« Je ne change pas ce que j'ai dit, répond-t-elle enfin, je pense que l'on devrait se tenir éloigné des soucis de la noblesse. Néanmoins, s'il faut choisir, je suis d'accord avec Fuya : on enquête, mais on ne se jette pas dans la gueule du loup et on fait appel au réseau. »
Yüljet acquiesce. Une voix pour Fawkes et l'autre pour Fuya. L'ébauche mentale de son plan ne sera pas à refaire et elle ne sait pas si elle doit en être ravie.
« Ryan. »
La licorne ferme brièvement les yeux. Elle a eu le temps de réfléchir et pour elle, tout est limpide. Hors de question d'ignorer le message de Sheraz, mais se jeter la tête la première dans un bourbier n'est effectivement pas une bonne solution.
« Je pense que Fuya a raison : je tiens à enquêter mais se servir de notre réseau est une meilleure idée, ainsi nous avons plus de chance de passer inaperçu et nous aurons le temps de réagir en conséquences suivant nos découvertes. Aussi, Fawkes souligne des choses intéressantes car, c'est vrai, Sheraz n'a pas choisi de naître en tant qu'Alfirin et je nous sais assez réactifs pour éviter de tomber dans un piège. Je suis donc d'accord avec Fawkes et Fuya. »
Égalité. Les seuls membres des Typhons qui n'ont pas encore voté sont ceux qui ont récupéré des voix et Yüljet peut déjà prédire ce qu'ils feront : Fawkes votera pour Fuya et Fuya votera pour Fawkes.
L'un faisant confiance au cartel pour se sortir de la pire des situations et l'autre voulant rallier le plus de complices possible au "Sauve-moi" de Sheraz.
« Je suis d'accord avec Fawkes, lance Fuya, je suis certaine qu'on est tous capables de sauver Sheraz ! Et si la noblesse veut nous tendre un piège, elle saura pourquoi le cartel des Typhons a encore toutes ses têtes !
- Très bien, coupe Sexta de sa voix traînante, et une fois que l'on aura sauvé, Sheraz, qu'est-ce qu'on en fera ? On le mettra dans la chambre de Nash ? »
Ce dernier hausse les épaules, arguant qu'il y a de la place, arrachant une moue blasée de Fuya, mais Titan le fait taire d'un regard.
« Cette phase des opérations sera à déterminer une fois que l'on sera entré en contact avec Sheraz. Tant qu'on ne sait pas ce qui le met en danger, c'est impossible de prévoir un plan.
- Et si on doit réellement l'aider à s'échapper de ses beaux quartiers ? insiste Sexta, qu'est-ce que tu as prévu pour le moment ? »
Titan plonge dans le regard de la vampire. Il est facile de deviner ce qu'elle a derrière la tête et par bonheur, ce qu'elle souhaite fait exactement partie des plans de Yüljet.
Parce que tout ne se passera pas comme prévu. Elle devra prendre des décisions importantes en très peu de temps. Une seconde. Moins, sûrement. Mais c'est une réalité qu'elle connaît.
« Alors je lui proposerai une renaissance contre toutes les informations précieuses qu'il possède sur la noblesse, mais aussi toute sa richesse. »
Un sourire satisfait se dessine sur le visage de Sexta. C'est parfait.
« Une nouvelle vie à un prix.
- Mais on en est pas encore là, grogne Fawkes, alors pour le moment, je me range du côté de Fuya : on utilise le réseau et on voit ce qu'on peut trouver. Après on verra. »
Titan se redresse et sa chaise racle le sol : les votes sont clôts. À présent, elle peut s'exprimer à cœur ouvert car ce qu'elle dira ne changera absolument rien.
Elle balaye les membres du cartel de son regard d'onyx. Elle ressemble à une montagne, on le lui a toujours dit et aussi longtemps qu'elle vivra, Yüljet se souviendra de ces deux mots, prononcés avec mépris : "Face d'homme".
Mais aujourd'hui, à la seconde même où elle regarde ses subordonnés, Titan ressent de l'inquiétude derrière le roc de sa carapace.
Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle n'aurait jamais mis la vie de ces personnes assises là, autour de la table du salon, en jeu pour un "Sauve-moi". Pas comme elle s'apprête à le faire.
Non.
Elle aurait agi avec encore plus de prudence, quitte à ce que son opération se traduisent en années et elle aurait lancé la phase d'infiltration uniquement lorsqu'elle se serait vue satisfaite de toutes les informations recueillies sur la noblesse d'Eldarya.
« Bien, amorce Titan, c'est à mon tour de parler. Ça ne changera pas le vote, mais vous saurez ce que je pense de la situation. »
Les membres du cartel restent silencieux et Céleste la fixe à son tour. Ses queues s'agitent comme animées par l'inquiétude.
« Si j'avais pu décider, poursuit Yüljet, je me serai éloignée le plus possible des affaires de la noblesse d'Eldarya. Mais pour notre objectif d'empêcher la conquête de la Terre, on n'a pas le choix : les réponses dont on a besoin se trouvent certainement dans les beaux quartiers d'Odrialc'h. Alors peut-être que cet appel de détresse est une occasion à saisir. Par contre… »
Titan se saisit des dossiers contenant les informations sur les Alfirin et, tout en vérifiant certains détails, se met à les ranger dans leur boîte. Elle songe que Céleste devra se décaler pour laisser place à l'imposant document que la troll déroulera sur la table.
«… Je me dois de vous dire que jamais je n'aurais voulu qu'on fasse appel aux réseaux tout de suite, parce que ça implique de vous déployer dans Eldarya. Et ce n'est pas la bonne période.
- La Capitaine va renouveler les amitiés avec les grandes cités d'Eldarya en ce moment, intervient Nash, on sait, cheffe. Mais ça fait partie des risques. »
Yüljet pousse un soupir discret. La Capitaine est une énorme partie du problème, c'est vrai. La troll compte déployer Fawkes, Fuya et Nash sur trois continents différents pour une prise de contact avec le réseau. Et chacun d'entre eux peut se risquer à croiser la route de Shakalogat Gra Ysul.
Mais aussi…
« Le circuit du tap, reprend Titan, parce que la Capitaine et ses subordonnés voyageront sur les routes maritimes les plus fréquentées, on devra emprunter le circuit du tap si on ne veut pas risquer de se retrouver nez à nez avec son bateau. C'est plus sûr mais là, ce sont les fournisseurs qu'on risque de trouver.
- Et alors ? lance Fuya, si c'est le cas, on sait ce qu'on a à faire. C'est eux ou nous de toute façon. »
Sexta arbore un demi-sourire alors qu'elle gratifie sa protégée d'un regard fier. Pas de pitié pour les ennemis qui n'en auront aucune à leur égard.
Le circuit du tap est dangereux si on a le malheur de croiser la route des fournisseurs, mais en effet, il reste un chemin sûr quand la Capitaine du corps armée d'Odrialc'h sillonne les mers.
« On a voté, cheffe, déclare Fawkes de sa voix rocailleuse, on sait ce qu'on fait et ce qu'on veut faire. Alors on attend tes ordres. »
Les yeux du renard-garou brillent d'assurance. Comme d'ordinaire et lorsqu'il est prêt pour une mission, Fawkes ne trahit aucune incertitude : qu'importe les ordres qu'il recevra, ils seront exécutés parce qu'ils ne sont jamais donnés par avarice ou par égoïsme. Il y a toujours un but qui rejoint leur objectif principal et aujourd'hui, ce sera celui de sauver Sheraz Alfirin.
Alors Yüljet s'incline. Elle se dirige vers la bibliothèque d'un pas rapide et attrape une grande carte qu'elle déroule sur la table.
Céleste se met à reculer, sans quitter l'imposant papier de ses yeux d'or et lorsque le monde lui apparaît, elle en regarde les reliefs et les noms qu'elle ne peut pas déchiffrer.
Eldarya est grand et si les océans ont l'air si petits, elle se doute qu'un écart de la taille de sa patte est en réalité un véritable gouffre d'eau salée dans lequel elle se noierait.
Le cartel des Typhons va s'éparpiller pour sauver le jeune maître ? Vraiment ?
« Ryan et Sexta, ordonne Titan, vous restez ici. Ryan, tu termineras toutes les commandes qui t'ont été adressées et ensuite, tu accompagneras Sexta aux Abysses pour la livraison. Sexta, tu seras chargée des négociations. »
La vampire et la licorne acquiescent. Elles ne sont pas vraiment faites pour être envoyées à l'autre bout du monde en missions d'infiltration ou de traques d'informations.
En tant que trésorière, Sexta est une habituée des "Abysses", soit le marché noir d'Eldarya tenu par la lignée des purrekos. Il est difficile d'y entrer en tant que vendeur et se tenir sur les lieux avec de la marchandise, c'est faire le serment d'obéir au code d'honneur imposé par les félins, au risque de tâter de leurs griffes.
Certains ne se sont pas méfiés. Alors certains se sont fait déchirer le visage.
Pas de bagarres, pas de meurtres, pas de vols à l'étalage, pas de circulation de fausses monnaies.
Mais au grand dam du cartel des Typhons, le tap et autres substances illicites sont autorisées à être vendus en ces lieux, tout comme certaines matières organiques retirées de leurs anciens propriétaires et placées dans de la glace.
Les purrekos ne sont pas regardant sur les marchandises qui circulent sur leur territoire, tant que chaque vendeur s'acquitte du prix de son emplacement à son arrivée, de la taxe sur ses ventes à son départ et respecte le code.
Les Abysses portent bien leur nom et ce que l'on peut y trouver dépasse parfois l'imagination. Mais c'est grâce à elle que le cartel des Typhons peut tenir debout et vendre les poisons de Ryan.
« Je ferai de bonnes ventes, assure Sexta, et on renflouera aussi les stocks de Ryan. Purral aura sûrement de jolies choses en magasin. »
La vampire a une pensée pour le félin roux aux yeux vairons. Contrairement à certains de ses pairs, il ne fait pas partie des purrekos tâchés de faire respecter le code aux Abysses : il est un commerçant, et un bon.
Lui aussi n'est pas un partisan du tap, ce qui n'est pas le cas d'une de ses cousines aux babines noires.
Cette sale litière qui ne se gêne jamais pour gonfler le prix de leur emplacement, songe Sexta.
Mais elle accomplira sa mission en compagnie de Ryan et les caisses du cartel seront de nouveau bien remplies.
Titan continue de distribuer les ordres :
« Fawkes, tu iras sur le continent du Beryx. Tu t'infiltreras dans la cité d'Eel et tu prendras contact avec Rose pour l'informer des opérations. Le but de la mission est celui-là : Rose doit se servir de son Chef de Garde pour atteindre les beaux-quartiers d'Odrialc'h et récolter les informations dont on a besoin. »
Le renard-garou plisse ses yeux marrons. Une mission délicate, donc… même si le contact de la cité d'Eel est un excellent élément.
Rose Clarimonde est un vampire et agent double qui est parvenu à devenir membre de la Garde de l'Ombre, dont le chef n'est nulle autre que l'héritier d'une des trois familles les plus fortunées d'Eldarya : Nevra Mircalla.
Si Eel est belle, elle le doit à l'or des Mircalla qui entretiennent la cité ainsi que le Quartier Général de cette dernière.
L'intelligence de Rose lui a permis de se démarquer parmi les autres gardiens et de se rapprocher de Nevra pour gagner sa confiance. Mais jusqu'à quel point ?
« Je sais pas si Rose pourra convaincre Nevra de jeter un œil aux beaux quartiers. La dernière fois il avait dit que Nevra était pas vraiment du genre à se joindre à sa famille pour des visites de courtoisie.
- Alors vous devrez faire en sorte que ça arrive, coupe Yüljet, le statut de Nevra et la place de Rose dans la Garde de l'Ombre est ce dont nous avons besoin pour l'opération. Fawkes, tu devras aider Rose à atteindre cet objectif si besoin. »
Le renard-garou hoche la tête. Il n'est pas vraiment surpris par sa destination, car il est le contact régulier de Rose Clarimonde depuis deux ans, maintenant.
Mais la mission reste délicate.
« Nash, continue Yüljet, tu voyageras jusqu'à Rhenia-Gaear et tu rejoindras Gabrielle. Dans un premier temps, je veux que tu récoltes de nouvelles informations sur la famille Milliget. Tu les ajouteras à la documentation lorsque tu rentreras à la planque. Avec Gabrielle, je veux que vous vous serviez de la famille pour qui elle travaille : je sais qu'elle est proche de la fille cadette, alors qu'elle se serve d'elle pour lui souffler l'idée d'un nouveau caprice : un bijou créé par les Alfirin. »
Gabrielle Parceveaux est une de leur contact qui a su creuser sa place dans la prestigieuse cité de Rhenia-Gaear, ou l'empire des elfes noirs. Elle a réussi à intégrer la garde rapprochée de mademoiselle Annette Leblanc, fille cadette de la famille Leblanc qui n'a pas à se plaindre de son rang au sein de la cité.
Annette étant connue pour ses caprices, il a toujours été facile pour Gabrielle de lui soutirer les informations dont elle avait besoin en assouvissant ses désirs matériels.
Cette mission sera facile.
« Convaincre la gamine Leblanc sera simple, affirme Nash, et une fois la commande passée, je n'aurais plus qu'à attendre l'arrivée de l'employé Alfirin sur les lieux pour le cuisiner. Ensuite, il suffira que Gabrielle souffle à la gosse que son petit bijou ne sera beau que si c'est Monsieur ou Madame Alfirin en personne qui s'en occupe…
- C'est un bon plan, Nash, réplique Titan, mais les Leblanc n'auront pas les moyens de se payer ce genre de luxe. »
L'orc hausse les épaules. Peut-être, mais on pourra toujours essayer.
Cette mission promet d'être intéressante et il a hâte de s'y atteler ! De plus, il n'a pas revu Gabrielle depuis un long moment, et il doit avouer qu'il aime beaucoup l'elfe noire qui est devenue une amie.
À eux deux, ils réussiront.
« Et enfin Fuya, achève Yüljet, je veux que tu te rende à la Triade D'Ohm pour retrouver Karma. Elle a certainement de nouvelles informations sur les Milliget alors toi aussi, je veux que tu notes tout ce que tu entends. Quand tu rentreras à la planque, compare ce que tu as trouvé avec les infos de Nash. Avec Karma, je veux que vous fassiez le tour des îles de la Triade pour cibler la résidence secondaire des Alfirin et y entrer par effraction. Vous récolterez tous les renseignements possibles et Fuya, si tu trouves des portraits, je veux que tu en reproduise une copie. »
La sirène accepte sa mission, déterminée à la mener à bien. Comme pour Fawkes avec Rose et Nash avec Gabrielle, elle est la contact attitrée de Karma, une lamia qui vit sur l'île de Vishnu, au sein de la Triade d'Ohm. Elle a des écailles d'un merveilleux bleu saphir et elle est aussi agile qu'une sirène sous la mer.
Fuya et elle forment le duo parfait pour les effractions et la traque d'informations, même si elles n'ont jamais eu l'occasion de s'introduire dans la résidence secondaire d'une famille membre de la noblesse la plus prestigieuse d'Eldarya.
Ce sera un sacré challenge et se faire prendre n'est pas envisageable, si l'on ne veut pas finir derrière les barreaux et en plein interrogatoire par les geôliers d'Odrialc'h.
La sirène se tourne machinalement vers Sexta pour plonger dans ses yeux inquiets, mais la vampire doit lui faire confiance : elle y arrivera.
Tous les ordres ont été donnés, chacun a sa mission et à présent, il faut organiser les départs.
« Nash, tu partiras en premier, ordonne Titan, Fuya, tu partiras deux jours après lui et Fawkes, quatre jours après Fuya. Il faudra procéder comme d'habitude : quitter Odrialc'h et rejoindre les passeurs au port de Tantale. J'irai les voir après la réunion : plus tôt on lance l'opération, plus tôt on récolte des infos.
- Les passeurs vont être ravis de voyager sur le circuit du tap, plaisante Nash.
- Si ça ne leur convient pas, je leur proposerai de suivre le bateau de la Capitaine. »
L'orc fait la moue pendant que Fuya laisse échapper un léger rire.
Aujourd'hui, les membres du cartel des Typhons sont encore réunis mais dans peu de temps, ils seront dispersés à travers Eldarya. Et comme pour chaque mission, ce qu'ils espèrent, c'est en revenir.
Une simple infiltration peut se transformer en chaos, si on ne se montre pas assez précautionneux.
La réunion est presque terminée et tous les regards sont rivés sur Yüljet qui semble perdue dans ses pensées. Elle pèse le pour et le contre de ses idées et à vrai dire, elle hésite beaucoup.
« J'ai besoin de faire le point avec tous nos contacts, déclare-t-elle finalement, et pour ça, je vais partir avec l'un d'entre vous.
- Faire le point ? demande Nash, surpris, si c'est pour expliquer notre opération au réseau, on peut s'en charger nous-même.
- Il ne s'agit pas que de ça, rétorque Yüljet, mais d'une autre affaire qui a besoin de plus d'éléments pour être éclaircie. On en discutera plus tard. »
L'orc plisse les yeux, intrigués, mais n'insiste pas.
Toutes ses pensées se tournent vers son voyage, vers Rhenia-Gaear, la cité des elfes noirs et vers Gabrielle qu'il a hâte de revoir. Que va-t-il apprendre de plus sur les Milliget ? Et sur les Alfirin ?
L'excitation le gagne alors que tout son être se languit presque du danger.
« La réunion est terminée. » tranche Yüljet.
Enfin, presque.
Six yeux d'or se rivent sur le visage de la troll alors que Céleste attend quelque chose. Quelque chose pour rassurer le jeune maître et lui garantir que dehors, le cartel oeuvre pour le sauver.
« Tu vas ramener Céleste près de la Place des Échanges ? » demande Fawkes à sa cheffe.
En effet. Yüljet compte gagner l'extérieur et déposer la ciralak à l'endroit exact où cette dernière est venue la voir. La troll peut l'imaginer sans mal en train de miauler à tue-tête en feignant d'être affolée et perdue.
Elle en est certainement capable.
Mais avant de partir…
Titan se dirige vers la grande bibliothèque pour passer sa main sur les étagères et attraper un morceau de parchemin vierge. Elle n'a pas besoin d'une feuille entière.
Ensuite, elle s'en va quérir une plume et un encrier pour revenir vers Céleste et écrire la réponse au message de son jeune maître.
S'il s'est intéressé au cartel des Typhons au point de les contacter, alors il saura interpréter le message. C'est certainement celui qu'il attend et qu'il gardera précieusement sur lui jusqu'à ce que l'on vienne le libérer de sa cage aux merveilles.
Pour deux mots tracés au fusain, un seul écrit avec de l'encre. Un seul pour dire "oui", un code qui signifie "Nous allons t'aider", "nous allons te sauver" mais aussi "tu auras une dette envers le cartel":ApotheosisLes choix :
➜ La réunion est achevée et tous les membres du cartel des Typhons ont voté : ils veulent aider Sheraz. Yüljet a alors donné ses ordres et Nash, Fuya ainsi que Fawkes se sont vus éparpillés dans Eldarya afin de prendre contact avec le réseau du cartel, et tenter d'en apprendre plus sur la famille Alfirin ainsi que les autres familles fortunées d'Eldarya.
Yüljet quant à elle, a décidée de voyager à son tour afin de discuter d'une certaine affaire "qui a besoin de plus d'éléments pour être éclaircie", avec les membres du réseau.
Mais une décision s'impose : qui va-t-elle accompagner en premier ?
Fawkes, dans la cité d'Eel, qui doit prendre contact avec Rose Clarimonde.
Nash, à Rhenia-Gaear, la cité des elfes noirs, qui doit prendre contact avec Gabrielle Parceveaux.
Fuya, à la Triade d'Ohm, qui doit prendre contact avec une lamia du nom de Karma.
Votre choix influencera certains évènements liés au temps : suivant le lieu où elle se rend en premier, Yüljet pourra vivre ou manquer certains évènements. Concernant les événements qu'elle manquera, elle pourra en avoir connaissance via les rapports des membres du cartel en pleine mission, mais ceux-ci ne pourront pas forcément rapporter tous les détails exacts de ce qu'ils auront vécus.
Et peut-être que certains membres du cartel ne pourront pas faire leur rapport car sans aide, ils ne pourront pas se sortir de la situation qu'is vivront. Cela ne veut pas dire qu'ils mourront : ils pourront se retrouver prisonniers ou être contraints de se cacher pour échapper à la mort.
Aussi, n'oubliez pas que la Capitaine Shakalogat Gra Ysul est en chemin à travers Eldarya.
Le voyage commence au chapitre 3 !
Chapitre 3 - Les Fées Du Sang
Bonjour à vous et bienvenue sur ce chapitre 3 qui sera un petit peu plus long que les précédents !
Je tiens à rappeler que l'histoire devient un petit plus sombre donc âmes sensibles, s'abstenir.
Aussi et comme il le sera mentionné après les choix, la période des votes s'étend maintenant sur une semaine !
Quelques petites mises à jour sur le topic de présentation avant de vous laisser à votre lecture :
➜ Vous trouverez la liste des règles du cartel. Elle est encore incomplète, bien entendu, mais elle sera mise à jour au fur et à mesure des règles qui seront énoncées dans les chapitres suivants.
➔ Vous trouverez également la liste des jours ainsi que des mois sur Eldarya, vu que leurs appellations sont différentes des nôtres.
Et sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !⁂« Il faudra que je te parle de quelque chose d'important.
- Très bien, mais après la réunion. »
Yüljet et Fuya - chapitre 1
Le bateau tangue pendant que ses yeux noirs balayent l'écriture ronde de Fuya, sur son rapport de mission. Une toute petite mission, c'est vrai, mais qui pourrait devenir la pièce d'un puzzle important.
Derrière Yüljet, le port de Tantale s'éloigne pour se transformer en un minuscule ponton ; se faisant engloutir par la forêt de Galène, aux arbres serrés. Pour sauver Sheraz, Titan abandonne Odrialc'h, la planque, la rue du tap, Sexta et Ryan.
Fawkes et Fuya pendant un petit moment, aussi.
La troll se retourne quelques secondes pour embrasser le décor familier du continent qui abrite la plus grande cité d'Eldarya. Il n'a rien d'accueillant et dépourvu de toute son Histoire ou bien des prouesses techniques dans divers domaines, jamais aucun touriste n'aurait voulu y poser un pied.
Le continent du Gabil n'est que roches sombres, forêt qui rechigne à ouvrir sa canopée à la lumière du soleil et métal. Beaucoup, beaucoup de métal.
Odrialc'h domine les terres environnantes en crevant le paysage avec ses murs en orichalque et derrière elle, sa forge immense, creusée au cœur d'une chaîne de montagnes, laisse toujours échapper leurs volutes de fumée par les cavités qui ressemblent à des bouches de pierre.
Un bateau d'un autre monde voguant vers le continent changerait de route en songeant qu'il ne trouverait que mort et poussière, ici. Pourtant, cette grande cité de métal est le rêve de bon nombre de faeliens.
Parce qu'Odrialc'h est la cité de tous les possibles.
Sauf si on finit par croupir dans la rue du tap ou la rue des flots, pense Yüljet, Ou même la rue du plaisir.
Porte violette, rue du plaisir : le chemin emprunté par Sexta pour se rendre à la planque.
Titan se concentre de nouveau sur la feuille de parchemin qu'elle tient entre les mains. Plus loin sur le bateau qui les emmène jusqu'à Rhenia-Gaear, Nash est en grande conversation avec le passeur, un vieux purreko gris à la queue cassée.
Comme l'avait prédit l'orc, le félin ne s'était pas montré très enthousiaste à l’idée d’emprunter le circuit du tap pour voyager jusqu'à la cité des elfes noirs. Néanmoins et après que Yüljet se soit acquittée d'une taxe supplémentaire pour le danger, il avait consenti à les emmener.
L'avantage de voguer avec un purreko, c'était de voir le risque de se faire attaquer par un fournisseur de tap diminuer. Ces derniers ne voudraient certainement pas voir leur accès aux Abysses se fermer de manière définitive.
Cependant, Titan continue de penser que même un félin de la grande lignée des Abysses ne peut pas leur garantir une sécurité complète. Alors si besoin, elle se servira des harpons perchés sur l'avant du bateau.
Mais pour le moment la mer est calme, un vent léger transporte l'odeur du sel, et lorsqu'ils atteindront la moitié de leur trajet, Titan sait que l'horizon du nord sera le reflet de son jumeau du sud. Le bateau quant à lui, sera un point perdu en pleine mer.
Ensuite viendra le froid.
La main de Yüljet se serre un petit peu plus sur sa feuille de parchemin alors que son esprit reprend son travail de réflexion. Elle doit éclaircir cette affaire et c'est la raison pour laquelle elle veut personnellement entrer en contact avec le réseau, afin de distribuer trois nouvelles missions.
Ses yeux noirs rivés sur les écrits de Fuya, Titan prend une nouvelle fois connaissance de son rapport :Le suhel 17, du mois de roch,
Fuya Pyle
Rapport de mission sur les apparitions humaines durant ces dix dernières années (de 472 à 482)
Titan m'a demandé de faire des recherches sur le nombre d'apparitions humaines durant ces dix dernières années. J'ai enquêté sur les continents suivant, pendant ma mission sur le recensement des derniers villages qui se sont soumis à Odrialc'h :
→ Les Terres Gelées du Grand Nord (sans m'approcher de la frontière du domaine des Milliget)
→ La Triade d'Ohm (sur les îles de Vishnu, Brahma et Shiva avec une halte sur les îles du Qi en repartant).
→ Les Déserts du Geb et les Sables du Zénith sur les Mers d'Or.
→ Le continent du Beryx sans m'approcher de la cité d'Eel.
En revenant, j'ai également enquêté sur les apparitions humaines proches d'Odrialc'h, mais je n'ai trouvé que peu de choses.
Les Côtes de Jades n'ont pas vu d'humains non plus ces dix dernières années.
En résumé et après mon enquête, je n'ai recensé que 4 apparitions humaines, respectivement :
→ Sur le sol de "Diane", l'ancien village des lorialets, pas loin de Rhenia-Gaear, en 474.
→ À Albacore sur le continent du Beryx, proche d'Eel en 477.
→ Sur les îles du Qi en 479, pendant la construction de l'ambassade d'Eel.
→ Encore une fois du côté d'Eel en 481.
J'ai entendu parler d'une cinquième apparition il y a longtemps, dans la forêt de Galène mais ce ne serait qu'une rumeur. Je n'ai pas trouvé de preuves sérieuses ni de date précise.
Ce que j'ai remarqué ce sont les intervalles des apparitions humaines : 3 ans - 2 ans - 2 ans même si je n'ai pas pu retrouver la trace de la toute première apparition, avant 474.
Pour enquêter, j'ai suivi les rumeurs car mes recherches dans les bibliothèques des grandes cités et des villages n'ont rien données. Quand les livres parlent d'humains, c'est pour rappeler le vol de la Terre.
Comme on peut s'en douter, j'ai rencontré énormément de personnes qui penchent vers la conquête de la Terre (ou "reconquête" selon certains) quand d'autres voudraient pouvoir vivre sur Eldarya sans dépendre des rations et du ravitaillement.
J'ai voulu retrouver celles et ceux qui ont été témoins des apparitions humaines, mais personne ne veut s'en vanter. Néanmoins, les pistes que j'ai suivies m'ont donné des informations qui se rejoignent et qui ont donné le résumé que j'ai pu faire ci-dessus.
Les rumeurs parlent "d'accidents" pour décrire les apparitions humaines et toutes les personnes que j'ai interrogées pensent que les humains ont été exécutés peu de temps après leur arrivée. Lorsque j'ai demandé ce que seraient devenus leurs corps, les réponses ont été à peu près toutes les mêmes : détruits.
Titan m'a demandé d'écrire ma réflexion personnelle que voici : je pense que les apparitions humaines sont des accidents et que sur Terre, il doit rester des failles, comme des portails aléatoires vers Eldarya. Peut-être qu'Odrialc'h est au courant de ces failles et que le gouvernement tente de les retrouver. Ce serait possible puisque la présence d'Odrialc'h est partout sur Eldarya et que Eel, qui entretient une forte amitié avec la cité, pourrait leur prêter main forte sans problème.
Si c'est vraiment le cas, alors je pense qu'il serait intéressant que l'on se penche sur ces failles, nous aussi. Que l'on essaye de les retrouver mais pour les refermer.
Si elles existent réellement, alors Odrialc'h pourrait les exploiter pour leur projet de conquête terrienne.
Problèmes rencontrés pendant la mission : J'ai été suivie. Je m'en suis aperçue en quittant les îles du Qi. Je ne sais pas qui était cette personne et je n'ai pas pu voir son visage, mais je suis sûre qu'elle était traqueuse d'informations.
Je l'ai semée sur le continent du Beryx avec l'aide de Rose qui a pu me faire embarquer sur un navire marchand des Côtes de Jade.
Yüljet grimace en lisant de nouveau que Fuya avait été suivie et elle n'aime pas ça du tout. Mais ce qui est certain, c'est que le traqueur ou la traqueuse d'informations n'a jamais pu mettre la main sur ce rapport.
Les dernières lignes sont rédigées avec une écriture différente :Fuya Pyle a rédigé ce rapport au fur et à mesure de ses voyages, durant sa mission initiale sur le recensement des derniers villages qui ont prêté allégeance à la cité d'Odrialc'h.
Elle n'en a écrit qu'un seul exemplaire et a renoncé à le garder sur elle lors de son arrivée sur le continent du Beryx. Elle me l'a donc remis.
J'ai procédé à son envoi vers le cartel une fois le traqueur hors du Beryx avec mon pterocorvus personnel plutôt que les chestoks et crowmeros habituels pour brouiller les pistes.
Le code est le dernier poison que Ryan m'a adressé.
Rose
L'atropine. Yüljet se souvient parfaitement du message de Rose concernant la demande de cette substance pour une mission d'espionnage dans une base militaire établie par Odrialc'h, sur une île entre le continent du Beryx et les Côtes de Jade.
Titan craignait que le circuit du tap n'ait été découvert, ce qui aurait rendu les déplacements hors de la cité beaucoup plus difficiles. Redoutant la trouvaille d'indices concernant le cartel, elle avait envoyé Rose en infiltration sur les lieux.
Les soldats présents sur la base utilisant des gaz de combat, le vampire avait demandé plusieurs doses d'atropine pour pouvoir y survivre s'il était touché. Mais il n'en avait pas eu besoin.
La substance était un poison ou un antidote pour ceux qui savaient s'en servir.
Tout est poison, rien n'est poison, c'est la dose qui fait le poison.* disait Ryan.
Titan avait entré le code sur le cadenas à combinaisons du petit coffret cylindrique, porteur du rapport de Fuya.
Une seule tentative possible, sans quoi le message se voyait noyé dans de l'encre de poulpatata. De même si on tentait de le détruire afin de récupérer le message par la force.
« Les fournisseurs de tap ! » s'écrit Nash.
Titan quitte son parchemin pour revenir à la réalité et se redresse avec des gestes rapides. Ses yeux noirs scrutent l'horizon à la recherche d'un bateau immonde, semblable à une petite île de bois sombre, typique des fournisseurs de tap.
Elle l'aperçoit.
Aussi noir que la mort qu'ils vendent, des pointes se hérissant sur les flanc de leur rafiot et de lourdes rames frappant les flots, le navire des fournisseurs est en vue.
Dans quelques minutes, il croisera la route de Yüljet, de Nash ainsi que de leur passeur et seul l'Oracle sait déjà ce qu'il se passera.
Le purreko se saisit d'une petite longue-vue, suspendue à sa ceinture, pour jeter son œil à son tour. Il grimace.
« Et voilà, c'est ce que je craignais. » marmonne-t-il.
Nash affiche un air inquiet alors que Titan s'approche des harpons. Elle plisse les yeux, ses mâchoires se contractent et son cœur s'accélère alors qu'elle regarde le bateau des fournisseurs en train de grossir.
Si une tête se montrait, il serait facile de la faire tomber grâce aux engins qui se tiennent devant elle, mais pas tant qu'elle, Nash ou le passeur ne sont pas attaqués.Règle numéro 3 : Le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie.
« Dans la cale ! Vite ! s'exclame le purreko. Je vais régler ça. »
Yüljet hésite un instant, mais fait signe à Nash de s'exécuter.
Ils quittent le pont avant et se dépêchent de disparaître aux yeux d'un potentiel fournisseur en train de scruter leur navire. L'orc et la troll se tassent auprès des vivres ainsi que des tonneaux d'eau potable. Ensuite, ils patientent et tendent l'oreille.
Titan en retiendrait presque sa respiration, occupée à capter tous les bruits de son environnement : les gémissements du bois, le clapotis de l'eau claire en train de tanguer au sein de leur barils, le souffle de Nash et enfin…
« T'as du cran de te pointer sur nos routes, le purreko. Mais je suppose que t'as de quoi payer aussi. Fais voir ce que ton bateau a dans son ventre ! »
Une voix sombre, gutturale et effrayante s'élève au-dessus de Yüljet, si bien que ses yeux suivent le mouvement en se fixant sur le plafond de la cale. Elle ressent des frissons capturer sa peau et si elle doit sortir pour s'emparer des harpons, il lui faudra cesser de penser.
La créature qui se tient là, sur le pont de son horrible navire, est terrifiante. Titan sent Nash se crisper alors machinalement, elle pose une main sur son bras.
Reste calme.
« Mes affaires ne te concernent pas, répond le purreko avec assurance, et si tu me fais perdre du temps à vouloir explorer mon bateau, alors tu devras t'acquitter d'une taxe supplémentaire aux Abysses. Et t'expliquer avec Purrobald. »
Un grondement sourd se fait entendre. Un véritable roulement de tonnerre qui résonne jusque dans les os. Nash se demande comment fait le petit félin pour rester impassible face à son interlocuteur, surtout lorsque vient une suite de mots tous plus grossiers, affreux, morbides et sanglants les uns que les autres. Le ton claque comme un coup de fouet et l'orc a les muscles qui se tendent rien qu'à l'image du purreko en train d'accuser la tempête.
Puis le silence.
Les secondes se transforment en des battements de cœur pendant que les gorge s'assèchent. Yüljet a la sensation que sa langue est devenue un monticule de poussière et alors que tous ses nerfs piquent avec le désir de braver sa peur pour atteindre l'extérieur et défendre le passeur, sa raison la pousse à rester.
Si le purreko hurle, elle manipulera le harpon.
« Ma lignée sait que je suis en route au moment où nous parlons, rétorque le félin, et crois-moi que si je ne reviens jamais, elle enquêtera. Elle saura que toi et ta famille êtes passés sur le circuit et je suppose que vous ne voulez pas voir les portes des Abysses vous être fermées à vie.
- C'est une menace ? »
Un borborygme infâme emplit l'atmosphère et Nash plaque sa main contre sa bouche. Yüljet est tentée de l'imiter, mais elle s'oblige à garder contenance, malgré la pellicule de sueur qui couvre son visage brun.
Sa respiration devient difficile avec l'angoisse et en cet instant, elle aurait largement préféré vivre avec l'adrénaline d'une lutte. Ses yeux auraient vu flou et ses oreilles se seraient tenues loin de ces bruits immondes.
« C'en est une. Et je pense qu'il serait bon pour nous deux de reprendre nos routes. Pars maintenant et cette conversation n'aura jamais eu lieu. »
Nouveau grondement rauque, mais le fournisseur finit par céder. Le cœur de son commerce est rythmé avec les Abysses alors il n'a pas le choix.
Il se retire.
« C'est ta peau de félin qui te sauve la vie, crache la chose, sans quoi… tu l'aurais déjà perdue. »
Le purreko émet un sifflement dédaigneux et petit à petit, la tension semble quitter le navire pour reprendre sa route avec les fournisseurs. Yüljet et Nash attendent. Attendent.
Quand enfin, la voix étranglé du félin leur intime de sortir, ils s'exécutent. La troll retrouve l'air salin et la fraîcheur du vent lui donne l'impression d'être purifiée. Elle pousse un profond soupir.
Non loin d'elle, le purreko s'est rué vers le parapet du bateau pour vomir son dernier repas par-dessus bord. Titan baisse les yeux vers la tache sombre qui s'étend sur les planches ocres et ses entrailles se retournent.
Le mélange noirâtre n'a pas de mot pour être décrit et si on voulait tout de même essayer, celui de "putréfaction" lui sierrait le mieux.
« Putain de goules ! » beugle le purreko qui a un affreux arrière-goût rance dans la bouche.
Puis il reprend contenance. Il inspire et expire profondément pendant que son corps accuse encore ce qu'il vient de se produire.
Ce n'est pas la première fois pourtant, chaque rencontre avec un fournisseur de tap est comme une blessure cicatrisée qui s'ouvre encore et encore… même quand il fermera les yeux pour mourir, leur image s'imprimera sur sa rétine éteinte.
Cette peau racornie, ce visage dépourvu de nez, avec deux fentes creusées à même la chair pour laisser apparaître les yeux et cette bouche béante, infinie dont on avait oublié les lèvres… ces dent pourries, pointues comme des lames de jet et jaunie par les corps putréfiés que ces charognards dévorent lorsqu'ils ont assez pourris à leur goût.
Et ces membres disproportionnés, et ces corps qui semblent ramper par-dessus le bastingage de leur horrible bateau, et ces cheveux fillasses, encadrant ce qui leur sert de figure comme les pattes d'un insecte… et cette façon écœurante de cracher leur bile pour provoquer…
Le purreko rive ses yeux affolés sur Yüljet en grognant :
« Vous me paierez un supplément pour ce que je viens de vivre ! »
Mais Titan ne répond pas. Il a eu peur et elle le comprend : elle aussi, elle craint les goules.
Tout le monde les craint et s'ils vendaient personnellement leur tap aux Abysses, personne ne viendrait.
« J'ai déjà payé, réplique-t-elle, et tu connaissais les risques. Un accord est un accord, ne revenons pas dessus. »
Derrière le félin Nash est bien pâle, lui aussi. Mais il tente de garder son assurance en masquant ses tremblements. Chose vaine.
« J'aurais pu mourir ! s'entête le purreko.
- Mais tu n'es pas mort. Et si la chose avait voulu te tuer, Nash et moi serions intervenus.»
Le félin lui lance un regard mauvais, mais n'insiste plus. Il passe une patte lasse sur sa fourrure trempée par la peur et s'éloigne en pestant. Yüljet ne peut pas lui en vouloir.
« Cheffe… »
Titan se tourne vers l'orc qui reprend des couleurs, petit à petit. Son épaisse tunique de cuir et de fourrure jure avec sa peau cuivrée, même sa silhouette massive ne parvient pas à lui redonner l'allure d'un redoutable soldat. Les goules font cet effet-là à tout le monde.
La troll l'invite à parler d'un signe de tête.
« Je me demandais, poursuit Nash, si tu aurais pris le risque de déclencher une guerre avec les fournisseurs du tap, en tuant l'un d'entre eux pour sauver le passeur. »
La question est simple. Très simple, même et Yüljet n'a qu'à hocher la tête pour répondre.
Pourtant :
« Règle numéro 3 : Le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie, récite-t-elle, et celle du passeur est aussi précieuse que la tienne ou la mienne. Alors si le fournisseur s'en était pris au passeur, je me serais servie du harpon pour le sauver. »
Elle voit la figure de Nash se fendre d'incompréhension et elle sait qu'à la seconde où elle le regarde, son sens moral est en train de mener un drôle de combat.
Les fournisseurs sont terrifiants. Ils sont puissants aussi, et s'ils peuvent mener l'immense commerce du tap à bout de bras, c'est parce qu'ils savent se servir de la peur écoeurante qu'ils suscitent chez autrui. Personne ne veut devenir le cadavre dont l'un d'entre eux va se nourrir, après l'avoir laissé pourrir.
Personne ne veut se risquer d'avoir l'une de leur main immonde serrée autour de sa gorge et mourir empoisonné par leur bile. Il s'agit certainement de la mort la plus pitoyable et horrible que l'on puisse vivre.
Yüljet rive machinalement son regard sur la tâche qui ne quittera jamais les planches du bateau, qu'importe le produit avec lequel on voudra la frotter, puis va s'accouder au parapet.
L'océan entoure le navire et dans deux jours, le froid commencera à se montrer, signe qu'ils approcheront de Rhenia-Gaear.
«Le meurtre d'un des fournisseurs aurait attisé la haine chez eux et ils auraient cherché à se venger, c'est certain.
- Alors pourquoi…
- Est-ce que tu sais pourquoi les règles existent, Nash ? » le coupe Yüljet.
L'orc est bien trop surpris par la question. Le visage de sa cheffe est sérieux. Très sérieux.
Elle a toujours été ainsi : une figure intransigeante, anguleuse, autoritaire mais protectrice.
Titan prendrait cela comme une insulte mais quelque part, elle lui rappelle la Capitaine.
Les règles… ça lui évoque quelque chose, en effet.
Shakalogat Gra Ysul enseignait - et enseigne toujours - les règles du corps armée à ses jeunes recrues. Le respect, l'esprit d'équipe, la discipline, le sens moral, la vie, la mort… l'art de la guerre.
« Les règles existent pour être respectées, récite machinalement Nash.
- Les règles du cartel des Typhons existent pour nous empêcher de devenir des monstres. »
La bouche de l'orc s'ouvre de stupeur. C'est une réponse que son esprit n'a pas pu préparer et pour cause : lorsqu'il servait Shakalogat, on lui apprenait à combattre les monstres.
« Nash, l'interpelle sa cheffe, en tant que soldat, on a voulu t'apprendre de bonnes valeurs. Et c'est bien. Mais quand tu passes de l'autre côté de la barrière, il est très facile de perdre ce que tu es, jusqu'à ton identité et ton sens moral. Les règles sont là pour nous rappeler de rester des faeries. De ne jamais devenir des monstres, comme la chose qui a vomi sa bile sur ce bateau. »
Nash jette un coup d'oeil à la tache noirâtre en grimaçant. Ses larges épaules s'affaissent et en cet instant, il a la forte impression de redevenir un enfant qui découvre que la réalité n'est pas la jolie peinture qui s'étale dans les pages d'un livre de contes.
Sans qu'il n'en connaisse la raison, sa mâchoire saillante se met à trembler. Le vent marin emporte ses très longs cheveux noirs, rassemblés en une queue de cheval basse.
Il a compris l'enseignement de Titan, mais un pauvre sourire vient ourler ses lèvres.
« De tous les membres du cartel, je suis celui qui est arrivé en dernier. Je suis aussi celui qui n'a jamais tué alors que j'ai été formé pour le faire… c'en est presque ridicule.
- Tu as été formé pour protéger la cité d'Odrialc'h, les civils et les villages qui se sont soumis à elle. Et tu es celui qui a n'a pas encore été forcé de tuer pour protéger sa vie ou celle d'un autre.» corrige Yüljet.
Nash est jeune. Il a encore beaucoup à apprendre et Titan sait que sa vision idéaliste du monde peine à se calquer sur la réalité des évènements qui l'entourent. Aujourd'hui en est un parfait exemple.
Même si son esprit a dû lui montrer une histoire parfaite où il serait un héros, même si des images mentales de lui-même en train de tuer le fournisseur sans ressentir une once de peur se sont présentées à lui, Yüljet sait que Nash n'aurait pas eu le courage de défendre le passeur contre la goule.
Elle lui administre une tape amicale sur l'épaule. Il apprendra.
*Citation de ParacelseLe Thème de Rhenia-Gaear
Une brume opaque flotte sur l'océan glacé comme une haleine crachée par le dieu du froid pendant que ce dernier verse des flocons.
Elle est la porte des Terres Gelées du grand Nord et elle se dresse avec fierté, à l'entrée du continent. Elle est une cité grise, merveilleuse mais austère où les escaliers aux larges marches côtoient des ponts sculptés. Du haut de ses murs, Rhenia-Gaear semble toiser les voyageurs.
Les multiples fenêtres de ses grandes demeures sont des yeux perçants en train de scruter l'horizon derrière la brume, pour mieux ouvrir sa bouche et engloutir les bateaux.
Elle n'est pas la plus grande cité d'Eldarya ni la plus prestigieuse pourtant, les territoires tapis derrière son ventre ne sont que l'antre de la peur.
Si Odrialc'h est le berceau du métal et celui de figures emblématiques, comme la Capitaine Shakalogat Gra Ysul, Rhenia-Gaear est celui de l'alchimie et la gardienne de la frontière qui sépare les Terres Gelées du Grand Nord des terres de la famille Milliget.
À première vue, la cité peut sembler déserte. Aucune foule n'est là pour former un cœur immense en train de battre et même les voix sont difficilement perceptibles.
Pourtant, les elfes noirs sont bel et bien là seulement, la discrétion est le maître mot qui rythme leur vie quotidienne.
Le petit bateau qui transporte Yüljet et Nash a enfin quitté le circuit du tap il y a quelques heures. Par bonheur, ils n'ont fait aucune autre mauvaise rencontre. Mais la douane de Rhenia-Gaear les attend.
Qu'elle essaye.
Les pieds campés sur pont avant, emmitouflée dans son épais manteau olivâtre, Yüljet toise l'immense porte de la cité des elfes noirs, retranchée derrière la neige qui tente de former un rideau.
Des morceaux de glace flottent sur un océan en train de les repousser vers les pieds gris de Rhenia-Gaear. La cité semble dormir, c'est vrai, mais son œil gelé est grand ouvert sur ce minuscule navire qui ne veut pas se faire avaler.
Et il y arrive.
Le passeur s'attelle à son labeur et s'aventure encore plus loin sur une mer frissonnante pour atteindre un port fantôme que les bateaux ont l'habitude d'éviter. Nash et Titan regardent les murs de Rhenia-Gaear s'éloigner pour laisser place à des berges blanches, étouffées par une poudreuse dont la morsure tente de faire rougir la peau des voyageurs errants.
Le purreko s'est enveloppé dans une cape et son petit visage félin a disparu sous le tissu. Seuls ses yeux clairs gardent le cap de leur destination, en se plissant pour se protéger des flocons.
Le port abandonné n'est plus très loin. Il y a plus de vingt ans, il accueillait volontier les navires étrangers pour leur ouvrir le chemin vers Diane, l'ancien village des lorialets.
Un village qui a été massacré en une seule nuit.
Les rumeurs sur cette histoire continuent encore de circuler aujourd'hui même si de toute façon, personne n'a jamais connu la vérité. Un monstre, un homme, un dieu ou bien un Milliget… les coupables potentiels sont nombreux mais les preuves ont toujours manquées.
Aujourd'hui, Diane n'est que maisons en ruines, port fantôme et église gelée qui n'a plus jamais entendu de prières après le massacre. Et si Nash et Yüljet ne connaissaient pas l'identité de la silhouette en train de les attendre, ils auraient pu songer à un spectre.
Mais elle est à l'heure.
Droite sous la neige, sa longue cape avec un col en fourrure la protégeant du froid, Gabrielle Parceveaux arbore un large sourire sur sa figure anthracite. Ses yeux laiteux, sans pupilles, finissent par s'écarquiller lorsqu'elle aperçoit Yüljet et elle oscille entre le plaisir de la revoir ainsi que la crainte d'une mauvaise nouvelle.
La cheffe ne se déplace jamais pour rien, après tout.
Lorsque le navire accoste à bon port, Nash est le premier à le quitter. La présence de Gabrielle parvient à éloigner les horreurs du voyage et quand il se plante devant elle, le sourire aux lèvres, il l'observe un instant. Elle ne change pas.
Elle a gardé l'habitude de se raser le crâne et si elle laissait ses cheveux pousser à leur guise, ils seraient aussi blancs que ses yeux.
L'orc et l'elfe noir se retrouvent avec une accolade amicale. C'est pour cette complicité presque fusionnelle que Nash et Gabrielle forment un bon binôme pour le cartel, même si les débuts ont été difficiles.
L'esprit idéaliste de l'orc avait, plus d'une fois, exaspéré sa comparse.
Cette dernière s'amuse à tapoter les joues de son ami, avant de venir saluer sa cheffe, une expression plus sage sur ses traits délicats :
« Je ne sais pas si je dois être contente de te voir ou non, cheffe. Même si je crois que je vais pencher pour la première option. »
En vérité, Titan tombe à pic.
Gabrielle vient d'obtenir une information importante et si elle comptait la partager avec Nash, elle se sent tout de même plus sereine d'avoir l'avis de sa cheffe.
Cheffe qui pose une grande main brune sur son épaule en guise de salut.
« J'ai besoin de te parler d'une mission que je voudrais te confier. Des rondes régulières ici, à Diane, pour être plus précise. »
Gabrielle hausse ses sourcils blancs. Elle ne voit pas vraiment ce qu'elle pourrait chercher dans un village en ruine depuis plus de vingt ans, mais elle est curieuse d'entendre les détails de ladite mission. Cependant…
« D'accord, on discutera de tout ça, répond-t-elle, mais avant, je dois vraiment vous parler d'une info que je viens d'avoir. C'est important : ça concerne la frontière des Milliget.
- Des Milliget ? » intervient Nash.
Tout ce qui concerne ce pan de la noblesse eldaryenne est intéressant, et pour cause : leur frontière est impénétrable et ceux qui osent s'y aventurer n'en ressortent jamais.
De plus, leur fortune a été faite dans le sang.
Yüljet invite Gabrielle à parler d'un signe de tête.
« Je vous aurais bien invité à vous reposer de votre voyage dans la planque de Rhenia-Gaear, mais si on doit prendre une décision, c'est maintenant. Comme vous le savez, la Capitaine va renouveler les amitiés d'Odrialc'h avec les autres cités et comme vous vous en doutez, quand elle en aura fini avec Eel et les Mer d'Or, elle viendra ici. »
Titan blêmit. Elle échange un regard avec Nash avant de laisser échapper un soupir discret.
Il fallait bien que ça tombe sur l'un d'entre eux…
« Les Leblanc connaissent le trajet de la Capitaine par cœur, explique Gabrielle, ces adorables petits bourgeois ont toujours hâte de la rencontrer.
- Pour renouveler une amitié avec la cité d'Eel, elle n'y restera pas plus de quelques jours normalement, rassure Nash, ça devrait aller pour Fawkes. Et Rose l'aidera. »
Mais à la moue ennuyée que lui adresse Gabrielle, l'orc sait d'ores et déjà que ses espoirs sont vains.
« Qu'est-ce que tu as appris ? s'empresse Yüljet.
- Les Leblanc ont dit qu'elle devait procéder au recrutement de nouveaux soldats pour la garde rapprochée de sa mère, Ysul Gra Bolumbash. Et pour renouveler l'amitié entre Eel et Odrialc'h, ce seront des membres de Garde Obsidienne qui vont être sélectionnés. C'est un grand évènement, alors la Capitaine va rester un petit peu plus longtemps à Eel. »
Nash ouvre de grands yeux pendant que Yüljet ne dit rien. Les yeux fixés sur la neige, elle réfléchit à toute vitesse, pesant le pour et le contre des informations qu'elle vient de recevoir.
Ainsi, cette mégère de Shakalogat Gra Ysul compte s'éterniser à Eel pour vider la Garde Obsidienne ? Très bien.
Titan sait que Fawkes saura se débrouiller. Le renard-garou a toujours été très prudent et avec Rose, ils forment un binôme redoutable lorsqu'il s'agit de discrétion, d'espionnage et d'infiltration.
D'ailleurs et dès son arrivée, Yüljet est persuadée que Rose a déjà mit Fawkes au courant des évènements et que le binôme a déjà pris ses dispositions.
« C'est une catastrophe, souffle Nash, cheffe, vous devriez peut-être partir pour Eel !
- Non. C'est peut-être une aubaine pour nous. »
L'orc lui lance un regard interdit, mais Yüljet s'adresse à Gabrielle, l'air résolu :
« Parle-nous de tes informations. Quand on sera à Rhenia-Gaear, j'enverrai un message à Fawkes. On a peut-être le moyen de glisser un œil dans les beaux quartiers d'Odrialc'h. »
L'elfe noire se mord la lèvre, peu certaine de ce que sa cheffe a derrière la tête, mais sa pensée se tourne de nouveau vers les Milliget :
« Les Milliget ne reçoivent jamais la Capitaine sur leurs terres. Du coup, Rhenia-Gaear va les accueillir jusqu'à son arrivée, alors…
- Les frontières vont être ouvertes ! s'exclame Nash, et c'est l'occasion ou jamais de jeter notre œil ! Sans compter qu'avec les Milliget dans la cité, on pourra toujours tenter de les espionner... »
Gabrielle et son ami échangent un regard complice. L'orc a deviné juste et l'elfe noire sait que si leur cheffe n'était pas présente avec eux, il se serait déjà empressé de filer vers la frontière des Milliget pour établir un camp d'observation.
Mais il faut bien réfléchir à la façon de procéder.
Yüljet croise les bras sur sa poitrine.
« C'est une opportunité en effet, mais il faut bien garder à l'esprit que nous sommes en danger. Avec les Milliget dans les parages, il ne sera pas facile pour moi de circuler dans Rhenia-Gaear et vous devrez faire profil bas. »
Mais les portes de la frontière qui s'ouvrent… c'est une occasion unique. Dangereuse, mais unique. Il leur suffirait juste de percevoir ce qui se cache derrière pour se faire une idée de ce que peuvent bien cacher les terres de ce côté de la noblesse eldaryenne.
« Il faut établir un camp d'observation, cheffe ! s'enthousiasme Nash, et ensuite, prendre les Milliget en filature !
- N'oublie pas ta mission initiale, le sermonne Titan, et n'oublie pas le surnom que l'on donne aux Milliget. »
L'orc se rembrunit. Il hoche la tête pendant que son esprit lui communique le nom terrifiant que l'on donne à ces nobles qui se tapissent sur leurs territoires si froids.
Les Fées du Sang
La famille Milliget est surtout connue pour être l'illustre propriétaire de la plus grande prison d'Eldarya. Celle où sont envoyés les criminels qui ont commis les pires atrocités et dont la sentence est de croupir, à vie, sur l'île Zéro.
Située tout au nord des Terres Gelées, la prison se dresse au beau milieu d'un froid intense qui frôle le zéro absolu et que personne ne peut affronter sans mourir.
Sauf les Milliget.
Les prisonniers se voient administrer quotidiennement, de gré ou de force, une potion qui leur permet de supporter la température environnante. Ceux qui moisissent sur l'île Zéro depuis de trop longues années ont fini par perdre la raison et vouer un véritable culte au froid qui pourrait les arracher à leur terrible condition, sans cette fichue potion.
« Gabrielle, tu as bien pris connaissance de ta mission avec Nash ? » demande Yüljet.
L'elfe noire acquiesce. Elle a tout de même bien envie de connaître le fin mot de l'histoire et de savoir pourquoi le cartel des Typhons a choisi de s'immiscer dans les affaires des Alfirin pour "sauver" l'un d'entre eux.
« Très bien, reprend Titan, Je prends la suite des opérations en main jusqu'à mon départ. L'implication des Milliget a changé la difficulté de votre mission initiale. »
Yüljet n'aime pas du tout la tournure que prennent les évènements. Le voyage de la Capitaine était déjà bien assez compliqué à anticiper alors maintenant, les Milliget… elle serre les dents.
Mais le temps presse et la frontière ne restera pas ouverte éternellement. Alors peut-être qu'il faudrait profiter de l'opportunité.
Elle ferme les yeux. Elle est fatiguée du trajet sur le circuit du tap, mais il lui faut réfléchir.Les Choix :
Comme vous pouvez le constater, la mission de Nash et de Gabrielle est devenue beaucoup plus complexe qu'au départ, à cause de la présence des Milliget dans la cité de Rhenia-Gaear.
Gabrielle a d'ailleurs obtenu des informations intéressantes : la frontière des Milliget va s'ouvrir et c'est quelque chose qui n'arrive que trop rarement. Mais c'est également une aubaine pour le cartel qui pourra ainsi, récolter de nouvelles informations sur ce pan de la noblesse.
Yüljet doit donner ses ordres. À votre avis, quelle doit être sa décision ?
➔ Se rendre immédiatement près de la frontière avec Nash et Gabrielle pour établir un camp de base et la surveiller jusqu'à son ouverture. Sachant que c'est extrêmement dangereux et que ladite frontière est gardée jour et nuit.
➔ Se rendre dans la cité de Rhenia-Gaear pour ordonner à Nash et Gabrielle de débuter leur mission initiale (manipuler Annette Leblanc pour la commande d'un bijou des joailliers Alfirin) en attendant l'arrivée des Milliget pour ensuite les espionner. C'est très risqué mais en faisant profil bas, il y a beaucoup plus de chances de s'en sortir. (Avec ce choix personne ne se rend à la frontière).
➔ Se poster à la frontière avec Nash pendant que Gabrielle accomplit la mission initiale.
Pour MayaShiz uniquement : La Capitaine Shakalogat Gra Ysul va procéder au recrutement des membres de la Garde Obsidienne pour qu'ils puissent intégrer la garde rapprochée de sa mère, Ysul Gra Bolumbash, la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h.
Une certaine June Albalefko se serait-elle inscrite aux sélections dans l'espoir d'intégrer cette garde rapprochée ? À toi d'en décider.
Chapitre 4 - Shelma
Bonsoir à vous !
Tout d'abord, je tiens à m'excuser pour mon retard. Le chapitre devait être posté dans l'après-midi, mais un imprévu IRL m'a empêché de le faire et j'en suis réellement navré.
Sachez que ce genre de retard est à titre exceptionnel et ne sera pas chose courante.
Aussi, ce chapitre arrive avec du contenu et pas des moindres : la bibliothèque que vous pouvez retrouver sur le topic de présentation sous le titre en question.
Cette bibliothèque est un Google Doc que vous pouvez lire à votre guise et qui recense les informations que vous possédez actuellement sur les personnages d'Apotheosis.
Ce doc sera mis à jour au fur et à mesure des chapitres, mais aussi des informations que vous obtiendrez sur divers personnages.
Cette bibliothèque peut-être utile pour faire vos choix, alors n'hésitez pas à la consulter !
Ceci étant dit, passons au bonus de ce chapitre !
J'ai nommé, les portraits des membres du cartel des Typhons !
Je remercie chaleureusement ZuzoHyo pour avoir réalisé ces merveilles, mais également Makaria qui a réalisé celui de Gabrielle Parceveaux.
Je vous encourage à suivre ces talentueux artistes :
Instagram de ZuzoHyo
Profil Eldarya de ZuzoHyo
*
Instagram de Makaria
Profil Eldarya de Makaria
Et maintenant, place au cartel des Typhons !
FawkesLe Thème de Fawkes
*
Fuya PyleLe Thème de Fuya
*
Nash Gro ShulongLe Thème de Nash
*
Ryan QilinLe Thème de Ryan
*
Sexta StokerLe Thème de Sexta
*
Gabrielle ParceveauxLe Thème de Gabrielle
Et voilà !
Je remercie encore les artistes pour leur travail formidable qui permet à cette fiction d'être plus vivante. Encore merci à vous ! <3
À présent je vous laisse avec ce chapitre, mais aussi les choix ! Si vous avez besoin de rallonger la durée des votes, n'hésitez pas à le dire. En attendant, vous avez une semaine complète, bien entedu !
Bonne lecture !⁂
Le profil de Nash se découpe parmi le paysage blanc. Le froid mord sa chair de cuivre, sans jamais y laisser de rougeurs et le regard de l'orc se moque des flocons acérés pour se river vers la frontière.
De là où il se trouve, en compagnie de Yüljet, il la découvre encore une fois.
Il la connaît par cœur et sa cheffe le sait : Nash l'a décrite à l'encre noire sur le corps de divers rapports de missions qui reposent sur les étagères de la planque. Titan s'est toujours demandée pourquoi il faisait preuve d'autant de poésie vis à vis de ce portail de la mort et elle pense qu'il s'agit surtout de la fascination de l'orc pour ce qu'il contient.
Les Milliget et l'île Zéro, mais quoi d'autre ?
Accroupie dans la neige, Titan ressemble à un rocher. Mais un rocher parviendrait à ne pas s'encombrer du froid, ce qui est difficilement son cas. Même ses muscles ne peuvent pas déterminer s'ils souffrent de leur immobilité prolongée, ou bien des températures qui chutent de plus en plus à proximité de la frontière.
En réalité, les Milliget ne vivent pas avec le froid : ils sont le froid.
Yüljet est obligée de serrer les dents pour les empêcher de claquer et lorsqu'elle regarde Nash du coin de l'œil, elle peut deviner sa mâchoire saillante en train de trembler.
L'orc reste silencieux.
Personne ne sait ce qui va se passer lorsque la frontière s'ouvrira, Nash. Garde bien ça en tête.
Oui, il le sait. Il le sait mais il a tenu à se laisser malmener par les flocons et les gifles glaciales de cette atmosphère figée pour achever son travail.
La frontière est une image que Titan pense marquée dans son esprit. Lorsqu'elle avait choisi de placer Nash a Rhenia-Gaear en binôme avec Gabrielle Parceveaux, Yüljet s'était montrée catégorique sur l'importance de la surveillance de la frontière des Milliget : chaque information obtenue sur cette énigmatique famille de la noblesse eldaryenne pouvait être précieuse.
Si l'on voulait cacher des secrets, leur territoire restait l'endroit idéal.
Alors aujourd'hui, Nash achèvera son travail.
Titan cligne des yeux. Avec l'orc, ils ont emmitouflé leurs visages derrière d'épaisses bandes de tissu afin de se protéger du froid, mais aussi des regards : les gardes font leurs rondes et même si Yüljet et Nash jouent les cartes de la prudence et du silence, un seul faux pas peut compromettre leur mission. Une seule altercation, une main qui attrape le coton de leurs grandes écharpes et c'est une erreur qui leur collera à la peau, si elle ne leur ôte pas la vie.
Les flocons qui continuent de tomber leur donnent l'impression d'être recouvert, petit à petit, d'un linceul gelé.
Titan rive son regard d'onyx sur la frontière. Elle finira par la graver sur sa rétine, elle en est persuadée et si elle n’avait pas été pas cheffe du cartel des Typhons, mais l'un de ses membres déployé à Rhenia-Gaear, peut-être aurait-elle fait de la frontière des Milliget une obsession.
Mais tout de même…
La poésie dont Nash l'a gratifiée, elle la mérite. Sous le regard de Yüljet se trouve le portail le plus malsain qui lui a été donné d'observer : des murs de glace s'élèvent comme des iceberg arrachés aux confins du grand nord pour être empilés ici et former une forteresse imparfaite. Mais ce sont ses irrégularités qui la rendent attirante : la nuit, les aurores boréales doivent parer la frontière de reflets et ici, sous le ciel gris des Terres Gelées, les angles, les courbes et les cassures ressemblent à des vagues pétrifiées.
Les vagues d'un océan déchaîné que l'on aurait gelé d'un claquement de doigts.
Quant au portail, il tranche la mer de glace en deux et il domine les lieux par toute la beauté que l'on a bien voulu lui donner. Yüljet ne sait pas qui l'a conçu, mais l'architecte en question savait assurément à quoi pouvait ressembler un membre de la famille Milliget.
A-t-il survécu aux fées du sang une fois son travail achevé ? On ne peut que le deviner.
Le portail est un enchevêtrement d'ailes d'apparence membraneuses qui s'écartent pour inviter les malheureux au sein d'une antre qu'ils ne quitteront jamais. Une salle d'attente avant le dernier voyage, certainement.
La puissance à elle-seule ne suffirait pas pour repousser les lourds battants et tenter de les escalader ne serait que folie. Les hauts murs de glace n'offriraient aucun support pour des mains, des pieds ou même des griffes et la pièce maîtresse de la frontière, avec ses ailes singulières, n'est qu'une façade qui dissimule des contrepoids ainsi que des poulies pour procéder à son ouverture.
La frontière des Milliget a toujours été fidèle à sa réputation : elle est impénétrable.
Et si quelqu'un avait eu l'idée malheureuse d'y tenter une infiltration, il se confronterait tôt ou tard aux gardes : les hommes du givre.
Lorsque le cartel des Typhon est né il y a neuf ans, la première tâche de tous les membres qui ont été recrutés a été celle de cartographier Eldarya. Chose nécessaire pour une excellente connaissance des lieux, mais surtout des ennemis que l'on finirait par combattre.
Titan avait donc appris à se méfier des hommes du givre, même si la majeure partie de la population d'Eldarya les considère comme inoffensifs, au même titre que les morgans qui vivent sur le continent du Beryx, non loin de la cité d'Eel.
D'ailleurs, quelques hommes du givre avaient choisi d'immigrer à Odrialc'h, comme l'équipe d'ingénieurs qui entretenaient les petits aéronefs de la cité. Les autres restaient dans leur petit village, "Bertha", près de Rhenia-Gaear, à dépendre de cette dernière pour le travail ainsi que l'obtention de leurs rations hebdomadaires.
Et puis il y avait les gardes de la frontière des Milliget.
De ce que Titan sait, il s'agit des meilleurs éléments qui avaient servi dans le corps armée d'Odrialc'h ou bien la Garde Étincelante de la cité d'Eel. D'excellents éléments, donc, et des armes vivantes évoluant dans le froid.
Dans ses rapports, Nash avait compté quatre équipes de douze gardes en train de se relayer jour et nuit.
Les murs de glace, la porte mécanique, les hommes du givre… tous ces détails formaient la raison pour laquelle Yüljet s'était résolue à interdire toute tentative d'infiltration sur le territoire des Milliget.
Une main sur son épaule la tire de ses pensées. Lorsqu'elle se tourne vers Nash, ce dernier lui désigne un endroit d'un geste du menton.
Si leur point d'observation est idéal pour guetter la frontière, l'orc a repéré un endroit plus proche de cette dernière qui leur garantit une vue imprenable une fois les portes ouvertes.
Il a raison. Cependant, cela les mettra en danger s'ils se font repérer.
Yüljet réfléchit et avise la situation : les lieux face à la frontière sont très exposés, puisqu'il ne s'agit que de déserts de neige sans aucun relief. Pas de rochers pour se dissimuler et encore moins de végétation.
Nash et Titan ont donc trouvé leur salut parmi les hauteurs des falaises qui bordent la voie vers le territoire des Milliget telle une escorte de glace. Leur ascension a été longue et pénible, mais le paysage qu'elles offrent en vaut la peine. Cependant, Nash voudrait descendre vers un pan éboulé. L'accès est assez aisé et leur promet de rester à l'abri des regards tout en ayant une vue directe vers la porte, mais en cas de fuite, cela deviendrait un obstacle.
Nouvelle tape sur l'épaule. Cette fois, l'orc se désigne avant de pointer l'autre point d'observation du doigt. Bien sûr qu'il veut y aller.
Il veut voir ce que lui cache la frontière et mettre un point final à ses rapports, Yüljet le sait.
Mais en est-il capable ? Lui fait-elle assez confiance pour protéger sa vie en cas d'échec ?
La réponse est "non", pourtant elle le doit. Comme avec tous les autres membres du cartel, elle doit lâcher la bride et laisser Nash réfléchir puis agir.
Est-il capable de devenir un excellent élément comme les autres ? Oui. Sans quoi, elle ne l'aurait jamais accepté.
Alors Titan lui donne son accord. Elle reste postée au même endroit pendant que l'orc rejoint celui qu'il a trouvé.
Et ils attendent.
Le froid appelle la fatigue, la fatigue appelle la somnolence et la somnolence se solde par la mort. C'est un cycle criminel mais sur la falaise glacée, un orc et une troll en ont parfaitement conscience.
Le voyage leur a pris de l'énergie et en cet instant, l'un de leur souhait serait de se reposer au sein de leur planque, à Rhenia-Gaear, sur une paillasse avec une chaufferette.
Il ne prendra vie que s'ils parviennent à achever leur mission avec des informations inédites à la clé.
Titan passe une main lasse sur ses yeux pour en chasser les flocons. Depuis un petit moment, elle a l'impression que la neige tombe plus dru au point de créer un rideau acéré sur les lieux. Elle sait qu'elle a raison lorsqu'elle remarque que ses mollets disparaissent petit à petit sous la poudreuse. Yüljet grimace sous le tissu de son écharpe : ils devront redoubler de prudence en quittant la falaise, quitte à déblayer leur chemin de retour à mains nues.
D'instinct, Titan se retourne vers l'est, là où se trouve les roches escarpées qui leur servent de sentier sinueux.
Puis elle se fige.
Ce n'est pas la fatigue. La troll a beau la ressentir peser sur son corps comme un poid mort, mais jamais l'épuisement ne lui a montré une telle étrangeté : plus loin sur la falaise, le tapis de neige n'a pas changé. Il ne s'est pas beaucoup épaissi, pas comme l'endroit où elle se tient.
Interdite, Yüljet se redresse quelque peu en faisant craquer ses articulations. Avec précaution, elle fait quelques pas et brave les flocons pour s'éloigner de son point d'observation et sa pensée se précise lorsque le rideau s'étiole et que la neige se fait plus rare.
Quand elle se retourne, elle fait face à une tempête blanche.
Ses yeux noirs s'écarquillent : quelques minutes plus tôt, elle se trouvait assise au cœur d'un tourbillon immaculé en train de filer comme un essaim. Un essaim qui ne les avait pas accueilli à leur arrivée.
Comment c'est possible ? se demande-t-elle. Aucun rapport de Nash sur la frontière ne mentionne un tel phénomène comme celui d'une tempête de flocons qui ne tombe qu'à quelques mètres du territoire des Milliget.
Soudain, Yüljet lève une main gantée face à son visage. Sans surprise, elle est couverte de poudreuse mais quand la troll l'observe plus en détails, elle peut remarquer que cette dernière s'accroche au tissu brun comme un insecte pris dans la toile d'un chead.
Son cœur s'accélère, mais elle redoute de comprendre.
Pourtant, l'évidence se traduit également par le bas son pantalon qui devrait être trempé d'avoir passé autant de temps sous un tapis enneigé, mais qui ne l'est pas.
« Merde… » souffle-t-elle.
Les flocons sont entrés en contact avec ses cheveux, avec la peau fragile autour de ses yeux, laissée à découvert par son écharpe, ils se sont pris dans ses cils pourtant, elle ne ressent aucune douleur.
Yüljet songe à Nash resté planté dans la tempête, lorsqu'un énorme bruit se fait entendre.
Le chant des poulies, les chants des contrepoids pour former le chœur du mécanisme des portes en train de s'ouvrir.
Titan peut sentir tous ses nerfs piquer devant ce phénomène qui ne s'est jamais produit depuis la formation du cartel.
C'est maintenant. Parce que les amitiés entre les cités se renouvellent tous les quinze ans, c'est maintenant que le territoire des Milliget s'ouvre aux Terres Gelées.
Le ballet des flocons étrange forme une barrière supplémentaire entre elle et le spectacle qui se déroule au-delà de la falaise et elle devine que Nash n'en perd pas une miette, ignorant la neige alentour.
Yüljet hésite, oscille, commande à l'un de ses pieds d'avancer pour se raviser, puis s'élance. Elle ne peut pas laisser l'orc et elle doit voir ce qui se cache derrière cette maudite frontière.
Une fois derrière le rideau blanc, le froid mord un petit peu plus et sa vision se réduit à des taches glacées qui viennent lui fouetter le visage. Mais elle rejoint son point d'observation.
Plus loin, les portes continuent de chanter, leurs battants s'ouvrant avec une lenteur intolérable et du haut de la falaise, ce sont des ailes membraneuses qui s'écartent pour laisser place à un trésor incertain. Le cœur de Titan palpite.
En contrabas, terré dans son pan éboulé, Nash n'est visible que grâce au noir de ses longs cheveux qui parviennent à triompher de la poudreuse. Il est penché en avant, quitte à s'allonger le cou tant il refuse de perdre une seule miette de ce spectacle qu'il attend depuis longtemps.
La première scène s'ébauche par des grognements sourds sortant de l'entrebâillure des ailes en pleine mécanique d'ouverture. Les Milliget sont là, derrière les battants et Yüljet et Titan sont à quelques secondes de poser leurs yeux sur des visages qui ne sont que spéculés par la population eldaryenne qui tente d'en peindre les traits.
Les pans du secrets de la frontière s'écartent… s'écartent… puis une patte blanche, massive, vient déformer le tapis de neige.
Immenses, tachetés de bleu, leurs muscles puissants roulant sous une épaisse fourrure éburnée, des ocemas s'animent en écrasant le désert gelé. De là où elle se trouve, Yüljet ne peut que poser des hypothèses sur leurs tailles, mais elle pense que ces familiers seraient capables de dépasser les deux mètres de hauteur en se dressant sur leurs pattes arrières.
Ils sont magnifiques et ils sont dix.
Leurs cavaliers aussi.
Un claquement sonore annonce la fin de l'orchestre : les poulies et les contrepoids ont cessé de chanter ; les portes sont ouvertes.
Yüljet s'avance, se baisse, enfonçant ses coudes ainsi que ses genoux dans la neige traîtresse et ce qu'elle voit… ce qu'elle voit…Derrière La Frontière
Un saule cristallisé pleure ses lianes sur un lac qui ne connaît plus jamais de remous. Sa surface plane, irisée, a capturé des aurores boréales et Titan est incapable de voir jusqu'où elle peut bien s'étendre. Les murs l'en empêchent.
Peut-être est-ce un jardin, peut-être est-ce le domaine des Milliget qui borde leur demeure, invisible aux yeux des intrus mais ce qui le rend aussi magnifique que terrifiant, c'est toute cette paix cristallisée au cœur même de la glace.
Chaque plante en proie au givre, ce petit chemin étincelant comme un miroir, ces arches aux arabesques gelées et même ce kiosque plus loin, trônant tel un noyau de sérénité.
La frontière est une barrière qui empêche Eldarya de poser les yeux sur les merveilles qu'elle recèle et Yüljet se demande si tout au bout du voyage, là où ni elle, ni les autres membres du cartel ne pourront se rendre, se cache l'horreur.
En vérité, peut-être que ce jardin de glace et de reflet n'est qu'une illusion pour mieux tromper les curieux. Peut-être qu'aux confins du territoire des Milliget souffle une tempête de flocons encore plus blanche et plus dense afin de mieux masquer le sang qui fleurit sur la neige.
Sans compter l'île Zéro.
Nash ne doit pas en croire ses yeux et Titan sait que son prochain rapport aura des airs de contes merveilleux. Elle ne pourra pas lui en vouloir.
Cependant, ils n'auront pas appris grand-chose sur les Milliget. Leur frontière dissimule un jardin gelé, et après ? Que pourront-ils bien faire de cette information ?
Yüljet reporte son attention sur les cavaliers chevauchant leurs ocemas. Son visage se décompose et ses entrailles se contractent.
Plus bas, plantés dans leur grand désert de neige, dix silhouettes se tiennent là, drapées dans leurs étoffes d'un bleu azurin. Et dix têtes sont levées vers la falaise.
Ils les voient. Titan ne parvient pas encore à expliquer comment, mais elle sait qu'ils la regardent, elle et Nash.
Elle peut sentir leurs yeux transpercer les voiles qui masquent leurs visages et les vêtements qu'elle porte. La troll lance un bref regard vers l'orc qui s'est également redressé.
Ses longs cheveux noirs sont couverts de neige et enfin, Yüljet comprend : la tempête de flocons.
Le voilà, son rôle. Le ballet malin en train de tournoyer sert aux Milliget à repérer les intrus qui se seraient aventurés sur la falaise.
Et ils ont réussi.
Titan rive ses yeux noirs vers le contrebas, mais son malaise ne fait qu'empirer.
Les ocemas sont là, mais leurs maîtres ont disparus.
Yüljet fait un pas en arrière. Au creux de son ventre, un rouage malfaisant est en train de tourner pendant que ses nerfs piquent. Il y a un instinct qui lui dit, qui sait qu'elle et Nash doivent quitter la falaise immédiatement.
Elle doit garder contenance.
La troll observe son environnement pour mieux faire l'inventaire de tous les changements notables, depuis que les Milliget ont quitté leurs montures. La neige s'est intensifiée et il est clair qu'avec la poudreuse couvrant ses habits, Yüljet n'est qu'une cible à cueillir pour les créatures rôdant sur les lieux.
Sont-ils à dix mètres ? Cinq mètres ? Deux mètres ? Ils sont là, c'est une évidence. Titan le ressent.
Nash, pense-t-elle. Mais elle ne le voit plus.
La troll déglutit, son visage en proie à la vermine blanche tombant du ciel. Ses yeux ne lui servent plus à rien et si ses oreilles tentent de capter un son, un pas ou même un souffle, c'est le néant. Il ne lui reste plus qu'à bouger en tentant d'imiter les mouvements qu'elle a reproduit plus tôt.
Elle s'était dirigée vers cette petite corniche naturelle qui leur avait servi de sentier, quelques heures plus tôt.
La retrouver, elle, retrouver Nash puis fuir… sauf si un Milliget veut leur briser les os en les faisant tomber de la falaise. Titan ferme brièvement les yeux.
Leurs chances de s'en sortir sont minces. Tant pis.
Elle se met à marcher en essayant de contrôler sa respiration, mais son écharpe la gêne. Ses mains sont avides d'arracher le tissu qui obstrue sa bouche, pourtant, elles en restent loin.
Tant qu'elle sera vivante, Yüljet ne permettra pas aux fées du sang de connaître son visage.
Un frisson court le long de sa colonne vertébrale et sa langue redevient poussière.
Elle a la désagréable impression que chaque flocon s'est pourvu d'un œil rivé sur sa personne. Quelqu'un est là… quelqu'un est en train de guetter tous ses gestes et la chose derrière le rideau de neige semble vouloir jouer avec elle.
Soudain, un hurlement déchire l'atmosphère comme un coup de tonnerre.
Terreur, douleur, horreur… la voix de Nash est perdue sur la falaise mais un Milliget l'a déjà trouvé.
Le sang de Titan se glace et sa respiration s'affole. C'était la réponse d'un faerie face à une attaque ou bien à une apparence qui surpasse peut-être celle des goules.
Yüljet doit se calmer. Elle doit se calmer puis réfléchir.
Nash !
Il lui est difficile de suivre le chemin de son cri de terreur, mais elle doit essayer. Elle s'anime, gronde à ses jambes de se mouvoir et brave la tempête de flocons, les sens aux aguets.
Yüljet doit voir et entendre, même si on tente de la rendre sourde et aveugle ainsi, elle rejoindra l'orc et l'arrachera aux sévices de la chose qui s'amuse avec lui.Shel...
...ma
Un murmure se mêle à la tempête. Un sifflement strident qui se sert de la poudreuse pour voyager sur la falaise et atteindre son interlocuteur, peut-être, en apportant la confusion aux intrus.
Yüljet rassemble toute sa concentration pour garder le cap et voguer vers Nash. Elle espère pouvoir l'atteindre.Shel...
...ma
Re…
...viens.
Reviens… reviens… le souffle l'appelle, le murmure parmi le froid prie "Shelma" de revenir et les sons tournent, tournent et tournent encore avec les flocons et les oreilles de Yüljet se mettent à siffler.
Elle est perdue, elle a froid, elle est fatiguée mais elle avance.
Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma.
Son cerveau semble cogner contre sa boîte crânienne, épuisé d'entendre le vent glacé hurler ce nom à n'en plus finir et Titan sait que si demain elle est vivante, elle l'entendra même dans son sommeil.
Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma… Cheffe ! … CHEFFE !
Yüljet reprend pied. Elle lève le visage, observe, cherche et enfin, elle le voit. Plus loin dans le chaos, la silhouette massive de Nash se détache, une main sur le flanc.
Il est vivant.
Titan accélère le pas, elle se met à courir pour le rejoindre et s'enquérir de son état, lorsqu'une ombre fond sur lui pour le plaquer au sol.
Quatre ailes irisées, membraneuses, une très longue chevelure opaline, une silhouette d'albâtre aux membres squelettiques, flottant dans une robe vaporeuse et un visage qui a perdu son voile glacé.
Deux perles grises, frangées de longs cils blancs, fixent Titan avec convoitise. Un nez fin siège au beau milieu de cette figure symétrique et des lèvres pleines, incarnates, s'étirent en un sourire presque innocent.
La créature maintient fermement l'orc au sol d'une main et si la scène ne se déroulait pas sous ses yeux, Yüljet aurait juré pouvoir la briser avec aisance. Mais l'être Milliget a de la force à revendre.
Titan jauge ce qu'elle a sous les yeux. Ses pensées s'agitent et elle oscille entre horreur et…
C'est comme le jardin aux merveilles.
Elle glisse une main, moite sous son gant, vers sa ceinture. La tête du Milliget est en plein dans sa ligne de mire et si elle lance sa lame, elle peut sauver Nash.
La créature redresse le buste. Le décolleté de sa robe merveilleuse aux mille tons bleus baille sur un torse plat, puis sur des clavicules qui ressemblent à deux traits de craie.Shel…
...ma...
… Ouvre grand la bouche. Très grand. Ses lèvres s'étirent, la peau de sa mâchoire se tend, s'affine et menace de se déchirer mais il n'en est rien.
Yüljet ne peut qu'aviser ce trou béant, frangé de dents pointue et semblant provenir du plus profond de cette caverne aux horreurs, un morceau de chair rose serpente.
Titan met la main sur son couteau.
La sueur coule le long de sa peau, mais elle ne quitte pas son objectif des yeux et à raison : ce qu'elle avait pris pour une langue est en réalité une trompe.
La créature veut pomper le sang de sa victime, mais Yüljet ne lui en laissera pas le temps.
Sa pensée est occultée et seuls ses instincts parlent. Sa vision semble découper les images, son cerveau capte les actions en train de s'accomplir et le chaos d'une lutte rejoint celui des flocons parjures.
La chevelure opaline du Milliget forme des cascades boréales qui trompent la gravité pour s'étendre dans les airs en suivant les mouvements de son corps maigre. Sa trompe cherche à se planter dans la chair de Nash mais l'orc ne se laisse pas faire : il se retourne, il la repousse, il frappe le plexus de la créature dont les mains cherchent à agripper son visage.
Puis le couteau fend les airs.
Mais une main l'attrape avant qu'il se plante dans un crâne blafard. La poudreuse l'a vu venir. Elle a prit soin de se trouver sur le chemin de la lame avant qu'elle atteigne sa cible et pendant sa course brève, l'être Milliget savait déjà tout.
Son visage se déforme de colère mais un regard assassin sur Yüljet lui vaut de se retrouver au sol, avec un orc qui lui confisque le couteau.
La lame étincelle mais sa main tremble.
« Pars, cheffe ! » hurle-t-il.
Titan se met à courir vers Nash. Son esprit se disperse pour lui envoyer moult signaux et elle sait que si l'orc abaisse le couteau, neuf autres Milliget se jetteront sur eux comme des goules affamées.
C'est un jeu. Ce qu'ils vivent est leur jeu et là, allongée sur le sol avec sa bouche en train de s'ouvrir, Shelma continue de jouer.
La pompe est en train de se hisser jusqu'au visage de Nash. Elle transpercera le tissu de son écharpe pour se planter dans son crâne parce que, contrairement à lui, Shelma sera capable de le faire.
Titan ne les quitte pas des yeux. Ils se rapprochent, se rapprochent et l'un de ses bras se déploie pour se glisser sous celui de l'orc et le tirer avec elle.
Courir. Ne pas se retourner. Ignorer les murmures du vent, le ballet des flocons et avancer tout droit dans un décor qu'on leur a enlevé pour rejoindre le bord de la falaise.
Tout en bas se trouve le désert hivernal et la neige qui y tombe est vraie.
S'ils y parviennent, s'ils réfléchissent à toute vitesse pour descendre sans se tuer, s'ils arrivent à filer jusqu'à l'ancien village des lorialets pour se jeter dans la mer glacée et se défaire, enfin, de cette poussière blanche qui les rend si visible aux sens des Milliget.
Ils survivront.
Tout ceci pour un jardin aussi merveilleux qu'effrayant.
Les muscles de Yüljet la font souffrir mais elle continue d'avancer. Son imagination lui montre l'image d'elle et de Nash avec des trompes plantées dans leurs chairs et le sang quittant peu à peu leurs corps.
Il y a du mouvement partout. Cette fois, elle entend des ailes, des froissements d'étoffes, des bruits de bouche… Shelma a perdu, alors peut-être que les autres veulent tenter leur chance.
Des mains bravent la tempête, des ongles s'accrochent dans les vêtements et Nash les repousse à grands coups de couteaux.
Mais autant s'attaquer aux flocons eux-mêmes.
Le pied de Titan dérape lorsqu'il se heurte au rebord de la falaise. La troll cligne des yeux, ses prunelles d'onyx cherchant à déceler un décor qui lui est familier, malgré la neige des Milliget qui la suit à la trace.
Puis elle les voit : les rochers, la corniche, ce simulacre de sentier qu'ils ont emprunté lorsqu'ils sont venus : Yüljet a couru dans la bonne direction.
Elle échange un regard avec Nash et sans attendre, ils descendent.
Chaque pas, chaque mouvement, chaque seconde est un chemin potentiel vers une chute mortelle. L'orc et la troll s'agrippent au décor, se tiennent aux imperfections de la falaise même si la peur leur hurle de se hâter.
Mais le cauchemar est resté en haut et le ballet de flocons malicieux aussi.
Shelma et son horrible trompe ne se sont plus montrées et enfin, la sortie de l'enfer est visible.
Nash et Yüljet embrassent le désert de neige avec le soulagement d'être en vie mais une fois leur descente achevée, loin de s'accorder une seconde de répit, ils filent vers l'ancien village des lorialets.
Leurs ouïes perçoivent les grognements éloignés des ocemas alors, malgré les protestations de leurs corps, ils cavalent, s'enveloppant du nuage de leurs propres souffles.
Shelma… Shelma… le sifflement sonore de ce nom craché avec les flocons hantent encore leurs esprits et le paysage délabré qui les attend, avec ses souvenirs d'un vieux massacre d'il y a vingt ans, ne parvient pas à apaiser leur peur viscérale.
Titan et Nash peuvent presque construire l'image de vingt Milliget en train de déambuler à la place de feu les lorialets, leurs trompes dehors.
Quand ils atteignent le ponton qui les a accueilli, avec Gabrielle, quelques heures plus tôt, ils s'effondrent et le silence les entoure.
Leurs cœurs ne sont que des marteaux cognant dans une forge et leurs poumons brûlent.
Mais ils sont en vie.
Tout ça pour un jardin… tout ça pour un jardin…, ne cesse de se répéter Yüljet.
« Cheffe… » croasse Nash.
Avec peine, Titan redresse le buste et tourne son visage fatigué vers l'orc. Son état est similaire au sien.
Ses cheveux son emmêlés dans un curieux clair-obscur et la neige venimeuse y a fait son nid. Il a abaissé son écharpe pour respirer de grandes goulées d'air et son flanc gauche offre une fleur écarlate.
Nash grimace de douleur et sa main est rougie d'avoir appuyé sur sa blessure pendant la fuite. Gabrielle devra le recoudre.
Mais son autre main quant à elle, tient fermement une bourse de soie, merveilleusement brodée de teintes glacées, aux cordons déchirés.
« Qu'est-ce que… ? souffle Yüljet.
- Je l'ai arrachée au Milliget quand je me suis débattu. Je ne savais pas si on allait s'en sortir, mais… je ne voulais pas qu'on ait fait tout ça pour rien. Je… »
Nash s'affaisse sur lui-même.
"Tout ça pour un jardin", Titan le comprend. Mais cette pochette, c'est une tentative louable, même si elle contient des bijoux ou bien un mouchoire parfumé.
Quoique ce genre de créature ne s'intéresse peut-être pas aux mouchoires parfumés.
L'orc écarte les pans de sa trouvaille et y plonge la main, pour en sortir des petits récipients de verre qui s'entrechoquent.
La couleur rouge de leur contenus attire l'œil alors que Yüljet met un mot sur la nature de ces ustensils. Parce que Ryan en possède aussi.
Des éprouvettes.
Quatre éprouvettes porteuses d'un liquide vermeille qui a gelé.
« … Humain ? » murmure Nash, interdit.
Titan lui jette un coup d'œil curieux. L'orc est en train de lire un parchemin, trouvé au sein de la bourse, enroulé sur lui-même et orné d'un beau ruban.
Mais son contenu est loin d'être une invitation officielle.
Yüljet tend la main et Nash le lui remet. Avec appréhension, la troll pose ses yeux sur l'écriture fine, tracée à l'encre bleue et messagère d'informations aussi morbides que le sang de leurs accompagnatrices :- Sujet humain "Élie", Mâle, 49. Prélevé en 477 (sujet ancien et décédé). Éprouvette E7.
Sujet humain "Erika", Femelle, 19. Prélevée en 479 (sujet en vie). Éprouvette E11.
Sujet humain "Yeva", Femelle, 29. Prélevée en 481 (sujet en vie). Éprouvette Y5
Sujet humain Lazlo, Mâle, 9. Prélevé en 482 (sujet décédé). Éprouvette L1
Les Choix
Au cours de ce chapitre, Yüljet et Nash ont failli perdre la vie lorsqu'ils se sont confrontés aux Milliget, mais surtout à une certaine "Shelma".
Au cours de la lutte avec cette dernière, Nash est parvenu à lui arracher une petite bourse de soie contenant quatre éprouvettes remplies de sang, ainsi qu'un parchemin détaillant des informations relatives à ces dernières.
Nash et Yüljet vont rentrer à Rhenia-Gaear et partager ces informations avec Gabrielle. Cependant et pour la suite des évènements, Yüljet a une idée en tête. Il leur faut espionner les Milliget pendant qu'ils seront au coeur de la cité.
Mais elle hésite encore :
➜ Doit-elle rapatrier Fawkes, l'expert en infiltration et lui confier la mission d'espionnage ? (Eel est à 7 jours de Rhenia-Gaear)
➜ Doit-elle rapatrier Fuya, la traqueuse d'informations et lui confier la mission d'espionnage (La Triade d'Ohm est à trois jours de Rhenia-Gaear)
➜Doit-elle confier cette mission au binôme Fawkes et Rose Clarimonde ?
➜ Doit-elle se charger de cette mission elle-même en compagnie de Nash ? Ce serait achever leur travail.Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Ce choix met effectivement une vie en jeu.Pour Waïtikka uniquement :
Message de : Titan, relayé par Gabrielle Parceveaux
Fawkes,
Je suis bien arrivée à Rhenia-Gaear avec Nash, même si nous avons fait de mauvaises rencontres.
Lors de notre arrivée, Gabrielle Parceveaux nous a transmis des informations dont tu dois déjà être en possession : la sélection officielle pour la Garde Rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash et l'arrivée de la Capitaine courant mimouet.
Fais très attention à toi.
Néanmoins, je pense que nous pouvons profiter de la sélection officielle pour approcher la noblesse eldaryenne.
Je veux que toi et Rose suspendez votre mission initiale et enquêtez sur les candidats à la sélection. Le but de votre mission est de trouver une cible facile à prendre en filature et à espionner.
Suivez les sélections jusqu'au bout et lorsque vous connaîtrez les noms des candidats retenus pour la finale, je veux que Rose entre en contact avec eux pendant que tu enquêteras dans l'ombre.
Fais-moi parvenir des rapports réguliers. Je sais qu'il n'y a aucune chance pour que le cartel recrute de nouveaux membres parmi les candidats de la sélection, mais je suis certaine que nous pouvons obtenir des informations intéressantes.
Fawkes, j'attends ton premier rapport.
Titan
Eh bien Waïtikka, je te félicite : tu vas pouvoir rédiger le premier rapport de Fawkes. Ne t'en fais pas, tu auras quelques indices pour t'aiguiller mais au final, c'est toi qui va décider de la suite des évènements, mais surtout de la mission.
Voici les indices suivants :
⇒ Fawkes a voyagé en direction d'Eel en compagnie d'une purreko d'une trentaine d'années du nom de Purriva. Elle a un caractère téméraire et explosif.
⇒ Fawkes a accosté au petit port du village d'Amzer, le village des morgans et a été accueilli par Rose.
⇒ La planque du cartel se trouve dans le village d'Albacore, qui est un petit village de passage pour les marchands en route vers Eel.
⇒ Fawkes et Rose travaillent ensemble depuis deux ans.
⇒ Après le message de Titan reçu par Fawkes, voici la liste des candidats que Rose a pu trouver (ils sont bien entendu, tous membres de la garde Obsidienne) :
Katel'li Brezelour, 44 ans, chat-garou (bourru, force brute, rigide sur le respect du règlement).
Byrnrael Brezelour, 47 ans, épouse de Katel'li, faerie indéterminée, (manieuse de hache, sereine, réfléchie).
Shawata Maliwe, 31 ans, satyre, (manieur de lance, taciturne, solitaire et pragmatique)
June Albalefko, 24 ans, salamandre (aucun fait notable au sein de la garde Obsidienne, membre ordinaire, connue pour son caractère enthousiaste et sa maladresse).
Joseph Ael Diskaret, 51 ans, morgan (fait partie de la section de protection des civils au sein de la cité d'Eel, apprécié par ces derniers, manieur de glaive, patient, tranquille, loyal, voue une grande improtance au respect des règles).Pour MayaShiz uniquement
June Albalefko a choisi de participer à la sélection officielle afin d'intégrer la Garde Rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash. Elle a donc reçu un formulaire à compléter et à remettre à son Chef de Garde avant la date inscrite.
MayaShiz, c'est donc à toi de compléter ledit formulaire : ICI
Message aux autres lecteurs : vous êtes bien entendu libres de lire le formulaire, mais merci de ne pas écrire dessus à la place de Mayashiz.Pour ZuzoHyo uniquement
Pour honorer le renouvellement de l'amitié entre les cités d'Eel et d'Odrialc'h, les autres Gardes ne sont pas en reste. En effet, les membres de la Garde Absynthe qui étudient la médecine de près ou de loin sont invités à suivre gracieusement un séminaire d'une semaine sur la chirurgie, au sein de "La Grande Auréole", soit l'hôpital universitaire d'Odrialc'h.
Un certain lilymoe occupe actuellement le poste de secrétaire médical d'Ewelein Osgiliath, la médecin en cheffe de la Garde d'Eel. Il a pour travail de l'accompagner à toutes ses visites et de rédiger les ordonnances et comptes-rendus de ces dernières.
Ewelein a également reçu une invitation pour se rendre à "La Grande Auréole" et y donner une conférence sur le thème du cœur et de son anatomie chez les différentes espèces faeliennes.
Mais elle hésite beaucoup à abandonner la cité d'Eel et ses patients pour une semaine. Elle a donc abordé le sujet avec lilymoe.
Qu'en pense-t-il ?
Lui et Ewelein devraient-ils se rendre à Odrialc'h ? S'ils acceptent, ils embarqueront sur le bateau de la Capitaine Shakalogat gra Ysul après les sélections.
Aussi, lilymoe pourra assister Ewelein lors de sa conférence.
ZuzoHyo, à toi de rédiger ta réponse. Tu es libre d'inscrire tous les détails que tu souhaite afin de mieux orienter lilymoe.Un petit mot aux autres lecteurs :
Vous êtes tout à fait libre de conseiller Waïtikka, MayaShiz et ZuzoHyo dans leurs choix. Libres à eux de tenir compte de vos conseils ou non.
Sur ce, je vous dis à la prochaine avec le chapitre 5 ! (^_^)/
Chapitre 5 - Contact
Bonjour à vous !
Nous revoilà avec ce cinquième chapitre d'Apotheosis qui est plus long que les autres et qui contient beaucoup d'informations !
Tout d'abord je tenais à m'excuser vis à vis du retard de la publication. Comme je l'ai mentionné avec mon dernier post, mon planning a énormément changé cette semaine et mon temps d'écriture s'est vu réduit. C'était malheureusement indépendant de ma volonté et ça devrait se calmer à partir du mois de juillet, je l'espère.
Dans tous les cas, sachez que quoi qu'il arrive, vous aurez tout de même un chapitre qui sera publié toutes les semaines, même si ça ne sera que le dimanche après-midi.
Avant de vous laisser avec votre lecture, je tenais à vous prévenir que certains détails sordides de ce chapitre peuvent heurter la sensibilité d'autrui. Vous savez déjà que l'univers d'Eldarya que je propose est beaucoup plus sombre que le jeu original, mais attention tout de même.
Aussi, vous découvrirez deux nouvelles œuvres en fin de chapitre, qui ont été réalisées par une artiste qui a accepté de contribuer à Apotheosis ! Je ne peux pas vous les présenter au début de ce chapitre au risque de spoiler, mais vous ne pourrez pas les manquer à la fin !
Petit bonus : je tiens à remercier chaleureusement MayaShiz pour la petite surprise qu'elle a laissé dans mes MP cette semaine !
Si vous êtes curieux de découvrir June en train de remplir son formulaire pour les sélections, je vous renvoi à cet OS qu'elle a écrit pour l'occasion !
Je vous partage également la petite illustration qui va de paire avec l'OS, réalisée aussi par MayaShiz !
J'en profite également pour glisser un petit lien vers la fiction de MayaShiz dont le personnage de June est l'héroïne !
Vous y trouverez un univers d'Eldarya entièrement remanié sous sa plume, ainsi que le spräk qui est une langue inventée de toutes pièces par MayaShiz !
MayaShiz est une auteure que j'apprécie énormément et qui m'a beaucoup appris en terme d'écriture (écrire l'action par exemple x)) alors je ne peux que vous conseiller d'aller lire ses écrits, au détour d'un petit clic sur cette bannière :
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
⁂
Elle n'a jamais été belle.
C'est une affirmation depuis que des racines empoisonnées se sont frayées un chemin dans son esprit, et que les reflets ont appris à lui parler.
Elle se souvient des mots, aussi. C'est certainement l'initiation la plus douloureuse qu'elle ait traversée et c'est pendant cette période qu'elle a pu comprendre que le langage pouvait blesser. Seulement, les coups reçus ne revêtaient pas de blessures.
Elle n'a jamais été belle et c'est ainsi.
Qu'importe le réceptacle, son image reste la même : dans le plus simple des miroirs, dans une flaque d'eau, sur le dos abimé d'une cuillère et dans sa propre tête.
Ce sont des pensées bien inutiles car la beauté de son visage et de son propre corps n'est qu'un détail futile qui ne régit même pas sa vie.
Ce n'est qu'une poussière à occulter comme la douleur qui siège sur son bras gauche, par exemple.
Yüljet passe une main brune sur la peau de son poignet, avant de la laisser courir jusqu'au creux de son coude. Le contact est douloureux et elle sait qu'en cet instant, son grand corps n'est qu'une montagne qui a vu fleurir plusieurs bleus durant la mission précédente.
Assise sur un tabouret, Titan trône au beau milieu de la petite salle de bain de la planque. Après le froid mordant de la frontière des Milliget, elle a finalement pu se traîner jusqu'à Rhenia-Gaear avec un Nash blessé suspendu à son bras. L'orc a su garder contenance mais Yüljet sait que le trajet a été un véritable calvaire.
À présent, il est recousu et se repose sur sa paillasse auprès d'une chaufferette, pendant qu'elle est partie décrasser son corps de la sueur, de la neige mouillée et de la peur.
Ses longues tresses ont quitté leur queue de cheval habituelle afin de reposer sur son dos massif et à ses pieds, un large baquet d'eau lui renvoie son reflet.
Lorsque Yüljet a abandonné le linge qui lui a permis de se laver, l'eau a arrêté de tanguer pour se figer. Titan n'a pu que plonger dans ses propres yeux pour aviser cette "face d'homme" épuisée par sa mission précédente.
C'est dans ce genre d'instant, où elle se défait de ses atours ainsi que de son rôle de cheffe du cartel des Typhons, que sa face d'homme vient la parasiter.
Peut-être est-elle tapis dans l'eau de n'importe quel baquet ou bien dissimulée sous tous les linges d'Eldarya, mais Yüljet sait qu'elle est là et qu'elle n'attend que la seconde où elle lâchera prise pour se faufiler dans son esprit et lui rappeler qu'elle n'a jamais été jolie.
Elle permet à Titan de se souvenir, aussi, de toutes ces journées, toutes ces heures passées dans une autre vie à offrir ses mains et son énergie pour construire de merveilleuses maisons destinées à des personnes aux poches remplies d'or.
Alors, dans ces moments-là, Yüljet repense aux femmes des beaux quartiers : leurs yeux soulignés d'un trait noir, leurs cheveux domptés en des coiffures complexes et leurs vêtements vaporeux de voiles et de soie. Elle peut revoir leurs accessoires luire sous un soleil de plomb et surtout, elle songe à ces dames orcs qui ont paré leurs crocs saillants de breloques étincelantes, pour certainement tenter de transformer ce détail sauvage de leur image en quelque chose de plaisant à regarder.
Si Titan avait été peintre, elle aurait sûrement immortalisé ces jolies femmes sur une toile qui se serait intitulée "Dames des Beaux Quartiers".
Tout ce qu'elle a pu envier dans cette autre vie sans jamais se l'avouer, et tout ce qu'elle n'est pas.
Elle est née troll, dans un corps musculeux sans finesse et sans élégance, avec un visage anguleux trop "homme" pour être beau, parait-il.Tous les ouvriers de ce chantier sont des hommes. Tous.
Qui te trouvera belle ?
Yüljet se souvient de cet ancien collègue. Un maçon au sourire goguenard, toujours entre deux eaux avec une flasque pleine de moretum à la main.
Il travaillait saoul mais il travaillait bien, alors on le laissait faire. Et un jour, une pensée avait traversé son esprit embrumé.Oh, je sais ! "Face d'homme", si tu t'habille comme un prince, tu pourras séduire une femme de la haute société ! Tu n'auras qu'à l'épouser, mais tu devras renoncer à lui faire l'amour : comme ça, elle ne découvrira jamais la supercherie.
Titan peut revoir ce fameux collègue rire de sa plaisanterie. Mais ce qu'il n'a jamais su, c'est que ses phrases lancées par sa voix éraillée l'ont aidé à rompre avec l'envie de se travestir en quelqu'un d'autre.
"Face d'homme" la suit encore jusqu'à cette petite salle de bain où elle se tient à Rhenia-Gaear, mais c'est un masque qu'elle a fini par accepter, tout comme l'affirmation de ne pas être belle.
Mais lorsqu'elle avait quitté son collègue, le jour où il lui avait braillé l'idée de s'habiller comme un prince, Yüljet était parvenue à trouver une parade aux paroles empoisonnées d'une personne qui aurait dû l'aimer .
Qui te trouvera belle ? avait-elle dit, Personne ! Même si j'étais riche, je ne trouverais aucun homme qui voudrait marier ma fille au visage d'homme. Si j'avais pu tomber enceinte après toi, j'aurais au moins essayé de faire une vraie fille… ou un vrai garçon. Vraiment, qui te trouvera belle ?
Et cette fois, Yüljet avait pu répliquer à sa mère, sans souffrir de ne pas être la "vraie fille" qu'elle aurait tant voulu.
Si personne ne peut me trouver belle, alors il y aura peut-être quelqu'un qui me trouvera beau.Face d'Homme
Lorsque Titan s'approche de la salle principale de la planque, vêtue d'une tunique en laine, elle entend du verre s'entrechoquer et elle devine Gabrielle en train d'examiner les éprouvettes de sang humain.
La trouvaille qui a suivi l'incident à la frontière des Milliget fascine l'elfe noire et nombreuses sont les hypothèses qu'elle a partagées avec sa cheffe : cryogénisation de corps humains dans le domaine des fées du sang, expériences pour le compte d'Odrialc'h, étude de l'espèce humaine pour mieux la dominer…
Yüljet doit avouer qu'elle ne sait pas vraiment quoi en penser. Ce qui est certain, c'est que si ces éprouvettes dans leur bourse de soie se sont retrouvées hors de la frontière, c'est qu'elles étaient destinées à être remises à quelqu'un. Mais qui ?
« Comment va Nash ? » demande Titan en s'asseyant près d'une chaufferette à eau en forme de cruche.
Gabrielle lève ses yeux blancs, un frêle sourire sur ses lèvres. Si sa main droite manipule distraitement l'éprouvette E11, l'autre est agrippée au parchemin.
Elle a dû le relire une bonne centaine de fois, Yüljet en est certaine.
« Il se repose. Heureusement qu'il a la peau dure. C'est peut-être pour compenser l'air qu'il a entre les oreilles. »
L'elfe noire ponctue sa phrase d'un rire, mais son regard est fuyant.
Titan sait qu'elle a eu peur et son instinct avait parlé de lui-même lorsque Gabrielle les avait vu revenir de la frontière, couverts de la neige des Milliget et du feuil de leur propre sueur.
Elle s’était précipitée vers Nash comme si sa cheffe n'existait pas et c'est seulement lorsqu'elle avait pu aviser que la blessure de l'orc ne mettait pas sa vie en danger que son masque alarmé avait quitté sa figure.
« Si tu n'avais pas été avec lui, il ne s'en serait pas sorti, affirme Gabrielle d'un ton grave.
- Tu n'en sais rien. Peut-être qu'il aurait survécu et que l'accident l'aurait endurci. »
Nash est téméraire, c'est un fait.
C'est le premier point qui a frappé Yüljet en l'écoutant parler et en lisant ses premiers rapports. L'orc est téméraire et possède un esprit idéaliste qui le mène souvent à agir sans réfléchir.
Mais même s'il commet des erreurs, Titan pense que c'est son optimisme qui peut apporter un petit peu de lumière au cartel fatigué par l'horreur du monde.
Elle ne peut pas encore lui accorder sa confiance en tant que cheffe mais elle peut lui donner le bénéfice du doute et le regarder évoluer en conciliant ses idéaux avec la réalité.
Tous les membres du cartel des Typhons le font à leur manière, après tout.
« Est-ce que les messages sont partis ? »
Gabrielle hoche la tête.
Avant de se rendre à la frontière des Milliget, Yüljet avait demandé à ce qu'un message soit adressé à Fawkes pour une nouvelle mission à la cité d'Eel.
Les sélections sont un véritable obstacle, surtout avec la présence de la Capitaine et Titan ne peut que deviner le renard-garou, ainsi que son binôme, redoubler de prudence et redouter son arrivée. Mais les sélections peuvent aussi être une aubaine menant vers des informations en or.
Si Fawkes choisit bien sa cible, alors il y a tout à gagner.
« Fuya devrait arriver d'ici trois jours, songe Gabrielle, ce qui me laisse le temps de vérifier mes informations concernant l'endroit où les Milliget vont séjourner en attendant la Capitaine.
- Les Leblanc ont dit quelque chose ? »
Au soupir de Gabrielle, Titan devine que les informations doivent être nombreuses.
Ses yeux opaques fixent un point invisible sur la lézarde d'un mur et sa peau sombre est légèrement rougie par la lumière dansante d'une lampe à huile.
L'elfe noire a remplit sa mission, pendant que sa cheffe était à la frontière avec Nash. Son rapport a beau être court, il n'en est pas moins clair : la jeune Annette Leblanc obtiendra un bracelet de la joaillerie Alfirin et dans quelque temps, Gabrielle lui soufflera l'idée d'un bijou conçu par Gorthol Alfirin lui-même.
Mais l'esprit d'Annette étant versatile, le voilà tourné vers la présence des Milliget en ville.
« Pour loger des personnes de leur rang, rien ne vaut la demeure du marquis de Rhenia-Gaear mais si c'est le cas, ce sera difficile pour Fuya.
- Aussi difficile que d'infiltrer les beaux quartiers d'Odrialc'h et le grand palais du Gouverneur Suprême de la cité. » achève Yüljet d'un ton laconique.
Titan et l'elfe noire échangent un regard entendu.
Sur la liste des membres du cartel des Typhons, Fuya restait la personne idéale à rapatrier que ce soit au niveau de ses compétences que du temps de voyage.
Traqueuse d'informations professionnelle, mémoire photographique et capacité de copier un document ou croquer un visage en quelques minutes. Yüljet n'a pas hésité longtemps.
Mais si les informations de Gabrielle sont bonnes, alors infiltrer le manoir du marquis pour espionner les Milliget serait une mission de trop grande ampleur.
Titan ferme brièvement les yeux.
« S'il arrive quelque chose à Fuya, Sexta ne me le pardonnera jamais. Et moi non plus.
- S'il était arrivé quelque chose à Nash, c'est aux Milliget que je n'aurais pas pardonné. » intervient Gabrielle.
Yüljet se confronte au visage résolu de l'elfe noire. Ses traits délicats se sont figés en une expression assurée et alors qu'elle repose délicatement l'éprouvette sur la petite table basse qui trône au centre de la planque, elle reprend d'un ton plus sec.
« On connaît les risques, cheffe. On les connaît dès que l'on décide d'intégrer le cartel. Et on sait aussi qu'un jour ou l'autre, tu feras une erreur. Parce que tu finiras par en faire. »
Gabrielle secoue la tête en passant une main lasse sur son duvet de cheveux blancs.
« Personne n'est infaillible. Si demain je me trahis aux Leblanc, alors ma tête tombera. Si demain tu envoies Fawkes au large des Côtes de Jade, via le circuit du tap et qu'il croise une goule vorace, alors il mourra empoisonné. Mais à qui la faute ?
- À celle qui vous a juré protection en échange de votre confiance. »
Silence.
Au cœur de sa prison de verre, le sang humain a finit par fondre et repose contre les parois translucides telle une rivière vermeille.
L'éprouvette que regarde Yüljet porte la mention "Y5".
Les cheveux de la troll coulent sur ses épaules comme des lianes de paille, de terre et de bronze.
« Je comprends le fond de ta pensée, Gabrielle, répond Titan, mais je ne suis pas d'accord. Vous n'êtes pas des pions que je peux sacrifier sur un échiquier parce que je commets une erreur. Si demain tu meurs parce que tu te trahis aux Leblanc, ce sera ta décision mais ma faute. Parce que tu n'auras pas été à la hauteur de ta mission d'agent double et que je n'aurais pas su le voir.
- Ça n'a pas de sens…
- Pour toi. »
Le chef ou la cheffe du cartel des Typhons n'est pas la personne la plus douée au combat, mais celle qui connaît la valeur d'une vie.
Et si dans trois jours Fuya meurt entre les murs de la demeure du marquis pendant sa mission, alors qui d'autre que sa cheffe pourra en porter la responsabilité ?
Mais Titan y a longuement réfléchi : avoir les Milliget à portée de main est une aubaine. Les risques encourus à la frontière ne serviraient à rien si personne ne peut aller jusqu'au bout du travail et les éprouvettes de sang humain resteront un mystère.
« Tu vas vérifier tes informations et si elles sont correctes, alors je vais envoyer Fuya au manoir pour espionner les Milliget, reprend Yüljet, car je suis certaine qu'elle peut trouver des informations importantes sur un projet de conquête terrienne et sur les Alfirin. Mais si on ne peut pas s'infiltrer avec elle, nous allons l'aider de l'extérieur. »
Elle voit Gabrielle l'écouter avec intérêt.
Si Titan récapitule la situation de Rhenia-Gaear, elle parie fortement qu'avec la présence des Milliget dans la cité, la police locale et les gardes du manoir doivent être à cran.
Malheureusement pour eux, Yüljet a prévu de semer le chaos pour attirer leurs regards ailleurs et permettre à Fuya d'entrer et de sortir sans encombre.
Ensuite, il leur suffira de disparaître.
Comme celle d'Odrialc'h, la planque de Rhenia-Gaear abrite de nombreux documents importants, dont les copies des rapports de Nash sur la surveillance de la frontière, mais aussi des informations concernant le marquis et sa famille.
Ainsi qu'un plan détaillé de la cité des elfes noirs et c'est ce dont Yüljet a besoin.
La troll le déroule sur la petite table basse pendant que Gabrielle met les éprouvettes a l'abri, puis se met à réfléchir.
Sans surprises, le manoir du marquis domine la cité toute entière et si Rhenia-Gaear a une architecture très différente d'Odrialc'h, il est aisé de voir que les quartiers les plus pauvres sont disposés sur la périphérie de la cité.
Titan les désigne d'un doigt.
« J'ai toujours pensé qu'en cas d'attaque, les quartiers populaires seraient touchés en premier et formeraient un bouclier idéal pour la bourgeoisie et le marquis, installé au centre-ville. Mais on va transformer ça en un avantage. »
En regardant le plan de Rhenia-Gaear sous un autre angle, la bourgeoisie et le marquis se retrouvent, en réalité, encerclés par les quartiers populaires.
Et pour la mission complexe de Fuya, c'est parfait.
Titan lève les yeux vers Gabrielle et se lance dans ses explications :
« Pendant que tu vérifieras tes informations, je vais descendre dans ces quartiers et négocier avec les petites frappes prêtes à semer le chaos contre de l'argent. Le but est de créer des émeutes qui formeront un étau qui se resserera petit à petit vers la bourgeoisie. Pendant que la police et les gardes du manoir tenteront de le repousser, Fuya pourra commencer sa mission.
- Je vois. C'est un bon plan. De mon côté, je resterais auprès des Leblanc pour les protéger, et je pourrais aussi garder un œil sur le manoir pour assurer la sécurité de Fuya. »
Yüljet hoche la tête. C'est ce qu'elle attendait de Gabrielle.
Ainsi, l'elfe noire continue de jouer son rôle dans la garde rapprochée des Leblanc tout en constituant une assurance supplémentaire pour la délicate mission de la sirène.
« Le seul inconvénient, reprend Titan, c'est le temps. Je vais faire en sorte d'en gagner avec les émeutes, mais si la police et les soldats arrivent à les repousser facilement, ça pourrait devenir dangereux pour Fuya. Mais si ça devient compliqué, on avisera. »
Yüljet et Gabrielle échangent un regard entendu.
Le plan étant fixé, l'une s'en irait vers les quartiers populaires pendant que l'autre retournerait auprès de la bourgeoisie, à accomplir son rôle d'agent double.
Une fois la mission de Fuya accomplie, Titan a prévu de quitter les Terres Gelées pour voguer vers la cité d'Eel et rejoindre Fawkes.
Elle compte bien assister aux sélections malgré les risques et quitte à se trouver face à la mégère, autant en tirer le maximum d'informations.
Mais avant cela, Fuya doit entrer et sortir du manoir saine et sauve.Règle numéro 10 : Le chef ou la cheffe du cartel doit garantir la protection des membres du cartel en échange de leur loyauté.***
Le vega 06, du mois de mimouet,
« Regarde-moi. »
Elle lève son regard azuré vers le visage de sa cheffe. Le petit jour filtré par les vieux rideaux de la fenêtre met ses blessures en valeur : des bleus, des coupures et de la peau pâle qui à survécu à des trompes monstrueuses.
Ses lèvres tremblent et ses yeux deviennent humides, mais elle tient bon.
« Tu es en sécurité. » affirme Titan.
Face à la troll, assise sur un lit de fortune, Fuya prend une grande inspiration et hoche la tête. Yüljet ne dit plus rien mais dans son esprit, il y a des images qui défilent en boucle pendant que sur sa peau brune, le froid de Rhenia-Gaear continue de souffler.
Fuya et elle ne s'y trouvent plus. Leurs corps ont vogué jusqu'à Albacore, un petit village situé non loin de la cité d'Eel, mais leurs esprits sont restés ancrés au manoir.
Surtout celui de la sirène.
Derrière Titan, Fawkes est adossé au mur de la petite cabane qui lui sert de foyer lorsqu'il se trouve en mission à Eel et son binôme se trouve à ses côtés.
Rose Clarimonde, le génie de la Garde de l'Ombre aux yeux opalins et aux longs cheveux d'encre, dont la lourde frange masque des sourcils fins.
En miroir à son coéquipier, il arbore une expression neutre même si Yüljet sait qu'il se tient prêt à agir si un malheureux importun s'amusait à surgir en ces lieux.
Fawkes et Rose ont attendu leur cheffe à Amzer, le village des morgans, pour l'aider à transporter une Fuya inconsciente jusqu'à Albacore.
La sirène ne s'est réveillée qu'au bout de deux jours pendant que Rose et Fawkes faisaient les allers et retours entre Eel et le village afin d'apporter de quoi la nourrir.
Yüljet la regarde. Elle observe les coupures qui commencent à cicatriser sur sa figure, l'ecchymose qui cercle son œil droit et la fatigue qui marque ses traits.
Ses longs cheveux d'un rose dragé reposent en désordre sur ses épaules et les draps emmêlés sur ses jambes laissent un buste endolori, dissimulé sous un débardeur en coton.
Les yeux de Fuya s'égarent sur la pièce, sur Fawkes, puis sur Rose. Ses épaules dénudées ne sentent plus le froid des Terres Gelées pourtant, son dernier souvenir se trouve là-bas.
« Comment est-ce qu'on a réussi à venir jusqu'ici ? » demande-t-elle d'une petite voix.
En bravant le tumulte. En occultant une cacophonie horrible de bruissement d'ailes et en essayant de courir plus vite qu'une neige infernale.
Une fois sur le bateau, loin de l'enfer, Yüljet a pu se retourner pour regarder Rhenia-Gaear se recouvrir d'un blanc Milliget.
Au fond de la planque, Nash devra attendre une météo plus clémente.
Le plan de Titan avait fonctionné, les émeutes s'étaient mises à gronder comme un orage sur le point de vomir des éclairs mais à l'issue de cette journée, des plaies resteront ouvertes dans les esprits d'une troll et d'une sirène.
Peut-être que la population de Rhenia-Gaear n'a jamais vraiment compris que leur marquis n'était pas la figure dominante des Terre Gelées et quelque part, c'est mieux pour elle.
« J'ai réussi à quitter la cité et à atteindre l'ancien village des lorialets avec toi. Tu étais inconsciente. Le passeur nous attendait et nous sommes partis le plus vite possible.
- Comment tu as fait ? Avant de m'évanouir je t'ai vu. Tu étais avec… »
Elle déglutit et sa bouche se tord en une grimace.
« … Sira. »
Dans la tête de Yüljet le fracas du verre brisé résonne mille fois alors qu'elle revoit l'image du corps de Fuya projeté par la fenêtre du sixième étage.
Les bras en croix, les cheveux figé en une mare rose et les jambes fléchies cherchant un appuie, elle s'est immobilisée le temps d'une pensée avant d'amorcer sa descente mortelle vers le sol.
Elle n'a même pas eu le temps de hurler.
Les jardins du marquis ont été prêt à accueillir sa dépouille, Yüljet s'est précipitée en une vaine tentative de la rattraper, le cœur et le corps affolés lorsque dix silhouettes ailées se sont montrées, crachées par la fenêtre comme un essaim malfaisant.
C'est quand elle a vu leurs mains décharnées, déterminées à attraper la sirène, que Titan a compris que les fées du sang s'étaient remises à jouer.
« Quand tu es passée par la fenêtre, ils sont sortis et ont réussi à t'attraper au vol, souffle Yüljet, et je croyais regarder des rapaces en train de s'amuser avec une proie, et puis tu as fini dans les bras du Milliget aux boucles roses.
- Sira. » répète Fuya en hochant la tête.
Elle a écrit tous leurs noms dans son carnet et ce dernier ne s'est pas égaré dans sa chute. Titan l'a retrouvé à l'abri, dans la poche intérieure du pantalon que la sirène utilise lors de ses infiltrations. Et sa mission n'a pas été vaine, avec les informations que Fuya a écrites.
« Sira avait l'air étrange, poursuit Yüljet, et j'avais l'impression qu'il ne savait pas quoi faire de toi. Les autres Milliget l'appelaient, mais il ne leur répondait pas, et quand il s'est laissé descendre de quelques mètres vers le sol, j'ai agi et je l'ai attrapé par le bas de sa robe. »
C'est à cet instant-là que Titan a vu le visage de Fuya, les yeux mi-clos, basculer vers l'inconscient.
La troll a agrippé le tissu du vêtement de Sira avec force pour attirer la fée du sang vers elle et le cri de surprise qu'elle a entendu ne ressemblait pas à celui d'un prédateur à la trompe monstrueuse.
La seconde d'après, elle se retrouvait nez à nez avec une figure d'innocence.
De grands yeux bruns, une peau nacrée, une moue surprise et une très longue chevelure bouclée d'un rose assez doux.
Les bras maigres de Sira se sont resserrés sur le corps de la sirène, mais Yüljet était déterminée à le lui arracher par tous les moyens.
Si tu ne la lâches pas, je te tue. avait grondé Titan.
Sira aurait pu sortir sa trompe pour lui transpercer le visage, mais il ne l'a pas fait. Il a laissé la troll lui prendre Fuya et de tous les Milliget en train de virevolter avec la ferme intention de les tuer, Yüljet ne pourra oublier ni Shelma, ni Sira.
Shelma qui hantera ses cauchemars et Sira pour un seul mot, soufflé par sa voix claire.
« Lorsque je t'ai reprise à Sira, je me suis enfuie. Les autres Milliget ont fondus sur moi mais je savais que si je m'arrêtais de courir ou si je tombais, nous serions mortes toutes les deux. J'ai rejoins les émeutes en pensant semer les Milliget grâce à la foule, mais je me suis trompée. Ils ont commencé à faire tomber la neige. »
Ses poumons étaient en feu, sa poitrine toute entière lui faisait mal et le poids de Fuya, qu'elle transportait sur son épaule, la gênait dans ses mouvements.
Mais Titan pensait que les émeutes en train de gronder deviendraient leur salut et leur cachette jusqu'à ce qu'elles parviennent à quitter la cité. Elle avait compris son erreur lorsque la neige clairsemée des Terre Gelées s'est intensifiée.
Et les rues s’étaient transformées en enfer.
Yüljet ne parvient pas à se rappeler du nombre de fois où elle a failli perdre Fuya, mais elle peut se revoir la tenir fermement à bout de bras pendant qu'une fée du sang tentait de l'emporter.
Une autre a réussit à plaquer Titan au sol, creusant une alcôve parmi la foule en colère qui la voyait sans la voir et Yüljet se souvient parfaitement de ces doigts gelés en train de courir sur son crâne pendant qu'une voix rauque la menaçait de lui crever les yeux si elle ne leur laissait pas la sirène.
Elle l'avait fait. Juste le temps de tirer sa petite lame pour gratifier la fée du sang d'une balafre sur l'abdomen.
Le Milliget a survécu, Titan le sait.
Tout comme elle savait que le chaos ne prendrait fin qu'une fois hors de la neige maudite et sur le bateau qui les emmènerait vers Eel.
« J'ai réussi à atteindre le bateau, achève Yüljet, et j'ai ordonné à Purobald de partir immédiatement.
- Ils t'ont suivi ? s'enquit Fuya, ils t'ont vu partir ? »
Titan acquiesce.
Ils étaient là, tous les dix.
Une silhouette sur le ponton, d'abord, puis deux, trois, quatre… pour dix visages en train de les regarder s'éloigner sur la mer glacée.
« Nous venons de nous faire de terribles ennemis, Fuya.
- Peut-être. Mais maintenant on sait qu'ils sont impliqués dans le projet de conquête terrienne. Et on sait aussi pourquoi Sheraz veut être sauvé. »
La sirène balaye la pièce des yeux mais Fawkes et Rose échangent un regard. Le renard-garou tire finalement le carnet de Fuya de sa sacoche et s'approche du lit afin de le lui remettre :
« Pendant que t'étais inconsciente, on l'a gardé avec Rose. Même si la cheffe restait ici avec toi, on voulait pas qu'il tombe entre de mauvaises mains. T'as été suivi la dernière fois.
- Et avec les sélections qui approchent, nombreux sont les voyageurs qui traversent Albacore, ajoute Rose, il est facile de passer inaperçu pour tout le monde. »
Toujours aussi précautionneux. Les lèvres de Yüljet s'étirent en un léger sourire qui s'efface bien vite lorsqu'elle avise l'épais carnet de Fuya.
La sirène y a noté des informations cependant, ce qu'elle a vécu ne figure encore que dans sa tête.
« Est-ce que tu te sens prête à me faire ton rapport, Fuya ? »
La sirène souffle par le nez, mais hoche la tête. Ses mains graciles se crispent sur son carnet comme si elle craignait qu'il ne lui échappe et alors qu'elle ouvre la bouche, Yüljet devine sa mémoire en train d'ouvrir ses vannes pour laisser échapper les souvenirs.
Le vega 06, du mois de mimouet,
Fuya Pyle,
J'ai effectué la mission d'infiltration la plus complexe de ma carrière de traqueuse d'informations.
Le talez 26 du mois de roch, j'ai infiltré le manoir du marquis Maximilien Ville de Fer où sont logés les Milliget jusqu'à leur rencontre avec la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
Le manoir est immense et le bâtiment principal fait neuf étages.
La cheffe et Gabrielle Parceveaux ont permis mon infiltration en provoquant des émeutes et cela a fonctionné, car les gardes se sont dispersés autour du manoir, puis vers les rues en laissant l'accès à une fenêtre à découvert.
J'ai réussi à desceller un carreau et à ouvrir la fenêtre. Mon infiltration a débuté ici.
La décoration des lieux était chargée, ce qui me laissait énormément de cachettes, mais aussi de points d'observation. J'ai vu le personnel du marquis et j'ai trouvé leur comportement étrange, comme tiraillé par la peur.
Lorsque j'ai écouté les conversations, j'ai entendu que certains membres du personnel commettaient des erreurs alors que ça ne leur arrive jamais, d'habitude.
Je pensais que les serviteurs du marquis craignaient les Milliget mais en réalité je me trompais.
Une femme de chambre et son collègue ont mentionné les termes "d'anges du froid" et de "merveilles de la frontière" en parlant des Milliget quand d'autres ont été jusqu'à mentionner des fantasmes que je ne décrirai pas.
Les Milliget sont visiblement mis sur un piédestal et traités comme les figures emblématiques des Terres Gelés.
En réalité, le personnel du marquis avait peur que leur festin puisse être troublé par "le secret trahi".
Je ne savais pas ce que c'était jusqu'à ce que j'y assiste.
J'ai pu trouver la salle où le festin serait donné en l'honneur des Milliget grâce aux conversations et elle se situait au sixième étage. J'ai également appris que cet étage leur était entièrement réservé et que personne n'était autorisé à s'y rendre même quand ils étaient absents.
J'ai décidé de le fouiller avant de me cacher dans la salle du festin, mais je n'ai pas pu aller au bout de mon plan à cause de la présence de certains Milliget dans leur chambre.
Cependant, j'ai tout de même pu dénicher ma première trouvaille en surprenant un Milliget attablé à un secrétaire, en train d'écrire une lettre.
(J'ai pu obtenir les noms de tous les membres de la famille Milliget grâce au festin et noter certaines caractéristiques physiques qui permettront à mes coéquipiers de les reconnaître).
Le nom de ce Milliget est "Sira" est de ce que j'ai observé sur lui, il a un comportement étrange comparé à ses frères et sœurs.
Il semble avoir des troubles de la communication, des gestes répétitifs et pendant qu'il écrivait sa lettre, il murmurait son contenu pour lui-même, comme s'il avait des difficultés à écrire.
L'un des ses frères à fait irruption et j'ai vu Sira cacher sa lettre sous une pile de papiers.
"Shelma" de son nom.
J'ai pu observer une véritable complicité entre les membres de cette même famille. Shelma a l'air de prendre soin de Sira et Sira adore son frère.
Cependant, j'ai noté que Shelma s'adresse à Sira comme à un enfant et que sa voix est très douce lorsqu'il lui parle. Aussi, leur conversation a été très simple, et je dirai même : basique (qu'est-ce que tu fais ? C'est un très beau papier, Sira / Est-ce que tu dessines ? Tu as faim ? Le repas va être bientôt servi.)
Sira semble atteint d'un mal de l'esprit et le festin me l'a pratiquement confirmé. Cependant, je n'ai pas les capacités médicales de le diagnostiquer par observation et je sais que même les grands médecins d'Eldarya sont encore dans le flou concernant les maladies de l'esprit.
Lorsque les deux Milliget ont quitté la pièce, j'ai été lire la lettre écrite par Sira et je l'ai entièrement recopiée dans mon carnet.
Sira entretient une correspondance avec Sheraz Alfirin, mais visiblement, sa famille ne semble pas être au courant.
Après avoir observé Sira et Shelma, je me suis rendue dans la salle du festin pour m'y cacher et attendre. J'ai trouvé un point d'écoute et d'observation parfait : Le marquis a fait installer une superbe représentation de trois anciens chevaliers de Rhenia-Gaear et l'un d'entre eux avait un lourd bouclier à ses pieds. J'ai donc escaladé le piédestal de la statue pour me dissimuler derrière le bouclier et ainsi, j'ai pu noter toutes les informations entendues sur mon carnet.
Lorsque les Milliget se sont réunis, j'ai pu attraper leurs noms : il y a la mère (Delta) et ses neuf enfants. j'ai également noté les pronoms qu'ils utilisaient pour se désigner entre eux :↪ Delta (mère des Milliget, peau livide, cheveux bleus, voix modulée) *elle
↪ Shelma (voix rauque, front haut, peau nacrée, long cheveux ondulés et irisés) *il
↪ Sira (voix claire et ton monocorde, longs cheveux rose bouclés, peau nacrée et peut-être atteint d'une maladie de l'esprit). *il
↪ Candice (peau de pêche, longs cheveux châtains, raides, et semble avoir un attrait particulier pour le feu. Voix traînante). *il
↪ Asgard (peau grise et cheveux argentés relevés en chignon haut, voix claire) *elle
↪ Mirak ( peau grise et cheveux bleus avec une frange, elle porte une collier avec deux éprouvettes à son cou et elles contiennent des mèches de cheveux provenant des sujets humains encore en vie. (J'ai noté des cheveux châtains et des cheveux blonds). Voix nasillarde et tendance à parler des sujets humains comme des familiers de compagnie).*elle
↪ Izar (peau livide et cheveux blancs, voix douce et Milliget assez discrète).*elle
↪ Zosca (peau de pêche et cheveux d'un bleu glacé. À l'entendre parler, elle sait manier le scalpel et pratique des opérations sur les sujets humains. Elle a mentionné le mot "biopsie" mais je ne sais pas ce que ça veut dire). *elle
↪ Lucida (peau opaline, cheveux chatain clair ondulés et coiffés en deux couettes basses et voix cristalline) *il
↪ Jed (peau grise, cheveux blancs paré de tresses et d'accessoire, voix tranchante)
J'ai noté que tous les Milliget portaient des robes.
Leurs conversations étaient axées sur la médecine et même si je n'ai pas compris tous les termes, j'ai essayé d'en retranscrire certains phonétiquement en espérant que Ryan puisse en connaître la signification ou bien faire des recherches dessus :
trashé / valve pulmonaire / plaivre / muscles intercostaux / lobe inférieur et supérieur / bronche segmentère / veine bronchique / diaframe
Leur conversation a été interrompue par l'arrivée d'un elfe noir. Ça m'a surpris parce que le personnel du marquis avait dit que personne n'était autorisé à se rendre au sixième étage.
Pourtant, les Milliget ont accueilli l'invité de manière très chaleureuse et quand ils ont commencé à discuter, j'ai pu comprendre que l'elfe noir en question était un ancien détenu de l'Île Zéro qui a été libéré pour bonne conduite.
Le dîner avec les Milliget devait être le début de sa nouvelle vie.
L'invité s'appelait Martial et pendant la conversation, il a tenté d'en apprendre plus sur la famille Milliget qui ont religieusement répondu à ses questions.
J'ai pu apprendre que les Milliget sont des êtres hermaphrodites qui peuvent se reproduire sans partenaire. C'est apparemment un sujet qui fascine les prisonniers de l'Île Zéro car ils n'ont que ça à penser. Ils n'ont aucune occupation dans leurs cellules hormis celle de rester en vie.
Martial a évoqué toutes ces heures d'ennuie, tout ce blanc qu'on leur impose sur l'Île Zéro jusqu'à devenir fou et l'espoir qu'il a nourri pendant des années de faire partie de ces prisonniers que l'on graciait pour bonne conduite. Ça lui était finalement arrivé.
Les Milliget n'ont pas été avares en félicitations, ni en sourires et même si Martial semblait à son aise, l'atmosphère ne me plaisait pas.
Puis, est venu le sujet de l'anomalie.
Le ton de Delta a soudainement changé et elle s'est mise à parler de l'espèce des fées. Elle a dit que les fées vivaient dans les endroits les plus froids, juste derrière leur frontière et qu'étant capables de se reproduire seules, elles donnaient toujours naissance à une portée de neuf enfants.
Seulement, l'un d'entre eux était toujours une anomalie, car il naissait avec un seul organe sexuel. Cet enfant-là n'était pas destiné à vivre, mais à nourrir la fée qui se trouvait aux portes de la mort après avoir donné naissance à neuf enfants.
Mais Delta disait qu'elle n'avait jamais pu se résoudre à commettre cet acte et qu'elle avait préféré se nourrir de son vieil ocemas plutôt que de l'un de ses enfants.
Les fées appelaient le neuvième enfant, doté d'un seul sexe, "l'anomalie".
Martial semblait profondément choqué par les propos de Delta. Je pense qu'il ne savait pas vraiment pourquoi elle évoquait ce sujet avec lui, mais la réponse qui se profilait me glaçait le sang.
Une pensée traversait mon esprit mais je refusais d'y croire.
Delta a continué de parler des fées. Les Milliget dominaient leur royaume et Delta y régnait, alors elle disait qu'elle avait fini par interdire aux fées qui donnaient naissance de se nourrir de l'anomalie.
Elle a demandé à Martial s'il pouvait deviner ce qui arrivait à celles et ceux qui n'obéissaient pas à cette règle. Il a secoué la tête et c'est ici que Delta a déclaré que le dîner était terminé pour lui.
Martial a été stupéfait. Il a répondu qu'il n'avait même pas mangé et c'est ainsi que "le secret" évoqué par le personnel du marquis a pris tout son sens pour moi.
Avant de s'asseoir à la table du festin avec les Milliget, Martial ne devait jamais songer une seule seconde qu'il servirait de repas.
Je refuse de décrire en détails ce que j'ai vu par la suite. Je sais que ce n'est pas digne d'un rapport, mais je ne peux pas.
Je n'oublierai jamais les bruits que j'ai entendus.
Tout ce que je peux dire, c'est que Martial a été tué avant d'être dévoré, mais que Delta a ordonné à ses enfants de laisser le cerveau et le cœur intacts car ils seront vendus aux grands médecins de l'hôpital universitaire d'Odrialc'h qui les étudient.
Les Milliget ont terminé leur repas et ensuite, ils ont parlé d'un second invité qui n'était pas prévu dans leur programme.
J'étais tellement horrifiée par ce que je venais de voir que je n'ai pas compris tout de suite qu'ils parlaient de moi.
C'est Shelma qui m'a repéré en premier avant le début du repas et l'arrivée de Martial. Puis Delta s'est également aperçue de ma présence pendant qu'elle mangeait.
Ils auraient "senti ma peur" et je dois admettre que la scène terrifiante à laquelle j'ai assisté m'a fait perdre mes moyens.
Je vais avoir du mal à retranscrire ce que j'ai vécu et cette partie de mon rapport sera peut-être désordonnée.
Shelma est venu me déloger de ma cachette pour me traîner sur la table du festin. Candice a fait valser les restes du dernier repas pour les éparpiller au sol et j'ai compris que si je ne réussissais pas à leur échapper, je servirais de second repas.
Au départ, Shelma a cru que j'étais "le voleur de sang", mais il a fini par dire que c'était impossible car je n'avais pas la même carrure ni la même odeur que le voleur.
Je me suis débattue, mais Shelma m'a frappé au visage avec une force incroyable. Delta lui a crié de faire attention, car il ne fallait pas abîmer mon cerveau.
Aussi, Shelma a ordonné à Sira de quitter la pièce avant de commencer à m'interroger. Il voulait savoir pour qui je travaillais, les informations que je venais chercher ici et si j'étais de mèche avec les voleurs du sang.
Je n'ai pas répondu à leurs questions. Mon silence m'a coûté des coups et aucun autre sévice ne m'a été fait.
Puis, Shelma a fini par me souffler que je serai le second dîner mais que cette fois, je resterai vivante.
C'est à cet instant-là que j'ai ressenti la volonté de vivre. Je me suis débattue, j'ai luttée et j'ai essayée d'attraper ce que je pouvais pour frapper Shelma. J'ai finalement pu rouler pour tomber de la table et me précipiter hors de la pièce. Je n'avais aucune chance de survivre et je le savais.
Ma fuite m'a conduite au couloir où se trouvait Sira. Je n'avais aucun moyen de partir.
Les Milliget allaient me rattraper et me manger.
Et c'est là que j'ai vu la fenêtre. Personne ne m'a poussé, aucun Milliget ne m'y a projeté : je me suis jetée dessus de mon propre chef.
Entre être dévorée vivante et courir vers la fenêtre, j'ai préféré la seconde option même si je savais qu'il n'y avait aucune issue.
Le reste de mes souvenirs est flou et j'ai perdu connaissance peu de temps après.
Je n'ai pas trahi le cartel durant cette mission.***
Assise sur un banc de fortune, Yüljet profite du climat d'Albacore. La forêt borde le village, alors les odeurs extérieures offrent une atmosphère sereine dont elle profite.
Le rapport de Fuya fait partie de ceux qu'elle n'oubliera jamais, tout comme la lettre de Sira qu'elle a recopiée.
Elle passe une main lasse dans ses cheveux tressés et pousse un profond soupir.
Dans son esprit, elle revoit un détail. Un détail qu'elle n'a partagé avec personne.
Sira et ses boucles roses, serrant Fuya contre sa poitrine alors que Titan menaçait de le tuer s'il ne la lâchait pas.
Le Milliget a fini par le faire.
Il a eu un léger sourire puis, tout près du visage de Yüljet, il a murmuré :« Apotheosis »
***Lettre de Sira Milliget à Sheraz Alfirin,
Le talez 26, du mois de roch,
Sheraz,
J'espère que tu te portes bien.
J'ai reçu ta dernière lettre et après l'avoir lue et mémorisé les informations importantes, je l'ai détruite.
J'ai bien lu les informations que tu as trouvé et malheureusement, je pense que tes analyses sanguines sont correctes. Je n'ai décelé aucune anomalie dans les relevés que tu as recopiés et je pense que tes doutes se confirment.
Tu as bien fait de demander de l'aide et ne t'inquiète pas, j'ai bien retenu le mot de passe que tu as reçu et que tu m'as envoyé et je reconnaîtrais l'odeur de la personne qui l'a écrite si je la croisais.
Ça a été difficile car le papier a voyagé, mais j'ai réussi.
Je ne sais pas si ces personnes pourront t'aider mais il faudrait qu'elles puissent aller jusqu'à toi et ce ne sera pas facile. Même nous, nous ne nous voyons que deux fois par an.
Tu m'as demandé si maman savait pour ton secret et je ne le pense pas, car elle n'aurait jamais permis ça. Je dois avouer que je ne sais pas quoi faire, car il faudrait que je puisse présenter le papier officiel de tes analyses sanguines à maman. Si ton sang de haut-elfe est vrai (et je suis certain que c'est vrai) alors je sais que maman voudra enquêter sur les circonstances de ta naissance mais surtout de ta conception.
Tu penses que l'on a ordonné à tes parents de te concevoir afin que tu puisses servir à ouvrir un portail vers la Terre grâce à ton sang mais si c'est le cas, alors il doit exister un certificat officiel qui en attesterait. De plus, les noms de tes parents doivent certainement se trouver sur le registre des prochains départs.
Il faudrait que toi ou les personnes qui t'aident puissiez mettre la main dessus.
Si ces preuves se retrouvent entre les mains de maman, je suis sûr que l'on pourra te sortir de là et t'emmener avec nous derrière la frontière. Mais il faut des preuves, Sheraz.
Tu dis qu'il te reste encore deux ans, alors c'est possible. Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour t'aider, je te le promets.
Ton ami, Sira⁂À présent, laissez-moi vous présenter les personnages de Rose Clarimonde et de Sira Milliget, réalisés par Lethos.
Je tiens à préciser que Lethos à travaillé sur le portrait de Sira et l'a achevé en seulement deux jours, puisque le chapitre devait sortir initialement le vendredi 25 juin.
Je tiens vraiment à saluer son travail et à la remercier chaleureusement pour son talent qui donne des visages à mes personnages.
Rose ClarimondeLe Thème de Rose
Sira MilligetLe Thème de Sira
Le profil Eldarya de Lethos : ICI
L'instagram de Lethos : ICI
Le twitter de Lethos : ICI
Je vous invite à aller jeter votre oeil ! Merci encore à Lethos pour son talent !
Les choix
Yüljet et Fuya ont vécu l'enfer sur les Terres Gelées et même si elles ont pu apprendre énormément d'informations concernant les Milliget, le projet de conquête terrienne et Sheraz Alfirin, elles n'en sont pas sorties indemnes.
Elles se trouvent à présent dans le petit village d'Albacore, non loin de la cité d'Eel, avec Fawkes et Rose.
Yüljet compte entrer dans la cité d'Eel afin d'assister aux sélections en espérant en tirer quelques informations, mais il est évident que Fuya n'est plus en état de retourner en mission.
À votre avis, que faudrait-il faire vis à vis de Fuya ?
➜ La rapatrier à la cité d'Odrialc'h, auprès de Sexta. Ryan pourra l'examiner cependant et même si elle a quelques connaissances en médecine, elle n'est pas médecin.
➜ La rapatrier à la cité d'Odrialc'h auprès de Sexta qui pourra obtenir la visite d'un médecin illégal via le marché des Abysses.
➜ La garder auprès de Yüljet, Fawkes et Rose et tenter de la faire examiner par Ewelein Osgiliath, la médecin en cheffe de la cité d'Eel. Fuya devra faire extrêmement attention à ce qu'elle dira mais Titan a confiance en elle.
➜ Laisser Fuya se reposer à Albacore et se remettre de ses émotions par ses propres moyens. Ses blessures sont superficielles, après tout.Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Via la lettre que Sira a écrite à Sheraz, Yüljet, Fuya, Fawkes et Rose ont appris que Sheraz est un haut-elfe et que son existence ne servirait qu'à finir sacrifié pour l'ouverture d'un portail vers la Terre grâce à son sang.
La lettre de Sira contient énormément d'informations, mais il semblerait que le Milliget puisse être un allié potentiel.
Selon vous, vers quoi devrait s'orienter la prochaine mission ?
➜ Une recherche sur les hauts-elfes.
➜ Entrer en contact avec Sira Milliget afin de l'interroger (de gré ou de force).
➜ Trouver un moyen d'entrer en contact avec Sheraz Alfirin pour lui poser des questions sur sa condition de haut-elfe et les documents qui doivent servir de preuves, selon Sira Milliget.
➜ Si un allié potentiel se trouve dans la famille Milliget, enquêter du côté de la famille Mircalla. Peut-être qu'il y a de l'aide à trouver, ainsi que de nouvelles informations.Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Absolument !
Les éprouvettes de sang humain sont restées à Rhenia-Gaear, sous la garde de Nash et de Gabrielle. Selon vous, qu'est-ce que le cartel des Typhons devrait en faire ?
➜ Les garder sous la main pour servir de monnaie d'échange si les choses venaient à se gâter lors d'une mission.
➜ Les envoyer à Ryan, à Odrialc'h afin de les faire analyser.
➜ Les envoyer à la planque d'Odrialc'h et les confier à Sexta. Elle pourra descendre au marché des Abysses et entrer en contact avec Purral, qui pourra certainement trouver la personne adéquate pour analyser les éprouvettes au peigne fin. Cependant, cela ne sera pas gratuit.Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Pas de choix individuels pour Waïtikka, MayaShiz et ZuzoHyo pour ce chapitre mais ne vous inquiétez pas : vous vous rattraperez au chapitre suivant !
Note de l'Auteur
Note d'auteur : Bonjour à vous !
Je reviens avec un chapitre qui a connu moult péripéties IRL avant d'être sorti. Mille excuses pour mon retard mais l'important, c'est que le chapitre ait pu être publié !
Aussi, quelques mises à jours ont eu lieu dans la "Bibliothèque d'Apotheosis" :
➜ Le nouveau rapport de Fuya est disponible sur la fiche du personnage.
➜ Les fiches de Rose Clarimonde et de Sira Milliget ont été ajoutées.
Vous trouverez également sur le post de présentation, dans la catégorie "Bibliothèques", un spoiler recensant la galerie des artistes qui participent au projet "Apotheosis". Vous y trouverez toutes leurs créations ainsi que les liens menant vers leurs réseaux sociaux.
Voilà voilà ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 6 - La Cité Blanche
"Haut-elfe" / "Sang" / "Sacrifice"
Trois mots écrits sur un morceau de parchemin. Si les deux derniers peuvent s'allier pour former un tableau sordide, le premier est énigmatique.
Yüljet a relu la lettre de Sira Milliget jusqu'à la connaître par cœur. Son cerveau épuisé par l'horreur de Rhenia-Gaear a peiné à établir des connexions logiques entre les informations tracées à l'encre bleu et les questions tournent dans son esprit en attendant une conclusion intéressante.
Mais il n'y en a pas.
Alors elle continue de réfléchir.
Au-delà de ses pensées, la réalité continue de se jouer au creux de la petite planque d'Albacore. Une cuillère en bois, tenue par une Fuya éreintée, assise dans son lit, racle le fond d'un bol en terre rempli de soupe au choux ; les épaisses semelles des bottes de Fawkes frottent contre le sol poussiéreux lorsqu'il croise et décroise les jambes et le carnet de la sirène est examiné par Rose, en pleine concentration.
Le calme de la pièce pèse sur les épaules de ses occupants et même les bruits innocents ne parviennent pas à détendre l'atmosphère.
« Je ne comprends pas. »
Toutes les têtes se tournent vers le vampire. Vêtu de l'uniforme traditionnel de la Garde de l'Ombre, composé d'une tunique indigo, d'une veste et d'un pantalon noir ainsi que d'une paire de bottes, il ressemble à un bureaucrate penché sur un affaire particulièrement difficile.
C'est assez proche de la vérité.
« Il n'y a rien à comprendre dans cette lettre, de toute façon, grogne Fawkes.
- C'est justement le problème. »
Rose et son coéquipier échangent un regard entendu. Quelques heures plus tôt, le renard-garou avait également tenté de décortiquer la lettre de Sira sans parvenir à en comprendre le sens. Il avait achevé sa lecture en arguant qu'il avait eu l'impression de lire une histoire peu commune.
« Tout d'abord, reprend Fawkes, on a toujours su que les portails vers la Terre s'ouvraient grâce à du sang de dragon. C'est pour ça qu'il y en a plus.
- Et Odrialc'h détiendraient les derniers dragons pour mener son plan de conquête terrienne. C'est l'hypothèse que l'on a toujours eu. » achève Yüljet.
Le cartel des Typhons les a d'ailleurs cherchés. Dès sa formation, l'objectif était clair : empêcher la conquête terrienne et pour ce faire, il fallait trouver la clé des portails.
Titan avait gardé les yeux rivés vers la noblesse d'Eldarya en espérant intercepter le détail qui changerait tout. Mais maintenant qu'elle le tient sous la forme d'une lettre, au terme d'une mission qu'elle croyait hors de l'objectif initial, elle a l'impression de se tenir aux pieds d'une montagne bien plus haute qu'elle ne le pensait.
« Qu'est-ce qu'un "haut-elfe" ? demande-t-elle. Les Alfirin sont des elfes sylvestres et ont vécus à Lotheg avant d'arriver à Odrialc'h. Tout le monde connaît la famille Alfirin là-bas, et Fuya est déjà parti y enquêter.
- J'y ai vu l'ancienne demeure des Alfirin, reprend la sirène, et les anciens elfes sylvestres aiment beaucoup se vanter de les avoir connus avant qu'ils déménagent. Certains auteurs ont même écrit des livres sur eux et leurs ancêtres. Et je suis certaine que je n'ai jamais entendu parler de "haut-elfe" quand j'étais là-bas. »
En effet, Fuya n'avait jamais rien mentionné de tel dans ses rapports et personne n'avait jamais eu connaissance de mot. De cette espèce.
« C'est peut-être un code, songe Rose en caressant son menton avec son index, une façon de se désigner mais tout de même : mentionner le sacrifice pour le portail et l'ordre de conception reste un mystère.
- Au moins on sait quoi chercher, coupe Fawkes, et on sait pourquoi Sheraz veut être sauvé. »
Certes, mais par où commencer ?
L'horreur de Rhenia-Gaear a mené Titan et Fuya aux abords de la cité d'Eel avec des informations qu'elles avaient obtenues en frôlant la mort. Et maintenant ?
Yüljet lève ses yeux noirs pour observer la sirène. Tôt ce matin, elle avait essayé de marcher jusqu'à la rivière la plus proche pour se laver, mais même cette entreprise s'était transformée en échec.
Alors si la troll voulait organiser ses idées et tisser la suite des missions, il fallait commencer par la première.
« Tu dois voir un médecin, Fuya. »
La sirène suspend ses gestes et ouvre de grands yeux. Le bras qui tient son bol de soupe tombe sur sa cuisse de surprise alors qu'elle secoue la tête.
« Non. Je vais mieux. Si je vois un médecin, ça ne causera que des problèmes. Je vais simplement rentrer à Odrialc'h.
- Ne dis pas de bêtises, rétorque Titan d'un ton sévère, tu es passée par la fenêtre du manoir du marquis de Rhenia-Gaear, tu es tombée du sixième étage et même si tu sens mieux aujourd'hui, tu reste blessée. Alors tu dois voir quelqu'un. »
Fuya souffle par le nez. Son regard se tourne machinalement vers la petite fenêtre de la hutte qui laisse passer le jour. Yüljet la sait tendue, contrariée par ce qu'elle vient de lui dire car dans l'esprit de la sirène, si elle doit voir un médecin, elle devient un poids pour le cartel.
Elle voit sa mâchoire trembler, ses lèvres pincées et elle ne peut que se douter que Fuya veut lui dire un "non" supplémentaire.
« D'accord, tu veux que je vois un médecin, s'entête la sirène d'une voix hachée, mais comment on va faire, alors ? On va entrer à Eel ? La sélection est pour bientôt et la Capitaine va arriver… si on reste piégés dans Eel quand elle sera là, on aura l'air malins.
- C'est exactement ce que je veux. »
Le plan est déjà en marche dans sa tête.
Les yeux de Fawkes et ceux de Rose la dévisagent comme si elle venait de perdre la raison pourtant, la suite de la mission est une évidence lorsque l'on regarde les faits passés.
Yüljet pense aux éprouvettes de sang humain qu'elle enverra à Ryan avant d'entrer dans la cité blanche : si Shelma Milliget les portait sur lui, c'est qu'elles devaient être remises à quelqu'un. Et Titan pari que cette personne n'est nulle autre que la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
« Cheffe, s'alarme le renard-garou, la Capitaine va arriver à Eel dans un peu moins de deux semaines ! La cité deviendra une prison pour toi ! Contrairement à nous, elle connaît ton visage ! »
Yüljet plonge dans son regard, l'air grave. Le visage de son comparse est plus pâle que d'ordinaire et son esprit doit lui jouer la même histoire. Des faits terrifiants que des cerveaux secoués ont décidés de couper pour ne présenter que des bribes de souvenir.
Shakalogat Gra Ysul connaît Titan, c'est vrai. Elle sait à quoi elle ressemble puisque les deux femmes ennemies se sont déjà vues de très près.
Et cette scène où Yüljet et Fawkes se fixent s'est déjà jouée il y a deux ans, lorsque les barreaux d'une cellule se tenaient entre eux.
Ils attendaient un interrogatoire douloureux qui les brûleraient, couperaient, frapperaient et empliraient même leurs poumons d'eau avant de leur ôter la vie, sûrement.
C'est fini…
Non. Ça ne fait que commencer.
« La mégère ne nous aura jamais, affirme Yüljet d'un ton serein, jamais. »
Mais Fawkes ne paraît pas convaincu. Pourtant, Titan doit aller jusqu'au bout de sa pensée et de sa mission. Elle est persuadée que la Capitaine détient un morceau important du puzzle qu'ils ont commencé à dresser et s'ils décident tous de rester en retrait après Rhenia-Gaear, alors le sauvetage de Sheraz et les réponses dont ils ont besoin seront perdues.
« Les sélections nous donnent un avantage non négligeable, reprend Titan, car elles vont attirer énormément de monde. La foule est toujours une cachette idéale et il est bien entendu hors de question de faire face à la Capitaine.
- C'est vrai que depuis que je suis arrivé, il y a pas mal de bateaux de tous horizons qui viennent déposer des gens pour assister aux sélections. Mais le Quartier Général d'Eel a justement renforcé la sécurité et ils font des contrôles d'identité rien qu'aux portes de la cité.
- Alors nous n'utiliseront pas les portes. »
Le renard-garou plisse les yeux, dubitatif.
Comme toutes les grandes cités d'Eldarya, Eel possède des murs, des douanes et des guetteurs. De plus, elle est située sur une falaise et le seul village dans sa périphérie est celui où ils se tiennent actuellement, dans la petite hutte.
« Nous utiliserons le port. »
Yüljet peut voir Rose hocher la tête, signe qu'il commence à comprendre son plan. Plan qui ne pourra pas être réalisé sans son aide.
« En payant un passeur assez cher, je suppose qu'il pourrait tous nous faire accéder au port du Prisme via le circuit du tap.
- Mais pourquoi le port ? Moi et Rose on peut très bien entrer et sortir de la cité par les égouts grâce au purrekos. Pourquoi on irait pas par là ?
- Parce que Fuya doit voir un médecin. »
En effet, les purrekos possèdent leur propre petit commerce à Eel et ont la mainmise sur le marché noir de la cité, comme partout. Et le seul accès vers l'extérieur, à l'insu de la douane et des guetteurs, ne peut être emprunté sans s'acquitter d'un paiement.
Mais pour que Fuya puisse avoir accès à un médecin de la cité d'Eel, elle doit pouvoir entrer de manière légale. Elle ne sera pas seule.
« Rose, à quel moment doit arriver le prochain bateau d'Odrialc'h ? demande Titan.
- En début d'après-midi. »
Alors cela leur laisse largement le temps de se préparer et de mettre leur plan au point. Grâce à lui, Fuya et Fawkes pourront entrer dans la cité d'Eel de manière légale, sous leurs fausses identités, et ainsi acquérir un passe temporaire qui leur permettra d'assister aux sélections, mais aussi de visiter le Quartier Général en tant que touristes.
Yüljet, quant à elle, se contentera d'infiltrer Eel sans s'approcher de cet endroit.
« Fuya, au sein de la cité d'Eel tu seras "Ellen Price" et Fawkes, tu seras "Jens Red". Vous emporterez vos faux papiers d'identité et lorsque nous serons au port du Prisme, vous devrez vous mêler aux gens qui quitteront le bateau en provenance d'Odrialc'h. Là, vous présenterez vos papiers aux gardes civils pour obtenir vos passes temporaires et vous demanderez à voir un médecin. Quand tu seras guérie, Fuya, nous pourrons parler de la suite. »
Elle voit la sirène secouer la tête avec une moue contrite. Elle n'est pas d'accord. Elle n'est pas d'accord avec les risques encourus pour qu'elle puisse être soignée et elle aurait certainement préférée rentrer à Odrialc'h pour être auprès de Sexta.
Mais Titan a déjà pris sa décision.
« Je suis d'accord avec le plan, approuve Fawkes, et ce que je ferai, c'est que je demanderai à voir Ewelein Osgiliath. »
Fuya laisse échapper un sifflement choqué. Elle ouvre de grands yeux bleus et regarde le renard-garou comme s'il venait de déclarer son allégeance à la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
« La médecin en cheffe du Quartier Général ? s'exclame la sirène. Entrer dans la cité d'Eel sous une fausse identité est déjà risqué mais c’est pire encore de se faire examiner par Ewelein Osgiliath !
- C'est pas plus risqué que de s'infiltrer dans un manoir pour espionner dix fées voraces avec des trompes et se jeter par la fenêtre pour leur échapper ! » s'énerve Fawkes.
Fuya se tait, interdite.
Le silence de la hutte n'est troublé que par la respiration agacée de Fuya et le soupir du renard-garou.
Finalement, un raclement de chaise sonne les préparatifs du départ alors que Yüljet se lève afin de mettre un point final à la discorde. Elle peut comprendre le point de vue de la sirène, mais elle ne peut pas l'approuver.
« Fawkes a parfaitement résumé ma pensée, explique Titan, je sais que tu as l'impression que la mission actuelle ne sera accomplie que pour toi et tu as en partie raison. Mais il serait insensé de te renvoyer à Odrialc'h dans ton état. Tu es passée à travers une fenêtre, Fuya, tu as subi un traumatisme alors tu dois voir un médecin. »
Silence. Fuya se mord la lèvre et après quelques secondes, elle répond d'une petite voix :
« Et si tu te fais prendre par la Capitaine parce que tu m'as envoyée voir un médecin ?
- Si je me fais prendre par la Capitaine, ce sera de ma faute et non de la tienne.»
La sirène baisse la tête, à présent muette.
Yüljet lui somme de commencer à s'habiller et demande à Fawkes de changer de vêtements également, car il n'est plus question d'infiltration pour eux, mais de se mêler à la masse de touristes venus d'Odrialc'h.
Pour expliquer l'état de Fuya, le renard-garou devra se faire passer pour un ouvrier dans le bâtiment qui travaille sur un chantier de la plus grande cité d'Eldarya. La sirène lui aurait rendu visite, quitte à monter sur un échafaudage pour le rejoindre, mais avant que "Jens Red" n'ait pu arrêter "Ellen Price", elle chutait déjà pour tomber sur une plaque en verre.
Malheureusement, à Odrialc'h, les populations les plus pauvres ne peuvent pas se faire examiner par de véritables médecins, puisque ces derniers sont bien trop chers. Cependant, elles peuvent se rendre à l'hôpital universitaire afin de se faire examiner par des étudiants en médecine.
Ellen Price et Jens Red s'étaient donc rendus en ces lieux, pour finalement décider de voguer vers Eel, là où l'accès aux soins était moins cher, afin d'avoir un second avis.
Le meilleur scénario qu'ils avaient pu bâtir et qu'ils avaient répété encore et encore, pendant que le passeur les emmenait entre les murs de la cité blanche, via le circuit du tap.
Le voyage est pourtant court, bien loin des jours glacés que Fuya et Yüljet avaient pu passer sur un bateau en direction de Rhenia-Gaear. Mais Titan devine que la sirène craint qu'Eel puisse devenir la prochaine prison de sa cheffe.
Et la prison se rapproche, se rapproche, apporte son lot de clameur et de ville en fête pour des sélections qui ont le pouvoir d'apporter les pas d'une légende sur les sols de la cité blanche.
Fawkes aurait préféré passer par les égouts, c'est vrai, mais son autre chemin est déjà à quai et il ne lui reste plus qu'à l'emprunter pour se mêler à la foule.
Le petit bateau du passeur n'est qu'un minuscule poisson parmi les grands prédateurs accostés à un port de galets blancs.
Le navire d'Odrialc'h, les bateaux marchands, le prestigieux voilier de la famille Mircalla…
Leur présence est une véritable aubaine pour le passeur, qui se glisse entre leurs coques afin d'atteindre le point d'arrivée, déjà pourvu d'une passerelle.
Maintenant, la phase la plus délicate de la mission peut commencer : se hisser sur le bateau.
Yüljet lève la tête en suivant la coque en bois massif, jusqu'à apercevoir les voiles de leur point de destination. Derrière elle, Fawkes prépare la corde épaisse avec le grappin qu'ils ont emporté pendant que Rose aide Fuya à se mettre debout. La sirène est pâle, fatiguée et même le petit trajet d'infiltration semble la vider de son énergie.
Son teint jure avec ses cheveux pastels, rassemblé en une queue de cheval, et ses atours d'un vert de jade.
Le grappin est lancé. Il s'agrippe au bastingage et le renard-garou tire dessus à plusieurs reprises pour s'assurer du bon accrochage et lorsqu'il est fin prêt, il se tourne vers Fuya en hochant la tête.
Fawkes s'accroupit pendant que Fuya grimpe sur son dos et entoure sa poitrine de ses bras.
Non loin d'eux, Rose se saisit de deux sacs besaces contenant quelques affaires censées être emportées à la hâte, avant de les passer sur les épaules de son binôme.
Il peut faire son ascension, à présent.
Depuis la barque du passeur, Yüljet et le vampire regardent leurs comparses en train de s'élever. Fawkes prend appuie sur la coque du bateau avec ses pieds, ses mains protégées par des gants serrant fermement la corde pendant que Fuya s'agrippe aussi fort qu'elle le peut.
Les appuis sont presque inexistants alors, à chaque fois que les semelles du renard-garou glissent, Titan et Rose serrent les dents.
Du côté de la passerelle, la troll devine le flux de touristes devenir de plus en plus faible, alors elle prit pour que ses acolytes puissent atteindre le sommet.
Et ils y arrivent.
Yüljet peut voir Fawkes atteindre le bastingage et l'enjamber avec précaution, avant de poser les pieds sur le pont du bateau, puis de s'accroupir pour faire descendre Fuya.
Lorsque le renard-garou retourne auprès de la barrière pour lever les bras et former un cercle, Rose lui répond en levant le pouce avant de diriger son doigt vers son œil droit.
« Que signifie ce geste ? murmure Titan.
- Que je garderai un oeil sur eux quoi qu'il arrive. En modifiant la liste des passagers du bateau d'Odrialc'h, par exemple.»
Puis, Rose se tourne vers sa cheffe et ajoute en croisant les bras sur sa poitrine.
« Tu devrais emprunter les égouts pour entrer dans la cité. Ce serait plus simple pour toi, plutôt que de te hisser à l'extrémité du port. Quelqu'un pourrait te voir. »
Le vampire a raison. Ce serait plus sage. Mais Yüljet tient absolument à observer l'entrée de Fuya et Fawkes ou plutôt : d'Ellen et de Jens.
« Les gardes civils sont occupés et je veux observer Fawkes et Fuya. Je veux voir s'ils réussissent à passer les contrôles et si Fuya va être prise en charge. Ensuite, je me fondrai dans la foule et je m'éloignerai du port etsurtout du Quartier Général. »
Rose hoche la tête. Titan ne changera pas d'avis alors, refusant de perdre du temps, elle ordonne au passeur de la mener le plus loin possible de la garde civile et ils se détachent du navire d'Odrialc'h pour voguer vers la lisière du port du Prisme.
Yüljet aperçoit les barreaux d'une petite échelle fixée à la structure portuaire, et un rapide coup d'œil lui indique que pour le moment, aucune âme ne rôde dans les parages.
Sans perdre une seconde, elle effectue sa propre ascension sur le sol de la cité blanche, qui deviendra sa prison pour les prochaines semaines.
Resté auprès du passeur, Rose lui adresse le même signe qu'à son binôme. Il l'aura également à l'œil.
Titan sait qu'il préfère passer par les égouts plutôt que de prendre le risque d'être vu en sa compagnie. Plus on évite les questions sur sa personne, mieux c'est.
Elle le regarde s'éloigner, puis embrasse l'immensité du port du Prisme, à la recherche de Fawkes et de Fuya.
Bien moins grand que celui d'Odrialc'h, il apparaît pourtant moins austère et plus agréable à regarder. Le blanc omniprésent d'Eel apporte énormément de lumière à la cité et s'harmonise à merveille avec l'océan qui lui sert d'écrin.
La seule ressemblance avec Odrialc'h, c'est sa foule qui s'est déplacée pour voir leur sainte Capitaine et Titan s'y mêle en attrapant leur navire de ses yeux noir.
Elle retrouve la passerelle et à son extrémité se tient un renard-garou en train de soutenir une sirène en passant un bras autour de son épaule.
Pas de gardes civils aux alentours et en les observant, Yüljet remarque les parchemins qu'ils tiennent dans leurs mains. Ils ont réussi à passer le contrôle et c'est un soulagement.
« Mademoiselle Price, Monsieur Red. » les interpelle une voix chaleureuse.
Se dirigeant vers ces derniers, un renard-garou fend la foule de touristes, ses bottes blanches claquant sur les pavés. Ses oreilles et ses cheveux flamboyants contrastent avec les chevelures foncées des personnes qui encombrent son chemin, et son veston azurin, ainsi que sa surveste en voile de coton l'accordent à merveille avec le tableau du port d'Eel.
Le renard-garou parvient jusqu'à Fawkes et Fuya. Il s'incline quelque peu, puis se présente :
« Bienvenus à la cité d'Eel. Je m'appelle Lilymoe et je suis l'assistant du docteur Ewelein Osgiliath. Un garde civil m'a fait part de l'état de mademoiselle Price et je suis venus vous conduire jusqu'à l'hôpital du Quartier Général où elle sera examinée par la docteur Ewelein Osgiliath. »
Yüljet voit Fawkes hocher la tête et Fuya adresser un faible sourire à leur interlocuteur. Puis, le renard-garou raffermit sa prise sur l'épaule de la sirène et demande.
« Est-ce qu'elle pourrait s'asseoir ? Le voyage a été très fatiguant pour elle.
- Bien sûr ! affirme Lilymoe, un étudiant va bientôt arriver avec une chaise roulante. Ainsi, mademoiselle Price pourra être conduite à l'hôpital sans encombre. »
Fawkes le remercie. De là où elle se trouve, Titan peut noter la différence flagrante qui les caractérisent, lui et l'assistant du docteur Osgiliath.
Que ce soit leurs cheveux ou bien leurs attributs animaux, le roux est plus foncé chez l'un et plus clair chez l'autre. Comme terni chez Fawkes et éclatant chez Lilymoe.
« Le garde civil m'a indiqué que mademoiselle avait consulté l'hôpital d'Odrialc'h. Est-ce que vous avez pensé à apporter le compte rendu de l'étudiant en médecine qui vous a reçu ?
- Non, répond faiblement Fuya, nous sommes partis précipitamment parce que je souhaitais un second avis et j'ai oublié de l'emmener.
- C'est regrettable, et ce n'est pas prudent d'avoir voyagé dans votre état, mademoiselle. »
La sirène fait la moue et Fawkes arbore une expression embarassée. Yüljet peut presque deviner les mots qui tournent dans leurs tête : S'il savait….
Un mouvement parmi la foule attire l'attention de Titan et plus loin, une personne se fraye un chemin grâce à la chaise roulante qu'elle est en train de pousser.
La peau d'un bleu glacé, de longs cheveux bouclés, nacrés, rassemblés en une queue de cheval haute qui lui dégage le visage ainsi que ses oreilles membraneuses, un jeune morgan rejoint Lilymoe pour s'incliner à son tour, face aux nouveaux arrivants.
La chaise roulante qu'il a apportée ressemble à n'importe quelle chaise ordinaire, pourvues de roulettes sous chaque pied.
« Merci, Helouri.» lui adresse Lilymoe avant d'aider Fuya à s'installer.
Machinalement, l'assistant du docteur Osgiliath a voulu pousser la sirène afin de la conduire jusqu'à l'hôpital, mais une main s'est posée également sur le dossier de la chaise, près de la sienne.
« Je vais le faire, assure Fawkes, c'est de ma faute si elle est blessée. »
Lilymoe reste quelques instants silencieux, probablement incertain, puis répond d'une voix douce.
« C'était un accident, monsieur Red. »
Fuya lève la tête pour les observer alors que le jeune morgan se tient à l'écart. Elle esquisse un léger sourire et lance d'une voix fatiguée.
« C'est arrivé parce que j'ai été voir un type louche sur son chantier.
- Ah oui ? grommele Fawkes, et à quoi ça ressemble "un type louche" ?
- À toi. »
Le renard-garou pique un fard alors que la sirène arbore un sourire plus large et Lilymoe laisse échapper un rire poli.
Yüljet les regarde s'en aller, soulagée de savoir Fuya entre de bonnes mains et se retourne, prête à quitter le port.
Plutôt que les grandes avenues, les petites rues de la cité d'Eel l'appellent et tracent des chemins qui l'éloigneront de l'imposant bâtiment du Quartier Général.La Cité Blanche
Hors du port du Prisme, les habitations d'Eel forment un joli paysage avec leurs murs d'albâtre et leurs toits colorés. La cité clame son amour pour l'océan qui l'entoure à chaque coin de rue, que ce soit les plages peintes sur certaines architectures, ou bien les coquillages décorant les portails de quelques habitations.
La cité blanche est une ville paisible. Contrairement à Odrialc'h, l'atmosphère qu'elle génère n'a rien d'oppressant et même la foule brassée par les grandes places plus loin, offre un tableau joyeux.
Eel est peut-être l'endroit rêvé pour couler des jours paisibles à vivre de la pêche ou bien de la cueillette, tout en profitant de l'air salin et de la protection offerte par le Quartier Général.
Yüljet lève la tête pour en observer l'énorme bâtiment semblable à une tour. Elle surplombe la cité et elle sait que derrière elle, se trouvent les terrains réservés aux habitations des gardiens œuvrant pour les Gardes Absynthe, Obsidienne et de l'Ombre, ainsi que l'hôpital.
Eel est d'ailleurs connue pour son génie à la tête de la Garde Absynthe. Tout d'abord parce qu'il est originaire de Lotheg, comme les Alfirin mais aussi parce que son objectif principal est celui de parvenir à fertiliser les sols d'Eldarya.
On le dit détestable, hautain et intraitable avec ses recrues pourtant, Titan le respecte pour son travail.
Les pas de Yüljet l'ont mené vers un autre visage de la cité. Comme toutes les grandes villes, Eel possède ses bas-quartiers et ces derniers ont l'aspect d'un refuge sans harmonie aux maisons clairsemées.
Autrefois, cet endroit avait servi d'asile pour les familles rescapées des anciennes guerres entre les Côtes de Jade, les Îles du Qi et la Triade d'Ohm pour leur réunification sous le joug d'un seul et même roi qui voulait imposer sa domination.
Guerres qui ont pris fin lorsqu'Odrialc'h s'en était mêlé, avec sa merveilleuse Capitaine, seulement âgée d'une vingtaine d'années.
À présent, le refuge d'Eel n'est qu'un quartier où vivent les personnes les plus pauvres et Titan parie fortement qu'à la tombée de la nuit, le tap et l'argent filent entre toutes les mains.
Loin des belles habitations peintes aux couleurs du sable et de l'océan, des portails sertis de coquillages, les maisons du refuge sont vieilles, ternes, sales, avec du linge misérable en train de sécher à l'extérieur sur un fil de fortune. Yüljet ignore si les personnes qui vont et viennent ont connu les anciennes guerres ou bien sont fils et filles de réfugiés, mais leurs visages fermés traduisent la même résignation que les pauvres d'Odrialc'h.
De plus, les lèvres de certains sont noires comme du charbon.
Titan louvoie entre les habitations, traversant les lieux en jetant des regards froids aux importuns qui la dévisagent d'un air menaçant. Nombreuses sont les personnes qui sont rassemblées en petits groupes autour d'une marmite de soupe bouillante, ou bien d'une bouilloire abîmée. Les effluves emplissent le refuge et les petites étincelles de joie, ici, restent les enfants en train de jouer avec des cerceaux, sans se préoccuper de leur place dans la société d'Eel.
Après la traversée de l'endroit, se balader dans des jardins stylisés à la végétation merveilleuse est comme une bouffée d'oxygène. Yüljet ne songe qu'à trouver un banc, un siège ou même le rebord d'un muret pour s'asseoir.
Lorsque l'immense kiosque lui apparaît, avec son carrefour de chemin vers moults endroits silencieux, elle réalise qu'elle n'avait pas visité la cité blanche depuis longtemps et encore moins son parc de la Fontaine.
Elle a toujours songé qu'Eel vouait un véritable culte à l'eau sous toutes ses formes, et que le bruit des vagues ainsi que le clapotis des cascades limpides, sont deux voix différentes que l'on peut entendre au sein de la cité.
La nouvelle de prison de Titan est attrayante, même si le danger se montrera bientôt.
Yüljet ne décèle aucune autre âme que la sienne au sein du parc alors, seule avec elle-même, elle va quérir le rebord d'un bassin pour s'y laisser tomber. Elle pousse un long soupir.
"Haut-elfe" / "Sang" / "Sacrifice"
Et ensuite ? Que peut-elle trouver à Eel ? Que peut-elle obtenir en bravant le monstre de la Capitaine que chaque cellule de son corps exècre ?
Elle l'ignore, mais elle trouvera.
Pour le moment, elle doit se faire oublier dans sa prison et survivre aux sélections sans jamais se confronter au visage de la mégère, mais aussi l'utiliser à son avantage car comme Rhenia-Gaear, Eel doit certainement savoir dissimuler ses propres indices.
Chose évidente pour une cité amie d'Odrialc'h.
Mais pour le moment, Titan doit trouver un endroit où dormir. Ensuite, elle poursuivra sa mission.Quelle bénédiction, pour cette salle d'interrogatoire, que d'y voir la sainte Capitaine d'Odrialc'h. Les bourreaux doivent être ravis, d'ailleurs. Et mes blessures aussi.Les Choix
Yüljet, Fuya et Fawkes sont entrés dans la cité d'Eel et doivent y rester jusqu'au départ de la Capitaine d'Odrialc'h. Si Fawkes et Fuya ont pu entrer de manière légale sous une fausse identité, ce n'est pas le cas pour Yüljet qui s'est mise elle-même en prison.
Durant les prochaines semaines, elle va tâcher d'enquêter sur les "hauts-elfes" et suivre les sélections de près afin de pouvoir obtenir tout indice intéressant pour le sauvetage de Sheraz et sa condition de "haut-elfe".
Chaque étape compte, même la plus anodine. La première est de lui trouver un lieu pour dormir.
D'après vous, où devrait-elle dormir ?
➜ Dans l'auberge la moins chère d'Eel.
➜ Au sein d'une famille d'Eel qui s'est portée volontaire pour louer une chambre aux touristes venus pour la sélection. (Les familles qui se sont portées volontaires sont :
La famille Ael Diskaret (un membre de cette famille est un garde civil)
La famille Astorg (un membre de cette famille est le secrétaire général de la Garde Étincelante)
La famille Égée (un membre de cette famille est le bras droit de Miiko Yamamura)
La famille Chrysomallos (un membre de cette famille travaille en tant que second de cuisine au réfectoire du Quartier Général)
➜ À la belle étoile dans un endroit calme comme le parc de la Fontaine ou le Cerisier Centenaire.
➜ Dans la planque d'Albacore, en prenant le risque d'aller et de venir tous les soirs via le trajet des égouts. Elle devra payer son droit de passage aux purrekos.
Uniquement pour Waïtikka : Fawkes est entré légalement dans la cité d'Eel sous l'identité de "Jens Red" et a accompagné Fuya à l'hôpital du Quartier Général. Fuya est en consultation pendant qu'il a dû remplir les formalités administrative. Il est fin prêt pour rejoindre la sirène et en savoir plus sur son état, mais malheureusement, le secrétaire lui a mal indiqué le chemin.
Dans quelle pièce doit-il entrer ?
➜ La salle des prélèvements sanguins.
➜ Le bureau des infirmiers.
➜ Le bureau des pharmaciens.
➜ Le secrétariat médical du docteur Osgiliath
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :[/b] Lilymoe a assisté Ewelein pendant la consultation de "Ellen Price". Il doit maintenant rédiger le compte-rendu de ladite consultation et vaquer à ses autres occupations. Mais par quoi doit-il commencer ?
➜ Superviser Helouri dans les tâches que lui a confiées Ewelein pour vérifier qu'il n'y a pas d'erreurs.
➜ Se rendre à la pharmacie de l'hôpital pour faire l'inventaire des médicaments.
➜ Distribuer les ordonnances aux patients rétablis qui devront quitter l'hôpital à l'aube.
➜ Se rendre au service pédiatrique, qui est souvent débordé et en sous-effectif, pour apporter son aide aux secrétaires ou aux aides-soignants.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Aujourd'hui, June a mangé en compagnie du père d'Helouri, Joseph, car le jeune morgan a dû aller aider l'assistant du docteur Ewelein Osgiliath. Pendant le déjeuner, Joseph et June ont parlé des sélections, et le père d'Helouri lui a posé une question qui est celle-ci :
Et si tu es finalement sélectionnée pour ta jeunesse et ton manque d'expérience, qu'ils voudront combler avec leurs propres règles, est-ce que tu iras jusqu'au bout de ton entreprise, June ?
Quelle est la réponse de June ?
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Me revoici avec un chapitre assez dense et plus long que les autres. J'avoue qu'il contient pas mal d'informations, mais j'espère tout de même qu'il vous plaira et qu'il ne vous provoquera pas une migraine. ^^'
Alors alors, pour réagir au post de Waïtikka concernant le vote des autres lecteurs pour vos personnages. Je comprends tout à fait ta demande et que l'on ne puisse pas être sur tous les fronts, mais comme le dit Kikidamours : la limite de temps fait partie du jeu.
Toi, ZuzoHyo et MayaShiz avec un personnage présent dans Apotheosis et la contrepartie d'une certaine manière, c'est d'avoir un peu plus de travail que les autres puisque hormis les choix principaux, vous avez également ceux concernant vos personnages.
L'évolution de vos personnages dépendent de ces choix et de ce fait, le but du jeu c'est de faire évoluer vos personnages selon vos souhaits. Passer la main aux autres lecteurs qui ne connaissent pas vos personnages aussi bien que vous, ce n'est pas possible.
De plus et hormis les votes de type A/B/C, vous devrez parfois rédiger une réponse complète comme tu l'as fait avec Fawkes, Waïtikka et aussi comme l'a fait MayaShiz ou même remplir un formulaire comme l'a fait MayaShiz aussi. Et ça, c'est impossible de demander aux autres lecteurs de le faire.
C'est pourquoi vous continuerez vos petits devoirs avec les choix personnels de vos personnages et si parfois, il vous est impossible de voter ou bien si vous avez un oubli, eh bien vous laisserez faire le destin du générateur.
Un petit peu comme dans la vie IRL où on a pas toujours le choix. B)
N'hésitez pas à consulter la date exacte de la fin des clôtures de votes, qui est présente sur le post de présentation, mais aussi sur tous mes posts de réponses, si vous avez un doute.
Sur ce, bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 7 - Monsieur Bec
Les murs poussent comme des pierres tombales qui s'élèvent violemment du sol, les couloirs se creusent, se multiplient et les torches projettent leur lumière macabre.
Quelque part là-haut, parmi les démons, quelqu'un doit rire de son labyrinthe infernal.
Plus vivant, plus sournois, l'édifice immense est une entité qui change et qui se moque de ses prisonniers. Combien sont-ils en train de courir pour leur vie en espérant trouver une sortie qui n'existe pas ?
Leur fuite est une mascarade qui amuse des spectateurs tapis dans l'ombre et cela, Yüljet le sait.
Tout autour d'elle, des râles fusent comme des avertissements. Les monstres guettent, chassent et jouent à leur jeu sordide parce qu'ils adorent se donner en spectacle. Il y a, parmi leur public, des personnes assez tordues pour les admirer.
Les paris ont déjà été pris. Qui, des monstres ou des prisonniers, survivra ? Qui mourra le premier ?
Yüljet est en train de courir dans le dédale, déterminée à protéger sa vie. Pourtant, sa raison a déjà admis sa défaite : on ne peut pas s'échapper.
Ses pieds meurtris filent sur la pierre râpeuse et ses vêtements sales flottent autour de sa silhouette massive. Ses yeux fous balayent le décor de ténèbres alors que son cœur manque de s'arrêter lorsqu'elle avise le cul-de-sac qui lui fait face.
C'est fini…
Elle se retourne brusquement quand un râle se rapproche et plus loin, la lueur d'une torche vacille sur une main squelettique. Puis sur le visage du monstre.
Les yeux de Yüljet s'agrandissent pendant que son corps se met déjà à trembler : peau racornie, pas de nez, deux fentes creusées à même la chair pour imiter des yeux, une bouche infinie dont on a oublié les lèvres et des dents pointues.
La voix de cette chose est une tempête qui clame "Je vais te tuer puis te laisser pourrir ! Je vais te tuer puis te laisser pourrir ! Ensuite…"
Un sourire dément a barré le visage du monstre. Il s'est dressé face à Yüljet, ses bras rachitiques et démesurés plaqués contre les parois du couloir et ses haillons rapiécés pendouillant sur son corps filiforme comme des rideaux sur leurs tringles.
Plus haut, les démons encouragent leur candidat favori. Les fous applaudissent et la chose s'élance, résolue à transformer le spectacle en attraction macabre.
Le réveil est brutal. Un sursaut la tire d'un souvenir qui a pris les traits d'un cauchemar, et son cœur s'affole pendant que ses yeux tentent de reconstituer le paysage.
Enfin, Titan parvient à reprendre contact avec la réalité. Ses sens captent les clapotis du Parc de la Fontaine, les couleurs vives des bassins et cette odeur saline caractéristique de la cité d'Eel. Sa peau a aussi retrouvé la chaleur du soleil.
Sa respiration erratique peine à retrouver un rythme normal et Yüljet est obligée d'ouvrir la bouche afin d'aspirer de grandes goulées d'air. Elle sent les bribes de son cauchemar lui tourner autour alors, avec des gestes vifs, elle s'empresse de quitter le petit muret sur lequel elle s'était assoupie pour plonger ses mains dans l'eau fraîche des bassins.
Lorsque son visage se retrouve arrosé, les images morbides, les odeurs putrides et les sons terrifiants disparaissent. Elle s'affaisse en fermant les yeux.
Yüljet n'avait cherché qu'un petit instant de sérénité dans cet endroit qu'elle trouvait agréable à regarder. Le son de l'eau qui coule a toujours été apaisant à ses oreilles et dans une autre vie, lorsqu'il pleuvait, elle aimait faire la sieste.
Mais ici, la fatigue des derniers évènements l'a emporté dans une ronde d'images qu'elle aimerait museler dans sa mémoire. Museler, mais ne jamais oublier.
La troll se redresse. Elle gonfle ses poumons, puis expire en imaginant évacuer toute la crasse de ses cauchemars et lorsqu'ils sont enfin loin, elle peut se permettre de penser à autre chose.
Elle lève les yeux vers le ciel pour en aviser la couleur : le bleu domine encore, mais le vent frais annonce le déclin du jour. Elle s'est assoupie trop longtemps.
Titan secoue la tête et quitte les lieux. Elle reprend mentalement le fil de ses pensées et aux frissons qui la parcourent, à sa gorge sèche, à la faim qui commence à se manifester, elle songe qu'il est temps de se trouver un endroit où dormir.
Face à elle, le kiosque se dessine avec son architecture digne de la cité d'Eel. Tout en finesse, tout en ornements et détails ciselés avec un toit qui ressemble à une fleur géante.
On se trouve bien loin de l'atmosphère étouffante d'Odrialc'h, même si pour Yüljet, cette cité reste synonyme de "refuge".
« Ainsi, vous ne cèderez pas ? »
Titan se recule machinalement vers l'arche fleurie qui marque l'entrée du Parc de la Fontaine.
Une voix grave, calme et amicale s'est élevée. Quelques secondes filent et deux silhouettes apparaissent, revenant sans doute de la grande porte.
L'une est facilement reconnaissable, de par la stature de son corps hâlé, ses cheveux blancs qui encadrent son visage anguleux ainsi que sa tenue composée de pièces de cuir et d'orichalque.
Un présent rapporté d'Odrialc'h. Yüljet plisse ses yeux noirs.
Valkyon Batatume, le Chef de la Garde Obsidienne qui incarne la force tranquille au sein du Quartier Général. Comme presque tout ce qui caractérise la cité d'Eel, il n'est qu'un élément arraché à Odrialc'h pour venir parfaire une Garde dont il a pris le commandement.
Si la Capitaine est une menace pour Titan, Valkyon en est une autre, parce qu'il a servi le prédécesseur de la sainte Shakalogat Gra Ysul.
L'armure qui compose la tenue du Chef de la Garde Obsidienne lui a appartenu et c'est là le plus beau cadeau qu'un ancien soldat d'Odrialc'h a pu recevoir.
« Je suis vraiment navré, mais comme vous le savez, je n'aspire qu'à une vie paisible. Je laisse le commandement à ceux qui sont fait pour commander et l'enseignement aux jeunes recrues à ceux qui sont fait pour enseigner. »
Un doux sourire se peint sur le visage de Valkyon Batatume alors qu'il croise les bras sur son torse puissant.
Son interlocuteur est un elfe noir. Plus petit, la peau anthracite, une masse épaisse de cheveux noirs ondulant sur ses épaules, un regard opaque et aimable, un grand arc sur l'épaule avec un carquois sur le dos.
Sa tunique d'un bleu d'azur s'accorde à merveille avec le ciel d'Eel, comme si son propriétaire avait choisi de renier la neige éternelle de ses terres natales. Sa voix est chaude, charmante et bienveillante.
« Je pense, et j'ai toujours pensé, que vous avez les compétences nécessaires pour commander et enseigner, répond Valkyon, car vous êtes bien assez pédagogue pour former des recrues et de futurs archers. Seulement, je comprends que vous tenez à votre métier de guetteur même si j'ai tendance à croire que vous vous lasserez du paysage. »
L'elfe noir joint les mains derrière son dos. À l'image du Chef de la Garde Obsidienne, il dégage une paix royale et ses paroles lui ressemblent.
« Jamais. Tous les jours, je vois le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie. Lorsque je ne vois rien d'autre venir, bien entendu.
- Ce conte terrien a décidément marqué votre esprit, Balam. »
Valkyon administre une tape amicale sur l'épaule de son congénère. Yüljet le voit secouer la tête, comme si cette scène s'était déjà répétée encore et encore, peu importe le nombre de fois où il s'est acharné pour convaincre le dénommé Balam de bien vouloir commander et enseigner.
Ce dernier, l'air penaud, porte une main machinale à la corde de son arc :
« C'est vrai. Merci à nos linguistes de l'avoir rendu accessible. Mais ce que je tiens à dire encore une fois, Chef Batatume, c'est que je n'aspire pas à être le commandant que vous souhaitez. Devenir chef-instructeur est une voie que je ne veux pas emprunter car pour moi, s'élever socialement, c'est renoncer à la tranquillité d'une vie simple. »
Titan réprime un sifflement dédaigneux. Comme il a raison, comme il a tort… la vie paisible que décrit Balam se situe dans l'œil d'une tempête qui fait rage au sein de chaque cité d'Eldarya : la noblesse et la pauvreté.
Les riches vivent dans le chaos et les pauvres aussi. Seuls ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre peuvent prétendre à la tranquillité.
Visiblement, ce guetteur n'a fait que guetter et peut-être que la petite vie qu'il chérit ne tourne qu'autour du soleil qui poudroie et de l'herbe qui verdoie.
« C'est pourquoi j'aime converser avec vous, affirme Valkyon, les sélections ont beau être sur toutes les lèvres, elles ne sont pas sur les vôtres. »
Balam reste un instant silencieux. Le ciel d'Eel poursuit son déclin et s'est enflammé pour marquer la course du soleil en train de s'endormir. Les traits de son visage s'affaissent alors qu'il répond d'une voix lointaine :
« J'y pense d'une certaine manière. Je pense surtout à ceux qui risquent de nous quitter pour vivre à Odrialc'h et même si trois jours de voyage nous séparent de cette cité, les choses seront différentes.
- Vous craignez que Joseph Ael Diskaret soit sélectionné, n'est-ce pas ? »
Yüljet plisse les yeux. Joseph Ael Diskaret. Un morgan d'une cinquantaine d'années à la garde civile que Fawkes avait mentionné dans son rapport sur les candidats à la sélection.
« À vrai dire, je crois que tous les habitants d'Eel craignent que Joseph ne soit sélectionné, ajoute le Chef de la Garde Obsidienne, et je le crains également pour tout avouer. Joseph est un excellent élément, c'est vrai, mais il est également devenu un ami.
- Le départ de votre ami est cher payé pour entretenir de bonnes relations avec la cité d'Odrialc'h. » souffle Balam.
L'atmosphère semble se modifier comme si cette simple phrase avait transformé la paix en doute. Titan peut voir Valkyon Batatume tressaillir et elle est presque certaine qu'il a poussé un léger soupir.
La conversation si paisible du début penche vers des propos houleux et le visage de l'elfe noir n'exprime que du regret.
« Nous sommes tous attristés par cette perspective, mais Joseph s'est présenté aux sélections de son plein gré, répond Valkyon, tout comme les autres candidats. Et rien n'est encore joué.
- En effet, vous avez raison. Peut-être serons-nous surpris. Peut-être que c'est June qui remportera la sélection, après tout. »
Balam éclate d'un rire très doux, les mains sur les hanches. Il semble avoir retrouvé de sa lumière et son Chef de Garde le fixe avec une expression presque attendrie. Valkyon secoue la tête, faisant mine d'être consterné alors que son esprit lui montre peut-être l'image de cette "June" qui a daigné se présenter aux sélections.
June Albalefko, une salamandre de vingt-quatre ans mais également la candidate la plus jeune.
« Chef Batatume, demande Balam, la Capitaine risque de vous poser des questions sur la candidature de June, n'est-ce pas ? »
Valkyon fixe un point invisible sur le garde-corps du kiosque central. À l'approche des sélections, la tête du Chef de la Garde Obsidienne doit être remplie de soucis mais au léger sourire qu'il arbore, celui de June ne doit pas vraiment en être un.
« J'espère que Shakalogat ne sera pas trop dure avec elle, déclare-t-il d'un ton plus bas.
- C'est toujours étonnant de vous entendre appeler la Capitaine par son prénom. »
Pas vraiment. Pour Yüljet, ça a toujours été une évidence et c'est ce qui rend la force tranquille de la Garde Obsidienne si menaçante à ses yeux : son service militaire dans le corps armé d'Odrialc'h, auprès de la mégère lorsqu'elle n'était pas encore Capitaine et ce, sous les ordres de Kriya Gro Zarak, l'ancien propriétaire des pièces d'orichalque portées par Valkyon.
Ce dernier et Shakalogat Gra Ysul sont amis de longue date, ce n'est un secret pour personne et cela fait partie de la raison pour laquelle Eel et Odrialc'h entretiennent de si bonnes relations. La mégère a beau être plus jeune que lui, elle a succédé à Kriya pendant que Valkyon avait été envoyé à la cité blanche pour prendre le commandement de la Garde Obsidienne. Histoire d'ajouter une petite pincée d'Odrialc'h à une Eel déjà à ses pieds.
« Et je ne devrais pas la nommer ainsi devant autrui, avoue Valkyon, c'est vrai. »
Balam lui répond qu'il ne s'en formalise pas beaucoup puis, plissant ses yeux blancs, il demande avec un sourire chafouin :
« Lorsque June se présentera à l'entretien public, est-ce que vous pensez que la Capitaine lui fera le coup du… »
Il écarte les bras et hausse les épaules, les sourcils hauts sur son front anthracite. Son Chef de Garde comprend l'allusion et pouffe quelque peu. Néanmoins, la sentence tombe :
« C'en est même certain. Mais pour une recrue de la Garde Obsidienne qui a soif d'expériences, je pense qu'un entretien public avec la Capitaine du corps armée d'Odrialc'h ne peut que la combler. »
Sans surprises, d'ailleurs. Pour Yüljet, les sélections ne sont qu'un spectacle donné sur une scène de théâtre.
Quel intérêt de rendre les entretiens des candidats publics, si ce n'est divertir les spectateurs qui feront tourner les paris sur leur participant favori ?
Cent pièces d'or, si cette June parvient à être selectionnée… deux-cents pièces d'or sur Joseph Ael Diskaret, car c'est une valeure sûre.
De toute façon, la foule ne sera ici que pour contempler la mégère et ensuite, se vanter de l'avoir vu de près.
Valkyon Batatume et son comparse daignent enfin quitter le kiosque central pour poursuivre leur conversation sur le port. D'après le Chef de la Garde Obsidienne, l'elfe noir lui doit une bière bien fraîche et par bonheur, être guetteur de la cité d'Eel donne accès à de très bons tickets pour avoir de la nourriture et des boissons.
Les habitants du refuge quant à eux, ne peuvent certainement que rêver de boire une bonne bière bien fraîche.
Yüljet quitte de nouveau le Parc de la Fontaine. Le danger s'étant écarté, elle peut reprendre son plan initial : trouver un endroit où dormir. Sa première pensée vogue vers les auberges de la cité.
Si elle se rend au centre-ville, elle trouvera sûrement une auberge mal famée qui se fiche des passes temporaires et même au milieu des poivrots de la cité d'Eel, elle sera toujours mieux qu'à la belle étoile.
Titan se met en route. Lorsqu'elle traverse le refuge, elle peut voir que certains de ses habitants se sont réunis autour d'une bouilloire abîmée, ou bien d'une marmite difforme.
Son passage est ponctué de coups d'oeils suspicieux mais manifestement, il a été décidé qu'elle ne représentait aucune menace imminente pour les activités douteuses qui peuvent se dérouler en ces lieux.
Par bonheur, les jolies maisons peintes et leurs portails parés de coquillages viennent marquer l'entrée du centre-ville et l'atmosphère devient plus légère. Cependant, Yüljet ne baisse pas sa garde.
Si elle a pu éviter de justesse une rencontre maladroite avec le Chef de la Garde Obsidienne, qui peut prédire qu'elle ne tombera pas sur le Chef de la Garde Absynthe, ou bien celui de la Garde de l'Ombre ?
Ou pire encore.
Les ruelles la conduisent jusqu'à une grande place qui s'annonce avec des bruits de clameurs. Aucun doute que les tavernes doivent profiter des sélections en gagnant plus d'or qu'elles ne peuvent en rêver, grâce aux touristes d'Odrialc'h.
Au moins, elles ne trouveront pas de mal à payer la vilaine taxe imposée par le gouvernement de la plus grande cité d'Eldarya, sur les produits importés de la Terre. Produits rationnés et vendus à prix onéreux, bien entendu.
Ses semelles épaisses foulant les pavés blancs, Yüljet observe les alentours. Ses yeux noirs parcourent les enseignes mais visiblement, le quartier où elle se trouve est encore trop bien fréquenté pour sa sécurité.
Tant pis. Il lui faudrait rebrousser chemin et tenter d'autres ruelles, jusqu'à trouver son bonheur dans la crasse et l'alcool…
Soudain, elle remarque un grand panneau d'affichage qui trône à côté de ses congénères, occupés à indiquer les directions du port, des grandes portes ainsi que du quartier général.
À en juger par la façon dont il a été installé - façonné à la va-vite avec un bois qui jure bien trop vis à vis du blanc environnant - son utilité prendra fin avec les sélections.
Yüljet s'approche, intriguée, et grâce aux petites flammes vacillantes des réverbères alentours, elle attrape les mots placardés en grands caractères :Chers amis d'Odrialc'h, soyez les bienvenus à la cité d'Eel !
Nos auberges et nos tavernes sont ravis de vous accueillir !
Cependant, pour celles et ceux qui souhaitent vivre les sélections auprès de nos citoyens, sachez que plusieurs familles de notre belle cité vous ouvrent les portes de leurs foyers !
Pour plus d'informations, merci de consulter la liste ci-dessous et de vous adresser à l'office du tourisme (Quartier Général, second étage, porte D) pour vous inscrire et être mis en relation avec votre nouvel hôte.
Benozen tiv honk keladenk !*
*[/*b] "Merci pour votre visite" en langue orc
Des chambres chez les habitants d'Eel ? Chose intéressante. Seulement, le côté administratif vient lui barrer la route car selon les informations qu'elle lit, il faut s'inscrire. Et pour s'inscrire, il faut fournir un passe temporaire.
Néanmoins, elle s'intéresse aux noms figurant sur la liste :La famille Ael Diskaret ( Demander Joseph Ael Diskaret)
La famille Astorg ( Demander Keroshane Astorg)
La famille Égée ( Demander Ykhar Égée)
La famille Chrysomallos (Demander Twylda Chrysomallos)
Le nom d'"Ael Diskaret" revient encore.
Yüljet connait Keroshane Astorg et Ykhar Égée. L'un est le secrétaire général de la Garde Étincelante et s'est même payé le luxe de pouvoir faire de hautes études en compagnie des érudits de Rhenia-Gaear.
Seulement, Titan est surprise qu'il n'ait pas abandonné face à la pression implacable de ces vieux professeurs et enseignants, connaissant le caractère fragile de ce gratte-papier.
Il n'est pas une menace, mais Yüljet n'a pas encore perdu la raison pour oser se présenter face à un membre de la Garde Étincelante sous un faux nom, en espérant que les lunettes ou la mémoire de ce dernier le trahisse.
Quant à l'autre, il s'agit du bras droit de Miiko Yamamura. Enfin, seulement en apparence : tout le monde sait que le véritable bras droit n'est nul autre que le dernier lorialet qui a survécu au massacre de son village, et qui a été adopté par un Grand Juge d'Odrialc'h.
Leiftan Tuarran, affectueusement surnommé par Sexta "le minaloo d'Odrialc'h".
Néanmoins et malgré tout le mépris qu'elle lui porte, la vampire a tout de même été capable de reconnaître qu'il n'a pas volé sa place à la Garde Étincelante.
Toujours est-il que cette pauvre Ykhar s'est vue éloignée de la politique d'Eel lorsqu'il est arrivé et qu'à présent, elle a obtenu le rôle d'ambassadrice de la cité blanche et se voit régulièrement envoyée aux quatre coins du monde.
Pourtant, Yüljet est certaine que malgré tous ses voyages, elle n'a probablement jamais vu une fée de près.
Ykhar ne la reconnaîtrait probablement pas, mais il est hors de question de prendre des risques et d'entrer en contact avec un membre de l'Étincelante.
Quant à la famille Chrysomallos, Titan ne les connaît pas.
« Je pensais pas te trouver ici. »
Yüljet a un sursaut. Elle se retourne avec des gestes vifs, ses yeux d'onyx confrontant l'importun venu lui adresser la parole.
Mais son esprit reconnaît la voix rocailleuse de Fawkes.
Le renard-garou se tient là, près du panneau d'affichage, les mains enfoncées dans les poches du vieux pantalon d'ouvrier qu'il a enfilé le matin même, afin de parfaire son personnage de Jens Red.
Fawkes a les traits tirés, ses cheveux roux hirsutes auréolant son visage au hâle léger pour embrasser son front et ses tempes. Sa queue duveteuse se balance paresseusement, comme pour rythmer les pensées qui doivent tourner dans son cerveau fatigué.
« Tu n'es pas resté à l'hôpital ? demande Yüljet avec intérêt.
- J'avais besoin d'air. Fuya dort depuis le milieu de l'après-midi et moi, j'ai le temps avant de passer une nuit blanche sur leur fauteuil inconfortable. »
Titan esquisse un léger sourire. Elle s'empresse de demander des nouvelles de la sirène et quand elle voit Fawkes hausser les épaules en poussant un soupir, ses oreilles animales tressautant, elle s'imagine le pire :
« Elle va se faire opérer à l'aube, cheffe. Rien de bien grave, d'après la docteur, mais ils veulent regarder si des minuscules bouts de verre se sont pas glissés dans les branchies. Heureusement qu'elle se transforme plus, sinon ça aurait pu être un problème. Aussi, la docteur Osgiliath a dit qu'elle avait une déchirure musculaire intercostale. Pour ça qu'elle avait mal quand elle voulait se laver. Fuya a dit que c'était peut-être quand elle avait essayé de se rattraper à l'échafaudage avant de continuer à tomber mais… »
Fawkes lui lance un regard lourd de sens et Titan hoche la tête. Elle revoit les Milliget jouer avec Fuya en la manipulant comme une poupée de chiffon et elle fulmine contre ces créatures à trompes, aussi voraces que des goules affamées.
Elle s'affaisse quelque peu et jette un regard aux touristes qui se promènent près des enseignes et flânent auprès des petits étals extérieurs, ouverts plus tard pour l'occasion.
« C'est rassurant, déclare Yüljet, l'enregistrement administratif à l'hôpital s'est bien passé ?
- Rien à signaler, grommelle Fawkes, sauf le gamin qui a apporté la chaise, avec la peau bleue… il nous a filé un bon fou rire avec Fuya quand il nous a demandé si on était mariés. C'est pas méchant, il faisait juste son boulot, il était venu nous enregistrer, mais… tu sais bien. »
Oui, elle savait. Fuya disait que les membres du cartel, pour elle, c'étaient les frères et sœurs qu'elle avait choisie. Sans compter Sexta qu'elle considérait comme sa figure maternelle.
La cohésion familiale au sein du cartel des Typhons était si forte qu'il s'agissait sans doute de la raison pour laquelle aucun couple ne s'était jamais formé.
Yüljet se souvient particulièrement de l'arrivée de Fawkes, il y a deux ans. Plus taciturne, plus solitaire, moins enclin à faire confiance à autrui, si bien qu'il n'avait pas prononcé un seul mot pendant plusieurs jours. Et quand enfin ce fut le cas, Sexta l'avait gentiment gratifié d'un "Tiens ? Ça parle ?".
« Il a piqué un fard, le morgan, poursuit Fawkes, mais je l'ai rattrapé et on a été faire l'enregistrement au secrétariat médical. Bon, par contre après j'ai eu du mal à retrouver la chambre de Fuya. C'est vachement grand. Je me suis dit qu'avec un peu de chance, j'allais tomber sur l'assistant de la docteur, mais je l'ai même pas vu. Puis j'ai atterri dans le bureau des pharmaciens. »
Le renard-garou passe une main embarrassée dans ses cheveux fauves en grimaçant.
« Un aide-soignant a cru que j'étais en train de voler des médicaments, bougonna-t-il, mais il a fini par comprendre que je m'étais perdu et il m'a raccompagné. »
Titan secoue la tête. Mais au moins, Fuya a pu être prise en charge et Fawkes peut circuler librement dans la cité, avec son passe temporaire.
Aussi, elle sait que Rose garde un œil sur eux alors jusqu'à l'arrivée de la mégère, ils peuvent tenir.
« Tu cherches un endroit où dormir ? » reprend Fawkes en regardant le panneau d'affichage.
Certes, mais il y a peu de chances que ce soit chez l'une de ces familles. Les formalités administratives sont trop strictes et contrairement à ses comparses, Yüljet ne peut s'enregistrer nulle part.
« Dans une auberge discrète que je vais finir par trouver, répond-t-elle, je lisais simplement les noms de ces généreux citoyens prêts à accueillir un touriste de leur cité amie. »
Soudain, Fawkes pose un doigt sur le nom "Chrysomallos". Son front se plisse alors qu'il affirme avec intérêt :
« Je les connais. La mère est commis de cuisine au réfectoire du Quartier Général. Ça m'est déjà arrivé de la croiser quand j'attendais Rose au marché pour faire un rapport.
- Tu as déjà discuté avec elle ? » demande Titan d'une voix songeuse.
Le renard-garou hausse brièvement les épaules.
« Pas directement, mais j'ai toujours laissé traîner une oreille, comme d'habitude. Je sais qu'elle vit seule avec son gamin de neuf ans et qu'elle travaille à mi-temps parce qu'elle a un truc au coeur. Ils vivent pas loin du refuge. »
Si elle veut synthétiser la liste du panneau d'affichage, Yüljet dirait que cette femme et son enfant sont les personnes les moins dangereuses et les moins susceptible d'avoir entendu parler du cartel.
Elle croise les bras sur son torse massif et souffle par le nez.
« Eh bien je crois qu'il ne me reste plus qu'à trouver Rose demain et espérer qu'il puisse me fabriquer un faux passe…
- Pourquoi t'as pas vu ça avec lui aujourd'hui ? questionne Fawkes, surpris.
- Parce que j'étais préoccupé par votre entreprise et que je n'y ai pas pensé. »
Elle se masse la tempe en fermant les yeux. C'est la stricte vérité et même si elle aurait dû ajouter ce détail à sa liste mentale, il lui a échappé.
Tant pis pour elle.
« De toute façon, Fawkes, moins on voit mon visage : mieux c'est.
- C'est vrai, mais t'auras toujours l'air moins suspecte à dormir chez l'habitant qu'au fond d'une taverne miteuse. »
Ce qui n'est pas faux aussi. Mais on verrait ça demain avec Rose.
Même si Yüljet parvient à entrer en possession d'un passe, elle ne s'approchera jamais du Quartier Général et restera dans l'ombre, à tendre l'oreille et à guetter le moindre indice.
Sauf si elle trouve une autre solution.
« Tu dis qu'ils vivent près du refuge, non ? Dis-moi à quoi la mère et son enfant ressemblent. Plutôt que de prendre le risque de falsifier un passe, je vais tenter de louer la chambre. »***
Une bouilloire se met à siffler. Une femme somme l'un de ses frères de la sortir du feu et Yüljet ignore combien de tisanes aux orties ont été bues.
Adossée contre le mur qui sépare le refuge du kiosque central, Yüljet guette l'allée principale. De là où elle est, elle peut garder un œil sur les portails des jolies petites demeures bordant la grande rue, et lorsque deux silhouettes se montreront, elle ira à leur rencontre.
Fawkes les a décrits comme deux brownies aux cornes et aux oreilles de béliers, avec des cheveux blonds.
Le petit garçon de neuf ans a pour habitude d'attendre sa mère non loin du Quartier Général pour rentrer avec elle. Titan a prévu de les approcher lorsque Twylda Chrysomallos déverrouillera le portail de sa maison et ensuite, il ne lui restera plus qu'à négocier avec elle.
Chose aisée en pensée, mais plus ardue dans la réalité.
La nuit est tombée depuis un peu plus d'une heure, à présent. Yüljet sent la fatigue peser sur ses épaules comme un fardeau invisible et son corps n'aspire qu'à manger, à boire et à dormir.
Enveloppée dans son large manteau couleur sauge, elle sent la petite brise fraîche fourvoyer le tissu pour mordre sa peau. Mais elle sait aussi que les frissons qui courent sur son corps sont la réponse à l'appel d'un lit qui ne vient pas.
Soudain, une petite voix se fait entendre dans le décor. C'est un écho d'enfant qui se rapproche un petit peu plus à chaque pas et pour Titan, c'est enfin l'espoir d'apercevoir les deux âmes tant attendues. Elle fixe l'allée comme si un esprit allait y apparaître, mais bien loin d'un spectre, la frêle silhouette d'un enfant se montre, accompagnée d'une femme vêtue d'une robe beige.
Ils sont exactement comme Fawkes le lui a décrit : des cornes enroulées sur elles-mêmes, des oreilles animales et des cheveux d'un blond clair.
Twylda Chrysomallos marche avec lenteur, une main machinale portée à sa poitrine, pendant que son fils trottine à ses côtés. Elle porte un petit sac de tissus en bandoulière et Titan pari qu'il est rempli de nourriture.
Quand Twylda s'arrête devant un portail en bois et commence à en chercher la clé, Yüljet s'avance.
C'est le garçon qui l'aperçoit en premier. Ses yeux d'ambre s'agrandissent de stupeur et d'instinct, il se rapproche de sa mère en attrapant le tissu ample de sa tenue.
Ses boucles blondes encadrent son visage rond et ses cornes disparaissent presque dans ses cheveux.
Ressentant le trouble de son fils, Twylda se retourne, l'air méfiant. La mère et le garçon ont les mêmes yeux.
Yüljet s'arrête à distance. Elle sait que dans la pénombre, la silhouette massive d'une troll a plus des airs de menace que de sécurité alors, d'un ton paisible, elle entame la conversation :
« Madame Chrysomallos, amorce-t-elle en guise de bonsoir, je suis venu assister aux sélections et j'ai vu votre nom sur le panneau d'affichage, au centre-ville. Je voudrais vous louer une chambre, si vous ne logez personne. »
Twylda semble se détendre. Ses épaules s'affaissent et une moue soulagée se peint sur son visage pâle. Elle adresse un sourire poli à Titan, avant de répondre d'un ton maladroit :
« Je vois… mais il faut s'adresser à l'office du tourisme. C'est avec eux qu'il faut faire les papiers et ensuite, vous pourrez vous installer. Reven…
- Quarante pièces d'or par jour pour la location de la chambre. Je partirai après les sélections. Je me lèverai tôt le matin et ne rentrerai que tard le soir. Votre tranquillité ne sera pas troublée. »
Pour appuyer ses propos, Yüljet tire une petite bourse en peau de la poche de son manteau et fait tinter les pièces. Une ombre passe sur le visage de la brownie alors que le puzzle de la situation prend forme.
Poussant son fils vers le portail avec douceur, elle s'approche de Titan pour la fixer d'un air suspicieux. La troll sait déjà ce qu'elle va lui dire.
"Je ne veux pas d'ennuis"
Mais elle sait aussi que Twylda a besoin d'argent, car un traitement pour un cœur malade, quel qu'il soit, est coûteux. C'est une situation facile où les deux parties possèdent des arguments intéressants.
« Écoutez, souffle la brownie, je ne veux pas d'ennuis. Je ne sais pas si vous avez un passe temporaire, ni ce que vous voulez réellement faire à Eel. Mais j'ai un enfant et je ne veux pas loger une inconnue qui veut me payer une chambre avec de l'argent douteux.
- Et moi, je ne veux pas vous causer d'ennuis. Je veux simplement assister aux sélections et avoir un lit pour dormir. Je mangerai même à l'extérieur. Et qu'importe d'où vient l'argent que je vous propose, sa valeur ne changera pas lorsque vous ferez des achats. »
Quand Twylda jette plusieurs regards à la bourse en peau, Titan sait qu'elle a déjà gagné.
Il n'y a pas eu de menaces dans le discours de la troll, mais seulement des propositions.
Yüljet daignera manger dans les auberges, même si leurs repas sont onéreux. C'est un sacrifice qu'elle peut faire pour rassurer sa future hôte.
Elle tend sa petite sacoche emplie de pièces d'or à la brownie, puis déclare avec sérénité :
« Prenez-le. C'est pour cette nuit. Je vais me chercher à manger à l'auberge la plus proche et tout ce que je vous demanderai en rentrant, c'est un lit. »
Twylda se mord la lèvre puis, après de longues secondes, elle ferme les yeux et Titan sait qu'elle abdique. Elle doit vraiment avoir besoin de cet argent.
Elle s'en empare avec lenteur et dans ses gestes, Yüljet devine qu'elle hésite encore.
« Bien, je vais préparer votre chambre. » renonce-t-elle d'une petite voix.
C'est parfait.
Le toit de Titan est assuré pendant la durée des sélections et c'est tout ce dont elle a besoin. Elle sait que Twylda Chrysomallos se fera du souci quant à sa présence, alors elle tiendra sa promesse et restera à l'extérieur durant la journée.
Tournant les talons, Yüljet part en quête d'eau et de nourriture, malgré la promesse d'un lit qui l'attire.
Son regard onyx est à l'affût de la moindre lumière qui serait annonciatrice d'une auberge et son nez se met en quête des odeurs alléchantes.
Manger, boire et dormir. C'est tout ce qu'elle veut.
Finalement, son souhait est exaucé quand elle entend de bruyants éclats de voix. Au sein de la ruelle qu'elle arpente, une enseigne se balance paresseusement au bout de sa potence, malmenée par un vent salin. Des senteurs de viandes, de sauces et de légumes se diffusent via la lourde porte restée ouverte, invitant les promeneurs à entrer pour se restaurer.
En jetant son œil, Titan peut aviser le monde qui se tient là. Beaucoup d'orcs d'Odrialc'h, mais aussi quelques gardiens à en juger les uniformes.
Au rouge qui teinte leurs joues et à la sueur qui perle sur leurs fronts, l'alcool leur est monté à la tête et leurs bouches s'ouvrent grands pour laisser échapper des rires bien gras.
Ils ne font même pas attention à la troll qui louvoie entre leurs corps chauds pour accéder au comptoir et, enfin, se commander à manger et à boire.
Le gérant propose des cuisses de poulet avec des noix et même si c'est cher payé, Yüljet les emporte. Alors qu'elle donne les trois pièces d'or demandées, elle se sent observée.
Elle se retourne, balayant le décor de l'auberge avec méfiance, mais tous les esprits sont trop embrumés par l'alcool pour s'attarder sur elle.
Puis, elle attrape le coupable qui se tient dehors, son petit corps à moitié dissimulé par l'encadrure de la porte. Titan réprime un soupir.
Elle attrape sa nourriture, disposée dans une écuelle en bois, ainsi que son pichet d'eau puis se dirige vers l'extérieur.
Le gamin est là, tapis derrière le tonneau disposé près de l'entrée, elle le sait. Yüljet fait mine de ne pas le voir et prend place sur l'un des petits tabourets mis à la disposition des clients. Son repas à la main, elle commence à manger, savourant la nourriture tant attendue.
Les secondes passent, mais l'espion ne semble pas vouloir sortir de sa cachette.
« Je pense que ta mère ne serait pas très heureuse de te savoir ici. » lance Titan.
Pris sur le fait, l'enfant se montre enfin Contrairement à l'air farouche de Twylda, le garçon arbore une expression curieuse, presque avide de découvrir l'étrangère venue s'installer chez eux pendant les sélections.
Ses yeux et ses cheveux solaires étincellent sous la lumière des lampadaires et ses lèvres sont serrées, comme s'il hésitait à dire quelque chose. Yüljet est certaine qu'il doit se demander à quelle sauce il va être mangé. Mais elle ne compte pas lui donner d'indices.
La troll continue d'engloutir sa cuisse de poulet.
« Qu'est-ce que t'es comme espèce ? » demande enfin l'enfant d'une petite voix.
Titan lève les yeux au ciel. La dernière chose dont elle a envie, en cet instant, c'est de répondre aux multiples questions d'un gamin trop curieux.
Elle espère que son mutisme le lassera rapidement mais malheureusement, elle ne sera pas gagnante.
« Parce que, reprend l'enfant en s'approchant avec précaution, tu es quand même grande. Mais pas trop non plus… Tu as des oreilles pointues, mais tu ne ressembles pas à une elfe et puis… tu as les dents pointues aussi, mais pas comme les orcs… qu'est-ce que tu es ? »
Silence. L'enfant lève son petit visage vers elle. Il cligne des yeux à plusieurs reprises, attendant une réponse qui ne vient pas mais loin d'abandonner, il ajoute avec fierté :
« Moi, je suis un brownie bélier ! Et maman aussi ! »
Yüljet le regarde écarter les bras, comme s'il se présentait à un public imaginaire et un sourire ravi fend sa figure.
Titan souffle par le nez. C'est à son tour d'abdiquer.
« J'ai vu. » se contente-t-elle de répondre.
Le garçon met les mains derrière son dos, bienheureux d'avoir enfin capté l'attention de l'étrangère puis, se dandinant d'un pied sur l'autre, il répète sa question.
« Troll.» cède Yüljet en continuant de manger.
Son aveux semble satisfaire son interlocuteur dont le visage retrouve de sa lumière. Le petit garçon trottine vers un tabouret qu'il tire pour prendre place face à Titan puis, sans se défaire de son sourire, il se lance dans une conversation dont les réponses laconiques ne le découragent pas :
« Tu n'es pas d'ici du tout ?
- Non.
- Tu connais quand même, Eel ?
- Oui.
- Tu viens voir les sélections ?
- Oui.
- Moi j'ai jamais vu la Capitaine Shakalogat. J'ai hâte de la voir ! Tu l'as déjà vu, toi ?
- Oui.
- Oh… est-ce que je t'ai déjà dit mon nom ?
- Non. »
Confus, l'enfant papillonne du regard, avant de toussoter dans sa main. Il redresse le buste et tente de se présenter en bonne et dûe forme :
« Je m'appelle Mery. Mery Chrysomallos. Plus tard, je veux écrire des livres. »
Yüljet le fixe avec curiosité. Elle s'était attendue à ce qu'il lui dise vouloir devenir soldat pour servir Shakalogat Gra Ysul, mais elle s'est trompée. Le jeune Mery veut devenir écrivain, donc.
« Je veux voyager partout dans Eldarya, reprend-t-il, comme ça j'écrirai plein d'histoires !
- C'est bien. »
Il se tortille sur lui-même et plonge dans ses réflexions. Titan le laisse faire, savourant cet instant de calme qui est le bienvenu. Peut-être espérait-il obtenir des questions de sa part, mais la troll n'aspire qu'à la paix et ensuite, au sommeil.
Le tissu bleu qui tranche son vêtement beige en deux s'harmonise à merveille avec ses cheveux solaire. Il ressemble à un petit jour en pleine nuit et son visage est bien plus radieux que celui de sa mère fatiguée.
Yüljet doute qu'il puisse lui raconter des histoires comme il le voudrait. Et à ses yeux qui brillent, elle sent qu'il brûle de dire quelque chose, mais qu'il n'ose pas.
Elle souffle par le nez.
« Tu as une histoire à raconter, c'est ça ? »
Le soleil éclate.
Mery hoche furtivement la tête, absolument ravi qu'on lui donne enfin sa chance et il remue tant que le tabouret commence à se balancer dangereusement.
Ses bras s'agitent et tel un conteur professionnel, il prend la peine de respirer et de se calmer afin de relater la meilleure histoire du monde. Il se penche vers Titan pour souffler en une confidence :
« Je ne l'ai pas inventée. Ça m'est vraiment arrivé il y a deux ans. Mais personne ne me croit. »
La troll se contente d'acquiescer tout en plongeant la main dans son écuelle de noix. Qu'est-ce que Mery va bien pouvoir lui raconter qui lui vaille la peine de ne pas être cru ?
Ses yeux d'ambre sont déterminés et quand il ouvre la bouche pour parler, Titan peut presque sentir le frisson qui l'anime, tant il s'apprête à vivre son histoire…
… Il y a longtemps. Deux ans, en réalité. J'étais parti chercher des baies dans la forêt.
Maman était encore au travail et je savais que je n'avais pas le droit de quitter la cité tout seul, et que les guetteurs me rattraperaient et me sermonneraient.
Mais je tenais à ces baies, parce que je pensais qu'elles pourraient guérir mon familier qui était malade. Ce que je ne savais pas, c'était qu'il souffrait de la maladie de "la fin de l'aventure" et qu'il n'existait pas de remède.
C'est ce que m'avait expliqué Viktor.
Je suis quand même parti malgré le soleil en train de s'endormir et je croyais que je n'aurais pas peur du noir.
La forêt était froide et silencieuse, mais je continuais de marcher en observant chaque buisson que je croisais sur mon chemin. Malheureusement, les baies que j'étais venu chercher se trouvaient bien plus profondément dans la forêt. Je devais me dépêcher.
Plus j'avançais et plus je commençais à avoir peur.
J'imaginais que le roi de la forêt me trouverait pour m'emmener, que le roi des rivières me trouverait pour m'emmener et que même le roi de la nuit serait capable de venir me chercher.
Tu sais, ils me diraient quelque chose comme "Hé, pauvre enfant ! Prends cette pomme empoisonnée, bois cette eau empoisonnée, enfile ces chaussettes empoisonnées !".
C'est effrayant, tu ne penses pas ?
Alors je me suis mis à courir. Je ne voyais même plus le ciel parce que les arbres avaient les cheveux trop longs. Ce n'était pas malin.
En plus, ils essayaient de m'attraper avec leurs branches griffues et plusieurs fois, je suis tombé sur des orties. Mes genoux me grattaient et me piquaient, mais puisque j'étais en si bon chemin, je ne pouvais pas faire demi-tour.
Et enfin, j'ai vu ce que j'étais venu chercher ! Face à moi, il y avait un grand, grand, grand buisson plein de baies toute bleue ! Les baies du ciel, qu'elles s'appelaient. Et j'ai levé la main pour en attraper.
Quand soudain, j'ai entendu un bruit. Un grand bruit comme un coup de tonnerre.
J'ai eu très peur pourtant, quand j'ai regardé autour de moi, il n'y avait rien. En réalité, c'était de l'autre côté du buisson.
Plus bas, il y avait comme une petite grotte de feuilles et de branches et si je me glissais dedans, je pourrais y voir ce qui avait fait ce bruit-là. C'est ce que j'ai fait.
Je suis entré dans la grotte et là… là… j'ai vu…
… Un humain.
« Quoi ? »
Titan s'est figée. L'histoire ressemble à n'importe quel conte pour enfant mais la chute la tire hors de la somnolence.
Mery la fixe avec intensité, s'attendant certainement à savoir si cette fois, il serait crut. Yüljet se penche vers lui pour chuchoter.
« Tu as vu un humain, il y a deux ans ?
- J'ai vu un humain pour de vrai, lui souffle-t-il, et je peux même te dire à quoi il ressemble. Je m'en souviens parce qu'il a les mêmes cheveux que moi. »
Il est sérieux. Sa bouille enfantine s'est crispée et ses yeux mettent la troll au défi de le traiter de menteur.
J'ai vu un humain il y a deux ans. C'est vrai ! Je m'en souviens parce qu'il a les mêmes cheveux que moi !
Sauf que les siens, il étaient plus longs et plus lisses.
Je ne sais toujours pas ce qui a fait le bruit, mais l'humain était là. Enfin : "elle" en réalité.
C'était une femme et elle était allongée par terre. Je croyais qu'elle dormait.
J'ai eu peur. Très peur, mais j'ai continué à regarder et elle a fini par bouger.
Un bras, au début. Elle tremblait, et puis elle a levé la tête. Je me suis demandé si elle aurait les mêmes yeux que moi aussi, mais je ne crois pas. Je n'ai pas très bien vu parce que j'étais un petit peu loin, mais je me souviens très bien que ses yeux, à elle, étaient plus froids que les miens.
Elle avait une drôle de tête. Je crois qu'elle souffrait mais je n'en suis pas sûr. Ce que je veux dire, c'est qu'elle faisait la grimace à chaque fois qu'elle bougeait.
Ce qui m'a fait drôle, c'étaient ses vêtements : ils étaient bizarres. Surtout son manteau rouge.
Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas si je devais aller la voir et lui parler. Si je devais la ramener à Eel avec moi.
Je crois que ça n'aurait pas du tout plu à maman, ni même aux guetteurs. Et puis, je ne savais même pas comment elle était arrivée là.
Qu'est-ce que tout le monde aurait fait d'elle, tu crois ?
De toute façon, je n'ai pas eu le temps de me décider. Parce que la chose la plus horrible que je n'ai jamais vu est arrivée.
Mery s'arrête un instant. Son petit visage se tord en une grimace qui exprime la peur qu'un souvenir est en train de lui montrer.
Il secoue la tête, et reprend :
Je ne sais pas ce que c'est. Alors moi je les appelle, les "Monsieur Bec".
Ce sont de grands oiseaux avec des mains, des yeux qui ne bougent pas et de longs, longs becs.
Quand je les ai vus, ils étaient trois. Il y en avait deux en noir, et un en blanc. Ils sont sortis de nulle part, comme s'ils savaient que l'humaine allait arriver. Je suis sûr qu'ils le savaient.
Et après…
Des "Monsieur Bec" ? Titan ne parvient pas à se les représenter mentalement.
Mais ce dont elle est sûre à présent, c'est que le petit Mery ne souhaitait pas raconter cette histoire pour briller à ses yeux. Non.
Il avait simplement besoin de raconter cet événement qui devait le hanter depuis deux ans à quelqu'un.
Une étrangère qui ne le connaît pas et qui pourrait peut-être le croire.
Elle le regarde renifler discrètement et ses yeux solaires se mettent à briller.
« Et ensuite ? lui murmure Yüljet, qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Le petit garçon se tord machinalement les doigts. Il n'a certainement jamais pu aller jusqu'à cette partie de l'histoire.
Je ne me souviens pas beaucoup, parce que je n'ai pas tout regardé. Les Monsieur Bec ont attaqué l'humaine.
Elle a eu peur. Très peur. Mais elle a essayé de se défendre.
Sauf que les Monsieur Bec la frappaient et qu'elle criait.
Moi, je m'étais bouché les oreilles et j'avais fermé mes yeux parce que je n'aimais pas les voir la taper.
Et puis, quand je les ai ouverts… les… les Monsieur Bec étaient en train de planter une aiguille dans son cou… et l'humaine a arrêté de bouger.
Un Monsieur Bec en noir l'a porté sur son épaule comme un sac de graines et ils ont disparus.
Moi, je suis resté sans bouger sous le buisson de baies pendant longtemps, parce que j'avais peur qu'ils reviennent et qu'ils me frappent moi aussi. Qu'ils plantent une aiguille dans mon cou et que je m'arrête de bouger.
Alors j'ai pleuré, jusqu'à ce que maman et les guetteurs viennent me retrouver.Le Récit de Mery
Son histoire s'achève là.
Le petit Mery pleure de manière plus franche, mais la soupape qui voulait s'ouvrir depuis deux ans a peut-être enfin pu vider son horrible contenu.
Yüljet ne bouge pas. Elle ne dit rien. Son cœur s'accélère et toutes ses pensées se bousculent dans son esprit. Quelques-unes d'entre elles sont tournées vers cette humaine qui est arrivée sur Eldarya deux ans plus tôt au son d'un coup de tonnerre.
D'autres tournent autour des Milliget et de leur frontière.
Où est-elle, maintenant ? Où est la créature humaine qui a fait face aux "Monsieur Bec" qui l'ont frappés comme un mauvais familier et planté une aiguille dans son cou ?
Titan se reprend. Elle lève une grande main brune pour attraper l'épaule de Mery dans un geste de réconfort.
« Je te crois. » lui dit-elle.
Le petite brownie hoche la tête, reniflant bruyamment.
« Est-ce que tu pourrais dessiner les "Monsieur Bec" ? »
Mery lève sa figure humide pour la regarder et encore une fois, il acquiesce. Yüljet ne peut que deviner que ces entités noires et blanches doivent parsemer ses cauchemars depuis son escapade en forêt et ne jamais le quitter.
Alors Mery et elle quitteront l'auberge, gagneront la maison de Twylda et donneront vie aux Monsieur Bec sur une feuille de papier.
« Montres-moi. » lui murmure YüljetLes Monsieur BecLes Choix
Yüljet va à présent séjourner dans la famille Chrysomallos durant toute la durée des sélections. Le premier soir, après les négociations avec Twylda, elle fait la rencontre de son jeune fils, Mery, qui lui a raconté une histoire pour le moins surprenante, mentionnant une humaine et des "Monsieur Bec" qu'il lui a dessiné.
Qu'est-ce que Yüljet doit faire de ce dessin ?
➜ Le montrer à Fawkes.
➜ Le montrer à Rose.
➜ L'envoyer à Sexta et Ryan.
➜ Le montrer à Purral et le payer pour faire des recherches sur les Monsieur Bec.
Les sélections approchent et Yüljet doit continuer ses recherches sur les haut-elfes. Puisqu'il lui est impossible d'approcher du Quartier Général au risque de se faire repérer, Titan doit chercher des indices en prenant des personnalités importantes d'Eel en filature.
Mais qui doit-elle suivre ?
➜ Le Chef de la Garde Obsidienne, Valkyon Batatume.
➜ Le Chef de la Garde de l'Ombre et membre de la noblesse eldaryenne, Nevra Mircalla.
➜ Le Chef de la Garde Absynthe, Ezarel Sequoia.
➜ Le véritable bras droit de Miiko Yamamura, Leiftan Tuarran.
➜ La docteur en cheffe de l'hôpital du Quartier Général, Ewelein Osgiliath.
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes se trouve toujours à l'hôpital auprès de Fuya. Cette dernière va se faire opérer à l'aube afin de s'assurer qu'aucun petit morceau de verre ne se trouve dans ses branchis.
Que doit-il faire pendant ce laps de temps ?
➜ Se rendre à la bibliothèque d'Eel et tenter de trouver quelque chose sur les hauts-elfes.
➜ Chercher Rose pour voir s'il y a eu de nouveau depuis leur arrivée à Eel.
➜ Tenter de fouiller le bureau d'Ykhar Égée pour trouver des informations sur les hauts-elfes.
➜ Rester à l'hôpital et tendre l'oreille pour essayer de capter de nouvelles informations.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo : Lilymoe a finalement distribué les ordonnances aux patients rétablis qui vont quitter l'hôpital à l'aube. Il a également appris qu'Ellen Price, la patiente arrivée en compagnie de Jens Red, va se faire opérer. Il se souvient aussi qu'Ewelein doit donner une conférence à Odrialc'h, lorsque les sélections seront terminées et il a choisi de l'accompagner pour suivre un séminaire d'une semaine sur la chirurgie. Que devrait-il faire ?
➜ Assister à l'opération d'Ellen Price auprès des étudiants en médecine affectés au bloc opératoire.
➜ Ne pas assister à l'opération d'Ellen Price et aider les aides-soignants.
➜ S'occuper de ses tâches administratives tout en prenant dans un endroit calme (celui de ton choix).
➜ Commencer à étudier les différentes anatomies faeliennes pour son séminaire à Odrialc'h.
UNIQUEMENT pour Mayashiz : Les sélections approchent et comme tous les autres candidats, June doit se préparer. Que doit-elle faire ?
➜ S'entraîner avec son Chef de Garde.
➜ S'entraîner avec Joseph Ael Diskaret.
➜ S'entraîner avec Balam Lefaucheur.
➜ Demander à Helouri de l'aider à se préparer pour les sélections.
Note de l'auteur
Bonjour à vous !
Me revoilà avec le chapitre 8 d'Apotheosis qui est, comme vous le remarquerez, plus court que les autres et plus reposant. Mais bon, on peut peut-être parler de calme avant la tempête, vous verrez bien !
Comme d'habitude, je remercie les lecteurs qui votent régulièrement et j'espère que ce chapitre vous plaira !
Vous allez découvrir une nouvelle artiste et juste un grand merci à elle pour son talent qui a permis de donner un petit peu plus de vie et de beauté à la scène qui porte son illustration.
Voilà voilà !
Je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 8 - Cheffe de Guerre
Elle aurait presque pu se croire au sein de la planque d'Odrialc'h, sous la couette épaisse de son lit dépourvu de sommier. La pénombre de la pièce sans fenêtres, tapie au sein des égouts de la plus grande cité d'Eldarya, lui rappelle sans cesse qu'une vie ordinaire n'est plus envisageable pour la cheffe du cartel des Typhons.
Mais quand l'aube d'Eel a toqué au carreau de sa chambre pour la baigner de ses lueurs chaleureuses, Yüljet aurait presque pu penser que c'était possible.
Avant que son cerveau ne s'éveille complètement, que toutes ses pensées aient quitté leurs perchoirs pour voleter autour de sa tête et que ses sens ne se mettent à capter chaque danger, Titan pourrait se penser hors de tout cela.
Une troll quittant son lit pour aller travailler et dont la seule préoccupation serait peut-être une ardoise à régler dans sa taverne favorite.
Elle se redresse dans son lit d'invité et repousse les couvertures. Son regard onyx balaye la pièce qui veut bien l'accueillir durant son séjour au sein de la cité blanche, et elle est à l'image de sa propriétaire : sobre et discrète.
Une large fenêtre laissée nue par des rideaux attachés embrase la petite pièce qui ne contient qu'un lit, une table de chevet pourvue d'une lampe à huile, et une commode.
Twylda a voulu apporter un petit peu de charme à cette chambre en la décorant de paniers en osier garnis de fleurs séchées et il est vrai qu'ils apportent une atmosphère apaisante.
Titan a bien dormi et si elle a rêvé, elle ne s'en souvient pas.
Fidèle à sa promesse, elle se lève, se lave, s'habille et quitte le foyer des Chrysomallos.
Là dehors, son esprit s'anime et des images, des sons ainsi que des sensations lui viennent en mémoire. Dans la poche de son grand manteau couleur sauge, il y a un morceau de parchemin couvert d'encre noire, avec des traits tracés par la main d'un enfant.
Il y a des oiseaux aux yeux fixes et aux longs becs qui ont, selon le récit de Mery Chrysomallos, attendu et frappé une humaine jusqu'à lui planter une aiguille dans le cou.
La première idée de Titan a été celle de retrouver l'endroit où Mery s'est tenu pour l'inspecter, mais que pouvait-il bien y rester deux ans après les faits ? Elle n'y trouvera rien.
Si elle veut obtenir des informations ou l'ébauche d'une piste sur ces "Monsieur Bec", ce n'est pas dans la forêt qu'elle l'aura.
Yüljet traverse le refuge, l'une de ses mains serrant le papier comme si elle craignait de le perdre, et elle guette les quelques âmes perdues à l'extérieur.
Des créatures réunies autour d'un petit feu, des calumets à la main et des moues méfiantes tordant leurs lèvres noircies par le tap, lorsqu'elles avisent Titan. Mais Titan n'est pas un danger pour elles et n'a que faire des substances qu'elles infligent à leurs corps.
La troll ne songe qu'à rejoindre le petit muret du Parc de la Fontaine pour réfléchir. Il doit être désert en cet instant, et c'est tout ce qu'elle désire pour poser ses réflexions.
Une journée complète à tourner au sein d'Eel, cela peut-être aussi long qu'aussi court. Le temps file et la rapproche, petit à petit, de la Capitaine. Si Titan veut trouver quelque chose, alors il lui faut essorer chaque jour jusqu'au mirage du moindre petit indice.
Quitter Eel bredouille n'est pas envisageable.
Tirant le dessin de sa poche, Yüljet le déplie et l'observe une fois de plus. Les oiseaux et leurs regards vides font songer à des ombres couchées sur du papier et au sein d'une forêt obscure, ils sont sans doutes effrayants. Elle secoue la tête en poussant un soupir.
Que faire de cette information ?
L'une de ses pensées se tourne vers Sexta et Ryan, mais elle doute fortement qu'au sein de la planque, à Odrialc'h, elles puissent faire leurs recherches. De plus, la maîtresse des poisons doit tout d'abord analyser les éprouvettes de sang humain.
Quant à Fawkes et Rose… Yüljet serre les dents. Leur objectif, ici, est de faire des recherches sur les haut-elfes et si elle leur parle de sa dernière trouvaille maintenant, ils risquent de se disperser.
Titan les préfère affairés à une seule et unique tâche alors si elle veut découvrir ce qui se cache derrière les "Monsieur Bec", il lui reste une solution.
Les coudes sur les genoux, les mains sous le menton, elle pèse le pour et le contre de sa décision, mais la conclusion se dessine bien vite : elle a choisi de croire Mery et elle le croit.
Mais d'autres que les membres du cartel des Typhons sauront découvrir le mystère derrière le dessin d'un enfant. Tant qu'ils sont payés, ils s'exécuteront et même si Titan préfère limiter leurs transactions à l'accès au marché des Abysses, elle peut faire une exception.
Résolue, elle se lève et emprunte la direction du marché.
Le soleil transforme l'aube en matinée flamboyante, mais Yüljet espère que peu de monde se tiendra au marché. Les étals devraient être en train de se garnir par des marchands et quelques petites mains et les lampadaires de la cité ne sont peut-être pas tous éteints. Pas encore.
En avisant le ciel et la cité qui s'active comme une fourmilière, Titan a également une pensée pour Fuya qui se fait opérer.
L'image de la sirène en train de flotter, entourée de verre brisé, avant d'amorcer sa chute infernale, la hantera à tout jamais. Un véritable morceau de viande convoité par dix prédateurs voraces aux trompes effrayantes.
Neuf, plutôt. Le dixième est… une énigme. Des boucles pastelles, des yeux bruns et un "apotheosis" murmuré.
Si Yüljet aligne les zones d'ombres qui se sont greffées à la mission de sauvetage de Sheraz Alfirin, elle a la sensation de se perdre dans les ténèbres. Mais tant qu'elle garde le cap, le cartel continuera de voguer et ils finiront bien par trouver le sens de cette énigme.
Les pavés du centre-ville d'Eel l'accueillent, et Titan quitte le fil de ses pensées. Les murs peints avec des paysages marins remplacent les maisons ternes et la tristesse du refuge, alors que quelques personnes viennent compléter le décor.
Comme elle l'avait espéré, les touristes sont encore dans leurs lits et les lieux sont plutôt calme. Ainsi, la troll peut se rendre au marché sans encombres pour négocier une entrevue avec Purral.
D'ailleurs, les purrekos sont toujours les premiers à installer leurs étals, qu'importe la cité où l'on se trouve.
D'ailleurs, le marché d'Eel, tout comme la Place des Échanges à Odrialc'h, ressemble à un véritable empire consacré au commerce. Ici, les boutiques se côtoient et entrent en compétition, leurs devantures formant un véritable patchwork aux innombrables teintes.
Situé non loin du port, la mer se fait entendre et pour un touriste avec l'esprit en paix, il ne peut être qu'agréable de flâner entre les diverses marchandises, au rythme des remous.
Le sel se mêle aux effluves des ingrédients d'alchimie, vendus par les herboristes, mais aussi à la nourriture pour les familiers qui débordent de leurs paniers. Même les tanneurs sont à l'honneur avec l'odeur forte de leurs cuirs.
Mais ce qui attire l'œil de Titan, c'est une purreko à l'air renfrognée et à la robe d'un gris foncé, aux reflets bleutés. Elle s'affaire derrière un étal recelant de poteries, ses yeux jaune lançant des regards mauvais aux pauvres articles, et Yüljet se fait la réflexion que le voyage jusqu'à Eel a dû être pénible pour Fawkes.
La passeuse, Purriva, est connue pour son caractère explosif.
Lorsque Titan s'approche, la purreko ne lui accorde même pas un regard. Elle grogne un simple "bienvenue" et continue de disposer ses poteries, sa queue fournie fouettant l'air.
La troll fait mine de s'intéresser aux marchandises et lorsqu'elle attrappe un cendrier pour en examiner les motifs, elle glisse discrètement une bourse pleine d'or, puis déclare :
« Qu'en est-il du poêlon, avec les oiseaux aux ailes fauves ? »
Une patte grise ramasse l'argent avec une rapidité déconcertante, pour marmonner en réponse :
« Il n'y en a pas ce matin. Mais il y en aura en fin d'après-midi. Revenez à ce moment-là, et vous aurez tout le loisir de faire votre choix. »
Bien. Elle rencontrerait donc Purral en fin d'après-midi pour discuter d'une enquête et lui confier le dessin du gamin Chrysomallos. Yüljet se demande encore si elle doit lui raconter son histoire, mais elle penche plutôt vers le "non".
Mieux vaut découvrir ce que le purreko trouvera avant de lui révéler cette partie étrange de l'énigme.
Elle salue brièvement Purriva et quitte le marché, ses pas la guidant vers le centre-ville d'Eel, non loin du panneau d'affichage. Là, elle s'étire, non sans cesser de penser, lorsque du coin de l'œil, elle repère une silhouette familière, venant à sa rencontre.
« C'est devenu ton endroit favori, lance-t-elle.
- À toi aussi. » répond la voix rocailleuse de Fawkes.
Titan tourne la tête pour l'observer. À en aviser par ses traits tirés, le renard-garou a dû passer une mauvaise nuit. Aussi, il n'a certainement pas pris la peine de se changer, vu sa chemise froissée et les mauvais plis sur son pantalon.
« Leurs fauteuils sont vraiment pas confortables. » critique Fawkes comme s'il devinait ses pensées.
Yüljet lui adresse un léger sourire, avant de redevenir sérieuse.
« Tu ne devrais pas être vu en train de me parler. Nous sommes en plein jour et ce panneau d'affichage ne doit pas devenir notre point de rencontre.
- Je sais, mais c'est justement parce qu'on se reverra pas avant le début des sélections que je viens te voir. Après je bougerai pas du Quartier Général. »
Titan sonde le regard du renard-garou qui s'apprête à commencer sa mission. Comme prévu, il restera auprès de Fuya jusqu'à son rétablissement complet, tout en menant ses recherches sur les haut-elfes et en laissant traîner une oreille partout où il va.
« Fuya est partie se faire opérer, poursuit Fawkes, et en arrivant ici, j'ai jeté mon œil un peu partout, mais il y avait trop de beau monde pour m'arrêter quelque part.
- Chefs de Gardes ? » intervient Yüljet.
Le renard-garou hoche la tête, mais sa figure revêt une grimace. Comme l'imagine Titan, avec l'arrivée des sélections, le Quartier Général doit être une véritable forteresse et personne ne doit relâcher son attention.
« Pas seulement. Le bras droit de Miiko Yamamura traîne dans les parages aussi et franchement, j'aime pas rester dans le coin quand il est là. D'habitude mon binôme s'arrange toujours pour l'emmener ailleurs, mais là, j'ai vraiment dû jouer les touristes et traverser la salle des portes. Mais t'as aussi les Égides qui sont là. »
Les yeux de Yüljet s'agrandissent alors qu'elle réprime un sifflement agacé. Voilà qui allait grandement leur compliquer les choses, même s'il était évident qu'avec l'arrivée de leur ancienne maîtresse, Eel ne manquerait pas de sortir leurs plus belles armes.
Si les sélections qui auraient bientôt lieu permettaient à Odrialc'h de se servir dans la Garde Obsidienne pour constituer la garde rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash, les Égides d'Eel étaient également une garde rapprochée ayant subi le processus inverse.
Pour honorer son amitié avec la cité blanche, Odrialc'h avait offert de puissants soldats, au nombre de quatre, pour constituer la meilleure protection possible pour l'impératrice d'Eel, Willow Weeping.
« Il reste encore un petit peu plus d'une semaine avant l'arrivée de la Capitaine. Fuya devrait pouvoir se remettre pendant ce laps de temps. Mais vous devrez quitter le Quartier Général avant les sélections, Fawkes, et c'est aussi le temps dont tu disposes pour faire tes recherches.
- Tu crois que même avec le passe temporaire et nos fausses identités…
- Je ne veux prendre aucun risque. Même si on ne quittera pas Eel pendant les sélections, je ne veux pas vous savoir entouré par les Égides, les Chefs de Garde, le bras droit de Miiko Yamamura et la Capitaine. »
Fawkes acquiesce en silence. Ils se retrouvent déjà en prison d'une certaine manière, alors Titan refuse de les cloîtrer au Quartier Général lorsque ça grouillera d'ennemis. Surtout en présence de la mégère.
« De toute façon, Rose prendra le relais pour la traque d'informations, grogne le renard-garou, mais il y a quand même une drôle d'ambiance. Tout le monde est à cran. Je crois que le pire, c'est le Chef de la Garde Absynthe. »
Yüljet fronce les sourcils. S'il y a bien un Chef de Garde dont elle ne s'attendait pas à entendre le nom, c'était celui de l'Absynthe. Elle demande à Fawkes ce qu'il a entendu, mais ce dernier est bref.
Secouant la tête, ses yeux bruns fixent un point invisible sur le paysage et sa queue fouette doucement l'air :
« Pas grand chose, je l'ai seulement vu passer dans les étages quand je me trouvais à la salle des portes. J'ai juste entendu les mots "financement", "stérile" et "prélèvement". Je sais que le Chef Séquoïa a toujours du mal à obtenir des financements pour ses recherches sur la stérilité des sols d'Eel, mais là, il avait vraiment l'air à bout de nerfs. Je sais pas qui il allait voir, mais derrière lui, t'avais le secrétaire général qui essayait de le rattraper. »
Une histoire soit banale, soit intéressante. Titan s'est toujours fait la réflexion qu'un jour ou l'autre, Odrialc'h trouverait bien le moyen de geler les financements pour arrêter les recherches d'Ezarel Séquoïa. Mais malheureusement, elles ont toujours porté leurs fruits et la population d'Eldarya a foi en l'intelligence du Chef de la Garde Absynthe, qui finira par trouver une solution pour fertiliser les sols.
Yüljet songeait à chercher des informations elle aussi, et si prendre Leiftan Tuarran en filature serait une très mauvaise idée, tout comme les Chefs de la Garde de l'Ombre - qui ne manquerait pas de la repérer bien vite - et de la Garde Obsidienne, suivre Ezarel Séquoïa pourrait se révéler intéressant.
« Merci pour ces informations, dit-elle à Fawkes, tâche d'essayer de trouver quelque chose sur les hauts-elfes et reste auprès de Fuya.
- D'accord, cheffe. Et toi ? »
Elle aussi, elle avait du travail.
Titan croise les bras sur son torse massif puis, sans dévoiler ce qu'elle a appris auprès de Mery, répond en embrassant les tavernes du centre-ville qui s'éveillent, les employés mettant quelques tables à l'extérieur :
« Je suis en train de suivre une piste, mais je n'ai pas encore d'informations concrètes à partager. Nous ferons tous nos rapports la veille des sélections. Je compte aussi surveiller Ezarel Séquoïa. Il est une cible accessible pour mes compétences en filature et je peux peut-être apprendre quelque chose d'intéressant.
- Je vois, on verra ce qu'on va tous récolter. Et puis… tout le monde peut pas être un petit renard invisible. »
Non, en effet. Yüljet jette un coup d'oeil amusé à Fawkes, avant de reporter son attention sur le décor puis de lui lancer :
« Le renard invisible devrait disparaître avant qu'on ne le reconnaisse, d'ailleurs. »
Le visage de Fawkes se teinte de méfiance alors qu'il scrute immédiatement le paysage, à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un qui pourrait compromettre sa couverture. Titan devine que tous ses muscles se sont tendus, que tous ses sens se sont mis en alerte quand enfin, elle voit son corps se relâcher lorsqu'il comprend.
Plus loin, accompagné d'une jeune femme aux cheveux cendrés, il y a le morgan à la peau glacée qui accompagnait l'assistant d'Ewelein Osgiliath, le jour où Jens Red et Ellen Price sont arrivés à la cité d'Eel. Il transportait la chaise roulante.
Si Yüljet se souvient de son air incertains et de son visage quelque peu fermé, ici, en compagnie de la jeune femme, il est rayonnant.
« Ah oui, constate le renard-garou, le p'tit de l'hôpital. »
Visiblement, Fawkes ne se sent pas en danger. D'ordinaire, il se serait empressé de disparaître avec hâte mais ici, il reste auprès de sa cheffe pour observer le ballet des âmes qui deviennent de plus en plus nombreuses, le temps passant.
Dont ce "p'tit de l'hôpital", un morgan aux boucles nacrées, ramenées en une demie-queue de cheval, aux yeux rieurs et au sourire lumineux. Sa tunique d'un bleu givré flotte autour de sa silhouette et jure avec son sac besace qui a l'air de contenir beaucoup de volume.
Titan et le renard-garou s'apprêtaient à se séparer pour s'en retourner à leur mission respective, mais un mot à tout changé.
C'est la jeune femme qui l'a prononcé d'une voix forte.
Sélection
Yüljet et Fawkes échangent un regard. La troll prête une attention particulière à la tenue de la demoiselle et elle sait que son comparse fait la même chose.
Le rouge et le brun attirent leurs yeux et il s'agit-là de l'uniforme de la Garde Obsidienne.
«… que tu m'aides à me préparer aux sélections ! Surtout l'entretien ! »
La recrue la plus jeune qui s'est présentée aux sélections se nomme "June Albalefko", Yüljet s'en souvient. June dont parlait le chef Valkyon Batatume avec le guetteur, la veille.
June qui est en train de parler en faisant de grands gestes, ses cheveux cendrés se laissant malmener par un vent marin pendant que son ami hoche la tête, semblant perplexe.
Lorsque le morgan et elle se dirigent vers la table libre, proche d'un établissement aux airs de salon de thé, Yüljet et Fawkes se concertent du regard avant de s'adresser un signe du menton.
Toute information est bonne à prendre.
Telle une tenaille, la troll et le renard-garou choisissent tous les deux l'endroit parfait pour laisser traîner une oreille. L'un sur les escaliers plats menant vers l'accès au marché et l'autre, sur un banc de pierre non loin d'une longue barrière en fer forgée qui offre une vue magnifique sur le port.
De là où elle se trouve, Yüljet peut observer le jeune morgan, mais aussi la silhouette de Fawkes, assis sur son banc tel le plus ordinaire des touristes, sa queue se balançant doucement.
Sur la table qui attire leurs regards, leurs cibles se sont assises et l'une d'elle révèle le contenu de son sac. Des mains bleues tirent des livres qu'elles déposent sur la surface épaisse, puis une voix posée s'adresse à June :
« C'est difficile de savoir quelles questions te seront posées, tu sais. Mais j'ai emprunté tous les livres que je pouvais sur le grand palais d'Odrialc'h et la Capitaine, à la bibliothèque.
- Super ! réponds l'obsidienne d'un air enjoué, je savais que tu m'aiderais ! Et pour les questions… on a qu'à s'appuyer sur le formulaire qu'on a rempli. Sauf que je l'ai rendu… »
Au beau milieu de ses livres, le jeune morgan en soulève les couvertures, visiblement à la recherche de quelque chose. Lorsqu'il tire deux feuilles de parchemins couvertes d'écriture, il plisse les yeux, amusés, et lance d'un air triomphant :
« C'est pourquoi je l'ai recopié avec toutes tes réponses ! Je me disais que ça pourrait t'aider. »
Et c'est le cas. June ne tarit pas d'éloges vis-à-vis de son ami mais ce dernier, embarrassé, décide de se concentrer sur la lourde tâche qu'ils sont venus accomplir tous les deux.
En vérité, le jeune morgan est un livre ouvert. Il est le cliché que Yüljet se faisait de lui, la première fois qu'elle l'a apperçu, et elle n'est pas surprise que Fawkes n'y ait vu aucun danger.
Peu sûr de lui, accroché à une personne qui déborde d'énergie, fuyant les compliments comme s'il ne pouvait pas les accepter, mais à priori cultivé. Au sein d'une salle de classe, il serait celui qui sait mais qui se tait par peur de dire une bêtise et de ne récolter que les moqueries de ses camarades.
« Tu sais, Helouri, amorce June d'une voix plus calme, cet entretien, c'est uniquement pour moi. Pour mon expérience. Je sais que je ne serai jamais sélectionnée. »
Helouri lève la tête de ses parchemins et écarquille ses yeux d'argent. Un instant, son regard se fait fuyant, puis ses mains attrapent nerveusement la couverture d'un de ses livres alors qu'il semble réfléchir avec le plus grand des sérieux.
Enfin, quand il se met à parler, Yüljet décide qu'elle peut rajouter "sage", à la liste des qualificatifs qu'elle a dressé pour le morgan.
« Est-ce que c'est si important d'être sélectionnée, de toute manière ? Tu dis tout le temps que tu es un élément "quelconque" de la garde Obsidienne, June. Pourtant, c'est toi qui a choisi de présenter ta candidature pour les sélections, et je pense que ta spontanéité est un élément que pourra retenir la Capitaine. »
June se met à rire. Elle se redresse et tend une main pour ébouriffer les cheveux de son ami en un geste amical. Elle lui dit qu'il ferait un très bon instructeur, ce qui est faux.
Titan n'imagine pas le morgan être capable de prendre la parole devant un groupe de personne et encore moins asseoir son autorité sur qui que ce soit.
D'ailleurs, le visage de Helouri perd de sa lumière et lorsqu'il parle à nouveau, sa voix est plus éteinte :
« Et si tu es vraiment prise ? Qu'est-ce que tu feras ? »
Silence. L'atmosphère se modifie et plus loin, Fawkes relève la tête, ses oreilles animales tressautant. June se laisse aller contre le dossier de sa chaise en soupirant, une main embarrassée dans ses cheveux cendrés, ébouriffés par son énergie et les brises d'Eel.
Ses épaules s'affaissent et Titan jure qu'elle a soupiré :
« Tu sais, Helouri, ça me fendrait le cœur de devoir vous quitter tous les trois, toi et tes parents, murmure-t-elle. Mais de toute façon, ça arrivera pas. Je serais pas prise.
- Tu ne le sais pas encore. Et tu aimerais bien partir. »
Ce n'est pas un reproche.
Le jeune morgan arbore un sourire très doux, même si ses yeux d'argent brillent d'un chagrin réservé. Yüljet ne sait pas ce que représente June Albalefko pour lui, mais elle ajoute l'étiquette "dépendant" à son portrait.
« J'ai envie de découvrir le monde ! s'anime l'obsidienne, avec toi, ce serait mieux. Mais je n'y suis pas encore…
- Mais tu y arriveras. En plus, tu n'auras plus à entendre ma mère te demander de ranger ta chambre. »
June se met à rire et soudain, ayant retrouvé son enthousiasme, se redresse subitement pour lancer d'une voix forte :
« Hé ! Regarde… »
Elle se grandit avec exagération, mets les poings sur les hanches, lève le chef et prend une voix de fausset :
« Joseph ! Qu'est-ce que c'est que ces trois paires de bottes dans l'entrée ? Est-ce que tu as six pieds ? June ! On ne voit même plus le sol dans ta chambre et j'aimerais bien retrouver la couleur de mon plancher ! Helouri ! Le linge ne va pas se rentrer tout seul ! »
Helouri et June éclatent de rire, si bien qu'ils balayent la morosité qui les avait emporté plus tôt. L'obsidienne est fière de son imitation, mais son ami lui rétorque que ce n'est tout de même pas très gentil pour sa mère.
Après avoir respiré plusieurs fois, June déclare avec conviction :
« De toute façon, c'est ton père qui sera choisi. Tout le monde le dit. »
Cette fois, ce n'est pas un adjectif que Titan rajoute au portrait du jeune morgan, mais un nom de famille. June a évoqué un "Joseph" lors de son imitation, et avec ses dernière paroles, elle est persuadée qu'il s'agit de "Joseph Ael Diskaret".
Le gamin de l'hôpital qui pousse des chaises roulantes et qui n'a l'air de personne a un père qui est quelqu'un.
« On n'en sait rien, June, rétorque Helouri, et si on ne travaille pas ton entretien comme nous avions prévu de le faire au début, tes chances d'être sélectionnée vont diminuer.
- C'est vrai ! Alors ? Par quoi on commence ? »
Le jeune morgan reprend son sérieux et s'intéresse de nouveau à ses livres. Il semble réfléchir avec application, avant de donner corps à ses pensées :
« Normalement, au sein de la Garde Obsidienne, vous avez dû avoir des cours sur les grands chefs de guerre…
- Hum… possible.
- … Mais tu as dû t'endormir. Dans tous les cas, je suis certain que les autres candidats ont dû reprendre le parcours de la Capitaine. Il vaut mieux au moins en connaître les grandes lignes, on ne sait jamais. »
June se met à réfléchir à son tour, croisant les bras en remuant machinalement les doigts. Elle fixe un point invisible vers le ciel d'Eel et dit d'une voix lointaine :
« Je suppose que c'est comme les démarches pour un travail. Les questions vont être ciblées sur mon parcours, mais je pourrais faire des parallèles avec l'entreprise.
- C'est tout à fait ça, sourit Helouri, c'est pourquoi avant de simuler un entretien, ce serait une bonne chose que l'on s'intéresse à Odrialc'h et au parcours de la Capitaine. »
June approuve avec excitation, observant son ami attrapper un livre pour le feuilleter.
« D'ailleurs, je pense que ce serait judicieux que tu mentionnes le fait que tu ne saches ni lire, ni écrire la langue commune. Si tes autres compétences peuvent convaincre, tu devrais avoir accès à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à Odrialc'h.
- Ici aussi, rétorque June d'une petite voix, mais à chaque fois que j'essaye, j'ai l'impression que tout se mélange. »
Le jeune morgan lui lance un regard peiné, ses mains bleues crispées sur les pages de l'ouvrage qu'il est en train de consulter. L'atmosphère s'épaissit, mais avant qu'elle ne devienne étouffante, il recentre l'instant présent sur les sélections ainsi que la préparation de l'entretien.
« Ah ! Voilà ! s'exclame Helouri, un air triomphant sur le visage, c'est un livre sur les grands chefs de guerre et la Capitaine y a son propre chapitre ! … alors… page cinquante-et-une… »
Yüljet le regarde tourner frénétiquement les pages, jusqu'à trouver son bonheur sur la mégère et la troll songe que le livre qu'il a entre les mains ne lui apprendrait certainement rien de plus qu'elle ne sache déjà.
Les lignes relateront toutes les guerres qu'elle a arrêtées ou empêchées, son intégration dans l'armée pour effectuer son ascension fulgurante pour devenir la légende qu'elle est aujourd'hui et bien entendu, il y aura également la mention du bataillon dans lequel elle a servi en compagnie de Valkyon Batatume. Si l'amitié entre Eel et Odrialc'h est devenue plus forte que par le passé, c'est grâce à eux.
La Capitaine est née d'une mère qui est à la tête des pôles judiciaire et militaire de la plus grande cité d'Eldarya, d'un père qui est mort en héros au combat il y a presque trente ans, alors quel avenir pouvait-elle embrasser si ce n'est la gloire et le prestige ?
Aux yeux du peuple eldaryen, elle est une légende mais à ceux de Yüljet, elle n'est qu'une icône mise en lumière qui attire l'attention pendant que le mal œuvre dans l'ombre.
Titan n'écoute presque plus la voix du jeune morgan relater les victoires de la mégère. Puis il s'interrompt, tourne une page, reprend, et se tait de nouveau.
Le silence s'éternise et lorsque Yüljet le regarde à nouveau, Helouri Ael Diskaret s'est figé.
Les mains sur son livre, il ne lit plus. Il fixe quelque chose, ses yeux d'argent écarquillés.
Il ressemble presque à un pantin de cire, une marionnette de bois qui a cessé de s'animer quand un mot ou une image a captivé son esprit tout entier. Yüljet décèle un léger mouvement de la main, deux doigts qui tordent le papier d'une page pendant que ses lèvres se crispent.
Il a les sourcils qui s'inclinent, aussi, des pensées qui ont l'air d'entrer en conflit sous sa boîte crânienne et même quand son amie l'appelle, il ne l'entend pas. Il est fasciné par ce qu'il voit, et June doit frapper le bois de leur table, du plat de la main pour le tirer de sa contemplation, non sans un sursaut.
« Helouri ! Alors ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu as lu mon nom dans ton bouquin, c'est ça ? » rit-elle.
Son ami lui adresse un sourire maladroit, papillonnant des paupières alors qu'il a l'air de digérer une émotion dérangeante. Son visage se ferme et qu'importe combien June tente de capter son attention, ses yeux sont fuyants.
Quand elle veut attraper son livre, le jeune morgan le ferme d'un claquement sec puis, essayant de se reprendre, il demande d'un ton qu'il veut naturel :
« Je lisais… je lisais. Il y a beaucoup de dates alors j'étais en train d'essayer de les retenir pour la simulation de ton entretien. Tu veux boire quelque chose ? Je vais aller chercher du thé. »
Sans attendre la réponse de l'obsidienne, Helouri racle sa chaise et disparaît à l'intérieur de l'établissement. June commence à se lever pour le suivre des yeux, probablement stupéfaite, avant de porter son regard sur le livre qu'il a refermé.
Elle s'en saisit, le feuillette et retrouve la page qu'il lisait plus tôt grâce au coin qu'il a malmené. Elle secoue la tête.
« Je ne sais pas lire la langue commune, mais je sais quand même faire la différence entre les chiffres et les lettres… il n'y a pas de dates, ici, qu'est-ce qu'il raconte ? »
Yüljet peut voir le contenu du livre, de là où elle est. Effectivement, elle ne discerne aucune date cependant, elle ne peut pas manquer le visage que l'on a dessiné pour illustrer la légende décrite dans ce recueil en l'honneur des chefs de guerre.
Ce n'est qu'une image, mais elle ne peut pas s'empêcher de la toiser, tant elle sent la haine monter en elle. Titan ne sait pas ce que Helouri Ael Diskaret a pu voir en ce portrait, mais pour elle, il ne s'agit toujours que l'incarnation d'une loyauté aveugle envers une cité qui ne cherche qu'à sacrifier le monde où elle se trouve pour en conquérir un autre.
La conversation entre le morgan et son amie ne lui a rien appris, si ce n'est que la mission du cartel des Typhons est loin d'être achevée.
Un chef imbécile aurait certainement prémédité l'assassinat de la Capitaine, mais Titan veut qu'elle vive.
Tant qu'elle reste dans la lumière, le mal d'Odrialc'h peut œuvrer dans l'ombre, mais le cartel des Typhons aussi.Portrait de Shakalogat Gra Ysul
Portrait réalisé par MinahlaLes Choix
Comme vous l'avez choisi dans le chapitre précédent, Titan va rencontrer Purral pour lui confier le dessin de Mery et demander une enquête sur ces "Monsieur Bec", en échange d'une certaine somme de pièces d'or.
L'entrevue avec Purral va être déterminante pour la suite de l'enquête et le purreko n'a pas de temps à perdre.
Le cartel des Typhons n'est pas privilégié vis à vis des autres personnes avec lesquelles il traite, alors il va falloir trouver le moyen de tourner cette entrevue à l'avantage de Titan !
Parmi cette liste de souhaits, vous devez en sélectionner quatre qui seront présentés au purreko. Réfléchissez bien !
➜ Je voudrais déterminer qui sont les créatures qui sont sur le dessin.
➜ Je voudrais savoir ce que sont les créatures qui sont sur le dessin.
➜ Je voudrais savoir si ces créatures avec de longs becs t'évoquent quelque chose.
➜ Je voudrais en apprendre plus sur l'apparition des humains sur Eldarya.
➜ Je voudrais savoir si les Abysses ont déjà vu des traces de présence humaine. Des ventes douteuses, par exemple.
➜ Je voudrais savoir si dans tout Eldarya, les populations de toutes contrées ont déjà fait mention de "coup de tonnerre" sur des lieux où il n'y a jamais d'orage.
➜ Je voudrais savoir si quelqu'un a déjà vu une personne étrange, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, et portant un des vêtements singuliers, comme un manteau rouge.
➜ Si je te demandais de me retrouver un être humain sur Eldarya, est-ce que tu le ferais ?
➜ Si la difficulté d'une enquête est proportionnelle à la somme d'argent que je te donne, combien dois-je te donner pour que tu puisses me trouver l'une de ces créatures sur le dessin ?
➜ Si tu trouves le moindre indice en rapport avec ce dessin sur le marché des Abysses, je te l'achète. Est-ce que tu me le vendrais ?
Aussi et pour clôturer l'entrevue, il vous est possible de proposer une question sur n'importe quel mystère qui a été vu depuis le début de "Apotheosis". Mais cela pourrait vous coûter plus d'argent ou bien vous mettre à défaut.
Cependant, cela pourrait aussi vous apporter plus que ce que vous ne pensez. Faites attention à ce que vous pouvez demander !
Si une question vous vient à l'esprit, proposez-là avec votre commentaire et n'hésitez pas à en discuter entre vous sur le topic !Est-ce que ce choix met une vie en danger ?
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Helouri a agi d'une façon très étrange pendant leur conversation pour la simulation de l'entretien des sélections. Il a disparu dans l'établissement du salon de thé pour aller commander à boire.
Que doit faire June ?
ZuzoHyo et Waïtikka, vous n'avez pas de choix à faire dans ce chapitre, cela sera pour le suivant !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
J'espère que vous avez passé un bon été ainsi que de bonnes vacances !
Je reviens avec un chapitre assez long (je ne vous avais pas menti x)) qui contient un choix particulier. Comme vous le verrez, vous disposez de dix jours pour voter mais bien entendu, cette durée pourra être rallongée si besoin.
Cela fait neuf chapitres que vous suivez sur cette fiction intéractive et j'avais une petite question pour vous : est-ce que vous appréciez les choix qui sont proposés ? Est-ce que vous aimez faire des choix qui impactent énormément la direction que prend l'histoire ou bien, est-ce que vous n'aimez pas faire des choix aussi tordus (Oh… ces choix ne sont pas vraiment tordus. Il y a pire, vous verrez.)
Ces questions sont là pour faire un micro-point sur la fiction et récolter vos avis en tant que lecteurs et participants.
Sur ce, je ne vous ennuie pas plus longtemps.
Bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 9 - Les Purrekos
Elle pose un pied dans la pièce en désordre, qui ne respire rien d'autre que la poussière depuis des années. Dans sa main, elle étouffe un papier portant des inscriptions qui n'ont été lues par personne d'autre qu'elle.
Son regard d'onyx s'égare dans la pénombre et elle lève un bras pour chasser les ténèbres à coups de lanterne.
Il y a un tapis effiloché qui a perdu ses couleurs, des étagères où meurent des cartons bien remplis ainsi qu'une grande table en bois, avec quelques chaises dépareillées.
"Porte violette - Rue du Tap".
C'était ce qu'on lui avait écrit, avec d'autres informations importantes.
C'est le seul moyen. C'est la lumière au bout de son tunnel d'infortune et après l'enfer, c'est l'escalier bancal qui la mènera, peut-être, au paradis.
Tout ne dépend que d'elle et c'est ce qui l'effraye autant.
On lui a demandé de croire. De rendre ses idéaux aussi réels que la lanterne qu'elle a dans la main, de se battre pour un monde en train de mourir et de ressusciter une pièce éteinte depuis trente ans.
Une pièce pleine d'ambition.
Elle peut s'entendre soupirer, balayer le décor de ses yeux incertains et se traîner jusqu'à une chaise pour s'y asseoir.
Yüljet se souvient parfaitement de ce qu'elle a fait en premier.
Le deuil d'une vie qu'on lui a arrachée.
« Je suis allé commander deux thés aux épices. J'espère que ça t'iras. »
Un raclement de chaise, le bruit lointain de l'océan, quelques touristes marchant sur les pavés en discutant et c'est le ballet de la cité blanche qui reprend.
Titan n'a pas quitté ses larges escaliers. Quand elle tourne la tête à la recherche de Fawkes, elle s'aperçoit que le renard-garou ne se trouve plus assis sur le banc.
Elle le connaît bien assez pour savoir qu'il a estimé que la conversation entre le jeune morgan et son amie ne valait pas son temps, alors il s'est attelé à sa mission initiale. Peut-être est-il en chemin vers le Quartier Général avec l'idée de parcourir les rayons de la bibliothèque sous son nom d'emprunt, en espérant les quitter avec des informations à l'esprit.
Yüljet le souhaite aussi.
Elle lève les yeux vers le ciel d'Eel et se met à compter les instants qui la séparent de son entrevue avec Purral. L'après-midi est proche et lointaine à la fois, et les questions se bousculent sous son crâne.
Depuis qu'elle a quitté Rhenia-Gaear avec Fuya, la troll a l'affreuse sensation qu'elle se tient au centre d'un carrefour houleux, aux vérités nombreuses qu'elle n'est pas certaine d'avoir envie de connaître.
Elle veut sauver Sheraz Alfirin. Elle veut empêcher Odrialc'h d'orchestrer un plan de conquête terrienne. Elle veut que les sols d'Eldarya, si stériles, puissent apporter le cycle de la vie aux graines qui leur seront offertes.
Elle voudrait que le monde sur lequel elle se tient puisse couper définitivement ses liens avec la planète bleue et que les personnes qui l'entourent cessent de se prendre pour les humains qu'ils envient.
En fin de compte, le peuple d'Eldarya est similaire à une fée qui aurait sa trompe affreuse fichée au cœur de la Terre, pour se nourrir de sa richesse matérielle et culturelle.
Qu'est-ce que le monde des faeries a créé ? Une copie du modèle humain, en attendant de s'approprier l'original.
« C'est parfait ! Bon. Explique-moi ton histoire de dates. J'ai regardé le bouquin pendant que tu étais parti, mais… Lou, où est-ce que tu vois des chiffres ? Je ne suis pas à la bonne page ? »
Les oreilles de Titan captent les voix de Helouri Ael Diskaret et June Albalefko. Le dialogue entre ces jeunes gens la tire de ses réflexions, concentrées sur l'antonyme de son idéal, pour la ramener à des choses plus légères.
Elle aussi est en train de perdre son temps à écouter une conversation sans intérêt où elle n'apprendra rien. Mais le comportement du jeune morgan face au portrait de la Capitaine l'intrigue aussi.
Yüljet réprime un haussement d'épaules. Si Helouri avait réellement connu le genre d'ennuis qu'elle avait vécu à cause de la mégère, il ne serait pas ici, mais dans une fosse commune.
Quand elle le regarde, elle jure de le voir blêmir. Ses yeux d'argent sont fuyants, son corps peine à trouver une position adéquate sur sa chaise et l'une de ses mains persiste à vouloir lisser une mèche de ses cheveux nacrés.
Le jeune morgan récupère son livre et se met à le feuilleter en faisant semblant de chercher une page. Il s'empresse de se saisir d'un parchemin, d'un encrier et d'une plume pour se concentrer sur l'entretien de June et avec une maladresse presque visible, il change de sujet :
« Tu n'étais pas à la bonne page, marmonne-t-il, Ce n'est pas grave. Et puis… June, on va d'abord lister toutes les dates importantes et ensuite, on travaillera le déroulement de ton entretien. »
Helouri est aussi raide qu'un pantin de métal aux articulations rouillées. Yüljet ne peut pas voir le visage de June, mais elle traduit son silence par une expression douteuse. Elle l'imagine les yeux plissés, en train d'analyser l'être à la peau glacée qui lui fait face pour tenter de mettre un mot sur l'émotion qui l'agite.
« D'accord, Lou. » finit-elle par répondre enfin.
June prend une inspiration pour dire quelque chose, mais elle est interrompue par le serveur qui vient apporter leurs thés aux épices. Les petites tasses sont disposées sur la table et Helouri en profite pour en boire une gorgée avant de plonger de nouveau dans son livre.
Son amie quant à elle, se contente de croiser les bras et de s'adosser au dossier de sa chaise. L'un de ses doigts vient marquer la mesure d'un rythme imaginaire en tapotant sa peau nue avec une douceur inconsciente.
Le jeune morgan a dissimulé le portrait de Shakalogat Gra Ysul derrière une page arborant de véritables dates.
« Il est bien fait, hein ? » lance soudain June.
Son attention fixée sur ce qu'il est en train d'écrire, Helouri ne la regarde pas. Il copie religieusement des chiffres, sa plume grattant son parchemin à une allure placide.
Un "de quoi ?" est lâché d'une voix lointaine.
La jeune femme boit une gorgée de son thé avant de poursuivre d'un ton naturel.
« Le portrait de la Capitaine dans ton livre. Il est bien fait.
- Oui. C'est vrai qu'elle est très jolie. »
Helouri suspend son geste. Ses doigts serrent la tige de sa plume, ses joues s'empourprent et ses yeux d'argent s'écarquillent, lui donnant l'air d'un pimpel en train de faire face à un prédateur particulièrement malin.
Yüljet se maîtrise pour ne pas secouer la tête et lever les yeux au ciel face à cette situation ridicule. Elle entend June se mettre à rire et si elle s'attend à ce que Helouri s'enlise dans sa propre absurdité, il y met pourtant un terme.
« Tu sais Lou, commence June avec douceur, ce n'est pas grave…
- June… »
Incapable de la regarder dans les yeux, le jeune morgan arbore une moue honteuse. Il fait du tri dans ses livres et parchemins, abandonne, puis recommence.
La jeune femme souffle par le nez. Finalement, elle se lève, puis ébouriffe les cheveux bouclés de son ami.
Le silence embarrassant s'étend, jusqu'à ce qu'elle tape dans ses mains avant de lancer d'un ton enthousiaste :
« Bon ! Est-ce qu'on commence ? Je vais gagner les sélections grâce à toi ! »
Le visage du morgan s'éclaire de nouveau alors qu'un sourire s'y peint. Titan songe qu'il a certainement conscience de sa propre stupidité, de ce sentiment imbécile qui a dû couler dans ses veines lorsque ses yeux ont accroché ceux de la Capitaine, sur la page de son livre.
Helouri et June ont balayé cet instant inconfortable pour agir comme si rien ne s'était produit, et le morgan le vit bien mieux.
Fawkes a bien fait de quitter les lieux : cette discussion ne vaut rien et Yüljet perd son temps.
Elle se lève, ignorant ses genoux qui craquent, et disparaît dans le centre-ville. Son esprit chasse Helouri et son amie pour se concentrer sur sa future entrevue avec Purral.
Les questions sont très importantes et les réponses dépendront de la façon dont elle tournera ses phrases. Titan a fini par connaître le purreko et surtout à ne jamais considérer son aide, ni sa sympathie, pour acquises.
Yüljet s'arrête de marcher, ferme brièvement les yeux, puis se répète mentalement :
Monsieur Bec, Alfirin, humains, portails
Elle a l'impression de se trouver face à un puzzle dont les pièces n'auraient aucun lien, mais elle espère qu'à la fin de son rendez-vous, ce casse-tête prendra bien une forme.
Évitant le marché, la troll prend la direction du refuge. Elle sait que Purriva et ses congénères n'aiment pas voir traîner les clients de Purral avant un entretien, car cela peut éveiller des soupçons et elle a raison : la prudence est toujours de rigueur pour une parjure.
Le soleil est haut dans le ciel. Les malheureux des quartiers pauvres ne doivent plus se montrer au grand jour avec un calumet à la main et du tap dans l'autre.
Yüljet peut aviser qu'elle a raison lorsque les lieux sont presque déserts, hormis quelques faeris qui semblent s'ennuyer. Ils ne sont pas différents de leurs congénères d'Odrialc'h, juste un petit peu mieux habillés et l’air moins misérables.
Titan les devine sans travail et sans perspective d'avenir. Sans famille, peut-être, sans espoir et portés par une vie qui ne leur offre que des remous.
Quelque part, elle se sent proche d'eux. Et même les membres de son cartel sont faits du même bois que ces marginaux. Seulement et contrairement à ceux qui arborent des lèvres noires et des yeux éteints, ils ont réussi à puiser en eux, la force de continuer à marcher.
Une fois le refuge traversé, les gardes-corps du Kiosque Central lui font face. Le pavillon exhibe son architecture élégante, sa couverture et son lanterneau couleur corail qui auraient pu figurer sur les terres des elfes sylvestres. Yüljet est certaine que c'est là-bas qu'est née l'inspiration pour la construction.
Instinctivement, la troll pense à Sheraz.
Et s'ils parviennent à le sauver ? Et après ? Et si, comme le mentionne la lettre de Sira Milliget, il y aurait d'autres "haut-elfes" conçus pour être sacrifiés ? À quoi bon ?
Elle réprime un sifflement agacé. Si le cartel a mis le doigt sur un bourbier malsain, alors ils devront mettre les pieds dedans et aviser s'il prend la forme d'un obstacle contre leurs idéaux.
C'est ce que Yüljet croit.
Il y a des vérités qui se tapissent au sein du grand palais d'Odrialc'h, et d'autres qui doivent dormir derrière la frontière des Milliget, au-delà de leur jardin gelé.
En réalité, il existe une machinerie infernale, établie dans tout Eldarya et elle ne chauffe que pour un dessein de conquête terrienne. Alors le cartel des Typhons doit la réduire à néant.
Plongée dans ses pensées, elle ne remarque pas tout de suite qu'elle est observée.
Pourtant, le coupable ne fait aucun effort pour se cacher, ni prendre de la distance avec sa cible.
Quand Titan le repère, elle lui jette un bref coup d'œil avant de croiser les bras sur sa poitrine.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » questionne-t-elle d'un ton sévère.
À côté d'elle, Mery cligne des yeux à plusieurs reprises. Vêtu d'une tunique d'un vert pin, il ressemble presque aux lutins des forêts qui sont décrits dans certaines histoires humaines.
Le petit brownie transporte un sac besace qui a l'air de contenir des livres et des parchemins, si bien que Yüljet jure qu'il doit sortir de l'école, ou bien y aller.
« J'ai fini l'école pour ce matin, alors je vais manger ! piaille l'enfant, mais avant, je suis allé voir Viktor et maintenant, je vais voir Balam. »
Mery sautille sur place avant de mettre les mains derrière le dos.
« Puis je t'ai vu, mais tu avais l'air perdue dans ta tête, alors je voulais pas te déranger. Mais je voulais te dire bonjour quand même. »
Le brownie se tortille sur lui-même, une expression ravie sur son petit visage. Titan ne sait pas qui est Viktor mais quand il a mentionné Balam, l'image de l'elfe noir conversant calmement avec le Chef de la Garde Obsidienne est réapparu dans son esprit.
Balam le guetteur.
Enfonçant ses mains dans les poches de sa large veste, Yüljet commence à marcher et Mery lui emboîte le pas.
« Ta mère ne voudrait pas te voir avec moi, remarque-t-elle.
- Maman est au travail. C'est pour ça qu'après l'école, le matin, je vais voir Viktor, puis je vais chercher mon repas pour manger avec Balam. »
La troll hoche la tête sans rien dire. Certainement que Twylda doit être plus rassurée à l'idée que son fils ne reste pas seul à la maison, même pendant une heure ou deux.
Yüljet et l'enfant dépassent le kiosque, mais quand il la voit tourner vers la droite pour se diriger vers le Parc de la Fontaine, il s'arrête et lance, étonné :
« Tu viens pas manger avec nous ?
- Non. Mais tu devrais y aller, surtout si Balam t'attends. »
Mais Mery n'est pas d'accord. Loin de la laisser tranquille, il la suit jusqu'au petit muret d'un bassin en arguant qu'elle serait la bienvenue à la grande porte et auprès des guetteurs, que Balam était profondément gentil, sage, et qu'il lui laisserait peut-être tenir son arc.
Elle aurait cet honneur, elle qui était grande, contrairement à lui.
La voix de Mery pourrait se comparer au pépiement des lovigis. Mais même avec son débit rapide, les mots sont correctement articulés et le petit brownie réalise l'exploit de ne pas en écorcher la moitié.
Finalement, Yüljet ne lui répond pas et le laisse parler. L'enfant finit par s'arrêter tout seul et lorsqu'il voit qu'il n'aura pas gain de cause, il s'affaisse quelque peu, comme un payaga triste.
Puis, il s'approche de l'eau fraîche et vient y tremper la main.
« Moi aussi j'aime bien venir là quand je réfléchis beaucoup. » souffle-t-il.
Titan penche la tête pour le regarder. Ses yeux doivent brûler la nuque du gamin qui se redresse, haussant ses sourcils blonds.
« C'est en rapport avec ce que tu m'as raconté ? » demande-t-elle comme si elle lisait dans ses yeux.
Mery acquiesce. Il se débarrasse de sa sacoche qu'il laisse tomber à terre et en sort une écuelle en bois avec un couvercle.
Avec mille précautions, il la dépose sur le muret avant de s'y hisser. Ses jambes frêles se balancent alors qu'il semble réfléchir.
Contrôlant son repas, il ronchonne pour lui-même en déplorant l'oubli de sa cuillère, puis hausse les épaules et commence à manger le pain trempé dans un bouillon de légumes.
« Je vais manger la moitié ici et l'autre avec Balam. » décide Mery d'un ton très sérieux.
Yüljet rétorque qu'il fait ce qu'il veut, d'un ton las. Elle lutte pour ne pas plonger de nouveau dans la farandole de ses pensées en présence du gamin et fait semblant de s'intéresser au paysage.
Ses inquiétudes la rattraperont plus tard.
« Tu sais, reprend le brownie la bouche pleine, tu peux essayer de prier. Peut-être que quelqu'un t'entendra et que tes soucis pourront se résoudre. »
Titan le regarde comme s'il venait de se transformer en crylasm. Prier ? C'est une drôle d'idée.
Elle secoue la tête et met les coudes sur ses genoux.
« Qui te dis que j'ai des soucis ?
- Tout le monde en a, réplique Mery, et c'est pas bizarre de prier. C'est juste que je sais pas à qui parler, mais c'est pas grave. Le jour où on me répondra, je saurai. »
La troll ne sait pas vraiment où le gamin a pu aller chercher l'idée de ce genre de pratique. Il n'y a aucun dieu à prier, sur Eldarya. Aucune divinité qui ait un visage ou un nom et les seules situations qui pouvaient donner lieu à la prière, c'était avant de mourir.
On priait pour un monde meilleur.
« Et tes problèmes se sont résolus ? l'interroge Yüljet.
- Je sais pas. Je prie pas pour moi. »
Surprise, la troll se redresse en croisant les bras sur sa poitrine. Elle observe Mery en train de manger sa soupe de pain trempé et comme la veille, quand il lui a raconté son histoire, il a l'air d'un petit soleil qui entrevoit la peine du monde lorsqu'il n'a pas de chance.
Un soleil qui prie pour autrui.
« Je prie pour maman, poursuit Mery, pour qu'elle aille mieux. Et… Je prie aussi pour l'humaine. Pour qu'elle ait plus mal. »
Sa voix s'est transformée en souffle à la seconde confidence. Il a quelque peu perdu de sa lumière et ses paroles sont d'autres témoins de l'incident qui l'a marqué.
Titan réprime un soupir. Ce que vient de dire le gamin, c'est la raison pour laquelle les prières sont vaines, selon elle.
Prier ne guérira pas sa mère. Prier n'empêchera pas l'humaine qu'il a vu se faire frapper et enlever de subir des sévices ou d'avoir d'autres aiguilles plantées dans le cou.
Personne ne veille sur Eldarya car ses propres habitants l'ont déjà abandonnée.
La troll et l'enfant restent silencieux puis, une fois qu'il a jugé avoir avalé la moitié de son repas, Mery s'en va rejoindre Balam le guetteur.
Dès qu'il a filé, Yüljet tire discrètement son dessin des Monsieur Bec de la poche de sa veste.
Elle observe leurs yeux vides et quelque part, elle se dit que si elle retrouve l'humaine qu'a vu Mery en vie, elle fera son possible pour le lui faire savoir.Prier
Elle est dans les temps.
Après la torpeur du midi qui a conduit les touristes et la population d'Eel sur les terrasses, dans leurs foyers ou au sein des tavernes, la foule s'est de nouveau montrée sur le marché.
Mais Yüljet a attendu. Elle guette l'étal de Purriva, recelant de poteries en terre cuite et de poêlons et patiente : la purreko mettra bientôt en évidence celui qu'elle a demandé plus tôt.
Le poêlon aux ailes fauves.
Il ne sera pas question de se mêler aux autres clients pour s'approcher de la marchande. Les entrevues avec Purral se déroulent toujours dans la plus grande discrétion, et si le signal est donné dans un lieu bondé de monde, le point de rendez-vous est ailleurs.
Proche de la mer, à vrai dire.
Titan sait déjà à quoi elle fera face. Ce n'est pas la première fois qu'elle rencontre le purreko à la robe fauve et aux yeux vairons pour affaires et lorsqu'elle a commencé à vouloir exercer son rôle de cheffe au sein du cartel, elle a appris la complexe organisation des lignées de purrekos.
Yüljet est celle qui donne les ordres auprès des Typhons, mais elle ne fait pas partie de ceux qui régissent le monde souterrain, où les pires vices faeries se côtoient et se plient à des règles données par des créatures félines.
La troll sait que les purrekos font partie des espèces les plus anciennes d'Eldarya. Ils se trouvaient déjà sur place avant le grand exil et quand ils ont vu le monde se peupler, ils se sont adaptés aux changements, sans jamais se soumettre aux nouvelles civilisations.
Les purrekos sont respectés parce qu'ils sont insaisissables. Titan est persuadée que regarder les êtres et les nations se battre pour leurs idéaux les amusent, parce qu'ils en connaissent déjà l'issue, tout comme elle est certaine que même face à une fée à trompe, Purral ou l'un de ses congénères ne broncherait pas.
Le poêlon est enfin là, sur l'étal. Yüljet s'anime et tourne les talons afin de prendre la direction du port. Elle se lance dans la traversée du centre-ville qui s'est transformé en écrin de bruit et de couleurs. Les terrasses sont pleines et Titan peut distinguer sans mal les touristes venus d'Odrialc'h des citoyens d'Eel.
Sans compter les orcs, il y a des personnes aux tenues vaporeuses qui proposent un véritable défilé de nuances chaudes et vives. Leurs pieds sont chaussés de sandales et ces gens d'Odrialc'h aiment se protéger des vents marins en enveloppant leurs épaules dans des capes sophistiquées.
À leurs côtés, Eel respire la simplicité.
Yüljet n'aime pas marcher parmi eux. Ils dégagent tout ce qu'elle déteste et au sein de la plus grande cité d'Eldarya, ils sont ceux qui vivent juste au-dessus de l'abîme où se tient la misère qu'ils ne connaissent pas.
À ses yeux, tous ces gens se ressemblent et elle aime se dire que si leurs personnalités possédaient des couleurs, elles seraient toutes pareilles.
D'ailleurs, lorsque ses entrevues avec Purral se terminent et qu'ils ne parlent plus affaire, ils apprécient discuter de choses plus basiques, dont ces gens-là qui ne craignent ni la faim, ni la misère et qui aiment se donner bonne conscience en s'apitoyant sur le malheur des castes inférieures.
Quand Titan les quitte pour retrouver la fraîcheur du port et la compagnie des pêcheurs, c'est un soulagement. L'odeur du poisson envahit les lieux et prisonniers des filets, Yüljet devine des carpes volantes, des poissons libellules ainsi que des poissons lunaires.
Leur chair n'est pas destinée à nourrir des estomacs faeris, malheureusement, mais ceux de leurs familiers.
D'ailleurs, ces derniers font l'objet d'un commerce très particulier et assez onéreux aux Abysses.
En marchant le long du port, les belles habitations et boutiques se font de plus en plus rares pour laisser place à des cabanes plus vétustes servant d'entrepôts. Celle que recherche Titan est la dernière sur la gauche. La plus délabrée.
Au fur et à mesure de ses rencontres avec les purrekos, elle a pu aviser que c'était l'un de leur jeu favori : dissimuler le beau derrière le laid.
Encore fallait-il pouvoir trouver le beau.
La planque d'Eel a plusieurs particularités : elle est reliée au circuit du tap, elle se situe sous le port et elle possède un accès qui mène aux égouts et qui permet à tout individu invité en ces lieux d'entrer et de sortir de la cité.
Bien entendu, le lieu est bien gardé.
S'assurant qu'elle n'est pas suivie, Yüljet s'arrête face à la dernière cabane sur la gauche avant d'en pousser la porte. Sous sa main brune, elle a la sensation que le bois va céder et que les gonds rouillés vont rendre l'âme, mais il n'en est rien.
Sans surprises, elle se retrouve au sein d'une petite pièce nue, sans mobilier ni vestige d'objets abandonnés. Il n'y a pas d'autre porte et il n'y a aucune trappe cachée.
En réalité, il suffit de se projeter à Odrialc'h.
"Porte verte - rue du Tap".
Ici, c'est "La dernière cabane sur la gauche - La planche griffée - La porte Fauve".
Lorsqu'elle avait découvert la prudence des purreko, il y a neuf ans, elle s'en était inspirée pour son propre cartel. Yüljet aimait ces jeux de pistes qui parvenaient à protéger un lieu d'une manière simple mais complexe à la fois.
La planche griffée de la dernière cabane sur la gauche n'existe que pour les yeux qui savent où elle est, et sa fragilité n'est qu'apparente. À première vue, la pousser reviendrait à la faire simplement tomber et abîmer le mur. Pourtant, quand Yüljet s'exécute, elle ouvre un maigre passage vers un couloir.
Des murs de briques encadrent un sol pavé et si le décor est étrange, il n'est qu'un accès vers une porte peinte d'un marron fauve. Mais en y pénétrant, Titan a l'impression de se trouver dans un autre monde.
Elle remet la planche en place avec mille précautions, et observe cet étrange chemin vers son lieu de rendez-vous, éclairé par une simple lampe à huile posée sur un tabouret.
On attend sa venue, bien entendu.
Trônant au centre de la porte comme un œil inquisiteur, un judas la surveille. Le purreko gardien des lieux attend qu'elle approche et surtout, qu'elle se mette à parler.
Ceux qui ont l'habitude de s'entretenir avec Purral connaissent le mot de passe, quand ceux qui viennent pour la première fois se font escorter les yeux bandés.
La troll se plante devant la porte, puis dit ces mots :
« Lorsque le poêlon aux ailes fauves dort sur le feu, ses yeux s'ouvrent…
- Mais point de fumée car depuis le début, le poêlon est le feu. » grogne une voix grave.
Lorsqu'on lui ouvre, Titan fait face à un purreko à la robe noire qu'elle a déjà rencontré à plusieurs reprises. Le félin la fixe de ses yeux jaune puis d'un mouvement de tête, lui intime d'entrer.
La pièce dans laquelle Yüljet met les pieds n'est pas grande, car elle n'est qu'un palier qui la mènera bientôt vers les entrailles d'Eel.
Un escalier de pierres l'attend comme une gueule béante dans laquelle elle se jette, puisqu'elle la connaît.
Ses pas se portent petit à petit en écho et même si le décor n'est que murs et sols froids, avec des portes ainsi que des torches, la troll se fait la réflexion qu'il est toujours plus accueillant que les Abysses.
Elle sait où aller mais par précaution, des purrekos sont postés de toute part afin de lui garder un passage linéaire. Il ne faudrait pas que lui vienne l'idée de s'égarer et de tomber sur des choses qu'elle n'est pas censée voir ni connaître.
Les félins ne prononcent pas un seul mot. Leurs yeux ne quittent pas cette troll qui leur est familière et leurs muscles vifs sont prêts à s'actionner au moindre signe de rébellion.
Qu'importe la force, l'espèce, la taille ou bien la carrure du client venu pour une entrevue, il ne doit jamais oublier sur quel territoire il se tient.
Après les pierres sombres et les lumières vacillantes, Yüljet atteint enfin une porte qui jure avec les lieux. Elle a la sensation qu'elle a été volée dans les beaux quartiers pour être placée ici, tant son bois est propre, net et même vernis.
La poignée est lustrée, ciselée d'arabesques, tout comme le heurtoir. D'ailleurs, Titan n'a même pas besoin de l'utiliser puisqu'un purreko se charge d'annoncer sa venue.
On la fait entrer une seconde fois.
Ce que l'œil de Yüljet a attrapé en premier, ce sont les lanternes suspendues à des chaînes. Sous les sols d'Eel et après une traversée dans l'obscurité, elles font presque penser à des cadavres aux flammes fatiguées.
Des chaufferettes en fonte côtoient des fauteuils confortables, un superbe tapis en velours qui ressemble à une immense tache de vin brodée d'or et des bibliothèques bien garnies. Le strict minimum pour recevoir un client, mais Titan sait que leurs possessions ne s'arrêtent pas là.
Trois paires d'yeux se lèvent à son arrivée.
Purral et son regard vairon. Le félin est confortablement installé dans l'un de ses fauteuils d'un bleu canard et sa robe flamboyante semble embraser le tissu brodé.
Son oeil améthyste se plisse avec son jumeau d'azur alors que sa babine se soulève en un léger sourire dévoilant un croc.
Purral est un purreko plus petit que la moyenne, mais c'est son charisme et son aura qui grandissent son personnage. Sous son crâne félin se tient une intelligence qui a déjà fait ses preuves dans les territoires sombres d'Eldarya, avec un millier de ficelles qu'il sait manier pour faire vivre sa lignée ainsi que son commerce.
Il a des yeux et des oreilles, mais peu d'informations à donner sans une bonne contrepartie.
« Titan., salue-t-il.
- Purral. » répond la troll.
Le purreko n'est pas seul dans cette pièce. C'est une habitude, en réalité, car il existe deux personnes dont il ne se défait presque jamais.
Plus loin, assise sur une jolie chaise avec une petite tasse en porcelaine fumante entre ses pattes blanches, une créature fixe Yüljet avec ses yeux d'un vert étincelant.
Sa fourrure dense, immaculée, est piquetée de tache ocre, beige et brune, lui donnant l'allure d'un hiver qui aurait bravé une tempête d'automne.
Sur son crâne félin siège un diadème elfique au rubis sanglant, au prix certainement indécent.
Tout comme Purral, la sympathie de cette purreko n'est jamais chose acquise, car elle peut facilement se perdre au moindre faux pas. La créature en train de siroter un thé est capable de se montrer effrayante, et si certains en ont douté, ils ont appris à la craindre.
« Titan., sourit-elle.
- Purriry. »
Purriry est l'épouse de Purral.
Elle est connue pour mettre la main sur les tissus et broderies les plus excessifs en surface, et les plus insolites pour les Abysses. La plupart des personnalités d'Eldarya se vêtissent avec ses créations et il existe même des rumeurs qui prétendent que la féline aurait conçue une robe exceptionnelle pour le mariage d'une goule.
La fille d'un producteur de tap, paraîtrait-il. Mais Yüljet n'y croit pas une seconde.
Mais ce qui est vrai dans ce que l'on peut entendre sur Purriry, c'est sa créativité en matière de vengeance. Comme la fois où des tisserands des îles du Qi, non loin des Côtes de Jade, ont osé lui manquer de respect et la traiter de la même manière qu'un de leurs familiers.
Purriry les a tous fait scalper. Ensuite, elle a religieusement fabriqué de merveilleux coussins qu'elle a rembourré à l'aide des cheveux de leurs scalps, et vendus à prix d'or aux Abysses.
Il est fortement déconseillé de se mettre les purrekos à dos, c'est une règle d'or. Mais encore moins lorsqu'il s'agit de figures connues comme Purriry ou Purral.
Et pour finir, dans cette jolie pièce qui pourrait presque être accueillante, il y a le kobold.
De petite taille, la peau aussi brune que celle de Yüljet, de grands yeux virides et des cheveux bruns tirant vers le grenat, le serviteur personnel du couple de purrekos ressemble à un bijou.
Lors de ses premiers contacts avec les félins d'Eldarya, Titan a appris la relation particulière qu'ils entretiennent avec le peuple des kobold.
Ces êtres de petite taille ont vu leurs territoires pris d'assaut par les orcs et les elfes sylvestres lors du grand exil alors, réduit à disparaître, ils n'ont dû leur survie qu'en troquant leur liberté contre la protection des purrekos.
De ce fait, chaque famille doit offrir leur premier enfant à la lignée de félins qui garantit leur sécurité. L'enfant sera alors éduqué par la lignée et destiné à servir l'un de ses membres toute sa vie.
Le kobold de Purral et Purriry se nomme Nanasira et de ce que sait Titan, il n'est pas à plaindre.
Couvert de tissus fluides et de bijoux, il ressemble à un prince et en grandissant auprès de Purral, il a eu accès à des savoirs infinis. Cela lui a valu quelques tentatives d'enlèvements, mais qui n'ont jamais abouti.
Yüljet n'a jamais su ce qu'il est advenu des détracteurs.
« Titan. l'accueille-t-il d'un ton poli.
- Nanasira. »
Les politesses étant faites, la troll est invitée à prendre place sur l'un des fauteuils. Comme d'ordinaire et lors de chaque entrevue, le kobold s'attable à un bureau, encrier, plume et parchemins prêts à être utilisés afin de consigner l'entretien dans toute son entièreté.
Il est difficile de mentir à Purral, surtout lorsque chacune de ses paroles sont couchées sur du papier.
« Quand Purriva est venue me voir pour me dire que tu réclamais un entretien, j'ai été étonné, amorce le félin, car en général tes venues sont toujours précédées d'une catastrophe. Et Eel est plutôt tranquille en ce moment.
- Oh, tu es de mauvaise foi, l'interrompt Purriry, tu oublies Rhenia-Gaear. »
Les avertissements sont déjà lancés. Si Yüljet voulait leur dissimuler son implication dans l'incident qui a eu lieu au sein de la cité des elfes noirs, c'est peine perdue.
Elle voit Purral la regard avec intensité, ses yeux vairons se plissant quelque peu d'amusement avant qu'il rétorque :
« Provoquer les Milliget n'est pas une catastrophe en soi : c'est une réponse à la stupidité. »
Titan retient un rictus. Le purreko peut penser ce qu'il veut, l'opération dangereuse au sein du manoir lui a permis d'obtenir de précieuses informations qui serviront la cause du cartel et leur mission de sauvetage.
« Je n'ai pas demandé cet entretien pour revenir sur ce qu'il s'est passé à Rhenia-Gaear, lance-t-elle, mais pour te montrer quelque chose. »
Pendant qu'elle tire le dessin de Mery de la poche de sa large veste, elle entend Purriry maugréer qu'elle aurait été ravie d'entendre son histoire sur sa rencontre avec les Milliget.
Mais Yüljet parie qu'elle a déjà réussi à en obtenir les détails d'une façon ou d'une autre.
La troll déplie son morceau de parchemin qu'elle pose sur le bureau, et les Monsieur Bec s'attirent déjà le regard curieux de Nanasira.
Purral se lève pour l'examiner attentivement. Titan aurait voulu être capable de lire sur son visage félin, mais tout ce qu'elle peut relever, c'est une concentration profonde.
Quels savoirs le purreko est-il en train de traiter au sein de sa boîte crânienne ?
Lorsqu'il retourne s'asseoir dans son fauteuil, il ne demande même pas à Yüljet dans quelles circonstances elle a obtenu le dessin. Il sait que c'est inutile.
« Quelle est ta question sur ce dessin ? »
Très bien. L'entrevue commence et Titan dresse mentalement la liste de tout ce qu'elle est venue demander.
Se courbant quelque peu, les coudes sur ses cuisses, elle se lance :
« Je voudrais déterminer ce que sont les créatures sur le dessin. »
Les moustaches de Purral frémissent alors qu'il souffle par le museau. La question de Yüljet est vaste et elle le sait, mais elle songe qu'avant de savoir à qui elle a à faire, il serait plus judicieux de déterminer à quoi elle peut se confronter.
Finalement et après de longues secondes de silence, le félin apporte une réponse :
« Je ne sais pas ce que sont les créatures sur ton dessin. Même s'il s'agissait d'une gravure, je ne pourrais pas le savoir, Titan. Car pour te répondre, il faudrait déjà qu'elles ôtent leurs costumes. »
La troll se met à ciller. Des costumes ? Ce qu'aurait vu Mery il y a deux ans, ce serait des êtres portant des costumes de la tête aux pieds.
Elle entend brièvement Nanasira se défaire de son siège alors que dans son esprit, l'histoire du gamin Chrysomallos se complexifie.
« Tu connais le mythe d'Anémone ? » lui demande Purral.
Yüljet lève ses yeux noirs. Le nom d'Anémone lui dit vaguement quelque chose. Une très vieille affaire de meurtres, semble-t-il.
« C'est une sordide affaire de meurtres qui ont eu lieu peu de temps après le grand exil, poursuit le félin sans attendre de réponse, et le dessin que tu m'as apporté m'a rappelé un détail la concernant. »
Pendant ce temps, Nanasira revient avec un livre assez épais, dans lequel on a glissé une masse de feuilles de parchemin comme si on voulait le gaver.
« Anémone était une elfe sylvestre qui était un génie dans les domaines de l'alchimie et de la botanique. Malheureusement, elle était friande d'expériences assez sanglantes et effrayantes. Elle avait bâti un jardin merveilleux dans lequel elle aimait inviter de beaux jeunes hommes de toutes espèces pour les séduire, coucher avec eux et les tuer en leur faisant respirer les aigrettes d'une plante qu'elle avait créée. Les aigrettes en question se déposaient dans les poumons et agissaient comme un parasite qui se nourrit de son hôte jusqu'à le tuer. »
Titan eut un frisson. Elle ne pouvait qu'imaginer une plante en train de grandir au sein d'un corps jusqu'à en déchirer ses poumons et mettre un terme à sa vie.
Le jardin d'Anémone n'était composé que de plantes qui avaient poussé ainsi, transformant le lieu en cimetière.
À leurs côtés, Nanasira continue de tourner les pages.
« Lorsque le jardin d'Anémone a été découvert, il a fallu pratiquer des autopsies sur les corps des victimes afin de retrouver leur assassin. Le médecin en chef qui travaillait sur cette affaire avec les inspecteur de la Garde de l'Ombre, à l'époque, était le Chef de la Garde Absynthe. Mais il craignait de respirer un poison, une spore ou tout autre mal qui aurait pu le tuer en pratiquant ses autopsie. Alors il lui fallait un costume qui le protègerait de la tête aux pieds. Et je te laisse deviner lequel. »
D'un signe de tête, Purral invite Titan a consulter l'ouvrage que son kobold a entre les mains.
Elle se redresse et s'approche du bureau pour examiner attentivement l'image qu'elle a sous les yeux.
Du texte l'accompagne et en le lisant, elle comprend qu'il s'agit du compte rendu de l'affaire "Anémone" que Purral lui a raconté. Le livre fait certainement partie des ses archives personnelles.
Quant à l'image, elle n'est pas d'Eldarya. Cependant, elle représente un Monsieur Bec vêtu de sa tenue de la tête aux pieds.
Il porte une longue robe, des souliers, des lunettes qui ressemblent à de grands yeux inexpressifs, un chapeau et un long bec qui lui donne l'allure d'un grand oiseau sans ailes.
Ses mains sont griffues, et il tient une canne étrange. Aussi, il est entouré de mots que Yüljet ne parvient pas à reconnaître.
Une langue humaine.Gravure de Paul Fürst, 1656
Le regard de Titan passe du dessin de Mery à celui exposé dans l'ouvrage. Ce sont les mêmes créatures ou plutôt : les mêmes costumes.
Elle secoue la tête.
« Pourquoi le docteur qui a travaillé sur l'affaire Anémone a choisi ce costume en particulier ? Pourquoi prendre celui-ci aux humains et pas un autre ? »
Elle entend Purral ricaner, apparemment satisfait, et elle se sent soulagée d'avoir posé la bonne question.
« Le nez qui ressemble a un bec pouvait être équipé d'éponges imprégnées d'épices et d'herbes aromatiques afin de constituer un puissant anti-poison. De plus, il ne possède que deux petit trous pour permettre au docteur de respirer. De ce fait, les spores et les aigrettes auraient eu du mal à s'infiltrer. »
En somme, le docteur voulait se protéger au maximum.
Mais concernant les créatures que Mery a vu ? De quoi voulaient-elles se protéger ? Est-ce qu'entrer en contact avec un être humain était nocif pour un faeri ?
Titan a eu une partie de la réponse à sa question, mais elle en a suscité bien d'autres.
Tant pis. Elle les garde dans un coin de sa tête et elle s'y penchera plus tard.
« C'est tout ce dont tu voulais me parler ? » l'interroge Purral.
Plus maintenant. Yüljet fait le lien entre l'image du livre, le dessin de Mery, l'histoire de ce dernier et le rapport de Fuya sur les présence humaine.
Elle a peut-être le moyen de créer un lien avec tout cela.
Le gamin Chrysomallos avait évoqué un "coup de tonnerre" avant l'arrivée de l'humaine dont il a été témoin, alors si ce bruit est annonciateur de l'ouverture d'un portail…
« Dis-moi : Je voudrais savoir si dans tout Eldarya, les populations de toutes contrées ont déjà fait mention de coup de tonnerre sur des lieux où il n'y a jamais d'orage. »
Fuya a mentionné le continent du Beryx, là où se tient la cité d'Eel, dans son rapport. Mais il est aussi question de la Triade d'Ohm, les Mers d'Or et les Terres Gelées du Grand Nord.
S'il est possible de tracer un chemin hypothétique entre ces endroits, alors il serait tout à fait possible d'y trouver les Monsieur Bec.
Purra se caresse le menton en réfléchissant.
« Je me souviens avoir lu que les lorialets qui vivaient dans leur village avant le massacre, craignaient l'orage des Terres Gelées du Grand Nord comme une malédiction. Dès qu'ils entendaient un coup de tonnerre, ils filaient s'enfermer chez eux en attendant la fin de la tempête. »
Avec un mouvement des babines, il plisse les yeux et ajoute.
« Cela figure dans le poème "De Givre et De Foudre", écrit par Isaac Leiftan Koskilis en 427. Il est décédé lors d'un accident aussi stupide que morbide d'ailleurs. »
Yüljet attend la suite, mais elle n'en saura pas plus. Son esprit s'est mis en alerte à la mention du prénom Leiftan, mais elle sait qu'il était assez courant chez les lorialets, avant que ces derniers ne s'éteignent lors du massacre.
Néanmoins, elle tente :
« Est-ce que ce monsieur Isaac Leiftan Koskilis aurait un lien avec Leiftan Tuarran ?
- Peut-être. Qui sait ? » répond simplement Purral en haussant les épaules.
Tant pis. Ce qui est important, ici, c'est que les Terres Gelées du Grand Nord ont connu de violents orages qui n'en sont peut-être pas et que le lieu renforce son mystère si l'on inclut la proximité des Milliget et de leur frontière.
« Il me semble que la Triade d'Ohm a aussi fait mention de grands bruits semblables à des coups de tonnerre, intervient Purriry, et que le continent du Beryx est aussi beaucoup secoué. Mais bon… Les morgans du village d'Amzer disent que ce n'est que l'océan qui s'exprime avec ses tempêtes marines.
- C'est vrai qu'ici, les orages sont légions. Mais du côté de la Triade d'Ohm, c'est un phénomène qui a été relié au bruit des énormes cascades qui pullulent en ces lieux. »
Purral et son épouse échangent un regard. Pour Titan, cela fait deux, voire trois lieux qui concordent avec le rapport de Fuya.
Si le cartel veut s'aventurer dans cette voie et lever le mystère qui plane autour des apparitions humaines, il serait facile de mettre ces endroits sous surveillance.
Mais ce n'est pas la mission actuelle. Pourtant…
« Est-ce que les Abysses ont déjà vu des traces de présence humaine ? Comme des ventes douteuses, par exemple.
- Tu n'as qu'à aller vérifier par toi-même. »
La réponse est immédiate. Yüljet s'en doutait un petit peu : ce qui demeure aux Abysses, restent dans les Abysses.
Il serait impensable pour un purreko de trahir un marchand régulier qui vient vendre ses marchandises en s'affranchissant régulièrement de la taxe des Abysses.
« J'y penserais. » déclare la troll.
Ce ne sont pas des paroles en l'air. Peut-être qu'elle peut envoyer Sexta et Ryan enquêter sur place, pendant qu'elles vendent les poisons.
Mais encore une fois, il ne s'agit pas de la mission initiale. Le regard dans le vague, Yüljet pense à Sheraz Alfirin, à son carrosse doré, à Céleste, la ciralak porteuse de son message…
Que peut-elle faire en cet instant ? Qu'est-ce que le cartel peut faire ici et maintenant, cloisonné au sein de la cité d'Eel, à quelques jours des sélections ?
Titan est en possession du rapport de Fuya sur les Milliget ainsi que de la lettre de Sira. Ryan et Sexta ont les éprouvettes de sang humain.
Et ensuite ?
« Si je voulais croiser un familier habitant au palais, où devrais-je aller ? » demande-t-elle subitement.
C'est ça, la mission originelle.C'est à ça qu'il faut penser : un contact, un échange, surtout quand on possède des éléments qui méritent l'attention de Sheraz pour mieux le tirer de sa cage dorée.
Purriry laisse échapper un rire sans joie. Un rire aux tonalités moqueuses, à vrai dire.
« Dans un endroit dépourvu de gardes ? suggère-t-elle.
- Alors dans ce cas, il me faudrait connaître les tours de garde du palais d'Odrialc'h. » rebondit Yüljet.
Nanasira cesse d'écrire. Les purrekos dévisagent Titan sans rien dire, avant de s'échanger un bref dialogue muet.
Finalement, Purral secoue la tête mais daigne répondre :
« Pour cela, il faudrait entrer en contact avec un agent double qui siège au palais.
- Et je suppose que tu en connais ?
- Pendant cette entrevue, je ne connais personne d'autre que toi. »
Tu ne pourrais pas y mettre le prix, de toute façon.
Bien sûr que les purrekos ont des contacts au sein du palais d'Odrialc'h, mais ils ne diront rien. Yüljet serre les dents.
Ses efforts sont vains.
« Purral. » interpelle Purriry.
La purreko a posé sa tasse en porcelaine sur la table face à elle, et ses yeux verts sont sérieux. Son mari et elle pensent à la même chose, c'est indéniable.
Ils échangent des phrases aux sonorités affreuses. Titan sent son corps se tendre, ses poumons s'oppresser et une intolérable envie de vomir lui prendre à la gorge, pourtant elle doit rester stoïque.
Purral et Purriry s'expriment dans la langue des goules, le schöl, parce que trop peu de personnes sur Eldarya peuvent la comprendre.
Quand ils s'arrêtent, c'est comme retrouver le soleil après la tempête, ou l'air frais après des années passées à croupir en prison.
« Nous proposons un échange, dit enfin Purriry, mais la condition sera chère. Nous ignorons ce que tu veux aller chercher dans le palais d'Odrialc'h, mais pour nous ce n'est pas important. Ce qui est important c'est que tu peux nous trouver deux personnes que nous pourrons infiltrer.
- Infiltrer ? » s'exclame Yüljet, surprise.
Les babines de la purreko se retroussent.
« Nous connaissons des gardes qui traînent autour du palais, mais nous avons besoin de l'infiltrer.
- Les purrekos n'auraient pas la mainmise dessus ?» réplique Yüljet d'un ton légèrement railleur.
Nanasira fronce les sourcils mais loin de s'offusquer, Purral déclare d'un ton serein.
« Ce n'est pas ce que nous avons dit. Seulement, nous sommes des commerçants qui apportent à leurs clients ce dont ils ont besoin. Et si nous sommes prêts à proposer un échange avec le cartel des Typhons aujourd'hui, c'est pour répondre à un besoin particulier.
- Et pour répondre à ce besoin, il vous faut deux personnes à infiltrer ?
- Deux personnes que tu dois être prête à livrer et à sacrifier, Titan. »
Purriry lui jete un regard étincelant. La purreko demande de la viande fraîche à livrer en pâture mais pour Yüljet, c'est contre les règles du cartel.
« Le cartel des Typhons ne sacrifie pas gratuitement une vie, réplique-t-elle avec sévérité, alors je crains qu'il vous faudra trouver deux personnes sacrifiables par vos propres moyens. »
La purreko émet un sifflement dédaigneux en levant les yeux au ciel, mais les négociations s'arrêtent là.
Titan ignore les raisons qui peuvent pousser les félins à s'allier à d'autres personnes pour une infiltration au sein du palais d'Odrialc'h pour le compte d'un client particulier. Elle les pense parfaitement capable de trouver deux personnes à livrer, pourtant.
Ou peut-être que leur mission est si dangereuse qu'ils ne veulent pas prendre le risque d'entacher leur lignée et leur espèce en les mêlant à un terrible bourbier.
« Si tu changes d'avis, demande une entrevue. » lui glisse Purral.
Chose vaine. Yüljet ne sacrifiera jamais deux membres de son cartel, même pour infiltrer le palais d'Odrialc'h, alors elle préfère renoncer et tâcher d'y entrer par ses propres moyens.
Le silence prend possession de la pièce et plus personne ne dit rien. Titan a obtenu ses informations, et même s'il lui reste une dernière question sur le bout des lèvres, elle préfère en discuter avec la principale intéressée que cela impliquerait.
Autour des purrekos, de Nanasira et de la troll, les lanternes somnolent avec leurs flammes vacillantes.
Enfin, Purral demande d'une voix posée :
« Était-ce tout ce dont tu voulais me parler ? »
Yüljet relève la tête.
Non. Il y a autre chose. Un rituel, en réalité. Une question qu'elle pose à chaque fin d'entrevue en espérant obtenir une réponse qui ne vient jamais.
Une réponse que le félin lui donnerait s'il la possédait, car le prix à déjà été payé.
« Non. Une dernière chose : qui m'a nommée cheffe du cartel des Typhons ? »
Purral secoue la tête en fermant ses yeux vairons, comme d'habitude. Il souffle par le museau, ses moustaches frémissent et même Purriry ne dit rien.Je ne sais pas. Quelqu'un qui partage tes idéaux, sûrement. Quelqu'un qui te pense capable d'accomplir l'impossible.Les Choix
Alors, alors !
Après ce très long chapitre, vous voilà en possessions d'un grand nombre d'informations. Vous avez choisi l'entrevue avec Purral et à l'issue de cette dernière, il vous faudra prendre une décision concernant la suite des évènements.
Un petit rappel cependant :
➜ Vous avez choisi de filer Ezarel Sequoïa.
➜ Les éprouvettes de sang humain sont entre les mains de Ryan qui fait son possible pour les analyser.
➜ Vous avez choisi d'effectuer des recherches sur les hauts-elfes.
Au cours de l'entrevue avec Purral, vous avez appris que les créatures sur le dessin de Mery sont en réalité des personnes sous un costume. Vous avez également appris que les lieux où des bruits d'orages se faisaient entendre correspondent assez bien aux lieux évoqués dans le rapport de Fuya sur les présences humaines (rapport que vous pouvez retrouver dans la bibliothèque d'Apotheosis).
Vous savez également que les purrekos eux-même n'ont pas la mainmise sur le palais d'Odrialc'h et qu'y entrer est extrêmement compliqué, même si Purral et Purriry semblent avoir un plan en tête.
Mais le cartel des Typhons ne sacrifie aucune vie, sauf si c'est pour en sauver une autre.
Alors à présent : à vous de déterminer la priorité du cartel des Typhons.
Pour effectuer votre choix, gardez ceci à l'esprit : Vous êtes Titan, la cheffe du cartel des Typhons. Et vous devez prendre une décision quant à la direction de la mission.
➜ Le sauvetage de Sheraz passe au second plan. On abandonne les recherches sur les hauts-elfes et celles sur un moyen d'entrer en contact avec lui, et on se concentre sur les présences humaines sur Eldarya.
➜ On reste sur la mission originelle. On cherche à entrer en contact avec Sheraz pour son sauvetage, même si la mission semble impossible. On maintient les recherches sur les hauts-elfes.
➜ Yüljet décide de violer l'une des règles du cartel pour tenter le sauvetage de Sheraz. Dans ce cas, il vous faudra chercher deux personnes à envoyer au sein du palais, sachant qu'elles ne pourraient probablement plus jamais le quitter. (Les deux personnes à envoyer au sein du palais ne peuvent pas êtres des membres du cartel, mais des personnes extérieures au cartel.)
➜ Vous choisissez de ne prendre aucune de ces décisions et de vous laissez porter par les évènements. Reste à voir où ils vous mèneront.Est-ce que ce choix met une ou plusieurs vies en danger ?
Absolument !
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes a décidé d'investiguer la bibliothèque du Quartier Général, grâce à sa fausse identité, Jens Red.
Ladite bibliothèque recèle d'ouvrages en tout genre et peut-être qu'il trouvera quelque chose sur les haut-elfes, mais les titres se succèdent, le temps presse et plusieurs personnes dont l'assistant d'Ewelein Osgiliath qui se trouvait également là - le voient en train de chercher parmi les étagères.
Parmi ces titres, lequel fawkes doit-il emprunter ? Il peut emporter deux livres, mais bien entendu, ses emprunts seront enregistrés dans le registre tenu à la bibliothèque :
➜ Lotheg et son Histoire
➜ Rage Sourde et Linceul de Givre
➜ Murmures de Forêt
➜ Naissance du Monde
UNIQUEMENT pour Zuzohyo :
L'opération de Fuya est terminée et la sirène se repose dans sa chambre. À priori, il n'y a pas eu de complications mais Lilymoe n'était pas présent dans la salle d'opération.
Ewelein Osgiliath l'a convoqué pour lui proposer de l'assister dans ses tâches et comme d'habitude, elle le laisse choisir.
Que doit faire Lilymoe :
➜ Assurer le suivi de l'opération de Fuya en compagnie de l'étudiant aspirant à la Garde Absynthe qui lui a apporté sa chaise roulante.
➜ S'occuper des préparatifs pour les sélections en corrélation avec la Garde Absynthe.
➜ Faire passer des visites médicales aux participants des sélections.
➜ Effectuer une commande de médicament auprès de la Garde Absynthe.
Aussi, Lilymoe à notifié que monsieur Jens Red avait passé énormément de temps à la bibliothèque du Quartier Général. Peut-être cherchait-il quelque chose en particulier, mais sans succès.
Lilymoe connait bien la bibliothèque. Que faire ?
➜ En parler à Jens Red et lui proposer de l'aider.
➜ Ne rien dire pour ne pas se mêler de ses affaires.
Pas de choix pour MayaShiz dans ce chapitre ! Ce sera au prochain !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Me revoilà avec le chapitre 10 d'Apotheosis, mais également quelques mises à jour.
Comme nous en avions discuté précédemment, ce chapitre sera plus court que d'habitude avec des choix moins complexes, aka des choix dits "normaux". Je pense que ce sera plus simple pour vous de suivre la fiction de cette manière.
Concernant les mises à jours :
➜ La fiche personnage de Titan a été mise à jour au sein de la "Bibliothèque d'Apotheosis".
➜ Sur la fiche personnage de Titan, vous pouvez y retrouver la synthèse de son entretien avec Purral qui recense tous les éléments importants.
➜ Sous le spoiler "Annexe", vous trouverez un lien vers un Google Doc qui n'est nul autre qu'un dictionnaire Français-Orc ! Lorsque vous apprendrez un nouveau mot, il sera consigné dans ce doc. Cela pourrait vous être utile, on ne sait jamais.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 10 - Kribaten Shakalogat Gra Ysul
« Parce que tout le monde compte sur moi. »
Tout en lui inspire la résolution. Il a une volonté immuable qui l'empêche de ployer, même quand des rafales lui hurlent à la figure et c'est la raison pour laquelle malgré sa personnalité impulsive et son arrogance, Yüljet l'apprécie.
Mais il ne le sait pas.
Appuyée contre le mur d'une ruelle, la troll tente de s'y fondre. Ce n'est pas un exercice qu'elle parvient à maîtriser aussi bien que Fawkes, Rose et Fuya, mais elle fait de son mieux.
De plus, la proie sur laquelle elle a jeté son dévolu est aisée à prendre en filature, alors c'est une aubaine.
Elle ferme brièvement les yeux. Elle songe aux conséquences malheureuses qu'elle aurait pu endurer si elle s'était essayée à suivre Nevra Mircalla ou Leiftan Tuarran.
Yüljet plie et déplie les doigts de ses mains en des gestes inconscients. La nervosité commence à monter le long de sa poitrine pour lui agripper la gorge, mais Titan lui tient tête depuis l'aube.
Elle focalise son esprit sur la scène en train de se dérouler à l'autre bout de la ruelle pour ne pas penser à "après". Ses yeux bruns et ses oreilles ne perdent pas une miette de l'elfe sylvestre en train de bouillir, les muscles crispés.
Toute la silhouette d'Ezarel Sequoïa, digne Chef de la Garde Absynthe, n'est qu'un paquet de nerf. Son corps exprime une rage contenue depuis bien trop longtemps et s'il est connu pour arborer son éternelle attitude hautaine et manier le cynisme à la perfection, Yüljet sait que derrière les écorces de sa personnalité se cache une noblesse d'esprit.
Ezarel est un génie et il le sait. Il ne doit sa place de Chef qu'à ses compétences, qu'au savoir qu'il a emmagasiné dans son esprit durant ses longues années d'études et à celui qu'il ne connaît pas encore, mais qu'il découvrira sûrement. Et personne ne se permettrait de douter de ses capacités.
L'elfe fait parler de lui en tant que Chef compétitif, intransigeant, impitoyable et bourreau qui a fait pleurer plus d'une de ses recrues, mais après avoir subi son terrible enseignement, les gardiens de l'Absynthe deviennent de prestigieux alchimistes, botanistes, médecins ou pharmaciens.
De plus, il ne partage pas l'idéologie d'Odrialc'h.
« Je sais. Mais vous finirez pas vous tuer, est-ce que vous le savez ? »
La voix qui a répondu à Ezarel est tranquille. Elle tente de calmer la tempête mais malgré ses interventions, le Chef de la Garde Absynthe ne parvient pas à décolérer.
Yüljet voit un rictus moqueur se peindre sur sa figure avant qu'il se détourne pour secouer la tête et mettre les mains sur les hanches. Un soupir agacé fait danser ses épaules et derrière lui, Keroshane Astorg ne dit plus rien.
Le secrétaire général de la Garde Étincelante a suivi Ezarel jusqu'au fond de cette ruelle dans l'espoir de lui faire entendre raison, mais sans succès.
Le noyau du problème, ce sont les financements d'Eel pour la Garde Absynthe qui commencent à se retirer un par un, pour finalement favoriser les Gardes de l'Ombre et de l'Obsidienne, plus enclines à servir de réserve pour Odrialc'h.
La plus grande cité d'Eldarya pourra ainsi venir quérir des soldats, des gardes ou même des membres pour venir garnir les rangs de leur police, leurs espions et leurs équipes chargées des interrogatoires. Et si l'infortune frappe définitivement la Garde Absynthe, cette dernière pourrait se voir dissoute et ses gardiens transférés au sein de la cité des orcs, pour le meilleur, ou bien licenciés, pour le pire.
Mais tout le monde compte sur Ezarel Sequoïa.
Keroshane fait un pas vers l'elfe et même si ce dernier ne le regarde plus, il se remet à parler :
« Toutes ces études, tous ces essais, toutes ces thèses pour ramener les sols d'Eldarya à la vie et offrir des terres cultivables à ses habitants, c'est une sainte tâche, Chef Sequoïa. Mais il n'y a ni progrès, ni résultats à fournir.
- Et aux yeux des bourses d'or et des grattes-papiers, ça ne vaut rien ? »
Mircalla. Yamamura. Fenghuang.
Ce sont les bourses d'or qui entretiennent les Gardes de la cité d'Eel, Titan les a bien retenues. Les premiers sont l'une des trois fortunes d'Eldarya et la famille de Nevra Mircalla. Les seconds ne sont rien d'autres que les membres du clan Yamamura, dont Miiko est issue et les derniers sont les maîtres de l'archipel des Côtes de Jade.
Mais des trois bourses d'or, seuls les Fenghuang resteraient favorables aux recherches d'Ezarel Sequoïa.
« Ce n'est pas si simple, argumente Keroshane, je sais ce que vous pensez du système administratif et des personnes qui exercent le même métier que moi. Mais il y a des règles, il y a des dossiers à monter, des arguments à écrire et si votre Garde perçoit de l'argent, c'est parce que je fais de mon mieux pour consigner vos efforts sur du papier. Je ne suis pas votre ennemi, Chef Sequoïa. »
Ezarel se retourne pour lui lancer un regard noir. Son visage si lisse, auréolé de cheveux saphirs, s'est figé dans une expression de mépris. On aurait presque pu la croire gravée dans le marbre si ses yeux ne s'étaient pas plissés et ses lèvres tordues.
« C'est vrai. Tu n'es pas mon ennemi. Tu es un secrétaire planqué dans la Garde Étincelante, au beau milieu de ces bonnes gens et tout ce que l'on retient de toi, c'est ta plume et tes parchemins. »
Un doigt accusateur menace le secrétaire général pendant que l'elfe continue sur sa lancée en lui jetant des phrases assassines.
« Toutes ces heures, toutes mes notes, tous ces ingrédients utilisés, ces filtres ratés, ces sols que je ne parviens pas à ressusciter et les espoirs de mes gardiens gâchés… est-ce que tu peux synthétiser tout ça sur tes parchemins ? Non. Parce que comme tes supérieurs qui t'appellent "secrétaire", tout ce que tu vois, c'est l'absence de résultats.
- Ce n'est pas vrai. »
D'un geste, Ezarel balaye sa réponse. Il n'en a que faire et la lueur étincelante de ses prunelles aigue-marine traduit une seule et unique certitude : qu'importe ce que dira Keroshane, il aura tort.
Le Chef de la Garde Absynthe déprécie tout ce qu'il est et tout ce qu'il incarne. Un bureaucrate que personne n'écoute et qui n'est bon qu'à pondre et remplir des dossiers, ainsi que des comptes-rendus d'un labeur qu'il ne connaît même pas.
« Montrez-moi vos notes, expliquez-moi vos filtres ratés, laissez-moi parler à vos gardiens qui n'ont plus d'espoir et je vous promets que je saurai reconstituer tout cela dans un dossier que je soumettrai aux financeurs. Rien n'est encore perdu et vous avez encore le soutien des Fenghuang ! Je… je…
- Keroshane. »
Yüljet inspire profondément. Cette fois, ses mains malmènent le tissu de son long manteau et la nervosité la guette comme un prédateur. Au fond de ses entrailles, elle fulmine et gronde contre elle-même, contre son corps qui tremble sans sa permission.
« Odrialc'h va marcher sur les pavés de la cité d'Eel, aujourd'hui. Et qui peut prédire si ma Garde pourra encore se tenir debout lorsque les solerets de la Capitaine s'en iront ailleurs ? »
Il l'a dit.
Yüljet quitte le mur contre lequel elle s'était adossée et s'aventure hors de la ruelle.
Ezarel ne lui apprendra rien de plus de toute manière aussi, elle sait qu'il lui donnera raison lorsqu'elle le verra arpenter le centre-ville d'un pas rageur.
Et quel centre-ville…
Titan frissonne pendant que sa gorge se serre. Elle exècre cette atmosphère, cette cité blanche qui retient son souffle pour exploser de clameurs lorsque viendra la Sainte Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
C'est plus tard. C'est un un petit pas dans la denrée du temps qui sépare encore Yüljet de la personnification de sa haine et les journées qu'elle a vécu avant cela, elles ne sont que des battements de cils.
Fawkes avait continué de jouer le rôle de Jens Red. Fuya avait fait de brèves apparitions en chaise roulante, tantôt accompagnée par l'assistant d'Ewelein Osgiliath, tantôt avec le gamin Ael Diskaret.
L'un ou l'autre la conduisait sur le port d'Eel, à l'endroit où le bateau en provenance d'Odrialc'h avait accosté et Titan savait que la sirène choisissait cet endroit dans l'espoir d'être vue en meilleure santé par sa cheffe.
C'était une bonne décision.
Une fois par jour, Yüljet s'était rendue sur le port juste pour s'assurer qu'elle allait bien, malgré le bandage qu'elle portait autour de son cou. La troll ne savait pas encore si les médecins avaient extirpé de petits morceaux de verre de ses branchies, mais elle pensait que c'était le cas.
Puis, au cours des journées qui avaient défilé sans crier gare, Titan pouvait ajouter les instants où elle avait consigné les informations obtenues lors de son entretien avec Purral, sur du papier, ceux où toutes ses réflexions tournaient sans relâche dans l'espoir de former la meilleure des décisions pour la suite des évènements et même la présence de Mery quand elle croisait son chemin. Le petit brownie mangeait parfois sa soupe de pain trempé à ses côtés, persuadé qu'elle était une bonne personne.
La somme de toutes ces journées l'avait menée à aujourd'hui ou bien le point culminant de sa prison blanche.
Même si Yüljet ressent une peur qu'elle se refuse d'avouer, elle se tient prête à affronter l'arrivée de la Capitaine ainsi que les sélections.
Autour d'elle, Eel frémit d'excitation et toutes ses âmes se préparent religieusement au sein de leurs foyers, auberges et chambres chez l'habitant avant de tous se réunir au même endroit.
Ils formeront une masse faerienne, une vague en attente d'embrasser un rivage en armure d'orichalque. Titan ne sait même pas si elle doit les trouver pathétiques ou bien envier leur insouciance.
Qu'importe.
Ses pas l'ont menée au port avant qu'il ne soit bondé et c'est la dernière fois qu'elle pourra y montrer son visage. Quelques jours après son entretien avec Purral, c'était à cet endroit qu'elle avait pris sa décision.
Le cartel des Typhons sauverait Sheraz.
Même si Titan mourrait d'envie de poursuivre la piste des présences humaines et de ce qu'elles devenaient, elle ne dérogerait pas à sa promesse.
Après les sélections et une fois de retour à Odrialc'h, elle et les membres de son cartel trouveraient un moyen d'entrer en contact avec Sheraz, par le biais de sa ciralak.
Et personne ne serait sacrifié pour entrer au palais. Ils y arriveraient.Sheraz Alfirin
Eel attend et guette l'horizon.
La masse faerienne qui vient s'agglutiner face à la mer a l'air d'être frappée par le tonnerre, tant l'excitation l'anime. Les tenues, les bijoux et les cheveux forment un jardin bien étrange. Un jardin heureux qui additionne des sourires ainsi que des yeux étincelants d'une joie mêlée à de l'admiration. Pourtant, la Capitaine n'est pas encore arrivée.
Sur le port de la cité blanche, c'est un véritable cortège qui se prépare. Pour pallier à l'attente, un merveilleux cortège prend forme et même de sa petite place, Yüljet n'en perd pas une miette.
La troll s'est déjà mise en retrait, car même si une foule reste une excellente cachette, elle sait qu'elle ne sera pas suffisante pour combattre les yeux de la Capitaine.
Titan observe l'immense attroupement. Elle peut sentir les cœurs de toutes ces personnes battre à l'unisson et elle tente de discerner des silhouettes connues.
Yüljet attrape déjà les cheveux nacrés et la peau bleu de Helouri Ael Diskaret. Sans surprises, le morgan est accompagné de son amie June qui laisse exploser son énergie intarissable. Helouri se trahit en gestes nerveux et Titan manque de lever les yeux au ciel en songeant à la scène absurde à laquelle elle avait assisté quelques jours plus tôt.
Ce gamin fragile et insignifiant qui s'était laissé haper par le portrait de la Sainte Shakalogat Gra Ysul…
Qu'importe.
Titan recherche des visages familiers. Elle devine que Fawkes doit se tenir ici, les yeux et les oreilles à l'affût et que bien entendu, Rose doit faire partie du comité d'accueil.
Le drapeau de la Garde de l'Ombre lui donne raison : le corps droit, les mains derrière le dos, les pieds bien campés au sol, Rose se tient auprès de Nevra Mircalla.
Le célèbre vampire et Chef de la Garde de l'Ombre s'est vêtu de ses habits d'apparat d'indigo, de bleu persan et d'argent. Il ressemble à un prince et en réalité, il est à l'image de la fortune de sa famille.
À côté de lui, le Chef Valkyon Batatume ressemble à un soldat nomade pendant que le Chef Ezarel Sequoïa n'a l'air que d'un professeur d'une campagne perdu. Pourtant, personne ne se permettrait d'avoir ce genre de pensée, tant le charisme de l'un vaut l'érudition de l'autre.
Enfin, le cortège s'anime.
Yüljet ne perd pas une miette de la famille Mircalla en train de s'avancer.
L'une des trois fortunes d'Eldarya ne possède ni la grâce des Alfirin, ni la terreur inspirée par les Milliget, mais ils sont uniques.
Ils captivent les regards par les couleurs de leurs tenues et la complexité de leurs coiffures. D'émeraude, de saphire, d'améthyste ou de topaze, les drapés de leurs vêtements les transforment en forêt, en océan ou en volcan.
À la tête du cortège, la mère de Nevra est une jungle.
Iris Mircalla arbore un long manteau d'un vert impérial aux arabesques mordorées. Ses bottes sapins, ainsi que sa chemise et ses gants cannelles font ressortir son épaisse chevelure brune aux reflets flamboyants. La vampire d'une cinquantaine d'année l'a tressée, reliée, ornementée et parée d'accessoires pour mieux la transformer en une œuvre insolite.
Son visage de craie a été soigneusement maquillé et même son air sévère semble pensé pour s'accorder avec sa tenue.
Iris Mircalla inspire l'autorité, une puissance sauvage et toute sa personne respire le pouvoir.
Yüljet songe que même attablé au même banquet que les Milliget, Iris ne se laisserait pas impressionnée par leurs trompes ou leurs festins morbides.
À ses côtés, se tient un vampire du même acabit. Narcisse Mircalla, le père de Nevra, semblable à une figure de métal.
Le gris acier de son gilet côtoie le plomb de son pantalon de cuir, ainsi que la suie des talons de ses chaussures à boucles. Ses cheveux de perle dégagent son visage anguleux pour se rassembler une queue de cheval alambiquée, piquetée de plumes.
Des plumes de lovigis, sûrement.
La suite d'Iris et de Narcisse Mircalla n'est qu'oeuvres vivantes à admirer, et c'est ce que font les faeris rassemblés sur le port. Titan esquisse un sourire en pensant à Sexta qui ne manquerait pas de lancer que toute cette mascarade fait honte à son espèce.
Mais la mascarade n'est pas terminée.
D'instinct, Yüljet se recule un petit peu plus dans l'alcôve offerte par le petit dépotoire pour tonneaux et caisses usés.
Elle peut voir Miiko Yamamura, droite et fière, le chef bien haut et le regard tourné vers l'horizon. Ses longs cheveux noirs s'animent avec sa démarche, comme ses quatre queues de kitsune et le bois de ses getas traditionnelles claque sur les pavés d'Eel.
Mais plus menaçant, c'est l'ombre vêtue de blanc qui marche calmement à ses côtés.
Le manteau sur les épaules, le visage aussi serein qu'une mer endormie, il a pourtant les yeux qui brillent toujours d'un éclat étrange dont Yüljet a appris à se méfier.
Leiftan Tuarran, dernier membre de son espèce et aiguille d'Odrialc'h plantée au cœur de la cité blanche.
Le cortège est au complet et l'invitée d'honneur se fait attendre.
Depuis l'obscurité du dépotoir, Titan est une spectatrice qui assiste à l'arrivée du chaos et elle ne peut rien y faire.
Enfin, elle parvient à repérer Fawkes dans la foule. En retrait, le renard-garou arbore un sérieux sans pareil. Yüljet devine tous ses sens en alerte.
Aussi, elle reconnaît non loin de lui le petit Mery et sa mère, Balam le guetteur, Keroshane le secrétaire général et une grande elfe aux cheveux blancs à l'allure si digne.
Comme pour se hisser à la grandeur de son titre de médecin en chef, Ewelein Osgiliath n'a même pas besoin de fendre la foule pour rejoindre la tête de la mascarade et y rester.
Derrière elle, elle laisse son assistant accompagner Fuya et les entrailles de Titan se tordent.
Bien sûr que les soignants n'auraient jamais laissé Ellen Price d'Odrialc'h, se morfondre à l'hôpital et manquer l'arrivée de la Capitaine, mais Yüljet aurait mille fois préféré qu'ils le fassent.
La moue de la sirène l'inquiète et les regards qu'elle lance discrètement à Fawkes aussi.
Mais c'est trop tard.
La foule s'anime, tremble, frémit et éclate lorsque son divin songe prend vie sous les traits d'un superbe bateau. Un voilier qui peut égaler sans peine celui de la famille Mircalla et le surpasser de peu.
Mais la beauté du bateau qui s'approche n'intéresse personne. La masse faerienne n'attend qu'une passerelle et qu'une silhouette puissante à la peau cuivrée et à la natte de feu.
Les minutes sont trop longues à son goût et trop courtes à celui de Yüljet et même la vision qui marquera les esprits prend deux apparences.
Il y a celle de la légende et celle de la haine.
Des instants qui se succèdent, des images en train de courir et des sons mis les uns derrière les autres.
Le bruit des vagues, les clameurs, le bois qui vient cogner contre la pierre blanche du port d'Eel et le métal de solerets.
Les armures d'orichalque claquent, et bien avant qu'elle apparaisse, on l'annonce dans la langue de son espèce.Kribaten Shakalogat Gra Ysul !
Titan est presque surprise de ne voir personne s'agenouiller.
À son insu, elle est prise aussi dans l'instant présent, malgré l'horreur qui grimpe dans sa poitrine, son cœur qui convulse contre ses côtes et ses poumons qui suffoquent.
Machinalement, elle serre les dents et fait un pas en arrière.
Comme pour parfaire le tableau, le soleil d'Eel s'est incliné derrière elle pour projeter sa lumière sur l'armure qui sied à sa silhouette musculeuse.
L'orichalque se teinte d'or et chaque rainure ciselée sur le plastron, les épaulières, les canons d'avant-bras ou même les cuissards, étincellent comme s'ils allaient se mettre à luire.
Son armure n'a rien d'un bijou mais ce qui la rend si extraordinaire, c'est la légende qui l'habite.
Un gantelet chante lorsqu'elle pose la main sur la garde de son épée. Geste instinctif, certainement.
Comme tous ses semblables, elle n'est que force musculaire, visage d'angle et crocs saillants. Un être qui était barbare à une époque pour devenir savant et civilisé aujourd'hui, grâce à l'enseignement du temps.
Mais celle qui marche sur la passerelle aujourd'hui s'est hissée au-delà de l'orc pour devenir un mythe. On idolâtre ce qu'elle est et ce qu'elle inspire, de ses yeux noir jusqu'à sa natte ardente. De ses petits crocs jusqu'au souffle qu'elle expire par sa bouche cuivrée et pour Yüljet, il n'y a rien de plus ridicule.
Chaque cellule du corps de la troll hurle en espérant repousser la grande silhouette guerrière, auréolée par son nom et par l'admiration de la foule qui ne se tient que pour elle aujourd'hui.
En vain.
Elle est ici et rien ne peut changer cela.La Légende
Shakalogat Gra Ysul par Lethos
Quand enfin elle pose le pied sur les pavés blanc, la foule hésite : la Garde Étincelante d'abord avec la famille Mircalla, puis les trois autres Gardes ensuite.
Après et seulement après, on laissera la Capitaine saluer le peuple et les touristes ayant quitté Odrialc'h juste pour la voir juger les sélections.
Mais parmi la masse, il y a les impatients. Ceux qui n'ont pas contraint leur esprit à laisser une orc, même extraordinaire, au rang d'orc.
On se presse, on se bouscule, on sautille, on se dresse sur la pointe des pieds pour la voir…
Titan attrape le visage anxieux de Fuya et celui, hésitant, de Lilymoe. Elle voit Fawkes jouer des coudes pour la rejoindre, très certainement déterminé à l'éloigner de l'admiration folle prête à éclater.
Les soldats d'Odrialc'h sentent le frisson monter trop haut et s'appliquent déjà à former des remparts, même si Shakalogat Gra Ysul n'en a pas besoin. Miiko Yamamura, qui avait commencé à la saluer, s'interrompt, levant une main bien haut pour s'adresser au peuple et calmer les ardeurs, mais c'est trop tard.
Le tonnerre d'une marée faerienne couvait un accident, c'était certain. Trop de personnes agglutinées sur un port, des mouvements d'unissons et on oublie que chaque corps est indépendant jusqu'à ce que l'un d'entre eux chute.
La silhouette de Yüljet a failli jaillir de son dépotoir lorsqu'elle a vu la chaise roulante de Fuya manquée d'être renversée par un imbécile qui a voulu se précipiter vers l'avant de la foule.
Par bonheur, Lilymoe a su raffermir sa prise sur les poignés, tout en jetant un regard scandalisé à l'importun qui est déjà loin. Fawkes s'est approché et à ses traits durs, Titan devine sans mal que son esprit doit déjà lui montrer mille façons de punir l'imbécile qui a manqué de blesser la sirène.
La troll entend un "Monsieur Red…" lâché avec surprise par l'assistant d'Ewelein, mais l'instant d'après, Fawkes se trouve déjà loin. Emporté par des épaules, des bras et des hanches, il remonte dangereusement vers la Légende en armure d'orichalque malgré lui.
Les bousculades se multiplient, le renard-garou tente d'y échapper et même si ses gestes se font plus brutaux, même si Titan meurt d'envie d'aller lui tendre la main, de l'arracher à la mascarade maudite, c'est trop tard.
Derrière le Chef de la Garde Obsidienne, il y avait des âmes, dont celle de Balam le guetteur. Et juste derrière Balam le guetteur, il y avait June et son ami, Helouri Ael Diskaret.
Le jeune morgan s'est accroché au bras de la jeune femme, inquiet quant à l'agitation en train de gronder et s'il pensait qu'elle pourrait le sauver, il a eu tord.
Malmené par la masse, Fawkes le percute de plein fouet et la scène qui se joue rappelle à Yüljet l'instant où Fuya s'était défenestrée à Rhenia-Gaear.
Helouri a titubé, reculé, dérapé sur le port avant de décliner au-dessus de l'océan. Le temps d'un battement de cil et il flotte, ses atours vaporeux s'agitant comme des langues de brume, ses boucles nacrées auréolant son visage terrifié et ses lèvres pleines désirant crier un appel à l'aide sans y arriver.
Désespéré, le jeune morgan tend une main suppliante vers Fawkes, vers la foule tout entière et dès l'instant où il bascule pour se faire avaler par la mer, un hurlement déchire la réalité.
Les corps se figent, les yeux se tournent vers June qui se trouve là, au bord du port, la bouche ouverte et les membres tremblants.
Un « NON ! » est rugit par un morgan que Yüljet n'avait pas encore remarqué. Un faeri massif en uniforme de l'Obsidienne à la peau glacée et aux cheveux nacrés dont les yeux exorbité ne voient plus que l'endroit où son fils à chuté. Ceux qui ne disparaissent pas sur son passage sont écartés avec force.
La Légende, quant à elle, a déjà ses yeux noirs tournés vers un morceau de mer pertubé par le passage d'une victime malheureuse. Sa main gantée de métal s'anime jusqu'aux sangles de sa lourde armure.Les Choix
La Capitaine du corps armée d'Odrialc'h se tient enfin au sein de la cité d'Eel. Cependant et comme vous avez pu le remarquer, son arrivée a suscité moult agitations et un accident a eu lieu.
La foule est troublée, les bousculades se répètent et Yüljet assiste à tout cela depuis sa cachette. Au beau milieu du chaos, ses yeux attrapent quelques personnes en difficulté et peut-être qu'elle peut les aider, puisque l'attention de la Capitaine est attirée par l'accident.
Que faire ?
➜ Aider Mery qui a manifestement été séparé de sa mère.
➜ Aider un jeune loup-garou en uniforme de la Garde de l'Ombre tombé au sol et qui grimace de douleur en se tenant le bras.
➜ Aider une sirène à la peau halée et aux cheveux nacrés en train de se faire emporter par la foule.
➜ Ne pas intervenir du tout et rester cachée.
UNIQUEMENT pour MayaShiz, Waïtikka et ZuzoHyo :
Vos personnages se tiennent parmi la foule et ont été témoins de l'accident. À vous de me dire comment ils réagissent et ce qu'ils font.
Vos réponses serviront à construire la scène d'ouverture du prochain chapitre et donc, à l'écrire selon vos décisions.
Sachez qu'il n'y a pas de mauvaise réponse, mais seulement des souhaits.
Pour rappel :
➜ Fawkes s'est fait emporté par la foule et a percuté Helouri qui est ainsi, tombé du port. Fawkes se trouve à la place de Helouri, près de June et non loin de Shakalogat.
➜ June se trouve juste à côté de Fawkes.
➜ Lilymoe est au sein de la foule agitée, près de Fuya qui est sur sa chaise roulante et qu'il a accompagnée depuis l'hôpital du Quartier Général.
Pour vous aider : Mettez vous à la place de votre personnage ! Que ferait-il dans cette situation ?
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Me revoici avec le onzième chapitre de cette fiction qui est, pour ainsi dire, riche en émotions.
Je ne vais pas être très bavard sous ce petit spoiler et vous laissez à votre lecture, mais je dois tout de même vous avouer que nous arrivons à un moment de l'histoire que je m'éclate à écrire. De ce fait, j'espère que cela vous plais toujours !
➜ Vous pouvez retrouver le dessin de Lethos dans sa galerie !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 11 - Souffle Court
Une explosion pétrifiée.
C'est la première image qui s'est présentée à l'esprit de Yüljet lorsque le chaos de la foule s'est suspendu avec les secondes. Les consciences se sont éveillées quand June s'est mise à hurler, quand Joseph Ael Diskaret l'a imité en laissant la panique l'envahir.
Tous les regards se sont tournés vers l'endroit où le jeune morgan est tombé à l'eau et si, d'ordinaire, ça n'aurait pas dû être un problème, les faeriens ont compris que quelque chose n'allait pas.
Bien entendu, la sainte Capitaine d'Odrialc'h l'a saisi en premier. Titan l'a vu s'appliquer à défaire les sangles de son armure d'orichalque. Pourtant, même elle, que l'on place sur un piédestal, s'est vue devancée par les événements.
Finalement, la mascarade s'est transformée en une pièce de théâtre et la foule attend qu'elle se joue. Parmi les acteurs, il y a June, les mains plaquées contre sa bouche, le corps parcouru de tremblements, il y a Fawkes qui semble avoir fait abstraction de la réalité, son regard perdu vers l'océan, il y a Joseph, le visage aussi pâle que les murs de la cité blanche et aussi, il y a la Capitaine que l'on penserait capable de renverser la situation d'un claquement de doigts.
Soudain, la scène s'anime de nouveau.
Hors d'elle, June se précipite vers le renard-garou pour lui hurler des insanités. À ses yeux, tout est de sa faute.
Il n'est qu'un abruti de renard, une raclure de la pire espèce, une tête de mort, un plumobec à pattes vertes, un vieux détritus abruti, un seau à merde… il est surtout un coupable idéal, même si les véritables fautifs se tiennent juste derrière elle.
Yüljet doit se maîtriser pour ne pas fendre la foule et intervenir. Dans un autre contexte, comme dans les quartiers plus sombres où la loi du plus fort est maître, elle aurait joué son rôle de cheffe et remis cette jeune faerienne à sa place. Mais elle sait qu'en cet instant, June est loin d'imaginer qu'elle tempête contre un assassin professionnel.
Ledit assassin qui se trouve pris au piège. Titan ne le quitte pas des yeux et ne peut qu'imaginer le trouble agitant son esprit.
Fawkes pourrait disparaître ou bien Fawkes pourrait agir. Connaissant le renard-garou, Yüljet sait qu'il est en train de prendre une décision. Cependant, elle ignore si c'est son instinct ou bien sa réflexion qui parlera.
Mais lorsqu'elle le voit s'animer, s'élancer, puis plonger, elle prend pleinement conscience qu'elle n'est que la spectatrice d'un chaos qu'elle ne peut pas maîtriser.
Fawkes était pris dans une tenaille, perdu entre la foule et la Capitaine. Il aurait été si simple de fuir pour se cacher pendant les sélection, mais le renard-garou n'est pas idiot. Même si Titan serre les dents en constatant que sur la scène factice du port, il est mis en lumière. Il est dans tous les regards, même celui de la Capitaine Shakalogat et c'est ce qui horrifie Yüljet.
Pourquoi a-t-il fallu que cette foule imbécile entraîne Fawkes vers la tête du cortège ? Pourquoi est-ce que le gamin Ael Diskaret s'est placé aussi près du bord ? Pourquoi un événement comme l'arrivée de la Capitaine a-t-il dégénéré ainsi ?
Le renard-garou a déjà disparu. Titan est certaine que lorsqu'il n'a pas vu le jeune morgan remonter à la surface, il a laissé ses réflexes le mener dans l'eau à son tour.
Fawkes est bon nageur alors il s'en sortira, mais malheureusement, tout le monde se souviendra de Jens Red, à Eel. Et c'est un problème.
Yüljet inspire profondément afin de reprendre le contrôle de son esprit. Son cœur tambourine, son corps hésite et sa haine profonde contre l'icône de Légende qui se tient plus loin la pousse à se mettre en danger pour protéger les membres de son cartel.
Soudain, elle songe à Fuya.
Quittant sa cachette, Titan se met à la recherche de la sirène sur sa chaise roulante sans la trouver. Fuya et l'assistant d'Ewelein ont disparu et elle espère que ce dernier a eu la bonne idée de les extirper de cette masse de gens fous.
Un petit attroupement de belles figures d'Eel s'est formé autour de June qui s'est remise à hurler, sa voix stridente se mêlant aux appels desespérés de Joseph.
Le pauvre morgan a lutté contre son armure de garde civil, ses mains bleues glacées tentant de se défaire du métal en des gestes désordonnés, avant d'être arrêté par Valkyon Batatume.
« Joseph. » l'appelle-t-il d'une voix tranquille.
Manifestement, le Chef de la Garde Obsidienne sait ce qui est en train de se passer. Il connaît l'élément, le détail qui échappe à tout le monde, mais ce n'est pas lui que l'on veut voir agir, aujourd'hui.
La cité d'Eel est bénie. La Sainte Capitaine d'Odrialc'h se tient en ces lieux et face au chaos, elle reprend la situation en main.
Shakalogat Gra Ysul a assisté à l'accident. Dès qu'elle a vu le jeune morgan tomber à l'eau, dès qu'elle a entendu June hurler, elle a rivé ses yeux noirs sur l'océan troublé et ses mains, défaites de ses gantelets, se sont attaquées aux sangles de son armure d'orichalque.
La Légende n'a jamais laissé la panique l'envahir. Comme l'image du socle de la population eldaryenne qu'on lui prête, elle a agi.
Et comme par miracle, la foule obéit à ses gestes.
Un garde auprès de Jospeh Ael Diskaret, un autre auprès de June Albalefko. Juste par précaution, si l'un ou l'autre accomplirait quelque chose de stupide pour sauver Helouri.
Quant à la Légende, elle se tient à la bordure. Titan s'est avancée. Elle observe sa longue natte de feu, traversant ses omoplates comme une flèche embrasée.
Hors de sa cuirasse, la Capitaine n'arbore qu'un simple vêtement de coton, ainsi qu'un plastron de cuir. Mais même défaite de sa carapace, Yüljet sait que personne n'aurait l'idée de tenter un acte malheureux.
Personne. Elle, encore bien moins.
Comprimée par les corps qui se pressent, piétinent, avancent, reculent et hésitent, Yüljet est sortie de sa torpeur par un violent coup à l'épaule. D'instinct, elle attrape le bras de l'importun qui est, en réalité, une victime des événements. Sa main brune se referme sur un poignet fin et hâlé puis, sans le savoir, Titan devient un pilier pour une sirène emportée par la foule.
Quelques imbéciles, qui n'ont pas appris de l'accident précédent, ont voulu assouvir leur curiosité et regarder ce qui se passe plus haut, sans se soucier des personnes se trouvant sur leur chemin.
Là-bas, un jeune loup-garou en uniforme de la Garde de l'Ombre a chuté au sol. Titan le voit en train de grimacer de douleur alors qu'il serre son bras droit contre lui. Pas de chance.
Plus loin, la voix familière d'un enfant appelle sa mère et la troll reconnaît la chevelure solaire de Mery. Perdu, le petit brownie lance des regards épouvantés dans toutes les directions mais heureusement, son cauchemar ne dure pas très longtemps.
Mery n'a pas échappé, non plus, à l'œil attentif de Balam qui s'est empressé de le rejoindre.
Puis il y a les yeux d'un rose clair, brillants de soulagement et les lèvres bleues qui poussent un soupir discret.
Ils appartiennent au visage de la jeune sirène que Titan a sauvée de la foule malgré elle.
Merci.
Le mot est murmuré au milieu du chaos et même si Yüljet le perçoit, son esprit se divise au sein de son environnement. Fawkes est en danger, Fawkes a plongé pour tenter de sauver le jeune morgan, Fawkes est exposé à la Capitaine.
Et Fuya n'est plus là.
Merci, vraiment ! J'ai cru que…
Un nouvel hurlement. Plusieurs.
Des voix qui s'entremêlent sans s'accorder pour former des syllabes et Titan les reconnaît sans peine. Helouri est peut-être sauvé.
C'est à son tour de se battre pour voir ce qu'il se place plus haut, auprès de la Légende, des Chefs de Garde et de June, alors elle bouleverse la masse faerienne et profite de sa grande taille pour chercher un renard-garou et un jeune morgan.
Elle les trouve.
Ses muscles se tendent alors qu'elle aperçoit Fawkes, à genoux sur le bord du port, les vêtements lui collant à la peau, ses cheveux gouttant sur le sol et ses oreilles animales couchées en arrière. Ses épaules se soulèvent à un rythme effréné et Titan ne peut qu'imaginer les efforts que le renard-garou a dû fournir pour tirer Helouri de son mauvais pas.
Helouri qui repose dans ses bras, le teint livide, inconscient, aussi immobile qu'une poupée de chiffon.
Décidément, quelque chose ne va pas. Les morgans sont incapables de se noyer.
« Reculez ! Reculez ! Reculez ! »
Nevra et les membres de sa propre familles essayent de se changer en rempart, mais leur autorité peine à contenir la curiosité de la population. Elle n'est pas prête à laisser le pauvre morgan respirer alors en cet instant, elle veut repousser les Mircalla.
Yüljet plisse ses yeux noirs et résiste à l'envie d'arracher Fawkes à cette situation terrible.
Mais le renard-garou reste et endure.
Il ne dit rien lorsque Helouri lui est arraché pour se retrouver dans l'étreinte de son père et il ne dit rien quand une bourrasque nommée June lui hurle à la figure.
Elle s'en veut, tout est de sa faute, obnubilée par la Capitaine, elle n'a pas fait attention et puis… et puis…
Et puis Fawkes est venu bousculer le jeune morgan qui a chuté. Tout est de sa faute. Obnubilé par la Capitaine, il n'a pas fait attention, n'est-ce pas ? Il fait partie des imbéciles qui ont joué des coudes pour se hisser jusqu'à la tête du cortège si bien qu'il est devenu créateur d'un horrible accident.
Abruti de renard.
Fils de minaloo.
Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin.
Puis elle s'arrête.
Une grande main cuivrée se pose sur son épaule avec douceur et June se tait. Derrière elle, se tient un mythe qui possède tous les pouvoirs, dont celui d'arrêter une tempête qui a besoin d'un coupable.
Mais bien entendu, Shakalogat a compris ce qu'il s'est passé et son jugement sera le bon. Elle n'a même pas besoin de convaincre.
June tressaille. Avec lenteur, elle lève ses yeux améthystes vers la Sainte Capitaine et comme si le soleil lui-même l'autorisait à le regarder sans plisser les yeux, elle semble captivée.
« Jeune dame, déclare Shakalogat de sa voix gutturale, cessez d'accabler celui qui a sauvé votre ami. Ce qu'il s'est produit est un accident. »
Si June ouvre la bouche, son esprit n'a formé aucune réponse. La Capitaine n'en attend aucune, de toute manière puisqu'elle s'attelle déjà à une autre tâche : Helouri.
« Ewelein ! » rugit un Ezarel furieux et alarmé.
Si Valkyon est un support pour un père affolé et si Nevra et les siens font offices de défenses, le Chef de la Garde Absynthe a brièvement examiné Helouri avant d'appeler Ewelein Osgiliath.
Son visage à lui-seul traduit l'urgence de la situation.
La médecin en cheffe s'est déjà détachée du flot faerien pour aviser de la situation.
Même pour recevoir la Légende d'Odrialc'h, elle ne s'est pas défaite de sa tenue de travail gris de lin, ni du diadème qui maintient sa chevelure blanche hors de son front. Titan ne peut pas voir les traits de son visage, mais les gestes exécutés par Ewelein Osgiliath sont rapides et précis.
Avec Joseph, elle a étendu Helouri sur le sol et elle s'est appliquée à vérifier sa respiration - inexistante - avant de s'atteler à des sessions de massages cardiaques et de bouche à bouche.
Qu'importe le bruit autour d'elle, Ewelein a focalisé toute son attention sur les manœuvres qu'elle exerce en espérant réanimer le jeune morgan. L'eau doit quitter ses poumons à tout prix ou il ne se réveillera jamais.
June pleure. Joseph pleure et Fawkes ne dit plus rien. Le renard-garou est une pièce étrange, incertaine qui est venue se greffer à un cataclysme qu'il ne pouvait pas prévoir. C'était comme s'il s'était mis à soupirer et que son souffle avait pris la forme d'une tornade.
Ici et maintenant, Miiko Yamamura aurait dû s'adresser aux habitants de la cité d'Eel. En tant que responsable du Quartier Général, mais aussi de la garde Étincelante, elle est celle que l'on s’attendrait à voir marcher vers le peuple pour mettre des mots sur l'accident.
Pourtant, elle n'agit pas. Elle reste immobile pendant que la Capitaine vient lui adresser quelques mots et Titan ne peut que constater que même hors d'Odrialc'h, Shakalogat Gra Ysul assoit son autorité n'importe où.
C'est elle qui disperse la foule comme le souffle d'une explosion à chaque pas et qui vient trôner au cœur du sol, aussi fascinante qu'une tour d'ivoire sur un tapis de cendres.
Les corps et les esprits n'osent pas se rassembler pour former un étau autour d'elle, c'est impensable. Et bien entendu, quand elle parle, on l'écoute.
Yüljet quant à elle, lâche le poignet de la sirène et retourne se terrer dans sa ruelle, auprès des tonneaux ainsi que des caisses usées. Elle ignore les grands yeux roses qui la dévisagent comme si elle avait perdu la raison et fulmine dans son coin.
Elle se sent impuissante. Si impuissante ! Tant que la Légende domine les lieux, elle ne peut rien faire du tout. Elle n'est plus cheffe d'un cartel, mais vermine parmi les déchets et même toute sa haine ne peut pas l'aider.
« Citoyens d'Eel, habitants de la cité blanche, lorsque l'horizon m'a offert votre port, j'y ai vu un chapelet de belles âmes. » amorce la Capitaine.
Elle sait ouvrir ses discours et choisir ses mots.
« Je vous ai deviné rassemblés en ce lieu depuis de très longues minutes qui se sont peut-être traduites en heures, et je ne peux que me sentir honorée d'être ainsi attendue. Ma venue ne serait qu'un épisode anonyme si votre présence n'existait pas et pour cela, je ne peux que vous adresser mes plus sincères remerciements. »
Yüljet inspire profondément. Si elle était citoyenne d'Eel, elle se serait sentie insultée d'être ainsi remerciée de la sorte. Remerciée d'exister et de se compter parmi les pantins qui attendent leur salut en armure d'orichalque.
« Mais voyez-vous, si l'honneur qui m'est fait apporte le chaos, cela n'est pas acceptable. Je suis venue juger les sélections et accomplir mon devoir. Je suis venue révérer l'amitié entre Eel et Odrialc'h en servant la cité blanche durant la période des sélections et me mêler volontier à vous. Mais pas ainsi.
- HELOURI ! »
La Légende se retourne subitement. À l'endroit du désastre, Ewelein a œuvré avec succès, car le jeune morgan a repris conscience.
Machinalement, il s'est tourné sur le côté et s'applique à vomir d'énormes quantités d'eau. Mais il est faible.
La médecin en cheffe ne perd pas une seconde. Elle se redresse, court vers Shakalogat et s'empresse de lui communiquer quelque chose.
Sans attendre, l'ordre claque et le chaos disparaît.
« Écartez-vous. »
La foule obéit.
Un passage se libère et cette fois, c'est un autre cortège qui se présente, pour quitter le port et gagner l'hôpital.
Ewelein marche en tête d'un pas rapide, le visage anxieux, suivi de Jospeh Ael Diskaret, livide, ainsi que son fils épuisé qu'il porte dans ses bras. Titan s'attendait à voir June, mais elle est restée en arrière.
Près de Fawkes, elle a fini par tomber à genoux pour continuer de pleurer, marmonnant des phrases incompréhensibles en passant des mains désespérées dans ses cheveux cendrés.
Triste spectacle.
Pourtant, il devient terrifiant quand Shakalogat se dirige vers Fawkes pour lui offrir une main compatissante. Les yeux de Yüljet se mettent à ciller et l'angoisse la rattrape.
Elle regarde le renard-garou qui relève la tête pour faire face à l'ennemie, peut-être hésitant de répondre à son geste.
Fawkes ne s'abaisserait jamais à accepter l'aide de la Capitaine, c'est un fait. Mais Jens Red n'aurait aucune raison de refuser.
Alors Jens Red attrape la grande main cuivrée et se met debout.
Détrempé, les cheveux ébouriffé, sa queue se balançant, ses oreilles baissées, il ressemble à un naufragé qui découvre la civilisation faerienne. Mais Titan sait qu'il s'arme de toute sa méfiance, quitte à se terrer dans la peau de son identité factice.
Il doit rester fort.
Shakalogat se penche pour lui dire quelque chose et Yüljet serait prête à troquer tout ce qu'elle possède pour savoir ce que c'est.
Son sang de cheffe du cartel des Typhons bouillonne de nouveau et vient remplacer celui de la troll effrayée par une déesse. L'ennemie est là, c'est vrai et elle sera là pendant quelque temps. Il ne faut pas ployer maintenant.
Titan prend une profonde inspiration et ordonne à son cœur de se calmer. Elle le retient quand elle pose de nouveau les yeux sur la Capitaine et dans son esprit, elle fait le vide.
Fawkes va bien. Fawkes lui fera un rapport et elle saura ce que la mégère lui a dit.
« Est-ce que tout va bien ? » demande soudainement une voix incertaine.
Titan reprend corps avec l'instant présent, son esprit se détachant du renard-garou pour se focaliser sur un visage qu'elle reconnaît sans peine.
Elle manque de pousser un soupir agacé.
Yeux roses, lèvres bleues.
Teint hâlé et cheveux nacrés, oreilles membraneuses aux rayons bleus et la gentillesse semblant émaner de sa personne.
La sirène dont elle a attrapé le poignet dans la foule. Pourquoi est-elle ici ?
« Vous êtes parti si vite tout à l'heure, s'explique-t-elle comme si elle lisait dans ses pensées, alors je vous ai suivi car j'ai cru que vous ne vous sentiez pas bien. Vous m'avez aidée quand je me faisais emporter par le mouvement de la foule. »
Elle a un sourire très doux et des yeux pétillants. Pour Titan, elle n'est pas une menace et en cet instant, c'est une bonne nouvelle. La troll a déjà assez à faire.
Sans un mot, elle se contente d'observer la sirène et de disséquer religieusement son image. Les caractéristiques d'une personne parlent plus que mille mots, c'est quelque chose qu'elle a appris et pendant la seconde où elle laisse son esprit analyser son interlocutrice, elle parvient à capturer des détails.Les Choix
Le chaos est maintenant passé et Helouri a pu être sauvé. Sans surprises, ce fut un moment éprouvant pour tout le monde et aussi pour Yüljet qui s'est trouvée face à une situation qu'elle n'a pas pu contrôler.
Pendant l'accident, Titan a sauvé une sirène qui a failli se faire emporter par la foule et cette dernière l'a finalement suivie jusque dans la ruelle. En l'observant, Yüljet remarque quelques détails qui attirent son attention.
Elle en retiendra finalement deux. Lesquels ?
➜ La sirène ne porte pas d'uniforme de Garde.
➜ La sirène à un petit carnet suspendu à sa ceinture dont la couverture est décorée de quatre ailes membraneuses.
➜ La sirène porte un collier dont le pendentif est ce qui s'apparente à un saphir en forme de poire.
➜ La sirène a des traces de griffures sur les mains et les avants-bras.
(De bonnes réponses à ces choix vous permettront de débloquer certaines informations.)
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes a vécu le chaos. Fort heureusement et grâce à lui, Helouri a pu être sorti de l'eau et sauvé par Ewelein.
Cependant, le renard-garou s'est retrouvé exposé à la Capitaine Shakalogat Gra Ysul qui, par bonheur, ne connaît pas son visage.
Après les évènements, elle lui a dit quelques mots. Suite à cela, que doit faire Fawkes ?
Lorsque tu seras prêt à faire ton choix, Waïtikka, contactes-moi par MP et je te révèlerai ce que Shakalogat a bien pu dire à ton renard !
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June est effondrée par ce qu'il vient de se passer. À genoux et en larmes sur le port, à l'endroit où Helouri a été réanimé, elle s'en veut profondément même si ce n'est pas de sa faute.
Elle doit agir mais en cet instant, que doit-elle faire ?
➜ Se lever et rejoindre Shakalogat Gra Ysul qui est toujours sur les lieux.
➜ Se lever et rejoindre Valkyon Batatume, son Chef de Garde, qui a assisté à l'accident.
➜ Se lever et rejoindre Joseph et Helouri, à l'hôpital du Quartier Général.
➜ Se lever et quitter la cité d'Eel afin d'aller chercher Cristal Ael Diskaret, la mère de Helouri, qui travaille à Amzer, le village des morgans.
ZuzoHyo, tu n'as pas de choix à faire pour ce chapitre mais ne t'en fais pas : ce sera pour le suivant !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Je reviens avec un chapitre un petit peu plus long que d'habitude, mais assez riche !
Comme vous pouvez le remarquer, il est sorti assez rapidement et pour cause : j'avoue que je me suis éclaté à l'écrire et que j'avais vraiment hâte de le poster. Vwala.
Pour faire un petit aparté sur les choix : rassurez-vous, il ne s'agit pas d'un choix difficile même s'il en a l'air et il ne met aucune vie en danger. Je le répète, mais le jour où vous aurez un choix charnier, vous serez prévenus !
Voilà voilà ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 12 - L'Ulcère
Au beau milieu du marché braillard, elle parvient à créer un écrin de paix et Yüljet se demande comment elle peut y arriver. En réalité, la troll a la sensation d'avoir changé de monde.
Comment une tragédie a-t-elle pu évoluer vers une après-midi d'une banalité sans nom ? Comment la foule malade a-t-elle pu retrouver tous ses esprits et déambuler en ces lieux, loin du port et de l'accident déjà oublié ?
Titan, elle, ne le peut pas. Pourtant, elle se trouve assise ici, sur la même chaise en fer forgé noirâtre qu'elle, partageant sa petite table de fortune, à la regarder porter une tasse à ses lèvres.
Le soleil d'Eel se permet de mettre en valeur chaque griffure marquant ses avant-bras, le dos de ses mains et même quelques-uns de ses doigts. Yüljet ne voit que ça, mais depuis qu'elle en connaît l'origine, elles lui paraissent ordinaires.
Moins que leur propriétaire, à vrai dire.
Titan la revoit plus tôt plantée au beau milieu de la ruelle avec elle, à lui demander si tout allait bien.
Alarmée par la situation, angoissée par la Capitaine et en colère contre elle-même, la troll l'avait affublé d'un jugement de valeur assez honteux.
Une sirène dans la vingtaine, à première vue. Du même âge que Fuya, donc, avec de grands yeux roses, des lèvres bleues étirées en un sourire trop doux et un visage de poupée.
Avec ses cheveux nacrés, ses petits chignons et sa longue robe parme, elle formait l'image parfaite d'une cruche, pour Yüljet.
Une idiote involontairement sauvée d'une foule encore plus idiote et qui voudrait s'accrocher à la main libératrice. Alors Titan avait fait tout son possible pour s'en débarrasser.
Tout ce qu'elle voulait, c'était s'isoler afin de calmer ses nerfs en train de piquer et faire le point de la situation. La petite chambre qu'elle occupait chez Twylda serait parfaite, mais Yüljet ne dérogerait pas à sa promesse, alors elle se contenterait du Parc de la Fontaine.
Elle s'y rendrait et penserait, penserait, et penserait encore jusqu'à élaborer le meilleur plan possible pour survivre aux sélections et ramener Fawkes dans l'ombre en compagnie de Fuya.
Titan a l'horrible impression que la cité blanche se transforme, petit à petit, en un étau qui se resserrait un peu plus chaque jour passant.
Il y a eu un accident. Ce n'était qu'un accident. Et si le jour des sélections, il y en avait un autre, bien plus grand, qui causerait des dommages encore plus effroyables et mettrait Jens Red à nu, tout en mettant le visage de Yüljet en lumière ?
Alors elle avait attendu. Elle avait attendu que le port se vide, que la Légende emmène son cortège de badauds loin d'ici et qu'il n'y ait plus rien d'assez intéressant à voir pour les curieux.
Elle avait aussi attendu, sans le vouloir, la traversée de June Albalefko. La jeune femme était restée à genoux, prostrée sur elle-même, à pleurer. Yüljet l'avait presque oubliée, tant son attention était restée focalisée sur le départ de Shakalogat.
Comme tous les autres. Elle pouvait rire d'elle-même.
Soudain, un éclair aux cheveux cendrés avait trouvé la force de se mettre debout pour courir vers le centre-ville et le Quartier Général, sans doute. Titan était persuadée que June se rendait à l'hôpital, auprès du gamin Ael Diskaret et de son père.
Puis, une fois le chaos envolé, Yüljet avait quitté la ruelle. Ignorant la sirène en train de lui parler, elle s'était éloignée d'un pas rageur. Elle s'était transformée en véritable volcan de colère au sang bouillonnant et tous ses sens hurlaient face à l'urgence de la situation.
Alors la voix de la sirène était bel et bien la dernière de ses préoccupations. Pourtant, elle l'avait retrouvée.
Au grand regret de Titan, même le Parc de la Fontaine était bondé. Le refuge avait gagné quelques visiteurs et les faeriens pullulaient sur chaque pavé et dans chaque recoin de la cité blanche.
Malgré l'accident, on tenait quand même à fêter l'arrivée de la Capitaine en bonne et dûe forme. Tant pis pour le jeune morgan transporté à l'hôpital.
Pour les heures suivantes et jusque tard dans la nuit, Yüljet ne trouvera pas un semblant de tranquillité. Elle devra vivre avec le bruit et l'excitation des sélections comme un souffle inépuisable et tant pis pour elle.
Ses pas l'avaient alors menée vers le marché grouillant d'individus, afin qu'elle puisse se fondre parmi eux comme elle le faisait déjà à Odrialc'h.
Et la sirène se trouvait là.
Impossible de la manquer. Non seulement parce que son apparence jurait avec le décor, mais aussi parce qu'elle se trouvait entourée de familiers, et pas n'importe lesquels.
Yüljet s'était figée, son intérêt soudain stimulé par une curiosité nouvelle. Tirée hors du marasme de ses pensées, elle avait revêtu son masque de cheffe du cartel des Typhons, à la recherche de nouvelles informations.
Titan connaissait cette alcôve du marché, dédiée aux éleveurs de familiers et comme dans toutes structures, il existait une hiérarchie.
Sans surprises, les purrekos restaient à la tête de cette dernière, en proposant des espèces rarissimes, magnifiques et intelligentes. Le dressage était supervisé par Purreru, issu de la même lignée que Purrobald, qui avait emmené Yüljet et Nash à Rhenia-Gaear.
Si Purreru n'avait ni la prestance de Purral, ni le caractère enflammé de Purriva, il restait un purreko d'exception qui savait élever n'importe quel familier.
Et sur le marché de la cité d'Eel et sous les yeux de Titan, il ne travaillait pas seul.
De ce que la troll en savait, les purrekos possédaient de la main d'œuvre dans chaque grande cité d'Eldarya. Ils n'étaient pas assez fous pour exposer leurs kobolds sur un lieu bondé de monde, alors ils comptaient sur le travail d'employés locaux.
Mais bien entendu, les purrekos n'embauchaient pas n'importe qui.
Alors pour Yüljet, voir la sirène qu'elle avait associée avec l'image d'une cruche travailler en compagnie de Purreru, c'était étrange.
Machinalement, elle s'était approchée de l'espace du marché dédié à l'élevage des familiers et c’est à cet instant qu'elle avait eu la sensation de changer de monde.
Loin d'elle la cacophonie de la foule insouciante, car à chaque pas, elle marchait vers la paix.
Peut-être était-ce dû au calme religieux des familiers se tenant là, ou bien à celui de Purreru, connu pour sa sérénité et sa timidité. Le purreko pacifiste qui pourtant, savait vivre avec les siens dans les limbes du monde souterrain.
Fidèle à lui-même, il avait donné l'impression de communiquer avec l'alfeli dont il lissait les plumes avec une douceur qui semblait émaner de toute sa petite personne.
Ce n'était peut-être pas si étonnant qu'il ait choisi de travailler avec quelqu'un comme la sirène.
Ah ! Bonjour à vous une seconde fois. avait dit cette dernière lorsque ses yeux roses s'étaient posés sur le visage de Yüljet.
Et là, hors de la foule et au sein de son environnement composé de familiers, elle prenait une autre forme. Le grès de la cruche se fissurait pour se briser petit à petit et là, assise sur sa chaise en fer forgé, le jugement de Titan s'effritait aussi au fur et à mesure de la conversation.
Laissez-moi vous offrir une infusion de lavande. C'est pour vous remercier.
Yüljet n'avait pas vraiment compris le geste de la sirène. Une véritable volonté d'offrir quelque chose à boire à la personne qui s'était transformée en sauveuse d'une seconde pour ensuite, la rembarrer, ou bien une excuse pour discuter avec quelqu'un.
Mais toujours est-il qu'en cette instant, la troll se trouve au sein d'une bulle d'accalmie. Elle peut sentir toutes ses inquiétudes s'écarter pour la laisser respirer un petit peu et même sa haine viscérale pour Shakalogat s'endormir en libérant ses entrailles.
Face à elle, la sirène repose sa tasse sur une petite coupelle blanche dans un bruit de porcelaine. Ensuite, elle lève les yeux vers Titan et lui adresse un doux sourire.
Le silence a pris corps entre les deux faerienne, jusqu'à ce que l'hôte étrange de l'alcôve aux familiers finisse par le briser :
« C'est une bonne chose que ce soit enfin terminé. »
Yüljet arque un sourcil.
« Terminé ?
- L'arrivée de la Capitaine, s'explique la sirène, ça fait toujours beaucoup de bruit. De plus, ça a causé un accident aujourd'hui. Alors c'est une bonne chose que ce soit enfin fini. »
La troll se recule sur son dossier en croisant les bras. Elle n'entend que rarement de tels propos car d'ordinaire, bon nombre de personnes auraient, au contraire, souhaité que l'arrivée de Shakalogat s'éternise pour pouvoir l'admirer.
« Vous n'aimez pas trop la foule, vous non plus ? demande la jeune faerienne. Vous vous teniez dans la ruelle.
- Non, répond Titan en éludant rapidement la question, les familiers d'ici sont bien calmes. »
La sirène a un sourire énigmatique. En réalité, Yüljet aurait presque souhaité qu'elle corresponde à l'image de la cruche qu'elle lui avait attribuée. Ainsi, elle n'aurait pas eu besoin de se tenir sur sa chaise, face à elle, à essayer de la cerner.
« C'est parce qu'ils se sentent en sécurité. »
La troll n'en doute pas. L'endroit respire la sécurité, après tout.
Pourtant, ses yeux noirs se portent machinalement vers les griffures que la sirène ne dissimule même pas.
Suivant son regard vers ses mains jointes sur la table, elle ajoute pour répondre à sa question muette :
« Les jeunes ciralak n'accordent pas leur confiance si facilement. Il faut se montrer patient.
- Ciralak ? »
Yüljet plisse les yeux. Voilà un mot intéressant, qu'elle rapporte sans peine à Céleste, dont l'image se présente à son esprit.
Elle sait peu de choses sur ces familiers, hormis leur grande intelligence et leur beauté qui font leur renommée auprès des riches faeriens.
Néanmoins, elle peut voir les yeux de la sirène s'illuminer et elle sait qu'elle a su toucher un sujet de conversation qui lui tient très à coeur :
« Les ciralaks sont des familiers fascinants, vous savez ? Mais ce sont surtout des familiers de luxe et pour cause : une femelle ciralak n'enfantera que trois fois dans sa vie. De plus et contrairement aux familiers qui donnent naissance à des portées de cinq petits, les ciralaks, elles, n'en ont qu'un seul. »
Titan ne savait rien de tout cela. Pas étonnant que ce genre de familier soit si prisé, surtout si une femelle ne mettra que trois petits au monde dans sa vie.
« Aussi, un petit ciralak est difficile à élever, poursuit la jeune faerienne, car pour s'occuper de lui, il faut établir une relation de confiance. Les ciralaks sont extrêmement intelligents. Lorsqu'ils voient un visage, ils ne l'oublient jamais, tout comme ils n'oublieront pas un acte de malveillance à leur égard et de ce fait, un acte de bienveillance.
- Ils peuvent se souvenir des visages ? Du mal ou du bien qu'on leur a fait ? »
La sirène arbore un sourire lumineux. Le sujet la passionne et Titan ne peut que deviner l'amour qu'elle doit donner à tous les familiers qu'elle élève au sein de la cité d'Eel.
La faerienne lève une main et déplie un doigt à chaque énumération :
« Les ciralaks se souviennent des visages, des endroits, des actes et même des mots. Ils enregistrent tout et n'oublient jamais. »
Ils enregistrent tout et n'oublient jamais.
Yüljet ne peut que songer à Céleste, que Sheraz a volontairement laissée vagabonder dans les rues des quartiers populaires d'Odrialc'h pour aller à sa rencontre.
Céleste se souvient d'elle, des membres du cartel des Typhons, de la planque et du chemin vers la planque. Même dissimulée sous sa veste, elle a certainement trouvé le moyen de semer des repères sur son chemin.
Alors si elle pouvait quitter le palais, elle saurait revenir vers le cartel.
Gravant cette information dans un coin de sa tête, Titan passe à un autre détail :
« Vous avez donc appris à élever des familiers tels que les ciralaks. En ajoutant à ça les autres familiers, bien sûr.
- C'est mon métier depuis l'âge de quatorze ans, répond la sirène, en parallèle avec les recherches que j'entreprends. »
Les recherches ? Yüljet l'interroge du regard et si la jeune faerienne semble d'abord hésiter à s'étendre sur le sujet, la troll la surprend à échanger un bref regard avec Purreru qui, bien entendu, ne perd pas une miette de la conversation.
Si la sirène travaille auprès d'un purreko depuis ses quatorze ans, il est évident qu'elle a appris à ne pas s'épancher plus que de rigueur auprès des potentiels clients. Mais à priori, ce qu'elle a à dire n'est pas un secret d'état, même pour la cheffe du cartel des Typhons.
Et c'est tant mieux, car lorsqu'elle détache son petit carnet accroché à sa ceinture, Titan doit avouer que ce dernier pique sa curiosité.
Elle l'avait déjà remarqué lorsqu'elle se trouvait dans la ruelle, avec sa couverture arborant quatre ailes membraneuses.
Quand elle lève les yeux vers le visage de la jeune faerienne, elle peut discerner beaucoup de tendresse dans les siens. Voire même… de l'amour ? Comme si ce petit carnet avait changé sa vie.
Enfin, elle la regarde de nouveau avec un grand sourire et se remet à parler :
« Vous savez, je suis originaire d'Odrialc'h. J'aimais beaucoup travailler là-bas, mais j'ai choisi de vivre à Eel après ce qui m'est arrivée il y a deux ans. Quand j'ai décidé de suivre les enseignements du Chef Sequoïa et de me consacrer à mes recherches. »
Ses yeux roses brillent d'émotions et Titan doit avouer qu'elle est suspendue à ses lèvres. Pour elle, deux années en arrière correspondent au récit de Mery qui a vu un être humain apparaître non loin d'Eel et se faire capturer avec violence.
Alors pour la sirène, qu'est-ce que c'est ?
Avec lenteur, cette dernière dévoile le contenu de son carnet en repoussant la couverture et Yüljet peut y voir un petit papier cartonné y être accroché. La jeune faerienne le touche du doigt comme le plus précieux des trésors avant de reprendre :
« Comme je vous l'ai dit, j'ai commencé à apprendre l'élevage des familiers à l'âge de quatorze ans. J'ai appris très tôt à m'occuper des ciralaks et surtout d'une femelle qui a donné naissance à son troisième et dernier petit. Petit dont je me suis occupée jusqu'à ce qu'il soit adopté par la famille Alfirin. »
Titan doit se maîtriser pour ne pas laisser une expression de stupéfaction marquer sa figure. Ainsi, la sirène a connue et élevée Céleste, avant qu'elle soit confiée à Sheraz Alfirin.
« C'était une femelle, poursuit la jeune faerienne, qui a été offerte au fils unique de Gorthol et Ciryandil Alfirin pour ses dix-sept ans, Sheraz. Il l'a d'ailleurs appelée Céleste. »
En effet, Yüljet le sait. Et ensuite ?
La sirène semble plongée dans un souvenir agréable qui lui fait plisser les yeux d'amusement.
« Dès que Céleste a été emmenée au palais d'Odrialc'h pour être auprès de son nouveau maître, Sheraz a tenu à ce qu'elle soit toilettée et brossée toutes les semaines. Un exigence qui n'est pas rare auprès des grandes figures d'Odrialc'h. Et comme je me suis occupée de Céleste jusqu'à son départ, j'ai pu tisser une relation de confiance avec elle. Alors, j'ai été autorisée à pénétrer dans l'Ulcère. »
Achevant sa phrase, la sirène tourne le carnet vers Yüljet, sans jamais la laisser le prendre.
Le petit papier cartonné est en réalité un ancien laissez-passer pour ce fameux Ulcère. C'est à cet instant que la troll apprend enfin le prénom de la sirène.
Alajéa Edam.
Les informations suivantes sous son identité ont été inscrites en langue commune et en langue orc. Elles mentionnent son métier, le nom de la personne résidente au palais qui réclame sa présence au sein de l'Ulcère et les raisons de cette dernière.
« Il ne sert plus à rien aujourd'hui, explique Alajéa, puisque j'ai quitté Odrialc'h et arrêté de toiletter Céleste, mais il reste un précieux souvenir.
- Qu'est-ce que l'Ulcère ? » demande Yüljet, pleinement captivée par la conversation.
Alajéa l'ignore, mais ce qu'elle est en train de livrer, ce sont de précieuses informations que Titan compte bien examiner à tête reposée, partager avec les membres du cartel et exploiter pour tenter de sauver Sheraz.
La sirène referme son carnet, posant la main à plat sur la couverture.
« C'est un long couloir externe connecté au palais. À l'époque, il avait été bâti pour que les serviteurs puissent quitter le palais et y entrer tout en étant contrôlés, mais depuis qu'ils logent directement à l'intérieur, le couloir a été laissé à l'abandon. »
Alajéa arbore un pauvre sourire et poursuit :
« C'est pourquoi on a fini par lui donner le nom d'Ulcère. Parce que les gardes et les figures du palais le considèrent comme une plaie qu'ils ne peuvent pas détruire, car elle reste aussi utile que détestable. C'est un moyen finalement exploité pour que les personnes extérieures comme moi, avant, puissent venir accomplir leur travail sans entrer directement dans le palais.
- Je vois. Et à quoi ça ressemble ? »
À rien d'extraordinaire, apparemment. La sirène décrit un long couloir assez lugubre, sans fenêtres et éclairé par des torches, qu'elle arpentait jusqu'à sa destination : une petite salle plus chaleureuse et confortable dotée d'une porte à double-battant qu'elle n'a jamais eu l'idée d'emprunter, même par curiosité.
« Je ne voulais pas perdre mon travail et l'opportunité de revoir Céleste. Alors je n'ai jamais jeté un œil. De toute façon, cette porte n'était ouverte que pour laisser entrer le serviteur qui m'amenait Céleste et qui venait la récupérer. Ensuite, je quittais les lieux. Et c'était comme ça toutes les semaines. »
Pas vraiment. Jusqu'au jour où quelque chose s'est produit. Quelque chose qui a changé la vie d'Alajéa et l'a poussée à migrer vers la cité d'Eel pour apprendre auprès du Chef Séquoïa afin de suivre ses idéaux.
Sa main quitte momentanément le carnet et Yüljet la voit fixer les ailes. La sirène se met de nouveau à sourire :
« J'ai acheté ce carnet la veille de mon départ pour Eel. Est-ce que vous savez pourquoi je l'ai choisi ?
- Non. » argue Titan qui commence à craindre la réponse.
Alajéa lève son visage de poupée pour la fixer avec intensité. Yüljet se fait la réflexion qu'à chaque fois qu'elle doit raconter cette histoire, elle le revit sans aucun doute.
« Parce qu'il me rappelle les créatures les plus merveilleuses que j'ai pu rencontrer. »
Un rictus étire les lèvres de la troll et elle se retient d'émettre une exclamation persifleuse.
Si Alajéa parle vraiment des fées, alors elles n'ont pas rencontré les mêmes. C'est impossible.
Des êtres affreux, sanguinaires, avec des trompes horribles et dont Fuya se souviendra, malheureusement, longtemps.
« Merveilleuses ? Les fées du sang ? C'est bien d'elles dont vous parlez ? »
Alajéa hoche la tête pour acquiescer. Et Titan ne peut pas la comprendre.
Son regard, son sourire si doux, sa tendresse lorsqu'elle pose ses yeux roses sur son carnet et même cet amour qu'elle avait l'air d'exhaler par tous les pores de sa peau…
C'est impensable. Mais Yüljet veut bien l'écouter.
La troll quitte le dossier de sa chaise noirâtre pour croiser les bras sur la table, ignorant son infusion de lavande en train de refroidir.
« Très bien. Racontez-moi. »L'Ulcère
Comme je vous le disais tout à l'heure, l'Ulcère est un long externe au palais, mais raccordé à celui-ci. Il n'a pas de fenêtres et lorsque l'on y entre, il n'y a qu'une seule direction possible : celle qui mène à la pièce où je travaillais.
Je ne pouvais y accéder que grâce à mon laissez-passer et même si les gardes avaient l'habitude de me voir toutes les semaines, il pouvait arriver que l'on me fasse passer un contrôle plus poussé, grâce à des questions dont j'avais donné les réponses quand j'avais rempli mon formulaire pour obtenir mon laissez-passer.
Je devais répondre en langue commune, ou parfois en langue orc.
Tout ceci pour vous dire que même pour entrer dans l'Ulcère, un simple couloir lugubre, ce n'était pas aisé.
D'habitude et lorsque j'allais travailler, le rituel était toujours le même : j'arrivais avec mon matériel dans la petite pièce et j'attendais le serviteur de Sheraz Alfirin, qui devait venir m'amener Céleste. Ensuite, je procédais au toilettage et une fois le serviteur revenu, je repartais.
Je ne voyais personne d'autre que le serviteur de Sheraz Alfirin, qui ne m'adressait pas la parole hormis les politesses. Mais comme vous pouvez vous en douter, lors de mon dernier passage à l'Ulcère, les choses ont été différentes.
« Vous avez rencontrées les fées du sang ? » demande Titan qui rassemble mentalement les éléments du rapport de Fuya.
La sirène hoche la tête, un sourire paisible aux lèvres.
Je suis entrée dans l'Ulcère comme je l'ai fait d'habitude, mais en arrivant dans la pièce, Céleste était déjà là et il y avait quelqu'un.
La pièce dont je vous parle est fermée par une simple porte histoire de la séparer du couloir. Quand je suis entrée, quelqu'un se trouvait assis à même le sol et s'était retourné, comme s'il savait que j'étais en train d'arriver.
J'ai vraiment été surprise. Non seulement parce que je n'ai jamais vu personne d'autre que le serviteur de Sheraz, mais aussi parce que c'était la première fois de ma vie que je rencontrais une fée.
Elle s'interrompt quelques secondes et secoue la tête, une moue agacée sur le visage. Puis elle reprend d'un ton plus irrité :
Vous savez ce que l'on dit sur elles et le surnom qu'on leur donne. Tout ça parce que leur famille possède la plus grande et la plus terrible prison d'Eldarya alors que pourtant, la fée qui s'était tenue sous mes yeux à cet instant-là, respirait la joie de vivre.
Titan se retient d'ajouter que les fées méritent leurs surnoms à cause de leur régime alimentaire et de tous les faeriens qu'elles dévorent après les avoir tué et pompé leur sang.
À cause de la violence dont elles peuvent faire preuve et de cette sauvagerie que la troll a pu constater lorsqu'elle leur a fait face.
Mais elle se maîtrise et interroge :
« Comment était-elle ? »
La peau claire, nacrée et de longues boucles roses. Il portait une robe d'un joli bleu et ses ailes, elles étaient superbes. Quatre ailes transparentes avec de petites veines qui formaient comme des motifs.
La fée me souriait et sur ses genoux, Céleste ronronnait. Toujours surprise, je n'ai pu que lui adresser un "bonjour" et elle me l'a retourné.
Le ton de sa voix était enjoué et ça n'attisait que ma curiosité à son égard. Je savais que j'avais devant moi un membre de la famille Milliget, car ce sont les seules fées connues dans tout Eldarya, mais je ne comprenais pas la situation.
Puis il m'a dit :
"Je sais que Céleste doit se faire coiffer aujourd'hui, mais Sheraz et son serviteur sont occupés. Alors je suis venu avec elle. C'est bien toi que l'on doit attendre ?"
J'ai eu un moment d'arrêt, mais j'ai fini par lui répondre qu'il avait raison. Je me suis installée et j'ai déballé mon matériel. Ensuite, quand j'ai appelée Céleste, elle est venue d'elle-même.
La fée nous fixait et je me sentais mal à l'aise mais je me disais que si Céleste lui faisait confiance, alors je n'avais pas de raison de m'inquiéter. Les ciralak reconnaissent les visages et n'oublient jamais les actes qui ont été fait pour ou contre eux, après tout.
J'ai simplement fait mon travail mais je sais que je ne pouvais pas m'empêcher de regarder la fée Milliget.
À ce moment-là, je ne savais pas s'il était un homme, une femme ou un être d'un autre genre. Je me rappelle de son visage si radieux, du rose particulier de ses cheveux, de sa robe bleue qui baillait sur son torse plat et de sa silhouette longiligne, presque maigre.
Et puis des mots qu'il disait à Céleste.
Peau claire, nacrée. Longues boucles roses. Sira Milliget.
Yüljet peut peindre le visage de la fée qui lui a soufflé un "Apotheosis" à Rhenia-Gaear, le jour où Fuya avait frôlé la mort.
Effectivement, si Alajéa avait rencontré Sira Milliget, alors elle pouvait avoir une jolie image des fées. Cette dernière n'incarnait pas vraiment la menace comme le reste de sa famille.
"Ma princesse, tu es déjà belle, mais tu seras encore plus belle."
C'était adorable et ses mots m'avaient un petit peu détendue. Je pensais qu'il ne s'adresserait qu'à Céleste, mais ensuite, il a commencé à me poser des questions. Tout d'abord sur mon travail et ensuite sur l'Ulcère.
Il disait qu'il ne connaissait pas beaucoup le couloir car peu de personnes du palais s'y aventuraient et que l'on racontait des histoires dessus. Comme quoi il était hanté par exemple.
Il m'a demandé s'il y avait des fenêtres, s'il était long et s'il y avait du monde à sa sortie.
J'avais l'impression qu'il me demandait tout ça parce qu'il avait l'intention de s'y aventurer. Peut-être que les membres des grandes familles d'Eldarya ne peuvent pas quitter le palais comme elles le veulent.
Certes, ou bien faire sortir Sheraz. D'après la lettre que Fuya avait recopiée de la fée, lui et l'Alfirin étaient assez proches, alors peut-être que Sira avait voulu envisager d'emprunter l'Ulcère pour sauver son ami.
Alajéa poursuit :
Il avait une façon assez étrange de parler. Son ton ne changeait pas beaucoup et c'était assez surprenant. Je n'ai pas entendu beaucoup de personnes parler comme lui.
Mais ensuite, notre conversation a été interrompue par l'arrivée d'une autre fée, via la porte à double-battants. Celle que je n'ai jamais osée approcher.
Quand elle est entrée, je n'ai même pas eu le temps de regarder ce qu'il y avait derrière elle. Aussi, l'autre fée l'a appelée "maman".
Maman ? Titan est certaine que ça ne pouvait être que Delta Milliget, la mère des neuf autres fées.
Delta Milliget. Peau livide. Cheveux bleus.
La sirène lui donne raison :
Elle avait les cheveux aussi bleus que sa robe et ramenés en un chignon. Elle était vraiment belle ! Comme le modèle d'une peinture, vous savez ? Je l'ai trouvée encore plus jolie que l'autre fée et c'est quand elle s'était adressée à lui que j'ai pu comprendre que j'avais un homme face à moi et qu'il s'appelait Sira.
D'ailleurs, Sira avait l'air embarrassé, comme pris en faute. Sa mère n'a pas prêtée attention à moi et lui a dit qu'elle le cherchait depuis un long moment et qu'il n'avait rien à faire ici.
Je m'étais demandée depuis combien de temps Sira attendait dans la petite pièce, avec Céleste. D'ailleurs elle n'avait même pas pris peur à l'arrivée de la maman de Sira et je pense qu'elle la connaissait aussi très bien.
Quand la fée aux cheveux bleus m'a enfin regardée, je me suis sentie toute petite. J'avais vraiment l'impression de faire face à une créature d'un autre monde et je pensais qu'elle allait me demander ce que j'avais bien pu dire à son fils durant le peu de temps où nous étions seuls.
Mais ce n'est pas ce qu'elle fait : elle s'est excusée pour le dérangement.
Ça peut paraître idiot, mais de la part d'une personne et surtout d'une Milliget, ça m'avait parut étrange. D'habitude, les gens fortunés ne s'excusent jamais. Mais je suis contente qu'elle l'ait fait.
Je pensais qu'elle s'en irait avec Sira, mais elle est restée un petit peu et m'a parlée.
Delta Milliget aurait discutée avec Alajéa ? Cela paraît presque absurde aux yeux de Titan.
Pourquoi la mère de la famille la plus terrible d'Eldarya se serait amusée à perdre du temps avec la toiletteuse du ciralak de Sheraz Alfirin ?
Mais à en aviser le visage de la sirène, c'est cette conversation qui a changé sa vie. Et lorsque Yüljet lui demande de quoi elles ont bien pu parler, sa réponse la surprend :
Du monde.
Au départ, la discussion était centrée sur mon travail et au fur et à mesure, j'en suis venue à parler des valeurs qui m'ont amenée à travailler auprès des familiers.
Je lui avais dit que j'adorais ces créatures et le lien que l'on pouvait créer avec elles, tout comme j'adorais les paysages dans lesquels on pouvait les rencontrer. J'ai fini par lui dire que j'aimais tout simplement le monde dans lequel je vivais même si, comme toute chose, il avait sa part d'ombre.
Et elle m'a répondu qu'elle aussi, elle adorait le monde dans lequel elle vivait. Et puis elle m'a posée cette question : "Vous savez qu'il se meurt ?".
Oui je le savais. Je le sais. Je pense que tout le monde le sait mais que la plupart des gens s'en moquent ou qu'ils espèrent repartir d'où ils sont venus.
« D'où ils sont venus ? » coupe Yüljet qui connaît déjà la réponse.
Alajéa pousse un long soupir.
« C'est un débat dont il ne faut pas parler et je n'aurais pas dû le faire. »
C'est vrai. Mais Titan est certaine que sur ce débat, elles tombent toutes les deux d'accord.
Bien entendu, nous avons parlé des sols qui ne produisent plus rien et même des endroits qui connaissent toujours la neige ou la pluie, peu importe le moment de l'année.
Puis, même si je ne la connaissais pas, même si je me trouvais face à une fée du sang, à un membre de la famille Milliget, je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai parlé de mon projet de recherches.
La sirène sourit, puis s'explique :
« Pour élever les familiers, il faut les étudier tout en créant avec eux une relation de confiance. Vous n'êtes pas sans savoir que contrairement à nous, les familiers sont capables de se nourrir de tout ce qui pousse sur Eldarya, et même des insectes et des poissons de ce monde. Alors la grande question est : pourquoi eux et pas nous ? Pourquoi un fruit de miel serait-il nourrissant pour un dalafa et pas pour un faerien ? C'est une question à laquelle j'aimerai pouvoir répondre, lorsque j'aurai achevé mes recherches. »
Très bien. C'est un projet ambitieux qui se rapproche des travaux d'Ezarel Séquoïa et Titan pense que ce n'est pas idiot.
« Et vous avez parlé de cela avec une fée du sang ?
- Oui, répond Alajéa avec conviction, et c'est elle qui m'a encouragée à pousser mes réflexions dans cette voie et à effectuer des recherches. »
Dans ce cas, soit Delta Milliget s'est payée la tête de la sirène, soit les Milliget sont réellement contre la conquête terrienne et pour la sauvegarde du monde d'Eldarya.
Mais Yüljet peine à le croire. Dans ce cas, pourquoi ces éprouvettes de sang humain que Nash a dérobées ? Pourquoi ce parchemin mentionnant des sujets humains ?
Ça n'a aucun sens.
« La maman de Sira m'a conseillée de suivre les enseignements du Chef de la Garde Absynthe de la cité d'Eel…
- C'est elle qui vous a dit de faire ça ? » l'interrompt Yüljet, interloquée.
Alajéa lui ment. C'est ce qu'elle voudrait croire, mais l'émotion qui l'anime et son sourire radieux témoignent de toute l'affection qu'elle porte à Delta. De cette fée qui l'a encouragée à suivre ses idéaux.
« C'est pourquoi j'ai décidé de venir vivre à la cité d'Eel et de poursuivre mes recherches. Je sais que beaucoup de personnes trouveraient ce que je fait idiot, mais qu'en entrant dans la Garde Absynthe, le Chef Séquoïa pensera que ça en vaut la peine. »
Ou bien écrasera le projet dans l'œuf et Alajéa regrettera l'Ulcère. Mais aux yeux de Titan, ce serait dommage.
La conversation se termine petit à petit et si Yüljet peut regretter quelque chose, c'est d'avoir eu un jugement bien trop hâtif et établi sur un coup de colère qui aurait pu lui faire manquer cette discussion.
Ce dont la troll est certaine, c'est que l'Ulcère peut être exploité pour entrer si l'on est assez malin pour obtenir un laissez-passer. C'est une idée à creuser et elle doit la partager avec les membres de son cartel.
Le récit de la sirène s'est achevé avec le départ de Sira et Delta Milliget. Ils ont emporté Céleste avec eux et cela à marqué le départ définitif d'Alajéa dans l'Ulcère.
Si Titan ne peut pas comprendre la tendresse qu'elle porte aux fées, elle peut néanmoins admettre que celle qu'elle voue à son monde est louable. Surtout dans une époque où on ne jure que par la conquête terrienne.
Finalement, elle se sent satisfaite d'avoir attrapé la main de la sirène au beau milieu de cette foule malade.***
En quittant le marché, quelques purrekos ont louvoyé parmi les faeriens et Yüljet a pu sentir que l'un d'entre eux glissait quelque chose de sa poche. Elle espère obtenir de bonnes nouvelles avant de songer à la suite des événements, à Fawkes et à Fuya.
Comme pour la ramener à sa conversation avec Alajéa, le mot de passe du message scellé mentionne "la messagère de la mission originelle".
Céleste
Après avoir extirpée le parchemin, Titan a pu aviser l'écriture de Ryan et sa réflexion sur les analyses de sang humain :
Le talez 16 du mois de mimouet,
Rapport sur la analyses de sang humains,
Titan,
J'ai bien réceptionnée les éprouvettes de sang humain que tu m'as fait parvenir par le biais de Rose.
J'ai également consulté le parchemin qui les accompagnait et je me suis servi du nom des sujets pour établir le rapport dont je vais te faire part.
Néanmoins je tiens à rappeler que je ne suis pas médecin mais experte en poisons. De ce fait, mes connaissances du corps et du sang se limitent à la façon de mieux les détruire qu'à les soigner.
Aussi, mes connaissances en anatomie et biologie humaine sont très pauvres.
Cependant, j'ai pu établir une hypothèse :
Je rappelle les informations du parchemin accompagnant les éprouvettes de sang humain :Sujet humain "Élie", Mâle, 49. Prélevé en 477 (sujet ancien et décédé). Éprouvette E7.
Sujet humain "Erika", Femelle, 19. Prélevée en 479 (sujet en vie). Éprouvette E11.
Sujet humain "Yeva", Femelle, 29. Prélevée en 481 (sujet en vie). Éprouvette Y5
Sujet humain “Lazlo”, Mâle, 9. Prélevé en 482 (sujet décédé). Éprouvette L1
Le prélèvement le plus récent est celui du sujet humain "Lazlo", réalisé l'année dernière. C'est donc son sang que j'ai tenté d'analyser en priorité.
J'ai utilisé le contenu de son éprouvette avec parcimonie et ce que j'ai voulu déterminer, c'était la santé du sujet humain.
Comme tu le sais, je ne possède pas de matériel qui me permette de révéler la présence d'une maladie, mais l'idée qui m'est venue en tête, c'était celle de tester l'impact environnemental d'Eldarya. De ce fait, j'ai choisi de tester le sang humain pour le soumettre à des fragments de maanas.
Une goutte de sang = un fragment
J'ai donc testé le sang du sujet humain Lazlo en premier, puis, dans cet ordre, celui des sujets humains Yeva, Erika et Élie.
J'ai effectué cinq tests pour chacun des sujets et ensuite, j'ai concocté des philtres oxymetris afin de mesurer le taux d'oxygène dans le sang humain.
Voilà la conclusion :
Soumis à un fragment de maana, le sang humain s'appauvrit en oxygène. Le processus est minime et s'observe sur la durée, mais il est bel et bien présent.
Établir une hypothèse après avoir observé du sang entrer en contact avec des fragments de maana est litigieux, mais je pense que l'effet du maana sur l'organisme humain agirait comme un poison.
Si mon hypothèse est juste, alors les êtres humains sont incapables de survivre sur Eldarya.
J'ai bien entendu mis les éprouvettes et le sang restant en sûreté, tout comme le parchemin. À toi de voir ce que tu veux penser des résultats.
RyanLes Choix
Titan a appris beaucoup d'informations, que ce soit lors de sa conversation avec Alajéa Edam, ou bien le rapport de Ryan sur les éprouvettes de sang humain.
La cheffe du cartel des Typhons a pu regagner la chambre qu'elle occupe chez Twylda, comme chaque soir, et là, elle peut songer à la suite des événements.
Cependant et à cause de la présence de Shakalogat Gra Ysul au sein de la cité d'Eel, ses actions sont limitées.
Que devrait-elle faire, selon vous ?
➜ Répondre au rapport de Ryan pour lui demander de pousser ses recherches sur l'empoisonnement du sang humain, à cause du maana.
➜ Prendre contact avec Nash, à Rhenia-Gaear, afin de lui demander d'enquêter sur l'Ulcère.
➜ Prendre contact avec Sexta, restée à la planque d'Odrialc'h, afin de lui demander de se renseigner sur les prochains évènements qui auront lieu au sein de la cité, en rapport avec les personnalités du palais.
➜ Prendre contact avec Sexta pour lui demander de soudoyer une petite frappe d'Odrialc'h afin qu'il se rendre auprès de l'Ulcère et qu'il fasse un rapport.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June a choisi de se rendre à l'hôpital afin de s'enquérir de l'état de Helouri. Lorsqu'elle est arrivée, le jeune morgan dormait profondément, épuisé par son accident.
Joseph était à ses côtés et June peut voir qu'il s'en veut profondément de ne pas avoir su agir. Que devrait-elle faire ?
➜ Entrer dans la chambre et aller lui parler.
➜ Entrer dans la chambre et aller s'excuser.
➜ Ne pas entrer et rester dans le couloir, à l'attendre.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :
Lilymoe avait raccompagné Fuya dans sa chambre avant l'accident et heureusement qu'il l'a fait, sans quoi la sirène aurait pu valser de sa chaise roulante.
Fuya est reconnaissante de ce que Lilymoe fait pour elle et elle se souviendra de sa gentillesse.
Lilymoe a eu connaissance de l'accident de Helouri par Ewelein. Il sait que Jens Red a plongé pour le sauver et que c'est le seul qui a agi.
En cet instant, il se tient entre deux chambres. Que devrait-il faire ?
➜ Entrer dans la chambre de Helouri Ael Diskaret et discuter avec Joseph (et peut-être June)/
➜ Entrer dans la chambre de Jens Red qui culpabilise à cause de l'accident. Mais la chambre est fermée et il entend une autre personne en train de parler à l'intérieur. La voix est gutturale.
➜ Retourner voir Fuya et la mettre au courant de ce qui est arrivé à Jens Red.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Ce qui devait arriver est arrivé ! Tu as encore une chance de modifier ton choix si tu le souhaites. B)
Jens Red peut également poser deux questions maximum pour essayer d'obtenir des informations. Mais c'est à toi de les trouver.
Petit indice pour t'aider si tu choisis de t'orienter vers cette voie : pense à ce que Fawkes a déniché à la bibliothèque.
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous ! J'espère que vous passez un bon dimanche et avant d'entamer la lecture de ce nouveau chapitre, j'ai quelques petites choses à vous dire :
➜ Trigger Warning. Ce chapitre va aborder un sujet sensible qui est celui de pensées très négatives menant à l'idée de se supprimer. Il a été écrit de manière à respecter les règles du forum cependant, je préfère tout de même prévenir.
➜ Vous pouvez retrouver le rapport de Ryan sur ses analyses de sang humain sur sa fiche, dans la Bibliothèque d'Apotheosis.
Voilà voilà ! À présent je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 13 - Au Bord des Yeux
Elle commence à regretter sa promesse.
Quand elle était parvenue à soudoyer Twylda Chrysomallos pour une chambre pendant les sélections, Yüljet lui avait promis de n'y rester que pour dormir.
Elle partait tôt le matin et rentrait tard le soir. Une véritable épreuve depuis que la Capitaine se tenait au saint de la cité d'Eel.
D’ordinaire les riches restent entre riches et fuient les pauvres comme si leur misère pouvait être contagieuse. Mais pas Shakalogat Gra Ysul.
Imprévisible, elle rodait dans le refuge, les rues qui menaient au centre-ville et le kiosque central. Elle s'aventurait vers les grandes portes blanches pour saluer les gardes et les guetteurs pendant que Titan ne pouvait que tenter de faire corps avec l'environnement pour devenir invisible.
Eel resserrait son étau autour d'elle et lorsque les sélections prendraient fin, elle serait morte d'asphyxie. Elle pouvait d'ores et déjà sentir la poigne puissante et chimérique de la Capitaine autour de son cou pendant que sa mémoire la conduisait vers la salle d'interrogatoire.
Ignoble pièce monstrueuse et insalubre où personne ne l'entendrait crier.
Comme elle veut changer son visage…
Pourtant, elle doit continuer.
Yüljet avait écrit une missive à l'attention de Sexta. Ses informations sur l'Ulcère fraîchement couchées sur du papier, elle s'était dépêchée de se rendre au marché quelques jours plus tôt, avant qu'il ne soit pris d'assaut par Shakalogat.
Les purrekos effectueraient leur travail et le message parviendrait jusqu'à Odrialc'h, elle n'en avait aucun doute. Sexta saurait trouver une petite frappe facilement influençable et avide d'argent pour aller explorer les lieux, puis faire son rapport.
À présent, Titan se trouve en train d'attendre.
Pas de nouvelles de Fawkes, pas de nouvelles de Fuya et aucun moyen d'entrer en contact avec eux sans les mettre en danger.
Seule avec son doute et le spectacle d'une scène en train de se construire, elle garde les yeux ouverts et laisse son esprit tourner.
Titan profite du calme de l'aube et des lieux tant que la Capitaine dort encore. Elle se réveillera bientôt, elle le sait. Shakalogat Gra Ysul est matinale.
Quand elle aura avalé son petit déjeuner, quand elle se sera habillée, quand elle aura salué tous les membres de l'Étincelante qui l'honorent dans leurs prières, elle s'en ira quérir les ouvriers en train de changer le kiosque central en mascarade.
Les sélections se dérouleront ici, sous le regard du cerisier centenaire ainsi que l'arche fleurie du parc de la Fontaine. La couverture ciselée et ornementée de l'architecture abritera la Capitaine, le Chef Batatume et Miiko Yamamura. L'une juge des sélections et les deux autres… un simple acte de présence sûrement.
Yüljet observe les travaux laissés à l'abandon par des ouvriers qui se montreront bientôt. Des tribunes en bois prennent forme petit à petit pendant que l'herbe entourant le kiosque se fait faucher. Les participants auront tout le loisir de montrer leurs talents sur un terrain ras et impeccable.
Quant aux décorations, Titan imagine sans mal qu'il y aura les blasons des quatre Gardes, des banderoles de couleurs et que chacun et chacune se présentera dans ses plus beaux habits.
D'ailleurs, ceux qui n'ont pas payé pour assister aux sélections se verront refuser l'entrée d'un lieu d'ordinaire accessible à tous. Quelle ironie.
Mais Yüljet saura trouver une faille pour garder un œil sur la mascarade : si elle connaît déjà l'identité du vainqueur qui composera la garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash, il sera alors facile de mettre au point une stratégie pour le vaincre... Quand le cartel aura trouvé un moyen d'accéder au palais.
Alors qu'il s'agisse de Joseph Ael Diskaret, de June Albalefko, de Shawata Maliwe ou bien du couple Katel'li et Byrnrael Brezelour, si l'un d'entre eux se dresse entre les Typhons et Sheraz, il sera terrassé.
Titan espère que Sexta parviendra à obtenir de bonnes nouvelles concernant l'enquête de l'Ulcère.
Cela lui éviterait de songer à la proposition de Purral et de Purriry.
Impossible. Impossible de songer à sacrifier quelqu'un même pour entrer dans le palais.
Yüljet pousse un long soupir. Elle trouvera une solution et elle sait que de leur côté, Fuya et Fawkes tiennent bon. Ils gardent leurs sens en alerte en attrapant la moindre information susceptible d'être importante.
Titan a hâte d'obtenir leurs rapports. Et de rentrer à Odriacl'h, aussi. Elle se sentira moins inutile là-bas.
« Bonjour. »
Elle manque de fermer les yeux. C'est un schéma qui se répète trop souvent à son goût et si elle doit être honnête, elle est incapable de déterminer si cela lui manquera ou non.
Yüljet sait que proche d'elle se tient Mery avec son sac besace qui semble bien trop lourd pour lui. Le petit brownie est matinal comme toujours et à force de l'entendre, la troll devine qu'il va aller rendre visite à Balam, ou bien à Viktor.
« Tu vas voir les guetteurs ? demande-t-elle distraitement.
- Non. C'est toi que je viens voir. Tu es parti plus tôt de la maison, ce matin alors je pensais que tu allais partir sans rien dire. »
Un petit peu trop observateur, le gamin. Mais il avait raison : Yüljet était parti plus tôt parce qu'elle anticipait le passage de la Capitaine au refuge ou à l'école.
La Sainte Légende se permettait même d'aller voir les enfants et de les gratifier de sa présence. Cela faisait plaisir à Mery, d'ailleurs, qui avait eu l'audace de lui demander pourquoi elle portait les cheveux si longs.
Parce que quand les orcs sont arrivés sur Eldarya, avoir de très longs cheveux était signe de force, avait-il raconté à Titan, Et que même si les orcs d'aujourd'hui veulent oublier la sauvagerie de leurs ancêtres, la Capitaine pense que l'on ne peut quand même pas les renier. C'est bien, non ?
C'était bien pour une histoire racontée à un enfant, en effet.
Yüljet savait que Mery retiendrait ce détail, aussi futile soit-il et ça, c'était quelque chose qu'elle-même n'oublierait pas. La vivacité d'esprit du petit brownie, sa mémoire et sa vision du monde.
S'il avait été plus âgé, il aurait fait une recrue acceptable pour le cartel des Typhons. Pourtant, Titan souhaite qu'il soit dissous une fois que Mery atteindra l'âge de raison. Cela voudrait dire que le monde irait mieux et que plus personne n'aurait besoin d'eux.
« Dis, tu as quel âge ? Et c'est quoi ton travail ? » demande le gamin en la sortant de ses réflexions.
Yüljet arque un sourcil en lui jetant un regard suspicieux. Elle le sait curieux pourtant et jusqu'à aujourd'hui, Mery ne lui a même pas demandé son prénom.
« Pourquoi ces questions ? »
Elle observe le petit brownie souffler par le nez, signe qu'il a une idée bien précise derrière la tête. L'air ennuyé qu'il arbore ne lui dit rien de bon et sous le crâne et les cornes de Mery, son cerveau doit tourner à plein régime.
Il réfléchit quelques secondes puis enfin, il se lance :
« Maman travaille beaucoup et tu sais, c'est une personne vraiment très gentille. Elle est très jolie aussi, mais elle est toute seule. Et moi, ça me rend triste de la voir seule. Alors j'ai demandé à Balam, parce que Balam est quelqu'un de bien. Mais Balam était très gêné et il m'a dit que je ne devrais pas me mêler de "la vie de cœur de ta maman". C'est dommage. Alors après, j'ai demandé à Viktor. Enfin je lui ai écrit, car Viktor il n'entend pas depuis qu'il est né, tu sais ? Mais tout ce qu'il a fait, c'est d'agiter ses bras pour me dire non. C'est vraiment bête, il est très gentil, Viktor. Mais c'est vrai qu'il est un petit peu trop jeune. Du coup, j'ai pensé au Chef Batatume mais il est trop célèbre, puis aussi le renard-garou qui a sauvé le morgan il y a quelques jours, tu te souviens ? Mais je ne le connais pas et il a l'air un petit peu vieux. Aussi, il y a l'assistant d'Ewelein qui est vraiment très gentil mais trop jeune… alors je me demandais si toi…
- Ça suffit. Tu es tombé sur la tête ce matin ? »
Tout ce charabia pour en arriver là. Si Titan avait pu imaginer ça à son réveil ! Le gamin qui cherchait quelqu'un pour conquérir le coeur de sa mère car il se sentait triste de la voir seule.
C'était bien son genre, après tout.
« C'est dommage, ronchonne-t-il, en plus, tu es déjà chez nous et moi je trouve…
- Arrête. Tu me fatigues. »
De plus, il ne faudrait pas rester trop longtemps sur le chantier des sélections. Titan peut déjà entendre les voix lointaines des ouvriers en train de se rendre sur leur lieu de travail alors d'instinct, elle se met à marcher. Yüljet sent son coeur s'emballer, ses oreilles capter le moindre son et à la seconde où elle prend pleinement conscience de son environnement, elle redevient une proie.
Si elle se dirige vers le refuge, elle s'expose. Si elle reste sur le chantier des sélections, elle est exposée quoi qu'il arrive. Si elle se rend du côté de la grande porte blanche, ce sont les guetteurs qui ne manqueront pas de la repérer.
Et bien entendu, l'ombre de la Capitaine plane tout le temps.
D'un pas rapide, Titan obéit à son intuition et s'enfonce dans le parc de la Fontaine. Elle n'a jamais été plus loin que le petit muret du premier bassin mais cette fois, elle décide de gagner les jardins de la Musique.
Elle s'arrête et regarde l'immensité des plantes, ruisseaux et du grand étang qui se tiennent sous ses yeux. Si elle avait été une touriste ordinaire, elle aurait pu prendre le temps d'admirer la beauté d'un piano fleuri en train de pleurer une eau claire, des nymphéas flottant avec paresse, du chemin faisant le tour de toutes ces merveilles ou même des trois entrées avec leurs superbes arches.
De grands arbres aux longues branches-lianes pendantes forment des rideaux naturels et juste pour cette fois, juste pour maintenant, ils sont une cachette idéale.
« Je suis désolé si je t'ai vexé. » chuchote une petite voix.
Titan manque de s'agacer. Le gamin l'a suivie dans son entreprise et trop occupée à veiller sur elle-même, elle ne l'a pas remarquée. Elle se retourne avec des gestes vifs et s'accroupit face à lui :
« Je ne suis pas vexée, d'accord ? Mais maintenant, tu devrais aller à l'école.
- Tu me le jure ? »
Oui, elle a juré. Mery avait l'air d'avoir regretté la conversation précédente et si Yüljet ne pouvait pas lui dire qu'elle se fichait royalement de sa recherche du parfait prétendant ou bien de la parfaite prétendante pour sa mère, elle ne tenait pas à le voir peiné.
À présent seule au cœur des jardins de la Musique, elle espère se tenir à l'abri du chaos. Les arbres sont là pour la protéger des regards et comme elle ne peut rien faire d'autre que penser, c'est l'endroit idéal.
Pourtant, la faune est perturbée. Titan se fige. Des sons étouffés, de l'herbe écrasée. Des pas ?
Elle tourne la tête et perçoit un petit bruit léger, presque inaudible. Du cuir en train de s'entrechoquer… une paire de chaussures tenue à la main, peut-être ?
Avec prudence, elle passe une main entre les lianes et jette un regard attentif au décor. Seuls les nymphéas et les instruments abandonnés aux ruisseaux lui parviennent, jusqu'à ce qu'elle attrape une peau de glace et des écailles d'argent.
Surprise, Yüljet observe de plus belle.
Elle reconnaît sans mal le morgan qui est tombé du port. Celui que Fawkes a sauvé de la noyade.
Il se tient là, à marcher vers une berge, ses yeux perdus sur l'étendue d'eau. Jamais il n'a paru si frêle et fragile qu'en cet instant.
Les pieds nus sur l'herbe fraîche, ses boucles nacrées offertes à la brise d'Eel et sa silhouette vêtue d'habits trop légers pour la saison, il ressemble à un château de cartes prêt à s'écrouler.
Son visage affiche des traits fatigués. Titan ne savait même pas qu'il était sorti de l'hôpital.
Les secondes s'étiolent et il ne bouge pas. Le ciel a même le temps de se gâter et de cracher une pluie fine. Il faut croire que l'eau en veut au jeune morgan.
Yüljet a la poitrine qui lui pince. Elle ressent un doute profond, affreux, la submerger et une pensée creuse pour se hisser jusqu'à son esprit.
Elle regarde le gamin Ael Diskaret, puis l'étang. Elle se demande si l'étang serait assez profond pour l'avaler tout entier et aussi, elle ne peut pas s'empêcher de guetter les yeux de Helouri, rivés sur la surface calme de l'eau claire.
Il ne va pas…
« Vous ne tenez pas à répéter l'expérience ? »
Cette fois, c'est la peur qui vient s'agripper. D'instinct, Titan se recule derrière les lianes et cherche un mur pour s'y plaquer. Mais celui des jardins est trop loin.
Là, ils accueillent une grande silhouette massive, une natte de feu et du cuivre battu par le crachin de la cité blanche.
Shakalogat Gra Ysul jure avec les jardins. De toute manière, elle jure avec tout.
Le jeune morgan a fait volte face et même si Yüljet ne le voit presque plus, elle devine son visage fendu de surprise. Qu'est-ce que la Légende vient faire en ces lieux et surtout, pourquoi s'adresse-t-elle à lui ?
Helouri n'est connu que pour avoir frôlé la mort et encore, son accident n'est plus dans toutes les mémoires. Titan inspire, expire, respire et fait un pas en avant. Depuis la fente offerte par les lianes, elle arrive à distinguer des couleurs.
Le jeune morgan est une palette de bleus et Shakalogat quant à elle, n'est pas vêtue de son armure.
La Légende n'est qu'une orc pourvue d'un pantalon noir, ainsi que d'un simple corset. Elle n'a même pas de chaussures et d'apparaître ainsi, ça lui enlève presque la moitié de son piédestal.
Si Helouri a dit quelque chose, alors il a murmuré. La troll n'entend aucune réponse de sa part mais qu'importe. Shakalogat se remet à parler :
« La nouvelle de votre lit vide à l'hôpital s'est répandue dans le Quartier Général. Vos parents sont à votre recherche et votre amie également. »
Alors c'était bien cela : Helouri s'est enfui de l'hôpital. Le jeune morgan baisse la tête, pris en faute et il fait un pas en arrière. Ses mains glacées lâchent ses sandales de cuir et viennent tordre le tissu vaporeux de sa tunique.
« Vous… vous… parvient-il à articuler, me…
- Oui, le coupe la Capitaine d'un ton grave, lorsque j'ai entendu la nouvelle, je me suis hâtée pour vous retrouver. Afin que vous ne puissiez pas accomplir la bêtise que vous vous apprêtiez à faire. »
Yüljet ferme brièvement les yeux. Elle avait donc vu juste quand l'affreux doute l'a envahie.
Quel gamin idiot. Il se sent idiot, elle en est certaine quand elle le voit croiser les bras, sa poitrine montant et descendant au rythme d'une respiration qu'il ne contrôle plus.
Dans quelques secondes, il fondra en larmes et il dira qu'il a voulu faire ce qu'il a failli faire parce qu'il n'est qu'un poids pour autrui.
Il est comme les parasites : il s'accroche à toutes les personnes qu'il croise sur son chemin en espérant qu'elles le rendent plus fort.
Titan ne sait même pas pourquoi ça l'énerve. Peut-être parce que le jour où Shakalogat l'a attrapée par le cou, elle était un petit peu comme lui.
Sur la berge, Helouri porte une main à sa gorge. Elle se met à trembler, tout son corps se met à trembler et sa vaine tentative de paraître digne devant la Légende vole en éclats :
Je… J'ai… Honte.
Derrière cette phrase entrecoupée par les sanglots, Yüljet ressent beaucoup d'émotions. Elle ignore s'il a honte d'avoir été pris en flagrant délit, s'il a honte de l'inquiétude qu'il impose à ses parents ainsi qu'à June à cause de sa fuite ou s'il s'agit d'autres choses.
« De quoi avez-vous honte ? » demande la Capitaine d'une voix très calme.
Les mains du jeune morgan se resserrent autour de son cou comme s'il voulait s'étouffer. Ses jambes semblent se dérober sous le poids de cette honte qu'il invoque et il s'échoue à terre, l'air encore plus faible qu'il ne l'est déjà.
« De moi. De mes branchies atrophiées qui m'empêchent de respirer sous l'eau. Du poids que je suis pour ma famille et pour June. Je… je n'ai jamais rien apporté de bon à qui que ce soit. De la déception et de l'inquiétude. »
Shakalogat s'accroupit à son tour, face à la détresse de Helouri. Ni elle, ni Titan se sauront si le jeune morgan aurait réellement pu passer à l'acte, mais Yüljet sent sa propre peine la frapper en pleine poitrine.
Elle aurait préféré penser que Helouri, là-bas, n'était qu'un gamin geignard en train de pleurer dans les jupes de la Capitaine, pour changer de celles de June, de son père ou de sa mère.
Mais la souffrance est réelle et même la beauté des jardins s'estompent pour laisser place à une atmosphère sombre et lugubre. Il ne ferait pas bon de s'y promener pendant que Helouri verse des larmes parce qu'il a honte de lui-même.
« Ce que vous venez de décrire, c'est l'image que vous avez de vous-même, déclare Shakalogat, mais celle de vos proches est certainement différente. »
Le jeune morgan ne semble pas convaincu. Fixant le sol, il se voûte un petit peu plus, ses longs cheveux nacrés coulant sur ses épaules comme deux morceaux de nuage.
« Vos branchies sont atrophiées, c'est vrai, poursuit la Capitaine, mais elles ne déterminent pas qui vous êtes. Vous pouvez vivre avec elles et je suis certaine que ce n'est pas impossible. »
Helouri relève subitement la tête. Shakalogat vient d'énoncer une évidence pourtant, cela semble sonner différemment à ses oreilles.
« Vous vous décrivez comme un poids pour votre famille et votre amie. Vous dites que vous n'avez jamais rien apporté de bon à qui que ce soit, mais avant de songer à autrui, vous devriez peut-être vous autoriser à vivre. Vous apporter du bien, à vous, avant de le partager aux autres. »
S'apporter du bonheur pour ensuite le partager. Pour Helouri qui a l'air d'avoir toujours fait en sorte de ne pas déranger qui que ce soit avec sa personne, est-ce que ce serait seulement possible ? Titan pense qu'il ne parviendra jamais à s'accepter et qu'il continuera d'être porté par ceux qui l'aiment et qui le considèrent comme fragile.
Néanmoins, il semble tout de même réfléchir aux paroles de la Capitaine. C'était facile, après tout : il pouvait vivre loin de l'eau et tant pis s'il était incapable de s'y immerger sans s'y noyer.
Certes, mais pour le jeune morgan, ça n'avait rien d'une évidence.
« Je ne sais pas si je pourrais m'apporter de la joie… c'est… »
Yüljet ne saura jamais s'il allait dire "impossible". Shakalogat non plus, sûrement, mais en gardant sa sérénité sous contrôle, elle s'affirme en une force tranquille, même dépourvue de son armure.
Helouri n'a pas baissé les yeux. Il fixe le visage de la Capitaine. Il l'admire, certainement, en la considérant comme une Légende, tels tous les habitants d'Eldarya.
« Soyez heureux. Persévérez. »
Il verra bien. Il se relèvera et décidera d'avancer ou alors il se laissera de nouveau abattre et reviendra dans ces jardins pour une dernière promenade, s'il ne choisit pas le port un jour où il sera désert.
Yüljet se recule. Ses esprits reviennent et délaissant la scène, elle tourne son regard d'onyx vers l'entrée qu'elle a empruntée plus tôt, celle qui mène vers le kiosque central. Elle n'en est pas loin.
La troll serre les dents. Elle sait où se trouve la Capitaine. Elle sait qu'en cet instant, l'hôpital du Quartier Général est en alerte après la fuite d'un patient soupçonné d'aller commettre l'irréparable.
Peut-elle tenter ? Peut-elle profiter de ce laps de temps pour aller fureter sur les lieux ?
Là, à l'extrémité du marché, juste face au Quartier Général, peut-être trouvera-t-elle Fawkes ou Fuya en train de guetter la foule, dans l'espoir de la trouver et lui transmettre un rapport.
Peut-être.
Je ne peux pas.
La voix d'Helouri lui échappe quand elle ne devient qu'un souffle.
Je ne peux plus vivre avec moi-même.Illustration réalisée par FievelLes Choix
Quelques jours après l'accident et sa rencontre avec Alajéa, Yüljet a finalement fait parvenir une missive à Sexta, lui demandant de soudoyer une petite frappe pour enquêter sur l'Ulcère.
En attendant une réponse et un rapport, Titan se sent prise au piège au sein de la cité d'Eel, car la Capitaine est partout.
Ici, Shakalogat Gra Ysul se tient aux jardins de la Musique, en compagnie de Helouri Ael Diskaret qui a fuit l'hôpital avec l'idée de commettre l'irréparable.
La Capitaine est avec lui, en train de lui parler. De ce fait, Titan a peut-être une chance de se rapprocher du Quartier Général et de profiter du chaos, en espérant pouvoir entrer en contact avec Fawkes ou Fuya.
Doit-elle tenter le coup, selon vous ?
➜ Quitter les jardins de la Musique et tenter le coup en se rapprochant du Quartier Général.
➜ Rester cachée et attendre le départ de la Capitaine.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
Helouri s'est enfui de l'hôpital et ses parents, ainsi que June, sont fous d'inquiétude. Ils sont tous parti à sa recherche cependant, qui June a-t-elle accompagnée ?
➜ Elle est partit avec le père de Helouri, Joseph Ael Diskaret.
➜ Elle est partit avec la mère de Helouri, Cristal Ael Diskaret
➜ Elle est partit seule de son côté.
➜ Elle est partit avec Ewelein.
Waïtikka et ZuzoHyo, pas de choix pour vous dans ce chapitre, ce sera dans le prochain !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Nous voici avec ce quatorzième chapitre d'Apotheosis, un petit peu plus long que les autres, mais vous comprendrez pourquoi.
Je préviens d'ores et déjà qu'à l'issue de ce chapitre, vous allez vous confronter à votre premier choix charnier, un choix important qui impactera fortement la direction que prendra l'histoire.
Rassurez-vous : vous aurez quinze jours pour faire votre choix, et plus si besoin.
Sur ce, je vous laisse avec le chapitre et je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 14 - La Chute
Je ne peux plus vivre avec moi-même.
Les paroles du jeune morgan brisé sont déjà loin. Yüljet l'abandonne en compagnie de la Légende, puis elle fuit.
Les arbres des jardins de la Musique, avec leurs longues branches l'accompagnent et la couvrent alors qu'elle s'applique à rendre ses pas plus doux.
Les oreilles de la grande sentinelle sans armure sont un piège qui se refermerait au moindre bruit suspect, les yeux de la guetteuse d'Odrialc'h attraperaient son visage pour le détruire et sa bouche aux crocs saillant cracherait l'ordre qui mettrait un terme à sa vie.
Fuir ou se cacher. Tels sont les choix d'une proie face à un prédateur trop grand pour elle.
Titan a choisi la fuite. Ensuite, elle choisira le risque.
La sortie des jardins n'est pas loin. Elle peut d'ores et déjà entendre les voix des ouvriers qui œuvrent sur le chantier des sélections. Trop occupés à charrier du bois et du métal, ils ne laissent pas leurs regards s'égarer, mais une troll grande et massive ne peut pas se fondre dans un joli décor.
Rabattant la capuche de sa longue veste couleur sauge, elle quitte l'antre qui assiste à la sombre peine de Helouri. Le crachin d'Eel fonce le vert de sa tenue et Yüljet souhaiterait, plus que jamais, se transformer en arbre pour éviter les coups d'œil.
Là, un ouvrier transportant une planche, ici un autre en train de polir le bois grâce à un papier sur lequel on a collé des grains de sable et là-bas, les coups de marteau résonnent. Des corps et des outils s'affairent pour construire les plus beaux gradins prêts à accueillir les fervents admirateurs de Shakalogat Gra Ysul.
Le jour des sélections sera encore plus infernal que celui où la Capitaine est arrivée à la cité blanche.
Est-ce qu'un autre accident aura lieu ?
Dans l'esprit de Yüljet, le décor recèle d'obstacles. Pour atteindre son objectif, elle doit quitter le kiosque central, traverser le refuge, rejoindre le centre-ville et se rapprocher du Quartier Général. Elle se tiendra face à l'immense bâtisse comme une vagabonde au bord d'un précipice qui tenterait de se tenir au plus près du bord.
La route est encore longue mais la panique engendrée par l'évasion du jeune morgan devrait lui permettre de se fondre plus facilement dans la foule. Tout ce qu'elle souhaite, c'est que Fawkes, Fuya ou Rose aient eu la même idée.
Depuis que la Capitaine est à Eel, Titan a l'horrible sensation de se trouver au beau milieu d'un piège qui se referme petit à petit. Elle serait dans la mâchoire d'une plante hideuse, engluée dans ses enzymes et se décomposant sans même sans rendre compte, trop occupée à guetter les visages susceptibles de la regarder.
C'est ce qu'elle est en train de faire au refuge : elle observe, elle se méfie et elle prête attention au moindre détail suspect.
Si on avait demandé à Yüljet de parcourir un couloir truffé d'ocemas endormis avec la consigne de n'en réveiller aucun, ce serait assez similaire à ce qu'elle vit. Mais les habitants du refuge sont trop occupés à admirer le chantier du kiosque central ou bien à noircir leurs lèvres avec le tap.
Quoique… depuis que Shakalogat daigne leur rendre visite, ils sont un petit peu plus prudents.
Lorsqu'elle atteint le centre-ville, Titan peut aviser que la fuite de Helouri ne s'est pas répercutée aussi loin. Les touristes continuent de flâner, s'abreuvant dans des salons de thé ou bien des tavernes qu'ils connaissent certainement par cœur à présent, et se remplissant la panse dans des restaurant hors de prix. La place qui arbore son panneau d'affichage voit ses pavés blanc crouler sous les pieds d'une population cherchant à dépenser son temps dans des instants que seul leur or peut lui offrir.
Il faut bien vivre en attendant les sélections et Eel recèle de remèdes contre l'ennui.
Ils sont si centrés sur eux-même que Yüljet parvient à se glisser sans encombres entre leurs beaux vêtements et leurs parures. De là où elle est, elle peut apercevoir le toit du Quartier Général et quand elle grimpera les marches blanches menant au marché, elle le verra tout entier.
Il ne bougera pas, la guettant de toutes ses fenêtres. Cet énorme monstre d'ivoir a déjà avalé Fawkes et Fuya pour les envoyer dans son hôpital et il garde Rose en lui chaque jour passant.
Titan doit avouer qu'il est une merveille d'architecture et en dehors d'Odrialc'h, c'est assez rare. Mais il est surtout le cœur d'Eel.
Il recense le savoir, la médecine, la police et le corps armée, sans oublier l'énorme cristal dont la cité blanche à la responsabilité depuis qu'Odrialc'h le lui a légué.
Tout le monde le sait : le jour où il se brise, c'en est fini d'Eldarya. Tant qu'il est là, on peut vivre même si les sols restent stérile.
C'est mieux que rien.
La présence de Yüljet sur le marché n'a pas échappé aux purrekos. Même s'ils restent concentrés sur leurs affaires ou bien leurs négociations avec les clients, leurs yeux félins attrapent la troll au passage pour la consigner dans leurs mémoires.
Ils ont tout le temps de le faire car arrivée aux confins du marché, Titan s'arrête et observe. Tel une prisonnière essayant de contourner l'échafaud, son regard onyx s'attarde sur chaque mouvement de foule, chaque silhouette qui entre et sort du ventre de cet imposant édifice et même chaque pierre.
La porte considérable s'ouvre et se ferme pour avaler les gardiens ou bien les recracher. Certains d'entre eux se pressent, courent et ont peut-être la mission de retrouver Helouri.
Ça grouille devant le Quartier Général et ça grouille aussi à l'intérieur.
Yüljet s'attelle à la recherche d'un renard-garou, d'une sirène ou d'un vampire.
Elle attend… attend… jusqu'à ce qu'elle sente un mouvement qu'elle ne connaît que trop bien. Quelqu'un vient de glisser quelque chose dans la poche de son manteau.
Contenant son impatience, Yüljet plonge lentement sa main, tâtonnant pour venir chercher un petit morceau de parchemin chiffonné.
Quand elle le déplie, elle peut aviser que les mots n'ont pas été griffonnés à la hâte. Eux aussi avaient prévu la même chose.Troisième ruelle. Derrière l'herboristerie.
Bien.
Pas d'empressement, pas de gestes vifs, de brusquerie, mais simplement une troll qui rebrousse chemin après avoir admiré le Quartier Général. Beaucoup de touristes font la même chose.
Yüljet s'enfonce à nouveau dans le marché, comptant les ruelles qui s'étendent derrière les étals comme des sillons. La plupart doivent mener à des entrepôts permettant aux marchands de renouveler régulièrement les fournitures qui s'écoulent, mais visiblement, l'une d'entre elles fait exception.
Titan parvient à trouver l'herboristerie et elle comprend pourquoi les auteurs du message l'ont choisie. Le présentoire s'écarte du passage pour laisser un libre accès à la ruelle qui est en réalité un long chemin vers un autre quartier d'Eel. Yüljet ignore où il peut bien mener mais elle s'en moque, car elle les aperçoit enfin.
La longue chevelure rose dragée de Fuya, la silhouette stoïque de Rose et les attributs animaux flamboyants de Fawkes.
Le visage de leur cheffe reste le même, mais un nœud dans sa poitrine se défait. Un soulagement immense l'envahit quand elle constate qu'ils vont bien, puis l'inquiétude la rattrape bien vite.
« Cheffe. » souffle Fawkes d'un ton grave.
« Cheffe. » salue Rose d'une voix éteinte.
Fuya, quant à elle, ne dit rien. La sirène a le teint livide, puis les yeux larmoyants. Son corps frêle est soumis à des tremblements réguliers et les bandages autour de son cou ne la rendent que plus fragile.
Elle se tord les doigts, le dos collé au mur de la ruelle. Yüljet a l'impression de la revoir après leur séjour à Rhenia-Gaear.
La troll écarquille ses yeux sombres.
« Le p'tit a quitté l'hôpital, lâche Fawkes, mais tu le sais sans doute déjà. Ça a créé de la panique partout et on s'est dit que t'en profiterais peut-être pour essayer de récupérer nos rapports. On s'est pas trompés. »
Titan se tourne vers le renard-garou. Il lui adresse un frêle sourire mais ses yeux sont éteints. Le ventre de Yüljet se tord alors qu'elle se prépare à recevoir la terrible nouvelle qu'ils s'apprêtent à lui annoncer.
Quelque chose ne va pas.
« Dites-moi ce qui se passe. » tranche-t-elle.
Le temps dans cette ruelle doit être limité. Ils sont cachés, mais pas invisibles et si la Capitaine ou l'un de ses minaloo les trouvait ici, elle serait condamnée et eux avec elle.
Fawkes et Rose échangent un regard. Comme d'ordinaire, le binôme de la cité d'Eel communique dans son propre langage et ils semblent sceller un accord mutuel, puisque le renard-garou reprend la parole :
« Cheffe, j'ai un rapport à te faire. »
Fawkes pose une main protectrice sur l'épaule de Fuya qui ferme les yeux si fort qu'elle laisse perler des larmes et Titan doit lutter contre la tempête qui commence à se lever dans ses entrailles.
Un frisson court le long de sa colonne vertébrale et pour une raison qu'elle ne connaît pas encore, elle sent le grand piège de la cité d'Eel se refermer définitivement sur elle.
« Le jour où la mégère est arrivée à Eel, il y a eu un grand mouvement de foule. Fuya a failli tomber de sa chaise roulante et moi, j'ai été poussé vers le beau monde. » reprend Fawkes.
Oui, Titan s'en souvient. Elle était là et elle a tout vu. Le renard-garou a provoqué l'accident sans le vouloir et n'a pas hésité à plonger pour sauver Helouri.
« J'ai été bousculé, j'ai poussé le gamin sans faire exprès, poursuit-il, et il est tombé à l'eau. Je me souviens pas exactement de ce qu'il y a eu ensuite, je sais juste que j'ai plongé et que j'ai été le chercher. »
June avait hurlé, le père de Helouri s'était retrouvé sidéré mais Ewelein avait effectué les premiers soins sans attendre avant que le jeune morgan, inconscient, ne soit emmené à l'hôpital.
Fawkes s'était alors trouvé en proie aux regards des passants, mais surtout à celui de la Capitaine. Titan avait cru que les Chefs de Garde, les Mircalla ou l'escorte de Shakalogat fondraient sur le renard-garou comme s'ils étaient capables de déceler sa véritable identité.
« Quand je me suis réveillé, j'étais dans une chambre d'hôpital. J'étais crevé. Tu sais, cheffe : les nerfs qui lâchent. Ça allait parce que j'étais et je suis toujours Jens Red. Mais ça m'a pas empêché d'avoir peur.
- Peur ? » l'interrompt Yüljet.
Le visage de Fawkes s'assombrit. Il baisse les yeux un instant puis, échangeant un nouveau regard avec Rose, il s'explique :
« La Capitaine est venue me rendre visite. Je te mentirai si je te disais que je m'y attendais pas. J'étais le type qui avait sauvé le gamin malgré moi. Mais cheffe… j'avais l'impression de… d'être…
- D'être revenu en arrière. » achève Titan.
Les yeux sombres du renard-garou sondent les siens. Yüljet le comprend. C'est tout ce que la présence de la mégère peut leur inspirer de toute manière.
D'un signe de tête, elle l'invite à parler de nouveau. Shakalogat lui avait rendu visite pour quérir son état, sûrement. Mais ensuite ?
Le renard-garou secoue la tête :
« Elle a joué son rôle. La Sainte Capitaine d'Odrialc'h qui est venue me voir pour prendre de mes nouvelles, me dire que le morgan allait bien, que c'était un accident, que c'était pas ma faute, que je devais pas m'en vouloir… j'ai jamais autant voulu devenir Jens Red, cheffe. »
Yüljet s'en doute. Par bonheur, Shakalogat ne connaît de Fawkes que son nom. À la place du renard-garou, elle aurait ressentie la peur viscérale, perpétuelle d'être mise à nu, découverte et prise en traque. Encore.Qu'est-ce que vous avez fait ?... Qu'est-ce que vous avez fait ?
Elle chasse les pensées avant de souffler un "ce n'est pas moi". Ça n'a jamais servi à rien. Jamais.
Face à Yüljet, Fawkes arbore un doux sourire.
« Heureusement qu'il est venu.
- Qui ça ? » demande subitement sa cheffe.
Les oreilles de Fawkes tressautent. Titan se demande bien quelle présence a pu le rassurer lors de la visite de la Capitaine.
Yüljet sait que la confiance du renard-garou est difficile à obtenir et que chaque faerien doit faire ses preuves. Elle n'a jamais pu lui en vouloir.
« Lilymoe, reprend Fawkes, l'assistant d'Ewelein qui s'est occupé de Fuya. Il a frappé à la porte et il est entré. Heureusement qu'il l'a fait car je me sentais pris au piège et je sais pas si j'aurai pu jouer mon rôle correctement face à la Capitaine.
- Il est très gentil. » souffle Fuya.
Son visage est toujours livide mais Titan sait que son séjour à l'hôpital du Quartier Général n'a pas servi qu'à soigner ses branchies. Il lui a apporté du réconfort et après la mission traumatisante de Rhenia-Gaear, Fuya en avait besoin.
« Oui, il est gentil, continue Fawkes, il était venu voir si j'allais bien et même si la Capitaine était là, il est resté. Il a peut-être dû penser que j'étais intimidé. Il avait qu'un petit bout de la vérité, mais c'est pas grave. C'est parce qu'il est venu que j'ai pu faire mon boulot comme il fallait et traquer l'information.
- Fawkes ! »
Yüljet se maîtrise pour ne pas hausser le ton, mais en cet instant, elle dévisage le renard-garou comme s'il venait de lui avouer son allégeance pour le grand palais d'Odrialc'h.
Il hausse les épaules et rétorque :
« C'est pour ça qu'on est là. La mégère était devant moi alors il fallait que j'essaye. Quand l'assistant d'Ewelein parlait, je pouvais réfléchir et quand je disais quelque chose, j'avais pas à regarder la Capitaine dans les yeux. Je le regardais, lui. Et c'est comme ça que j'ai pu faire un bon rapport.
- Tu as pris des risques, le réprimande Titan, et même si les raisons pour lesquelles tu l'as fait sont louables, t'exposer à la Capitaine, c'est…
- On sait pourquoi on s'engage, cheffe. Et... »
Un nouvel échange de regards avec Rose et Fuya qui ferme brièvement les yeux. Yüljet fronce les sourcils.
Elle n'aime pas ça du tout. Le récit de Fawkes concernant son entrevue avec la Capitaine n'est que l'amorce d'un chaos qui s'apprête à déferler pour tout renverser sur son passage.
« J'ai fait mon rapport, reprend le renard-garou, Fuya aussi a fait le sien. J'ai enquêté sur les présences humaines et j'ai appris quelques infos en parlant avec la Capitaine. Avec Rose on a fait quelques ébauches d'un plan pour entrer au palais et sauver Sheraz, mais…
- Mais quoi ? »
Silence.
Pourtant, les rapports de Fawkes et Fuya semblent prometteurs, sans compter les bribes de plan pour le sauvetage de Sheraz. Dans une autre situation, la cheffe du cartel des Typhons dirait que tout semble aller pour le mieux.
Mais Rose tient un parchemin dans la main. Un rouleau de parchemin extrait d'un cylindre crypté plus précisément. Titan blêmit.
Le vampire s'approche pour lui remettre le message et Yüljet voit Fuya se mettre à trembler, ses grands yeux bleus se remplissant de larmes à nouveau.
« Il faut prendre une décision, cheffe. » déclare Rose.
La sentence tombe et le cœur de Titan s'accélère. Si la sirène peut se permettre de trembler, Yüljet se l'interdit.
Elle reste droite, stoïque, les pieds fermement campés sur le sol de la ruelle et d'une grande main brune, elle attrape le rouleau de parchemin.
Qui a écrit ce message dont elle découvrira bientôt le contenu ?
« L'indice pour ouvrir le cylindre c'était "le prénom de celle que j'aime".» ajoute le vampire.
La gorge de Titan se serre alors qu'elle commence à comprendre.
Sur les trois binômes qu'elle avait formée pour les missions hors d'Odrialc'h, il n'y en a qu'un seul qui est devenu fusionnel. Un seul pour qui le doute était permis.
Lui, était certain que tout le monde savait ce qu'il ressentait pour elle. C'était si évident.
« Gabrielle.» murmure Yüljet.
L'angoisse sort les griffes pour lui piquer les entrailles. L'horreur est une vague morbide qui se languit de gonfler pour mieux la submerger, mais elle reste impassible. Elle essaye.
Son esprit lui dessine le visage de Nash et quand ses yeux noirs balayent les premières lignes écrites avec une encre qui a bavée çà et là, elle retient son souffle :
Le nephilum 19 du mois de mimouet,
Rapport sur l'activité des Milliget
Titan,
Mon rapport ne sera peut-être pas écrit correctement. C'est la remarque que tu me fais toujours, après tout, mais pour aujourd'hui, plus qu'un rapport, c'est une lettre que je veux t'écrire.
Je me trouve actuellement sur un bateau et le passeur est parti. Il a accosté sur les petites îles du Givre qui bordent la route maritime officielle vers Odrialc'h pour rejoindre une planque, sûrement, et moi, j'ai repris le bateau et je me suis posté à la frontière des Terres Gelées.
Par bonheur, mon message sera parti avant eux, avec le sowige que le passeur m'a laissé.
Tu sais, Titan, après votre départ à toi et Fuya, quand Rhenia-Gaear était prise dans le chaos, je suis resté caché longtemps. Les Milliget avaient confiné la cité et ont fait tomber la neige pendant une longue semaine en essayant de me trouver.
Je crois qu'ils ont assisté à ton départ. Gabrielle me disaient qu'ils cherchaient activement l'orc qui n'était pas parti, alors je suis resté à la planque en attendant que leur neige s'arrête.
Gabrielle me rapportait des nouvelles de l'extérieur. Les entrées et les sorties de la cité étaient contrôlées et pour contenir la panique, les autorités de Rhenia-Gaear disaient à la population que les Milliget avaient besoin d'enquêter sur une affaire d'extrême urgence.
Titan, lorsque nous étions postés à la frontière de leur domaine et qu'ils nous ont pris en chasse, j'ai dérobé quelque chose à l'un d'entre eux. Ces éprouvettes de sang que tu as emportées.
Ils les cherchent, ils nous cherchent et ils cherchent Fuya. Ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas l'un d'entre nous.
Je ne sais pas ce que ce sang humain représente à leurs yeux, eux qui peuvent sûrement s'en procurer d'autres échantillons, mais si je suis sûr d'une chose : ils pensent que nous connaissons leur objectif.
J'ai pris les éprouvettes à l'aveugle. Je ne savais même pas ce que j'avais attrapé. Mais ils doivent penser que nous savons beaucoup trop de choses sur ce qu'ils font.
Les dernières nouvelles concernant les fées du sang ne sont pas bonnes. Pendant la semaine où leur neige est tombée, il y a eu du mouvement. Gabrielle a parlé de disparitions. Des petites frappes connues de la cité qui se sont soudainement volatilisées sans laisser de traces.
Elle a dit aussi que la grande université d'alchimie a été réquisitionnée par les Milliget pendant une nuit complète. Je ne sais pas ce qu'ils préparent, mais au moment où je suis en train d'écrire, ils approchent.
Titan, j'ai dit que les Milliget ne s'arrêteront pas et c'est vrai. Quand leur neige a cessé de tomber sur Rhenia-Gaear, j'ai pu quitter la planque et j'ai cherché des informations.
Les sélections qui vont se passer à Eel étaient sur toutes les lèvres, mais l'enquête menée par les Milliget aussi.
Ils n'ont rien trouvé à Rhenia-Gaear, alors ils feront tomber la neige dans les autres cités, jusqu'à ce qu'ils nous retrouvent. Tu comprends, maintenant ?
Ils ont déjà dû envoyer des missives officielles à Odrialc'h et Eel en disant qu'ils feront tomber la neige là-bas. Je sais que c'est dangereux pour vous.
Titan, toi et Fuya avez atteint Eel. Je sais que vous l'avez fait. Vous devez déjà vous trouver prisonnières de la cité blanche avec la présence de la Capitaine et Fawkes et Rose doivent être prudents.
Si la neige des Milliget tombe sur Eel, c'est fini. Vous ne pourrez pas vous cacher. Il vous sera impossible de quitter la cité et les purrekos ne vous viendront pas en aide sans une contrepartie conséquente.
Pour se dresser contre les Milliget, vous n'aurez jamais les moyens.
Cheffe, c'est moi qui ait voulu me rendre à la frontière des Milliget. C'est moi qui ait arraché les éprouvettes à la fée qui nous a attaquée et c'est moi qui n'ait pas voulu m'en tenir à la mission que tu m'avais confiée.
J'ai déjà pris ma décision.
Tu ne dois pas oublier la mission originelle : nous devons sauver Sheraz Alfirin. Alors s'il te plaît, fais-le.
Ici et maintenant, je suis certain de ce que je m'apprête à faire. Dans peu de temps, les Milliget se montreront sur leur bateau et je me rendrai.
Comme je l'ai dit, ils pensent que nous connaissons leur objectif. Alors ils pourront m'interroger : je n'aurai rien à dire parce que je ne sais rien.
Et je ne dirai rien sur le cartel. Rien du tout. Je sais que tu n'as pas confiance en moi, cheffe, mais je te fais la promesse de ne pas te trahir. Ni toi, ni les autres.
Tout ira bien. Les fées du sang ne m'emmèneront pas dans leur domaine. Si elles ont déjà contacté Odrialc'h et Eel, alors on doit déjà les attendre.
Eel est la cité la plus proche alors je sais que je verrai l'intérieur des salles d'interrogatoire de la Garde de l'Ombre.
Quand tu recevras ce rapport, Titan, fais tout ton possible pour quitter la cité d'Eel.
Retournez à Odrialc'h et sauvez Sheraz. Les Milliget devraient atteindre Eel après les sélections, alors vous pourrez partir sans problèmes.
S'il te plait, ne me sauve pas. Sauve Sheraz. Je sais pourquoi je me suis engagé et je connaissais les risques.
Mon rapport s'arrête ici.
Je n'ai rien dit à Gabrielle. Je suis parti pendant qu'elle était chez les Leblanc. Elle m'aurait empêchée de me rendre aux fées du sang et face à elle, je n'aurais pas eu le courage de la quitter.
Merci de m'avoir donné ma chance, Titan.
NashLe Sacrifice de Nash
Elle a les mains qui tremblent.
Yüljet relève brusquement la tête, interdite, pour dévisager les membres de son cartel. L'horreur a déferlé dans sa poitrine depuis un petit moment et son corps est devenu l'antre du chaos.
Nash s'est rendu aux Milliget. Il est entre leurs mains et qui peut prédire s'ils n'ont pas déjà commencé leur interrogatoire sur leur bateau ?
« Rose. » lance-t-elle comme un coup de tonnerre.
Son regard sonde les yeux opalins du vampire et il a déjà compris.
« Nash a dit vrai, répond-t-il d'un ton grave, Eel a réceptionné un message des Milliget qui a été transmis à la Garde de l'Ombre. Leur courrier m'est resté confidentiel. Seul Nevra Mircalla en connaît le contenu mais après sa lecture, il a immédiatement fait préparer une salle d'interrogatoire et a convoqué ses parents, Miiko Yamamura et le conseiller Leiftan Tuarran. »
Il a presque craché le dernier nom. Titan ferme brièvement les yeux et serre les dents. Après l'horreur, c'est la rage qui se montre.
La rage contre ces fées sauvages, immondes, maigres et monstrueuses avec leurs trompes. La rage contre celles et ceux qui veulent bien les admirer comme Alajéa Edam et même la rage contre les murs blancs de la cité qui les emprisonnent dans un piège avec un bourreau encensé comme une légende !
Tout ça pour du sang humain.
Non.
Il y a forcément autre chose. Les Milliget ont peur qu'ils sachent. Qu'ils aient connaissance de leur objectif.
De quoi peuvent-ils bien avoir peur, justement ?
« Ils vont venir… ils vont venir… ils ont eu Nash… » souffle une petite voix terrorisée.
Fuya n'est qu'un paquet de nerfs vacillant. Ses yeux exorbités fixent un point invisible sur le sol de la ruelle et elle laisse les larmes s'échapper.
Yüljet devine que son esprit doit rejouer mille fois la scènes du festin morbide, au manoir du marquis Maximilien Ville de Fer. Et aussi celle où elle a choisi de se défenestrer plutôt que de finir dévorée vivante.
Fawkes raffermit sa prise sur son épaule, sans quitter sa cheffe des yeux. Elle sait déjà ce qu'ils attendent.
Elle doit prendre une décision, mais pas seule. C'est contre les règles du cartel.
Titan serre le parchemin entre ses doigts, comme si elle tentait de le briser.
« Sexta et Ryan étant à Odrialc'h, c'est entre nous quatre. »
Désignant Rose du menton, Yüljet l'invite à parler. Le vampire se met à réfléchir, les bras croisés sur la poitrine, ses longs cheveux de jais coulant sur sa tunique indigo. Le choix est cornélien..
Enfin, Rose partage sa pensée :
« Nash a réfléchi à ses actes et dans sa situation, je pense que j'aurais agi de la même façon. Il a raison quand il dit que la neige des Milliget vous aurait condamnée, toi et Fuya. Personne n'aurait pu y échapper et encore moins avec la Capitaine dans la cité. Si nous le sauvons, son sacrifice ne servira à rien et nous risquons de tous y rester. Il ne sera plus question de mission originelle.
- Tu penses donc que nous devons respecter ses souhaits et quitter Eel après les sélections ? »
Le vampire hoche la tête. C'est une décision difficile, mais il a pesé le pour et le contre, Yüljet le sait.
Elle se tourne alors vers Fuya, dont les pleurs silencieux ravagent le visage. La sirène lève ses yeux gonflés vers elle, tente de reprendre contenance et échoue.
Enfin, ses lèvres s'animent pour former des sons avec difficulté :
« Je ne peux pas… l'abandonner… à ces monstres. » souffle-t-elle.
En effet, mais il y a d'autres enjeux.
« Tu sais mieux que personne ce qui nous arrivera si les Milliget nous retrouvent, Fuya, lui dit-elle d'un ton ferme.
- Je sais, réplique la sirène, mais… mais si elles s'en prennent à l'un des nôtres, alors… alors on s'en prendra à l'un des leurs. »
Fawkes et Rose la dévisagent, surpris par ses propos. Yüljet doit avouer qu'elle l'est aussi.
« Ce n'est pas une histoire de vengeance, rappelle la troll, Nash se sacrifie pour que nous puissions quitter Eel en sécurité et continuer la mission originelle.
- Je ne veux pas qu'il meurt pour nous, rétorque Fuya d'une voix hachée, et si les Milliget ont l'un d'entre nous, alors il faut leur reprendre. Même si pour ça, on s'en prendra au plus faible d'entre eux pour l'échanger contre Nash. »
Le plus faible. Titan souffle par le nez, dubitative.
Sira serait une proie facile, c'est vrai. Mais Sira ne serait certainement pas laissé sans protection par les siens. Envisager sa capture pour l'échanger contre Nash reviendrait peut-être à bafouer son sacrifice.
À présent, Yüljet se tourne vers le renard-garou, en proie à un véritable dilemme intérieur.
« Fawkes ? »***
À l'orée de la ruelle, du bruit s'est fait entendre. Les bribes de voix arrachées au tumulte laissent deviner que Helouri a été retrouvé et que les curieux veulent assister à la scène.
Rose est parti s'assurer que tout allait bien. La décision concernant Nash a déjà été prise, de toute façon.
Titan, Fawkes et Fuya restent à l'abri, dans l'alcôve de la ruelle. Le silence est lourd et personne ne veut dire un seul mot.
Sous leurs yeux ternes, les faeriens passent, s'activent, flânent et les ignorent. Tant mieux.
Les minutes s'étiolent, ralentissent, faiblissent et tant que la Légende n'apparaît pas encore, ils peuvent encore rester ensembles.
Mais la bulle finit par éclater.
Rebroussant chemin vers le port, Rose presse. Le vampire, d'ordinaire si taciturne, a les traits tendus et les yeux étincelants.
Son pas est un petit trop rapide au goût de Yüljet, mais aussi à celui de Fawkes, à en aviser l'expression de ce dernier.
Mais elle se transforme en surprise quand un renard-garou se hâte à son tour pour rattraper Rose.
Ses cheveux flamboyants n'échappent à personne, ni ses atours délicats que Jens Red et Ellen Price ont vu ces derniers jours.
L'assistant d'Ewelein, le souffle court, louvoie entre les personnes, visiblement déterminé à rejoindre le vampire. Vampire qui s'est finalement arrêté.
Au beau milieu du marché d'Eel pris d'assaut par les curieux, Rose est une silhouette sombre plantée à même le sol. Ses traits si lisses, d'habitude, se crispent d'une émotion indescriptible qui semble s'être hissée du plus profond de lui-même pour parvenir jusqu'à son visage.
« Un mot et vous le regretterez. »
Le vampire a craché cette phrase. Fawkes retient son souffle et non loin d'eux, Lilymoe est bouche bée.
L'assistant d'Ewelein se reprend, les mains hésitantes et le regard perdu. Il a l'air de chercher ses mots et quand il les trouve, la situation lui échappe :
« S'il vous plaît… Vous ne pouvez pas tolérer ce genre de choses, Monsieur Clarimonde… Je l'ai vu. Je peux témoigner.
- Non. »
La réponse est tombée comme un couperet. Rose fait volte-face, foudroie Lilymoe du regard et ajoute d'un ton lourd de menaces :
« Vous n'avez rien vu. Rien du tout. Vous êtes l'assistant d'Ewelein Osgiliath alors regagnez l'hôpital et prenez soin de vos patients. Retournez à votre place et laissez-moi à la mienne. »
Le vampire l'abandonne ici. Lilymoe le regarde partir, visiblement impuissant et sur son visage s'est peint une détresse qui n'est pas la sienne.
Près de lui, dans une ruelle ignorée, l'incompréhension tourmente trois esprits déjà lourds.
Les sélections sont proches mais des êtres s'apprêtent à chuter, sous le poids de la peur et du doute.Les Choix
Oyez ! Oyez !
Vous voilà confrontés à ce premier choix charnier ! Pour rappel, il s'agit d'un choix très important qui influence grandement la direction prise par l'histoire et qui peut faire apparaître une épée de Damoclès sur la tête d'un des personnages.
Mais ne vous inquiétez pas : vous aurez le temps de faire votre choix et la date de clôture des votes peut être repoussée si besoin.
Comme vous avez pu le constater, Nash a décidé de se rendre aux Milliget. Les fées du sang sont prêtes à tout pour le retrouver lui, Titan, Fuya et les éprouvettes de sang humain qui leur ont été dérobées, quitte à faire tomber leur neige à Odrialc'h et Eel.
Comme vous le savez, la neige leur permet de repérer n'importe qui et leur sert grandement pour la traque et la surveillance.
Nash fait part de sa décision ainsi que de ses souhaits à Titan via son rapport et demande à ne pas être sauvé. Cependant, Yüljet doit prendre une décision.
Qu'est-ce qui devrait être fait ?
➜ Respecter les souhaits de Nash, ne pas le sauver et quitter Eel tout de suite après les sélections et donc, avant l'arrivée des Milliget.
➜ Sauver Nash malgré le danger. Fuya a proposée la capture du Milliget le plus faible pour l'échanger contre Nash.
UNIQUEMENT pour Waïtikka
Choix numéro 1 :
Une décision doit être prise et c'est au tour de Fawkes de s'exprimer. À lui de donner son avis !
Selon lui, faut-il sauver Nash ou bien le laisser ?
Choix numéro 2 : Fawkes vient d'assister à une scène très étrange entre lui et Lilymoe. Rose a agit très bizarrement, contrairement au personnage taciturne et peu loquace que Fawkes connait bien. Que devrait-il faire ?
➜ Aller parler à Rose pour obtenir des explications.
➜ Aller parler à Lilymoe pour essayer de savoir ce qui se passe (attention ! Il faudra aller lui parler en tant que Jens Red et inventer un beau mensonge !).
➜ Ne rien faire du tout.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo
Lilymoe a vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir. Malgré le fait qu'il ne connaisse Rose Clarimonde que de réputation, il s'est tout de même décidé à aller lui parler pour lui proposer son aide.
Mais qu'a-t-il vu et de quoi s'agit-il ?
Lorsque tu seras prêt, viens me voir par MP, ZuzoHyo, que je puisse te faire part de la situation, ainsi que de ton choix.
Pas de choix pour MayaShiz pour ce chapitre, il faudra attendre le prochain !
Dernière modification par Aespenn (Le 06-05-2023 à 18h50)
Hors ligne
Note de l'Auteur
Bonsoir à vous !
J'espère que vous allez bien en ce mois de décembre ! Je suis navré pour le retard qu'à pris ce chapitre mais j'ai eu une grosse semaine qui m'a pris tout mon temps.
Nous nous retrouvons donc avec un chapitre assez particulier, parce que la direction de l'histoire a été prise en fonction de vos choix, mais aussi parce que nous montons encore d'un cran dans l'horreur.
Transition pour placer un Trigger Warning : attention, âmes sensibles s'abstenir ! Ce chapitre contient des descriptions et des scènes sordides qui pourraient déranger les personnes sensibles. Nous montons d'un cran dans l'horreur alors certains actes, même suggérés, pourraient vraiment déranger.
Vous ne trouverez rien ici qui puissent enfreindre les règles du forum, puisque les scènes en questions ont été soumises à l'approbation de notre cher modérateur, Waïtikka, mais tout de même.
Pour celles et ceux qui restent, bienvenue dans ce chapitre et bonne lecture ou bien peut-être : bonne chance.
Petit apparté aussi pour remercier chaleureusement MayaShiz pour son superbe cadeau d'anniversaire que je voulais partager avec vous ! (*u*)
Merci encore, ma faucheuse d'amour ! (^_^)/Mug Apotheosis
Chapitre 15 - Trauma
Fawkes soupire et baisse les yeux le temps d'ordonner ses pensées. Il sait que les mots qui vont sortir de sa bouche seront rudes, surtout pour Fuya. Mais il voit bien au regard de la sirène qu'elle sait déjà ce qu'il va dire. Alors il l'attire contre son torse. Peut-être que ce sera moins douloureux pour elle de l'entendre en pouvant se raccrocher à lui. Ou pour le frapper de ses petits poings.
« Rose a raison. La décision de Nash n'a pas été prise à la légère. Il sait les risques et ce qu'il encourt. Si les Milliget font tomber la neige, c'en est fini de nous, du cartel, de la mission, de Sheraz et d'Eldarya. C'est plus que la vie de Nash qui est en jeu. Nous devons… »
Il soupire à nouveau. C'est difficile à dire.
« Nous devons lui faire confiance. »
Et comme il sent Fuya se crisper contre lui, il ajoute :
« Il tiendra le coup. Et nous reviendrons le sortir de là dès que nous pourrons ouvrir une brèche en toute sécurité dans les remparts que les Milliget auront érigé autour de lui. On ne l'abandonne pas, Fuya. On lui fait confiance. »
Ce sont les mots de Fawkes. Les derniers poids dans la balance du vote qui a penchée dès qu'il a fini de parler.
La décision est prise : le cartel des Typhons va faire confiance à Nash et ne pas gâcher son sacrifice. Une fois les sélections achevées, Yüljet, Fuya et Fawkes regagneront Odrialc'h pour y rester durant un long moment. Le cartel devra focaliser toute son attention sur Sheraz Alfirin, sur le palais et sur l'Ulcère qui deviendra peut-être leur chemin d'accès vers le bijou des hauts-quartiers.
Ne pas oublier la mission originelle. Jamais.
Quant à Nash…
S'il meurt, ce sera de ma faute. C'est une certitude.
Silencieuse, Yüljet laisse son regard d'onyx s'égarer sur l'orée de la ruelle qui les a vus débattre. Ils se sont tous tenus là quelques minutes plus tôt, elle et les membres du cartel des Typhons.
Ils ont fixé le décor sans rien dire, chacun songeant au choix qui pèse lourd sur leurs épaules. Ils ont tous l'impression d'abandonner l'un des leurs et Yüljet le sait. Elle déglutit.
La troll se persuade qu'elle finira par trouver le bon moment pour aller chercher Nash et le libérer, mais son instinct lui souffle que l'ennemi est trop fort.
Ou bien que Nash ne pourra jamais endurer l'interrogatoire. Il finira par succomber et qui sait dans quel état il sera jeté au sein d'une fosse commune, dédiée aux brigands et meurtriers ?
Non. Pas de fosse commune.
Il servira à nourrir ses bourreaux.
Yüljet ferme brièvement les yeux. Son esprit la rappelle à l'ordre en lui intimant qu'elle se trouve au beau milieu du marché, non loin du Quartier Général, et qu'il est dangereux pour elle d'y rester. C'est vrai. Elle doit reprendre l'instant présent en main et commencer à localiser Shakalogat afin de s'éloigner d'elle le plus possible.
La cheffe du cartel des Typhons a la désagréable impression que la réalité lui échappe. Elle songe à Nash, à Rose qu'elle a vu passer tout à l'heure, à Fuya en train de pleurer et à Fawkes mis en lumière face à la Légende.
Que peut-elle faire pour eux ? Confronter Rose, sécher les larmes de Fuya et ramener Fawkes dans l'ombre ? Cela à l'air si simple.
Seulement à force de penser, Yüljet ne voit pas le danger qui s'approche. Pourtant, la rue toute entière file vers le Quartier Général, poussant, se bousculant, frétillant comme des carpes en train de remonter une cascade.
Un nœud se contracte dans ses entrailles quand enfin, la troll comprend que tous ces badauds filent retrouver leur phare adoré.
Aux aguets et parfaitement alerte, Yüljet reprend corps avec le monde. Face à elle, des âmes s'amassent pour former un barrage faerien. Au moment où elle fait un pas en arrière pour s'en aller, une main attrape la sienne pour la traîner dans la cohue, et si elle est prête à repousser l'importun, elle cille quand elle reconnaît Fawkes.
Le renard-garou lui jette un bref coup d'œil avant de jouer des coudes pour se frayer un chemin entre les êtres rassemblés. La troll sent son cœur frapper sa détresse contre ses côtes à chaque pas qui la mène vers la Capitaine, mais avant qu'elle ne s'interroge sur les manigances de Fawkes, elle comprend.
La rue du marché s'est complètement vidée avec le retour de la Légende. Si Yüljet avait été la seule personne à rebrousser chemin, elle ne serait pas passée inaperçue. De plus, le renard-garou l'a conduite vers un petit flot d'orcs venus faire du tourisme et leur grande taille ainsi que leur carrure sont parfaites pour se dissimuler.
Titan sait que Fawkes n'apprécie pas d'être entouré de la sorte par des tas de muscles, mais ici c'est parfait.
Elle échange un regard avec lui et il lui adresse un signe de tête. Tout ira bien et ils se disperseront en même temps que la foule.
Il l'a vue avant elle, même si Jens Red n'a rien à craindre.
La voilà, d'ailleurs.
Une fois de plus, elle revient en héroïne avec une victime fébrile que l'on imaginerait sans mal se briser entre ses mains puissantes. Pourtant, elle ne la touche même pas.
Elle marche devant elle d'un pas tranquille comme la lumière à suivre pour revenir parmi les autres et pauvre petit morgan, il la regarde, subjugué.
Si fragile mais si vivant, grâce à elle.
« Oh… »
Yüljet tourne la tête pour voir Fawkes écarquiller ses yeux bruns. C'est le désespoir de Helouri qui doit captiver son attention car si le morgan avait fuit l'hôpital, le renard-garou ne se doutait peut-être pas de son entreprise sinistre.
Mais il est encore là et il se traîne dans le sillage de la Légende, le corps couvert de regards curieux. Son nom est soudainement crié.
Il s'arrête et ouvre la bouche, stupéfait par tant d'amour qui se jette à son cou. Il avait certainement oublié cela, trop occupé à ressasser ses tristes pensées.
C'est June qui le serre dans ses bras la première. Titan avait reconnu sa voix bien avant qu'elle apparaisse dans son champ de vision, ses cheveux cendrés flottant autour de son visage horrifié et soulagé à la fois.
Elle est bientôt rejointe par Joseph Ael Diskaret et une morgan à la peau de craie et à la longue chevelure givrée comme une dame de glace. Yüljet n'a aucun doute sur son identité, surtout quand elle fond sur son fils telle une armure ayant perdu la chair qu'elle devait défendre.
À eux trois, ils forment un nouveau barrage autour de Helouri, plus fragile que jamais. Un jour, des zébrures apparaîtront sur sa peau, Titan en est certaine. Le voilà qui s'effondre encore une fois, désolé, honteux, affligé et condamnable.
Peut-être que son geste malheureux lui apparaît comme une folie, en cet instant.
Sa mère, son père et June l'étreignent comme s'ils craignaient qu'il s'en aille à nouveau pour disparaître. Et quand enfin ils le lâchent, Helouri est incapable de les regarder.
Yüljet songe que jamais elle n'a assisté à une détresse pareille, hormis la sienne.
Le couple de morgan et la jeune faerienne se remettent sur leurs pieds. Là, debout, ils surplombent la victime ramenée des Jardins de la Musique comme des créatures dominantes malgré elles.
Helouri a le corps secoué par des spasmes qui prennent corps dans ses yeux. Il pleure, pleure et pleure encore sans jamais être à court de larmes et parce qu'il a bien trop honte, il préfère se laisser aller contre le sol et y coller son front.
Bientôt, des murmures s'élèvent sur les lieux et chaque faerien présent se pare de son petit commentaire sur la scène. Mais Helouri a de la chance parce qu'on le prend en pitié.
L'amas de corps est gagné par la misère du jeune morgan, par l'abattement de June et par Joseph ainsi que son épouse qui laissent éclater leur effroi.
Ils ont eu peur. Terriblement peur. Helouri qui pensait être un fardeau pour sa propre famille, à cause de sa malformation aux branchies qui l'empêche de respirer sous l'eau, peut constater que sa disparition rendrait leur vie misérable.
Et si tu n'étais plus là… et si tu n'étais plus là, ce serait comme m'arracher la joie de mon existence. Prendre tout l'amour que j'ai en moi et l'écraser au sol, tu comprends, ça ?
C'est Joseph qui tonne malgré lui. Le fier candidat aux sélections qui n'a pas été capable de sauter à l'eau pour sauver son propre fils, sidéré par les évènements.
La force tranquille de la Garde Obsidienne qui doit la vie de son enfant à un parfait inconnu.
Je m'en veux, de ne pas avoir vu. De ne pas avoir su. De ne pas avoir agi. De ne pas avoir été assez là pour toi… par l'océan, si je perds ma famille… si je perds ma femme ou l'un de mes enfants…
Cette fois, c'est June qui tombe à genoux. Ses mains gantées de cuir masquent son visage pour cacher une émotion car visiblement, elle ne se sent pas digne de l'amour que la famille Ael Diskaret lui a toujours offert. C'est peut-être la première fois qu'il se pare de mots.
Je suis désolée, je suis désolée. répète-t-elle en une litanie. Désolée de quoi, c'est un mystère et pas vraiment à la fois car les hypothèses sont nombreuses. Titan se fait la réflexion qu'elle a dû s'excuser à maintes reprises, dans une chambre de l'hôpital du Quartier Général.
Mais la mère de Helouri l'attrape doucement par le poignet pour la forcer à la regarder, son visage ravagé par ses pleurs.
« Cristal… » murmure June.
Cristal est celle qui relève sa chère fille adoptive et qui s'en va entourer les êtres affligés de ses longs bras blancs. Les joies de son existence aussi, sûrement.
Et il y a un phare mythique qui veille sur eux depuis sa haute taille.
Silencieuse, la Légende assiste au triste spectacle, stoïque, sa figure anguleuse sereine comme imperméable au chaos qui fait rage sous ses yeux. Yüljet ne doute pas de l'empathie dont elle peut faire preuve envers cette famille déchirée, elle qui a dû se ruer dehors, hors de son armure et pieds nus afin de retrouver un jeune morgan éploré avant qu'il ne soit trop tard.
Non. Titan ne doute pas d'elle, même si elle la hait.
Instrument de torture, fulmine-t-elle en pensée.
Ça suffit. La troll se retourne, bien décidée à partir en toute discrétion. Seulement, Fawkes la retient encore.
Yüljet se retourne mais cette fois, le renard-garou lui remet une enveloppe, le regard résolu. Il lui fait un geste du menton pour lui intimer de la prendre et Titan s'exécute, silencieuse.
Leur fameux rapport, à lui et Rose, pour l'infiltration du palais d'Odrialc'h via l'Ulcère, sans doute.
Un hochement de tête prudent et la troll s'éloigne. Un pas après l'autre, la foule se dessine et ses yeux noirs parcourent les êtres qui ne prêtent pas attention à elle.
Finalement et quand on détourne son regard du spectacle malheureux, l'assemblée immense réserve quelques surprises. Plus loin, Titan attrape Rose aux côtés de son Chef de Garde, son air sérieux peint sur son visage. Bien loin de l'agacement contenu dont il a fait preuve plus tôt envers l'assistant d'Ewelein.
Yüljet garde cette scène dans un coin de son esprit.
Ah… et le voilà… elle le reconnaît. De toute manière, ses cheveux flamboyants ainsi que ses attributs animaux jurent dans le décor. Sa figure est agitée par des émotions qui s'entrechoquent et Titan s'arrête pour le regarder.
Pour le peu de fois où elle l'a vu, elle sait que Lilymoe est un livre ouvert, un petit peu à la manière de Helouri ou même Twylda. Elle peut lire en lui rien qu'en observant son visage et ses yeux aussi profonds qu'une forêt.
Pourquoi est-il venu à Rose tout à l'heure ? Yüljet peut d'ores et déjà mettre de côté la terrible hypothèse qu'il puisse être au courant de son allégeance pour le cartel. C'est parfaitement impossible : Rose est bien trop intelligent et précautionneux pour se faire prendre, pas même par Nevra Mircalla qui lui fait confiance.
Alors quoi ?
Les yeux de Lilymoe lui apportent un indice. Ils veulent se concentrer sur l'amour et la détresse de la famille Ael Diskaret, mais ils fuient. Ou plutôt, ils veulent regarder autre chose.
Les oreilles du renard-garou tressautent, sa queue fournie se balance avec nervosité et bientôt, il se met à inspirer profondément comme pour ordonner à ses nerfs de se calmer.
Mais Titan a suivi son regard. Elle frissonne et sent tous ses muscles se tendre quand elle le reconnaît.
Le minaloo d'Odrialch.Le Minaloo d'Odrialc'h
Drapé de ses éternels habits blancs, son long manteau flottant sur ses épaules graciles, il dégage une paix qui pourrait rivaliser avec celle d'un monde idéal.
Ses cheveux d'ombre et de lumière se laissent malmener volontiers par le vent salin d'Eel en deux nattes qui s'agitent comme des cordages oubliés.
Sa figure symétrique, sculptée dans une chair immaculée, se revêt de la peine la plus sincère pendant que ses yeux mentent. Ils mentent. Titan sait qu'ils mentent.
Elle le regarde, lui et ses beaux traits, sa silhouette toute entière qui a su conquérir la cité blanche et le cœur de ses habitants.
Ils l'aiment et lui, il dit qu'il les aime aussi.
Mais il suffit de s'approcher d'assez près pour constater que derrière le masque angélique se cache l'enfer. Dans le vert émeraude de ses yeux brûle un chaos démentiel où chaque âme malheureuse tombée dans ses abîmes se transforme en victime éternelle.
C'est un beau menteur, comme la Capitaine. Mais concernant la Légende, c'est bien pire puisqu'elle est persuadée de détenir la vérité.
Lilymoe ne peut s'empêcher de regarder Leiftan Tuarran, alors ?
En réalité, le renard-garou s'éloigne. Titan le voit fendre la foule pour y retrouver Ewelein Osgiliath et lorsque c'est chose faite, il lui murmure quelque chose à l'oreille.
La médecin en cheffe pose une main amicale sur l'épaule de son assistant et lui répond avec un doux sourire aux lèvres. Ses mots ont le pouvoir d'apaiser quelque peu Lilymoe, apparemment. Mais ce dernier a tout de même le teint pâle.
En réalité, il y a des secrets qui se dissimulent dans cette foule et Yüljet veut bien s'en moquer. Sauf si l'un d'entre eux concerne un membre de son cartel.
En s'extirpant de l'amas de corps, elle voit les visages connus des autres Chefs de Gardes.
Fidèle à elle-même, la troll s'applique à ne pas les approcher.
Ezarel Séquoïa lance un regard glacé à la famille Ael Diskaret. La tête haute, il toise la forme bleue avachie sur le sol comme s'il n'était qu'une poussière à ses pieds et Titan n'a qu'à lire sur son visage pour affirmer que l'elfe pense qu'il n'est rien.
Ezarel fait partie de ceux qui n'aiment pas les faibles. En bon Chef de Garde tyrannique et compétitif, les être qui ne possèdent pas de nerfs d'aciers sont voués à ployer sous son terrible enseignement. Et si Helouri voulait, ne serait-ce, que tenter d'entrer dans la Garde Absynthe, son ombre ne pourrait même pas en franchir la porte.
Et puis il y a Valkyon Batatume. Aussi stoïque qu'une montagne, il fixe la scène d'un air peiné.
Quand Yüljet quitte enfin de la masse faerienne, serrant l'enveloppe dans sa main brune, elle jette des coups d'œil discrets derrière elle. La détresse de Helouri forme un noyau de douleur qui attire tous les regards pendant que la présence de la Capitaine les captive, comme d'ordinaire.
La troll se hâte vers la ruelle où elle s'était entretenue avec Fawkes, Rose et Fuya. Comme elle l'a fait quelques instants plus tôt, elle a cherché l'herboristerie du regard pour finalement s'engouffrer dans le passage et disparaître du marché d'Eel. Elle ignore le quartier vers lequel elle se dirige mais en cet instant, ce n'est pas important.
On retrouvera son chemin plus tard.
Tout ce qui compte ici et maintenant, c'est cette fameuse enveloppe que Fawkes lui a remise ainsi que ses pensées tournées vers Nash.
Yüljet arpente la ruelle d'un pas tranquille tout en cherchant un siège de fortune. La tension qui l'avait étreinte toute entière face à la famille Ael Diskaret se dissipe à chaque pas quand elle sait que Shakalogat et Leiftan se trouvent loin derrière elle. Elle respire enfin.
Finalement, son chemin la mène vers d'autres : des entrelacs de petites ruelles qui deviennent de sombres couloirs lorsque tombe la nuit mais quand elle parvient à se repérer, la troll remonte peu à peu vers le refuge. Elle retrouve même la taverne où elle s'était rassasiée le jour de son arrivée à la cité d'Eel.
Celle où le petit Mery l'avait suivie.
Cette fois, elle prend directement place sur le petit tonneau qui siège face à la devanture et, avide de connaître le contenu de l'enveloppe, en défait le laçage.
Yüljet s'attendait à un rapport, mais il n'en est rien. Le premier morceau de parchemin dont elle prend connaissance est une petite lettre et elle y reconnaît tout de suite l'écriture de Fawkes.Cheffe,
Quand l'occasion d'une réunion avec toi s'est présentée, j'avoue que j'ai réfléchi à deux fois avant de te remettre ce que tu as entre les mains.
Parce que Fuya m'en voudra sûrement. Mais je pense que tu préférerais avoir connaissance de ça.
Tu sais, l'opération de ses branchies a beau avoir été un succès, elle n'est pas remise pour autant. Moi, je le vois bien et quand j'ai mis la main sur son carnet, dans sa chambre, ça a confirmé mes doutes.
C'est dans sa tête, que ça ne va pas.
Sa mission dans la manoir avec les Milliget l'a gravement affectée alors pour que tu le saches et qu'elle aille mieux, je te laisse les pages que j'ai arrachées.
Si tu décides de parler à Fuya et qu'elle te demande comment tu sais, dis-lui la vérité.
Fawkes
Titan a la main qui tremble. Dans sa tête elle revoit, une fois de plus, la sirène briser la fenêtre pour se jeter dans le vide et choisir sa façon de mourir.
Elle peut reconstituer l'essaim des fées, le visage de Fuya déformée par la terreur alors qu'elle se trouve dans la planque d'Albacore, non loin d'Eel, dans son lit mais l'esprit encore prisonnier du manoir.
Sans perdre une seconde, Yüljet fait passer la lettre de Fawkes derrière les autres morceaux de papier et plonge dans les pensées de Fuya.
Le nephilum 12 du mois de mimouet,
Il paraît que je me suis réveillée en hurlant, cette nuit. Je ne m'en souviens pas du tout.
Mais ce matin, quand j'ai ouvert les yeux, j'étais attachée à mon lit. La médecin a dit que c'était pour ne pas me faire du mal, car je me suis trop agitée.
Ewelein Osgiliath est perspicace alors je dois faire attention. Elle m'a demandée ce que j'avais vu de si horrible dans mon cauchemar pour me battre contre mes draps comme je l'ai fait et hurler à m'en briser la gorge.
J'ai dû trouver un mensonge. Je ne peux rien dire. Si je parle, je trahis le cartel et jamais je ne ferais une chose pareille.
Ce carnet est toujours à l'abri avec moi. À lui, je peux lui dire.
Dans mon cauchemar, je voyais le visage de Shelma près du mien. Il me répétait "pour qui tu travailles ? Pour qui tu travailles ?". Sa voix devenait de plus en plus rauque jusqu'à ce qu'il se recule et dise "Bien, puisque tu ne veux pas parler, tu nous serviras de repas.".
Là, toute sa famille s'élevait derrière lui comme un seul homme. Leurs corps maigres semblaient dépourvus de volonté et leurs ailes pendaient dans leurs dos.
Leurs visages étaient recouverts par leurs longs cheveux et quand elles ont levé la tête, elles avaient toute la bouche grande ouverte.
Leurs mâchoires leur arrivaient jusqu'à la poitrine, leurs dents pointues s'étalaient en des rangées infinies et leurs trompes s'extirpaient de leurs bouches comme des anguilles.
Puis elles se sont toutes jetées sur moi.
C'est là que je me suis réveillée.
J'entendais encore Shelma me dire "Pour qui tu travailles ?", même les yeux ouverts.*
Le vega 14 du mois de mimouet,
J'ai vomi mon petit déjeuner, ce matin. Je n'arrive pas à garder tout ce que je mange.
Cette nuit, j'ai rêvé du bruit que font les fées quand elles mangent. Durant ma mission, je me souviens parfaitement de ce que je n'ai pas voulu décrire dans mon rapport : le bruit ignoble que font leurs trompes quand elles percent la chair de leur repas et surtout, les sons qui sortent de leurs gorges pendant qu'elles pompent le sang.
On dirait des familiers. Non, pire que des familiers. Des choses sauvages et sans âmes qui se repaissent de leur nourriture sanglante comme le plus précieux des trophées.
Et je me souviens… Quand elles crachent un morceau qu'elles n'apprécient pas. Ou quand l'une d'entre elles tient à avoir un morceau particulier à tout prix.
Je m'en rappelle. C'était Shelma. On aurait pu penser qu'il embrassait langoureusement l'elfe noir, allongé sur la table de leur maudit festin, sur les lèvres.
Mais il n'en était rien.
J'ai besoin de dormir, mais j'ai peur de ce que je vais voir.*
Le yadi 16 du mois de mimouet,
Je voudrais en parler. L'assistant d'Ewelein Osgiliath, il est tellement gentil. Je suis certaine qu'il accepterait d'écouter mes cauchemars et qu'il trouverait les mots pour m'aider à chasser ces images.
Ce matin, il a accepté de m'emmener dans les jardins autour de l'hôpital et l'air frais m'a fait du bien. Il m'a parlé de son métier et ça m'a un petit peu apaisée.
J'ai été obligée de lui mentir quand il m'a demandé si je mangeais bien. Je m'en veux un petit peu, mais je lui mens déjà. Je ne suis pas Ellen Price.
Cette nuit, j'étais une fée. J'étais prisonnière de ce corps maigre et quand j'ouvrais la bouche, je voyais une trompe en sortir.
Je sentais des ailes peser dans mon dos. Lourd, lourd, lourd ! J'allais tomber et je ne savais pas comment faire pour voler.
J'avais un goût de sang sur le palais mais j'adorais ça. Moi aussi, je voulais bien manger.
J'ai voulu crier, mais seul un râle en est sorti, puis un horrible bruit de gorge.
Je me suis débattue pour quitter ce corps maudit et quand je me suis enfin réveillée, des aides-soignants étaient là. J'ai dû mentir aussi.
J'en ai assez. Je veux rentrer. Je voudrais que Sexta soit là avec moi. Je ne veux pas déranger Fawkes. Je ne veux pas déranger Rose ni la cheffe.
Je suis une membre du cartel des Typhons ! Je ne peux pas flancher ! Mais je n'y arrive pas ! Il est là dans ma tête et je ne vois que lui…
Par Makaria
"Pour qui tu travailles ? Pour qui tu travailles ?"
Laisse-moi tranquille ! Vous êtes les pires créatures que ce monde ait porté ! Laissez-moi…
Les pages arrachées du carnet sont tachées par les vestiges de larmes. L'écriture est tremblante, maladroite et Titan est en train de bouillir.
Elle toise le portrait de Shelma comme si elle pouvait le brûler vif à la force de ses yeux et elle enrage de ne pas être présente, en ce moment-même, sur le bateau de malheur qui tient Nash en otage.
Qui sait ce que cette fée, ses frères et ses sœurs peuvent lui faire ?
Ses mains froissent les papiers et impuissante, elle les range dans l'enveloppe.
Yüljet pousse un long soupir et s'affaisse, ses tresses de paille, de terre et de bronze coulant sur ses épaules.
Elle sait ce que Fuya ressent. Elle le sait du plus profond de ses tripes car elle aussi…
Ils tournent comme des girouettes de malheur…
Non
Des morceaux de viande sur leurs crochets.
Elle aussi, elle a des images et des pensées dont elle ne peut pas se défaire.
Des corps. Des cordes. Des losanges tracés sur des ventres par le feu de liens serrés ni trop fort, ni pas assez.
Celui ou celle qui l'a fait est un maître en la matière.
Titan ferme brièvement les yeux. Elle sent le fer, la rouille, la poussière et le métal. Elle se retrouve dans ce bâtiment bien trop grand qu'elle aurait dû achever en tant qu'ouvrière mais qu'elle a quitté avec l'étiquette de la meurtrière sur le dos.
Ce n'est pas moi ! Ce n'est pas moi ! Ce n'est pas moi !
Elle aussi, elle a été Helouri agenouillée au sol devant la Capitaine mais personne ne lui a donné sa pitié.
Derrière elle, les corps et les cordes se sont balancés. Rouge comme le sang, brunes comme la rouille, bleues comme des ruisseaux.
De l'art de nœuds et de motifs produits, entrelacés et noués pour restreindre.
Ça tourne comme des girouettes de malheur. Il y a des chevelures qui trainent au sol et partout sur la peau, des vestiges de souffrances.
Titan ouvre les yeux. Elle, elle a su dompter les images et les pensées. Elle peut vivre avec car elle ne peut pas faire autrement et parce que l'étiquette de la meurtrière s'est imprimée dans sa chair.
Une fois les cauchemars et les jours maudits, à se noyer dans la haine et la rancune derrière elle, loin derrière, Yüljet a pu regarder les cadavres suspendus dans son esprit comme de vieux souvenirs.
Le début d'un cycle d'une vie détruite avec la leurs, arrachées, étranglées par les cordes et un véritable meurtrier qui n'a jamais été puni.
Titan a su dompter sa propre gangrène, mais elle ne laissera pas Fuya se faire ronger par la sienne.
Sa main serre l'enveloppe jusqu'à la chiffonner pendant que sa colère consume ses regrets.
Sa décision. Sa faute. Tant pis : elle aidera Fuya à vaincre sa fée chimérique et à dormir en paix, de nouveau.
Derrière elle, la taverne est bruyante. Les sélections débutent demain.Les Choix
Fawkes a transmis une enveloppe à Yüljet. À l'intérieur, il y a un petit mot du renard-garou et quelques pages arrachées du carnet de Fuya. Titan apprend alors que la sirène a très mal vécue sa mission au manoir et qu'elle est profondément traumatisée par les fées. Fuya refuse d'en parler à qui que ce soit et, fidèle au cartel, ne le trahit pas.
Que doit-elle faire ?
➜ Trouver Rose et lui ordonner de faire rapatrier Fuya au plus vite à Odrialc'h afin qu'elle puisse se trouver auprès de Sexta. Yüljet enverra un message à Sexta pour la prévenir.
➜ Profiter du premier jour des sélections pour trouver Fawkes et lui demander d'amener Fuya dans la ruelle, derrière l'herboristerie, afin de lui parler.
➜ Ne rien faire du tout et attendre la fin des sélections.
UNIQUEMENT pour MayaShiz.
Durant ses retrouvailles avec Helouri, June a appris que Cristal et Joseph Ael Diskaret la considéraient comme leur deuxième enfant.
Maintenant que les choses se sont tassées, elle se trouve à l'hôpital, dans la chambre de Helouri qui est en train de se faire examiner par Ewelein.
A-t-elle envie de dire quelque chose à Joseph et Cristal ?
Waïtikka et ZuzoHyo, vos choix seront au prochain chapitre !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous ! Je vous souhaite un joyeux Noël ainsi que de bonnes fêtes de fin d'année !
On se retrouve avec le chapitre 16 de cette fiction qui est assez centré sur un seul personnage mais qui permettra à deux de nos invités de tisser leur premier lien comme des grands. (^_^)
Des petites nouvelles du résumé : il est inachevé, je travaille encore dessus afin qu'il soit le plus clair et concis possible pour nos futurs aventuriers. Je ferai un petit post lorsqu'il sera prêt.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 16 - Failles
Elle essore le linge humide entre ses mains. Elle y met de la force, tord la serviette de coton et regarde l'eau ruisseler jusqu'au petit baquet de bois.
Son visage est déjà propre depuis une dizaine de minutes et sa toilette matinale l'a définitivement sortie de ses songes. Mais elle sait que dehors, il y a le prélude des sélections.
Eel retient son souffle, et Yüljet le sien.
L'aube commence seulement à poindre mais les esprits sont déjà réveillés. Titan est certaine que toutes les terrasses ont vu leur sièges se faire occuper de bonne heure et que les auberges se sont vidées plus vite qu'une chope d'hydromel un jour de fête.
Mais elle, elle n'a pas bougé.
Assise sur le lit de la chambre qu'elle occupe chez Twylda Chrysomallos, Yüljet profite encore de la paix que la pièce peut apporter. Le panier en osier garni de fleurs séchées trône toujours sur la commode et malgré sa simplicité, cette pièce lui manquera.
Elle inspire, gonfle ses poumons, puis expire.
La troll sent la peur qui guette et en cette journée particulière, elle sait qu'il n'y a rien de plus ordinaire.
Tant qu'elle est seule avec elle-même, elle a le droit d'être angoissée et d'admettre qu'elle se sent effrayée.
Fermant ses yeux noirs, elle tente de visualiser le déroulement des sélections. La population d'Eel et les touristes venus en ces lieux pour l'occasion vont tous se regrouper au kiosque central. Les gradins ont été achevés par les ouvriers il y a peu et la cour qui verra des combattants s'animer a été sablonnée.
Les sélections seront un spectacle captivant, extraordinaire, merveilleux et toutes les attentions seront tournées vers elles. Quant à Titan, elle guettera le vainqueur.
Elle trouvera un moyen d'assister aux sélections sans attirer le regard de la mégère et tout ira bien.
C'est faux, bien entendu. Rien ne se déroule jamais comme prévu, c'est une règle d'or que ses années d'expérience en tant que cheffe du cartel lui ont appris. Alors elle s'y prépare.
Mais avant cela, avant de se rendre aux sélections, Titan a un autre problème à régler. Sa tête se tourne machinalement vers les pages arrachées du carnet de Fuya, qui siègent dans l'enveloppe posée sur la table de chevet.
Yüljet a longtemps pensé aux fées Milliget, cette nuit, mais également à la membre la plus jeune du cartel. La plus jeune, certes, mais pas la moins réfléchie.
Comme beaucoup de personnes de son âge, Fuya fait partie de ceux qui ont vu leur vie détruite à cause d'un drame. Le sien, c'était l'assassinat de ses parents dont les corps ont été retrouvés ligotés dans de la corde de jute, pendu par une cheville et couverts de sévices.
Mais même affectée par cette tragédie, Fuya avait eu l'instinct de se cacher dans les bas quartiers au cas où l'assassin souhaitait achever son travail et elle avait bien fait.
Contre un lieu où loger, elle devait obtenir des renseignements pour des petites frappes ou bien des êtres odieux qui vendaient le tap des goules.
Jusqu'au jour où on lui a demandé de s'attaquer à la mauvaise personne. Yüljet sait mieux que quiconque qu'il est très mal avisé de s'en prendre à Sexta et que d'ordinaire, celles et ceux qui tentent l'expérience en reviennent brisés. Au mieux.
Mais face à une adolescente de quatorze ans qui essayait de survivre, Sexta a préféré la faire disparaître dans les égouts pour l'emmener dans une planque où la jeune sirène deviendrait une experte en infiltration, pour le compte du cartel des Typhons.
Quand Titan lui avait demandé l'explication de son geste, bien trop rare pour une personne de son genre, la vampire s'était contentée de lui jeter un regard froid, un sourire presque doux, puis de lui répondre.
«Les filles comme elles, qui n'ont plus rien… Elles commencent par glaner des renseignements pour le compte de déchets qui vont crever de leur tap. Et ensuite, elles finissent dans de grands établissements comme celui que je gérais. Puis elles vivent dans la peur et sous le joug de femmes comme moi. »
Elle avait raison.
Alors le soir même, Fuya Pyle, quatorze ans, orpheline et traqueuse d'informations pour de petites frappes mortes les années suivantes, le noir sur les lèvres, mangeait son premier repas dans la planque du cartel.
Fuya Pyle, Porte bleue, rue des Breloques.
Et aujourd'hui, elle se trouve dans l'hôpital du Quartier Général après avoir rencontré l'horreur et quand elle ferme les yeux, elle peut la revoir sous forme de cauchemars.
Yüljet pousse un long soupir. Au fond d'elle, elle s'interroge : aurait-elle voulu savoir ça ? Ou plutôt, aurait-elle voulu le savoir maintenant ?
Bien sûr que Fuya n'était pas revenue indemne de Rhenia-Gaear et au-delà des blessures physiques, il y avait celles de l'esprit.
Sans compter le sacrifice de Nash qui s'ajoute, à présent, à l'équation.
Titan devra bientôt quitter la chambre. Twylda se lèvera dans quelques minutes et fidèle à sa promesse, la troll aura disparue avant qu'elles se croisent.
Yüljet n'oublie pas : sa faute. Sa décision. C'est elle qui a envoyée la sirène dans le manoir de Maximilien Ville de Fer et si Fuya est incapable de dormir en paix aujourd'hui, c'est parce que sa cheffe lui a ordonnée d'espionner les fées.
Il faut arrêter la gangrène et c'est ce que Titan compte faire. Alors elle se met debout, attrape l'enveloppe et quitte la maison de Twylda.
Comme elle l'avait prédit, l'air d'Eel est lourd et plus Titan s'éloigne du kiosque central, plus les rues se vident. L'impatience des faeriens est telle qu'elle contamine l'atmosphère. Celles et ceux qui ne se ruent pas encore vers les sélections flânent dans ses alentours ou bien tentent de faire passer le temps autour d'une boisson chaude. Les taverniers et aubergistes ne sont pas à plaindre, mais eux aussi ont hâte de fermer leurs établissements pour assister au spectacle.
Yüljet, elle, se dirige vers le marché pour gagner la ruelle derrière l'herboristerie. Fawkes ne sera pas loin et Titan est décidée à lui demander d'amener Fuya.
La sirène ne sera pas ravie de savoir que sa cheffe est entrée en possession de quelques pages de son carnet, mais tant pis. Il est hors de question de laisser les fées Milliget dévorer son esprit et ses rêves.
Quand elle arrive sur place, l'endroit est presque désert. Quelques marchands font acte de présence mais les clients se font de plus en plus rares. L'heure n'est pas encore aux sélections, pourtant, mais Yüljet ne doute pas un seul instant que les places dans les gradins du kiosque central doivent être chères.
Ce sera à celui ou celle qui pourra s'asseoir au premier rang afin d'avoir une vue imprenable sur les candidats et surtout, sur la Capitaine.
Titan quant à elle, devra trouver un moyen de s'approcher sans se faire repérer. Hors de question d'apparaître avec les touristes et encore moins face à la mégère.
Elle songe : il y aura certainement d'autres personnes qui n'ont pas les moyens d'assister aux sélections mais qui voudront le faire, l'endroit sera bien gardé, inutile de chercher une interstice dans l'édifice… le mieux serait de trouver un lieu en hauteur pour assister au spectacle de loin. Cependant, Yüljet n'entendra pas les échanges entre les candidats et la Capitaine. Mais est-ce vraiment important ?
Pour le moment, c'est la seule ébauche de solution qu'elle a à l'esprit et ensuite on verra bien. Titan n'oublie pas que le but de la manœuvre, c'est de connaître le futur obstacle qu'elle et les membres du cartel pourront peut-être croiser dans le palais.
S'ils parviennent à y entrer.
La troll arrive enfin dans la ruelle. Elle est aussi vide que le marché et Yüljet remercie mentalement les faeriens de s'être rués vers les sélections car ainsi, Fuya pourra s'exprimer.
En s'adossant contre un mur, Titan pense à elle. La sirène, si jeune, mais avec une vision du monde plus adulte que les personnes de son âge et une conscience de la réalité aussi impitoyable que réaliste.
Quand elle apprendra ce que Fawkes a fait, Yüljet sait qu'elle ne se mettra ni à crier, ni à se comporter comme une jeune faerienne de dix-neuf ans qui a vu ses secrets trahis. Non.
Mais ses mots seront durs.
Le renard-garou se fait attendre. Peut-être qu'il est déjà venu jeter son œil dans la ruelle en toute discrétion et qu'il reviendra avec Fuya. C'est bien son genre.
Quand l'esprit de la troll dérive vers lui, il lui montre une vieille image. Yüljet peut le revoir, son compagnon d'infortune, dans la cellule face à la sienne.
Un renard-garou de dix-huit ans, maigre et sale, accusé d'un crime atroce dont il n'était pas l'auteur, lui aussi. C'est comme ça qu'ils se sont compris tous les deux. Ils n'avaient pas eu beaucoup de temps pour le faire, puisque Fawkes avait été jeté aux goules avant elle ou plutôt : aux jeux…
« Cheffe. » grogne sa voix.
Titan se tourne vers l'orée de la ruelle pour découvrir le renard-garou en compagnie de Fuya. Quand elle avise le visage de la sirène, Yüljet prend note de son teint pâle, des cernes qui soulignent ses yeux opalins ainsi que de ses traits tirés.
Les bandages de son opération autour de son cou la rendent encore plus misérable et Titan réprime un soupir.
Bien.
« Cheffe, la salue Fuya d'une petite voix, Fawkes dit que vous vouliez me parler. »
En effet, et ce ne sera pas évident. Yüljet devine aussi que le renard-garou se prépare à encaisser le ressentiment de sa comparse. Sexta lui dirait qu'il veut jouer "au socle" à vouloir tout supporter de la sorte mais que même les meilleurs piliers finissent par s'effondrer.
Titan pense qu'elle a raison, mais on verrait bien. Il est trop tard pour reculer à présent.
La troll ouvre un pan de son manteau couleur sauge et en tire l'enveloppe froissée sous le regard interrogateur de Fuya.
« C'est à toi, explique-t-elle, j'ai conscience que tu ne voulais pas que je sache, mais je pense qu'il est bon d'en parler, Fuya. »
"Bon" n'est peut-être pas le terme adéquat mais "indispensable" n'aurait pas été un meilleur mot. En vérité, Titan n'a aucune idée de ce qu'il est préférable de faire avec les horreurs qui frappent un esprit pour s'y accrocher, mais de ce qu'elle a lu dans les pages du carnet de Fuya, c'est qu'elle ressent le besoin d'en parler.
L'assistant d'Ewelein ne peut pas l'aider, alors Yüljet va essayer.
Elle regarde, impuissante, la sirène vider l'enveloppe et ses mains se mettre à trembler pendant que ses yeux parcourent des lignes qu'elle a écrites. Son teint vire au blanc, puis s'empourpre et ses lèvres se pincent.
D'instinct, elle se tourne et lance un regard meurtrier à Fawkes. Il le soutient mais ne dit rien.
Un lourd silence s'abat sur la ruelle et tout ce que l'on entend, c'est le vent marin d'Eel ainsi que des clameurs lointaines. Une file d'attente effroyable doit grossir au kiosque central.
Il n'y a qu'une seule personne qui aurait pu arracher les pages de son carnet pour les transmettre à leur cheffe. Une seule personne, hormis la docteur Ewelein Osgiliath et Lilymoe qui allaient et venaient dans sa chambre.
Fuya chiffonne le papier avec rage et tente de l'étouffer dans son petit poing. Elle fixe Fawkes, des lueures flamboyantes dans le regard, quand enfin elle lâche d'une voix tranchante :
« Pourquoi ? »
La question tombe comme un couperet. Titan ne dit rien. Elle ne peut que deviner les émotions qui se bousculent dans le corps de la sirène. Il y a déjà la honte qui colore ses joues, la désagréable sensation d'être mise à nu qui fait transpirer sa peau et le doute affreux d'être regardée comme le maillon faible du cartel, qui tord ses entrailles.
Ce n'est pas vrai, mais la convaincre ne sera pas facile.
Les oreilles animales de Fawkes tressautent, mais il tient bon. Il souffle par le nez, puis il s'explique :
« Parce que je suis inquiet pour toi. Tous tes cauchemars et ces nuits où tu t'es réveillée en hurlant, je le sais parce que j'ai entendu la docteur Osgiliath en parler avec son assistant. Je me doutais bien que ta mission au manoir t'avais laissée des séquelles même si tu voulais rien dire et garder tout ça en toi… c'est pas bon. Alors…
- Alors tu t'es permis de fouiller dans mes affaires et de tout rapporter à la cheffe. »
En effet, c'était ce que le renard-garou avait fait. Titan ne remet pas en cause l'inquiétude de Fawkes pour sa camarade et elle-même avait souvent songé à ce qui pouvait se passer dans la tête de Fuya après sa mission au manoir. Elle s'était défenestrée pour échapper aux trompes et aux mâchoires des fées Milliget alors jusqu'à la seconde où elle avait choisi sa façon de mourir, le traumatisme s'était infiltré jusqu'au plus profond d'elle-même.
« Tu peux pas vivre avec ça, répond Fawkes en secouant la tête, tu vas éclater si tu gardes tout ce que t'as vu.
- Et toi, d'où tu viens ? Qu'est-ce que tu as vécu avant d'arriver au cartel ? Qui te dit ce que tu peux garder en toi ou non ? » rétorque la sirène d'une voix sourde.
Elle lâche ses cauchemars chiffonnés avec l'enveloppe qui tombent à ses pieds, non sans défaire le renard-garou de son regard assassin. Il voulait qu'elle se libère et c'est ce qu'elle va faire, même si les fées continueront d'habiter sa mémoire pour toujours.
La silhouette frêle de la sirène tremble, animée par des milliers de pensées, des milliers d'émotions furetant dans tout son corps en une seconde. Ses yeux deviennent humides et sa bouche se tord de plus en plus.
« C'était ma mission ! explose-t-elle, ma responsabilité et mon rapport ! »
Elle s'approche et lève un doigt pour tapoter le torse de Fawkes en continuant de gronder :
« Ma mission ! Mes cauchemars ! Mon combat ! Mes fées ! »
Sa douleur et sa propre lutte. Comme tous les membres du cartel des Typhons qui font face à l'horreur lors d'une mission et qui ensuite, doivent vivre avec.
Oui, c'est la mission de Fuya. Ce sont ses cauchemars et ce sont ses fées qu'elle doit finir par vaincre pour devenir plus forte, tout comme Yüljet a dû vivre avec ses cordes, ses cadavres et son inculpation pour des crimes qu'elle n'a pas commis.
Face à la sirène, Fawkes tente de lui prendre la main, mais elle se dérobe.
« Et tout ça, ça justifie que tu dois te battre toute seule ? argue Fawkes, t'as écrit que tu voulais pas déranger la cheffe, ni Rose, ni moi. Mais on est là pour t'aider et ça fait aussi partie de notre boulot, en tant que membre du cartel !
- Si tu veux faire ton boulot de membre de cartel, alors va aider Nash ! » crache Fuya.
Le renard-garou se fige. Les mots sont des flèches qui viennent se ficher dans sa poitrine et Titan songe que la situation de Nash ainsi que leur discussion précédente, dans cette même ruelle, lui reviennent en mémoire. Fawkes, tout comme Rose, veut respecter le sacrifice de l'orc et son vote a fait peser la balance.
« Ça suffit. »
Yüljet fait un pas vers eux et leur attrape doucement le bras. Les figures de la sirène et du renard-garou se tournent vers elle et leurs émotions se lisent dans leurs yeux. Les muscles de Fuya sont tendus de colère. Mais surtout, elle cherche la déception dans le regard de sa cheffe, Titan en est certaine.
La troll attrappe Fuya par les épaules, plongeant son regard dans le sien et lui intime d'un ton ferme :
« Fuya. Fawkes a agit tel qu'il l'a fait et tu es libre de penser ce que tu veux de son geste. J'ai connaissance de ce que tu vis et chacun d'entre nous, au cartel, a traversé et traversera de nouveau des horreurs comme celles-ci. Ça fait partie de notre quotidien. Ce sont les étapes qui nous barreront le chemin jusqu'à notre objectif.
- Je sais, ça, souffle Fuya, mais je ne voulais pas que tu saches. »
La sirène baisse les yeux. Silencieuse, elle pleure et l'une de ses chaussures écrase les pages froissées de son carnet.
« On va encore devoir affronter les fées, affirme Fuya, et je ne peux pas être faible.
- Tu n'es pas faible. Tu es une experte en infiltration. Une membre du cartel intelligente avec une excellente mémoire et une personne de confiance. »
Le constat est posé. Titan a appris à connaître les membres du cartel des Typhons avec leurs qualités et leurs failles, afin de former les binômes et de leur confier des missions qu'ils seraient capables de réussir.
Seulement, elle ne sait d'eux que ce qu'ils veulent bien lui montrer. Si Fawkes ne lui avait pas apporté ses cauchemars, Titan n'aurait pas su mesurer correctement le traumatisme que les fées Milliget ont infligé à Fuya. Mais elle n'aurait pas eu non plus à assister à une confiance en train de se fêler.
Finalement, sa décision de vouloir discuter avec la sirène n'était peut-être pas la bonne.
D'ailleurs, ses paroles coulent sur la silhouette de Fuya sans la toucher.
« Et maintenant ? demande cette dernière, si on doit s'infiltrer dans un endroit où il y aura les fées, si on doit se battre contre elles, est-ce que tu vas m'écarter ? »
Sans avoir lu les pages de son carnet, sa réponse aurait été évidente. À présent, Yüljet doit prendre la peur de la sirène en compte.
Que ferait-elle face à une fée ? À Shelma, par exemple ? Ou bien Delta ? Si Fuya est tétanisée de terreur face à elle, c'est la mort qui l'attend.
Titan ferme brièvement les yeux.
« Je ne peux pas t'envoyer consciemment à la mort, Fuya.
- Alors tu n'as plus confiance en mes capacités.
- Ça n'a rien à voir avec tes capacités. Ça a à voir avec ton esprit traumatisé par ce que tu as vécu et le temps dont tu as besoin pour t'en remettre. »
Mais la sirène grimace et jette un regard meurtrier au mur de la ruelle. Ses lèvres forment ensuite un sourire sans joie et quand elle souffle quelque chose, Yüljet croit comprendre "temps pour t'en remettre".
Elle renifle bruyamment, puis lance d'une voix aigre :
« C'est moi qui suis traumatisée par les fées, mais c'est moi qui veut toujours rester ici pour sauver Nash. Ne l'oubliez pas. Et quand il mourra sous la torture, c'est moi, aussi, qui serait prête à le venger.
- Je sais, répond Titan d'une voix ferme, et j'ai entendu ton opinion. Mais le vote à été prononcé et respecter le sacrifice de Nash n'est pas l'abandonner. »
Fuya passe une main rageuse dans ses cheveux rose dragé. Ses petites dents mordillent ses lèvres pleines avec ressentiment et dans sa tête, elle semble peser le pour et le contre.
Finalement, elle choisit de se mettre à parler de nouveau, quitte à défier sa cheffe et se hisser contre le vote :
« C'est moi qui ait vu les fées de près. C'est moi qui ai vu de quoi elles sont capables, mais c'est Fawkes et Rose que tu écoutes ! Alors je pense que respecter le sacrifice de Nash, c'est l'abandonner à des monstres qui sont capables de lui faire des choses horribles ! Mais j'aurais peut-être dû préciser tous les détails atroces dont je me souviens dans mon rapport, cheffe.
- Fuya. Je me suis pliée à la majorité comme le veut le règlement de notre cartel. Je vous ai tous écouté.
- La majorité à tort, cette fois ! s'emporte la sirène, et si tu crois encore en mes capacités, alors laisse-moi ici ! Je peux m'infiltrer dans le Quartier Général et sauver Nash !
- Arrête. »
L'ordre claque comme un coup de fouet. Fuya se fige, écarquillant ses yeux opalins, le visage rougit par la honte et la colère. Le souffle court, elle grimace de nouveau, mais obéit.
Yüljet soupire et si elle comprend les sentiments et la volonté de la sirène, elle ne peut pas accéder à sa demande.
« Si je t'envoie en mission, ici, pour libérer Nash et que tu y laisses la vie aussi, quel intérêt ? Et si les fées te capturent et te torturent aussi ? Et si tu te fais prendre par la Garde de l'Ombre ? Et si face à un Milliget tu ne peux pas agir parce que ta peur te rattrape ? Te laisser ici, ce serait t'abandonner consciemment à une mission que tu ne pourrais pas réaliser seule.
- Mais Nash…
- Nash a fait son choix. Et il l'a fait pour que nous puissions tous accomplir notre mission originelle. »
Sheraz Alfirin. Titan est persuadée que Fuya ne pense plus à lui depuis Rhenia-Gaear, les fées et le message de Nash. Pourtant, c'est lui qui doit être sauvé car c'est aussi pour lui qu'ils sont tous ici, dans cette ruelle, à survivre pendant les sélections tout en glanant toutes les informations qu'ils peuvent trouver.
Mais pour la sirène, le monde ne tourne plus qu'autour des Milliget, de la peur, de Nash et de Gabrielle aussi, qui perdra celui qui l'aime. Pourtant, c'est aussi pour Sheraz qu'elle s'est infiltrée dans le manoir de Maximilien Ville de Fer et c'est elle qui a copié la lettre que Sira Milliget a écrite pour lui.
« En votant, nous avons fait un choix difficile, reprend Titan, et Rose, tout comme toi, Fawkes et moi-même avons dû peser énormément de choses dans la balance. À commencer par nos vies, la sienne et notre mission. »
Le menton de Fuya se met à trembler et ses yeux versent de nouvelles larmes. Sa mâchoire est si serrée qu'elle doit lui faire mal et tout son corps n'est qu'un paquet de nerfs sur le point d'éclater. Elle inspire, soulève sa poitrine et expire haut et fort.
Derrière elle, Fawkes, les oreilles basses et la bouche entrouverte, fixe la sirène à la dérobée. Le renard-garou est une personne taciturne, mais il garde un œil attentif sur les autres membres du cartel. Tout le temps.
Titan ignore si en cet instant, il regrette ce qu'il a fait, mais ses lèvres minces s'animent pour former le prénom de Fuya. La sirène l'ignore.
Elle lève un bras pour essuyer ses larmes d'un geste rageur puis, d'une voix saccadée, lance :
« "Nos vies", "notre mission"... et lui, alors ? Il est allé se rendre à ces choses pour nous… et nous, qu'est-ce qu'on fait…
- Fuya… » murmure Fawkes.
Elle se retourne brusquement pour lui jeter un regard noir. Puis, avec lenteur, elle se penche pour ramasser la boule de papier chiffonnée et souillée. Brusquement, elle lui attrape la main.
« Tiens, Fawkes, mes cauchemars. Reprends-les, je n'en ai plus besoin. Si je ne dors pas cette nuit, j'en écrirai des nouveaux, mais dans ma tête, cette fois !
- Je voulais seulement t'aider. Je voulais pas…
- Mais tu m'as très bien aidée. »
Fuya le dévisage. Elle le regarde, lui, puis sa cheffe, et lui de nouveau. Les larmes perlent de nouveau alors qu'un sourire affreux fend sa figure en deux.
« Vous ne le voyez pas ? C'est parce que j'ai échoué au manoir que Nash a dû se rendre pour tous nous protéger.
- T'as pas échoué, intervient Fawkes.
- CE N'EST PAS A TOI DE ME DIRE SI J'AI ÉCHOUÉE OU NON ! »
La sirène éclate et le noyau de sa colère est mis en lumière. Elle pense que c'est de sa faute, si Nash s'est sacrifié, parce que sa mission au manoir s'est achevée dans le chaos.
Il n'en est rien. Les fées ont été plus fortes, plus sauvages et plus tenaces, quitte à draper Eldarya sous la neige pour retrouver les faeriennes qui ont osé les affronter.
Le cartel s'est fait un ennemi très puissant ce jour-là, et Fuya a pu leur échapper. Le reste, le sacrifice de Nash, ce sont des conséquences malheureuses que personne ne pouvait envisager. Elle, encore moins.
Fuya leur tourne le dos, le visage dans les mains et ni Fawkes, ni Titan ne prononcent un mot.La Culpabilité de Fuya
"Je n'ai pas été assez forte, assez alerte, assez intelligente, assez tenace pour me cacher des fées."
C'est ce qui doit tourner dans la tête de Fuya. Fawkes et sa cheffe échangent un regard, mais ils savent que c'est la solitude dont la sirène a besoin. Plonger dans son carnet était une erreur et mettre ses cauchemars en lumière, une autre.
Yüljet passe une main nerveuse dans ses nattes et songe à une solution. C'est ce qu'elle doit faire, en tant que cheffe : trouver des solutions et réparer les âmes brisées des membres de son cartel.
Non, elle ne doute pas des capacités de Fuya et sa confiance en elle est toujours la même. Oui, elle gardera son traumatisme à l'esprit à chaque fois que le cartel devra faire face aux fées, c'est un fait.
Mais ses mots ne toucheront pas la sirène. Elle la regarde, démunie, faire quelques pas dans la grande rue du marché, déserté par les sélections. Elle ne fixe que ses pieds, ses cheveux rose se balançant sur son dos vouté par son chagrin et sa colère.
Fuya est jeune et Titan songe que ce n'est pas le sort d'un camarade qui devrait peser aussi lourd sur ses épaules, dans un monde idéal.
Mais elle ne vit pas dans un monde idéal. Yüljet ferme brièvement les yeux.
« Fawkes. Reprend ton rôle et va assister aux sélections. »
Le renard-garou lui lance un regard effaré. Sa tête se tournant vers la sirène, il demande :
« Mais cheffe… et pour elle ?
- Laissons-là tranquille. »
Leur présence ne lui apportera plus rien. Dans cette rue, elle est toujours Ellen Price et c'est ce qui la protègera jusqu'à la fin des sélections. Quant à Jens Red, il a sa place parmi les gradins au kiosque central et là-bas, il sera les yeux et les oreilles de Titan.
Yüljet doit également se trouver un endroit en hauteur pour assister au spectacle, loin de la Capitaine. Ça ne fait que commencer.
La troll et Fawkes s'apprêtent à quitter la ruelle, quand des voix se font entendre.
L'une d'entre elle, modulée, affirmée et douce ne peut appartenir qu'à une seule personne. Quand la médecin en cheffe de l'hôpital du Quartier Général se montre, Titan peut aviser qu'elle ne s'est pas trompée. Pour l'occasion, Ewelein Osgiliath s'est parée d'une longue robe couleur ocre et a ramené ses longs cheveux irisés en un chignon qui pèse contre sa nuque comme un fruit mûr.
Comme d'ordinaire, elle est accompagnée de son assistant qui a également drapé sa silhouette d'une tunique ainsi que d'un pantalon ample, aussi vert que ses yeux.
« Pourquoi maintenant, Lilymoe ? »
Ce dernier fait la moue, semble hésiter, puis répond :
« Parce que je suis très inquiet pour mon patient. Je sais que nous devons nous rendre aux sélections, mais avant d'être pris par l'événement, j'aurais souhaité avoir vos conseils. »
Ewelein reste silencieuse. Son visage affiche un sérieux sans pareil et sous son crâne, les rouages de son esprit s'animent. Nul doute que son rôle aujourd'hui, pour les sélections, est aussi important que celui qu'elle opère à l'hôpital. Mais quand son assistant a besoin de conseils, Titan peut voir que cela lui tient à cœur également. Alors elle arbore un doux sourire :
« Bien. Allons d'abord nous asseoir et ensuite, tu me raconteras ce qui t'inquiète autant. »
Mais un événement vient s'ajouter sur leur chemin. Il prend la forme d'une sirène au visage rouge et aux yeux gonflés par des pleurs. Elle semble errer dans cette grande rue comme une âme en peine mais ce qu'Ewelein et son assistant ignorent, c'est que son instinct a déjà fixé son attention sur eux.
Sauf qu'à ses yeux, ils ne sont pas des ennemis.
Depuis la ruelle, Yüljet assiste à la scène en ne pouvant pas agir à sa guise. Sous son regard et celui de Fawkes, Ewelein et Lilymoe fondent sur Fuya pour l'entourer et s'enquérir de son état.
Elle ne devrait pas être seule ainsi dans la rue, pas dans son état, pas avec les pansements autour de son cou et pas sur ses jambes frêles. Elle dort mal en ce moment, elle le sait, tout comme elle a perdu du poids.
Cela, Titan l'ignorait.
Elle observe Fuya trembler de plus belle et s'accrocher au bras de Lilymoe pour finalement venir y coller son front.
C'est vrai, elle l'avait écrit dans son carnet : à lui, si gentil, elle se serait sentie capable de lui raconter ses cauchemars. Elle ne le connaît pas, alors elle est plus apte à le déranger et à ses yeux, elle ne prend pas le risque de s'humilier.
Alors que face à sa cheffe, à Fawkes, Rose et même Ryan et Sexta, elle s'interdit de faillir. C'est un détail que Yüljet ne comprend que trop tard et en cet instant, elle songe qu'elle aurait peut-être préféré garder les cauchemars de Fuya pour elle-même.
Posant une main amicale sur l'épaule de Fawkes, elle se terre dans la ruelle. Le début des sélections est imminent.Les Choix
Après la conversation houleuse avec Fuya, Yüljet et Fawkes se trouvent toujours dans la ruelle. Fuya a choisi de s'éloigner pour quérir un petit peu de solitude, mais elle a rencontré Ewelein Osgiliath et Lilymoe qui ont bel et bien remarqué ses larmes. Ils choisissent de l'aider et de rester auprès d'elle.
Yüljet hésite. Les sélections sont imminentes et elle doit encore trouver le moyen d'y assister. Que doit-elle faire ?
➜ Laisser Fuya entre les mains d'Ewelein Osgiliath et de Lilymoe et trouver le moyen d'assister aux sélections.
➜ Suivre Ewelein et Lilymoe pour veiller sur Fuya qui est dévastée. Tant pis si elle manque une petite partie des sélections.
Petit indice : Ce choix a une influence sur la scène qui sera jouée et qui restera dans la mémoire de Titan lors du chapitre suivant. Libre à vous de délaisser le début des sélections pour vous concentrer sur Fuya, ou bien l'inverse.
Que ce soit le choix numéro un ou bien numéro deux, vous apprendrez des informations et en ignorerez d'autres.
Seulement, à vous de choisir ce que vous voulez apprendre et ignorer.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fuya en veut à Fawkes par rapport à ce qu'il a fait avec les pages de son carnet. Il a fouillé à l'intérieur, les a arrachées et les a remises à leur cheffe. La sirène se sent trahie et est en colère contre le renard-garou.
Que pense Fawkes de cela et que doit-il faire face à cette situation ?
Petit mot à Waïtkka : Ce choix est important car il te permet de bâtir la relation entre Fawkes et Fuya selon tes propres souhaits. Libre à toi de choisir le lien entre Fawkes et Fuya.
N'hésite pas à donner tous les détails que tu souhaites concernant ton choix, quitte à me partager les pensées de Fawkes que tu souhaite voir dans l'histoire.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :
Lilymoe était en pleine conversation avec Ewelein, quand il a aperçu Fuya, en pleurs et seule dans la rue du marché. Quand il s'est approché avec Ewelein, la sirène s'est accrochée à lui, manifestement en proie à une grande détresse.
Ewelein a décidée qu'ils resteraient tous les deux auprès d'elle en attendant qu'elle se calme.
Que doit faire Lilymoe à l'égard de Fuya ?
Petit mort pour ZuzoHyo : Comme pour ton collègue renard, ce choix est important car il va te permettre de déterminer ton lien avec Fuya. Libre à toi de le bâtir comme tu le souhaites, quitte à me partager les pensées de Lilymoe, ses actes ou même ses paroles : tout ce que tu souhaite voir dans le chapitre suivant, concernant ce choix !
Pas de choix personnel pour MayaShiz dans ce chapitre, ce sera pour le suivant !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous ! Et bonne année ! Je ne crois pas vous l'avoir souhaitée depuis.
Un nouveau petit chapitre où on entre dans un événement qui est attendu et que l'on aborde enfin !
On aborde une phase de l'histoire qui gagne encore en importance et même si ça peut vous paraître long, j'espère quand même que le voyage en vaut la peine. ^^
Quelques petites infos :
➜ Les fiches de Yüljet et Fuya ont été mises à jour dans la bibliothèque d'Apotheosis. Vous pouvez retrouver les pages arrachées du carnet de Fuya ainsi que le portrait de Shelma dans la fiche de la petite sirène également.
➜ Concernant le résumé, il est toujours en construction. Je suis navré pour le temps que je mets, mais je dois avouer que trier les informations pertinentes à ajouter au résumé détaillé prend du temps, et je n'en ai eu que très peu cette semaine.
Mais dès qu'il est achevé, vous serez prévenus ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 17 - Les Sélections
Un nouveau songe est apparu pour satisfaire les yeux avides de la population d'Eel, dans le spectacle aux merveilles,. Là, assis dans leurs gradins bondés, ils peinent tous à croire ce qu'ils sont en train de regarder et Yüljet aussi.
Tapie dans sa cachette dangereuse, la troll s'en veut de sa témérité, mais peut-être est-ce également la meilleure chose qu'elle ait faite. Elle se sait exposée si elle montre ne serait-ce qu'un doigt, mais ses yeux et ses oreilles peuvent tout capturer.
Si Titan avait traîné dans les rues de la cité blanche une seconde de plus, alors elle aurait manqué l'occasion. Elle a pu entrer, et c'est bien. Mais pourra-t-elle en sortir ?
Pour le moment, elle n'y pense pas.
Comme les habitants d'Eel et les touristes d'Odrialc'h, elle regarde l'elfe sylvestre venue faire don de son image pour les sélections et son cœur s'accélère.
Sous la couverture du kiosque central se tiennent la Légende et Valkyon Batatume. Ils jugeront les performances des candidats tout en recevant les avis de Miiko Yamamura, puis de Leiftan Tuarran.
Ce dernier, les bras croisés sur la petite table qui a été installée pour l'occasion, fixe les gradins de ses yeux étincelants pendant qu'un sourire tranquille flotte sur ses lèvres. Yüljet sent un frisson courir sur sa colonne et elle ne retient pas une grimace. L'une de ses mains se serre sur le lourd rideau couleur vin qui masque l'armature métallique, sous les tribunes, et à ses côtés, les candidats aux sélections se préparent.
Mais il reste l'apparition.
Siégeant à une place à la hauteur de son rang, auprès des Mircalla, une elfe sylvestre domine les lieux. Avec Shakalogat Gra Ysul, elle forme un nouveau mythe que les habitants de la cité blanche ne peuvent que trop rarement regarder, tant elle quitte rarement le palais d'Odrialc'h. Pourtant, elle est venue.
Sa peau d'ivoire pourrait presque faire de l'ombre aux murs d'Eel et ses longs cheveux châtains sont relevés en une coiffure complexe, piquée de parures aussi vertes que sa jolie robe. Cette dernière fait penser à une forêt qui aurait pris vie autour de son corps pour se former et glisser sur sa silhouette grêle. Les dorures luisent sous le soleil d'Eel et Titan est certaine que même si un ouvrier lambda travaillait toute sa vie, il ne pourrait jamais se payer un bijou d'étoffe de ce genre. Mais pour habiller Ciryandil Alfirin, il n'en faut pas moins.
Yüljet la regarde. De là où elle se trouve, les yeux de l'elfe ressemblent à des joyaux d'un bleu céruléen et son visage tout entier donne l'impression d'avoir été sculpté par des divinités aux mains d'or.
Quand Titan est arrivée dans sa cachette, elle n'était pas encore là. Valkyon se trouvait déjà attablé sous le kiosque, en compagnie de Shakalogat, pendant que Miiko échangeait de son côté avec Leiftan.
Et quand Yüljet s'était glissée dans l'antre des candidats, il n'y avait que June et Joseph Ael Diskaret qui se tenaient l'un à côté de l'autre dans un silence de mort. En cet instant, la troll fait toujours de son mieux pour ne pas respirer trop fort.
Le brouhaha des voix qui se croisent et s'entrechoquent, dehors, lui fournit une couverture satisfaisante, mais elle ne peut pas jouer l'imprudence. Ni ici, ni maintenant.
Elle ferme les yeux et concentre son esprit sur l'instant présent. Yüljet repousse la détresse de Fuya qui lui serre le cœur, puis les minutes infinies durant lesquelles elle a tourné dans la cité, à la recherche d'un moyen d'assister aux sélections.
La foule compact au refuge et près des gradins s'amoncelait comme une énorme marée faerienne, quand elle avait tenté sa chance. Aucun autre endroit ne pouvait lui donner une vue imprenable sur l'événement alors, même si le risque était grand, Titan s'était dirigée vers le kiosque. Puis elle avait hésité.
La Capitaine serait proche. Une erreur, et Yüljet tomberait entre ses griffes, alors même pour découvrir la prochaine garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash, au grand palais d'Odrialc'h, est-ce que ça en valait la peine ?
Heureusement qu'elle avait décrété que "oui".
Face à elle, Ciryandil Alfirin semble paisible. Des visages admiratifs sont levés vers elle, à la fixer pendant qu'elle se tient encore sous leurs yeux, en chair et en os.
Sa venue est presque un miracle. Quand Miiko Yamamura l'avait annoncée, la figure de la Légende s'était fendue de surprise. Même elle ne l'attendait pas.
Et quant à la raison qui avait poussé Ciryandil à venir jusqu'à Eel, elle se nommait Sheraz.
« Mon fils souhaitait tellement venir assister aux sélections, avait-elle dit à Shakalogat, mais comme vous le savez, sa santé est fragile. C'est pourquoi je suis venue à sa place. »
Réprimant un sifflement dédaigneux, Titan avait plissé les yeux pour observer Ciryandil, puis une vague de colère l'avait submergée.
Elle la submerge encore.
Non, Yüljet doute fortement que Sheraz ait une santé fragile, cependant, elle est certaine qu'il est prisonnier du grand palais. Qu'à chacun de ses déplacements, il est entouré d'une escorte et que sa seule amie est sa chère Céleste. Que peut-être, Sheraz attend impatiemment les lettres de Sira Milliget, comme celle que Fuya a pu recopier au manoir de Rhenia-Gaear.
La troll s'empêche de pousser un soupir. Heureusement qu'elle est venue et qu'elle assistera aux performances du futur vainqueur des sélections.
Quand le cartel entrera enfin au palais pour sauver Sheraz, cela leur sera bien utile. Le cartel tout entier, avec Nash…
Titan agrippe le lourd rideau et se plaque un petit peu plus contre l'armature en métal des tribunes qui les surplombent, elle et les candidats. Une voix s'élève, terne et monocorde et Yüljet songe que sans elle, elle n'aurait jamais pu assister aux sélections.
Elle se penche légèrement pour observer June, assise sur un banc de fortune, aux côtés de Joseph. La ferienne et le morgan sont silencieux et depuis qu'elle est avec eux, dans l'ombre des gradins, la troll a l'impression que même l'angoisse des sélections n'ont aucune prise sur eux.
Ce sont les derniers candidats à être arrivés, en plus d'avoir causé de l'agitation proche de la salle qui leur est dédiée. Celle que Yüljet a pu gagner quand nombre de personnes se sont agglutinées autour d'eux pour leur poser des questions au sujet d'Helouri. Et elles n'ont pas été tendres.
Certains pensent que l'accident du morgan et son geste malheureux n'ont été qu'une mise en scène pour attirer l'attention de la Légende. Les habitants d'Eel ont même eu plus de peine pour Jens Red qui a sauté à l'eau pour sauver une vile tromperie, quand d'autres connaissant bien la famille, ont pris sa défense. Cependant, Joseph et June sont candidats aux sélections, et leurs actes les ont mis en lumière.
Cela dérange beaucoup les complotistes qui crient à l'injustice pour leurs concurrents, Shawata Maliwe, ainsi que le couple Brezelour. Ces derniers s'affairent de leur côté, sans se préoccuper d'eux.
« Je suis désolée… »
June a le dos courbé et la tête baissée. Ses cheveux cendrés flottent autour de sa figure et même le digne uniforme de la Garde Obsidienne ne parvient pas à la rendre guerrière, en cet instant. Pourtant c'est ainsi qu'elle se devra d'apparaître lorsque viendra son tour.
Près d'elle, Joseph souffle par le nez. Vêtu de de son habit traditionnel de garde civil, il aurait pu être impressionnant tant par sa carrure que pour le bleu glacé de sa peau qui jure avec sa tenue pourtant, il semble si effacé.
« Pour quelle raison ? » demande-t-il d'une voix très douce.
Dans le ton qu'il emploie, Titan peut deviner que c'est lui qui se sent désolé et que sa candidature ici présente, prend la forme d'une anecdote qu'il s'apprête à commettre. June aussi.
La jeune faerienne tord ses doigts en un geste nerveux, puis répond de façon monocorde :
« D'avoir emmené Helouri voir l'arrivée de la Capitaine, de l'avoir laissé tomber, de l'avoir laissé couler, de m'être inscrite aux sélections, pour tout… »
Elle renifle bruyamment et poursuit, accablée :
« Je ne savais pas qu'il allait si mal. Et moi qui voulait partir à Odrialc'h…
- June. »
Joseph lève une grande main bleue et ébouriffe amicalement les cheveux de sa fille adoptive. Il fixe l'ouverture en bois : leur sortie vers le centre des sélections, face à leurs juges qui se montreront sévères. Son visage se fait plus doux, mais Titan peut y voir des cernes profondes ainsi qu'un chagrin qui ne parvient pas à quitter ses traits.
« Est-ce que tu sais pourquoi je me suis inscrit aux sélections ? »
June lève la tête vers lui, perplexe. Ses paroles ne sont pas les réponses qu'elle attendait aux siennes et elle se demande sûrement où Joseph veut en venir.
Plus tôt, avant qu'ils ne puissent entrer dans cette pièce, sous les gradins, ils ont tous les deux été assaillis par une foule virulente et finalement, la lueur extérieure s'apparente à une gueule qui veut les jeter en pâture aux spectateurs et aux spectatrices. Ce qui aurait dû être un moment important se transforme en calvaire.
June ignore pourquoi Joseph s'est inscrit aux sélections. Yüljet pense que sa famille l'y a peut-être encouragé, si ce n'est pas son Chef de Garde. Ou bien parce qu'Odrialc'h exigeait les meilleurs éléments de l'Obsidienne et qu'il n'a pas vraiment eu le choix.
« Quand j'ai rencontré Cristal, elle tenait à vivre à Odrialc'h pour ouvrir une petite boutique dans laquelle elle vendrait des bijoux et accessoires, qu'elle fabriquerait avec les présents de l'océan. Mais moi, je voulais absolument devenir garde civil dans la cité d'Eel. De plus, je n'aimais pas du tout l'idée de vivre dans un endroit étouffant, proche des montagnes. Alors par amour, ma femme a renoncée à son rêve pour que je puisse accomplir le mien. »
Joseph pousse un soupir. Il a l'air un petit peu plus détendu et quand il fixe le kiosque central en train de s'animer, il semble confiant.
« À présent et vingt et un ans après, c'est à moi de lui rendre la pareille. Si je suis choisi, nous déménagerons à Odrialc'h et elle pourra ouvrir sa boutique. Helouri pourra étudier la médecine à l'hôpital universitaire de la Grande Auréole et toi, June, tu pourras t'enrôler dans l'armée d'Odrialc'h et explorer Eldarya. »
Ainsi, tout le monde pourrait réaliser ses aspirations. June ramène ses jambes contre sa poitrine et ainsi en équilibre sur le banc, un sourire vient fleurir son triste visage. Yüljet la voit cligner des yeux à plusieurs reprises pour refouler des larmes et elle souffle :
« Je ne serais pas choisie, je le sais. Mais si je me suis inscrite, ce n'était pas par ingratitude pour toi et Cristal, ni pour m'éloigner d'Helouri. Je voudrais voyager et voir ce que je vaux.
- Personne ne t'as jamais pensée ingrate. Tout le monde doit voler de ses propres ailes un jour, June, et le meilleur moment pour le faire, c'est celui que tu te choisis, comme maintenant. »
June hoche la tête. Son corps est plus détendu et la morosité qui flottait autour d'elle et Joseph s'estompe peu à peu. La jeune faerienne se met à tousser, hésite, et se lance :
« Ça me déchirerait vraiment de vous quitter. De laisser Helouri tout seul, aussi, mais…
- Helouri doit vivre sa vie aussi. Tu sais, je crois que moi et Cristal n'avons pas agi de la bonne façon avec lui. »
Les mots sonnent comme un aveux et June ouvre de grands yeux. Elle dévisage Joseph qui s'est rembrunit et ses sourcils blancs sont inclinés avec le poids des regrets. Au fond de son grand corps, il y a une blessure encore fraîche qui mettra peut-être des années pour se refermer.
« Tu sais, June, son idéal n'est peut-être pas ce qu'il lui faut pour être heureux. Au fond, s'il veut trouver une solution à son handicap, c'est parce que moi et sa mère ne lui avons jamais appris à vivre avec. Nous voulions le protéger, et puis… »
Le morgan hausse les épaules, fixant un point invisible face à lui.
« … Et puis il a grandi avec le dégoût de lui-même. »
Joseph s'affaisse quelque peu. Le geste de son fils restera gravé à jamais dans son esprit et cette réalité lui a certainement ouvert les yeux. Parents d'un enfant qui a une malformation aux branchies, ils l'ont bien trop surprotégés et à présent, Helouri est ce qu'il est : faible et fragile.
June est abasourdie. Elle avale difficilement sa salive puis, interdite, pose sa question :
« Tu penses qu'il ne doit pas devenir médecin ?
- Je pense que devenir médecin ne le rendra pas plus heureux. »
Ainsi, Helouri Ael Diskaret veut devenir médecin ? Yüljet comprend pourquoi il aide Lilymoe à l'hôpital du Quartier Général et elle parie très fortement que son souhait est certainement motivé par le désir de guérir ses branchies. Seulement, cela se révèle difficile.
« Mais c'est son rêve ! s'exclame June, il travaille d'arrache-pied pour entrer dans la Garde Absynthe et il est prêt à supporter l'enseignement du Chef Sequoïa ! Je suis certaine qu'il deviendra un bon médecin, il-il… Il y arrivera. Moi, je crois en lui. »
Les joues de June se sont enflammées avec son discours. Titan n'a aucun doute quant au fait qu'elle croit réellement en son ami et Joseph la couvre d'un regard pétillant. Il lui ébouriffe de nouveau les cheveux et répond avec espoir :
« Oui, June, il fera un bon médecin. Et si nous déménageons à Odrialc'h, alors il n'aura pas à supporter le Chef Séquoïa. Seulement et tout ce que je souhaite, c'est que son souhait ne soit pas motivé par l'image qu'il a de lui-même. Même si un jour il parvient à guérir ses branchies, je ne sais pas si cela le rendra plus heureux. Je voudrais qu'il soit heureux maintenant.
- Moi aussi. »
June se met à trembler alors qu'elle renifle bruyamment. Elle penche la tête sur son épaule, souffle par le nez et Yüljet la voit fermer les yeux si fort, que des larmes perlent au coin de ses paupières. Titan ne sait pas de quelle manière elle a rencontré la famille Ael Diskaret ni la façon dont des liens se sont tissés entre eux, mais ce qu'elle voit, c'est…Je l'aime comme mon frère. Helouri. Et toi aussi… Cristal aussi… Je vous aime. Comme mes parents.
Les mots sont forts et on été aussi difficile à prononcer. La jeune faerienne détourne le regard, les joues embrasées par l'émotion et son visage est si facile à déchiffrer que Titan sait qu'elle vient d'ouvrir son cœur.
Oui, elle les aime. Oui, la famille Ael Diskaret est la sienne et oui, il est évident que son amour est partagé. Elle est une fille, pour Joseph et Cristal, puis une sœur pour Helouri.
Au creux de la bulle qui s'est formée autour de June et de son père, le grand morgan attire sa fille adoptive dans son étreinte.
Et à l'extérieur, au kiosque central, les clameurs s'enveniment alors qu'une voix forte crie l'ouverture des sélections.
Soudain, le lourd rideau qui garde la pièce réservée au candidat est tiré et Yüljet se plaque contre l'armature métallique jusqu'à prendre corps avec elle. Shawata Maliwe et le couple Brezelour relèvent leurs têtes pour interroger le nouvel arrivant du regard, qui se tasse sur lui-même.
Malheureusement pour lui, la petite salle sous les tribunes n'est pas très grande et Titan quant à elle, ne doit sa discrétion qu'au tapage qu'il y eut plus tôt, ainsi qu'aux lourds rideaux qui entourent l'alcôve des candidats. Il n'est pas aisé de se fondre dans leur pli, mais elle doit faire avec et tant pis si l'armature lui fait mal au dos.
Planté au beau milieu de la pièce, Helouri la balaye de son regard argenté. D'instinct, ses doigts se tordent alors qu'il se ramasse sur lui-même quand on lui prête attention, mais son visage s'éclaire quand ceux de son père et de June se tournent vers lui.
Surpris, ils l'interpellent avec bonheur, lui demandent ce qu'il fait là et le jeune morgan se précipite vers sa famille.
Loin des habits vaporeux qu'il portait quand il est tombé du port et a déambulé dans les jardins de la musique, Helouri a drapé sa silhouette dans une longue robe d'un gris perle qui le rend un petit peu moins chétif.
Il explique qu'il a eu du mal à entrer, car les gardes refusaient de le laisser passer. Les proches des candidats ne sont pas censés quérir ces derniers avant le début des sélections mais quand le jeune morgan a partagé les raisons de sa venue, on a daigné lui accorder quelques mots.
Shawata et le couple Brezelour pensent sûrement que c'est encore une faveur que l'on fait à Joseph et June, mais il n'en est rien. C'est réellement important.
« Ne pensez pas à moi pendant les sélections, ni à ce que j'ai fait. S'il vous plaît. »
Helouri a mis toute l'assurance qu'il a pu dans cette phrase. Si, plus tôt, son père s'est senti coupable de l'avoir surprotégé, d'avoir peut-être provoqué et entretenu le dégoût que son fils a de lui-même, alors en cet instant, ce dernier lui demande de l'éloigner de sa pensée.
Si Joseph et June ne parviennent pas à se focaliser sur l'instant présent durant cet évènement qui marquera un tournant dans leur vie, alors Helouri aura raison : il n'est qu'un parasite qui s'accroche aux autres pour ne leur apporter que des tourments. Rien d'autre et rien de bien.
« Pensez à vous et rien qu'à vous. Maman et moi, nous vous encouragerons. »
Et il n'y a rien de plus important. June retrouve de sa lumière, Joseph paraît moins affligé et dehors, la tension gagne du terrain.
C'est imminent. Quand Yüljet s'anime pour regarder à travers une interstice offerte par l'un des rideaux, elle peut voir que la Légende est en train de faire un discours. Elle parle de l'amitié entre Eel et Odrialc'h, de bravoure, de courage, de vertues que l'on aime arborer… du baratin, pour la troll.
Mais sa voix gutturale arrive à convaincre tout le monde, comme d'ordinaire.
La vertu, c'est un accessoire que bon nombre de personnes aiment afficher avec leurs atours pour s'adonner aux pires vices qui puissent exister, dans l'ombre. C'est un masque que l'on porte pour se donner bonne conscience pourtant, la Capitaine croit fortement en ce qu'elle dit.
Tant mieux pour elle.
Quand elle achève sa tirade, c'est le Chef Batatume qui prend le relais, afin d'adresser des encouragement aux membres de sa Garde. Pendant ce temps, Titan observe les tribunes.
Elle attrape Fawkes assis au premier rang, près de la mère d'Helouri. Ils sont en grande conversation et Yüljet songe que le renard-garou est en train de glaner toutes les informations qu'il peut.
Dans les gradins réservés au beau monde, juste derrière la table des juges, il y a la famille de Nevra Mircalla, ainsi qu'un siège qui a été ajouté pour Ciryandil Alfirin. Elle et la mère du Chef de la Garde de l'Ombre, Iris, échangent quelques mots pendant que le reste de la noblesse observe le centre du kiosque central avec impatience.
Nevra, quant à lui, se tient près de son père, Narcisse, et Yüljet peut aviser que Rose a été autorisé à s'asseoir auprès de son Chef.
Titan sait la confiance absolue que lui porte ce dernier et malgré le fait que Rose fasse partie du cartel des Typhons, elle sait aussi que l'estime qu'il voue à Nevra n'est pas feinte.
Dans la tribune située à gauche de la table des juges, la troll aperçoit Alajéa et son expression paisible puis, deux rangs derrière elle, Mery, sa mère et Balam. Ensuite, elle a beau chercher, elle ne trouve ni Ewelein Osgiliath, ni son assistant.
Ses entrailles se nouent quand elle pense à Fuya, mais elle réprime un soupir inquiet.
De toute façon, il est trop tard : elle ne peut plus rebrousser chemin.
« Je déclare l'ouverture des sélections ! » s'exclame Miiko Yamamura, dehors, avant de retourner s'asseoir auprès de la Légende.
La foule se met à hurler, des pieds enthousiastes tapent contre les marches en bois des tribunes et font trembler l'armature pendant que Shakalogat se saisit de parchemins pour les lire.
Enfin, sa voix grave résonne. Elle appelle le premier candidat :
« June Albalefko.»
Dans la petite salle, la jeune faerienne se fige, livide. Elle ne s'attendait sûrement pas à être la première à passer. Joseph lui offre une tape amicale sur l'épaule, et Helouri une accolade.
La respiration de June s'emballe et sous l'uniforme de la garde Obsidienne, Yüljet devine un cœur fou, en proie à une pression intolérable. Elle inspire un grand coup, puis se lève du banc.
Ses jambes tremblantes peinent à mettre un pied devant l'autre et ses mains - moites, sans aucun doute - plient et déplient leurs doigts fins.
Elle s'approche du rectangle lumineux, embrasse l'extérieur, s'arrête à son seuil et attrappe nerveusement le lourd rideau couleur vin. Yüljet se fige et se met à ciller.
Elle voit, impuissante, le repli qui s'efface, le tissu épais qui se décale et sa couverture en train de tomber.
Puis ça s'arrête.
Elle peut souffler discrètement et se terrer comme une proie.
« Aller, June. » l'encourage Joseph.
Mais Helouri ne dit rien.
Son regard a capté quelque chose et Yüljet sent une sueur glacée couler le long de son dos. Elle n'est pas entièrement découverte, juste quelques centimètres de sa silhouette, mais pour un jeune morgan qui a prêté attention à la seconde maudite, c'est suffisant.
L'air songeur, il regarde dans sa direction. Planté là, dans sa longue robe d'un gris perle, ses longues boucles nacrées coulant dans son dos, il a les sourcils inclinés dans un angle perplexe.
Derrière le sombre rideau couleur vin, il pense peut-être discerner quelqu'un. Non, il en est certains.
Ses yeux d'argent s'agrandissent et il blêmit.
Titan l'observe et Helouri l'observe aussi, malgré lui. Jusqu'à ce qu'il tourne précipitamment la tête, feignant le contraire. Mais son angoisse n'échappe pas à la troll.
Elle serre les dents, rageuse d'avoir été surprise par un gamin chétif, mais si elle ne le craint pas, c'est son père qu'elle redoute.
Il ne doit pas savoir. Helouri doit garder sa bouche fermée.
Il la regarde encore malgré lui, la peur sur ses traits alors, doucement, pendant que June marche vers la table des juges, Yüljet lève un doigt.
Avec lenteur, elle le porte jusqu'à ses lèvres et le jeune morgan a compris le message.
Il se retourne, les mains derrière le dos.
« Tu devrais rejoindre les tribunes, Helouri, les gardes vont s'impatienter.» lui intime Joseph avec un sourire.
Ce dernier hoche la tête. Il n'est pas censé être ici alors, reculant d'un pas, l'angoisse rendant ses muscles raides, il acquiesce :
« Je m'en vais. »
Et Titan est certaine qu'il s'adresse à deux personnes.Les Choix
Yüljet est parvenue à se trouver une cachette afin d'assister aux élections. Pendant une petite émeute provoquée avec l'arrivée de Joseph et de June, elle a pu se glisser dans la salle réservée aux candidats, et se dissimuler derrière un lourd rideau masquant l'armature des tribunes.
Pourtant, un malheureux geste de June l'a quelque peu découverte et Helouri l'a vue.
Que doit faire Titan ?
➜ Rester où elle est. Il reste encore quatre candidats dans la pièce, après tout.
➜ Tenter de quitter la pièce.
➜ Attendre la fin des sélections et ensuite, menacer Helouri pour être certaine qu'il ne parle pas.
➜ Attendre la fin des sélections et mettre Fawkes et Fuya au courant.
UNIQUEMENT pour MayaShiz
June est la première candidate à passer. Elle se trouve actuellement face à la table des juges qui comprend : Shakalogat en juge principal, Valkyon en juge secondaire, ainsi que Miiko et Leiftan qui émettront leurs avis.
On dit que la première impression est parfois la meilleure alors ici, June doit se présenter en bonne et dûe forme.
C'est à toi de jouer MayaShiz ! Rédige ta réponse sur la façon dont June se présente aux juges. Tu peux l'écrire sous forme de paragraphe RP, me décrire ce qu'elle ferait et écrire ce qu'elle dirait… à ta guise !
UNIQUEMENT pour Waïtikka
Fawkes est assis au premier rang dans les tribunes. Il se trouve à côté de la mère de Helouri et est en grande conversation avec elle. C'est le moment de pouvoir obtenir quelques informations.
Que devrait-il lui demander ?
➜ Parler de la malformation de Helouri aux branchies.
➜ Parler de la place de Joseph dans la Garde Obsidienne.
➜ Parler de la raison pour laquelle Joseph participe aux sélections.
➜ Parler du geste malheureux que Helouri a voulu faire dans les jardins de la musique.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo
On continue les choix sur la scène cruciale que Lilymoe a vu !
Lorsque tu seras prêt, viens me contacter par MP !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous ! J'espère que vous passez un bon dimanche !
Me revoici avec le chapitre dix-huit de cette fiction qui annonce beaucoup de choses pour June !
Petit point sur le dictionnaire : son élaboration est toujours en cours. Je suis vraiment désolé pour le retard, mais l'IRL ne m'a laissé que peu de temps dernièrement. Mais il verra le jour en étant court et concis, je l'espère, et mis à jour régulièrement.
Autre point sur la phrase en langue orc prononcée par Shakalogat : si vous souhaitez en connaître la signification, vous la trouverez en fin de chapitre, avant les choix. Sinon, vous pouvez utiliser le dictionnaire français-orc, disponible dans le post de présentation, qui a été mis à jour pour tenter de la traduire vous-même !
Aussi, la première partie en italique a été rédigée par MayaShiz, comme réponse à son choix personnel du chapitre précédent !
Voilà voilà ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 18 - Danse de Guerre
Elle a peur, mais elle doit se montrer courageuse. Pour Joseph, à qui elle vient d’avouer quelque chose de précieux, pour Helouri qui est venu l’encourager et qui la regarde depuis les gradins, pour son Chef qui, malgré ses chances quasi nulles de l’emporter, l’a autorisé à participer.
Elle représente la Garde Obsidienne, et elle ne doit faire honte à personne. Surtout pas à elle-même.
June prend une grande inspiration, puis entre dans l’arène. C’est ce qu’elle ressent lorsqu’elle est éblouie par le soleil et que les murmures de la foule la frappent soudain. L’impression d’être un pimpel pris dans la gueule d’un black dog.
Mais l’obsidienne ne les laisse pas apercevoir son trouble. Elle s’est figée, l’espace d’une micro seconde, le temps que ses yeux s’habituent à la luminosité, mais à présent, elle peut clairement voir l’espace qui lui est dédié.
June jette un regard à la foule, comme pour les défier de parler d’elle, de parler d’Helouri, de mentionner autre chose que la performance qu’elle va donner, puis elle se dirige d’un pas décidé vers la table des juges.
Ses yeux naviguent entre Miiko, Leiftan, Valkyon et la Capitaine. Des légendes parmi les légendes, pourtant elle ne se laisse pas impressionner par ce tableau. Elle hurlera de joie plus tard, quand tout sera fini et qu’elle racontera à Helouri comment ça faisait d’adresser la parole à Shakalogat Gra Ysul.
Déterminée, l’obsidienne se plante devant eux, avant de réaliser le salut rituel des guerriers de l’obsidienne. D’une voix forte, elle les salue à la manière des gens d’Eel, puis se présente sans trembler.
- June Albalefko, membre de la Garde Obsidienne. Temata, Kribaten. Merci de me permettre de tenter ma chance.***
Les juges la regardent fixement. Leurs visages sont des livres fermés à double tour, impossibles à traduire, impossibles à saisir et personne ne pourrait deviner leurs pensées.
Ils ont des liasses de parchemins face à eux et Yüljet sait que n'importe quel candidat serait prêt à payer très cher pour lire les lignes qu'ils écriront durant leurs performances.
June à l'air si frêle, mais si sûre d'elle, même si les mots en orcs qui ont quitté sa bouche tremblaient d'un accent maladroit.
Temata, Kribaten. a-t-elle dit. Connaissant la Légende, Titan devine qu'elle fera remarquer à la jeune faerienne qu'elle a omis de saluer son propre Chef de Garde, ainsi que Miiko Yamamura et Leiftan Tuarran.
« Lijap, June Albalefko. Tematovat dal badib ao dedoek Eel. Mat derest !* »
June répond un benozen angoissé pendant que la Capitaine se saisit d'un parchemin recouvert d'encre pour le consulter. Alors qu'elle s'attelle à sa lecture, Shakalogat ajoute dans la langue commune :
« Puisque votre Chef de Garde, la dirigeante de la Garde Étincelante et son conseiller se tiennent ici présent, il serait convenable de les saluer. »
Si la situation dans laquelle elle se trouve n'était pas si alarmante, Yüljet aurait pu songer à devenir devin. En vérité, elle se hait de si bien connaître la Légende à cause des trop nombreux interrogatoires que cette mégère lui a fait subir.
Il fallait la saluer elle, saluer ses subordonnés, dire "merci" pour l'eau sale et la nourriture dégoûtante et dire "merci" encore, pour rester en vie une journée de plus.
Tout ça pour le massacre de douze personnes dont elle n'est pas responsable.
Les yeux de Titan cherchent Fawkes, dans les gradins. Le renard-garou est attentif au spectacle et Yüljet se demande s'il s'est fait les mêmes réflexions qu'elle.
Lui aussi a connu les interrogatoires.
Dans l'arène, June a adressé ses politesses et pour commencer l'entretien, la Capitaine a demandé à Valkyon Batatume de s'exprimer vis à vis de sa recrue.
En effet et parmi les autres candidats, June jure par sa jeunesse et son inexpérience. Bien loin d'égaler les compétences de Joseph, de Shawata Maliwe ou bien du couple Brezelour, June est avant tout en pleine période d'apprentissage en tant que Gardienne. C'est ainsi que Titan la voit et elle est certaine que la Légende doit s'interroger quant à sa participation.
Yüljet ne connaît Valkyon que de nom et de réputation. Des quatre juges assis derrière leur bureau, il est celui qui se trouve en bas de la hiérarchie pourtant, c'est à lui que s'adresse Shakalogat en premier. À cause de leur amitié, certainement.
« June est arrivée dans ma Garde il y a quatre ans, explique Valkyon et si je devais formuler une pensée la concernant… je dirais qu'elle fait partie de ceux qui savent surprendre autrui. »
La Légende se tourne vers lui, intriguée. Ils échangent un regard que Titan ne comprend pas et le Chef de la Garde Obsidienne poursuit :
« Je ne sais pas si vous avez entendu parler de ce conte humain. Celui qui raconte l'histoire d'un familier volatile dont personne ne veut et qui, à la fin, devient une véritable merveille de la nature. Eh bien June Albalefko est comme lui. Pour le moment, elle est le familier maladroit qui a besoin de grandir et de faire ses preuves, mais l'expérience la transformera en joyau.
- Je suis d'accord avec lui, souffle Joseph depuis la salle réservée aux candidats, il a toujours su cerner ses Gardiens. »
Titan reste dubitative. De ce qu'elle sait de la jeune faerienne, elle en a dressé le portrait d'une personne maladroite et immature. Quelqu'un de stupide dont Sexta n'aurait fait qu'une bouchée si elle s'était retrouvée dans les bas quartiers d'Odrialc'h.
Alors un familier qui a besoin de grandir ? Certes. Mais pour se transformer en joyau poli, Yüljet a des doutes.
Cependant, si c'est June qui est choisie pour remporter les sélections, elle n'incarnera pas une menace pour le cartel.
« Merci, Chef Batatume, approuve la Légende.
- Si je peux me permettre, intervient Leiftan, j'aurais souhaité soulever un petit incident dont les répercussions ont perturbé les sélections. »
Le conseiller de la Garde Étincelante croise sereinement les mains sur le bureau. Pour une personne qui ne connaît aucun des quatre visages, le sien deviendrait synonyme de main à saisir, contre la sévérité de Miiko et Shakalogat, ainsi que la stature impressionnante de Valkyon.
Mais les yeux de Leiftan mentent, comme toujours. Yüljet serre les dents alors que toute sa rancune lui broie les entrailles. Comme toujours, il est intouchable.
Le sourire angélique sur sa figure symétrique est un piège et même June y est déjà tombée, sûrement.
« J'ai eu vent de rumeurs concernant le malheureux drame dont a été victime un proche de la candidate ici présente, ainsi que du candidat Ael Diskaret. Certains faeriens pensent que tout ceci a été orchestré pour attirer vos faveurs, Capitaine, dans le cadre des sélections. Il est vrai que l'accident au port ou bien le drame qui l'a suivi de peu, ont tous les deux votre intervention comme point commun.
- Ce sont des mensonges ! » s'insurge June.
Les spectateurs sont attentifs et Titan aussi. Non loin d'elle, Joseph s'est rembruni et Yüljet peut deviner qu'il fait preuve d'une maîtrise de lui-même pour ne pas se ruer dans l'arène.
« Des mensonges ? rétorque Leiftan d'une voix tranquille, très bien je vous crois. Le but de ma demande n'est pas de mettre votre parole en doute. Seulement, un évènement aussi important que les sélections, dans notre belle cité, ne peut pas voir sa réputation entachée par de malheureuses rumeurs.
- Si votre attention est portée sur des rumeurs, alors vous avez beaucoup trop de temps libre. » tranche Shakalogat.
Leiftan ne répond pas. Pendant qu'elle a pris la parole, la Légende ne s'est pas défaite de sa lecture attentive et son ton n'était même pas autoritaire.
En cet instant précis, Yüljet donnerait n'importe quoi pour pouvoir regarder les pensées affreuses qui doivent se tramer sous le crâne du conseiller.
Au sein d'une décharge, tu serais la plus extraordinaire des ordures. rumine Titan.
Mais dans l'arène, Miiko Yamamura avance le buste et prend la parole.
Ses yeux bleus arborent un sérieux sans pareil et quand elle se met à parler, sa voix claque comme un coup de fouet. Au sein de la Garde Étincelante, elle est connue pour être un couperet, après tout. Quand son nom est mentionné au détour d'une conversation, à Odrialc'h, c'est surtout pour se moquer. On dit d'elle qu'elle défend sa place au sein du Quartier Général comme un blackdog défend son territoire, mais que c'est cette même place qui lui a fait renier sa propre culture ainsi que les traditions de son clan.
Miiko Yamamura est celle qui a su trancher sa propre famille en deux. Ceux qui honorent leur héritage et ceux qui le renient.
« Ce que mon conseiller a dit n'était pas une atteinte personnelle contre vous, justifie-t-elle à June, seulement et en mettant ces incidents en lumière, il est préférable de rayer toute méprise. À commencer par celle qui impliquerait un quelconque favoritisme pendant les sélections.
- Remettez-vous mes capacités de jugement en question ? »
Shakalogat repose ses documents d'un geste tranquille. Sans regarder Miiko, elle remet de l'ordre dans sa pile de parchemin et dans les gradins, personne ne dit mot.
« Personne ne se permettrait de douter de vos capacités de jugement, Capitaine, seulement il est bon de montrer pattes blanches aux spectateurs venus assister aux sélections, ainsi qu'aux candidats qui n'ont aucun lien avec la victime des incidents.
- Il est bon de montrer pattes blanches quand on a un doute. Mais ici, il n'y a plus rien à redire. Les accidents sont derrière nous et ont été résolus. Les mettre de nouveau en lumière est un manque considérable de respect envers les candidats qui font les frais de vos soupçons, mais aussi de ceux qui attendent le début des épreuves. C'est aussi un manque de respect envers les spectateurs, envers la victime que vous avez mentionnée et sa famille. Et pour finir, vous êtes pratiquement en train de douter de mon bon sens ainsi que de mon impartialité. »
Pendant qu'elle parlait, la Légende ne lui a accordé aucun regard. Face à elle, sur son bureau, les parchemins sont réunis en une pile impeccable et ses bras massifs sont croisés.
Le buste droit, elle est prête à juger.
« Il n'est pas question de… s'entête Miiko Yamamura.
- Je n'apprécierai pas un mot de plus sur cette histoire. »
La dirigeante de la Garde Étincelante se ravise. Ce qu'elle n'apprécie pas, elle, c'est que le doute puisse encore persister et que par la suite, Eel fasse l'objet de rumeurs au sein d'Odrialc'h. C'est assez facile à deviner et Yüljet se doute qu'elle doit espérer que June et Joseph n'emportent pas les sélections.
« June Albalefko ? » l'interpelle la Capitaine.
Mais la dénommée à la tête levée vers les gradins et son regard est fixé sur deux personnes. Deux morgans, dont l'un d'entre eux est la victime qui a été mise en lumière, une fois de plus. Est-ce que Helouri est encore en train de se ramasser sur lui-même, honteux ? Titan peine à le distinguer, car il est installé à côté de Fawkes. Ce dernier est en train de lui dire quelque chose, d'ailleurs.
La Légende regarde vers les tribunes à son tour, son visage anguleux ayant sans doute trouvé ce qui captivait la jeune faerienne. Yüljet a l'impression de voir ses yeux se plisser, puis elle appelle de nouveau la première candidate des sélections d'un ton un petit peu plus ferme.
« June Albalefko.»
La faerienne revient à elle et répond un "oui" franc et sérieux. Elle est prête et comme Helouri qui est venu leur dire, à elle et Joseph, de ne pas penser à lui durant les épreuves, elle doit essayer de mettre l'histoire des soupçons de côté.
Shakalogat reprend sa pile de documents et enchaine :
« Suite à l'approbation de votre inscription par votre Chef de Garde, vous aviez dû remplir un formulaire que j'ai actuellement sous les yeux. »
La Légende se saisit d'une feuille de parchemin et poursuit :
« Ce que je remarque c'est qu'en termes de qualités, vous citez "curieuse, volontaire, déterminée" et en défauts, "empathique, méconnaissante du monde et franche".
- C'est exact. » affirme June.
Yüljet commence à comprendre les mots que Valkyon a prononcés plus tôt, à l'égard de sa recrue. Si ces questions portant sur les qualités et les défauts peuvent permettre à la Capitaine de brosser l'ébauche d'un portrait, peut-être qu'elle est capable d'y voir des contradictions.
« Vous vous dites curieuse pourtant, vous affirmez ne pas connaître le monde. Vous avez placé la franchise et l'empathie dans la case des défauts.
- Est-ce que ce sont de mauvaises choses ? » demande la jeune faerienne.
La Légende secoue la tête.
« Il ne peut pas y avoir de mauvaises réponses à ce genre de questions. En vous lisant, j'ai l'impression de voir une éponge à émotions qui perçoit son empathie comme une anomalie alors le temps et l'expérience lui permettront d'acquérir le recul nécessaire pour la transformer en qualité.
- Je comprends ce que vous dites. Mais parfois, l'empathie m'empêche d'agir ou de comprendre les gens.
- Je pense que c'est parce qu'il vous manque la capacité à garder une bonne maîtrise de vous-même dans les situations d'urgence. Mais cela s'apprend. »
Elle a raison. Titan peut songer à ses premiers jours, quand elle avait les rênes du cartel dans les mains et quand elle se regarde dix ans en arrière, elle peut se trouver perdue et stupide.
Faible face à la tâche trop grande qu'elle devait mener à bien et même faible face à Sexta qu'elle ne parvenait pas à rallier à sa cause.
Je deviendrai une membre de ton cartel quand j'aurai du respect pour toi. disait-elle. Et il avait été extrêmement difficile à gagner.
Mais tout s'apprend.
Shakalogat poursuit ses investigations avec les différentes réponses que June a écrites dans son formulaire. Ses déboires en alchimie, sa maîtrise des armes légères comme les dagues, les poignards et les épées courtes ou bien son rôle de soutien au sein de la Garde Obsidienne.
Son gabarit est bien moins impressionnant que ceux de ses collègues, certes, mais elle est vive, rapide, avec une grande capacité d'adaptation alors elle sait se montrer utile.
June devient de plus en plus à l'aise au fil de l'entretien. Elle partage son envie de découvrir le monde avec enthousiasme et elle affirme qu'elle serait prête à venir vivre à Odrialc'h, si elle était choisie.
« Et si vous n'êtes pas choisie, lui demande la Légende, qu'est-ce qui vous empêche de venir vivre à Odrialc'h ? »
June semble réfléchir.
« Je ne sais pas ce que j'y ferai.
- Si c'est le combat et le maniement des armes qui vous intéresse, le corps armé de la cité est ouvert à toutes personnes souhaitant y entrer. De plus, il y a des escouades qui sont envoyées à travers le monde pour diverses missions diplomatiques ou militaires. Cela pourrait peut-être vous convenir. »
Tenter de rallier les potentiels candidats recalés aux sélections pour les intégrer au corps armée d'Odrialc'h. Titan déteste la mégère, mais elle doit avouer qu'elle ne perd pas le nord.
Elle serait tentée de se convaincre que Shakalogat prend réellement en considération les aspirations de June pour l'aider à se projeter dans l'avenir, mais elle refuse d'être si crédule.
Yüljet préfère croire qu'elle n'est qu'une manipulatrice, comme toutes les âmes qui pavent les sols des hautes sphères d'Odrialc'h. Tant qu'elle peut rester à sa place d'héroïne, tout est bon à accomplir.
« Vous pensez qu'aucune espèce ne domine les autres, sur Eldarya et vous ne détestez pas les humains. » continue la Capitaine.
Le silence s'installe, si bien que June fini par répondre d'un ton plus sec :
« C'est vrai. Pourquoi ? Est-ce que je devrais penser le contraire ?
- Personne ne vous demande de modifier vos convictions. Seulement, si vous croisiez le chemin d'une personne qui pense différemment de vous, que feriez-vous ? »
June ne répond pas tout de suite. De sa petite place, Titan doit admettre que la question est intéressante, puisqu'elle s'applique à tout le monde. À commencer par elle-même.
Le cartel œuvre pour empêcher la conquête de la Terre et trouver un moyen de ressusciter les sols d'Eldarya. Ceux qui souhaitent le contraire sont les ennemis du cartel. Alors, la réponse à la question de la Légende est la suivante : en tant que cheffe du cartel, Yüljet évince les ennemis qui ont des idéaux différents. Les règles interdisent de prendre des vies si ce n'est pas pour protéger la sienne ou celle d'un camarade, alors les Typhons ne sont pas des monstres. Néanmoins, leurs combats trouvent toujours des adversaires, c'est certains.
« Je suppose que ce serait difficile de devenir amie avec cette personne. Mais si je dois travailler avec elle, alors je ferais des efforts. »
Shakalogat hoche la tête.
« C'est en côtoyant des personnes qui ont des convictions, idéaux et schémas de pensées différents que l'on peut affuter notre esprit critique. De la même manière que nous pouvons apprécier la gentillesse en expérimentant la méchanceté ou que nous pouvons apprécier le beau temps en connaissant les tempêtes.
- C'est vrai, réfléchit June, même si tout n'est pas bon à dire.
- Seulement pour les personnes qui refusent de tout entendre. Les autres sont libres de trier les informations qui arrivent à leurs oreilles. Il n'y a pas plus précieux que la liberté de penser et de parler. Quant à exprimer ses idées en société, c'est comme ce dont nous parlions plus tôt…
- Tout s'apprend. », complète la jeune faerienne.
Shakalogat acquiesce d'un signe de tête. Elle explique que ce point est important pour tous candidats qui s'inscrivent à des sélections dont le but est de protéger la vie d'une personne importante.
Les compétences en combat sont bien entendu nécessaires, mais la capacité d'être fidèle à soi-même l'en encore plus et pour cause : personne ne peut prédire que sa vision des choses et du monde sera en harmonie avec celles de la personnalité à protéger.
Faire partie d'une garde rapprochée requiert de passer beaucoup de temps auprès de celui ou celle dont on a juré protection. On peut finir par l'apprécier ou nourrir une aversion pourtant, la mission reste la même : défendre la personnalité, quitte à mettre sa vie en jeu.
« Quand on se porte volontaire pour intégrer la garde rapprochée d'une personne importante, il faut avoir conscience du rôle que l'on s'apprête à exercer. Sacrifier sa vie pour quelqu'un que l'on déteste est un acte paradoxal qui ne peut pas être accompli.
- Mais même si l'on connaît la personnalité, on ne pourra jamais savoir ce qu'elle pense, s'interroge June.
- Non, en effet. Tout comme un chef de guerre ne pourra jamais connaître les intentions réelles d'un autre chef de guerre avec lequel il se prépare à négocier un armistice. La résultante de toutes ces situations, c'est que pour s'y préparer de la meilleure manière possible, il est important de se préserver, de nourrir son esprit d'expériences et de savoir et d'affuter son esprit critique.
- De… grandir, en somme ? tente timidement June.
- C'est une jolie conclusion. » sourit Shakalogat.
L'échange arrive à son terme et June est beaucoup plus naturelle. Pour le moment, il est difficile de déterminer si elle sera gagnante, mais qu'importe, la faerienne vivra peut-être cet échange comme une expérience.
Cependant…
« Bien. Merci pour cette conversation, June Albalefko. À présent, je souhaiterai avoir une démonstration de vos capacités en combat. »
Des murmures parcourent les gradins et de là où elle se trouve, Yüljet se demande quel adversaire a été prévu pour tester les candidats.
La Légende se lève, sa chaise racle le sol et d'un pas tranquille, elle fait le tour du bureau et quitte le kiosque. Elle se plante face à June qui tressaille.
« Imaginez vous au palais d'Odrialc'h, June. Vous faites partie de la garde rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash quand soudain, quelqu'un tente de l'attaquer. Vous devez la protéger à tout prix. C'est votre rôle. Quitte à donner votre vie pour préserver la sienne. »
June semble gagnée par l'angoisse. Yüljet la devine en train de déglutir quand enfin elle demande :
« D'accord… mais qui est l'adversaire ? »
Shakalogat tire son épée hors de son fourreau.
« C'est moi. »Danse de Guerre
À l'air chafouin de Valkyon Batatume, Titan pense qu'il connaissait déjà l'intention de la Capitaine. Quoi de mieux que de tester les aptitudes en combat des candidats en se battant contre eux ?
June a la surprise de découvrir l'issue de son passage aux sélections quand les autres ne peuvent que s'y préparer mentalement. Ils sont d'ailleurs tous groupés face à la sortie vers l'arène, interdits et la pression pesant sur leurs épaules.
Yüljet elle-même est captivée. La pauvre June a les mains qui tremblent. Elle a hésité à prendre les armes et il a fallu que la Légende l'attaque pour qu'elle le fasse.
Shakalogat ne plaisante pas mais le spectacle qu'elle offre est unique.
« Monsieur Ael Diskaret… »
Une voix détourne Titan du ballet. Elle se retourne avec toute la discrétion du monde pour apercevoir la silhouette d'Ewelein Osgiliath, à l'entrée de la pièce réservée aux candidats, l'air grave.
Surpris, le morgan se lève pour s'approcher.
« Docteur Osgiliath, la salue-t-il, je suis surpris que les gardes vous aient laissé entrer. Normalement…
- Personne ne doit parler aux candidats avant leur passage dans l'arène. Je sais. Mais je dois absolument vous parler de quelque chose d'important. Cela concerne Helouri et je pense, au contraire, que le moment est bien choisi. »
Quand elle regarde de nouveau vers les gradins, Yüljet peut voir Lilymoe en train de s'installer près de Twylda, en compagnie de Fuya. La conversation a été longue, visiblement, et Titan s'inquiète de nouveau pour la sirène.
Au beau milieu de l'arène, la Légende entame une véritable danse de guerre. Une tempête de métal qui hurle au visage de June et si la jeune faerienne ne veut pas se faire emporter, il lui faudra danser, elle aussi.
Le spectacle des sélections n'est pas encore terminé.
*Enchantée, June Albalefko. Bienvenue aux sélections de la cité d'Eel. Bonne chance !Les Choix
Yüljet a décidé de rester cachée jusqu'à la fin des sélections. Pour le moment, le tour de June est en train de s'achever sur un combat contre Shakalogat elle-même et toute la foule est captivée par le combat.
Aussi, Ewelein Osgiliath s'est montrée dans la salle réservée aux candidats car elle aurait quelque chose de très important à dire à Joseph. Cela concernerait Helouri.
Yüljet hésite. Son esprit est tiraillé. Que doit-elle faire ?
➜ Suivre le combat de June contre Shakalogat.
➜ Suivre la conversation entre Ewelein et Joseph.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : C'est le grand moment ! June doit montrer toute l'étendue de ses aptitudes au combat !
Comme lors des présentations, à toi d'écrire ou de décrire les capacités que June peut mettre en avant, lors de son combat contre la Légende !
Pas de choix personnels pour Waïtikka et ZuzoHyo, ce sera dans le prochain chapitre !
Note de l'Auteur
Bonsoir à vous !
J'espère que vous allez bien !
Tout d'abord, mes excuses pour ce chapitre posté si tard. Je dois admettre que je sors d'une semaine compliquée où il ne m'a pas été permis d'écrire comme je le voulais. Néanmoins je suis bien content de pouvoir poster ce chapitre le jour prévu de sa sortie ! Il n'est pas encore minuit alors je reste dans les temps.Oui ça me rassure x)
Du coup : vous aviez choisi de suivre la conversation entre Ewelein et Joseph, alors la voici ! Était-ce un bon choix ? À vous de juger !
Bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 19 - Les Maîtres de la Médecine
June virevolte, une épée courte à la main. Elle profite de sa petite taille et de son agilité pour se déjouer de son adversaire légendaire, mais malheureusement, chaque coup de la Capitaine se transforme en piège mortelle. Titan ne se l'avouera jamais, mais elle pourrait les regarder toute la journée.
L'une est aussi captivante que l'autre et la troll doit admettre que June a plus d'un tour dans son sac. Cependant, la conversation qui se déroule près d'elle parvient à attirer toute son attention.
Ewelein Osgiliath s'est assise sur un petit tabouret, face à Joseph qui a rejoint le banc où il se tenait plus tôt. Les autres candidats, quant à eux, ont les yeux rivés sur un combat qu'ils ne verront qu'une fois dans leur vie. Alors ils n'en perdent pas une miette.
La médecin en cheffe semble inquiète. Son visage arbore une moue mécontente et ses yeux bleus sont perdus sur une idée qu'elle peine sûrement à transformer en mots. Ewelein lisse les pans de sa robe ocre d'un geste distrait, puis prend la parole d'une voix basse :
« Monsieur Ael Diskaret, je sais que ma venue avant votre passage aux sélections est incongrue, mais je devais vous parler.
- Je vous en prie : appelez-moi Joseph. Vous avez dit que c'était au sujet de mon fils. Je vous écoute. »
Pourtant, Ewelein semble hésiter. Titan se demande bien quel genre de nouvelle peut tourner autour de Helouri, en plus du drame qui s'est déroulé plus tôt.
Pourquoi maintenant ? Yüljet est curieuse. Elle pense la médecin en cheffe assez intelligente pour choisir son moment et quand elle ouvre la bouche de nouveau, Titan peut constater qu'elle a raison :
« Le motif qui vous pousse à participer aux sélections n'est un secret pour personne, Joseph. Beaucoup de personnes à Eel, à commencer par votre Chef de Garde, savent que vous aimez profondément la cité et que si vous deviez la quitter, ce serait par amour. Par amour pour votre femme, pour votre fils et pour June. »
Certes. C'est ce que Joseph disait tout à l'heure, lors de sa conversation avec sa fille. De ce que Yüljet sait, le garde civil est très estimé au sein de la cité d'Eel et bon nombre de personnes regretteront de le voir partir, s'il est choisi. Mais Joseph veut inverser la vapeur. Il souhaite que sa femme puisse accomplir ses aspirations, puisqu'il a accompli les siennes durant vingt-et-un ans et aussi offrir une nouvelle vie à Helouri et June.
Et c'est là qu'Ewelein veut en venir.
« Vous voulez leur apporter une nouvelle vie. Et c'est une bonne chose, selon moi.
- Qu'est-ce que vous hésitez à me dire ? »
La médecin en cheffe ferme brièvement ses yeux azurés. Elle prend une grande inspiration, puis répond d'un ton ferme :
« Je vais trahir l'un de mes serments, aujourd'hui, Joseph.
- Quel serment ?
- Le secret médical. »
Une ombre passe sur la figure du grand morgan. Une idée commence à germer dans son esprit comme des ronces et Yüljet pense sûrement à la même chose. Le secret médical.
Ewelein, comme tous ses pairs, ne doit jamais divulguer les informations de ses patients à d'autres personnes, mais si aujourd'hui elle fait exception, c'est pour les raisons qu'elle va invoquer.
Elle semble prendre un instant pour organiser ses idées, puis un autre pour ne pas laisser l'inquiétude de Joseph la gagner.
« Votre fils ne va pas bien. Vous savez, le drame qui a eu lieu hier est la somme de beaucoup d'épisodes assez sombres dont… dont vous n'avez pas connaissance.
- Des épisodes assez sombres ? Vous êtes en train de me dire que ce n'est pas la première fois qu'il a essayé de se faire du mal ? »
Le morgan a haussé le ton sans le vouloir. Ses yeux se sont agrandis et il fixe Ewelein comme si elle lui dévoilait un visage méconnu de Helouri. C'est presque le cas.
La médecin en cheffe secoue la tête et clarifie ses propos :
« Non. Ce qui s'est passé hier ne s'est jamais produit avant. Pas à ma connaissance. Ce que je veux dire, Joseph, c'est que l'objectif que s'est fixé Helouri est en train de le ronger. Il veut devenir médecin pour guérir ses branchies atrophiées. Soit. Mais cet objectif est devenu une obsession et cette obsession a un impact sur sa santé. »
Ewelein fait la moue. Yüljet se doute qu'avant de venir sur les lieux, elle a dû peser le pour et le contre, mais cette dualité semble toujours s'animer dans son esprit. S'est-elle déjà retrouvée dans les pensées de ses pairs ?
Pour une médecin aussi droite et juste qu'Ewelein Osgiliath, trahir un secret médical doit être un acte abject à ses yeux.
« C'étaient des crises d'angoisse, au départ, explique-t-elle, des crises qui survenaient dans de grands moments de tensions. Après chaque échec à l'examen d'entrée de la Garde Absynthe. Après chaque remarque du Chef Séquoïa. Après chaque détail d'ouvrages en médecine qu'il n'arrivait pas à retenir et après chaque instant où il s'embrouillait pour cracher ce qu'il avait absorbé sur un parchemin. »
Joseph ferme brièvement les yeux. Ce qu'Ewelein vient d'énumérer, cela doit sans doute lui parler. Yüljet imagine que le rôle d'un parent est difficile. Ils soutiennent leurs enfants dans les voies qu'ils choisissent, mais quand leurs objectifs de vie leur font du mal, que doivent-ils faire ? Continuer de les encourager ou bien leur demander de réfléchir ?
Le grand morgan pousse un soupir et confie :
« Je le sais. Je sais tout ce que vous dites. Je vois à quel point c'est important pour lui d'emprunter ce chemin, et à quel point ça le ronge. Je sais que chaque tentative à l'examen d'entrée de la Garde Absynthe se soldera par un échec qui lui fera encore plus de mal. Pourtant, je crois en lui. Mais peut-être pas assez et ce qui s'est passé hier me l'a prouvé. Alors si une nouvelle vie à Odrialc'h peut…
- Ce n'est pas terminé. » souffle la médecin en cheffe.
Dans son coin, Titan sent son coeur s'accélérer. L'inquiétude de Joseph est contagieuse et même si elle n'a que faire de son fils si fragile, elle peut sentir que la vie ne veut pas qu'il guérisse ses branchies.
Le morgan se penche, les traits de son visage crispés.
« Dites-moi. »
Ce n'est pas une demande. Maintenant qu'Ewelein Osgiliath s'est aventurée sur ce chemin tortueux, elle doit aller jusqu'au bout et elle le fera. Cette dernière souffle par le nez et elle arbore l'expression typique des personnes qui doivent annoncer une bien triste nouvelle à leur interlocuteur.
Mais elle se lance :
« Quand Helouri a échoué à l'examen pour la cinquième fois, il a fait un malaise. Le premier d'une longue série, malheureusement. Joseph, l'obsession de votre fils, ses angoisses et la fatigue que tout cela a généré a provoqué ce que l'on appelle de la tachycardie chez Helouri. Ce sont des crises violentes qui malmènent son cœur en le faisant monter à plus d'une centaine de battements par minute. Cent-vingts la première fois, cent-cinquantes… deux-cents. »
C'est le poids d'Eldarya qui tombe sur les épaules de Joseph. Tachycardie. Titan ne connaissait pas ce mot-là. Ce mot qui est un mal, en réalité.
En plus de ne pas pouvoir respirer sous l'eau, Helouri a le cœur qui s'affole quand il ne peut plus supporter la honte d'échouer et la pression de devoir réussir à tout prix. Face à l'ébahissement du grand morgan, Ewelein poursuit d'un air navré :
« C'est un mal que j'ai déjà confronté avec certains patients et bien entendu, j'ai mis Helouri sous traitement. Mais il refusait catégoriquement que vous soyez au courant vous, votre femme et son amie June. En tant que médecin, j'ai respecté son choix et je suis restée fidèle au secret médical. Mais compte tenu de ce qui s'est passé hier, je ne pouvais plus rester silencieuse.
- Mon fils… a le cœur malade… Et prend un traitement. Qu'est-ce que… »
Yüljet essaye de lire dans les yeux de Joseph. Le gris métallique paraît soudain si faible et entre l'inquiétude immense de savoir Helouri sous traitement, il y a également une déception énorme, du chagrin et de l'incompréhension. Hier, le grand morgan avait appris que son fils avait trop honte de se montrer si faible face à sa famille. Qu'il se voyait comme un parasite s'accrochant aux pieds des plus forts pour essayer d'acquérir un peu de leur grandeur.
À présent, son propre père ne peut qu'imaginer que le poids de cette honte l'avait certainement poussé à cacher son cœur qui battait trop fort, ainsi que sa médication.
Avec lenteur, Ewelein pose une main compatissante sur son épaule.
« Je suis désolée. Je sais que la nouvelle est difficile à accuser.
- Est-ce que cette maladie met sa vie en danger ? » demande immédiatement le morgan.
La médecin en cheffe grimace avec discrétion. La réponse semble aussi sombre que la révélation et même Yüljet, tapie dans son coin, n'aime pas ça.
« Tant qu'il continue de prendre son traitement, tout ira bien. Sa tachycardie n'est pas une résultante d'une malformation cardiaque. Mais si un jour, il arrête brutalement de le prendre, personne ne peut prédire la façon dont il vivra ses crises. Elles peuvent se passer avec plus ou moins de difficultés, ou bien provoquer des complications. C'est pour toutes ses raisons que vous devriez lui parler, vous et votre femme. S'il s'obstine, je crains que ça ne lui apporte plus de mal que de bien.
- Et s'il finit par y arriver…
- Ezarel ne le prendra jamais dans sa Garde. »
Le visage de Joseph se brise alors que celui d'Ewelein affiche une peine sans pareil. Après avoir trahi le secret médical, elle trahit la pensée d'un de ses collègues du Quartier Général.
La médecin en cheffe passe une main nerveuse sur son front.
« Vous êtes en train de dire que le Chef Séquoïa ne veut pas de mon fils dans sa Garde parce qu'il n'aime pas sa façon d'être ? gronde Joseph.
- Le Chef Séquoïa est ce qu'il est. Mais détrompez-vous : s'il ne veut pas d'Helouri dans sa Garde, c'est parce qu'il connaît ses soucis de santé. Il sait que le rythme de la Garde Absynthe ne rendra votre fils que plus angoissé,avec une pression si grande que sa tachycardie risque d'empirer. Helouri… »
Elle prend une grande inspiration et dans le ton de sa voix, Yüljet ressent l'affection qu'elle porte pour le jeune morgan.
« Helouri a toutes les qualités morales pour devenir un bon médecin. Il est discret, compatissant, méticuleux et réfléchi. Il sait qu'à partir du moment où l'on enfile la blouse, nos convictions personnelles ne doivent pas s'appliquer à nos capacités de jugement et il a la curiosité intellectuelle adéquate pour mémoriser des informations jusqu'à la fin de sa carrière. Seulement, il n'a ni l'énergie, ni la confiance, ni la force d'entreprendre cela.
- À cause de sa maladie, je présume.
- Je parle de force mentale, Joseph. »
Le grand morgan est abasourdi. Titan ne veut pas imaginer les émotions en train de le ronger et la façon dont l'avenir lui apparaît, à présent. C'est pour cela qu'Ewelein est venue maintenant, d'ailleurs.
Parce que Joseph se trouve à un carrefour. Si les sélections ne tracent pas une autre voie, pour lui et sa famille, alors ils devront trouver une autre solution ensemble. Levant ses yeux gris vers la médecin en cheffe, il demande d'un ton abrupt :
« Vous pensez qu'il doit abandonner la médecine ? »
Contre toute attente, elle secoue la tête :
« Je pense que la médecine lui est trop chère pour qu'il abandonne. Mais il peut dévier de sa trajectoire. Plutôt qu'un hôpital qui le rongera d'angoisse, il peut se déplacer directement aux domiciles des patients. Ou bien il peut aussi se spécialiser dans des troubles particuliers comme ceux liés à la métamorphose, que ce soit les personnes de son espèce ou bien les loups-garous, par exemple. Mais je suis désolée : Helouri n'est pas fait pour apprendre la chirurgie et encore moins passer sa vie au sein d'un hôpital.
- Et je dois donc le convaincre de changer le chemin qu'il a choisi. » achève le morgan.
Ewelein lui adresse un triste sourire. Joseph semble avoir vieilli de dix ans en quelques minutes et il ne pense certainement plus aux sélections qui se déroulent au moment où il parle avec la médecin en cheffe. Même si c'est l'un de ses enfants qui est en train de se battre.
« Je sais que c'est difficile à entendre, reprend Ewelein, mais le monde est vaste. Odrialc'h peut accueillir Helouri au saint de la Grande Auréole. Cela reste un hôpital universitaire, mais certains enseignants et médecins seront assez pédagogues pour Helouri. Aussi, il y a aussi d'excellents médecins à Lotheg, le domaine des elfes sylvestres ou même au sein de la Triade d'Ohm.
- Ce que vous dites est pertinent, Ewelein, mais vous pensez qu'un jeune faerien qui veut devenir médecin depuis son enfance acceptera de changer de voie en un claquement de doigts ? Il veut apprendre la médecine et la chirurgie. Il le veut vraiment et si en tant que père je ne supporte pas de voir mon fils souffrir, est-ce que je peux le forcer à devenir quelqu'un d'autre ?
- La question est : pourquoi veut-il devenir médecin à ce point ? J'ai cité ses qualités, mais est-ce le catalyseur de son souhait reste ses branchies ou bien est-ce qu'il perçoit la médecine comme une vocation ? »
Le ton d'Ewelein est devenu plus tranchant. Elle a dit ce qu'elle avait à dire et le reste, cela incombe à Joseph et sa famille. Si Helouri veut absolument devenir médecin, quitte à y laisser sa santé, alors elle ne pourra rien y faire.
« … Je ne sais pas, souffle enfin le grand morgan, je suis son père, et je ne sais pas.
- Inutile de vous en vouloir. Parlez avec votre fils, s'il vous plaît. Ensuite, voyez ce que peut vous offrir l'avenir. Mais Helouri doit avoir conscience de ses capacités et surtout de ses limites.
- Je lui parlerai, bien entendu. Mais je crois qu'il lui faudrait surtout une prise de conscience. Je suppose qu'en tant que médecin, vous lui avez sûrement déjà exposé votre vision de la médecine et des sacrifices qu'elle demande, mais je pense que qu'importe ce qu'on lui dira, il s'obstinera. »
La médecin en cheffe a les lèvres si serrées qu'elles forment une ligne mince sur sa figure. Elle passe une nouvelle main sur son front, semble réfléchir, hésiter, jusqu'à ce qu'elle se remette à parler :
« Est-ce que vous savez qui a créé la médecine, Joseph ? »
Le morgan ouvre de grands yeux, surpris. Il secoue la tête :
« Comment le saurais-je ?
- Vous ne pouvez pas le savoir. Les créateurs de la médecine sont des fées. Une grande famille en particulier. Aujourd'hui, sa descendance est connue pour être la propriétaire de la plus grande prison d'Eldarya. »
Yüljet se fige. Dans l'ombre, elle écarquille ses yeux noirs, à l'image de Joseph. Elle refuse d'y croire…
Ces monstres sauvages, armés de leurs trompes ignobles, ressemblant à pire que des familiers, descendants des créateurs de la médecine ? Vraiment ?
« Nous, soignants, les appelons "Les Maîtres de la Médecine". Nous leur devons toutes nos techniques de diagnostiques et de chirurgie. Tout notre savoir. Et aujourd'hui, c'est leur descendance qui valide nos recherches.
- Que… Pourtant… On raconte… , souffle Joseph.
- Je me fiche de ce que l'on raconte, tranche Ewelein, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, Joseph, j'ai beaucoup d'estime pour Helouri et je ne veux pas qu'il s'engage dans une voie qui ne lui apportera que des malheurs, surtout si la graine de tout ceci ne se résume qu'à ses branchies. Là où je veux en venir, c'est que je peux peut-être lui apporter la possibilité de discuter avec… eh bien, avec un maître de la médecine. »
Un Milliget ? Emmener Helouri face à un Milliget ? Cela ressemble presque à une vaste plaisanterie. Le jeune morgan qui s'effondre face à de l'eau ou bien à un Ezarel Séquoïa cynique, ne tiendra pas une conversation avec une fée Milliget.
Laquelle d'ailleurs ? Shelma ? Delta ? Candice ? Sira ? Laquelle d'entre elles le verra autrement que comme un dîner saignant ?
Me sang de Yüljet ne fait qu'un tour. Visiblement, Ewelein est une autre fanatique des fées. Les Maîtres de la Médecine, oui peut-être. Et alors ? Elles restent des bêtes. Pire que des bêtes, même. Des êtres terrés derrière leur grande frontière.
Immondes, ignobles, infects… Quand elle pense aux Milliget, les visages de Nash et Fuya se présentent à l'esprit de Titan.
Qu'est-ce que les maîtres de la médecine ont réservé à Nash pour son interrogatoire, d'ailleurs ?
« Il n'en est pas question. »
Le père de Helouri a du bon sens, visiblement. Il n'a jamais vu les fées de près, Titan en met sa main à couper, mais vu son expression, il s'en méfie et c'est une bonne chose.
Face à l'air perplexe d'Ewelein, il s'explique.
« Contrairement à ce que vous pensez, je prête attention à ce qui est dit. Je n'ai jamais entendu rien de bon sur cette famille de fées et je refuse que mon fils aille discuter avec ces créatures. Et je refuse également qu'il parte à Rhenia-Gaear pour les rencontrer.
- Il ne s'agit pas de Rhenia-Gaear, intervient la médecin en cheffe, les Milliget vont séjourner à Eel pendant quelque jours. Cela va être annoncé après les sélections.
- Pour quelles raisons ?
- Je ne les connais pas. Mais s'il vous plaît, Joseph, réfléchissez à vos préjugés. »
La Garde de l'Ombre a les poches débordantes d'or, la Garde Obsidienne sert de réserve à Odrialc'h, et la Garde Absynthe est en train de mourir. C'est ce que Yüljet a retenu.
Elle retient aussi que la médecin en cheffe n'a qu'à aller festoyer avec les fées. Peut-être que cela lui permettra de voir le vrai visage de ses chers maîtres de la médecine.
Ewelein pousse un long soupir puis, après quelques secondes de silence, reprend :
« Est-ce que vous connaissez Alajéa Edam ?
- La toiletteuse de familiers qui travaille avec les purrekos ?
- Certes, et future Gardienne de l'Absynthe. Mais pas seulement. Quand elle vivait à Odrialc'h, elle avait accès à une petite partie du palais pour s'occuper des familiers de la noblesse. Et si je vous parle d'elle, c'est parce que quand elle a su que les Milliget allaient venir à Eel, elle a tout de suite demandé à obtenir une audience avec eux. Et je sais que vu son ancien statut, elle l'aura. »
Titan lève les yeux au ciel. La sirène amoureuse des fées qui se précipite vers elle, une fois qu'elle a eu vent de leur venue… Elle ne sait pas si elle doit la trouver pathétique. Pourtant, elle peut revoir le calme et la plénitude d'Alajéa buvant une tasse de thé sur le marché d'Eel. La sirène en train de lui raconter sa première rencontre avec Sira et Delta avec passion.
La nouvelle conviction qui l'avait animée grâce à cette conversation. Puis Titan se fige. Elle ouvre la bouche, incertaine, mais l'idée qui vient de lui venir en tête est peut-être une aubaine.
« Après avoir discuté avec votre fils, si vous changez d'avis, revenez me voir. Je m'arrangerais pour que Helouri puisse accompagner Alajéa. Mais s'il vous plaît, réfléchissez Joseph. Parlez à votre fils, votre femme, June et réfléchissez. »
Mais le grand morgan ne lui répond pas. Il a les yeux perdus dans ses pensées et les émotions qui doivent courir sous sa peau doivent former un chaos sans nom.
Était-ce réellement le bon moment d'avoir cette discussion ? Quand une étincelle résolue brille dans ses yeux gris, Titan pense que la réponse est "oui".
Il donnera tout aux sélections. Tout pour apporter une nouvelle vie à sa famille.
Ewelein quitte la pièce réservée aux candidats. Face à l'issue qui mène vers l'arène, le couple Brezelour et Shawata Maliwe assistent toujours au combat.
En réalité, il est terminé depuis un moment.
Yüljet voit Joseph se lever pour regarder à son tour. Haletante, en sueur mais pétillante, June fait face au jury.
Shakalogat est retournée s'asseoir, mais elle semble satisfaite. Elle achève une phrase puis, hésitante, la voix de June résonne au beau milieu des gradins :
« Est-ce que je peux vous serrer la main ? »
Des rires se font entendre et Titan lève les yeux au ciel. Après les fanatiques des fées, revoilà les fanatiques de la Capitaine… Il y a trop de personnes qui en idéalisent d'autres, sur ce monde. Voilà un schéma qu'elle ne comprendra jamais.
Mais qu'importe. Dans sa grande noblesse, Shakalogat accorde son souhait à June et lui tend une main amicale. Un nouveau spectacle pour les admirateurs sur leurs bancs de bois.
Le premier passage des sélections est un succès et des centaines d'yeux sont avides d'assister à la suite.Par ZuzoHyoLes Choix
En écoutant la conversation entre Joseph et Ewelein, Yüljet a appris beaucoup d'informations. Notamment qu'Alajéa Edam a demandé une audience pour voir les Milliget. Au vu de son précédent statut, cette audience lui sera accordée.
C'est peut-être une aubaine pour le cartel. Puisque Titan a déjà discuté avec Alajéa, il lui est peut-être possible d'obtenir des informations sur les fées, via la sirène.
Mais comment ? En lui suggérant des questions.
Selon vous, est-ce une bonne idée ?
➜ Oui, c'est une bonne idée.
➜ Non, il vaut mieux éviter et cela pourrait soulever des soupçons.
➜ Oui, c'est une bonne idée, mais il vaut mieux mettre Fawkes, Fuya et Rose au courant.
IMPORTANT : Si vous choisissez un "oui", n'hésitez pas à réfléchir et, si vous le souhaitez, suggérer les questions qui vous viennent à l'esprit. Les questions seront réunies et ensuite soumises à un nouveau vote, avant d'être intégrées dans l'histoire.
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes est assis à côté d'Helouri. Avant son arrivée, il a discuté avec sa mère de la place de Joseph au sein de la Garde Obsidienne.
Pendant les sélections, il a assisté à quelque chose d'étrange concernant Helouri. En effet : ce dernier jetait de brefs coup d'œil vers Rose.
Que devrait faire Fawkes ?
➜ Déterminer que cela vaut la peine d'enquêter et interroger le jeune morgan de façon subtile.
➜ Demander simplement à Helouri s'il connaît Rose.
➜ Ce n'est pas important.
➜ Essayer d'enquêter en demandant à Helouri, d'un ton badin, si Rose lui plait.
(Petite précision : ce choix déterminera aussi la relation qui se tissera entre Fawkes et Helouri)
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo : Suite à ce dont nous avons discuté par MP, un choix s'impose pour Lilymoe.
Le voilà en train d'assister aux sélections, mais aussi en train de réfléchir à sa décision. Après le tour de June, Lilymoe peut voir le Chef de la Garde de l'Ombre quitter les gradins.
Que doit faire Lilymoe ?
➜ Le suivre pour lui parler de sa décision.
➜ Rester assis. Il lui parlera peut-être plus tard.
➜ Lilymoe n'est pas sûr de sa décision. Il vaut mieux en parler de nouveau avec Ewelein.
➜ Finalement, Lilymoe renonce à sa décision.
Pas de choix pour MayaShiz ! Ce sera au prochain chapitre !
Note de l'Auteur
Bien le bonsoir à vous ! Nous voici, déjà, avec le chapitre 20 de cette fiction ! Je ne sais pas vous mais personnellement, je ne vois jamais le temps passer. Nous sommes partis pour une fiction à rallonge, c'est vrai et j'espère que nous serons toujours présents lorsque je posterai le chapitre 150.
Oh ben vous savez c'est fort possible. B)
D'ailleurs j'ai une question pour vous : est-ce ça vous intéresserait de répondre à un petit questionnaire ? Oh, pas quelque chose de très long, juste quelques lignes de questions afin de savoir comment vous vivez votre aventure. Ça me sera toujours bénéfique pour améliorer quelques petites choses si besoin.
Voilà voilà ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 20 - Fuya Pyle
« Shawata Maliwe.»
Le nom du second candidat pour les sélections résonne dans l'arène. Au sein de la petite pièce, le faune se saisit de sa longue hallebarde, inspire profondément, et s'avance d'un pas tranquille. Là, tous les regards l'attrapent et bientôt, le spectacle de June Albalefko est mis de côté pour un nouveau.
Cette dernière, échevelée et couverte de poussière, se dérobe aux spectateurs pour rejoindre Joseph. Le grand morgan n'a pas bougé de son banc.
Après le départ d'Ewelein, Yüljet l'a observé pendant un long moment. Il s'est retranché dans sa propre tête et elle s'est doutée qu'il devait songer à son fils et à ce qu'il venait d'apprendre.
« Tu as vu ? l'apostrophe-t-elle, débordante d'enthousiasme, je m'attendais pas à me battre contre elle ! Quelle force ! Et quand elle bouge, avec sa tresse… Tu as vu quand j'ai esquivé une de ses attaques en glissant derrière elle ? Je pensais même plus ! … Est-ce que ça va ? »
June se fige et son visage devient anxieux. L'air inquiet de Joseph ne lui a pas échappé. Le grand morgan revient à lui, puis lève les yeux vers sa fille adoptive. Titan sent toutes les émotions qu'il est en train d'intérioriser pour les déverser plus tard. Elle imagine que c'est un exercice difficile après ce qu'il vient d'apprendre.
La jeune faerienne prend place sur le tabouret, précédemment occupé par Ewelein. Elle fait la moue, mais ne dit rien. Ses mains s'agitent, réceptives aux tourments de Joseph et elles se mettent à gratter distraitement la poussière incrustée dans l'uniforme de la Garde Obsidienne.
Enfin, le morgan pousse un soupir discret, mais esquisse un doux sourire :
« Je suis navré, June, je n'ai pas pu assister à ton combat, admet-il, mais je tiens à ce que tu puisses me le raconter dans les moindres détails.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Joseph ne peut pas lui répondre. Pas maintenant. À la place, il lève une grande main bleue pour ébouriffer les cheveux de sa fille et lui dit qu'après les sélections, ils iront se réunir chez eux, autour de la lourde table de la salle à manger et qu'ils s'offriront un repas digne de cette journée particulière.
Dans son coin, Yüljet ne doute pas de la discussion qui verra le jour pendant ce dîner. Elle changera beaucoup de choses, elle en est certaine, à commencer par la vie de la famille.
Que décideront Joseph, Cristal, June et Helouri ? Est-ce qu'ils quitteront Eel ? Est-ce que Joseph et Cristal accepteront que leur fils aille rencontrer les Milliget ?
Elle le saura peut-être. La troll s'adosse contre l'armature métallique des gradins. Depuis le départ de la médecin en cheffe, elle a beaucoup réfléchi à la question des fées ainsi que de l'audience qui sera accordée à Alajéa Edam.
Finalement, sa rencontre avec la sirène lors de l'arrivée de la Capitaine au port d'Eel est peut-être une chance. Une chance qu'elle ait attrapé son poignet et pas celui d'un autre.
Elle peut aller la revoir juste avant son départ pour lui demander de poser quelques petites questions aux fées. Ce serait le meilleur moyen d'en apprendre plus sur elles.
Mais lesquelles ? Yüljet doit choisir avec soin. Aussi, et si elle pensait mettre Fawkes, Fuya et Rose au courant, il n'en sera rien. Il vaut mieux que cela reste entre elle et Alajéa.
« Tu ne veux vraiment rien dire maintenant ?
- June… »
La voix de la jeune faerienne tire Titan de ses réflexions. Quand elle concentre son attention sur le père et la fille, toujours assis, elle peut voir que June n'est pas dupe.
« Joseph, quand le Chef Batatume t'avait demandé de choisir entre deux Gardiens pour intégrer les gardes civils, tu faisais la même tête. Tu savais bien qu'en en choisissant un, tu condamnais l'autre à devoir attendre une année supplémentaire pour se représenter. »
Certes, mais ici il ne s'agit pas d'un choix cornélien, mais de plusieurs. Des choix qui ont besoin d'être mis en lumière, puis discutés dans un moment plus convenable que sous des gradins.
« C'est vrai, répond le morgan, je crois que je ne suis pas très doué pour cacher mes émotions. Enfin, pas aux personnes qui me sont chères.
- Les minaloo font pas des maülix : je peux voir qu'Helouri a des soucis rien qu'à sa tête. »
Ce que voit Yüljet, elle, c'est la grimace chagrinée que Joseph tente de réprimer. Non, ils ne peuvent pas tout discerner chez Helouri. Ils n'ont pas pu remarquer son cœur qui battait trop fort, par exemple, ni même le traitement qu'il a réussi à leur cacher.
June souffle par le nez :
« De quoi on parlera pendant qu'on mangera ? Si tu dis rien, je vais y penser jusqu'au repas.
- On parlera de nous tous, affirme Joseph, et on ne quittera pas la table tant que chacun d'entre nous n'aura pas dit ce qu'il a sur le cœur. »
La jeune faerienne plisse ses yeux améthystes, méfiante. Elle reste quelques instants silencieuse puis répond enfin, avec un large sourire :
« Tu as vraiment prévu de gagner les sélections et tu veux préparer notre déménagement, c'est ça ? »
Pas vraiment. Peut-être. Titan ne sait même pas si Joseph va donner son maximum dans l'arène ou bien s'il a d'autres projets en tête. Avec ce qu'il sait, veut-il vraiment aller à Odrialc'h avec sa famille ? Ou bien autre part ?
Elle le voit hausser les épaules.
« Peut-être. C'est la Capitaine qui décidera, de toute manière. »
Il est impressionnant de voir combien de carrières et même de destinées peuvent tenir aux creux des mains d'une seule orc. De ce fait, c'est elle qui nommera Joseph ennemi du cartel, si elle le choisit pour intégrer la garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash.
Le combat de ce morgan contre la mégère, elle aimerait le regarder. Elle voudrait voir comment il se bat et comment il peut être vaincu.
« Je vais rejoindre Cristal et Helouri dans les gradins, lance June en se levant de son tabouret.
- Normalement, tous les candidats sont censés attendre dans cette pièce. » rétorque le morgan d'un air faussement sévère.
Mais la jeune faerienne hausse les épaules. Elle argue que de tout façon, elle ne sera pas choisie alors personne ne prononcera son nom à la fin des sélections. Et si c'est le cas, alors elle fera une entrée originale, voilà tout.
« Et puis, je tiens vraiment à t'encourager avec Cristal et Helouri, ajoute-t-elle, tu verras ! Tu n'entendras que nous ! »
Ça fait plaisir à Joseph, Yüljet peut le voir. Quand il entrera dans l'arène, il aura un soutien sans faille de la part de sa famille et grâce à cela, il ne pourra que songer à la vie qu'il souhaite lui offrir. Quand il combattra la Capitaine, il pensera à Odrialc'h et aux souhaits de sa femme, de son fils et de sa fille.
Cette dernière quitte la pièce réservée aux candidats et le morgan se retrouve seul avec le couple Brezelour. Dehors, Shawata a bientôt fini sa démonstration.
Mais il se passe quelque chose dans les gradins.
Titan les regarde, attentive.
Tout d'abord, elle observe Fawkes. Les oreilles couchées en arrière, le renard-garou agite les mains, manifestement embarrassé. À ses côtés, Helouri se cache le visage dans les siennes pendant que sa mère semble se retenir de rire.
Yüljet arque un sourcil. Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'elle puisse assister à cette scène surréaliste ?
Face à eux, Fuya, Lilymoe, Twylda et Mery regardent les tribunes se faire envahir par des faeriens vêtus d'une tunique azurée. Ils ont l'air de patrouiller, une expression sérieuse sur leur visages et leurs yeux parcourant les spectateurs, sûrement à la recherche de quelqu'un.
Un frisson se met à courir sur le dos de Titan.
Derrière le jury et parmi les grandes gens d'Eldarya, il manque Nevra Mircalla.
« Excusez-moi. » annonce une voix familière.
Yüljet rive ses yeux onyx vers l'entrée de la pièce. Un elfe noir se montre, ses longs cheveux d'ébènes ondulant sur ses épaules portant un grand arc, un carquois garni de flèches sur le dos et une paix royale irradiant de toute sa personne.
Lui aussi arbore une tunique d'un bleu azur et Titan comprend : Balam le guetteur.
Près de la sortie menant vers l'arène, Byrnrael Brezelour et son mari se sont retournés, surpris, alors que Joseph s'est levé de son banc :
« Balam ?
- Je suis désolé de vous ennuyer, s'excuse l'elfe noir de sa voix charmante, mais je devais vérifier cette pièce. Personne n'est venu vous importuner ? »
Yüljet fronce les sourcils, méfiante. Un mauvais pressentiment commence à l'assaillir et si elle reste attentive à la conversation, elle jette des regards réguliers vers les gradins.
Les autres guetteurs commencent à s'adresser aux spectateurs.
« Que se passe-t-il ? » demande Joseph
Face aux interrogations des candidats, Balam reste serein. Levant les mains pour moduler ses paroles, il explique la situation :
« Un spectateur nous a signalé la présence de personnes potentiellement dangereuses dans le secteur du kiosque central. Elles se cacheraient non loin de l'arène et en auraient après Ciryandil Alfirin. C'est pourquoi le Chef Mircalla a demandé à une partie des guetteurs de sécuriser le périmètre et d'effectuer toutes les vérifications nécessaires.
- Comment ? s'exclame le morgan, mais toutes les personnes dans les gradins ont été contrôlées. Et où est-ce que des criminels pourraient se cacher dans l'arène ? Il n'y a pas de cachette ! »
Il se trompe, mais Titan n'est pas assez folle pour le contredire. À vrai dire, les propos de Balam lui serrent les entrailles et d'instinct, elle cherche Helouri dans les gradins. Il n'y a qu'une seule personne qui l'ait vue.
Pourtant, quelque chose ne va pas…
Les guetteurs poursuivent leur enquête dans les tribunes et Yüljet voit Fawkes et Fuya leur jeter des regards furtifs. Ils doivent préparer leurs réponses aux questions qui surviendront.
« Je le sais bien, répond Balam, nous avons nous-même contrôlé les lieux avant l'ouverture des sélections, en plus des rondes effectuées par les gardes. Mais le spectateur avait l'air sûr de lui et par acquis de conscience, il est préférable de renforcer la sécurité. Navré, Joseph, mais je ne vous verrais pas combattre. »
La dernière phrase est prononcée d'un ton plus léger, et si l'elfe noir arbore un sourire compatissant, Titan sait que lui et ses congénères ont dressé une véritable forteresse à l'extérieur, avec leur vigilance. Quitter les lieux sera très difficile, si elle n'est pas trouvée avant.
Elle ferme les yeux et garde la maîtrise de sa respiration. Il ne manquerait plus que Balam et Joseph entende quelqu'un souffler comme un sitourche…
Le morgan s'approche de Balam, l'air tendu :
« Est-ce que les guetteurs vont rester auprès des spectateurs durant le reste des sélections ?
- Jusqu'à la fin. Et le Chef Mircalla m'a dit que son bras droit avait été assigné à la protection de Ciryandil Alfirin avec d'autres membres de l'Ombre. Quant à moi et les autres guetteurs, nous ne sommes là qu'en tant que support. »
Rose doit jouer les gardes du corps pour la mère de Sheraz, donc. Si Yüljet tente d'élaborer un plan d'ensemble de la situation, elle le résume à une partie des guetteurs ayant quitté leur poste pour venir jouer les patrouilleurs au kiosque central et distraire l'attention du beau monde d'Eel.
Quelqu'un sait que des membres du cartel des Typhons se trouvent ici en cet instant, et ce quelqu'un veut les emprisonner ici jusqu'à la fin des sélections.
Qui ?
« Je vois, soupire Joseph, en tout cas et ici, je n'ai reçu que la visite de mon fils et celle d'Ewelein Osgiliath. »
L'elfe noir hoche la tête, mais ne dit rien. Peut-être qu'il refuse de mettre le drame qui a eu lieu plus tôt sur le tapis et c'est une bonne chose. Le grand morgan semble hésiter, puis se lance :
« Balam, je vous ai toujours connu à Eel, mais je me demandais : est-ce que vous avez grandi à Rhenia-Gaear ? »
La question a quelque chose d'étonnant pour Balam dont les yeux opaques s'agrandissent. Pour Yüljet, elle n'est que la continuité d'un cheminement de pensées qui doit tourner en boucle dans la tête de Joseph.
« Pourquoi cette question ?
- Veuillez excuser ma curiosité. Je sais que vous êtes très pudique concernant votre vie privée, mais pour être honnête, j'aurai quelques questions au sujet des fées. »
Et cela fait sens pour l'elfe noir. Quel peuple est le plus proche de ces créatures, après tout, si ce n'est celui qui vit près de leur frontière ?
Le visage de Balam se fait plus doux et l'une de ses mains anthracite vient caresser la corde de son arc d'un geste distrait.
« Pourquoi les fées, si soudainement ? » demande-t-il d'un ton aimable.
Joseph semble ennuyé. Dans son esprit, les réponses à la question de l'elfe noir doivent lutter avec la crainte de divulguer une information importante sur la nature des prochains invités d'Eel. Mais tant pis, l'une des deux idées finit par l'emporter :
« Peut-être que vous le savez déjà, mais Eel recevra bientôt les Milliget. J'en ignore la raison, mais mon fils a une chance de pouvoir s'adresser à eux vis-à-vis de la médecine. Cela pourrait lui être utile pour embrasser la voie qu'il a choisie ou bien l'abandonner. C'est important pour lui, mais j'ai des réserves… Vous savez, avec ce qui se dit sur eux…
- Vous voulez parler des rumeurs ? » l'interrompt Balam.
Surpris, le grand morgan hoche la tête. Visiblement, l'arrivée des Milliget n'est un secret pour personne. Pas même pour les guetteurs.
« J'ai été mis au courant de leur venue par le Chef Mircalla, explique l'elfe noir, ennuyé, car il m'a justement demandé si je pouvais aller les accueillir avec lui, son bras droit et Leiftan Tuarran.
- Vous ?
- Pour l'aspect diplomatique de la mission, d'après ses dires. Ce n'est pas pour me plaire car vous le savez, Joseph, j'aspire à ma tranquillité et accueillir une éminente famille ne fait pas partie des tâches d'un guetteur. Mais je pense que les rumeurs sont bien plus impactantes qu'elles ne laissent paraître et que beaucoup de monde ne savent pas comment accueillir les Milliget. »
Et on ne peut pas leur en vouloir. Yüljet pense que si tout ce beau monde les avait vu manger, personne ne voudrait des fées à Eel et nulle part ailleurs.
Est-ce que ces choses savent au moins dire bonjour ou bien vont-elles planter leurs trompes dans le moindre morceau de chair qui aura le malheur de se trouver sous leurs yeux ?
« Et vous ? l'interroge Joseph, je présume que les rumeurs ne vous importent pas ?
- Disons que je les entends, mais que je ne les écoute pas. Comment le pourrais-je ? Je n'ai jamais vu de fée. »
Tant mieux pour lui. Titan pense à Fuya qui s'en serait bien passée et soupire avec discrétion. Quand elle regarde vers les gradins, elle voit les autres guetteurs en train de s'adresser à June, Helouri, Cristal et Fawkes. Face à eux, c'est au tour de Lilymoe, Fuya et Twylda.
Elle sait que les membres du cartel ne craignent rien, mais elle espère que Helouri tiendra sa langue.
« Joseph, si vous êtes inquiet à propos de votre fils, pourquoi ne pas demander au Chef Mircalla de nous accompagner pour accueillir les Milliget ? Ainsi, vous pourriez discuter avec eux et vous faire votre propre avis. »
L'idée est plutôt intelligente, Titan l'admet. Quant à savoir si Nevra Mircalla laissera Joseph se joindre au comité d'accueil, elle ne peut pas le prédire. En réalité, elle sera loin d'Eel lorsque ce sera le cas et elle n'arrive pas à s'en réjouir.
Malgré le danger, elle aurait préféré assister à l'arrivée des fées, juste pour voir si Nash est encore capable de tenir sur ses deux jambes. Quel genre de traitement ces monstres peuvent-ils lui infliger ? Yüljet serre les dents.
Mais son sacrifice doit être respecté.
On ne t'abandonne pas, lui adresse-t-elle en pensées, On trouvera le moyen de te sortir de là.
Déjà, elle sait que Rose sera capable de leur transmettre de ses nouvelles et de garder un œil sur lui, même s'il ne pourra pas le sauver sans risquer sa couverture et de ce fait, sa vie.
« Vos paroles sont sensées. Merci, Balam, je vais y réfléchir. »
D'ailleurs, est-ce que les fées vont révéler leur malheureux prisonnier à leur comité d'accueil ? Titan en doute fortement.
L'elfe noir s'apprête à quitter les lieux, lorsque Joseph lui demande, suspicieux :
« Qui était ce spectateur venu vous dire que des personnes mal intentionnées voulaient du mal à Ciryandil Alfirin ? »
Yüljet se pose aussi la question et la réponse lui glace le sang :
« Un touriste d'Odrialc'h. Il m'a donné son nom : Fuya Pyle. »
Au sein de l'arène, Shawata Batatume a fini ses démonstrations de combat. Il regagne la pièce réservée aux candidats, et le prochain nom est déjà appelé par la voix gutturale de la Capitaine :
« Joseph Ael Diskaret. »
Avec tout ce qu'il a en tête, le grand morgan se dévoile aux yeux des spectateurs. Parmi eux, il y a Jens Red auprès de Helouri, June et Cristal.
Il y a aussi Ellen Price assise à côté de Lilymoe.
Et déjà loin, sûrement, alors que les grandes portes sont devenues une passoire après son intervention, il y a un Fuya Pyle.
À présent, il faut quitter la forteresse tant que la Capitaine continue de juger. Quand elle saura pour les criminels factices de Ciryandil, elle retournera chaque grain de sable du sol de l'arène pour les retrouver.Les Choix
Les sélections continuent de se dérouler au kiosque central et après le passage de June Albalefko et de Shawata Maliwe, c'est au tour de Joseph.
Cependant et comme vous avez pu l'apprendre, quelqu'un a emprunté le nom de Fuya pour, d'après Yüljet, mobiliser une partie des guetteurs au kiosque central et ainsi, quitter la cité.
Cette personne sait que des membres du cartel des Typhons se trouvent sur place et avec la sécurité qui s'est renforcée, il sera difficile de quitter les lieux.
Pourtant, il le faudra, sans quoi la Capitaine sera très certainement déterminée à retrouver ceux qui veulent causer du tort à Ciryandil Alfirin…
Que doit faire Yüljet ?
➜ Il reste deux candidats. Il est tout de même important d'assister au passage de Joseph afin d'en apprendre plus sur sa façon de combattre, étant donné qu'il est un potentiel vainqueur des sélections. Après son passage, Yüljet pourra penser à un plan.
➜ Tant pis pour le passage de Joseph, il faut partir maintenant. De plus, le couple Brezelour et Shawata Maliwe ont les yeux rivés sur l'arène. Yüljet peut tenter le coup et rejoindre la ruelle près du Quartier Général afin d'y attendre Fawkes et Fuya.
➜ Balam n'est parti que depuis peu et les autres candidats sont occupés à regarder le passage de Joseph. Yüljet peut essayer de se glisser dehors pour le rattraper et l'assommer.
➜ Il faut rester jusqu'à la fin des sélections. Quand les enquêteurs auront fini leur travail sans trouver de menaces, peut-être que la Capitaine refusera de prêter attention à des rumeurs.
UNIQUEMENT pour MayaShiz, ZuzoHyo et Waïtikka :
Messieurs-Dames, vous avez tous les trois le même choix pour ce chapitre :
Les guetteurs interrogent les spectateurs afin de savoir si des personnes étranges et potentiellement dangereuses auraient été vues. Vos réponses vont influencer le déroulement de l'enquête et la sécurité des membres du cartel.
Vous êtes libres de dire la vérité ou non.
La question posée à June : Vous et Joseph Ael Diskaret avez été victimes d'une émeute avant d'entrer dans la pièce réservée aux candidats. Pendant le chaos, avez-vous vu quelque chose ou quelqu'un de suspect ?
La question posée à Lilymoe : Avez-vous remarqué un quelconque comportement étrange parmi les personnes présentes dans l'arène ? Si vous avez quelqu'un en tête, merci de nous partager vos informations.
La question posée à Fawkes : Monsieur Red, votre nom est sur toutes les lèvres, vous savez ! Est-ce que tout va bien de votre côté ? Votre ami, Fuya Pyle, m'a dit que vous étiez inquiet à cause de plusieurs personnes suspectes. Il s'excuse d'avoir quitté les gradins et il m'a demandé de vous dire qu'il vous attendra à l'endroit habituel.
Note de l'Auteur
Bonsoir à vous !
Un chapitre posté bien tard, mais fraîchement corrigé : merci à ma chère correctrice. <3
En réalité, ce chapitre-ci a été coupé en deux pour la simple et bonne raison que toutes les informations apportées en même temps auraient été indigestes pour vous. De ce fait, je préfère vous laisser avec ce que vous apprendrez dans ce chapitre mais surtout, le choix que vous aurez à faire. ^^
Aussi, information importante : Pour le bon déroulement de l'histoire et la volonté d'attirer l'attention des lecteurs et des lectrices sur un point important, j'ai décidé de revenir sur ce point mentionné dans les modifications importantes, sur le post de présentation. Ainsi, vous lirez le nom de Lance dans Apotheosis, car ceci est important pour un point majeure de l'histoire et beaucoup plus parlant pour vous qu'un personnage inconnu, mais vous ne rencontrerez jamais Lance dans Apotheosis.
Seul son nom est présent et mentionné.
Sur ce, je vous souhaite un bonne lecture !
Chapitre 21 - Réflexion
Un frisson court sur les échines des spectateurs. Tous leurs yeux sont rivés vers le centre de l'arène et leur impatience est telle que l'atmosphère devient de plus en plus exaltée.
Yüljet elle-même est captivée, elle doit bien l'avouer. Les guetteurs eux même sont plantés dans les tribunes et même si Titan ignore encore ce qu'ils ont bien pu demander à Fawkes et Fuya, elle s'en ira dans la ruelle, non loin de l'herboriste, une fois les sélections terminées. Elle restera jusqu'au bout.
Tout comme June lors de son passage, Joseph a adressé ses respects aux quatres juges. Titan note que son ton était bien moins cordial envers Leiftan et Miiko Yamamura. Sûrement que le grand morgan n'a pas du tout apprécié leurs doutes concernant le geste malheureux commis par son fils. Son fils qui ne doit pas quitter ses pensées.
Quand il a regardé vers les gradins, Yüljet a vu l'amour et la tendresse marquer son visage de glace, en écho avec celui de son épouse. L'admiration quant à elle, a brillé sur la figure de Helouri et tout le monde dans l'arène a pu entendre June encourager son père adoptif.
« Temata, Joseph Ael Diskaret. le salue Shakalogat.
- Temata, Kribaten. »
La Légende est en train de consulter ses notes. À ses côtés, Valkyon adresse un sourire bienveillant au grand morgan, mais reste silencieux.
Tout le monde sait qu'avant de le combattre, la Capitaine lui fera passer un entretien et la voilà en train de l'entamer :
« Vous êtes entré au sein de la Garde Obsidienne à l'âge de trente ans, lorsqu'elle était commandée par Lance Batatume. Ensuite, vous vous êtes rapidement distingué par vos capacités de combats ainsi que votre noblesse d'esprit, selon votre Chef de Garde, et vous vous êtes dirigé vers la protection des civils. »
Intéressant. De ce que Yüljet sait de la Garde d'Eel, c'est que pendant que son cadet servait Odrialc'h en compagnie de Shakalogat, sous le commandement de Kriya Gro Zarak, le frère aîné de Valkyon Batatume dirigeait la Garde Obsidienne. Ensuite, il a été placé à la tête des brigades de ravitaillement, celles qui savent se rendre sur Terre pour aller chercher de la nourriture.
Un poste dont on ne peut plus se défaire une fois qu'on l'a accepté.
« J'ignore si l'on peut parler de noblesse d'esprit, répond Joseph, simplement, j'ai aimé la cité d'Eel dès que j'y ai posé le pied tout comme j'ai aimé la Garde Obsidienne. J'ai énormément appris en servant Lance Batatume. Il parlait d'Eel comme d'un être vivant et il la décrivait comme un cœur battant. La quitter était une véritable souffrance pour lui et pour bon nombre d'entre nous, habitants et gardiens de la cité. Mais il disait qu'il partait pour devenir un nouvel engrenage de ce monde qui ne peut pas tourner tout seul. »
Dans le discours de Joseph, il y a beaucoup de respect et d'affection pour son ancien Chef de Garde. Ce sont les paroles d'un gardien loyal envers ceux qui lui ont enseigné des valeurs, qui en ont partagées avec lui et qui lui ont donné envie de protéger cette cité qu'il aime autant que Lance, ainsi que les habitants qui la composent.
Mais même si le grand morgan ressentira certainement la même douleur que son ancien Chef de Garde lorsqu'il devra partir, son amour est plus grand pour sa famille que pour Eel toute entière.
« Lorsque j'ai pris le commandement de la Garde Obsidienne, intervient Valkyon, Joseph m'a été d'un soutien sans faille. Je savais que nombre de gardiens regrettaient le départ de leur ancien Chef pourtant, nous avons pu accomplir notre devoir envers Eel dans l'ordre et la discipline. Joseph n'est pas seulement un gardien loyal avec des capacités au combat admirable, il est aussi une figure aimée par la population d'Eel et un camarade dévoué pour ses frères et sœurs de l'Obsidienne. »
Certes, mais le vainqueur des sélections devra vouer une loyauté sans faille envers Ysul Gra Bolumbash et non la cité d'Eel. C'est un élément important et même si Odriac'h a l'habitude d'arracher les bons soldats de leur Garde Obsidienne, il serait malheureux que la nouvelle figure qui compose son escorte personnelle puisse avoir le cœur attaché à un lieu qui se situe au-delà de la mer.
Yüljet est certaine que cette dame Ysul préférerait avoir des soldats qui marchent quand elle leur demande de le faire, qui ne se permettent pas de faire un geste tant qu'elle ne le leur a pas ordonné et qui oseraient être en désaccord avec elle.
Non. Des fanatiques d'Odrialch et de la Capitaine, ce serait amplement suffisant.
Titan regarde la mégère croiser les mains sur la table des juges en plissant ses yeux noirs.
« Pourquoi vouloir quitter un lieu que vous aimez ? »
La réponse est évidente pour Joseph. Le dos bien droit, les mains le long du corps, il répond :
« Parce que ma famille a des souhaits qui ne peuvent se réaliser qu'au sein de la ville d'Odrialc'h. Puisque ces souhaits sont importants pour elle, alors ils sont importants pour moi. »
La petite boutique de son épouse, les aspirations de son fils dans le domaine de la médecine, les rêves de voyages de June… Tout ceci forme la raison pour laquelle Joseph Ael Diskaret participe aux sélections.
Mais il ne s'épanche pas sur leurs désirs car il sait certainement que la Capitaine n'est pas ici pour l'entendre parler de tout ceci.
« Si j'ai pu protéger les civils d'Eel pendant vingt-et-un ans, reprend le grand morgan, alors je me pense apte à protéger l'Éminente Ysul Gra Bolumbash. Le lieu où je me trouverais ne sera plus le même, c'est vrai, mais mon travail ne changera pas.
- C'est une façon de voir les choses, en effet, affirme Shakalogat, car une vie reste une vie.»
La Légende consulte ses notes. Yüljet ignore ce qu'a pu écrire Joseph dans son formulaire d'inscription pour les sélections, mais à l'expression de la mégère, les réponses doivent être intrigantes.
« Vous dites d'ailleurs que la seule différence entre une vie humaine et une vie faerienne, c'est le monde dans lequel elle se trouve. C'est une belle vision des choses, mais si demain Eldarya menacée par une invasion humaine, alors vous seriez amené à faire des choix et votre idéal resterait à l'état d'idéal.
- Certes, mais les idéaux ne sont que des idées. Des buts inatteignables qu'il est bon de se fixer pour donner le meilleur de nous-même afin de s'en rapprocher, ne serait-ce qu'un petit peu. Si demain Eldarya était menacée par une invasion humaine, Capitaine, alors je ferai les choix qui s'imposent. Mais si demain Eldarya voulait provoquer une invasion faerienne, alors je me retirerai du combat. »
De là où elle se trouve, Titan ouvre de grands yeux. Elle ne sait pas si Joseph Ael Diskaret est assez fou pour oser tenir de tels propos, ou bien trop fidèle envers ses propres idéaux pour les dissimuler et user du mensonge, à la place.
Elle observe la Capitaine. Cette dernière reste parfaitement impassible, le formulaire du grand morgan dans les mains et si elle ouvre la bouche pour répondre à des paroles qui doivent lui tordre les entrailles, un clappement sonore retentit et toutes les têtes se tournent vers Leiftan Tuarran en train d'applaudir.
Un sourire cynique aux lèvres, ses yeux émeraude étincelants, il observe Joseph comme s'il venait de trouver un bijou particulièrement merveilleux. Yüljet réprime une envie de vomir.
« Pardonnez mon enthousiasme, dit-il de sa voix paisible, mais il est rare de rencontrer des personnes aussi dévouées à la vie elle-même. »
Interloqué, le garde civil secoue la tête et rétorque :
« Cela fait pourtant partie des devoirs d'un guerrier. Connaître la valeur d'une vie, c'est qui fait la différence entre un soldat et un monstre.
- Parce que vous pensez que sur un champ de bataille, vous avez le temps de prêcher des leçons de morale ? Non. Pendant une guerre, il n'y a que de la chair et du sang. Plus de noms, de visages et d'espèces. C'est la réalité.
- Alors vous n'avez pas compris la pensée de Joseph Ael Diskaret. »
La Légende remet de l'ordre dans ses papiers avec un calme religieux. Titan songe qu'elle doit garder un sang-froid irréprochable malgré les mots du Conseiller qui doivent lui taper sur les nerfs. Yüljet arbore une moue dédaigneuse.
Qu'importe Leiftan ou Shakalogat, car même si leurs points de vue divergent, ils œuvrent dans le même but et se moquent bien des vies humaines ou faeriennes. Il y a ceux qui iront sur Terre et les autres.
« La valeur d'une vie est le premier enseignement que l'on reçoit en tant que soldat, explique la Capitaine, et le second, c'est la capacité à pouvoir soumettre l'ennemi sans combat. Il n'est question de chair et de sang que lorsque l'on se revendique boucher ou criminel, Leiftan Tuarran. Peut-être devriez-vous songer à entrer dans la Garde Obsidienne ou le corps armée d'Odrialc'h pour suivre ces enseignements. Cela est toujours bénéfique pour sa culture personnelle.
- Je m'intéresse volontiers aux instructions de toutes les Gardes, rétorque le Conseiller, et même aux leçons du corps armé d'Odrialch, dont je suis originaire. Je me souviens d'ailleurs qu'il est dit qu'un bon chef de guerre, c'est celui qui gagne la bataille avant de l'avoir engagée. Je pense que les sirènes et tritons des îles du Qi auraient apprécié de voir cette doctrine appliquée par votre prédécesseur avant d'être balayés du paysage.
- Leiftan. »
Miiko Yamamura lui jette un regard sévère avant de secouer la tête. Yüljet sait à quoi il fait référence : la bataille des sables rouges qui a eu lieu il y a très exactement douze ans. Odrialc'h voulait rallier les populations orientales - pour ne pas utiliser le mot "soumettre" - mais les Fenghuang, maîtres des Côtes de Jade, refusaient catégoriquement de courber l'échine face à la puissance de la cité.
Kriya Gro Zarak, l'ancien Capitaine, avait déployé tous ses efforts pour tenter de construire un lien de paix avec eux et leur proposait la protection, la médecine et l'enseignement en échange de leur allégeance. Après un énième refus, Varney Karnstein, à la tête du pôle militaire d'Odrialc'h, ordonna la conquête des îles du Qi, au large des Côtes de Jade.
Bien entendu, les troupes de Kriya Gro Zarak en étaient sorties vainqueures et parmi elles, Shakalogat Gra Ysul, alors âgée de dix-huit ans et Valkyon Batatume, jeune faerien de vingt-cinq ans, avaient participé à un véritable bain de sang.
Aujourd'hui, les îles du Qi appartiennent à Odrialc'h et comptent une population qui lui a juré allégeance. Mais les familles de sirènes et tritons qui ont survécu au massacre ont migré vers les Côtes de Jade pour se retrouver sous la protection des Fenghuang.
Qu'en était-il de ce fameux enseignement de la valeur d'une vie, quand Varney Karnstein avait ordonné à Kriya Gro Zarak d'envahir les îles du Qi pour montrer la puissance d'Odrialc'h à ceux qui ne voulaient pas se soumettre ?
Une vilaine tache d'encre dans l'Histoire de la plus grande cité d'Eldarya, mais rapidement ignorée par des milliers de faeriens béats qui louent les guerres que la Légende à su arrêter et empêcher lorsqu'elle est devenue Capitaine. De l'hypocrisie pure et simple quand on sait que même dans les bas-fonds d'Odrialc'h, le cartel des Typhons obéit à des règles qui autorisent de prendre une vie uniquement lorsque la sienne est menacée.
Hypocrite aussi, la façon dont Leiftan Tuarran a mis cette histoire des sables rouges en lumière, quand Yüljet sait ce qu'il commet en toute impunité.
« Chaque pays contient ses propres taches de sang, affirme Miiko Yamamura, et l'heure n'est pas aux conflits passés.
- Si je peux me permettre, intervient Joseph, je pense en effet que la discussion sur le sang qui a été versé ou qui le sera pourrait aboutir vers un débat intéressant, mais en tant que candidat aux sélections, je souhaiterai pouvoir affronter la Capitaine. »
Cette dernière arbore un léger sourire. Si June a été surprise par l'identité de son adversaire, en tant que première candidate à se présenter dans l'arène, ce n'est plus le cas pour les suivants. C'est là, la manière dont doit s'achever une participation aux sélections.
Lui lançant un regard vif, Shakalogat demande au grand morgan :
« Selon vous, Joseph Ael Diskaret, qu'est-ce qui vous distingue des autres candidats ? »
Le grand morgan prend quelques secondes pour réfléchir et répondre tout naturellement qu'il s'agit de son expérience. En effet, il est le candidat le plus âgé et Yüljet a songé à la même chose que lui.
Pourtant, ce n'est pas ce que pense la Capitaine.
« Pour moi, c'est la réponse à cette question, sur votre formulaire : si vous étiez une arme, que seriez-vous ? »
Il y a une telle question sur le formulaire d'inscription ? Pour Titan, c'est quelque chose de curieux, mais pas autant que la réponse de Joseph.
« Le savoir.
- Est-ce si différent de l'expérience, selon vous ? demande la Légende.
- L'expérience est vécue, quand le savoir peut prendre diverses formes. Il est aussi la somme de toutes les connaissances intellectuelles que l'on peut accumuler par curiosité ou bien par nécessité. Selon moi, une personne curieuse qui a la volonté d'apprendre ne peut pas être influençable, quand l'ignorance est une faille qui peut mettre des peuples et des personnes à genoux. » explique le grand morgan.
Ça se tient. Après tout, Odrialc'h est la plus grande cité d'Eldarya parce qu'elle accumule bon nombre de savoirs. Ses progrès dans tous les domaines ont fait d'elle la première puissance mondiale et même le peuple des orcs a rompu les liens avec leurs ancêtres barbares et ignorants.
Celui qui sait beaucoup de choses peut être à l'abri de la manipulation, mais encore faut-il pouvoir comprendre ce que l'on apprend. La réponse de Joseph est intéressante.
Mais le temps n'est plus à la discussion : la Capitaine racle son siège et se lève, prête à combattre.
Peut-être qu'elle a hâte de voir l'expérience du grand morgan à l'œuvre mais aussi, ce combat servira certainement d'exutoire à l'affront qui lui a été fait plus tôt. Yüljet ne la pense pas si susceptible, mais il ne doit pas être plaisant pour elle d'être incapable de changer l'Histoire. Les sables rouges des îles du Qi lui colleront à la peau.
« Vous faites partie de la garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash, explique-t-elle à Joseph, mais un ennemi se dresse devant vous. Vous devez le combattre pour la protéger, quitte à mettre votre vie en jeu. »
Bien. Le grand morgan fait chanter son glaive en le tirant de son fourreau avant de se mettre en position de combat. Ce sont des gestes qu'il a dû exécuter un millier de fois et ce que Titan remarque, c'est qu'il déborde de confiance en lui. Contrairement à June, il n'est pas ébranlé par l'identité de son adversaire.
Il est prêt à donner le meilleur de lui-même.Joseph Ael Diskaret contre la Légende
Yüljet a longtemps douté de ce qu'il serait avisé de faire. Elle a hésité à filer pendant que Shawata Maliwe et le couple Brezelour observent l'échange entre Joseph et Shakalogat pour rejoindre la ruelle, non loin de l'herboriste, pourtant elle s'est ravisée.
Elle a bien fait. Si le grand morgan est le vainqueur potentiel des sélections, si c'est lui qui se trouvera dans le grand palais pour protéger Ysul Gra Bolumbash, alors il sera un adversaire redoutable.
Entre lui et la Capitaine, c'est un véritable rapport de force, d'adresse, de connaissances et de techniques qui est en train de se dérouler sous les yeux des spectateurs. Épée longue contre glaive, les armes s'entrechoquent, le métal crie et les tranchants veulent mordre la peau de l'autre.
En réalité, Joseph ne combat pas une seule adversaire, mais plusieurs : il y a la Légende connue de tous, la Capitaine du corps armée d'Odrialc'h dont la réputation et la pédagogie n'est plus à faire, la fille d'Ysul Gra Bolumbash qui tient à recruter le meilleur gardien de l'Obsidienne pour la garde rapprochée de sa mère et la guerrière qui applique les enseignement qu'elle a reçu. Soumettre son adversaire avant de le vaincre.
Mais le grand morgan ne peut pas se permettre de ployer, même face à un mythe vivant. Il se bat pour sa famille. Par amour pour sa femme, son fils et sa fille. Pour la nouvelle vie qui tient tant à leur apporter, même si cela implique d'abandonner une cité et des personnes qu'il aime profondément. Il use de mouvements, de feintes, de jeux de jambes sans jamais quitter Shakalogat de ses yeux d'argent.
On jurerait voir l'océan affronter un brasier. Elle, avec sa peau cuivrée, sa natte de feu virevoltant avec sa silhouette massive comme un fouet rutilant et son regard comme deux morceaux de charbon. Lui, avec sa peau glacée, ses boucles nacrées telles de l'écume et sa volonté de s'acharner contre un véritable roc avec l'ardeur d'une tempête.
Fins observateurs, ils cherchent les failles chez l'autre. Ils filent dans les ouvertures qu'ils décèlent et quand ils sont victimes de feintes, ils parrent avec force. Maintes fois, Joseph a dressé son épée comme un rempart, repoussant l'assaut de son adversaire jusqu'à en user ses muscles.
Dans les gradins, personne n'ose interrompre la danse de guerre. L'arène leur appartient et si certains poussent des exclamations de stupeur, la famille du grand morgan laisse exploser son admiration. June encourage son père en s'agitant comme un jeune sabali. Dès que Joseph parvient à se défendre ou à ruser, elle applaudit avec ferveur et quand Yüljet l'a regardée, elle l'a même vu administrer une tape amicale dans le dos de Fawkes à l'en faire sursauter. Mais le renard-garou n'est pas insensible à l'allégresse des Ael Diskaret, sa cheffe le voit bien.
Pourtant, celui qui se bat contre la Capitaine sera peut-être celui qu'il devra affronter un jour ou l'autre, si c'est Fawkes qui pénètre dans le palais.
Et le cartel se confrontera, alors, à un ennemi puissant.
Dans la salle réservée aux candidats, tout le monde se tait et observe. Yüljet quant à elle, est fascinée. Elle peut comprendre pourquoi le Chef Batatume et les habitants de la cité d'Eel seraient fortement chagrinés que Joseph s'en aille. Si elle vivait entre les murs blancs en tant que citoyenne, elle se sentirait protégée avec un garde civil comme le morgan.
Quant à la mégère, elle peut aussi comprendre pourquoi ceux qui combattent à ses côtés sont si fiers. C'en est presque dommage… La Légende vivante d'Eldarya qui n'est qu'un tas d'argile modelé pour devenir un phare à admirer et rien d'autre. Elle n'est que la somme des enseignements qu'elle a reçus et Titan se demande si un jour, elle a pu entrevoir sa véritable personnalité.
La troll en doute.
« Merci pour cette démonstration, Joseph Ael Diskaret. »
La danse de guerre est terminée. Les armes rejoignent leurs fourreaux et tous les spectateurs semblent revenir à la réalité. Shakalogat et Joseph les ont enfermé dans une bulle qu'ils éclatent, maintenant que leurs échanges se sont achevés.
Les applaudissements qui retentissent sont assourdissants. Un véritable orchestre d'admirateurs déchainés, subjugués par un affrontement qu'ils ne verront qu'une seule fois dans leur vie.
Parmi eux, les visages de Cristal, June et Helouri sont rayonnants. Le jeune morgan s'est transformé, tout à fait différent de celui qui avait voulu s'immerger dans un bassin des jardins de la musique. Il couvre le milieu de l'arène d'un regard émerveillé et si Titan sait qu'il est véritablement heureux pour son père, elle se demande aussi si la Capitaine le fascine encore.
Titan pousse un soupir discret et s'adosse de nouveau contre l'armature métallique des gradins. Depuis combien de temps est-elle là, derrière les lourds rideaux, à se tenir debout dans ce petit espace avec cette brèche qui lui permet de guetter l'extérieur ?
Elle restera ici jusqu'à la fin des sélections. Jusqu'à ce que Katel'li et Byrnrael Brezelour finissent leurs tours et ensuite, elle disparaitra.
La dernière ligne droite avant de quitter la cité d'Eel.
Voilà. Dans l'arène, le temps est aux remerciements et le prochain candidat sera appelé. Leurs performances intéressent beaucoup moins la troll. Parmi les quatres gardiens de l'Obsidienne participant aux sélections, Joseph restera le meilleur. Le meilleur par son expérience, par la manière dont il est considéré par autrui, mais aussi par ses propres convictions. Sa famille est le centre de son univers, cela crève les yeux, et par amour pour elle, il est capable de prodiges.
Si quelqu'un se dresse entre lui et elle, alors il sera dangereux et ça, Titan ne l'oubliera pas.
Elle clôt ses yeux noirs.
À présent, elle s'enferme dans une autre bulle et elle songe aux fées Milliget. Juste avant de quitter la cité d'Eel, elle attendra Alajéa Edam et elle lui demandera de poser quelques questions aux fées.
Yüljet plaidera la curiosité, mais elle sait que la sirène n'est pas idiote. Elle peut penser ce qu'elle veut, tant qu'elle ne considère pas cette troll indiscrète comme la membre d'un cartel, par exemple. Il faudra se montrer prudente, mais Titan prendra toutes les précautions nécessaires. L'occasion est beaucoup trop belle pour qu'elle puisse passer à côté.
Mais que peut-elle demander ?
Elle revoit leurs visages. Cet essaim qui a filé depuis la fenêtre du manoir de Maximilien Ville de Fer, à Rhenia-Gaear, lorsque le corps de Fuya a chuté. Elle attrappe une peau blafarde, des cheveux couleur saphir, le visage innocent et surpris de Sira, sa voix quand il a murmuré Apotheosis, la bouche de Shelma qui s'ouvre grand et sa trompe qui file comme un prédateur, la neige qui tombe pour mieux les traquer, elle et Fuya…
Les fées Milliget sont les maîtres de la médecine, les propriétaires de la plus grande prison d'Eldarya, sur l'île Zéro, au-delà de leur frontière près de Rhenia-Gaear. Elles mangent de la chair faerienne et ce sont des êtres hermaphrodites capables de s'auto-féconder, sauf pour l'anomalie qui ne possède qu'un seul sexe. C'est ce que dit le rapport de Fuya.
Tiant ouvre les yeux. Un coup d'œil dans la salle réservée aux candidats et elle s'aperçoit que c'est Byrnrael Brezelour qui se tient dans l'arène. Joseph est revenu et à repris place sur le banc, pensif. Il est en nage, mais il semble plus apaisé qu'avant son passage face à la Capitaine, comme s'il venait de prendre une bonne décision.
Voilà. Les questions commencent à naître dans l'esprit de la troll. Quand elle revit les instants passés à Rhenia-Gaear, quand elle se revoit postée près de la frontière des Milliget, avec Nash, elle sait ce qu'elle veut demander.
Ce qui est important, c'est de connaître les véritables motivations des fées. Malgré ce qu'il s'est passé, Yüljet retient que certaines personnes vouent une admiration sans bornes à ces créatures, comme Alajéa et Ewelein. De plus, elle n'oublie pas la lettre que Sira a écrite à Sheraz. Et si les Milliget étaient contre la conquête terrienne ? Non. Pourquoi détiendraient-ils des êtres humains, alors ?
Titan réprime un sifflement agacé. Des êtres complexes, que ces créatures voraces !
Mais ce qu'elle veut savoir, c'est qui ils sont, d'où ils viennent et ce qu'ils veulent. Les fées ont-elles fait partie du grand exil ou bien étaient-elles déjà présentes sur Eldarya à l'image des purrekos et des kobolds ?
Hormis les Milliget, combien sont-elles ? Si chaque fée - sauf l'anomalie - peut engendrer neuf enfants, alors combien de familles se cachent derrière la frontière ? Si les prisonniers de l'île Zéro représentent leur seul et unique garde-manger, alors les fées doivent rester peu nombreuses.
Ça y est. Byrnrael a terminé son tour et à présent, c'est son mari qui se présente dans l'arène.
Aussi et d'après les informations que Yüljet réuni mentalement, les Milliget sont la seule fortune d'Eldarya à ne prendre part à aucun financement concernant Eel et Odrialc'h. Les Mircalla soutiennent la Garde de l'Ombre, dirigée par leur fils unique, les Alfirin doivent participer à grande échelle au sein du palais d'Odrialc'h, mais qu'en est-il des Milliget ?
Et quels liens entretiennent-ils avec les autres grandes familles d'Eldarya ?
Sira et Sheraz sont amis, c'est un fait. Mais les autres ?
Et pour finir, quel est leur avis sur les sols infertiles du monde ? Alajéa avait dit que sa volonté de venir étudier à Eel et d'entrer dans l'Absynthe faisait suite à sa conversation avec Delta Milliget, au sein de l'Ulcère. Mais jusqu'où les fées soutiennent-elles cette cause, si c'est vraiment le cas ?
Titan ignore si elle aura la réponse à toutes ces questions, un jour, mais avant de quitter les lieux, elle peut toujours tenter d'en poser quelques-unes. Que la mission de Fuya n'ait pas servi à rien et que le cartel puisse comprendre les motivations qui animent ces créatures.
D'après la sirène, Sira a caché la lettre qu'il écrivait à son frère, lorsqu'il était au manoir. Pourquoi ?
Et si comprendre le lien entre la fée et Sheraz serait une bonne solution ?
Que les candidats aux sélections s'avancent dans l'arène.
Et si tout cela ne servait à rien ? Et si les fées n'étaient pas la clé d'une énigme complexe, mais simplement des ennemis sauvages ? Et si l'entreprise de Yüljet ne menait nulle part ?
Elle inspire profondément. Machinalement, elle tourne la tête vers la brèche que lui offre le lourd rideau et elle attrape June en train de descendre les gradins.
Shakalogat s'est levée. Les mains derrière le dos, elle attend que les candidats se réunissent en une ligne digne.
« Vous n'étiez pas censée quitter la pièce réservée aux candidats. » dit-elle à June d'un ton sévère.
La jeune faerienne se gratte l'arrière du crâne, penaude, expliquant qu'elle voulait soutenir son père auprès de sa famille. Qu'importe, la Capitaine s'apprête à annoncer le vainqueur des sélections.
De là où elle est, Titan quitte sa cachette. Sa main brune attrape l'épais tissu et ses pieds la mènent doucement vers la sortie de la pièce. Mais les deux gardes sont toujours postés à l'entrée, fidèles à leur rôle.
Le vainqueur des sélections pour la garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash est…
Elle pourrait les assommer. Si elle le faisait, alors il ne lui resterait plus qu'à se précipiter vers la ruelle non loin de l'herboriste, à attendre Fawkes, Fuya et Rose. Mais la cité d'Eel finirait par être mise en alerte, une fois les corps inconscients des deux faeriens découverts.
Et Titan a besoin de rencontrer Alajéa avant de partir.
Elle grimace puis, à contrecoeur, retourne se terrer derrière le lourd rideau pour s'adosser contre l'armature métallique des gradins. Une fois que le nom du vainqueur sera connu, alors elle attendra que l'entrée se vide de ses gardes.
... Joseph Ael Diskaret.Les Choix
Avant de quitter définitivement la cité d'Eel, Yüljet veut s'entretenir avec Alajéa afin que cette dernière puisse poser des questions aux fées Milliget lors de son audience avec ces dernières. C'est là une bonne occasion d'en apprendre plus sur elles.
Pour ce faire, Yüljet a déjà listé mentalement une série de questions que voici :
➜ Les fées sont-elles arrivées lors du grand exil ou bien étaient-elles déjà présentes sur Eldarya, à l'image des purrekos et des kobolds ?
➜ Hormis les Milliget, combien de familles de fées se cachent derrière la frontière ?
➜ Les Milliget étant l'une des trois plus grosses fortune d'Eldarya, que finance cette famille ? (sachant que les Mircalla soutiennent la Garde de l'Ombre et que les Alfirin vivent au palais d'Odrialc'h et participent très certainement aux frais).
➜ Quels liens les Milliget entretiennent-ils avec les autres grandes familles d'Eldarya ? (Mircalla, Alfirin, Fenghuang, Yamamura)
➜ Quel est leur avis sur les sols infertiles d'Eldarya ?
Cette liste de questions est non exhaustive. Vous êtes tout à fait libres de proposer d'autres questions et / ou de soutenir celles proposées par vos camarades aventuriers.
Vous devrez voter pour trois questions que Yüljet partagera à Alajéa.
MayaShiz, Waïtikka et ZuzoHyo, pas de choix personnel pour vous !
Note del'Auteur
Bien le bonjour à vous ! J'espère que vous allez bien et que vous êtes prêts pour le chapitre vingt-deux.
Comme je l'ai dit à certains d'entre vous lors de mes réponses à commentaires, sur le chapitre précédent, nous quittons les eaux claires et nous commençons à nous enfoncer dans les abysses. Qu'allez-vous y trouver ? Vous verrez bien.
Aussi, de nouvelles formes de choix ne vont pas tarder à apparaître, et j'espres qu'elles vous plairont ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 22 - L'Échantillon Numéro Onze
Est-ce que c'est pour ce sourire énigmatique qu'elle a attendu ? Est-ce que c'est pour regarder ces yeux couleur dragés se plisser, la fixer ou la narguer, peut-être, avec cette lueur qui semble dire je sais tout ? Yüljet serait menteuse si elle songeait qu'en cet instant, elle ne doute pas.
Après un très long moment à être restée terrée derrière le lourd rideau de la pièce réservée aux candidats, à avoir le dos meurtri par les armatures des gradins, la voilà enfin à l'air libre.
Telle une vermine patiente, elle s'était décidée à guetter le départ des candidats, du public, des juges, des guetteurs, puis des gardes devant sa seule et unique sortie. Tout ceci dans le but de retrouver Alajéa Edam, à propos des fées.
Titan a pu penser aux questions qu'elle veut poser. Elles ont été nombreuses à tourner dans son esprit, mais trois en particulier ont retenu son attention, dont une qui fait sens avec les convictions de la sirène : si d'après cette dernière, Delta Milliget semble profondément préoccupée par l'état du monde, alors pourquoi ne pas financer la Garde Absynthe ?
Yüljet se le demande. Si Ezarel Sequoïa avait le soutien des Milliget, les choses seraient plus faciles pour lui et la troll doute fortement que qui que ce soit lui mettrait des bâtons dans les roues, après cela. Mais peut-être que les fées ne peuvent tout simplement pas montrer leur soutien pour la tâche colossale du Chef de la Garde Absynthe au grand jour…
C'est une hypothèse, mais Yüljet aimerait beaucoup que cette question puisse avoir une réponse ou au moins un élément de réponse.
« Je peux constater que les nouvelles vont très vite, remarque Alajéa, à croire que les sélections n'ont pas captivés tous les esprits. »
D'ailleurs et pour cette occasion, la sirène s'est parée d'une robe d'un bleu persan dont les drapés affichent des plumes de bronze. Elle a abandonné ses chignons pour laisser sa chevelure couler sur ses épaules et plantée face à Yüljet, les bras croisés sur sa poitrine, elle accueille sa demande avec un sourire sibyllin aux lèvres.
Titan sait que Fawkes, Fuya et Rose l'attendent dans la ruelle, non loin de l'herboriste, mais elle est décidée à tout tenter pour obtenir des informations sur les fées Milliget.
Une fois les gradins vidés et le kiosque central privé de toute présence faerienne, elle a quitté sa cachette pour se mettre en quête d'Alajéa Edam. Titan s'était fait la réflexion qu'elle la trouverait certainement auprès de Purreru et elle a eu raison.
Les purrekos se fichent bien d'événements tels que les sélections. De ce fait, comme lors d'une journée parfaitement ordinaire, Purreru s'est occupé de ses précieux familiers. Ses magnifiques alfelis, par exemple.
Bien entendu et en cet instant, il a l'oreille tendue vers la conversation entre Yüljet et Alajéa, mais la troll s'en moque. Pour obtenir les réponses glanées par la sirène, elle aura besoin des purrekos de toute manière.
« J'ai entendu parler de l'audience que vous avez demandé auprès des Milliget, explique Titan, car la venue des fées à Eel est un sujet qui ne peut pas être ignoré lorsqu'on l'entend au sein d'une conversation. Pareil pour votre ancien statut.
- Mon ancien statut n'est un secret pour personne. En revanche, la venue des Milliget n'est pas encore sur toutes les lèvres. Vous avez dû écouter une conversation très intéressante. »
Yüljet ne lui répond pas. Alajéa n'a pas besoin de savoir quel genre de conversation elle a bien pu entendre. De toute façon, la sirène s'en moque et passe à autre chose.
Tout le monde a ses petits secrets.
Elle se dirige vers sa table en fer forgé, puis tire la chaise pour s'y installer. Elle fait signe à Titan de l'imiter. Avec des gestes lents et un calme religieux, elle se prépare une infusion de lavande.
« Est-ce que vous voulez boire une infusion en ma compagnie ? » propose-t-elle avec un doux sourire.
Mais Yüljet ne peut pas accepter. On l'attend et dans quelques heures, elle doit impérativement quitter la cité d'Eel.
Tant pis. Alajéa joint les mains autour de sa tasse et déclare d'un ton serein :
« Bien. Puisque vous n'êtes venue que pour vos questions, je vous écoute : qu'espérez-vous apprendre sur la famille Milliget ? »
Titan plisse ses yeux sombres. Elle hésite un instant, incertaine quant à l'attitude de la sirène, puis demande :
« Vous ne voulez pas savoir pourquoi je m'intéresse aux Milliget ?
- Tout le monde s'intéresse aux Milliget, réplique Alajéa, et c'est normal : des trois plus grandes fortunes d'Eldarya, c'est la seule famille qui ne se montre pas régulièrement en public. Il est difficile de les approcher. Beaucoup de personnes aimeraient en apprendre plus sur eux, et je ne peux pas leur en vouloir. De plus… »
Elle boit une gorgée de son infusion, puis repose sa tasse avec délicatesse.
« … Si vos questions ne me plaisent pas, je ne les aborderai pas avec les Milliget.
- Ça me semble logique. » approuve Yüljet.
Alors elle se lance et elle commence par la première : pourquoi les Milliget ne financent-ils par la garde Absynthe pour lui permettre de poursuivre ses recherches sur l'infertilité des sols ?
Quand elle évoque cela, le visage de la sirène arbore un sérieux sans pareil. Ses sourcils nacrés se froncent et ses prunelles roses plongent dans celles de Titan. Cette dernière ressent un frisson courir le long de sa colonne, tant elle a la sensation qu'Alajéa est en train de lire dans ses pensées.
« C'est une question intéressante… » souffle-t-elle, songeuse.
Elle avale une nouvelle gorgée d'infusion, puis réfléchit à voix haute :
« Il est vrai que les Milliget auraient les moyens de soutenir la Garde Absynthe. De plus, ils partagent l'idéal de sols fertiles et d'un monde qui peut revivre enfin.
- Mais ça, c'est ce que vous a dit Delta Milliget lorsque vous l'avez rencontrée dans l'Ulcère. Qui peut vous affirmer qu'elle et ses enfants ont réellement foi en ces idées ? »
Nouveau sourire énigmatique. Titan ignore si elle parvient à l'apprécier ou non, tout comme Alajéa elle-même. Peut-être aurait-il fallu qu'elle soit réellement une idiote.
« Rien ni personne, répond-t-elle, mais je la crois.
- Vous la croyez ? » raille la troll.
La sirène avance le buste, ses longs cheveux nacrés coulant sur ses épaules, puis souffle avec conviction :
« Oui, je la crois. Mais contrairement à bon nombre de faeriens qui marchent sur notre joli monde et boivent les paroles de la Capitaine, je ne fais pas partie de ceux-là. J'ai écouté Delta et j'ai ressenti de la sincérité dans ses mots. Sincérité que je ne retrouve pas dans ceux que peut prononcer celle que l'on appelle "La Légende". »
Un froid est en train de s'installer. Estomaquée, Titan ouvre de grands yeux et fixe la sirène comme si elle venait de se transformer en orc. La paix royale qui l'auréole disparaît avec ses paroles, mais revient lorsqu'elle avale le fond de sa tasse. Son visage si dur se fend d'un nouveau sourire. Glacial, celui-ci.
« Pourquoi me dire tout ça ? argue Yüljet.
- Vous n'avez pas d'autres questions concernant les Milliget ?
- Après. Il y a des personnes qui vous auraient insulté pour les paroles que vous avez eu. Alors je répète : pourquoi me dire tout ça ? »
L'odeur de la lavande se déploie à nouveau comme un pollen invisible. Alajéa s'est saisie de sa théière pour se verser une seconde rasade d'infusion, sans jamais quitter la troll de ses yeux roses. Elle reste muette pendant quelques secondes, avant d'avouer :
« Lorsque la Capitaine est arrivée, j'ai été emportée par la foule, mais vous m'avez attrapé la main. Ensuite, vous êtes parti dans une ruelle, plutôt que d'assister à l'accident qui avait eu lieu. Vous n'aimez pas trop la foule, c'est que vous m'avez fait comprendre la dernière fois. Cependant, lorsque la Légende apparaît quelque part, personne ne se cache vous savez, parce que tout le monde voudrait devenir le centre de son attention. Enfin… seulement ceux qui lui vouent un culte. »
Penchant la tête sur le côté, elle poursuit avec un regard amusé :
« Je ne vous vois que très rarement sur le marché. Je ne vous ai jamais croisé dans la rue, d'ailleurs, sauf quand nous nous sommes rencontrées de nouveau après l'accident sur le port. De plus, je ne vous ai pas vu assister aux sélections non plus. Personne ne manque les sélections, pourtant, même les rares personnes qui ne s'y intéressent pas, comme le Chef Sequoïa par exemple. Il a mieux à faire.
- Et vous ? Qu'est-ce que vous y faisiez ?
- Qui vous dit que j'y ai assisté ? Vous n'y étiez pas. »
Touchée. Titan se crispe, mais reprend vite le contrôle d'elle-même. Il est hors de question qu'une éleveuse de familiers un petit peu trop observatrice ne s'amuse à la démasquer.
« Je ne cherche pas à vous embarrasser, reprend Alajéa comme si elle sentait son trouble. Seulement et à la lumière de toutes ces observations, j'ai simplement pensé que vous pourriez entendre mon point de vue. À moins que je me sois trompée et que vous soyez une grande admiratrice de la Capitaine. »
Non, elle a parfaitement raison. Mais Yüljet n'est pas venue la voir pour aborder cette question. D'ailleurs, était-ce réellement une bonne idée de venir discuter avec Alajéa, même si l'opportunité en vaut largement la chandelle ?
En tant que cheffe du cartel des Typhons, l'analyse de la sirène est une véritable menace. Lors de leur première rencontre, qu'est-ce que cette dernière a pu remarquer de si particulier dans sa personne, pour qu'elle puisse la chercher parmi la foule de la cité d'Eel ?
Titan craint qu'elle ait compris, mais c'est absurde : hormis la Capitaine qui connaît son visage, seules les personnes faisant elle-même partie des bas-quartiers d'Odrialc'h savent qui elle est. Même si Alajéa est originaire de la plus grande cité d'Eldarya, son ancien statut ne lui aurait sûrement pas permis d'approcher la plèbe qui compose les cartels, les fumeurs de tap ainsi que d'autres joyeux personnages de ce genre.
Peut-être que la sirène a déjà entendu parler de Titan, cheffe des Typhons, mais même si c'est le cas, il lui serait impossible de faire le rapprochement entre ce nom et le visage de son interlocutrice. Pas sans de bonnes informations.
« Vous vous amusez à chercher certaines personnes parmi la foule ? lance Titan.
- Seulement les visages que je connais ou que j'apprécie. Il n'y a pas de mal à ça.
- Vous ne me connaissez pas.
- En effet. »
Yüljet soupire après cette conversation qui devient ridicule, à ses yeux. Alajéa n'est pas idiote et c'est un fait qu'elle a pu établir lors de leur dernière conversation, où elle obtenu de précieuses informations sur l'existence de l'Ulcère, mais son côté énigmatique et observateur lui suscite toujours beaucoup de méfiance. Peut-être que la sirène fait partie des personnes qui apprécient de regarder les gens marcher dans la rue, mais cela reste étrange.
« Si je vous dis que nous partageons le même point de vue sur la Capitaine, demande Yüljet pour recentrer la discussion, qu'est-ce que ça pourrait changer ?
- Notre échange, répond Alajéa, car il est beaucoup plus agréable de pouvoir parler librement. Malheureusement, quand la majeure partie des gens vouent un culte à des personnes ou des idées, c'est une entreprise difficile. J'ajouterais même le mot "pénible". Enfin… vous avez d'autres questions concernant les Milliget, je crois. »
Avec un sourire, elle invite Titan à parler. En effet et après l'interrogation qu'elle a eu sur le soutien des fées du sang vis-à-vis de la Garde Absynthe, elle se demande quel genre de lien les fées peuvent bien partager avec les autres grandes familles d'Eldarya.
Mircalla, Alfirin, Fenghuang, Yamamura… que pensent les Milliget de tous ces honorables noms ?
C'est ce que Yüljet demande à Alajéa. Cette dernière soupire en vidant sa tasse. La réponse est sûrement vaste…
« Je ne sais pas s'ils me diront quelque chose à ce sujet et s'ils le font, si ce sera la vérité. Vous savez, aux sélections, il y avait Ciryandil Alfirin. Personne ne l'attendait, mais tout le monde était content de la voir. Elle s'est assise auprès des Mircalla bien entendu, et à les regarder, ils semblaient s'entendre à merveille. Je ne serais pas surprise si ce n'était qu'une façade. »
Elle hausse les épaules et lisse distraitement une mèche de ses cheveux nacrés.
« Je peux tout de même tenter. Même si les Milliget me disent des mensonges, ce pourra toujours être intéressant.
- Vous pensez que dans le monde des grandes familles, tout le monde se déteste ? interroge Titan qui elle, n'en doute pas.
- Pas plus que dans le monde des petits gens. Seulement, vu qu'il y a plus de richesses et de pouvoirs, il y a de plus grands intérêts à envier et à défendre, alors tout le monde se méfie et sauve les apparences. »
La troll hoche la tête. C'est un bon résumé de la vie faerienne et la réponse des Milliget pourra apporter un petit peu de lumière sur leur place parmi ce chaos. Eux qui vivent derrière leur frontière et qui ne se mêlent que très peu au monde extérieur, est-ce qu'ils cherchent à fuir toute cette fourberie trop fortunée ?
Qu'ont-ils à protéger ou peut-être à envier ?
Yüljet verra bien quand elle obtiendra une réponse. Vérité ou mensonge, elle y réfléchira le moment venu.
Quant à sa dernière question, elle prend le temps de la formuler correctement. Elle qui n'a pas été vue aux sélections par Alajéa, elle n'est pas censée connaître les détails de la discussion entre Joseph Ael Diskaret et Shakalogat.
Titan se recule contre le dossier de sa chaise et souffle par le nez. Elle réfléchit.
« Vous avez un visage intéressant. » lance soudain la sirène.
Surprise, la troll fronce les sourcils.
« Pardon ?
- Je disais, reprend Alajéa d'une voix sereine, que vous avez un visage intéressant. J'aime beaucoup regarder les visages. J'ai tendance à les voir comme des livres. Des romans d'une vie avec des couvertures innombrables. Et quand je regarde votre visage, il m'évoque l'image d'un bouclier. »
Yüljet s'était attendue à ce que la sirène termine ses élucubrations par l'image d'une face d'homme, si bien qu'une réplique tranchante avait déjà vu le jour dans son esprit.
Fascination des visages. Bouclier. La troll ne sait pas où la sirène veut en venir, mais ces informations lui importent peu.
Face à elle, Alajéa semble ravie d'avoir partagé sa pensée. Cependant, sa figure perd de sa lumière lorsque Titan recentre la conversation une nouvelle fois :
« J'ai entendu dire que le sujet des humains avait été évoqué pendant les sélections. Est-ce que c'est vrai ? »
Bien entendu, que ça l'est. Seulement, Yüljet voudrait qu'une question bien précise puisse être posée aux Milliget. Que pensent-ils des paroles de Joseph ? Que pensent-ils d'une potentielle invasion humaine et des êtres humains en général ? Font-ils partie des personnes qui s'en moquent ou bien de celles qui les haïssent ?
La troll penche plutôt pour la seconde option. Quelles créatures amoureuses de l'espèce humaine s'amuseraient à les transformer en sujet d'étude et à prélever leur sang ?
« C'est la vérité. » affirme Alajéa.
Elle lui raconte le passage de Joseph aux sélections et sa vision de la vie, mais aussi l'échange houleux qui a eu lieu entre Leiftan et la Légende. Bien qu'elle ait connaissance de tout cela, Yüljet écoute attentivement la sirène.
Délaissant sa tasse et ses infusions de lavande, Alajéa a croisé les bras sur sa poitrine. Lorsqu'elle achève son récit, Titan lui demande :
« Que penseraient les Milliget de la pensée de Joseph, selon vous ?
- C'est une question que vous voudriez que je leur pose ? »
En effet. Leur point de vue sur les humains est très important et à la lumière de ces informations, le cartel des Typhons pourra déjà se targuer d'avoir des détails non négligeable sur leur puissant ennemi.
Titan hoche la tête. Le silence commence à s'installer entre les deux faeriennes et Yüljet songe au départ imminent vers la cité d'Odrialc'h. Une véritable libération, mais avec d'autres soucis qui l'attendront à son arrivée.
Elle doit rejoindre Fawkes, Fuya et Rose à présent.
Les réponses obtenues par Alajéa, après son audience avec les Milliget, seront transmises à Purriva sous forme de message qui lui sera délivré et bien entendu, Titan paiera pour le service.
Yüljet racle sa chaise et se met debout.
« Vous partez ? l'interroge la sirène.
- J'ai à faire. Merci beaucoup pour les questions que vous poserez aux fées du sang.
- Arrêtez de les appeler comme ça. »
La troll ne dit rien, mais le regard qu'elle pose sur son interlocutrice traduit à lui seul, tout ce qu'elle peut penser des fées. La sirène peut mépriser, comme elle, ceux qui vouent un culte à la Capitaine, mais en fin de compte, elle n'est pas si différente.
Il y a la Légende et il y a les Maîtres de la Médecine.
Néanmoins, Titan espère qu'Alajéa ne sera jamais témoin d'un festin qui s'est transformé en carnage à coups de trompes et de dents acérées, comme l'a été Fuya.
Alors qu'elle tourne les talons, la sirène lui lance en guise d'au revoir :
« La prochaine fois, prenez le temps de boire une infusion. »
Mais Titan est bien incapable de déterminer s'il y aura une prochaine fois. Aujourd'hui elle quitte Eel, mais le danger, lui, la suit où qu'elle aille.La Thème de Yüljet
Quand Titan atteint la ruelle, ils sont déjà là.
Fawkes, Fuya et Rose, silencieux et l'air grave. Si la tension entre le renard-garou et la sirène est toujours palpable, leurs visages inquiets alarment Yüljet qui sent ses entrailles se contracter.
Adossés contre le mur, leurs regards se tournent immédiatement vers leur cheffe et le soulagement se lit dans celui de Fuya.
« Cheffe ! » l'accueille-t-elle avec un sourire.
Elle semble toujours aussi fatiguée, mais Titan devine qu'elle attend le départ avec beaucoup d'impatience. Plus encore le retour à la planque, auprès de Sexta.
« J'ai eu une affaire à régler, s'explique la troll, nous en parlerons une fois sur le bateau. Vous me ferez vos rapports pendant le voyage également. Pour le moment, nous avons un problème.
- Si c'est le même que le nôtre, alors il s'appelle Fuya Pyle. » intervient Fawkes.
La sirène grimace et Titan se fige. L'angoisse nichée dans sa poitrine se met à grandir quand elle ne peut que constater que ce Fuya Pyle se joue d'eux, jusqu'à avoir orchestré son plan douteux de manière à ce que les membres du cartel des Typhons puissent être au courant de son existence. Pas seulement leur cheffe, terrée sous les gradins, dans la pièce réservée aux candidats, mais aussi les autres Typhons assistant religieusement aux sélections sous des noms d'emprunt.
« Quand un guetteur est venu m'interroger à propos de personnes suspectes, explique le renard-garou, il m'a dit que mon ami Fuya Pyle s'excusait d'avoir quitté les gradins et m'attendait à l'endroit habituel. J'ai pas compris sur le coup, car Fuya était assise dans les gradins face aux miens, à côté de l'assistant d'Ewelein. Mais j'ai fait semblant de savoir de qui il parlait et quand les sélections se sont finies, je suis venu directement ici. L'endroit habituel, ça pouvait être que ça et j'ai eu raison. »
Fawkes tend le bras. Il tient un cylindre crypté. Plus épais que la moyenne, Yüljet se fait la réflexion qu'il ne contient pas qu'un rouleau de parchemin, à l'image de tous ceux que le cartel des Typhons utilise.
« Nous t'avons attendu pour l'ouvrir, intervient Rose, car même si nous l'avons examiné, ce peut toujours être un piège. Cependant, le mot de passe du cylindre est troublant.
- Troublant ? »
C'est la situation toute entière, qui est troublante. À la vue du cylindre, Titan a songé à un piège, elle aussi. Néanmoins, cette mascarade finement ficelée ressemble à une prise de contact.
Si elle doit y porter toute son attention, Yüljet veut déterminer si celui qui se dissimule sous le nom de Fuya est un ennemi aussi dangereux que les fées. Ou peut-être un allié.
Déroulant le petit morceau de parchemin qui accompagne le cylindre, Rose lit les indications concernant le mot de passe :
« Le prénom de celui que vous avez perdu. »
Interdite, Titan ouvre la bouche de stupeur. Nash. Fuya Pyle sait déjà que l'un des membres du cartel des Typhons se trouve entre les mains des Milliget.
Comment ?
« Cheffe, je sais que ça a l'air d'un piège, mais on ne peut pas l'ignorer, affirme Fuya, si cette personne emprunte mon nom, ce n'est pas hasard.
- Dans ton rapport sur les présences humaines, tu disais que tu étais suivie.
- Et je pense que c'est la même personne. Elle m'avait suivie depuis les îles du Qi jusqu'ici et je suis toujours certaine que c'était un traqueur d'informations. »
Ce que dit la sirène est juste et Yüljet y a pensé aussi. Si vraiment Fuya a été suivie par un traqueur d'informations qui se manifeste aujourd'hui, alors le cartel doit connaître ses intentions pour mieux lui faire face.
Sa décision est prise. Tendant la main, elle demande à Fawkes de lui remettre le rouleau et si le renard-garou est d'abord hésitant, il s'exécute.
Sans attendre, Titan inscrit le prénom de Nash sur le mécanisme qui se déverrouille avec un cliquetis.
Pas de liquide douteux ni de piège pour le moment. La troll plonge la main dans les entrailles du grand cylindre pour en extirper un parchemin, mais aussi un présent plus sordide.
« Quoi ? » souffle Fawkes.
Entre les doigts bruns de la Cheffe du cartel des Typhons, se trouve une mèche de cheveux blonds.
Lisses, ternes, ils se balancent avec lenteur, malmenés par la brise délicate de la cité blanche. À vrai dire, ils ressemblent à un seul homme, un pendu en train de tanguer au bout d'une cordelette. Un pendu étiqueté.
Fronçant les sourcils, le coeur battant, Yüljet s'empresse d'en connaître le contenu :
« Échantillon numéro onze. Ragnarok, secteur quinze. À transférer sur le continent du Beryx. Sujet humain Yeva. Femelle. Vingt-neuf. Sujet sain. »
Un poids immense chute dans les entrailles de Titan. Ses yeux noirs quittent l'étiquette pour s'agripper à la mèche de cheveux humains.
Fawkes, Fuya et Rose ne disent plus rien. Ils frissonnent, comme si l'air d'Eel s'était transformé en courants glacés des Terres Gelées du grand nord.
D'un geste presque doux, la sirène lève un doigt pour venir effleurer ce qui avait appartenu, fut un temps, au sujet humain Yeva.
« Que dit le parchemin ? » souffle Rose.
Revenant à elle, Yüljet reporte son attention sur le contenu du cylindre et se saisit du morceau de papier qu'elle déroule.
Attentive à sa lecture, elle sent le sol se dérober sous ses pieds après chaque lettre, chaque mot, chaque virgule.
Non. Elle en est certaine. Fuya Pyle n'est pas un traqueur d'informations. Il est plus malin que cela et il a su choisir son maître.
Ennemi. Allié. Mission. Fardeau. Pourqu…
« Alors ? » s'impatiente Fawkes.
Yüljet lui tend le parchemin et quand il en prend connaissance, elle peut voir son teint devenir livide. Une fois sa lecture achevée, c'est au tour de Rose de s'y atteler, puis de Fuya.
Leur silence est unanime.
Titan ferme brièvement les yeux, soufflant doucement pour contrôler sa respiration. Enfin, elle se reprend puis lance d'une voix ferme.
« Je pense que nous sommes tous d'accord. »
Les regards sont volontaires. Déterminés.
Fuya Pyle aura ce qu'il veut, mais la contrepartie devra être conséquente. Peut-être que le cartel des Typhons se lance à corps perdu dans des abysses aussi sombres que la sauvagerie d'une fée, mais il doit savoir.
D'un geste machinal, Yüljet enroule la mèche de cheveux blonds autour d'un de ses doigts avant de la remettre à l'intérieur du cylindre.
« Partons. » ordonne-t-elle.
Le bateau qui les ramènera à Odrialc'h sonnera la fin de la prison blanche, mais le début d'une nouvelle malédiction.***Jens Red, Ellen Price, Rose Clarimonde, Titan,
J'espère que les sélections vous ont plu et que le vainqueur est à la hauteur de vos attentes. Navré pour ma petite intervention, mais comme vous le savez : il n'est pas aisé de quitter Eel quand la Capitaine est présente.
Je sais que vous vous en sortirez. Vous le devez, car vous avez une mission.
Moi aussi, j'ai cherché des réponses à la cause que vous défendez. J'ai été les chercher là où vous voulez vous rendre pour sauver Sheraz Alfirin, mais je n'ai pas pu aller jusqu'au bout.
Le palais est impénétrable et même l'Ulcère ne vous aidera pas.
Le temps joue contre vous et Sheraz n'est pas éternel : il lui reste deux ans, ne l'oubliez pas. Il n'y a qu'un seul moyen d'entrer dans le palais et tu sais déjà lequel, Titan.
Purral et Purriry t'ont fait une proposition que tu as refusée. C'est dommage. Leur client, c'est moi.
Moi aussi, je dois aller sauver Sheraz, mais ce n'est pas lui qui m'a engagé : mon maître, à moi, a des ailes dans le dos.
Il a eu connaissance de ce que Sheraz a entrepris dans une lettre qu'il a reçue de sa part. Mais vous le savez déjà car je suis certain que tout ceci est déjà écrit dans le rapport de la demoiselle Ellen Price.
Dans cinq jours, je serai sur la Place des Échanges, dans notre belle cité d'Odrialc'h. Si vous pensez être capables de m'avoir pour allié, alors trouvez-moi.
C'est simple : Jens Red, mon cher ami, a eu de petites indications sur ma modeste personne.
Trouvez-moi et soyez prêts à sacrifier tout ce que vous pouvez pour votre mission.
Il ne s'agit pas que de Sheraz.
J'espère que le petit cadeau qui accompagne mon message vous plait. Je l'ai prélevé directement sur le crâne du sujet humain il y a deux ans.
Dans le Ragnarok, secteur 15.
Fuya PyleLes Choix
Yüljet, Fuya et Fawkes quittent enfin la cité d'Eel. Dans trois jours, ils rentreront à Odrialc'h et regagneront la planque du cartel des Typhons.
Cependant et avant leur départ, ils ont pu faire la lumière sur ce mystérieux Fuya Pyle qui leur a laissé un message. Il les invite à se rendre sur la Place des Échanges, dans cinq jours, afin de le retrouver.
Selon lui, Fawkes aurait reçu quelques indications qui permettrait de le trouver et si le renard-garou compte bien les partager, il faut tout de même décider des membres du cartel qui iront à cette rencontre.
En tant que cheffe, Titan compte mener cette opération, mais qui devrait l'accompagner ?
Ici, vous devez choisir les deux membres du cartel des Typhons qui accompagneront Titan. Cela aura une grande incidence sur la rencontre en elle-même, mais aussi la prise de contact avec "Fuya Pyle" lorsque vous le trouverez (et si vous réussissez à le trouver).
Pour vous aider, j'ai mis quelques petites informations à côté des noms.
➜ Fawkes (il est celui qui a reçu les indices pour trouver Fuya Pyle. Fawkes est expert en infiltration.)
➜ Fuya Pyle (Experte en infiltration et traqueuse d'informations. Fuya est actuellement traumatisée par les fées et fatiguée de sa dernière mission, mais elle est déterminée à retourner oeuvrer pour le cartel.)
➜ Sexta Stoker (Trésorière du cartel. Principale négociante dans les Abysses et a une réputation redoutable dans les bas quartiers d'Odrialc'h.)
➜ Ryan Qilin (Experte en poison et génie en alchimie. Ryan est connue pour son tempérament très calme et sa discrétion, au sein des Abysses et du cartel.)
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Le voyage en bateau vers Odrialc'h vient de commencer. Pour le moment, Fawkes, Fuya et Titan se reposent et le temps des rapports viendra après.
Ce peut-être une occasion pour le renard-garou de se réconcilier avec la sirène.
Lorsque tu sera prêt, viens me voir en MP car ce choix et ses conséquences doivent être RP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Joseph est le vainqueur des sélections et pour l'occasion, il veut dîner avec sa famille le soir même afin de discuter de l'avenir de chacun. Les souhaits de sa femme et de ses enfants sont très importants pour lui et il est temps pour June de songer à ce qu'elle veut.
À commencer par sa vie professionnelle. À quoi devrait-elle songer ?
➜ Rester à Eel dans la Garde Obsidienne.
➜ Aller à Odrialc'h avec les Ael Diskaret et s'engager dans le corps armée de la cité.
➜ Aller à Odrialc'h avec les Ael Diskaret et s'intéresser aux escouades du corps armée de la cité, pour des missions diplomatiques et militaires dans tout Eldarya.
➜ Autre choix (à toi de le définir mais réfléchis bien !)
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Me revoici avec un chapitre assez long cette fois-ci. Vous trouverez au tout début de celui-ci un passage écrit par Waïtikka et moi-même qui met en scène Fawkes et Fuya. Ce passage est le résultat du choix qui a été fait par Waïtikka lors du chapitre précédent.
Concernant le rapport de Fawkes que vous lirez dans ce chapitre-ci, il est incomplet. Les informations seront disséminées au fur et à mesure lorsque vous en aurez besoin et ensuite, vous pourrez retrouver l'intégralité du rapport de Fawkes dans la bibliothèque d'Apotheosis.
Aussi, un Trigger Warning : plusieurs sujet sensibles vont être évoqués dans ce chapitre tels que la torture, la prostituion et le traffic de personnes.
Une relation amoureuse entre un personnage majeur (18 ans) et un autre personnage mineur (16 ans) va également être évoquée.
Je rappelle que même si la majorité sexuelle a été fixée à 15 ans, en France le 2 juillet 1945 (code pénal, art. 227-25), il est extrêmement important de respecter les personnes, le rythme, les besoins et les désirs de chacun. Cela s'applique à tous types de relations.
Le consentement est d'une importance capitale.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 23 - L'Impératrice des Vices
Fawkes et Fuya, écrit par Waïtikka et moi-même :
L'air est chaud et la caresse du vent marin effleure la peau de Fawkes. Pourtant, le renard-garou n'en est pas accommodé, alors que ses pas font grincer le vieux plancher du pont. A la barre, le Purreko ne lui accorde aucune attention et c'est mieux ainsi. Son regard félin scrute l'horizon. Il surveille, il guette et Fawkes sait qu'il n'a aucun intérêt à le détourner de sa tâche. Les goules sont une menace qu’il ne faut pas prendre à la légère, Fawkes ne le sait que trop bien.
Il est là, parce qu’il vient de quitter Titan, dans la cale. Comme elle est plongée dans la lecture de leurs différents rapports, il juge que le moment est idéal pour s'approcher de Fuya. La sirène est là sans être là, assise à la proue du bâteau, telle un fantôme.
Les pas du renard-garou le mènent jusqu'à son amie et il se penche pour s'asseoir à côté de son amie. S'il garde les yeux braqués sur l'horizon un court instant pour ne pas oppresser Fuya, le silence de cette dernière lui fait crisser les côtes. Il s’est toujours évertué à maintenir une certaine distance avec tout le monde, y compris ses alliés du Cartel. Mais force lui est de constater qu’il s’est attaché malgré lui. Il accorde de l’importance à ces personnes qui partagent son quotidien, il s’en fait pour eux. Et aujourd’hui, il s’en fait pour Fuya en particulier. S’il s’écoutait, il prendrait la jeune sirène dans ses bras, pour taire ses maux et les porter à sa place. Mais il sait aussi que c’est impossible. Il n’a pas ce pouvoir, et Fuya ne le laisserait pas faire de toute manière.
Fawkes finit par baisser le menton et relève son regard vers le profil gracile de la demoiselle. C'est la voix éraillée d'appréhension qu'il s'adresse à elle en ces quelques mots :
« Comment te sens-tu ? »
Elle ne lui répond pas. Elle continue de fixer un point invisible sur l'horizon et de contempler une image qui n'existe que dans sa tête.
Fuya agite ses doigts en un geste inconscient et peut-être que parmi l'étendue azurée, elle reconnaît le visage d'une fée, la bouche grande ouverte et la trompe dehors.
Enfin, elle lève la tête vers Fawkes et plonge ses yeux bleus dans les siens. Elle est toujours en colère et ça lui fait mal.
Pour la sirène, le cartel est une famille après celle qu'elle a perdue. Sexta est sa nouvelle maman, même si des mots n'ont jamais illustré leur lien. Ryan est une tante paisible et instruite, Nash est une espèce de petit frère et Yüljet est l'image même du foyer.
Fawkes quant à lui, a toujours été ce qui se rapproche le plus d'un père. Comme Sexta, il inspire la protection et il représente un socle sur lequel s'appuyer. Fuya est jeune, elle le sait. Elle a encore beaucoup à apprendre, mais elle a la détermination nécessaire pour pouvoir affronter la vie et ses dangers, surtout quand on essaye de sauver son propre monde.
« Est-ce que tu fais des cauchemars, parfois, Fawkes ? »
Les siens, ils arrivent même à prendre vie dans le réel. La sirène a la sensation d'entendre les fées dévorer de la chair faerienne en émettant des bruits ignobles, lors de certains moments, quand les autres traduisent la voix de Shelma.
Pour qui tu travailles ? Pour qui tu travailles ?
Si Fawkes fait des cauchemars, parfois ? Pour tout dire, il ne se souvient pas la dernière fois qu’il n’en a pas fait. Ses nuits n’ont pas été paisibles depuis bien trop de temps, si bien qu’il ne se rappelle pas ce que ça fait de dormir d’une traite sans être agité. Depuis qu’il est au cartel, il sait en faire fit, parce qu’il sait qu’il est en sécurité. Alors il s’autorise à ne plus être effrayé. Il n’a pas le temps de mettre des mots sur ses nuits que déjà, Fuya appuie le fond de sa pensée.
« Qu'est-ce que ça te ferait si je les montrais à tout le monde ? Si les autres savaient de quoi tu as peur ? »
La cheffe sait que Fuya craint les fées. Que sa peur est si grande qu'elle la rend faible et ça, c'est tout ce qu'elle voulait éviter. Elle secoue la tête en envoyant valser ses longs cheveux roses.
« Pourquoi tu as fait ça ? »
Les épaules du renard-garou s’affaissent. Il a mal en dedans. Il a mal de sentir comme Fuya se sent trahie par lui, alors que c’était là, la dernière de ses volontés. Il sait bien que s’il avait été à la place de la sirène, il aurait tout aussi mal réagi qu’elle. Voir ses cauchemars et ses peurs mises à nues, comme ça ? Rien que d’y songer, le métamorphe en frémit et sa queue se hérisse. Il sait que toutes les réponses du monde ne pourront apaiser la rancœur que Fuya lui porte. Pourtant, il aimerait tant qu’elle comprenne ses motivations. Peut-être qu’exceptionnellement, il peut s’ouvrir. Rien qu’un peu. Après tout, il a forcé Fuya à montrer la brèche grande ouverte sur son âme, alors s’il lui laisse accéder à ce qu’il cache à tous, tenderaient-ils vers un certain équilibre.
« Si j’ai fouillé tes secrets, si je les ai dévoilés au cartel… c’est parce que… »
Les mots sont difficiles à dire. De simples mots, pourtant, mais qui signifient beaucoup et qui offrent à Fuya une certaine poigne sur son cœur. Déjà, il a l’impression d’être à l’étroit sous ses côtes et son palpitant tente une échappée. En vain. Fawkes doit faire face et offrir à Fuya, ce qu’il lui a volé : son intimité.
« Je suis inquiet pour toi, Fuya. Parce que je tiens à toi, tu m’es chère. »
Sa voix se meurt, grince à l’idée de perdre Fuya. La perdre en la laissant se perdre dans ses terreurs. Elle le fixe avec ses grands yeux et même s'il l'ignore encore, ses mots l'ont touchée.
Oui, elle sait que Fawkes tient à elle, comme elle tient à chaque membre du cartel des Typhons, même ceux dont elle n'est pas proche comme Rose.
On lui a arraché sa famille et elle a put en trouver une autre. C'est un trésor qu'elle veut protéger à tous prix, même si elle doit s'élever au-delà de ses peurs.
La sirène ramène ses jambes contre son buste et répond d'une voix presque éteinte :
« Si je suis si en colère contre toi, c'est pour quelle raison, à ton avis ? Si c'était une autre personne qui avait volé mes dessins, j'aurais pu m'en remettre très facilement. »
Fuya le confronte de nouveau du regard. Quand Fawkes est arrivé au cartel, en 481, il était aussi silencieux qu'une tombe. Tout le monde vient avec son propre fardeau et tout le monde respecte cela, alors on a simplement attendu qu'il se mette à parler.
Fuya a attendu, elle aussi. Et une fois que le renard-garou s'est un petit peu ouvert, elle a eu une idée. Idée qu'elle avait partagée avec la cheffe.
« Je suis en colère parce que c'est toi qui l'a fait. Parce que tu fais partie de ma famille et que dans une famille, tout le monde doit respecter les secrets des autres. »
Fawkes ne voulait que son bien et elle le sait. Comme elle, a voulu son bien également en 481, et le bien d'un autre également, qu'elle n'a jamais réussi et ne réussit toujours pas à comprendre.
« Tu sais… Quand tu es arrivé au cartel, c'est moi qui ai dit à la cheffe que ce serait peut-être bien que tu sois en binôme avec Rose. Parce que tu es discret et que c'est ce dont il a besoin. Tu es discret mais tu sais comprendre les gens, même s'ils ne s'ouvrent pas à toi. C'est pour ça que je sais que je peux te parler ou bien que je peux juste me taire parce que j'en ai envie. Quoi qu'il arrive, tu comprendras. Alors quand tu as fouillé mon carnet, c'est moi qui n'ai pas compris. Comme si tu arrachais ma faiblesse pour la montrer à la cheffe alors que… Je ne suis pas faible. »
Fuya a parfaitement raison et Fawkes le sait très bien. Il se rend tellement compte comme il a fait preuve d’une bêtise sans borne en agissant ainsi. Il le referait probablement si c’était à refaire, parce que sur le coup, il n’a pas trouvé comment l’aider si ce n’est ainsi. Elle dit vrai, même dans ses silences, le renard la comprend. C’est ainsi qu’il a perçu comme elle n’allait pas bien, à la cité d’Eel. Craignant pour elle, il n’a pas fait preuve d’un bon discernement.
Accablé, Fawkes se ratatine sur lui-même, sa queue entoure sa taille et repose, inerte, sur le parquet usé du bateau. Ses oreilles se sont perdues, plaquées en arrière, dans sa tignasse rousse. Il relève un regard surpris vers Fuya quand elle lui avoue être à l’origine de son affiliation avec Rose. Il ne pensait pas, mais quelque part dans le fond, il se dit que s’il y avait bien une personne autre que Titan pour inciter à cela, alors c’était bien Fuya.
« Tu… Tu n’es pas faible, et je le sais bien, Fuya. Pardonne mon manque de jugement, j’ai… j’ai eu peur pour toi. Ca ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps, d’avoir peur pour quelqu’un d’autre que moi, que je n’ai pas su y faire face avec suffisamment de recul. »
Comme s’il risquait de se faire frapper ou réprimander au moindre geste brusque, Fawkes avance sa main doucement sur le pont, vers le genou de Fuya, jusqu’à pouvoir le toucher du bout des doigts.
« J’avais conscience que ce que je faisais pouvait rompre le lien entre nous, mais à choisir… je préférais encore ça, à te perdre toute entière. Alors sois en colère contre moi, si ça peut t’aider. Je saurais encaisser.»
Mensonge. Fawkes doute être en mesure d’encaisser la haine de Fuya. Malgré son jeune âge, elle sait manier les mots et elle sait viser juste, là où le renard-garou se mure dans le silence. Alors quand elle lui parle et l’accuse, ses mots sont autant de lames qui s’enfoncent dans les chairs du métamorphe. Les oreilles animales remuent sur sa tête et même si Fuya ne peut pas les voir parce qu’elles sont perdues dans ses cheveux, elle peut en deviner le mouvement, à voir les mèches rousses gigoter. Quand il relève le museau vers elle, elle peut reconnaître cette lueur dans son regard. Celle qui assure qu’il pense les mots qu’il va prononcer, avec toute la hargne qui l’habite. Fawkes est déterminé et catégorique.
« Maudis-moi, mais vis. Ne te laisse pas dévorer par tes peurs. Sois plus forte qu’elles. Je sais que tu l’es. Ne sombre pas comme je l’ai fait par le passé.»
C’est pour ça, dans le fond qu’il a manqué de discernement. La situation de Fuya lui a un peu trop rappelé la sienne, des années auparavant. Le traumatisme de Fawkes l’avait enfermé dans une geôle de ténèbres, où un essaim obscur de pensées négatives bourdonnait constamment autour de sa tête. S’en défaire a été une peine incommensurable et il s’est refusé de laisser Fuya vivre ça. Il ose alors lever la main vers la joue de Fuya, pour l’effleurer de son pouce.
Elle le laisse faire et elle lui adresse un léger sourire. Puis elle secoue la tête en lui jetant un regard contrit :
« Tu exagères, Fawkes. Celles que je maudis, ce sont les fées. Pas toi. »
Fuya se tourne vers lui et redresse le buste. Elle l'observe pendant de longues secondes avant de se mettre à souffler par le nez. Enfin, elle lui adresse des mots qu'elle a pesé dans son esprit. Ils sont importants pour la suite, mais aussi pour le lien qu'elle partage avec Fawkes, membre de sa famille.
« Tu as mal agi et je me suis sentie blessée. Comme mise à nu devant la cheffe. J'avais honte de mes cauchemars, mais je ne voulais déranger personne avec ça. Peut-être que j'essayerais de parler de ce qui me fait mal, dorénavant, mais toi tu dois promettre de ne plus jamais refaire ce genre de choses. »
La sirène s'affaisse quelque peu et son masque sombre commence à s'illuminer. La colère est partie et ce qu'il reste à présent, c'est de longues journées à affronter.
Et aussi des fées.
« Je ne veux plus être en colère contre toi, reprend-t-elle, je préfère quand on se soutient, comme tu l'as fait pendant que j'étais à l'hôpital. C'était important que tu sois là. Quand je me réveillais d'un cauchemar et que je te voyais dormir à côté, dans le fauteuil, je me sentais plus rassurée car je savais que même si les fées revenaient pendant mon sommeil, je n'étais pas toute seule. »
Elles revenaient tout le temps. Parfois, Fuya avait même l'impression d'en voir une tapie dans le coin sombre de sa chambre d'hôpital et à ce moment-là, elle savait qu'elle la retrouverait dans ses rêves noirs. Et dans les couloirs, la sirène avait juré entendre marcher, parfois.
Ce n'était ni les aides-soignants, ni les médecins, mais de grandes silhouettes ailées qui venaient se nourrir.
Sans qu'elle ne parvienne à se contrôler, les yeux de Fuya s'humidifient. Elle a beau regarder ailleurs, les larmes restent et coulent sur ses joues. Pourtant, elle garde contenance car il le faut. Elle secoue la tête :
« Je ne sais pas comment je vais réussir à leur faire face, maintenant, Fawkes. Mais il le faudra car ce sont nos ennemis. »
Elle le regarde à nouveau. D'une main, elle s'essuie les yeux et elle songe à deux choses : une décision et une demande.
«Je te pardonne», lui dit-elle et «Est-ce que tu pourras m'aider à être courageuse quand les fées seront là ?» lui demande-t-elle.
Le coeur de Fawkes explose sous ses côtes, pour tout un tas de raisons. Fuya lui assure qu’elle saura faire face, qu’elle ne le maudit pas. Il est si rassuré que la jolie sirène ne la déteste pas. Il avait beau se dire qu’il s’en fichait pas mal, c’était un mensonge, ça aussi.
«Bien sûr Fuya. Je ne te laisserai jamais seule», lui assure-t-il, en glissant ses doigts dans les cheveux nacrés de sa jeune amie pour l’attirer contre lui.
Et alors qu’il la serre contre son torse, il dépose sa bouche de renard sur la tempe pâle en un baiser chaste.
«Quand les fées viendront, on leur bottera les fesses, d’accord ? Je te le promets. Je te promets qu’on sera côte à côte et que je ne ferai plus rien qui puisse te blesser, de près ou de loin.»***
Elle a beau se tenir enfermée dans la cale d'un bateau, c'est pourtant l'endroit qui lui apporte une véritable bouffée d'oxygène. Titan se laisserait presque bercer par les flots, si elle n'avait pas autant de travail.
Loin d'elle, la cité blanche. Loin d'elle, la Capitaine. Pour le moment.
Une lanterne à ses côtés, elle regarde la table en bois brut suffoquer sous le poids des rapports. Ceux de Fawkes et de Rose, mis en commun pour l'esquisse d'un plan qui permettrait l'infiltration du grand palais d'Odrialc'h via l'Ulcère.
Après sa lecture, Yüljet doit bien avouer que l'entreprise du binôme a été mûrement réfléchie. Elle s'est soldée après moults investigations sous le nom de Jens Red qui n'a pas hésité à fouiller le Quartier Général ainsi que l'hôpital.
Fawkes en a même profité pour faire des recherches sur les hauts-elfes. Même si les pistes restent maigres, elles n'en sont pas moins intrigantes.
Réunissant tous ses papiers, Titan se replonge dans sa lecture. Quand le bateau arrivera enfin sur le continent du Gabil, non loin d'Odrialc'h, la troll compte s'entretenir avec Sexta et Ryan à propos de ce fameux Fuya Pyle, de sa lettre ainsi que de son présent extraordinaire.
Yüljet souffle par le nez. Lorsque viendra le jour de la rencontre, elle sait que Fawkes se joindra à elle. Il a reçu les informations, il saura chercher comme il se doit. Ensuite… Elle réfléchit. Elle a encore le temps de réfléchir. Pour le moment, seul le rapport est important :
Le talez 24, du mois de mimouet.
Fawkes et Rose Clarimonde
Rapport général sur les informations obtenues à la cité d'Eel, durant la période des sélections, et proposition d'un plan de sauvetage pour la mission originelle.
Descriptif des combats pendant les sélections.
Ajout des informations concernant Fuya Pyle.
J'ai pu infiltrer le Quartier Général et l'hôpital sous l'identité de Jens Red. Pendant que Fuya restait à l'hôpital, je faisais des recherches sur les hauts-elfes, comme demandé et je restais attentifs aux conversations et bruits de couloirs.
Pour les sélections, la garde rapprochée de l'impératrice Willow Weeping, les Égides, avait été déployée. Le Quartier Général était hautement sécurisé et rien que pour y faire des allers et venus en tant que touriste, je devais montrer pattes blanches aux gardes avec un titre de séjour temporaire.
Je vais essayer d'écrire ce rapport point par point. J'ajoute aussi que l'accident avec le gamin Ael Diskaret m'a permis de circuler plus librement et de discuter plus facilement avec les gardiens.
Les hauts-elfes
La bibliothèque du Quartier Général est réputée pour son contenu. Beaucoup d'élèves apprentis en médecine, alchimie, toxicologie et zoologie viennent régulièrement emprunter des livres pour leurs études et ils ne sont pas les seuls : les futures linguistes, artistes et historiens viennent aussi.
La bibliothèque est ouverte au public, d'habitude, et elle l'a été aussi pendant les sélections. Seulement, il fallait un titre de séjour temporaire pour emprunter des livres et heureusement pour moi, l'identité de Jens Red m'a aidé. Pour éviter que le sujet de mes recherches interpelle la bibliothécaire, j'ai choisi deux livres qui paraissaient être les meilleurs : "Lotheg et son Histoire" et "Rage Sourde et Linceul de Givre". Le second bouquin n'a pas l'air d'être en rapport avec les hauts-elfes, mais un passage m'a quand même interpellé.
Pour le premier livre sur Lotheg, ça raconte surtout comment la ville s'est construite au cœur de la forêt d'Hirillaeg, depuis le grand exil jusqu'à maintenant. Comme on le sait tous, ce sont les elfes sylvestres qui dirigent Lotheg et la ville a grossit surtout grâce à la renommée des Alfirin.
Le bouquin raconte que les Alfirin étaient une famille d'artisans. Des orfèvres capables de réaliser des bijoux magnifiques grâce à un savoir-faire unique et le père de Sheraz, Gorthol, était particulièrement talentueux. Dans livre, j'ai pu lire que quand il a eu dix-huit ans, il a été contacté par Ogol Orod qui lui a demandé de réaliser un diadème pour sa fille cadette, Ciryandil Orod, pour ses seize ans.
Gorthol a donc réalisé le diadème et a été le porter directement à la famille Orod, à Odrialc'h.
Le bouquin raconte que quand il est arrivé, il a rencontré Ciryandil et les jeunes gens sont tombés fous amoureux l'un de l'autre. Pendant son séjour dans la grande cité et parmi les hautes sphères, il a courtisé Ciryandil, si bien qu'elle a fini par tomber enceinte.
Quand ils ont appris la nouvelle, la jeune demoiselle et son amant sont allés l'annoncer aux parents de Ciryandil. Bien entendu, Ogol Orod a exigé que l'union soit officialisée, malgré le jeune âge de sa fille cadette.
Gorthol a épousé Ciryandil et grâce à son savoir-faire et aux moyens financiers de sa belle-famille, il à bâti l'empire Alfirin, mais aussi la troisième fortune d'Eldarya.
Grâce à sa renommée, Lotheg à pu s'étendre et connaître un nouvel essor. Sans rivaliser avec Rhenia-Gaear, la ville est tout de même devenue assez réputée pour attirer les touristes et développer l'artisanat de l'orfèvrerie.
Sheraz est né le 19 techav 460.
La naissance de l'empire Alfirin ressemble pas mal à un conte de fée, à commencer par la rencontre entre Gorthol et Ciryandil. Ce qui me tracasse, c'est pourquoi on a demandé à Gorthol d'apporter le diadème qu'il a réalisé directement à Odrialc'h plutôt que d'envoyer quelqu'un le chercher ? Lotheg et Odrialc'h sont à plus d'une semaine de voyage. Je ne trouve pas ça logique.
Si je reprends les éléments de la lettre de Sira à Sheraz, eh bien ça correspondrait au moment où on aurait ordonné à Gorthol et Ciryandil de faire un enfant et le diadème ne serait qu'un prétexte. Je me demande ce qu'il s'est réellement passé à Odrialc'h, à cette époque.
Ça a sûrement un rapport avec les hauts-elfes, mais je n'ai rien trouvé là-dessus.
Il y a un détail qui m'a chiffonné, par contre : le bouquin parle des premiers peuples elfiques qui ont vécu dans la forêt d'Hirillaeg peu après le grand exil et avant que les elfes sylvestres n'y vivent définitivement.
Il y aurait eu plusieurs mouvements de peuplades : les elfes noirs furent les premiers à vivre dans la forêt d'Hirillaeg avant que les elfes sylvestres s'y installent à leur tour. Les uns se sont mélangés avec les autres, mais aucun métissage ne s'est fait car les enfants naissaient soit elfe noir, soit elfe sylvestre (j'arrive pas à expliquer ça, mais Ryan le pourra sûrement). Ensuite, beaucoup d'elfes noirs ont migrés vers le nord pour bâtir Rhenia-Gaear.
Mais il y a un mot que j'ai noté en particulier : Chair des Roses.
Dans "Lotheg et son Histoire", ce mot fait surtout référence au précepte qui interdit aux elfes de se nourrir de viande et d'honorer la vie. Mais quand j'ai lu "Rage Sourde et Linceul de Givre", je l'ai retrouvé dans un poème.
Ce bouquin-là, il raconte surtout le peuple disparu des lorialets, il y a plus de vingt ans. D'après ce que j'ai lu, les lorialets qui ont fondé le village de Diane après le grand exil auraient rapporté une religion humaine qu'ils continuaient à pratiquer. C'est assez complexe, mais tout ce que j'ai retenu, c'est leur croyance en un dieu unique et le symbole d'une croix que l'on retrouvait un petit peu partout à Diane.
Malgré leur religion humaine, les lorialets étaient très appréciés des autres espèces comme les hommes du givre et les elfes noirs de Rhenia-Gaear.
Pour en revenir au mot "Chair des Roses", je l'ai retrouvé dans un poème du bouquin. Il a été écrit par Isaac Leiftan Koskilis (j'ai été assez surpris quand j'ai lu le nom de Leiftan mais apparement, c'était un prénom assez courant chez les lorialets).
Je t'ai recopié le passage avec le mot :
"Quand la Dame du Froid règne sur les Terres Gelées,
Quand l'orage gronde, mais que la foudre reste muette,
Quand la disette et le mal rongent les pècheurs,
Quand ceux qui ne connaissent que la faim brisent leur serment.
Ils offrent leurs entrailles aux mains des démons et ils ont l'estomac qui se dévore comme une bête des ténèbres. Bientôt, leur peau sera un linceul de givre et leurs dents immondes se planteront dans la chair de leur mère ou de leur frère.
La Chair des Roses n'est que malédiction pour celui qui décide d'y goûter.
Ô fidèles, Ô esprits sains, gare aux ventres de vos femmes car le mal peut y faire son nid."
Je ne sais pas ce que tu en penses, cheffe, mais le poème parlait de démons, de la faim et de dents qui se plantent dans de la chair. Tu crois que ce serait une référence aux fées ?
En réalité, Titan ne sait pas vraiment. Fawkes a certainement plus appris sur les lorialets en lisant ce livre qu'elle, en accostant au village détruit de Diane mainte et mainte fois.
Le renard-garou a effectivement trouvé des choses intéressantes, que ce soit la rencontre entre Gorthol et Ciryandil qui ressemble à un conte merveilleux ou bien ce mot, Chair des Roses, présent dans deux ouvrages traitant de sujets différents.
Quel est le lien ? C'est ce qu'elle se demande. Entre le précepte des elfes à ne jamais consommer de viande et l'avertissement donné par les lorialets concernant un mal ignoble, qui peut prendre racine jusque dans le ventres de leurs femme, quel est le lien ?
Titan ferme brièvement les yeux. Tout comme Fawkes, elle parvient à associer ce poème de massacre et d'horreur aux fées en train de manger. Les lorialets craignaient-ils que les leurs et les fées puissent se reproduire ? Yüljet en doute fortement : ça ne fait pas sens.
Pourquoi des créatures capables de s'auto-féconder voudraient-elles enfanter avec d'autres espèces ? De plus, fées et lorialets ne seraient pas compatibles, c'est ce que la troll pense.
Néanmoins, elle a tout de même envie de connaître les réflexions de Ryan sur la question.
Quoi qu'il en soit, Fawkes a peut-être esquissé l'ébauche d'une piste qu'il serait bon d'exploiter et pour cela, le cartel a besoin de sa savante à l'esprit scientifique.
Dans la suite de son rapport, Fawkes expose le plan que lui et Rose ont élaboré pour entrer au grand palais d'Odrialc'h.
Le plan
Passons au plan. Il a été pensé par Rose et moi-même. On avait déjà une idée en tête, mais on a pu l'améliorer quand tu m'as parlé de l'Ulcère, juste avant qu'on se quitte. Tu sais, le jour où on a reçu le message de Nash.
Enfin. Voilà le plan : on cherche à sauver Sheraz Alfirin et pour ça, il faut rentrer dans le grand palais car il n'en sort jamais. On a jamais vraiment évoqué la façon dont on le sortirait de là, mais quoi qu'il en soit, ça reste un enlèvement. Même si Sheraz est d'accord, même si c'est lui qui nous a donné cette mission, on l'enlèvera et c'est peut-être un petit peu idiot mais dès qu'on a eu conscience de ça, avec Rose, on a pu penser plus facilement.
On s'est un petit peu inspiré de ce que tu as fait à Rhenia-Gaear pour permettre à Fuya d'entrer dans le manoir Maximilien Ville de Fer. Si on reproduit ça à grande échelle, ça peut fonctionner.
Il faudrait créer une catastrophe assez grande pour qu'Odrialc'h fasse appel à Eel et plus précisément aux Mircalla. Odrialc'h a une armée conséquente et, bien entendu, la Capitaine. C'est pourquoi la catastrophe ne devra pas être uniquement matérielle, mais politique. C'est ce que pense Rose.
L'idée, ce serait de révéler nos intentions au grand jour. De faire courir la rumeur que le cartel des Typhons prépare un enlèvement au grand palais et qu'il passera bientôt à l'action. Je sais de quoi ça a l'air, Titan, mais ce n'est pas stupide : ce qu'il faut, c'est leur insuffler la peur et que même les hautes sphères enfermées dans le palais ont peur de nous. De toi, surtout, après ce qu'ils pensent que tu as fait.
Quand on aura fait passer la rumeur, on commencera par s'en prendre à des soldats du corps armée d'Odrialc'h, comme un avertissement. On pourra utiliser les poisons de Ryan pour mettre le feu à leurs réserves d'armes, par exemple et après, on s'introduira dans les maisons des riches quartiers et on volera des objets précieux.
Bien sûr, ce qu'il feront, c'est qu'ils renforceront la sécurité et ils mettront la Capitaine sur le coup. Mais on s'en sortira. On s'en est déjà bien sorti à Eel.
On pourra même s'attaquer aux bateaux qui appartiennent à l'armée et aux ports privés de l'autre côté de la cité. Ce qui compte, c'est que la noblesse d'Odrialc'h ait assez peur pour demander le soutien des Mircalla et de la Garde de l'Ombre.
Quand Nevra sera obligé de faire le déplacement jusqu'à Odrialc'h, Rose le suivra, localisera l'Ulcère et nous fera entrer. On engagera des petites frappes pour neutraliser les gardes, puis on s'infiltrera dans le grand palais pour récupérer Sheraz.
D'ailleurs et à ce stade, Sheraz aura entendu les rumeurs et sera sûrement capable de faire quelques petites choses de son côté en attendant notre venue.
Tout ce qui comptera, ce sera de le trouver et de l'évacuer par l'Ulcère, puis de le ramener à la planque le plus vite possible.
Rose et moi on sait de quoi ça a l'air, cheffe. Mais c'est la meilleure solution que l'on a pour le moment.
Yüljet en a presque le souffle coupé. Fawkes et Rose proposent presque de mettre Odrialc'h en branle, de plonger la cité dans les ténèbres pour terroriser toutes les âmes terrées dans le grand palais. Faire souffler le vent de la discorde comme un avertissement, et celui de l'espoir pour Sheraz.
Titan s'adosse contre le dossier de sa chaise et réfléchit. Faire courir la rumeur parmi les Abysses ne sera pas difficile et elle pourra compter sur la persuasion de Sexta. Ensuite, les passages à l'action pourront être découpés en petites missions : Fawkes sera capable d'infiltrer plusieurs postes de gardes civils pour détruire leurs réserves d'armes pendant que Fuya et quelques petites frappes sèmeraient le chaos. En s'en prenant aux aeronefs, par exemple, ainsi qu'aux ingénieurs venus les réparer. Yüljet quant à elle, se rapprocherait de l'Ulcère tout en mettant plusieurs quartiers à genoux. Comme la place des Échanges. Si elle se met à soudoyer les commerçants contre menace de détruire leurs étals et marchandises, ça marchera. Quant au port de Shamshara, il pourrait devenir un cimetière de bateaux. Ceux de l'armée brûleront et pourquoi pas permettre à Sexta d'installer son réseau pour transformer les lieux en paradis du plaisir ? Elle en serait parfaitement capable.
La troll souffle par le nez. Le plan est risqué. Très risqué. De plus, il s'agirait de plonger Odrialc'h dans des temps très sombres pour accomplir une seule mission.
Elle songe à la règle numéro dix du cartel des Typhons :Le chef ou la cheffe du cartel doit garantir la protection des membres du cartel en échange de leur loyauté.
Elle ne s'applique pas aux civils et Yüljet le regrette. Mais sauver Sheraz est peut-être une étape pour leur objectif alors tant que les membres du cartel ne tuent pas gratuitement, le plan doit être pris en considération et voté.
Ce sera fait une fois que Titan, Fawkes et Fuya auront regagné la planque.
La troll reporte son attention sur le rapport du renard-garou et de son binôme. À la fin, il y a un mot qui a été griffonné. Une annotation que Fawkes à ajoutée à l'insu de Rose et Yüljet sait pourquoi.
Elle revoit la scène du marché d'Eel. Ils venaient tous de se mettre d'accord pour respecter le sacrifice de Nash et ils avaient encore le cœur lourd. Puis, sous leurs yeux, Rose pressait le pas, l'assistant d'Ewelein sur ses talons. Ce dernier l'avait rattrapé et lui évoquait quelque chose qu'il avait vu. Mais Rose s'était empressé de le rembarrer en lui intimant de rester à sa place, à l'hôpital, auprès de ses patients, et de le laisser à la sienne.
Suite à cela et pendant son séjour à Eel, Fawkes avait essayé de lui parler.
PS
Note de Fawkes : Tu t'en douteras, Rose n'est pas au courant que je te dis ceci. Quelque chose ne va pas, c'est évident. Il était à cran par moment mais tu le connais : il ne partage jamais ses problèmes et préfère les régler seul.
Je lui ai demandé si tout allait bien et il m'a répondu que c'était le cas. Je lui ai aussi demandé si tout se passait bien dans la Garde de l'Ombre et il m'a répondu la même chose.
Quand je lui ai fait remarquer qu'il avait l'air fatigué et tracassé, il s'est mis sur la défensive et m'a dit que je me faisais des idées et que je n'avais pas à m'occuper de sa vie privée.
Seulement, je le connais assez pour savoir qu'il n'en a pas, de vie privée. Rose est seul. J'ai assez créché au Quartier Général ces derniers temps pour le voir travailler du matin au soir auprès de son Chef de Garde et uniquement avec ce dernier. Personne d'autre ne lui parle et du peu que j'ai entendu, il n'est pas vraiment apprécié des autres gardiens de l'Ombre.
Après je suis peut-être tombé uniquement sur les dires de ceux qui ne l'apprécient pas.
Bref. Je n'ai pas su le fin mot de l'histoire, mais je suppose que c'est personnel et que ça ne regarde pas le cartel.
Bien. Yüljet n'insistera pas. La leçon de Fuya lui a suffi pour qu'elle s'immisce encore une fois dans l'intimité d'un autre membre du cartel. Surtout dans celle d'une personne aussi pudique que Rose.
Rassemblant le rapport du binôme, elle le range précieusement dans une grande enveloppe avant de le mettre, à l'abri, dans la doublure intérieure de sa veste.
Il reste encore deux jours de voyage avant d'atteindre Odrialc'h et Titan compte bien en profiter pour prendre un petit peu de repos avant de s'attaquer à l'épineux problème de Fuya Pyle.Accalmie
Fuya Pyle, porte bleue, rue des Breloques.
Fawkes, porte orange, rue des Flots.
Titan, porte verte, rue du Tap.
Le rituel reprend. Qu'importent qu'ils soient tous les trois descendus sur le continent du Gabil au même moment, ils ne doivent pas marcher ensemble jusqu'à la plus grande cité d'Eldarya.
Le bateau a accosté au port de Tantale, non loin de la forêt de Galène. Cette dernière forme un océan naturel entre les villages environnant et la cité, ce qui est parfait lorsque l'on veut être discret.
Fuya est parti la première. Titan sait qu'elle veut plus que jamais retrouver la sérénité de la planque, mais aussi la compagnie de Sexta. Fawkes quant à lui, a attendu une heure avant de lui emboîter le pas.
Yüljet a quitté le port de Tantale la dernière.
Loin d'elle les murs blancs, le parc de la fontaine, le cerisier centenaire et l'air salin. Le vent du large qui venait lui fouetter le visage ou même les apparitions de Mery. Un petit coup d'aiguille dans la poitrine lui indique que quelque part, elle regrette tout de même d'être partie ainsi sans lui avoir adressé un petit mot en guise d'au revoir. Tant pis. À présent, c'est le vacarme assourdissant et les rues étouffantes d'Odrialc'h qui lui souhaitent la bienvenue. Yüljet les avait presque oubliées.
Les pavés sales, les quartiers qui s'empilent les uns sur les autres jusqu'à atteindre la richesse au sommet, les aeronefs qui déplacent des marées faeriennes, les commerçants braillards… Puis la plèbe.
Les sourires figés sur des visages hagards, des lèvres noires et gercées et des yeux qui ne voient plus rien, si ce n'est des délires qui se déroulent dans des cerveaux intoxiqués au tap.
Sur son chemin, Titan a dû faire face à des faeriens rendus violents par le manque de leur substance favorite. L'un d'entre eux tendait même ses bras devant lui, pour accrocher quelque chose d'imaginaire, mais avant que ses doigts ne puissent se refermer autour du cou de Yüljet, il s'était vu gratifié d'un coup de genou dans le ventre. Titan l'a laissé choir au beau milieu de la ruelle, à titre d'exemple pour les autres, mais aussi pour ne pas perdre la face.
Dans les bas-quartiers, on sait qui elle est. On connaît son visage et le cartel des Typhons doit toujours s'accrocher en haut de la hiérarchie. Il ne rivalisera ni avec les purrekos, ni avec les goules, mais il gravitera autour d'eux.
Yüljet atteint la porte verte. Comme d'ordinaire, cette dernière la mène dans la remise aux meubles endormis qu'elle doit traverser pour atteindre la rue de la décharge, et enfin les égouts. Elle peut aviser que la remise n'est toujours pas tranquille dans son maudit immeuble aux âmes égarées : la brownie aux oreilles et à la queue simiesque hurle toujours sur son compagnon. Le tap doit lui manquer.
Quand Titan se trouve dans les égouts, elle en apprécie le calme malgré l'odeur immonde. La planque n'est plus très loin.
En poussant la porte, ses yeux noirs se rivent sur les fauteuils abîmés, non loin de la bibliothèque. Elle s'attendait à y voir Fawkes, mais elle constate qu'il n'est pas là. Fuya non plus, d'ailleurs. Peut-être ont-ils regagné leurs chambres.
En réalité et à la lumière de quelques lampes à huile, une silhouette se dessine. Elle est assise face à la grande table, les coudes posés sur la surface en bois et ses cheveux noirs auréolant son visage pâle.
Frêle silhouette. Poignée de brindille à côté de la stature de Titan, mais ceux qui l'ont jugés faibles en ont toujours payé le prix.
Ses longs bras blancs rampent sur la table pour venir enlacer un verre d'eau. Un débardeur sombre habille son buste et l'un de ses éternels pantalons de jais vient couvrir ses jambes. Ses yeux, eux, sont perdus vers une image qui n'appartient qu'à elle. Mais ils deviennent vivants quand ils attrapent la présence de Titan.
Là, ils se transforment en armes. Pour la cheffe du cartel des Typhons, elles seront douces. Un petit peu plus douces.
Un rictus dévoile un croc.
« Bon retour. »
Titan ne répond pas. Elle s'approche d'une chaise pour s'y asseoir et lui faire face.
« Fawkes et Fuya sont dans leurs chambres ?
- Le sac à puces est sorti prendre l'air puant de notre belle cité et Fuya dort dans sa chambre, effectivement. »
Yüljet hoche la tête. Pour le nommer ainsi, Sexta a déjà dû avoir vent de la maladresse de Fawkes qui a osé fouiller dans le carnet de Fuya. Elle ignore si lui et la vampire ont déjà eu une discussion à ce sujet.
En tout cas, elle se doute que le renard-garou a dû en avoir assez du bateau et ressentir le besoin de se dégourdir les jambes.
« Il regrette ce qu'il a fait, remarque Titan.
- Je sais. Fuya m'a tout raconté. Les maladresses arrivent. Elles sont plus ennuyeuses quand elles se reproduisent, par contre. »
Bien. Cette affaire étant classée, il est temps de passer à celle qui occupe actuellement le cartel.
« Nash… amorce la troll.
- Plus tard. Un problème à la fois. Parles-moi déjà de ce Monsieur Fuya Pyle, récite la vampire d'une voix doucereuse, qui nous invite à le rencontrer. »
Après un sourire mièvre, le visage de Sexta devient d'acier. Ses yeux ne rient plus et ses mains viennent se rejoindre pour caler son menton. Elle fixe sa cheffe avec intensité et dans sa tête, elle doit se demander quelle décision elle a pu prendre.
Un individu qui a osé emprunter le nom de sa fille. Un individu qui connaît beaucoup trop de choses sur le cartel, mais qui demande leur aide.
Yüljet ferme brièvement les yeux.
Avec lenteur, elle ouvre un pan de son manteau couleur sauge et en sort deux enveloppes. Celle qui contient le rapport de Fawkes et de Rose, puis l'autre, avec la lettre de Fuya Pyle et la mèche de cheveux humains.
Une fois qu'elle a le morceau de parchemin entre les mains, Sexta s'empresse de le lire. Ses yeux noirs balayent les lignes à une vitesse fulgurante et plusieurs fois, Yüljet l'entend pousser des exclamations amusées.
Face à une proie qui n'a pas encore de visage, la troll sait qu'elle se demande déjà de quelle façon elle peut la manger. Sauf si elle peut l'exploiter.
Une fois sa lecture achevée, elle s'attarde sur le cadeau singulier de Fuya Pyle.
« Tu comptes demander à Ryan d'examiner ça ? interroge-t-elle.
- Peut-être. Mais toi, qu'est-ce que tu en penses ? »
Le regard de la vampire se plisse. Quand elle s'adosse contre le dossier de sa chaise, elle ressemble presque à un black dog qui se ramasse sur lui-même avant d'attaquer. Elle croise les bras sur sa poitrine.
« Nous n'avons pas à faire à n'importe qui, Titan.
- Ton analyse ?
- La même chose que toi, sans doute. Vous avez appris un petit peu trop de choses sur les fées Milliget pendant ce voyage et maintenant vous en payez le prix.
- On pense que celui qui veut nous rencontrer est celui qui a suivi Fuya durant sa mission sur les présences humaines. »
Sexta lui adresse l'un de ses éternels sourires. De ceux qui veulent dire "tu n'as pas encore compris, je vais te montrer la voie." Yüljet les déteste pour les avoir trop vus.
« C'est possible, reprend la vampire, et c'est même certain. Je pense que très peu de personnes peuvent se vanter d'avoir une fée pour maître et concernant notre ami, il possède forcément un talent, des informations ou une particularité qui a poussé un Milliget à le choisir.
- Et à quoi tu penses ? »
En guise de réponse, Sexta agite la mèche de cheveux humains sous les yeux de sa cheffe.
Oui, elle a raison. Fuya Pyle n'a décemment pas offert ce cadeau au hasard : il a laissé un indice et c'est au cartel de l'interpréter.
« Soit son maître le lui a confiée et il veut nous montrer qu'il connaît leurs secrets, reprend la vampire, soit il est à l'origine du transfert du sujet humain. »
Titan écarquille ses yeux noirs. Son esprit songe immédiatement aux Monsieur Bec que Mery a vu il y a deux ans. Ce Fuya Pyle serait l'un d'entre eux ? Et il entrerait en contact avec le cartel ?
Yüljet peine à y croire, mais elle ne peut tout de même pas évincer cette possibilité.
« Un Monsieur Bec ou bien… Quelqu'un qui travaille avec eux.
- Monsieur Bec ? » répète Sexta en arquant un sourcil.
Titan lui raconte sa rencontre avec Mery, son témoignage concernant l'arrivée d'un être humain sur Eldarya il y a deux ans, ces Monsieur Bec, vêtus de longues blouses et de masques, puis son entretien avec Purral. Face à la troll, Sexta a les lèvres pincées et manifestement, l'histoire de sa cheffe ne lui plait pas. Enfin, elle reprend la parole :
« Bon. Si on relie ce que le gamin a vu, ton histoire de Monsieur Bec avec leurs masques qui avaient l'air de savoir qu'un être humain allait arriver, cette mèche de cheveux et les éprouvettes que Nash a pu voler, on obtient un complot très malsain. »
Elle avance le buste, croise les bras sur la table et s'explique :
« Au départ, on croyait que les présences humaines sur Eldarya étaient des accidents, mais on a vite compris qu'on avait tort. On a tout de suite pensé à un lien avec la conquête terrienne, un moyen pour Odrialc'h de localiser des portails pour s'en servir, mais si on prend en compte l'histoire du gamin, en fait, ils savent déjà les ouvrir.
- Ça, on le sait déjà qu'ils savent les ouvrir. Même si avant on pensait qu'ils possédaient les derniers dragons.
- Oui, mais à ton avis, s'ils peuvent se permettre de transférer des humains directement sur Eldarya, tu ne crois pas qu'ils ont déjà trouvé une alternative aux matériaux de base ? »
En effet, ça se tient. Et si c'est la vérité, alors la situation est encore pire que ce que Titan et son cartel pensaient. Mais pourquoi Odrialc'h et les fées ont encore besoin d'êtres humains à étudier alors ? Il manque un élément. Yüljet ferme brièvement les yeux.
« Fawkes va m'accompagner pour rencontrer Fuya Pyle. J'aimerais que tu viennes avec nous.
- Si tu ne l'avais pas envisagé, je l'aurais très mal pris. » sourit Sexta.
Mais elle redevient sérieuse. Son visage se ferme de nouveau alors que cette fois, elle se saisit du rapport de Fawkes et de Rose pour commencer à le lire. Son intérêt est sans doute attrapé par les informations récupérées par le renard-garou concernant les livres qu'il a emprunté, mais il s'éteint quand elle prend connaissance de leur plan pour libérer Sheraz.
Titan sait déjà ce qu'elle va dire.
« Semer le chaos dans toute la cité pour infiltrer le grand palais et enlever notre petit prince… raille la vampire.
- Sexta.
- Je n'approuve pas ce plan. Je l'approuverais si Rose est enlevé de l'équation. »
Yüljet le savait.
Sexta n'a jamais apprécié Rose parce qu'elle ne lui fait pas confiance. Elle répugne l'estime qu'il a pour Nevra Mircalla et elle est persuadée que sa loyauté penche du côté de son Chef de Garde et de sa famille.
« Le plan de Fawkes est bon, reprend Sexta d'une voix aigre, mais si notre entrée dans le palais dépend de Rose, alors c'est trop risqué.
- Je ne suis pas d'accord.
- Évidemment… » achève-t-elle d'une voix mielleuse avec un sourire en coin.
La vampire range le rapport du binôme dans son enveloppe et se laisse aller contre le dossier de sa chaise. Elle passe une main agacée dans ses cheveux noirs alors que Titan reprend, une énième fois, cette conversation à propos du bras droit de Nevra Mircalla.
« Nous avons tous nos raisons de faire partie du cartel, explique la troll, et Rose a les siennes. Il est digne de confiance, je m'en suis assurée, tout comme je m'en suis également assurée pour vous tous.
- Tu sais pourquoi on nous craint ? » demande Sexta d'une voix laconique.
Son oeil noir brille comme un métal maudit et alors qu'elle pose les mains à plats sur la table. Une lueure carnassière illumine son regard alors qu'elle s'explique d'un ton presque doux :
« Tout le monde croit, aux Abysses, que tu as tué douze personnes. Que tu les as pendues par les pieds comme des familiers, que tu les a torturés et que tu leur a fait des choses ignobles que l'on ne peut même pas imaginer. Ça, c'est l'image qui est associée au cartel et comme ça, tout le monde pense que nous sommes capables du pire. »
La vampire se recule, une expression froide sur son visage pâle.
« Mais c'est faux. Tu n'as jamais fait ça. Tu en as seulement payé les conséquences et c'est pourquoi tu es là. La seule personne qui a déjà été capable du pire, c'est moi, Titan. »
Oui, elle le sait. Quand Yüljet a repris les rênes du cartel des Typhons, Sexta était à la tête de la plus grande maison close d'Odrialc'h. Les faeriens et les faeriennes qui travaillaient pour elle l'adoraient autant qu'ils la craignaient. Elle avait réussi à s'associer à l'image de leur foyer, dans leurs esprits, mais aussi à celle de leur bourreau.
Sexta gagnait déjà énormément d'argent. Elle était une véritable impératrice des vices aux Abysses, et sa réputation n'a jamais cessé de grandir, surtout lorsqu'elle s'est mise à vendre des époux et des épouses à de grandes familles de criminels.
Les murs de son ancienne maison close sont gorgés de sang, de larmes, de folie faerienne et de regrets.
« J'ai connu des gens qui avaient vendu leurs âmes pour assouvir leur pire folie et j'en ai connu d'autres qui prenaient leurs chefs pour des dieux. Mais si je suis certaine d'une chose, Titan, c'est que la loyauté ne possède qu'un seul maître. Pas deux. Encore moins deux maîtres qui sont ennemis. »
Sexta lui lance un regard froid. Ses paroles ne sont pas dénuées de sens, mais Titan n'est pas d'accord. Même si Rose fait office d'agent double grâce à sa position au sein de la Garde de l'Ombre, même si l'estime qu'il a pour Nevra Mircalla est réel, il ne trahira pas le cartel.
« On a tous nos raisons d'intégrer le cartel, Sexta, répète Titan, même toi. Rose à les siennes et même s'il a de la considération pour son Chef de Garde, il est digne de confiance. Je le sais.
- Bien sûr. Et viendra le moment où il devra sauver sa couverture. Tu sais ce qu'il fera ? Il sacrifiera son binôme. Il jettera le sac à puces en pâture aux Mircalla ou bien à la Garde Étincelante, si ce n'est pas directement à la Capitaine. »
Titan frissonne à l'évocation de la mégère. Par bonheur, les rues d'Odrialc'h n'ont pas encore à s'infliger sa présence et c'est tant mieux.
Mais Yüljet pense au rapport de Fawkes. Elle pense à ce mot qu'il a écrit à la fin, mentionnant Rose qui était à cran. Elle pense aussi à sa confrontation avec l'assistant d'Ewelein, ce dernier ayant soit-disant vu quelque chose. Puis elle le revoit aux sélections, assis dans les gradins réservés aux grands noms, à côté de son Chef de Garde et parmi les Mircalla.
Non. Elle ne peut pas laisser le doute s'insinuer. Face à son silence, Titan entend Sexta soupirer.
« Pense ce que tu veux. Mais le jour où il fera un faux pas, je m'occuperai de lui, Titan. »
La troll n'en doute pas. Elle fixe Sexta qui la gratifie d'une expression austère, puis songe à ce qu'elle avait dit quand elle s'était enfin décidée à rejoindre le cartel.J'ai été capable du pire, alors je sais que je serai capable du meilleur. Je vieillis, tu sais. Avant d'aller en enfer, j'aimerais bien offrir le paradis aux gens qui vivent ici, avec nous. Même ceux qui font honte à mon espèce.Les Choix
Titan a eu une conversation avec Sexta, au sujet du fameux Fuya Pyle qu'elles vont toutes les deux aller rencontrer avec Fawkes, mais aussi au sujet de Rose Clarimonde. En effet, la vampire n'a pas du tout confiance en lui et soupçonne sa loyauté de pencher en faveur de Nevra et sa famille. Elle craint pour la sécurité du cartel, mais aussi celle de Fawkes qui est son binôme et qui serait donc en première ligne si Rose décidait de le sacrifier pour sauver sa couverture ou bien le jeter en pâture à la Garde d'Eel, aux Mircalla ou à la Capitaine.
À la lumière de tout cela et avec ce que dit le rapport de Fawkes, que devrait faire Titan, selon vous ?
➜ Écouter Sexta et placer Rose sous surveillance. Si c'est le cas, c'est Fawkes qui se verra confier cette mission.
➜ Ne rien faire. Elle a confiance en Rose, même si elle sait que son estime pour Nevra n'est pas feint.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes est sorti faire un tour dans la cité d'Odrialc'h afin de se dégourdir les jambes. Alors que ses pas l'emmènent au port de Shamshara, il peut constater que les conversations vont bon train. Ses oreilles sont attirées par certaines d'entre elles, mais vers laquelle devrait-il se concentrer ?
➜ Un groupe de soldats du corps armée d'Odrialc'h qui parle de la servante personnelle de Shakalogat qui partirait bientôt en retraite et devrait, avant son départ, céder sa place à quelqu'un qui est digne de prendre sa relève.
➜ Deux pêcheuses d'un certain âge qui s'inquiètent de ne pas voir leurs enfants revenir d'Eel.
➜ Un groupe de personnes en train de manger un morceau face à la mère qui discutent des membres de la famille Mircalla. Visiblement, le sujet principal de la conversation serait la beauté que leur inspire certains d'entre eux, Nevra en tête de liste.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June a donc décidée de partir avec sa famille et de rejoindre le corps armée d'Odrialc'h. La famille dispose de trois mois pour préparer son départ et donc June, son intégration. Pour ce faire et faciliter son transfert, Valkyon lui propose de participer à des sessions d'entraînement particulières qui mettent en commun des gardiens de Gardes différentes. Celle dont il parle est un entraînement commun entre quelques gardiens de l'Obsidienne et de l'Ombre.
Joseph participera aussi à ces entraînements afin de partager son expérience.
Valkyon demande donc à June si elle est intéressée et si oui, de lui citer un combattant de la Garde de l'Ombre qu'elle estime compétent et capable de lui apprendre des choses.
Choix 1 :
June accepte-t-elle de participer aux sessions d'entraînements ?
➜ Oui
➜ Non
Choix 2 :
Si oui, quel gardien de l'Ombre estime-t-elle compétent et capable de lui apprendre des choses ?
➜ Chrome Talbot
➜ Enthraa Kellerman
➜ Cornélia Halliwell
➜ Rose Clarimonde
➜ Autre (cite le personnage que tu veux)
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo (bon retour parmi nous !) :
Après les sélections, Lilymoe réfléchit au problème épineux qui le suit depuis un bon moment. Il songe à prendre une décision, mais il n'est pas encore sûr. Que devrait-il faire ?
➜ Aller parler à Nevra Mircalla de sa décision.
➜ Ne rien faire.
➜ Dire la vérité à Ewelein Osgiliath et chercher une solution ensemble.
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Un chapitre posté bien tôt pour une fois, et j'en suis ravie ! De plus, un petit peu de calme avant la tempête si je peux me permettre.
Pour information, le rapport de Fawkes sera disponible dans la Bibliothèque d'Apotheosis et ce, dans la journée.
Aussi et pour cette fois, vous allez devoir utiliser vos yeux de lynx, mais vous comprendrez à la fin de votre lecture.
Je vous souhaite d'ailleurs une bonne lecture !
Chapitre 24 - Doutes
June Albalefko contre la Capitaine
J'ai assisté aux sélections auprès de la famille Ael Diskaret. J'étais assis juste à côté du gamin, mais il ne parlait pas beaucoup. Par contre, j'avais commencé à discuter avec sa mère et avant le début du premier combat, j'ai pu apprendre quelques petites choses.
Je me suis surtout intéressé à la place de Joseph dans la Garde Obsidienne.
Cristal Ael Diskaret m'a raconté que son mari était devenu garde civil il y a vingt-et-un ans, un peu avant la naissance de Helouri. Il avait passé l'examen d'entrée pour la Garde Obsidienne haut la main, quand elle était encore dirigée par Lance Batatume.
Joseph voulait servir la cité d'Eel, mais il tenait aussi à rester auprès de sa femme et de son futur enfant. Il avait donc refusé de faire partie des gardiens qui escortaient des membres de l'Absynthe ou de l'Étincelante dans tout Eldarya.
Cristal me disait que Joseph a toujours été très apprécié, au sein de la Garde Obsidienne, voire même de la Garde d'Eel en général. Il était réputé pour être une personne digne de confiance, loyale et à l'écoute. Cristal m'a parlé de Balam Lefaucheur, l'un des guetteurs qui est un proche ami de la famille. Elle disait que quand ils étaient arrivés à Eel, Joseph faisait souvent erreur sur son nom de famille et avait tendance à l'appeler "Balam Leguetteur". C'est ce qui les a rapprochés.
Elle m'a parlé aussi de Pavel Golmarr. C'est un brownie d'une cinquantaine d'années qui entretient les jardins de la musique et le parc de la fontaine. D'après Cristal, il a un fils du même âge que Helouri qui s'appelle Viktor et qui est sourd depuis sa naissance. Pavel serait également un proche ami de la famille Ael Diskaret car Joseph l'aurait mis en relation avec un jeune médecin issu d'Amzer, le village des morgans. Ce médecin s'intéresse aux maladies de l'esprit et au comportement social. Selon Cristal, il aurait aidé le fils de Pavel à aller vers les autres malgré son handicap. Ça aurait tellement bien marché qu'aujourd'hui, Viktor travaille à l'école du Refuge en tant qu'homme à tout faire et les enfants l'apprécient. D'ailleurs, le médecin qui a accompagné Viktor avait proposé à la directrice de l'école d'enseigner le langage des signes aux enfants afin qu'ils puissent communiquer avec lui, mais aussi avec d'autres personnes sourdes ou malentendantes qui pourraient croiser leurs chemins, un jour. Cette initiative avait été acceptée et le langage des signes est toujours enseigné à l'école du Refuge. C'est pourquoi Pavel est si reconnaissant envers ce médecin, mais aussi envers Joseph qui le lui a présenté.
Cristal m'a aussi brièvement parlé du fils de Twylda Chrysomallos, chez qui tu as séjourné. Elle disait qu'on le voyait souvent en compagnie de Balam, puis en compagnie de Viktor après l'école pendant que sa mère était au travail. Cristal disait que c'était un gamin adorable et vif d'esprit, mais qui inventaient parfois des histoires délirantes. Tu sais sans doute de quoi je parle.
Cristal m'a aussi parlé de June, qui est arrivée à Eel il y a cinq ans. Joseph était bien entendu garde civil, mais il supervisait parfois les entraînements des jeunes recrues, dont celui de June. Il paraît qu'elle et Helouri se sont tout de suite bien entendus.
Cette fois, c'est Helouri qui m'a raconté que la première fois qu'il a rencontré June, c'était après son troisième échec à l'examen de la Garde Absynthe. Suite à cela, Ewelein lui avait permis de l'aider à l'hôpital du Quartier Général. June s'était blessée au poignet pendant un entraînement et vue que la blessure était bénigne, Helouri s'en était occupée. Il m'a dit que l'énergie de June était contagieuse et qu'il s'était tout de suite senti à l'aise en sa présence.
Elle est la grande sœur qu'il n'a jamais eue et pendant le combat, j'ai pu le voir. Beaucoup de personnes dans les gradins disaient que June n'avait pas sa place aux sélections et ils récoltaient des regards noirs de la part de Helouri et de sa mère. Mais contrairement à son fils, Cristal ne se gênait pas pour les remettre à leur place.
En plus, ils avaient tort : elle s'est très bien débrouillée ! Je ne sais pas si tu as pu voir une partie du combat, mais c'était impressionnant ! La Capitaine avait un large avantage sur June, grâce à sa carrure et à son expérience, mais elle était maligne. Elle a presque tout basé sur l'esquive et la furtivité pour réussir à atteindre son adversaire.
June était rapide et elle restait tout le temps en mouvement. Shakalogat devait toujours garder son attention sur elle, pour bloquer ses attaques et prédire ses mouvements et combien de fois June a esquivé son épée en roulant à terre. Pour beaucoup de gardiens, ce combat était perdu d'avance et c'était vrai, mais June a continué de se battre pour essayer de toucher son adversaire.
Je suis sûr qu'avec un bon entraînement, elle deviendrait un bon élément. D'ailleurs, la Capitaine lui a fait remarquer qu'elle connaissait ses atouts : elle ne mise pas sur la force physique, mais sur la rapidité et la furtivité. Pour son gabarit, c'est la clé de la réussite et je suis d'accord avec elle.
J'ai adoré ce combat et beaucoup ont été surpris par June. Comme quoi, le Chef Batatume a eu raison de lui donner sa chance.
À côté de moi, Helouri était vraiment angoissé et il lui donnait des avertissements comme si elle pouvait l'entendre. Mais ce n'était rien comparé à sa mère ! Elle vivait vraiment le combat.
D'ailleurs, j'ai surpris le gamin en train de jeter de temps en temps des coups d'œil vers Rose, qui était dans les tribunes réservées aux Mircalla. Vu que ça m'a intrigué, je lui ai demandé en plaisantant si Rose lui plaisait. Je n'aurais pas dû : il était tellement gêné qu'il ne voulait plus me regarder et il m'a dit un "non" tellement outré que les gens devant nous se sont retournés.
Sa mère s'est mise à rire et je n'ai plus abordé le sujet. Par contre, je pense que Helouri a dû voir ou entendre quelque chose à son sujet. Je ne sais pas si ça m'inquiète, mais ça pique quand même ma curiosité, surtout après ce qu'on a vu dans la rue du marché.
Yüljet achève une nouvelle fois sa lecture.
Sexta a quitté la salle principale de la planque depuis un long moment et la troll la soupçonne d'être allée veiller sur le sommeil de Fuya, histoire d'aviser si d'autres fées atroces ne la tourmentent pas.
Titan quant à elle, s'est plongée de nouveau au cœur de la cité d'Eel avec le rapport de Fawkes. Elle a relu le combat entre June Albalefko et la mégère juste pour tenter de l'imaginer, puisqu'elle n'a pas pu le voir, trop occupée à écouter la conversation entre Ewelein Osgiliath et Joseph Ael Diskaret.
Une histoire de fées et de gamin au coeur fragile. Yüljet pousse un soupir.
Elle n'a pas bougé de sa chaise, depuis sa discussion avec Sexta. Elle pense à Fuya Pyle, à la façon dont la rencontre va se dérouler, mais aussi à la mission qu'elle a décidée de confier à Fawkes. Elle ferme brièvement les yeux.
Titan devine que le renard-garou risque de ne pas apprécier que l'on soupçonne la droiture de son binôme et elle le rejoint, mais la mission originelle est importante. Si importante que le doute envers les alliés n'est pas permis.
Rose a peut-être des soucis ou plutôt : il a certainement des soucis, comme tout le monde. Seulement, il ne faudrait pas que son comportement étrange, comme celui de la rue du marché d'Eel, puisse rimer avec de la dissimulation d'informations au cartel ou bien pire que cela.
Alors Yüljet attend le retour de Fawkes. Sa solitude ne s'attarde pas longtemps, car elle se voit troublée par celui de Sexta. La mine grave de la vampire indique à Titan que le sommeil de Fuya est aussi troublé que d'ordinaire.
Sexta tire une chaise d'un geste agacé et s'y laisse tomber.
« Encore des cauchemars ? demande Yüljet d'un ton las.
- Cauchemars, confirme la vampire d'une voix tranchante, quand Ryan sera de retour, je lui demanderai qu'elle prépare des philtres de sommeil sans rêves. Fuya doit récupérer comme il faut, elle tombe de fatigue. »
La troll acquiesce. Si quelqu'un peut permettre à la sirène de dormir paisiblement, c'est bien Ryan. D'ailleurs, elle se demande où elle est :
« À l'école, répond Sexta, elle avait une réunion de parents d'élèves pour l'orientation de sa fille aînée. Je crois qu'elle veut toujours construire des aéronefs. »
La vampire achève sa phrase d'un ton plus léger.
Yüljet sait qu'au sein du cartel, le binôme entre Sexta et Ryan est celui qui promettait de nombreux dysfonctionnements, mais qui a pourtant su se montrer indispensable. Le cynisme, la rigidité et le caractère volcanique de la vampire sont devenus complémentaires avec la douceur et la timidité de la licorne.
Ryan possède le génie scientifique pour créer les poisons les plus terribles et Sexta quant à elle, lui a permis de se faire un nom au sein des ténèbres des Abysses.
La licorne pensait qu'elle ne parviendrait jamais à œuvrer pour le cartel tout en s'occupant de ses enfants ou plutôt : elle ne pensait pas que Sexta le lui permettrait, mais elle s'était trompée. La vampire qui n'a jamais eu d'enfants la laissait tranquille, sans tenter de la faire culpabiliser et sans chercher à savoir ce que Titan savait déjà.
Comment une personne telle que Ryan a pu entrer dans le cartel des Typhons ? Où est passé son mari ?
« Quand elle viendra, je lui demanderai de regarder le rapport de Fawkes, explique Yüljet, il a relevé des passages intéressants des livres qu'il a pu emprunter à la bibliothèque d'Eel et j'aimerai avoir son analyse.
- Tu parles de la fameuse Chair des Roses ? À mon avis ça ne vaut pas la peine qu'on s'y intéresse. C'est juste une histoire à dormir debout. »
Sexta s'adosse contre le dossier de sa chaise et face à l'air perplexe de sa cheffe, elle partage sa pensée avec un geste de la main.
« Quand nos ancêtres vivaient sur Terre, ils avaient accès aux religions et croyances humaines, comme celle que les lorialets ont rapportée. Une fois arrivés ici, ils n'avaient plus rien. Il a bien fallu qu'ils s'inventent des histoires et des monstres qui n'existent pas. Déjà qu'ils n'avaient plus de dieux… Et puis tu sais bien : c'est trop difficile d'avoir foi en soi-même. Ce n'est pas ça qui nous protège de notre peur de mourir. »
Elle adresse un sourire perfide à la troll. La peur de la mort, c'est l'outil préféré de Sexta contre ses adversaires parce que Titan sait que la concernant, elle a fini par s'en défaire.
Néanmoins et même si sa pensée reste intéressante, Yüljet tient quand même à creuser cette piste de Chair des Roses car les trouvailles qu'il peut y avoir au bout méritent peut-être le coup d'œil.
Soudain, le bruit de la porte d'entrée de la planque attire l'attention des deux faeriennes. Leurs regards sombres se posent sur Fawkes. Titan ressent un pincement au fond de sa poitrine, non seulement à cause de la mission qu'elle s'apprête à lui confier, mais aussi parce que le visage soucieux du renard-garou ne lui dit rien qui vaille.
« Cheffe, Sexta. »
La vampire plisse ses yeux étincelants en lui adressant un sourire presque carnassier. Elle fait penser à un prédateur particulièrement cruel en train de guetter une proie maline, mais Yüljet peut voir que l'incident avec le carnet de Fuya est presque oublié.
« Des nouvelles de l'extérieur ? » demande la troll pendant que Fawkes vient s'installer auprès d'elle.
Les oreilles du renard-garou tressautent et Titan l'entend soupirer. Visiblement, Fawkes a entendu quelques petites choses pendant sa promenade et sa cheffe ne sait pas encore si elle va les apprécier…
« Disons que je sais de sources sûres qu'Odrialc'h va bientôt se transformer en prison pour nous.
- Comment ça ? intervient la vampire.
- J'étais sur le port et j'écoutais les conversations des soldats. Ça parlait de la servante personnelle de la Capitaine qui va bientôt partir en retraite. Mais avant ça, elle va devoir élire un nouveau serviteur digne de prendre sa place. Je vous laisse imaginer ce que ça veut dire… »
Oui, Titan peut parfaitement imaginer. Ça veut dire qu'un événement d'une telle ampleur sera mondial et attirera tous les candidats potentiels qui aspireront à devenir le nouveau serviteur personnel de la Capitaine. Ça veut dire qu'Odrialc'h sera en effervescence, bien plus qu'Eel ne l'a été et que cette fois-ci, il ne sera plus question de rester sur place car plus aucune rue ne sera sûre.
Yüljet souffle par le nez en fermant brièvement les yeux.
« Dans combien de temps ? » demande-t-elle à Fawkes.
Mais ce dernier n'en sait rien. Titan espère qu'ils auront au moins quelques mois avant qu'Odrialc'h ne lance un immense appel à candidatures.
Devenir le serviteur personnel de Shakalogat Gra Ysul, c'est s'assurer une vie permanente au sein du grand palais, dans l'opulence et à l'abri du besoin. C'est avoir le privilège de côtoyer de grands noms, de pouvoir parfaire ses connaissances dans n'importe quel domaine et d'offrir une superbe maison parmi les hauts quartiers, à sa famille. Tout cela en échange de son temps et d'une partie de sa vie consacrée à une personne.
Pourtant, c'est le genre d'existence qui attirera des milliers de personnes prêtes à écraser leurs adversaires pour se hisser vers la place du vainqueur.
« Tiens, Titan, voilà un billet d'entrée pour le palais…» raille Sexta.
Certes, mais c'est un billet d'entrée qui n'est pas accessible. Non seulement car les potentiels candidats au sein du cartel ne se compteraient qu'au nombre de deux, avec Fawkes et Fuya, mais aussi car le poste de serviteur personnel de la mégère demande bien trop d'exigences.
Culture générale, intelligence, discrétion, éloquence, adresse, discipline, minutie… Ce n'est pas à la portée de n'importe qui.
« Fawkes, l'interpelle Titan, je dois te parler quelque chose. »
Intrigué, le renard-garou observe sa cheffe en attendant plus d'explications. Sexta quant à elle, reste silencieuse.
« Nous allons attendre la rencontre avec Fuya Pyle pour envisager la suite de notre mission. Suivant ce que nous apprendrons, soit nous pourrons tenter d'aller secourir Nash, soit nous trouverons un autre moyen d'entrer dans le palais…
- On a déjà un plan pour entrer dans le palais, intervient Fawkes, on en a trouvé un avec Rose. Même s'il est loin d'être parfait, on peut y réfléchir.
- Le problème principal de ce plan, c'est ton binôme. » tranche Sexta.
La vampire lui adresse un sourire froid avant de se redresser sur sa chaise. L'ombre qui passe sur le visage du renard-garou n'échappe pas à Titan et avant que l'atmosphère devienne plus tangible, elle reprend la parole :
« Nous avons une mission d'une très grande importance. Comme tu le dis dans ton rapport, Fawkes, ce que nous nous apprêtons à faire est un enlèvement. Pour cette mission, nous n'avons pas le loisir de douter de nos alliés.
- Il n'y a qu'une personne, ici, qui doute de Rose, crache Fawkes, alors qu'il a toujours été de notre côté.
- Tu n'es pas objectif, intervient Sexta, tu ne le connais pas et tu dois bien avouer que quand tu le vois coller son Chef de Garde toute la journée, tu peux douter de sa loyauté.
- Ça ne veut rien dire. Il fait simplement son travail.
- Ce n'est pas ton ami, Fawkes, c'est ton binôme ! s'emporte Sexta.
- Ça suffit. »
Titan n'a pas haussé la voix. Elle savait que les doutes concernant la fiabilité de Rose seraient un sujet assez sensible. Les binômes sont importants au sein du cartel et même s'ils ne sont pas synonyme d'amitié pour certains membres, d'autres parviennent à passer quelques barrières comme Nash et Gabrielle.
Mais Yüljet est d'accord avec Sexta : elle est certaine que Rose ne considère pas Fawkes comme son ami. Un collègue, peut-être et encore. Rien que ce constat parvient à lui imposer cette question dans son esprit : et si vraiment sa loyauté n'était pas du côté du cartel, qu'est-ce qui pourrait arriver à Fawkes le jour où il choisira de le jeter en pâture ? Qu'est-ce qui arrivera quand Nevra Mircalla aura besoin d'informations sur les Typhons et qu'il donnera l'ordre, à son Second, de mener son binôme en salle d'interrogatoire ?
Non. Titan ne peut pas prendre ce risque.
« La loyauté est quelque chose de fragile, déclare la troll, et nous concernant, c'est surtout quelque chose qui ne peut pas laisser de doutes derrière elle. Après notre rencontre avec Fuya Pyle, j'aimerais te confier une mission, Fawkes. »
Ce dernier l'observe avec intensité. Yüljet aussi, fait confiance au vampire. Comme tous les autres Typhons, il a de bonnes raisons de s'être joint au cartel et elle les respecte, au même titre que les motivations de Sexta ou bien celle de Fawkes.
Mais le doute reste présent.
« Je voudrais que tu retournes à Eel et que tu surveilles Rose. Tu garderas un œil sur lui et tu me feras des rapports réguliers. Pour chaque détail, chaque comportement de sa part que tu trouveras étrange, tu devras enquêter et trouver les explications nécessaires. Après lectures de tes rapports et uniquement lorsque je serais entièrement convaincue, la surveillance s'arrêtera. Mais si Rose est effectivement un traître, alors…
- Alors je m'occuperai de lui. » coupe Sexta, menaçante.
Le regard qu'elle adresse à Fawkes est lourd de sens et les oreilles du renard-garou s'agitent. Si ses yeux bruns pouvaient trancher, la figure de la vampire serait couverte de plaies.
Lorsque Yüljet pose une main sur son épaule, Fawkes sursaute quelque peu.
« Tu n'es pas obligé d'accepter cette mission. Mais puisque tu es le binôme de Rose, tu es le membre des Typhons le mieux placé pour l'exécuter.
- Titan… grogne Sexta.
- Si tu refuses, je la confierai aux purrekos, poursuit la troll sans prêter attention à la vampire, alors prends le temps d'y réfléchir, Fawkes, et tu me donneras ta réponse après la rencontre avec Fuya Pyle. »
Elle entend soupirer et elle sait que Sexta ne comprend pas son choix. Une mission est une mission et il est inconcevable de la refuser. Mais quand il s'agit d'enquêter sur les alliés, comme en cet instant, Titan sait que les sentiments personnels peuvent prendre le dessus et compromettre une surveillance qui ne doit jamais être soupçonnée.
Fawkes plonge son regard dans celui de sa cheffe. Ses lèvres minces forment une ligne presque imperceptible et dans sa tête, Yüljet devine que toutes ses pensées entrent en conflit.
Il secoue la tête, ses oreilles flamboyantes s'agitent de nouveau et enfin il demande :
« Pourquoi Rose a voulu entrer dans le cartel des Typhons ? »
La troll pousse un soupir. C'est une question à laquelle elle ne peut pas répondre sans trahir le jeune vampire. C'est un secret qui n'est pas synonyme de traîtrise, mais que Rose refuse de divulguer.
« Il a ses raisons et je ne peux pas les trahir. »
Tout ce que Yüljet peut affirmer, c'est qu'elles sont réelles. Elle a déjà pu le constater de ses propres yeux mais elle s'est jurée de ne jamais y remettre les pieds.
Elle n'aime pas les hôpitaux et celui-là, moins que les autres.
Le silence prend possession de la pièce et les yeux de la troll se posent sur le rapport de Fawkes.
Il leur reste encore une journée pour se préparer à la rencontre de Fuya Pyle, sur la Place des Échanges et ils ne peuvent pas échouer, tous les trois. Fawkes, Sexta et elle."Fuya Pyle"
« Relis-le. » lance Sexta.
Elle est prête, comme eux tous. Elle a été la première à se lever aux aurores pour se préparer mentalement à guetter une nouvelle proie. Une proie redoutable.
Mais encore faut-il la débusquer.
C'est leur première mission et il a beau être encore tôt, la Place des Échanges grouille de monde. Il doit déjà s'y trouver, d'ailleurs.
Fawkes attrape son rapport et ses yeux bruns balayent les lignes jusqu'à atteindre le passage sur Fuya Pyle. Des informations qu'il a obtenues de la part d'un guetteur, aux sélections :
Fuya Pyle
Pendant le passage de Shawata Maliwe aux sélections, quelque chose s'est produit. Des guetteurs sont arrivés dans les gradins et ils nous ont expliqué qu'un individu avait dans l'idée de s'en prendre à Ciryandil Alfirin. Je trouvais ça déjà très étrange, mais ça s'est confirmé quand un guetteur est venu pour m'interroger.
Il m'a dit ceci :
"Monsieur Red, votre nom est sur toutes les lèvres, vous savez ! Est-ce que tout va bien de votre côté ? Votre ami, Fuya Pyle, m'a dit que vous étiez inquiet à cause de plusieurs personnes suspectes. Il s'excuse d'avoir quitté les gradins et il m'a demandé de vous dire qu'il vous attendra à l'endroit habituel."
Bien entendu, j'ai regardé en direction des tribunes d'en face, là où il y avait la vraie Fuya, assise à côté de l'assistant d'Ewelein. Je n'ai pas compris sur le moment, puis j'ai eu un affreux doute.
J'ai demandé au guetteur de qui il voulait parler, car je n'avais pas fait attention. Il m'a fixé comme si j'étais le dernier des idiots et je ne peux pas lui en vouloir : qu'est-ce que ça pouvait bien donner, un renard-garou qui ne savait même pas à quoi ressemblait son ami ?
Je lui ai dit que j'étais trop absorbé par les combats de sélections.
Le guetteur m'a répondu ceci :
"Votre ami Fuya a dû exagérer, quand il m'a parlé de votre inquiétude. Mais il n'a pas manqué de souligner votre air distrait. Il a même dit que si vous vous retrouviez seul dans une pièce avec lui, vous ne seriez pas capable de voir son beau sourire, les couleurs forestières de sa tenue et l'or de son anneau, qu'il porte en pendentif. Je ne fais que le citer, mais je pense qu'il n'a pas tort."
Le guetteur s'est mis à rire alors que je réfléchissais. Je savais que quelqu'un cherchait à piéger le cartel et je n'avais qu'une hâte : quitter les sélections pour me précipiter dans la ruelle près de l'herboriste, afin de mettre la main sur ce type.
La suite, tu la connais.
Titan ne dit rien. Comme Sexta, elle mémorise ce passage du rapport de Fawkes avant de se rendre sur la Place des Échange.
Fuya Pyle veut les tester. Bien. Ils ne peuvent pas se tromper car qui sait s'il ne leur filera pas simplement entre les doigts ?
« Vous êtes prêts ? » demande Yüljet d'un ton ferme.
Bien sûr qu'ils le sont. Sexta est prête à dévorer sa nouvelle proie et Fawkes quant à lui, est déterminé à mettre la main sur Fuya Pyle.
C'est l'heure.
Les Choix
Le moment est venu. Titan, Fawkes et Sexta se trouvent sur la Place des Échanges de la cité d'Odrialc'h, qui n'est rien d'autre qu'un marché bondé de monde. Parmi toutes les personnes qui s'y trouvent, il y a Fuya Pyle. Seulement, c'est à vous de le trouver.
En vous aidant du rapport de Fawkes désignez, selon vous, la personne qui serait susceptible d'être Fuya parmi elles :Dessin réalisé par... moi
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Titan a confié une mission à Fawkes et pas n'importe laquelle, surveiller son binôme dont la loyauté est mise en doute. Pour la mission en cours, le cartel ne peut pas se permettre de douter d'un allié. Cependant, Fawkes a la possibilité de refuser la mission, qui sera alors effectuée par les purrekos.
Que devrait-il faire ?
➜ Accepter la mission.
➜ Refuser la mission.
Waïtikka, tu as la possibilité de rédiger les pensées de Fawkes qui le mènent à sa décision, si tu le souhaite.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June a acceptée de participer aux entraînements communs entre la Garde Obsidienne et la Garde de l'Ombre. Elle a émis le souhait de s'entraîner avec Rose Clarimonde, le Second de la Garde de l'Ombre.
Ce dernier a accepté et à présent, le premier jour d'entraînement est arrivé !
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP pour RP une partie de cet entraînement !
Aussi et suite à cet entraînement, Valkyon Batatume apprécierait d'avoir les retours de ses gardiens afin de prévoir l'entraînement suivant. Libre à toi de lui faire parvenir le rapport de June !
Pas de choix pour ZuzoHyo pour ce chapitre, ce sera dans le prochain !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Tout d'abord, je vous souhaite un bon dimanche de Pâques !
Pour ce fameux dimanche, une petite surprise, donc : la sortie du chapitre 25. Tout de même, je n'allais pas vous laisser poireauter quelques jours avec le suspens de Fuya Pyle.
Avant de vous laisser à votre lecture, quelques petites précisions :
➜ Le rapport complet de Fawkes sera disponible sur sa fiche, dans la bibliothèque d'Apotheosis (je dis "sera", car je vais le faire aujourd'hui même).
➜ Comme vous pourrez le remarquer sur ce chapitre, vous avez une nouvelle session de RP à la lecture. Cette mécanique deviendra récurrente. Non seulement cela permets aux joueurs comme Waïtikka, MayaShiz et ZuzoHyo de participer à l'évolution de leurs personnages de manière complète, mais aussi je trouve que c'est beaucoup plus agréable pour vous d'avoir ce genre de scène à lire, plutôt qu'un rapport ou une conversation rapportée.
Ainsi, Attendez-vous donc à avoir des petites parcelles de vie comme celles-ci, avec son lot d'indices et de révélations.
Bien entendu, Titan ne peut pas avoir connaissance de ce qu'elle ne voit et n'entend pas de ce fait, ça n'a aucun impact sur la narratrice.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 25 - Le Fugitif du Secteur 15
RP June Albalefko et Rose Clarimonde :
L'entraînement aura bientôt lieu. Quelques membres de l'Ombre et de l'Obsidienne commençaient déjà à se préparer et si certains d'entre eux attendent l'arrivée de Valkyon Batatume, d'autres binômes commencent à discuter.
Là, il y a un jeune loup-garou à la tignasse sombre méchée de rouge, en pleine conversation avec un lamia. Il est armé de dagues et il fera un parfait adversaire pour son comparse de l'Obsidienne qui manie une lourde hache.
Ici, il y a une sorcière aveugle, membre de l'Ombre également. Elle paraît presque frêle à côté de sa partenaire, une massive hamadryade à la longue chevelure végétale.
On compte aussi une gardienne de l'Ombre spécialisée dans la maîtrise des arcanes, une autre armée d'un redoutable trident et à l'écart, un jeune vampire se prépare avec application.
Méticuleux dans ses gestes, il manie sa longue hallebarde, aussi noire que ses cheveux, avec des gestes presque gracieux. À vrai dire, les autres gardiens de l'Ombre ne s'attendaient à le voir participer à un entraînement de ce genre pourtant, cela fait partie de son travail.
La Garde Obsidienne a demandé un partage de savoir afin de parfaire certaines techniques de combat, mais également former celles et ceux qui souhaitent entrer dans le corps armé d'Odrialc'h. C'est la raison pour laquelle il est là.
Rose Clarimonde a été sollicité pour entraîner une gardienne de l'Obsidienne qui deviendra bientôt une recrue parmi les troupes de la plus grande cité d'Eldarya. Le vampire a déjà pu se faire une idée de son style de combat, puisqu'il l'a vu affronter la Capitaine elle-même pendant les sélections.
Rose ne sait pas vraiment si ses conseils pourront compléter l'enseignement du Chef Batatume, mais il pense que pour June qui est habituée aux armes légères et aux épées courtes, s'entraîner avec une personne qui manie une hallebarde pourra lui être bénéfique.
Il est fin prêt. Quand il balaye la grande salle de son regard opalin, il avise que la jeune faerienne n'est pas encore arrivée. Il entend le rire de Chrome Talbot envahir l'espace et son partenaire de combat se joint volontier à lui. Quand les yeux ambrés du loup-garous croisent ceux de son supérieur, il lui adresse une révérence ridicule, puis un sourire plus franc. Rose secoue la tête exaspéré, avant de lui affirmer, d'un geste, qu'il l'a à l'œil.
Chrome est du genre à collectionner les bévues et ses rapports sont aussi confus que les paroles d'un faerien ivre.
En attendant l'arrivée de sa partenaire, le vampire se contente d'observer les binômes en train de se former, selon les directives reçues par le Chef Batatume.
Lorsque June pénètre dans la salle, elle sent l’excitation envahir ses membres. Pour elle qui adore apprendre, cette session est une bénédiction. Elle lisse ses mèches folles, vérifie son équipement pour la millième fois, puis s’avance entre les groupes en saluant les autres gardiens. Un sourire poli à ceux qu’elle ne connaît pas bien, un geste plus enthousiaste aux autres. La jeune femme canalise son énergie débordante, mais elle a bien du mal à ne pas sautiller d’impatience.
Elle repère son binôme et cette fois, l’appréhension pointe le bout de son nez. Rose est impressionnant, parce qu’il est bien plus gradé qu’elle, mais aussi parce qu’il est inaccessible. June prend une longue inspiration : elle espère qu’il ne la prendra pas pour une idiote, et que leur entraînement se passera bien. L’obsidienne ne regrette en rien son choix, presque immédiat, mais elle veut faire bonne impression.
Alors elle souffle encore une fois, la voix de Cristal lui intimant de se calmer résonnant dans son esprit, et elle rejoint le gardien de l’Ombre. La jeune femme se plante devant Rose et lui adresse le salut formel des obsidiennes, qu’elle agrémente toutefois d’un sourire franc.
- Bonjour, Chef en Second ! Je suis June Albalefko. Je vous remercie d’avoir accepté de m’entraîner, je me doute que ça doit prendre sur votre temps.
Elle se tait, consciente d’avoir déjà trop parlé. Des tas de mots se bousculent sur sa langue, alors elle les retient en se concentrant sur son binôme. Cristal et Joseph tiennent par-dessus tout aux bonnes manières, alors elle applique à la lettre la politique de la maison.
Joseph va arriver après elle, d'ailleurs. Il doit retrouver le Chef Batatume pour parler de l'entraînement avant d'en annoncer le commencement. Pour Rose, c'est une occasion d'échanger afin de pouvoir, par la suite, dispenser les conseils les plus avisés sans se perdre dans des enchaînements de mouvements inutiles.
Il salue June Albalefko avec politesse, puis lui répond :
« June Albalefko. Je vous en prie, cela fait partie de mon travail. Il est important de maintenir une bonne entente entre toutes les Gardes et un entraînement commun est profitable pour tout le monde. »
Ce constat étant posé, il se présente à son tour :
« Rose Clarimonde, Second de la Garde de l'Ombre. Je me suis permis de me renseigner sur votre style de combat auprès de votre Chef de Garde, même si j'ai pu assister à votre démonstration aux sélections. De ce fait : qu'avez-vous appris sur vos capacités pendant cet évènement et que voulez-vous apprendre ? »
June fronce légèrement le nez : le Second Clarimonde est aussi rigide qu’on le dit. Mais, comme le lui a rappelé Joseph, elle est là pour s’entraîner et pas pour bavasser. La jeune femme prend le temps de réfléchir à la question, non sans jeter un coup d’œil à l’arme de son binôme. L’obsidienne ne peut s’empêcher d’être étonnée à chaque fois qu’elle voit un membre de l’ombre se battre avec autre chose que des poignards. Dans son esprit, les armes aussi imposantes ne vont pas avec leur fonction.
Finalement, sa bouche se tord en une moue enjouée et elle joint ses mains derrière son dos, en une imitation inconsciente de Joseph quand il s’adresse à ses supérieurs.
- Premièrement, j’ai appris que je n’étais pas capable de vaincre la Capitaine, mais ça, ce n’était pas une surprise.
Sa tentative d’humour tombe à plat, mais elle ne se laisse pas démonter et enchaîne directement.
- Ensuite, je sais que mon allonge est vraiment courte par rapport à celles des autres. Je suis petite, et même si j’arrive à être suffisamment rapide pour esquiver les coups, je me fatigue vite.
Elle fait une pause, souffle sur une mèche de cheveux qui retombe sur son nez, et adresse un sourire enthousiaste au second.
- Je vois que vous avez une hallebarde. Peut-être qu’on pourrait axer l’entraînement sur cette histoire d’allonge, voir comment combattre quelqu’un qui a une arme de mi-distance, et comment je peux le vaincre avec mes compétences ? J’aimerais également travailler les opportunités. Joseph dit que j’en laisse passer beaucoup, et que c’est bien d’essayer de fatiguer l’autre, mais que si on donne pas de coup, ça sert à rien.
Son débit s’accélère au fur et à mesure. June s’en rend compte parce que les mots se bousculent à nouveau sur sa langue pour sortir tous en même temps. La jeune femme pose une main sur la garde son épée, se calme et lève la tête pour croiser le regard du Second Clarimonde.
- Et puis… si ça ne vous dérange pas, je voudrais bien avoir votre analyse aussi. Et ce que vous pensez que je devrais améliorer. Mon fr… Helouri m’a déjà dit ce qu’il en avait pensé, et j’en ai parlé avec le Chef Batatume bien sûr, mais c’est bien d’avoir plusieurs avis.
Au fur et à mesure de son débit, Rose remarque que June se met à s'agiter, manifestement portée par l'enthousiasme du souvenir de son passage aux sélections. Un instant, il a craint que le sujet de ses réponses dérive vers la Capitaine, mais la jeune faerienne s'est vite recentrée sur ses capacités. Rose retient les points importants et s'il fait un bilan, il pense que June a déjà fait une bonne analyse d'elle-même.
La portée de son arme, les opportunités manquées, la fatigue engendrée… Cependant il manque plusieurs choses.
« Votre analyse personnelle est déjà pertinente : vous connaissez vos points forts et vos points faibles. Vous avez conscience de vos capacités physiques et c'est ce que nous allons travailler aujourd'hui car en effet, vous tester contre un adversaire qui utilise une arme de mi-distance pourrait être bénéfique. Ainsi, nous pourrons reprendre vos capacités d'esquive, mais aussi vous montrer les opportunités et les failles qui peuvent exister dans la posture de vos adversaires. »
Quant à son analyse, elle est simple et peut-être qu'elle se rapprochera de celle du Chef Batatume. Mais Rose veut aussi mettre le doigt sur la phase mentale qui est très importante en combat. La Capitaine l'a elle-même mentionnée durant les sélections.
D'un ton très calme, il poursuit ses explications, les bras croisés sur sa poitrine :
« Ce que je retiens de votre passage aux sélections, c'est votre volonté de combattre. Vous avez vous-même fait le point sur vos capacités physiques et je vous rejoins sur ceux que vous avez évoqués. Mais j'aimerais souligner l'aspect mental du combat. De ce fait, je pense à votre maîtrise de vous-même durant votre duel contre la Capitaine, surtout lorsque l'on sait que vous étiez la première candidate à être appelée dans l'arène et que vous ignoriez l'identité de votre adversaire. Le sang-froid est une qualité importante qui ne s'enseigne qu'avec l'expérience, mais avec cela, il y a aussi la pleine conscience de votre rôle. »
Face à l'air dubitatif de June, il s'explique en citant Joseph Ael Diskaret :
« Par exemple, Joseph Ael Diskaret fait partie de la garde civil. Son rôle est de protéger les citoyens de la cité d'Eel des agressions, des intrusions et des crimes qui pourraient être commis à leur encontre. Son rôle est d'assurer la sécurité d'autrui et lorsqu'il partira à Odrialc'h, il devra assurer celle de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash. Ensuite et pour vous citer un autre exemple, dans la Garde de l'Ombre, il y a ceux qui manient les armes légères pour aller traquer des informations en toute discrétion, ceux qui savent réaliser des poisons pour les interrogatoires, ceux qui peuvent maîtriser diverses armes de longues ou moyennes portées pour enquêter sur des crimes ou bien ceux qui utilisent la magie pour créer des illusions ou des explosions afin de surprendre et désorienter leurs adversaires. Le point commun avec toutes ces personnes, c'est qu'elles connaissent leur rôle. »
Sans cet élément, il est difficile de se situer dans le combat et d'en comprendre le sens. Une personne qui sait pourquoi elle doit pourfendre son adversaire sera toujours plus forte que celle qui a oublié son rôle.
« Au sein de la Garde Obsidienne, reprend Rose, vous êtes une gardienne destinée à être complémentaire avec vos collègues qui manient des armes lourdes. Vous êtes présente en tant que soutien et si je veux faire un parallèle avec les gardiens de l'Ombre, vous avez le gabarit et les capacités physiques d'une traqueuse d'informations. Mais au sein du corps armé d'Odrialc'h, est-ce que vous avez réfléchi à votre rôle ? Qu'est-ce que vous souhaitez devenir comme combattante, June ? »
Il est rigide et distant, mais il est attentif aussi. June a cessé de bouger, concentrée sur ses paroles telle une élève devant son professeur. La jeune femme plisse les yeux, triture inconsciement une mèche de cheveux et pèse ses mots.
- J’ai réfléchi, oui. Je n’ai pas encore tout à fait décidé, parce que je ne veux pas me fermer d’opportunités. Le rôle de soutien me convient, parce que je sais qu’il est dans mes cordes, mais je veux aussi être capable de me débrouiller toute seule. Quand j’ai combattu la Capitaine, j’ai été surprise et si elle avait été un vrai ennemi, je serais morte. Pas parce qu’elle est très forte, mais parce que j’ai mis du temps avant de prendre les armes et que je ne savais pas comment faire pour la combattre.
Elle est toutefois fière de sa performance, et Joseph l’a félicitée. June le soupçonne de n’avoir rien vu du combat, mais elle s’en fiche, ce n'est pas ce qui compte. Elle croise les bras sur sa poitrine et hoche la tête avec assurance.
- Je veux pouvoir être en mesure de me défendre contre n’importe qui, et je veux que mes compagnons puissent compter sur moi. Qu’ils sachent que j’assure leurs arrières, et que si je me retrouve isolée, je puisse quand même m’en sortir sans eux.
Plus que tout, June refuse d’être un boulet. Elle sait que Rose ne pourra pas lui enseigner tout ça avec le temps qui leur est accordé. Mais elle fera de son mieux pour apprendre, et pour s’abreuver des connaissances du Second de la Garde de l’Ombre.
Leur conversation est interrompue par l'arrivée de Valkyon Batatume ainsi que de Joseph Ael Diskaret. L'entraînement va pouvoir commencer et tous les gardiens semblent ravis de cette initiative. Même ceux qui échangeaient à peine quelques mots avec leur binôme ont fini par discuter, mais surtout par planifier les passes qu'ils s'apprêtent à exécuter.
Valkyon fera office de médiateur durant cette session et Joseph quant à lui, prodiguera ses conseils à celles et ceux qui le désirent. En observant les deux faeriens, Rose surprend un échange de regards entre June et Joseph. Si le grand morgan lui adresse un sourire amical en premier lieu, il se transforme bien vite en soupir de soulagement exagéré.
Le vampire arque un sourcil, perplexe, mais se concentre sur le discours du Chef Batatume :
« Gardiens, gardiennes, je vous souhaite la bienvenue pour cette session d'entrainement commune à la Garde Obsidienne et à la Garde de l'Ombre. Comme vous le savez déjà, des binômes ont été demandés lors d'entretiens individuels et par bonheur, les gardiens de l'Ombre qui ont été évoqués ont tous répondus présents. Pour cela, je vous en remercie et je ferai tout mon possible pour que la réciproque soit vraie, lorsque votre Chef de Garde organisera un entraînement commun à son tour. »
Les gardiens échangent quelques regards entre eux. Pour le moment, personne n'a l'air de regretter son choix, mais l'entraînement n'a pas encore débuté.
« Pour cette session, je suis ici en tant que médiateur, poursuit Valkyon, et Joseph Ael Diskaret ici présent, vainqueur des sélections, a accepté de se joindre à nous pour partager ses conseils et ses expériences. N'hésitez pas à lui poser vos questions. »
Le grand morgan appuie la déclaration du Chef de la Garde Obsidienne et après quelques mots supplémentaires de sa part, l'entraînement peut commencer.
Rose attrape sa hallebarde puis, se mettant à une distance convenable, propose un premier exercice à June :
« Bien. Je pense que pour commencer, nous allons reproduire une situation similaire à celle de votre combat contre la Capitaine : vous allez m'attaquer et je vais riposter. Le but de cet exercice sera d'esquiver mes coups tout en cherchant des ouvertures pour essayer de m'atteindre ou de me désarmer. Si cela vous convient, vous pouvez ouvrir les hostilités. »
June décide que Rose lui plaît. Malgré son austérité, qui laisse présager un manque d’enthousiasme et d’humour dans la vie de tous les jours, elle est ravie d’avoir évoqué son nom. Elle sort son épée et se met en garde, observant son adversaire. En rentrant, elle racontera tout à Helouri, sans rien omettre. Elle lui dira également toutes les plaisanteries qui ont traversé son esprit, puis jurera n’en avoir prononcé aucune. De toute façon, elle est certaine que le Second ne lui aurait pas fait l’aumône d’un sourire.
La jeune femme se concentre. Les conseils de ses précédents enseignants résonnent dans sa tête et bientôt, elle ne songe plus à la rigidité de Rose, ni à sa diction emphasée. Elle lui indique qu’elle est prête d’un regard, puis lance l’offensive avec prudence. Jauger d’abord, foncer ensuite. Joseph dit ça mieux, mais l’idée reste la même.
Le rapport est rédigé d’une écriture soignée qui n’est en rien celle de June, et a bien sûr été édulcoré des réflexions concernant le fondement du second Clarimonde.***
Rapport de June Albalefko sur l’entraînement inter-garde du vega 28 du mois de mimouet
Il m’a été proposé par le Chef Batatume de participer aux sessions d’entraînements mutualisées avec la Garde de l’Ombre, dans le cadre de mon futur départ pour Odrialc’h. Il m’a été demandé de choisir un membre de la Garde de l’Ombre pour devenir mon binôme lors de ces entraînements. Parmi la liste, c’est celui du Second Clarimonde qui a attiré mon attention.
Au cours de notre session, j’ai pu constater que mon choix avait été judicieux. Tout d’abord, le Second Clarimonde m’a permis de voir ma performance aux sélections d’un œil nouveau. Il a analysé mon combat contre la Capitaine Shakalogat Gra Ysul en pointant mes forces ainsi que mes faiblesses, puis m’a demandé ce que je jugeais utile de travailler.
Nous avons tous les deux convenus que mon principal problème venait de ma carrure. Étant relativement petite, je me retrouve régulièrement confrontée à des adversaires plus imposants que moi. Nous avons donc travaillé sur ce point, tout en axant également notre combat sur les opportunités que j’ai tendance à laisser passer par manque d’attention.
Ensuite, le Second Clarimonde se bat au moyen d’une hallebarde, chose surprenante pour un gardien de l’Ombre et assez nouvelle pour moi. N’ayant que rarement eu affaire à des armes mi-distance comme celle-ci, j’ai pu découvrir de nouvelles passes et me confronter à un nouveau style de combat.
Pour terminer, le Second Clarimonde a eu une réflexion très juste, à laquelle je ne m’attendais pas. Il a parlé de mon rôle dans la Garde, et de celui que je souhaiterais tenir dans le corps armé d’Ordrialc’h. Bien sûr, j’avais déjà réfléchi à cette question avec le gardien Joseph Ael Diskaret. Ma réponse a été la suivante : je veux pouvoir être en mesure de me défendre contre n’importe qui, et je veux que mes compagnons puissent compter sur moi. Qu’ils sachent que j’assure leurs arrières, et que si je me retrouve isolée, je puisse quand même m’en sortir sans eux. Le Second Clarimonde l’a prise en compte, et nous en avons rediscuté par la suite pour définir plus précisément mes attentes concernant ces sessions.
Je suis satisfaite de cet entraînement, et souhaite poursuivre ces sessions communes en compagnie du Second Clarimonde. Sa réflexion et ses compétences me permettent de remettre en question ma manière de combattre, et je suis certaine que cela ne pourra que m’être bénéfique pour mon futur dans le corps armée d’Odrialc’h.
Je pense également être assez complémentaire avec le Second Clarimonde, dont le calme me permet de réfréner ma tendance à me laisser emporter par l’instant. J’espère donc qu’il acceptera de continuer à me former.
PS : comme d’habitude, Helouri Ael Diskaret a rédigé mon rapport, mais il a retranscrit tout ce que j’ai dit et il s’est engagé à respecter le secret de la Garde.
Gardienne Albalefko, Obsidienne
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Clameurs, murmures, conversations, disputes, pensées à voix haute, sifflements dédaigneux, exclamations de surprise, de joie, de déception. Le marché d'Odrialc'h, sur la Place des Échanges, est un enchevêtrement d'âmes et de sons. Quand tous les vendeurs sont installés, il devient le cœur vivant de la plus grande cité d'Eldarya.
N'importe qui peut en profiter pour attirer l'attention s'il le désire, mais n'importe qui peut s'y cacher aussi. L'expression "se fondre dans la foule" n'a jamais été aussi vraie qu'aujourd'hui.
Trois paires d'yeux guettent depuis un bon moment sans parvenir à attraper, ne serait-ce qu'une silhouette qui pourrait porter le pseudonyme de Fuya Pyle.
Sourire, couleurs forestières, anneau d'or monté en pendentif. Ils ont bien retenu leurs indices, mais les candidats, en plus d'être trop nombreux, sont incertains.
Les couleurs vives telles que le bleu, le violet, le jaune intense ou bien le rouge flamboyant ne sont pas dominantes dans un environnement aussi populaire que le marché d'Odrialc'h. Bon nombre de faeriens et faeriennes portent du marron terne, du blanc cassé et du vert trop sobre. Les couleurs forestières sont coutumières en ces lieux et les sourires aussi.
Là-bas, il y a un elfe à l'air paisible. Il a ramené ses cheveux sapins en une natte qui repose sur son épaule. À son air distingué, on peut facilement l'imaginer en bureaucrate, enseignant ou bien docteur. Titan plisse les yeux pour l'observer avec attention. Il porte de jolies teintes qui pourraient rappeler sans mal une union entre le ciel de sa chemise et la terre de son pantalon, mais sur sa poitrine ne brille aucun anneau. Ce n'est pas Fuya Pyle.
La troll attrape une autre silhouette. Plus petite, une partie du visage caché derrière un foulard sanglant et des yeux aussi froids que de l'acier. Elle est certaine qu'il ne s'agit pas de Fuya Pyle, encore une fois.
« Qu'est-ce que… » grogne Fawkes.
Yüljet et Sexta se tournent vers lui pour découvrir son visage livide. Quand elles lui demandent ce qui se passe, le renard-garou secoue la tête et répond :
« J'ai cru voir une femme en chemise de nuit, avec son visage caché derrière ses cheveux… Elle a disparu…
- Tu vois des fantômes, maintenant, Fawkes ? » raille la vampire.
Mais sa figure à elle ne rit pas. Sur ses gardes, elle scrute la moindre personne susceptible de correspondre aux indices laissés par leur mystérieux correspondant.
Les corps se succèdent, marchent vers eux, les dépassent ou les rattrapent. Tous vont et viennent, dans leurs pensées ou en pleine conversation avec autrui, mais personne ne s'occupe d'eux.
Sauf Fuya Pyle, de là où il est.
« Continuons. » ordonne Titan.
Ils reprennent leur périple parmi la foule et Yüljet songe qu'il vaudrait presque mieux essayer de trouver une ombre sur un tas de charbon. Elle observe les atours en espérant que l'un d'entre eux puisse lui apporter un signe et elle pense que la folie n'est pas loin, quand elle réalise que ses espoirs ne tiennent qu'à un bout de tissu ou un bijou.
Jusqu'à ce que son regard onyx accroche une nouvelle silhouette. Vautrée sur un petit banc, ses longues jambes chaussées de bottes croisées sous un étal d'herboristerie, le visage couvert par un large capuchon d'un vert foncé, elle semble attendre.
Quand elle s'approche, intriguée, Titan attrape un éclat doré. Reposant sur son torse et les pans de sa chemise beige, un anneau semble la narguer. Mais bien moins que le rictus qui barre la figure de son propriétaire.
« Fawkes. Sexta. » souffle Yüljet.
Ils la rejoignent et elle sait que parmi la foule, eux aussi parviennent à le voir. Ils font un pas, puis un autre, parfois incertains, tantôt convaincus, et quand ils attrapent ce prétendu Fuya Pyle en train de lever deux mains gantées de vert pour applaudir de façon ridicule, ils savent qu'ils l'ont enfin trouvé.
La troll sent Sexta frémir, prête à bondir, mais Titan lui attrappe doucement le poignet. Elle s'avance jusqu'à l'étal, sans jamais le quitter des yeux et une fois qu'elle est assez proche, elle remarque quelques mèches de cheveux bleus venir encadrer une mâchoire pâle.
Elle observe, une fois de plus, cette bouche aux lèvres minces se figer en un sourire qui les réduit à des marionnettes capables de l'amuser.
« Bravo, soldats, les accueille-t-il, vous êtes efficaces.
- En ce qui me concerne, je peux me montrer encore plus efficace.» ajoute Sexta d'une voix doucereuse.
Mais Fuya Pyle se contente de la toiser sous son capuchon. Il se redresse puis, d'un signe de tête discret, les invite à le suivre. À présent, ils ne peuvent plus reculer ou plutôt : ils ne doivent pas reculer.
La vampire est la première à lui emboîter le pas et Yüljet sait que de toute façon, dans les quartiers populaires d'Odrialc'h, il n'y a aucun endroit qui pourrait servir de prison à Sexta.
De plus, il n'y a rien de plus terrible et dangereux que les Abysses.
Titan et Fawkes se mettent à les suivre. Fuya Pyle a très certainement prévu un endroit propice à la discussion, loin des yeux investigateurs et des oreilles curieuses et même si le cœur de la troll marque une cadence de plus en plus élevée, elle reste de marbre. L'inquiétude a le droit de lui tenir la main, mais jamais celui de se montrer face à autrui.
Encore moins devant Fuya Pyle.
À ses côtés, Yüljet sent que Fawkes est tendu. Le renard-garou serait prêt à sauter à la gorge de n'importe quel individu susceptible de représenter une menace et il se méfie.
Seule Sexta fait certainement confiance à sa propre réputation et Titan doute que Fuya Pyle puisse être assez idiot pour tenter un piège imbécile.
Bien au contraire.
Ils traversent la Place des Échanges pour rejoindre la devanture agréable d'un magasin de jouets. Surprise, Yüljet laisse ses yeux noirs s'égarer sur les poupées de chiffon, les musaroses en bois ainsi que les formes géométriques destinées à être insérées sur une planche de tri par de très jeunes enfants. Tout ce matériel semble presque irréel sur le présentoir destiné aux clients, mais aussi sur les étagères apparentes, à l'intérieur de la boutique. Non loin d'elles, des artisans sont en train de travailler, l'un d'entre eux sculptant le visage charmant d'un futur pantin.
Ils ne lèvent même pas les yeux quand Fuya Pyle pénètre sur les lieux, suivi de ses invités singuliers. Si Titan pensait qu'il les menait vers l'arrière-boutique, elle ne s'est trompée que de peu : en réalité et dans la petite pièce étroite, séparée du reste du magasin par un simple rideau rapiécé, il y a une trappe.
« Tu veux nous séquestrer auprès des bériflores en bois ? » ironise Sexta.
Pas de réponse. Juste une ouverture béante et des escaliers qui les invitent à s'engouffrer vers l'inconnu. Leur hôte encapuchonné y descend le premier et Titan devine qu'il ne tient qu'à eux d'aller jusqu'au bout du voyage.
Ils sont venus pour ça, après tout.
Mais bien loin de la prison ridicule décrite par la vampire, il n'y a qu'une table, quatre chaises et des lanternes pour éclairer ce qui s'apparente à un débarras. Les Typhons s'y engouffrent à tour de rôle, Fawkes fermant la marche et rabattant la trappe sur la conversation qui aura bientôt lieu.
L'anxiété se lit sur ses traits. Avec prudence, il s'approche de la table, rejoignant sa cheffe et Sexta pour se placer à leurs côtés. Ils observent, tous les trois, Fuya Pyle tirer une chaise pour s'y installer.
« Vous pouvez vous asseoir, vos fesses ne craignent rien. » lance-t-il d'un ton moqueur.
Titan voit Sexta garder contenance en lui jetant un sourire froid. La troll prend place la première, suivit de ses comparses.
Bien. À présent, il n'y a plus qu'à connaître les intentions de ce Fuya Pyle, puis aviser la suite des événements.
« Maintenant que nous sommes là, nous aimerions beaucoup connaître le nom et le visage de celui qui se fait passer pour un membre de mon cartel, argue Yüljet.
- Et je vais vous les donner. Commencer nos négociations par une présentation en bonne et dûe forme, c'est quand même le minimum. »
La troll retient une grimace à la mention du mot "négociation". Elle sait que son interlocuteur ne l'a pas employé au hasard et elle commence à craindre pour les informations qu'il détient.
Mais elle est tirée de ses pensées. Elle, Fawkes et Sexta.
La réalité les happe quand Fuya Pyle porte les mains à sa capuche pour s'en défaire.
Là, quelques mèches de cheveux bleus s'échappent. Ils sont relevés en un chignon haut et ils auréolent un visage elfique aux yeux aigues-marine.
Les entrailles de Titan se tordent, parce qu'elle le connaît déjà.
Un bref coup d'œil à Fawkes et Sexta pour lire leur stupéfaction.
Fuya Pyle est un miroir et il ne peut être que cela. Il est une copie, l'autre face d'une pièce et le synonyme d'un être qui siège à la tête de la Garde Absynthe, en cet instant et depuis huit ans.
Fuya Pyle possède le visage et la chair, sûrement, d'Ezarel Séquoïa.
« Rien que pour les têtes que vous faites, j'apprécie déjà notre entrevue, les nargue-t-il.
- Ton nom. » s'empresse Titan.
Il plisse ses yeux étincelants et lève deux bras en un geste dramatique, déclarant qu'il allait le leur donner, son nom. Il joint les mains sur la table, puis ajoute d'un ton presque paisible.
« Nelladel Séquoïa. Je suppose que vous avez déjà entendu parler de mon frère. »Nelladel Séquoïa par Makaria
Oui, Yüljet connaît Ezarel Séquoïa, comme des milliers de faeriens sur Eldarya. Seulement, jamais il n'a été divulgué que le Chef de la Garde Absynthe avait encore de la famille et qui plus est, un frère jumeau.
La troll entend Sexta émettre un sifflement dédaigneux. Cette dernière secoue la tête, puis toise Nelladel d'un regard mauvais.
« Joli numéro. Mais on est venu pour plusieurs raisons : tu joues avec le cartel depuis Eel et personnellement, j'ai du mal à apprécier tes petites fantaisies. Normalement j'ai des méthodes pour me débarrasser des gêneurs dans ton genre pourtant, ma cheffe a plutôt envie de t'écouter et je dois avouer que moi aussi.
- Enchanté Sexta Stoker, répond Nelladel, je suis ravi de pouvoir discuter avec toi et le cartel des Typhons. Oh oui, j'en ai, des choses à dire. »
Nouveau sourire. Ses yeux se plissent quand ses lèvres se courbent et Yüljet note chez lui, une nette tendance aux grands mouvements presque théâtraux. Néanmoins il y a, derrière cette façade, des pensées bien ordonnées et elle veut les connaître.
« Tu nous a fait comprendre dans ton message que nous avons le même but, mais je doute de ton maître. Je veux savoir ce que tu cherches et comment tu as pu obtenir toutes ces informations sur nous.
- Et aussi, on doit avouer que ton cadeau nous rend curieux. » grogne Fawkes.
Le renard-garou s'est presque replié sur lui-même. Nelladel lui fait un clin d'oeil avant de rétorquer :
« Souris un petit peu, mon ami. En souvenir des sélections que nous avons vu ensemble. Je n'étais pas très loin de toi tu sais et moi aussi j'encourageais June Albalefko. »
Fawkes reste muet et l'elfe redevient sérieux. Il prend un instant pour rassembler toutes ses idées avant de commencer ces fameuses négociations :
« Vous avez une mission, amorce-t-il, et j'ai la même que vous. J'ai aussi accès à des ressources et des informations que vous ne possédez pas. Il faut que vous sachiez que sauver Sheraz Alfirin est capital. L'échec n'est pas possible. S'il meurt dans deux ans, vous pourrez abandonner vos espoirs d'empêcher la conquête terrienne, ce sera trop tard.
- Comment ça ? le coupe Titan, qu'est-ce qui rend Sheraz si spécial ? Ça a un rapport avec son sang ? Quel est son rôle à jouer.
- Je vais y venir et je vais vous répondre, mais avant ça, vous devez me promettre quelque chose. »
Nelladel croise les bras sur la table et Yüljet le voit pousser un léger soupir. Elle le regarde baisser les yeux vers l'anneau qu'il porte à son cou et quand il la fixe de nouveau, il a le visage de ceux qui sont déterminés à aller jusqu'au bout de leur combat. Quel est le sien ?
« Vous devez comprendre que tout ça, c'est en rapport avec la conquête terrienne. Vous devez vous mettre dans le crâne que ceux qui sont à la tête de ce projet feront tout ce qui est en leur pouvoir pour y arriver et qu'ils n'ont aucune limite. Que la guerre entre les humains et les faeriens n'a jamais cessé d'exister et que pour beaucoup de personnes, leur véritable monde, c'est encore la Terre.
- On sait tout ça, où est-ce que tu veux en venir ? » s'impatiente Sexta.
La cartel des Typhons est déjà au courant que l'ennemi est grand et que leur projet ne souffrira d'aucun gêneur. On sait toujours pourquoi on s'engage.
Nelladel se mord la lèvre, puis reprend enfin la parole :
« Ils veulent rayer la Garde Absynthe. Ils veulent détruire les projets de mon frère, l'empêcher de rendre les sols fertiles et de guérir ce monde sans vie.
- J'en ai entendu parler, appuie Titan, la Garde Absynthe perd petit à petit tous ses financements.
- Ce n'est que le début. Quand elle se retrouvera sans le sous, ils ne s'arrêteront pas. Ils piétineront tout le travail de mon frère, ils feront en sorte de le rendre inutile et ils arriveront même à falsifier toutes ses recherches pour les transformer en tissus de mensonges. En d'autres termes : ils veulent pousser mon frère au suicide. »
Titan, Fawkes et Sexta ouvrent de grands yeux. En réalité, ça ne les étonne que très peu. Mais la vampire rebondit :
« Tu dis "ils" depuis tout à l'heure, mais qui c'est ? Et comment tu peux être sûr de tout ça ? Ce sont des informations que tu as entendu ? »
Nelladel hoche la tête. "Ils", ce sont les têtes pensantes du projet de conquête terrienne, sûrement mais ce que Yüljet ne ignorait, c'est qu'elle avait déjà entendu parler d'eux :
« Je vous l'ai dit dans mon message, reprend l'elfe, j'ai déjà réussi à m'infiltrer dans le grand palais, mais je n'ai pas pu aller jusqu'au bout de ma mission. C'est là que j'ai entendu parler ce qu'ils appellent l'opération Amputation, c'est à dire l'assassinat de mon frère. Ils espèrent réussir à le pousser au suicide et s'il n'y arrive pas, ils enverront quelqu'un pour le tuer et maquiller sa mort. La suite du projet, vous vous en doutez : ils mettront quelqu'un d'autre à la tête de la Garde Absynthe. Quelqu'un qu'ils peuvent contrôler. »
Bien sûr. Mais si cela arrive, alors ça tuera les espoirs de milliers de faeriens dans l'œuf et tout le monde se tournera vers la conquête terrienne. Cela scellera définitivement la mort d'Eldarya, sans plus personne à son chevet pour trouver une solution à son mal.
« Tout ça, ça fait partie du grand projet des Docteurs Becs. »
Titan écarquille ses yeux noirs. Elle songe immédiatement à l'histoire de Mery, à son dessin, à son entretien avec Purral. Ce ne peut être que les mêmes personnes.
Elle secoue la tête :
« Ce sont ceux qui sont responsables des expériences faites sur les humains ? »
Mais à son grand étonnement, Nelladel répond par la négative. À priori, c'est beaucoup plus complexe.
Il porte une main à son anneau, ferme les yeux, puis se remet à parler. Pour comprendre ce qu'il sait, les Typhons doivent savoir d'où il vient et ce qu'il à fait. Son histoire s'achève par une fuite pour sa survie, mais aussi celle d'Eldarya.
Il commence avec une question :
« Échantillon numéro onze. Ragnarok, secteur quinze. À transférer sur le continent du Beryx. Sujet humain Yeva. Femelle. Vingt-neuf. Sujet sain. Pourquoi je vous ai donné une mèche de ses cheveux, à votre avis ? »
Pas de réponse. Il sourit :
« Parce que c'est grâce à son transfert que j'ai pu m'enfuir.
- Fuir d'où ? » demande Fawkes.
... Du Ragnarok.
Lance Batatume, ce nom vous dit quelque chose ? J'en suis sûr. Il a été un brillant Chef de la Garde Obsidienne avant d'être transféré dans les brigades de ravitaillement et moi, j'ai été sous son commandement, pendant huit ans. Huit ans dans les brigades, c'est huit ans d'enfer.
Oh et puis non : l'enfer est sûrement beaucoup plus doux.
« Mais apparemment, on ne revient pas des brigades, intervient le renard-garou, on ne sait même pas où elles se trouvent. »
Et vous ne le pouvez pas pour une raison très simple : elles ne se trouvent pas sur Eldarya, ni sur Terre d'ailleurs. Elles se trouvent entre ces deux mondes, dans un endroit que je ne pourrais même pas vous décrire.
On l'a appelé le Ragnarok et si vous voulez, c'est une passerelle entre Eldarya et la Terre. Seulement quand on y entre, on n'en sort plus. C'est la loi des brigades.
En fait, le Ragnarok est le premier chemin qui s'est tissé entre la Terre et Eldarya. Ce sont les vestiges du Grand Exil sauf qu'à l'époque, il n'était pas gangréné.
« Tu veux parler d'un monde entre nos deux mondes ? tranche Sexta, interdite, Ça ne peut pas exister. »
Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas un monde, c'est une passerelle. Quand la première famine s'est installée sur Eldarya à cause des sols infertiles, les brigades ont été créées et envoyées dans le Ragnarok. Seulement au départ, ce n'était apparemment que la réplique d'une vieille ville humaine, sans dangers. Mais avec le temps, cette ville à changée, elle s'est modernisée comme si elle évoluait en même temps que les humains et aujourd'hui, c'est un lieu qui pue la peur, le sang et la mort.
Il y a des choses qui se cachent dans cette ville et si elles vous trouvent, vous mourrez.
« Quel genre de choses ? grogne Fawkes, intrigué par l'histoire, tu veux parler de sortes de monstres ? »
Le terme est plutôt bien trouvé. Nous, on les appelle plutôt "spectres", mais c'est pareil. Les Docteurs Becs disent qu'ils sont la personnification de toutes les peurs humaines les plus sombres et viscérales et qu'il faut simplement composer avec.
Vous savez pourquoi vous pouvez manger de la purée de pomme de terre ? Parce que des brigadiers comme moi traversent cette ville maudite jusqu'au portail vers la Terre et parce certains perdent la vie, tués par les spectres. Et je ne parle même pas de ce que coûte l'enlèvement d'un humain en termes de vies faeriennes. Mais ça, on nous dit que c'est le prix à payer pour la liberté.
« La liberté ? » interroge Titan.
Pour dix ans de service dans les brigades, on a le droit d'aller vivre sur Terre après. Si on réussit à tenir dix ans bien sûr. C'est ce qui est arrivé à Lance. Il a mérité sa liberté, lui.
Pour assurer la sécurité des brigadiers, il s'est aventuré dans la ville encore et encore, jusqu'à réussir à la cartographier ou plutôt : à cartographier tous ses changements. Parce que la ville change tout le temps. Seulement, Lance l'a étudiée et au final, il a réussi à mettre au point des règles pour les spectres. C'est difficile à expliquer. En fait, les spectres obéissent à des rituels particuliers. Par exemple :
Dans une rue sombre si tu marches, brigadier, prend garde à la femme vêtue de blanc.
Elle te suivra mais n'y prête pas attention : tu dois aller sur Terre, n'oublie pas.
Marche dix kilomètres et n'écoute pas sa respiration.
Quand viendra le virage, elle se mettra à hurler. Ta tête menacera d'exploser mais tiens bon, brigadier.
Si tu hurles avec elle, tu perdras ta langue, tes dents et ta mâchoire toute entière. Tu mourras sur le virage et qui sait ce qu'il adviendra de ton corps et de ton âme, parmi le Ragnarok ?
Pour la rue sombre et le virage, n'écoute que tes pas.
Titan ne dit plus rien. Ce genre d'histoire ressemble presque à un conte horrifique destiné à faire peur aux enfants. Elle secoue la tête, incertaine. C'est si…
« Incroyable, je sais, affirme Nelladel, et si vous doutez de moi, je ne peux pas vous en vouloir. Il faut le vivre pour réaliser ce que c'est. Les règles que je viens de vous citer, elles ont été écrites par Lance lui-même. C'est grâce à lui que la survie s'est nettement améliorée dans le Ragnarok. Certains spectres sont vicieux et peuvent prendre l'apparence d'un enfant ou même d'un hôtel qu'il faut connaître par cœur pour pouvoir en sortir.
- Hôtel ? interroge Fawkes.
- Une sorte d'auberge, mais beaucoup plus grande, sourit l'elfe, il arrive que certains spectres réussissent à atteindre le portail vers la Terre et sortent. Quand c'est comme ça, c'est trop tard. On ne peut pas tuer un spectre et encore moins le ramener. »
Il hausse les épaules.
« Ça finit par donner ce que les humains appellent "légendes urbaines". Il n'y en a pas beaucoup, heureusement. Le portail est très difficile à trouver pour des êtres comme eux et même pour nous, vu que la ville change tout le temps. »
Silence. Les membres du cartel fixent Nelladel à la dérobée et Titan doit bien admettre que son histoire est à peine concevable. Cela semble si irréel. Une passerelle figée à jamais entre la Terre et Eldarya, recelant de monstres et d'une ville meurtrière.
Un combat quotidien pour des brigadiers qui vivent au cœur d'un enfer qui ressemble à un amas des peurs humaines les plus terribles et tout ça dans l'espoir d'être encore en vie, dix ans plus tard. Tout ça pour une liberté qui ne sera accessible qu'aux plus vaillants, comme Lance Batatume.
Yüljet échange un regard avec Sexta, puis avec Fawkes. Eux aussi, doutent. Mais ils continuent d'écouter.
Titan a du mal à imaginer qu'il ait pu inventer une histoire pareille, mais elle continue de se méfier.
« Et tu disais que tu avais fui. Comment as-tu fait ?
- En bravant l'interdit. » souffle Nelladel.
Bien sûr. Mais encore ? Qu'est-ce que représente l'interdit, au sein des brigades et du Ragnarok ?
L'elfe referme sa main sur son anneau, puis reprend avec un sourire en coin, comme s'il se présentait de nouveau :
« Nelladel Séquoïa, secteur quinze, huit ans de service. Chefs titulaires : Lance Batatume et Naytili Naberius. Dernière mission en date : obtention du sujet humain numéro onze. »
Il s'interrompt quelques secondes, puis reprend.
« Les brigadiers affectés au secteur quinze doivent rapporter les éléments exigés par les Docteurs Becs pour le grand projet de conquête terrienne. Les plus importants étant les sujets humains. Notre rôle est de nous rendre sur Terre pour rechercher des humains solitaires, idéalement sans famille et sans attaches. Les enlèvements doivent rester discrets et si les autorités terriennes venaient mettre le nez dans nos affaires, ce serait un problème.
- Donc, vous recherchez des humains avec très peu d'entourage, histoire d'être sûrs que personne ne voudra les retrouver ? » récapitule Sexta.
L'elfe hoche la tête. Ensuite, les brigadiers du secteur quinze doivent les prendre en filature et connaître toutes leurs habitudes pour mieux pouvoir les enlever le moment venu. C'est ce qu'il s'est produit avec l'échantillon numéro onze.
Lorsque les Docteurs Becs en donnent l'ordre, une équipe se réunit avec du matériel médical pour procéder à la mise en coma artificielle et au transport jusqu'au Ragnarok.
Là, le sujet humain est examiné pour attester de son état de santé. Si une maladie est détectée, le sujet est détruit.
Ensuite, les Docteurs Becs ordonnent le transfert vers Eldarya, là où ils seront prêts à l'attendre.
Yüljet songe que ça correspond avec ce que Mery a vu. Pourtant, l'humaine n'était pas endormie dans son témoignage et ça, ça a certainement un rapport avec la fuite de Nelladel.
« C'est moi qui me suis occupé du transfert du sujet numéro onze, explique-t-il, et pour fuir, j'ai fait l'impensable : je l'ai réveillée. Je l'ai sorti de son coma et je peux vous dire que ça a semé la panique dans le Ragnarok. Les autres brigadiers ont tout d'abord pensé à un dysfonctionnement de la machine…
- Machine ?
- … Mais ce n'était pas le cas, bien sûr. J'avais saboté son réveil et le sujet a très mal réagi. Elle ne pouvait pas comprendre ce qui lui était arrivé, ni le nouvel environnement dans lequel elle se trouvait, alors elle est entrée dans un grand état de panique qui s'est petit à petit transformé en délire. Mais pendant qu'elle occupait tous les brigadiers, moi, j'ai pu obtenir mon billet de sortie. Ça faisait trois ans que j'y travaillais. »
Mais quand Yüljet lui demande "comment", Nelladel répond qu'elle et les autres Typhons n'y comprendraient rien. Quand elle insiste, il prononce des mots qui n'ont aucun sens.
Ordinateur, mémoire centrale du système, réceptacle du sort originel.
« Je vous avais prévenu que ça ne vous parlerait pas. Ce sont des technologies qui viennent de la Terre et nous nous en servons pour connecter le Ragnarok à Eldarya et à la Terre lors des transferts de nourritures et de sujets humains. Les Docteurs Becs, sur Eldarya et leurs confrères sur Terre, possèdent une partie du sort et nous, la seconde. Le portail ne peut s'ouvrir que si les uns ou les autres l'activent. Voyez ça comme un phénomène de résonance : ils nous envoient la question et nous, on répond. C'est leur question que j'ai enfin réussi à enfermer dans la mémoire de mon ordinateur après trois ans à essayer. Après le transfert du sujet numéro onze, j'ai pu rouvrir un portail, mais il était tellement instable que j'ai été envoyé dans un endroit qui a faillit me tuer. »
Où ça ? C'est la première question que pose Sexta et la réponse quant à elle, permet de rassembler des indices qu'ils ont trouvés. Elle les ramène aussi à la mission originelle.
Nelladel se remet à sourire :
« Derrière la frontière des Milliget. Le froid a failli me cueillir et j'ai bien cru que j'allais y rester. Mais un Milliget m'a trouvé. Il m'a donné une potion pour lutter contre le froid et il m'a interrogé. Il voulait savoir comment j'avais pu entrer dans le royaume des fées alors, je leur ai dit la vérité, parce que le sujet humain numéro onze, il leur était destiné de toute façon.
- Et il t'a cru ? argue Fawkes.
- Mes connaissances sur le grand projet et la mèche de cheveux que j'avais récupérée ont joué en ma faveur. Du coup, il a daigné me rendre ma liberté et de ne pas me dénoncer auprès des Docteurs Becs, mais seulement si j'acceptais de réaliser une mission. Vous savez déjà laquelle. »
Silence. Yüljet, Fawkes et Sexta dévisagent Nelladel comme s'il venait de se transformer en orc. La troll ne sait toujours pas si elle doit croire à son histoire. Une partie de son esprit lui souffle qu'elle fait sens, qu'elle en donne à tous les indices qu'ils ont pu trouver et qu'elle explique la façon dont Nelladel peut avoir accès à autant d'informations.
Mais l'autre partie de son esprit, elle, n'arrive pas à lui donner du crédit. C'est trop invraisemblable.
« J'ai entendu des types délirer sous l'effet du tap, de la torture ou de l'alcool, mais jamais des comme toi, crache Sexta.
- Tu es libre de me croire ou non, rétorque l'elfe, puisque de toute façon ça ne change rien à la mission originelle et à nos négociations.
- Ah, oui ! On les attend, celles-là. Alors vas-y, Nelladel, dis-nous qui est ton maître et ce que tu veux. » sursurre la vampire.
L'elfe et Sexta se jaugent du regard. À ses côtés, Titan sent Fawkes s'agiter. La queue flamboyante du renard garou se balance en un geste saccadé pendant que ses oreilles tressautent.
« On a la même mission, dit-il, on doit sauver Sheraz Alfirin. Tu viens de raconter l'histoire des brigades et je sais pas encore si je dois te croire. Mais je veux savoir pourquoi t'as fait appel au cartel. Si tu sais tout, si t'as eu accès à du savoir et du matériel humain, si t'es même allié avec les fées… Pourquoi t'aurais besoin de nous ? T'es dans un camp où t'as déjà tout.
- C'est vrai. Mais sans vous, je ne peux pas sauver mon frère. »
Nelladel souffle par le nez, et poursuit d'un ton plus calme :
« Ezarel me hait. Je l'ai abandonné pour m'enrôler dans les brigades. Je l'ai laissé seul avec nos parents mourants parce que je voulais être libre. Je ne croyais pas en lui, ni en ses travaux et je trouvais ses espoirs de rendre vie au monde d'Eldarya complètement stupides et illusoires. J'ai craché sur son travail et quand l'occasion d'entrer dans les brigades s'est présentée, je suis parti. Je suis sûr qu'il me croit mort, aujourd'hui.
- Et tu veux te racheter ? » grogne Fawkes.
L'elfe hoche la tête. Un sourire sans joie barre son visage alors que sa main gantée serre son anneau de plus belle.
« Appelez ça comme vous voulez. De toute façon, le Ragnarok m'a déjà fait payer mon geste. Je veux sauver Ezarel. Il doit achever son travail, c'est la seule solution pour qu'Eldarya vive à nouveau. Parce que les Docteurs Becs… Je les ai entendu… Ils ont… Ils…
- Crache-le, menace Sexta. »
Nelladel ferme les yeux, les ouvre de nouveau, souffle, puis avoue. C'est la raison pour laquelle il a déserté les brigades et c'est le savoir qu'il a communiqué à ses nouveaux maîtres.
C'est aussi la raison pour laquelle la vie d'Ezarel Séquoïa doit être sauvée, comme celle de Sheraz Alfirin.
Les Docteurs Becs, ils ont contaminé le monde d'Eldarya avec un virus. Ils le font pourrir comme un corps, afin que tous les espoirs de ses habitants se tournent vers la conquête terrienne. Le seul capable de trouver le virus, c'est Ezarel.
Silence. Titan se sent défaillir. Sexta et Fawkes ne disent plus rien, à leur tour. Leurs yeux fixés sur Nelladel, ils essayent d'assimiler ce qu'ils viennent d'apprendre.
Est-la vérité ? Est-ce réellement la vérité ? C'est l'incertitude qui leur répond.
Incertitude.
L'elfe leur sourit. Tristement, cette fois.
« Nelladel Séquoïa. Ex-brigadier du Ragnarok, secteur quinze. Huit ans de service. Fugitif au service de Candice et Sira Milliget. Nous avons la même mission. J'accepte de collaborer avec vous en échange de la protection de mon frère Ezarel et pour vous prouver ma loyauté, je peux vous aider à libérer votre ami, Nash Gro Shulong. Elle se fera par la force, car les autres Milliget ne connaissent rien de notre mission, mais mes maîtres pourront nous aider. La décision vous appartient. »Les Choix
Vous venez de rencontrer Nelladel Séquoïa. Vous apprenez qu'il faisait partie des brigades de ravitaillement et qu'il s'occupait des enlèvements d'êtres humains et de leur transfert pour le compte des Docteurs Becs.
Nelladel vous a tout raconté sur le Ragnarok, une passerelle entre Eldarya et la Terre. Il vous a parlé de la ville pleine de spectres, de la technologie humaine qui serait utilisée au sein du Ragnarok mais aussi, de sa fuite.
Nelladel Séquoïa a pour maîtres Candice et Sira Milliget. Il doit accomplir la même mission que le cartel des Typhons à savoir, sauver Sheraz Alfirin. En échange, il demande la protection de son frère, Ezarel Séquoïa, qui serait la seule personne capable de trouver le virus que les Docteurs Becs auraient injecté dans le monde d'Eldarya.
Croyez-vous à l'histoire de Nelladel Séquoïa ? Comment le cartel des Typhons devrait-il songer à la suite des évènements, suite à cette rencontre ?
➜ Le croire et aller sauver Nash.
➜ Ne pas le croire et tenter d'aller sauver Nash par vos propres moyens.
➜ Ne pas le croire et passer directement au plan de Fawkes et Rose. Nash n'est pas la priorité.
➜ Le croire et ne pas aller sauver Nash. Autant passer directement à la mission originelle.
Petites précisions : Si vous choisissez de croire Nelladel, cela marquera automatiquement le début de la collaboration du cartel des Typhons avec ce dernier.
En revanche, si vous choisissez de ne pas le croire, vous entrerez en compétition avec lui pour la mission originelle.
Concernant le sauvetage de Nash, cela ne dépend que de vous. Selon vous, quelle est la priorité ? Vous pouvez marcher de nouveau sur Eel avec ou sans Nelladel. Ou alors, seule la mission originelle compte.
Comme l'a dit Nelladel : la décision vous appartient.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Choix Optionnel
Fawkes a décidé d'accepter la mission que lui a confiée Titan et il compte l'annoncer à cette dernière. Il ira donc enquêter sur Rose. Cependant, il n'apprécie pas du tout les soupçons de Sexta à l'encontre de Rose, ni l'attitude de cette dernière.
Avant de partir, il pourrait peut-être la confronter et lui dire le fond de sa pensée.
Doit-il seulement le faire ?
Si la réponse est "oui", alors cela se fera sous forme de RP. Cela aura également une incidence sur la relation entre Fawkes et Sexta. Une confrontation avec la vampire peut donner des résultats assez volcaniques alors si Fawkes souhaite tout de même s'engager dans cette voie, qu'il vienne bien préparé.
Le choix t'appartient, Waïtikka ! Viens me trouver en MP si tu l'oses !
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
Choix Optionnel
Suite à la première session d'entraînement inter-garde, June a fait parvenir un rapport à son Chef de Garde. Ce dernier l'a informée qu'une petite réunion se tiendrait dans le quartier de la Garde de l'Ombre afin de permettre à tous les gardiens de s'exprimer et de modifier les binômes si besoin.
En plus des participants de la première session d'entraînement, Valkyon Batatume, Joseph Ael Diskaret et Nevra Mircalla seront présents.
Cette réunion n'est absolument pas obligatoire mais si June souhaite s'exprimer et échanger avec son binôme, elle est la bienvenue.
Que fera June ?
Si June décide de se rendre à la réunion, cela se déroulera sous forme de RP. Ce choix aura une incidence sur les relations de June avec Rose Clarimonde, Valkyon Batatume et Nevra Mircalla.
Ce choix donnera également la possibilité à June d'étendre ses horizons vis à vis de sa vie professionnelle et pourquoi pas, mettre le doigt sur des indices qui la feront peut-être douter.
Mais est-il bon de douter ici et maintenant ?
Si tu l'oses, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :
Choix Optionnel
Avec ce qu'il sait, Lilymoe a décidé d'aller parler à Nevra. Le Chef de la Garde de l'Ombre étant occupé, Lilymoe a le choix entre demander un rendez-vous ou bien lui écrire une missive. Quoi qu'il arrive, le renard-garou a déjà lancé sa manœuvre et un retour en arrière serait un petit peu difficile.
Néanmoins, serait-il bon d'aller voir Nevra pour lui parler de ses inquiétudes et lui expliquer son choix ? Ou bien doit-il lui écrire ?
Si Lilymoe décide d'aller parler de vive voix à Nevra, cela se fera sous forme de RP. Si Lilymoe décide de lui écrire, alors tu devras toi-même écrire cette missive et me la remettre.
Ce choix aura une incidence sur les relations entre Lilymoe et Nevra Mircalla, mais aussi envers un autre gardien (tu te doutes de qui c'est).
Aussi, ce choix pourra permettre à Lilymoe de modifier sa vie professionnelle.
Si tu te sens prêt, ZuzoHyo, viens me trouver en MP !
Petites précisions pour Waïtikka, MayaShiz et ZuzoHyo : Ces choix sont, comme leur nom l'indique, optionnels. Vous n'êtes absolument pas dans l'obligation de les accepter et vous avez tout à fait le droit de les ignorer. Si vous choisissez de les réaliser, ils vous apporteront toujours quelque chose mais ne vous ENLÈVERONT RIEN. Vous ne perdrez rien à ignorer ces choix.
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Tout d'abord, je vous remercie encore une fois pour tous vos retours sur le chapitre précédent et pour l'accueil que vous avez fait à Nelladel ! Vous avez pu le constater, une nouvelle page se tourne dans l'aventure Apotheosis et on sombre un petit peu plus dans les ténèbres.
Mais le voyage n'est pas fini.
Deux petits points à aborder avant de vous laisser en paix :
➜ Le rapport complet de Fawkes est disponible dans la Bibliothèque d'Apotheosis.
➜ Comme vous pourrez le remarquer, les ajouts des différents RP de MayaShiz avec June, ZuzoHyo avec Lilymoe et Waïtikka avec Fawkes rallongent considérablement le chapitre. Pour ce dernier, je ne les met pas sous spoiler mais n'hésitez pas à me dire si vous souhaitez que je le fasse pour le prochain. Ces petits points RP sont importants pour l'histoire parce qu'ils mettent en valeur le développement des personnages respectifs de MayaShiz, ZuzoHyo et Waïtikka, en plus de vous permettre de connaître un petit peu plus certains personnages hors du point de vue de notre chère narratrice, Yüljet.
Vous pourriez apprendre des choses intéressantes à travers ces RP (sans compter l'enquête de Fawkes qui démarre dès le chapitre suivant !).
Néanmoins, dites-moi si ça va au niveau de la longueur du chapitre ou si vraiment c'est dérangeant pour celles et ceux qui voudraient passer directement au chapitre lui-même.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 26 - Le Maître du Scalpel
RP de June et Rose
June arrive sur les lieux de la réunion avec cinq minutes d'avance.
Il y a déjà beaucoup de personnes qui sont présentes. Les voix d'Enthraa Kellerman, la terrible sirène et inspectrice de l'Ombre ainsi que celle de Cornélia Halliwell se font entendre. Pour l'entraînement inter-gardes, la maîtresse des arcanes s'est retrouvée en binôme avec un obsidien massif nommé Mathyz. Visiblement et d'après ce qu'il dit, ce dernier juge que les illusions de Cornélia sont parfaites pour le renforcer physiquement et mentalement.
Toutes ces personnes ne sont pas encore assises, même si moult chaises sont mises à leur disposition. Quand viendra le moment de la réunion, elles pourront toutes prendre place autour d'une longue table couleur ébène. Le quartier de la Garde de l'Ombre n'est pas le plus accueillant, il est même assez simpliste et offre surtout beaucoup de bureaux occupés par les inspecteurs, mais pour la réunion inter-garde, Nevra Mircalla a volontiers ouvert la grande salle dédiée aux réunions d'enquêtes.
« Est-ce que vous pensez qu'il vous serait possible de faire un suivi pour ces sessions d'entraînement ?
- Bien sûr. Je trouverai le temps. Aucun problème. »
La première voix, grave et bienveillante, appartient à Valkyon Batatume. Le Chef de la Garde Obsidienne est en pleine conversation avec le Second de l'Ombre, Rose Clarimonde. Les bras croisés sur la poitrine, aussi rigide que d'ordinaire, le vampire triture le tissu de son uniforme.
« Je vous remercie beaucoup, Rose, répond Valkyon, je sais que vous êtes très occupé. Nevra m'a parlé de l'enquête de stupéfiants qui prend toute la place au sein de votre Garde. Si l'Obsidienne peut faire quelque chose pour vous aider, n'hésitez pas.
- C'est naturel. La bonne entente entre les Gardes est quelque chose d'important. Merci pour votre sollicitude concernant l'enquête. Excusez-moi. »
Se détournant du Chef de la Garde Obsidienne, Rose traverse la pièce d'un pas rapide. Il rejoint un petit groupe d'ombres et d'obsidiens en pleine conversation, mais plutôt que de se mêler à eux, il se contente d'attendre, quelque peu en retrait, le début de la réunion.
June, qui vient d’entrer, perçoit les derniers mots de son Chef. La jeune femme fait mine de n’avoir rien entendu quand elle le salut d’un geste formel, mais son esprit se tourne immédiatement vers le tap, cette substance dangereuse que certains gardiens mentionnent à voix basse, lorsqu’ils pensent que personne n’écoute.
Son regard se pose sur le Second Clarimonde. Elle savait que la Garde de l’Ombre enquêtait à grande échelle, mais elle n’imaginait pas l’ampleur de leur dispositif. C’est dire, si même le Second de Nevra Mircalla participe aux recherches.
La jeune femme salut ses collègues, agite la main vers Mathyz qui lui répond d’un clin d’oeil ravi, puis elle se dirige vers Rose à pas mesurés. Quand elle a raconté sa session à Helouri, il lui a fait remarquer que son trop plein d'enthousiasme pouvait être handicapant, alors elle s’efforce de retenir son exubérance naturelle.
Elle ne peut pourtant pas s’empêcher de se planter devant lui un peu brusquement. June lui adresse un sourire poli et incline la tête dans sa direction.
« Bonjour, Chef en Second ! »
Elle croise les bras derrière son dos, puis devant, puis se force à les laisser pendre le long de son corps, tandis qu’elle poursuit d’une voix presque posée.
« Je n’étais pas sûre que vous ayez le temps de venir aujourd’hui. Merci pour vos conseils de la dernière fois, j’ai essayé de les mettre en pratique, mais il y a encore du travail. »
Rose Clarimonde a eu un léger sursaut, mais il reprend contenance. Son visage pensif arbore de nouveau son sérieux naturel et il salue June avec politesse. Quand cette dernière mentionne ses conseils, son esprit fait immédiatement lien avec un point qu'il souhaite évoquer avec elle.
« June Albalefko. N'ayez aucune inquiétude, je me suis arrangé. Cette réunion est tout de même importante afin que chacun puisse partager ses impressions. »
Le vampire décroise les bras afin de les placer derrière le dos. Il jette un regard furtif à Valkyon Batatume, en pleine discussion avec Mathyz et Cornélia, puis reprend :
« Je me suis entretenu avec votre Chef de Garde. Cette question sera abordée pendant la réunion et elle concerne le suivi des gardiens de l'Obsidienne par ceux de l'Ombre qui possèdent un grade supérieur. De ce fait et si cela est votre souhait, je pourrais superviser nos entraînements futurs jusqu'à votre intégration dans le corps armée d'Odrialc'h. Bien entendu, le choix est vôtre et une réponse immédiate de votre part n'est pas exigée tout de suite. Simplement et si vous envisagiez cette possibilité, je tenais à vous dire que je me tiendrais disponible pour la prise en charge de votre entraînement. »
Elle écarquille ses yeux améthystes, sa bouche s’arrondissant pour marquer sa surprise. Elle a envie de lui dire oui, que leur binôme fonctionne d’après ce qu’elle a vu de leur première session, et qu’elle trouve ses conseils judicieux. Pourtant, elle n’en fait rien et reprend un air sérieux, avant de hocher la tête sans se départir de son sourire.
« C’est très généreux de votre part ! s’exclame-t-elle. Et ce serait une opportunité intéressante. Moi, j’y vois aucun inconvénient, je serai partante, mais je vais attendre de voir ce qui va être dit pendant la réunion avant de vous donner une réponse définitive. »
Ce n’est pas un oui franc, parce qu’elle ne veut pas se fermer d’autres portes, mais pour le moment, il est son premier choix. Pendant la session, elle a vu Mathyz et Cornélia Halliwell s’entraîner, et la terrifiante maîtresse des arcanes lui a fait froid dans le dos. Enthraa Kellerman aussi, elle n’a pas ménagé son binôme. June s’était félicitée de son choix, qui lui évitait de nombreux cauchemars…
Rose hoche la tête et soudain, leur conversation est interrompue par l'arrivée de Nevra. Le Chef de la Garde de l'Ombre pénètre dans la pièce d'un pas conquérant et quand son œil valide se pose sur Valkyon, il lui adresse un sourire franc et se dirige vers lui pour échanger quelques mots. À sa suite, Joseph Ael Diskaret se joint à la réunion qui est sur le point de commencer.
« Bien, déclare Nevra d'une voix forte, tout d'abord je vous souhaite la bienvenue dans le quartier de la Garde de l'Ombre. Je vous invite à prendre place sur ces chaises qui ont le loisir de ne connaître que les illustres derrières de nos inspecteurs. »
Quelques rires ponctuent ses paroles et les gardiens s'installent les uns après les autres. Cornélia et Enthraa prennent place l'une à côté de l'autre, suivies de Chrome et son binôme qui sont arrivés un petit peu en retard. Quand Rose adresse un regard sévère au jeune loup-garou, ce dernier lui répond une grimace embarrassée.
Le Second en Chef de l'Ombre s'assoit à côté de Nevra, face à Valkyon qui est fin prêt pour la réunion.
June hésite. Ses pieds se tournent instinctivement vers Joseph, parce qu’il est la personne qui la met le plus à l’aise dans la pièce. Ses yeux croisent le regard du morgan, qui lui adresse un sourire rassurant. Il lui désigne le siège vide face à lui d’un geste discret du menton. June regarde les Chefs de Garde, hésite à nouveau puis finit par se diriger lentement vers le siège voisin de Rose Clarimonde.
Après tout, il est son binôme et de nombreux gardiens ont choisi cette configuration. La jeune femme s’assiet avec une prudence timide, comme si elle s’attendait à tout instant à ce qu’on lui dise d’aller ailleurs. Elle pose ses mains sur la table, puis sur ses genoux, serre le tissu de son vêtement entre ses doigts et jette une oeillade rapide vers Rose pour voir si elle n’a pas fait de bévue. Mais ce dernier est concentré sur son Chef de Garde qui ouvre les échanges :
« Alors, il y a un petit moment déjà, mon cher collègue et ami Valkyon Batatume m'avait proposé l'idée d'un entraînement inter-garde qui pourrait être bénéfique pour tout le monde. Vu que je n'ai rien contre le fait que mes gardiens puissent enseigner le génie de notre Garde à de pauvres hères, j'ai donc accepté.
- Toujours aussi modeste. » intervient Valkon, ses yeux d'ambre plissés d'amusement.
Joseph quant à lui, secoue la tête alors que Nevra poursuit :
« Vous avez tous assisté à votre première session d'entraînement et cette réunion a pour but de partager vos impressions. Celles et ceux qui veulent changer de binôme peuvent également s'exprimer. Ne vous inquiétez pas, vous n'aurez aucune représaille hormis celle d'aller lustrer le sol de mon salon. »
Chrome et son binôme se mettent à rire pendant que Cornélia arbore un sourire amusé. Ensuite, Valkyon prend la parole :
« Je risque de me répéter, mais je supervise ces entraînements en tant que médiateur. Je n'interviens qu'à la demande des gardiens et je les laisse établir leurs propres exercices au maximum. Beaucoup de gardiens de l'Ombre à la carrière exemplaire ont répondu à mon appel et je les en remercie encore une fois, alors moi aussi j'apprends d'eux en les observant superviser l'entraînement de mes recrues.
- Quant à moi, explique Joseph, je dispense mes conseils à ceux qui le veulent. Si je peux mettre mon expérience à profit avant de quitter notre belle cité, c'est avec joie. »
Ceci étant dit, les gardiennes et les gardiens sont invités à s'exprimer. Cornélia commence la première.
La maîtresse des arcanes se présente et explique son rôle au sein de la Garde de l'Ombre. Son art mêle science et magie et les bonnes formules lui permettent de créer des illusions ou bien des explosions. Cornélia Halliwell fait partie d'une équipe spécialisée dans les interrogatoires et quand elle a répondu à l'appel de Valkyon Batatume pour l'entraînement inter-garde, elle a pensé que sa maîtrise des arcanes serait bénéfique pour renforcer les aptitudes physiques et psychologiques de son binôme.
« Elle me fait voir des choses horribles, lance Mathyz, et elle n'est vraiment pas tendre ! Mais je dois bien avouer que j'arrive de mieux en mieux à garder mon sang-froid en situations extrêmes et que ses illusions servent pas mal de simulations. En d'autres termes : je ne regrette pas mon choix !
- Ça viendra… » susurre Cornélia avec un sourire en coin.
Satisfait, Nevra prend quelques notes, imité par Valkyon, puis interpelle June d'un ton jovial :
« Passons à la demoiselle qui a osé subtiliser mon Second. Je suis curieux de connaître votre avis, surtout que j'ai ouïe dire que c'était en préparation de votre intégration au sein du corps armée d'Odrialc'h.
- C'est exact, plaisante Joseph, nous partons dans quatre mois et June fait partie des bagages. »
Tous les regards se sont tournés vers elle. June roule des yeux en direction de Joseph : elle n’aime pas spécialement être au centre de ce genre d’attention, et elle n’est pas une valise. Elle le fait remarquer d’une voix bougonne, arrachant un sourire à son père adoptif. La jeune femme croise les bras sur sa poitrine et se tourne vers le Chef de la Garde de l’Ombre.
« Vraiment pas désolée, Chef Mircalla, répond-t-elle. On a beaucoup discuté de mes capacités, et il m’a montré comment utiliser ma taille comme un avantage, plutôt que de me fatiguer à esquiver les coups de mes adversaires. Il me ménage pas, mais ça me fait progresser vite ! Franchement, je regrette pas de vous l’avoir piqué, comme vous dites. »
Elle échange un regard amusé avec Mathyz, puis se renfonce dans son siège en passant une main dans ses cheveux. Elle aime bien le franc-parler détendu du Chef des ombres, et l’ambiance dans la salle la détend. Ça change des réunions de l’Obsidienne.
« J'ajouterai aussi que Rose Clarimonde a eu la décence de venir me demander un partage du dossier de June afin qu'il puisse s'intéresser à ses aptitudes en combat.
- Ça lui ressemble, affirme Nevra en prenant quelques notes, et ces sessions d'entrainements inter-garde peuvent se montrer intéressantes et changent un petit peu de vos activités professionnelles habituelles. N'est-ce pas, Rose ? »
Nevra lui adresse une expression bienveillante et son Second garde son sérieux habituel. Les mains croisés sur la table, il explique d'une voix posée pourquoi, selon lui, les entraînements de June en sa compagnie peuvent être bénéfiques pour elle.
Il évoque les points qu'il a déjà partagés avec June et il termine par la question de la supervision d'entraînement évoqué avec Valkyon Batatume, plus tôt.
« En effet, et d'ailleurs, j'allais y venir. » réagit le Chef de la Garde Obsidienne.
Face à l'air dubitatif de Nevra, il s'explique :
« Puisque la plupart des membres de la Garde de l'Ombre participant à l'entraînement inter-garde sont presque tous gradés, je me demandais si un suivi de chacun de mes gardiens pouvait être intéressant ? Comme un accompagnement.
- Histoire que l'entraînement puisse être bénéfique sur le long terme, complète le Chef Mircalla, songeur, ce peut être une bonne idée, mais je préfère laisser la réflexion directement à mes gardiens. Beaucoup d'entre eux ont des obligations et se montrer disponible pour un long terme n'est pas toujours simple. Cependant, votre idée tombe à pic, cher ami, je pense pouvoir la compléter. »
Tous les regards se rivent vers le vampire qui se remet à parler, partageant ses réflexions :
« C'est un projet inter-garde pourtant, j'ai bien l'impression que nous, les ombres, donnons beaucoup de nos personnes ! Si les recrues obsidiennes ici présentes veulent de l'entraînement de chez nous, pourquoi ne pas me les confier ? Elles pourraient vivre une journée ou deux par semaine dans la Garde de l'Ombre, avec leur binôme, pour suivre l'entraînement quotidien d'une recrue. En plus, pour les plus curieux, on fait même la visite guidée.
- C'est un bon esprit, je l'admets, mais pour la question de la supervision ? demande Valkyon.
- Eh bien concernant ladite supervision, ce sera à mes gardiens et les vôtres d'en prendre la décision. En plus, si les miens préfèrent superviser les vôtres dans le quartier de l'Obsidienne, je n'y vois aucun inconvénient. Ils pourront juste voir qu'il est moins bien, c'est tout. »
Nevra adresse un clin d'œil à son ami qui secoue la tête en souriant.
June plisse les yeux. Elle a comme l’impression que le Chef des Ombres est trop ravi par sa proposition. Elle ne sait pas si elle a vraiment envie de se retrouver sous la supervision de Nevra Mircalla : après tout, il est le Chef de la police d’Eel, et elle une guerrière. Et puis elle n’a aucun mal à imaginer le vampire leur demander de passer le balai dans ses quartiers, ou les cieux savaient quelle autre tâche ingrate qui lui viendrait à l’esprit.
June se tourne légèrement vers Rose. Elle voudrait lui demander ce qu’il en pense, mais elle le fera à la fin de la réunion. Peut-être qu’il préférera travailler dans ses quartiers à lui, pour ne pas prendre encore plus sur son temps…
De toute façon, la jeune femme préfère ses quartiers à elle. Malgré les propos amusés du Chef Mircalla, les obsidiens sont très fiers de leur Garde, et elle s’y sent chez elle. June porte la petite tresse qui empêche ses cheveux de tomber sur ses yeux à sa bouche, et entreprend de la mordiller. Oui, elle demandera à Rose. Si malgré tout, le vampire souhaite rester dans ses quartiers, elle s’en satisfera, mais elle croise les doigts pour qu’il accepte de l’entraîner chez elle.***
Rapport de June Albalefko sur l’entraînement inter-garde du talez 31 du mois de mimouet
La réunion qui a suivi la session d’entraînement inter-garde s’est déroulée dans le quartier de la Garde de l’Ombre, en présence du Chef Mircalla.
Ne sachant pas vraiment à quoi m’attendre, je n’avais pas d’à priori sur cette réunion et j’ai pu découvrir avec plaisir que l’ambiance était à la communication. Nous avons pu chacun faire un retour détaillé de notre entraînement, et également de la manière dont nous envisagions la suite des choses.
Avant qu’elle ne commence, j’ai pu m’entretenir avec le Second Clarimonde à propos de notre séance. Il m’a proposé de superviser l’intégralité de ma formation jusqu’à mon intégration à Odrialc’h, et m’a enjointe à y réfléchir.
Je profite donc de ce rapport pour donner mon avis sur cette proposition, et également celle du Chef Mircalla : si le Second Clarimonde est toujours d’accord, je souhaite poursuivre mon entraînement avec lui, et s’il l’accepte, le continuer dans les quartiers de l’Obsidienne. Je ne me sentirais pas suffisamment à l’aise de me trouver dans ceux de la Garde de l’Ombre, et j’estime que je progresserais mieux dans un environnement qui m’est familier.
Si d’aventure vous estimez, ou le Second Clarimonde pense qu’il est mieux pour moi de m’entraîner selon la proposition du Chef Mircalla, c’est ce que je ferais, mais il me serait plus agréable de garder la configuration actuelle.
PS : comme d’habitude, Helouri Ael Diskaret a rédigé mon rapport, mais il a retranscrit tout ce que j’ai dit et il s’est engagé à respecter le secret de la Garde.
Gardienne Albalefko, Obsidienne
X
Entretien de Nevra et de Lilymoe
Nevra prend place derrière son bureau et fait signe à Lilymoe de s'asseoir. Quand le renard-garou a sollicité un entretien, le Chef de la Garde de l'Ombre a jugé bon d'avoir une conversation de vive voix.
L'hôpital du Quartier Général et la Garde Étincelante veulent que plusieurs soignants soient affiliés à certaines Gardes, afin d'effectuer les suivis individuels des gardiens. Une nouvelle plutôt encourageante, surtout pour les ombres qui participent à des enquêtes et missions dangereuses.
Le vampire croise les bras sur son bureau et ouvre la conversation :
« Bonjour à vous, Lilymoe. J'ai entendu parler des soignants qui prendraient en charge le suivi médical d'une dizaine de gardiens issu d'une Garde. Pourquoi avoir choisi celle de l'Ombre ? »
C'est une question importante, surtout quand on veut s'immerger au sein de la police d'Eldarya. Nevra connaît bien ses inspecteurs, ses traqueurs d'informations ainsi que ses maîtres d'arcanes responsables des interrogatoires. Ils ne sont pas certains de vouloir s'ouvrir à des soignants pourtant, Nevra pense que ce serait une bonne chose.
« Bonjour Chef Mircalla, dit le renard d'un beau sourire, je suis heureux d’avoir cet entretien avec vous. J'espère ne pas prendre trop de votre précieux temps. En effet un dispositif est en train de se mettre en place et j'ai choisi d'en faire partie. Voyez-vous monsieur Mircalla, la grande majorité de vos gardiens sont assez discrets. Aussi bien dans leur vie professionnelle que personnelle. En ce sens, ma profession me demande d'assurer le suivi de mes patients tout en restant discret également, et ma personnalité me permet d'approcher ces oiseaux avec écoute et patience pour tenter de construire un lien de confiance avec eux. Je pense que ma nature discrète et enjouée est un élément qui facilitera l'entente avec vos troupes, ce qui est non négligeable pour un suivi de long terme.
Nevra hoche la tête et prend quelques notes. En effet, la discrétion est une caractéristique qu'il apprécie particulièrement, car elle est l'un des piliers de la Garde de l'Ombre. Beaucoup d'informations sont protégées, beaucoup d'histoires circulent et ce dont il est sûr, c'est que certains de ses gardiens pourraient avoir besoin de les raconter en ayant la certitude qu'elles ne sont pas ébruitées.
D'ailleurs, Lilymoe connait-il du personnel issu de sa Garde ?
« Est-ce que vous connaissez un ou plusieurs gardiens de ma Garde ? »
Lilymoe réfléchit un instant à sa réponse avant de se lancer. Devait-il mentionner le nom de Clarimonde afin de s'en procurer le suivi? Il décide finalement de rester assez vague sans toutefois avoir à mentir.
« J'ai eu l'occasion de rencontrer certaines de vos recrues, quelques-unes très récemment, mais aucune dont je sois excessivement proche si là est votre question. »
Ses joues s'empourprent légèrement sous son sourire timide et il espère que son interlocuteur prenne cela pour de la nervosité, vis à vis de l'entretien, plutôt qu'au fait qu'il ne soit pas certain d'où amener sa réponse.
Nevra plisse son œil, amusé, puis prend quelques notes une nouvelle fois. Si Lilymoe ne connaît pas personnellement ses gardiens, ce ne peut être que bénéfique car il restera une barrière entre le soignant et ses patients.
S'ajoute à cela le poids de leurs expériences. D'ailleurs, le vampire souhaite éclaircir les choses à ce propos. Si Lilymoe veut effectuer ses suivis au sein de l'Ombre, il doit être capable d'encaisser leur quotidien difficile.
« Comme vous le savez, la Garde de l'Ombre est la police d'Eel et mes gardiens font face à des situations très difficiles. Pensez-vous pouvoir leur apporter une écoute ? »
Le garou ferme un instant les yeux, prend une longue inspiration et les rouvre, le regard très confiant.
« Très cher, je sais à quel point votre métier peut être difficile. Je ne connais que très peu les maladies de l'esprit et je ne suis pas maître d'école, mais je donnerai mon maximum pour que vos homme reçoivent l'écoute dont ils ont besoin, et plus si nécessaire. »
Nevra hoche la tête. Tant que ses gardiens peuvent se confier, c'est le principal. La méconnaissance des maladies de l'esprit le laisse souvent dans le flou quant à la conduite à tenir vis -à -vis de ses gardiens qui assistent à d'horribles spectacles. De même pour ceux qui s'occupent des interrogatoires.
Nevra a déjà vu certaines personnes changer, au point de se renfermer sur elle-même, de ne plus pouvoir quitter leur lit ou même de développer un appétit féroce pour la cruauté. Il ne connaît pas encore la limite, dans leur esprit, qui se brise au point de les faire basculer et ça l'inquiète.
« J'ai bien conscience que le secret professionnel est extrêmement important dans votre profession. Néanmoins, si vous appreniez une situation ou un problème très grave concernant l'un de mes gardiens, je souhaiterais en être informé. Pouvez-vous le comprendre ? »
À cette question, lilymoe pince légèrement les lèvres et se met à réfléchir. Il regarde un point imaginaire sur la poitrine du Chef de Garde, suivant les mouvements de sa respiration calme et à peine notable. Il fronce de peu ses sourcils fins avant de regarder de nouveau Nevra dans les yeux.
« Je peux être franc avec vous? »
Le vampire lui fait un signe de la main, lui intimant de continuer. Après tout, il est là pour ça alors Nevra l'écoute, un léger sourire aux lèvres.
« Chef Mircalla, je vous avoue ne pas entièrement apprécier ce que vous me demandez, loin de là. Cependant je comprends que quelques modifications de protocole doivent être mises en place dans les forces de l'ordre. Vous ne pouvez vous permettre qu'un de vos membre se blesse ou n'en blesse un autre en raison d'un problème qu'il aurait. Cependant j'espère que vous comprendrez que je ne puisse vous fournir d'informations précises sur ce qui toucherait le dit membre. Le corps médical se chargera au mieux de rétablir votre recrue et vous serez tenu informé du progrès fait par la personne mais ne pourrez pas voir son dossier médical complet, seulement la page de garde qui vous revient, et ne pourrez entrer en conflit direct avec le patient concernant sa situation. Si ces termes vous conviennent alors oui, je comprends ce que vous me demandez et le respecterai. »
Durant son discours, le ton du rouquin est resté ferme mais pas sec. Il a déclaré ses arguments avec calme, certain que le vampire comprendrait, en retour, son point de vue.
« Je comprends, répond Nevra, mais gardez en tête que les maladies de l'esprit sont un mystère pour tout le monde et que me concernant, je vois mes gardiens changer sans être capable de voir le moindre signe de détresse. Le secret professionnel est inviolable pour un soignant et je le comprends, mais si vous percevez beaucoup de cas similaires au sein de mes gardiens, je souhaiterai en être informé, tout en respectant leur intimité. »
Ceci étant dit, le vampire ajoute :
« Je pense que votre caractère très doux pourrait apaiser mes gardiens qui sont toujours à cran. Mais vous ? Pensez-vous être capable d'endurer leurs histoires et leur quotidien ? »
Lilymoe souffle par le nez, un doux sourire en coin. Le compliment lui fit plaisir et ses yeux ternis par le sérieux de sa précédente réponse se remettent à pétiller.
« Votre remarque me va droit au cœur, Chef Mircalla. Vous savez, loin d'être ma patiente, je suis très souvent en contact avec Dame Eweleïn et son caractère quelque peu explosif. Fiable bien sûr, et toujours professionnel en public, il lui est bien permis de se relâcher loin des regards et le mien n'est pas indiscret.
- Je vous crois, rit Nevra, mais ici nous parlons de crimes, de sang, de souffrances, de désespoir, de chagrin et de folie. C'est notre quotidien. Alors si vous souhaitez tout de même travailler parmi nous, vous êtes le bienvenu, mais prenez garde à votre propre esprit. »
Le renard joint ses mains devant lui et se penche doucement vers l’avant. Il est sûr de sa décision et pense pouvoir gérer ses propres émotions. Il le doit. Pour tous ces gens dans le besoin et pour cette recrue en particulier.
« Je suis prêt à assumer cette responsabilité, Chef. »
Un coup d'œil vers Nelladel qui attend sagement, assis sur sa chaise, pendant qu'ils débattent. Ils doivent se mettre d'accord et prendre une décision maintenant. Ensuite, Yüljet pourra envisager la suite des événements.
Quand Fawkes se tourne de nouveau vers l'elfe, ce dernier lui adresse un signe de la main ainsi qu'un large sourire. Sexta souffle par le nez, puis s'adosse au mur du débarras :
« Il va finir par penser qu'il te plait. » dit-elle d'un ton laconique.
Le renard-garou se met à grogner. Ses oreilles tressautent alors qu'il réfléchit. Selon lui, le sauvetage de Nash est prioritaire et le cartel aurait grand intérêt à s'allier avec Nelladel car de son point de vue, il vaudrait mieux éviter de se mettre les fées à dos. Fawkes se souvient du rapport de Fuya.
Si le nom de Sira Milliget ne lui est plus étranger, celui de Candice ne se résume qu'à quelques lignes. La sirène le décrit comme une fée à la peau de pêche, aux yeux gris, aux longs cheveux châtains et à la voix traînante. Elle écrit, aussi, qu'il a un intérêt particulier pour le feu.
« Si on met son histoire de côté, songe le renard-garou, je pense que s'allier à lui nous éviterait le danger des fées et nous permettrait de sauver Nash plus facilement.
- J'aimerais bien entendre ce qu'il a à dire sur les Milliget, ajoute Sexta, d'après lui, il a deux maîtres, dont un qui n'aurait pas inventé le fil à couper le beurre si on suit le rapport de Fuya, mais je me méfie du deuxième. »
La vampire se pince les lèvres. Yüljet sait qu'elle aurait voulu se renseigner sur Nelladel aux Abysses et elle aura l'occasion de le faire. Pour Titan, elle doute fortement que l'elfe veuille se jouer d'eux. Secourir Nash sans son aide, c'est s'exposer aux fées.
« Ce n'est pas vraiment comme si on pouvait se permettre d'essayer et de se retirer de la partie si on échoue. On a choisi de rencontrer Fuya Pyle, on l'a fait. Alors maintenant, est-ce qu'on va jusqu'au bout ? »
C'est ça, la vraie question. À la lumière de tout ce que Nelladel leur a dit, ils peuvent choisir de collaborer avec lui et le sauvetage de Nash sera crucial. Si l'elfe ment, alors le cartel se retrouvera aux prises avec les fées, mais s'il dit la vérité, alors sa venue est une chance.
Titan ferme brièvement les yeux. Avant de penser au Ragnarok ou à l'assassinat d'Ezarel, il faut tester Nelladel. Si collaborer avec lui peut permettre aux Typhons de sauver la vie de Nash, alors ça en vaut la peine.
S'ils y arrivent, alors peut-être que cette alliance pourra les mener plus loin.
« Sexta. »
Elle entend soupirer. La vampire guette l'elfe comme une proie et sous son crâne, Titan sait qu'elle l'analyse. Ses lèvres se retroussent en un rictus puis finalement, elle formule ses réflexions :
« C'est un survivant, Titan et si on prend ce qu'il dit pour la vérité, alors il réussit à se faire des alliés puissants. Il est plus avantagé que nous et s'il nous demande de l'aide, c'est que ses maîtres sont incapables de sauver son frère par leurs propres moyens.
- Tu penses que les fées ont le couteau sous la gorge ?
- Je pense que quand des sujets humains leur sont envoyés, c'est que soit elles sont fidèles aux Docteurs Becs, soit qu’elles n'ont pas le choix. »
C'est ce que Yüljet pense aussi. Quand Nelladel a mentionné le fait que les autres Milliget n'étaient pas au courant des plans de ses maîtres, la troll s'est immédiatement demandée s'il y avait une divergence d'allégeance ou bien un énorme dilemme.
Quoi qu'il en soit, ça vaut la peine d'essayer et de creuser.
Fawkes est d'accord pour collaborer et quand elle croise de nouveau le regard de la vampire, Sexta lui répond un signe de tête.
« L'un d'entre vous va retourner à la planque pour chercher Fuya et Ryan, ordonne Yüljet, je veux qu'elles entendent ce qu'il a à dire. Ensuite, on pourra peut-être commencer à penser à un plan.
- J'ai hâte de rencontrer les bêtes à trompes… » grince Sexta avec un sourire froid.
Mais elle se porte volontaire pour retourner à la planque. Titan la regarde traverser le débarras pour se diriger vers la grande trappe, suivie par le regard inquisiteur de Nelladel et une fois qu'elle a quitté les lieux, la troll se tourne vers Fawkes. Elle jette un œil au-dessus de son crâne pour regarder si Nelladel écoute, mais l'elfe semble dans ses pensées. Ou il fait mine d'y être plongé.
« Fawkes. Pour ce que je t'ai demandé, tu partiras le premier, lui dit Yüljet à demi-mots, tu reviendras sur les lieux sous le même nom. Quand il te demandera des détails sur ton retour, tu lui diras qu'on prépare le sauvetage de Nash. »
Titan regarde le renard-garou en train de se crisper. Cette mission, il la déteste et elle le sait, mais ils ne peuvent prendre aucun risque.
Les oreilles animales de Fawkes s'agitent et Yüljet voit aussi sa queue se balancer avec agacement. La troll souffle par le nez.
Quand des binômes sont formés, au sein du cartel, les liens qui se créent peuvent rester strictement professionnels, comme celui entre Fuya et Karma, ou bien s'approfondir jusqu'à devenir fusionnels à l'image de Nash et Gabrielle.
Pour ses Typhons, Yüljet préfère quand ça s'en tient à la première option pour deux raisons. Tout d'abord, pour la priorité de la mission. Nash s'est sacrifié aux Milliget parce que son entreprise pouvait sauver le cartel, certes, mais elle pouvait aussi sauver Gabrielle. À contrario, si l'elfe noire avait été en danger au sein de Rhenia-Gaear, malgré les fées qui voguaient dangereusement vers Eel et Odrialc'h pour faire tomber la neige, qu'est-ce que le jeune orc aurait choisi ?
Gabrielle ou le reste des Typhons ?
La seconde raison, c'est le risque de la manipulation. Et ça, c'est un pouvoir que Rose pourrait utiliser sur Fawkes pour servir ses intérêts personnels ou ceux de la famille Mircalla.
Sexta à raison : il y a un risque et il doit être évincé. Si Rose n'a rien à cacher, alors son binôme ne trouvera rien.
« Cheffe, souffle le renard-garou, pourquoi Rose a choisi de rejoindre le cartel ? »
Yüljet le fixe, mais ne dit rien. La troll croise les bras sur sa poitrine, puis répond d'une voix calme.
« Il a ses raisons. »
Une ombre semble passer sur le visage de Fawkes. Titan sait qu'il veut savoir, mais c'est peut-être un élément qu'il parviendra à apprendre durant sa mission s'il la réalise correctement, sans se laisser happer par ses bons sentiments.
Elle hésite, puis ajoute :
« Sexta a tendance à dire que quand on nage dans les ténèbres, comme nous, il faut éviter de s'encombrer de choses comme l'amour ou l'amitié, parce qu'elles sont aveugles. Je crois que personne n'est capable de mettre ça en pratique, mais que tout le monde est libre d'avoir du recul. Que tu apprécies ou non les doutes que Sexta peut avoir vis-à-vis de Rose, Fawkes, ça ne change rien. »
Le renard-garou lève ses yeux bruns vers sa cheffe. Cette dernière lui administre une tape amicale sur l'épaule, puis achève :
« S'il n'y a rien à trouver, tu ne trouveras rien. Si considérer Rose comme un ami peut t'apporter quelque chose, tant mieux pour toi, et si la réciproque est vraie, alors il te donnera lui-même la réponse à la question que tu m'as posée. Ce qui compte, c'est d'avoir du recul en toute situation et tu le sais, parce que tu es un Typhon. »
À présent, la mission est sienne et ce sera à lui de faire tout ce qui est en son pouvoir pour prouver la loyauté de Rose ou bien son contraire.
Fawkes a le regard pensif. Yüljet parie qu'il se trouve déjà à Eel, au sein du Quartier Général, sous l'identité de Jens Red, à se demander s'il doit commencer par s'introduire dans les appartements de son binôme ou bien l'observer au travail, une journée complète. Peut-être qu'il commencera par discuter avec lui, en essayant d'obtenir des réponses à des questions qu'il ne lui a jamais posées.
Mais Fawkes y arrivera, parce qu'il a des rapports à faire et qu'il est convaincu que Rose est digne de confiance.
« Vous allez me faire pleurer. »
Titan et le renard-garou se retournent pour se confronter à l'air chafouin de Nelladel. Yüljet voit Fawkes plisser les yeux avant de s'approcher de la table et de demander :
« Pourquoi ? T'as quelque chose à dire ?
- Sur qui ? Jens Red ou Clarimonde ? »
L'elfe et le renard-garou se jaugent dans le calme le plus absolu. Titan ignore si Nelladel joue la comédie, mais elle doute qu'il se soit intéressé à Rose pour le compte des fées. Lui-même n'était pas autorisé à aller préparer la salle d'interrogatoire qui devait recevoir Nash.
« Si tu sais un truc sur Rose… grogne Fawkes.
- Rosie. »
Yüljet arque un sourcil, surprise et elle échange un regard confus avec son subordonné. L'elfe s'amuse un petit peu trop à son goût, mais il a la décence d'ajouter :
« Quand j'étais à Eel, il m'est arrivé d'entendre des gardiens de l'Ombre parler de lui. Apparemment c'est comme ça que pas mal d'entre eux l'appellent et ça n'avait pas l'air très gentil. Toujours est-il que je ne sais rien de plus que vous, mes maîtres se fichent pas mal du Second Clarimonde. »
Fawkes a encore des questions à poser, mais le bruit de la trappe attire son attention et celle de Yüljet. Elle aperçoit Sexta en train de descendre dans le débarras, suivi d'une Fuya méfiante ainsi que d'une Ryan aussi sereine que d'ordinaire.
La sirène balaye la pièce de ses grands yeux bleus et quand ils se posent sur Nelladel, elle blêmit. Elle a déjà compris.
Titan songe que Sexta leur a certainement fait un bref résumé de leur conversation, à elle et la licorne, mais la nervosité de Fuya contamine l'atmosphère.
Ryan quant à elle, semble plus intriguée par Nelladel en lui-même.
Ce dernier fixe la sirène avec intérêt.
« Ah… La petite fouineuse de Rhenia-Gaear. Comment vont tes branchies ?
- Aussi bien que le reste de ta petite personne si tu t'en tiens là. » menace Sexta d'une voix mielleuse.
La vampire lui adresse un faux sourire avant de tirer une chaise pour prendre place. Les autres Typhons l'imitent et enfin, Yüljet peut lui faire part de ce qui a été décidé.
Fuya et Ryan donneront leurs avis à leur tour, mais la troll se doute déjà qu'elles voudront secourir Nash quoi qu'il arrive.
« Bien. Pour le moment, nous sommes plutôt favorables à ta proposition, explique la troll, mais nous aimerions avoir plus de précisions sur tes maîtres.
- Une bonne question, en somme, tranche Nelladel, car si vous décidez de vous rendre à Eel avec moi pour sauver votre ami, il vaut mieux savoir à quoi vous attendre. »
Yüljet le regarde se mordre la lèvre. Visiblement, il à l'air de se demander par où commencer et quand il reprend la parole, elle peut constater qu'elle ne s'est trompée que de peu. En réalité, il à fait le tri parmi les informations qu'il à le droit de révéler.
« Sira est… Comment je peux dire ? Il est celui qui veut sauver Sheraz. Il est inoffensif mais ça, vous vous en doutez. Son frère, par contre… »
L'elfe laisse échapper un rire sans joie. Aux côtés de Sexta, Fuya se crispe et les souvenirs de Rhenia-Gaear doivent tourner dans son esprit, avec les dix visages des Milliget en train de manger.
Nelladel les observe, puis poursuit :
« C'est lui qui dirige le sauvetage de Sheraz car Sira en est incapable. De ce que j'ai compris, Sira a déjà essayé de faire évader Sheraz par ses propres moyens, quand il était au palais, mais ça a échoué.
- L'Ulcère ? demande immédiatement Yüljet.
- Peut-être. »
L'elfe hausse les épaules. Ce n'est pas ce qui importe. Pour le moment, le cartel des Typhons doit savoir quelle genre de personne est Candice Milliget, le second maître de Nelladel, et ce dernier s'applique à lui ébaucher son portrait.
Comme l'a décrit Fuya dans son rapport, il a un intérêt particulier pour le feu, mais il est plus que cela.
« Ce qu'il faut comprendre, explique l'elfe, c'est que dans la famille Milliget, il y a les forts, les faibles et les puissants. Candice fait partie des puissants. Quand il faut protéger la famille, c'est lui et son frère Shelma qui s'en chargent. »
Fuya se met à trembler à l'évocation de Shelma. Yüljet la voit fermer les yeux, puis les rouvrir, les lèvres pincées. Mais elle continue d'écouter.
Non loin d'elle, Ryan est captivée par le récit de Nelladel et sa cheffe la comprend : ce n'est pas tous les jours que l'on peut obtenir des informations sur les fées.
L'elfe leur explique que comme le reste de la famille, Candice possède d'incroyables connaissances dans le domaine de la médecine et qu'avec sa mère et Shelma, ils sont ceux qui approuvent ou réprouvent les recherches des différents soignants d'Eldarya.
De plus, Candice pratique la chirurgie, que ce soit dans le contexte d'une expérience, d'une opération destinée à guérir une personne de haut rang, ou bien un interrogatoire.
Le visage de Titan devient livide. Nelladel ne peut plus reculer. Pas quand il a commencé à parler. Yüljet et Sexta se regardent, puis la vampire lui somme de cracher ce qu'il sait, ou bien elle lui fera avouer.
Mais elle s'attire un sourire sinistre :
« Il n'y a qu'un de mes maîtres qui soit capable de me faire avouer quelque chose, mais tu peux essayer. »
Les Typhons le regardent lever les mains pour déboutonner sa chemise et faire glisser l'une de ses manches, dévoilant son épaule gauche. Sa peau pâle révèle une cicatrice qui a dû être vilaine, auparavant. Une ligne qui traverse son omoplate pour se diriger vers sa poitrine. Par miracle, celui qui l'a soigné savait exactement comment s'y prendre.
Cette cicatrice n'est pas le vestige d'un accident, mais d'un avertissement.
« Vous avez déjà reçu la trompe d'une fée dans une épaule ? Je peux vous assurer que la douleur est insupportable. J'ai cru que j'allais me vider de mon sang, mais Candice ne m'avait pas attaqué assez profondément pour que j'en meurt. Ça, c'était un exemple. S'il doute de ma loyauté, c'est fini. »
Pendant qu'il rajuste sa chemise, l'elfe explique que c'est Candice qui l'a recousu sans ménagement et que ce n'était pas une partie de plaisir. Les fées utilisent des fils de soie pour recoudre la chair, mais Nelladel sait qu'ils ont travaillé sur d'autres sortes de fils qui seraient résorbables. Un vrai miracle qui fascine Ryan.
Mais un miracle terrifiant.
« Candice sait là où il peut couper. Il laisse les blessures à vif jusqu'à ce que sa victime avoue. Si elle décide de se taire, alors il recoud et puis il rouvre les blessures. Sans scalpel, cette fois. »
Titan sent un frisson lui parcourir l'échine. Elle regarde ses subordonnés et avise que Fuya est livide, Ryan garde son calme, Fawkes a le visage sombre et Sexta semble vouloir attaquer la première personne qui aurait le malheur de lui adresser la parole.
Mais Nelladel continue :
« Si ce n'est pas suffisant, il laissera les blessures s'infecter. En fait, il fera en sorte qu'elles s'infectent. Et si sa victime ne parle toujours pas, il passera aux amputations, puis aux brûlures… Jusqu'aux dernières étapes.
- C'est quoi, les dernières étapes ? » gronde Sexta.
Mais l'elfe refuse de lui répondre. Il n'en dira pas plus et Yüljet s'en moque : ils savent ce que Nash est en train de subir et ils doivent aller le secourir.
Titan veut savoir si Candice a déjà procédé aux dernières étapes et Nelladel lui affirme que ce n'est pas le cas. Son maître lui a ordonné de contacter le cartel des Typhons alors même s'il hors de question de ménager sa victime pour lui soutirer des informations, il daignera la laisser "dans un état satisfaisant", selon ses mots, à ceux qui viendront la chercher.
Yüljet serre les dents. Immédiatement, elle repense à Eel, au moment où avec Fawkes, Fuya et Rose, ils se demandaient s'ils devaient rester pour secourir Nash ou bien respecter son sacrifice.
Est-ce qu'ils se sont trompés ? Est-ce qu'ils auraient dû agir. Elle pense que non.
Fuya avait émis l'idée de s'en prendre à Sira pour procéder à un échange, mais cela aurait été une grosse erreur, surtout avec le portrait que Nelladel brosse de Candice. Titan ne préfère pas imaginer les représailles subies par le cartel pour avoir enlevé le Milliget le plus faible.
« Je… » ose une voix tremblante.
Tous les regards se tournent vers la sirène. Elle est bien plus pâle que d'ordinaire et Yüljet devine qu'elle doit lutter pour regarder l'elfe dans les yeux. Son discours sur les fées lui a certainement donné la nausée et le dégoût de ces créatures se lit aisément sur le visage de Fuya.
Elle prend une grande inspiration.
« Tu as dit que Candice pratiquait la chirurgie pourtant, lors de ma dernière mission, j'ai cru comprendre que c'était Zosca, la chirurgienne de la famille. »
Zosca, peau de pêche et cheveux bleus glacés.
Sur le rapport de Fuya, il avait été mentionné que cette fée pratiquait des expériences sur les sujets humains et la sirène avait relevé le terme de "biopsie".
D'ailleurs et quand Ryan avait pu lire le rapport, les Typhons avaient appris que ce mot désignait le prélèvement d'un tissu organique et que dans le cadre de la mission de Fuya, il aurait été intéressant de savoir ce que Zosca avait prélevé sur les sujets humains.
Nelladel sourit :
« Zosca est la chirurgienne principale des Milliget, mais Candice a ajouté la chirurgie à son panel de savoir-faire.
- Donc ils sont deux, à pratiquer la chirurgie ? demande la sirène.
- Ils sont trois, précise l'elfe, Candice, Zosca et leur mère, Delta. »
Plus Titan entend parler des fées, plus elle a l'impression que leur famille fonctionne selon les règles d'une organisation bien huilée où chacun a son propre rôle.
Nelladel dit qu'il y a les faibles, les forts et les puissants. Ce genre de propos lui fait penser à une meute.
Elle pousse un soupir. La troll est incapable de dire, pour le moment, dans quoi elle s'engage mais ce qui est important, c'est de sauver Nash, d'accomplir la mission originelle et d'éviter de se mettre les fées à dos.
« Fuya, Ryan. » les interpelle Yüljet.
Les deux faeriennes se tournent vers elle et leur cheffe leur demande ce qu'elles pensent d'une collaboration avec Nelladel. La réflexion de la sirène est assez similaire à la sienne car elle ne veut pas abandonner un membre du cartel entre les mains d'une fée qui l'a sûrement coupé et suturé à de multiples reprises. Elle voulait déjà le sauver avant de quitter Eel alors elle ne reviendra pas sur son souhait.
« Me concernant, explique Ryan quand vient son tour, je pense qu'il est important de secourir l'un des nôtres, bien entendu, mais aussi que cette collaboration pourrait beaucoup nous apporter. Un échange d'informations est toujours le bienvenu. Nous pourrions en apprendre beaucoup sur les Milliget, mais aussi faciliter notre mission originelle.
- Et si c'est un piège des fées, par exemple, tu ne regretteras pas ta décision ? » demande Sexta.
La licorne lui adresse un sourire très doux. Sourire qu'elle arbore aussi face à Nelladel.
« Si c'est un piège, je me demande si les fées seraient capables de trouver un remède à mon poison le plus vicieux. »
Ces mots semblent satisfaire la vampire, mais aussi Yüljet. La décision est prise et les membres du cartel des Typhons se sont mis d'accord.
Mais à présent, il faut pouvoir monter la mission de sauvetage de toutes pièces et une autre question subvient : qui partira et qui restera ?
Fawkes doit amorcer son voyage vers Eel le lendemain, dès l'aube. Mais les autres ?
Sexta, Fuya, Ryan et…
« Est-ce que Gabrielle viendra avec nous ? »
Titan se tourne vers la vampire. À vrai dire, elle n'en sait rien pour le moment. Elle craint que le chagrin de l'elfe noire lui porte préjudice durant le sauvetage et lui fasse faire des actions stupides.
Yüljet connaît Gabrielle pour son sang-froid qui équilibre la balance avec l'énergie de Nash. Pour sa sagesse qui vient compléter l'idéalisme de l'orc, mais à présent ? Avec sa haine des fées ?
« Il nous faut une personne à la planque pour surveiller ce qui se passe à Odrialc'h et aux Abysses et deux personnes avec Fawkes, Nelladel et moi. Pour Gabrielle, je réfléchis à la question…
- Je pense que si on lui dit rien, elle nous en voudra, intervient Fuya, si j'étais à sa place, je voudrais sauver la personne que j'aime.
- Sauf que si votre collègue essaye de voler dans les plumes de Candice, je peux vous garantir que ça va mal se passer pour elle. » prévient Nelladel.
Tous les regards se tournent vers lui. Yüljet grimace. Gabrielle ne sera certainement pas ravie de savoir que le cartel s'est allié avec une personne qui travaille pour deux Milliget, mais c'est leur meilleur moyen de secourir Nash.
« Qu'elle soit là ou non, ça ne change rien à la mission, réfléchit Sexta, et personnellement, si elle se laisse emporter par ses émotions, ça peut devenir dangereux.
- Ou ça peut être à son avantage, rétorque Fawkes, je crois que ce serait mieux qu'elle soit avec nous. Et puis Nash aura besoin d'elle quand on le sortira de son calvaire. »
Le renard-garou est résolu. De son côté, la vampire hausse les épaules. Si la plupart d'entre eux sont certains que tout ira bien pour Gabrielle, ça lui est égal.
Face à eux, Nelladel les observe en jouant avec son anneau d'or, un sourire en coin.
« Alors ? Qui fait partie du voyage ? »
Discussion entre Fawkes et Sexta
Elle lève la cruche ébréchée pour se servir un verre d'eau. Sexta a la tête pleine et les informations nouvelles tournent sans qu'elle puisse les lister mentalement. Elle fera ça plus tard. De toute façon, une décision a déjà été prise.
La vampire se dirige vers la chambre de Fuya et quand elle y jette un œil, la sirène s'est endormie.
Lors de la dernière réunion, ils ont sélectionné les membres du cartel qui iront à Eel. Pour Fawkes, c'est déjà réglé.
Sexta retourne dans le salon et tire une chaise pour s'asseoir. Elle pense à Nelladel, à Nash, à Titan et aux Milliget. Elle pense aussi au Ragnarok. La vampire ne sait pas encore si elle y croit, mais ce dont elle est sûre, c'est que l'invraisemblable vit sur Eldarya, alors pourquoi pas entre deux mondes ?
Elle porte le verre à ses lèvres et boit une gorgée d'eau.
Fawkes pénètre à son tour la grande salle du cartel, par sa porte habituelle. Il avise Sexta d’un coup d'œil, mais se dirige vers le petit garde-manger. Il ressent le besoin d’aller parler à la vampire, mais retarde ce moment, se découvrant une petite fringale afin de se laisser le temps de chercher ce qu’il a à dire et surtout comment. Finalement, il n’a plus faim, alors il se redresse et s’adosse au meuble en vieux bois abîmé, pour croiser les bras sur son torse.
Son regard noisette s’arrête sur Sexta et il sait qu’elle le sent. Pourtant, elle ne dit rien, ne lui accorde aucune attention. Dans le fond, le renard ne sait pas vraiment ce qu’elle pense de lui et ça lui est bien égal. Mais pour une raison qu’il n’arrive pas à taire, ça l’affecte plus que ça ne devrait, qu’elle mette en doute l’intégrité de Rose. Comme piqué par un spadel, il s’avance jusqu’à elle en dévorant la distance qui les sépare d’un pas déterminé. Sans s’asseoir, il toise la vampire. Pourtant, c’est d’une voix calme et profonde qu’il lui adresse la parole.
« Toi et moi, Sexta, on va devoir se mettre d’accord sur un point. »
La vampire lève ses yeux noirs. La sérénité semble émaner par chaque pore de sa peau pourtant, un sourire froid étire ses lèvres. Elle repose son verre avec des gestes lents et ses bras se croisent sur le bois sombre de la table. Le prédateur est encore endormi et pour le sujet que Fawkes veut aborder, elle songe qu'il n'y a aucune raison de malmener son interlocuteur. Il est un membre des Typhons.
Quand elle plisse son regard, amusée, des ridules se creusent et quand elle prend la parole, c'est d'une voix doucereuse :
« Laisse-moi deviner… C'est ta mission qui te préoccupe ? C'est parce que tu dois aller mettre ton nez dans les affaires de ton binôme ? »
Sexta penche la tête sur le côté et fixe le renard-garou comme s'il était une distraction particulièrement intéressante. Des mèches de ses cheveux d'encre glissent sur son front, mais elle n'y prête pas attention.
« J'ai déjà dit ce que je pensais de Rose. Si ça ne te plais pas, tu as l'occasion de me prouver le contraire. J'ai hâte de lire tes rapports, Fawkes.
- Je le ferai, tu peux en être assurée, confirme le renard. Et une fois que les doutes seront levés, tu ne remettras plus jamais la loyauté de Rose en question. Sommes-nous d’accord là-dessus, Sexta ? »
Le cœur du garou bat un peu plus fort. Il ne se sent pas en danger, pourtant, il se sent attaqué. Il prend pour lui toute accusation faite à l’encontre de son binôme. Lui aussi, il trouve le comportement de Rose étrange, parfois. Souvent, pour tout dire. Mais à aucun moment cela n’a remis en question la confiance qu’il pouvait avoir en lui. Jamais le vampire ne lui a fait faux bond et Fawkes sait qu’il peut compter sur lui. Les soupçons de Sexta blessent Fawkes, parce que s’ils s’avèrent fondés, alors le renard sait qu’il sera d’autant plus blessé. Il ne peut pas se fourvoyer à ce point sur son binôme. Et Sexta a sans doute raison, dans le fond, Fawkes considère Rose comme son ami. Peut-être un peu. Le vampire guindé est la personne qui se rapproche le plus d’un frère pour Fawkes et Sexta n’a pas le droit de le lui enlever.
Les oreilles rousses sont mobiles sur la tête du métamorphe, mais elles sont surtout couchées en arrière. Les sourcils sont droits sur son front et sa bouche cache une mâchoire serrée. Quand il parvient à la décrisper, c’est pour grincer à son encontre.
« Je me fiche bien de tes affinités, de ce que tu peux vraiment penser de lui, ou même de moi, mais que tu remettes nos loyautés en cause, ça… je ne le comprends pas. Nous avons tous nos passés, qu’on les taise ou non. Pourtant, on est tous là, on est fidèles les uns aux autres. Pourquoi tu… pourquoi doutes-tu autant de Rose ? Doutes-tu de ma loyauté, à moi, aussi ? Vas-tu seulement croire mes rapports ou émettras-tu le doute que je les falsifie ? De moi aussi, tu vas vouloir t’occuper définitivement ? »
Fawkes a la bouche sèche. Il ne parle pas autant d’habitude, mais le flot d’incompréhensions que Sexta suscite en lui a besoin de sortir.
« Ah… Loyauté… » souffle la vampire avec un large sourire.
Elle se laisse aller contre le dossier de sa chaise et fixe le renard-garou d'un regard flamboyant. Les mouvements de ses bras sont empreints d'un calme religieux, parfait antonyme de ses lèvres retroussées d'une manière presque gourmande. Visiblement, la loyauté est un sujet qui l'intéresse beaucoup.
Rampant sur la table, ses mains viennent serrer son verre en terre cuite. L'étincelle de son regard est si vive que l'on devine ses pensées en train de tournoyer.
« Ce que je pense de lui ou ce que je pense de toi… Quelle importance ? Ce qui compte, c'est le bien-être du cartel. Tu vois, Fawkes, quand on décide d'aller nager dans les ténèbres et d'en devenir le maître, il est bon de trouver de la loyauté avec les personnes qui nagent avec toi. Sinon tu coules. »
L'un de ses doigts se met à caresser le bois de la table, mais ses yeux noirs ne quittent pas son interlocuteur. Elle souffle par le nez, puis poursuit :
« Nous sommes ici parce que nous avons une mission. Parce que nous nous battons contre les personnes qui dirigent ce monde. Nous sommes tous ensemble en train de nager dans les ténèbres et comme c'est mon milieu naturel, je regarde si personne n'est en train de se noyer. Si personne n'est en train d'essayer de faire couler son binôme par exemple. »
Approchant le buste, elle a l'air de serpenter, mais puisque Fawkes veut savoir pourquoi elle doute, elle va lui répondre.
« Ton binôme ne vit pas dans les ténèbres avec nous, Fawkes, susurre-t-elle, il vit dans la lumière, au service d'une famille qui régit une partie du monde. Sa loyauté, à lui, va vers l'héritier de cette famille et elle est incompatible avec notre petit univers et nos idéaux. Souviens-toi, petit renard : la loyauté n'a qu'un seul maître. Si tu as foi en ton vampire adoré, alors amène-moi ce qui se cache dans son joli crâne et je disséquerai tes rapports avec plaisir. »
Sexta se sert un nouveau verre d'eau qu'elle porte à ses lèvres et achève :
« Tu n'as qu'un seul maître. Toi, tu es comme Nash. Tu es trop loyal pour essayer de nous faire couler. Je le vois bien. C'est ton amitié qui peut te faire flancher, sac à puces. Fais attention. Cette chose-là, comme l'amour, est aveugle et quand on nage dans les ténèbres, il n'est pas bon de s'en encombrer. »
Fawkes l’a laissée parler. Il l’a interrogée alors il ne l’interrompt pas. Pourtant les mots de la vampire l’ébranlent un peu. Surtout quand elle affirme que Rose vit dans la lumière et que le cartel est bien peu de choses pour lui. Que lui, Fawkes, est bien peu de choses pour Rose. Parce que c’est ce dont elle est persuadée, en vérité. La queue rousse tique vivement, aux surnoms que Sexta lui donnent. Dans d’autres contextes et donnés par d’autres personnes, il pourrait le prendre comme quelque chose d’affectif, mais dans l’immédiat, il sent bien l’intention de la vampire. Elle cherche à asseoir une dominance sur lui, comme une mère qui instruit son enfant. Mais Fawkes a déjà eu une mère, qu’elle ait fait son devoir d’éducation ou non n’est pas la question. Sexta n’a pas à s’y coller.
Il se sent presque insulté quand elle confirme que lui, il est trop loyal. Ne le pense-t-elle pas assez filou pour les tromper ? Fawkes en serait parfaitement capable ! Simplement, il n’en a ni l’envie, ni l’intérêt. Yüljet l’a recueilli quand il n’était plus rien et que seule la mort semblait vouloir l’étreindre comme un amant mal-aimé. Les membres du cartel avaient su lui offrir un endroit sûr, où il avait appris à ne pas sursauter au moindre claquement de porte, au moindre grincement, où il avait appris à manger un peu tous les jours et ne plus souffrir du jeûne. Ça, et bien d’autres choses encore. Non… Sexta a raison. Il est bien trop loyal. Pour autant, que la vampire accuse l’amitié qu’il peut ressentir pour Rose d’être un poids à sa cheville, quelque chose qui peut le couler, il s’y refuse.
« Rose ne… Rose ne me coulera pas. J’en suis persuadé, tend-t-il d’affirmer en secouant la tête, la queue pourtant basse et immobile. Et je te le prouverai. Je vous le prouverai à tous. Rose est avec nous ! »
Peut-être est-il aveugle, auquel cas son enquête sur Rose risque de lui être douloureuse, mais sa foi en son binôme n’est pas prête d’être ébranlée, elle. Sa fourrure se gonfle et grossit sa queue dans son dos, alors que l’appendice fouette l’air, pendant qu’il pose le poing, ferme, sur la table.
« Promets, Sexta. Je veux ta parole que lorsque la loyauté de Rose sera démontrée, tu cesseras de prétendre qu’il veut nous couler. »
La vampire écarte les bras comme si c'était une évidence. Si elle a les preuves que Rose n'est pas un traître et qu'il ne cherche pas à nuire au cartel, alors l'affaire sera close. Elle se laisse aller contre le dossier de sa chaise et croise les bras sur sa poitrine, un rictus sur le visage.
« Mène bien ton enquête, Fawkes. Saute sur le moindre indice. Retourne toutes ses affaires. Retourne même les poches de ses vêtements si tu peux. S'il n'a rien à cacher, tu ne trouveras rien. Mais tout le monde a ses petits secrets. »
Elle laisse échapper un rire amusé puis ajoute d'un ton amusé :
« Tant que les secrets de Rosie ne mettent pas le cartel en danger, ça me va. Il sera l'un des nôtres et tout ira bien. Mais si jamais tu trouves des choses compromettantes qui prouveraient le contraire… »
Et tandis que Fawkes songe que tous les secrets ne sont pas bons à connaître, Sexta se penche en avant et murmure d'une voix lourde de menaces :
« Je m'occuperai de lui. Même son cher Chef de Garde ne le reconnaitra pas. Ceux qui cherchent à nous couler, je les envoie au fond du gouffre. »
Elle hausse les épaules et ajoute :
« Ne me regarde pas comme ça. Il faut bien que quelqu'un le fasse et tu sais bien que j'ai de l'expérience. Pourquoi on arrive à se tenir près du sommet de la hiérarchie, à ton avis ? C'est parce qu'on nous sait capables du pire. Alors fais ton travail correctement, petit renard et moi je ferai le miens.
- Je le ferai. Je n’approuve pas, mais je le ferai. »
La voix du renard est sourde, résolue. Il sait ce dont est capable Sexta. Lui aussi est capable du pire et quelque part, il songe que si Rose doit être éliminé, tout comme il a refusé qu’une autre personne se charge de sa surveillance, il se dit que c’est à lui que reviendrait cette tâche. Sur la table, son poing se desserre et sa fourrure retrouve son volume initial. Alors qu’il se détourne pour s’éloigner, il soupire et relève son museau. Ses oreilles affaissées sur sa tête démontrent que ses prochains mots ne véhiculent aucune animosité. Il ne s’agit pas d’une attaque.
« Tu as dû vivre des choses bien terribles, Sexta, pour avoir à ce point ce besoin de contrôle sur tout ceux qui t’entourent. Tu sais… c’est en acceptant que certaines choses ne dépendaient pas de moi que j’ai cessé de vivre de la peur. Tu devrais essayer, à l’occasion. »
Évidemment, dans le cadre de leur mission au Cartel des Typhons, le contrôle est nécessaire. Mais il est tout de même certains éléments qui ne pourront être maîtrisés, qu’importe toute la bonne volonté qu’on y mettrait. Et plus tôt Sexta le comprendrait, plus tôt elle pourrait se focaliser sur ce qui dépend vraiment d’elle. C’est aussi pour ça que Fawkes veut se charger lui-même de l’enquête sur Rose. Parce qu’il saura la mener comme il se doit et ne rien négliger. De surcroît, Fawkes veut pouvoir analyser les données avant que Sexta mette la main dessus.Les Choix
Le cartel des Typhons a choisi de s'allier avec Nelladel, qui travaille pour Candice et Sira Milliget. Afin de leur prouver sa bonne foi, Nelladel va les aider dans le sauvetage de Nash. Le départ est imminent, mais avant tout, il faut pouvoir composer l'équipe dudit sauvetage, sachant qu'une personne doit rester à la planque pour continuer à surveiller ce qui se passe à Odrialc'h et dans les Abysses.
Qui va accompagner Yüljet et Nelladel ? (Note : Fawkes part d'ores et déjà à Eel pour mener son enquête sur Rose. Il fait d'office partie de l'équipe de sauvetage).
➜ Fuya Pyle (La sirène a développé un traumatisme vis-à-vis des fées depuis sa dernière mission à Rhenia-Gaear. Se confronter aux Milliget risque d'être difficile pour elle néanmoins cela peut lui être bénéfique pour affronter sa peur. Fuya est celle qui voulait rester à Eel pour secourir Nash. Elle est une traqueuse d'informations avec une excellente mémoire photographique et en présence de Sexta, elle donnera toujours le meilleur d'elle-même.)
➜ Sexta Stoker (La vampire qui a été à la tête de la plus grande maison close d'Odrialc'h et dont la réputation n'est plus à faire au sein des Abysses et des bas-quartiers. Trésorière du cartel, Sexta se démarque aussi par sa capacité à garder son sang-froid en toute situation et à pouvoir négocier avec les pires truands. Sa méfiance peut être un atout comme un désavantage et certaines opportunités peuvent être manquées à cause de cela. En présence de Fuya, Sexta peut se montrer très dangereuse si du mal lui est fait.)
➜ Ryan Qilin (Maîtresse des poisons du cartel des Typhons. Ryan n'est pas une faerienne de terrain cependant, elle a l'habitude des Abysses et sait naviguer en eaux troubles. Bien qu'elle ne soit pas médecin, la concoction de ses poisons nécessite de grandes connaissances en anatomie faeriennes qui peuvent se révéler utiles pendant des missions, surtout lorsqu'il s'agit de préparer des poisons rapides qui peuvent retourner une situation à l'avantage des Typhons. Ryan est sage, discrète, très intelligente et elle n'inspire pas la méfiance vis-à-vis de ses ennemis, ce qui peut leur être fatal. En présence de Fawkes, la licorne se sent rassurée et peut réfléchir et travailler plus vite.)
➜ Gabrielle Parceveaux (Binôme de Nash et est amoureuse de ce dernier. Elle fait partie de la garde rapprochée de la famille Leblanc, à Rhenia-Gaear et est proche de leur fille cadette, Annette. Elle est une experte en espionnage et bon nombre de ses missions comptaient sur cette discipline. Gabrielle est une personne qui a la tête sur les épaules et peut se montrer très sage en situation extrême. Cependant, personne ne peut prédire si ses sentiments personnels pourraient prendre le pas sur la mission de sauvetage… )
Note : Même si vous choisissez déjà deux personnes, vous êtes libre d'intégrer Gabrielle à l'équipe de sauvetage. Réfléchissez bien aux avantages et aux inconvénients que ce choix pourra apporter vis-à-vis de l'équipe.
Vous avez remarqué que Rose Clarimonde n'est pas ajouté d'office à l'équipe de sauvetage et ne fait pas partie de la liste. C'est normal, sa participation dépendra beaucoup de l'enquête de Fawkes.)
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes doit prendre le bateau, à l'aube, pour se rendre à Eel et commencer son enquête. Pour son départ, sa cheffe lui a remis quelques instructions supplémentaires :
Fawkes,
Le bateau que tu vas prendre ce matin t'emmènera directement à Albacore. Au moment où je t'écris ce message, une missive a été envoyée à Rose. Il viendra t'accueillir au petit port d'Albacore, comme d'habitude.
Tu devras lui dire que tu es venu pour préparer le sauvetage de Nash avant l'arrivée du cartel. Il te demandera inévitablement des informations sur Fuya Pyle et notre entrevue. Tu devras lui répondre comme tu l'aurais fait.
Rose ne doit pas douter une seule seconde de l'enquête qui est menée sur lui. Et si notre mission de sauvetage est mise à mal parce que l'une de ces informations à fuité, alors l'issue de ton enquête sera claire.
Tu utiliseras ton identité de Jens Red dans la cité d'Eel et tu séjourneras dans l'auberge la plus proche du Quartier Général. Pour justifier de ta présence sein de ce dernier, tu feras semblant de t'intéresser aux trois grandes Gardes dans le but d'intégrer l'une d'entre elles.
Tu n'auras qu'à appuyer sur le fait que sauver le gamin Ael Diskaret t'as donné envie de t'investir auprès de la cité d'Eel.
Tu es un expert en infiltration alors tu sauras comment agir. Je veux des rapports réguliers sur ce que tu trouveras. Tu devras tout noter jusqu'au moindre détail, que ce soit le contenu des appartements de Rose jusqu'à son attitude.
S'il est loyal au cartel, alors tu ne trouveras rien.
Bonne chance et bon courage,
Titan
Il est temps de commencer cette enquête qui s'établira sous forme de RP ! Lorsque tu seras prêt, Waïtikka, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June a assisté à la réunion optionnelle qui s'est établie dans les quartiers de la Garde de l'Ombre. Là, elle a pu apprendre que le Second Clarimonde était prêt à effectuer son suivi, concernant leur entraînement, jusqu'à son intégration au sein du corps armée d'Odrialc'h.
Aussi, il était possible de poursuivre l'entraînement dans les quartiers de l'Ombre ou de l'Obsidienne.
June à choisie l'Obsidienne et sa demande a été acceptée par le Second Clarimonde.
Cependant, June a reçu une petite missive de la part de Nevra Mircalla :
June Albalefko,
Je me permets de vous contacter au sujet de l'entraînement inter-garde, pour lequel vous avez subtilisé mon Second en Chef.
Vous avez émis le souhait de poursuivre ledit entraînement au sein de vos quartiers, dans la Garde Obsidienne et mon Second n'y voit aucune objection (quel dommage, je comptais vous faire trier mes encriers par ordre alphabétique de couleurs.)
Le prochain entraînement est prévu le nephilum 2, du mois de sartane, dans la matinée.
Vous trouverez ci-joint la fiche de suivi élaborée par mes soins, que vous devrez remplir et remettre à votre Chef de Garde pour sa signature.
Cette fiche sera remise à votre futur référent lors de votre transfert à Odrialc'h, prenez-en soin.
Nevra Mircalla, Chef de la Garde de l'Ombre
PS : si vous l'abimez, vous viendrez classer ma paperasse.
Lorsque tu seras prête, contacte-moi par MP pour le RP !
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :
Après son entretien avec Nevra Mircalla, Lilymoe a reçu une réponse positive. Il est autorisé à s'occuper d'une partie des gardiens de l'Ombre afin d'effectuer leurs suivis médicaux.
Alors qu'il est en train de consulter la liste des gardiens, il entend un faible frappement à la porte de son bureau, comme si quelqu'un avait voulu toquer avant de se raviser.
Quand il va vérifier, il voit Helouri Ael Diskaret se hâter pour tourner à l'angle d'un couloir.
Que doit-il faire ?
➜ Le rattraper (ce choix déclenche une session de RP)
➜ Le laisser.
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !(^_^)/
Nous revoici avec ce chapitre 27 (déjà !) et comme son nom l'indique, nous allons plonger. B)
Comme pour le chapitre 25, je vous laisse les RP apparents et par contre, un petit Trigger Warning :
Certaines scènes de ce chapitre peuvent être dérangeantes alors âmes sensibles, faites attention. Lesdites scènes respectent les règles du forum, mais disons qu'elles en taquinent la limite. De ce fait et si vous choisissez de manger devant ce chapitre, je vous le déconseille car justement, lire certaines créatures en train de se nourrir pourrait vous faire passer l'envie d'avaler votre repas. B)
Bon, j'exagère peut-être mais en tout cas, je préfère vous prévenir.
Sur ce, je vous souhaite bonne lecture et surtout : bonne descente ! B)
Chapitre 27 - Les Abysses
RP June et Rose
June arrive avec cinq minutes d'avance et se rend directement dans la salle d'entraînement.
Les couloirs défilent sans qu’elle ne les regarde. June les connaît par cœur, elle n’a plus besoin de réfléchir au chemin qu’elle doit prendre pour se rendre dans la salle d’entraînement. Ses pieds la guident seuls pendant qu’elle songe à la séance du jour. Heureusement qu’elle avait choisi les quartiers de l’obsidienne, ranger des encriers aurait mis à mal la bonne entente inter-garde que souhaitaient instaurer les Chefs. Quand Helouri lui avait lu la lettre envoyée par le Chef Mircalla, elle avait failli s’étouffer avec l’eau qu’elle était en train de boire.
La gardienne s’arrête devant la porte de la salle, prend une longue inspiration pour calmer son agitation intérieure et laisse un sourire enthousiaste se peindre sur ses lèvres. Elle aime s’entraîner, et elle a hâte. June rajuste son armure d’entraînement, vérifie que ses chaussures sont bien lacées, puis passe une main dans ses cheveux déjà ébouriffés avant d’entrer dans la pièce. Elle ouvre la bouche pour saluer les gardiens déjà présents et cherche machinalement son partenaire des yeux, mais les mots se bloquent quand elle constate que Rose Clarimonde n’est pas là.
Intriguée, June fronce les sourcils en regardant mieux : les fois précédentes, il arrivait toujours avant elle. S’est-elle trompée d’endroit ? A-t-il finalement été décidé qu’elle s’entraînerait chez les ombres ? Elle n’a rien reçu en ce sens… La jeune femme s’avance dans la salle jusqu’à atteindre l’un des murs pour s’y adosser, et elle fait la moue.
Non, elle panique pour rien, et il faut qu’elle se calme. Ses doigts s’agitent pour agripper le tissu de son pantalon, alors qu’elle inspire doucement jusqu’à retrouver une certaine sérénité. Rose est le Second de la Garde de l’Ombre, il a probablement eu quelque chose à faire avant.
Pendant qu'elle attend, une gardienne de l'Ombre fait son entrée. Ses cheveux courts, d'un bleu envoûtant, tombent en longue mèches sur son front et ses yeux parcourent la grande salle du quartier de l'Obsidienne comme s'ils la trouvaient particulièrement intéressante.
D'ailleurs, son regard est ce que sa binôme apprécie le moins. Il lui fait penser à des dagues effilées qui seraient capables de voir l'âme de son adversaire et c'est assez vrai.
Pour une inspectrice qui occupe ce métier depuis plus de vingt ans, elle a appris à lire le comportement d'autrui.
Enthraa Kellerman pénètre sur les lieux d'un pas assuré. Sur son dos, son trident rougeoyant a presque l'air de luire, tout comme la potion sanguinaire suspendue à sa ceinture, qui lui permet de conserver ses jambes. Quelques gouttes chaque matin suffisent et c'est tant mieux car pour une sirène, pouvoir marcher requiert un traitement à vie.
Enthraa s'arrête pour chercher quelqu'un de son regard vif. Elle réprime un soupir quand elle avise que la personne en question n'est pas là et elle grimace en voyant June.
Ça va être à elle de s'y coller et elle déteste ça. Néanmoins, elle met son irritation de côté et se dirige tout droit vers l'obsidienne.
Face à elle, Enthraa croise les bras sur la poitrine et la salue d'un signe de tête :
« June Albalefko, je présume ? Enthraa Kellerman, inspectrice de l'Ombre. L'un de nos traqueur, un parfait idiot appelé Chrome, devait te prévenir que le Second en Chef aurait du retard mais visiblement, c'est à moi de jouer les messagères. Bref. Il devrait arriver d'ici un bon quart d'heure. »
June roule des yeux en croisant à son tour les bras sur son buste, et esquisse un sourire ennuyé.
« Ah… Le message est visiblement passé à la trappe, répond-elle. Merci quand même ! Je me disais bien que c’était bizarre que le Second Clarimonde soit pas là, il arrive toujours avant moi d’habitude. »
Elle se redresse un peu, alors que ses mains redeviennent deux oiseaux agités sur ses bras, et son sourire se fait un peu plus franc tandis qu’elle détaille la salle de ses yeux violets.
« Je ne vois pas votre binôme non plus, remarque June. Ni Chrome, d’ailleurs… Il faudra que je lui dise qu’il est meilleur pour faire l’idiot que pour faire passer les messages…»
Son ton est ironique, et elle a bien envie d’étrangler le gardien de l’Ombre. Dire qu’elle a expédié son petit déjeuner pour être à l’heure, alors que c’est son moment préféré de la journée…
Enthraa s'adosse contre le mur, près d'elle, et un sourire cynique se peint sur ses lèvres. Chrome est jeune, mais surtout maladroit et la discipline de l'Ombre lui donne du fil à retordre. En réalité, la sirène trouve qu'il est beaucoup trop pétillant pour cette Garde, mais chacun son choix.
En parlant de sa binôme, elle arrivera dans une petite demie-heure :
« Je n'ai pas rendez-vous tout de suite avec ma binôme, explique Enthraa, mais comme je ne connaissais pas vraiment vos quartiers, j'ai préféré venir en avance. C'est plutôt simple de se repérer, chez vous, tout compte fait. Et c'est plus accueillant que ce que je pensais. »
Ce constat étant posé, Enthraa est curieuse. Quand le Chef Mircalla a fait part du projet d'entraînement inter-garde proposé par Valkyon Batatume, elle a été intriguée d'entendre le nom de Clarimonde. C'était osé. Elle a tout d'abord pensé qu'il refuserait, mais contre toute attente, il avait accepté.
La sirène a un tic de la bouche. Elle hésite, puis demande d'un ton détaché :
« Tu t'entraîne pour intégrer le corps armée d'Odrialc'h, non ? Je t'ai vu aux sélections. Tu t'es bien battue, surtout avec une adversaire pareille. Fallait quand même le faire pour demander à s'entraîner avec Clarimonde. Ça a surpris pas mal de gens, chez nous. »
Puis elle ajoute d'un ton badin :
« Tu l'as payé, ou il fait vraiment acte de charité ? »
June écarquille les yeux, surprise par le franc parler de la sirène. Elle s’apprêtait à réagir concernant leurs quartiers, car comme tous les obsidiens, elle en est très fière, mais maintenant, elle fixe Enthraa pour essayer de savoir si elle plaisante ou non. June penche la tête sur le côté, hésite quelques secondes, puis hausse les épaules.
« Je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un le sauve du Chef Mircalla, il parait qu’il fait trier ses encriers à ses sous-fifres, répliqua-t-elle très sérieusement. Et puis comme son nom était sur la liste, j’ai pensé que quitte à m’entraîner avec quelqu’un, autant prendre un gradé, ça peut offrir des avantages.
- C'est une idée judicieuse, surtout pour ton objectif. Je pense qu'à ta place, j'aurais fait la même chose. »
Elle passe sur les manies étranges du Chef Mircalla, dont ses gardiens n'ont que trop l'habitude. Il aime beaucoup se jouer des nouveaux et quand ces derniers arrivent à la Garde, les inspecteurs et les traqueurs aiment parier sur ceux qui passeront le balais et ceux qui trieront sa paperasse.
C'est ce qui participe à la bonne ambiance de la Garde de l'Ombre. D'ailleurs, ce genre de tâche s'achève toujours pas un repas surprise de bienvenue. Normalement, c'est le chemin qu'emprunte tout nouveau gardien.
Normalement.
Enthraa se mord la lèvre, puis répond à June :
« Tout le monde y voit son intérêt. Toi, tu auras eu un entraînement qui, je l'espère, sera suivi dans le plus grand des sérieux et lui, il obtiendra sûrement quelque chose d'Odrialc'h ou du Chef Mircalla, pour avoir formé une nouvelle recrue du corps armée de la grande cité. Rosie fait rarement les choses au hasard ou pour son bon cœur. »
Elle s'interrompt quand elle réalise qu'elle a utilisé le sobriquet assez célèbre au sein de l'Ombre et s'explique, avec un geste de la main :
« On est nombreux à l'appeler comme ça. Il est peut-être gradé, mais ça reste un gamin de vingt-et-un ans. »
June ne peut s’empêcher de pouffer. Rosie, c’est mignon et ça ne fait pas très sérieux. Elle se fiche que Rose fasse ça pour obtenir des avantages, ou juste parce qu’on le lui demande. De toute façon, ce qui l’intéresse c’est d’avoir un entraînement de qualité. En passant les doigts dans ses nœuds, elle entreprend de les démêler tout en souriant à Enthraa.
« Vingt-et-un ? Je pensais pas qu’il était aussi jeune. C’est vrai, il a l’air…»
Elle s’interrompt, alors que la voix de Cristal résonne dans sa tête. Se moquer des gens, c’est mal, mais Rose Clarimonde fait effectivement plus vieux que son âge. Du moins dans l’esprit de June. Elle agite une main en grimaçant quand son gant se coince dans une mèche, tire dessus et reprend en jetant un regard machinal autour d’elle.
« Je veux dire, à son attitude, je lui en donne plutôt trente. Ou quarante. On dirait mon père, des fois. Enfin, Joseph. » précise-t-elle en baissant la voix.
Enthraa ne peut pas s'empêcher de rire. La comparaison du Second avec un le père de June n'est pas mal du tout et elle le fait remarquer. Quoique Joseph Ael Diskaret lui apparaît comme une personne très sage, avec beaucoup d'expérience et une vision de la vie que Clarimonde ne peut pas avoir pour le moment.
Elle fulmine contre ceux qui l'ont nommé Second pour des raisons qu'elle préfère peut-être ignorer. Mais elle et d'autres gardiens ne se gênent pas pour faire des hypothèses douteuses sur sa promotion.
« On est beaucoup à dire qu'il a un manche à balai coincé dans le cul, pour parler vulgairement. Puis toi, June, tu as quel âge ? Vingt-trois ? Vingt-quatre ans ? Tu te verrais seconder ton Chef de Garde ? »
Elle pousse un soupir et secoue la tête. Les Gardes de l'Absynthe et de l'Obsidienne ont des Second qui ont la trentaine ou la quarantaine, ce qui est logique, puisque ces derniers devront diriger la Garde une fois les Chefs partis en retraite ou bien souhaitant démissionner.
Mais Enthraa s'est toujours demandé si cette tâche était dans les aspirations de Clarimonde ou s'il y avait autre chose. Un sourire froid se dessine sur son visage :
« Il y a bien des façons de devenir Second en Chef. La première, c'est l'expérience et la compétence. Mais certains n'hésitent pas à passer sous le bureau, si tu vois ce que je veux dire… Je ne dis pas que c'est ce que Rosie a fait, mais… On se pose des questions. »
Puis elle ferme brièvement les yeux et pousse un profond soupir, avant d'ajouter :
« Désolée, June, je ne devrais pas parler comme ça. Disons que je n'ai jamais vraiment digérée qu'on m'ait retiré la place que je devais occuper pour la filer à un gamin de dix-neuf ans, à l'époque. »
June ne s’est jamais intéressée aux méandres politiques des grades de la Garde, parce qu’elle ne souhaite pas particulièrement en faire partie. Elle évolue depuis son arrivée comme elle peut, et s’entraîne pour être au maximum de ses capacités lors des missions qu’on lui donne. Le reste, c’est beaucoup de prise de tête et de réflexion, trop pour lui donner envie. Parmi ses camarades de promotion, certains se voient déjà seconder le Chef, ou rêvent même de diriger l’Obsidienne, mais elle est bien loin de ces préoccupations là.
La jeune femme perd son air chafouin pour redevenir sérieuse, et hausse les épaules.
« J’imagine que le Chef Mircalla avait ses raisons de nommer Rose comme Second, et puis je comprends que ça t’agace de t’être fait prendre la place, surtout si tu as les compétences pour l’occuper, grimace-t-elle. J’aurais probablement réagi pareil, je ne sais pas. Dix-neuf ans, c’est jeune pour une fonction comme ça, surtout quand la majorité de tes subordonnés sont plus âgés que toi. »
Elle agite les mains devant elle, pour atténuer ses propos, mais sa moue se fait gênée.
« Je veux dire, je respecte la chaîne de commandement et tout, mais Rose pourrait être mon petit frère, et il pourrait carrément être ton fils. Je comprends qu’il fasse pas l’unanimité. »
Et elle commence aussi à imaginer pourquoi le Second du Chef Mircalla est aussi rigide. Même si elle est parfaitement d’accord à propos du balai et de sa localisation dans le fondement du Second Clarimonde.
Enthraa lui adresse un léger sourire. Elle a raison, d'ailleurs. Elle a un fils qui a presque le même âge que Rosie et c'est très étrange.
Mais c'est compliqué, surtout quand il y a la famille Mircalla, derrière, qui garde un œil sur l'Ombre. Enfin, elle peut toujours se consoler en se disant qu'elle fait bien son travail, mais elle a l'impression qu'il n'a pas été apprécié à sa juste valeur par sa hiérarchie, pour qu'on l'évince de la sorte.
« Mon fils veut entrer dans la Garde Obsidienne, d'ailleurs. Il a raison. C'est sympa, chez vous. »
Ce constat posé, la sirène voulait changer de sujet, mais elle n'aura pas l'occasion de le faire car le Second Clarimonde est en train d'arriver. Elle aperçoit sa silhouette et se met à grincer.
« Tiens… Quand on parle du rhume des herbes acides, on l'attire. Je vais te laisser en charmante compagnie. À plus tard, June. »
Enthraa tourne les talons pour aller attendre sa binôme plus loin, dans la salle d'entraînement et elle se doute que le Second n'est pas idiot. En la voyant discuter avec June, il doit savoir que ses oreilles ont dû siffler pendant qu'il n'était pas là.
Elle s'en moque.
Rose, quant à lui, la regarde s'éloigner. Manifestement, Chrome n'a pas délivré son message comme il le lui avait demandé et d'ailleurs, le jeune loup-garou n'est même pas là.
Le Second en Chef songe déjà à une discussion sérieuse avec lui, concernant le respect des horaires et des consignes. Ça le fatigue déjà, car il sait que Chrome est du genre à s'améliorer la première semaine pour vite reprendre ses vilaines habitudes…
Mais il balaye ces pensées et se concentre sur l'instant présent : il doit entraîner June Albalefko et mettre le suivi en place jusqu'à son transfert à Odrialc'h.
Rose la rejoint, puis la salut :
« Bonjour à vous, June Albalefko. Je vous présente mes excuses pour mon retard, j'ai eu une affaire urgente à traiter. Un traqueur de l'Ombre devait vous prévenir mais manifestement, il ne l'a pas fait. Vous n'avez pas trop attendu ? »
Elle lui adresse un sourire assuré et secoue la tête.
« Non, j’ai dû manquer le message. Bonjour aussi, Second Clarimonde ! répond-elle. C’est pas grave, de toute façon j’étais là, donc… »
Elle balaye son attente d’un geste de la main. Comme dit Cristal, ce qui est fait est fait ! Elle tirera les oreilles de Chrome si elle le croise dans un couloir, et puis voilà. En plus, ça lui a permis d’en apprendre plus sur son partenaire, qu’elle regarde d’un nouvel œil. Si l’opinion d’Enthraa est la plus populaire dans sa Garde, alors la vie de Rose Clarimonde ne doit pas être facile tous les jours. June se décolle du mur et place les mains derrière son dos, droite et attentive.
« Le Chef Mircalla m’a envoyé une note, continue-t-elle. A propos d’encriers à classer, notamment, donc je vous remercie d’avoir accepté de m’entraîner ici.
- Ce n'est rien. Je n'ai pas souvent l'occasion de me rendre dans les quartiers de l'Obsidienne et il faut savoir changer ses habitudes. »
Rose s'est raidit à cette mention et son regard s'est fait fuyant pendant une petite seconde. Mais il se reprend et focalise toutes ses pensées sur l'entraînement et les sujets qu'il a prévu d'aborder avec June Albalefko.
Reprenant sa posture rigide il déclare :
« Si vous le voulez bien, nous allons revoir ensemble les réflexes que vous êtes en train d'acquérir et ensuite, nous nous exercerons à une mise en situation. J'aimerais voir comment vous vous débrouillez dans un contexte d'attaque surprise où vous vous retrouvez maîtrisée par l'ennemi. Mais avant cela, j'aimerais aborder un sujet qui pourrait être assez sensible, avec vous. Je veux parler de la lecture. Est-ce que vous seriez à l'aise pour en discuter ? »
June détourne immédiatement les yeux alors que le rouge lui monte aux joues. Evidemment, il fallait bien que ça arrive un jour… Ses mains deviennent incontrôlables. Elles se perdent dans ses cheveux, viennent tirer sur le tissu de ses vêtements et ses pieds se balancent pour trahir son agitation interne. June ne s’en rend pas compte quand elle marmonne sa réponse.
« C’est… j’essaie, tous les jours, et je sais reconnaître des mots. »
Elle n’est pas nulle, Cristal ne cesse de le lui répéter. Sans cesser de bouger, la gardienne se recentre sur Rose et ses lèvres se tordent en une moue agacée.
« Je fais de mon mieux, tout le temps, mais ça marche pas. J’ai essayé plein de trucs, bougonne-t-elle. Le Chef Batatume a dit que c’était pas un problème pour l’instant, et quand je reçois des missives, c’est Joseph qui me les lit, ou Helouri, mais il dit rien à personne, il promet à chaque fois, et je lui fais confiance. Si ça vous embête que Lou lise mes lettres, je lui dirais d’arrêter, mais ça m’aide un peu, parce qu’il se moque jamais, et il essaie de m’apprendre en même temps. »
Elle se rend compte qu’elle parle trop, et que Rose n’a pas pu placer un mot, alors elle se force à respirer pour conclure d’une voix dans laquelle on peut sentir sa honte et sa gêne.
« Pardon, vous vouliez dire quoi ? Sur la lecture ? »
À vrai dire, le Second se demande s'il a bien fait d'aborder le sujet. June n'est pas à l'aise pour lui en parler et il la comprend, car il n'est pas la bonne personne. Néanmoins, il sait que lorsqu'elle sera transférée à Odrialc'h, il y a de grandes chances pour qu'on lui demande d'apprendre la langue orc, et ses difficultés pourront devenir un problème pour sa carrière.
Il se crispe un petit peu, et prend un instant pour trouver les bons mots.
« Je ne suis pas là pour vous juger simplement, je tenais à vous dire qu'à Odrialc'h, on risque de vous demander d'apprendre la langue orc et ça pourrait devenir une difficulté supplémentaire pour vous. Aussi, je voulais vous dire qu'au sein de la Garde de l'Ombre, il y a une jeune recrue qui rencontre des soucis similaires au niveau de la lecture. Selon ses dires, les lettres se mélangent lorsqu'il essaye de lire. Je me disais simplement que si vous le souhaitiez, vous pourriez le rencontrer. Échanger avec une personne qui se trouve dans une situation similaire à la vôtre pourrait peut-être être bénéfique ? De plus, cette recrue est suivie par un médecin qui s'intéresse aux troubles du langage. »
Rose s'interrompt, puis avise June dont l'embarras se lit sur son visage. Il voit bien que son corps est tendu, alors il achève ses réflexions :
« Si vous jugez ma démarche déplacée, June, n'hésitez pas à me le dire. J'ai cru bon d'aborder ce sujet parce que je l'ai relevé dans votre dossier et parce que je pensais aux difficultés que vous pourriez rencontrer à Odrialc'h. Mais si ça vous déplait, restons-en là et commençons l'entraînement. »
Elle reste un instant sans répondre, puis son corps se détend alors qu’un long soupir lui échappe. June cesse de trépigner, et ses mains retrouvent leur place le long de ses hanches, alors qu’elle secoue la tête.
« Non, c’est… C’est juste que les autres gardiens ont tendance à se moquer un peu, et puis j’aime pas… J’aime pas quand j’arrive pas à faire quelque chose, avoue la jeune femme. Je savais pas qu’il y avait quelqu’un d’autre qui arrivait pas à lire… »
La gardienne redresse la tête, et malgré ses joues qui arborent toujours la couleur des cerises, elle se force à adresser un sourire timide au Second. Ce n’est pas lui qui est déplacé, c’est elle qui est susceptible…
« Les lettres se mélangent, et plus je me concentre dessus, plus elles forment une bouillie, grimace-t-elle. Et quand j’écris, c’est pire. J’avais pas pensé qu’ils me demanderaient peut-être d’apprendre la langue orc, mais maintenant que vous le dites, ça me paraît logique. Je pense que mon père m’en a pas parlé parce qu’il sait que j’aime pas trop, mais il devait y penser aussi…»
Elle a déjà du mal avec sa langue, elle va passer pour une demeurée à Odrialc’h… June pince les lèvres. En plus, elle a tendance à s’énerver très vite quand elle ne comprend pas quelque chose, et elle doute que l’impatience soit bien vue là-bas.
« C’est gentil de proposer, dit-elle avec un peu plus d’assurance. Je veux bien rencontrer ce gardien, et… Et peut-être réfléchir à un suivi médical aussi, si ça coûte pas trop cher. Je savais pas que ça se soignait.
- Je n'en sais rien moi-même, mais depuis qu'il consulte ce médecin, le gardien en question arrive à faire des progrès. Si ça vous convient, je lui demanderai de venir vous voir après le prochain entraînement. »
Rose ignore si cette entreprise pourra apporter quelque chose de positif à June Albalefko, mais puisqu'elle est d'accord, il est bon d'essayer.
À présent, il est temps de passer à l'entraînement. Le vampire arbore son sérieux habituel alors qu'il se saisit de sa hallebarde et dicte les consignes d'une voix forte :
« Bien. Pour l'entraînement d'aujourd'hui, June, je vous propose une mise en situation. Comme je vous le disais, j'aimerais voir comment vous vous débrouillez quand un ennemi vous maîtrise. Je vais donc vous attaquer par surprise, entraver vos mouvements, et vous devrez vous libérer et reprendre l'avantage du combat. Si cela vous convient, je vais ouvrir les hostilités. »
Elle hoche la tête, et il lui faut quelques instants pour se mettre dans l’esprit du combat. Pourtant, elle parvient à chasser ses difficultés en lecture de son esprit pour se focaliser sur Rose. Sa main se pose sur la garde de son épée, et elle prend une longue inspiration. Il y a un temps pour tout, et à présent, il lui faut se battre.
Enquête de Fawkes sur Rose Clarimonde - Première Partie
Fawkes choisit de se rendre aux abords de la forêt pour attendre Rose
Comme convenu avec Yüljet, Fawkes part en premier et avant tout le monde à Eel. Les membres du Cartel qui le retrouveront plus tard ont été décidés et Fawkes sait qu’il sera bien entouré. Il se concentre sur ces pensées, sur le plan pour sauver Nash, alors que le bâteau accoste à Albacore. Une façon pour lui d’éviter de penser à ce qui l’amène réellement ici en avance. Mais dès qu’il pose le pied sur le ponton de bois du village, c’est comme un raz-de-marée qui le submerge. Le visage de Rose s’imprime à l’intérieur de sa paupière et où qu’il regarde, il ne voit que la trahison qu’il s’apprête à commettre pour prouver que le vampire n’en est pas coupable, lui.
Il déteste cette mission. De tout son être, il la déteste. Et il la déteste encore plus fort depuis que Sexta a su planter en lui la graine du doute. Et si la vampire avait raison ? Personne d’autre que Titan ne sait pourquoi Rose a rejoint les Typhon. Tout comme elle est la seule à savoir ce qu’à vécu Fawkes avant le Cartel. Pourtant, on ne remet pas sa loyauté en doute à lui. Pourquoi Rose doit-il tant être sujet à suspicion ?
Le renard secoue la tête et ses oreilles ballottent dans ses cheveux. Il doit chasser ces pensées et le remords qui l’assaille. Sinon Rose le sentira, c’est certain. Son binôme ne doit rien savoir de la véritable mission qui amène Fawkes en avance. Alors le garou soupire et se dirige d’un pas décidé vers la forêt, en bordure de village. Rose le rejoindra bientôt, mais pour l’heure, il a le temps d’aller prendre l’air, de se vider la tête. L’air est différent sous couvert de la canopée. On sent toujours un petit arrière goût de salinité, mais la forêt l’absorbe, la digère, pour la transformer.
Ça craque sous les pas du renard, parce qu’il ne cherche pas à être discret. Il ne se cache de rien, ni personne, ici, et quand il effleure l’écorce rugueuse des arbres centenaires du bout des doigts, un frisson lui hérisse la peau, jusqu’au bout de queue rousse, qui tique. Après Odrial’ch, après Eel où il est resté dans la cité pendant des semaines, la nature lui manquait. Cette même nature qui lui permet de retrouver ses racines profondes, sans même savoir où elles mènent, mais le goupil n’est jamais plus proche de chez lui que lorsqu’il se trouve dans les sous-bois. Ainsi, il passe de longues minutes à vagabonder dans ce début de forêt, à écouter la pousse des arbres et à sentir les ondulations dans l’air, provoquées par l’enfouissement soudain d’une musarose sous un tas de feuilles. Qu’elle ne s’inquiète pas de Fawkes, il n’est pas son prédateur aujourd’hui. Soudain, le renard redresse la tête, les oreilles droites sur sa tête, orientée dans une direction précise. Il hume un peu l’air et sans plus s’intéresser au petit rongeur, il rebrousse chemin.
Loin de lui le vagabondage, loin de lui les pensées légères. Rose est là, il l’a sentit. En à peine quelques minutes, Fawkes perçoit à nouveau la clarté du soleil qui rayonne sur la plaine et quand il aperçoit la silhouette guindée qui l’attend, il aimerait sourire de retrouver son binôme, mais sa bouche reste figée. Au lieu de cela, il hoche la tête pour le saluer. Ils ont du travail.
« Fawkes. »
Comme toujours, le prénom du renard est prononcé de cette voix ferme. C'est sa façon à lui de lui dire bonjour.
Rose ne s'attendait pas à le revoir de sitôt et surtout, avant le reste du cartel. Mais pour assurer le sauvetage de Nash, il sait que leur cheffe a un plan et qu'il le découvrira en temps et en heure.
Pour le moment, il s'était simplement contenté de mémoriser le contenu de la missive de Titan et d'aller chercher son binôme le jour de son arrivée à Albacore.
Comme d'ordinaire, il s'est défait de son uniforme de la Garde de l'Ombre pour arborer une tenue beaucoup plus simple. L'ocre de sa tunique jure avec ses cheveux d'un noir de jais mais parmi les petits marchands et les citoyens du village, personne n'y prête attention.
Le vampire croise les bras sur sa poitrine et reste stoïque :
« Je ne m'attendais pas à te revoir si rapidement. Il a été dit que tu séjournerais à Eel sous l'identité de Jens Red. J'imagine que tu as un endroit où loger ?
- On doit mettre toutes les chances de notre côté et… non, l’urgence de la situation ne m’a pas laissé le temps de prévoir quoi que ce soit. Je vais me chercher une chambre dans l’auberge la plus proche du QG, histoire d’avoir un œil sur tout, sans en avoir l’air. »
Rose hoche la tête. Il sait qu'avec l'identité de Jens Red, son binôme n'aura aucun mal à se trouver une chambre. Si l'accident du fils Ael Diskaret a su se faire évincer des mémoires par les sélections, l'héroïsme de Jens Red, lui, n'a pas été oublié.
« Nash a été mené vers les salles d'interrogatoires les plus éloignées du quartier de l'Ombre, affirme le vampire, puisqu'il est le prisonnier des Milliget, je n'ai pas l'autorisation d'y pénétrer. Mais je sais qu'il est bien là. De quelle façon tu comptes mener tes recherches ? »
Fawkes réfléchit un instant. Il y a déjà songé, en vérité, et cela ne change pas de ses habituelles missions d’infiltration pour voler des informations. Que ce soit concernant Nash ou Rose.
« Saurais-tu me fournir le plan du quartier de l’Ombre et le roulement des patrouilles ? Ou à défaut, j’irai les chercher moi-même, dans le bureau de Nevra Mircalla, ponctue-t-il, d’un clin d'œil. Je tiens pas à t’incriminer. »
Le vampire arque un sourcil, perplexe, puis cherche à comprendre la démarche de son binôme. Il souffle par le nez, puis lance :
« C'est Titan qui t'as demandé d'entrer en contact avec Nash ? C'est risqué, Fawkes. Nash n'est pas un prisonnier comme un autre et il n'est pas interrogé par n'importe qui, non plus. Je ne vois pas vraiment ce qu'une infiltration dans le quartier de l'Ombre va t'apporter.
- Je ne compte pas lui rendre une petite visite pour le prévenir qu’on arrive ou savoir ce qu’il a pu baver aux fées, Rose… Seulement, si on ne connaît pas la topographie des lieux, ça me semble compromis de se lancer à l’aveugle dans un dédale de couloirs. Je te l’ai dit, on doit mettre toutes les chances de notre côté. »
Le renard plisse les yeux. C’est peut-être parce que Sexta a su insinuer le doute en lui, mais Fawkes s’interroge. Pourquoi Rose essaye de le dissuader de mener à bien sa mission ? Il prend un air taquin, plus léger et demande :
« Mais c’est que tu t’inquiète que je me fasse prendre que tu ne veux pas que j’y mette les pieds ? Ou tu crains que je te surprenne en train de batifoler ? »
Rose lui adresse un regard fatigué. Évinçant sa plaisanterie, le vampire argue surtout qu'avec les dernières mesures de sécurité mises en place et la présence des fées, cartographier les lieux et recenser les patrouilles n'est pas une mince affaire.
« Je ne doute pas de tes capacités. Seulement, la présence des fées rend cette entreprise dangereuse. Mais si tu y tiens, je te donnerai les plans demain matin. Seulement, fais attention. »
Ce constat étant fait, Rose interroge son binôme sur Fuya Pyle. Puisqu'il l'a rencontré, il veut savoir comment il est et Fawkes lui fait un compte-rendu de leur entrevue.
Le frère jumeau d'Ezarel, un ancien membre de la brigade de ravitaillement, le Ragnarok, la façon dont il s'en est échappé… Le virus dans les sols d'Eldarya et le Chef de la Garde Absynthe que l'on veut assassiner.
Le vampire accuse toutes ces informations et son esprit se met immédiatement en marche pour les classer de façon méthodique. Puis, levant ses yeux opalins vers le renard-garou, il souhaite avoir son avis sur ce Nelladel Séquoïa :
« À la lumière de ces informations, qu'est-ce que tu penses de lui ?
- Hmmm difficile à dire, avoue Fawkes. Il avait l’air sincère, je n’ai pas senti l’odeur du mensonge sur lui. Je pense qu’il est prêt à faire de nouvelles alliances pour peu que ça lui permette de sauver son frère. Si cette proposition d’alliance peut nous être bénéfique également, ce serait stupide de ne pas en profiter… Mais je reste sur ma réserve. Je suis persuadé qu’il en garde dans sa manche. Tu as pu entendre des bribes de conversation, toi ? »
Rose reste impassible. Nelladel a ses propres objectifs, comme tout le monde et si une alliance a été demandée avec le cartel des Typhons, alors lui et ses maîtres avaient forcément besoin de leur aide pour un détail en particulier. Chose évidente. Mais ensuite ?
« Directement des fées ? L'accueil ne s'est pas étendu, Fawkes. J'ai pu voir leur bateau, qui n'en est pas vraiment, et tout ce que je peux dire, c'est que nous n'appartenons pas au même monde. Les Milliget sont mécontents d'être ici et ils savent le faire comprendre. Lorsqu'une question, même anodine, leur est posée, ils répondent par la hargne ou le silence. Joseph Ael Diskaret en a fait la douloureuse expérience, même si Delta Milliget a daigné discuter avec lui. »
Rose explique aussi que si quelqu'un s'approche de Sira, Candice ou Shelma Milliget interviendront de manière immédiate. La cohésion familiale est très forte et nul doute que si le moindre tort est fait à l'un d'entre eux, toutes les fées Milliget répliqueront.
« Tu sais, reprend Rose, un incident a eu lieu. Balam Lefaucheur nous a accompagné pour accueillir les fées et il a eu le malheur de défendre Joseph Ael Diskaret contre Candice Milliget. Je suis certain qu'il est d'ores et déjà marqué au fer rouge dans son esprit et que des représailles auront lieu. Tu veux cartographier le chemin jusqu'à la salle d'interrogatoire de Nash et la trouver… Très bien. Mais si tu te retrouves face à Candice Milliget ou un membre de sa famille, qu'est-ce que tu feras ?
- Et bien… je prétexterai m’être perdu ? suppose Fawkes en haussant une épaule, comme s’il ne s’agissait de rien de très grave. En vérité, je songe à me faire recruter par la Garde d’Eel. C’est vrai… après tout, je ne suis qu’un simple ouvrier mais plonger pour sauver le gamin Ael Diskaret a fait naître une vocation en moi : l’Al-tru-isme ! »
Le renard remue la queue dans son dos et bombe un peu le torse.
« Tu me vois au sein de quelle Garde ? Ah… ne t’inquiète pas, ajoute-t-il en voyant la mine blasée de son binôme. Je n’irai pas jusqu’à vraiment me faire recruter. Mais cette ambition justifiera ma présence au QG. T’en penses quoi ?
- C'est une bonne idée pour justifier ta présence, en effet. »
Au fond du torse de Fawkes, son cœur crisse. Il déteste cette mission. C'est tout ce que Rose lui dira pour son arrivée à Albacore.
Concernant la Garde qu'il doit faire mine d'intégrer, le vampire lui conseille de mener ses propres recherches afin de savoir ce qui pourrait correspondre à Jens Red. Il n'aura qu'à faire son travail.
Lui, il fera le sien.
Avant de partir pour la cité blanche, Rose lui rappelle les prémices de sa mission. Son regard opalin ne brille pas et sa voix est aussi sérieuse que d'habitude.
« Demain matin, le marché d'Eel sera bondé. Je me fondrai dans la foule pour te remettre les plans du quartier de l'Ombre. Quand tu auras terminé ton infiltration, nous ferons la carte ensemble et si tu fais de mauvaises rencontres, je te conseille de trouver une meilleure excuse, Fawkes. Personne ne se perd dans le quartier de l'Ombre, au milieu des inspecteurs et encore moins dans un couloir qui n'est fréquenté que par ceux qui ont le droit de l'emprunter. »
Rose se tait. Son visage est plongé dans une profonde réflexion et tout ce qu'il cherche, c'est une alternative. Une solution potentielle dans l'éventualité où Fawkes se ferait prendre par les fées. Finalement, il ajoute :
« Si malheureusement tu croises le chemin d'une fée, nous aviserons.
- Ne te fais pas de souci, ça ne te va pas. Je ne me ferai pas prendre. Voilà tout.»
Comme toujours, Rose est taciturne. Comme Fawkes. Et quand bien même Fawkes essaye de se faire un peu plus causant pour dérider son binôme, c’est visiblement sans effet. Néanmoins, le renard apprécie que le vampire lui recommande la prudence. Au moins, il ne semble pas se réjouir de jeter Fawkes en pâture. Ou alors ne s’en réjouit-il pas parce que ça ne lui sert pas directement. Le renard souffle par le nez, poussant un petit éternuement pour chasser les mauvaises pensées que Sexta à infiltré dans son esprit. Quand il se rendra à l’auberge ce soir, il visualisera déjà les premières étapes de son plan. Notamment sa rencontre avec Rose, demain matin, au marché. Quand ils se séparent et que Rose lui tourne le dos, le renard laisse traîner son regard noisette sur le dos de son binôme. Il a perdu la légèreté de leur échange. Même si le sujet est grave et loin d’être à la plaisanterie, il est toujours bien plus léger que l’idée d’espionner un membre du cartel. Quand Rose se retourne, sans doute sent-il le regard de Fawkes qui lui brûle la nuque, le renard lui adresse un hochement de tête, pour lui assurer que “ça va, il n’a pas à s’en faire”. Le renard a de la ressource. Il donne l’impression de ne pas prendre les choses avec sérieux, mais c’est faux. Fawkes est on ne peut plus sérieux.
Lilymoe et Helouri
Lilymoe voit Helouri tourner à l'angle d'un couloir et choisit de le rattraper.
Le jeune morgan, la main sur le mur blanc de l'hôpital, souffle un grand coup. Il agrippe le tissu lavande de sa longue tunique et tire dessus en un geste nerveux. Il croit que personne ne le voit, à présent et il peut ressasser la raison qui l'a poussé à venir en ces lieux.
Helouri plonge ses doigts dans ses boucles nacrées, inspire profondément et souffle une seconde fois pour calmer ses nerfs.
Mais le renard a hâté le pas pour le rattraper. Maintenant qu’il est presque à sa hauteur, il ralentit et jauge son comparse. Celui-ci ne l’a pas entendu arriver et il est encore temps pour lui de se raviser. Toutefois curieux du comportement d’Helouri, le rouquin s’arrête juste en retrait, penche sa tête par dessus l’épaule du morgan et l’interpelle :
« Helouri ? »
Le dénommé a un sursaut. Il se retourne d'un geste vif et lorsque son regard d'argent se confronte à Lilymoe, ses yeux s'écarquillent. Figé sur place, les mots lui manquent et il regrette déjà sa démarche. Pourtant, il pense que ça pourrait l'aider.
Helouri met les mains derrière le dos, embarrassé, puis d'une petite voix, il salut l'assistant d'Ewelein Osgiliath :
« Bonjour… Je ne voulais pas vous déranger… Je suis désolé… »
Le jeune morgan se tortille sur lui-même, comme pris en faute.
Quelque peu amusé par sa réaction, Lilymoe se redresse et lui lance un grand sourire, sa queue se dandinant tranquillement. Il fait un petit pas en arrière pour laisser à Helouri l’espace nécessaire pour se calmer.
« Je ne voulais pas te faire peur, désolé. »
L’assistant veut laisser au morgan le choix de lui révéler ses pensées sans lui forcer la main. Ainsi, sa douce voix se veut maintenant rassurante et il prend son temps avant de poursuivre :
« Je peux faire quelque chose pour toi? Je terminais justement un dossier. »
Oui… Non… Oui, Helouri s'est décidé. Il ne sait pas si l'assistant d'Ewelein pourra accéder à sa demande, mais il veut tenter. C'est trop important.
S'adresser directement à la médecin en cheffe serait inutile, il le sait. Et puis, il ne veut pas que ses parents et June le sachent.
Le jeune morgan prend un instant pour réunir ses réflexions et les traduire en mots. Passant une main embarrassée dans ses cheveux, il s'explique :
« Je vais essayer de passer l'examen d'entrée pour la Garde Absynthe, encore une fois. La dernière. Même si c'est dans deux mois, je commence à travailler maintenant. Je veux vraiment réussir. Et… »
Il fait la grimace, prête attention à ce que personne ne les écoute, mais les soignants qui marchent dans les autres couloirs les ignorent. Helouri s'éclaircit la gorge, et demande d'une traite :
« J'aimerais quelque chose qui m'empêche d'être fatigué. Qui me permettrait de moins dormir et d'avoir plus d'énergie. D'autres étudiants ont ça. Je… Je voulais demander si vous pouviez me prescrire quelque chose de ce genre ? C'est… Je sais que ça existe et j'en ai besoin… »
Ewelein l'aurait sermoné sans d'autres formes de procès, il en est certain. Mais Lilymoe est gentil, alors peut-être qu'il comprendra sa démarche.
Le rouquin n’en croit pas ses oreilles. Les yeux écarquillés, les oreilles hautes et tendues, il a un instant arrêté de dandiner paresseusement sa queue le temps de traiter l’information puis la balaye d’un grand coup. Soudain il tique, porta l’ongle de son pouce à sa bouche et se met à réfléchir. Il comprend maintenant l’hésitation du morgan à venir le voir mais préfére ça que de le voir chercher des alternatives moins légales.
Ses yeux s’agitent discrètement de gauche à droite comme s’il faisait une lecture interne des notes stockées sous ses bouclettes. Il n’est pas question de lui prescrire ce qu’il demande, surtout avec ses problèmes de santé, et car le renard sait que sa démarche n’a qu’une infime chance d’aboutir. Cependant après tout ce temps passé à côtoyer l’étudiant Lilymoe sait qu’il ne le fera pas changer d’avis là dessus sans lui briser le cœur.
Soudain, le renard stoppe tout mouvement et l’ongle toujours sur ses lèvres, il lève lentement les yeux vers Helouri. Il a eu une idée.
« Suis-moi »
Le jeune morgan le fixe avec des yeux ronds, l'inquiétude commençant à poindre dans sa poitrine mais sans attendre, l’assistant fait volte face et se presse vers son bureau, ses longues manches se baladant au gré des ses pas. Il entre, fouille dans le premier tiroir et en sort un bloc sur lequel il se met à écrire quelques lignes. Il n’est pas certain que son idée soit la bonne mais décide de tenter sa chance. Il tend alors la feuille à son patient espérant qu’il l’accepte sans broncher. Dans le pire des cas, lilymoe se dit qu’un doux sourire accompagné d’une explication espiègle feraient l’affaire.
Le papier qu’il a tendu à la jeune créature est une prescription. Trois lignes distinctes énumérant des composants et un grammage pour chacun suivi d’un court paragraphe. En vérité, cela ressemble plus à une recette qu’une ordonnance. Ne pouvant accéder à la requête d’Helouri, le goupil a décidé de lui prescrire un tonifiant plutôt que de l’accabler d’un sermon. Le breuvage est composé de graines de café en grappes, de feuilles de coca enchantées et de fruits de minuit. Le café comme excitant, les feuilles de coca pour leur propriété de concentration et le fruit de minuit, doux comme la nuit, pour balancer les effets des deux premiers ingrédients et éviter au cœur une surdose d’énergie. Le tout dans de l’eau purifiée, à consommer de façon modérée et au maximum une fois par jour, dit le feuillet. Bien sûr cette indication est une astuce de médecin, un placebo destiné à laisser penser au patient que le remède est si fonctionnel qu’il peut devenir dangereux à usage trop fréquent.
Le jeune morgan lit attentivement les mots, ses yeux balayant les notes avec curiosité. Il arrive à peine à y croire. Il venait chercher un remède miracle, il s'attendait à se faire sermonner, voir mis dehors pour demander ce genre de choses et finalement, il quittera l'hôpital avec une solution.
Helouri doute que cette recette puisse repousser le sommeil et lui permettre de tenir une nuit complète, mais il l'essayera.
Il plie la feuille de papier en quatre et la glisse dans une poche de sa tunique. Embarrassé, il se tortille sur lui-même et lève son regard argenté vers Lilymoe. Il lui adresse un sourire timide, mais le remercie du fond du coeur :
« Merci beaucoup. Je ne savais pas qu'une recette de ce genre existait. Je l'essaierai ce soir et je suis sûr que j'arriverai à travailler beaucoup plus. Je… Je vais réussir l'examen cette fois. »
Il dormira moins et il travaillera plus. Mais ce sera juste pour l'examen d'entrée à la Garde Absynthe, voilà tout. Helouri sait que le manque de sommeil est mauvais pour la santé.
Tant pis. Parfois, il faut faire des sacrifices.
« Merci encore, dit-il à Lilymoe, vous êtes… Enfin… Merci ! Je ne vous dérange pas plus longtemps. »
Le jeune morgan quitte l'hôpital du Quartier Général comme s'il le fuyait. Il n'en est rien. Il a hâte d'essayer la recette et si ce n'est pas assez, alors un étudiant de sa connaissance lui a dit qu'il connaissait un remède. Un remède sans danger pour la santé apparemment, puisqu'il n'est composé que de plantes.
Pourtant cet étudiant, Daniel, a les lèvres qui ont un petit peu noircies.
Les coudes sur la table, son menton reposant sur ses mains, Titan réfléchit.
Le silence règne au sein de la planque. Fawkes a quitté le continent du Gabil pour retourner à Eel et mener son enquête, Ryan est auprès de ses deux enfants, Sexta est aux Abysses et Fuya, Yüljet la sait enfermée dans sa chambre.
Une fois le verdict rendu, Fuya n'a pas bronché quand elle a entendu son prénom. Elle n'a rien dit non plus pendant le repas pourtant, Sexta l'a retrouvée pelotonnée sur son lit, le corps parcouru de tremblements incontrôlables.
Fuya, Sexta et Gabrielle. C'est l'équipe qui a été choisie pour aller secourir Nash et Titan pense que c'est la meilleure configuration.
Malgré son traumatisme, la sirène est déterminée à affronter les fées. De plus, sa mémoire photographique et sa capacité à enregistrer les informations vues ou entendues seront très utiles. Fuya est rapide, énergique, volontaire et l'affection qu'elle porte pour chaque membre du cartel la pousse toujours à se dépasser. Titan sait qu'elle aurait très mal accusé la nouvelle d'être mise de côté alors qu'elle était la première à vouloir sauver Nash, malgré sa peur.
La sirène est jeune, mais elle est courageuse.
Si Sexta est auprès d'elle, elle ne faiblira pas et c'est la raison pour laquelle la présence de la vampire était une évidence.
Bien entendu, Sexta enveloppera Eel dans sa méfiance. Elle y décèlera toutes les menaces pour le cartel et elle traquera ensuite les failles. Elle démantelera le quartier de l'Ombre s'il le faut et qu'importe dans quelle salle Nash est enfermé, elle le trouvera.
Titan a également pensé à Fawkes et son enquête, aux conflits que cela pourrait engendrer mais Sexta n'interviendra pas et se contentera des rapports. Chacun son travail et la vampire ne dérogera pas à la règle.
Elle est persuadée d'avoir raison, de toute manière. La main de Yüljet se crispe sur le tissu beige de son haut. Eel ne sera pas de tout repos, une fois de plus.
Titan se laisse aller contre le dossier de sa chaise. Plus tôt, elle a écrit une missive à l'attention de Gabrielle concernant la mission de sauvetage. Elle a également rédigé un compte-rendu de tout ce qui a été dit avec Fuya Pyle, les informations sur le Ragnarok, les fées… C'est un courrier délicat qui ne peut pas être transmis via un cylindre crypté. Tant pis.
Il va falloir descendre. De toute façon, Titan a d'autres choses à voir, là-bas…
La troll se redresse quand elle entend quelqu'un traîner des pieds dans le couloir. Une frêle silhouette apparaît pour vagabonder jusqu'à la table et se laisser tomber sur une chaise avant de plonger sa tête échevelée jusqu'au nid de ses bras.
Yüljet lui jette un regard compatissant. Il faudrait qu'elle mange de nouveau.
« Il reste des pommes de terre et un petit peu de soupe. » lui dit sa cheffe.
Un grognement lui répond. Pourtant, Fuya lève lentement la tête et lui adresse un sourire fatigué. Sa longue tunique de coton semble trop grande pour elle et ses yeux bleus sont cernés. Malgré tout, elle dort mieux depuis que Ryan lui compose des filtres de sommeil.
Titan la regarde se lever pour se diriger vers la réserve de la planque et en revenir avec un bol et une cuillère en bois.
« Où est Sexta ? demande-t-elle.
- Descendue. »
La sirène hoche la tête. Sexta est allée récupérer l'argent des ventes de poisons. Il y en a eu beaucoup, comme d'habitude et elle rapportera d'autres commandes.
« Ryan ?
- Avec ses enfants. Elle reviendra demain pour les nouvelles commandes de poisons. Elle veillera sur la planque et gardera un œil aux Abysses pendant notre absence, de toute manière. »
C'est mieux ainsi. Ryan aurait été très utile à Eel et elle aurait confié ses filles à une voisine digne de confiance. Mais même si la licorne aurait obéit sans objection, Titan sait qu'elle préfère rester à Odrialc'h.
Fuya acquiesce. Yüljet s'attend à ce qu'elle lui parle du sauvetage de Nash, mais elle se contente de manger sans rien dire. Son regard bleu fixe un point invisible sur le bois de la table et la troll sait que mille et un soucis trottent dans son esprit.
Elle souffle par le nez, puis lance d'une voix posée :
« Ce n'est pas grave d'avoir peur, Fuya. »
Sa remarque fait mouche. Elle voit la sirène grimacer, agiter sa cuillère et repousser ses longs cheveux rose. Fuya n'a pas seulement subi un traumatisme, à Rhenia-Gaear, elle a aussi perdu une part importante d'elle-même : son estime.
« C'est handicapant, souffle-t-elle, parce que je ne peux plus réfléchir correctement. Avant j'aurais réfléchi à un moyen de battre l'ennemi avec nos capacités, maintenant je suis juste capable de pleurer.
- Avec l'accord que nous venons de passer, il y a de potentiels alliés.
- Non. »
La sirène s'est mise à gronder et son petit poing serre sa cuillère comme si elle voulait la briser en deux. Yüljet la regarde trembler avec un pincement au cœur.
Après l'horreur que lui inspirent les fées vient la répugnance. Pourtant et si le cartel veut avoir une chance de discuter correctement avec Candice et Sira Milliget, il faudra mettre leur ressentiment de côté. Même si Titan est profondément en colère pour le mal qui a été fait à Nash.
La troll croise les bras sur sa poitrine et invite Fuya à parler :
« Bien. Dis-moi tout. »
Elle regarde ses yeux vaciller et l'expression de son visage changer. Fuya est dans le contrôle d'elle-même, mais elle est jeune. Elle ne peut pas retenir ses émotions comme elle le voudrait, ni ses larmes de rage.
« Tu as entendu Nelladel. Tu sais ce qu'ils font à Nash ! Ces choses sont médecins pourtant, elles sont atroces ! Elles ne seront jamais mes alliées. Jamais. Et puis Candice… »
Une grimace déforme sa figure. Ses lèvres pleines se tordent sous le poids de la colère alors que son regard azuré lance des éclairs. Yüljet devine le portrait de Candice Milliget en train de se tracer dans son esprit.
Fuya est la seule membre du cartel à l'avoir vu de près. Dans son rapport, elle dit que Candice est celui qui a fait valser les derniers restes de leur repas répugnant au sol, pendant que Shelma la délogeait de sa cachette.
Durant leur entrevue, Nelladel disait qu'il y avait les faibles, les forts et les puissants. À quoi peut ressembler un Milliget qui fait partie de cette dernière catégorie ?
Titan devine un combattant dangereux, un être instruit, loyal envers sa famille comme un black dog en tête de meute et particulièrement cruel.
« Je les ai tous observé quand j'étais en mission, reprend Fuya, et Martial, l'elfe noir qui sortait de prison, il fallait voir comment Candice le regardait. Il avait l'air de s'ennuyer et quand tous les Milliget se sont jetés sur Martial pour le tuer, Candice a… Il a attendu que Shelma le tue et puis… plongé sa main… Prendre son foie… »
Yüljet ferme les yeux. Elle ne peut qu'imaginer les images dont la sirène a été témoin. Malheureusement, aucun filtre réalisé par Ryan ne pourra les faire disparaître, à moins de vider entièrement sa mémoire.
Fuya lui raconte comment Candice s'est abreuvé de la bile, comment il a déchiré, arraché, ingurgité la chair de Martial comme un familier vorace et comment, quand toutes les autres fées étaient repus, il s'est débarrassé des restes en mettant le coeur et le cerveau de côté.
Ses mains, ses poignets, ses avants-bras, il les avait peints d'un rouge cruel et même ses lèvres étaient maquillées par la nourriture faerienne.
Lorsque la faim s'en est allée, Candice a su extraire les organes sans les détériorer à l'aide d'un scalpel qu'il gardait dans les replis de sa robe. Le même qui blessait Nash, sûrement.
Fuya continue de parler. Elle raconte sa voix traînante, la surprise qui a marqué ses traits quand elle a été délogée, puis la rage qui l'a remplacée. Il a dégagé la table avec violence et ensuite, il s'est délectée de sa peur. Il a plissé ses yeux métalliques, amusé par la situation et les coups que Shelma a distribués pour faire avouer l'espionne incongrue.
Fuya est capable de se rappeler. Elle n'oubliera jamais sa façon de s'appuyer sur la table meurtrière pour l'observer. Comment le col de sa robe baillait sur sa poitrine pour lui montrer le relief de ses os. Comment son sourire froid traduisait la souffrance qu'elle endurerait sous la lame du scalpel, si Shelma ne la tuait pas avant.
Ça, ce n'était pas un allié.
« C'est vrai, répond Titan, mais il ne faut pas que ça devienne un ennemi non plus. »
Là est le siège de l'accord que le cartel des Typhons vient de passer avec Nelladel. C'est la meilleure option pour le moment.
Quand Yüljet se projette dans le récit de Fuya, elle ne peut qu'imaginer ce que ce serait, d'affronter Candice, ses frères et ses sœurs. Ce que l'enlèvement de Sira aurait pu donner comme représailles et ce qu'un refus de leur part concernant la proposition de l'elfe aux cheveux bleus aurait pu engendrer.
Titan pose une main amicale sur l'épaule de la sirène. Fuya continue de pleurer, mais elle finit par se calmer. Les larmes roulent sur ses joues de manière presque instinctive alors que dans les prunelles azurées, la détermination fleurit de nouveau.
« S'allier pour une mission, ça ne veut pas dire se soumettre, Fuya, reprend la troll, et en tant que cheffe du cartel des Typhons, nos intérêts passeront toujours avant les leurs. Ce qui est important, c'est de pouvoir approcher les fées car l'ignorance ne nous sauvera pas.
- C'est ce que dit Ryan quand elle revient des Abysses, songe la sirène, ce n'est pas facile ce qu'elle voit là-bas, mais c'est important de l'avoir vu car plus elle sait, moins elle a peur. »
Oui, c'est une bonne conclusion. Les Abysses offrent un territoire aussi magnifique que terrifiant, peuplé de créatures, marchands et acheteurs gangrénés par l'appât du gain ou de besoins innommables. Le véritable empire des purrekos.
Y pénétrer ne soumet pas seulement à une taxe sur tous les produits vendus et à un loyer pour l'emplacement occupé. Non. C'est naviguer dans les ténèbres, pour reprendre les mots de Sexta, et faire face à la lie d'Eldarya.
L'horreur d'une réalité qui glace le sang juste parce qu'elle existe.
Le bruit d'une porte qui s'ouvre attire leur attention. Pénétrant dans la pièce principale de la planque, Ryan apparaît, la lanière d'un grand sac sur l'épaule. Avec sa longue robe couleur ocre, son carré blond auréolant son visage serein et son sourire très doux, elle semble irréelle dans un lieu pareil.
Surprise, Yüljet ne s'attendait pas à la revoir tout de suite, mais visiblement et pour la mission du sauvetage de Nash, Ryan a une idée en tête.
La licorne adresse une expression de tendresse à Fuya avant de désigner son sac du menton.
« Sexta est déjà descendu, je suppose. Je compte la rejoindre pour faire quelques achats qui vous seront utiles durant la mission.
- À quoi est-ce que tu as pensé ?
- Le Crachat de Cassandre et la Délivrance. »
Titan écarquille ses yeux noirs. Ryan a toujours donné des noms à ses concoctions et elle ne les choisit jamais au hasard. Ceux qu'elle vient de citer font partie de deux catégories : ses poisons les plus vicieux et ses remèdes à double-tranchant.
Le Crachat de Cassandre peut être résumé à un enfer confiné dans une seringue. Celui qui le reçoit est destiné à une agonie terrible durant laquelle une enzyme agira sous la forme d'un acide, à l'intérieur de son corps. Pour ce poison-là, Ryan traite avec les arachnés, une espèce terrifiante que l'on ne peut croiser qu'à deux endroits différents : aux Abysses, marchandant leurs enzymes et travaillant comme tisserandes pour le compte de Purriry ou bien sur le territoire des goules.
Cassandre est le nom de l'arachné qui est la fournisseuse principale de Ryan.
« Je vais acheter de quoi réaliser cinq seringues du Crachat de Cassandre, décide la licorne, comme ça, si les fées se montrent trop agressives, elles pourront expérimenter ce que ça fait, de se faire digérer par une arachné. »
Fuya grimace sur le coup, mais renifle d'un air dédaigneux en songeant certainement que ce n'est que justice. Les arachnés se nourrissent principalement de rongeurs ainsi que de petits insectes terriens rapportés par la brigade de ravitaillement. Un luxe qu'elles ne peuvent obtenir qu'après avoir prêté allégeance aux purrekos en mettant leur don de tisserands à profits.
Quant à celles qui restent vivre auprès des goules, Titan imagine sans mal qu'elles ont réussi à trouver une alternative similaire à celle des fées…
« Je pense que ça nous sera très utile, approuve Yüljet, par contre pour la Délivrance, tu ne seras pas avec nous. Je doute que nous sachions l'utiliser correctement. »
La Délivrance est un puissant remède qui permet de plonger une personne dans un coma profond afin de la libérer de la douleur. Ryan pense que Nash en aura besoin, lorsqu'il sera sauvé.
Cependant, le breuvage est à double-tranchant : le rythme cardiaque s'affaiblit considérablement les heures passant et d'un sommeil salvateur, le faerien plonge vers la mort.
Après le cœur fatigué, vient l'incapacité de respirer par soi-même, puis la chaleur qui quitte définitivement la chair encore vivante.
Le seul moyen de contrer les effets néfastes de la Délivrance, c'est de préparer une antidote dont seule Ryan a le secret. Mais ici encore, ladite antidote à la réalisation devient inutile au bout d'une dizaine de minutes à cause d'ingrédients très fragiles.
Impossible d'en emporter une jusqu'à Eel, donc.
« Ne t'inquiète pas, explique la licorne, j'ai prévu de vous donner un puissant excitant pour pallier aux effets. Sans la Délivrance, il a tendance à provoquer de violentes tachycardies. Ça ne sera pas suffisant, mais ça vous donnera un sursis considérable si vous êtes obligés d'utiliser la Délivrance quelques heures avant, ou pendant le voyage de retour. »
Yüljet hoche la tête. Personne ne sait dans quel état ils vont retrouver Nash et si la douleur qui l'accompagne lui sera insupportable au point de lui faire perdre la tête. Si c'est le cas, elle lui administrera la Délivrance, au moins pour lui apporter un petit peu de paix jusqu'à ce qu'ils regagnent le continent du Gabil.
« Lorsque vous reviendrez, je vous attendrai au port de Tantale pour examiner ses blessures et le sortir du coma, ajoute Ryan, grâce aux détails que Nelladel a mentionnés, je sais déjà plus ou moins à quoi m'attendre. »
Incisions, sutures, réouverture des blessures, infections, amputations, brûlures… Sans compter les dernières étapes dont ils ignorent tout.
Titan demande à Ryan si elle pense que ça ira, mais la licorne est confiante. Avant leur retour, elle préparera religieusement son matériel et même si elle n'est pas médecin, elle se sait capable de traiter des infections ou des brûlures. Quant aux amputations, ça dépendra de ce qui aura été retiré, bien entendu.
« Quoi qu'il en soit, je vais descendre, conclue-t-elle.
- Tu vas retrouver Cassandre ? » devine Titan.
Ryan acquiesce et Yüljet se lève. Elle aussi, elle doit descendre. Elle attend une missive importante d'Eel. Un courrier qu'une sirène aura remis à Purreru pour atterrir jusqu'aux Abysses. Titan a hâte d'en apprendre encore plus sur les fées.
L'audience d'Alajéa avec les Milliget était une aubaine.
De plus, la troll doit envoyer sa missive à Gabrielle.
« Fuya, finis de manger et repose-toi. » lui intime sa cheffe.
La sirène n'est jamais descendue dans l'empire des purrekos. Sexta la juge encore trop jeune pour se confronter aux horreurs qui s'y tapissent et quand Yüljet avise les dégâts qu'on fait les fées sur son esprit, elle pense qu'elle a raison.
Ryan s'approche de la sirène, puis lui souffle que sa fille aînée, Samantha, profite du temps clément et de la fontaine, dans le parc suspendu d'Odrialc'h, en compagnie de ses amis.
Samantha est une adolescente de dix-sept ans. Celle qui voudrait construire et réparer des aéronefs et de ce qu'en sait Titan, c'est une jeune licorne pleine de vie qui n'a jamais eu conscience de ce que sa mère a dû accomplir pour qu'elle et sa petite sœur puissent grandir.
Ryan pense que Fuya devrait quitter la planque de temps en temps pour mettre le cartel de côté, juste une heure ou deux, et embrasser une vie d'adolescente qu'elle n'a jamais eu.
Mais la sirène refuse. Elle restera ici, à sa place. Elle finira son repas et ira se reposer afin d'être prête physiquement et mentalement pour la mission à venir.
Tant pis.
« J'aurais essayé… » souffle Ryan en quittant la planque, sa cheffe à ses côtés.
Yüljet souffle par le nez. Si le cartel parvient à accomplir sa mission originelle et à débarrasser Eldarya du virus qui gangrène les sols, alors Fuya pourra rattraper le temps perdu avant d'avoir trop de regrets.
D'un pas décidé, Titan et Ryan sont prêtes pour la descente. Pour cela, il leur faut quitter Odrialc'h et rejoindre la forêt de Galène.
Alors que la mer du Prisme borde le port de la plus grande cité d'Eldarya, la forêt de Galène, elle, forme un écrin de verdure. Sa canopée ne laisse que très peu de place au soleil de plomb, mais son sol, lui, protège un empire aux horreurs dont la traversée n'est réservée qu'à quelques élus.
Ceux qui payent et ceux qui n'essayent pas d'y faire rentrer le tap.
Ce sont deux règles absolues.
L'entrée des Abysses se trouve à l'ancienne mine de mithril. La première étape. Le dédale de tunnels sombres qui garde encore quelques échafaudages intacts mène Yüljet et Ryan jusqu'à un contrôle d'identité et quand elles arrivent sur les lieux, elles ne sont pas seules.
Une petite file d'attente s'est tissée et malgré les actes dont sont capables quelques faeriens ici présents, c'est un lourd silence qui contamine l'atmosphère.
Deux purrekos procèdent aux formalités et quand c'est chose faite, ils autorisent l'accès à un escalier menant droit jusqu'aux ténèbres.
Quand vient leur tour, Titan et Ryan sont reconnues. Le cartel des Typhons a l'habitude de mener ses activités au sein des Abysses alors sans un mot, l'un des purrekos leur fait signe de passer.
Il est temps d'accéder à la seconde étape.
Les deux faeriennes s'enfoncent dans les entrailles du continent du Gabil et un cœur sourd est en train de pulser. Elles savent que des milliers de vies grouillent, font affaires, chinent et s'attelent à des méfaits inqualifiables au sein d'un empire finement organisé.
Si Odrialc'h est une cité qui fonctionne par quartiers empilés, les Abysses se structurent par zones superposées dans les profondeurs. La surface est un lieu d'échanges et de ventes d'ingrédients ainsi que de produits moyennement dangereux, mais plus on descend, plus on se confronte à des marchandises ignobles telles que des organes, des esclaves, des époux ou des épouses pour mariages forcés ou bien des structures accueillant des clients souhaitant s'adonner à certaines pratiques sexuelles en compagnie d'espèces très particulières.
C'est d'ailleurs pour cette seule et unique raison que les goules sont autorisées à travailler aux Abysses et gare à elles si les purrekos les trouvent en possession de tap. Les rapports entre ces deux clans sont déjà assez tendus pour que les trafiquants se risquent à perdre leur droit d'accès à la plaque tournante du marché noir.
Titan n'est jamais descendue au dernier sous-sol des Abysses pour s'infliger des horreurs de la sorte, mais Sexta connaît très bien l'endroit. À la naissance du cartel, quand Yüljet s'est demandée pourquoi les purrekos autorisaient le marchandage de telles infamies alors qu'ils interdisaient le tap, la vampire lui a expliqué qu'il ne s'agissait simplement que d'une guerre de pouvoir : si les goules parviennent à imposer le tap aux Abysses, alors elles les domineront.
Tant que les purrekos ont la mainmise sur leur empire, ils sont encore craints et peuvent garantir l'ordre sur la lie d'Eldarya.
La seconde étape se profile. En réalité, il s'agit d'une douane tenue par Chaucha, une kobold au service de la Lignée de Purrobald, le passeur qui avait emmené Nash et Titan à Rhenia-Gaear.
Près du petit bureau de Chaucha, il y une installation extraordinaire composée de chaînes, de leviers, de poulies et de quatre ascenseurs. Il y a également des piles de parchemins, des plumes, des encriers et surtout quatre purrekos particulièrement dangereux, gardiens des cabines métalliques menant aux sous-sol des Abysses.
Face à Chaucha, il faut décliner son identité une nouvelle fois et expliquer les raisons de sa venue. Si la kobold est satisfaite de ce qu'elle entend, alors elle débloquera un ascenseur. Sans quoi, elle renverra le faerien qui se fera jeter par les gardiens.
« Ryan et Titan du cartel des Typhons, annonce la licorne quand vient leur tour, je souhaite accéder au sous-sol numéro quatre pour traiter avec Cassandre.
- Je plains d'avance celui ou celle qui fera les frais du poison, sourit Chaucha, bon retour à vous. Sexta est encore en bas en train de récupérer la recette de tes ventes, mais aussi de nouvelles commandes. »
La kobold actionne une poulie arborant le chiffre quatre sur son pommeau et les portes d'un ascenseur s'écartent. Chaucha prend quelques notes et leur tend un parchemin, leur intimant de le montrer à un gardien pour remonter, comme d'habitude.
La licorne le range dans son grand sac puis, marchant tranquillement vers la cabine en compagnie de sa cheffe. Il ne reste plus que la dernière étape.La Descente Aux Abysses
Le quatrième sous-sol est le domaine principal des tisserandes, mais aussi d'ingrédients alchimiques assez sensibles et particuliers. Se présentant sous la forme d'une longue allée encadrée de nombreux étals, il n'a pourtant rien à voir avec le marché d'Eel et d'Odrialc'h.
Les architectes à la solde des purrekos ont su donner aux Abysses un charisme impressionnant en lui offrant l'aspect d'une ville avec du dallage sur le sol, ainsi que des arches croisant des arabesques sur les murs et le plafond. Des réverbères s'alignent pour illuminer l'endroit et le verre de la lampe protège les merveilles produites par les arachnés, mais aussi les concoctions inflammables.
Des tapis côtoient des robes parées de perles et de joyaux. Des chaussures réalisées avec du cuir terrien sont vendues contre des sommes astronomiques et des parures de lits présentent des oreillers rembourrés avec des cheveux ainsi que des draps filés avec la soie la plus fine.
Derrière quelques étals, des fissures s'ouvrent dans les parois et Titan sait que si un client a besoin de faire affaire, une arachné s'en extirpera pour négocier avec lui.
Plus loin, d'autres présentoires sont tenus par des marchands lambda : des elfes noirs de Rhenia-Gaear vendant de la fourrure d'ocemas, du sang d'urigloo et des bois de danalasm, quelques tritons et sirènes des Côtes de Jade proposant des écailles et des cheveux de leur semblables, mais aussi des dents ainsi que des yeux de melomantha, dont les propriétés seraient aphrodisiaques… Parmi ces ingrédients, il reste des poisons dangereux. Le Supplice du Soleil par exemple, provoquant des brûlures internes pour celui qui le boit.
Ryan a préféré le travailler pour en faire un puissant acide d'une rapidité impressionnante. Pratique pour dissimuler un cadavre.
« Tiens… Je sens que l'on va avoir de beaux jouets avant de partir… » lance une voix cynique.
S'extrayant de la foule de clients, Sexta rejoint sa cheffe et la licorne, accompagnée d'un individu encapuchonné dont les mèches couleurs saphir et les yeux aigue-marine ne laissent aucun doute sur l'identité. Yüljet arque un sourcil, surprise par sa présence.
La vampire le désigne d'un signe de tête.
« Celui-là, je l'ai trouvé au bureau des missives, en train de récupérer un mot doux de ses jolies fées.
- Notre accord ne laisse pourtant pas entendre que tu dois me coller aux semelles, grogne Nelladel.
- Admets que tu adores ma compagnie, chouchou. »
Mais l'air sombre de l'elfe fait surtout penser à une musarose attachée à un prédateur. Néanmoins Sexta a l'œil et Titan parie qu'elle a dû lui poser moult questions quant au contenu de la missive. Peut-être que Nelladel a déjà signalé l'accord qui a été conclu. Ça tombe bien : en fonction des réponses que Yüljet va recevoir de la part d'Alajéa, elle pourra déterminer la première étape du sauvetage de Nash.
Près de la troll, Ryan explique ses projets à Sexta et visiblement, la perspective de détenir cinq seringues de Crachats de Cassandre la réjouit. Les fées qui auront le malheur de les attaquer verront bien si elles trouvent un remède efficace contre de la soupe d'entrailles…
Sans attendre, la licorne se dirige vers un étal arborant des rubans rouge, et son visage s'éclaire lorsqu'elle avise des cheads en train de pulluler dans des boîtes en verre.
« Il en reste ! s'exclame-t-elle avec une expression victorieuse.
- Pourquoi faire ? » interroge Nelladel.
Il va bientôt le savoir. Ryan se plante devant le présentoir et salue Cassandre d'une voix forte.
Il y a un instant de flottement, puis soudain, une longue main squelettique aux ongles effilés jaillit de la fissure. Elle se plaque contre la paroie du mur et bientôt, elle est suivie d'une autre, puis d'une troisième et d'une dernière.
Quatre mains à la peau cadavérique pour accueillir le buste maigre d'une femme aux longs cheveux sanguinaires. Son visage creusé est serti de huit yeux luisants comme des billes et sa bouche quant à elle, est affublée de crochets monstrueux.
Lorsque la créature se met à sourire à la licorne, elle dévoile des dents acérées comme des lames ainsi qu'une langue serpentine.
Tapi à l'intérieur de la fissure, reste son large corps arachnéïde à huit pattes qui est, selon Ryan, une véritable merveille de la nature. Il comporte à lui-seul tous les organes vitaux : le cœur, les intestins et un superbe système de respiration aérienne grâce aux trachées, un réseau de tubes s'ouvrant vers l'extérieur à l'aide d'orifices nommés stigmates.
Malgré l'aspect hideux de Cassandre, Yüljet sait que la licorne apprécie d'échanger avec des espèces telles que les arachnés, si différentes des faeriens ordinaires.
« Ryan.» souffle la créature de sa voix dédoublée.
Elle penche le buste alors que la licorne se saisit de sa figure pour l'embrasser sur les deux joues. Titan jette un œil à Nelladel pour le trouver blême pendant que Sexta s'en moque, trop habituée à ce genre de politesse.
« Comment vont les petits ? demande Ryan.
- Ils vont. Mon mâle leur apprend à dissoudre la nourriture. Et tes deux petites, à toi ? »
Après quelques échanges banals, Cassandre et sa cliente arrivent enfin au point culminant de leur conversation : leur transaction.
La licorne demande cinq doses d'enzymes digestives et cinq glandes à venin de cheads.
« Si tu pouvais me lier les deux comme d'habitude, ce serait formidable. » sourit-elle.
L'arachné hoche la tête, ravie, puis s'exécute. Titan détourne immédiatement le regard alors que Sexta reste impassible. Elle a déjà assisté à ce spectacle une seule fois et elle ne tient pas à recommencer.
Elle fixe le profil de Nelladel qui, curieux, observe la scène, mais le regrettera bientôt. Yüljet sait exactement ce qu'il va se passer : Cassandre va se saisir d'un chead pour l'enfourner dans sa bouche et là, elle va le presser contre son palais jusqu'à en extraire cette fameuse glande à venin. Ensuite, elle la mêlera à ses enzymes, présentes dans sa salive épaisse, mais aussi ses crochets, pour expulser le tout dans une petite boîte en verre.
Titan grimace quand elle entend craquer et elle choisit de s'en aller quand d'affreux borborygmes annoncent le premier crachat. Il en reste quatre.
Manifestement, Nelladel n'y assistera pas non plus car Yüljet le regarde se précipiter vers un coin dépourvu d'étal et rendre son déjeuner, provoquant l'indignation d'un kobold en train de patrouiller.
Titan compatis, ça lui a pratiquement fait le même effet, la première fois.
L'enzyme digestive d'une arachné est très puissante, mais Ryan préfère la coupler avec le venin de chead afin d'augmenter la douleur provoquée par son poison.
« Élégant. » lance Sexta à l'attention du pauvre elfe plié en deux.
Il sera contraint de nettoyer ce qu'il a répandu au sol, les purrekos vont s'en assurer. Yüljet, elle, se dirige vers le bureau des missives, en espérant que les réponses d'Alajéa s'y trouveront.
Elle traverse l'allée du quatrième sous-sol jusqu'à trouver une grande bâtisse marquant la fin du voyage. Elle se dresse jusqu'au plafond, semblant dominer la rue toute entière et deux entrées s'ouvrent pour ceux venus chercher de précieuses informations, comme Titan, ou bien collecter les recettes de leurs ventes et réceptionner de nouvelles commandes.
La procédure pour obtenir son courrier et en envoyer est presque similaire à celle de la douane : des purrekos gardent les lieux avec vigilance pendant que leurs kobolds s'occupent de l'administration. Il faut décliner son identité et payer dix pièces d'or pour récupérer ou adresser son dû.
Rien n'est gratuit, avec les maîtres de la plèbe.
« Personne suivante, annonce un kobold aux cheveux châtain, coupés courts.
- Titan, cheffe du cartel des Typhons. J'attends un courrier important de la cité d'Eel et je dois en envoyer un à Rhenia-Gaear. » annonce la troll, quand vient son tour.
Le petit être se retourne vers ses étagères et monte sur son échelle coulissante. Lesdites étagères sont triées par continent et contiennent des casiers étiquetés par cité. Quand vient celui au nom d'Eel, le kobold le déverrouille et se met à chercher parmi les différents parchemin.
Yüljet est chanceuse : elle a bien reçu quelque chose.
Missive en main, il trottine jusqu'à sa cliente, le lui remet et se saisit de sa missive contre une petite bourse pleine. Gabrielle devrait obtenir son message d'ici quelques jours.
Sans attendre, Titan s'éloigne du bureau pour gagner un endroit plus tranquille et s'abreuver des nouvelles informations. Quand elle déplie son courrier, une écriture ronde et élégante lui saute aux yeux :À l'inconnue du marché d'Eel,
Visiblement, Purreru vous connaît. Peut-être que la prochaine fois, vous me direz votre nom quand vous viendrez boire une infusion de lavande avec moi. Quoi qu'il en soit, j'ai eu mon audience avec les Milliget et j'ai pu poser vos questions.
La discussion a été longue car le fils de Joseph et Cristal Ael Diskaret était avec moi. Une bonne chose pour un jeune faerien qui, j'en suis certaine, a quitté la pièce avec les mêmes aspirations que moi.
Trois Milliget nous ont reçu : Delta, Shelma et Zosca. J'ai été ravie de revoir Delta, qui m'a reconnue, mais c'est Shelma qui a principalement répondu à mes questions et aux vôtres.
⟶ Pourquoi ne pas financer la garde Absynthe pour lui permettre de poursuivre ses recherches sur l'infertilité des sols ?
Les Milliget n'ont pas vraiment apprécié cette question, non pas parce qu'ils l'ont trouvé malpolie, mais parce que d'après leurs dires, c'est dans leur projet, mais ils n'en ont pas l'occasion pour l'instant. Un financement est compliqué et leur manque de proximité avec la cité d'Eel ne leur permettrait pas de visiter la Garde Absynthe aussi régulièrement qu'ils le voudraient.
De plus, la Garde Étincelante et l'impératrice d'Eel devront donner leur aval et cela peut-être très long. Néanmoins ils y songent et peut-être que cela arrivera bien plus tôt que nous le pensons.
⟶ Quels liens les Milliget entretiennent-ils avec les autres grandes familles d'Eldarya ? (Mircalla, Alfirin, Fenghuang, Yamamura)
Shelma a répondu à cette question plus facilement que je ne le pensais. Il m'a dit que sa famille ne se préoccupait pas vraiment des autres fortunes d'Eldarya, mais qu'elle préférait s'intéresser aux soignants de toutes contrées et aider à faire progresser la médecine.
Les Mircalla veulent vivre comme des humains, selon lui, et leurs traditions familiales n'ont rien d'eldaryennes. Les Alfirin sont ceux que les Milliget ont le plus côtoyé, mais pas vraiment par intérêt car ces derniers ne les apprécient pas, plutôt parce que leur fils unique aime beaucoup l'un de ses frères.
Quant aux Fenghuang, c'est peut-être la famille qu'ils apprécient le plus pour leur philosophie de vie qui prône l'harmonie et les Yamamura n'en sont pas loin.
Cependant, Shelma m'a expliqué que les fées supportaient très mal de grandes chaleurs et qu'un voyage vers les Côtes de Jade était éreintant.
Il a aussi dit cette phrase : Si vous observez attentivement votre entourage, vous verrez qu'il y a une grande différence entre ceux qui sont arrivés sur Eldarya lors du Grand Exil et ceux qui y vivaient déjà. Nous n'avons pas les mêmes mœurs, nous n'avons pas les mêmes influences, les mêmes genre de pensées. Il y a ceux qui veulent vivre et ceux qui veulent partir.
Pensez à ce que représente l'argent dans un monde qui ne peut pas produire sa propre nourriture et demandez-vous, alors, à quoi il est destiné.
J'ai surtout l'impression que les Milliget méprisent beaucoup les Alfirin et les Mircalla.
⟶ Joseph Ael Diskaret a émis une opinion très surprenante sur les humains et je me suis demandé ce que vous en pensiez de sa réponse et des humains de manière générale, risquent-ils réellement de nous envahir ?
Shelma a pris le temps de réfléchir et m'a demandé de me mettre à la place d'un être humain sur Eldarya. Un exercice difficile, puisque je n'avais aucune idée de ce qu'un humain pourrait ressentir s'il arrivait dans un monde inconnu. J'ai bien entendu proposé la peur comme émotion et Shelma m'a répondu que c'était juste.
La peur, la solitude, le déni, la colère, le rejet d'une réalité qui n'est pas la sienne et l'hystérie.
C'est ce qu'il a énuméré. Selon lui, aucun humain ne serait capable d'envahir Eldarya car il se confronterait à un environnement et des peuples qui ne veulent pas de lui.
Shelma a dit que Joseph avait eu des belles paroles, mais que si un être humain s'attaquait à sa femme et ses enfants, il le tuerait.
Une vie est une vie tant qu'elle n'est pas hostile. Shelma dit que l'on peut tout faire avec la vie, quand on sait comment elle fonctionne et c'est pourquoi la conquête terrienne est si attirante dans les esprits de certains : parce que contrairement aux humains, les faeriens qui se sont intéressés aux récits dans anciens qui ont vécus sur Terre savent comment elle fonctionne. Même si le peuple humain évolue, les eldaryens seront ceux qui sauront apprendre et s'adapter plus vite.
Les humains, eux, restent dans l'ignorance.
Quand j'ai dit que Joseph avait répondu, aux sélections, que le savoir était une arme, Shelma a dit que c'était un homme sage et que c'était malheureux qu'il aille au grand palais.
Quand j'ai demandé pourquoi, il m'a dit demandé d'imaginer à quoi pouvait ressembler un endroit peuplé de gens riches et à l'abri du besoin, en train de s'ennuyer et j'aurais ma réponse.
Ce que j'ai retenu de l'audience, c'est que les Milliget, en plus d'être érudits, ont parfaitement conscience de l'état du monde. Je les crois quand ils disent qu'ils veulent soutenir la Garde Absynthe mais j'ai l'impression que quelque chose les en empêche. Les ficelles de la politique, peut-être. Ça ne m'étonnerais pas.
En discutant avec Shelma, malgré le fossé social qui nous sépare, je l'ai tout de même senti plus proche de moi que des autres grandes familles. Plus accessible, c'est mon opinion.
Quoi qu'il en soit, j'espère que vous trouverez ce que vous cherchez dans ces réponses et que vous êtes bien rentrée à Odrialc'h. La prochaine fois, donnez-moi tout simplement votre adresse.
Alajéa Edam
« Ça dit que ça vient du Ragnarok et ça ne sait même pas supporter la vue d'une arachné en train de cracher… bougonne la voix de Sexta.
- Justement, j'ai peut-être vu des choses atroces, mais ça... »
Achevant sa lecture, Titan lève la tête pour voir la vampire rouler des yeux et Ryan, visiblement satisfaite de ses achats.
Ignorant l'elfe qui maugré contre le spectacle malsain et le nettoyage forcé de feu son déjeuner, Sexta s'intéresse à la missive.
« Intéressant ? demande-t-elle en la désignant du menton.
- De quoi réfléchir à une petite entrevue avec nos nouveaux alliés. »
Ce que Yüljet retient du courrier d'Alajéa, c'est que les fées semblent hostiles à ceux qui régissent le monde et qu'elles voudraient peut-être soutenir la Garde Absynthe.
Pourtant, elles œuvrent pour les Docteurs Becs et font des expériences sur les humains…
Leurs intérêts pourraient certainement se rapprocher de ceux du cartel des Typhons, mais deux Milliget seulement agissent en secret.
Titan lève ses yeux noirs vers Sexta, Ryan et Nelladel. Peut-être est-ce une folie mais pour débuter le sauvetage de Nash, pourquoi ne pas aller rendre directement visite à son bourreau et se confronter à Candice Milliget ?Les Choix
Avec l'aide de Ryan, Titan se prépare au départ pour la cité d'Eel. Alors qu'elle descend dans les Abysses, elle reçoit la missive d'Alajéa qui a eu son audience avec les Milliget.
D'après Yüljet, les fées seraient favorables au soutien de la Garde Absynthe, bien qu'elles ne le fassent pas, et mépriseraient les familles Mircalla et Alfirin. Titan reste perplexe, quant à leurs motivations.
Pour amorcer le sauvetage de Nash, elle pense que se confronter directement aux maîtres de Nelladel, Candice et Sira Milliget, serait une bonne chose.
Que devrait-elle faire, selon vous ?
➜ Demander à Nelladel de prévenir ses maîtres afin qu'ils puissent se préparer à une rencontre sur le lieu de leur choix.
➜ Ne pas rencontrer Candice et Sira Milliget pour le moment. C'est une mauvaise idée.
➜ Envoyer une missive à l'attention de Candice et Sira Milliget via Nelladel en leur proposant un rendez-vous sur le port d'Eel. Titan prévoit d'organiser la discussion dans la planque des purrekos.
UNIQUEMENT pour Waïtikka
La mission de fawkes se poursuit. Rose lui a remis les plans du quartier de l'Ombre et le renard-garou souhaite s'y infiltrer dans l'espoir de trouver la salle d'interrogatoire où Nash est prisonnier.
Cependant et lors de la première tentative, il remarque que la sécurité est conséquente, bien plus que ce à quoi il s'attendait. De plus, les couloirs du quartier de l'Ombre ne correspondent pas du tout à la carte que Rose lui a remise.
Il va devoir parler de ça avec lui.
Quand tu seras prêt, Waïtikka, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz
June ne sait pas lire et le sujet a été abordé avec elle par Rose, lors de leur dernier entraînement. Le Second de l'Ombre lui a expliqué qu'un gardien de sa Garde présentait le même genre de problèmes et a proposé à June de le rencontrer. Cette dernière à accepté.
Voyons si cela peut lui apporter quelque chose !
Quand tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
Pas de choix pour Lilymoe pour ce chapitre ! Ce sera pour le suivant. Tiens-toi prêt à RP cependant !
Note de l'Auteure
Bonsoir à vous ! Bienvenus dans ce nouveau chapitre d'Apotheosis qui est un chapitre de transition, certes, mais qui je pense vous fera pas mal réfléchir.
On souffle un petit peu avec les choses affreuses que vous avez pu voir aux Abysses mais rassurez-vous (ou pas) : ce n'est qu'un sursi et on retournera volontier vers le glauque et le sombre lors du chapitre 29.
Vous êtes toujours aux commandes du sauvetage de Nash et maintenant que la fine équipe est réunie, eh bien… À vous de jouer !
Je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 28 - La Maison d'Ile Grande
Enquête de Fawkes sur Rose Clarimonde - Seconde partie
Il a un frisson. L'air d'Albacore n'est pourtant pas si frais et même si Rose a dû délaisser son uniforme de la Garde de l'Ombre, il s'est couvert plus que de raison.
Assis sur une chaise au sein de la planque du village, le vampire se masse les tempes. Il a l'impression qu'une barre traverse son front et que son sang se manifeste dans son crâne. Il doit être fatigué. Pourtant, il ne peut pas se le permettre car ce soir, il doit participer à une surveillance près d'Amzer pour l'enquête sur le trafic du tap et demain, il doit entraîner June Albalefko.
Fawkes ne devrait pas tarder et Rose se demande ce que son infiltration aura donné, au sein des couloirs hautement sécurisés. En dehors des plans, le vampire n'a pas pu lui remettre d'autres informations, étant puisque le prisonnier appartient aux Milliget.
L’excursion de Fawkes dans les quartiers de l’Ombre ne s’est pas bien passée. Il ne s’est pas fait prendre, évidemment, puisqu’il est là, en train de marcher d’un pas certain vers la planque d’Albacore. Le renard a dû esquiver bien plus de patrouilles qu’il ne l’avait escompté. Rose l’avait prévenu que l’endroit serait hautement sécurisé, mais il ne s’attendait pas à ce que ce soit à ce point. Et quand bien même, quelque chose avait beaucoup chiffonné Fawkes. Quelque chose qui aurait pu le mettre en grande difficulté, s’il n’avait pas cette faculté à s’évincer, à se faufiler et à passer inaperçu. Les plans que Rose lui a donnés n’étaient pas corrects. Ainsi, le renard du Cartel des Typhons s’est retrouvé à naviguer à l’aveugle dans un dédale infesté d’ennemis. En vérité, il s’en est fallu de peu et Fawkes a maudit son binôme. A se demander s’il n’a pas fait exprès pour qu’il se fasse prendre.
Bien entendu, le renard a chassé cette pensée aussitôt qu’elle est apparue. C’est Sexta qui pense ça. Pas lui. Alors quand il a songé à aller fouiner dans les quartiers personnels de Rose, Fawkes s’est mordu la langue et il s’est finalement abstenu. Non. Il veut en avoir le cœur net, mais ce sera probablement un dernier recours que d’aller fouiller ses affaires. Déjà pour commencer, il doit aller parler à Rose. Il le maudit encore sur quelques générations quand il arrive au petit port. Le renard pousse la porte de la planque, entre et la referme derrière lui pour s’y adosser. Déjà, son regard a capturé la silhouette de Rose, assise sur une chaise, dans un coin. Au moins, il est là. Sur les traits de Fawkes, on y trouve aucune satisfaction, mais un agacement certain.
« Tu m’expliques ? tranche aussitôt Fawkes. »
Le vampire arque un sourcil. Quand le renard-garou lui met les plans sous le nez en lui arguant qu'ils sont faux, Rose ne comprend pas où il veut en venir. C'est impossible puisque l'architecture des quartiers de l'Ombre ainsi que celle des salles d'interrogatoires n'a pas changé depuis de nombreuses années.
Il réfléchit, luttant contre son mal de crâne pour essayer de déterminer ce qui aurait pu se produire et songe à la sécurité des lieux. Les patrouilles, c'est une chose, les fées responsables de l'interrogatoire de Nash, c'est une autre chose. Mais pour transformer un lieu connu de ceux qui s'y sont déjà rendus, il n'y a qu'une seule explication.
Levant ses yeux opalins vers Fawkes, Rose lui remet les plans :
« Ils sont authentiques, Fawkes. Ce sont les plans originels d'une structure qui n'a jamais bougée. Mais pour ce que tu as vécu, je ne vois qu'une seule explication. »
Si c'est la bonne, alors ça va être difficile. D'un côté ce n'est pas étonnant, puisque le prisonnier est important pour les Milliget, mais pour contrer cette mesure de sécurité, il va falloir réfléchir :
« Ce que tu me décris, c'est un sort d'illusion mis en place par les maîtres des arcanes. Ils ont dû l'étendre sur toute la zone et ceux qui ne sont pas accompagnés par l'un d'entre eux y sont soumis. Ça expliquerait le dédale que tu as vu et qui n'existe pas. En réalité tu as simplement dû te perdre dans les couloirs en en voyant d'autres et si tu as pu t'en sortir, c'est grâce à tes réflexes. Mais tu as eu beaucoup de chance. D'ailleurs, je ne serais pas étonné que les patrouilles que tu as vu soient fausses, aussi. »
Fawkes a un léger mouvement de recul et inspire. Une illusion ? Les yeux noisettes du renard jaugent le vampire, évaluent le niveau de vérité dans sa voix au fil de ses explications et hormis la fatigue qui se dégage de son être, il n’a pas l’impression qu’il lui ment. L’information que son excursion lui a valu, à savoir que la sécurité est renforcée au point d’être pris dans des sorts arcaniques, devrait lui nouer le ventre. Le lui nouer d’appréhension parce que la mission du cartel pour délivrer Nash n’en sera que plus compliquée. Il va devoir en toucher un mot à Yüljet et les autres pour qu’ils s’arrangent avec les fées qui sont de leur côté. Mais au lieu de se nouer, le ventre de Fawkes se détend. La boule acide qui s’était alors logée au fond de son estomac se dissout. Rose ne lui a pas sciemment confié des plans erronés pour qu’il se jette dans la gueule du minaloo. Rien que ça, le regard en laisse choir ses épaules. Aussi, il s’empresse d’ajouter pour que le vampire n’interprète pas ce geste réflexe pour ce qu’il est réellement.
« Ça va compliquer toute l’opération… réfléchit-il, en frottant la barbichette de son menton.»
Et puis, le renard se laisse tomber sur une chaise à son tour. Il relève ses yeux vers Rose. Il n’a pas l’air dans son assiette, mais Fawkes a envie de tenter quelque chose. Prêcher le faux pour avoir le vrai, ou quelque chose dans ce goût-là.
« Pendant un instant… j’ai cru que tu m’avais jeté en pâture à la Garde et aux fées…
- Quel intérêt ? »
La vampire fixe son binôme en masquant sa confusion. Fawkes a toujours tendance à plaisanter, parfois à froid et même si ça l'exaspère ici, il cherche l'amusement dans les yeux du renard.
Rose hausse les épaules puis rétorque d'un ton laconique :
« Si je voulais te nuire, Fawkes, je m'y prendrai autrement et pas d'une façon aussi stupide. »
Donner des plans erronés, ce serait à la hauteur de n'importe quel idiot voulant jouer un mauvais tour à son allié. Outre le soulagement qu’est supposé ressentir Fawkes aux réponses de Rose, le renard est décontenancé. Il se sent stupide tout d’un coup de douter de son binôme. Il se sent trahi lui-même. Comme s’il trahissait ses propres intuitions et il en veut à Sexta d’insinuer le doute en lui. Et il s’en veut à lui aussi, mais ça, il se garde bien de se le rappeler en pleine face. Il a une mission à mener et il n’est pas le seul à convaincre de l’innocence du vampire.
Rose se concentre de nouveau sur la question des maîtres des arcanes. Il pousse un soupir :
« Si certaines fées sont réellement de notre côté, je pense que la meilleure solution serait de laisser Titan négocier. Contrer un sort tel que celui qu'ils ont mis en place est une chose très difficile. »
Il s'interrompt quelques secondes et reprend en levant ses yeux opalins vers Fawkes :
« Si tu ne peux pas t'infiltrer, tu pourrais toujours essayer de découvrir ce qu'ont donné les premiers interrogatoires, tu ne penses pas ? Des rapports ont dû être rédigés, mais seuls des membres de l'Étincelante comme Miiko Yamamura et Leiftan Tuarran les ont en leurs possessions. Nevra ne les a pas, j'ai déjà vérifié. »
Ce que Rose lui dit là plait beaucoup à Fawkes. Voilà des choses concrètes, qu’il peut faire pour mener l’enquête et préparer le terrain pour Yüljet, Sexta, Fuya et Gabrielle. Il doit aussi trouver le moyen de faire un peu plus parler Rose, mais ça, c’est une autre paire de manches. Alors, il confirme qu’il saura s’introduire dans les quartiers de l'Étincelante pour aller lorgner sur quelques rapports. Le renard saura sans mal repérer les allées et venues des dignitaires d’élite de la garde pour faire son affaire ni vu, ni connu. Il songera aussi à avoir l'œil traînant pour tout sujet qui pourrait faire référence de près ou de loin à Rose. Mais ça, il pense qu’il aura plus de chance de trouver quelque chose dans le bureau de Nevra. Il tente une percée sur ce sujet-ci.
« Parle-moi de la Garde de l’Ombre, Rose… Comment s’est passé ton recrutement ? Est-ce que tu as directement tapé dans l'œil de Nevra Mircalla ? »
Un léger sourire étire un coin de la bouche de Fawkes, et il incline la tête sur le côté, sincèrement curieux. Au-delà de la mission, en connaître un peu plus sur son binôme l’intéresse vraiment.
Rose plisse les yeux, surpris par le changement de sujet si soudain. Perplexe, il se demande pourquoi Fawkes tient tant à savoir de quelle manière il est entré dans la Garde de l'Ombre et finalement, quand il pense à son infiltration récente, la réponse se dessine. Il a certainement entendu des échos, car même si Rose fait semblant de ne rien savoir, il est au courant des rumeurs qui circulent sur son dos.
Il pousse un soupir et se masse la tempe :
« Comme tout le monde. J'ai passé l'examen quand j'étais adolescent. Et j'ai obtenu ma promotion dans les règles. Si tu as entendu d'autres choses, c'est faux. Pourquoi cette question ?
- Je… je sous-entendais pas que tu n’étais pas légitime à ta place, tu sais ? précise Fawkes en sentant bien comme Rose se justifie. Simplement… on en a jamais vraiment parlé et je suis curieux, voilà tout. Je me rends compte que je ne te connais pas beaucoup. »
Pas du tout, pour ainsi dire. Mais le renard n’en démord pas. Même si le vampire est guindé au possible et aussi hermétique qu’un bocal de prunes à l’eau de vie, Fawkes est curieux de le connaître un peu plus. Quitte à livrer un peu de lui en contrepartie.
« Je suis à Eel pour un petit moment et je vais vite m’ennuyer dans la planque, quand je serai pas en train de vadrouiller pour préparer le terrain. Je compte sur toi pour me distraire. »
Rose lui lance un regard fatigué. Il l'est réellement et il sent le poids de ces derniers jours tirer lourdement sur son corps. S'adossant contre le dossier de sa chaise, le vampire croise les bras sur sa poitrine, puis rétorque :
« Si tu as le temps de t'ennuyer, tu as de la chance. Ce n'est pas mon cas. J'ai des obligations et je ne peux pas me permettre de me disperser dans des occupations futiles. Eel est grande et tu finiras bien par trouver des activités à ta convenance, Fawkes. »
Et pour revenir au fait qu'ils ne se connaissent pas beaucoup, Rose lui rappelle que ce n'est pas une obligation. Être en binôme ne signifie pas être amis.
« Nous sommes partenaires de travail, achève le vampire, alors ne te sens pas obligé de tisser des liens avec moi. Il vaut mieux laisser certaines barrières en place, Fawkes. Ce sera mieux pour tout le monde. »
Une aiguille se sel perce la peau de Fawkes sur son torse et se plante dans son cœur. Tout sourire a quitté son visage et il sent la chaleur de la blessure lui remonter jusqu’à la gorge, qui se serre. Il essaye de ne rien en montrer mais ses oreilles s’affaissent en même temps que la commissure de ses lèvres. Parler avec lui est futile, donc. Et tisser des liens aussi, puisqu’il n’y aucune forme d’amitié entre les collègues qu’ils sont. Si Rose arrive à s’en convaincre, grand bien lui en fasse. Ce n’est pas le cas de Fawkes. Du moins, ce n’est plus le cas dorénavant.
« Je ne me sens obligé de rien, Rose. Mais tu semble fatigué. Tu devrais tout de même te dégager du temps pour prendre soin de toi. Personne ne le fera pour toi. »
La voix du renard a perdu de sa chaleur et son visage s’est éteint, mais il restera professionnel quoi qu’il arrive. Il ajoute tout de même :
« Je te remercie pour… les plans, et les tuyaux sur les rapports. J’enquêterai là-dessus. Je vais tenir Titan au courant pour les illusions d’arcanes. Il va falloir s’y préparer avec le concours des fées. »
Très bien. Ils se tiendront au courant et quand le reste du cartel arrivera pour le sauvetage de Nash, ils aviseront. Ils auront peut-être obtenu plus d'informations.
Rose se masse la tempe. Oui, il est fatigué, mais ça ira. Il n'a pas le choix de toute façon, car il doit accomplir son travail.
Il hoche la tête :
« On se reverra dans quelques jours, quand tu auras eu le temps d'infiltrer les bureaux de l'Étincelante. Peut-être qu'on arrivera à obtenir quelque chose avant l'arrivée de Titan, Sexta, Fuya et Gabrielle. »
C'est tout ce qu'il y a à savoir pour le moment. Après, Rose retournera à ses obligations et Fawkes, aux siennes.
RP June Albalefko et Rose Clarimonde
Les coups sur sa hallebarde résonnent dans son crâne d'une manière désagréable. Néanmoins, June a maîtrisé l'enchaînement qu'ils travaillent depuis une petite heure.
Chose difficile, mais Rose a su garder contenance.
Il ignore s'il s'agit du manque de sommeil ou bien des nombreuses heures passées à l'extérieur, à cause de la grande enquête sur le tap, mais il a l'impression que des marteaux sont en train de cogner contre ses tempes.
Ça, et ses maigres repas qu'il a difficilement avalés aujourd'hui parce que l'envie de rendre a décidé de l'ennuyer. Le vampire ignore son mal de tête, l'inconfort de devoir rester concentré aussi longtemps, tout en distribuant quelques conseils à June entre deux passes.
Il ferme brièvement les yeux quand le décor à l'air de lui en vouloir et focalise toute son attention sur l'entraînement de sa binôme.
Il n'est pas malade, il est seulement un petit peu fatigué. De plus, Rose a beaucoup trop de tâches à accomplir avant la fin de la journée.
Il se masse la tempe, puis s'adresse à June :
« Vous avez fait des progrès. Vous maîtrisez beaucoup mieux cet enchaînement. Si vous le voulez bien, nous allons faire une redite de ce que vous avez appris. Je vais ouvrir les hostilités et nous allons tester vos réflexes. Servez-vous de ce que nous avons vu lors des derniers entraînements. »
La jeune femme essuie son front à l’aide de sa manche. Elle hoche la tête, et se repositionne. Ses yeux se plissent malgré elle, tandis qu’elle vient mordre sa lèvre inférieure comme si elle se retenait de dire quelque chose. Elle a bien vu que Rose n’était pas dans son assiette, même s’il fait tout pour ne rien montrer.
Finalement, la jeune femme abaisse légèrement son épée et passe une main dans ses cheveux collés par la sueur.
- Dites, excusez-moi si c’est indiscret, mais vous êtes sûr que ça va ? grimace-t-elle.
Elle ne voudrait pas que le capitaine Mircalla la force à trier ses plumes par ordre de couleurs et de taille parce que son Second est mort de fatigue à cause de leurs entraînements… Et puis, ce n’est jamais bon de s'exercer quand on est fatigué, ni pour lui qui risque de se blesser, ni pour elle qui commence à retenir ses coups de peur qu’il ne s’effondre d’épuisement.
Rose hoche la tête et agite la main pour lui intimer que tout va bien. Sa fatigue n'a pas à impacter l'entraînement pour lequel il s'est engagé et ça finira par passer. Pourtant, le tapage dans son crâne n'est pas prêt de s'arrêter et il le sait. Le vampire songe qu'en quittant les quartiers de l'Obsidienne, il passera par la pharmacie de l'hôpital du Quartier Général prendre un remède et tout ira mieux.
Si Rose devait être honnête avec lui-même, il troquerait volontiers sa hallebarde contre du repos au sein de ses appartements, mais il ne peut pas se le permettre.
Quand il est arrivé, il a capté le regard suspicieux d'Enthraa Kellerman ainsi que celui, confus, de Chrome. Peut-être qu'il a plus mauvaise mine qu'il ne le pense.
Ce n'est pas important.
« Tout va bien. Merci pour votre inquiétude. Poursuivons : nous allons donc tester vos réflexes sur l'attaque surprise… »
June fait la moue. Elle n’est pas vraiment convaincue, mais de toute façon, c’est à Rose de décider de la manière dont il doit prendre soin de lui. Elle se désengage pourtant complètement alors que son visage se plisse pour exprimer son trouble. L’attaque surprise ?
- D’accord, mais je croyais qu’on allait revoir ce qu’on avait déjà vu, hésite-t-elle. Enfin, l’attaque surprise ça me va aussi, hein…
Mais il faudrait vous décider reste coincé dans sa gorge. Elle n’est vraiment pas certaine que continuer l’entraînement soit une bonne idée, et tout son corps exprime sa réticence.
Rose se fige, confus. Il est mis face à son erreur et pendant qu'il essaye de retrouver le fil de ses pensées malgré son mal de tête qui se change en migraine, le bruit d'une porte en train de s'ouvrir attire l'attention des combattants.
Valkyon Batatume et Joseph apparaissent, discutant d'un ton paisible. Les échanges entre les différents binômes cessent quand tous regardent, surpris, le Chef de la garde Obsidienne se placer au centre de la salle d'entraînement afin de leur adresser quelques mots :
« Bonjour à tous. Navré de vous interrompre, je ne suis ici que pour un petit contrôle de ces sessions d'entraînement inter-garde. J'aimerais voir les progrès de mes gardiens, alors je vais simplement assister à vos échanges en tant qu'observateur. Joseph ici présent se tient disponible si vous avez besoin de conseils. N'hésitez pas à lui poser vos questions. Sur ce, ne faites pas attention à moi. »
Plus facile à dire qu'à faire. Certains gardiens sont un petit peu décontenancés et ont du mal à se concentrer de nouveau sur leurs exercices. Mais les enchaînements reprennent et Mathyz, dont l'attention s'est relâchée, fait de nouveau les frais d'une illusion de Cornélia qui a l'air particulièrement affreuse.
Rose quant à lui, essaye de se rappeler de ses propres mots. Le suivi de June a du mal à rester en place dans son esprit malmené par la fièvre et ses mains se crispent sur sa hallebarde. Qu'est-ce qu'il voulait revoir ? Le vampire sent une tension peser sur ses épaules, mais il l'ignore. Il se masse la tempe, encore une fois, puis fait un choix.
« Excusez-moi, June. J'ai fait erreur. Nous allons revoir…
- Est-ce que tout va bien ? »
Rose s'interrompt quand la voix de Valkyon s'élève. Son corps devient rigide et quand il essaye de deviner la raison qui a pu pousser le Chef de la garde Obsidienne à s'intéresser à leur binôme, il remarque qu'ils sont les seuls à ne pas combattre. Excepté Chrome et son partenaire en train de demander quelques conseils à Joseph sur les différentes postures de combat, à en juger les gestes du grand morgan.
« Oui. Merci. » répond Rose sans le regarder.
June hésite. Elle ne connaît pas bien Rose, mais elle se doute qu’il ne voudra jamais avouer qu’il n’est pas en état de continuer. Encore moins devant un Chef. Elle remarque qu’il est encore plus raide que d’ordinaire, comme si la seule présence d’un supérieur gommait le peu de flexibilité qui lui restait.
Ce n’est pas son rôle d’intervenir, et le vampire le prendra probablement mal, mais June sait aussi qu’il n’est pas bon de s’épuiser à la tâche. Tant pis, Rose estimera sans doute son initiative déplacée. Elle s’avance en saluant son chef d’un signe du menton.
- Excusez-moi, Chef Batatume. Je pense que le Second Clarimonde a besoin de prendre une pause…
Elle se tourne vers lui pour lui adresser une moue d’excuse, ses grands yeux exprimant le tracas qu’elle prend soin de ne pas laisser paraître dans sa voix.
- Vous avez vraiment pas l’air en forme… ça me gêne pas de continuer, mais je voudrais pas que vous finissiez à l’hôpital à cause des entraînements…
Rose lui retourne une expression choquée, mais s'il veut dire quelque chose, les mots se bloquent dans sa gorge. Il n'est pas malade, il est simplement fatigué et il est capable de continuer. Il doit le faire parce que c'est son travail.
Pourtant, la migraine donne raison à June et son bon sens lui souffle que ce n'est pas raisonnable de poursuivre l'entraînement.
Quand il lève les yeux, il se confronte au visage intrigué de Valkyon Batatume. Le grand faelien le fixe de son regard ambré et les mains de Rose se crispent de plus belle sur sa hallebarde.
« Effectivement vous avez l'air fiévreux, Rose. Il serait plus sage de rentrer vous reposer.
- Ça va.
- Non, ça ne va pas. C'est aussi visible que le nez au milieu de la figure. » rétorque le Chef de la Garde Obsidienne d'une voix bienveillante.
Rose répugne à abandonner la session d'entraînement et Valkyon le comprend bien. C'est faillir à son travail, à ses yeux. Le vampire maudit cette journée, dans son for intérieur, mais il maudit aussi sa tendance à vouloir négliger sa santé pour achever ses tâches en temps et en heure.
C'est son rôle, en tant que Second de l'Ombre.
« Bien, décide Valkyon, laissez-moi vous raccompagner jusqu'aux quartiers de l'Ombre. Vous avez eu la gentillesse de vous déplacer jusqu'ici pour entraîner June, c'est la moindre des choses.
- Non, merci. » tranche Rose.
Le Chef de la Garde Obsidienne est surpris par le ton qu'il a employé, mais un sourire aimable remplace bien vite la confusion qui a marqué ses traits. Quand il a voulu faire un pas pour guider Rose jusqu'à la sortie du terrain d'entraînement, le vampire s'est éloigné en rengainant sa hallebarde dans son dos.
Valkyon hausse les épaules.
« Vous savez, Rose, je crois que Nevra m'en voudrait si je vous laissais retourner dans vos quartiers dans votre état. De plus, il me reproche de ne jamais passer à son bureau pour prendre le thé avec lui, ce sera l'occasion. »
Le grand faerien plisse ses yeux d'ambre, amusé. Il se tourne vers Joseph, en train d'assister aux échanges entre Mathyz et Cornélia, puis lui indique d'un signe de tête qu'il prend la relève des contrôles.
Rose, lui, s'est figé sur place avec le visage fermé. Il a croisé les bras sur sa poitrine et quand vient le moment de quitter les lieux, il s'adresse à June :
« Veuillez m'excuser pour aujourd'hui. Je vous ferai parvenir une missive pour le prochain entraînement. Aussi, si vous voulez bien attendre ici : le gardien dont nous parlions la dernière fois viendra discuter avec vous sur le sujet de la lecture. Bonne après-midi, June. »
Le vampire tourne les talons pour quitter la pièce, Valkyon à ses côtés et si ce dernier essaye de lui faire la conversation, Rose répond de manière laconique.
June les regarde partir, une grimace aux lèvres. L’obsidienne range son épée, ennuyée : elle espère que le Second Clarimonde ne lui tiendra pas rigueur de son ingérence… Mais au fond d’elle, elle sait qu’elle a bien fait. Le Chef Batatume leur répète sans cesse de faire attention à leurs camarades, et c’est ce qu’elle a mis en pratique aujourd’hui.
De toute façon, Rose aurait été bien en peine de terminer leurs enchaînements, et elle s’en serait voulu ensuite.
La jeune gardienne regarde son binôme disparaître, puis ses yeux se promènent sur les autres gardiens présents. Elle essaie de deviner qui est celui dont parle Rose. Ses doigts ont quitté le manche de son arme, et ils se promènent un peu partout sur son armure pour trahir son agitation.
L'entraînement se termine pour tout le monde et les binômes commencent à se séparer. De temps à autre, Joseph est venu lui tenir compagnie lorsque personne n'avait besoin de conseils.
Petit à petit, les gardiens de l'Ombre et de l'Obsidienne quittent les lieux, sauf un jeune loup-garou. Il rengaine ses dagues, puis se tourne vers June. Il semble quelque peu gêné, passe une main dans ses cheveux sombres méchés de rouge, puis s'approche d'elle :
« Salut… Je suis Chrome Talbot, traqueur de l'Ombre. Le Second en Chef a dit que je devais te rencontrer à propos de… La lecture. »
Il grimace et ses yeux couleur sable s'égarent un instant sur le sol. Mais il reprend avec un sourire plus franc :
« Enfin, il m'a pas obligé ! C'est juste qu'il m'a dit qu'on avait plus ou moins les mêmes problèmes. Je savais pas qu'il y avait quelqu'un comme moi. »
June cligne plusieurs fois des yeux. Et soudain, ses lèvres se tordent en une grimace irritée. Elle croise les bras, en une pâle imitation de Joseph quand il réprimande ses gardiens, et résiste à l’envie de lui asséner une pichenette entre les deux yeux.
- Dis moi, Chrome Talbot, t’aurais pas oublié de me faire passer un message l’autre fois ? grommelle-t-elle.
Puis sa voix s’adoucit, alors que ses yeux quittent ceux du gardien pour se poser sur ses pieds.
- June Albalefko, se présente-t-elle. Moi non plus, je savais pas, c’est le second Clarimonde qui m’a proposé de te rencontrer. Il a dit que tu voyais un médecin, et que ça t’aidais un peu…
June passe une main dans ses cheveux, alors que ses joues prennent la couleur des rubis.
- J’aime pas trop parler de ça aux gens, mais bon, j’imagine que toi tu peux comprendre, marmonne la jeune femme. C’est juste que… J’aimerais bien arrêter d’embêter Lou avec mes rapports…
Chrome se gratte la tête. Lui non plus, n'aime pas aborder ce sujet car il a tendance à s'attirer des moqueries. Mais il comprend June.
Ses joues rosissent quand il pense au message de l'autre fois et il prononce des excuses embarrassées :
« Je suis désolé, j'avais vraiment oublié… Enfin, le Second Clarimonde m'a pas oublié, lui… »
Respect des consignes, respect des horaires, attitude correcte pendant son travail… Chrome connaît la chanson. Mais c'est Rose qui a raison.
Le jeune loup-garou s'assied à même le sol. Il récupère un petit peu de son entraînement, puis s'explique :
« Je sais pas pour toi, mais moi, quand j'essaye de lire, les lettres se mélangent et je m'y perd. J'inverse tout, j'ai du mal à reconnaître les mots et quand j'écris, c'est pas lisible. En plus, je mets beaucoup trop de temps à écrire deux lignes, tu vois ? Du coup j'ai du mal à faire mes rapports et c'est le Second Clarimonde qui est obligé de tout reprendre. »
C'est comme ça que Chrome a été découvert, d'ailleurs. Puisqu'il ne rendait jamais ses rapports, Rose Clarimonde a dû le convoquer pour exiger une explication. Suite à ça, le vampire a choisi de creuser le sujet.
« Je croyais que j'arrivais pas à lire parce que j'étais idiot, reprend Chrome en haussant les épaules, mais en fait, ce serait un trouble de langage, comme dit Armel. C'est mon médecin et il est très gentil. En plus, vu qu'il fait des études sur les handicaps un peu comme les nôtres, il demande pas de paiement. À moi, il me propose des tests, des séances où j'écris ce que je veux et où j'explique ce que je comprends… Ce genre de trucs. »
June l’a rejoint au sol. Elle lui pardonne son oubli d’un geste : ça arrive. La jeune femme triture ses mains en répondant qu’elle aussi à le même problème. Elle a beau se concentrer de toutes ses forces, les lettres forment toujours une bouillie informe qu’elle ne comprend jamais. Quant à l’écriture…
- Moi, c’est mon frère qui les écrit, sourit-elle. Parce que même tracer mon prénom c’est une purge… Et ça t’aide, de voir ton médecin ? Tu fais des progrès ? J’essaie de m’entraîner un peu tous les soirs, mais je t’avoue que c’est pas une franche réussite…
D’autant qu’elle essayait toute seule, pour ne pas déranger Helouri plus que nécessaire. Quant à Cristal et Joseph, elle ne voulait pas les inquiéter non plus, même si elle savait qu’ils étaient au courant de ses efforts pour lire et écrire.
« Parce que… hésite-t-elle. J’en ai marre de rien arriver à faire… Et puis ça me gêne d’être nulle comme ça.
- Faut pas dire qu'on est nuls. C'est pas vrai. C'est juste qu'on voit pas les mots comme les autres. »
C'est qu'Armel lui a expliqué. Il a essayé de lui donner des exercices et de trouver des méthodes pour qu'il puisse reconnaître les mots et si ça a été difficile, au début, ça a fini par porter ses fruits.
« Ça m'aide beaucoup de voir Armel, explique Chrome, je le vois deux fois par semaine et pour m'aider à reconnaître les mots, il fonctionne beaucoup avec les images. Il a des dessins d'objets, de familiers, de fruits… De tout. Et quand je veux écrire quelque chose, je pense à l'image et j'arrive à voir le mot, tu vois ? C'est pareil quand je lis. Je reconnais certains mots comme des images. »
Armel lui a dit que l'écriture, c'était comme du dessin. Depuis que Chrome se dit qu'il dessine les lettres, il arrive mieux à les retenir et il prend moins de temps pour écrire son prénom. Après, le médecin lui a remis des livres pour enfants afin qu'il puisse s'exercer.
Le jeune loup-garous sourit à June :
« Si tu veux, on ira le voir après le prochain entraînement. T'es pas obligée de faire les tests si t'en a pas envie, mais peut-être que discuter avec lui, ça te permettra d'y voir plus clair ? Puis si tu veux pas y aller toute seule, je veux bien venir, mais ce serait bien que t'emmène quelqu'un qui te connait bien et qui connaît tes soucis. T'en dis quoi ? »
June hoche timidement la tête. Oui, elle veut bien voir ce docteur. Et puis le dessin, elle connaît. L’obsidienne redresse le menton, un peu rassurée par les paroles de Chrome. Si en plus le médecin ne fait pas payer ses séances, alors elle ira sans hésiter une seconde.
- Je veux bien, répond-elle.
Elle demandera à Helouri s’il veut bien sacrifier un peu de son temps pour l’accompagner. Après tout, ça lui fera une pause dans ses révisions, et puis pour lui qui veut être docteur, ce sera l’occasion d’apprendre quelques petites choses intéressantes. Elle songe que ça fait un moment qu’elle n’a pas passé un peu de temps avec lui. June se mord la lèvre inférieure, puis baisse de nouveau les yeux.
- Merci, Chrome. Tu sais, des fois j’ai peur de jamais pouvoir lire comme tout le monde. Je demanderais à ton médecin s’il peut me faire passer ses tests ! Et peut-être qu’à force, toi et moi on pourra écrire nos rapports tout seul !
Le jeune loup-garou hoche la tête. Lui aussi, il espère pouvoir écrire par ses propres moyens, un jour, sans être obligé de demander de l'aide. En plus, il est traqueur de l'Ombre, June va intégrer le corps armée d'Odrialc'h… Un jour, leurs difficultés les rattraperont s'il ne font rien.
Armel est gentil et il fait de son mieux pour l'aider, alors il est certain que pour June, c'est une bonne idée de le voir.
La fontaine des jardins suspendus laisse couler une eau claire par la bouche d'un searsea de pierre. Dans ses bassins entourés d'une verdure taillée par des jardiniers, des enfants et des adolescents s'amusent. Parmi eux, Yüljet repère une jeune licorne aux longs cheveux d'or, riant à gorge déployée. Elle relève les pans de sa longue robe bleue marine et trempe ses chevilles en adressant de larges sourires à sa petite sœur, restée assise sur le rebord.
Samantha, l'aînée et Alyssa, la cadette.
Les filles de Ryan continuent de jouer pendant que leur mère, installée sur un banc, est plongée dans la lecture d'un roman. Titan sait qu'il n'en est rien et qu'à l'intérieur de l'ouvrage, il y a les feuilles de parchemins relatant les commandes passées aux Abysses.
La troll embrasse les jardins suspendus de son regard onyx. C'est peut-être le lieu le plus agréable d'Odrialc'h après le port.
Situés entre les quartiers populaires et les premières habitations du citoyen moyen, ils offrent un véritable havre de paix et de verdure, ainsi qu'une vue imprenable sur la place des Échanges, la forêt de Galène, puis la forge du Gabil.
Les fontaines, les arbres, les sentiers, l'herbe verte accueillant des faeliens souhaitant se reposer dans un cadre bucolique, les parterres de fleurs… Les jardins suspendus portent bien leurs noms et pour attendre une réponse déterminante avant leur départ pour Eel, Yüljet a choisi ce lieu.
Même si Ryan ne fait pas partie du voyage, la licorne a choisi d'être présente afin de leur dire au revoir, même de loin.
Titan, Sexta et Fuya vont quitter Odrialc'h aujourd'hui même en compagnie de Nelladel. Ce dernier s'est rendu aux Abysses pour aller chercher une missive et son contenu est important pour la collaboration du cartel avec ses maîtres.
Yüljet réprime un soupir.
Quand Ryan est descendue acheter les ingrédients nécessaires au Crachat de Cassandre, Titan a réceptionné le courrier d'Alajéa Edam. Ce qu'elle a appris sur les Milliget est étrange et quand elle pense à eux, elle a l'impression de regarder deux tableaux différents : la cruauté sauvage d'un côté et l'intelligence de l'autre.
Les fées sont capables de dévorer des faeliens pour satisfaire leur immense appétit. Elles peuvent se nourrir de foies, de langues et de chair crue comme des familiers voraces et planter leurs trompes dans des proies malheureuses pour en extraire le sang. Elles ont inspiré la terreur chez une sirène trop jeune pour assister à leur macabre festin et elles peuplent ses cauchemars.
Mais si on écoute Alajéa, alors les fées sont aussi des êtres sensés, instruits et inquiets pour le monde d'Eldarya. Ce sont des créatures conscientes du danger qui les entoure et de l'absurdité de la conquête terrienne. Elles méprisent les Mircalla qui suivent des traditions similaires à celles des humains, et les Alfirin baignant dans la politique douteuse du grand palais d'Odrialc'h.
Pourtant, les Milliget réalisent des expériences sur des humains pour le compte des Docteurs Becs quand deux membres de leur famille contactaient le cartel des Typhons pour s'allier avec lui.
Ils veulent sauver Sheraz eux aussi et ils savent qu'un virus a été introduit dans les sols d'Eldarya pour les rendre stériles. Si leurs aspirations sont si similaires à celles des Typhons, alors leur objectif est certainement le même : empêcher la conquête terrienne et faire tomber les responsables de cette folie.
C'est pourquoi Titan veut s'adresser aux maîtres de Nelladel. Malgré le portrait glaçant que l'elfe a fait de Candice et les souvenirs pénibles que Fuya possède vis-à-vis de lui, Yüljet tient à avoir un premier dialogue.
Qu'il lui dise ce qu'il a fait de Nash et qu'il les aide à le libérer comme preuve de sa bonne foi. Puis on pourra discuter des motivations de chacun.
« Il en met du temps, grogne Sexta qui s'impatiente, il est tombé amoureux de Cassandre ou quoi ? »
Titan hausse les épaules alors que Fuya grimace. La sirène s'est assise en tailleur dans l'herbe verte et arrache quelques brins d'un geste distrait pour les tordre entre ses doigts fins.
Elle n'a pas hâte de faire face à Candice, mais elle a affirmé à Yüljet qu'elle l'affronterait quoi qu'il arrive.
« J'espère qu'il a une réponse à rapporter, s'inquiète Titan, sans quoi on sera obligés de naviguer à l'aveugle sur place. »
Yüljet a demandé à Nelladel d'envoyer une missive à ses maîtres pour planifier une rencontre avec eux et pouvoir discuter. Elle tient à savoir jusqu'où peut aller la collaboration et quoi de mieux qu'une conversation dès l'arrivée d'u cartel à Eel ?
Gabrielle sera déjà sur place, comme sa cheffe le souhaite et Fawkes les rejoindra pour les accueillir. La troll a conscience que l'elfe noire risque de s'emporter face aux Milliget, que Fuya fera les frais de son traumatisme, mais elle, Sexta et le renard-garou seront capables de gérer la situation.
Des bruits de conversations attirent leur attention. Une voix grave parle fort et quand Titan tourne la tête, elle aperçoit un homme de givre en uniforme d'ingénieur, accompagné d'une orc qui est manifestement une garde civile. Et ivre, aussi.
Un bras sur son épaule, elle lui vante les beaux visages de ses dernières conquêtes masculines et même de loin, Yüljet arrive à voir la figure livide de son compagnon d'infortune se tordre en une grimace alors qu'il passe une main embarrassé dans ses cheveux azurés, coupés courts.
Les morceaux de cristal brillent sur sa peau comme des bijoux ciselés à même la chair, richesses de son espèce.
Titan arque un sourcil quand Sexta lui donne un coup de coude dans les côtes en désignant ce binôme singulier du menton :
« Regarde qui voilà… Quand tu étais à Eel et que tu m'as demandé de trouver une petite frappe pour aller se renseigner sur l'Ulcère, c'est lui que j'ai engagé.
- Il ne m'a pourtant pas l'air de ressembler à une petite frappe… » constate Yüljet.
Effectivement. La vampire lui raconte que plutôt que d'aller plonger dans la plèbe, elle a réussi à entrer en contact avec un ingénieur d'aéronefs qui avait besoin d'argent et elle a établi ce marché avec lui. Le jeune faelien, nommé Luhan, s'était exécuté, sans jamais avoir idée d'œuvrer pour un cartel et au final, les informations récoltées coïncidaient beaucoup avec ce qu'Alajéa avait dit.
« L'endroit est mal entretenu, ça se voit que cette partie du palais est une plaie pour le gouvernement, explique Sexta, mais elle est très bien gardée. Il faut présenter un laissez-passer, décliner son identité en langue commune, en langue orc, être embauché par une personnalité du palais…
- En d'autres termes, ce n'est pas par là qu'on s'infiltrera dans le palais… complète la troll.
- Sauf si tu veux te reconvertir en toiletteuse de familiers. »
Titan fait la moue. L'Ulcère a été une découverte intéressante, mais pas suffisante pour faire sortir Sheraz.
Reste à savoir ce que les fées ont prévu. Et quand elle pense aux Milliget, Nelladel apparaît à l'entrée des jardins suspendus. L'elfe est en train de monter les nombreuses marches des grands escaliers et depuis son banc, Ryan a levé le nez de sa lecture pour lui jeter une oeillade.
Yüljet espère qu'il revient avec de bonnes nouvelles.
Fuya s'est redressée. La troll l'attrape en train de plier et déplier ses doigts de manière nerveuse, une ombre sur son visage et quand Nelladel se plante devant les trois faeliennes, un morceau de parchemin à la main, elles attendent le verdict avec impatience.
« Ils sont d'accord… commence l'elfe.
- Mais ? intervient Sexta, méfiante.
- … Mais la rencontre aura lieu dans le Quartier Général, aile des invités, maison d'Ile Grande réservée au nom d'Estel Dava. C'est mon nom d'emprunt. »
Yüljet, Sexta et Fuya échangent des regards ébahis. Si elles s'attendaient à devoir pénétrer la cité d'Eel, à présent libérée de la Capitaine, sous leurs fausses identités, elles ne pensaient pas pouvoir se permettre de fouler le Quartier Général en plein jour, au beau milieu des gardiens et des Égides.
Mais Candice et Sira Milliget ont fait leur choix.
« Bon… déclare enfin Sexta, je pense qu'il ne nous reste plus qu'à faire bon voyage. »
La première étape, en effet. Titan se retourne pour river ses yeux noirs sur Ryan. Ses deux filles se sont mises en tête d'essayer de l'éclabousser, mais elle parvient à capter son regard et à lui adresser un sourire encourageant.
Elles peuvent y arriver. Elles peuvent se confronter aux fées, sauver Nash et le ramener à Odrialc'h. Ryan, elle, sera là pour les accueillir et les attendre.
Pour Eel, Fuya Pyle redeviendra Ellen Price.
Yüljet sera Skod Ekman et Sexta deviendra Claudia Rice.
« Bien, décide Yüljet, le passeur nous attend. Et Nash aussi. »Pour la Vie d'un Camarade
« Où est-ce qu'on dormira ? » demande Fuya d'un ton qu'elle veut naturel.
Ça fait plusieurs fois qu'elle pose la question pendant le voyage, mais Titan ne lui en veut pas. La sirène a besoin de masquer sa nervosité et plus le bateau approche du continent du Beryx, vers le port d'Albacore, plus elle est tendue.
« Tu seras avec Fawkes à l'auberge des Nymphes Dansantes, près du Quartier Général, explique Sexta, vous êtes arrivés ensembles à Eel, la dernière fois, c'est mieux de garder votre binôme. Moi, je serai avec notre cher ami Nelladel dans sa jolie maison et Titan s'est choisie l'auberge du Corko, sur le port. Gabrielle sera avec elle. »
Fuya hoche la tête. La vampire lui a assuré que tout serait arrangé. Elle aurait une chambre communicante avec celle de Fawkes si besoin et quoi qu'il arrive, le renard-garou est habitué à ne dormir que d'une oreille pour monter la garde.
Non loin d'eux, assis en tailleurs et adossé contre la rambarde, Nelladel fait la moue. Quand il a fallu répartir les binômes, il n'a pas été ravi du tout de se retrouver avec Sexta pour le surveiller. Mais la vampire est résolue à ne pas le lâcher.
« Mes voisins vont être surpris de me voir ramener une petite amie de vingt-trois ans de plus que moi…
- Je me ferai passer pour ta mère. Je tiens à garder mon honneur, raille Sexta.
- Ce sera encore moins crédible, se moque l'elfe.
- Je ferai en sorte que ça le soit. »
La vampire plisse les yeux, sarcastique et Nelladel a un frisson. C'est une promesse.
L'échange a au moins eu le mérite de faire sourire Fuya et bientôt, Albacore est en vue. L'elfe rabat sa capuche et se prépare à quitter le bateau.
Pour entrer au sein de la cité blanche, il s'est muni d'une perruque en véritables cheveux faeliens, acquise aux Abysses. Même s'il ne peut pas dissimuler l'entièreté de son visage, il a prévu de porter des cols hauts, qui masqueront une partie de sa mâchoire. Il ne traversera la Salle des Portes, à l'intérieur du Quartier Général, qu'une fois son frère cloîtré dans son laboratoire d'alchimie ou bien en train d'enseigner aux aspirants de l'Absynthe.
Nelladel a finit par mémoriser son emploi du temps au fil de ses séjours à Eel pour le compte de ses maîtres. Aussi, il a pris l'habitude de changer ses perruques ainsi que son style vestimentaire à chacune de ses visites et pour le moment, personne n'a jamais remis l'une de ses identités en doute.
« Ce sont tes maîtres qui ont choisi ton nom d'emprunt ? demande Titan, curieuse.
- Un seul, grogne l'elfe, Candice. »
Elle voit Nelladel arborer un sourire sans joie puis, levant ses yeux aigue-marine vers la troll, il s'explique :
« Estel signifie "espoir" en elfique. Et Dava, c'est "esclave" dans la langue des fées. »
L'espoir de l'esclave, donc.
Si Yüljet ne répond pas, Sexta argue que le Milliget a le sens de l'humour. Mais dans les yeux sombres de la vampire, la troll devine une attente. Elle se languit de rencontrer Candice qui, s'il pense dominer le cartel et prendre les Typhons pour ses larbins, se trompe lourdement.
Titan lui fera comprendre que la collaboration n'existera que d'égal à égal, quand Sexta se montrera implacable.
Ils souhaitent la même chose et même si Candice a l'avantage en détenant Nash, les Typhons ne deviendront jamais ses dava.Rencontre Imminente
Quand ils rejoignent la terre ferme, personne n'est là pour les accueillir. Titan devine Fawkes et Gabrielle à l'abri dans la planque et quand ils s'y rendent enfin, voulant profiter de quelques minutes de repos avant l'entrevue, elle avise qu'elle a raison.
Le renard-garou est assis sur une chaise, sa longue chemise ocre aux manches retroussées lui donnant l'allure d'un ouvrier et elle, Gabrielle Parceveaux de Rhenia-Gaear, a troqué son uniforme de garde contre une tenue plus sombre aux pièces de cuir et de métal. Elle pourrait se fondre à merveille au sein de la Garde de l'Ombre.
Titan remarque que ses cheveux blanc ont poussé et se dressent en bataille sur son crâne, dominant son regard fatigué, mais résolu. Le chagrin a transformé les yeux opaques de Gabrielle en puits de brume, mais ses traits sont volontaires
Fuya la salut en la gratifiant d'une brève étreinte et Sexta lui administre une tape amicale sur l'épaule.
« Cheffe. » grogne Fawkes en lui adressant d'un signe de tête.
Titan lui répond. Elle sait qu'il a attendu Gabrielle et cette dernière a certainement déjà pu partager tous ses doutes, toute sa colère en compagnie du renard-garou. Mais ce n'est pas suffisant et tant que Nash ne sera pas de retour auprès d'elle, ça ne le sera jamais.
L'elfe noire redresse le buste et inspire profondément. Yüljet s'approche d'elle, tire un tabouret et s'y assoit avant de lui rappeler ce qui se produira durant la prochaine heure.
« Tu as fait bon voyage ? lui demande-t-elle pour ouvrir la discussion.
- On s'en fiche, réplique Gabrielle, Fawkes m'a déjà raconté ce que je devais savoir pour la collaboration. Devant la chose qui fait du mal à Nash, je vais faire mon possible pour rester calme, Titan. Mais si je peux lui faire payer, je le ferai.
- C'est surtout ce qu'il ne faut pas faire. »
Tous se retournent vers Nelladel en train de s'attacher les cheveux pour enfiler sa perruque. Il est nerveux, Yüljet peut le voir et Sexta l'a capté aussi. La vampire ne le quitte pas des yeux.
Dava a peur de retrouver son maître.
« Je vous l'ai déjà dit à Odrialc'h, poursuit l'elfe, si vous prenez Candice de front, vous allez vous créer des problèmes.
- Le fameux larbin des fées… siffle Gabrielle en lui jetant un regard mauvais.
- Pense ce que tu veux de moi. Mais c'est votre ami qui a choisi de se sacrifier pour vous sauver. Candice vous a accordé une entrevue alors je vous conseille d'en profiter pour le faire libérer. Ce serait dommage de vous mettre Candice à dos après vos belles résolutions. »
Titan pense qu'il a raison. Ils sont tous réunis à Eel, prêts à sauver Nash alors réduire leurs chances à néants par vengeance et ressentiments seraient stupides.
Comme le pense la troll, il n'est pas question pour le cartel de se soumettre aux fées, mais de profiter de la collaboration qui leur est offerte comme les maîtres de Nelladel le font avec eux.
C'est ce qu'elle essaye d'expliquer à Gabrielle. L'elfe noire a toujours été raisonnable. Elle a la tête sur les épaules et même si le sacrifice de son aimé la fait souffrir, elle sait que la meilleure manière de le faire libérer, c'est de collaborer avec son geôlier.
Elle serre les poings, puis souffle :
« Si je n'avais pas été retenue chez les Leblanc, j'aurais pu l'en empêcher. Il ne serait pas parti. On aurait pu quitter Rhenia-Gaear tous les deux et vous mettre à l'abri des fées. On aurait eu le temps, on vous aurait contacté, vous vous seriez caché et…
- Et quoi ? À la place d'avoir un camarade à secourir, on en aurait eu deux ? » intervient Yüljet.
En accomplissant ce qu'il a fait, Nash a donné un sursis non négligeable au cartel. Qui peut prédire si la collaboration avec Nelladel, Candice et Sira aurait pu avoir lieu si les fées les avaient cueillis à Eel ? C'est la cheffe des Typhons qui se serait trouvée à la place de Nash, en train de subir un interrogatoire terrifiant et Yüljet ignore ce qu'il serait advenu de Fuya.
Elle aurait fait les frais de représailles, sûrement.
Gabrielle se lève. La rancune se lit sur ses traits délicats, mais la détermination aussi. Elle ne se pliera pas face aux Milliget, elle fera le nécessaire pour sauver celui qu'elle aime et si Titan est certaine d'une chose, c'est qu'elle ne quittera pas Eel sans lui.
« Ryan a prévu quelque chose ? demande-t-elle.
- Le Crachat de Cassandre. » répond fièrement Sexta.
Gabrielle hoche la tête. Elle pense certainement que c'est tout ce que les fées méritent mais Yüljet, elle, espère surtout qu'ils n'auront pas à l'utiliser.
« Je me suis infiltré dans le quartier des Ombres, intervient Fawkes, là où ils détiennent Nash. C'est un vrai dédale, ils ont placé les lieux sous les illusions des maîtres des arcanes.
- Et je suppose que pour pouvoir s'y promener librement, il faut être accompagné par l'un d'entre eux ? en déduit Sexta.
- Sauf si la fée qu'on va voir va le chercher elle-même… »
Nelladel se met à rire. Un filet sur le crâne, il place sa perruque de cheveux châtain et la fixe avec application. À vrai dire, Titan pense qu'elle est immonde et manifestement, les autres sont de son avis.
L'elfe se retrouve avec une frange trop courte et un carré qui lui arrive au niveau des mâchoires. Avec un luth dans les mains, il ferait un barde parfait.
« Si Candice vous donne le numéro de la salle d'interrogatoire et fait en sorte qu'on ait l'accès au quartier des Ombres, ce sera déjà une réussite.
- Trop aimable, tranche Sexta, tu me feras le plaisir d'enlever cette horreur quand on sera dans la maison. Même aux Abysses, il y a rarement des choses aussi affreuses. »
Nelladel marmonne quelque chose en réponse, puis le silence retombe. Les Typhons s'échangent des regards et tout le monde sait qu'il est temps.
Munis de leurs faux papiers d'identités, ils vont entrer dans la cité d'Eel et se diriger vers le maison d'Ile Grande, au cœur du Quartier Général, dans l'aile réservée aux invités.
Pas de passeurs à payer, mais juste se présenter aux portes et laisser les guetteurs faire leur travail.
Titan a lâché ses longues tresses le long de son dos. Un geste idiot qui la rassure. Elle a toujours l'impression que son visage est connu de ceux qui ne l'ont jamais vu, comme si la Capitaine pouvait le transmettre à autrui par la pensée.
Sur les lieux, ils constatent qu'il n'y a pas grand monde. Des civils sont sortis pour se promener le long de la plage ou bien en forêt et eux, faux touristes, attendent patiemment leur tour.
Les guetteurs sont reconnaissables grâce à leur tunique azurée ainsi que leurs arcs et carquois remplis de flèches. Parmi eux, Titan aperçoit Balam Lefaucheur.
D'un ton aimable, il leur souhaite la bienvenue au sein de la cité blanche puis, sans attendre, leur demande leurs papiers d'identités.
C'est Fawkes qui s'avance le premier. Une main sur l'épaule de Fuya, il invente un pieu mensonge :
« Jens Red et elle, c'est mon amie, Ellen Price. On est venus un peu en catastrophe pendant les sélections. Elle était blessée et c'était mieux de la faire soigner ici. On a vraiment adoré la cité alors je suis revenu il y a quelques jours. Puis Ellen est arrivée avec quelques amis.
- Jens Red qui a secouru le fils de Joseph, lui sourit Balam, j'ai entendu parler de vous. »
Fawkes se gratte l'arrière du crâne en arguant que ce n'était pas grand-chose et qu'il avait agi par instinct, mais il présente son titre de séjour provisoire pendant que Fuya obtient le sien. Elle remercie Balam d'un enthousiasme forcé, puis vient le tour de Sexta et Nelladel.
Même si le guetteur tente de rester impassible par politesse, Titan peut voir ses yeux opaques s'agrandir face à ce couple si atypique. Nelladel remonte son large col, et la vampire prend la parole avec un sourire froid :
« Claudia Rice et lui, c'est mon rejeton, Estel. »
L'elfe est si pâle que Yüljet s'attend à le voir tomber au sol, mais il reste muet. Quand Balam essaye de creuser la question des noms de famille qui ne sont pas semblables, Sexta se lance dans une histoire compliquée, arguant qu'elle est divorcée, que la plupart des hommes sont des imbéciles et qu'elle a adopté Estel à Odrialc'h quand elle vivait avec son mari…
Embarassé par tant de confidences, Balam use de toute sa diplomatie pour l'interrompre et lui remettre son titre de séjour. Nelladel obtient également le sien puis, s'éloignant, grimace en ajoutant d'une voix bougonne :
« Génial, maintenant on va pouvoir profiter du port, maman.
- Si tu ne finis pas à la mer avant la fin du séjour, tu seras chanceux. »
Quand vient le tour de Gabrielle, Balam a l'air surpris de rencontrer une de ses congénères. Il ajoute que c'est chose rare car d'ordinaire, les elfes noirs s'éloignent très peu de Rhenia-Gaear à cause du climat si différent du continent du Beryx.
Gabrielle fait son maximum pour masquer la douleur, la colère et le chagrin. La conversation avec Balam semble l'apaiser un petit peu et Yüljet doit admettre que la paix royale que dégage le guetteur atténue la tension.
« Skod Ekman.» lit l'elfe noir quand vient son tour.
Titan hoche la tête. Patiente, elle attend son titre de séjour et tâche de rester la plus discrète possible malgré la hâte qui l'anime.
Elle a l'impression que les yeux opaques de Balam savent lire en elle. Que quand il s'est présenté sous les gradins la dernière fois, dans la pièce réservée aux candidats des sélections, il a été capable de la voir derrière le lourd rideau. Mais il n'en est rien et Yüljet obtient ses papiers dans les règles.
La première étape est achevée. À présent, il faut se diriger vers le Quartier Général.
Les Typhons se mettent à marcher et soudain, Nelladel s'approche de Titan. Son horrible perruque se pare de reflets cuivrés au soleil et à en aviser les regards lancés par quelques passants flânant non loin du kiosque, sa coiffure ne fait pas l'unanimité.
« Le guetteur, chuchote l'elfe, il est venu accueillir les Milliget avec le Chef Mircalla, son Second, Leiftan et Joseph quand ils sont arrivés à Eel.
- Comment tu le sais ?
- Candice ne l'aime pas. D'après lui, Balam lui aurait dit quelque chose à propos d'une remarque que Candice aurait faite à Joseph. Tu te doutes bien que ça ne lui a pas plu. »
Titan se souvient que le guetteur avait en effet échangé quelques mots avec Joseph à ce sujet, lors des sélections. La présence de Balam avait été requise pour sa diplomatie mais manifestement, ça n'a pas suffit.
La troll n'aime pas ça. Elle ignore de quelle manière va se dérouler l'entrevue, mais si Candice déteste la moindre contradiction à son égard, ça va se révéler difficile. La cartel va marcher sur des œufs, mais ils devront faire avec car la vie de Nash est en jeu.
Dans la tête de Yüljet, le portrait de la fée Milliget se dessine avec les mots de Nelladel, mais aussi ceux d'Alajéa.
Deux faces d'une même pièce. Deux faces qu'elle aimerait résoudre avec la conversation à venir.
Elle pense aux sévices que Nash a enduré, à la cicatrice qui traverse l'épaule de Nelladel, aux choses ignobles que Fuya lui a décrite…
Yüljet échange un regard avec Sexta qui marche sur sa droite. Elles vont faire ce qu'elles ont déjà fait : s'entretenir avec un meurtrier, même si celui-ci est particulièrement dangereux.
Le Quartier Général est en vue et qu'importe ce qui va advenir, les Typhons sont là.
Fawkes et Fuya marchent en tête, Gabrielle est derrière eux, Yüljet, Nelladel et Sexta sur ses talons.
La troll sent la nervosité grimper en flèche, mais elle la fait taire. Le cartel ne se soumettra pas.
Il tiendra tête à Candice, il obtiendra de lui une collaboration d'égal à égal et à la fin, Nash sera sauvé.Les Choix
Les Typhons arrivés à Eel s'apprêtent à rencontrer Candice et Sira Milliget, les maîtres de Nelladel. Titan a remarqué que l'elfe semble craindre Candice en particulier et elle se doute que l'entrevue ne sera pas de tout repos, surtout que la fée a très certainement l'intention de les dominer.
Néanmoins, Titan doit tout de même se préparer. Il en va du sauvetage de Nash, mais aussi de la place du cartel dans cette collaboration et en tant que cheffe, c'est elle qui mènera principalement l'entrevue.
Parmi les thèmes listés ci-dessous, vous devrez choisir ceux qui seront abordés durant l'entrevue. Cela permettra au cartel de tisser la collaboration en se découvrant, peut-être, d'autres intérêts communs en plus du sauvetage de Sheraz.
Attention : Les Typhons doivent composer avec une fée particulièrement dangereuse et qui, visiblement, ne supporte pas qu'on la prenne de front. Si les thèmes abordés ne lui plaisent pas, ça pourrait mal se terminer…
En revanche, le contraire pourrait permettre de tisser une entente cordiale au point où magnanime, Candice pourrait libérer Nash et ainsi, son sauvetage se déroulerait sans accrocs.
Pour vous aider : Pensez à ce que vous voulez obtenir de la collaboration. Vous avez une fée devant vous, de quoi voulez-vous lui parler ? Quel est l'objectif du cartel et pourquoi œuvrez-vous ? N'hésitez pas non plus à relire la réponse d'Alajéa qui se trouve se trouve dans le chapitre précédent.
Vous devez choisir trois thèmes. Vous êtes libre d'en proposer vous-même, mais réfléchissez bien !
➜ Le virus des sols d'Eldarya
➜ L'espèce des fées
➜ Les Docteurs Becs
➜ Le sang de Sheraz
➜ La Chair des Roses (voir le rapport de Fawkes sur sa mission à Eel)
➜ La famille Milliget et son savoir dans le domaine de la médecine.
➜ Les deux sujets humains détenus
➜ La conquête terrienne
➜ Les familles Alfirin et Mircalla
➜ La raison qui incite Candice et Sira à agir dans le dos de leur famille.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes sait que le lieu où Nash est détenu est maintenu sous une illusion permanente instaurée par les maîtres des arcanes. En attendant de trouver une solution à ce problème, il est déterminé à fouiller les bureaux de Miiko, Leiftan et peut-être de Nevra.
Par quoi devrait-il commencer ?
➜ Le bureau de Miiko Yamamura
➜ Le bureau de Leiftan Tuarran
➜ Le bureau de Nevra Mircalla
➜ Aucun des trois, il ferait mieux d'aller fouiller l'appartement de Rose pendant qu'il est au travail.
Quand tu auras fait ton choix, Waïtikka, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
L'échange avec Chrome s'est bien déroulé et June est déterminée à aller rendre visite au médecin du loup-garou, Armel, pour tenter de résoudre son problème de lecture. Elle a décidé d'être accompagnée de Helouri.
Voyons voir ce que ce Armel peut faire !
Quand tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :
Lilymoe a eu vent que le Second de l'Ombre, Rose Clarimonde, a dû être admis en salle de repos après que son Chef de Garde l'ait trouvé dans un état de fatigue extrême, au sein de son appartement.
Puisqu'il est nouvellement affilié à la Garde de l'Ombre en tant que soignant, Lilymoe peut demander un accès à son dossier médical, ou bien lui rendre directement une petite visite en salle de repos.
Que devrait-il faire ?
➜ Demander un accès à son dossier médical (pas de RP)
➜ Lui rendre directement visite (RP)
Si tu choisis la seconde option, viens me trouver en MP quand tu seras prêt !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
J'espère que vous allez bien !
Me revoici avec le chapitre 29 d'Apotheosis qui est un petit peu plus long et pour cause : un choix charnier vous attend à la fin. Bien évidemment et comme d'habitude vous disposerez de deux semaines pour choisir, sachant que contrairement au choix précédent, je pourrais vous aiguiller si besoin. De ce fait, n'hésitez pas à poster vos réflexions et vos petites questions, je vous répondrai au possible sans pour autant vous faciliter la tâche (vous savez que j'aime vous voir galérer <3).
Aussi et pour la sortie du chapitre 30 (déjà !), je pensais vous proposer un petit quelque chose en bonus, mais j'aimerai savoir ce qui vous ferait plaisir :
➜ Quelques anecdotes concernant le processus créatif d'un personnage de votre choix (ou même plusieurs).
➜ Un petit questionnaire de satisfaction, afin que vous puissiez partager vos impressions sur la manière dont vous vivez cette fiction depuis le début !
➜ Une petite interview de nos personnages invités : June, Fawkes et Lilymoe afin d'en savoir un peu plus sur eux, hors fiction d'Apotheosis.
➜ Une micro-interview de… Moi ? x) Non, en vrai si vous avez quelques questions sur le processus créatif de la fiction en elle-même, n'hésitez pas !
Je sais que l'interview des personnages de la fiction pourrait peut-être vous plaire, mais puisqu'il s'agit d'une fiction intéractive, en savoir plus sur eux vous spoilerait et pourrait influencer des choix futurs.
Voilà pourquoi je ne propose que les anecdotes du processus créatif.
En outre, mes petites propositions pour la sortie du chapitre 30 ne sont bien entendu pas obligatoires. Si ce genre de mini-event ne vous intéresse pas, libre à vous !
Ou s'il y a autre chose que vous souhaitez voir, libre à vous aussi !
Tout est une question de choix, comme d'habitude. B)
Revenons à nos crylasms : pour ce chapitre-ci et comme vous allez pouvoir le constater : deux des trois thèmes que vous avez choisis précédemment ne sont pas encore abordés. C'est tout à fait normal car trop d'infos tue l'infos et vous allez déjà digérer ce que vous allez apprendre dans ce chapitre.
Néanmoins ne vous inquiétez pas : ça ne change rien aux effets direct de vos choix sur Candice Milliget. Quand les deux autres thèmes seront abordés, soit vous ça va passer en serrant les fesses, soit vous allez récolter une soufflante et plus si affinités.
Voilà. Bisous. <3
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 29 - Chers Ancêtres
RP June : première rencontre avec le docteur Armel Rozenn Gamm
En entrant dans la salle d’entraînement, June s’assure qu’Helouri la suit toujours. Il a un peu la tête ailleurs, et elle se demande s’il songe encore à ses révisions. Il a accepté de l’accompagner, mais elle sait combien ça lui coûte. Le morgan marche d'un pas tranquille, derrière elle, alors elle s’avance en jetant un œil aux gardiens présents.
Son entraînement a été décalé d’une semaine, car Rose est toujours en repos. Bien sûr, sa première réaction a été la déception, car elle adore apprendre et s’entraîner avec lui est devenu un moment agréable. Elle a appris à composer avec le Second au caractère secret, après tout.
Et puis elle s’est un peu inquiétée, aussi. Quand elle arrive dans la salle d'entraînement, elle aperçoit le Chef de la Garde l'Ombre en train de discuter avec celui de l'Obsidenne.
June jette un regard circonspect à Nevra Mircalla, et se demande s’il sait comment va Rose, avant de se traiter d’idiote. Il sait évidemment comment se porte son Second. Elle sait aussi qu’il serait malvenu de le lui demander, et elle songe qu’elle se renseignera d’elle-même. Peut-être auprès de Chrome, il sait peut-être quelque chose.
Elle ne manque cependant pas de saluer les deux capitaines. Ils lui jettent à peine un regard, trop occupé à discuter à voix basse. La jeune femme capte quelques mots, et comprend vaguement qu’ils parlent de l’enquête actuelle sur le tap, et d’y adjoindre des forces obsidiennes, mais malgré sa curiosité qui hurle pour en savoir plus, elle entraîne Helouri jusqu’à un mur pour s’y adosser.
Discrètement, elle lui désigne Chrome et adresse un sourire au morgan.
« C’est lui, murmure-t-elle. Tu vas voir, on dirait pas comme ça, mais il est super sympa. »
Helouri regarde le gardien qu'elle lui désigne et observe un jeune loup-garou en train de manier des dagues face à un lamia arborant une énorme hache. Visiblement, la vivacité du premier est un bon entraînement face à la force du second.
Aux premiers abords, le loup-garou ressemble à tous les gardiens de l'Ombre qu'il a pu croiser : débordants d'assurances pour certains et fiers d'appartenir à la Garde du Mircalla.
Mais le dénommé Chrome, selon June, a l'air sympathique.
Helouri focalise son esprit sur le moment présent. La rencontre avec le médecin qui aura lieu est importante pour sa grande sœur, alors il ne peut pas se laisser happer par la culpabilité.
Il arbore un doux sourire, balaye la fatigue, la pression qui veut le voir confiné dans sa chambre à étudier jusqu'à ce que son esprit en saigne, puis regarde l'entraînement s'achever.
Il remarque que June connaît quelques gardiens de l'Ombre. Une sirène à l'air revêche, armée d'un trident la salue d'un ton désinvolte, une faelienne aux boucles cuivrées lui adresse un signe de tête poli alors que son binôme, un obsidien à la large carrure, semble épuisé de sa session d'entraînement. Il marmonne que Cornélia finira par le tuer.
Plus loin, les Chefs de l'Ombre et de l'Obsidienne poursuivent leur conversation et enfin, Chrome trottine jusqu'à June et Helouri.
Les mains sur les genoux, il souffle un bon coup et se redresse :
« Salut ! Je savais pas si t'allais venir vu que t'as pas d'entraînement cette semaine. Mais du coup ça veut dire que t'as réfléchi ? Tu verras, Armel, c'est quelqu'un de bien. »
Puis, remarquant Helouri, il ajoute :
« T'es le fils de Joseph, je suppose ? Tu ressembles à ton père. Enfin les cheveux surtout, pas la carrure, vu que t'es plus… Que t'es pas… »
Helouri marmonne qu'il se sait plus petit et plus maigre que son père et adresse un sourire forcé à Chrome qui répond, sur le même ton, qu'il ne voulait pas l'embarasser. Mais le loup-garou se reprend, passe une main gênée dans ses cheveux en batailles et s'exclame :
« T'es prête, June ? »
Elle résiste très fort à l’envie de lui tirer les oreilles, et lui fait comprendre d’un regard sombre qu’il n’a pas intérêt à remettre le sujet sur le tapis. Avec une fausse nonchalance, June passe un bras autour des épaules d’Helouri, puis argue qu’elle est la preuve vivante qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
« L’important, c’est pas d’être musclé, souffle-t-elle par le nez. C’est d’être suffisamment rapide pour tacler l’autre avant qu’il sorte son arme ! »
Un nouveau regard en direction de Chrome, puis elle répond qu’elle est prête et qu’ils peuvent y aller.
Le loup-garou se met immédiatement en route et leur petit groupe prend la direction de l'hôpital du Quartier Général. Chrome explique à June qu'ils vont aller dans l'aile universitaire, dédiée aux apprentis médecins, car c'est ici qu'Armel a son bureau.
« Tu verras, il est très gentil ! D'ailleurs, c'est un orc qui a été élevé par des morgans, à Amzer. Tu le connais peut-être, Helouri ? »
Le jeune morgan sent que Chrome essaye de rattraper sa bévue et il lui adresse un doux sourire. Le gardien de l'Ombre est peut-être un petit peu gauche, mais pas moins gentil et Helouri est vraiment content que June ait pu rencontrer quelqu'un qui vit les mêmes difficultés qu'elle. Elle n'aime pas beaucoup parler de ses soucis de lecture, mais le morgan sait pertinemment qu'ils la complexent et que c'est une bonne chose que le Second de l'Ombre ait mis le doigt dessus.
Il secoue la tête :
« Non. Désolé, je ne suis pas né à Amzer, alors je connais très peu de personnes de ce village.
- Ah bon ? Parce que ton père avait l'air de le connaître.
- Mon père connaît beaucoup de monde. »
Chrome attend la suite de sa réponse qui ne vient pas. Perplexe, il se contente de hausser les épaules, grimace, puis change de sujet en s'adressant à June :
« Apparemment, le Second devrait revenir d'ici la semaine prochaine. Il t'as envoyé un mot pour le prochain entraînement ? »
June hoche la tête, et décoche une petite pichenette sur le front de Chrome en lui adressant un sourire amusé.
« Oui, il a dû se dire que ce serait plus sûr de m’envoyer ça par écrit. » ironise-t-elle.
Son regard indulgent adoucit la moquerie dans sa voix. Elle fait la moue puis triture une de ses mèches, les sourcils froncés.
« D’ailleurs, tu sais s’il va mieux ? Il m’a fait peur l’autre fois, j’ai cru qu’il allait s’évanouir au milieu de la salle ! »
Chrome passe une main embarrassée dans ses cheveux. Il hésite, jette un regard à Helouri puis songe que le morgan n'est certainement pas le genre de personne à aller répéter tout ce qu'il entend. Quand ce dernier s'intéresse subitement aux murs crèmes de l'hôpital, Chrome se retourne vers June et lui chuchote à voix basse :
« J'ai entendu ton Chef de Garde raconter ça à Joseph. Il a raccompagné le Second jusqu'à son appartement pour être sûr que tout irait bien, mais il est pas entré. Par contre, il a été prévenir le Chef Mircalla et quand ils sont revenus, le Second Clarimonde avait du mal à respirer et tremblait beaucoup. »
Finalement, Rose Clarimonde est actuellement en salle de repos et son état de santé à fait beaucoup parler de lui. Certains gardiens ne se sont pas gêné pour railler qu'il n'avait pas sa place en tant que Second et d'autres, que c'est parce qu'il s'acharnait sur l'enquête du tap, quitte à s'épuiser, qu'elle pouvait avancer. Chrome était plutôt d'accord avec eux.
« Tout ce que je sais, c'est que Nevra Mircalla n'était pas content et l'a obligé à entrer en salle de repos. Ça a été difficile, mais il lui a pas laissé le choix et je pense qu'il a raison. Comme toi, t'as eu raison de dire au Chef Batatume que ça allait pas. »
June écarquille les yeux. Elle ne pensait pas que ça allait si mal, et si elle a passé plusieurs jours à ressasser sa décision, elle décide aujourd’hui que Chrome a raison, et qu’elle a bien fait. A son tour, elle baisse la voix, l'inquiétude brillant dans ses prunelles.
« Il faut qu’il fasse attention… Le Chef Mircalla a bien fait de l’obliger à se reposer ! Ça sert à rien de travailler quand on est épuisé, et c’est même dangereux… J’espère qu’il va aller mieux. »
Rose n’est ni son ami, ni son collègue, et il reste un simple camarade d’entraînement en plus d’être son supérieur, mais la jeune femme ne peut pas s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour le vampire. A leur prochain entraînement, elle s’assurera de ne pas l’épuiser en s’agitant dans tous les sens, elle s’en fait la promesse.
Chrome lui adresse un pauvre sourire et leur sujet de conversation dévie quand ils arrivent au sein de l'aile universitaire, dans l'hôpital du Quartier Général.
Les couloirs s'enchaînent, offrant des bureaux, des salles d'examens et de services indiqués par des numéros. Visiblement, les jeunes médecins et étudiants en dernière année peuvent travailler leurs sujets d'études et effectuer leurs recherches dans un cadre propice à leurs réflexions.
« Le bureau d'Armel se trouve tout au fond, à côté de la plante, explique Chrome, si tu reviens, tu pourras jamais te tromper car c'est le cent vingt-deux. Et en plus il a accroché un coquillage sur sa porte. »
À en juger par l'aspect de ladite porte, Armel porte le peuple qui l'a élevé dans son cœur et partage l'amour des morgans pour l'océan. Son bureau a presque l'air d'une bulle apaisante rescapée au beau milieu d'une mer de jeunes médecins qui se sont fixés pour objectifs de percer les secrets des maladies de l'esprit. Chrome, June et Helouri en ont croisé beaucoup sur leur chemin.
Sans compter les quelques petits groupes qui veulent démontrer les effets néfastes du tap avec plus de précision et trouver un moyen de délivrer les personnes sous son emprise.
De lourds et difficiles travaux et puis, au bout du couloir, Armel. Armel Rozenn Gamm, de son nom complet, qui s'intéresse aux troubles de la communication.
Chrome lève le poing pour toquer à sa porte et quand il est invité à entrer, June peut mettre un visage sur le nom d'Armel.
Un orc d'une trentaine d'années, mais qui ne possède pas les traits bruts de son espèce. Il est beaucoup moins impressionnant que la Capitaine et même de ses congénères. Sa carrure est moins marquée, sous sa longue robe d'un vert de jade et ses longs cheveux bruns coulent paisiblement dans son dos. Son visage exprime gentillesse et bienveillance et même ses crocs saillants n'arrivent pas à le rendre sauvage ou inquiétant.
Une aura chaleureuse entoure Armel et quand il aperçoit le jeune loup-garous accompagné de June et d'Helouri, il les salue d'une voix très douce :
« Ah, Chrome ! Comment vas-tu, mon jeune ami ?
- Ça va, sourit le loup-garou, je fais bien mes exercices. Mais je suis pas là pour moi, aujourd'hui.
- Je vois, nous avons un ami morgan - que l'océan vous bénisse - et une jeune demoiselle. Entrez donc et installez-vous ! »
Helouri ouvre de grands yeux, mais se sent plus détendu. Le jeune médecin est très gentil et il sait mettre ses invités à l'aise. Il commence à tordre ses doigts, mais répond avec un léger sourire :
« Je ne connais pas très bien les formules d'Amzer, mais que les flots vous apportent la paix. »
June marmonne qu’elle est aussi bonne en politesse que pour écrire son prénom, puis elle s’avance timidement vers le médecin. Ses mains parcourent sa tunique, accrochent le tissu, courent jusqu’à ses mèches cendrées avant de venir s’échouer contre ses hanches en une misérable tentative pour canaliser son agitation.
« Bonjour, monsieur, enfin docteur, ou… »
Elle agite de nouveau les doigts, puis ses lèvres se crispent en un sourire fuyant.
« Je sais pas trop comment vous voulez qu’on vous appelle, continue-t-elle. Je… Je suis June, gardienne de l’Obsidienne, et voilà… Je… Je m’entraîne avec le Second Clarimonde, et il m’a dit qu’il savait que j’avais des problèmes pour lire et écrire, alors il a parlé de moi à Chrome qui est venu me voir pour me parler de vous, alors je suis venue parce qu'apparemment vous pouvez peut-être m’aider… »
Elle n’arrive pas à s’arrêter de parler, comme toujours quand elle est mal à l’aise, et elle sait qu’elle assomme Armel avec son histoire. Mais elle n’y peut rien, elle ne peut pas canaliser ses mains et se concentrer sur ce qu’elle dit en même temps, alors elle continue de parler jusqu’à ce que sa voix s’éteigne d’elle-même tandis que ses doigts tirent sur le tissu à manquer de le déchirer.
Le jeune médecin lève les deux mains, avant de désigner un siège, puis se met à parler d'une voix modulée :
« Tout d'abord, je vous invite à vous asseoir, June et ensuite vous allez pouvoir me parler de votre problème. »
Il fait également signe à Helouri et lorsque tout le monde est installé, un silence embarrassant contamine l'atmosphère. Le morgan, June et Chrome s'échangent des regards, mais personne ne prend la parole.
Finalement et après quelques hésitations, Helouri prend une inspiration et s'exécute :
« En… En fait, June a toujours eu des difficultés pour lire et écrire. Elle dit que les lettres se mélangent pour former une sorte de bouillie et qu'elle n'arrive pas du tout à les reconnaître. Elle fait des efforts, elle essaye de faire des lignes, mais ça ne fonctionne pas et c'est un sujet qui la rend très triste. C'est pourquoi, quand le Second de la Garde de l'Ombre, avec qui elle s'entraîne, lui a proposé de rencontrer une personne qui a les mêmes difficultés qu'elle, elle a accepté. Et Chrome lui a parlé de vous.
- Tu parles bien, en fait. » constate ce dernier en haussant les sourcils.
Le teint d'Helouri se met à rosir quand Chrome explique à Armel qui n'était pas très bavard durant le trajet. Mais le jeune morgan tente de l'ignorer pour demander à June s'il a bien résumé la situation.
La jeune femme se retient à nouveau de gratifier Chrome d’une nouvelle tape entre les oreilles, et note dans un coin de sa tête de discuter avec le gardien de sa manière de mettre les pieds dans le plat. Machinalement, elle attrape la main d’Helouri et inspire longuement.
« Oui, c’est ça, répond-elle. Et c’est ennuyant, parce que c’est Lou qui est obligé de prendre sur son temps pour écrire mes rapports… au départ, je demandais aux autres de l’Obsidienne, mais certains se moquaient alors j’ai arrêté. C’est pénible, parce que j’aimerais bien pouvoir le faire toute seule, et puis même s’il me le dit pas, ça prend sur son temps parce que c’est long…»
Elle gratte une poussière imaginaire sur son poignet, puis redresse la tête pour regarder Armel. Ses doigts serrent un peu plus fort ceux de son frère, comme pour se donner du courage.
« Chrome m’a dit que vous faisiez des exercices, et que ça l’aidait. Alors, je voulais… enfin, si vous êtes d’accord, je voulais vous demander de m’aider aussi… S’il-vous-plaît… »
Armel plisse les yeux alors qu'un sourire très doux se peint sur son visage. Il soulève quelques dossiers, déplace des papiers et enfin, met la main sur ce qu'il cherche : un cahier et une pochette en tissu garnie de dessins.
Posant tout ceci face à June, il s'explique :
« Tout d'abord, laissez-moi vous parler de mes travaux : je suis docteur et je souhaite me spécialiser dans les troubles de la communication qui sont encore méconnus aujourd'hui. Grâce à des personnes comme Chrome et comme toi, je peux tester plusieurs méthodes et progresser dans mes recherches. C'est pourquoi je vous demande un petit peu de votre temps contre le mien, si vous le voulez bien. »
Helouri l'écoute attentivement. Il est captivé par ce médecin qui incarne tout ce qu'il voudrait devenir : altruiste, extrêmement gentil avec autrui et désireux de venir en aide aux autres.
Observant le cahier et les images, il pense savoir ce qu'Armel a mis en place et la réponse lui vient :
« Si tu me permets de parler de nos sessions Chrome, je teste l'assimilation des images pour le moment. C'est-à-dire que j'essaye de vous transmettre le traçage des lettres comme si vous étiez en train de dessiner. Mes recherches actuelles me poussent à penser que l'aspect et l'idée même de l'écriture et de la lecture vous rebutent. Mais si nous essayons de faire passer ces activités pour une forme d'art, peut-être que le dégoût et la difficulté pourront disparaître. Ça fonctionne bien pour Chrome, en tout cas.
- Je confirme, approuve ce dernier, depuis que je me dis que je dessine, ça va mieux. J'arrive à écrire des mots et à en reconnaître d'autres. »
Armel explique ses exercices avec enthousiasme : associer la reconnaissance de mots simples grâce à des images et réapprendre le tracé des lettres tout en remplaçant la difficulté et le dégoût de cette activité par un biais artistique.
« Je propose des séances deux fois par semaine, achève Armel, si vous aimez travailler en groupe, vous pouvez venir à celles de Chrome sans quoi, je peux aussi vous proposer du temps individuel. Ces sessions se déroulent à l'extérieur car pour ma part, je pense que c'est beaucoup plus agréable de travailler dehors, sous le cerisier centenaire ou bien en profitant du port. Qu'en pensez-vous, June ? »
Un sourire s’est dessiné sur le visage de la jeune femme. Elle adresse un regard furtif à Helouri, qui peut y lire le soulagement de ne pas être pris pour une idiote. Elle songe aussi qu’un jour, le morgan parviendra à être un médecin aussi gentil qu’Armel.
« Ce serait vraiment bien, acquiesce-t-elle. J’ai rien contre le fait de travailler en groupe, mais c’est aussi à Chrome de voir, je veux pas m’imposer. »
Elle se tourne vers le gardien en lui signifiant que s’il préfère travailler seul, elle comprend, puis ajoute qu’elle apprécie aussi l’extérieur. Sans murs autour d’elle, il lui est plus facile de se concentrer. Et puis, le dessin, ça la connaît. Elle a vraiment bien fait d’accepter la proposition de Rose Clarimonde, et il faudra qu’elle le remercie, une fois qu’il se sera remis.
« Moi je suis d'accord ! sourit Chrome, en plus je suis sûr qu'à deux on pourra s'aider et trouver des méthodes, non ?
- Au contraire, approuve Armel, c'est là le cœur de mes recherches : apprendre à développer des méthodes qui permettent à des personnes comme vous de pouvoir lire et écrire.
- Est-ce que… »
Le médecin et Chrome se tournent vers Helouri qui se ramasse sur lui-même, avant de repousser son malaise pour poser sa question. Armel jugera si elle est idiote.
Le jeune morgan se redresse et partage sa réflexion :
« June dessine beaucoup et je me demandais si elle pourrait remplir un carnet à dessin. Si elle se fait ses propres mots avec des images, si elle représente ce qu'elle voit et qu'elle fait des liens avec le traçage des lettres, je suis sûre qu'elle pourra progresser. Je… Je ne suis pas en train de dire que vos images ne sont pas bonnes seulement… June est déjà une artiste alors… »
Il hausse les épaules et adresse un sourire timide à sa grande sœur. Elle hoche la tête, très enthousiaste, et confirme qu’elle dessine beaucoup sur son temps libre, et que s’il est d’accord, elle pourrait se servir du carnet comme livre de progression.
« Et puis comme ça, je m’entraînerai un peu tout le temps, réfléchit-elle. Vous pensez que ça peut rentrer dans vos recherches ?
- Je pense que tant que vous vous sentez à l'aise avec vos propres dessins, c'est parfait. »
C'est tout ce qui compte. À présent, Armel attrappe un petit carnet et parcourir les pages tout en se parlant à lui-même :
« Chrome nous devions nous revoir dans… Trois jours, non ?
- C'est ça ! On devait aller sur le port car les Mircalla autorisent les visites de leur voilier ! »
L'orc hoche la tête, se rappelant de cette information.
« Eh bien si ça vous convient, June on peut se revoir dans trois jours, avec Chrome, en début d'après-midi. On va tenter une première séance et après, nous irons faire un tour sur le voilier des Mircalla. Il y a beaucoup de choses, sur un bateau, qui pourront nous rappeler les lettres de l'alphabet que nous verrons. Qu'en dites-vous ? »
Elle hoche la tête avec un enthousiasme énergique. Elle sourit à Armel, qui lui laisse sa chance, à Chrome, qui accepte de travailler avec elle, et à Helouri qui la soutient contre vents et marées. Et pour une fois, ses mains se sont calmées, et reposent sagement sur ses genoux.
« Merci, docteur ! »
Elle a hâte de commencer.
Enquête de Fawkes numéro 3 : fouille de l'appartement de Rose Clarimonde
Fawkes réussit à se défaire du verrou. Sous ses yeux, la porte de l'appartement de Rose se dresse comme un rempart. Le renard-garou à un frisson. Ses entrailles se tordent et toutes ses pensées sont tournées vers ce qu'il s'apprête à faire.
C'est sa mission pourtant, elle lui donne un goût acide dans la bouche. Il va pénétrer dans l'intimité de son binôme et il a peur. Peur de ce qu'il va découvrir.
Jamais Fawkes n'a autant souhaité pouvoir échouer. Il veut revenir bredouille vers Titan, il ne veut rien apprendre de compromettant sur Rose et il veut affirmer à Sexta que ses soupçons sont infondés.
Le renard-garou prend une grande inspiration puis, résigné, pousse le battant de la porte.
Un pied sur le plancher et il franchit la limite. Sous ses yeux, l'appartement de Rose est aussi guindé que sa personne : chaque chose est à sa place et le désordre est inexistant. La simplicité des lieux n'autorise aucune fantaisie, si ce ne sont les plantes, alignées sur le rebord d'une fenêtre. En s'approchant, Fawkes constate qu'elle donne sur le jardin des quartiers de l'Ombre. Un lieu mis à disposition pour les inspecteurs et gardiens qui veulent s'aérer l'esprit, sûrement.
Le salon de Rose quant à lui, ne contient qu'une table assez modeste et quatre chaises. Plus loin, deux fauteuils côtoient une grande bibliothèque garnie de livres et à côté, un bureau avec des petits coffres destinés à ranger le courrier, si l'on se fie au coupe-papier posé à côté de son étui. Il y a aussi des rapports parfaitement empilés et le titre mentionne la fameuse mission liée au tap.
La cuisine, elle, est petite et ne contient que le strict nécessaire. Tout est nettoyé de manière impeccable.
Plus loin, une porte ouverte laisse entrevoir un lit ainsi qu'une table de chevet. En s'approchant, Fawkes constate que la salle de bain se situe au sein de la chambre à coucher et quand il y passe la tête, une odeur de sang lui attrappe les narines, ainsi que celle de la sueur.
Quand il observe plus attentivement la pièce, il constate une commode qui ne comporte aucun bibelot, hormis un petit vase contenant des fleurs séchées et quelques paniers en rotin alignés les uns à côté des autres, qui ont l'air de contenir des feuilles de parchemins ainsi que du matériel d'écriture.
Le renard-garou s'approche de la commode et se met à fouiller les tiroirs. Le premier ne possède que plusieurs exemplaires de son uniforme avec quelques habits ordinaires, le second, ses sous-vêtements et le dernier quant à lui, des habits abîmés. Quand Fawkes attrape un haut et le déplie sous ses yeux, il remarque des entailles au niveau des manches et du dos, comme si Rose avait reçu des coups de poignard. Il fronce les sourcils. La disposition des entailles est sans équivoque pour Fawkes. Pas de déchirures sur le torse, rien de frontal. Le vêtement de Rose ne confirme pas une possible hypothèse d’affrontement, au contraire. Aurait-il été attaqué par derrière ? Impossible, le vampire a des réflexes bien assez vifs pour ne pas se laisser surprendre de la sorte. Aux yeux de Fawkes, cela ne peut vouloir dire qu’une chose. Le vampire a été maintenu et tailladé. Pas griffé, entaillé. La coupure nette du vêtement ne ment pas, sous les doigts du renard. C’est une lame qui est à l’origine de ça.
« Rose… bon sang, qu’est-ce qu’il t’es arrivé ? » souffle-t-il.
Le renard-garou replie le vêtement comme il l'était et le range à sa place. Quand il regarde les autres habits, il constate qu'ils sont tous dans le même état. Inquiet, il repousse le tiroir et poursuit son inspection. Hormis ce détail, le reste des affaires sont ordinaires.
Il pousse un soupire et reporte son attention sur les paniers. Ils sont au nombre de trois.
Le premier semble contenir des parchemins, le second, du matériel d'écriture comme des plumes et des encriers et le troisième… Fawkes plisse les yeux. Ce panier-là est fermé grâce à un cordon et rien n'en dépasse.
Le renard-garou reporte son attention sur le premier panier et en tire une pile de parchemins. Surpris, il découvre que la plupart d'entre eux sont vierges et s'apprête à les remettre à leur place, quand les dernières feuilles attirent son attention. Elles n'ont pas la même couleur et semblent assez vieilles. Les bords sont abimés, mais ce qui appelle le regard de Fawkes, ce sont les dessins. Tracés de manière maladroite, comme ceux d'un enfant, ils représentent une femme aux longs cheveux assise sur un banc. Elle ressemble à une elfe ou une vampire. Un large sourire fend sa figure en deux et le dessin est couvert de petits points. De la neige, peut-être. Près de la femme, il y a une balançoire avec, à ses pieds, un sac, des livres et ce qui ressemble à une musarose.
Fawkes ne sait pas de qui il s’agit. Ce dessin a l’air de dater et si le renard peut supposer que c’est un dessin qu’on a offert à Rose, par un petit du refuge par exemple, bien que peu probable, alors le vampire ne l’aurait pas rangé sous une pile de parchemin. Et il n’aurait pas l’air si vieux. Non, lui est avis que le dessin provient du passé de Rose. Mais pour ce qui est de déterminer l’identité de cette femme… sa mère ? Une sœur ? Le renard glisse son doigt sur le papier, repasse par-dessus les petits points. Les petits tas blancs dans lesquels sont enfoncés sac et livres étayent l’hypothèse de la neige. Fawkes retourne le parchemin, il y a peut-être une date, un nom, quelque chose.
Mais il n'y a rien du tout. C'est un dessin tout ce qu'il y a de plus ordinaire, si ce n'est la couleur passée du papier. Il range l'ensemble des parchemins tels qu'ils étaient mis et rive son regard sur le dernier panier.
Fermé par un cordon, rien n'en dépasse. Il le défait délicatement, soulève le couvercle et regarde ce qu'il y a un l'intérieur. Des carnets.
Il les attrappe et en compte une dizaine. Comme le dessin d'avant, ils sont vieux et quand Fawkes jette un œil à leur contenu, il se confronte à des travaux d'écriture. Des lettres, des lignes de lettres, des mots écrits et répétés… Puis à la page de garde, ceci : "École Élémentaire Saint Geriel, Rhenia-Gaear, 467".
À l'intérieur des autres carnets, il y a des exercices de mathématiques, de l'Histoire, des réponses qui laissent penser à des fiches de lecture… Il y a des corrections, aussi, à l'encre rouge. D'après ce que lit Fawkes, il se trouve face aux devoirs d'un écolier exemplaire.
467, si les calculs de Fawkes sont bons, Rose avait alors six ans. Cela correspondrait à une scolarité dont résulteraient ces carnets. Mais il ne savait pas que Rose avait vécu à Rhenia Gaear. La question qui se soulève pour Fawkes est “pourquoi garde-t-il ses carnets d’école ?”
Le renard est perplexe, intrigué. En soit, le dessin et ces cahiers sont plutôt banals, sans grande importance, mais la façon dont Rose s’assure de les cacher lui indique le contraire. Il laisse ça de côté pour l’instant, il ne peut que spéculer, mais retient ce qu’il a trouvé. Les vêtements abîmés sont, à son sens, plus parlants et dénotent une situation plus urgente, plus sensible.
Fawkes remet les carnets à leur place et referme le panier en prenant soin de nouer le cordon tel qu'il l'était. Par acquis de conscience, le renard-garou s'intéresse aux plumes et encriers du second panier. Il les attrape, les renifle, observe le matériel d'écriture, mais ne trouve rien de suspect. Puis il s'intéresse au vase avec les fleurs séchées.
D'instinct, il vérifie le contenu de ce dernier et lorsqu'il y plonge la main, sa peau frôle un morceau de papier. Surpris, il le coince entre ses doigts et le tire : il s'agit d'un petit morceau de parchemin plié en quatre. Il date aussi.
Fawkes s'impatiente et s'empresse de lire les lignes écrites :
Prière pour les Dieux de la Frontière
Tombe la neige et vibrent les ailes,
Si la saleté tu laisse traîner, les Dieux voraces viendront te châtier,
Obéissance et respect tu dois aux éducateurs,
Car en récompense tu auras santé et intelligence.
Obéis. Nettoie. Apprend. Respecte.
Et pour le sang qui coule et le mal qui ronge, les Dieux viendront te soigner.
Une note est ajoutée en bas de la page : maman.
Fawkes ne comprend plus rien. Ces “Dieux de la Frontière”, ce sont les fées, ça, c’est évident. La note en bas de page lui confirme quelque part que le dessin représente la mère de Rose. Il a bien vécu à Rhenia Gaear. Il a grandi dans un monde où les Milliget sont des Dieux, il a appris à les craindre, peut-être à les vénérer. Rose est-il toujours un fervent disciple de ce culte ? Il garde peut-être cette prière en souvenir de sa mère. Pourtant, il reconnaît l’écriture de Rose. Pas sur la prière, mais seulement pour la note. Si c’est la mère de Rose qui a rédigé la prière, c’est Rose qui l’a “signée” de “Maman”. Fawkes est perplexe et relit encore les mots. Il cherche à trouver un sens caché derrière, à découvrir où se positionne Rose par rapport à tout ça, mais rien ne lui est révélé.
Alors il replie soigneusement le petit papier, et le redispose dans le vase, exactement comme il était, avant d’arranger les fleurs et de s'assurer que tout est précisément comme avant.
Le renard-garou se retourne et avise la chambre. La table de chevet est un bon endroit pour cacher des choses, mais le matelas aussi. Il se dirige vers ce dernier pour le soulever, l'inspecter, regarder sous le lit, mais rien n'attire son attention. Tout est propre et pas un seul crylasm de poussière ne vient salir le plancher.
Fawkes repose le matelas et prend soin de bien tendre les draps et de refaire le lit comme c'était. Ensuite, il s'attaque à la table de chevet.
Simple, elle n'offre qu'une lampe à huile, un carnet ouvert servant visiblement d'aide-mémoire pour les choses à faire dans la journée et d'un tiroir que le renard-garou s'empresse d'ouvrir pour ne rien trouver.
Fawkes décide de marcher dans la pièce pour tester les lattes tout en parcourant les murs et le plafond afin de trouver quelque chose de suspect. Alors qu'il pose le pied sur le sol, non loin de la salle de bain, ça sonne creux.
Intrigué, il s'abaisse pour fouiller, retire la latte et ce qu'il trouve dans le trou, c'est un sac de jute. Un sac rempli de pièces d'or et à vue de nez, il y en a pour une petite fortune.
Un Second de l'Ombre ne pourrait pas posséder autant d'argent même avec sa position.
Fawkes est choqué et ne sait pas comment interpréter ça. D’où vient tout cet or ? A quelle fin ? Il essaye de se convaincre que ce sont juste les économies de toute une vie, peut-être même un héritage. En soulevant le sac pour vérifier s’il n’y a pas autre chose au fond du trou, le renard trouve un grand parchemin plié en trois. “Paiements mensuels” est inscrit de la main de Rose en titre. Et en dessous, un tableau récapitulatif des sommes versées. Rose se déleste de quatre-milles pièces d’or chaque fois. Au moins, l’éventualité qu’il perçoit un pot de vin est écartée et Fawkes est soulagé. Mais il s’interroge sur ce que peut bien acheter Rose. Peut-être que le sang de familier ne lui suffit pas et qu’il est dans l’obligation de se fournir en sang humain. Ça l'inquiète. En connaissant l’état très récent de son binôme, Fawkes est d’autant plus anxieux… Il devrait vraiment tirer ça au clair. Cela dit, l’odeur qui vient de la salle de bain tend à lui faire choisir l’hypothèse d’un achat de sang.
Fawkes replace le sac en jute dans le trou, juste sur le document à nouveau plié en trois. Il remet la latte du parquet et se dirige vers la salle de bain.
Elle est assez petite et comporte une baignoire avec du linge de toilette soigneusement plié, des savons et autres ustensiles. Mais ce qui attire l'attention, c'est un bac en bois qui est la panière de linge sale. Il se fige et écarquille les yeux.
Il y a des serviettes trop rouges à son goût. Le renard-garou se précipite pour les examiner et il est formel : des blessures ont été nettoyées et le linge est imbibé de sang. Il en trouve trois dans cet état et quand son regard balaye la petite pièce, il tombe sur une poubelle dans laquelle il trouve des bandages trop rouges, aussi. Ça fait bien écho aux vêtements lacérés pour qu’il n’y songe pas. Il a encore été blessé, tailladé. Et il garde ça secret, n’en dit rien. De qui subit-il une pression pour garder le silence ? Est-ce qui lui vaut cet argent qu’il cache dans son plancher pour s’acheter du sang humain ? Des hypothèses, des suppositions, des spéculations. C’est là tout ce que possède Fawkes. Ne subsistent pour l’instant que deux informations principales : rien n’incrimine Rose par rapport aux Cartel ; Rose est en danger. Son intégrité physique, en tout cas, est en danger et même s’ils ne sont que des collègues, Fawkes s’inquiète vraiment pour lui.
Tendu, il regagne le salon et avise le décor. Sa décision est prise : il se dirige vers le bureau et fouille minutieusement son contenu. Il y a des petits coffres, un coupe-papier dans son étui, des rapports sur l'enquête du tap et tout ce qui à trait à l'administration que Rose doit gérer tous les jours.
Fawkes lève le couvercle du coffre et passe en revue les lettres qui s'y trouvent. Que des courriers professionnels sur des enquêtes, des convocations à des réunions… Rien de suspect.
Il survole le rapport, mais ne s'y attarde pas car ça ne concerne pas le cartel. Ensuite, il attrape le coupe-papier d'un geste machinal en se dirigeant vers la bibliothèque pour observer les livres.
La plupart d'entre eux sont des textes de lois, des manuels sur les plantes alchimiques servant à concocter des poisons, et même quelques livres en rapport avec la médecine. Fawkes note qu'ils sont surtout spécialisés sur les recherches des maladies de l'esprit.
Il y a aussi quelques œuvres humaines assez anciennes et quand le renard-garou observe les noms des auteurs, il lit Maupassant, Victor Hugo, Molière… puis il découvre des recueils de poésie puis d'autres livres avec de belles reliures. Il y en a un qui arbore une rose sur sa tranche.
Une rose. Une rose. Il ne sait pas pourquoi, mais ce mot résonne dans son esprit et ce n’est pas parce que c’est le prénom de son binôme. Il voit un ensemble de mots sous sa paupière, qu’il a lu, alors qu’il était ici-même, à Eel. Dans les livres qu’il avait emprunté à la bibliothèque. “Chair des Roses”. Fawkes glisse le doigt sur la tranche pour sortir l’ouvrage du rayonnage.
Quand il le parcourt, il y trouve un roman tout à fait banal. En lisant en diagonal, il découvre l'histoire d'une femme ayant perdu la vie qui s'éprend d'un être humain, depuis son cerceuil et décide de revenir d'entre les morts pour l'aimer. Pour garder sa beauté, elle se nourrit de sang.
Mais à la fin de l'ouvrage, la fin de l'histoire comporte plusieurs pages arrachées, remplacées par un petit paquet de lettres.
Fawkes s'en saisit et lit la première :
Institut des Maladies de l'Esprit d'Odrialc'h
Le 7 midag 482,
Monsieur Clarimonde,
Vous trouverez ci-joint la facture à régler pour le mois de techav concernant la patiente : Théodora Clarimonde.
Le montant s'élève à 3782 pièces d'or pour les soins suivants :
➜ Location et entretien de la chambre.
➜ Trois repas par jour et une collation pour l'après-midi.
➜ Achats de vêtements selon votre demande.
➜ Promenades en ville accompagnée d'un soignant.
➜ Soins expérimentaux et recherches en cours de validation par les Maîtres de la Médecine.
Maladie soupçonnée concernant la patiente : accoutumance sévère au tap sur une longue période + intoxication causant des troubles de la mémoire et une régression comportementale.
Merci de nous faire parvenir la somme demandée dans un délai de quinze jours,
Cordialement,
Docteur Chrysanthème Mircalla
Si l’histoire du roman est intéressante, les lettres qui le clôturent le sont d’autant plus. Fawkes comprend soudainement la présence des livres sur les maladies de l’esprit sur les étagères. Cette Théodora doit être la mère de Rose et il s’occupe d’elle. Par contre, le renard constate qu’elle est un cobaye pour les fées, ces “Maîtres de la Médecine”... Comment Rose peut-il confier sa mère aux fées ? Mais considérant cette prière qu’il a trouvé dans le vase, le renard devine que Rose se fie toujours à ces Dieux de la Frontières. Qu’importe tous les noms qu’on leur donne, Fawkes ne voit que ces bouchers infâmes qui ont traumatisé Fuya.
Les mots qui suivent font froncer les sourcils roux sur le front du jeune traqueur. “Accoutumance au tap”. Un regard vers le bureau s’accroche au rapport de mission sur le tap. Voilà pourquoi Rose prend cette mission particulièrement à cœur. Mais ce qui surprend d’autant plus Fawkes, c’est le nom du docteur. Mircalla… Ça fait beaucoup. En tout cas, si Rose doit subvenir aux besoins de sa mère, en plus de ses propres dépenses, il s’allège d’environ huit milles pièces d’or chaque fois. C’est énorme. Comment parvient-il à réunir tout cette somme ?!
Fawkes range le livre, avec ses lettres dedans et retourne poser le coupe papier où il se trouvait, dans la position où il l’a pris. Beaucoup d’informations. Fawkes s’est immiscé dans la vie privée de Rose, il a fouiné, fouillé, mais il n’a rien trouvé qui remette en cause sa loyauté au Cartel. Ça c’est une chose, un fait. Il en est rassuré, mais en même temps, il s’inquiète vraiment pour Rose. Le renard fait les cent pas dans la pièce, passe sa main dans ses cheveux, plaquant ses oreilles duveteuses en arrière et sa queue fouette l’air avec nervosité. Il réfléchit à ce qu’il va pouvoir et devoir dire dans son rapport. Mais ce n’est ni le lieu, ni le moment d’y penser. Il balaye la pièce du regard, pour s’assurer de ne rien oublier, de ne rien louper. Il plonge quand même les mains dans les creux des coussins qui ornent les fauteuils, puis il va voir la plante. Après tout, il y avait quelque chose dans le vase, alors on ne sait jamais.
Mais il ne trouve rien. Les plantes ne sont que des plantes et elles n'ont rien de suspect. L'appartement de Rose n'est plus vraiment un secret d'ailleurs, mais il continue. Il passe la main sous la table et les chaises pour s'assurer qu'il n'y a rien et c'est le cas.
Ensuite, il se rend dans la cuisine.
Elle est tout à fait banale, avec un évier pour laver sa vaisselle en bois, puis des étagères arborant de la nourriture. Rose stocke les féculents dans des pots en terre, enveloppe son pain dans des torchons et trie soigneusement sa farine, son sucre, ses céréales dans d'autres pots avec différents symboles floraux. Quand il les observe de près, le renard-garou remarque des tulipes, des jonquilles, des iris, des glycines et un corbeau.
Aussi et dans une petite réserve gardée fraîche grâce à de la glace éternelle, des poches de sang sont rangées dans des cuves en étain. Il y a aussi quelques morceaux de viandes gardés dans du sel et de l'eau dans des cruches.
Un plan de travail offre plusieurs tiroirs et au sein d'un meuble ressemblant à un vaisselier, des verres côtoient des assiettes, mais rien à voir avec le bois disposé près de l'évier : c'est de la porcelaine. Des motifs floraux d'un bleu profond et posés à même le meuble, un coffret d'argenterie.
Curieux, Fawkes s'approche du pot arborant un corbeau prenant son envol. Quand il lève le couvercle, il n'y a pas d'odeur et après un regard, le renard-garou constate qu'il est rempli de riz. Mais, sous le couvercle, quelque chose est accroché.
Une chevalière avec un corbeau. Fawkes l'observe attentivement et quand ses yeux se posent sur l'intérieur de l'anneau, il y a une date : 18 toulab 475.
Toulab 475, c’est à peu près la période à laquelle Rose s’est fait recruter dans la Garde de l’Ombre, même si Fawkes n’en connaît pas la date exacte. Est-ce la chevalière qu’on obtient lors qu’on devient recrue ? Mais à ce compte-là, pourquoi la cacher ? C’est étrange et suspect à ses yeux, même si ça ne semble pas concerner le Cartel. Evidemment, il ne touche pas à cette chevalière et referme le pot pour le ranger à sa place, avant de fouiller les tiroirs.
Hormis quelques torchons et des ustensiles de cuisine, ils n'offrent rien de plus. Fawkes décide donc de s'attaquer au vaisselier et examine chaque tasse, chaque assiette et même la théière. Enfin, il attrape le coffret d'argenterie et l'observe sous toutes les coutures. Les couverts ne lui apportent pas grand-chose mais la petite carte, elle, est intrigante.
Le renard-garou lit les lignes :
Rose,
Un cadeau de mes parents pour votre réussite à l'examen. Je savais que vous y arriverez.
J'espère que vous trouverez les réponses que vous cherchez mais quoi qu'il en soit, votre mère est entre de bonnes mains.
Soyez loyal à la famille et la famille vous aidera. Quand le moment sera venu, j'espère vous accueillir en tant que Mircalla.
Mes félicitations,
Nevra Mircalla
Ajouté par Rose : Je n'appartiens à personne.
Les pupilles de Fawkes s’affinent dans ses yeux. “Soyez loyal à la famille”. Tout se met en place dans la tête de Fawkes. Sa mère, malade, est soignée par les Mircalla. En contrepartie, Rose doit être loyal à la famille de Nevra. Son binôme est coincé en vérité, et la note qu’il a inscrite en bas du mot en est bien la preuve : il n’appartient à personne. Le fait qu’il subisse des sévices, sans doute contre rétribution, doit lui permettre de subvenir à ses besoins par lui-même et est avis de Fawkes que si Rose a rejoint le Cartel c’est pour trouver une solution palliative. Parce qu’il sait qu’il refusera d’être un “Mircalla”. Un mariage prévu que Rose n’acceptera certainement pas. Ce mot est incriminant. En tout cas, il permet d’insinuer le doute, mais il explique beaucoup de choses, et aux yeux du renard, il montre à quel point son binôme est pris en tenaille. Il fait de son mieux pour faire face sans avoir à s’endetter plus encore auprès de tierces personnes.
Fawkes soupire. Il a besoin de prendre l’air. L’impression d’être sale laisse sur sa peau une pellicule désagréable. Il n’aimait déjà pas cette mission, il la déteste de plus en plus. Alors il remet tout en place, refait un tour rapide dans les pièces pour s’assurer que tout est impeccablement rangé, puis, il s’en va, discrètement, verrouille à nouveau la porte derrière lui et se faufile dans les couloirs de la garde pour retrouver l’extérieur. Il va aller faire un tour dans les jardins. Il a besoin de réfléchir et de respirer.
Au sein du Quartier Général, l'aile des invités est en réalité un petit lotissement propret, niché entre l'hôpital et le grand domaine des Mircalla. De jolies maisons s'alignent sur des terrains entretenus, même quand il n'y a personne et le blanc de leurs murs ainsi que de leurs perrons n'a rien à envier à celui de la cité toute entière.
Les tuiles oranges, sur les toits, ressemblent à une mosaïque brûlée, mais elles témoignent surtout de la richesse des lieux, quand les pauvres hères du refuge n'ont droit qu'à de la paille et des murs de terre irréguliers.
Ici, même les portes sont des bijoux architecturaux et celle de la maison d'Ile Grande n'est pas en reste : elle offre un véritable appel à la mer avec ses vitraux bleutés, son heurtoir en forme de vague déchaînée et même ses lignes d'orichalques filant vers un horizon imaginaire. Si Titan avaitpu se visualiser en train de toquer à une porte comme celle-là, elle se serait attendue à être reçue par une riche famille. Pas deux fées sauvages œuvrant dans le dos des leurs.
« Il n'y a pas grand monde dans le secteur, constate Sexta en se plantant au beau milieu du lotissement.
- Heureusement, rétorque Nelladel, un groupe comme le nôtre ne passerait pas inaperçu. »
Il n'a pas tord. Leurs allures ne sont pas du tout adaptées à ce genre de lieu et si quelques demoiselles et damoiseaux devaient jeter des regards curieux par leurs fenêtres, cela pourrait poser problèmes.
L'elfe pose une main sur le heurtoire, puis s'immobilise. Titan l'observe, perplexe, puis s'approche pour le voir fixer les vitraux de la porte d'un œil vide.
« Un problème ? »
Nelladel a un léger sursaut. Il secoue la tête, souffle par le nez et entre. Yüljet le suit de près, Sexta sur ses talons, Fawkes, Fuya et Gabrielle fermant la marche.
La maison est grande et son intérieur est fidèle à sa devanture. Le seuil offre de petits supports pour ranger ses chaussures, ainsi que des patères pour suspendre ses vêtements d'extérieurs.
Une fois débarrassé de ses lourds atours, le salon propose de grands et moelleux canapés pourpre pour se détendre volontiers face à une table stylisée. Bien sûr, des rafraîchissements sont sûrement d'ores et déjà disponibles au sein de hauts meubles sophistiqués, recelant de verres, de vaisselle et d'argenterie.
Pas de rationnement pour les invités.
Mais Titan a un frisson. Quand elle expire, un nuage opaque quitte ses lèvres alors qu'elle sent le bout de ses doigts piquer sous l'effet d'une température trop basse à son goût. Elle grimace.
À ses côtés, Sexta, Fuya et Fawkes, qui sont bras nus, font la moue en observant minutieusement les alentours. Seule Gabrielle semble ne pas souffrir du froid. Un lourd silence contamine l'atmosphère pourtant, Titan à l'impression que même les murs de cette grande masure se tassent sur eux-même.
« Ils sont déjà là, souffle-t-elle pour elle-même.
- Bien sûr, qu'ils le sont. »
Nelladel a ôté sa perruque. Il baisse le haut col de sa tunique et soupire un nuage opaque alors que Yüljet devine son anxiété. Pourtant, son visage reste parfaitement impassible. Ses yeux aigue-marine brillent de plusieurs lueurs que la troll n'arrive pas à déchiffrer, mais ce dont elle est certaine, c'est que dava n'est pas à son aise.
Quand l'elfe libère ses longs cheveux bleus de son filet, il secoue la tête et lance :
« Restez ici. Je vais revenir avec eux.
- On n'a pas le droit d'aller saluer nos hôtes ? » réplique Sexta, méfiante.
Mais Titan donne son accord, récoltant un sifflement dédaigneux de la vampire. Elle sait que Sexta aurait voulu que le cartel impose d'office son autorité en allant déloger les fées au sein du lieu qu'elles ont choisi, mais la troll reste prudente. Si Candice Milliget est réellement du genre à s'offusquer de la moindre contrariété, mieux vaut ne pas brouiller leurs premier rapports.
« Ce sont nos mots, qu'il faut élever. Pas notre voix. » déclare Yüljet d'un ton serein, en regardant Nelladel s'éloigner.
Depuis Odrialc'h, Titan a eu le temps de réfléchir. Elle est celle qui a voulu cette rencontre et elle sait qu'elle est déterminante pour la libération de Nash, alors elle a songé aux sujets qu'il faut aborder. Des questions, elle en a beaucoup.
Seulement, la troll ne peut pas prévoir la réaction de Candice si les thèmes exposés lui déplaisent. Alors elle fera très attention et même si Sexta, près d'elle, est plutôt partisane d'affirmer son influence, Yüljet sait que la vampire saura jauger leur interlocuteur comme il se doit.
« Regardez. » les interpelle Fawkes.
Le renard-garou s'est mis à marcher dans le grand salon pour observer les bibelots, exposés sur les meubles. Quand Titan s'approche de lui, il désigne une coupe remplie d'eau et de cristaux nacrés. Des vapeurs glacées s'en échappent et la troll peut aviser qu'il y a d'autres exemplaires de ce genre au sein de la pièce.
« De la glace éternelle, lance Gabrielle, apparemment, il y en a qui regrettent le froid des Terres Gelées, ici. »
L'elfe noire arbore un air sombre. Même si elle se maîtrise, elle transpire la hargne et une rage aussi sourde que l'air ambiant. Qu'importe ce qui se passera, les fées paieront d'une manière ou d'une autre.
Yüljet pose une main amicale sur son épaule :
« On le sortira de là.
- Dans quel état ? » siffle Gabrielle.
Titan ne peut pas le prédire, mais Nelladel a mentionné le mot satisfaisant et elle espère que ça n'implique pas des membres manquants.
De plus, Yüljet se doute que Candice a certainement cherché à savoir ce que sont devenues les éprouvettes de sang humain. Ça aussi, c'est un sujet qui sera abordé, elle en est sûre.
La troll souffle un bon coup pour calmer son anxiété et retrouver la sérénité au sein de sa poitrine.
« Tu penses qu'ils nous préparent un repas de bienvenue ? raille Sexta.
- Sexta… souffle une petite voix.
- J'ai surtout peur de ce que leur minaloo à perruque est en train de leur raconter, grince Gabrielle.
- Sexta… Cheffe…
- Je pense pas qu'il est assez bête pour tout risquer en nous piégeant… songe Fawkes.
- Sexta ! »
Tous se tournent vers Fuya. Livide, la sirène a une main crispée sur le dossier d'un canapé et d'un doigt tremblant, elle pointe l'ouverture, à l'autre bout de la pièce, qui donne sur un croisement. Agrippant le mur, une main pâle aux longs doigts fins jure avec la couleur crème de la cloison.
Les membres du cartel se figent. Avec une lenteur infinie, un corps drapé dans un voile irisé se penche et une tête encapuchonnée les observe avec curiosité.
Yüljet à l'impression de se retrouver face à un fantôme. Impossible de voir les traits de son visage et si elle se demande à quoi ça rime, elle pense que ce long vêtement protège son porteur de la chaleur.
Encore un petit peu plus de froid pour ces corps squelettiques habitués aux températures extrêmes de leur frontière.
Sexta fond sur Fuya et l'attrappe par les épaules en jetant un regard noir à la créature. Cette dernière ne bouge pas et se contente d'observer. Sous son voile irisé, Titan devine deux yeux grands ouverts sur des espèces qu'ils ne côtoient pas beaucoup, sauf quand c'est pour les dévorer.
« À mon humble avis, on a à faire au petit draflayel sur sa branche. » siffle Sexta.
Certes, il s'agit de Sira, Yüljet en est certaine. Mais s'il est là, alors son frère n'est pas loin. Il y a peu de chances qu'il l'ait laissé vagabonder dans les couloirs pour s'approcher des Typhons sans protection.
Quand une voix traînante claque comme un coup de fouet, Titan peut constater qu'elle a raison. Près d'elle, Fuya se ratatine sur elle-même, tremblante, et Sexta la serre plus fort.
Fawkes s'est rapproché, méfiant, les muscles tendus, guettant l'ouverture avec ferveur, prêt à agir si besoin. Gabrielle, elle, revêt le masque du dégoût.
« Mais… Vous aviez dit que… s'élève farouchement la voix de Nelladel avec détresse.
- Je sais ce que j'ai dit. Mais Mère veut des résultats et tu sais bien que j'arrache toujours des résultats, dava. Tant qu'il vit encore, ça ira. Maintenant, ferme-là. N'oublie pas que si tu peux encore parler, c'est grâce à moi. »
Des pas résonnent dans le couloir. La respiration frénétique de Fuya trouble l'atmosphère glacée et même si la sirène est entourée de Fawkes et de Sexta, ça ne suffit pas.
Titan sent son coeur s'accélérer. Elle sent aussi Gabrielle s'agiter. L'elfe noire veut se ruer vers l'ouverture, elle lui attrappe le poignet pour la tirer en arrière.
Non.
C'est elle, la cheffe du cartel des Typhons, qui va confronter le monstre en approche.
« Sira ! » aboie Candice Milliget.
La fée se détache subitement du mur pour disparaître dans un tourbillon d'étoffes et les Typhons l'entendent trottiner jusqu'à son frère.
« Qu'est-ce que j'ai dit ? gronde ce dernier.
- Je regardais… justifie Sira d'une petite voix.
- Il n'y a rien à regarder. Tiens-toi tranquille et souviens-toi de ce que je t'ai dit. »
Sira ne répond pas.
Yüljet, elle, songe qu'elle ne s'est pas trompée quand elle se faisait la réflexion que les Milliget s'organisent comme une meute. Les plus faibles obéissent aux plus forts et ici, si Candice dit quelque chose, Sira doit s'y plier.
Les pas reprennent. Plus ils approchent, plus l'air devient lourd. Titan a même l'impression que le froid mord de plus en plus. Elle n'a pas le temps de se demander si sa décision était la bonne, car trois silhouettes apparaissent.
Même recouvert d'un voile irisé, à l'image de Sira, Candice est facilement reconnaissable. Pas seulement à la peau couleur pêche de ses mains, seule chair visible sous son étoffe vaporeuse, mais à toute la rage qu'il dégage.
Un frisson court sur la colonne de Yüljet et une goutte de sueur froide coule le long de sa tempe. Elle est face à un feu bouillonnant des Terres Gelées du Grand Nord qui menace d'exploser à tout instant. Elle comprend ce que Nelladel voulait dire par "puissant" et par "susceptible". Il n'y a sûrement pas plus instable que l'être qui les toise de toute son arrogance. Chaque émotion négative ou hargneuse, qui doit courir sous sa peau, parvient pourtant à la franchir pour frapper ses adversaires.
Titan ne préfère pas imaginer ce qui leur serait arrivé s'ils avaient enlevé Sira pour l'échanger contre Nash.
Nash.
Elle ferme brièvement les yeux. L'ennemi est grand, elle peut le sentir, mais le cartel ne se soumettra pas pour autant. Titan se tourne vers Sexta et croise son regard. La vampire a côtoyé des êtres aussi pires que Candice, alors elle peut faire face à la tempête glacée.
Derrière la fée, Sira a les mains croisées, la tête basse et Nelladel fixe le sol.
Candice fait un pas. Sous le fin tissu, son regard s'attarde sur chaque Typhons et quand il semble satisfait, il crache :
« Qui est Titan ? Personne n'a l'allure d'un chef, ici.
- Enlève ton voile, qu'on rigole. » réplique Sexta d'une voix onctueuse.
Yüljet lui lance un regard appuyé, mais la vampire lui répond un rictus. Il ne faut pas avoir peur. Parce que cette chose sent la peur et si d'entrée de jeu elle sait qu'elle peut dominer, c'est fini.
Elle a raison. Titan ordonne le calme dans ses entrailles et invoque les rênes du cartel. Elle fait un pas en avant, ouvre la bouche pour parler, mais quelque chose fend l'air avant d'être intercepté par Sexta.
Le cartel retient son souffle et le visage de la vampire s'assombrit alors qu'elle serre un petit scalpel dans son poing. Si elle ne l'avait pas attrapé, il aurait achevé sa course au creux de son épaule.
« Il y en a qui ont besoin d'être dressés. » menace Candice.
Fuya disparaît derrière le canapé, Fawkes attrape une lame et Titan, elle, tire son couteau . Son bras musculeux file vers la fée, prêt à lui ouvrir la gorge et même si la puissance du monstre est supérieure à la sienne, Yüljet s'en moque.
« Garde tes scalpels sous ta robe ou il n'y aura jamais d'alliance.
- Tu te crois en position de force ? susurre la fée.
- Je crois surtout que si tu n'as aucun honneur, alors tu ne mérites pas de traiter avec le cartel. Une attaque de plus et c'est terminé. » l'avertit Titan.
D'un geste vif, Candice lui attrape le poignet. Il a de la force. Trop de force pour un être si maigre et le contact de sa peau est un étau gelé. Yüljet tient bon. Son regard assassin rivé sur son hypothétique visage, elle ne fléchira pas. Elle maintient la lame de son couteau proche de son cou.
Derrière la fée, Nelladel, blême, secoue la tête en l'implorant du regard. Trop tard : c'est Candice qui a ouvert les hostilités. S'il persiste, Titan donnera l'ordre de prendre Sira en otage.
Fée et troll luttent pendant un court instant puis, quand personne n'est vainqueur, ils s'arrêtent. Cependant, Titan arbore un hématome violacé autour du poignet.
« Je ne tolérerai pas une menace de plus contre un membre de mon cartel, prévient Yüljet.
- Alors tiens ta vampire en laisse. » fulmine Candice.
Ladite vampire qui émet une exclamation dédaigneuse en le dardant de ses yeux noirs, Fuya dans ses bras. La jolie maison d'Ile Grande s'est transformée en antre de peur et Titan sait qu'une goutte d'amertume peut libérer la rage du Maître de Scalpel. Elle ignore si Candice se pense réellement dominateur des autres espèces d'Eldarya, mais si c'est le cas, alors devoir collaborer avec elles pour son intérêt doit le répugner.
La réciproque est vraie, pourtant…
« Soit on s'assoit et tu nous expliques ce que tu as fait à Nash, soit on continue sur notre lancée et je peux te dire sans me tromper que ça ne donnera rien, tranche Titan.
- Je vois que la cheffe du cartel des Typhons a un petit peu de bon sens, se moque Candice c'est appréciable. »
Les mains pêches de la fées viennent lisser son long voile et quand Yüljet juge que la menace s'efface pour le moment, elle baisse son arme. La troll voit Nelladel s'affaisser sur lui-même, soulagé que les premiers échanges houleux ne tournent pas au massacre et Sira se tordre les doigts, son être irradiant l'inquiétude.
Titan recule d'un pas puis, désignant un canapé d'un doigts, ordonne aux membres de son cartel :
« Asseyez-vous. »
Certains, comme Gabrielle ou Fawkes, la regardent avec des yeux ronds, mais elle leur répond un signe de tête. L'important, pour le moment, c'est de désamorcer la confrontation et d'obtenir les renseignements qu'ils sont venus chercher.
Sexta s'exécute la première. Sans lâcher Fuya, elle vient prendre place et croise les jambes sans lâcher Candice du regard. Un faux-pas et elle dégaine sa machette, Titan le sait. Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle aurait renvoyé le scalpel entre les deux yeux de son propriétaire.
Yüljet la rejoint, suivie de Fawkes et Gabrielle.
Face aux membres du cartel, Candice se tourne vers son frère et lui intime d'aller s'asseoir avant d'ordonner à Nelladel de faire de même d'un signe agacé de la main. Ensuite, il vient s'installer entre eux.
Titan prête attention à ses ailes. C'est la première fois qu'elle peut les examiner de près. Elle constate qu'au nombre de quatre, elles sont identiques, même si les ailes supérieures sont plus larges que les inférieures. Transparentes, dotées de quelques reflets nacrés, leurs nervures tracent des sillons charbonneux, composant une mosaïque bien singulière.
Les ailes de Sira sont parfaitement similaires à celles de son frère.
« Qu'est-ce que tu as fait de Nash ? demande Yüljet en penchant le buste en avant.
- Nous allons tout de suite mettre les choses au clair : l'orc est en vie et il a gardé tous ses membres. Seulement, tu te doutes bien qu'un interrogatoire doit donner des résultats et que ma famille a toujours voulu savoir ce que sont devenues les éprouvettes de sang humain. J'ai dû lui arracher des réponses.
- En d'autres termes ?
- En vie. Avec tous ses membres et bien dressé. Il a des infections qui finiront par guérir et quelques parties du corps, dont le visage, brûlées. »
Brûlées ? Titan écarquille les yeux et à côté d'elle, Gabrielle se met à trembler. Savoir Nash en vie est un soulagement, savoir qu'il possède encore toutes les parties de son corps en est un autre, mais brûlé ? Bien dressé ?
Candice lève un doigt pour désigner Fuya et ajoute :
« Ça ne m'étonne pas beaucoup de voir ça ici. La sale petite fouineuse…
- Laisse-là tranquille, grogne Fawkes en plissant ses yeux bruns.
- Le numéro de la salle d'interrogatoire. » exige Titan.
Fawkes a parlé d'une grande illusions déployée sur toute la zone sécurisée, par les maîtres des arcanes. Mais si le cartel obtient déjà le numéro de la salle, les Typhons sauront trouver une solution à ce problème.
Pourtant, Candice a autre chose à leur proposer. Avant de s'adresser à Yüljet, il interpelle Nelladel :
« Tu as eu d'autres réponses à ma demande ?
- Non. Personne ne veut le faire. » répond l'elfe, penaud.
Ça ne plait pas beaucoup à son maître qui pousse une exclamation agacée, les poings serrés, puis son frère se manifeste, relevant la tête et mentionnant d'une petite voix :
« La… La nomination du…
- Je sais, Sira. Ton idée est bonne.
- De quoi vous parlez ? » s'impatiente Sexta.
De leur alliance, en réalité. De la première phase du sauvetage de Sheraz et de la seule manière de pénétrer dans le grand palais d'Odrialc'h.
Candice leur proposera quelque chose et si le cartel accepte, non seulement ils obtiendront le numéro de la salle d'interrogatoire, où Nash est détenu, mais la fée daignera aussi contourner le problème des illusions.
Yüljet se méfie. C'est un petit peu trop tentant à son goût et elle se demande ce que ça peut cacher :
« Toi et ton frère, vous voulez empêcher Sheraz d'être sacrifié pour l'ouverture d'un portail. Nelladel nous a mis au courant pour le virus qui ronge les sols d'Eldarya. Mais qu'est-ce que vous avez à y gagner ? Pourquoi agir dans le dos de votre famille ?
- Laisse-moi te dire une chose, rétorque Candice, le projet de la conquête terrienne, au départ, est ce qui pouvait arriver de mieux pour les espèces originelles comme la mienne. »
Celles qui vivaient déjà sur Eldarya avant le Grand Exil comme les fées, les goules, les purrekos, les kobolds… Les Milliget et leurs comparses étant l'espèce souveraine avec trois autres.
« Lesquelles ? demande Fawkes.
- Plus tard. Ce que vous devez comprendre, c'est que votre arrivée a transformé notre monde en décharge d'ordures. Le Grand Exil a toujours été une défaite cuisante pour ceux qui ont fait la guerre et la conquête terrienne a été décidée dès que vous avez posé le pied sur Eldarya. Elle s'est traduite par la création du virus - qaneqha - la haine de l'être humain et l'entretien d'un désir de revanche.
- Je vois, sourit Sexta, et grâce à la conquête terrienne, tout le monde retournerait sur Terre et toi et ta petite famille, vous retrouveriez enfin votre monde.
- Exactement, tranche Candice, sans les déchets, Eldarya se portera bien mieux. »
Deux poignards doivent toiser la vampire qui ne baisse pas les yeux. Titan, elle, comprend bien que si la majorité des fées pense comme Candice, alors les autres espèces, celles qui ne sont pas originaires d'Eldarya, leur sont indésirables.
« Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis, alors ? l'interroge la troll, pourquoi ne pas continuer à provoquer le départ des ordures avec le reste de ta famille ?
- Parce que mes ancêtres me l'ont demandé. »
Ses ancêtres ? Yüljet, Fawkes et Sexta échangent des regards perplexes. Finalement, le coeur de leur collaboration est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et Candice ajoute avec précipitation :
« Mettez-vous ça dans le crâne : si pour retrouver l'Eldarya d'antan, sauver ma famille et toutes les espèces originelles, il fallait vous tuer, je le ferai. S'il fallait renvoyer toute la population arrivée sur là d'où elle vient, je le ferai aussi. Et tant pis pour votre guerre contre les humains, je m'en fous. D'ailleurs, s'il fallait ouvrir des centaines d'humains sur des tables d'opération, je m'en chargerai aussi.
- C'est ça, les enseignants de la médecine ? s'insurge Gabrielle, et il faut qu'on collabore avec ça ?
- J'en ai autant à ton égard, rétorque Candice, maintenant ferme-là et laisse-moi finir ! Je suis en train de vous dire pourquoi je peux vous aider à rester sur ce monde qui n'est pas et ne sera jamais le vôtre ! »
Gabrielle s'est tendue et Yüljet lui attrappe le poignet. Silencieuse, elle écoute la fée Milliget cracher son fiel et si elle analyse ses paroles, elle pense être certaine d'une chose :
« Qu'est-ce qu'on a fait à ton peuple ? » demande-t-elle d'un ton très calme.
Candice reste silencieux. Titan voit sa poitrine se lever et s'abaisser sous son voile irisé et près de lui, son frère semble hésiter. Finalement, Sira se manifeste et lève une main pour attraper la sienne et mêler ses doigts aux siens. Puis, d'une petite voix, il commence à raconter :
« L'arrière grand-père de Maman était le roi des Terre Gelés. Il s'appelle Jack, mais nous on l'appelle sabarana. C'est le nom qu'on donne à nos ancêtres dans notre langue. Mais quand les guerriers sont venus de la Terre, ils lui ont demandé de les aider à y retourner pour tuer tous les humains. Sabarana a refusé. Il était d'accord pour que tous ceux qui n'avaient plus de monde puissent vivre avec nous, mais il ne voulait pas tuer une espèce toute entière. Les guerriers savaient que toute la famille de sabarana faisait évoluer ce qu'il avait découvert : la médecine. Alors les guerriers avaient décidé que si sabarana refusait de les aider, le reste de sa famille le ferait. Et pour être sûr, ils l'ont emmené, lui, et ils ont emmené tous les anciens de notre peuple. C'était il y a longtemps, quand on n'était pas encore nés.
- Tu veux dire que tous les anciens de ton peuple sont actuellement pris en otage ? questionne Titan.
- Pas que nos ancêtres, reprend Candice d'une voix aigre, les enfants aussi. Ils sont retenus dans le grand palais d'Odrialc'h. C'est tout ce que je sais et comme tu peux t'en douter, ils servent de monnaie d'échange. »
C'est plus clair, en effet. Tant que les Milliget obéissent aux nouveaux souverains du monde, ils seront assurés de le retrouver, mais également de revoir leurs anciens et leurs enfants. C'est pour cet objectif qu'œuvre le reste de la famille.
Titan se demande tout de même combien de temps peut vivre une fée…
« Et qu'est-ce que ton sabarana t'as demandé, alors ? » lance Sexta.
Même dans une trentaine d'années, Yüljet se souviendra toujours de la réponse à cette question. Elle se rappellera de cette pièce, avec des meubles sophistiqués et ces deux canapés sur lesquels ils étaient tous assis. Ce salon qui avait semblé mourir dès que Candice s'était mis à leur raconter la réalité derrière la conquête terrienne et leurs motivations, à lui et Sira.
Motivations qui avaient débuté avec tous les efforts de Sira pour faire s'échapper Sheraz. Des actes uniquement menés par un lien très fort entre les deux faeliens, jusqu'au jour où Candice avait tout découvert.
Les mots de sabarana, au départ, il les avait mis de côté. Il avait fermé les yeux, uniquement préoccupé par le sort de son peuple et celui d'Eldarya. Et puis son jeune frère, si naïf, si faible, lui avait posé une question.
Pourquoi nous, on peut vivre, et pas les autres ?
Parce que sabarana leur avait interdit de sacrifier des millions de vies au nom d'Eldarya et du peuple des fées. Sacrifier tous les humains, dévorer des faeliens à défaut de retrouver leurs bétails d'antan et connaître la fin de ceux qui pensent retrouver la Terre, mais qui n'en auraient pas les moyens.
« Les riches traverseront un nouveau portail ouvert avec le sang de Sheraz et celui de deux autres espèces. Les pauvres, eux, penseront rentrer sur Terre mais en réalité, ils seront envoyés au Ragnarok pour s'y faire massacrer par les spectres. »
Jack Milliget, croupissant au sein d'une prison au grand palais d'Odrialc'h, a formellement interdit à sa famille d'exterminer tant de vies au nom des siens. Il n'y a pas de souveraineté à retrouver dans une horreur bâtie dans le sang et en tant que Maîtres de la Médecine, ils doivent démontrer la beauté d'une vie.
Ce n'est pas ce qu'ils font. Delta Milliget et ses enfants se sont soumis aux nouveaux souverains du monde. Tant pis pour leurs convictions si ça peut sauver Eldarya et leurs peuples.
« T'as dit que tu t'en foutais de tuer des gens pour sauver ta famille, argue subitement Fawkes, moi je pense que ça te ferait plaisir de voir les déchets qu'on est à tes yeux finir dans le Ragnarok.
- C'est vrai, siffle Candice, mais tu vois, je ne suis pas stupide. Entre les têtes pensantes d'Odrialc'h qui utilisent ma famille et les mots de mon ancêtre, même s'ils me déplaisent, le choix est fait. Si on arrive déjà à libérer les sols d'Eldarya, empêcher la conquête terrienne, libérer mon peuple et sauver des choses comme vous au passage, on verra après si sabarana avait raison.
- Vivre tous ensemble dans un monde beau comme avant. » souffle Sira.
Titan perçoit de l'espoir dans sa voix. Vivre tous ensemble. C'est joli à entendre mais ça paraît illusoire. Sexta raille que si jamais ça arrive un jour, il faudra que les fées changent de régime alimentaire, mais tout ce qu'elle récolte, c'est un geste agacé de Candice.
La troll réfléchit. Elle a encore beaucoup de questions à poser, notamment sur les Docteurs Becs ou même la Chair des Roses, termes que Fawkes avait trouvé dans des livres et qui est peut-être affilié aux hauts-elfes. Elle veut aussi en savoir plus sur le sang de Sheraz, mais avant, il y a quelque chose à clarifier :
« Ça, ce sont tes motivations et celles de ton frère, déclare Yüljet, mais si tu as fait appel à nous, c'est parce que tu n'arrives pas à entrer dans le grand palais. Qu'est-ce que tu attends de nous ? »
En vérité, elle s'en doute. Lors de son entretien avec Purral, ce dernier lui avait mentionné la demande d'un client particulier qui avait besoin de deux personnes à sacrifier pour réussir à entrer au grand palais d'Odrialc'h. Chose que Yüljet avait catégoriquement refusée car il était hors de question de sacrifier deux membres de son cartel.
Et c'est toujours le cas.
« Dava.», ordonne Candice.
Nelladel a un sursaut, mais il redresse le buste et son visage pâle est sérieux. Les mains crispées sur le tissu de sa tunique, il évoque le plan qui a été mis en place par ses maîtres et qui commence avec la nomination du nouveau serviteur personnel de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
Ce sera un véritable évènement mondial qui attirera des milliers de candidats pour qu'à la fin, seul l'un d'entre eux puisse entrer au service de la Légende. C'est le meilleur moyen d'accéder au grand palais.
« Il faut un candidat malléable, explique l'elfe, qui saura que son objectif est de libérer Sheraz, mais qui sera aussi parfaitement conscient qu'il peut y laisser la vie s'il échoue.
- Malléable ? l'interrompt Titan, avec toutes les capacités nécessaires pour gagner ce genre de sélection, c'est un érudit qu'il faudrait.
- Malléable car il passera entre mes mains et j'en ferai un candidat parfait. » complète Candice d'un ton acide.
Visiblement, la fée Milliget est décidée de dresser un nouveau faelien pour cette mission. Quant à l'autre personne sacrifiable, elle devra infiltrer le corps armée d'Odrialc'h pour essayer de localiser l'emplacement du lieu où sont détenus les anciens et les enfants du peuple des fées.
« C'est ça, reprend Candice, sans quoi, j'ai prévu autre chose : le morgan qui a gagné les sélections, je le forcerai à travailler pour moi. Sa femme et ses deux enfants, ils lui seront enlevés et vous les garderez en otage dans votre planque le temps qu'il faudra. »
Titan passe une main dans ses lourdes tresses. La voilà de nouveau confrontée à ce genre de dilemme. Elle réfléchit à toute vitesse et avise la situation : là où Candice à raison, c'est que pour entrer dans le palais, il faut employer les grands moyens et tâcher de ne pas se faire prendre. Surtout avec l'importance de leur mission.
Mais des personnes vont risquer leur vies. Yüljet refuse d'envoyer des membres de son cartel. C'est contre les règles, pourtant…
… Pourtant deux Typhons seraient parfaitement capables d'infiltrer le corps armée d'Odrialc'h. C'est chose sûre.
Elle lève les yeux vers Candice et lui argue :
« Si on accepte la première option, on choisira nous-même les deux personnes à infiltrer.
- Ça m'est égal. Mais choisissez bien. »
Choisissez bien. Et si le cartel ne choisit rien du tout ? Et si les deux options ne leur conviennent pas ?
Ou alors… Et s'il était possible de les mêler ? Titan se fige. Une idée vient de germer dans son esprit. Elle ne sait pas encore si elle est bonne et elle doit en parler avec les membres de son cartel, mais elle la range soigneusement dans un coffre imaginaire.
« Si on accepte l'une des deux conditions, tu libères Nash ?
- Vous aurez le numéro de la salle d'interrogatoire et le moyen d'y accéder.
- Comment ? »
Silence. Titan entend un long soupir agacé et elle voit les mains de Candice se plier, se déplier, puis se lever.
Avec lenteur, elles viennent agripper son long voile, tirer dessus et le faire glisser sur sa silhouette.
Yüljet se souvient à peine de son visage, à Rhenia-Gaear et Fuya, elle, serre les dents lorsqu'elle le découvre de nouveau.
La couleur pêche de ses mains a peint sa figure, aussi. Un visage faelien, dépourvu d'oreilles pointues ou bien de détails qui pourraient lui apporter un petit peu du monstre sauvage dont on veut absolument l'affubler.
Son regard hargneux est aussi gris que l'acier des armes obsidiennes, quant à ses longs cheveux châtains, ils coulent sur ses maigres épaules ainsi que sur sa robe vaporeuse, d'un bleu céruléen, ouverte sur sa poitrine comme une flèche de chair.
Ses prunelles métalliques transpercent les Typhons et quand il ouvre la bouche pour cracher son fiel, ses lèvres pleines se tordent avec mépris :
« Vous mettrez l'un de nos voiles. Pas le mien, mais l'un d'entre vous portera celui de Sira et m'accompagnera avec la maîtresse des arcanes qui m'escorte jusqu'à la salle. Comme vous avez pu le voir, il nous recouvre entièrement.
- En d'autres termes, tu veux que l'un de nous se fasse passer pour une fée ? » l'interroge Sexta en arquant un sourcil.
C'est exactement ça. Puisque certaines fées aiment couvrir leurs propres ailes avec leur voile, ce n'est pas un souci. Seulement, le tissu est extrêmement froid, puisqu'il permet aux Milliget de réguler leur température interne quand ils se trouvent hors de leur frontière, alors un faelien ordinaire ne pourra pas le porter longtemps sans finir par tomber en hypothermie.
Il faudra faire vite.
Mais avant cela, le cartel des Typhons doit donner une réponse.
L'option numéro une, l'option numéro deux ou bien…
« Je propose une troisième option, » lance Titan d'une voix assurée.
Surpris, Candice l'interroge du regard et attend la suite. Sexta, Fawkes, Fuya et Gabrielle regardent leur cheffe, attentifs.
« Comme pour la première option, on envoie deux personnes au grand palais. Mais pas n'importe lesquelles : les enfants du gagnant des sélections.
- Quoi ? s'exclame Fawkes.
- Le fils est faible, poursuit Yüljet en l'ignorant, il est faible, mais il veut devenir médecin alors il a la capacité d'apprendre. Tu dis que t'occuperas du futur candidat qui deviendra le serviteur personnel de la Capitaine, alors tu seras capable de le briser pour en faire quelqu'un de solide. Quant à la fille, c'est déjà une combattante. La Capitaine lui avait proposé d'intégrer le corps armée d'Odrialc'h. Je ne sais pas si elle a accepté, mais si c'est le cas, alors ce sera facile.
- Et leur mère ? demande la fée Milliget.
- On la met sous surveillance. Tout ce qui importe, c'est que le fils et la fille sachent qu'on est capables de lui faire du mal s'ils désobéissent. »
Candice hoche la tête, suspicieux. Titan pense qu'il se moque de la manière tant qu'il y a un résultat.
De toute façon le cartel doit choisir et ça scellera leur collaboration. Yüljet, Fawkes, Fuya, Sexta et Gabrielle se regardent, se jaugent.
Il ne faut pas oublier la mission originelle. Mais qu'est-ce que ça leur coûtera ?Candice Milliget par Makaria
Le cartel des Typhon vient de rencontrer Candice et Sira Milliget. Ils en ont appris un petit peu plus sur leurs motivations et même s'ils n'ont pas encore abordé tous les thèmes qu'ils ont choisi, ils ont eu un premier contact.
Candice leur assure qu'il libérera Nash si les Typhons choisissent de collaborer avec lui pour entrer au grand palais afin de sauver Sheraz et les ancêtres et enfants des fées détenus en otage.
Plusieurs options sont possibles. Mais laquelle est la meilleure ?
➜ Option numéro 1 : Utiliser l'évènement mondial de la nouvelle nomination du serviteur personnel de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul. Deux personnes choisies par le cartel seront infiltrées : l'une en tant que candidat pour la nomination, l'autre au sein du corps armée d'Odrialc'h. Ces deux personnes seront parfaitement au courant des risques.
➜ Option numéro 2 : Forcer Joseph Ael Diskaret, le gagnant des sélections qui intégrera la garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash, à travailler pour Candice. Le cartel détiendra sa famille en otage pour faire pression sur lui.
➜ Option numéro 3 : Utiliser l'évènement mondial de la nouvelle nomination du serviteur personnel de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul. Deux personnes seront choisies par le cartel : Helouri Ael Diskaret, qui deviendra candidat à la nomination du serviteur personnel de la Capitaine, et June Albalefko, qui intégrera le corps armée d'Odrialc'h. Leur mère, Cristal, sera laissée saine et sauve, mais le cartel sera capable de s'en prendre à elle s'ils désobéissent. De plus, le cartel sera capable de nuire à la réputation de leur père afin qu'il perde sa place.
➜ Option numéro 4 : On ne choisit aucune des trois options et se contente d'appliquer le plan de Fawkes et de Rose (voir le rapport de Fawkes sur sa mission à Eel). Ce choix est susceptible de ne pas plaire à Candice.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes a fouillé la chambre de Rose et a trouvé quelques indices. Il est temps d'aller faire son rapport à Titan et voir ce qu'elle en pense. Ensuite, il faudra décider de la suite des évènements.
Quand tu seras prêt, Waïtikka, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
Rose a enfin quitté la salle de repos et les entraînements reprennent. June pourra lui dire comment se passent les sessions avec le docteur Armel Rozenn Gamm.
Cependant, il est temps de constituer le dossier de June en vue de son intégration au sein du corps armée d'Odrialc'h. June a sûrement des souhaits à émettre et des opportunités pourront lui être proposées.
Quand tu seras prête, MayasShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo
Lilymoe va recevoir le dossier médical de Rose Clarimonde. À lui de l'étudier afin d'y discerner des étrangetés, s'il y en a, puis de se faire ses propres réflexions.
Surveille tes MP, Lilymoe, tu recevras ce fameux dossier médical avec quelques précisions !
Dernière modification par Aespenn (Le 26-06-2022 à 20h18)
Hors ligne
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous et bienvenus sur ce nouveau chapitre d'Apotheosis !
Un peu de repos avant de repartir au combat dirais-je, alors j'espère qu'il vous plaira. B) Concernant le petit event pour fêter la sortie du chapitre numéro trente, vu que je ne savais pas vraiment ce qui vous ferait plaisir, du coup je n'ai rien préparé de forcément intéressant, mais pas grave, ça n'est que partie remise. B)
Petite info : La bibliothèque d'Apotheosis va subir une refonte complète sur un autre support que Google Doc ! Il sera beaucoup plus intuitif et agréable à lire donc j'y travaille. B)
Tout comme je travaille aussi sur la carte du monde, mais cela me prend du temps car ce n'est pas du tout mon domaine de compétences, navrée. x)
Pareil pour les galeries des artistes ! Je vais tâcher de vous de vous partager quelque chose de plus confortable pour vos yeux. Vous serez bien entendu prévenus lorsque tout ceci aura subit sa petite modification en tout cas !
Sur ce, je vous souhaite bonne lecture (^_^)/
Chapitre 30 - Le Visage du Lâche
Premier entretien de June pour son suivi par Rose Clarimonde
Elle reprend son souffle en observant son partenaire ranger son arme. Le Second Clarimonde l’a saluée avec la même politesse que d’habitude. C’est la première fois qu’elle le revoit depuis qu’il est sorti de salle de repos, et June a constaté qu’il semble aller un peu mieux. La jeune femme est gênée, mais elle n’a rien lu sur le visage du vampire qui pourrait lui faire comprendre que Rose lui en veut d’être intervenu auprès du Chef Batatume. La séance s’est passée sans accroc, personne n’a mentionné l’incident, et le Second est resté égal à lui-même.
Elle n’est pas obligée de remettre le sujet sur le tapis, et elle ne sait pas si cela plaira à son binôme, pourtant, ça tourne dans sa tête depuis le début de leur entraînement. Alors, tandis qu’il lui indique qu’ils ont fini de combattre pour aujourd’hui, ses mains se crispent dans son dos, et elle baisse la tête, légèrement penaude. Ses lèvres se tordent en une moue contrite, et elle semble se recroqueviller sur elle-même.
« Je voulais vous dire… pour l’autre fois… commence-t-elle. Je sais que c’était pas mes affaires, et je voulais pas du tout vous mettre mal à l’aise devant le chef, c’est juste que vous m’avez fait peur. »
Depuis qu’elle connaît son âge, June ne peut pas s’empêcher de voir sa jeunesse sur ses traits, même si elle n’en montre rien. Rose est courageux d’assumer les fonctions de Second, mais trop en faire n’est jamais bon, et elle a bien remarqué qu’il était tendu devant Valkyon Batatume.
« Je suis désolée. » confie June.
Le Second de l'Ombre suspend ses gestes pour la regarder, surpris. L'embarras de June menace de le contaminer, mais il le repousse pour garder une parfaite maîtrise de lui-même.
Rose prend un moment pour formuler une réponse adéquate et surtout, faire comprendre à June qu'elle n'a pas à s'en vouloir. Ce n'est pas de sa faute et il ne lui en veut pas.
Le vampire serait menteur, cependant, de dire qu'il ne lui en a jamais voulu. C'est faux. Au moment où elle a fait remarquer à son Chef de Garde qu'il était au plus mal, il a songé qu'elle n'aurait pas dû le faire.
Croisant les bras derrière le dos, Rose hésite puis répond :
« Vous n'avez pas à vous excuser. Vous avez bien agi. Ce serait plutôt à moi de vous présenter mes excuses, June, pour ne pas avoir pu assumer notre dernière session d'entraînement. »
Il n'a pas su mesurer sa fatigue correctement et au final, il a failli au pire des moments, pour lui. Rose doit admettre que s'il ne s'était agi que de June, il aurait été capable d'avouer à sa binôme qu'il ne se sentait pas bien et qu'il serait plus sage d'arrêter, la seconde fois. Mais il n'a pas voulu ployer face à Valkyon Batatume.
« Être en capacité de reconnaître les faiblesses et les blessures de vos camarades et de vos supérieurs est une qualité. Vous avez bien agi et j'étais en tort. Si vous avez craint des reproches de ma part, soyez rassurée. Ce serait odieux et peu professionnel. »
Elle pousse un soupir soulagé, même si une partie d’elle grogne quand Rose fait passer sa réaction pour du professionnalisme. Sur le coup, elle s’est simplement inquiétée de voir quelqu’un au plus mal, mais ce n’est pas la peine d’en informer le Second.
« Tant mieux, grimace-t-elle. Ça m'a embêté toute la semaine, alors je voulais vous en parler quand même. Et c’est pas grave pour l’entraînement. »
Sa moue se transforme en sourire plus franc, alors qu’elle quitte sa posture crispée. Ses mains s’envolent devant elle et ses yeux pétillent vivement.
« J’ai parlé à Chrome l’autre fois, et il m’a emmené voir le docteur Rozenn Gamm ! s’exclame-t-elle. Il a accepté de m’aider aussi pour la lecture, donc je voulais aussi vous remercier, parce que j’aurai jamais osé y aller toute seule. »
Elle ne sait pas si Rose est intéressé, mais elle ne peut pas s’empêcher, en quelques phrases brèves, de lui raconter la teneur de ses échanges avec Chrome et le médecin, avant de conclure en inclinant la tête vers lui.
« Je vais faire de mon mieux pour travailler ! »
Hors de question que les soldats d’Odrialc’h pensent que les gardiens n’étaient que des illettrés parce que les mots refusaient de prendre un sens dans son esprit. Elle ne mentionne pas l’aide que Rose apporte à Chrome, mais elle y songe en lui souriant. Sous ses airs rigides, le Second est quelqu’un de bien.
D'ailleurs il semble satisfait que la lecture puisse être un sujet moins sensible pour June et qu'elle ait pu trouver un soutien important auprès du docteur Rozenn Gamm et de Chrome. Le jeune loup-garou semble encore plus motivé depuis qu'il travaille en groupe, aussi et c'est tant mieux.
« Je peux comprendre votre embarras, c'est un sujet sensible et un handicap qui est rarement répandu. Mais je peux déjà voir que vous semblez plus épanouie et c'est une bonne chose. »
June est une personne travailleuse et enthousiaste, il a pu le constater lors de leurs sessions d'entraînements et de ce fait, effectuer son suivi n'est pas une contrainte. Croisant les bras sur sa poitrine, Rose poursuit :
« D'ailleurs, je pense à votre dossier de suivi et je me demandais : est-ce que vous avez du temps devant vous ? Si c'est le cas, nous pourrions peut-être faire le point sur ce que nos premières sessions d'entrainements vous ont apporté et ce qui pourrait être mis en place par la suite pour votre bonne intégration au sein du corps armée d'Odrialc'h. Voyez ça comme un entretien individuel où vous pouvez partager vos impressions ainsi que vos souhaits. Si ça vous convient, votre dossier se trouve dans mon bureau. »
Lorsque Rose achève sa phrase, des bruits de conversations se font entendre avec celui d'une porte que l'on ouvre. En grande discussion avec Mathyz et Cornélia, Valkyon apparaît, un dossier à la main et le vampire se tend instinctivement.
Ses doigts passent derrière le dos, se tordent et il conclut :
« Enfin, nous pouvons faire l'entretien une prochaine fois. Ce n'est pas pressé. »
Elle fronce les sourcils, car elle a remarqué le léger changement dans son ton. June hésite un instant, puis se convainc qu’il s’agit là de son imagination. Ou peut-être est-ce en rapport avec la présence du Chef Batatume : Rose, si travailleur et acharné, a probablement envie de montrer qu’il va mieux et qu’il est digne d’être le Second de l’Ombre en présence de ses supérieurs.
Elle hausse discrètement les épaules : les états d’âmes du Second vis-à-vis de sa place ne la concernent pas, aussi lui adresse-t-elle un signe de tête.
« Si vous avez du temps, je veux bien. Un bon ami à moi dit qu’on sait jamais ce qu’il pourrait arriver d’ici à plus tard. » cite-t-elle.
Son regard se pose sur son Chef de Garde, et elle fait soudain la moue.
« Est-ce que je dois aussi en parler avec le Chef Batatume ? Et avec le Chef Mircalla ? Vu qu’ils supervisent l’entraînement commun… »
Valkyon aura peut-être son avis à donner quant à l’évolution de sa gardienne. June enfouit une main dans ses mèches pour se gratter le crâne, puis jette un regard interrogateur à Rose.
Ce dernier semble réfléchir, face à elle, aussi rigide qu'un piquet, mais ses investigations n'iront pas plus loin car le Chef Batatume les a aperçu et se dirige vers eux.
Le vampire baisse les yeux et s'il voulait répondre à June qu'il pourrait transférer son dossier de suivi à son Chef de Garde, après l'entretien, cela semble être compromis.
« Gardienne Albalefko, Rose, salut Valkyon d'un ton aimable, je suis ravi de voir que vous vous sentez mieux. »
Rose répond d'un ton monocorde et le grand faelien ajoute :
« Faites attention à vous, il ne faut pas ménager votre santé. Du repos vous a fait du bien, en tout cas : j'avais accompagné Nevra, qui passait vous voir, mais vous dormiez.
- Je ne savais pas, le coupe le vampire, merci. Navré de vous avoir inquiété. »
Valkyon arque un sourcil, perplexe, mais se contente de hausser les épaules en répondant qu'il n'y a rien à excuser. Puis, se tournant vers June, il l'interpelle en levant le dossier de suivi de Mathyz :
« Gardienne Albalefko, je voulais justement vous voir par rapport à l'entretien du suivi de votre dossier. C'est une petite réunion avec le gardien de l'Ombre qui vous entraîne, donc Rose, et moi-même afin que vous puissiez donner vos impressions, voir ce que vous avez envie de faire et ce qui peut-être mis en place. Je ne sais pas si Rose vous en a déjà parlé, mais puisque nous sommes tous là et que je viens de terminer avec Mathyz et Cornélia, peut-être que l'on pourrait discuter tous les trois, si vous avez du temps ? »
La jeune femme plisse ses yeux violets en faisant des allers-retours entre Rose et son Chef. Elle se mord la lèvre pour retenir un sourire amusé, car elle se doute qu’il serait mal pris. C’est amusant de voir le Second aussi mal à l’aise en présence du Chef, et elle se demande si ça a vraiment quelque chose à voir avec sa place, comme elle le pensait.
Très sérieuse, la gardienne place les mains dans son dos et hoche la tête :
« Justement, chef, le Second Clarimonde venait d’aborder le sujet, et je lui disais que j’avais le temps de faire l’entretien, ça tombe bien ! »
Elle ne peut pas s’empêcher de se tourner vers Rose. Son visage reste de marbre, mais ses prunelles pétillent quand elle s’adresse à lui avec un calme feint.
« Enfin, si ça vous convient aussi, évidemment. Vu que vous aviez l’air de dire que vous étiez disponible…
- Ah oui ? répond Valkyon en avisant le vampire, eh bien dans ce cas ce serait parfait. J'ai commencé les entretiens cette après-midi, alors autant continuer sur cette voie. Sauf si vous avez besoin de vous reposer, bien sûr.
- Non. »
Le regard de Rose se fait fuyant durant une petite seconde, avant de revenir sur le Chef Batatume. Il s'attend à ce qu'on le renvoie vers son état de fatigue les premiers jours, puisque sa sortie de salle de repos est récente, mais il refuse que l'on invoque continuellement sa santé.
Le vampire agite distraitement un doigt avant de reprendre d'un ton monocorde :
« Ça ira. Le dossier de June est dans mon bureau. Mais ce n'est pas un souci. Si vous voulez bien vous déplacer jusqu'au quartier de l'Ombre…
- Aucun problème, rit Valkyon, vous vous donnez bien la peine, comme la majorité des gardiens de l'Ombre, de venir jusqu'ici entraîner mes obsidiens. Nous vous suivons ! »
Rose hoche la tête et se retourne pour commencer à marcher vers les quartiers de l'Ombre. Le Chef Batatume plisse ses yeux d'ambre, puis hausse discrètement les épaules avant de lui emboîter le pas, accompagné de June.
Laissant Rose les guider, le Chef de la Garde Obsidienne décide d'aborder le suivi :
« Alors, comment se passe l'entraînement, June ? Vous trouvez que vous avez fait des progrès ? D'après les retours de Nevra sur l'entraînement inter-garde, Rose estime que vous êtes une gardienne diligente et appliquée. En tant que Chef de Garde, je ne suis jamais peu fier de mes gardiens. »
Valkyon lui adresse un regard bienveillant et l'encourage à partager ses impressions. June ne peut s’empêcher de sourire. Son Chef la met à l’aise, contrairement au vampire qui semble prêt à se fondre dans le sol, et elle apprécie la relation qu’il entretient avec ses gardiens. Et puis, Joseph ne dit que du bien du guerrier, June ne peut qu’approuver.
« Le Second Clarimonde m’aide beaucoup, répond-elle. Il a cerné mes problèmes et mes faiblesses, et on s’entraîne pour les améliorer. Je crois que je commence à bien me débrouiller, ou en tout cas, j’ai l’impression d’avoir moins de mal pour certains trucs. C’est agréable de travailler avec lui, parce que quand il fait quelque chose, il se concentre complètement sur ça. »
June ajoute que ça lui permet de canaliser sa tendance à s’éparpiller, et que même sur ce point, elle a fait des progrès. C’est Cristal qui lui a fait remarquer qu’elle s’agitait moins depuis le début de son entraînement.
« Il m’a aussi parlé de mes difficultés à la lecture et à l'écriture. » continue-t-elle en baissant la voix.
Bien sûr, son Chef est au courant desdites difficultés, et elle n’a pas honte d’aborder le sujet avec lui, mais c’est toujours difficile d’en parler pour elle.
« Au début, ça m’a mise mal à l’aise, confia-t-elle en triturant un fil de ses vêtements. Mais en fait, il a eu raison, parce que maintenant, je travaille sur ça aussi, et ça va m’aider pour plus tard. Faut dire que j’en ai un peu marre que ce soit Lou qui rédige mes rapports… »
Pour Valkyon Batatume, le bilan est positif. Il écoute attentivement sa gardienne lui relater ses progrès et il doit bien admettre que June a fait un choix judicieux en s'entraînant avec Rose Clarimonde.
Pour une personne aussi enthousiaste et agitée que June, se retrouver en binôme avec quelqu'un de sérieux et discipliné comme Rose est une bonne chose. De plus et comme l'a dit Nevra : ça change le Second de ses activités professionnelles individuelles et ça lui permet de voir autre chose.
« Vous savez, répond Valkyon en baissant un petit peu la voix, au départ j'étais un peu mitigé quand j'ai vu votre choix de partenaire. J'avais peur que la rigueur et la froideur de Rose freinent votre enthousiasme qui est une part importante de votre personnalité et même de votre volonté. Mais je constate que je me suis trompé et j'en suis bien content. Je ne pensais pas que Rose s'occuperait de vos difficultés de lecture… Sur ce point je dois admettre qu'il a fait un travail que je n'ai pas fait. »
Valkyon n'a jamais vraiment su de quelle manière aborder le problème et s'il était convenable de forcer June à le résoudre. Il craignait d'être trop intrusif et au final, ce sont ses doutes qui l'ont empêché d'agir. S'il avait évoqué auprès des autres Gardes qu'au sein de l'Obsidienne, une gardienne éprouvait beaucoup de difficultés face à la lecture, Nevra aurait pu lui dire qu'un de ses gardiens se trouvait confronté aux mêmes problèmes.
Comme le disait Valkyon lors de la première réunion inter-garde : il apprend beaucoup en observant les ombres superviser ses obsidiens.
« D'ailleurs, ajoute le Chef Batatume d'une voix amicale, si Rose pouvait emporter un peu de votre enthousiasme à la fin de ces sessions, ce serait une bonne chose pour lui. Ce serait bien qu'il s'amuse un petit peu plus à son âge… »
Peut-être pas de la même façon que Nevra qui, à trente-trois ans, pousse la chansonnette après plusieurs pintes d'hydromel au sein du bar populaire d'Eel, mais tout de même.
Valkyon a un léger sourire quand il se souvient d'une de ces fameuses soirées où il riait jusqu'aux larmes face à un Nevra complètement ivre en train de chanter "Sur le Port d'Eel" en inversant toutes les syllabes. Même Balam Lefaucheur, qui avait pourtant hésité à venir, ne l'avait pas regretté.
Rose, June et Valkyon atteignent le quartier de la Garde de l'Ombre. Si les lieux arborent toujours la même simplicité que lors de leur dernière venue, à la réunion, l'atmosphère est tout de même différente : des inspecteurs et des traqueurs de l'Ombre vont et viennent, marchant ensemble en discutant avec énergie ou se hâtant dans les couloirs. Des bureaux se succèdent, occupés par des gardiens observant des cartes, écrivant des messages à leurs congénères d'Odrialc'h ou bien conversant, des dossiers à la main. Des éclats de voix se répercutent sur les lieux, se mêlant aux salutations que reçoivent le Chef de la Garde Obsidienne, June et Rose.
« Chef Batatume !
- T'as écrit le message à la cellule d'interrogatoire, ou pas ?
- Passe-moi le dossier 42B et 29S s'il te plait…
- Hé ! Bienvenue chez nous !
- Au fait il est sorti de l'hôpital, l'autre, là ?
- Oxalyde ! Si l'inspectrice Kellerman est revenue, tu peux aller la chercher ?
- Bien le bonjour chez les ombres ! Comme vous le voyez, c'est un peu le bordel mais on arrive quand même à passer dans les couloirs…
- Bon… Rosie-Rosie, qu'est-ce qu'il en dit de l'opération Noir Total ?
- Si on établit bien le périmètre ça ira, mais faudra vraiment revoir le plan car les nouveaux gardiens, là, c'est pas des flèches… »
Le brassage des conversations les suit jusqu'au second étage où un calme religieux emplit les lieux. Avec le décor assez sobre, il aurait été difficile de dire que les bureaux du Chef Mircalla et de son Second s'y trouvaient, tant le peu de fioritures manque à l'appel. Visiblement, l'argent des Mircalla sert à faire tourner la Garde et non pas à la décorer.
Valkyon, lui, songe tout de même qu'il préfère rendre les quartiers de l'Obsidienne confortables pour ses gardiens, afin qu'ils s'y sentent chez eux.
Arrivé devant une porte en bois avec une plaque à son nom, Rose tire une clé et la déverouille. Près de son bureau, une large boîte aux lettres déborde de courrier, mais le vampire l'ignore pour le moment. Il s'occupera de l'administration plus tard.
« Vous l'avez toujours. » constate Valkyon en plissant ses yeux d'ambre d'un air attendri.
En ouvrant la porte de son bureau, Rose serre sa clé dans sa main, mais aussi une petite sangle faite de perles brunes. Le vampire les range dans sa poche de son uniforme d'un geste hâtif et répond un "oui" monocorde, avant d'inviter June et Valkyon à entrer dans la pièce.
Sans surprise, le décor est à l'image de son occupant : sobre, sans fantaisie et ordonné d'une façon presque militaire. Pas un seul grain de poussière ne vient salir la surface plane de son bureau, supportant des piles de dossiers, de parchemins, avec des plumes, des encriers, un coupe-papier et quelques livres. Plus loin, des casiers croulent sous une paperasse ordonnée et des supports muraux arborent deux hallebardes.
L'une d'entre elle est ciselée d'argent et d'améthystes, l'autre fait pâle figure, avec sa hampe en bois, renforcée d'armature métallique. Elle ressemble vraiment à une arme d'entraînement.
Rose se débarrasse de celle qu'il a emmenée avec lui lors de sa session avec June et la range avec application, puis il invite Valkyon et sa gardienne à s'installer sur deux chaises.
Le vampire s'installe à son tour sur son siège, tend la main vers une pile de dossiers et en tire celui de June Albalefko.
Quand il l'ouvre, cette dernière constate qu'il est couverte d'une écriture penchée.
« Bien, amorce Rose d'un ton laconique, dans votre dossier, June, j'ai pris soin de noter mes observations à l'issue de tous nos entraînements. Je constate que vous avez fait de nets progrès, que ce soit dans vos réflexes, la perception des ouvertures et des opportunités chez l'adversaire ainsi que vos capacités d'observation. Aussi et concernant l'autre souci dont nous parlions, vous êtes en train d'aborder une potentielle solution.
- June m'a parlé de ce que vous avez fait pour son problème de lecture, intervient Valkyon en lui faisant comprendre que le sujet a été abordé, et c'est une aubaine qu'un gardien de l'Ombre vive la même chose. En effet, ça lui pesait beaucoup et je vous remercie de vous y être intéressé.
- Ce n'est pas grand-chose. » répond Rose d'un ton hâtif.
Puis attrapant une plume pour l'agiter entre ses doigts, il s'éclaircit la gorge et reprend :
« Si vous me permettez de poser la question, Chef Batatume, j'aimerai savoir si June se sentirait prête pour entamer des missions.
- Bien sûr. » approuve Valkyon en hochant la tête.
Se tournant vers June, il lui explique :
« Puisque vous vous êtes beaucoup entraînée avec Rose et que vous avez progressé, vous avez la possibilité de passer aux missions, comme Mathyz et Cornélia. Ces missions sont participatives et inter-gardes tout comme les entraînements. C'est-à-dire qu'avec le Chef Mircalla, nous avons mis au point des missions avec différents degrés de difficulté, qui sont réalisables pour le compte des Gardes de l'Ombre et de l'Obsidienne. Bien entendu, vous ne serez pas seule car Rose restera avec vous néanmoins, les rôles seront inversés : vous le superviserez afin de mettre vos capacités acquises à l'épreuve. De plus, il pourra vous évaluer directement sur le terrain. Si vous vous sentez prête, nous pouvons en discuter et vous listez les missions disponibles.
La jeune femme écarquille les yeux. Superviser des missions ? Son corps se redresse sur le fauteuil alors qu’elle hoche la tête avec enthousiasme. Elle apprécie de s’entraîner, mais rien ne vaut le terrain. Avec les sélections et le déménagement, ça fait un moment qu’elle n’a pas été envoyée en mission, et ça commence à lui manquer. En plus, ce sera l’occasion de découvrir le mode de fonctionnement des ombres, et celui de Rose, avec qui elle apprécie de faire équipe.
« Avec plaisir ! » s’exclame-t-elle.
Ses joues ont un peu rosi à l’évaluation de Rose, et elle se permet d’ajouter qu’elle à progressé grâce à ses conseils, alors elle a hâte d’évoluer avec lui dans des conditions réelles.
« Je pourrai appliquer mes entraînements en vrai, ce sera drôlement plus stimulant, sourit-elle. Enfin, c’est bien aussi de faire ça dans une salle, hein, mais sur une vraie mission, c’est pas pareil. »
Effectivement et c'est pour cela que ces missions sont proposées. Elles sont toutes réalisables au sein du continent du Beryx et même à Eel afin de faciliter leur mise en place et elles ont uniquement pour but d'évaluer la capacité du gardien obsidien à en superviser un autre sur le terrain.
« Pour votre suivi en vu de votre transfert, il est important pour moi de voir comment vous vous débrouillez sur le terrain, explique Rose, et c'est pourquoi je me suis permis de dresser une petite liste de missions qui me semblent intéressantes pour vous, en plus de celles qui seront proposées par vous-même, Chef Batatume.
- Vous êtes toujours aussi prévenant. » lui sourit Valkyon.
Le vampire détourne le regard et ajoute à la hâte qu'il ne fait que son travail. Il se redresse sur son siège et propose de dresser la liste des missions :
« Eh bien… amorce Rose.
- Voici ce que… » commence Valkyon
Les deux faeliens s'interrompent, se regardent et le Chef Batatume laisse échapper un léger rire en invitant le Second à parler, d'un geste de la main. Mais Rose secoue la tête et lui dit qu'en tant que Chef direct de June, ce serait à lui de commencer.
« Très bien, merci, Rose et désolé de vous avoir interrompu. Pour les missions qui pourraient vous convenir, June, il y a celles affiliées aux gardes civils. Comme vous pouvez vous en douter, ce sont des patrouilles au sein de la cité, comme le fait votre père, avec une surveillance attentive des lieux et des interventions directes en cas de danger. Aussi, vous avez les missions d'escortes qui nécessitent de protéger des personnes importantes lors de leurs déplacements. Si ça vous intéresse, vous pourrez escorter Mademoiselle Élise Mircalla lors de ses promenades, par exemple. Ce sont des missions assez basiques, mais si vous souhaitez vous atteler à quelque chose de plus complexe, vous pouvez participer aux renforts mis sur l'enquête du tap. »
Les yeux de June ne cessent de faire des allers-retours entre Rose et Valkyon. Le malaise du vampire est palpable, et malgré son empathie, elle ne peut s’empêcher de trouver ça très drôle. Pourtant, elle tâche de garder un air parfaitement sérieux en se concentrant sur les paroles de son chef de garde.
Escorter, elle voit bien l’idée globale, mais elle n’est pas certaine d’en être capable. Ça nécessite beaucoup de concentration, et sa spontanéité pourrait rapidement devenir un problème sur ce genre de mission. En revanche, elle est plus intéressée par le tap, dont elle entend parler de temps en temps en passant dans les couloirs.
La jeune femme frourrage dans ses cheveux.
« Hum… Je veux bien entendre les missions que propose le Second Clarimonde, réfléchit-elle. Et aussi, en quoi ça consiste, exactement, les missions sur le tap ? »
Pour l'expliquer plus en détail, Valkyon invite Rose à prendre la suite. Le vampire hoche la tête en prenant quelques notes, lorsque le Chef de la garde Obsidienne l'interpelle de nouveau. Perplexe, Rose lève les yeux vers lui.
« Excusez-moi, Rose, lui fait remarquer Valkyon avec un léger sourire, mais vous écrivez sans encre. »
Le vampire suspend ses gestes pour regarder les feuilles de parchemins composant le dossier de June et remarque qu'effectivement, sa plume n'a rien écrit.
« Vous êtes sûr que tout va bien ? réitère le grand faelien.
- Oui. Ce n'est pas grave. Je n'ai pas fait attention. »
Rose range sa plume puis, joignant les mains sur son bureau, enchaîne directement sur sa propre liste de missions qu'il énonce de manière presque machinale, tout en expliquant le rôle des renforts obsidien sur la mission du tap :
« Concernant la mission sur le tap, les renforts obsidiens soutiennent les inspecteurs et les traqueurs de l'Ombre lors de leurs interventions sur le filon que nous avons trouvé à Amzer et la neutralisation de revendeurs. Ce peut-être périlleux néanmoins, les revendeurs que nous attrapons en ce moment ne sont que des sous-fifres et je vous pense capable de les maîtriser à l'aide des inspecteurs, des traqueurs et de vos camarades obsidiens. Hormis cette mission, donc, j'en ai deux autres qui me sont venues à l'esprit : la première, c'est la sécurité des membres de la famille Mircalla dans leur domaine. Comme vous le savez, ils gèrent la Garde de l'Ombre depuis de nombreuses années et ils sont tout à fait partisans de participer à la formation de nouveaux gardiens au sein de leur domaine. La seconde, peut-être moins intéressante, mais nécessaire, c'est la surveillance de la Baie Cobalt, non loin de la plage du Prisme. De hautes personnalités y ont entreposé l'un de leurs navires et nombreux sont les intrus qui souhaitent s'en approcher. Votre rôle sera de les maîtriser et d'aider les gardiens de l'Ombre affilié à la surveillance à mener leur mission à bien. »
La jeune femme n’a rien perdu des échanges maladroits entre le Second et le Chef, mais elle doit se concentrer sur ses choix. June hoche la tête en se mordillant la lèvre inférieure. Elle pèse le pour et le contre, en s’imaginant superviser Rose pour attraper des revendeurs de tap. Elle fait la moue : à être trop gourmand, on a tendance à s’enfoncer une lame dans le pied. Elle aimerait beaucoup participer à l’enquête concernant le tap, mais si c’est pour tout rater ou que son enthousiasme fasse des ravages, elle préfère commencer plus petit. Les Mircalla ne l’intéressent pas vraiment. Sa curiosité est plutôt titillée par ce bâteau, dont la surveillance ressemble aux patrouilles que mènent Joseph en ville, et qui semble plus intéressante qu’accompagner la fille Mircalla en promenade.
June inspire longuement, en prenant son temps pour réfléchir. Elle sait que les deux hommes attendent sa réponse, mais elle ne veut pas se tromper. Finalement, elle relève la tête et la hoche, en adressant un sourire contrit à son capitaine.
« Je pense que surveiller la Baie Cobalt peut être un bon début, affirme-t-elle. Aider pour le tap, ça m'intéresse aussi, mais si je dois superviser quelque chose, je préfère commencer doucement. Si ça vous convient, je veux bien accepter cette mission-là ! »
Et puis, si ça peut lui permettre de maîtriser quelques petites frappes en mettant en pratique les enseignements de Rose… Son regard se pose sur la hallebarde atrocement voyante du vampire, et elle se demande si c’est celle-là qu’il emmène en mission. Elle n’espère pas, car, de son propre avis, elle n’est franchement pas pratique, et même si elle est jolie, elle ne doit pas être fonctionnelle. Et puis, ça fait tout de même très prétentieux, ces joyaux…
« Je pense que c'est une sage décision, en effet, approuve Valkyon, et si vous vous en sortez très bien, rien ne vous empêchera de tenter une mission plus complexe. Vous avez encore un petit peu de temps avant votre déménagement.
- Dans ce cas et puisque c'est votre souhait, je vais faire le nécessaire concernant la mission à la Baie Cobalt et je vous ferai parvenir une missive avec les détails. »
L'entretien s'achève avec quelques banalités concernant les formalités administratives du transfert de June au sein du corps armée d'Odrialc'h et bien entendu, ses résultats sur la mission à venir et peut-être les autres seront décisifs.
« Eh bien, je pense que nous avons fait le tour, constate Valkyon, qu'en pensez-vous, Rose ?
- Je le pense aussi. Je vais écrire un compte-rendu immédiatement et je vous le ferai parvenir.
- Ne vous donnez pas cette peine, je vais le faire. » affirme le Chef de la Garde Obsidienne en lui lançant un regard bienveillant.
Rose lui lance un regard confus, mais le grand faelien insiste en arguant qu'il est enfoncé dans la paperasse jusqu'au cou aujourd'hui, de toute façon. L'entretien se termine et June et Valkyon prennent congés, saluant Rose avant de quitter le quartier de l'Ombre.
Le Chef de la Garde Obsidienne est très satisfait de cet échange ainsi que de la mission que sa gardienne a choisie car selon lui, ça lui fera une première expérience adéquate pour tester ses capacités. Arrivés à la Salle des Portes, Valkyon lui souhaite un bon après-midi :
« J'ai hâte d'avoir vos retour sur cette mission et s'il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas à venir me voir. Prenez soin de vous, gardienne Albalefko ! »
June lui retourne ses salutations et quand elle s'apprête à quitter les lieux, elle aperçoit Helouri. Le morgan semble l'attendre et elle sait qu'elle a raison quand elle voit son visage s'illuminer. Un large sourire fend sa figure et Helouri trottine jusqu'à elle, l'air ravi.
« June ! Je sais que tu sors de ton entrainement et que tu as peut-être des choses à faire, mais est-ce que tu peux passer à la maison, s'il te plait ? »
La jeune femme accueille son frère avec un sourire ravi. Le reste de son emploi du temps attendra, de toute façon, elle s’est suffisamment entraînée pour aujourd’hui. En plus, son nez lui indique que changer de vêtements ne serait pas du luxe, alors elle attrape la main du morgan avant d’ébouriffer gentiment sa queue de cheval.
« Seulement si tu me promets qu’il y a de quoi grignoter, réplique-t-elle en le suivant. Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Mais Helouri ne lui dit rien. Il lui lance un sourire énigmatique et même pendant le trajet jusqu'à la maison des Ael Diskaret, il reste muet et se contente de lui parler de banalités.
Quand ils entrent dans la maison, le jeune morgan la laisse enlever ses chaussures pendant qu'il se rend dans le salon.
Une fois pieds nus, June le rejoint et se confronte à Joseph, Cristal et Helouri qui l'attendent, assis autour de la table. Ils lui adressent des regards brillants et des sourires chaleureux.
June se demande ce qui se passe et pour répondre à sa question muette, Joseph l'invite à s'asseoir.
Une fois qu'elle a pris place, le grand morgan lui explique :
« Je sais que c'est un petit peu précipité et que l'on aurait dû te parler de ça autour d'un bon repas, mais disons que les choses sont un petit peu perturbées avec le déménagement. Quoi qu'il en soit, nous en avons beaucoup parlé avec Cristal et Helouri et nous pensons que pour notre nouvelle vie à Odrialc'h, c'est le bon moment. »
Cristal sort un petit dossier qu'elle pose sur la table. Elle le pousse vers June qui l'observe sans parvenir à déchiffrer les lettres.
Cristal le tapote d'un doigt puis lève le mystère :
« C'est écrit "Formulaire Officiel d'Adoption". Avec Joseph, nous nous sommes permis d'y inscrire ton nom, ta date de naissance et les nôtres. Mais puisque tu es majeur, c'est à toi de compléter le reste. Nous t'aimons, June et tu fais déjà partie de notre famille, mais nous avions réellement envie de t'offrir une place parmi nous de manière officielle. Mais la décision te revient, bien entendu. »
Elle les fixe, bouche bée. Son regard passe de Cristal à Joseph, puis à Helouri. Ceux qu’elle appelle déjà parents et frère dans son cœur, et même parfois en public quand elle ne fait pas attention. Sa vision se brouille alors que des larmes viennent recouvrir ses joues, et sa voix n’est qu’un hoquet quand elle bredouille sa réponse. Ses mains s’agitent, viennent recouvrir ses yeux puis toucher le dossier avant de revenir à sa poitrine, avant qu’elle ne se lève brutalement pour se jeter dans les bras de ses parents. Elle attire également Helouri dans leur étreinte et les serre très fort, le corps secoué d’un rire mêlé de sanglots.
« Merci… Je vous aime tellement… »
Parce que même s’ils ne partagent aucun lien de sang, ils sont la famille qu’elle s’est choisie, et rien ne pourrait la rendre plus heureuse que d’en faire officiellement partie.
Rapport de Fawkes à Titan
Titan lui a donné rendez-vous sur le port d'Eel. Comme d'ordinaire, l'endroit grouille de monde et c'est le lieu idéal pour pouvoir discuter sans être entendu.
Yüljet s'est assise sur un banc, face à l'océan et aux bateaux en train de flâner. La troll doit avouer qu'elle se demande ce que Fawkes a bien pu découvrir et s'il est allé jusqu'à s'infiltrer dans l'appartement de Rose. Même si c'est difficile pour lui, Titan pense que ce serait l'idéal afin d'être fixé.
Passant une main lasse sur son visage, elle attend en espérant ne pas avoir plus de doutes à la fin de leur entrevue. Comme à son habitude, Fawkes se faufile à travers la foule. Disparaître au milieu du monde, il sait faire. Être un anonyme, une tête banale parmi tant d’autres. Il s’arrête sur le quai, après avoir reconnu la grande silhouette assise sur un banc. Il fait mine d’observer l’océan, la main en visière au-dessus de ses yeux, avant de s’approcher du banc pour s’y laisser choir.
« Cheffe, gronde-t-il, après un instant de silence. »
La voix caverneuse de Titan lui répond et s’enquiert aussitôt de ce qu’il a pu découvrir. Le renard tient quand même à mettre les choses au clair avant de dévoiler le fruit de son enquête.
« Je suis allé dans la chambre de Rose, cheffe. »
On sent aisément le reproche dans sa voix. Il annonce un état de fait, mais Titan sait lire entre les lignes et elle comprend qu’il exècre cette mission. Il le fait parce qu’il est obligé, mais s’il y a bien une personne à qui il peut cracher son amertume, c’est bien Yüljet.
« C’est à cause de sa mère que Rose nous a rejoint ? embraye-t-il aussitôt. J’ai découvert qu’elle est atteinte d’une maladie de l’esprit et que ce sont les Mircalla qui la soignent. »
Le renard-garou s’adosse au dossier du banc et croise les mains derrière sa tête alors qu’il étend les jambes devant lui. Il a l’air de se prélasser, totalement détendu, mais en vérité, chaque fibre de son corps est tendue.
« Ils s’occupent d’elle en échange de sa loyauté. Tu le savais ? »
Yüljet réprime un soupir. Elle ressent l'irritation de Fawkes comme s'il la transpirait et même si elle savait déjà qu'il détestait cette mission, elle la juge tout de même nécessaire. Aucun doute ne peut être permis.
Néanmoins, Fawkes a fait ce qu'il fallait et à découvert nombre de choses qui ont l'air intéressantes, dont le cœur du problème : Théodora Clarimonde.
Titan s'affaisse quelque peu sur elle-même, les coudes sur les genoux alors que des images se présentent à son esprit :
« C'est juste, répond-t-elle, si Rose a rejoint le cartel, c'est pour que sa mère ne disparaisse pas entre les mains des Mircalla. »
Théodora reçoit les soins nécessaires à sa maladie de l'esprit, mais la troll sait aussi qu'elle est une garantie qui peut disparaître si Rose ne satisfait pas la famille Mircalla. Même si Nevra serait différent, selon ses dires.
« J'ai rencontré Théodora il y a deux ans, explique Yüljet, parce que je voulais constater son environnement de mes propres yeux. C'était la première fois que je mettais les pieds dans un hôpital de ce genre et ça m'a fait froid dans le dos. Théodora y est bien traitée parce que Rose paye ce qu'il faut pour ça, mais les dégâts qu'on fait le tap sur elle sont considérables. Voir une vampire de plus de quarante ans agir comme une enfant, c'est très étrange, crois-moi. Le tap est la seconde raison qui a convaincu Rose de nous rejoindre, puisqu'on se bat aussi contre ça. »
Yüljet confirme et plus encore, puisqu’elle anticipe quelques points qui font partie du rapport de Fawkes. Il approuve d’un ronflement du nez.
« Quatre mille pièces d’or mensuelles… pour la faire soigner et malgré ça, il est pris en tenaille par les Mircalla. J’ai trouvé une lettre de leur part. M’est avis qu’il a été pistonné pour avoir sa place, même s’il se convainc qu’il l’a eu au mérite. Il y en a sans doute une part, d’ailleurs, mais ça arrange bien les Mircalla d’avoir Rose sous la main. Ils font en sorte qu’il leur soit immensément redevable. »
Inspirant, Fawkes se redresse et se laisse tomber en avant, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Il soupire et tourne son visage contrit vers la cheffe des Typhons.
« Ils veulent le marier, Titan. Ils veulent en faire un des leurs. Dis-moi qu’on laissera pas faire ça. Rose n’est clairement pas favorable à cette idée.
- Tu as trouvé quelque chose qui le prouve ?
- Hmm. Sur cette même lettre, j’ai reconnu l’écriture de Rose en bas. Il a écrit “Je n’appartiens à personne”. C’est plutôt parlant.»
Titan s'en est plus ou moins douté. Ça ressemble bien aux projets d'une grande famille telle que les Mircalla. Recruter un orphelin pour le modeler en parfait petit gardien de l'Ombre qui sera éternellement loyal à la famille.
« Sexta n'est pas au courant pour la mère de Rose, reprend Titan, on mettra tout ce que tu as trouvé en lumière quand tu auras fini ton enquête et on verra ce que pensent les autres. Le point le plus important, Fawkes, c'est que si Rose devait choisir entre sa mère et le cartel, je sais déjà ce qu'il ferait. Mais maintenant que nous sommes en train de nous allier aux fées, ça pourrait changer. Ce sont les Maîtres de la Médecine, après tout. »
Même si elle doute fortement qu'une fée comme Candice accepte d'examiner la mère de Rose pour son bon cœur. Mais ce sera toujours une question à creuser.
Titan se met à réfléchir quelques secondes, avant d'ajouter :
« Ce serait bien que tu puisses essayer d'en apprendre plus sur la relation entre Rose et Nevra Mircalla. Malgré ce que tu as trouvé, l'estime que Rose porte à son Chef de Garde est réelle et j'aimerais bien savoir pourquoi.
- Entendu, je chercherai ça. Titan ? Rose est en danger, ici. J’aime pas ça du tout. J’ai trouvé des vêtements et des serviettes pleines de sang. Les lacérations sur ses tenues sont sans équivoque : il accepte sciemment d’être torturé. Je sais pas encore pourquoi… Il est actuellement en soins au QG, mais…»
Fawkes se tait. Il sait qu’ils ont une mission de premier ordre, avec le sauvetage de Sheraz et la libération de Nash. Mais Rose aussi est en mauvaise posture.
« On doit pouvoir le sortir de ce piège dans lequel il se trouve sans l’incriminer ou compromettre sa position à Eel…»
Titan ouvre de grands yeux, interdite. Elle met les informations dans l'ordre, mais elle n'aime pas du tout ce que Fawkes lui dit.
« Comment ? » souffle-t-elle.
Des lacérations ? Rose qui se laisse torturer ? Yüljet secoue la tête, tant ça lui semble improbable et incompréhensible qu'un membre de son cartel accepte des sévices de la sorte. Elle passe une main agitée dans ses tresses et une grimace tord ses lèvres alors que son esprit s'active.
« Si on doit le tirer de là, gronde-t-elle, il faudra l'enlever, Fawkes. »
L'enlèvement sera le seul moyen. Ainsi, la mère de Rose restera en sécurité dans l'institut et elle ne sera pas incriminée. De toute manière et comme pour Nash, l'enquête de Fawkes permettra de prendre une décision en conséquence.
« Termine ton enquête au plus vite. Quand on aura récupéré Nash, on prendra une décision, mais je doute fortement que Fuya, Sexta et Gabrielle refusent de rapatrier Rose à la planque. Cependant, l'enlèvement d'un Second de l'Ombre sera une mission dangereuse, tu t'en doute.
- Je m’en doute et ça m’est égal. C’est Rose, c’est mon binôme, je le laisserai pas, cheffe. Tu le sais. »
Les yeux du renard se sont fendus, il est des plus sérieux et est prêt à en découdre. Même si Rose a été clair sur le fait qu’aucune amitié entre en ligne de compte entre eux, ce n’est pas la question. Fawkes est loyal au Cartel, il l’est aussi envers Rose. Et l’attachement qu’il ressent pour son binôme, amitié ou pas, lui interdit de le laisser aux mains d’un psychopathe qui lui tranche la peau pour le plaisir. Un grondement fait vibrer le poitrail de Fawkes. Ça le rend dingue que le vampire encaisse ça tout seul, sans rien dire à personne, pas même à lui, son co-équipier.
« On se tient au courant, je file avant que ma trogne soit trop commune, ici. »
Quand il se relève, le renard s’étire. Il n’en a pas besoin, mais ça lui permet de gagner quelques précieuses secondes.
« Comment va Fuya ? Rencontrer Candice n’a pas dû la laisser indemne…
- Elle encaisse, mais elle nous a. Elle veut pouvoir se défaire de ses peurs, alors elle va de l'avant. C'est une Typhon, elle est courageuse et elle y arrive.»
De plus, elle a le soutien du cartel. De sa petite famille et Titan sait que c'est important pour elle. Cependant, rencontrer Candice l'a marquée et la terreur que lui inspire la fée est encore importante chez la sirène.
« Que ce soit pour Fuya et pour le reste du cartel, c'est important de ne pas se laisser dominer par Candice. Même toi, Fawkes. S'il essaye de te faire ployer, tiens bon. »
Fawkes se détourne de l’horizon qu’il contemple pour plonger son regard dans celui de Titan. Elle s’inquiète pour eux et ça, il s’en rend bien compte. Alors il hoche la tête. Il n’a pas l’intention de plier face à une fée ou à n’importe qui d’autre.
« Promis. Je vais aller acheter un petit peigne à Fuya. J’en ai vu un au marché qui pourrait lui plaire, annonce-t-il avec le sourire, comme si ce simple petit achat pourrait ramener le soleil sur une journée bien morne. Bonne soirée, Cheffe. »
Sur quoi, il s’éloigne, sa queue ondulant dans son dos. Il ne traîne pas, il a un achat à faire avant que les Purrekos remballent leurs stands. Purriry a eu un arrivage d’accessoires sur le thème des coquillages et Fawkes sait que Fuya en raffole.
Après le froid mordant de la maison d'Ile Grande, la veille, Yüljet est ravie de retrouver les températures idéales de la cité d'Eel. Assise sur un banc, face au port, elle profite du vent salin, mais aussi de la foule pour faire du tri dans ses pensées.
Le cartel s'est rendu sur le continent du Beryx pour libérer Nash et tisser une alliance avec les fées pourtant, une mission bien plus importante s'est profilée. Peut-être deux, en réalité, depuis que la troll a entendu le premier rapport de Fawkes.
Yüljet souffle par le nez et porte une main inconsciente à l'une de ses lourdes tresses. Son esprit lui montre plusieurs voies à emprunter, plusieurs choix à effectuer, mais Titan à l'impression que plus le cartel avance, plus ils font face à un véritable sac de nœuds.
Quoi qu'il en soit, la troll va écrire un courrier à Ryan pour lui relater leur première rencontre avec Candice et Sira Milliget. Ensuite, elle espère lui écrire de nouveau pour lui indiquer que le sauvetage de Nash s'est déroulé sans accrocs, même si elle en doute.
L'un des membres du cartel doit revêtir le voile de Sira pour accompagner Candice jusqu'à la salle d'interrogatoire et Titan sait d'ores et déjà que c'est elle qui le fera. Fuya est trop petite et encore fragilisée par sa terreur des fées, Fawkes aura des difficultés à dissimuler sa queue animale, Gabrielle risque de se laisser emporter par l'émotion des retrouvailles et Sexta quant à elle, serait tout à fait encline à jouer le rôle d'une fée.
Cependant, Yüljet préfère qu'elle se tienne prête à évacuer l'orc avec le reste du groupe. Si Candice et elle parviennent déjà à l'extraire du Quartier Général, ce sera une première victoire, mais elle ne sera complète qu'une fois hors de la cité.
Une fois Nash en sécurité, il faudra songer à Rose et Titan espère que Fawkes reviendra faire son rapport avec d'autres découvertes. Elle veut savoir si Nevra fait office de geôlier ou bien de rempart contre les Mircalla, pour le jeune vampire.
Et qui lui lacère le dos ? Elle souffle par le nez alors que son esprit lui souffle un nom qu'elle n'a pas envie d'entendre.
« Souris un petit peu, on a l'impression que quelqu'un t'as posé un pimpel. »
Yüljet à un léger sursaut quand Sexta prend place à côté d'elle. Elle ne l'a pas entendu arriver, tout comme elle n'a pas remarqué Nelladel, le long du port, son regard perdu vers l'horizon.
« Il t'as dit quelque chose ? demande la troll en baissant la voix.
- Rien depuis l'entrevue d'hier avec sa jolie fée. Il a été triste toute la soirée et j'ai presque eu de la peine pour lui. »
Titan hoche la tête. Leur première discussion avec Candice Milliget s'est achevée sur un accord concernant la libération de Nash ainsi que le plan d'infiltration au grand palais d'Odrialc'h. Ils doivent se retrouver dans quatre jours pour secourir l'orc, mais Yüljet compte discuter avec lui aujourd'hui même car elle a encore beaucoup de questions à lui poser.
Elle veut lui parler des Docteurs Becs et apprendre tout ce qu'il sait d'eux, mais aussi sur la Chair des Roses qui l'intrigue.
Candice a clairement évoqué qu'avant le Grand Exil, les fées étaient l'espèce souveraine avec trois autres. Titan songe notamment aux hauts elfes et si elle a raison, alors ça voudrait dire que Sheraz n'est peut-être pas le seul à être sauvé du grand palais d'Odrialc'h…
« Alors ? lui lance Sexta en la sortant de ses pensées, on va voir nos heureux gagnants pour une entrée gratuite au grand palais ? »
C'est pour ça qu'ils sont là, elle et Nelladel. Contrairement à Fawkes et Fuya, ils n'ont jamais vu June et Helouri et puisqu'ils vont participer à l'élaboration du plan pour les faire travailler pour le cartel, ils doivent les observer. Sexta aura certainement un commentaire à faire mais elle oeuvrera déjà, dans son esprit, à la construction de la meilleure stratégie possible. Nelladel, lui, pourra rapporter toutes les informations nécessaires à son maître.
Mais avant cela, Yüljet veut partager le premier rapport de Fawkes sur l'enquête de Rose.
« Qu'est-ce qu'il a trouvé ? » l'interroge la vampire, intéressée.
Titan lui rapporte tous les détails, surtout ceux concernant les lacérations retrouvées sur le dos de ses habits, les serviettes tachées de sang, les bandages souillés et les sommes qu'il doit verser chaque mois pour l'institut des maladies de l'esprit où est internée sa mère.
« Pour le dernier point, je le savais déjà, confie Titan, sa mère fait partie des raisons pour lesquelles il a intégré le cartel. Surtout à cause du tap.
- Je peux comprendre, répond Sexta, et pour les lacérations, je dois admettre que c'est quand même inquiétant et je ne pense pas que ce soit une pratique sexuelle qui ait dérapé. »
Yüljet lui jette un regard en biais alors que la vampire laisse échapper un rire satirique avant de poursuivre :
« Titan, j'ai tenu la plus grande maison close d'Odrialc'h pendant seize ans. Je suis bien placée pour savoir que la plupart des vampires aiment se blesser et se mordre entre eux pendant l'acte. De vrais imbéciles heureux qui oublient leur nature faiblarde et leurs plaies qui mettent du temps à cicatriser. Si Rosie s'éclate avec son Chef de Garde, une demoiselle Mircalla ou peu importe, grand bien lui fasse, mais j'en doute. De toute façon on va rester un petit peu à Eel après avoir récupéré Nash, non ? Alors on pourra enquêter là-dessus. »
Sexta a vu juste. Pour parfaire le plan d'infiltration au grand palais d'Odrialc'h où June et Helouri sont les pièces maîtresses, Yüljet a prévu de prolonger son séjour à Eel. Si elle peut en savoir plus sur la personne qui blesse Rose, alors elle fera d'une pierre deux coups.
« Tu as une idée de la personne qui peut lui faire ça. »
Ce n'est pas une question. Titan sent le regard de Sexta peser sur sa joue et même si elle ne lui répond pas, elle sait qu'elle a compris. Mais Yüljet espère avoir tort car si c'est le cas, alors il faudra mettre en place un nouveau sauvetage.
Mais je suis sûre d'avoir raison. Ce serait son genre. songe la troll.
Elle met de l'ordre dans ses idées, se lève et fait signe à Sexta de la suivre. Elle espère au moins trouver Helouri quelque part, à travailler un examen qu'il n'obtiendra jamais. Pour June, il leur faudra sûrement camper non loin du Quartier Général jusqu'à ce qu'elle sorte.
De toute manière, Yüljet a déjà demandé à Fawkes de les observer dès que l'occasion se présente.
Une fois debout, Sexta interpelle Nelladel en lui faisant signe de la main :
« Chouchou ! On y va ! »
L'elfe se retourne pour lui adresser un regard fatigué, indifférent aux passants qui les observent avec curiosité, mais, bon gré mal gré, il rejoint celle qui se fait passer pour sa mère. Quand il approche, Titan remarque qu'en effet, il a l'air plus sombre que d'habitude et elle se demande si Candice ne lui aurait pas dit quelque chose. Pourtant, dava doit être habitué au caractère volcanique de son maître, depuis le temps…
« Je crois que finalement, je regrette les brigades, glisse Nelladel à Sexta en lui adressant un faux sourire.
- C'est marrant, rétorque la vampire, je me sentais bien mais dès que je pose les yeux sur ta perruque, je suis énervée. »
Ils s'échangent un regard hypocrite avant que Titan se mette en route à travers la cité d'Eel. Quand elle monte les quelques marches qui séparent l'extrémité du port avec les boutiques et tavernes, elle jette un œil vers celle qui a vu Helouri aider June à se préparer pour les sélections, mais le jeune morgan ne s'y trouve pas.
Suivant sa pensée, la troll prend la direction du refuge et compte le traverser pour atteindre le kiosque central, à présent vide de gradins et d'arène maintenant que les sélections sont terminées. Mais le lieu, lui, ne change pas : le refuge est toujours rempli de regards méfiants, d'expressions ombrageuses et de lèvres noires. Des bouilloires fumantes chauffent sur des feux, des odeurs se diffusent et Yüljet n'y prête pas attention, se concentrant sur sa destination.
Une fois le kiosque en vue, elle avise qu'il abrite déjà quelques adolescents en train d'étudier sous sa couverture, mais aucun morgan en vue. Qu'à cela ne tienne. Titan va vérifier aux alentours du cerisier, mais elle n'y trouve qu'un jeune couple en train de se prélasser alors elle prend le chemin du parc de la fontaine, suivie de Sexta et Nelladel pour rencontrer le calme des saules pleureurs, des bassins et des instruments de musiques en train de verser des larmes d'eau, de la végétation paresseuse sur leur dos. Quelques promeneurs marchent paisiblement sur les sentiers, profitant de la sérénité ainsi que de la fraîcheur des lieux.
« Joli coin, commente la vampire.
- Peut-être, grince Titan, sauf que c'est ici que le fils Ael Diskaret a failli se faire un mauvais sort. »
Elle se souvient très bien de ce fameux moment où elle se cachait de ouvriers venus construire l'arène et les gradins pour les sélections, Mery sur ses talons. Là, elle avait vu Helouri s'approcher d'un bassin, ses sandales à la main et une idée sombre en tête, avant que la Capitaine le trouve. Yüljet ignore si le jeune morgan se sent mieux dans sa peau et si son père a pu avoir une conversation avec lui vis-à -vis de ses aspirations.
« Quand j'étais cachée sous les gradins, dans la pièce réservée aux candidats, explique Titan, c'est lui qui m'avait vu.
- Et il n'a rien dit à personne ? interroge Sexta, curieuse.
- Non. La preuve en est que j'ai pu rentrer à Odrialc'h. »
Helouri n'a rien dit parce qu'il a été trop lâche pour le faire, Yüljet en est certaine. Elle sait que le constat du potentiel candidat à la nomination de serviteur personnel de la mégère n'est pas très reluisant, mais peut-être que Candice Milliget pourra en faire quelque chose.
Titan, Sexta et Nelladel continuent de s'enfoncer dans le parc, jusqu'à ce que les yeux onyx de la troll attrapent une peau glacée et des boucles nacrées. Yüljet se fige.
Loin de l'eau, assis face à une petite table en bois mise à la disposition des civils et touristes, le jeune morgan est plongé dans un livre. Il a relevé ses cheveux en une queue de cheval, dégageant son front et sa nuque, mais il a pris soin de couvrir ses branchies atrophiées grâce au col haut de sa tunique couleur lavande.
Près de lui, un sac déborde de parchemins, de plumes, d'encriers, de calepins et d'autres ouvrages traitant des plantes et de la médecine.
« C'est lui. » indique Yüljet.
Sexta le détaille, les yeux plissés, tel un prédateur qui vient de découvrir une proie particulièrement intéressante. Titan sait que dans son esprit, elle évalue la première impression que lui laisse Helouri Ael Diskaret afin de mieux déterminer sa capacité à remplir son rôle, au sein de leur plan.
La vampire tapote distraitement sa joue pâle alors qu'une exclamation dédaigneuse lui échappe :
« C'est ça, le grand érudit ?
- Il est faible, argue Yüljet, mais il est capable d'apprendre. Quand la médecin en cheffe discutait avec son père, elle disait qu'il avait toutes les capacités morales nécessaires pour devenir un bon médecin, mais aussi la curiosité intellectuelle adéquate pour mémoriser énormément d'informations.
- Un bon médecin n'est pas un bon candidat aux nominations, réplique Sexta, les autres ne feront qu'une bouchée de lui. »
La troll ferme brièvement les yeux. Comme elle s'y attendait, le constat du jeune morgan n'est pas des plus favorables pourtant, avec de solides motivations et un modèle intraitable comme Candice Milliget, il aura une chance, même infime, d'y arriver.
« Qu'est-ce que tu sais de lui ? demande Sexta, inquisitrice.
- Comme je l'ai dit à Candice, c'est le fils du vainqueur des sélections, Joseph Ael Diskaret. Il veut devenir médecin, mais il a échoué cinq fois à l'examen, il a les branchies atrophiées, c'est un lâche qui s'accroche à celle qu'il considère comme sa grande sœur, June Albalefko, ou bien à ses parents. Aussi, il a des soucis au cœur qui nécessitent un traitement : de la tachycardie et il a été victime d'un accident, le jour où la Capitaine est arrivée à Eel. Il est tombé du port et à faillit se noyer. C'est Fawkes qui l'a sauvé. Suite à ça, il est venu ici, dans ce parc, pour essayer de mettre fin à ses jours, mais la mégère l'a rattrapé, même si je ne sais pas s'il serait vraiment passé à l'acte.
- Là, tu te fous de ma gueule, Titan. »
Sexta se retourne vers sa cheffe d'un mouvement leste, l'air contrarié. Elle croise les bras et fixe le visage de Yüljet pour y chercher toutes traces de plaisanteries, mais elle n'en trouve pas. Titan est très sérieuse.
La vampire cherche à comprendre le sens de sa décision, cette idée qu'elle a soumise à Candice Milliget qui ne s'est manifestement jamais intéressé aux enfants de Joseph Ael Diskaret pour que le choix de Yüljet lui importe peu.
« Quel est ton plan ? reprend Sexta, la nomination du nouveau serviteur de la Capitaine sera pire que les sélections. Des milliers de candidats seront là et tu imagines que cet abruti de poisson défectueux qui, je le pense, doit avoir peur de son ombre, va réussir ?
- C'est justement parce qu'il est fragile qu'il va réussir. » tranche Titan.
Et parce qu'il est malléable, aussi. Candice Milliget est un monstre arrogant aux yeux de la troll, mais pas un idiot. Tout ce qui lui importe, c'est sa famille et son peuple alors s'il a été assez intelligent pour mettre ses répulsions personnelles de côté et obéir à son sarabana, alors lui aussi verra l'opportunité que peut représenter un être aussi faible qu'Helouri.
« Tu crois que notre petite fée pleine de bonté et d'amour va accepter ça ? raille Sexta.
- Candice va le tuer. »
Les deux faeliennes se tournent vers Nelladel, resté silencieux. L'elfe à les yeux fixés sur Helouri et à son air grave, il partage les pensées de Sexta. Désignant le jeune morgan du menton, il ajoute avec conviction :
« Je ne plaisante pas. Si vous lui présentez ce type-là, il va prendre ça pour une injure et vous allez le regretter.
- De toute façon on devrait même regretter de respirer dans la même pièce que lui, à t'entendre…» persifle la vampire d'un ton aigre.
Mais qu'importe ce qu'ils peuvent penser. Titan, elle, est certaine de son plan. Si le cartel procède de manière intelligente, s'ils se passent d'une stratégie qui comporte des otages à garder enfermés au sein de la planque et s'ils œuvrent de façon à ce qu'Helouri et sa grande sœur leur soient loyaux et redevables, alors ça peut fonctionner…
Dans l'esprit de la troll, Candice ne brisera pas le jeune morgan pour le reconstruire.
Non.
Il le brisera et Helouri sera forcé d'avoir la volonté de se reconstruire. Lorsque ce sera fait, il sera assez fort pour participer à la nomination. Ses chances de la remporter seront déjà beaucoup plus grandes et d'impossibles, elles passeront à peut-être.
« Et sa sœur, elle est comment ? demande Sexta.
- Plus affirmée, plus enthousiaste, elle… »
Yüljet tressaille quand elle sent un froid agressif l'assaillir et si elle lève les yeux pour aviser le temps, elle constate pourtant qu'il n'a pas changé. Elle se retourne, les muscles tendus, lorsqu'elle entend du bruit dans le feuillage. Sexta l'imite, la bouche tordue.
Le saule pleureur dans leur dos s'agite et entre ses tristes lianes, la silhouette voilée d'une fée jure avec leur couleur fade. Nelladel blêmit, Yüljet et la vampire pâlissent, s'interrogeant quant à sa présence, jusqu'à ce que le Milliget se fige.
La troll voit ses mains claires se tordre, sa tête les regarder un par un sous sa pelisse irisée, jusqu'à ce qu'il lève les bras pour agiter ses paumes comme s'il voulait les apaiser et chuchoter :
« C'est moi ! C'est moi ! »
Titan et Sexta échangent un regard suspicieux, mais l'elfe, lui, pousse un long soupir avant de plaquer une main sur sa perruque et souffler avec inquiétude :
« Sira, qu'est-ce que tu fais là ? Si ton frère te cherche… »
Derrière Nelladel, Yüljet et la vampire se sentent plus légères. Néanmoins, elles sont curieuses de savoir ce que la fée fait dans la parages et si elle les cherchait, ce qui semble être le cas. Titan la voit s'affaisser sur elle-même comme une fleur en train de faner.
Puis, avec des gestes très doux, elle attrape les pans de son voile pour dégager son visage rond.
Ses grands yeux noisettes fixent ses spectateurs confus avec fascination alors qu'un grand sourire se peint sur ses lèvres. Ses longues boucles d'un rose fatigué coulent le long de sa silhouette pour venir flatter le bas de sa robe bleue.
« Personne m'a vu, reprend Sira, et Candice ne saura rien parce qu'il a dû retourner sur le bateau. Yeva est encore en train de convulser et Erika s'est encore agitée. »
Titan l'écoute avec attention. Les Milliget gardent toujours les sujets humains à proximité, visiblement, et sous une surveillance permanente. La troll se demande bien ce qui peut leur arriver et comme pour appuyer à sa question muette, Sexta s'intéresse beaucoup au sujet :
« Qu'est-ce qu'il leur arrive, exactement, à ces dames ?
- Convulsions hyperthermiques, tranche Nelladel qui a vu clair dans son jeu, les caissons des sujets humains sont chauffés par des noyaux arcaniques, mais il est impossible de réguler complètement la température. Quand ils ont trop chaud, ils finissent par convulser. Et parfois, ils s'agitent simplement dans leur sommeil à cause d'un mauvais rêve, mais il faut toujours vérifier. »
Sira hoche vigoureusement la tête, mais Nelladel lui intime, l'air embarrassé, de faire attention à ce qu'il dit. La fée ne voit pas le mal, mais elle porte les mains à sa bouche quand elle se souvient des mots de son frère :
« C'est vrai, souffle-t-elle tristement, je parle trop. Je dois me taire. Je dois faire attention.
- Ce n'est pas grave, le rassure l'elfe, je vais faire comme si je n'avais rien entendu et les deux dames qui sont avec nous ne vont pas s'amuser à aller répéter tout ça à ton frère. »
Sexta a un geste de la main quand Yüljet arque un sourcil, comme si aller parler d'humaines en train de convulser à Candice était dans ses préoccupations. Néanmoins, ce genre de détail est toujours intéressant à entendre. Titan aimerait savoir comment se portent ces deux femmes qui viennent de la Terre parce que les évoquer la renvoi au récit de Mery et aux Docteurs Becs. Mais qu'est-ce qu'elle pourrait faire pour elles, si ce n'est empêcher la conquête terrienne pour éviter que d'autres humains servent de sujets ?
« Tu voulais nous dire quelque chose ?
- Non, explique Sira, moi je suis juste sorti dehors parce que j'en avais marre d'être enfermé tout seul avec Shelma qui dort. Puis j'ai reconnu vos voix, surtout celle de Neldel.
- Nelladel, le reprend ce dernier.
- Oui, pardon, je m'excuse. Nedalell. Et je me suis souvenu de quelque chose pendant que je me promenais. »
La fée se tourne vers l'elfe, qui lève les yeux aux ciel, et lui demande de venir avec elle en faisant de grands gestes. Titan et Sexta échangent un regard, curieuses de voir ce que Sira veut lui montrer, même si la troll est plus ennuyée quand au fait que Candice se trouve sur le bateau de sa famille alors qu'elle aurait voulu s'entretenir avec lui.
Et elle doute fortement que Sira puisse répondre à ses questions…
« Alors ? » s'impatiente une voix agacée, plus loin dans le parc de la fontaine.
Yüljet tourne la tête pour remarquer qu'Helouri n'est plus seul. Le jeune morgan est toujours attablé auprès de ses livres, assis sur son banc en bois mais près de lui, il y a un grand elfe aux cheveux bruns qui ouvre des yeux méfiants sur le décor, ignorant que quatre faeliens se trouvent derrière les épaisses lianes d'un saule pleureur.
Le visage d'Helouri se décompose et son regard se fait fuyant. Crispant ses mains glacées sur le bord de la table, il grimace :
« Je ne sais pas…
- Dépêches-toi de te décider, alors. J'attendrai encore une heure au refuge. Si tu ne viens pas, c'est tant pis pour toi. »
L'elfe tourne les talons, laissant sur place un Helouri en proie à une angoisse et un affreux doute. Il passe une main tremblante dans ses cheveux attachés, prend une grande inspiration, souffle par le nez et plonge de nouveau dans sa lecture pour s'en détourner aussitôt.
Titan fronce les sourcils alors que Sexta secoue la tête.
« Laisse tomber ça, chuchote-t-elle, on va trouver quelqu'un d'autre.
- Non, rétorque sa cheffe, attendons un peu. »
Attendre quoi ? siffle la vampire.
Attendre de comprendre. C'est ce que le cartel doit faire s'il veut trouver une cible parfaite pour incarner un rôle compliqué dans une mission compliquée.
Derrière la troll et Sexta, Sira s'impatiente, si bien que Nelladel finit par céder pour le suivre. La vampire lui emboîte le pas et Yüljet se détache enfin d'Helouri, même si elle aurait souhaité pouvoir continuer sa surveillance.
La fée rabat son voile sur son visage et trottine dans le parc de la fontaine, prenant soin de rester près des buissons et arbres qui longent le mur pour se dissimuler aux regards d'autrui si besoin. Titan doit admettre qu'il est discret et qu'il fait très attention de ne pas se faire remarquer, signe qu'il n'en est pas à sa première escapade.
Il les guide jusqu'à la sortie nord, celle qu'avait sans doute emprunté Shakalogat Gra Ysul pour empêcher Helouri de faire une bêtise, et se dirige vers le Quartier Général. Yüljet s'arrête quelques secondes, perplexe. Nelladel l'imite. Ils regardent la fée se faufiler derrière les étals du marché, son voile roulé en boule entre ses bras le temps de traverser le lieu bondé de monde et quand il menace d'être hors de leur vue, la troll et l'elfe se dépêchent, Sexta les devançant.
S'engouffrant dans une ruelle, il couvre sa silhouette de nouveau et file de plus belle, Titan, Nelladel et la vampire devant se hâter pour le garder dans leur champ de vision. Ils sont encore plus confus quand ils remarquent que l'endroit où les emmène la fée n'a absolument rien d'engageant et ressemble plutôt à une petite décharge où les divers marchands entreposent leurs caisses et tonneaux vides, abîmées, en attendant qu'elles soient emportées par ceux qui nettoient les rues.
D'un coup d'ailes, Sira se hisse sur la pile la plus haute en faisant signe à Nelladel de grimper :
« Tu veux vraiment que je me rompe le cou, c'est ça ? lance l'elfe en lui jetant un regard suspect.
- Vite ! s'impatiente la fée Milliget en s'agitant, tu vas tout manquer ! »
Poussant un soupir, Nelladel s'exécute et amorce une ascension maladroite. Yüljet le regarde atteindre le sommet pour le voir se figer, un frisson parcourant chaque muscle de son corps alors qu'il se met presque à trembler. Son regard est rivé vers un horizon qui n'a plus de secrets et il semble si fasciné, concentré, captivé.
Intriguée, Titan s'engage à son tour, prenant appuie sur un amoncellement de caisses et de tonneaux à la gauche de l'elfe pour se hisser et user de sa grande taille afin de découvrir ce qui l'hypnotise de la sorte.
Elle comprend.
Au-delà du mur sale de ce cimetière de contenants, il y a une vue imprenable sur le quartier des Absynthe, sur leurs bâtiments, leurs serres et leurs jardins. L'endroit est magnifique mais trop peu d'âmes s'y activent. Une en particulier, surtout.
Courbé sur un parterre de fleurs et cerné par diverses plantes, un elfe aux longs cheveux saphir et vêtu d'une tunique de travail examine divers détails tout en prenant des notes dans un carnet. Il explore les tiges, les feuilles, les pétales, les fruits, les graines, la terre elle-même… Son regard fixe le sol, ses mains noircies plongent dans ses entrailles pour mieux percer ses secrets et quand quelque chose lui vient à l'esprit, alors il l'écrit en souhaitant de tout son cœur, sûrement, que ça serve à quelque chose.
Yüljet lève les yeux vers le profil de Nelladel. Sous sa perruque, son menton tremble et des larmes silencieuses viennent couvrir ses joues. Ses mains tiennent fermement le bord du mur alors que son corps, penché vers l'avant, souhaite retrouver son miroir.
Ezarel Séquoïa essuie son front à l'aide de sa manche, ébouriffant sa frange bleue au passage, avant de reprendre son travail.
Titan et Sexta, qui a fini par assouvir sa propre curiosité, font semblant de ne pas entendre Nelladel renifler cependant, leur attention s'éveillent pleinement quand des ailes se mettent à vrombir.
Sira a quitté son point d'observation pour descendre et filer vers le marché.
« Sira ? … Sira ! »
L'elfe se reprend, saute à son tour et court après la fée Milliget qui s'est éclipsée, laissant Yüljet et Sexta pantoises, sans comprendre.
« Qu'est-ce qu'il lui prend ? » siffle la vampire.
Titan hausse les épaules tout en descendant à son tour, déterminée à reprendre la surveillance d'Helouri Ael Diskaret. Elle s'apprête à partager son idée avec Sexta, quand cette dernière propose :
« Autant je me dis qu'il n'a vraiment pas inventé la poudre, autant je me demande ce qui l'a fait courir comme ça. Je vais essayer de le retrouver avec notre ami Nelladel.
- Laisse tomber, tranche Yüljet, on reprend la surveillance pour le plan. Après, j'aimerais bien retourner parler à Candice si ce qu'il a à faire sur le bateau ne lui prend pas toute la journée. »
Mais la vampire semble hésiter. Il est vrai que le comportement de Sira est curieux et même si elle ne le connaît pas très bien, Yüljet doit avouer que c'est intriguant. Sauf que la conversation entre Helouri et cet elfe étrange l'est tout autant.
La troll se mord la lèvre.
Elle hésite.Les Choix
Sira a guidé Titan, Sexta et Nelladel jusqu'au fond d'une ruelle où les marchands entreposent leurs caisses et tonneaux vides. Cet endroit offrant une vue imprenable sur le quartier des Absynthes, Nelladel a pu y apercevoir son frère. Cependant, Sira a filé sans demander son reste et l'elfe s'est lancé à sa poursuite.
Sexta est tentée de l'imiter mais Titan hésite : en effet, plus tôt, lorsqu'elle observé Helouri, elle a surpris un échange des plus étranges entre ce dernier et un elfe plutôt mystérieux qui lui donnait rendez-vous au refuge s'il se décidait. Elle serait plutôt tentée d'aller voir ce qui se passe.
Que devrait faire Titan ?
➜ Chercher Sira avec Nelladel.
➜ Chercher Helouri.
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Après avoir fait son premier rapport à Titan, Fawkes est chargé d'enquêter sur le lien entre Rose et Nevra afin de déterminer pourquoi son binôme le tient en si haute estime.
Quelle serait la meilleure opportunité pour les observer et continuer ses investigations ?
Quand tu seras prêt, Waïtikka, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Il est temps pour June de réaliser sa première mission dans le cadre de son suivi ! Elle a choisi la surveillance d'un bateau à la Baie Cobalt ! Voyons ce qui l'attend.
Quand tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo : la suite des investigations de Lilymoe dépendra beaucoup de sa pensée vis-à-vis de ce qu'il a reçu. Nous verrons cela en MP lorsque tu seras prêt !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous et bienvenue sur le chapitre 31 !
Alors, un petit mot pour vous prévenir que la première partie peut être un petit peu difficile pour les âmes sensibles puisqu'elle traite de l'addiction et des dégâts qui s'ensuivent.
Aussi et comme d'habitude, on remercie nos chers adeptes du RP qui viennent compléter de chapitre !
J'espère que vous apprécierez votre lecture !
(La refonte de la bibliothèque et l'élaboration de la carte sont toujours en cours, vous aurez un petit post quand ce sera fini ^^)
Je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 31 - Ochata Veh Nia
Enquête Numéro 4 - Observation
Posté à la falaise, Fawkes les observe. Il les a suivis jusqu'en dehors d'Eel et si les conversations restent banales pour le moment, le renard-garou tend tout de même l'oreille. Prendre Rose en filature, c'est s'exposer à être débusqué par Nevra, mais il prend le risque. Fawkes sait ce qu'il fait.
Nevra et Valkyon marchent d'un pas tranquille en discutant. Leur proximité amicale crève les yeux et le vampire ne se prive pas de plaisanter, de rire en administrant de grandes tapes dans le dos de son ami et Chef de la Garde Obsidienne.
Rose, lui, les regarde.
« Et pour tes quarante ans, qu'est-ce qui te ferait plaisir ? demande subitement Nevra.
- Je ne les ai pas encore, sourit Valkyon, laisse-moi profiter des trois années qu'il me reste.
- Il faut bien que j'anticipe. »
Manifestement, le vampire Mircalla a une idée grandiose. Plusieurs, même, que Valkyon réfute d'un geste de la main en arguant que les présents trop ambitieux le mettent mal à l'aise.
Soudain, Nevra se retourne vers son Second. Le vent du large balaye leurs cheveux, faisant voler ceux de Rose sur ses épaules.
« Rentre te reposer, lui dit-il d'un ton bienveillant, tu es fatigué.
- Je vais bien.
- Et moi, je suis une fée à dix ailes. Passe donc chercher une poche chez moi et va manger. »
Mais Rose refuse de s'en aller. Il dit que l'air salin lui fait du bien et Valkyon intervient pour affirmer qu'il le comprend. Après une dure journée de labeur, il est difficile de s'enfermer, la tête pleine.
« Faites tout de même attention à vous, Rose. Vous m'avez inquiété l'autre fois. Vous avez inquiété June, aussi.
- Je suis désolé. Veuillez m'excuser. » répond immédiatement le vampire en baissant les yeux.
Nevra pousse un long soupir, mais un sourire éclaire sa figure. Levant une main, il ébouriffe amicalement les cheveux de son Second et reprend sa conversation avec Valkyon. Rose, lui, ne bouge pas. Il se contente de fixer le dos du Chef de la Garde Obsidienne en tordant nerveusement ses doigts.
Fawkes plisse les yeux. De là où il est perché, sur cet énorme rocher tara biscornu, il peut observer sans être vu, écouter sans être entendu. Il est à contre sens du vent, son odeur ne le trahira pas, en revanche, il peut percevoir si un des hommes a une émotion forte. Il assimile le comportement protecteur de Nevra à celui d’un grand frère et quelque part, il devine que ça contribue à l’admiration que lui porte son Second. Fawkes n’a pas eu de grand frère et si quelqu’un agissait ainsi avec lui, en toute sincérité, il ne pourrait pas garantir qu’il y serait indifférent. Il note aussi que la bienveillance de Valkyon embarrasse Rose. Pourquoi, ça, par contre, c’est une bonne question et Fawkes fronce les sourcils en tendant bien l’oreille.
« Et tu as commencé les entretiens pour les suivis inter-garde ? demande Nevra.
- Absolument, répond Valkyon, d'ailleurs je pensais te transmettre les premiers dossiers tout à l'heure.
- Seulement après une petite pinte d'hydromel, cher ami. »
Le grand faelien secoue la tête, exaspéré, mais accepte volontiers. Non loin d'eux, Rose semble chercher quelque chose dans ses poches. Il les tâtonne d'un geste vif, avec anxiété, le corps tendu, quand enfin il se relâche après avoir trouvé ce qu'il désirait.
Il s'agit d'une clé rattachée à un petit bracelet de perles noires. Le vampire à l'air rassuré, mais quand il s'applique à le ranger, l'objet lui échappe des mains pour atterrir dans l'herbe. Rose se baisse immédiatement pour le ramasser.
« Attendez, n'ayez crainte. » s'élève la voix de Valkyon.
L'entreprise du Second de l'Ombre n'a pas échappé au grand faelien qui s'accroupit pour attraper la petite clé. Le vampire, lui, se recroqueville sur lui-même, ramenant ses mains vers lui comme s'il craignait de se brûler au contact de Valkyon.
« Il va falloir garder à l'esprit que tu ne perds jamais rien, intervient Nevra avec le sourire, je vais finir par t'apporter une sacoche pour ranger tes clés, si c'est ça.
- Non. Ça va aller. »
Visiblement, le bracelet de perles lui suffit amplement. Valkyon le lui tend en ajoutant qu'il n'est pas abimé et que c'est même impressionnant, vu l'âge qu'il a.
« Je ne suis pourtant pas le plus doué pour des travaux méticuleux comme celui-là, rit Valkyon.
- C'est très bien. » répond Rose d'un ton rapide.
Le Second de l'Ombre récupère sa clé et la serre entre ses mains comme s'il avait peur de la perdre à nouveau. Nevra ajoute en plaisantant qu'il va la faire monter en pendentif, si ça peut le rassurer avant de se tourner vers Valkyon, avec un éclair de génie, pour lui intimer qu'un bijou de ce genre serait une parfaite idée de cadeau. De l'or et du rubis pour ses quarante ans.
Mais le grand faelien refuse, une fois de plus.
Plus que le comportement de Nevra, c’est celui de Valkyon qui interpelle Fawkes. Il est familier, très familier avec Rose, alors qu’ils ne sont pourtant pas de la même Garde. Fawkes avait cru comprendre qu’avant ces entraînements intergardes, les gardiens d’une spécialité ne communiquaient pas beaucoup avec les autres. Les yeux du renard accrochent le bracelet. Des perles noires. Un bijou que Valkyon aurait confectionné ? Pour Rose ? En quelle occasion ? Et si Nevra plaisante pour détendre l’atmosphère, son Second a l’air plus tendu, intimidé. Pourtant, il ne semble pas à Fawkes avoir jamais vu Rose intimidé par qui que ce soit. Quelque chose le lie à Valkyon. Quelque chose qui l’intimide, qui l’embarrasse et le tend.
Aussitôt, Fawkes repense aux vêtements lacérés qu’il a trouvé dans la chambre de Rose. Pourtant, Valkyon n’a pas l’air de chercher à avoir une quelconque dominance sur lui. Au contraire, l’obsidien est très bienveillant et Fawkes refuse de croire que c’est cet homme là qui lacère son binôme. Conscient qu’il en a peut-être pour un moment, Fawkes se cale confortablement, son regard capture chaque mouvement des trois hommes.
La discussion entre Nevra et Valkyon reprend de plus belle, le vampire argumentant son idée de cadeau pour tenter de convaincre son ami qui refuse encore une fois. Un rubis monté en pendentif, ce serait beaucoup trop voyant et le grand faelien n'est pas le genre de personne à porter des bijoux de ce genre. Pas de bijoux du tout, à vrai dire.
Rose lui, est planté derrière eux, les bras dans le dos, à les écouter sans rien dire.
« Et qu'est-ce qui te ferait plaisir, alors ? demande Nevra, las, avec un grand geste de la main.
- Une vie paisible. » sourit Valkyon.
Mais encore ? Le vampire insiste, faisant mine d'être curieux, alors qu'il connaît déjà la réponse. Cependant, son ami perd son regard vers l'horizon, les bras croisés sur son torse massif, et l'air parfaitement serein.
« Une vie simple pour un homme simple, reprend-t-il d'une voix lointaine, rencontrer une femme qui aime la vie, fonder une famille, vieillir en regardant mes enfants grandir… Ce genre de vie.
- Et pour mon pendentif ?
- Tu es impossible avec ton pendentif. »
Nevra éclate d'un rire franc.
Derrière eux, Rose blêmit. Il tente de garder contenance pourtant, son visage le trahit. Ses lèvres sont si serrées qu'elles forment une ligne mince, ses yeux s'agrandissent, brillent d'un éclat étrange et son corps tout entier semble se tasser sur lui-même.
L’état dans lequel s’enfonce Rose n’échappe pas à l'œil alerte de Fawkes. Ce désir de vie tranquille et de famille à fonder mine totalement le jeune vampire. Et le renard pense deviner pourquoi. Fawkes en tombe des nues, s’il s’attendait à ça. Rose qui est pourtant si guindé, si fermé aux lois de l’affect, en pince pour Valkyon Batatume. Le cœur de Fawkes se serre pour lui. Les mots que vient de prononcer l’obsidien doivent être très difficiles à encaisser pour son binôme et Fawkes ne peut même pas être là pour le soutenir. Toutefois, le renard se rappelle qu’ils ont des choses moins futiles que les aléas de l’amour, pour se laisser disperser. Il tend l’oreille en espérant en apprendre plus sur ce qui suscite tant d’admiration de la part de Rose, en Nevra.
Ce dernier termine sa conversation avec Valkyon, qui doit prendre congé pour aller préparer les dossiers dont il parlait tout à l'heure, avant de promettre à son ami de le rejoindre à la taverne, autour d'une pinte d'hydromel.
Fawkes se tasse dans son coin de rocher pour que Valkyon ne voit pas un poil de sa fourrure rousse en s’en allant. Il va pouvoir écouter comment est Rose, seul, avec Nevra.
Une fois le grand faelien parti, le vampire se rapproche de son Second et l'apostrophe d'un ton légèrement agacé :
« Je ne t'ai pas vu au repas d'hier soir. Tu y a pourtant été invité.
- Je suis désolé.
- Je sais que c'est pénible pour toi, mais tu dois y aller. Mes parents comptent sur ta présence. Mon oncle et ma tante aussi, tu t'en doute bien… »
Rose s'affaisse sur lui-même, réprimant un soupir, mais il se reprend. Son corps est aussi rigide que d'habitude et il déclare d'un ton monocorde qu'il se rattrappera.
« Tant que tu agis comme ils le veulent, tout ira bien, lui explique Nevra, et je vais t'aider, Rose. Je te le promets, d'accord ? Pour le moment, fais juste en sorte de ne pas les contrarier, quitte à jouer le jeu avec Élise.
- Je n'y arrive pas, avoue le Seconde de l'Ombre, C'est… »
Le silence tombe entre les deux hommes. Nevra souffle par le nez, puis passe un bras sur les épaules de Rose. Ce dernier ne bronche pas.
« Je sais ce qu'il y a, affirme le Chef de la garde de l'Ombre, et je sais aussi que ça fait partie des choses dont tu ne veux pas me parler. Je ne sais plus comment te dire que je peux tout entendre.
- Vous ne pouvez pas. Je vais simplement faire de mon mieux pour contenter votre famille. Je m'excuse pour hier soir.
- Ce n'est pas tes excuses que je veux entendre. Mais qu'importe. De toute façon, un jour, je finirais par tout savoir. »
Voir Nevra passer son bras sur les épaules de Rose hérisse la fourrure de Fawkes. Son instinct lui commande d’aller lui grogner dessus et de lui intimer de lâcher son binôme. Cependant… Les deux vampires ont l’air proches. Nevra parle de sa famille comme s’il ne s’y incluait pas vraiment. Du moins, il a l’air d’être du parti d’aider Rose. Ces deux-là fomentent quelque chose pour bafouer les projets de la famille Mircalla et si Fawkes ne comprend pas les motivations de Nevra, il n’en est pas moins satisfait.
Rose n'a plus rien à dire et Nevra ne poursuit pas leur conversation. Ils se contentent simplement de regarder l'horizon, jusqu'au moment où le Chef de la Garde de l'Ombre décide de rentrer afin de se pencher sur les fameux dossiers de suivi du projet intergarde, avant de rejoindre Valkyon à la taverne.
« Tu rentres ? demande-t-il à Rose.
- Je vais rester encore un petit peu. Ne m'attendez pas. » répond le vampire d'une voix monocorde.
Nevra plisse son œil gris, semble hésiter, mais se détourne pour regagner la cité d'Eel, non sans avoir intimé à son Second de passer chez lui prendre une poche de sang humain. Ce n'est pas tous les jours qu'il peut lui en fournir une dans le dos de sa famille, après tout.
Puis il quitte les lieux.
Rose, lui, reste. Immobile face à l'horizon, il est stoïque, comme d'ordinaire. Ses bras croisés sur son torse viennent pendre le long de son corps et quand une bouffée d'air salin vient lui fouetter le visage et balayer ses longs cheveux noirs, il pousse un long soupir.
Il vient essuyer quelque chose sur sa figure d'un geste agacé.
Rose reste immobile quelques secondes avant de faire un pas vers la falaise, puis un autre… Encore un autre jusqu'à se retrouver vers le bord.
Le cœur du renard-garou se serre en voyant Rose essuyer sa joue. Fawkes y devine une larme et jamais il n’a vu Rose ainsi. Alors quand celui-ci s’avance vers la falaise, un pas après l’autre, le renard se tend, les yeux écarquillés sous ses sourcils froncés, les muscles bandés prêts à surgir si Rose tente un malheureux pas de plus.
Mais il reste immobile. Le vampire ne bouge plus, la tête baissée pour observer les flots se déchaîner contre les rochers en contrebas et si un instant il a l'air décidé à en finir, il se recule et fait demi-tour pour rentrer à la cité d'Eel, le visage aussi sombre que ses pensées. Fawkes se tasse à nouveau entre les rochers et son regard noisette ne se décroche pas de Rose qui s’éloigne vers la cité d’Eel. Le cœur du renard bat la chamade. Son binôme lui a fait une belle frayeur et ce qu’il a dit à Titan, sur le fait de trouver une solution rapidement pour Rose, n’en est que plus vrai encore, maintenant.
Mission à la Baie Cobalt (première évaluation de June sur le terrain)
June arrive aux portes de la cité avec quarantes minutes d'avance pour attendre Rose.
Comme d’habitude, elle a de l’avance. June passe les portes de la cité en saluant les gardes, puis marche un petit peu pour observer le soleil se refléter sur la mer azurée. Elle sourit en inspirant l’air salin qui lui rappelle la maison des Ael Diskaret, et elle songe qu’après sa mission, elle pourra aller sur la plage ramasser quelques coquillages. La gardienne se retourne pour garder un œil sur la porte : il s’agirait de ne pas rater son partenaire du jour, car elle est venue en avance pour faire le trajet en sa compagnie.
June passe une main nerveuse dans ses cheveux cendrés : elle espère ainsi calmer l’anxiété qui parcourt ses nerfs à l’idée de diriger une mission seule, même si c’est avec Rose Clarimonde et qu’elle sait qu’il rattrapera ses erreurs si besoin. A nouveau, elle détourne les yeux pour se perdre sur la falaise et la mer, alors que ses doigts viennent triturer son équipement, ses vêtements et se tordrent machinalement entre eux.
Ce qu'elle ignore, c'est qu'elle est observée. Se fondant presque avec les murs blancs de la cité d'Eel, une silhouette drapée d'un long voile irisée a pris toutes ses précautions pour échapper à la surveillance des guetteurs. Ils ont l'air très gentils et elle apprécie particulièrement leurs tuniques azurées, mais elle ne veut pas se faire attraper.
Aujourd'hui, Sira veut filer vers la forêt, puis la plage, parce qu'il n'y en a pas derrière la frontière. Mais la demoiselle qui semble attendre quelqu'un ou quelque chose l'intrigue. Aussi, elle est différente de lui, comme toutes les personnes qui vivent au-delà du royaume des fées.
Sira s'approche avec discrétion, ses longs doigts agrippant ses cheveux d'un rose fatigué, sous son voile. Planté à quelques mètres de la jeune dame, il observe ses cheveux, sa tenue et surtout les couleurs. Ses mains agitées se rejoignent dans son dos.
June frictionne inconsciemment ses bras. Après quelques instants, la jeune femme fronce les sourcils pour lever la tête vers le ciel, et constater qu’il n’est pas recouvert de nuages. Elle a froid, pourtant. Ses yeux se plissent tandis qu’elle se tourne dans tous les sens pour essayer de trouver d’où vient cette sensation inattendue, et elle sursaute quand elle capte une silhouette un peu plus loin. Concentrée sur l’hiver qui semble vouloir s’installer près d’elle, elle n’a pas fait attention à son environnement. Peut-être même qu’elle a raté Rose… June tourne son regard vers la porte, avant de revenir à la silhouette à qui elle adresse un sourire amical.
« Bonjour. » lance-t-elle avec politesse.
De là où elle est, elle ne distingue pas son visage, mais elle trouve joli le voile que l’intrus porte sur la tête. Peut-être qu’il a froid aussi… C’est tout de même étrange, car partout ailleurs, le soleil semble briller.
Sous son voile, Sira a un petit mouvement de recul, comme pris en flagrant délit, mais il se détend quand il avise que June n'a pas signalé sa présence. Néanmoins, il hésite, se dandine d'un pied sur l'autre, puis répond un timide :
« Bonjour… »
Le silence s'installe pendant quelques secondes. Sira ne sait plus vraiment quoi faire, jusqu'à ce qu'il remarque les frissons qui semblent courir sur sa peau. C'est la faute de son voile pourtant, il en a besoin sinon il a beaucoup trop chaud.
Mais il veut bien faire un effort. De plus, il peut voir le visage de la dame alors qu'elle ne peut pas voir le sien et il songe que c'est plutôt impoli. Alors, la fée Milliget lève deux mains pour venir accrocher le tissu, tirant dessus avec douceur pour révéler son visage rond, ses grands yeux noisettes, sa peau pâle, ses longues boucles roses et libérer ses ailes.
La chaleur des lieux vient immédiatement l'assaillir, mais Sira sait qu'il peut la supporter un petit peu.
Se penchant vers la demoiselle, il lui explique en montrant son voile entre ses mains :
« Pardon pour le froid, mais moi j'ai chaud. Avec ça, ça va mieux. Qu'est-ce que tu fais, ici ? »
Alors c’est de lui que provient le froid ? June écarquille ses prunelles améthystes, avant de lui adresser un nouveau sourire plus franc, et intrigué aussi. Il a un corps d’adulte, mais on dirait un enfant. Sa voix monocorde s’inflexionne parfois de manière étrange, qu’elle trouve assez adorable. La jeune femme décroche ses bras pour les laisser reposer le long de son corps, et s’efforce de ne plus trembler. Elle hausse les épaules, comme si le froid ne la dérangeait pas tant que ça.
« C’est rien, il est joli ton voile. J’attends quelqu’un, explique-t-elle. Je m’appelle June, au fait. T’es pas de la cité, pas vrai ? Tu te promènes ? »
Ses yeux détaillent son visage rond, en songeant qu’elle pourrait facilement en faire un portrait. Helouri sera sûrement curieux en apprenant qu’elle a rencontré un être vêtu d’un voile d’hiver ! Elle apprécie également la couleur de ses cheveux, comme délavés, qui l’auréolent avec douceur.
D'ailleurs, Sira est ravi par la conversation. Trottinant jusqu'à June, il tâche de se présenter correctement. Il se souvient des conseils de sa maman, de Shelma et de Candice puis, redresse déjà le buste. Se tenir droit est important. Ensuite, il écarte ses bras pâle pour faire une référence, avant de ciller quand il songe qu'il a oublié de tenir les pans de sa robe bleue.
C'est malin, ses mains sont occupées avec son voile…
« Je suis enchanté ! s'exclame-t-il avec un large sourire plein de dents pointues, moi, je m'appelle Sira. Je viens de la frontière des Terres Gelées du Grand Nord et… Ah. Je ne dois pas le dire. »
La fée s'affaisse sur elle-même, consciente d'avoir fait une bêtise. Si Candice l'apprend, il se fera gronder. D'ailleurs il ne doit pas trop traîner car il sait que son absence se remarquera tôt ou tard et il ne veut pas croiser les personnes avec qui il était, avant.
Mais il se reprend et poursuit :
« Oui, je me promène ! Je veux voir la forêt, aujourd'hui ! Et peut-être la plage, aussi…Il n'y a pas vraiment de forêt, chez moi. Que de la neige. J'aime bien, parce que c'est froid. Mais c'est tout blanc… »
June ne comprend pas la moitié de ce qu’il raconte, mais elle s’en fiche. Sira est aussi rafraîchissant que son voile, et puis elle a toujours aimé rencontrer les étrangers qui viennent à la cité d’Eel. Même si elle est curieuse de savoir ce qu’il n’a pas le droit de dire, la gardienne garde simplement l’information dans un coin de sa tête. L’air paniqué qui est brièvement passé dans ses prunelles suffit à l’empêcher de poser la question : Sira est si candide qu’elle ne veut pas le mettre mal à l’aise.
« C’est vrai qu’ici, c’est plein de couleurs, sourit June. Fais attention quand tu iras dans la forêt… On se perd facilement au milieu des arbres, quand on connait pas. »
Elle jette à nouveau un regard à la porte : il ne faut pas qu’elle se mette en retard, alors elle doit surveiller le temps qui passe. Elle se penche toutefois vers lui d’un air conspirateur, et désigne la forêt du menton.
« Moi, j’aime bien me cacher derrière les troncs d’arbres pour surprendre mon petit frère, ça marche à tous les coups. Après, on va cueillir des baies et on en mange plein en cachette. »
Elle fait un clin d'œil à Sira, en pensant à Helouri. A coups sûrs, ils s’entendraient bien, ils dégagent la même simplicité et la même gentillesse. La fée se met à glousser, avant de glapir quand elle entend les portes de la cité s'ouvrir.
Elle ouvre ses grands yeux et jette un regard coupable vers les murs de la cité d'Eel. Sira se saisit brusquement de la main de June pour l'agiter du haut vers le bas, et la gratifier d'un :
« Je dois m'en aller, maintenant ! Au revoir et prenez soin de… De toi ! »
Sira déplie son voile à la hâte pour le rabattre sur sa silhouette et fuir à toute allure, poussé par ses ailes qui se mettent à vrombir.
June le regarde partir, trop vite pour qu’elle ne puisse réagir. Sira a déjà disparu quand elle lève une main hésitante pour le saluer à son tour.
« Au revoir, Sira, murmura-t-elle. Tu étais bien étrange, quand même… »
Elle frotte ses doigts glacés, en appréciant la chaleur qui revient envahir ses membres, puis elle regarde à son tour les portes qui ont causé la fuite de Sira, en espérant ne pas être en retard. Mais la silhouette de Rose Clarimonde apparaît, équipée de sa hallebarde. Manifestement, celle qui est trop voyante est destinée à siéger dans son bureau puisqu'il a emporté son arme ordinaire.
Apercevant June, il se dirige vers elle, avisant qu'elle est arrivée en avance puis, se massant une tempe, vient se planter face à elle pour la saluer :
« Bonjour, June. Je pensais vous retrouver à la Baie Cobalt, mais vous m'avez attendu. Je vous en remercie. Est-ce que vous vous sentez prête pour la mission ? »
Elle remarque son geste et fronce les lèvres en constatant que Rose a l’air encore plus fatigué que d’ordinaire. Elle voudrait signifier au vampire qu’il n’est pas obligé de l’accompagner, qu’il peut retourner se reposer, mais elle ne le connaît pas suffisamment pour ça. Lui qui a l’air presque éteint pourrait bénéficier d’une bonne nuit de sommeil…
Pourtant, June se recompose un sourire et hoche la tête.
« Bonjour, second Clarimonde ! répond-elle. Je me suis dit que ce serait plus agréable de faire le chemin ensemble. »
Elle frotte ensuite ses cheveux, alors que la tension se lit sur son visage.
« Je suis prête, oui, continue June. Sans mentir, ça m’inquiète un peu parce que c’est nouveau, mais j’ai quand même hâte de mettre en pratique mon entraînement. »
De toute façon, elle fera de son mieux et advienne que pourra. La gardienne sent ses doigts se tordrent à nouveau, hésite, puis finit par achever d’une voix légèrement incertaine, car elle a en mémoire leur séance catastrophique de l’autre jour et qu’elle ne veut pas que Rose tombe dans les pommes parce qu’il n’est pas dans ses bottes.
« Vous… vous allez bien ? »
Le vampire se fige, l'interroge du regard, puis comprend qu'elle fait référence à son geste. Rose chasse toutes ses pensées parasites pour se concentrer sur l'instant présent, et lui répond d'une voix paisible :
« J'ai seulement beaucoup de choses à penser. Ne vous inquiétez pas. »
Il essaye d'oublier la falaise, le moment passé avec Valkyon et Nevra, mais il doit admettre que c'est difficile. Pas moins que le gouffre qui veut s'ouvrir dans sa poitrine quand il pense aux mots du Chef de la Garde Obsidienne. Mais il doit oublier tout ça et en réalité, c'est une aubaine : Valkyon lui a rendu service.
« Rendons-nous à la Baie Cobalt, à présent, si vous le voulez bien. »
Rose et June commencent à marcher. Le lieu de leur mission se trouve en contrebas de la falaise, à l'extrémité nord de la plage, dans un lieu gardé par des gardiens de l'Ombre. Ayant conscience de l'inquiétude de sa binôme, le vampire lui explique sa mission en détails :
« Comme je vous l'ai expliqué dans la missive que vous avez reçue, tout ce que vous avez à faire, c'est de garder le bateau de hautes personnalités. Il y aura trois gardiens de l'Ombre avec nous, mais ne vous inquiétez pas, ils sont parfaitement au courant de votre présence. Cependant, ils ont leurs propres ordres et sauront agir en conséquence. Tout ce que vous devez garder à l'esprit, June, c'est que je suis le seul à être supervisé par vous aujourd'hui. Et quoi qu'il arrive, sachez que je suis là pour reprendre la situation en main. De même si nous devons faire face à une menace trop importante. Est-ce que vous avez des questions avant que nous arrivions ? »
Elle inspire longuement en arborant un air concentré. Ses yeux errent dans la direction de la baie, et elle hoche la tête pour le remercier de sa sollicitude.
« Oui, deux. Est-ce la zone est grande et nécessite qu’on patrouille autour comme en ville, ou bien est-ce qu’on peut rester au même endroit ? Et que risquent les civils à passer ? »
Elle ne réagira pas de la même façon si elle doit donner une amende ou appréhender la personne, alors elle préfère demander.
« Non, vous verrez par vous-même que la zone n'est pas très grande. De ce fait, l'angle de surveillance est assez réduit et il n'y a pas besoin de patrouille. Deux gardiens empêchent les civils de passer et un autre est posté près du bateau. Si malgré tout quelqu'un parvenait à se rendre jusqu'au bateau, il faudrait impérativement le maîtriser. Personne ne doit toucher ce bateau et vous allez bientôt comprendre pourquoi. »
Rose et June descendent vers la plage du Prisme avant de marcher vers le nord et ainsi, atteindre la Baie Cobalt. Comme l'a expliqué le Second de l'Ombre, deux gardiens veillent à ce que les civils n'atteignent pas le bateau qu'ils sont en train de garder.
Vigilants, ils les aperçoivent de loin et quand ils reconnaissent Rose ainsi que l'uniforme de June, ils leur adressent le salut officiel des ombres, malgré le mépris qui peut se lire dans le regard de l'un d'entre eux.
Rose n'y prête pas attention et guide June jusqu'au bateau qu'ils doivent protéger, même si la règle est plus subtile que cela. En réalité, le navire ressemble à un énorme morceau de glace flottant. Les reflets du soleil ricochent sur ses parois comme des miroirs et il est impossible de déterminer la manière dont on peut entrer dans cet étrange bateau.
« Ne vous approchez pas trop près, lui indique Rose, comme vous pouvez déjà le sentir, la coque de ce bateau est glaciale car ses propriétaires sont habitués à vivre sous des températures extrêmes. Ce navire appartient à la famille Milliget qui est actuellement en visite de courtoisie chez la famille Mircalla et comme vous pouvez vous en doutez, il attire bien des curieux. »
June ouvre de grands yeux étonnés. Elle n’essaie même pas de cacher sa surprise, car son esprit est tout entier tourné vers Sira. La gardienne n’est pas une érudite, mais elle n’est pas non plus stupide. En son fort intérieur, June en est certaine : elle a discuté avec un Milliget. Un Maître de la Médecine, et il n’était pas du tout comme la représentation qu’elle s’en faisait.
Elle se demande s’ils sont tous comme lui, aussi gentils et avides de découvrir le monde… Un léger sourire étire ses lèvres quand elle imagine le noble courir dans la forêt, puis elle revient à sa tâche initiale et se tourne vers Rose en reprenant un air sérieux.
« Très bien. Faisons donc en sorte que personne n’approche ce navire. »
Machinalement, elle frotte ses bras car le même froid que celui qui accompagne Sira l’atteint par vagues. June grimace : si elle avait su, elle aurait pris des vêtements plus chauds… Son regard se pose sur Rose, tandis qu’elle fronce le nez.
« Vous n’avez pas froid ? s’enquiert-elle. Ici on voit bien toute la zone, donc je pensais rester là, mais je veux pas que vous vous transformiez en glaçon… »
Le gardien non loin d'eux se met à pouffer, mais il n'est pas mieux loti. Seulement, il a prévu des vêtements chauds. Rose lui jette un coup d'œil et il reprend immédiatement son sérieux.
« Ne vous inquiétez pas, tout va bien pour moi. À présent, June, je vous laisse les rênes de la mission. À vous de décider ce qu'il est bon de faire. Vous êtes en charge de protéger le bateau et moi, je ne suis qu'un gardien sous vos ordres. Sentez-vous libre de discuter avec les trois ombres qui sont postées ici si vous le souhaitez cependant et comme je vous l'ai dit, vous ne pouvez pas leur donner des ordres. »
La jeune femme jette un regard agacé au gardien qui se moque. Elle ne sait pas s’il rit de Rose ou d’elle, mais peu lui importe, elle éprouve une forte envie de lui retourner son gloussement au fond du gosier. La jeune femme prend un air parfaitement hautain qui ne lui sied pas, mais qu’elle a su reproduire de Cristal quand cette dernière se trouve face à quelqu’un de particulièrement exaspérant, et esquisse un sourire froid.
« Tout bien réfléchi, on va s’éloigner un peu. Ça sert à rien de se regrouper tous au même endroit, et puis je voudrais pas qu’ils nous déconcentrent. »
Et joignant le geste à la parole, elle s’éloigne des gardiens jusqu’à un autre point d’observation. Il lui permet de garder le bateau en vue, mais également ses collègues peu amènes et le reste de la zone, tout en restant hors de portée de leurs oreilles. June se poste droite, les épaules relâchées et le regard oscillant, sans que toutefois ses sourcils ne quittent leur air ronchon.
Rose l'imite et l'observe en train de détailler la zone et d'en surveiller les moindres recoins. June a préféré s'éloigner des gardiens qui font déjà leur travail, même si leur attitude est à revoir puisqu'ils ne jouent pas le jeu. Ils ont été prévenus, pourtant.
Durant l'heure qui suit, le vampire observe June en train de s'approprier la mission et même s'il peut voir que les trois gardiens de l'Ombre l'exaspèrent, elle prend sur elle.
La jeune faelienne allait lui dire quelque chose quand soudain, au loin, une silhouette se hâte en direction de la baie. Rose plisse ses yeux opalins pour la détailler, mais tout ce qu'il voit, c'est quelqu'un en train de courir comme un dératé en beuglant quelque chose.
Quand il arrive à proximité, les gardiens de l'Ombre se jetent immédiatement sur lui pour le maîtriser, mais l'intru se débat pour se libérer avant de se planter face au bateau.
« Merde, il est pas là… »
L'importun est un elfe avec un carré de cheveux châtain, des yeux aigue-marine et une tunique à col haut. À son teint blême, il a l'air paniqué et quand il se tourne vers June et Rose, le vampire peut voir qu'il se moque totalement de la sécurité des lieux.
« C'est pas vrai, il est où ? Merde ! »
June réagit au quart de tour. Sa mission est de veiller à ce que personne n’accède au bateau, et cet énergumène a déjà mis en déroute les trois autres gardiens chargés de surveiller l’endroit. Elle considère donc le premier avertissement dispensé. D’un pas vif, elle se dirige vers lui, prête à dégainer s’il sort à son tour une arme.
Alors qu’elle se rapproche de l’énergumène, elle se rappelle qu’elle doit diriger la mission et qu’elle ne doit pas oublier Rose.
« Second Clarimonde, assurez-vous que personne ne l’accompagne. » ordonne-t-elle.
Rose hoche la tête et se met à inspecter les alentours en quête d'un éventuel complice ou accompagnateur.
Au même moment, elle attrape le bras de l’elfe et, d’une clé de bras que lui a montré Joseph, le force à se retourner.
« C’est une zone interdite aux civils, clame-t-elle d’une voix forte. Au nom de la garde d’Eel, je vous arrête pour non-respect de la loi !
- Qu'est-ce que tu fais ? Lâches-moi ! Lâches-moi, t'entends ? Je n'ai pas de temps pour toi ! »
Sous sa perruque, Nelladel se fiche complètement que ce soit une zone interdite et ce que la peste en uniforme d'Obsidienne et le Second de l'Ombre ignorent, c'est qu'il le connaît bien, ce bateau… Ils ne vont rien lui apprendre !
Nelladel se débat comme une musarose prise au piège tout en lâchant les insultes les plus fleuries qui lui passent par la tête :
« Lâche-moi espèce de mocheté ! Dégage ! Minaloo en uniforme ! Faelienne des cavernes ! Puterelle ! »
Puterelle ? La jeune femme n’attend pas de savoir quel autre insanité va sortir de sa bouche. Son pied vient brutalement cogner les mollets de sa cible pour le forcer à se mettre à genoux au sol. L’autre se débat, mais la jeune femme resserre sa prise sur son épaule jusqu’à ce qu’il se retrouve agenouillé. Sans le relâcher, June continuer d’appuyer sur ses jambes pour éviter qu’il ne se redresse, et siffle d’une voix sourde.
« Tu veux que je rajoute outrage sur le rapport ? Tu la fermes et tu bouges plus, c’est clair ? »
Mocheté… Il peut parler avec sa coupe de barde en manque d’affection ! Elle se retient de l’insulter à son tour, car elle se sait évaluée, mais June est à deux doigts d’exploser. Entre lui et les autres gardiens…
L'elfe marmonne dans sa barbe et Rose s'approche pour évaluer la situation. L'intrus est maîtrisé, ce qui est une bonne chose sans quoi, les trois gardiens censés assurer la sécurité des lieux auraient eu quelques bavures dans son rapport…
« Est-ce que vous avez besoin d'aide, gardienne Albalefko ? lui demande-t-il.
- Qu'est-ce qu'il veut, la gourgandine à frange ? crache Nelladel en reconnaissant le Second de l'Ombre, qu'il dise à l'autre godiche de me lâcher ! Bande de pignoufs, va ! Je ne vais pas y toucher, au bateau, je cherche quelqu'un ! Et puis garde ta hallebarde dans ta main, toi, sinon tu sais où est-ce que je vais te la mettre ? »
L'elfe se tortille sur le sable comme une chenille luisante en continuant de pester avec les deux gardiens, mais surtout après Sira qui s'est fait la malle. Si son frère l'apprend, il est bon pour une soufflante des frontières.
Rose, lui, arque un sourcil face à tant de vulgarités, mais restant maître de lui-même, il est curieux de voir ce que June juge bon de faire dans ce genre de situation.
La gardienne perd patience. Son visage se couvre de plaques rouges tandis que la colère lui monte au nez, et sa voix se fait suraiguë quand elle réplique d’un ton cinglant.
« Mais tu te prends pour qui, espèce de saltimbanque à la manche ? On t’as pas appris à lire chez toi ? Parce que visiblement, les bonnes manières c’était aussi en option ! »
D’une pression sur ses omoplates, elle le force à s'aplatir au sol, sans cesser de piailler tant l’attitude de l’autre l’agace.
« C’est une zone interdite, j’ai dis ! Et je te prierais de parler correctement à mon collègue, d’autant qu’avec ta coupe de cheveux, tu peux difficilement faire des commentaires sur celles des autres ! »
C’est mesquin, mais elle s’en fiche. Elle a envie de lui faire ravaler son petit air arrogant, comme s’il savait mieux qu’elle ce qu’ils fabriquaient ici. June se tourne vers Rose, les traits froncés.
« Second Clarimonde, auriez-vous l’amabilité de m'apporter de quoi entraver ce mufle ? gronde-t-elle. Pouvez-vous également informer les autres gardiens que cet imbécile cherchait quelqu’un ? »
Puis elle tord un peu plus le bras de son otage, avant de lui siffler de se taire sous peine de voir ce qu’elle pouvait faire de la hallebarde de Rose. Ce dernier s'exécute et part indiquer aux trois ombres que l'intru est à la recherche d'une personne et qu'il leur faut surveiller les environs. Vu le comportement de l'elfe, la violence de ses propos traduit une très grande inquiétude et même s'il ne la défend pas, il espère que la mission ne va pas se transformer en cas de personne disparue.
Aussi, il récupère une paire de fer en mithril auprès de l'un d'entre eux afin de les passer aux poignets de l'importun qui fulmine toujours contre June. Il souffle d'ailleurs un grand coup, s'agite et tente de lever une main tout en scandant :
« D'accord ! D'accord ! Je me rends ! C'est vrai que je me suis un petit peu emporté. Madame est fort charmante et Monsieur a une très belle coupe de cheveux, ça vous va ? Je voudrais juste savoir si quelqu'un est passé par là récemment, c'est tout. Je ne veux pas grimper sur le bateau et faire le mariole, d'accord ? »
June s’assure que les menottes sont bien serrées, et le force à se relever en inspirant longuement pour retrouver son calme. Ce n’est pas très efficace, mais au moins, ça a le mérite de l’empêcher d’insulter l’elfe.
« Vous discuterez de ça avec les gardes civils. » siffle-t-elle.
Elle est certaine que Joseph et ses collègues lui feront un accueil chaleureux. D’une bourrade, June lui ordonne d’avancer, en arborant la même expression qu’un minaloo en colère. Elle se tourne vers Rose, sans lâcher son prisonnier.
« Cet individu va être placé en isolement pour une journée, décrète-t-elle. Pouvez-vous m’accompagner pour le maîtriser si jamais il lui venait l’idée stupide d’essayer de s’enfuir, afin de le confier à la garde ? »
Elle veut également être sûre de pouvoir quitter son poste le temps de mettre l’elfe en cellule, et elle sait que si Rose n’estime pas nécessaire de quitter la baie tout de suite, il le lui fera savoir.
« On ne peut même pas discuter… crache Nelladel, comme ça, ça me fout directement en isolement… Tout ça parce que j'ai eu le verbe un peu haut, ça s'emballe ! Merci madame ! J'espère que ma mise en cage vous apportera une petite prime à vous et votre copain ! »
L'elfe continue de babiller des reproches et Rose doit admettre qu'il plaint d'ores et déjà les gardes civils qui devront le supporter. Rangeant sa hallebarde dans son dos, il suggère à June :
« Et si vous me laissiez l'escorter en personne ? Ainsi, vous pourriez reprendre la surveillance des lieux en compagnie des gardiens de l'Ombre. Je pense qu'ils seront un petit peu plus attentifs à l'avenir. Je n'en aurais pas pour longtemps. »
Elle hoche la tête en esquissant un sourire. Gagné, le vampire ne la laissera pas gérer toute seule cet imprévu.
« Très bien, à tout à l’heure alors, répond la jeune femme avant d’adresser un regard mauvais à l’elfe. Et vous, à votre place, j’éviterai de trop l’ouvrir, on ne sait jamais sur qui vous allez tomber à la garde civile ! »
June croise ses bras sur sa poitrine, se fichant tout à fait d’avoir l’air ridicule ainsi, puis elle retourne à son poste pour regarder les environs. Elle espère que personne ne va franchir de nouveau le périmètre, ça fait suffisamment d’animation pour une seule journée…***
Lorsque Rose revient de la cellule d'isolement, June est toujours à son poste avec les gardiens de l'Ombre. Il estime qu'avec cet incident, il a pu évaluer l'obsidienne comme il le souhaitait et c'est pourquoi il lui proposer de faire le point sur la mission :
« Si vous le voulez bien, June, nous pouvons rentrer à la cité d'Eel. Je pense en avoir vu suffisamment et nous pourrons faire le point sur cette première mission en marchant. Vous pouvez commencer à me dire vos actions et décisions que vous jugez positives et négatives, par exemple. »
Elle salue les gardiens de l’Ombre avant de le suivre. Il n’y a pas eu d’autre intrusion, alors elle a pu songer à ses réactions pendant que Rose accompagnait le malotru en isolement. La gardienne fait la moue, avant de passer une main gênée dans ses cheveux.
« Je ne suis pas très fière d’être entrée dans son jeu. » grimace-t-elle.
Elle est impulsive, et même si elle essaie de le corriger, ça ne vient pas en un jour… Les insultes de l’elfe l’ont piquée au vif, elle n’a pas su tenir sa langue et elle sait que ce n’est pas ce qu’on attend d’un gardien.
« Ensuite… Le poste d’observation me convenait, il permettait de voir correctement et d’agir vite… J’ai considéré que l’intru était une menace parce qu’il s’était déjà débarrassé de vos collègues sans écouter leurs sommations. »
June estime ne pas s’en être trop mal sortie pour une première fois. Elle dit à Rose qu’elle sait qu’elle a fait des erreurs, même si elle ne les a pas forcément notées sur le moment. Elle lui adresse un sourire penaud.
« J’ai trouvé cette mission très intéressante, malgré l’intervention de cet idiot. C’était la première fois que je participais à quelque chose de ce genre, et je pense que c’est un excellent entraînement pour mettre les gardiens en situation. »
Rose hoche la tête. June a fait une bonne analyse de la situation. Concernant le cœur de la mission en elle-même, elle s'en est bien sortie seulement, elle n'aurait pas dû se laisser atteindre par les insultes de l'intru.
« Concernant la surveillance en elle-même de la Baie Cobalt, je n'ai pas de reproches à vous faire. Vous avez su vous placer correctement, vous avez laissé les gardiens de l'Ombre travailler et exécuter leurs ordres et même la maîtrise de l'intru et la sanction que vous lui avez donné étaient judicieuses. Cependant, il faudrait que vous appreniez à garder votre sang-froid en toutes situations. »
Pas seulement face aux ennemis, parfois il faut le faire face aux alliés pour de nombreuses raisons et c'est ce que le vampire tente de lui expliquer :
« Les insultes de l'intru étaient très vulgaires et je peux comprendre qu'elles vous aient atteintes, mais elles n'étaient pas personnelles. L'intru voyait en vous une gardienne de l'Obsidienne qui lui mettait des bâtons dans les roues alors qu'il cherchait quelqu'un et qu'il était manifestement très inquiet. Il ne s'adressait pas à June Albalefko, la personne, vous comprenez ? Quand vous avez ce genre de constat en tête, c'est plus facile de ne pas se laisser atteindre. La maîtrise de soi n'est pas une compétence aisée à acquérir car elle s'obtient avec l'expérience, mais il est toujours possible de faire des mises en situation, si vous le voulez.
Et quand vous saurez faire face à vos adversaires avec calme et discernement, vous saurez aussi faire face à certaines personnes, dans la vie de tous les jours, qui veulent vous nuire. »
June reste silencieuse un instant. L’analyse est bonne, et peut-être un peu personnelle aussi. Elle se demande si Rose l’applique à sa vie de tous les jours, et s’il sait ce que les gardiens pensent de lui. Les ombres ne font preuve d’aucun tact, même en sa présence, alors elle imagine que oui. Sa bouche se tord en une moue songeuse : le quotidien du jeune vampire ne doit pas être facile…
Elle lui jette un regard en coin, sachant pertinemment qu’il n’apprécierait pas un débordement comme celui-là, alors elle s’efforce de tourner sa langue dans sa bouche avant de répondre.
« Je sais, finit-elle par soupirer. Mon père me dit ça tout le temps… C’est juste que… les insultes sur le physique, c’est toujours plus difficile à avaler, parce que c’est vraiment méchant. »
June se gratte le haut du crâne, gênée, puis hausse les épaules.
« Je me doute bien que c’était pas personnel, et croyez-moi, je me trouve bête d’avoir répondu… Mais des mises en situation, pourquoi pas, ça pourrait aider ! sourit-elle après coup. Ma mère dit que je tiens plus du minaloo que du faelien quand je suis en colère, parce que je sors les crocs très vite d’habitude. J’essaie de me contenir quand je suis à la garde, à cause de l’image et tout le reste, mais ça m’a mise plus d’une fois dans des situations compliquées…»
La jeune femme adresse un nouveau sourire penaud au vampire, avant de lever son regard vers le ciel.
« Vous savez, Second Clarimonde, j’espère qu’un jour je saurai être aussi calme que mon père ou que le Chef Batatume. Mais des fois, ça fait du bien de crier un peu, même si ça ne sert pas forcément à grand chose. Ça soulage, et après, on se sent mieux.
- Chacun a sa manière d'évacuer la pression et si crier vous soulage, alors libre à vous. »
Néanmoins, il sait que June ne se laissera pas faire au corps armée d'Odrialc'h et c'est une bonne chose, car il est certain que les vétérans ont tendance à accueillir les nouveaux avec des plaisanteries plutôt douteuses, parfois. Mais avec son caractère enthousiaste, elle se fera rapidement des amis.
Joignant les mains derrière le dos, Rose marche d'un pas paisible lorsque soudain, il interpelle June d'une voix plus sèche :
« En tout cas, j'espère que la prochaine mission se déroulera sans accroc, June. C'est déjà pénible d'être votre binôme alors si en plus je dois supporter votre caractère difficile, ça va vite devenir un véritable fardeau. Et au passage : vous n'êtes pas très agréable à regarder, vous savez ? »
Ses prunelles s’écarquillent sous le coup de la surprise. June ouvre la bouche, la referme, la rouvre de nouveau puis enroule machinalement ses bras autour de son buste. Ses doigts se crispent, alors qu’elle cherche à comprendre le changement soudain de ton du Second. Pourtant, elle avait l’impression qu’ils s’entendaient assez bien…
« Je suis dé…» balbutie-t-elle avant de s’interrompre brusquement.
La gardienne attrape une mèche cendrée, la tourne sur son doigt en rentrant la tête dans les épaules, et confronte le Second d’un regard incertain.
« Vous… êtes en train de me tester ? s’enquiert-elle. Parce que, je veux dire, si c’est vraiment trop pénible d’être mon binôme, on peut prendre rendez-vous avec le capitaine Batatume et lui demander de changer… »
June baisse la tête, sa lèvre inférieure légèrement tremblante, alors qu’elle tente d’esquisser un sourire mal assuré.
« Je vais essayer de faire des efforts pour que ce soit moins pénible pour vous, renifle-t-elle. Vous savez, moi j’aime bien qu’on travaille ensemble, mais je comprends que ça soit fatiguant, et puis que ce soit ennuyant de former une gardienne comme moi… »
Rose lui jette un regard en biais pour aviser si elle se sent vraiment touchée par ses paroles, inquiet d'être allé trop loin. Il n'a jamais souhaité être réellement désobligeant, il voulait seulement la tester sur sa maîtrise d'elle-même.
Hésitant, il lui répond d'une voix plus douce :
« J'étais seulement en train de vous tester sur ce dont nous parlions plus tôt, je n'avais pas l'intention de vous blesser et je ne pensais pas un mot de ce que j'ai dit. »
Il ne s'y est pas pris de la bonne manière ou c'était peut-être trop tôt. Tout ce qu'il espère, c'est de ne pas avoir porté atteinte à la confiance que June a pour elle-même…
« Ne soyez pas triste, ajoute-t-il avec embarras, vous êtes une gardienne volontaire et appliquée. Si ça n'était pas le cas, je ne serais pas ici. »
June le regard entre ses cils, avise sa gêne, et décide de cesser sa comédie. La jeune femme se redresse en lui adressant une moue faussement soulagée, qui se transforme rapidement en sourire amusé.
« Je m’en doutais, réplique-t-elle. Désolée. »
Son sourire se fait plus grand, alors qu’elle se retient de rire devant l’air tracassé de Rose.
« Je vous fais marcher, explicite-t-elle. Même si je serais vraiment triste si vous me disiez que je suis un fardeau pour vous, et qu’on arrête de collaborer. »
Toutefois, même si c’est pour éprouver de l’embarras, elle est ravie de constater que le jeune vampire est capable de fendre sa carapace sérieuse. June pose soudain les mains sur ses hanches en arborant une expression déterminée.
« Et puis j’ai pas besoin d’être jolie pour botter des arrières-trains, de toute façon ! »
Rose arque un sourcil, peu certain de ce qu'il doit répondre, mais si June ne s'est pas sentie réellement blessée par ses paroles, il en est soulagé. De toute manière, seuls le temps et l'expérience permettront à sa binôme d'acquérir le calme et la maîtrise de ses aînés.
« La prochaine mission vous sera attribuée en fonction de votre évaluation, explique Rose alors qu'ils atteignent presque les portes de la cité d'Eel, j'en saurais plus dans quelques jours alors je vous tiendrais au courant. »
La vampire s'arrête brusquement, semble penser à quelque chose, hésite, puis se tourne vers June pour lui confier d'une voix plus basse :
« Avant que nous nous quittions, il y a quelque chose dont j'aimerais vous parler, June. Rien d'alarmant, je l'espère, mais je préfère tout de même vous mettre au courant. C'est à propos de votre petit frère, le fils de Joseph Ael Diskaret. Je crois comprendre qu'il compte tenter le prochain examen d'entrée pour la Garde Absynthe et qu'il y travaille. Néanmoins, il a été aperçu à plusieurs reprises en compagnie d'un gardien de l'Absynthe qui est surveillé car nous le soupçonnons d'être un revendeur de tap et nous essayons de le prendre en flagrant délit pour l'inculper. Je ne connais pas votre petit frère et je n'insinue rien seulement, moi et beaucoup d'inspecteurs sommes certains que ce gardien vend de la mort et je ne voudrais pas que votre petit frère, comme d'autres faeliens, s'en procure »
Immédiatement, elle perd son air ravi pour devenir extrêmement sérieuse. June se sent blêmir, alors que ses poings se serrent instinctivement comme pour attraper ceux d’Helouri. Sa gorge se fait soudain très sèche, alors qu’elle l’imagine déjà traîner en compagnie d’un revendeur, ses lèvres colorés de noir et sa peau collant à ses os.
« C’est pas… Lou est pas…» bégaye-t-elle.
Oui, mais si ça peut lui permettre de réussir son examen ? La jeune femme inspire brusquement une grande goulée d’air pour se calmer, et plonge son regard dans celui de Rose.
« Merci pour vos conseils, répond-elle. Je vais les appliquer à la lettre. J’ai un truc à faire, mais tenez-moi au courant pour mon frère, si jamais le gardien est vraiment un revendeur ! A plus tard, Second Clarimonde, et oubliez pas de vous reposer ! »
Elle le salue de la main sans attendre sa réponse, et file d’un pas rapide, toutes ses pensées concentrées sur Helouri, son examen, et le genre de bêtise qu’il est capable de faire sans s’en rendre compte…
Institut des Maladies de l'Esprit d'Odrialc'h, 480
Elle n'a jamais mis les pieds dans ce genre d'endroit car il n'y a personne qui attend ses visites. Et aussi parce que l'aura de la démence et du chagrin imprègne les murs de toutes ces bâtisses. Elles se dressent comme des observateurs fatigués, lorgnant la cour intérieure qui ne connaît que les promenades des patients ainsi que de leurs soignants.
Pourtant, les lieux arborent la beauté que l'argent des Mircalla leur a confié. Ils ont investi sans compter pour offrir un petit paradis de marbre et d'orichalque aux riches malades à l'esprit brisé.
Les yeux ignorants comme ceux de Titan n'auraient jamais pu gratifier ces belles gens superbement habillés d'âmes en peine, ni leurs accompagnateurs en robes sophistiquées.
De beaux vêtements d'un gris de lin avec des liserés bleu ardoise et de la lavande brodée.
Les vampires ont toujours apprécié les fleurs, quitte à les porter dans leurs prénoms, les Mircalla plus que les autres.
Ayant l'impression d'avoir pénétré dans une salle de bal, Yüljet a d'abord observé les lieux et les personnes pour mieux les comprendre, avant de lever la tête vers la fenêtre de la chambre numéro dix-huit, au troisième étage. Il s'agit d'une mission particulière pour prendre une décision très importante et constater si la raison, ici présente, est suffisante pour intégrer un nouveau membre au sein du cartel des Typhons.
Le tap a détruit ma vie, même si ce n'est pas mon corps qui a souffert.
Quand elle a entendu parler de Rose Clarimonde de la bouche de Fuya, alors en mission à Eel, Titan était déterminée à le refuser et Sexta n'avait même pas eu besoin d'ouvrir la bouche pour manifester son désaccord. Son visage l'avait exprimé à merveille, tout comme son rire jaune.
Le Second de l'Ombre et minaloo de Nevra Mircalla, selon la vampire au sourire froid. Un parfait agent double qui n'aurait plus qu'à livrer le cartel à ses maîtres, sur un plateau d'argent… Une évidence.
Pourtant, quand elle s'était entretenue avec lui, Titan lui avait laissé le bénéfice du doute. Rose Clarimonde se battait contre le tap parce qu'il refusait de voir d'autres âmes eldaryennes finir dans le même état que la femme la plus importante de sa vie. C'était pour elle aussi qu'il voulait empêcher la conquête terrienne. Pour qu'elle puisse guérir un jour et quitter le monde misérable de son esprit en ruines, détruit par le tap, pour cheminer en paix sur une terre nouvelle.
Alors quand Titan a demandé au vampire de lui prouver l'existence de sa mère rongée par la mort aux lèvres noires, il lui a donné le numéro de sa chambre, au sein de l'Institut des Maladies de l'Esprit, tenu par les Mircalla.
Dix-huit, avec un lys en argent ciselé sur le bois laqué de sa porte.
Quand elle est parti vérifier, Sexta s'est emportée en la traitant de folle. Ce pouvait être un piège monté de toutes pièces et elle avait raison. Mais Yüljet s'est bien entourée en embauchant des tueurs à gages, habituellement terrés dans les entrailles des Abysses, pour assurer sa protection. Si Rose Clarimonde voulait la nuire, il ne s'en tirerait pas à si bon compte.
Mais Rose Clarimonde n'avait pas menti.
Il n'y a pas de piège, ici, sauf pour les patients qui ont coupé les ponts avec la réalité pour s'enfermer dans leur tête. D'ailleurs et quand elle avise les trois bâtiments encerclant la cour de l'institut, Yüljet peut déterminer que les Mircalla ont séparé les personnes âgées, les enfants et les gens atteints de troubles sévères comme Théodora Clarimonde. En vérité, la vampire de quarante-et-un ans vit dans la demeure la plus terrible.
Rose a dit que sa mère se faisait livrer des poches de sang humain dans un convoi exceptionnel envoyé par la prestigieuse famille de vampires. Titan a alors négocié la place du transporteur contre une énorme somme d'argent et ce dernier la lui avait cédé, abandonnant son poste de bonne grâce pour aller dépenser son or.
C'est ainsi que la troll a pu s'aventurer entre les murs aussi charmants qu'effroyables et découvrir que les bâtisses portent toutes un nom : Le Pommier pour celle qui abrite les enfants, Le Chêne pour la demeure des personnes âgées et Le Cyprès pour celle qui voit défiler des âmes corrompues par les ravages du tap ou d'autres maladies de l'esprit que personne ne peut nommer, pour le moment.
Sans surprises, Le Cyprès est le bâtiment le mieux gardé.
Quand Titan a brièvement regardé les autres, elle a songé qu'ils ressemblaient à de classiques foyers hospitaliers que l'on a gratifié de la beauté, mais concernant celle du Cyprès, il s'agit d'une prison circulaire.
Après quelques formalités administratives où Yüljet a revêtu l'identité du transporteur initial, elle s'est enfoncée dans les entrailles du Cyprès pendant que les siennes se tordaient.
Cris, murmures, gémissements, regards terrifiés vers des recoins où il n'y a personne et faeliens, faeliennes vêtus de tuniques serrées par des sangles qui les empêchent de se faire du mal. Titan est passée devant des chambres où elle a entendu des fracas épouvantables. Des corps jetés contre des murs impénétrables par des esprits malades, mais le pire restait les promesses de sang crachées par des bouches siègeant au cœur du Cyprès.
Yüljet a fini par comprendre qu'isolées du reste des chambres, des cellules étaient mises à disposition pour les patients en plein sevrage du tap.
La troll a réprimé un frisson face aux regards fatigués, curieux, ébahis et interdits qu'elle a reçu. Les soignants qu'elle a croisée sur son chemin lui ont assuré que les patients en train de déambuler dans les couloirs ou les jardins privatifs de la bâtisse ne lui feraient aucune misère. Néanmoins, Titan était mal à l'aise et elle avait l'impression que si elle passait une après-midi complète en ces lieux, elle perdrait la raison elle-aussi.
Mais la chambre de Théodora Clarimonde ne se trouve pas au rez-de-chaussée, non : elle se situe au dernier étage auprès de ses pairs, hors de prix. D'ailleurs, le décor change quand on atteint le sommet des Cyprès et les murs deviennent plus nobles. Une moquette d'un joli rouille donne l'impression de marcher sur un tapis d'automne et les fenêtres cintrées des couloirs laissent passer une lumière agréable.
Les portes alignées sont plus rares que leurs jumelles, trois étages plus bas. Les chambres sont plus spacieuses, plus sophistiquées et quand Titan atteint la numéro dix-huit, ses yeux noirs se lèvent vers la plaque au nom de la patiente, ainsi que sur le lys en métal. La troll a l'impression de se trouver face au bureau d'une personne occupant un poste important. Même les Chefs de la Garde d'Eel n'ont sûrement pas une porte aussi jolie que celle-là. Sauf Nevra Mircalla, peut-être.
Yüljet lève un poing et frappe contre le panneau de bois, son précieux chargement dans la main. Un coffret d'orichalque truffé de glace éternelle pour conserver les poches d'un sang qui n'est réservé qu'aux élites. Les vampires de bas étages, eux, doivent se contenter de ceux qui coulent dans les veines des familiers. Des minaloo, par exemple.
« Entrez.» lui dit-on.
Titan s'exécute. Elle pénètre dans un très joli appartement lumineux, aux odeurs florales et aux couleurs très douces. La décoration est sobre, mais pas moins jolie avec l'abondance de plantes et de quelques bibelots posés sur une commode et des étagères. Quand Yüljet les regarde plus attentivement, elle s'aperçoit qu'il s'agit de familiers réalisés avec des feuilles de papier, à l'aide d'une méthode de pliage. Titan en a déjà vu lors d'un voyage sur les Côtes de Jade.
Puis, dans une grande pièce ayant l'allure d'un salon, deux faeliennes. La patiente et la soignante.
Vautrée sur un tabouret molletonné, Théodora Clarimonde nage dans sa robe pourpre. Les manches glissent sur ses épaules fragiles, maigres, et sa taille est si fine que Yüljet songe qu'elle serait capable de la briser en deux à la force de ses mains. Mais ce qui lui a glacé le sang, c'est son visage : émacié, creusé, avec des yeux opalins rentrés dans leurs orbites puis des lèvres noires jurant sur une peau trop pâle.
Mais aussi son crâne chauve qui a dû connaître une jolie chevelure avant que le tap ne la lui arrache. Des tâches brunes s'étalent sur sa peau avant de disparaître quand la soignante lui enveloppe la tête d'un léger foulard.
Une orc aux gestes très doux, vêtue de la traditionnelle robe gris de lin aux liserés bleus.
« Laquelle vous voulez mettre, aujourd'hui, Théodora ? »
Théodora lève ses yeux fatigués vers le visage cuivré qu'elle doit connaître depuis longtemps. Titan est certaine que les patients sont pris en charge par les mêmes équipes afin d'éviter de les perturber. Pourtant, la vampire semble perplexe.
Après quelques secondes d'hésitation, elle lève un doigt chétif vers une armoire en marmonnant qu'elle veut "la rouge". Yüljet se demande de quoi elle parle et la réponse lui apparaît quand la soignante se saisit d'une longue perruque rousse.
Théodora ne bronche pas pendant qu'elle récupère des cheveux factices et ses yeux morts sont perdus vers un univers qui n'existe que pour elle. Titan se demande ce qu'elle voit. Elle a un sursaut quand on lui ordonne sèchement de déposer la poche de sang humain au frais, dans la pièce adjacente. Elle s'exécute sans rien dire, mais revient vite pour observer la raison de Rose Clarimonde et décider si elle est justifiable.
Au départ, Yüljet a penché vers un petit oui. Elle est parvenue à comprendre l'engagement du vampire contre le tap et le support qu'il pourrait apporter aux Typhons, mais rien d'assez grand pour prendre le risque d'accepter le Second de l'Ombre.
Puis Théodora s'est mise à parler.
À vrai dire, c'est la soignante qui a commencé. Elle s'est agenouillé auprès d'elle, lui prenant la main avec des gestes très doux en lui demandant :
« Théodora. Regardez-moi dans les yeux. »
Un exercice difficile pour une faelienne qui semble redécouvrir son appartement tous les jours. Elle s'égare partout en essayant de retrouver un semblant de repère, mais elle échoue et elle prend peur, Titan peut le voir. Elle se ramasse sur elle-même comme un familier apeuré, levant ses yeux opalins vers celle qui finit par lui inspirer confiance.
La soignante est patiente, alors elle attend. Ensuite, elle lui pose une question :
« Quelqu'un va venir vous voir demain matin. Nous en avons parlé hier, est-ce que vous vous souvenez ? »
Théodora la fixe, sans comprendre. L'information se fraye un chemin parmi les ravages du tap et Yüljet se demande de quelle manière elle peut entendre les paroles qui lui sont partagées et comment elle perçoit le monde, aussi. Hier lui semble loin d'ailleurs, et Théodora ne doit jamais songer à demain.
La soignante reste sereine. Un pauvre sourire se dessine sur ses lèvres minces alors qu'elle reprend d'un ton très calme :
« Il y a Rose qui vient vous voir demain. Rose. Qui c'est, Théodora ? »
La vampire a un frisson et une moue incertaine se forme sur ses lèvres. Ses mains, maigres, se crispent sur le tissu de sa robe pourpre alors que l'idée de rencontrer quelqu'un dans un temps qu'elle n'arrive plus à définir l'angoisse. Son esprit gangréné réfléchit, mais Titan voit bien que le prénom de Rose ne lui dit rien. Yüljet sent un malaise s'installer dans sa poitrine alors qu'elle assiste, presque fascinée, à ce triste spectacle.
« Qui c'est, par rapport à vous ? » ajoute la soignante.
Théodora porte une main à sa poitrine pour jouer avec les mèches flamboyantes de sa perruque. Visiblement, le sujet ne l'intéresse pas et ses yeux opalins se baladent sur les murs de la pièce, s'égarent sur les plantes et les bibelots en papier. Rose n'a pas de visage dans sa tête ou plutôt : il en a un quand l'esprit de sa mère parvient à se hisser au-delà des ravages du tap.
La soignante répète sa question et cette fois, Théodora ouvre de grands yeux, perplexe, avant de se mettre à parler d'une voix maladroite :
« C'est… C'est mon fils ? »
Yüljet aurait préféré qu'elle ne s'en souvienne pas, à vrai dire. Pas en sa présence. Ainsi, elle n'aurait pas appris que quand il venait voir sa mère, Rose l'aidait à manger, s'occupait de ses plantes, rangeait son appartement quand elle se sentait perdue chez elle, à paniquer et qu'elle le mettait sens-dessus dessous, puis pliait du papier pour en faire des familiers, comme il avait appris à le faire sur les Côtes de Jade.
Si Théodora ne s'était pas souvenue que Rose était son fils, Titan n'aurait pas eu à assister à son grand plongeon dans les abysses de sa mémoire défaillante. Après quelques secondes à assimiler la redécouverte d'un prénom qu'elle a pourtant choisi pour celui qu'elle a mis au monde, la vampire s'est subitement redressée, les yeux grands ouverts. Elle a plaqué les mains contre sa bouche, étouffant un cri d'effroi, puis s'est penchée vers la soignante, les yeux humides.
« S'il vous plaît… Je dois partir maintenant… Je vais le manquer, sinon.
- Oh, non, petit pimpel…
- Je dois y aller tout de suite ! Je vais faire des heures supplémentaires, c'est promis ! Mais si je n'y vais pas, je vais devoir attendre demain… Parce qu'ils ne voudront pas… Ils ne voudront pas… »
Théodora enfouit son visage larmoyant dans ses maigres mains et continue de babiller que si elle ne se rend pas là où elle devrait aller, à l'école, alors ce sera trop tard. Il faut qu'elle arrive à le voir parce qu'elle lui a promis de lui acheter un gâteau au miel avant de l'emmener à l'aire de jeux.
Visiblement, cet état de détresse est récurrent chez la vampire, mais même à travers sa panique, Titan n'y décèle qu'une succession de souvenirs qui se mélangent. Les ravages du tap sur l'esprit réduisent à néant toutes notions temporelles et c'est effrayant à regarder.
La soignante mêle ses doigts à ceux de Théodora, sereine. Quand elle s'adresse à elle, sa voix est posée, maîtrisée et elle lui explique que tout va bien. Il n'y a pas à être pressée par le temps car il n'y a personne à aller chercher à l'école et à emmener à l'aire de jeux.
« C'était il y a longtemps, ça, mon petit pimpel. Mais c'est fini, maintenant. Il est grand, votre fils, et il vient vous voir demain matin. Tout va bien, d'accord ?
- Non… Non…. »
Théodora s'agite de plus belle, arrachant ses mains à ceux de la soignante, les yeux exorbités. Elle cherche frénétiquement quelque chose, terrifiée. Elle bondit de son tabouret pour lancer des regards effarés sur chaque élément du décor avant de se mettre à hurler.
Affolée, elle enfonce ses ongles dans la peau fragile de ses bras, celle de ses joues, ses tempes et tout son corps est parcouru de violents tremblements. Si la soignante ne devenait pas un point d'ancrage en lui tenant les épaules, Yüljet ne sait pas à quel genre de spectacle elle aurait assisté. Mais celui de Théodora en train de chercher son bébé comme si sa vie en dépendait est plus que suffisant.
Elle se brise en la voix en arguant qu'elle l'a laissé seul, qu'elle n'a pas eu le choix, mais qu'elle doit rentrer pour le retrouver. Elle se flagelle, se maudit, en pleurant qu'elle a abandonné son bébé, qu'elle ne le récupérera jamais, que plus personne ne la laissera l'approcher après ce qu'elle a fait… Après ce qu'elle s'est fait à elle-même.
« Sortez tout de suite ! » crie la soignante à Titan, quand elle remarque qu'elle n'a toujours pas quitté les lieux.
Yüljet s'est exécutée, mais pas sans voir Théodora se faire confier une poupée de chiffon qu'elle s'est mise à bercer, soulagée d'avoir retrouvé l'enfant qu'elle a laissé dix-neuf ans plus tôt, à Rhenia-Gaear.
Tout ce que Titan sait, c'est que Rose a grandit en orphelinat parce que sa mère était incapable de s'occuper de lui. Mais elle sait aussi que, selon lui, Théodora a fait tout son possible pour devenir une meilleure personne, revenir le chercher et l'élever. Seulement, l'établissement n'a jamais voulu lui rendre son fils, même si elle avait arrêté de se droguer.
À présent, Théodora Clarimonde est la femme qui confond passé et présent sans plus connaître l'existence du futur, celle en train de s'occuper d'un jouet en le prenant pour l'enfant qu'elle a mis au monde il y a longtemps et la mère qui voulait devenir meilleure mais qui n'a jamais reçu de seconde chance.
Yüljet ne pourra jamais dire si les personnes, à la tête de l'orphelinat qui a élevé Rose, avaient raison ou tort de ne pas permettre à sa mère de le retrouver. Mais ce dont elle est sûre c'est que les ravages du tap sont terrifiants et qu'il est impératif que le cartel empêche d'autres victimes, comme Théodora Clarimonde, de noyer leur désespoir et leur chagrin dans cette substance ignoble qui leur laisse du noir sur les lèvres et qui leur arrache leurs cheveux ainsi que leur santé.Théodora Clarimonde
« Sira ? … Sira ! »
Nelladel saute du haut de sa caisse et court après la fée Milliget qui s'est éclipsée, laissant Yüljet et Sexta pantoises, sans comprendre.
« Qu'est-ce qu'il lui prend ? » siffle la vampire.
Titan hausse les épaules tout en descendant à son tour, déterminée à reprendre la surveillance d'Helouri Ael Diskaret. Elle s'apprête à partager son idée avec Sexta, quand cette dernière propose :
« Autant je me dis qu'il n'a vraiment pas inventé la poudre, autant je me demande ce qui l'a fait courir comme ça. Je vais essayer de le retrouver avec notre ami Nelladel.
- Laisse tomber, tranche Yüljet, on reprend la surveillance pour le plan. Après, j'aimerais bien retourner parler à Candice si ce qu'il a à faire sur le bateau ne lui prend pas toute la journée. »
Mais Sexta insiste. Selon elle, il n'y a rien à tirer du morgan et s'il se fait pincer parce qu'il commet une bêtise, alors elles auront toujours le moyen de le savoir. Cependant, si Sira a fuit, il y a une raison, même si elle est idiote.
« Aussi, imagine : si notre cher Candice apprend que son frère était en notre compagnie au moment où il est parti, qu'est-ce qu'il dira ? Il serait bien capable de mettre ça sur notre dos. »
Titan grimace en soufflant par le nez. Sexta n'a pas tort et si elle veut discuter avec la fée Milliget dans un calme relativement possible, ce genre d'incident est à bannir. Résignée, elle se lance à la poursuite de Sira en compagnie de la vampire et commence alors une fouille de la cité d'Eel.
Le marché, le port, le parc de la fontaine, le refuge, le kiosque central, l'allée des arches, les pavillons plus seyants… Mais aucune présence de la fée Milliget ou bien de Nelladel. Yüljet et Sexta ont échangé un regard perplexe, se demandant s'ils ne s'étaient tout simplement pas aventurés hors d'Eel. Agacée, Titan a argué que ça ne valait pas la peine d'user tant d'énergie pour les retrouver. C'est Nelladel qui sert les Milliget, pas le cartel.
« Je sais, a répondu la vampire, mais même si je ne les porte pas dans mon cœur, je veux au moins comprendre comment réfléchissent les fées. Alors si le gentil idiot de la famille part en courant, je veux savoir pourquoi. »
Yüljet aussi est curieuse pourtant, elle aurait préféré s'en tenir à l'observation d'Helouri Ael Diskaret pour la préparation du plan d'infiltration. Sexta et elle se tiennent près du cerisier centenaire alors si Titan choisit de gagner le refuge, elle apprendra peut-être quelque chose.
Le grand elfe brun a donné un rendez-vous dans une heure. Pourquoi faire ? Réaliser une transaction ou bien en planifier une ? Si vraiment le jeune morgan s'apprête à faire une bêtise, Yüljet doute fortement qu'elle se réalise comme ça, en fin de matinée. À moins que le revendeur de tap présumé soit plus malin… Il faut qu'elle aille voir !
« Tiens ! Regarde donc qui voilà… » l'interpelle Sexta d'une voix mielleuse.
Titan sort de ses réflexions pour river son regard onyx vers le kiosque central et y apercevoir la silhouette de Rose Clarimonde, en train de se diriger vers l'allée des arches. Visiblement, le Second de l'Ombre quitte la cité, hallebarde sur le dos et Yüljet se demande quelle mission on a bien pu lui attribuer.
« Si la disparition du gentil idiot Milliget avait eu le temps d'être signalée, je dirai bien qu'on l'a envoyé le chercher, mais ça m'étonnerais.
- Suivons-le. »
Titan n'oublie pas sa discussion avec Fawkes, surtout la partie qui concerne les sévices que Rose subit et si l'auteur profite d'une mission pour les lui infliger…
Sexta et sa cheffe guettent le Second de l'Ombre, le suivant à bonne distance et l'observent en train de converser avec les guetteurs avant que ces derniers lui ouvrent l'accès vers l'extérieur.
Ses suiveuses voudraient quitter la cité, elles aussi, mais elles sont contraintes d'attendre quelques minutes si elles ne veulent pas que leur filature soit évidente.
Une fois le moment venu, Claudia Rice et Skod Ekman deviennent des promeneuses qui veulent marcher le long de la place du Prisme. Elles se retrouvent confrontées à Balam Lefaucheur, fidèle à son poste. Reconnaissant Sexta, il lui indique qu'il a vu son fils passer les portes en catastrophe pour chercher quelqu'un, il y a un moment de cela.
La vampire arque un sourcil avant de railler :
« Il a dû se disputer avec sa nouvelle copine… Il exagère. C'est déjà un miracle qu'il se soit trouvé quelqu'un…
- Ah. Ce ne doit pas être facile d'élever un enfant, sourit Balam, penaud.
- Non. Vous voulez l'élever avec moi ? Non seulement ce n'est pas facile d'élever un enfant de cet âge-là, mais alors trouver un nouveau mari… »
Le guetteur ouvre de grands yeux, choqué par la demande qu'il décline avec toute la diplomatie dont il est capable et Yüljet sait que Sexta s'amuse un petit peu trop du malaise qu'elle génère. Néanmoins, les deux faeliennes parviennent à s'extirper des murs blancs de la cité d'Eel et redevenant sérieuse, la vampire observe les alentours.
Si Nelladel a gagné l'extérieur, alors Sira aussi, mais reste à savoir où ils se trouvent…
« La plage, ordonne Titan, inutile de s'enfoncer dans la forêt, on va perdre du temps.
- J'aurais bien dit que si notre imbécile heureux avait voulu cacher ses petites ailes, ce serait dans la forêt mais tu as raison : vérifions la plage avant, ce sera plus rapide. »
Yüljet et Sexta se dirigent vers l'escalier de grès et atteignent la plage du Prisme. L'endroit est calme, aucune âme ne vient occuper le rivage et l'horizon ne leur offre qu'une ligne bleu sous un ciel d'azur. Titan observe le décor à sa droite et à sa gauche. Si Sira se trouve dans les parages, alors le froid glacial de son long voile irisé le trahira. Hésitante, Yüljet fini par choisir une direction et se met à marcher d'un pas rapide, Sexta sur ses talons. Puis elles se figent quand elles entendent des éclats de voix, derrière elles. Fronçant les sourcils, Titan écoute attentivement avant de reconnaître celle de Nelladel.
Scellant un accord muet, elles se mettent à courir, les semelles de leurs chaussures s'enfonçant dans le sable pendant que leurs esprits déroulent moult scénarios : une attaque, une confrontation, Sira aux prises avec un ennemi…
« Regarde ! » indique Sexta.
Elle s'arrête, se fige et braque ses yeux noirs vers ce qui s'apparente à l'entrée d'une baie. Deux gardes en uniforme de l'Ombre semblent regarder quelque chose alors qu'une voix féminine s'égosille contre quelqu'un. L'identité de son adversaire ne met pas longtemps à être découverte, puisque Titan entend clairement Nelladel en train de cracher des insultes.
Elle se met à réfléchir. Qu'est-ce que des gardiens feraient là-bas, dans cette baie ? Qu'est-ce qu'ils garderaient ? Elle ouvre de grands yeux : un bateau.
Sira a rapporté, plus tôt, que son frère était allé sur le bateau de leur famille afin de s'occuper des sujets humains. Nelladel a dû penser qu'il s'y rendrait naturellement pour le retrouver et est en train de se faire arrêter par les gardiens.
« Mais quel abruti ! s'énerve Sexta qui a sûrement compris la même chose.
- Surtout que tu t'es déclarée comme sa mère, ajoute Titan, alors attends-toi à recevoir la visite d'un gardien pour t'annoncer qu'il est en isolement. »
La vampire lui jette un regard courroucé, mais Yüljet a raison. D'ailleurs, les deux faeliennes reportent leur attention sur la baie lointaine, où la voix féminine s'est tu et tâchent de disparaître quand elles aperçoivent deux silhouettes approcher.
L'une d'entre elles, entravée par des fers aux poignets, se démarque par son horrible perruque et les couleurs de sa tenue et l'autre, de noir et d'indigo vêtue, une hallebarde sur le dos, n'est autre que Rose Clarimonde.
Titan et Sexta reculent vers la direction opposée et font mine de marcher le long du rivage. Qu'importe que Rose les voient, il ne dira rien et elles n'interfèreront pas avec sa mission actuelle, même s'il ignore qu'il vient d'arrêter leur nouvel allié. Ils se lancent un bref regard, Nelladel blêmit quand il les reconnaît, mais il se reprend puis, d'un léger mouvement de tête, désigne le reste de la plage ainsi que les falaises derrière elles.
Là où il n'a pas encore cherché.
« Vous n'êtes vraiment pas causant… lance l'elfe à son compagnon d'infortune, en plus on a encore un petit peu de route, alors ça promet d'être long…
- Je ne suis pas ici pour vous divertir, réplique Rose d'un ton sévère.
- Ça crève les yeux.. »
Sexta lève les yeux au ciel et fulmine contre la future visite qu'elle recevra. Yüljet, elle, songe que l'elfe devait vraiment être en panique pour se fourrer dans un sac de nœuds pareil, mais le constat reste le même : elle devra poursuivre les recherches seule.
« Rentre à Eel, intime-t-elle à son acolyte, et occupe-toi de Nelladel. Je reste ici et je continue de chercher Sira.
- Génial. Je vais aller jouer les mères de délinquants. »
Néanmoins et avant de se retrouver face à Candice, il vaudrait mieux savoir l'équipe soit au complet. La vampire se met donc à marcher en direction de la cité pendant que Titan tourne les talons.
Elle parcourt le rivage, scrute le décor et si elle a l'impression de s'enfoncer trop loin, le vent finit par lui souffler qu'elle est sur le bon chemin.
Il ne fait jamais aussi frais en bord de mer. Pas comme ça. Pas comme le froid glacial d'une plaine enneigée. Yüljet se fige et observe le paysage avec attention. Sur sa gauche, une haute falaise s'élève, supportant la dense forêt qui borde Albacore et qui offre des sentiers vers Amzer, sur sa droite il y a l'océan et loin face à elle, une silhouette maigre lance des regards épouvantés de tous les côtés. Titan pousse un soupir et se détend quelque peu.
Les pieds dans l'eau, Sira tient son voile entre ses mains et laisse le vent marin le malmener, sans se douter que sa froideur le transformera en brise glacée. Ses longs cheveux d'un rose fatigué se font entraîner avec lui et ses ailes, dépliées, sont prêtes à le porter vers les hauteurs en cas de danger.
« Sira ! » l'appelle Yüljet.
Comme pris en faute, la fée Milliget a un sursaut avant de se ratatiner sur elle-même. Puis, reconnaissant Titan, Sira reprend des couleurs et se contente simplement de rester figé au bord du rivage. Pourtant, Yüljet peut voir que son regard est fuyant et que s'il le pouvait, il se déroberait volontiers à la compagnie de celle qui l'a finalement trouvé.
Se plantant devant lui, la troll reprend :
« Tout le monde te cherche. Pourquoi tu es parti ?
- Je sais, répond Sira d'une petite voix, mais je ne voulais pas être trouvé. »
Chose manquée, à présent, mais Titan veut comprendre. Elle lui demande s'il a voulu rejoindre le bateau de sa famille, à la Baie Cobalt et elle sait qu'elle a raison quand la fée Milliget grimace en tordant son voile irisé avec embarras. Sira cligne des paupières à plusieurs reprises et ses yeux bruns s'emplissent de larmes.
Yüljet ne dit plus rien et le laisse à sa tristesse, attendant qu'il se remette à parler :
« Je suis parti parce que j'avais honte… souffle-t-il.
- Honte de quoi ?
- Nedallel était triste, alors je pensais que s'il voyait son frère, il irait mieux. Quand je suis triste, je vais voir mes frères et sœurs parce qu'ils sont tout pour moi. Mais je me suis trompé et Nedallel a pleuré à cause de moi. Ce n'était pas ce que je voulais et comme je ne savais pas comment réagir, je suis parti. »
Titan souffle par le nez. Toute cette mascarade lui apparaît comme une perte de temps et elle aurait largement préféré s'en cantonner à son plan et surveiller Helouri. Mais visiblement, Sira ne sait pas gérer ses émotions comme le commun des faeliens et c'est assez étrange.
« Et qu'est-ce que tu aurais fait, sur le bateau ? Ton frère n'aurait pas été content de te voir là-bas, non ?
- Non, geint Sira en rentrant la tête dans les épaules, mais de toute façon je dois attendre parce qu'il y a les gardiens. Candice ne veut pas que je leur parle. »
Candice ne veut pas beaucoup de choses, de toute manière. Yüljet songe que Candice doit surtout faire attention aux informations que pourraient livrer son frère sans le vouloir.
La troll passe une main ennuyée dans ses lourdes tresses pendant qu'elle réfléchit. Sira ne voudra probablement pas rentrer au sein de la cité d'Eel et elle, elle souhaite parler à Candice.
« Tu veux quand même aller sur le bateau quand les gardiens seront partis ?
- Oui. Même si je vais me faire gronder. »
Très bien. Alors Titan compte attendre avec lui. Selon Sira, dès que son frère quittera le bateau de sa famille, il ordonnera aux gardiens de s'en aller, alors il suffit de les guetter et c'est ce qu'il fait depuis un long moment.
Ensuite, ils pourront rejoindre Candice. Yüljet ne sera pas autorisée à monter sur le bateau, bien entendu, mais elle pourra discuter.
« Je vais lui dire la vérité, décide Sira, je me suis enfuie, tu m'as cherché et tu m'as trouvé. Avec ça, il t'écoutera.
- Et ça ira pour toi ?
- Oui ! Je lui dirai ochata veh nia. C'était ce que je voulais lui dire de toute façon. J'ai l'impression que plus les jours passent et plus il est en colère. Je crois que ça lui fera du bien de l'entendre. »
Titan n'a aucune idée de ce que ça signifie mais elle s'en moque. Elle attend. Elle regarde Sira marcher pieds nus le long du rivage, se drapant de son voile de temps à autre quand la chaleur le rattrape.
Enfin, quand des silhouettes quittent la Baie Cobalt, au loin, la fée Milliget pousse une exclamation enjouée. Enfin !
Yüljet, elle, plisse ses yeux d'onyx. Parmi les uniformes noir et indigo, celui d'une obsidienne se détache. Elle reconnaît aussi Rose Clarimonde et songe que le vampire a dû revenir après avoir été mettre Nelladel en isolement.
Qu'importe ce qui se passait, là-bas, la voie est libre.
Titan a un sursaut quand une main glacée attrape la sienne. Elle se retourne pour se confronter au regard surpris de Sira.
« On y va ? propose-t-il.
- Tu ne peux pas marcher tout seul ?
- Je marche tout seul. » achève la fée Milliget, sans comprendre.
Résignée, Yüljet fait un pas, Sira trottinant à ses côtés. Elle oublie bien vite sa présence glaciale pour se concentrer sur sa future discussion avec Candice, mais aussi le sauvetage de Nash.
Elle est résolue : elle doit être celle qui portera le voile de Sira. Mais est-ce réellement une bonne solution ?Les Choix
Titan est à l'orée de sa seconde discussion avec Candice. Hormis les thèmes des Docteurs Becs et de la Chair des Roses (que vous avez choisis), Titan doit désigner la membre du cartel des Typhons qui portera le voile de Sira et accompagnera Candice jusqu'à la salle d'interrogatoire où Nash est détenu.
Titan est persuadée que c'est à elle de le faire.
Mais qu'en pensez-vous ? Et si c'était une mauvaise décision ? À vous de choisir parmi la liste de ces faeliennes capables de se faire passer pour une fée :
➜ Titan
➜ Sexta Stoker
➜ Gabrielle Parceveaux
Fuya est trop petite en plus d'être terrorisée par les fées, Fawkes ne peut pas revêtir le voile correctement à cause de sa queue de renard et Rose est encore au cœur de l'enquête menée par son binôme.
Indice : Ce choix déterminera la manière dont le cartel vivra la suite des événements. Il y a des faits auxquels vous assisterez contrairement à d'autres. À vous de voir si vous souhaitez accompagner Candice et si c'est la meilleure chose à faire…
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June est convoquée d'urgence par Rose Clarimonde. Elle doit se rendre immédiatement dans son bureau.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes continue l'enquête sur Rose Clarimonde. Avant d'entamer le sauvetage de Nash, il peut se permettre une ultime surveillance qui lui donnera peut-être un indice. Mais où devrait-il aller et quand ?
➜ La Salle des Portes, en pleine nuit.
➜ L'extérieur de la cité d'Eel, en pleine nuit.
➜ Le port, en milieu de soirée.
➜ Les jardins de la musique, au coucher du soleil.
Indices pour t'aiguiller : L'ombre est synonyme de danger et le foyer aussi. Le soir, alors que la fête bat son plein, la solitude est maître, mais l'œil mi-clos d'un soleil en train de s'endormir peut être porteur de rêves inachevés.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo : Lilymoe est maintenant le soignant référent de la Garde de l'Ombre. Puisqu'il a tous les dossiers médicaux en main, il peut recevoir les gardiens en entretien pour s'assurer de leur bien-être. Le fera-t-il ?
Si c'est le cas, contacte-moi par MP en me livrant le nom du gardien en question et ça donnera un RP (pas des chocapics, désolée !).
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous et bienvenu sur le chapitre 32 de la fiction !
Bon, je sais que vous allez d'ores et déjà me détester pour le choix en fin de chapitre mais vous savez : tout va bien se passer.
Aussi, je voulais vous prévenir que les sessions RP de Wa¨tikka et MayaShiz se trouvent juste après le chapitre complet pour la question de l'ordre chronologique des évènements.
Et un petit détail supplémentaire : les session de RP de l'été seront postées dans un post ordinaire ! Sinon je vais remplir celui-ci à vitesse grand V et ça va être un petit peu casse-pieds. Surveillez donc la fiction et si vous voulez être prévenu, dites-le moi !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture. (^_^)/
Chapitre 32 - Mer d'Huile
Deux jours avant le sauvetage de Nash
Elle s'en rappellera dans quarante ans, elle en est certaine.Si Titan arrive à vivre jusqu'à ses soixante ou soixante-dix ans, elle aura beaucoup de souvenirs à coucher sur du papier ou bien à trier dans son esprit.
Cet instant-là en fait partie.
Yüljet pourra se vanter d'avoir déjà vu le bateau des Milliget : une véritable forteresse de glace dont il est impossible de discerner l'entrée. Elle ne parvient même pas à en imaginer l'intérieur, ni à déterminer comment cette chose fait pour flotter.
Mais quand elle a regardé le navire, Sira à ses côtés, elle s'est faite la réflexion que les fées et les autres faeliens n'appartiennent pas au même monde.
L'un des peuples originel et souverain d'Eldarya vit avec une étrangeté singulière et une magie plus mystique que ceux venues de la Terre n'arrivent pas à reproduire. En réalité, Titan se demande si elle, Fawkes, Fuya, Sexta… Ne sont-ils pas des similis d'humains ? Des êtres étrangers avec une façon de vivre et de penser calquée sur celles de leurs anciens alliés ?
Yüljet aimerait pouvoir regarder derrière la frontière des Milliget et découvrir leur royaume, autant qu'elle n'en a pas envie. Qu'est-ce qu'elle ressentirait face à la beauté et l'ingéniosité d'un paysage qui dépasse tous ceux qui ont voulu imiter la Terre ? D'ailleurs est-ce que la Terre est si semblable ?
Titan invoque le calme dans son esprit. Ces questions sont légions, mais elles la terrifient. Si le cartel des Typhons parvient à empêcher la conquête terrienne et à défaire le virus des sols d'Eldarya, quel genre d'avenir ça donnera ? Est-ce qu'il y aura une lutte entre les premiers peuples et les autres faeliens, trop attachés à leurs racines d'un autre monde ? Que faire s'ils sont incompatibles ?
Yüljet réalise qu'elle souhaite aborder ce sujet avec Candice. Elle sait déjà que l'idéal de la fée Milliget, ce serait de balayer ceux qui ne seront jamais chez eux, à ses yeux, mais qu'en est-il de l'enseignement de son sabarana ?
Titan rassemble ses pensées : elle est ici parce que c'est elle qui se fera passer pour une fée. En tant que cheffe du cartel, c'est à elle de le faire. Aussi, elle a des questions et tant qu'elle le peut, elle veut les poser.
Qui sont les Docteurs Becs ? Est-ce que les Milliget ont déjà vu leurs visages ? Yüljet en doute fortement, mais la moindre information peut-être utile. De même sur cette Chair des Roses qui figure dans le rapport de Fawkes.
La cheffe du cartel des Typhons observe le bateau une nouvelle fois, en essayant d'en trouver l'entrée, mais sans succès. Le soir en train de tomber doucement parre la glace de reflets nacrés, transformant le navire en immense joyau. Perdue dans ses réflexions, Titan réalise que Sira est silencieux depuis trop longtemps alors quand elle se retourne, c'est pour le trouver planté sur le sable, les mains croisées et la tête basse.
L'inquiétude s'est peinte sur son visage pâle. Yüljet se demande s'il ne redoute pas la colère de Candice et quelque part, elle le comprend.
« Tu ne veux pas aller voir si ton frère est à l'intérieur du bateau ? »
C'est une question idiote parce qu'elle sait déjà que c'est le cas. Seulement, elle est bien incapable d'y entrer tout comme elle ignore de quelle manière on peut manifester sa présence depuis l'extérieur. Nelladel aurait peut-être su, lui, mais ce n'est pas depuis sa cellule d'isolement qu'il l'aidera.
Sira hausse les épaules et souffle par le nez. Il ressemble à un enfant qui n'a pas envie de faire ce qu'on lui demande mais qui sait qu'il n'a pas le choix. Quand il répond à Titan, le ton qu'il emploi est monocorde et presque ennuyé :
« Il est là. D'habitude, il y a des gardiens de l'Ombre. C'est lui qui les a renvoyé. Je vais le chercher.
- Tu avais quelque chose à lui dire de toute façon, non ? Une phrase dans ta langue ? »
Sira ouvre de grands yeux noisettes, pince les lèvres et hoche la tête. Ochata Veh Nia. Yüljet ne sait pas de quoi il s'agit, mais ça a l'air très important pour la fée Milliget. Elle plie et déplie ses longs doigts fin, pense à quelque chose, se décide et enfile son voile irisé avant de prendre son envol.
Titan la regarde se diriger vers une face nacrée en forme d'hexagone pour y poser la main. Du givre semble courir sur la surface plane, révélant l'entrée du bateau alors qu'une langue de glace se tire pour accueillir les pieds de la fée Milliget.
Yüljet songe à la pertinence de la présence des gardiens de l'Ombre. Qu'ont-ils à protéger, puisque le navire est déjà inviolable avec le froid extrême qu'il dégage ainsi que son accès en hauteur ? À moins que quelqu'un, à Eel, connaisse un moyen de s'y glisser à l'insu de leurs propriétaires…
Titan n'a pas le loisir de pousser ses réflexions plus loin car des éclats de voix attirent son attention. Elle lève ses yeux noirs vers l'ouverture du navire. Elle n'a même pas besoin de tendre l'oreille pour entendre Candice sermonner Sira.
« Non, tu ne comprends pas ! Tu ne comprends aucun mot qui sort de ma bouche ! Si je te dis de rester à la maison, tu restes à la maison ! Il n'y a même pas besoin de réfléchir, alors pourquoi c'est si difficile à comprendre, pour toi ?
- Mais j'en avais marre d'être enfermé, se justifie Sira d'une voix tremblante, Je n'ai rien dit… Je n'ai rien fait de mal…
- Ah oui ? Alors que fait la cheffe du cartel des Typhons ici ? »
Sira balbutie quelque chose et Candice émet une exclamation dédaigneuse. Qu'importe ce que son frère lui dira, il est en tort. Pourtant, Yüljet perçoit autre chose. Elle ne sait pas si elle peut qualifier ça de rancœur ou d'une simple colère, mais Candice semble excédé par Sira.
Ce dernier tente d'expliquer que Titan souhaite simplement lui parler, mais se fait rembarrer :
« À quoi ça sert de t'expliquer quelque chose ? Tu ne comprends rien, de toute façon. Je ne sais même pas si tu as conscience de ce que je fais pour toi, pour notre sabarana et pour ton Sheraz, même si ça me dégoûte.
- Bien sûr que si… Je sais tout ce que tu fais…
- Si tu le sais, alors pourquoi tu complique les choses ? Tu n'as rien d'autre à faire à part obéir ! Si je te dis de sortir, tu sors. Si je te dis de rester à la maison, tu restes à la maison. Point. »
Yüljet sent un malaise lui attraper les entrailles. Elle n'est pas censée écouter ce qu'elle est en train d'entendre et elle se doute que Candice n'apprécierait pas de la voir assister à l'échange houleux qu'il entretient avec son frère. Elle comprend pourquoi Sira hésitait tant à se rendre sur le bateau, une fois arrivé sur les lieux.
Ça ne la regarde pas et tout ce qu'elle veut, c'est aborder les points qu'elle a en tête avec Candice et préparer le sauvetage de Nash. Pourtant, quand elle entend la fée Milliget hausser le ton une nouvelle fois et Sira fondre en larmes, elle n'a qu'une envie, c'est de tourner les talons.
« Qu'est-ce que tu as à répondre ? tranche la fée Milliget.
- Je suis… Je suis désolé…
- Tu es désolé ? Désolé de quoi ? D'être idiot ? »
Les sanglots de Sira ne sont qu'un écho provenant du grand vaisseau de glace pourtant, même Titan, sur la plage, peut sentir l'atmosphère des lieux devenir de plus en plus oppressante. Elle pense que si le nouvel allié du cartel se comporte ainsi avec son propre frère, qu'en est-il des autres ? Ceux qui ne font pas partie des fées ou des espèces souveraines d'Eldarya ?
« Arrête de pleurer ! reprend Candice d'un ton aigre, à quoi ça te sert ? Maman et Shelma sont vraiment trop gentils avec toi. Va pleurer dans leurs robes !
- O… Ochat…
- Tu me fatigues. Dégage. »
Yüljet s'approche du rivage en retenant un soupir. Dans deux jours, le soir venu, elle vêtira le grand voile gelé de Sira pour aller sauver Nash en compagnie de Candice. Après la conversation qu'elle vient d'entendre, elle songe que c'est une bonne chose que ce soit elle qui le fasse. Tout ce qu'elle a vu de l'impétueuse fée Milliget, c'est un être qui n'a rien de bon à montrer.
Candice agit contre la conquête terrienne parce que son ancêtre le lui a demandé, mais jusqu'où ira sa loyauté ? Et si envers et contre tout il juge que ça n'en vaut plus la peine, est-ce que le cartel saura lui tenir tête ?
Titan se déteste presque de se poser autant de questions alors qu'elle est si proche de libérer Nash. Mais elle n'y peut rien. Elle sait que le plan ne se passera pas comme prévu car c'est toujours ainsi, mais quel genre d'embûche l'attend ?
« Si la cheffe du cartel commence à me prendre pour un compagnon de bavardages, ça va nuire à notre bonne entente.
- Seulement si elle perdure, réplique Titan en se retournant, je voulais simplement parler du plan de sauvetage avec toi. »
Yüljet ne peut pas voir le visage de Candice, couvert par son voile glacial, mais elle devine le mépris dans son regard gris. La troll frissonne, contaminée par le froid de la fée Milliget, mais cette dernière s'en moque.
« Qui viendra chercher l'orc avec moi ?
- Moi. C'est à moi de le faire.
- Et les autres membres de ton cartel vont t'attendre sagement ? » crache la fée Milliget.
Titan ne répond pas. Il est évident que pendant qu'elle sera dans les quartiers de l'Ombre avec Candice, Sexta, Fawkes, Fuya Nelladel et Gabrielle auront chacun leurs propres tâches à accomplir pour faciliter l'évacuation de Nash.
« Ils auront du travail.
- L'un d'entre eux devra rester avec Sira, coupe Candice, puisqu'il n'aura plus son voile pour le rafraîchir, il devra rester dans une pièce de la maison d'Île Grande, remplie de glace éternelle, en attendant notre retour.
- Tu veux faire garder cette maison ? »
À vrai dire, Titan pensait surtout à poster des Typhons dans la Salle des Portes, le marché, le port, le kiosque central et le refuge. Ainsi, ils formeraient une chaîne capable de donner l'alerte en un laps de temps très court si quelque chose arrive, mais également de prévenir les purrekos afin d'emprunter leur passage vers Albacore.
Yüljet comprend pourquoi Candice ne peut pas laisser son frère dans l'appartement que sa famille occupe. Sira vendrait la mèche.
« Fawkes restera avec lui, dans ce cas. » déclare-t-elle.
Le renard-garou sera tout à fait capable de garder la maison tout en jetant un œil régulièrement au quartier des invités et de rassurer Sira si besoin. Titan gratifie son interlocuteur d'un bref regard. Il est devenu trop calme à son goût et elle se demande ce qui peut bien occuper son esprit, en cet instant.
Enfin, il se met à parler.
« Qu'est-ce que vous avez fait des échantillons de sang humain ? »
Yüljet plisse les yeux. La question n'est pas étrange, mais inattendue. Elle se demande si Nash y a déjà répondu lors d'un interrogatoire insupportable et si c'est le cas, alors son bourreau veut peut-être comparer leurs explications.
Titan réfléchit, pèse le pour et le contre mais ça ne plaît pas à Candice qui ajoute avec tout son fiel :
« Ça a coûté beaucoup de chair et de sang à ton orc. Alors si j'étais toi, je rentabiliserais ce qu'il a perdu, puis récupéré après de très longues cicatrisations.
- Et ça en valait la peine ? » s'exclame la cheffe du cartel en se retournant avec des gestes brusques.
Rien. Il n'y a rien de bon du tout chez cette fée qui possède pourtant mille connaissances pour sauver des vies.
Mais tout ce qu'il veut, lui, c'est les enlever. Il sait comment faire pour soulager la douleur, mais préfère la provoquer tout comme il sait comment guérir, mais voudra plutôt plonger sa victime dans une longue et terrible agonie.
C'est ça, qu'il est et quand il menace celui qu'il doit aider à sauver d'ici deux jours, Titan doute de l'alliance. Elle doute de sa parole, de ses convictions, de ce qu'il sera capable de supporter pour son sabarana avant de tout rejeter pour tuer.
« Bien sûr, répond Candice d'une voix trop douce, ses réponses à arracher pour le bien-être des anciens et des enfants de mon peuple. Ça en valait largement la peine. Tu verras, il est beaucoup mieux dressé, maintenant. Il sait qui est l'espèce souveraine d'Eldarya, à présent. »
Yüljet est certaine qu'il sourit sous son voile. Sauvegarder les vies des faeliens venus lors du Grand Exil le dégoûte ? Parfait. Elle en a autant à son service.
Mais Nash n'est pas encore hors de danger alors pour le moment, elle fera avec sa répulsion.
Puis elle n'oublie pas : elle est là parce qu'elle veut obtenir des réponses que lui-seul peut donner.
« Une experte en alchimie a étudié les échantillons, confesse finalement Titan, on voulait savoir ce que vous faisiez aux humains.
- Et qu'est-ce que ton experte t'as apporté comme réponse ?
- Le maana réduit considérablement l'oxygène dans le sang. C'est un phénomène que Ryan, l'experte, a pu observer sur la durée. »
Candice laisse échapper un petit rire. Yüljet regarde sa silhouette frémir sous son voile gelé et elle a la désagréable impression d'être une enfant venant de lui énoncer une évidence.
Quand elle lui demande ce qu'il y a de si drôle, il se contente d'écarter les bras en secouant la tête. Il lui dit qu'il pense à ces précieux échantillons perdus par une imbécile qui veut jouer aux apprentis-médecins. Titan serre les poings.
« Et toi ? Utiliser ton savoir pour jouer aux criminels avec un scalpel sur des humains qui n'ont rien demandé pour le compte des Docteurs Becs, ça te plait ? »
Touché. La fée Milliget se ramasse sur elle-même comme une bête sauvage et la cheffe du cartel se tend. Elle a l'impression que toute la rage et le dégoût de Candice est en train de sourdre au creux de ses entrailles et que bientôt, il lui sautera à la figure, la gueule ouverte et la trompe dehors.
Le voile se rapproche, un froid furieux meurtri la peau brune de Yüljet et elle sent le duvet sur sa peau se hérisser. Elle a conscience qu'elle ignore si elle pourra le supporter, dans deux jours, sans avoir la sensation de mourir sous un linceul de glace pourtant, elle devra le faire pour Nash.
Mais en cet instant, c'est contre la fureur contenue d'une fée qu'elle doit lutter.
« Tu veux voir jusqu'où cette conversation va nous mener ? susurre Candice.
- Tu as fait appel au cartel des Typhons et nous avons répondu présent. Nous aurions sauvé Nash avec ou sans toi, alors à chaque fois que tu manqueras de respect à un membre du cartel, ne t'attends pas à être traité comme leur égal.
- Je ne suis pas votre égal. » gronde la fée Milliget.
Si ça lui chante, Titan s'en moque. Tant qu'il accomplit sa part du marché, qu'il pense ce qu'il veut, mais elle continue de douter de leur collaboration sur le long-terme.
On verra bien.
Candice semble un petit peu plus calme, même si le souffle de la colère continue de se mêler au froid de son voile. Le silence tombe et s'étire, jusqu'à ce que Yüljet demande :
« Les Docteurs Becs, tu as déjà vu leurs visages ? »
Grâce à sa rencontre avec Mery, Titan sait qu'ils sont au moins trois. Mais peut-être qu'ils sont plus que ça et elle a besoin d'apprendre de nouvelles informations.
Candice semble hésiter. À défaut de voir son visage, Yüljet tente d'interpréter le moindre de ses mouvements et toute la crispation de son être ne lui dit rien qui vaille. Ce n'est pas de la peur, c'est de la rancune, elle en est certaine.
« Il y a longtemps, quand sabarana gouvernait encore, il n'y en avait qu'un. Il était habillé tout en blanc. Et beaucoup plus tard, quand une partie de notre peuple a été emprisonnée au grand palais d'Odrialc'h, deux autres ont rejoint celui qui semble être leur maître. »
Un seul Docteur Bec, il y a longtemps. Un seul être vêtu de blanc, arborant le costume étrange des anciens médecins humains, avec leur long masque.
Titan réfléchit. Elle pense à la conversation qu'elle a eue avec Purral, quand il lui a montré la gravure humaine en lui parlant du mythe sanglant d'Anémone, la meurtrière qui tuait ses amants dans son jardin mystérieux en leur faisant respirer des aigrettes d'une plante qu'elle avait créée. Le purreko avait dit à Yüljet que le premier faelien à revêtir le l'habit des Docteurs Becs, c'était un médecin légiste et Chef de la Garde Absynthe qui travaillait avec les inspecteurs de la Garde de l'Ombre, à l'époque. Et s'il s'agissait du premier ?
« Le premier Docteur Bec aurait un rapport avec l'affaire de la meurtrière d'Anémone, selon toi ?
- Si c'était aussi simple, il n'y aurait plus de Docteur Bec à l'heure qu'il est, crache Candice, mais je dois reconnaître que ta déduction est plutôt intelligente. Il est possible que le Chef de la Garde Absynthe de l'époque ait initié l'idée du costume et qu'elle a été reprise par ceux qui ont réalisé les premières expériences humaines. Comme tu peux t'en douter, retrouver leur identité est difficile, c'est pourquoi il est mieux de s'en prendre aux deux minaloos du meneur en costume blanc. »
Logique, mais tout aussi complexe. En tout cas et si les expériences humaines ont commencé il y a longtemps, alors Titan pense que le costume immaculé du premier Docteur Bec est transmis de génération en génération, avec l'idéal de la conquête terrienne.
Celles et ceux qui le partagent se voient attribuer le privilège de rejoindre les rangs du maître.
Néanmoins, c'est une piste à creuser.
Yüljet a envie d'approfondir la question des tests pratiqués sur les humains, tout comme la réaction des échantillons de sang sous l'influence du maana, mais elle se doute que Candice n'appréciera pas sa curiosité. De plus, elle a déjà autre chose à demander :
« Tu disais que vous étiez quatre espèces souveraines avant que le Grand Exil ait lieu. Ton peuple et trois autres. C'étaient lesquelles ?
- Tu comptes me faire la conversation toute la soirée et espérer que je réponde religieusement à tes questions ?
- Le partage d'informations fait partie de l'alliance, réplique Titan, les hauts-elfes étaient l'une des espèces ? En faisant des recherches sur ce terme-là, un membre du cartel est tombé sur celui de Chair des Roses…
- Si j'étais toi, je la fermerai. »
Il la dévisage, Yüljet le sent. Elle ne voit pas ses yeux, mais elle les devine étincelants. Candice doit la toiser avec tout le dédain qu'il lui porte et Titan est persuadée que si elle a le malheur de répéter les mots Chair des Roses, d'insister, alors ils en viendront aux mains dans quelques instants.
« Dans deux jours, nous irons chercher ton abruti d'orc et ensuite, on s'en tiendra au plan comme convenu. Mais ne compte pas sur moi pour satisfaire ta curiosité malsaine ou nos rapports assez courtois pourraient vite devenir un peu moins sympathiques.
- Mon abruti d'orc et respectable membre de mon cartel est l'unique raison qui m'a décidé à tester ta bonne foi. Tu devrais plutôt le remercier car sans lui, tu serais toujours en train de chercher de la viande à sacrifier pour ton plan. Quant à ma curiosité sois-disant malsaine, eh bien tu n'as qu'à t'en prendre aux livres qui parlent de la Chair des Roses.
- Livres écrits par des crétins qui se sont approprié le monde. »
Ça, c'est ce qu'il pense. Pourtant, entre le recueil de poésies que Fawkes a choisi ainsi que l'ouvrage traitant de Lotheg, le terme a été mentionné et Titan doute que ce soit de l'ignorance. Il y a forcément quelque chose qui gravite autour de la Chair des Roses et pour que ça mette Candice en colère, les fées sont forcément impliquées.
Yüljet se souvient particulièrement d'un avertissement, dans le poème d'Isaac Leiftan Koskilis relevé par Fawkes, qui disait que le mal pouvait faire le nid dans le ventre de leurs femmes.
Peut-être que toutes les fées n'ont pas eu recours à l'auto-fécondation pour se reproduire et que certaines d'entre elles étaient partisanes de trouver un ou une partenaire auprès d'autres espèces comme les lorialets. Lorialets issus du Grand Exil et revenus avec une religion humaine.
Si l'hypothèse de Yüljet est juste, alors ce ne serait pas étonnant que Candice déteste le terme de Chair des Roses. Pourtant, ce mot désigne aussi le précepte qui interdit aux elfes de se nourrir de viande.
Quel est le lien ? Titan n'en saura rien aujourd'hui, de toute façon.
« Si j'étais toi, je me préparerai convenablement pour le sauvetage de l'orc. » reprend soudain Candice.
Yüljet plisse ses yeux noirs. Il vient d'énoncer une évidence, mais dans sa bouche, ça sonne plutôt comme un avertissement.
« Tu as peur que les choses tournent mal à cause de moi ? » lance-t-elle.
La fée Milliget émet un sifflement dédaigneux et croise les bras sur sa poitrine. Son long voile irisé est malmené par le vent du large et Titan devine son regard fixé sur l'horizon. Elle se demande à quoi il peut bien penser, lui qui considère leur mission comme une futilité, un passage obligatoire vers leur alliance bancale.
Quand il reprend la parole, sa voix est calme. Trop calme. Trop tranquille pour le présage qu'il est en train d'annoncer.
Oui, Titan doit se préparer parce que Candice vient de rendre leur alliance plus solide avec des mots et même lui est forcé d'admettre que seul, il n'y arrivera pas.
Dans deux jours, quand on sera dans les couloirs du quartier de la Garde de l'Ombre pour aller chercher l'orc, j'essayerai de faire tomber un masque. Je ne m'en sortirai pas et toi non plus. Mais ce qui compte, c'est que ma famille et les autres membres de ton cartel puissent fuir et qu'une partie de la Garde d'Eel ouvre enfin les yeux.
Là, on pourra dire qu'on barre la route à la conquête terrienne.
Yüljet fixe l'océan à son tour alors que l'angoisse veut lui nouer la poitrine. Elle savait déjà que la mission de sauvetage ne se passerait pas comme prévu car c'est la règle absolue de tous les plans que l'on veut bien mettre en place.
Mais ça…
« Tu t'es préparé à mourir ? s'exclame-t-elle d'un ton grave, et le Typhon qui doit t'accompagner doit mourir avec toi ?
- Puisque c'est toi qui viendra, ce sera à toi de protéger ta vie. Quant à moi, je ne mourrai pas. Je vivrai. Mais crois-moi que dans deux jours, Eel a intérêt d'avoir confiance en la solidité de ses murs.
- Qu'est-ce que tu prépares ? »
Il ne lui répond pas. Il continue de fixer l'horizon et quand Yüljet pense à ce qui arrivera, elle a la furieuse sensation de se tenir à l'aube du chaos.
Candice a cessé de lui parler après lui avoir avoué, à demi-mots, qu'il se lancera dans une lutte presque trop grande pour lui et si Titan ne connaît pas encore l'adversaire dont il veut faire tomber le masque, elle le craint déjà. Il est plus fort qu'une fée impétueuse et il la poussera à bout, si bien que pendant que Nash sera sauvé, les murs de la cité d'Eel deviendront rouges.
Convocation de June par Rose Clarimonde - Deux jours avant le sauvetage de Nash.
Le second Clarimonde demande à vous voir immédiatement. Ses bottes frôlent les pierres du couloir tant elle se presse pour rejoindre le bureau de Rose, alors que son cœur bat trop fort dans sa poitrine. Que lui veut-il ? Et pourquoi cette convocation soudaine ? June passe une main inquiète dans ses mèches cendrées. Est-ce en rapport avec sa mission ? Ou avec leur collaboration ? Peut-être qu’il veut lui annoncer qu’il ne peut plus effectuer son suivi. Ou est-ce que c’est autre chose ? A-t-elle fait une bêtise ? Elle tente de réfléchir à ses actions des derniers jours, sans trouver ce qui a bien pu déplaire au Second de l’Ombre.
June ne fait pas attention aux gardiens qu’elle croise, trop agitée pour voir autre chose que le chemin qui mène au bureau de Rose. Elle a la gorge sèche, les mains moites et son ventre se tord. Est-ce que c’est grave ? Ça doit l’être, pour que la convocation soit si urgente… Il ne lui a pas envoyé de missive, qu’elle n’aurait pas su lire de toute manière, mais une gardienne. Rien dans son ton ne laissait suspecter quoi que ce soit : elle s’était contentée de rapporter l’ordre de son supérieur, et elle ne savait pas ce qui motivait cette demande.
La jeune femme n’a rien à se repprocher. Elle a beau chercher, elle ne trouve pas. Est-ce que ça concerne un membre de sa famille ? Est-il arrivé quelque chose à Joseph ? Mais il dépend du capitaine Batatume, alors pourquoi Rose voudrait-il lui parler ?
Elle court presque quand elle arrive devant son bureau, et sa main se dresse, prise de tremblements agités qu’elle essaie vainement de calmer. June toque trois fois, et attend qu’on vienne lui ouvrir en sautillant d’un pied sur l’autre, parfaitement consciente d’avoir l’air ridicule à s’inquiéter ainsi. Peut-être que ce n’est rien, et qu’il veut simplement lui parler de sa prochaine mission.
Lorsque la porte s'ouvre, elle se répand presque en excuses, mais Rose Clarimonde reste très calme. Ce qu'il a à lui annoncer est extrêmement délicat mais au vu de la situation, il tient à le faire lui-même, bien que ça soit difficile.
Il aurait dû procéder comme d'habitude et envoyer des gardiens directement au domicile de la personne qu'il a arrêté, mais il savait que ça n'aurait rendu service ni à June, ni à son frère.
Restant maître de lui-même, le vampire invite la jeune faelienne à s'asseoir.
Il peut sentir son angoisse contaminer l'atmosphère et malheureusement, il sait qu'elle ne prendra pas fin quand elle apprendra la raison exacte de sa convocation. Rose prend place sur son siège avant de joindre les mains sur son bureau, puis lève ses yeux opalins vers le visage de l'obsidienne.
« J'ai demandé à vous voir d'urgence parce que moi et d'autres gardiens de l'Ombre avons fait face à une situation délicate. Aussi, je suis certain que vous n'auriez pas voulu l'apprendre d'une autre manière, June. »
La jeune faelienne est blême. Rose se sent navré pour elle car il comprend ce qu'elle va ressentir dans quelques secondes, quand il lui aura raconté la situation qui l'a conduite ici, dans son bureau. Alors il se lance :
« Plus tôt dans la soirée, nous avons procédé à l'arrestation de Daniel Viola, un revendeur de tap que nous suivions depuis plusieurs semaines. Nous voulions le prendre sur le fait pour l'arrêter de façon immédiate, l'inculper et c'est ce qui s'est produit. Seulement, nous avons dû arrêter la personne qui lui a acheté du tap et elle sera inculpée pour possession de substances illicites. Si je vous ai demandé de venir immédiatement, June c'est parce que cette personne, il s'agit de votre frère. C'est Helouri Ael Diskaret qui se trouvait avec Daniel Viola au moment de l'arrestation. Je suis vraiment désolé. »
Elle le regarde comme s’il venait de lui annoncer très sérieusement être un blooby doté de six nageoires. June cligne plusieurs fois des yeux, parfaitement immobile pour la première fois de sa courte existence. Elle se rappelle l’avertissement de Rose à la fin de leur mission. Elle se rappelle aussi avoir essayé de trouver Helouri, sans succès, et s’être persuadée que le Second avait imaginé des choses. Elle avait voulu en discuter avec son frère, mais n’avait pas trouvé les mots. Et puis, en le regardant, elle s’était rendue compte que c’était stupide : Helouri, avec du tap ?
Un rire nerveux agite sa poitrine. Helouri, avec du tap. June porte une main à sa bouche pour étouffer ses gloussements incontrôlables. Ce n’est pas sérieux, il faut qu’elle se reprenne… Pourtant, ça y est, elle le voit, les lèvres noires et les cheveux fileux, presque morts à cause des ravages que la substance cause sur le corps de ses victimes. Helouri, du tap. Elle tremble et doit prendre plusieurs inspirations pour se calmer. Quand elle se redresse pour fixer Rose de ses yeux améthystes, il peut voir l’incompréhension dans ses prunelles, mais aussi la colère, l’inquiétude, et tout un tas d’autres sentiments mélangés.
« Je… Il est… Il a… Vous l’avez… »
Elle enfonce ses ongles dans sa paume pour réussir à énoncer une phrase cohérente. Il lui faut de longues secondes pour que les mots se forment sur sa langue, et elle songe que Rose doit la trouver particulièrement pathétique.
« Vous avez prévenu nos parents ? s’enquiert-elle avec plus de calme qu’elle n’en ressent. Est-ce que je peux lui parler ?
- Ils ont déjà dû recevoir la missive qui les convoque ici-même. Je les recevrai également puisque je suis celui qui a arrêté votre frère. »
Rose a conduit Helouri en salle de confinement en attendant de recevoir June et ses parents. Puisqu'il n'a commis aucun autre délit, sa peine sera plus légère, mais le vampire s'assurera de lui faire passer l'envie d'acheter de la mort.
« Votre frère se trouve dans la salle de confinement numéro seize et je vous autorise à aller lui parler jusqu'à l'arrivée de vos parents. Je vais vous conduire jusqu'à lui dès maintenant. »
Sans attendre, Rose se lève et June l'imite. Ils quittent son bureau pour descendre au sein des quartiers de l'Ombre, jusqu'à l'un des sous-sols qui contient les salles de confinement. Elles sont une quarantaine, toutes fermement gardées. Elles sont aussi des portes alignées avec des numéros, de petites ouvertures qui permettent aux yeux curieux des détenus de suivre les passages des gardiens.
Certains, sous l'emprise du tap ou de l'alcool, hurlent, vocifèrent et insultent. D'autres, comme celui qui occupe la salle de confinement numéro seize, réalise la situation dans laquelle il se trouve, horrifié.
Il a un sursaut quand la porte se déverrouille. Il a reconnu la voix du Second Clarimonde, celle du gardien posté devant sa petite salle de confinement et une autre qu'il connaît par cœur.
Son visage se décompose quand la porte s'ouvre, puis devient livide alors qu'il fait face à June. Ses mains glacées, arborant des fers, se tordent nerveusement sur le tissu de son long gilet et son cœur bat avec frénésie. Quand il lève ses yeux d'argent pour plonger dans l'améthyste, il veut dire quelque chose.
Mais il n'y a plus rien à dire.
Elle n’y croyait pas, jusqu’à pénétrer dans la cellule. Pourtant, il est là, effrayé et vulnérable. Une partie d’elle veut courir pour le prendre dans ses bras et lui assurer que tout irait bien, qu’elle allait arranger les choses. Une autre, plus dure, plus forte, veut le secouer en hurlant que c’est un parfait idiot, que rien ne vaut de céder à l’attrait du tap, même pas son examen. Parce qu’elle est certaine que c’est de ça qu’il s’agit. C’est toujours de ça qu’il s’agit.
June reste debout quelques instants, immobile, sans le quitter des yeux. Puis elle se met à bouger, avec des mouvements raides, comme ces pantins qu’elle aimait regarder dans les boutiques de jouets, activés par un petit mécanisme secret. Elle s’avance jusqu’à son petit frère, détaille ses poignets entourés de fers, ses traits nerveux et ses lèvres qui tremblotent.
Sur les siens, il n’y a rien d’autre qu’une colère glaciale. June ne croit pas avoir un jour ressenti un froid aussi intense, même quand Sira s’est approché d’elle avec son voile gelé. Dans ses yeux, il y a une déception immense, et elle se demande même si elle sera capable de regarder Helouri autrement un jour.
« C’est tout ce que tu as trouvé ? »
Les mots résonnent dans la petite cellule, vide de toute émotion. Ils sont atones, parce que c’est un constat. Elle aurait voulu lui laisse le bénéfice du doute, mais elle ne peut pas. Il est coupable, ça se lit sur son visage.
« Dis-moi, s’il-te-plaît, dis-moi Helouri que tu n’en savais rien, lâcha-t-elle. Dis-moi que tu ignorais ce que c’était, que c’était une erreur. »
Au début, il ne répond pas. Ses poings se serrent tant il a honte et il songe qu'il aurait largement préféré que June se mette à hurler contre lui. Même dans cette situation, quand il se présente ainsi face à elle, avec des fers aux poignets, elle cherche à le défendre, à trouver la faille qui ne le rendrait pas coupable.
Mais il l'est.
Quand le Second Clarimonde l'a arrêté, il n'a pas résisté. Il est allé au refuge pour acheter du tap comme un idiot en se disant qu'il n'en prendrait que pour travailler avant l'examen et ensuite, il saurait s'en passer. C'était juste pour une fois. Juste pour rester éveillé et pouvoir mémoriser toutes ses notes sans faiblir.
Mais la réalité l'a rattrapé et le voilà confiné dans une pièce, entouré de détenus déments aux lèvres noires. Il ne les a pas vu, mais il en est certain. Levant son visage glacé vers celui de sa grande sœur, Helouri se retient de pleurer. Son menton tremble, il renifle, mais il tient bon, puis il avoue :
« Non, souffle-t-il, je savais ce que je faisais. Je voulais tellement y arriver… Je ne supportais plus l'épuisement, mon corps et mon esprit faible, alors… Juste pour cette fois. Juste pour réussir et après, j'arrêtais. »
Elle le regarde, stupéfaite. Une fois, et après il arrêtait ? June éclate de rire. Elle ne se moque pas, elle est désabusée. Il est censé être intelligent, son frère. C’est elle la tête brûlée qui fait les choses sans réfléchir, pas lui !
« Juste pour cette fois ? répète-t-elle. Juste pour cette fois ? »
Sa voix hausse le ton, jusqu’à s’élever pour hurler sa colère. Elle agrippe ses épaules frêles et le secoue tandis que ses lèvres se retroussent sur ses dents blanches pour marquer toutes les émotions qui la transpercent soudain.
« Juste pour cette fois, hein ? Et t’as trouvé que c’était une bonne idée ? explose-t-elle. Tu t’es pas dit que tu pouvais m’en parler avant ? Que je pouvais t’aider, moi ? Il en vaut la peine, ton examen ? Ça vaut le coup de risquer la mort avec ce truc ? Réponds, Helouri ! »
Elle le lâche, et des larmes d’horreur perlent à ses yeux. June secoue ses mèches cendrées en pointant un doigt tremblant sur sa poitrine maigre, sa colère alimentée par une peur incontrôlable.
« Je sais à quel point tu veux devenir un gardien, mais tu imagines un peu ce que ça ferait à papa et maman ? A moi ? Si tu sombrais dans ce… truc ? Tu as de la chance que le Second Clarimonde t’ai arrêté avant que t’en consomme ! Mais enfin, Helouri, du tap ! J’étais là ! J’étais là, tu aurais pu… tu aurais dû me parler ! Me dire que ça allait pas, j’aurai pu… on aurait travaillé tous les deux… »
Elle pleure maintenant. Elle est en colère contre lui, mais surtout contre elle parce qu’elle n’a pas su voir qu’il perdait pied. June passe une main nerveuse sur son visage et renifle pour ravaler son fiel. Elle a tellement de mots qui se bousculent sur sa langue, qui veulent exprimer son chagrin et sa peur, mais elle sait qu’ils ne servent à rien et qu’elle ne les pense pas vraiment.
« Je m’en fiche que tu le rates, ton examen, continue-t-elle d’une petite voix. Ça veut pas dire que t’es nul, Helouri, ça veut pas dire que tu vaux rien ! Gardien ou pas, tu restes mon petit frère. Mais ça… ça, c’est vraiment, vraiment stupide, j’espère que tu t’en rends compte. »
Il ne dit rien. Son souffle est erratique, son esprit est en désordre et face à sa sœur en train de lui hurler des vérités à la figure, ses lèvres restent closes. Helouri parvient à se demander ce que ça aurait changé, s'il avait parlé de son mal être avec June et ses parents. Ils savent déjà ce qu'il ressent à cause du geste malheureux qu'il a failli faire après l'accident du port, lors de l'arrivée de la Capitaine, et après ?
Il s'est remis. Il a souris. Il a eu un frisson de courage pendant quelques semaines, mais il a dû se rendre à l'évidence : rien n'a changé, même pas lui.
« Qu'est-ce que ça aurait fait ? Sur quoi on aurait travaillé ? Tu crois que tu peux te permettre de rater ton transfert au corps armée d'Odrialc'h à cause de moi ? »
S'il s'accroche à June, c'est ce qui va se passer, Helouri le sait bien. Elle a la chance de pouvoir s'entraîner avec le Second de l'Ombre qui a même réussi là où il aurait dû le faire en tant que frère : aider June face à ses difficultés de lecture. Il n'a rien fait de miraculeux, le jeune vampire de la Garde de l'Ombre, il a juste trouvé une personne comme June, avec les mêmes problèmes.
Helouri aurait pu y penser. Mais non. Il avait la tête dans ses livres, dans sa réussite à l'examen, dans son rêve de devenir médecin…
Le jeune morgan s'affaisse sur lui-même comme une fleur fanée et le cliquetis de ses fers ne parvient plus à lui faire peur. Il se sent fatigué. Ses nerfs sont fatigués. Il secoue la tête :
« Oui, c'est stupide, parce que tout est stupide, chez moi. Papa est fort, noble et bienveillant. Maman et toi, vous êtes des rayons de soleil, vous avez des rêves que vous êtes capables de réussir et moi, je vous en veux. Je vous aime et je me déteste de penser ça, mais je vous en veux. Je ne serais jamais comme vous et je ne veux plus de votre pitié.
- Tu as raison, tu es stupide.»
June secoue la tête, alors qu’une grimace empreinte d’agacement ourle ses lèvres. De la pitié ? Elle s’esclaffe.
« Si j’avais pitié de toi, tu crois que je m’inquièterais comme ça ? Tu penses que je t’encourage à passer l’examen parce que j’ai pitié, Helouri ? Tu crois que notre vie à nous, elle est facile ? Eh bien désolée de te l’apprendre, c’est faux. Tu sais pourquoi je peux rêver d’intégrer le corps armée d’Odrialc’h ? Parce que tu es là. Parce que maman et papa m’ont dit que j’en étais capable, parce que le Second Clarimonde prend du temps pour m’aider. Si j’étais toute seule, j’y arriverais pas. Si j’étais toute seule, je serais juste une pauvre fille qui sait ni lire, ni écrire, et qui arrive à peu près à tenir une épée correctement. »
Elle se détourne et marche jusqu’à la porte, avant de soupirer et de se raviser. Sa voix se fait plus douce, parce qu’elle a de la peine pour son frère qui a l’impression de se noyer sans savoir comment faire pour réapprendre à nager.
« Tu es tellement plus que ça, Helouri, murmure-t-elle. Tellement plus qu’un examen débile, tellement plus que la personne que tu vois… Alors… Sois en colère si tu veux, mais n’essaie pas d’être comme moi. Sois toi-même, c’est déjà bien suffisant. Tu es quelqu’un. Et ce quelqu’un, que toi tu n’arrives pas à voir, il vaut plus que du tap. J’espère qu’un jour, tu arriveras à t’en rendre compte. En attendant, tu peux t’estimer chanceux qu’on t’ai arrêté à temps, parce que moi, j’aurais jamais supporté de te perdre à cause de ce truc. »
Tellement plus… C’est beau quand c’est June qui le dit pourtant, il beau y songer, il ne voit pas en quoi il est aussi bien que le reste de sa famille. Sa sœur y arrive parce qu’elle est aidée, certes, mais c’est aussi parce qu’elle a les capacités d’y arriver…
Helouri pousse un long soupir. Son sang bat contre ses tempes et un mal de tête est en train de poindre. Un mal de tête, un mal de cœur, un mal de ventre et même une nausée. Il porte une main machinale à sa poitrine et grimace.
« June… » l’appelle-t-il d’une voix tremblante.
Helouri ne sait pas qui il est ni qui il doit devenir. Il n’a plus de rêves parce qu’il sait qu’avec cet incident compromettant, l’accès aux examens des Gardes lui sera interdit. Il a tout gâché, tout…
Mais sa sœur a sûrement raison : il a été arrêté à temps et même si ce n’est pas en tant que gardien, il pourra essayer de réussir d’une autre manière, mais pas avec des lèvres noires.
« J’ai des soucis au cœur, poursuit le jeune morgan, si je ne te le dis pas maintenant je n’y arriverais pas une fois dehors. Je n’ai rien dit parce que j’avais honte et parce que je ne voulais pas de pitié. J’ai un traitement pour ça, mais… C’est arrivé parce que j’ai fait une erreur, comme maintenant. Parce que je voulais réussir cet examen même si j’étais à bout. »
Helouri fond en larmes, cette fois pendant que son cœur malmené le laisse en paix pour le moment, en ne battant pas trop fort.
Elle est figée, la main sur la poignée, alors que son monde s’effondre une deuxième fois. Il va si mal que ça, son frère ? June reste immobile une seconde, puis en quelques pas, elle est près de lui et serre son corps fatigué contre le sien. Les chaînes la gênent, mais elle s’en fiche. Il est si fragile, le petit morgan, encore plus que ce qu’elle imaginait… June caresse un instant ses cheveux de nacre, puis elle s’écarte pour prendre son visage en coupe et essuyer ses larmes.
« Helouri Ael Diskaret, je te préviens, c’est la dernière fois que j’apprends que tu me caches des choses, assène-t-elle. Si tu veux avoir des secrets pour papa et maman, je m’en fiche, mais à moi, tu me dis tout, c’est clair ? Tu partages tes problèmes. Tous tes problèmes. Et par l’Oracle, ne me fais plus jamais peur comme ça, s’il-te-plaît. »
Elle le serre de nouveau très fort, avant de marmonner que c’était encore plus stupide de prendre du tap, et de le relâcher en camouflant ses propres larmes. Elle tente de prendre une expression sévère, mais ça ne marche pas, alors elle se compose un air qui oscille entre l’inquiétude, l’exaspération et le soulagement.
« Je suis toujours fâchée, indique-t-elle. Le tap, c’était vraiment bête, alors j’espère que ta punition te fera passer l’envie de recommencer. Mais plus de secret, d’accord ?
- Je te le promets. »
Ce n’est pas un mensonge. Il n’en veut plus, d’ailleurs, tout comme il se refuse à cacher quoi que ce soit à sa sœur, désormais.
La porte s’ouvre et le Second Clarimonde interpelle June :
« Vos parents sont arrivés. Si vous voulez bien quitter la pièce. »
Puis, s’adressant à Helouri, il ajoute d’un ton sévère :
« Je m’occupe de votre cas juste après. »
Le jeune morgan ne répond pas. Qu’importe la punition qu’il recevra, il l’assumera car il la mérite.
Avant qu’elle quitte la pièce, Helouri s’adresse à sa sœur et lui murmure :
« Pardon, June. Je t’aime. »
Elle lui répond d’un sourire furtif. Elle aussi, elle l’aime, et elle le lui redira parce qu’elle est certaine que c’est ce qu’il a besoin d’entendre. La porte se referme, et elle se tourne vers Rose, beaucoup plus calme qu’à son arrivée.
« Merci de m’avoir prévenue, et de m’avoir autorisé à le voir. »
Elle ne lui demande pas d’être clément, parce qu’elle ne veut pas qu’il ménage son frère. Au contraire, elle espère qu’il saura choisir une punition adéquate qui fera passer l’envie au morgan de recommencer. Elle hésite à aller voir ses parents, puis se ravise : ils en parleront probablement tout à l'heure une fois rentrée, et puis elle sait qu’Helouri n’est pas défendable. Avec un soupir, la gardienne jette un dernier regard à la cellule de son frère, et passe une main dans ses cheveux cendrés.
Du tap, vraiment…
Elle prend donc congé, en priant toutefois pour que ses parents ne soient pas trop dévastés par ce qu’ils vont apprendre. June ne regarde pas autour d’elle en sortant, laissant ses pas la guider. Elle est trop agitée pour être bonne à quoi que ce soit, alors elle préfère marcher pour évacuer toutes ses émotions.
Ses pas la mènent jusqu’à la Baie Cobalt. Le trajet est un peu long, et elle sait qu’elle n’a pas le droit de pénétrer à l’intérieur de la baie elle-même, mais ça lui a permis de réfléchir un peu et de prendre du recul. Quand elle atteint sa destination, elle peut de nouveau penser.
Le bateau est toujours là, mais les gardiens qui le surveillent ont disparu. June s’en rend compte après une seconde à regarder l’immense bâtiment, et ses sourcils se froncent : c’est étrange, Rose lui a clairement signifié que l’endroit devait être inaccessible aux civils… La gardienne hésite, puis son regard capte une silhouette voilée, près du bateau.
Elle ressemble à Sira, même si, à cette distance, June serait bien incapable de déterminer s’il s’agit de l’étrange personnage ou de quelqu’un d’autre. Il n’y a personne, mais si c’est un civil, elle doit lui dire de partir… Partagée, la jeune femme hésite avant de finalement pénétrer dans la baie pour s’approcher de l’intrus.
« Excusez-moi, l’interpelle-t-elle. Cet endroit est interdit aux civils…»
Sa voix se perd dans sa gorge à mesure qu’elle approche, parce que l’autre ne dégage pas du tout la même aura que Sira. Il émane de lui quelque chose de dangereux, de presque sauvage, alors June s’arrête d’elle-même de marcher pour ne pas s’approcher trop près. Ses mains tremblent un peu, alors qu’elle essaie de prendre un air professionnel, sans grand succès.
La silhouette se retourne avec lenteur, son voile irisé oscillant autour de son corps maigre. Comme celui de Sira, il dégage un froid intense, extrême, mais pas moins que la rage qui semble l’animer.
Sous son grand morceau d’étoffe, Candice toise la nouvelle venue d’un air mauvais. Il reconnaît l’uniforme des gardiens de l’Obsidienne et serre les poings en crachant d’une voix acide :
« Les gardiens d’Eel sont vraiment très mal dressés. »
Puis, s’emportant avec hargne, il tempête après June, sa voix claquant comme un coup de tonnerre :
« J’ai dit que je ne voulais plus voir un seul abruti de la Garde d’Eel traîner dans les parages ! Est-ce qu’il faut vous saigner pour que vous obéissiez ? Disparais si tu veux encore voir le soleil, demain, en bon état ! »
Elle est figée, ses yeux écarquillés sous le coup de la peur. Il est terrifiant, celui-là, rien à voir avec Sira, elle en est convaincue. June jette un regard au bateau, se demande s’il s’agit là de son propriétaire, puis recule d’un pas.
Elle n’est pas stupide, et elle sait reconnaître un adversaire qu’elle ne peut pas affronter. En fait, elle n’a pas vraiment le droit d’être là non plus, et si, comme son intuition le lui souffle, lui est autorisé à se trouver près du bateau, elle n’a pas envie de risquer ses doigts pour le découvrir. Car elle est certaine qu’il le pourrait, juste pour le plaisir. Même si elle ne voit pas ses yeux, elle devine son visage grimaçant et ça lui fait peur.
June balbutie quelques mots indistincts, tandis que ses pieds s’emmêlent pour l’éloigner de l’autre. Elle préfère ne pas le quitter du regard, de peur qu’il ne l’attaque par derrière, alors elle manque de tomber plusieurs fois en se rattrapant in extremis à chacune. Quand elle sort de la baie, elle s’arrête pour reprendre son souffle, tout en croisant les doigts pour que le fou furieux ne l’ai pas suivie. Et elle se demande si c’est lui que protège la garde, et pourquoi on laisse un être aussi terrifiant s’approcher de la cité.
Seconde Observation de Fawkes sur Rose Clarimonde - Un jour avant le sauvetage de Nash
Fawkes est assis sur le rebord de la fenêtre de sa chambre à l’auberge des Nymphes Dansantes. Un carreau de son arbalète dans les mains, son regard noisette accroche tour à tour les étales vides du marché en contrebas, dehors, et l’horizon où s’affaisse un soleil fatigué. Quand un froissement de draps se fait percevoir à l’intérieur de la chambre, il tourne la tête, inquiet et avise Fuya qui dort dans son lit. Un cauchemar a poussé la jeune sirène à venir chercher la compagnie de Fawkes, alors il veille, comme il le lui a promis. Mais bientôt, une silhouette coule depuis le QG et semble léviter au-dessus du sol. L’allure est constante mais rapide. Fawkes reconnaît vite Rose qui se dirige vers le port d’Eel. Le renard se tend et se redresse, sourcils froncés. Il se demande ce qui peut pousser son binôme à filer ainsi, à la tombée de la nuit.
La décision est prise, il doit le suivre et s’assurer qu’il ne cache rien qui aille à l’encontre du cartel. Le renard s’approche du lit où repose Fuya, il caresse son épaule d’une main douce et quand la sirène ouvre les yeux, il lui annonce qu’il sort.
« Pas longtemps, je reviens très vite. Tu peux rester ici, tu es en sécurité. »
Il lui confie son arbalète, armée et prête à l’usage, si cela permet de la rassurer. Il lui rappelle où viser, en posant ses doigts sur son propre front, entre ses sourcils. Et quand il juge que la sirène est assez sereine pour la laisser, il sort de la chambre, dévale les escaliers qui mènent à la salle de restauration de l’auberge. Les habitués parlent fort, se chahutent et trinquent. L’animation va bon train et il semble même à Fawkes qu’un barde est dans un coin, mais sa musique est inaudible, avec tout le brouhaha. La chaleur et l’odeur de fumée lui colle à la peau dans le peu de temps que représente sa traversée. Pourtant, l’air frais de dehors est salvateur. Il inspire une grande goulée d’air, rabat la capuche de sa cape vert sapin et il devient une ombre parmi les ombres. Rapidement, il se trouve sur le port, discret, invisible, comme toujours. Rose est là, il peut le voir.
Le vampire ne s'attarde pas sur le port. Il jette un bref coup d'œil vers l'horizon, mais emprunte la direction du refuge qu'il traverse d'un pas presque tranquille. Pourtant, ceux qui devaient s'atteler à des préoccupations proches de l'illégalité se font soudain très discrets, mais Rose n'est visiblement pas ici pour interpeller et arrêter qui que ce soit.
Il poursuit son chemin jusqu'au parc de la fontaine, puis s'enfonce dans les jardins de la musique, profitant du couvert des saules pleureurs ainsi que de leurs longues lianes.
Ce pourrait être une simple promenade pour se vider l'esprit mais malheureusement pour Rose, il ne s'agit pas de cela. D'ailleurs et proche de la tombée de la nuit, l'endroit n'est pas désert.
Plus loin parmi le parc, les bassins ainsi que les instruments de musiques faisant offices de tristes fontaines, il y a un peintre et une ravissante jeune femme.
Deux vampires. Deux vampires richement vêtus et bien portants pour des membres de leurs espèces.
Deux Mircalla.
Le peintre à une chevelure magnifique d'un blond comme de l'or. Pour dégager son visage et se concentrer sur son œuvre, il l'a ramenée en une queue de cheval et maintenue par un ruban de soie. Sa chemise d'un gris terne accuse quelques taches de peinture et le brun de son pantalon se fond presque avec le bois du petit tabouret qu'il a apporté.
On pourrait croire qu'il immortalise l'image de la jeune femme à ses côtés, mais ce n'est pas le cas : il capture le paysage du parc en le destituant de ses couleurs naturelles pour n'utiliser que des nuances de bleu.
Quant à la créature à ses côtés, elle a l'or dans les cheveux, aussi. Elle les a relevé en un chignon complexe et y a piqué des fleurs de lys. Sa superbe robe ressemble à une composition florale, d'ailleurs, mêlant du vert et de l'ambre pour rehausser son teint. Il est évident que cette vampire Mircalla ne s'habille pas toute seule, mais peut-être choisit-elle ses vêtements.
Assise sur un tabouret, comme le peintre, elle est captivée par l'œuvre de ce dernier. Parfois, elle lui glisse quelque chose, un sourire très doux étirant ses lèvres peintes en rose, si bien que leur complicité est évidente.
Quand Rose arrive sur les lieux, il laisse les Mircalla à leur conversation. Il prend place sur un banc, près d'un saule pleureur et attend que l'un d'entre eux daigne lever les yeux vers lui.
C'est la jeune femme qui le remarque la première. Le peintre, lui, tourne la tête pour lui lancer un bref regard avant de retourner à son travail.
Gracieuse dans ses gestes, la Mircalla se redresse, attrape son tabouret et se dirige vers Rose. Là, à une bonne distance de ce dernier, elle s'assoit de nouveau et son beau visage arbore un air sérieux. Aux premiers abords, elle semble contrariée pourtant, ses traits se détendent.
« Rose Clarimonde, le salue-t-elle, c'est difficile de pouvoir discuter avec vous, ces derniers temps.
- Élise Mircalla, lui répond le vampire, je suis navré. J'ai été très occupé.
- Bien sûr. »
Le ton d'Élise Mircalla est presque railleur. Elle secoue la tête et souffle par le nez. Ses mains posées sur les genoux, le dos droit, elle fait honneur à son nom. Fawkes, lui, s’est glissé sous un saule à la chevelure épaisse. Il se fond avec le tronc et si le besoin s’en fait ressentir, il pourra soit glisser entre les pendants de l’arbre pour se cacher derrière, soit se hisser sur les bras. Sa cape lui offre un camouflage efficace et il peut une fois de plus, observer sans être vu.
Il sait que Rose a un lien particulier avec les Mircalla. Un engagement qui ne lui sied guère et il se demande bien ce qui le lie à cette Elise. Ils cachent quelque chose. Silencieux, il a une pensée pour Fuya, restée seule dans sa chambre. Il espère qu’elle ne tremble pas, seule. Mais il se promet qu’il va vite revenir. En attendant, il guette le moindre fait et geste de Rose et capture le moindre mot.
« Il va falloir prendre une décision. » reprend Élise d'une voix posée.
Rose ne répond pas. Il ne fait pas le moindre mouvement et se contente de fixer ses mains d'un regard neutre. Le silence s'éternise entre lui et la vampire Mircalla, mais elle ne dit rien et attend, patiente.
« Je ne peux pas, » dit enfin Rose d'une voix éteinte.
Élise souffle par le nez et plisse les yeux. D'une jolie couleur noisette, ils sont expressifs et quand elle reprend la parole, ils brillent de toute leur conviction.
« Je comprends. Ça n'aurait pas été agréable pour nous deux. Mais ce n'est pas grand-chose comparé à tout ce que vous obtiendrez quand je m'en irais, non ?
- Toute cette mascarade et la réalisation de votre souhait, ce sera difficile à porter même quand vous serez parti.
- Alors allez dire à mes parents que vous ne souhaitez pas m'épouser. »
Son ton se fait plus dur et son regard aussi. Les lèvres d'Élise sont pincées en une ligne mince et sa poitrine se gonfle pour laisser échapper un soupir d'exaspération.
« Je suis désolée pour vous, reprend la Mircalla, mais le temps presse. Ma véritable promise attend depuis trop longtemps et j'ai besoin de l'argent du mariage tout comme j'ai besoin de tomber enceinte et de porter l'enfant que nous voulons toutes les deux. Si vous ne pouvez pas assumer cette part du marché alors un autre le fera. Mes parents ne tarderont pas à me trouver un nouveau prétendant, alors plus vous faites traîner votre réponse et plus c'est ennuyeux. »
Derrière son arbre, la bouche de Fawkes s’ouvre en un O qui laisse son souffle s’échapper. Les pièces du puzzle se mettent en place et la situation s’éclaircit. Ces deux-là sont bien promis, mais cela ne convient ni à l’un ni à l’autre. Le renard comprend vite qu’ils peuvent tous les deux tirer parti d’un mariage, mais il devine aussi pourquoi Rose ne peut tenir ses engagements si cela inclut de donner un enfant à Elise Mircalla. Tout comme Elise a une promise, Rose a des sentiments pour un homme. Délicate situation qui ne semble avoir aucune issue toute trouvée.
A l'abri des ombres, Fawkes soupire et ses appendices animaux retombent. Il est conscient de l’embarras dans lequel se trouve Rose et s’il sait qu’il n’y peut rien, il craint que Rose ne puisse pas faire grand chose de plus. S’il refuse d’épouser Elise Mircalla, il peut sans doute faire une croix sur les soins de sa mère, ainsi que sa position à la garde. S’il accepte de l’épouser mais ne donne pas d’enfant à sa femme, c’est celle-ci qui mettra sa parole en doute et Fawkes ne doute pas un instant qu’elle sera capable de le mettre en porte-à-faux auprès de sa famille. Quand bien même accepterait-il de lui donner ce qu’elle désire, sera-t-il seulement capable de vivre avec cela, par la suite ? Dans tous les cas, Rose est coincé.
Ce dernier lève la tête vers Élise Mircalla et lui lance d'une voix plus sèche :
« Est-ce que vous avez conscience de ce que vous demandez ? Vous donner un enfant, ce n'est pas un acte anodin et même si vous partez, ensuite, je serais incapable de vivre avec l'idée que quelque part en Eldarya, je suis père d'un fils ou d'une fille.
- Géniteur, seulement, corrige la vampire, car vous ne verrez jamais son visage. Je vous l'ai dit : ce ne sera agréable pour personne mais réfléchissez bien, Rose. Mes parents vous proposent un mariage avec moi parce qu'ils ont pitié de vous, mais ils sont également admiratifs des efforts que vous déployez pour la Garde de mon cousin. Vous m'épousez et là, je m'enfuis avec mon amante. Quel déshonneur… Mais en compensation pour la faute commise, ils seront bien obligés de vous garder dans la famille et de vous donner tout ce que vous demanderez. Que votre mère soit directement traitée par les Maîtres de la Médecine, par exemple. Qui mieux qu'eux peut définitivement la sortir de son mal ? »
La voix sèche de Rose a hérissé un frisson dans le dos de Fawkes. Il a déjà essuyé ce ton de son binôme et ne l’a pas apprécié. Les occasions sont rares où l’agacement de Rose est assez appuyé pour qu’il soit sec et tranchant, mais cette histoire d’enfant le travaille, c’est évident et compréhensible. Et Elise semble en faire fit.
Certes, c'est un tableau intéressant. Rose sait qu'Élise tiendra parole parce qu'elle aime Kumomo Mitsutake, une kitsune d'Inari, dans les Côtes de Jade, depuis cinq années maintenant. Éprise de la vampire Mircalla, Kumomo l'a suivi jusqu'à Eel et a attendu, patiente, que le temps du mariage vienne pour son amour afin que toutes deux puissent mettre la main sur une somme astronomique de pièces d'or, mais aussi pour qu'Élise puisse tomber enceinte et porter leur futur enfant.
« La conception de l'enfant nous dérange tous les deux, reprend Élise, mais je ne céderai pas. Je veux tomber enceinte. Mais vous, je sens qu'il y a autre chose. Qu'est-ce qui vous retient comme ça ? L'issu de ce marché, c'est tout ce que vous vouliez, non ? Il vous libèrerait de la famille Mircalla sans pour autant en perdre les avantages. Qu'est-ce qu'il y a d'autre ? »
Mais Rose ne dit rien. Quand Élise tente de capter son regard, elle n'y parvient pas, alors elle réfléchit. Soudain, son visage s'illumine et un doux sourire étire ses lèvres.
« Vous passeriez pour quoi aux yeux de qui ? »
Rose se redresse brutalement, le dos droit et les membres raides. Touché.
« Vous passeriez pour quoi aux yeux de qui ? » reprend Élise.
Élise met le doigt sur un détail, un grain de sable dans un rouage qui devrait pourtant tourner parfaitement. Fawkes se redresse lui aussi. Il pense deviner la réponse et le visage de Valkyon s’impose aussitôt sous les paupières closes du renard.
D'ailleurs et quand on regarde la scène, Rose ressemble à une musarose prise au piège face à un prédateur particulièrement insistant et imposant. Pourtant, le vampire sait qu'Élise ne le lâchera pas tant qu'il n'aura pas répondu.
La Mircalla lui rappelle que leurs rencontres pour traiter du marché servent justement à exposer leurs attentes et ce qui les dérange, la question de la conception de l'enfant revenant sans arrêt, alors s'il ne parle pas, ça ne sert à rien.
Le silence les enveloppe et enfin, la voix de Rose s'élève presque dans un souffle :
« Ce que vous ressentez pour votre compagne, je ressens la même chose pour quelqu'un.
- Je comprends, répond Élise en hochant la tête, et est-ce que le mariage et notre marché mettrait un terme à votre relation ?
- Il n'y en a pas. Oubliez ce que je viens de dire. C'est un détail inutile. »
La Mircalla le fixe en arquant un sourcil. Elle doit songer que si elle avait pensé la même chose aux prémices de sa fréquentation avec sa promise, elle ne serait arrivée à rien.
« C'est à vous d'en juger, lui dit-elle d'un ton ferme, pas à moi. Je ne sais pas de qui vous parlez et ça ne me regarde pas. Seulement, si notre arrangement pourrait vous nuire, c'est ennuyeux. À vous de jauger ce que vous perdez d'un côté ou de l'autre.
- Je n'ai rien à perdre. Oubliez ce que j'ai dit, s'il vous plaît et réglons simplement la question de l'enfant.
- C'est ça qui est triste chez vous, Rose. »
Confus, le vampire lui jette un regard en biais.
Élise Mircalla a conçu son plan depuis plusieurs années, religieusement, si bien que son marché et son départ de la cité d'Eel ne souffre d'aucune faille. Même son frère, en train de peindre plus loin, sourd à leur conversation, comprend sa décision et ne la trahira jamais.
Est-ce qu'elle veut dire que contrairement à Rose, elle a su s'entourer pour supporter ce qu'elle s'apprête à faire ?
« Si ce n'était pas par amour, le marché que je vous propose n'existerait pas. S'il n'y avait pas Kumomo, j'aurais trouvé un autre moyen de me libérer de ma famille. Mais vous, qu'est-ce qui vous motive hormis votre mère ? Qui sera là pour vous épauler quand vous devrez vivre avec l'enfant que vous me donnerez ou même la mascarade que nous allons mettre en scène ? Vous savez, hormis un géniteur, j'ai besoin de quelqu'un de solide qui ne trahira jamais mon plan. Si vous vous effondrez, c'est inutile et allez seulement dire à mes parents que vous ne voulez pas m'épouser.
- Ce que vous dites est injuste, réplique Rose d'une voix tranchante, si j'accepte votre marché, c'est également par amour.
- Non. C'est par obligation. C'est parce que vous êtes coincé mais que vous ne voulez pas le reconnaître. C'est parce que vous n'avez pas su vous entourer correctement alors que ça fait sept ans que ma famille vous autorise à vivre à Eel. Qui vous a tiré de la misère, Rose ? Qui prodigue des soins à votre mère, aujourd'hui ? Vous dites que vous acceptez de traiter avec moi par amour, mais votre mère n'est pas capable de vous soutenir aujourd'hui, admettez-le. C'est elle qui a besoin de vous. Mais vous ? Citez-moi une personne en dehors de mon cousin, qui peut se compter parmi vos amis. Si même celle que vous dites aimer est un "détail inutile", alors c'est assez parlant, non ? »
Fawkes trouve les mots d’Elise Mircalla durs, mais aussi très justes. Rose a mis un point d’honneur constant à ne se lier d’amitié avec personne. Pas même avec lui, son binôme. Il a été clair sur ce point, qui fait toujours un peu crisser le cœur du renard. Alors que lui reste-t-il ? Hormis le Cartel. Mais ça, Elise ne le sait pas. Et Rose fait tout pour les tenir à l’écart de ses tracas. Le vampire s’est enlisé dans une solitude possessive et il ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour cela.
Rose s'est plongé dans une profonde réflexion. Les mots d'Élise le frappent parce qu'ils sont justes.
Quand ses parents ont commencé à aborder la question d'un mariage, le vampire s'était senti encore plus enlisé qu'il ne l'était déjà. Pour lui, s'unir avec une Mircalla, ça signifiait s'enfermer définitivement au sein de la famille et ne plus pouvoir en sortir.
Sans compter que c'était à ce moment-là qu'il avait réalisé son attirance pour un homme inaccessible pour lui.
Rose comprend le marché d'Élise parce qu'elle est enfermée elle-aussi. En côtoyant les Mircalla, il a pu voir leur fonctionnement, dont ceux qui ne laissent aucun libre arbitre aux femmes qui portent leur nom.
Il est certain que si le vampire refuse d'épouser Élise, ses parents lui trouveront quelqu'un d'autre mais n'accepteront pas que lui, que la famille a sauvé, se permette un tel affront. C'en sera terminé de la Garde de l'Ombre et de l'Institut des Maladies de l'Esprit qui s'occupe de sa mère.
Hormis le cartel, qu'est-ce qui lui restera ? Que représente le cartel à ses yeux, d'ailleurs ?
« Il n'y en a pas, n'est-ce pas ? insiste Élise.
- Non. » admet Rose.
La Mircalla plisse ses yeux noisettes. Elle est en train de prendre une décision et quand ce sera chose faite, Rose sait que rien ne pourra la convaincre. Lui aussi, doit choisir maintenant s'il sera capable de supporter la mascarade du mariage, s'il pourra faire un enfant à Élise et en assumer les conséquences, lorsqu'elle partira. Derrière son arbre, le cœur de Fawkes s’affaisse. La solitude de Rose résonne avec la sienne et si lui a réussi à la tromper avec le Cartel, il est triste que Rose n’y soit pas parvenu.
« Vous faites le suivi d'une jeune obsidienne qui veut entrer dans l'armée d'Odrialc'h, actuellement, non ? »
Le vampire, perplexe, se demande où elle veut en venir. Un sourire mutin étire les lèvres d'Élise alors qu'elle poursuit :
« Vous êtes presque du même âge, il me semble et si vous vous entendez bien, elle pourrait peut-être devenir une amie, par exemple. Ce serait une bonne idée, vous ne pensez pas ? Ou alors… Admettons que vous acceptiez mon marché et que nous nous marions. Seulement et arrivé à la nuit de noces, vous voilà incapable de respecter votre parole et de me faire un enfant. Je serais donc bien ennuyée, là, coincée avec vous dans un mariage que je ne veux pas. Qu'est-ce que je ferai, à votre avis ? Qu'est-ce que je pourrais dire sur vous et la jeune obsidienne dont vous faites le suivi ? »
Le sang de Rose se glace alors qu'il comprend qu'Élise est prête à tout pour réaliser son plan. Il le savait déjà, mais qu'elle en vienne à détruire sa réputation et celle de June Albalefko, qui n'a rien demandé, lui liquéfie les entrailles.
« Ce que je veux vous faire comprendre, reprend la Mircalla avec assurance, c'est de bien réfléchir. Si vous acceptez le marché, soyez sûr d'aller jusqu'au bout sans quoi, il pourrait y avoir des dommages assez fâcheux. Je ne sais pas comment s'appelle la gardienne de l'Obsidienne dont vous faites le suivi, mais je pourrais l'apprendre très facilement. De ce fait et si vous ne respectez pas votre engagement, je pourrais toujours dire à mes parents que vous me trompez avec elle. Qu'est-ce qu'ils diront, à votre avis ? Qu'est-ce que ça fera sur la carrière de cette gardienne innocente ?
- Ce que vous dites est ignoble, coupe Rose, et en arriver là, jusqu'à détruire la réputation de quelqu'un qui ne vous connaît pas et qui ne vous a rien fait, l'est encore plus !
- Oui, c'est vrai. Vous avez raison. Mais je le fais par amour. Parce que vivre auprès de Kumomo est la chose la plus importante du monde pour moi. Mais vous ne pouvez pas comprendre ça, vous qui aimez un "détail inutile" qui ne vaut pas la peine que vous réfléchissiez sérieusement à mon marché. »
Toute la pilosité de Fawkes se hérisse, à l’abri de la nuit qui s’affaisse sur Eel. Elise est abjecte, mais elle sait ce qu’elle veut, le renard doit l’admettre. Rose est véritablement coincé. Pourtant, Fawkes comprend que le vampire refuse de trahir ce qu’il est au fond de lui, et l’amour qu’il porte à Valkyon, même s’il le sait voué à ne jamais avoir la réciproque. Fawkes serre les poings contre sa cape et tord le tissu vert. Il n’a qu’une envie, c’est de s’interposer et de faire fermer sa bouche à cette vampire. Il déteste la façon qu'elle a d’acculer son binôme. Mais il n’en fait rien. Il sait que se montrer ne desservira pas qu’à lui, mais aussi à Rose, en plus de les mettre tous les deux en danger. Pourquoi Jens Red se cacherait sous un saule pleureur et viendrait défendre les intérêts cachés de Second de l’Ombre ? Le renard fait de son mieux pour contenir son souffle et expirer doucement. Il devra rapporter cet échange à Titan. Extirper Rose de là devient urgent et si le jeune vampire est incapable de trouver une solution par lui-même, Fawkes refuse de le laisser s’embastiller à Eel avec la famille Mircalla. Le renard décrète qu’il n’aime pas Elise Mircalla.
« Vous avez déjà décidé que je ne suis incapable de tenir le marché avec vous. » constate Rose.
Face à lui, Élise Mircalla souffle une nouvelle fois par le nez. C'est assez évident et ça se lit sur son visage. Quand elle explique pourquoi, sa voix se fait plus douce, mais l'étincelle dans ses yeux noisettes brille toujours :
« Je vous ai déjà dit que j'ai besoin de quelqu'un qui saura assumer ce marché. Ce n'est pas vous. J'attends donc de votre part que vous disiez à mes parents, lors du repas de demain, que vous ne voulez pas m'épouser.
- Je pensais pourtant avoir encore ce soir pour réfléchir.
- Ça fait longtemps que vous réfléchissez. Et ça fait longtemps que j'attends. Que Kumomo attend. Je ne peux pas prendre le risque d'être trahie parce que vous ne saurez pas supporter ce marché, Rose. Vous n'arriverez pas à me faire un enfant non plus, ça se voit. »
C'est la vérité. Rose ne peut pas s'imaginer jouer le jeu avec Élise devant autrui. Faire semblant de l'aimer, faire semblant d'être ravi de l'épouser pour ensuite faire semblant de pleurer son départ et se faire plaindre par ses parents qui se répandront en excuses.
Quant à l'enfant, il se sait déjà incapable de lui en faire un. L'acte en lui-même, avec elle, le rebute, mais la simple pensée de savoir qu'il sera père d'un enfant dont il ne verra jamais le visage ne lui est pas supportable.
Aussi, il sait que recevoir les félicitations de Valkyon pour son mariage avec Élise lui brisera le cœur et réduira à néant le fantôme d'un espoir d'être aimé par lui, un jour. Pourtant, Rose sait déjà que ça n'arrivera pas parce qu'il n'incarne rien aux yeux du Chef de l'Obsidienne, hormis un adolescent inquiet de perdre ses clés et pour qui il a réalisé un bracelet quand il est arrivé à la Garde.
De plus, épouser Élise signerait son arrêt de mort avec le cartel des Typhons qui y verrait une trahison. Il peut déjà imaginer Sexta Stoker l'attendre de pied ferme avec sa machette pour lui passer l'envie de livrer le cartel aux Mircalla.
« Très bien.
- Vous abdiquez facilement, » remarque Élise.
Certes. Mais c'est parce que Rose sait déjà que le repas de demain n'aura pas lieu. Que si tout se passe pour le mieux, il saura trouver une autre solution pour éviter la mascarade, même si rien n'est certain. Ou du moins la repousser. Fawkes a du mal à croire que Rose accepte aussi facilement l'ultimatum d’Elise Mircalla. Certes il se doute qu’il ne peut pas accepter le marché de la jeune femme, mais qu’il accepte sa défaite aussi facilement ne lui ressemble pas. Le renard songe que son binôme à une idée derrière la tête. Une dernière carte à jouer, peut-être… Et il se demande bien quoi.
La queue de Fawkes tique sous sa cape et les oreilles rousses sont si plaquées en arrière qu’elles se mêlent à la chevelure ébouriffée du renard.
Élise Mircalla détaille son interlocuteur avec intérêt. Elle n'est pas folle et elle se doute qu'il a quelque chose derrière la tête, mais elle sait aussi que Rose n'est pas assez idiot pour la dénoncer, elle, et livrer Kumomo.
Sa parole contre la sienne et des Mircalla croiront une Mircalla.
Rose pousse un soupir. Ses mains se crispent sur son pantalon noir et quand il croise de nouveau le regard de la vampire, il se décide enfin.
« Partez demain au beau milieu de l'après-midi avec votre compagne, Élise Mircalla.
- Qu'est-ce que vous dites ? souffle cette dernière.
- C'est la chance que vous attendez. Sans quoi il vous faudra attendre encore longtemps, j'imagine. »
Le visage d'Élise se brise de surprise. Elle attend plus de détails mais Rose reste silencieux. C'est tout ce qu’il lui dira.
Un avertissement. C'est tout ce qu'il peut livrer.
« Qu'est-ce qu'il va se passer, demain soir ? insiste-t-elle.
- Quelque chose que j'espère ne pas regretter. »
Fawkes se tend. Il sait ce qu’il y aura “demain soir”. Il sait que c’est le genre d'événement qui peut effectivement chambouler plus d’un plan. Mais la façon dont Rose le mentionne inquiète le renard. Il espère que son binôme ne sera pas tenté d’en dire davantage. Il trouve qu’il en dit déjà trop. A nouveau, sa queue tique dans son dos et ses oreilles font frémir la capuche sombre qui mange la moitié de son visage. Et même s’il ne perçoit qu’un peu de la scène à travers le rideau de lianes de l’arbre, il constate que Rose est aussi tendu que lui. Demain, tout se joue.Les Choix
C'est le moment. Le sauvetage de Nash est imminent et pendant que Titan accompagnera Candice en se faisant passer pour une fée, le reste des Typhons auront leurs propres tâches.
Mais lesquelles ? À vous de me le dire !
Note : Fawkes est d'office associé à la protection de Sira puisque cela se classe avec son choix personnel ci-dessous. La mission se déroulera en pleine nuit.
Parmi :
Fuya (experte en infiltration et mémoire photographique)
Sexta (Trésorière du cartel et négociante avec toutes les mafias locales)
Nelladel (ex-brigadier en fuite et sous-fifre de Candice)
Gabrielle (membre de la garde rapprochée de la famille Leblanc et très bonne combattante à l'épée)
Associez chaque Typhon à sa mission :
➜ Surveillance du refuge et protection des civils si les choses dérapent.
➜ S'infiltrer dans la Quartier Général, à la Salle des Portes, pour réceptionner Nash après son sauvetage.
➜ Rester auprès des purrekos, dans la zone du marché, pour faire passer Nash au sein de leur passage souterrain et l'évacuer vers Albacore.
➜ Rester non loin du quartier réservé aux invités et garder un œil sur son entrée pour surveiller les allées et venues et prévenir Fawkes si besoin.
Pour vous aider : N'oubliez pas que Candice a prévu quelque chose et que la situation peut mal tourner à tout moment. Cependant, le bon Typhon au bon endroit peut sacrément aider.
Ne vous inquiétez pas, ce choix n'est pas charnier alors il n'y a pas à craindre pour la vie de nos chers membres du cartel, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne peut rien leur arriver.
Prenez en compte les capacités de chaque membre, mais aussi les liens qui les unissent et que vous avez pu observer au cours de votre lecture. Je vous liste également les endroits cités du plus proche au plus éloigné :
Quartier des invités = Salle des Portes = Marché = Refuge
Pour ce choix-là, je me tiendrais disponible pour répondre à vos questions et vos pensées sur le topic !
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes est affilié à la protection de Sira pendant que son frère et Titan sont allés chercher Nash. C'est sa mission mais saura-t-il la mener à bien contre l'élément perturbateur qui viendra le gêner ?
Lorsque tu seras prêt, Waïtikka, contacte-moi pour RP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Le soir venu, avant la grande mission du cartel, June doit passer une épreuve charnière pour son suivi en compagnie de son binôme, Rose, et de Valkyon, son Chef de Garde.
Peut-être que cette épreuve sera plus que cela et lui sera d'un grand secours lorsque les murs d'Eel vont se peindre en rouge.
June l'ignore, mais il est bientôt temps de mettre en œuvre tout ce qu'elle a appris car l'heure qui suivra sera sombre.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP ! Je tiens à préciser que cette session de RP est capitale pour l'évolution de June au sein d'Apotheosis. Tu y choisiras son propre chemin qui viendra s'inscrire, ensuite, au sein de la narration.
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
J'espère que vous avez passé un bon week-end et je vous souhaite un bon courage d'avance pour la reprise de demain !
Me voici avec un chapitre ma fois assez mouvementé, mais j'espère que vous l'apprécierez.
Comme vous pourrez le remarquer, il y a beaucoup de mots dans la langue des fées et si vous vous posez la question : en effet, vous aurez le droit à un dictionnaire sur un beau support tout beau tout propre, tout comme celui de la langue orc qui est amené à être refait.
Vous trouverez bien entendu la traduction des phrases en langue des fées en fin de chapitre.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 33 - Le Fantôme, le Sans-Visage et le Maître
Fawkes reste auprès de Sira, Gabrielle surveille le quartier des invités, Fuya s'infiltre à la Salle des Portes, Sexta est postée au marché, prête à interagir avec les purrekos et Nelladel se trouve au refuge.
Yüljet y a réfléchi, à cette configuration et là, pendant que Candice explique à son frère qu'il doit lui céder son voile et rester dans cette pièce bondée de glaces éternelles, elle y réfléchit encore.
Gabrielle lui en veut. Elle tenait absolument à accompagner la fée Milliget pour aller tirer son amour hors de la souffrance, mais Titan a refusé. Elle a craint que les sentiments de la jeune elfe noire puisse nuire à la mission en ruinant sa couverture, mais également que les tensions flagrantes avec Candice rendent l'infiltration encore plus difficile.
Alors, en surveillant le quartier des invités, Gabrielle serait la première, avec Fuya, à accueillir Nash. Pour Titan, c'est un bon compromis mais pour l'elfe noire, ce n'est pas assez.
Elle se fait un sang d'encre et Yüljet la comprend.
Nelladel, Sexta et la sirène sont déjà à leur poste. Titan peut faire confiance à la vampire pour utiliser sa réputation auprès des purrekos en cas de besoin et c'est rassurant. Quant au dava des Milliget, l'éloigner de son maître est plutôt une bonne chose, surtout s'il connaît des détails concernant le plan de Candice, que Yüljet ignore.
Et Fuya, elle, est parfaitement capable de s'infiltrer à la Salle des Portes pour les attendre.
Les typhons sont dispersés, la cheffe du cartel se trouve au sein de la maison d'Île Grande, prête à revêtir le voile de Sira et une fois qu'elle se trouvera dans les quartiers de l'Ombre, en train de marcher vers la salle d'interrogatoire où Nash est détenu, il n'y aura plus de retour en arrière. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle devra subir ce que Candice prépare tout en devant protéger sa vie et celle du jeune orc.
Titan le regarde.
La fée est agenouillée face à son frère, l'air paisible, en train de lui parler à voix basse dans leur langue maternelle. Elle ne sait pas ce qu'il lui raconte, mais Sira le fixe de ses grands yeux en hochant la tête de temps en temps.
Candice tient le voile de son frère entre ses maigres mains alors que le sien repose déjà sur ses épaules. Quand il finit de parler, Yüljet s'attend à le voir se lever, sans jeter un seul regard en arrière, pour s'atteler à la difficile mission qui est la leur. Mais à la place, il lève une main pour effleurer les boucles roses de Sira, son visage arborant un sérieux sans pareil.
«Kha veho tsa ? demande timidement Sira.
- Ata cheelamakh yoditt.»
Candice se met debout et son frère le regarde, un grand sourire sur le visage. Titan ne sait pas ce qui a pu être dit mais visiblement, l'incident qui a eu lieu sur le bateau est oublié.
La fée Milliget se plante devant elle, le voile de Sira a la main et la toise d'un air hautain. Il est certainement en train de juger la capacité de la cheffe du cartel des Typhons à mener le sauvetage de Nash à bien ou pire : celle de rester en vie.
« Je voulais te laisser supporter le froid du voile puisque ta santé personnelle m'est égale.
- Ça, j'en ai bien conscience, réplique Yüljet, mais ?
- Mais tu vas avoir besoin de toutes tes facultés. Si tu entres en hypothermie, tu vas me gêner. »
La fée Milliget plonge la main dans un repli de sa robe saphir pour en sortir une petite fiole contenant un liquide d'un blanc laiteux. Avec un sourire moqueur, Candice explique :
« On distribue ça aux prisonniers de l'Île Zéro pour qu'ils puissent supporter le froid extrême de notre beau royaume. À force de la boire, ils finissent par la détester car ça les empêche de mourir mais toi, ça t'iras très bien pour aujourd'hui.
- Bien aimable, répond Titan, mais combien de temps ça fait effet ?
- Une journée complète. Considère ça comme un bouclier interne contre le froid et si tu pouvais la boire maintenant, ça m'arrangerait. »
Yüjet manque de faire remarquer que puisque c'est si gentiment demandé, elle ne peut que s'exécuter mais en choisissant d'accompagner Candice, elle savait qu'elle devrait composer avec son caractère difficile. Soufflant par le nez, elle se saisit de la petite fiole et échange un regard avec Fawkes. Le renard-garou, lui, n'accepterait jamais d'ingurgiter quoi que ce soit provenant de la fée mais Titan doute qu'elle cherche à l'empoisonner, ça n'aurait aucun sens.
Candice a besoin du cartel et le cartel a besoin de Candice. Pour le moment, la situation est ainsi alors, bon gré mal gré, elle arrache le bouchon en liège en porte le goulot à ses lèvres.
Yüljet grimace quand l'amertume du breuvage se répand sur sa langue. Aussi, elle a l'impression de boire un potage particulièrement épais.
« Parfait, déclare Candice d'une voix mielleuse, en attendant que ça fasse effet, je vais t'apprendre quelques mots dans la langue des fées.
- Pourquoi faire ? demande Titan.
- À chaque fois que je descendais voir ton orc pour lui faire la conversation avec un membre de ma famille, il n'était pas rare qu'on se mette à discuter dans notre langue maternelle. La maîtresse des arcanes qui va nous ouvrir la voie tout à l'heure sera certainement la même que d'habitude et il serait plus avisé de ne pas éveiller ses soupçons. »
Yüljet arque un sourcil sans faire de commentaire. Elle trouve la précaution un petit peu exagérée, mais elle la comprend car en effet, si Candice avait l'habitude de converser dans sa langue avec un membre de sa famille, face à la maîtresse des arcanes et qu'aujourd'hui elle se retrouve confrontée à un silence, peut-être trouverait-elle cela étrange.
Titan lui demande quel genre de phrase il souhaite l'entendre dire et Candice lui répond en prenant soin de détacher chaque syllabe :
« Ina toukhassamabashur feyottim.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- C'est une suite de mots. Répète-les. C'est tout. »
Yüljet plisse ses yeux noirs. Elle se méfie mais le temps presse et elle n'a pas envie d'en perdre plus à cause d'une bêtise pareille cependant, elle se doute que la fée Milliget ne perdra jamais une occasion de se payer sa tête. Titan souffle par le nez et tente de répéter les mots un par un en tâchant de ne pas buter sur les syllabes. C'est un exercice difficile, mais elle finit par y arriver.
Ensuite, Candice lui donne une autre suite à retenir :
« Nenn rakhar hekhelem tekalala vorak. »*
Titan recommence l'exercice. Si son vécu à Odrialc'h lui a appris les subtilités de la langue orc malgré elle, à force de l'entendre, celle des fées lui offre une prononciation plus difficile. Yüljet sait qu'elle n'arrivera pas à reproduire l'accent mais elle espère que ce sera suffisant pour tromper la maîtresse des arcanes. Elle répète les mots plusieurs fois, puis ceux d'avant et le tout encore une fois.
« Ça ira, lui dit Candice, satisfait, quand on sera dans les sous-sols des quartiers de l'Ombre, tu te feras passer pour ma sœur, Jed. La maîtresse des arcanes ne connaît pas sa voix. »
Bien. Alors il est temps d'y aller. Avant d'enfiler le voile de Sira, Titan s'approche de Fawkes pour lui souhaiter un bon courage pour sa mission mais en réalité, elle a surtout l'horrible impression de lui dire au revoir. La cheffe du cartel des Typhons sent ses entrailles en train de se tordre et si elle croit fermement que Nash sera sauvée, elle a peur de ce que Candice va accomplir.
Mais ça, elle ne peut pas le montrer. Elle ne peut pas le montrer parce qu'elle n'a rien dit aux membres de son cartel, refusant de les voir graviter autour du Quartier Général, juste par désir de la protéger. Elle sait qu'ils le feraient.
« Titan, lui adresse Fawkes, je vais rester auprès du petit, alors ça va aller pour toi. »
Titan à un léger sourire. Sira est pourtant plus grand que le renard-garou, mais tout dans sa personne le renvoie à l'enfance.
« Ça ira, réponds Yüljet, j'ai les petits cadeaux de Ryan avec moi, alors quoi qu'il arrive on s'en sortira, avec Nash. »
Trois doses de Crachats de Cassandre et une dose de la Délivrance. Titan espère ne pas avoir à utiliser la dernière car si les choses tournent mal, porter Nash et prendre la fuite pourrait se révéler une entreprise difficile.
« Prends soin de Sira, ajoute la cheffe du cartel des Typhons, et s'il arrive quoi que ce soit, partez tous les deux pour la planque d'Albacore et contactez les purrekos pour faire sortir Fuya, Gabrielle, Sexta et Nelladel, si vous ne les croisez pas en chemin.
- Et toi et Nash ?
- On se débrouillera. »
Les oreilles de Fawkes tressautent. Yüljet se doute que ces hypothèses ne l'enchantent pas car elles sont synonymes de pire et de chaos, mais tout est à prévoir. Même l'éventualité de ne pas s'en sortir, car Candice a bien dit que Titan devra faire tout son possible pour protéger sa vie.
« C'est fini les au revoir ? raille Candice, plus loin. Je rappelle qu'on a une longue soirée en perspective, alors si vous pouviez vous raconter vos regrets plus tard… »
Fawkes grommelle quelque chose à propos d'un type aigri et Yüljet lui administre une tape amicale sur l'épaule avant de tourner les talons, son esprit se focalisant sur le sauvetage de Nash. Candice l'attend, son long voile irisé rabattu sur sa tête et celui de son frère entre les mains. Il le lui tend et quand Titan s'en saisit, elle peut aviser que la potion qu'elle a bu plus tôt fonctionne, car elle ne sent pas le froid lui mordre la chair.
Elle s'est toujours demandée comment faisaient les fées pour voir leur environnement à travers le tissu et maintenant qu'elle l'a enfilé, elle découvre qu'il est si fin qu'elle peut aisément se déplacer sans être gênée par une quelconque cécité.
« Nos voiles sont tissés par les yamamba, répond Candice à sa question muette, à l'époque et avant que vous ne veniez pourrir notre monde, les yamamba vivaient sur les Côtes de Jade, à Hokusai. Mais lors du Grand Exil, quand les kitsunes sont venus les coloniser, ils ont été tellement effrayées par leur apparence qu'elles ont dû venir se mettre en sécurité dans notre royaume.
- Et vous les avez bien gentiment accueillies ? lui demande Titan d'un ton aigre.
- Évidemment, crache la fée Milliget, notre peuple n'allait pas les laisser entre les mains de barbares qui pourrissent tout ce qu'ils touchent. Ces abrutis de kitsune ont transformé Hokusai en Inari en détruisant plusieurs siècles de tradition, sans compter les espèces originelles qui se sont éteintes, car arrachées de leurs terres natales. »
D'après Candice, les yamamba sont des faeliennes qui ont un aspect si effrayant qu'il est insupportables de les regarder, mais dont l'espèce est amenée à disparaître, même si leurs corps ont fini par s'adapter au froid extrême du royaume des fées au fil du temps.
Alors qu'ils quittent le quartier des invités pour gagner celui de l'Ombre, la fée Milliget explique que les yamamba possèdent, à l'origine, ce qu'elle et le reste de sa famille appellent chair dominante :
« Les yamamba sont capables de se reproduire avec n'importe quelle espèce. À l'époque, elles prenaient l'apparence de ravissantes jeunes femmes pour séduire des partenaires masculins et ainsi perpétuer leur descendance. Cependant et depuis que le reste de leur peuple vit sur nos terres, il est impensable qu'elles se reproduisent avec des fées.
- Pas même pour la sauvegarde d'une espèce originelle qui ne pourrit pas le monde ? rétorque Titan.
- La médecine actuelle concernant l'héritage de la chair, du sang, des maladies ou bien des dons est encore floue. Il y a des zones d'ombre que nous ne parvenons pas encore à éclaircir et si nous savons que certaines espèces ne sont pas compatibles et que d'autres, avec un héritage charnel assez proches comme les morgans et les sirènes, par exemple, sont capables d'engendrer l'un ou l'autre, pour d'autres cas, le mystère est trop grand. »
Yüljet plisse ses yeux noirs. Elle s'est demandée pourquoi Candice s'est étendu sur le sujet des yamambas mais quand les mots de "chair dominante" ont été évoqués à leur sujet, elle n'a pas pu s'empêcher de songer à la Chair des Roses. Est-ce que ce terme est effectivement lié à la reproduction de deux espèces qui n'auraient jamais dû se rencontrer ? Qu'auraient-elles engendré ? Et pourquoi retrouve-t-on la Chair des Roses en tant que serment pour les elfes sylvestres, les défendant de consommer de la viande ?
Mais la fée n'en dira pas plus, alors Titan se concentre sur le trajet. Là, sous le voile gelé de Sira, elle constate que les faeliens s'écartent sur son passage, quand d'autres la saluent. Le respect qui est voué aux fées Milliget se traduit par un mélange étrange de frayeur et de fascination, de regards lancés avec discrétion et de murmures admiratifs ou bien dédaigneux.
Les fées ne font pas l'unanimité, contrairement à la Capitaine Shakalogat Gra Ysul ou bien à la famille Alfirin mais elles ne laissent personne indifférent.
Yüljet découvre les quartiers de la Garde de l'Ombre. Contrairement à l'image sophistiquée et impressionnante qu'elle s'en faisait, il est assez sobre et d'une simplicité qui est l'antonyme des Mircalla. Les moyens financiers déployés passent dans le matériel, la formation et l'efficacité des missions, c'est évident. Ils se traduisent par des inspecteurs pressés, parlant avec rapidité, échangeant face à des cartes et des documents pendant que des traqueurs envoient des missives et travaillent sur des affaires en cours auprès de leurs collègues. Le tap est sur toutes les lèvres, bien entendu, mais Titan entend également parler de crimes plus sordides. Elle remarque aussi qu'au-delà des bureaux, des gardiens s'entretiennent avec des victimes venues dénoncer des préjudices subis.
Mais Yüljet ne s'attarde pas sur ce qu'elle perçoit, car Candice et elle quittent le ballet des inspecteurs et des traqueurs pour s'enfoncer dans les entrailles de la Garde. Elles ne sont pas accessibles au premier venu car elles sont soumises à une surveillance permanente. Cependant, nul besoin de montrer pattes blanches puisque le voile irisé des Milliget suffit. Dès qu'ils les aperçoivent, les gardiens les saluent en leur offrant le passage. Titan a l'impression de se retrouver aux Abysses, près d'Odrialc'h même si cette fois, il n'y a pas Chaucha, la petite kobold chargée de guider les malfrats. Néanmoins et même si les Mircalla l'ignorent sûrement, leur fonctionnement reste similaire : plus on s'enfonce, plus on migre vers l'horreur.
Le premier sous-sol est celui des cellules d'isolement pour les bandits qui ont été attrapés, quand le second et le troisième sont ceux des prisons. Si Yüljet ne sent pas le froid extrême du voile glacé, elle ressent l'atmosphère des lieux peser sur ses épaules. Les geôliers vont et viennent, leurs uniformes d'un noir d'encre les faisant presque passer pour des spectres maudits et leurs pas sont accompagnés d'injures, de menaces et de cris proférés par les prisonniers. Titan ne les voit pas mais elle devine leur tenue grisâtre avec un numéro, comme celle qu'elle a déjà portée avant qu'on la jette aux goules.
Un frisson parcourt son échine alors que Candice et elle atteignent enfin le quatrième sous-sol qui est un carrefour entre cinq couloirs numérotés. Celui qui les intéresse arbore le chiffre trois, tracé d'une encre scintillante.
Yüljet le sait car elle regarde la fée s'avancer pour lever une main et le toucher. Il s'illumine un bref instant et ensuite, Candice se contente d'attendre. Titan a envie de lui demander plus de détails sur la manipulation qu'il vient de faire mais ce que ça lui inspire, c'est une sorte de reconnaissance.
Elle songe qu'elle a raison quand quelques minutes plus tard, une faelienne aux boucles écarlates, vêtue d'une longue robe sombre, pénètre sur les lieux et descend les escaliers d'un pas lent. Joignant ses mains pâles, elle vient se planter face à Candice et Yüljet pour les saluer avec respect :
« Maîtres Milliget.
- Cellule numéro seize, Cornélia, comme d'habitude, lui lance Candice d'un ton acerbe, dépêches-toi. Nous sommes pressés. »
Titan se retient de lever les yeux au ciel sous son voile, mais Cornélia n'en tient pas rigueur et s'exécute. Elle tient un crâne de cristal constellé de symboles et se concentre jusqu'à ce que ses orbites vides s'illuminent de deux petites flammes bleues. Ensuite, elle leur ouvre la voie dans le couloir numéro trois.
Son crâne agit comme une lanterne : il efface la pénombre environnante mais aussi, Yüljet voit clairement le décor changer à chaque pas. Le regard inerte et flamboyant efface l'illusion pour laisser place au réel et effectivement, sans Cornélia, il serait impossible pour Candice et Titan de s'aventurer dans cet endroit.
«Jed, Ata navebeshalav ?» lui demande soudain la fée Milliget.
Yüljet a presque un sursaut. Elle se met à réfléchir à toute vitesse pour tenter de retrouver les mots qu'elle a appris plus tôt, puis répond d'une voix qu'elle veut affirmée :
« Ina toukhassamabashur feyottim. »
Candice laisse échapper un léger rire que Titan trouve un petit peu trop naturel, puis la fée enchaîne sur une autre question :
«Kol. Rezakh ? »
La cheffe du cartel des Typhons laisse son regard s'égarer sur les murs obscurs et son nez capter des effluves rance et métalliques. La douleur imprègne l'endroit qui a fini par l'absorber comme une éponge et si les portes sont fermées, les oreilles de Yüljet parviennent à entendre des sons, malgré elles. Des gémissements.
Les semelles de ses chaussures crissent de temps à autre sur le sol trop propre et le son se répercute en écho.
« Nenn rakhar hekhelem tekalala vorak. » répond-t-elle d'une voix lointaine.
Candice semble satisfait, même si son sifflement enthousiaste laisse un goût amer dans la gorge de Titan. Cornélia, elle, les écoute d'une oreille distraite jusqu'à ce qu'ils arrivent tous à destination. Une porte métallique arborant le nombre seize leur fait face, sa surface impeccable reflétant les flammèches bleues du crâne.
« Tu peux nous laisser, ordonne la fée Milliget, attends le rappel au carrefour. »
Yüljet pense que pour rappeler la maîtresse des arcanes, Candice devra toucher le numéro de la salle d'interrogatoire, sur la porte. À présent, son cœur s'emballe. Elle a peur de ce qu'elle va découvrir et tout ce qu'elle espère, c'est que Nash ait gardé tous ses membres et soit conscient. Avec une lenteur presque insupportable, la fée Milliget ouvre la porte et ce qui frappe Titan, c'est une odeur atroce de chair brûlée.
Elle manque de plaquer la main contre sa bouche puis, n'y tenant plus, bouscule presque Candice pour aviser la pièce. Elle manque de défaillir et arrache son voile quand elle avise la silhouette massive de Nash sur une chaise abominable, en bois brut, avec des pointes acérées, métalliques, faisant office de passants pour des ceintures de cuir empêchant tout mouvement. Elles sont si serrées qu'elles s'enfoncent dans la peau cuivrée de l'orc, parsemées de cicatrices encore suintantes et de brûlures.
Le regard onyx de Titan liste les ongles cassés, le corps amaigris mais surtout le visage épuisé. Un visage dont la moitié a été entièrement brûlée, laissant un œil mi-clos, une oreille inexistante et des lèvres difformes. L'un des crocs saillant a été arraché et quand elle l'observe, Yüljet constate que Nash semble ailleurs, hors de la réalité.
Elle lance une oeillade assassine a Candice qui siffle quelque chose dans la langue des fées, éveillant l'orc qui se tend instantanément en lui jetant un regard horrifié.
« Nash ! »
Ce dernier cligne des yeux à plusieurs reprises, incertain. Il craint peut-être que son esprit lui joue un tour, que sa cheffe ne soit pas vraiment là, qu'il s'agisse d'une ruse tordue de son tortionnaire et que tout ceci ne soit qu'un énième subterfuge pour le faire parler.
Il ne doit pas y croire. Yüljet se doute que Candice ne verse pas dans la subtilité lorsqu'il s'agit d'arracher des réponses mais dans la souffrance brute.
« Titan ? souffle l'orc d'une voix tremblante.
- Je suis venue te sortir de là. Tout le monde t'attend.
- Dépêchez-vous. » grogne Candice.
Nash lance un regard effaré à la fée Milliget, sans comprendre. Il secoue la tête, méfiant, mais Yüljet le rassure en lui prenant doucement la main, arguant qu'elle est bien réelle et qu'elle lui expliquera tout plus tard. Ce qui importe, ici et maintenant, c'est qu'il quitte cet endroit.
« Le cartel s'est allié avec lui ? murmure Nash d'une voix blanche.
- C'est compliqué, répond Titan en tirant son couteau pour trancher le cuir de ses liens, pour te sortir d'ici, je n'ai pas eu le choix.
- Qu'est-ce que tu as promis en échange ? »
La cheffe du cartel des Typhons lève les yeux, perplexe, pour plonger dans un regard terrifié. Nash ne peut pas être au courant pour le plan de Candice impliquant deux âmes au grand palais d'Odrialc'h mais à l'image de Fuya, il craint les fées.
Pendant qu'elle s'acharne à le libérer, Yüljet ajoute :
« Gabrielle est ici. »
Elle a l'impression que Nash revoit enfin la lumière après un long séjour dans l'obscurité, quand elle évoque son nom. Les muscles de l'orc se détendent et une lueur nouvelle brille dans son regard.
« Elle est venue pour moi…
- Tu crois qu'elle t'aurait laissé tomber ? »
Le dernier lien de cuir cède enfin et Nash est libre. Titan se lève, puis le regarde. L'orc tente de l'imiter, mais ses jambes tremblent et se dérobent, si bien que la troll a juste le temps de le rattraper.
Bien. Pour le trajet du retour, elle le soutiendra, mais Fuya, infiltrée à la Salle des Portes, devra donner très vite l'alerte à Sexta pour évacuer Nash. Ahanant, ils se dirigent tous les deux vers la sortie mais en passant devant Candice, Titan sent l'orc se tendre.
De nouveau dans le couloir plongé dans la pénombre, Yüljet demande :
« Et maintenant ?
- Je vais rappeler Cornélia. Quand elle sera là, je la maîtriserai pour m'emparer de son crâne et nous guider avec. »
Le plan se tient. Même si la cheffe du cartel des Typhons a de la peine pour la maîtresse des arcanes qui n'a rien demandée, c'est le seul moyen de sortir d'ici. Pourtant, ils n'auront même pas besoin de se donner cette peine.
Au loin, dans le noir, deux petites flammes brillent. Des flammes bleues. Titan plisse les yeux et Candice ne dit plus rien.
Les lueurs se rapprochent, se rapprochent encore, en rythme avec des pas qui se portent en écho, mais aussi un bruit sourd, sordide qui n'est rien d'autre que celui d'un corps que l'on traîne.
Bientôt, le coeur des illusions balayées par la lumière bleuâtre révèle un habit blanc et Yüljet se met à trembler malgré elle.
Elle se sent presque défaillir sous le poids fatigué de Nash, mais elle tient bon. Elle se maîtrise et tente de rester digne, même face à celui qu'elle considère comme un poison encore plus maudit que le virus gangrènant les sols d'Eldarya. Sa respiration s'accélère et quand enfin la clarté morbide du crâne le révèle, Leiftan Tuarran leur fait face, traînant le corps sans vie de Cornélia par le poignet.
Titan sent une nausée acide remonter le long de sa gorge alors qu'une goutte de sueur perle sur sa tempe.
« Ozna… gronde Candice dont la haine semble exhaler de toute sa chair.
- Bon sang, ce que je peux détester votre langue. » répond Leiftan d'une voix paisible.
Le vert émeraude de ses yeux jure à l'obscurité qui l'entoure, mais pas moins que le blanc immaculé de sa tenue. Il a presque l'air d'un mirage. Un doux sourire flotte sur ses lèvres pourtant, quand il jette le corps de Cornélia sans ménagement, la plus merveilleuse de toutes les ordures révèle son visage pourrissant.
« Je lui ai brisé la nuque, explique-t-il d'un ton presque enthousiaste, c'est comme ça que vous exécutez ceux que vous mangez, non ? Ce sera un crime de plus à ajouter à la longue liste des méfaits de ton peuple. De toute façon, en venant ici avec elle, c'est comme si tu l'avais tué. »
Yüljet retient son souffle. Elle ne veut pas plonger dans ses prunelles immondes, luisantes comme le virus le plus meurtrier. Il rit, dans son fort intérieur, elle le sait et il a toutes les raisons de le faire.
Elle n'est personne. Elle a bâti sa réputation sur du vent, sur des atrocités qu'il a commises et quand on l'admire, aux Abysses, parce qu'elle a saigné des gens au bout d'une corde, c'est lui qui est adulé.
« Tu avais déjà tout deviné ? lui demande Candice d'une voix mielleuse, j'espérais bien que tu le fasses. Tu m'excuses, mais je n'ai jamais su feindre l'admiration ni le respect.
- Très bien. Alors tu sais ce qui va arriver à ton peuple. Je m'en prendrai aux enfants en premier.
- Pas si je te tue aujourd'hui. »
Titan écarquille ses yeux noirs. Alors c'était ça, le plan de Candice ? Tuer Leiftan ? Elle sait qu'il est un criminel au service d'Odrialc'h qui se fait passer pour une faelien honorable, dévoué aux autres et elle se doute qu'il a quelque chose à voir avec l'asservissement des fées, cependant… Son visage se fend de surprise. Candice a aussi dit qu'il ferait tomber un masque.
« C'en est un ? » souffle-t-elle, interdite.
Mais Leiftan a décrété que l'heure n'est plus à la conversation. Habile, il tire son épée et vise Titan. Elle est la cheffe des cartels des Typhons et une cible à abattre de plus, avec un orc mal en point, elle est faible.
Yüljet agit à l'instinct : elle tente d'attraper son couteau mais à la place, une maigre main s'interpose pour frapper le plat de la lame avec violence. Une ombre passe sur le visage de Leiftan Tuarran qui se met à souffler par le nez.
Il lève son arme, de nouveau, puis susurre d'une voix paisible :
« Le Fantôme, le Sans-Visage et le Maître. N'oublie jamais que c'est nous, qui tenons les rênes du monde. »
Ses mains gantés serrent la garde de son épée alors que ses lèvres se retroussent, dévoilant ses dents blanches :
« Qui est-ce que tu crois trahir, souverain déchu ! crie Leiftan, le regard fou, tu aurais dû te soumettre comme le reste de ta famille ! Mais je le savais ! Je le savais… Tout ce que tu attendais, c'était ça… Une occasion. »
Il se met presque à rire en prononçant le dernier mot et Titan sent sa poitrine se compresser. Dans sa tête, elle revoit les douze cadavres ensanglantés, suspendus au bout d'une corde comme de la viande sur un crochet et elle ne reprend pied avec la réalité que quand Candice se met à crier.Le Souverain Déchu Contre le Fantôme
La fée Milliget s'est penchée en avant comme un familier sauvage. Il a ouvert la mâchoire, grand. Très grand, dans un bruit affreux, dévoilant sa dentition effilée pendant que sa trompe hérissée de petites pointes quitte son antre.
Puis il a libéré un son sauvage, strident, comme un appel au combat. Titan sent sa chair se hérisser, son cœur s'affoler et son instinct lui dicte de quitter les lieux au plus vite. Mais si elle marche, elle se perd dans les illusions…
Pourtant, se redressant et agrippant Nash de toutes ses forces, elle fait quelques pas, claudicante. À ses côtés, Candice s'est jeté sur son adversaire qui tente de faire face à sa sauvagerie. Yüljet sait qu'il y arrivera. Leiftan est fort et rares sont ceux qui peuvent lutter contre lui.
Elle en sait quelque chose : elle, on l'a jetée aux goules pour rire de sa mort. Lui, il joue avec les goules parce que ça l'amuse.
Il a soif de violence et même s'il est très intelligent, il a des besoins de massacre qu'il ne peut pas réprimer et qu'on lui passe volontiers, tant qu'il suit le plan qu'on lui a donné.
Leiftan Tuarran, le minaloo d'Odrialc'h. Le Conseiller de la Garde Étincelante.
Le Docteur Bec qui porte le nom du Fantôme. Même s'il ne sera peut-être pas vaincu, si Candice parvient à faire tomber son masque comme il le souhaite, alors il ne sera pas perdant.
Titan le regarde frapper, abattre ses maigres mains sur le corps du Conseiller pour lui couper le souffle en usant de sa force impressionnante.
Sa trompe immonde s'anime comme un appendice doué d'intelligence, en train de chercher de la chair à trouer. Mais Leiftan ne se laissera pas faire.
Yüljet, elle, peine. Pourtant, elle doit protéger sa vie et celle de Nash. Mais quand elle fait un pas hors des flammes bleues du crâne, les illusions l'encerclent en un dédale effrayant.
Elle recule, prisonnière du combat dont elle et l'orc finiront comme dommages collatéraux.
Puis elle a une idée.
Titan n'abandonne pas. Tout ce qu'elle doit faire, c'est récupérer le fameux crâne qui gît, à présent, près du corps de Cornélia.
Elle se met à genoux, le poids de Nash sur ses épaules, puis tend la main pour l'attraper. Ses longs doigts bruns se plient et se déplient, effleurent la surface plane, puis…
Une lumière rougeoyante, une étincelle dans la maigre main de la fée Milliget et un cri de guerre encore plus strident que le précédent.
Candice la lance vers le sol tout en plongeant vers son adversaire, déterminé à lui planter sa trompe dans l'épaule et tout ce que Yüljet entend, c'est un bruit de verre brisée avant qu'une formidable explosion lui vrille les tympans et la souffle dans le couloir, illuminé par mille lueurs destructrices.
La chaleur, la douleur, l'angoisse viscérale de mourir ici et le plan qui vole en éclat. Titan est projetée quelques secondes avant d'atterrir sur le sol avec fracas, la respiration coupée et les membres douloureux. Gisant sur le flanc, elle porte une main faible et tremblante à sa gorge, tousse pour tenter de reprendre son souffle et crache quand une violente quinte la plie en deux.
Puis elle cherche Nash. L'orc est là, allongé sur le sol, à moitié conscient. Il laisse échapper un gémissement à travers ses lèvres scellées pendant que sa cheffe se traîne vers lui. Ils doivent se relever, se mettre sur leurs pieds et marcher de nouveau.
L'explosion de Candice a détruit le sort des illusions et à présent, ils peuvent circuler comme ils le veulent, même si Yüljet a l'impression de se trouver au cœur d'un labyrinthe.
Mais elle marche et tant pis pour ses jambes qui tremblent.
Les minutes s'étirent, les secondes se font lourdes et ils titubent plus qu'ils n'avancent. Pourtant, ils le font.
La cheffe du cartel des Typhons a l'impression que tout va s'effondrer quand une seconde explosion retentit, mais le quatrième sous-sol tient bon. Yüljet continue de tâtonner, d'avancer à l'aveuglette dans un monde qui ne lui appartient plus alors, quand les lueurs chaudes de torches se mettent à la narguer, elle croit à un mirage.
Mais des voix viennent s'élèvent à leur tour. Puis le cri. Le cri sauvage de Candice.
Titan peine, mais continue.
Fawkes… Rose… Nevra Mircalla ?
Leiftan est là. Des coups sont échangés. Des silhouettes se dessinent, mais elle est incertaine de ce qu'elle voit. Elle est fatiguée et elle peine, mais elle s'est extraite de l'obscurité des couloirs avec Nash et il lui reste encore beaucoup de chemin à faire avant qu'il soit en sécurité.
Alors elle s'effondre quelques secondes et elle se relèvera ensuite parce qu'elle ne peut pas flancher.
Sa mission n'est pas terminée.***
Kha veho tsa : Est-ce que tu m'aimes ?
Ata cheelamakh yoditt : Tu poses des questions idiotes.
Ina toukhassamabashur feyottim. : Je reconnais les fées comme souveraines.
Nenn rakhar hekhelem tekalala vorak : Je ne reconnais pas d'autre roi que celui qui marche à mes côtés.
Jed, Ata navebeshalav : Jed, tu disais ?
Kol. Rezakh : Bien. Ensuite ?
Ozna : Insulte très vulgaire.
Jour du sauvetage de Nash - Fawkes et Sira
Fawkes fait les cents pas dans cette maison qui n’est pas la sienne. Il se sent comme un fauve en cage, tandis que les siens sont dehors à plonger dans la gueule du minaloo. Il a conscience que sa tâche est importante également, mais il ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour les autres, de s’en faire pour Nash. Il voit déjà sous ses paupières, l’état déplorable dans lequel ils vont le retrouver et ses entrailles se tordent.
Mais lui, il est là, chargé de veiller sur Sira qui n’a plus son voile. La fée est vulnérable et Fawkes a bien compris que Candice n’est pas versé dans le pardon. Alors s’il arrive le moindre mal à Sira, leur accord peut voler en éclat. Le renard souffle entre ses lèvres pincées. Sa queue fouette l’air dans son dos et ses oreilles mobiles pivotent sur sa tête au moindre bruit. Il est attentif, aux aguets. Son arbalète sanglée autour de son torse, prête à être dégainée pour l’usage. Il s’approche néanmoins de la porte, n’ayant plus perçu de bruit depuis un petit moment, et toque doucement.
« Sira, ça va ? » demande-t-il.
Un gémissement lui répond. Sira est inquiet et il n'aime pas du tout l'idée d'être confiné dans cette pièce pendant que Candice est parti avec la cheffe du cartel des Typhons. Avant de s'en aller, il lui a fait promettre de ne pas bouger, de ne quitter la pièce sous aucun prétexte et de prévenir Fawkes si ça n'allait pas.
Mais la fée Milliget ne peut pas s'empêcher d'être angoissée. Elle pousse un long soupir et répond :
« Ça va. Tu sais, si je n'étais pas idiot, je ne serai pas ici. Mais je n'ai pas le choix sinon, je risque de tout raconter à Maman et à Shelma. »
Fawkes ne dit rien. Il n’a jamais vraiment compris ce principe qu’ont certaines personnes à se déprécier ainsi. Et si Sira a l’air particulier, Fawkes ne le qualifierait pas de “idiot”.
« Dis-moi… ta famille est maîtresse dans l’art de la médecine, pourquoi ne te soignent-ils pas de ce mal qui t’empêche de vivre comme tous ? »
Le renard s’adosse à la porte, sentant le froid à travers la paroi de bois lui gagner le dos. Il pose l’arrière de sa tête sur le pan qui le sépare de la fée et si son regard surveille tout autour de lui, une de ses oreilles est réservée à la réponse de Sira.
La fée reste quelques instants silencieuse. Fawkes l'entend se déplacer parmi la glace éternelle qui maintient son corps à une température extrême, puis répond d'un ton laconique :
« C'est difficile. C'est une maladie de l'esprit, que j'ai et on ne peut pas savoir comment la guérir. Ça prend du temps à étudier alors pour le moment, tout ce que j'ai à faire, c'est d'obéir à Maman, Shelma et Candice. Ils savent mieux que moi parce que je suis petit dans un grand corps. »
C'est pour ça qu'il ne comprend pas tout ce qu'on lui dit, ni tout ce qui l'entoure. En cet instant, il sait que son frère est en train d'œuvrer pour que Sheraz puisse enfin s'échapper et pour que les anciens et les enfants du peuple des fées puissent être enfin libres. Mais Sira sait que si Candice avait dû lui expliquer son plan en détails, il n'aurait rien compris et aurait eu des difficultés à se concentrer. La fée Milliget souffle par le nez, puis ajoute :
« Tu sais ce que j'aimerais bien faire quand ma maladie de l'esprit sera guérie ?
- Non… dis-moi, qu’aimerais-tu faire, Sira ? » s’enquit le renard, soudainement curieux de la réponse.
Il triture la sécurité de son arbalète tandis qu’il discute avec la fée. Fawkes n’en est pas moins tendu par la situation, mais il doute qu’il se passe grand-chose ici. Toute l’action de leur opération se passe dans l’enceinte de la Garde. Tout ce qu’il fait ici, c’est s’assurer que Sira ne fasse pas de bêtise, et tant qu’il le garde occupé à parler, finalement, il s’assure qu’il ne panique pas et ne fasse rien de fou pour sortir.
« J'aimerais bien être accoucheur ! Mettre les bébés au monde. J'aime bien les enfants et j'aime bien les familiers aussi, parce que j'arrive mieux à les comprendre et ils me comprennent mieux. Mais c'est très délicat de mettre des bébés au monde alors si je veux le faire, il faut d'abord que je sois guéri de ma maladie de l'esprit. »
Ce serait un beau rêve. Lui qui ne pourra jamais enfanter parce qu'il risquerait de faire des enfants idiots, pourrait au moins mettre les bébés des autres au monde. Et puis lorsque le moment sera venu, lorsque Candice et Shelma, les fées les plus puissantes de la fratrie, s'auto-féconderont, Sira s'occupera de leurs enfants avec le reste de sa famille comme le veut la tradition. Mais ce ne sera pas pour tout de suite.
« C’est une très bonne idée, que tu as là, Sira. Tu devrais faire ça et nourrir ce rêve. Ça t'aidera peut-être à garder l’énergie en toi pour guérir de ta maladie de l’esprit ? »
Le renard soupire. Ce qu’il voit, surtout c’est que même quelqu’un qui provient d’une famille puissante comme les Milliget n’est pas maîtresse de son destin. Il trouva ça très décourageant, parce que à ce compte-là, qu’en est-il des petites gens comme lui, qui ne sont personne, qui n’ont même pas de nom de famille ? Pourtant, Fawkes a la volonté d’atteindre ses objectifs. Il est avec le Cartel des Typhons pour cette raison, parce qu’il ne veut pas être un simple spectateur, mais acteur de son destin.
« C’est toi qui décide de ton devenir, Sira. Toi et toi seul. Personne ne vivra ta vie à ta place. Assure-toi simplement de ne pas regretter tes choix, parce que tu ne pourras pas revenir dessus. »
Et Fawkes en sait quelque chose.
« Je ne peux rien regretter parce que je ne choisis pas grand-chose. Mais ça ne me dérange pas. Ça me fait peur de choisir. »
Puis il réfléchit et son visage s'illumine quand il réalise qu'il a déjà fait un choix. Un choix qu'il ne regrette pas.
« Ah, si ! J'ai déjà choisi Sheraz ! Je ne sais pas vraiment en quoi je l'ai choisi, mais je l'ai fait ! J'ai choisi Sheraz ! »
La conversation entre la fée Milliget et le renard aurait pu se poursuivre, mais à l'extérieur, la voix de Gabrielle se fait entendre, scandant que quelqu'un approche avant de se taire brutalement. Il y a d'autres voix, il y a des pas, il y a du bruit. Fawkes se tend de plus belle et sa prise sur son arme se raffermit. Ses oreilles pivotent d’un bloc vers la voix de Gabrielle. D’une voix légère, il demande à Sira de rester calme et de ne pas s’agiter. Il est là, et veille sur lui. Il ne quittera pas son poste et sait que son collègue du cartel saura en faire de même. Il a confiance.
La porte de la maison d'Île Grande s'ouvre et des silhouettes approchent. Elles sont cinq. Elles ont pénétré dans le salon et s'attellent à la recherche des âmes qui se sont soigneusement bien cachées. Dans la petite pièce, Sira se fait tout petit et plaque les mains contre sa bouche pour ne faire aucun bruit, le corps tremblant. Il sait que le renard est là pour le protéger, mais il a tout de même peur des personnes qu'il aura à affronter.
De toute manière et à force de retourner la maison, elles vont finir par les trouver. Mais la fée a tout de même peur de ce qu'elles veulent, bien qu'elle le sache déjà. Elles vont venir le chercher.
Les pas se rapprochent. Personne ne parle et le silence devient de plus en plus pesant quand enfin, quatre gardiens émergent d'un couloir pour se planter face à Fawkes. Leurs uniformes noirs et indigos ne laissent aucun doute sur la Garde à laquelle ils appartiennent et il n'est plus permis lorsque celui qui est en charge de leur commandement apparaît.
D'un pas tranquille, l'air imperturbable, ses longs cheveux d'encre coulant sur ses épaules et la hallebarde sur son dos, Rose Clarimonde fait face à son binôme.
Il lève ses yeux opalins pour plonger dans ceux du renard, mais il ne dit rien. Pas tout de suite.
Puis, après quelques secondes, il prend enfin la parole avec un sérieux sans pareil :
« Garde de l'Ombre. Nous réquisitionnons cette maison. Nous avons l'ordre de capturer la fée qui se cache certainement dans cette pièce. Je vous prierai de coopérer sans quoi, nous devrons recourir à la force. »
Fawkes reste interdit. Son cœur bat fort et ses yeux rebondissent d’un gardien à l’autre mais reviennent toujours sur Rose. La Garde saisit la maison ? Pourquoi ? Et pourquoi Rose ? Il entend Sexta railler dans un coin de sa tête un “Je t’avais prévenu, le sac à puces”, mais il refuse de l’écouter. Il ne veut pas appeler son binôme par son prénom, parce que même s’il trahit le cartel, Fawkes refuse de trahir Rose. Sa respiration accélère mais dans sa tête, Fawkes fait tout pour garder son sang froid.
Ses sourcils sont froncés, sa queue tique nerveusement dans son dos et ses oreilles se plaquent sur son crâne, disparaissant dans ses cheveux roux. S’il cille et que son cœur tambourine, il ne vacille pas le moins du monde. Au contraire, sa prise sur son arbalète est plus sûre que jamais et il se met en garde. S’il ne dit pas un mot, ses intentions sont claires, il ne se rendra pas. Rose le sait pertinemment, il le savait avant même d’entrer dans cette maison.
Les gardiens de l'Ombre se tendent mais n'agissent pas. Ils attendent leurs ordres et ils mettent du temps à arriver, mais ils savent que le Second Clarimonde analyse la situation.
Il ne faut pas être fin stratège pour aviser qu'ils ont l'avantage du nombre et que face à eux, le renard solitaire avec son arbalète et la fée cachée dans la petite pièce, derrière lui, sont à leur merci.
« Ne faites pas l'idiot et contentez-vous d'abdiquer, prévient Rose, vous ne pourrez pas lutter contre quarte gardiens et moi-même. »
Mais Fawkes tient sa position. Son binôme le sait, qu'il ne se soumettra pas et il s'y est préparé. Qu'importe le plan qui a été dressé, il savait pertinemment qu'il se trouverait face à un Typhon et il peut s'estimer heureux que ce ne soit pas Sexta. Mais ce ne pouvait pas être elle, car elle n'est pas faite pour protéger une fée dont elle se moque. Non.
Sexta doit être ailleurs sur le terrain.
Fawkes, Gabrielle, Fuya et le nouvel allié, celui qui travaille pour les fées… Ce ne pouvait être qu'un de ces quatre-là.
« Saisissez-vous de lui et attachez-le. » ordonne Rose.
Les quatre gardiens se précipitent vers Fawkes, tous armés de dagues, et plongent vers lui pour le neutraliser. Le renard est vif et fuselé pour l’esquive, mais le combat au corps à corps est son ennemi. Il doit repousser ses adversaires et les maintenir à distance s’il veut garder ses chances, il le sait. L’arbalète qu’il a bricolé est sa meilleure alliée et déjà, il lui laisse le soin d’envoyer une salve de carreaux finement taillés sur les gardiens. Les départs de projectiles tranchent l’air en bruits sourds. Et dans le même temps, Fawkes se propulse avec ses jambes puissantes.
D’un coup fort du bras, il envoie l’étrier de son arme fracasser la tempe d’un des gardiens. Il ne sait pas si ça suffira à le garder à terre, mais il se fiche bien de les ménager. Il n’est pas là pour ça. Son arme peut charger et envoyer trois carreaux à la fois. Fawkes maîtrise son arbalète depuis de nombreuses années et a appris depuis tout ce temps à devoir recharger en plein combat. C’est une procédure longue et risquée, puisqu’il est supposé s’immobiliser pendant quelques secondes. Sauf que ces secondes, là tout de suite, il ne les a pas. Alors, il bloque son pied dans l’étrier et se saisit de la corde d’une main. En pivotant pour esquiver un assaut d’un gardien de l’ombre, il tend la corde.
Les carreaux trouvent leurs places sans aucun mal, malgré les mouvements rapides d’évitement du renard. Mais seul contre quatre, Fawkes sait qu’il ne fait pas le poids. D’autant que ces combattants-là sont entrainés pour le corps à corps. Une dague fend l’air et lacère son genou gauche à travers son pantalon. Il flanche l’espace d’un instant, gronde, et pose le genou à terre bien malgré lui. Déjà, un gardien tout vêtu de noir et d’indigo se jète sur lui. Fawkes se laisse rouler au sol, pour se retrouver sur le dos. Il serre les dents pour joindre ses pieds et flanquer un coup puissant dans le diaphragme de son opposant, le repoussant en lui coupant le souffle.
Cela lui laisse le temps, très court, de se redresser, mais à nouveau, il sent la lacération d’une dague dans le creux de son épaule gauche, sous sa clavicule. Sa voix perce cet étrange silence dans la pièce et on jurerait entendre un animal blessé qui jappe sur son agresseur. Mais il n’abandonne rien. Le goupil refuse de se livrer et de s’avouer vaincu. De toute façon, même s’il le voulait, il ne saurait même pas comment s’y prendre. Alors il réunit ses forces et sa rage et ne pense qu’à sa mission. Protéger Sira. Même si c’est son binôme qui est son ennemi aujourd’hui. Fawkes doit être plus malin. S’il menace le supérieur des gardiens, il les immobilisera. Alors c’est ce qu’il va faire, Fawkes va s’en prendre à Rose.
Le renard s’élance, un carreau à la main, qu’il menacera de planter dans la gorge du vampire. Il le fera, Rose le sait. Mais un projectile fend encore l’air et le membre des Typhons doit pivoter pour esquiver. Son équilibre est alors mis en péril et un des guerriers de l’ombre lui barre le torse d’un coup d’épaule, alors qu’il allait atteindre Rose et refermer ses bras autour de lui. Mais c’est sur lui que des bras se referment. Son arbalète lui est arrachée des mains et jetée à terre. Le cœur du renard s’emballe encore plus fort. Il souffle et feule, alors que tout son corps s’agite pour se défaire des entraves. Sa vision tangue, quand il se retrouve plaqué au sol, la joue écrasée sur la matière froide de cette maison de fée. Les prunelles noisettes du renard cherchent celles de Rose.
Le vampire, lui, il ne bouge même pas, il se contente de regarder son binôme se faire mettre en quatre par ses gardiens. Une clef de bras l’immobilise et il grogne de douleur parce que celui qui le maintient force sur sa prise pour l’obliger à se calmer. Quand Rose croise le regard du renard, il peut y lire toute son incompréhension, mais aussi sa colère. Et si le mot ne sort pas de la bouche de Fawkes qui n’a rien dit depuis l’arrivée des gardiens de l’ombre, Rose peut presque l’entendre persifler “Traitre !”
Tout ce qu'il voit, ce sont les bottes du vampire qui s'animent. Elles se dirigent vers la petite pièce où se trouve Sira et alors que la porte s'ouvre, il peut entendre la fée gémir de peur quand elle avise que ce n'est pas Fawkes.
Le bruit de plusieurs glaces éternelles chutant au sol, accompagné de bruits de lutte glace le sang du renard alors que quelques secondes plus tard, Rose revient en tenant fermement Sira par les poignets.
La fée pleure, lance un regard épouvanté à son bourreau avant de plonger dans les prunelles de Fawkes pour appeler "à l'aide", mais de le voir maîtrisé ainsi le fait pâlir de plus belle.
Sira se met à geindre, mais Rose le frappe aux mollets pour le mettre à genoux. La fée glapit, tout son corps tremble et ses grands yeux noisettes, humides, craignent de regarder le visage du vampire.
« Fais ce qu’ils te disent , souffle le renard avant de mentir. Tout va bien. »
Mais Sira n'est pas dupe. Il devait rester sagement dans la petite pièce avec les glaces éternelles, mais voilà que des personnes effrayantes viennent le sortir d'ici par la force. Fawkes n'a rien pu faire parce qu'ils sont beaucoup et à présent, la fée Milliget ne sait pas où ils vont être emmenés. Elle se demande si Candice aussi a été capturé, mais elle n'y croit pas. Son frère est très puissant.
Les gardiens de l'Ombre ligotent Fawkes et serrent ses liens afin d'être absolument certain qu'il ne parviendra pas à se détacher par ses propres moyens. Quand Sira les regardent faire, il tremble de plus belle et tend une main vers le renard, mais Rose lui administre une légère tape pour qu'il reste tranquille.
« Si tu ne bouges pas, il ne t'arrivera rien. » lui lance-t-il d'un ton sévère.
Sira n'en est pas convaincu, mais il n'a pas envie d'essayer. L'angoisse l'enveloppant dans son linceul, il agite nerveusement les doigts, se les torts, secoue les épaules et tourne la tête pour lancer des regards effarés dans tous les recoins du couloir où ils se trouvent. Puis il se remet à pleurer, de plus en plus fort. Rose lui demande de se taire d'un ton très posé, mais Sira n'écoute plus.
Alors, il laisse échapper un cri d'horreur quand le vampire le saisit par les cheveux et plaque sa tête contre le sol en lui tenant fermement les poignets.
« Ne pense même pas à appeler ta famille. »
Puis, levant ses yeux opalin vers Fawkes, il ajoute d'une voix tranchante :
« Vous allez être menés devant le Chef de la Garde de l'Ombre, Nevra Mircalla. Ensuite, nous allons mettre un terme à la mascarade que vous entretenez au sein de nos quartiers, avec les fées Milliget. C'est terminé. »
Fawkes ne fait pas le fier, alors qu'il est ficelé comme un rôti prêt à cuire. Son regard accroche celui de Sira, déjà tout humide et s'il veut se montrer rassurant, il sait que la situation ne va pas dans son sens. Alors quand Rose leur annonce ce qui va se passer pour eux, ses oreilles se penchent fort en arrière et ses lèvres se soulèvent sur ses crocs.
"Tu fais quoi, là…" souffle-t-il à l'adresse de son binôme, tout bas, d'un ton accusateur, tandis qu'il se fait relever.
Il peste et se débat encore alors qu'on lui tire sur ses bras, pourtant attachés dans son dos. Ces sales types lui font mal mais surtout, il déteste cette contrainte qui lui est imposée.
C'est fini. Ils quittent la maison d'Île Grande. Rose tient fermement Sira en train de verser des larmes pendant que les gardiens ne lâchent pas Fawkes. Le Second de l'Ombre marche vers le Quartier Général d'un pas presque tranquille et si la Salle des Portes poursuit son ballet quotidien, moult regards s'attardent sur les prisonniers en train d'être conduits vers les quartiers de l'Ombre.
Fawkes et Sira sont pris dans le brouhaha des inspecteurs, des traqueurs, mais le chemin ne s'arrête pas là, non : il s'enfonce dans les sous-sols, là où se trouvent Titan et Candice. Le groupe arrive à une grande pièce circulaire comprenant cinq couloirs numérotés. Fawkes la connaît bien pour avoir tenté de s'infiltrer vers la salle d'interrogatoire où Nash était détenu, mais sans succès et pour cause : ils sont sous l'emprise d'un sort d'illusion.
Cependant et quand il y est allé, Nevra ne s'y trouvait pas.
Le vampire Mircalla se tient au centre de la pièce, le regard tourné vers le couloir numéro trois, les bras croisés. Outre son sombre uniforme ainsi que son écharpe brodée, c'est sa prestance qui envahit les lieux, mais aussi la suite des événements qui n'est pas encore écrite.
Que va-t-il advenir de Sira ? De Fawkes ? Du cartel des Typhons ?
La fée Milliget est la première à être jetée en pâture. On la force à se mettre à genoux et on se moque de sa robe en train de glisser ou bien de ses ailes, fragiles, malmenées. On se moque aussi de la goutte de sueur coulant le long de sa tempe et de la chaleur qui commence à l'étouffer.
Fawkes, lui, est le second à se retrouver au sol. Les gardiens ont achevé leur escorte en le remettant aux mains du Second Clarimonde qui l'attrape par ses poignets ligotés avant de le mettre au sol d'un coup entre les omoplates. Ensuite, le renard est agrippé par la nuque et son front rencontre violemment la pierre froide.
Les gémissements de Sira se portent en écho, mais personne ne prononce un seul mot. Enfin, Nevra se retourne pour constater la situation. Son visage exprime un calme religieux et même quand il congédie les quatre gardiens, c'est d'un geste tranquille et d'un hochement de tête presque complice.
Son oeil gris se fixe sur Fawkes alors qu'il demande d'un ton paisible :
« Le binôme, je suppose ?
- Lui-même. » répond Rose.
Nevra s'approche du renard, les mains derrière le dos. Les mots de Sexta rebondissent dans la tête de Fawkes. Encore et encore. La douleur de la trahison se bat avec la colère. La colère de sa naïveté. Sexta avait raison. Rose a vendu son binôme comme un passe-droit. Un léger soupire quitte les lèvres de Nevra alors qu'il poursuit :
« Il va attendre sagement avec nous et ensuite, il va rejoindre sa cheffe. La fée pourra récupérer son voile. D'ailleurs fais-la taire, Rose, si elle crie, elle va appeler sa famille. »
Avec des gestes rapides, le vampire retourne auprès de Sira pour plaquer sa silhouette maigre contre son torse et bâillonner sa bouche avec l'une de ses mains.
« Attention à la trompe, ajoute Nevra avec un sourire amusé, avant de reporter son attention sur Fawkes, ne vous en faites pas, Fawkes. Dans quelques instants, ce sera l'apothéose. »
Le renard ne comprend plus. Rose les trahit ? Mais pourquoi ne leur font-ils rien dans ce cas ? Les éléments se mettent en place dans la tête de Fawkes. Avec ce qu'il a espionné d'eux depuis les derniers jours. Quand il se redresse suffisamment pour capter un regard morne, ses sourcils sont aussi froncés que son nez.
- Qu'est-ce que vous avez manigancé, tous les deux ?
Mais il est ignoré. Nevra et Rose échangent un regard. Même si le Chef de la Garde de l'Ombre a l'air parfaitement détendu, il dégage tout de même une certaine tension, comme s'il se trouvait à l'aube du chaos. Son Second, lui, continue de bâillonner Sira dans un silence pensant, alors que la fée lui jette des regards épouvantés avant de s'attarder sur Fawkes, peinée.
Rose et Nevra rivent leurs yeux vers le couloir numéro trois, attendant sagement que les intrus se montrent pour agir.
Enfin, le vampire Mircalla pousse un soupir et prend la parole :
« Il va falloir le faire. Je vais m'en occuper.
- Non, réplique Rose, c'est à moi de le faire. »
Le Chef de la Garde de l'Ombre plisse son œil gris, incertain, mais son Second hoche la tête, décidé. Ils échangent alors leurs places, Nevra maintenant fermement Sira pendant que Rose se place devant Fawkes, les lèvres serrées. Avec une sérénité sans pareille, il rajuste ses gants noirs, puis, après un long silence, lui dit d'un ton monocorde :
« Il va falloir que tu saignes un peu. C'est pour ton bien.
- T’as pas l’impression que je saigne déjà suffisamment ? » rétorque Fawkes, véhément.
Rose serre le poing, redresse le renard et commence à le frapper sans ménagement au visage. Il enchaîne les coups pour meurtrir sa peau, faire fleurir des bleus et couler le sang. Fawkes est entravé, il ne peut rien faire si ce n’est subir. Et s’il a serré les dents et fermé les yeux pour encaisser les premiers coups, il hoquète de douleur quand le poing de Rose lui décroche la mâchoire. “Pour son bien”, il en a d’autres des comme ça, son traître de binôme ?
Sira, lui, ferme les yeux et continue de pleurer, sa bouche masquée par la main de Nevra. Il ne comprend ni ce qui se passe et encore moins pourquoi ça se passe. Pourquoi sont-ils venus dans la maison d'Île Grande ? Pourquoi les ont-ils emmené ici et pourquoi Fawkes est en train de se faire frapper ?
Une étrange réponse se manifeste quand une première explosion retentit, faisant trembler le sol et les murs. Sira, terrifié, hoquète en observant le décor lorsque soudain, un cri terrifiant et sauvage résonne en écho. Le visage de la fée s'illumine : il le reconnaît.
Candice ! essaye-t-il de crier sous la main de Nevra, lorsque son cœur manque presque un battement.
Si Candice crie, c'est pour avertir qu'il va se battre. Contre qui ?
Des pas précipités proviennent du couloir numéro trois et bientôt, dans la grande pièce circulaire, un faelien vêtu de blanc fait son apparition. Enfin, presque : son épaule droite est marquée d'une belle déchirure écarlate, manifestement faite par la trompe d'une fée.
Le souffle court, il avise Rose et Nevra de son regard émeraude. Le Second de l'Ombre blêmit mais reste digne alors que son Chef de Garde, lui, semble l'accueillir avec une bienveillance immense.
« Vous avez mis du temps ! lance-t-il en écartant les bras.
- J'ai été attaqué par un monstre, répond une voix paisible avec un doux sourire, mais au moins voilà deux criminels et un traître cloîtrés comme des musaroses. »
Nevra laisse échapper un léger rire. Puis, le faelien vêtu de blanc s'approche de Fawkes à pas lent. Son allure et sa tenue lui donnent un air presque royal, mais pas moins que son visage angélique aux yeux infernaux. Ses cheveux d'or et de ténèbres, tressés autour de sa figure offrent un contraste presque fascinant, autant que sa façon d'apporter la tension avec chacun de ses mouvements.
« Ça, c'est ce que j'appelle de la loyauté, souffle-t-il, c'est bien, Rose. »
C'est bien répète-t-il en se redressant. C'est bien dit-il à nouveau en caressant les cheveux de Rose comme s'il s'agissait d'un familier. Il a l'air si satisfait.
Au sol, le visage tuméfié, Fawkes est parcouru d’un long frisson. Ce type lui crispe les entrailles et lui hérisse le poil. C’est viscéral, il ne le sent pas. Alors quand il caresse Rose pour le féliciter de sa loyauté, c’est beaucoup trop pour Fawkes. Comment Rose peut-il accepter de se faire traiter ainsi ?! Un éclair fuse dans l’esprit du renard et il associe l’image de cet homme qu’il a déjà vu dans la tête des chefs de garde lors des sélections, aux vêtements lacérés de Rose dans la commode de sa chambre. Cette noirceur qui suinte de son être pour vicier l’air alentour a la même odeur de pourriture. Et même si Rose l’a trahi, Fawkes ne peut s’empêcher de montrer les crocs. Il se fiche de ce qui est à l'œuvre en ce moment, là tout de suite, ses tripes grondent.
« Ne le touche pas ! » grogne-t-il à l’adresse de faelien au visage aussi angélique que l’âme est maléfique.
Le cœur du renard s’emballe à nouveau. Titan est coincé avec Candice et Nash dans les geôles et lui, il ne peut rien faire.
« Comment oses-tu parler dans un moment pareil, raclure de misère ? Quand je m'adresse à mon familier, les prisonniers la ferment. »
Pour ponctuer sa réponse, Leiftan Tuarran administre un coup de pied dans le visage du renard avant de se détourner. Il remue son épaule blessée, mais la lueur malsaine dans son regard émeraude ne dit rien qui vaille. Candice l'a attaqué et il doit mourir, pour cela.
« Vous enfermerez les prisonniers là où vous savez, poursuit le faelien avec un sourire trop doux, j'irai m'occuper d'eux lorsque j'en aurais fini avec la fée déficiente. »
Il se tourne vers Rose et son visage s'illumine. Son sourire se fait plus grand alors qu'il ajoute d'un ton lourd de menaces :
« Tu vas faire ça bien, n'est-ce pas Rose ? Sinon je risque de me mettre en colère et je n'en ai pas envie. Ça m'amuse de moins en moins de te tailler le dos à coups de scalpel. Et si ça m'amuse moins, je vais devoir trouver autre chose. »
Le vampire ne répond pas et se contente de hocher la tête, livide. Même si ses yeux s'humidifient, il ravale ses larmes et maîtrise ses tremblements. Quand Leiftan détourne le regard, Nevra plonge son œil valide dans le sien, déterminé.
Ils attendent. Ils regardent le Conseiller de la Garde Étincelante marcher d'un pas tranquille vers le couloir numéro trois et Rose retient presque sa respiration. Enfin, la seconde explosion fait trembler les lieux.
Le métal des salles d'interrogatoire, la pierre, l'endroit tout entier commence à s'effondrer alors que s'extirpant de leur prison, une fée sauvage et deux autres silhouettes filent parmi les décombres et un feu en train de prendre.
Son corps maigre couvert de crasse, ses longs cheveux châtains encadrant son visage, emmêlé, Candice Milliget toise Leiftan la bouche grande ouverte, la mâchoire disloquée, sa trompe cherchant de la chair à percer. Ses dents aiguisées lui donnent l'allure d'un véritable monstre alors qu'un cri strident se forme dans sa gorge.
Leiftan Tuarran tire immédiatement son glaive, sifflant de colère alors que derrière la fée Milliget, Titan se relève, toussant violemment, en soutenant un Nash couvert de cicatrice et avec une partie du visage brûlé.
Soudain, Candice rive ses yeux métalliques sur Rose et Nevra, puis leur lance avec hargne :
« Khechav, dava !
- Shaw, répond Nevra avec un sourire triomphant.
- Shaw. » assure Rose en maîtrisant le tremblement dans sa voix.
Le Chef de la Garde de l'Ombre relâche Sira qui titube, confus et perdu. Son frère lui crie quelque chose, mentionnant le prénom de Rose et la fée, effarée, se dirige alors vers le Second. Second de l'Ombre qui tire un petit couteau pour couper les liens de Fawkes.
« Aide Titan, » lui souffle-t-il.
Plus loin, Nevra s'est joint à Candice pour lutter contre Leiftan qui leur promet la mort et la torture, pour leur trahison. Fawkes est perdu. Il ne sait plus qui est du côté de qui, qui aide qui et qui trahit qui. Mais là, tout de suite, il relève les yeux vers Rose. Rose qui vient de le détacher après avoir convenu de quelque chose avec Candice. Il se posera des questions plus tard et il râlera qu’il n’est jamais au courant des plans, plus tard aussi.
Le renard se relève et se dirige vers Titan, qui tousse encore pour venir lui offrir ses épaules. Il boite légèrement de sa jambe gauche, mais il fait de son mieux pour que ça ne se voit pas surtout que ça ne ralentisse leur échappée. Il doit épouser un mur quand Leiftan cogne dans leur direction et Titan l’attire contre le sol, quand c’est le katana de Nevra qui menace de leur couper la tête sur son chemin.
Nash est emporté malgré lui, comme une poupée de chiffon qui suit docilement. Fawkes n’est même pas sûr qu’il soit vraiment conscient de ce qui se passe autour de lui, mais qu’importe. Ils auront le temps de s’en soucier après être sortis. En se relevant, Fawkes attrape le bras de l’orc pour aider Titan à le soulever et partir plus vite encore. Rose et Sira sont côte à côte et si le regard noisette du renard doit faire brûler un point invisible entre les omoplates de son binôme, il ne dit rien.
La fée est complètement perdue. Non loin d'elle, son frère se bat avec une sauvagerie infernale et même s'il lui a explicitement dit de suivre Rose Clarimonde, elle n'arrive pas à faire confiance à celui qui est venu la chercher et qui a frappé Fawkes.
Mais il parle la langue des fées, pourtant et si c'est le cas, alors c'est que Candice le lui a enseigné et que c'est un vrai dava.
« Im yavakh khett la hanifseh. » lui dit Rose d'une voix pressée, avec un accent que Sira perçoit.
Mais c'est un accent qui a du temps derrière lui. La fée Milliget déglutit, mais hoche la tête en lui soufflant un "oui". Shaw.
Le vampire se presse vers la sortie, Sira sur ses talons. La fée glisse sa main dans la sienne et plus loin, son frère le regarde, soulagé de le savoir en sécurité.
Nevra échange des coups avec Leiftan, presque extatique de voir la rage déformer son visage.
« J'espère que tu sais que je vais anéantir ta famille, susurre le Conseiller.
- Nous te tuerons avant. » sourit le vampire Mircalla.
Derrière lui et Candice, Titan peine à se remettre. La troll pose une grande main brune sur l'épaule de Fawkes et même si la fatigue veut l'emporter, elle doit lui rapporter ce qu'elle a appris :
« Fawkes. Leiftan est un Docteur Bec. Il faut évacuer Nash immédiatement, il est faible. Oublie le reste, on n'a pas le temps de s'y attarder. La mission continue. »
Les yeux du renard rebondissent de Titan à Leiftan. Le Conseiller de la Garde est un Docteur Bec ? Dans quel pétrin se sont-ils fourrés ? Mais ce n’est pas le moment d’y réfléchir, Fawkes hisse Nash contre son flanc et soutient Titan de son autre bras. Il serre les dents pour encaisser les signaux de douleur que lui envoie son corps tout entier. Manifestement Nevra est allié avec Candice. Et si Rose semble davantage loyal à Nevra qu’au Cartel, pour l’instant, ils nourrissent les mêmes desseins. Fawkes ne sait plus quoi penser de son binôme, il ne sait plus s’il peut lui faire confiance, où va sa loyauté dans le fond. Il ne sait plus, alors le renard décide qu’il ne fait plus confiance. Comme l’a dit Sexta, il est trop naïf. Alors s’il ne peut plus se fier à ses intuitions, Fawkes décide de ne plus accorder sa confiance, c’est bien plus simple ainsi.***
Khechav : maintenant
Shaw : oui
Im yavakh khett la hanifseh : Nous devons aller au bateau
Jour du sauvetage de Nash - June Albalefko
Elle quitte la grande cité blanche et ne peut s’empêcher de prendre une longue inspiration en se dirigeant vers le terrain d’entraînement. Les deux derniers jours avaient été compliqués, autant pour elle que pour le reste de sa famille. A la maison, l’ambiance était plus que morose, et ça s’en ressentait sur l’humeur de June. Ses journées de travail, épuisantes, devenaient de véritables échappatoires et elle n’est pas mécontente d’esquiver une autre soirée en compagnie des Ael Diskaret ce soir. Elle grimace en repensant au dîner de la veille : Cristal, murée dans un mutisme choqué, Joseph et ses yeux plus sombres qu’un ciel d’orage, Helouri qui cherchait à se faire tout petit…
A nouveau, June inspire. Avec tout ça, elle n’a même pas eu le temps de s’inquiéter pour son évaluation - qui est à l’heure actuelle le cadet de ses soucis, même si elle est importante - et elle est juste contente de sortir de la ville.
Le terrain d’entraînement n’est pas très loin. Quand elle voit la haute silhouette de son Chef, la jeune femme s’efforce de graver un sourire enjoué sur son visage, mais ce n’est pas très convaincant. Aujourd’hui, June n’a pas envie de sourire… Finalement, elle parvient à un résultat à peu près acceptable : en passant les limites du terrain, elle laisse ses problèmes derrière elle, comme on le lui a appris, et elle salue son capitaine d’un ton qui laisse cependant entrevoir sa lassitude.
« Chef Batatume… Le second Clarimonde n’est pas encore là ? » s’enquiert-elle, polie.
Valkyon Batatume est venue avec sa large claymore, aujourd'hui. Pour l'examen de June, il va devoir tester ses aptitudes afin d'observer tout ce qu'elle a appris en compagnie du Second Clarimonde pour décider de sa prochaine mission. Il espère pouvoir lui en offrir une qui lui remontera le moral, surtout avec ce qu'il se passe dans son foyer, en ce moment.
Le grand faelien se sent navré, mais il ne peut pas faire grand-chose.
« Bonsoir, June, lui répond-t-il d'une voix aimable, j'espère que vous vous sentez prête pour ce petit examen. Comme vous pouvez le voir, le Second Clarimonde n'est pas encore arrivé, mais il ne devrait plus tarder. »
Valkyon s'attendait tout de même à le trouver sur le terrain en arrivant, le connaissant, mais il a dû être retenu pour quelques bricoles. Cependant et même s'ils ne peuvent pas commencer l'examen sans lui, le Chef Batatume tient à faire un petit examen de la collaboration :
« Ne vous en faites pas trop pour l'examen de ce soir, d'accord ? Voyez-le simplement comme l'entretien que nous avons eu tous les trois, avec le Second Clarimonde, la dernière fois. Seulement, nous allons combattre. D'ailleurs j'ai eu les retours de votre mission à la Baie Cobalt et ils sont positifs. Vous avez eu une altercation avec un importun mais malgré tout, vous avez su gérer la situation. Comment vous vous sentez par rapport à cette mission, June ? »
La jeune femme met inconsciement les mains dans son dos et peint une expression plus sérieuse sur son visage, concentrée. Se battre, ça, elle sait faire, et s’il s’agit de montrer ce qu’elle a appris, les choses devraient bien se passer.
« J’ai apprécié, répond-elle. Sauf quand l’autre s’est mis à insulter tout le monde bien sûr…»
La grimace qui tord sa bouche à cet instant ne laisse aucun doute sur ce qu’elle pense du malotru qui a eu l’audace de la traiter de puterelle, et elle espère qu’il a bien eut le temps de réfléchir en isolement.
« J’aime beaucoup travailler avec le Second Clarimonde, avoue-t-elle. Il n’hésite pas à dire quand les choses vont pas, et quand elles vont aussi. Je me suis sentie en confiance tout le long de la mission, même si c’était la première et que je savais que je ferais des erreurs ! Je suis vraiment contente que ce soit lui qui m’entraîne pour Odrialc’h, et ces missions sont une excellente opportunité. »
Valkyon arbore un sourire satisfait, soulagé que le suivi se déroule sans accrocs pour sa gardienne. Croisant les bras sur son torse massif, il explique que c'est une excellente chose et qu'il y aura d'autres missions, même si elles seront différentes :
« En tant que Chef, je suis content de savoir que votre suivi se passe bien et que vous vous entendez bien avec le Second Clarimonde. S'il y avait quoi que ce soit, il ne faudrait pas hésiter à m'en parler. »
Puis, le Chef Batatume semble lui-même hésiter, se plongeant dans ses réflexions en se caressant distraitement le menton, puis ajoute en fronçant les sourcils :
« Entre nous, June, est-ce que vous avez remarqué d'autres coups de faiblesses chez lui ? Depuis son malaise, j'essaye de faire attention lors de vos entraînements et comme parfois il semble un petit peu… Un petit peu ailleurs. Enfin si vous avez remarqué des signes d'épuisement, tenez-moi au courant. »
Alors ce n’était pas son imagination… June se mordille la lèvre inférieure, puis hoche la tête.
« Je crois qu’il est toujours un peu fatigué, mais il avait quand même l’air plus en forme que l’autre fois quand je l’ai revu, répond-elle. C’est bien que quelqu’un fasse attention pour lui… J’ai l’impression qu’il est comme Helouri, du genre à se plonger dans le travail pour atteindre son objectif, quoi qu’il en coûte. »
Elle roule des yeux, parce que ce genre de comportement l’agace : comment faire son travail correctement si l’on est épuisé ? Puis elle songe que Rose serait sûrement très gêné de savoir que Valkyon s’inquiète pour lui, ce qui lui arrache un petit sourire.
« Je vous dirais. » promet la jeune femme.
Valkyon hoche la tête. D'ailleurs, il n'a pas l'occasion de poursuivre sa conversation avec June, car les portes de la cité d'Eel s'ouvrent pour laisser apparaître Rose Clarimonde, armée de sa hallebarde. Le Second de l'Ombre, vêtu de son uniforme, s'approche d'eux, manifestement prêt pour l'examen de June et quand il les rejoint enfin, Valkyon lui adresse un salut poli :
« Bonsoir, Rose. Nous n'attendions plus que vous.
- Je suis navré, j'ai été retenu.
- Ça n'a pas d'importance. Rien de grave, j'espère. »
Rose ne s'épanche pas sur les affaires qui ont bien pu le retenir, au sein de la Garde de l'Ombre. Son regard se fait fuyant et il s'empresse de saluer June avec politesse. Valkyon lui indique qu'il a déjà fait une petite mise au point avec sa gardienne, concernant les tenants et les aboutissants de cet examen, mais aussi l'impact qu'il aura sur les prochaines missions.
Le grand faelien arque un sourcil. Il s'attendait à ce que Rose se lance dans les explications les concernant, mais le vampire ne dit rien.
Tant pis, un léger sourire sur son visage, il amorce :
« Bien. Je pense que nous pouvons commencer ! »
Mais il reste immobile, sa claymore près de lui. En revanche, il fait un signe de tête à Rose et le vampire plisse les yeux avant de dégainer sa hallebarde d'un geste vif pour filer vers June et entraver ses mouvements en une belle attaque surprise qu'elle a déjà connu lors de ses entraînements.
Si elle est surprise un instant, la jeune femme laisse ses réflexes prendre le dessus. Forte de ses précédentes sessions avec Rose, elle parvient de justesse à parer le coup du vampire. S’il avait été n’importe qui d’autre, elle aurait asséné un c’est de la triche ironique, mais puisqu’il s’agit du Second de l’ombre, elle garde ses commentaires sarcastiques pour elle. Et puis, elle n’a pas vraiment le temps de penser si elle veut rester armée…
Comme elle ne sait pas ce que compte faire son Chef - même si elle a très peu d’espoir de parvenir à leur résister s’ils s’y mettent à deux - elle garde un œil sur Valkyon tout en mettant en pratique son entraînement. La hallebarde de Rose est longue, trop pour qu’elle puisse s’approcher de front sans prendre un coup, mais c’est justement ce qu’elle apprend depuis plusieurs semaines déjà.
Alors elle repousse son assaut et passe à l’attaque à son tour, en jouant de sa taille et de son agilité pour tenter de le désarmer.
Le Second de l'Ombre reconnait bien les réflexes qu'elle a acquis au fil de leurs entraînements et si au départ il lui propose des enchaînements qu'elle connaît, le combat vire doucement vers des coups et des feintes dont elle ignore tout.
Rose profite de son arme de moyenne portée pour tenter de déséquilibrer June en s'attaquant à ses jambes et ainsi, aviser ce qu'elle fera de son agilité.
Valkyon, lui, reste parfaitement immobile et ne perd rien de la lutte entre sa gardienne et son binôme. Il note les nets progrès de June et il a hâte de constater la stratégie qu'elle emploiera contre un adversaire beaucoup plus grand qu'elle et maniant une arme lourde.
Il devient difficile de surveiller son Chef tout en continuant de se battre contre le vampire. June note le changement de tactique de Rose, et elle met toute son ardeur à esquiver ses nouvelles feintes et à parer ses nouveaux coups. Elle aussi en a en réserve. Moins que lui, bien sûr, mais elle ne se gêne pas pour utiliser quelques enchaînements qu’elle a appris avec Joseph ou Balam, pour essayer à son tour de déstabiliser Rose. Elle doit être rapide. Plus que lui, afin de prendre l’avantage là où lui sera handicapé par la portée de sa lame. Alors ses mouvements se font plus vifs, perdant en précision pour gagner en vitesse et forcer Rose à réduire son amplitude. Plus elle se rapproche, plus le vampire recule et éprouve des difficultés à contrer ses attaques. La portée de sa hallebarde devient un handicap et même le combat ne tourne plus à son avantage, il est tout de même satisfait de tout ce que June a pu retenir de leurs sessions d'entraînements.
Rose tente de la repousser, mais la vivacité de June le force à créer une ouverture dans sa posture.
« Bien, clame soudain Valkyon, je pense que j'en ai assez vu et qu'il est temps pour moi de tester les propres aptitudes de ma gardienne. »
Les combattants s'arrêtent. Rose se recule, rengainant sa hallebarde, puis fait face à sa binôme.
« Bravo, June. Vous avez su mettre en œuvre tout ce vous avez appris lors de nos entraînements. En tant que membre de la Garde de l'Ombre supervisant votre suivi, je suis ravi par vos progrès. Bravo pour ce combat. »
Puis, le vampire hésite quelques secondes, mais finit par lever une main qu'il tend à June. Elle s’efforce de ne pas écarquiller ses yeux améthystes devant ce geste qui la ravi. June lui adresse un sourire resplendissant en prenant la main qu’il lui donne et elle la serre entre ses doigts.
« Merci, Second Clarimonde ! »
Elle a les joues rouges, et ce n’est pas seulement à cause de l’effort. Elle ne le remercie pas seulement pour ses compliments, elle veut aussi qu’il sache à quel point elle lui est reconnaissante pour tout ce qu’il lui a appris. Puis son regard se pose sur Valkyon : il s’agit maintenant de continuer sur la même lancée pour ne pas faire honte à Rose et son enseignement…
Seulement, elle est surprise par les portes de la cité en train de s'ouvrir. Quatre gardiens de l'Ombre apparaissent et parmi eux, il y a la faelienne qui était venue quérir June lorsque le Second Clarimonde l'avait convoquée à propos d'Helouri.
Les gardiens se hâtent vers eux pour s'arrêter à une bonne distance et les saluer avec respect. La faelienne fait un pas en avant, puis déclare d'une voix forte :
« Second Clarimonde, vous devez venir immédiatement. Il y a eu une urgence. »
Rose reste imperturbable, même si son teint devient plus pâle. Il commence à lisser les plis de son uniforme d'un geste distrait avant de s'arrêter pour se tourner vers le Chef Batatume en train de froncer les sourcils.
« Que se passe-t-il ? demande-t-il, si l'urgence est conséquente, la Garde Obsidienne peut vous apporter de l'aide.
- Ne vous donnez pas cette peine. » répond Rose d'un ton rapide.
Le vampire peine à lever les yeux vers lui pourtant, quand il le fait, il tente d'invoquer le calme dans son être. Il joint les mains derrière le dos, puis ajoute :
« Je suis navré de ne pas pouvoir rester jusqu'au bout de cet examen, mais je dois aller voir ce qu'il se passe.
- Je comprends, vous avez déjà fait votre part du travail. Mais si besoin est, envoyez-moi l'un de vos gardiens.
- Je vous remercie pour votre gentillesse. »
Le visage du Chef Batatume se laisse gagner par la surprise, mais le Second Clarimonde tourne les talons, non sans présenter ses excuses à June et lui souhaiter la réussite pour cet examen. Puis, il disparaît avec ses gardiens et gagne la cité d'Eel.
« J'espère tout de même que ce n'est rien de trop grave… » dit Valkyon.
Mais il se concentre de nouveau sur l'examen de sa gardienne et s'empare de sa claymore, avant de se mettre en position de combat.
« Bon, revenons à nos crylasms, gardienne Albalefko. Pas d'attaque surprise pour moi, mais juste un combat à la loyale. Je vous laisse ouvrir les hostilités ! »
Elle quitte les silhouettes qui s’éloignent et si son froncement de sourcil trahit sa légère inquiétude - la dernière fois qu’elle a vu cette gardienne, ça ne s’est pas très bien passé et elle ne peut s’empêcher d’y repenser - elle se reprend bien vite. Les doigts bien serrés sur le manche de son arme, elle détaille la posture de son Chef. Ça lui rappelle son combat contre la Capitaine ! June inspire longuement, puis se fend en avant. Au dernier moment, elle plonge au sol : cette fois, elle doit fatiguer son adversaire en le forçant à bouger le plus possible, tout en conservant ses forces. Ce sera plus difficile, d’autant que le combat contre Rose l’a fatiguée, mais elle n’hésite pas.
Valkyon se mure en véritable bouclier et n'hésite pas à user de sa force physique pour tenter de contrer les mouvements de sa gardienne. Mais elle est rapide et elle parvient à discerner sa posture au premier coup d'œil pour en tirer avantage. Le Chef de la Garde Obsidienne n'est pas peu fier ! La population a tendance à imaginer ses gardiens débordant de force brute, mais ceux qui font office de soutiens et usent de la rapidité sont redoutables à leur manière et il est évident que le suivi du Second Clarimonde a porté ses fruits, pour June.
Cette dernière s'acharne et si son Chef rechigne à lui laisser des ouvertures, elle s'applique à en créer. Valkyon analyse le combat, satisfait, lorsque tout à coup, lui et sa gardienne suspendent tous mouvements quand une immense explosion se fait entendre.
Interdit et immédiatement sur ses gardes, Valkyon se place près de June alors qu'une seconde explosion suit la première, puis une troisième…
Alarmé, le grand faelien resserre sa poigne sur son arme et lève la tête vers les murs blancs de la cité d'Eel pour guetter la fumée, alors qu'une hurlement strident, sauvage et monstrueux déchire l'atmosphère.
L'instinct de June lui hurle de se précipiter en direction du cri, alors que ses pensées lui montrent immédiatement Cristal et Helouri à l’intérieur de la ville. Pourtant, elle s’applique à ne pas se laisser déborder par les émotions. La jeune femme se tourne vers son Chef, ses yeux écarquillés exprimant son inquiètude, sa surprise et son incompréhension.
« Ça vient de l’intérieur de la ville. »
Un constat inutile, mais qu’elle a besoin d’énoncer à voix haute. Elle resserre sa prise sur son épée, sans quitter le faelien des yeux. Elle pense à Rose, qui a passé les murailles, et elle espère qu’il n’a rien. Elle pense aux civils, aux autres gardiens, et ses doigts recommencent à s’agiter pour trahir ses pensées. Elle attend ses ordres.
Valkyon lui somme de rester près d'elle pendant qu'ils prendront connaissance de ce qui se passe. Ils filent vers les portes de la cité d'Eel et quand ils arrivent auprès des guetteurs, ces derniers sont immédiatement en train d'ajuster leurs arcs et leurs carquois.
Balam, parmi eux, tentent d'empêcher les jeunes recrues de céder à la panique, mais c'est difficile. Valkyon l'interpelle afin de savoir s'il a vu quelque chose, mais le guetteur secoue la tête, inquiet.
« Les explosions venaient du Quartier Général, tout comme le cri.
- Est-ce que tu as une idée de ce que c'est ?
- Je suis désolé, mais je n'ai jamais rien entendu de tel. »
Le Chef Batatume hoche la tête et ordonne aux guetteurs de ne pas quitter leurs postes et de s'atteler à l'évacuation des civils si la menace les pousse à la mettre en place. Valkyon espère ne pas en arriver là, mais il a un mauvais pressentiment.
Se hâtant au sein de l'allée des arches avec June, ils parviennent rapidement au refuge où la peur a pris le dessus sur la raison : les habitants se percutent, se marchent dessus et veulent se hâter à tout prix vers les portes de la cité. Valkyon est obligé de crier pour se faire entendre, essayant d'instaurer le calme jusqu'à que deux bröwnies aux longues oreilles se précipitent vers lui. Un père et son fils.
« Chef Batatume ! C'est terrible ! Regardez le Quartier Général ! »
Valkyon lève les yeux et blêmit. Le Quartier Général est en proie à un terrible incendie et vu l'ampleur de la catastrophe, il est certain qu'il s'étendra rapidement jusqu'à la place du marché ainsi que les habitations des civils…
Soudain, le cri retentit de nouveau avec plus de violence, se mêlant aux hurlements de terreur de la population.
« Vers les portes de la cité ! s'écrie Valkyon, vite ! QUE TOUT LE MONDE REJOIGNE LES PORTES DE LA CITÉ ! »
Les guetteurs sauront mettre le protocole d'urgence en place. Le Chef Batatume se tourne vers sa gardienne pour lui distribuer les ordres suivants :
« June, nous allons rejoindre le Quartier Général tout en procédant à l'évacuation des civils. Nous ne connaissons pas l'identité de la menace pour le moment, alors nous allons être très prudents. N'agissez pas sur un coup de tête. Si jamais nous sommes amenés à être séparés pour une raison ou une autre, dirigez-vous vers le Quartier Général et rapprochez-vous des gardiens. C'est compris ? »
Elle hoche vigoureusement la tête, alors que ses yeux sont déjà occupés à chercher les silhouettes de Cristal et Helouri au milieu de la foule. Quelque part, elle est certaine que Joseph est occupé à évacuer les civils ou bien à sécuriser le Quartier Général.
« Je vous suis ! crit-elle par-dessus le vacarme. »
Valkyon et June s'élancent parmi le tumulte. Traverser le refuge leur donne l'impression de remonter une cascade, avec la population en train de migrer vers les portes de la cité. Cependant, le Chef Batatume est rassuré de les savoir en vie et espère ardemment que la menace ne quittera pas le Quartier Général.
Serrant les dents et hâtant le pas, June sur ses talons, il enchaîne les rues puis, petit à petit, la chaleur des flammes commence à se faire sentir sur sa peau.
Comme il l'avait prédit, l'incendie se propage et parmi le ballet des civils et des gardiens, ceux de l'Absynthe font tout leur possible pour éteindre le feu.
« Mais que s'est-il passé ? » souffle Valkyon, abasourdi.
Le grand faelien n'a pas le temps d'y songer : il doit le découvrir. Il se reprend puis louvoie entre les corps pressés et les décombres. Pourtant, parmi eux, une personne s'est recroquevillée, la tête entre les mains, tremblant de tous ses membres. Un gémissement contenu derrière ses lèvres serrées, elle jette des regards horrifiés alentours, mais surtout vers les cieux. Ses longs cheveux roses s'échappent de son chignon et ses écailles luisent à la lumière des flammes.
June l’aperçoit et constate que personne ne s’occupe d’elle. La jeune femme bifurque, accélère et manque de déraper en s’arrêtant devant la civile. Elle s’accroupit pour la saisir par les épaules, tout en s’efforçant de ne pas la brusquer.
« Tu peux pas rester là ! s’exclame-t-elle pour se faire entendre. Il faut partir ! »
Elle lui dit vaguement quelque chose, mais June n’a ni le temps de s’en rappeler ni celui d’attendre que la fille se mette à courir. Alors l’obsidienne attrape ses mains pour plonger son regard dans le sien.
« T’es blessée ? Tu peux marcher ? reprend-elle. Viens avec moi ! »
La jeune sirène titube et tente de reprendre une respiration ordinaire, mais elle peine à y arriver. Elle gonfle sa poitrine d'un rythme frénétique et ses mains moites peinent à agripper celle de June pourtant, quand la gardienne de l'obsidienne veut filer vers le Quartier Général, elle la tire en arrière et secoue la tête, ses yeux bleus plongeant dans l'améthyste.
« Tu vas mourir si tu vas là-bas ! Il… Il est… »
Les larmes s'accumulent au bord de ses paupières alors que la peur la paralyse sur place. Puis, elle blêmit lorsqu'un hurlement terrifiant retentit de plus belle et s'accroupit en se prenant la tête entre les mains.
« Il va nous tuer. Il va nous tuer. Il va nous tuer… » répète-t-elle comme une litanie.
Et comme pour compléter son tableau alarmant, une explosion éventre un mur du Quartier Général, faisant trembler les lieux alors que deux formes tombent et roulent parmi la population hurlante. L'une d'entre elle est vêtue de blanc, mais maculée de crasse et de sang.
Leiftan Tuarran se redresse avec difficulté tandis que son adversaire, une fée à la robe couleur saphir et aux longs cheveux châtain, pendants le long de son visage déformé par la haine, ouvre grand, très grand, une bouche hérissée de crocs acérés. Une espèce de trompe serpente comme un familier et le sang qui en goutte ne dit rien qui vaille.
La faelienne au sol, terrorisée, s'accroche à June, se relève, puis la tire en arrière alors que plus loin, Valkyon Batatume s'empresse d'aller aider Leiftan.
« Viens avec moi si tu veux vivre, lui souffle la faelienne, si tu vas là-bas, il te tueras. »
Les ordres de son capitaine résonnent dans son esprit, pourtant June est incapable de bouger. Elle voudrait obéir, mais l’être qui hurle comme un damné la terrifie. Il porte la même robe que Sira lorsqu’elle l’a croisé sur la falaise, mais ce n’est pas lui, elle en est certaine. Celui-là, il n’a rien de la gentillesse qu’incarnait le jeune étranger.
Tiraillée entre les deux chemins qui s’offrent à elle, June fait quelques pas dans la direction du quartier général, puis recule, serre les poings et referme sa main plus fort sur celle de la fille. Un instinct primaire lui hurle que si elle avance encore vers le combat, elle va mourir. Et puis, de toute évidence, la menace est identifiée. Sa décision est prise.
« Viens ! crit-elle. Par là ! »
Elle doit éloigner la fille des flammes et des combats, s’assurer qu’elle est en sécurité et ensuite… Ensuite, elle avisera.
Elle entraîne sa compagne improvisée loin du combat qui fait rage. Les ordres de Valkyon résonnent à ses oreilles : puisqu’elle a désobéi à la partie relative au Quartier Général, autant éviter d’aggraver son cas. Elle file vers le refuge, la main toujours serrée sur celle de la jeune fille, tout en criant aux quelques personnes qu’elle voit de se rendre aux portes de la ville. Quand elles atteignent leur destination, June s’arrête brusquement, les yeux ronds.
C’est la pagaille, pire que ce qu’elle aurait jamais pu imaginer. On crie, on se bouscule, et les quelques gardiens présents semblent aussi débordés qu’elle. L'obsidienne reste figée une bonne minute, puis elle se reprend en se tournant vers sa compagne, qu’elle avait presque oublié.
« Je dois évacuer ces gens ! Viens, on va trouver quelqu’un qui t’emmènera en sécurité !
- Je… »
La fille semble hésiter. Elle lance des regards affolés autour d'elle, mais il n'y a que le chaos et ses yeux n'attrapent personne. Pas de visages connus et pour cause : la plupart d'entre eux sont coincés au Quartier Général avec le monstre et Leiftan.
Mais où est Sexta ? Gabrielle ? Nelladel ? Quand elle a quitté son poste malgré les ordres et le tumulte, elle s'attendait à croiser leurs chemins, mais elle est restée seule jusqu'à l'arrivée de June. Si elle quitte la cité, elle ne supportera pas d'attendre le reste du cartel, sa famille, en se rongeant le sang.
... Ce que je fais aux traîtres !
Elle ouvre de grands yeux. C'est la voix de Sexta, elle en est certaine ! La jeune sirène tourne sur elle-même, essayant de trouver la silhouette de la vampire, mais en vain.
Fais aux traitres. Elle blêmit. Elle se rappelle de l'enquête dont l'issue devait être décidée après le sauvetage de Nash. Non, c'est impossible…
Comment ? Pourquoi ? Elle essaye de se calmer. Tout ce qui importe pour le moment, c'est qu'elle puisse retrouver Sexta.
Elle se tourne vers June, puis pointe un doigt en direction des jardins de la musique et des beaux quartiers.
« J'ai cru entendre la voix de quelqu'un que je connais par là-bas ! Je vais aller voir et je pense que ça va aller. Si jamais je ne trouve personne, je reviendrai ici, auprès des gardiens. Je pense que… Je pense que ça va aller… »
Tant qu'elle ne s'approche pas de la fée, ça ira. Elle essaye de s'en persuader. Elle adresse un sourire timide à la gardienne, puis ajoute :
« Je suis Ellen Price, merci de m'avoir aidée. »
Puis elle se retourne et s'élance en direction des beaux quartiers, tout en tendant l'oreille dans l'espoir d'attraper la voix de Sexta.
June s’élance à sa suite sans réfléchir : ce n’est pas la direction des portes, et s’il y a des gens là-bas, eux aussi sont en danger.
« Attends ! »
Sa poitrine lui fait mal à force de courir, et elle sent la fatigue tendre chacun de ses muscles. Pourtant, elle accélère pour ne pas perdre Ellen Price, sans cesser de lui crier que c’est dangereux d’aller par là. Sa voix se perd dans la cohue, mais elle a presque rattrapé la jeune fille.
Elle a filé vers les beaux quartiers à la recherche de la personne qu'elle connaît et malheureusement, chaque pas la rapproche de l'incendie et du monstre qui continue de hurler et de se battre. Les jolies maisons, alignées de chaque côté d'une rue pavée de blanc, se vident au rythme des citoyens affolés.
Ellen Price se fige et scrute les lieux, grimaçant. Elle est persuadée d'avoir entendu sa voix, mais elle n'est pas là. Puis elle remarque June :
« Pourquoi tu m'as suivie ? » souffle-t-elle, surprise.
Mais elle n'a pas le temps de pousser ses réflexions plus loin, car elle entend quelqu'un geindre de terreur ainsi que des petits pas pressés. Elle laisse échapper un cri d'effroi lorsqu'une fée aux cheveux d'un rose fatigué court d'un pas maladroit, sa robe de travers et les yeux exorbités par la peur. Ses pieds saignent et quand elle marche sur un débris, elle s'affale sur ses genoux. Elle se redresse, lance un regard épouvanté derrière elle tout en se dépêchant de se relever avec de grands mouvements de panique.
Plus loin, il y a la seconde entrée qui mène aux jardins de la musique et s'ils ne devaient rester que lieux de paix, une silhouette blessée les transforme en antre morbide.
Une main sur son flanc, le sang traçant un chemin de gouttes écarlates sur le sol, Rose Clarimonde titube, le souffle court et avançant avec difficulté. Quand elle l'aperçoit, la fée fond en larmes, et si elle tend une main tremblante vers lui, le jeune vampire lui fait signe d'avancer.
Épuisé, il se rattrape à un muret et grimace en comprimant sa blessure.
« Tu voulais te cacher dans les jardins avec ton joli familier ? » raille une voix traînante.
Armée d'une machette maculée de sang, une vampire s'approche à son tour, suivant la trace de sa proie. Couverte de sueur, ses cheveux sombres formant une auréole folle autour de son visage, elle semble ravie de retrouver celui qu'elle poursuit. Plissant ses yeux noirs, un large sourire fend sa figure, alors que la fée laisse échapper un long gémissement.
« Je n'en ai pas fini avec toi, Rosie. Toutes fautes méritent d'être expiées. Et les tiennes , je ne peux pas les laisser passer, tu comprends ?
- Ce… n'est… pas…, tente d'articuler le vampire.
- Bla. Bla. Bla. Ce n'est pas ce que je crois. Je suis trop vieille pour qu'on me fasse ce coup-là. »
L'amusement laisse place à un sérieux sans pareil. La femme s'accroupit avec lenteur, sa main gauche maniant sa machette qui tapote contre son genou en un geste inconscient.
« Tu sais ce que font les goules à leurs prisonniers ? Ils leur coupent une demie jambe. Juste au niveau du genou, tu vois ? Comme ça, ils ne peuvent pas fuir. Je pense que te laisser ici, au milieu de ce bordel que tu a causé, avec une demie-jambe en moins, c'est suffisant comme punition, non ? »
Rose lui lance un regard terrifié. Quand la vampire lève son arme, il lui attrappe le poignet en une vaine tentative de la repousser, mais il n'a pas assez de force.
La fée, elle, est incapable de faire le moindre geste, paralysée par la peur.
« S… Se… » souffle Ellen Price, les yeux écarquillés.
La scène sous ses yeux n’a aucun sens, mais June ne cherche pas à la comprendre. Son corps heurte celui de la vampire et elles roulent au sol, mais l’obsidienne ne tente pas de la maîtriser. Elle sait reconnaître un adversaire aussi redoutable que celui-là, et vise seulement à l’éloigner de Rose.
Ses mains s’écorchent sur le sol quand elle se relève en espérant être assez rapide pour échapper à la machette de la vampire, elle se redresse à moitié, glisse et retombe assise dans les débris pour faire rempart entre le Second et son attaquante.
« Ellen, va-t-en ! s’exclame-t-elle. Prends… Sira, Sira c’est ça ? Prends-le avec toi et va-t-en ! »
Elle cherche maladroitement à se redresser et à prendre son épée, mais ses mains tremblent et elle est fatiguée. De toute façon, elle n’espère pas grand chose d’un affrontement… Pourtant, elle doit protéger les civils, et surtout Sira dont elle se rappelle le sourire maladroit sur la falaise quelques jours plus tôt. Et si elle doit combattre une femme armée d'une machette pour ça, alors elle fera son devoir.
Pourtant, elle voit les regards d'Ellen et de la vampire se croiser. Elle voit la jeune sirène secouer la tête, blême, les yeux larmoyants.
Puis, pendant que la machette repose contre sa cuisse, deux yeux d'un noir profond plongent dans les siens :
« Tu es complètement stupide, tu ne penses pas ? Tu me fais presque penser à moi, à ton âge. »
Elle désigne Rose du menton, puis ajoute d'une voix tranchante :
« J'ai un compte à régler avec ce genre de saloperie, derrière toi et comme tu peux le voir je n'ai pas terminé. Tu me déranges. Mais tu as de la chance, je dois respecter certaines règles qui vont t'éviter bien des désagréments… »
Vive, elle se relève, administre un violent coup de pied dans l'estomac de June et l'attrape par les cheveux et la traîne au sol pour l'éloigner, avant de se saisir de Rose. Le vampire est inconscient et le sang qui s'écoule de sa blessure a trempé son pantalon et commence à former une petite flaque sur le sol.
Une main assurée lui agrippe la jambe droite et une arme se lève alors qu'un terrible cri strident retentit sur les lieux. La vampire se tourne immédiatement vers Sira, la bouche grande ouverte, la mâchoire disloquée, en train de hurler comme un damné.
Elle comprend : c'est un appel.
Elle retient un juron et se précipite vers la fée pour la faire taire, quitte à l'abîmer un petit peu, mais d'autres cris résonnent au sein de la cité d'Eel. La vampire jette un coup d'œil à celle qui revêt le nom d'Ellen Price pour la trouver livide, ses yeux d'azur scrutant le ciel à la recherche de maigres fées.
Inutile d'attendre d'autres monstres car elle sait qu'elle n'aura pas la force nécessaire pour les affronter. Alors elle file vers la sirène, lui attrappe les épaules et toutes deux quittent les lieux pendant que trois silhouettes ailées fendent les cieux.
June, elle, crache toujours par terre. Le coup de la vampire lui a coupé la respiration, et le hurlement de Sira lui vrille les oreilles. Ses cheveux, échappés du semblant de tresse qu’elle était parvenu à faire avant son entraînement, lui tombent sur le visage, collés par la sueur et le sang. Elle ne sait même pas s’il s’agit du sien. La gardienne se relève, manque de tomber et décide de rester par terre car le sol tangue sous ses pieds.
Elle crapahute vers Rose, plaque les mains sur sa blessure sans être certaine que ça serve à quelque chose. Le fluide est chaud sous ses doigts, il imprègne son pantalon, et June est à deux doigts de rendre son dernier repas. Pourtant, elle s’efforce de réfléchir, parce qu’elle ne sait pas comment sortir Rose de cette situation.
« Sira ! »
Sa voix est sifflante, rauque, et elle n’est pas certaine que l’autre l’entende, mais elle continue quand même.
« Sira, tu te rappelles, on s’est rencontrés sur la falaise ! C’est fini, elle est partie, mais Rose a besoin d’aide ! Sira, il faudrait que… Il faudrait que tu trouves quelqu’un, ou… Ou que tu viennes m’aider… »
La fée l'observe, hagarde, mais elle cesse de crier. C'est trop tard, de toute façon, car sa famille va arriver. Ils sont là, ils sont en train de le chercher car plusieurs cris se portent en écho. Mais ils sont bien moins terrifiants que celui qui éclate de rage, près du Quartier Général.
« Là-bas ! » rugit soudainement la voix de Valkyon.
Sa silhouette massive se détache parmi les maisons et les pavés blancs alors que le Chef de la Garde Obsidienne remonte la ruelle en compagnie de Joseph Ael Diskaret. Les deux faeliens se précipitent vers June, Rose et Sira pendant que trois silhouettes ailées continuent de planer en cherchant ardemment leur semblable.
Les mains plaquées devant la bouche, Sira s'est terré dans un mutisme pendant que Joseph s'enquiert de l'état de sa fille :
« Tout va bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? »
Un coup d'œil vers le Second Clarimonde qui est gravement blessé, même si June comprime la plaie. La jeune femme adresse un regard soulagé à son père et à son Chef de Garde, tout en relatant, en quelques mots brefs, son altercation avec la vampire.
« Je crois… Je crois qu’elle voulait lui couper la jambe, ou quelque chose comme ça, bredouille-t-elle. Et Ellen Price… enfin, elles sont parties ensemble. Elle a dit… qu’elle devait respecter des règles, aussi, et elle s’est contentée de m’empêcher de le défendre alors qu’elle aurait pu me tuer. Et après, Sira a hurlé. »
Elle tourne le regard vers la jeune fée terrorisée, puis dans un murmure, demande à Joseph s’il peut prendre sa place. Entre les coups de la vampire, le sang et l’adrénaline, elle a la tête qui tourne.
Valkyon et le grand faelien échangent un regard épouvanté, mais avant de tirer cette histoire au clair, il leur faut d'abord mettre un terme au chaos et évacuer Rose vers les soigneurs.
« Joseph, ordonne le Chef Batatume, vous allez retourner auprès des combattants gradés et neutraliser la fée pendant que je vais transporter le Second Clarimonde vers les soigneurs. Je vous rejoindrai tout de suite après. June. »
Valkyon lève son regard ambré vers sa gardienne, puis poursuit :
« Vous allez m'accompagner jusqu'aux soigneurs également. Vous reprendrez vos esprits et ensuite, vous continuerez l'évacuation des civils.
- Tout ira bien, complète Joseph, ta mère et Helouri sont déjà en sécurité. Ils doivent avoir rejoint les guetteurs à l'heure qu'il est. »
Mais avant de joindre les actes à la parole, le Chef Batatume se redresse et plonge vers Sira pour l'immobiliser en lui arrachant un cri de frayeur. La fée lève un regard horrifié vers lui, avant de se mettre à geindre.
« Je suis navré mais l'un de vos semblables est en train de ravager la cité d'Eel, tranche Valkyon, alors vous allez me suivre et la Garde Étincelante vous placera en isolement jusqu'à nouvel ordre. »
Sira secoue la tête, tire sur ses bras pour tenter de se libérer de la poigne du grand faelien alors qu'il se met à pleurer. Il lui jure qu'il n'a rien fait, que le second Clarimonde a été blessé par une dame avec une machette et que si son frère se bat contre l'homme en blanc, c'est parce qu'il est dangereux. Mais Valkyon resserre son emprise et lui rétorque d'un ton sec qu'il n'aura qu'à expliquer tout ça à Leiftan Tuarran, quand ce dernier aura fini de protéger les citoyens.
Sira se débat de plus belle, puis finit par abandonner, se contentant de répéter trois noms en boucle : Maman, Shelma, Candice.
« Attendez ! »
June se redresse et titube jusqu’à son chef. Elle tend une main ensanglantée entre Sira et lui, reprend son souffle et secoue la tête.
« Il a rien fait ! Rose… Le Second Clarimonde essayait de le protéger de la femme avec la machette ! s’exclame la jeune femme. Et puis s’il avait pas crié, il aurait perdu sa jambe ! Regardez-le, Chef, il est terrorisé ! Vous lui faites peur ! »
Elle se tourne vers Sira et tente un sourire rassurant, qui se transforme plutôt en grimace épuisée.
« C’est vrai, Sira, hein ? Tu te rappelles de moi ? On s’est vu sur la falaise… T’es pas dangereux, hein ? Tu voulais aider Rose, tout à l’heure…
- On devait aller au bateau, c'est Mircalla qui a demandé… » sanglote la fée.
Valkyon écarquille les yeux. Nouvel échange de regards avec Joseph et les voilà à présent assurés que Nevra Mircalla et son Second se sont tenus face au monstre sauvage avant le départ de la catastrophe, sûrement. Mais pourquoi protéger un de leur semblable ?
Le Chef Batatume réfléchit à toute vitesse, et en conclut que si Sira dit la vérité, alors Nevra devrait pouvoir appuyer ses propos.
Nevra Mircalla et ses traqueurs qui préparent une attaque à distance. Valkyon relâche son emprise sur la fée et la retourne afin de lui faire face :
« Dit à ton semblable d'arrêter ce massacre.
- Non, souffle Sira, vous ne pouvez pas comprendre, mais il fait ça pour vous aussi. »
Pour le Chef de la Garde Obsidienne, il n'y a rien de cohérent dans son discours. Tant pis. Ce n'est pas le moment : il faut conduire Rose et June jusqu'aux soigneurs et Joseph doit rejoindre le combat. Valkyon s'apprête à réitérer ses ordres, lorsque soudain, sa peau brûle. Il se met à ciller, quand le souffle d'une immense explosion balaye la rue des beaux quartiers ainsi que les âmes regroupées en ces lieux, qui n'ont pas su les quitter plus tôt.
Valkyon se sent partir en avant, Sira se met à crier et Joseph se précipite vers June pour lui attraper la main, mais c'est trop tard.
Un hurlement brise l'atmosphère lourde avec des bruits de chute, une nouvelle explosion, la peur, le feu, le sang, la douleur…
« Candice ! » s'écrie la voix de Sira.
Valkyon reprend ses esprits, Joseph hurle le prénom de June, mais parmi les maisons qui viennent de s'effondrer et qui sont en train de prendre feu, leurs yeux ne voient plus les corps.
June git sous du bois et de la pierre. La catastrophe ne l'a épargnée que de peu car elle n'accuse que des blessures peu profondes, même si elle reste amochée.
À ses côtés, Rose Clarimonde, livide, toujours inconscient, a les jambes bloquées sous moult débris, dont une énorme poutre ainsi que des murs fracassés. Et tout en haut, debout sur son propre chaos, la fée aux longs cheveux châtains scrutant le paysage à la recherche de sa proie.
June tousse, crache, puis cesse tout mouvement en voyant l’être dangereusement mortel qui se dresse au-dessus d’elle. Elle voit Rose sous les débris, songe qu’il s’agira d’un miracle si le Second s’en sort vivant, et réprime son envie d’appeler Joseph. Elle voudrait crier son nom et le voir apparaître, parce qu’ainsi, elle sera certaine qu’il ne lui arrivera rien. A la place, elle essaie de se dégager discrètement pour rejoindre Rose, mais quand elle constate que le moindre mouvement fait bouger d’autres débris et risque d’attirer l’attention du monstre, elle se fige.
Ce dernier semble capter chaque son qui lui parvient jusqu'aux oreilles. S'animant sur son propre carnage comme un familier, ses mains et ses pieds se font presque doux, de vrais pas de velours et ses ailes tressautent par instant. Quand il trouve de la chair, son visage s'illumine et la rage reprend le dessus.
C'est June qui est visée par son regard d'acier. La fée allonge le cou, déplie son corps maigre et se penche, la bouche ouverte, sa trompe à quelques centimètres de son visage, tâtonnant comme un searsea aveugle.
Cette fois, elle laisse échapper le hurlement qui se forme dans sa gorge. June crie de toutes ses forces, se débat vainement, pleure et appelle son père, son chef, Rose, Sira, tous les noms qui lui passent par la tête en espérant que quelqu’un l’entende et vienne à son secours. Elle sent l’étreinte glacée de l’autre, qui forme un étrange contraste avec la chaleur du brasier, et plus que tout, elle sent son horrible appendice la frôler comme s’il voulait l’embrocher d’un coup sec.
« CANDICE ! » hurle la voix de Sira.
La fée Milliget se relève parmi les décombre, tousse, puis titube vers son frère qui pâlit avant de se précipiter vers lui d'une vitesse alarmante, abandonnant sa proie qui n'est pas celle qu'elle cherche. Le monstre attrape Sira par les épaules, examine son visage pour aviser les blessures et s'apprête à l'emmener loin d'ici.
« Joseph, avec moi ! » rugit Valkyon, déterminé à ne pas laisser le monstre s'éloigner.
Les deux guerriers obsidiens, lourdement armés, font fi de la douleur et des coupures sur leurs peaux pour s'attaquer au responsable du chaos. Ils lèvent leurs armes, se préparent à l'encercler, mais la créature est rapide. Son œil vif s'arrête sur Valkyon et ses muscles malmenés se ramassent sur eux-même afin de le faire filer vers le grand faelien.
Gueule ouverte, trompe dehors, il bondit sur la silhouette massive du Chef de l'Obsidienne et se dépêche de lui planter son appendice dans l'épaule, lui arrachant un cri de douleur.
Il se fait violemment repousser, Joseph l'attaque mais la fée se dérobe et plante ses dents dans l'un de ses bras en lui brisant le poignet d'un craquement sec.
Laissant le grand morgan souffrir et filant de nouveau vers son frère, le monstre les menace du regard et de la mâchoire, pousse un nouvel hurlement et prend son envol, déterminé à mettre son semblable en sécurité avant de retourner au combat.
Joseph, lui, se précipite vers son Chef de Garde qui se relève avec des gestes lents, une main sur l'épaule. Ça n'a pas l'air trop grave, mais ça méritera d'être recousu.
Le grand morgan hurle le prénom de sa fille, retourne les débris pour la chercher, l'horreur dans la voix en priant pour ne pas la trouver écrasée.
Elle a profité que le monstre soit occupé pour ramper vers Rose, et frôle l’épaule du Second de l’Ombre du bout des doigts pour essayer de le secouer. En vain, parce qu’elle n’a plus de force. Elle ne voit plus rien non plus, alors elle utilise le peu d’énergie qu’il lui reste pour appeler Joseph. Tout son corps lui fait mal, elle tremble, elle saigne sans vraiment savoir d’où, son coeur bat trop vite et son souffle siffle, et la jeune femme voudrait être loin d’ici, dans les bras de Cristal ou d’Helouri, en sécurité.
« Papa… »
C’est plus un geignement qu’autre chose. June le répète et sa voix se brise dans un chuchotement, alors qu’elle se recroqueville parmi les débris.
« Papa… Le Second… Rose… il faut qu’on l’aide… »
Mais la fin de sa phrase se perd alors que le décor vacille, et que June perd connaissance pour se laisser aller au néant.Les Choix
Titan a réussi à sortir Nash de la salle d'interrogatoire. Malheureusement, son entreprise et celle de Candice ont été interrompues par l'arrivée de Leiftan Tuarran, même si la fée Milliget semblait l'attendre.
Leiftan fait bien comprendre à ses adversaires qu'il est l'un des trois Docteurs Becs : le Fantôme.
Le combat fait rage au carrefour, où Leiftan fait face à Candice et Nevra Mircalla.
Titan, elle, se retrouve de nouveau en compagnie de Fawkes et la mission continue. Mais que doit-elle faire ?
➜ Elle possède trois doses du Crachat de Cassandre et Leiftan fait face à deux adversaires. Elle peut confier Nash à Fawkes et prendre part au combat. Elle a peut-être une chance de tuer Leiftan, mais aussi un Docteur Bec.
➜ C'est beaucoup trop risqué. Il vaut mieux quitter les lieux avec Fawkes et retrouver Sexta, afin d'évacuer Nash le plus vite possible, tout en récupérant les autres membres du cartel au passage.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June est inconsciente, mais tout n'est pas terminé. Elle a encore un rôle à jouer au sein du chaos.
Quand tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Avec ou sans Nash, avec ou sans Titan, Fawkes doit gagner l'extérieur. Cependant, ses pas vont le mener face à un choix de taille. Que devra faire Fawkes ?
Quand tu seras prêt, Waïtikka, contacte-moi par MP.
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous et bienvenue sur ce chapitre trente-quatre d'Apotheosis ! Nous nous enfonçons un petit peu plus vers le chaos et je sens d'ici vos interrogations : où cela va-t-il nous mener ? La réponse est : à un choix charnier. Mais lequel ?
Vous verrez bien quand l'histoire principale et les deux RP se rejoindront.
D'ailleurs ! Petite précision : la première partie du chapitre se déroule AVANT le RP de June Albalefko.
Je sais que ces petits écarts temporels peuvent être assez casse-pieds, mais ne vous inquiétez pas, quand tout se rejoindra nous nous retrouverons bel et bien au présent et tout ira bien.
Ou pas.
Aussi, quelques petites scènes peuvent être assez violentes, mais pas au point de ne pas respecter les règles du forum. De toute façon, si vous êtes ici, c'est que vous aimez souffrir, non ? B)
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 34 - La Cité Rouge
Gabrielle, Fuya, Nelladel…
Le poids de Nash sur ses épaules, Titan se retrouve plantée au beau milieu de l'enfer. La Salle des Portes, lieu de passage du grand et prestigieux Quartier Général d'Eel s'est transformée en carrefour de souffrance dont chacun tente de s’extirper.
Des membres de l'Absynthe, de l'Ombre, de l'Obsidienne et de l'Étincelante courent dans tous les sens, beuglent des ordres et des urgences, puis s'affolent pour tenter de maîtriser une situation qui leur échappe.
Sauf qu'ils se trouvent sur un socle branlant qui menace d'exploser à tout moment à cause du combat qui fait rage dans les sous-sols du quartier des ombres. Combat dont Titan, Fawkes et Nash se sont extraits, même si la cheffe du cartel des Typhons se demande si elle n'a pas manqué une opportunité.
Les trois doses du Crachat de Cassandre reposent dans les poches de son long manteau couleur sauge, auprès de la Délivrance. Les aiguilles sont prêtes à être plantées dans de la chair, mais Yüljet ignore encore qui seront les victimes, s'il y en aura.
Fawkes est devant, en train de chercher Fuya et Gabrielle. Les deux faeliennes devraient être sur les lieux pourtant, impossible d'attraper une chevelure rose ou bien la stature élancée de l'elfe noire qui n'aurait jamais quitté son poste. Pas avant de retrouver Nash.
Mais elle devait surveiller le quartier des invités et prévenir Fawkes en cas d'intrusion, alors…
Titan serre les dents alors que son esprit s'affole. Est-ce que Rose lui aurait fait quelque chose avant d'atteindre la maison d'Île Grande et de capturer Fawkes et Sira ? Lui seul n'aurait pas pu lutter contre Gabrielle, mais avec quatre gardiens de l'Ombre, ses chances devaient déjà être plus conséquentes.
Yüljet a envie de jurer. Le renard-garou l'a mise au courant des évènements récents et si Titan salue l'enquête proposée par Sexta, les résultats lui déplaisent fortement. Mais elle n'a pas le temps de s'y attarder. Elle ajuste le poids de Nash sur ses épaules, puis réfléchit à toute vitesse.
La priorité, c'est de mettre l'orc en sécurité. Ensuite, Fawkes et elle pourront revenir chercher les autres Typhons. Yüljet sait qu'ils sont parfaitement capables de se débrouiller en situations dangereuses, même si elle s'inquiète pour Fuya. Quoique en entendant le cri de Candice, elle est persuadée que Sexta a dû se mettre à la recherche de la sirène.
« Cheffe ! »
Titan revient à elle. Fawkes est là. Il la dévisage avec de grands yeux inquiets, secouant la tête de désarroi, les oreilles basses. Le chaos est réel, des voix crient, paniquent, vocifèrent, s'effrayent… Yüljet, elle, fait le vide dans son esprit pour donner de nouveaux ordres, mais avant cela, elle plonge une main dans la poche de son manteau et en tire une dose du Crachat de Cassandre, qu'elle remet au renard-garou.
« Dès maintenant, on ne sait pas ce qui peut arriver. Si tu te retrouves face à Leiftan ou à un traître, n'hésite pas à t'en servir. Plus rien n'est sûr, Fawkes. »
En parlant de traître, si Rose a le malheur de croiser la route de Sexta, quand elle sera au courant des faits, elle lui fera payer sa perfidie au prix du sang. Titan se jure de faire cracher la vérité au jeune vampire, mais pas maintenant.
Elle reporte son attention sur Fawkes, puis ajoute :
« Il faut rejoindre… »
Le monde éclate. C'est la première réflexion qui lui a traversé l'esprit quand le sol sous ses pieds s'est mis à trembler comme le gardien d'un terrible enfer de feu. Une seule fraction de seconde à suffit pour que le décor vole en éclat, abattu par la puissance infernale d'une série d'explosions. Le Quartier Général s'effondre, s'éventre, crache ses entrailles de métal, de pierre, de bois et de chair avant de souffrir d'un terrible incendie. Les flammes s'appliquent à dévorer ce qu'il reste de lui et tant pis pour les malheureux qui n'ont pas eu le temps de fuir.
Yüljet pense à Candice. Elle pense à son désir de tuer Leiftan, de faire tomber son masque et aussi, elle pense à ce que ça lui coûte en vies faeliennes.
Le Fantôme des Docteurs Becs vaut-il vraiment tous ces sacrifices ? Les règles du cartel des Typhons lui sont formelles, mais l'esprit de Titan hésite. Il se perd, aussi, alors que son corps souffre, que ses mains s'accrochent à des débris en train de chuter puis s'écorchent sur ceux qui agonisent déjà sur un sol brûlant et Yüljet pense mourir quand la chute est brutale.
Son esprit épars confond les sons, les images et les sensations alors qu'un rideau de tresses masque une partie de sa vision. Yüljet a peur de faire l'inventaire de ses blessures, mais aussi de se mettre debout, au beau milieu du chaos. Elle se sent prisonnière entre deux gros morceaux de pierre qui ont dû faire office de mur, de sol ou de plafond. Elle sent des armatures métalliques se presser contre sa peau comme si elles voulaient la percer et si Titan se lève, elle est persuadée que ses os vont s'effriter un par un.
Ses oreilles abasourdies perçoivent les cris de Candice ainsi que des bruits de bataille. Ses yeux fatigués perçoivent diverses silhouettes en train de se hâter, derrière ses cheveux. Sa volonté lui hurle de se mettre debout, son esprit alarmé lui ordonne de retrouver Nash, mais la force lui manque.
Titan ouvre la bouche pour se mettre à tousser. Ses lèvres sèches et abimées laissent passer la poussière qui a tapissé l'intérieur de son palais et enfin, son corps tâche de s'extirper de la douleur. Les bras tremblants, des lambeaux de tissu couleur sauge s'accrochant lamentablement au reste de son manteau, Yüljet se redresse. Ses genoux douloureux rencontrent des bris de verre, des cadavres de fenêtres éclatées et elle grimace en sentant le suc de la souffrance la couvrir toute entière.
Plus loin, Candice se bat avec Leiftan et même si Titan salue son courage, elle le maudit. Tout ça pour lui… Tout ça pour un Docteur Bec.Yüljet pense que ça n'en valait pas la peine, pas si des vies s'éteignent…
Soudain, des pas se pressent vers elle. Une poigne lui attrappe le bras pour la mettre debout, une main se plaque sur son dos et une voix tranchante l'appelle jusqu'à ce qu'elle réponde. Titan cligne des yeux à plusieurs reprises et enfin, les contours du visage de Sexta deviennent plus nets.
Yüljet plonge dans ses yeux noirs, presque exorbités par toute cette confusion dont elle est témoin, mais aussi par l'inquiétude qui la ronge. Ses cheveux d'encre auréolent son visage brisé par une colère sans nom, mêlée à une angoisse qui se nomme Fuya.
Sexta accroche les pans misérables du manteau de Titan et lui crie :
« C'est quoi, ça ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Où est Nash ? Les purrekos sont en train de foutre le camp ! Si on ne les suit pas maintenant, ils nous abandonnent !
- Sexta… »
Yüljet prend une inspiration épineuse. Les idées ont du mal à se mettre en place néanmoins, elle fait le vide comme elle a l'habitude de le faire et invoque les rênes du cartel.
Les rênes du monde… C'est nous…
Elle doit lui dire qui est réellement Leiftan, elle doit lui expliquer ce que Candice est en train de faire et les Typhons doivent absolument retrouver Nash et quitter les lieux. Une fois en sécurité, ils pourront réfléchir et aviser.
« J'étais avec Nash, raconte Yüljet avec difficulté, mais l'explosion nous a séparé. Fawkes aussi, était avec nous.
- On les retrouvera, tranche Sexta, qui fait tout sauter, comme ça ? C'est l'autre saloperie qui se bat contre la fée ?
- Non. C'est Candice. Leiftan savait qu'il le trahirait. Il avait prévu de tuer Candice pendant qu'on sauvait Nash. Leiftan est un Docteur Bec. »
La vampire se fige, interdite. Titan sait à quoi elle pense. Le cartel savait que bon nombre de zones d'ombre ont toujours gravité autour de Leiftan Tuarran pourtant, rien n'a jamais laissé soupçonner une ascendance sur le peuple des fées, ni des affaires d'expériences humaines.
Leiftan est un Docteur Bec, alors il est déjà allé dans le Ragnarok, il connaît tout du plan de la conquête terrienne et du virus tapis dans les sols d'Eldarya. Il était là quand il a fallu capturer le sujet humain Yeva sous les yeux de Mery, le témoin malheureux, il y a deux ans.
Titan secoue la tête.
« Leiftan est une cible à abattre, mais tout ça pour…
- Ça en vaut la peine, réplique Sexta d'une voix froide, mais l'autre abrutie de fée aurait pu nous tenir au courant. On se serait préparés. »
Sous le regard interdit de Yüljet, la vampire embrasse le décor chaotique de ses yeux noirs en laissant échapper une exclamation agacée.
« Regarde-moi ce bordel ! S'il continue de faire tout sauter, grand bien lui fasse, mais il faut partir d'ici. On retrouve Nash et les autres, on les met en sécurité et ensuite, ceux qui peuvent encore se battre reviennent ici pour prêter main forte à Candice.
- Sexta, regarde où je me trouve ! » s'exclame Titan.
Surprise par le ton de sa cheffe, la vampire l'observe, silencieuse. Yüljet se tient au milieu des vestiges qui ont composé une partie du Quartier Général. Un amoncellement de débris qui se sont formés après la série d'explosions provoquées par Candice et si la troll a de la chance de pouvoir se tenir debout ici, à l'air libre et en bon état, ce n'est pas le cas des cadavres écrasés, des faeliens agonisant qui ne peuvent que constater leur fin imminente là, bloqué sous les restes du prestigieux bâtiment qui les a vu travailler.
« Regarde où je me trouve ! répète Titan et regarde ce qui se passe ! Ceux qui sont morts, ceux qui sont perdus, ceux qui sont gravement blessés et qui vont mourir ! Est-ce que vraiment, ça en vaut la peine ?
- Et alors ? »
Sexta serre les mains sur les pans de son manteau et rapproche son visage du sien. D'une voix froide, elle lui rappelle sa mission. Son rôle. Elle lui remémore que si Yüljet a pu gagner son respect, un jour, c'est parce qu'elle a su s'imposer en tant que cheffe pour un objectif que la vampire était prête à toucher du bout des doigts.
Rapporter le paradis en Eldarya, après avoir arboré le visage de l'enfer pour des milliers de personnes qui ont souffert à cause d'elle.
« Tu es la cheffe du cartel des Typhons, alors tu vas nous tirer de là. Qu'est-ce que tu veux faire ? Sauver toute la cité ? Laisse la fée accomplir son plan. C'est une aubaine pour nous. On peut le tuer, Titan ! Laisse tout ça et concentre toi sur la mission ! Sur nous ! N'oublie pas que n'importe qui, ici, te livrerait à la Capitaine s'ils savaient qui tu es ! »
Oui. Sexta a raison. Mais… Mais…
Mais tout ça, tout ce chaos, ce n'était pas ce que Yüljet voulait. Elle prend une grande inspiration, passe une main sur son visage fatigué et fait un pas en avant. Elle a l'impression que tout son corps va céder d'une minute à l'autre, mais tant qu'elle est vivante, elle marchera.
Ce qu'elle a sous les yeux la désole, sauf que l'œuvre de Candice n'est pas la sienne alors tout ce qu'elle doit suivre, c'est son rôle et sa mission.
Le courroux de la fée Milliget sur la cité d'Eel est injuste, mais Titan ne peut rien y faire. Elle, elle suivra les règles de son cartel.
« Dépêchons-nous, lance Sexta, les purrekos ne nous attendront pas. »
La vampire commence à se hâter en jetant son dévolu vers une rue encore épargnée par les explosions de Candice lorsque soudain, elle se retourne, une moue inquisitrice sur le visage, puis demande :
« Au fait : où est Rose ? »
Titan ferme brièvement les yeux. Elle aurait préféré que Sexta ne pose pas la question. Pas maintenant. La vampire répète la question et le malaise de sa cheffe ne lui échappe pas.
Alors, Yüljet répète les mots de Fawkes, lui raconte ce qu'il a vécu mais aussi, comment elle a entendu Rose parler la langue des fées quand il est parti avec Sira et comment il a obéi à Candice.
Sexta ne répond pas. Les secondes chaotiques s'étiolent et enfin, c'est le son de sa machette qui résonne comme un chant annonciateur de sentence. La lame a quitté sa cachette et le sourire froid de sa maîtresse traduit à lui-seul, le sang qui coulera bientôt.
« Sexta, l'averti Titan, je veux entendre ce qu'il a à dire.
- Je sais. Je ne vais pas le priver de la parole, ne t'en fais pas. Mais regarde où on est. Beaucoup de choses peuvent arriver. »
L'Impératrice des Abysses est déterminée. Yüljet serre les dents : elle a l'impression de se retrouver face à un blackdog particulièrement impétueux qui a envie de ronger le harnais qu'on essaye de lui imposer.
Sexta est celle qui a demandé l'enquête sur Rose. Elle est celle qui vient d'entendre la trahison du jeune vampire alors, pour compléter l'équation, elle veut être celle qui le punira, quitte à le laisser agoniser.
« Si je tombe sur Fawkes, je le ramasserai, déclare la vampire d'un ton plus serein, on se rejoint à Albacore.
- Sexta. »
La vampire se précipite vers elle pour la prendre par les épaules, avant de lui administrer une tape amicale sur la joue.
Sors-nous de là, cheffe, pendant que je fais le sale boulot. La mission continue.
Sa machette tapotant contre sa cuisse, Sexta se détourne d'un pas trop tranquille, guettant les alentours comme un prédateur en quête de sa proie, pendant que Candice est en train de hurler sa propre bataille.
Rosie… Rosie… Rosie…
Figée sur place, Titan inspire profondément. Elle se reprend. Elle doit retrouver Nash, retrouver Fawkes, Fuya, Gabrielle, Nelladel, puis quitter les lieux.
Quitter les lieux et revenir, si elle en est capable, pour aider Candice à abattre Leiftan.
Yüljet glisse une main rapide dans la poche de son manteau abîmé et retient un juron quand elle ne découvre qu'une dose d'une Crachat de Cassandre, ainsi que celle de la Délivrance.
Une seringue meurtrière traîne quelque part, parmi les décombres…
Titan se met à marcher. À l'image des civils, hagards, elle trace son propre chemin parmi un enfer de cris et d'explosions, à la recherche des siens.Les Rues de la Cité Rouge
Tu es la cheffe du cartel des Typhons, alors tu vas nous sortir de là.
Vraiment ? Si Titan ne se tenait pas au cœur d'une véritable tempête de feu et de débris, elle aurait pu hisser sa détermination au même niveau que sa volonté, puis essayer. Oui, elle doit les sortir de là parce que c'est son rôle.
Mais comment faire ?
Lasse, elle rive ses yeux d'onyx sur ses doigts ensanglantés. Depuis combien de temps est-elle en train de creuser comme le plus pitoyable des minaloo, à la recherche de Nash ? Combien de minutes ont disparues ? Combien de secondes ont connu le cri de Candice et le chant du glaive de Leiftan ?
Et elle, Titan, cheffe du cartel des Typhons, s'est contentée de graviter autour du cadavre immense du Quartier Général. Elle a usé de sa force, retiré de grands morceaux de mur, des barrières tordues d'armatures métalliques ainsi que du matériel fichu ayant appartenu aux différentes Gardes.
Son labeur n'a pas été vain, puisqu'il lui a permis de libérer quelques blessés coincés sous les décombres, mais aucune trace de Nash. À genoux sur le sol, la sueur formant une rivière le long de son dos et la poussière collant à sa peau, Yüljet pousse un long soupir. Les yeux fermés, elle revoit mille fois la scène qui a précédé sa chute.
Elle parlait à Fawkes en soutenant un Nash épuisé alors, s'ils se sont séparés durant l'explosion, il est forcément bloqué sous des débris.
À moins que Fawkes n'ait eu le temps de le rattraper pour l'attirer à lui ? Titan frappe le sol d'un coup fatigué en grimaçant.
Elle maudit Candice et son plan. Elle maudit Sexta et son indifférence. Elle se maudit, elle, de ne pas être la hauteur de sa mission, ici, au sein d'une Eel rouge.
Titan finit par se mettre debout. Ses muscles gémissent de douleur, mais elle les ignore. Elle lève les yeux vers l'immense bâtisse écroulée qui prend l'aspect d'une montagne infranchissable et pense à Nash en train d'agoniser sous son poids.
Quand elle serre les poings, la souffrance de ses doigts déchirés verse des larmes de sang.
Plus loin Candice hurle, hurle, hurle encore et Titan, elle, se trouve simplement là, impuissante.
Comme le lui a dit la fée la veille du sauvetage de Nash, elle devra défendre sa vie. Pour le moment, c'est chose faite mais ça ne lui importe pas si celles des autres Typhons sont en danger.
Soudain, la tirant de ses sombres pensées, Yüljet entend de petits pas maladroits frapper le sol sale, ainsi que des gémissements confus. Quelqu'un renifle aussi, s'essouffle et quand la troll finit par se retourner, elle plisse ses yeux noirs pour découvrir une petite silhouette famélique.
Là, près du Quartier Général en train de brûler et de chuter pour de bon, le regard épouvanté, ses boucles blondes en désordre et ses vêtements sales, trempés par la transpiration, Mery a l'air d'une âme en peine.
Titan se fige quand elle le voit. Son petit visage crasseux est déformé par la peur et ses yeux humides, eux, perlent de larmes retenues. Ses mains s'agitent, ses pieds foulent des fragments de bâtisses et sa bouche est si serrée qu'elle forme une ligne mince.
Enfin, il l'aperçoit.
Ses yeux d'or s'agrandissent et avant que Titan n'ait pu esquisser un mouvement, Mery se précipite vers elle. Il lève la tête pour plonger son regard dans le sien, son corps tremblant et enfin, il se transforme en fontaine.
« Tu étais où ? » demande-t-il d'une voix chevrotante.
Surprise par la question, Yüljet ne répond pas. Elle ouvre la bouche, mais Mery éclate en sanglot en tremblant de plus belle alors qu'un flot de paroles l'assaille comme les reproches bien maigres d'un enfant paniqué :
« Tu as arrêté de rentrer à la maison et je ne sais même pas pourquoi ! Tu es parti sans rien dire et maintenant tout est en feu et il y a un monstre qui crie ! Je voulais rejoindre maman qui était au marché, mais il n'y a plus de rue ! Je ne savais pas où j'étais, je pleurais et j'ai vu quelqu'un qui portait le chef-en-dessous de l'Ombre, mais il a couru sans me voir, et puis… Et puis Balam dit que pleurer ne résout pas les problèmes mais… mais…
- Essaye de te calmer. »
Incertaine, Titan s'accroupit pour faire face à l'enfant. Le discours de Mery part dans tous les sens mais plusieurs éléments la frappent.
Quelqu'un a sauvé Rose qui est visiblement mal en point et quand elle demande au petit bröwnie s'il s'agissait d'un renard-garou, il hoche la tête. Yüljet ferme brièvement les yeux en traitant Fawkes d'imbécile, mais elle poursuit avec une autre question :
« Tu les as suivis ?
- Oui, répond Mery d'une voix hachée, parce qu'il avait l'air de savoir où aller. Mais après, je suis parti ailleurs parce qu'il y avait le monstre. Le Conseiller était là pour le battre, mais j'avais peur quand même… »
Titan souffle par le nez. Évidemment. Leiftan Tuarran ne lâchera pas Candice et même si Yüljet a beaucoup à redire concernant son plan chaotique, elle espère qu'il vaincra.
Elle pourrait presque rire d'elle-même en songeant qu'elle place ses espoirs sur le dos d'une fée…
Reportant son attention sur Mery, elle lui demande s'il se souvient d'autres personnes et quand elle voit son visage se crisper et son menton trembler, l'angoisse vient l'étreindre.
Le petit bröwnie lui décrit Joseph Ael Diskaret en lui parlant d'un grand morgan à la peau bleue qui luttait avec le Conseiller. Il lui parle aussi de Valkyon Batatume, inconscient après qu'un long morceau de bois se soit planté dans son dos. Mery se met à pleurer et Yüljet lui attrape le poignet.
« Tu disais que ta mère était au marché, c'est ça ? » le questionne-t-elle en espérant chasser l'image sordide du Chef de l'Obsidienne dans son esprit.
Mery acquiesce et Titan pousse un soupir. Elle n'a pas encore trouvé Nash et si elle s'écoutait, elle retournerait le grand cadavre éventré du Quartier Général, quitte à laisser les flammes l'atteindre en lui léchant la peau. Mais elle ne peut pas abandonner le petit bröwnie seul au milieu de tumulte.
Yüljet se tourne vers la position hypothétique du marché et grimace en avisant que la voie est bloquée. Il va falloir faire un détour et peut-être qu'elle retrouvera d'autres Typhons…
Ses entrailles se tordent quand elle pense à Nash, mais les autres… Fawkes. Fawkes qu'elle rejoindra peut-être, ou Gabrielle qui ne quittera pas la cité d'Eel tant que son aimé ne sera pas auprès d'elle et tant pis si elle continue de brûler.
Nelladel, aussi. Peut-être a-t-il prêté main forte au refuge ou bien cherche-t-il ses alliés au moment où Titan est en train de penser ?
En tout cas, rester sur place à s'écorcher les doigts jusqu'à l'os n'aidera personne, c'est chose sûre.
Elle baisse les yeux vers Mery qui l'observe à la dérobée, puis lui dit :
« On va aller au marché pour retrouver ta mère, mais on devra faire un détour.
- Tu vas rester avec moi ? lui demande-t-il d'une petite voix, mais si le monstre nous chasse ?
- Ce n'est pas un monstre. Tu n'as pas à avoir peur. »
Le petit bröwnie la regarde sans comprendre, mais il ne peut pas savoir que le véritable monstre est celui qu'il voit en tant que défenseur de la cité d'Eel. Yüljet entend l'enfant marmonner quelque chose à propos de "drôles d'yeux", mais elle n'y prête pas attention et commence à marcher, Mery trottinant à ses côtés.
En observant le décor chaotique bordant leur chemin de fortune, Titan s'aperçoit qu'il s'agit de prestigieuses habitations devant héberger des membres de la Garde Étincelante. Elles ressemblent à de riches cadavres abandonnés, ployant à genoux à cause du souffle infernal d'une explosion. Siéger près du Quartier Général ne leur a pas rendu service.
Titan poursuit sa route, sans quitter son objectif des yeux. Elle sent la petite main de Mery qui a agrippé son manteau et elle se crispe à chaque fois que Candice crache sa fureur sous la forme d'un hurlement strident.
Puis elle s'arrête. Elle fronce les sourcils et tend l'oreille. Au début, elle a pensé qu'il s'agissait de son imagination, mais quand une nouvelle quinte de toux se fait entendre, Titan réalise qu'elle est réelle.
Il y a quelques flammes qui ont pris vie, là où elle se trouve, mais surtout des murs écroulés et des jardins ravagés. Yüljet cherche l'origine du bruit, aux aguets et Mery l'imite. Lui aussi, à entendu quelqu'un tousser.
Soudain, le petit bröwnie tire son manteau et lui chuchote de regarder vers l'ouest, là où une partie du Quartier Général s'est effondrée sur des habitations. Quelques murs séparant les maisons les unes des autres sont détruits pourtant, bloquée sous deux énormes morceaux de pierre semblables à un toit informe, un âme blessée essaye de s'en extirper.
Titan s'approche avec prudence.
Une partie de son corps est coincée, à l'exception de son épaule et de son bras gauche, mais aussi de sa tête. Sa main pâle rampe à terre comme un familier malheureux et la soie rouge de ses atours fait triste mine. Ses longs cheveux d'encre traînent au sol comme une rivière alors que sur le sommet de son crâne, ses oreilles animales s'agitent.
Yüljet sent son sang se glacer quand elle reconnaît Miiko Yamamura et Mery souffle d'étonnement quand il mentionne la "grande cheffe".
Oui, c'est elle. Celle qui est à la tête de la Garde Étincelante et qui n'apparaît pratiquement jamais sans Leiftan Tuarran à ses côtés. Celle dont on dit qu'elle s'est détachée de son clan et de ses traditions pour venir régner sur le Quartier Général mais qui, en réalité, n'est qu'une marionnette d'Odrialc'h.
Si elle disparaît, peut-être que c'est un petit rouage de la conquête terrienne qui s'en irait. Titan sent une main tirer sur son manteau alors qu'un faible gémissement quitte les lèvres scellées de Mery. Elle sait.
Elle sait qu'elle aurait la force nécessaire pour déloger Miiko Yamamura de son malheur pourtant, elle doit penser comme la cheffe du cartel des Typhons.
Règle numéro 3 : le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie.
Si Titan passe son chemin, peut-être que le souffle qui s'éteindra bientôt pourra sauver des centaines, voire des milliers de vies. Quel rôle a-t-elle réellement au sein de toute cette mascarade ?
Yüljet sait que Sexta aurait à peine baissé les yeux, à sa place.
« Tu vas l'aider ? » lui demande la petite voix de Mery.
Titan ne sait pas encore. Elle a pensé à tout ce que pourrait apporter la disparition de Miiko. Elle a fait des suppositions pourtant, elle doit aussi songer à ce que ça ferait, si elle l'aidait à se sortir de son malheur.
Et si Miiko lui était redevable ? Et si elle pouvait voir le masque de Leiftan tomber ? Et si elle était capable de saisir les véritables enjeux de cette Eel rouge ?
Mery crispe sa main sur son manteau, alors que la cheffe du cartel des Typhons est en train de prendre une décision.
June Albalefko - Soir du Sauvetage de Nash
Elle marche dans les jardins, sans savoir comment elle est arrivée là. Un coup d'œil autour d’elle lui apprend qu’elle se trouve effectivement dans l’enceinte de la Garde, et un autre à son uniforme qu’elle revient d’un entraînement. Les couleurs sont vives, trop pour que ce soit réel, alors June sait qu’elle est en train de rêver. Les couleurs sont toujours comme ça, dans ses rêves, comme si son esprit cherchait à les peindre pour décrire une réalité plus belle que celle dans laquelle elle évolue. La jeune femme laisse ses pas la guider, consciente qu’il ne sert à rien d’essayer de diriger son songe, et le décor change soudain, comme pour lui confirmer ce qu’elle sait déjà. À présent, elle se trouve devant les bâtiments de la Garde d’Eel. Elle y pénètre d’un pas assuré, avec une étrange impression de déjà-vu. Soudain, elle prend conscience qu’il n’y a aucun bruit, et comme si elle avait actionné un levier, un brouhaha s’élève. Elle est entrée dans la Salle des Portes, et ses yeux violets en parcourent les moindre recoins comme à chaque fois qu’elle s’y trouve.
Là, assis sur les grandes marches des escaliers, il y a quelqu'un. Elle sait déjà de qui il s'agit puisque son souvenir est aussi clair qu'il y a cinq ans : la tête enfouie dans le nid de ses bras, sa peau d'un bleu glacé jurant avec le vert de sa tenue et ses longues boucles nacrées coulant sur sa silhouette, Helouri Ael Diskaret essuie son premier échec à l'examen d'entrée à la Garde Absynthe. Le premier d'une longue série, malheureusement.
Mais il ne le sait pas encore, car il est bien trop jeune. Il est encore plus frêle qu'aujourd'hui, du haut de ses dix-sept ans et June le sait empli d'admiration pour son père, vétéran de l'Obsidienne et sa mère, créatrice de bijoux qui a su se faire une place au marché d'Eel. Il pensait devenir comme eux mais il ne savait pas encore que c'était vain.
June le reconnaît, parce qu’elle l’a déjà vu en compagnie de Joseph, de loin. Elle n’a jamais réellement discuté avec le grand morgan, mais elle a entendu beaucoup de bien de lui. Elle n’hésite pourtant pas une seule seconde en voyant son fils prostré de cette façon. Comme mues par une volonté propre, ses jambes la portent jusqu’à Helouri et elle s’accroupit devant lui en passant une main dans ses cheveux cendrés, plus court qu’à l’accoutumé.
« Salut, lance-t-elle d’une voix douce. Ça va ? Tu veux prendre un peu l’air ? T’es un peu pâle… Enfin, je crois que t’es un peu pâle, si ça se trouve c’est la couleur de ta peau, mais je la trouve un peu pâle. »
Comme d’habitude, les mots se sont emmêlés sur sa langue et ses joues ont pris la couleur des briques, mais June se contente de soupirer intérieurement. Elle espère qu’il n’est pas vexé par sa maladresse, mais si c’est le cas, ce ne serait ni le premier, ni le dernier.
Mais l'adolescent lève la tête avec lenteur, surpris qu'on lui adresse la parole. Il est presque stupéfait de voir cette inconnue là, face à lui, à lui demander s'il va bien et s'il souhaite sortir.
Il prend quelques secondes pour réagir, le temps de formuler une phrase cohérente mais tout ce qui sort, c'est une stupidité :
« Le-le pâle c'est ma couleur naturelle… Ça va… Je-j'étais… »
Se rendant compte de son absurdité, il secoue la tête et demande :
« Pardon, mais qui es-tu ? »
June lui adresse un sourire d’excuse : autant pour la délicatesse. Elle se laisse tomber sur la marche du dessous avec la grâce d’un bériflore, puis lui sourit de plus belle.
« June Albalefko ! répond-elle. T’es vraiment sûr que ça va »
Elle agite soudain les mains devant elle en prenant conscience qu’elle doit passer pour la commère de service, et ajoute en grimaçant :
« Enfin, je veux dire, si tu vas bien tant mieux, hein, mais c’est juste que t’es au milieu de l’escalier, alors en général, quand on est assis au milieu d’un escalier, c’est qu’on passe pas une très bonne journée. Après, je me fiche que tu passes une bonne journée, enfin, non, je m’en fiche pas, mais ce que je veux dire…»
June prend une grande inspiration, calme ses mains qui viennent triturer ses cheveux en les ébouriffant bien plus que nécessaire, puis reprend en essayant d’adopter un ton plus posé.
« Ce que je veux dire, c’est que si tu passes une mauvaise journée, aller dehors te fera peut-être du bien.
- Tu sais bien, ce qu'il y a dehors, June. »
Le visage timide d'Helouri devient plus sérieux. C'est toujours lui, à dix-sept ans, quand June l'avait rencontré pour la première fois de sa vie mais la réalité la rattrape petit à petit. Peut-être.
« Il y a un monstre qui sème le chaos et tu es prisonnière sous les décombres d'une maison. Peut-être que papa finira par te trouver. Je l'espère. Mais en attendant, tu es là, près du Second Clarimonde en train de mourir, et tu ne peux rien y faire. »
Elle écarquille les yeux, alors qu’une petite voix lui souffle qu’il a raison. Pourtant, June secoue la tête : un monstre ? Le second Clarimonde ? Son visage perd un instant l’expression amicale pour se tordre d’anxiété. Machinalement, sa main vient se poser sur celle d’Helouri. Quand elle baisse la tête, c’est pour la voir couverte de sang.
« Mais… Et toi… Toi tu… balbutie June. Pourquoi… »
Elle a mal à la poitrine, soudain. Et comme si c’était un signal, son ventre aussi se rappelle à son bon souvenir. June grimace, serre Helouri un peu plus fort, et secoue ses mèches de cendre.
« Il faut… Je dois… »
Il faut qu’elle se réveille. Elle le fixe, éperdue, comme s’il pouvait lui dire quoi faire.
Le jeune morgan serre ses doigts avant de venir appuyer son front contre le sien et un instant, ils flottent tous les deux dans une bulle de sérénité. Pourtant, au loin, hors de la Salle des Portes, le chaos règne. Il y a des cris, des explosions, des bruits de bataille et une odeur de sang et de feu qui tente de percer la carapace du Quartier Général. June sait qu'en réalité, c'est juste à côté d'elle.
Ici ! Là !
- D'accord… D'accord… Je vais vous aider…
Il y a des bruits de gravats, de la roche, du bois que l'on soulève, des souffles d'efforts et d'effrois, puis l'air frais qui s'engouffre pour venir fouetter la peau de June. On crie qu'on la voit. Qu'on les voit et si quelqu'un pousse un soupir de soulagement en avisant son état, une autre voix masculine s'affole quand elle constate celui de Rose.
Il faut l'emmener de toute urgence !
- Oui… Attendez ! Je descends, d'accord ? Je descends !
Il y a quelqu'un qui atterrit à pieds joints, près d'elle. Quelques secondes et on vient tapoter sa joue en l'appelant d'un ton maladroit :
« Eh… Ça va ? Allez, réveille-toi ! T'étais quand même plus en forme quand il fallait me mettre en isolement… »
June pousse un gémissement, et après quelques instants, elle ouvre les yeux. Son regard accroche du bleu, beaucoup de bleu, et pendant une seconde, elle ne comprend pas. La jeune femme se redresse lentement en s’aidant de ses coudes, tandis que sa voix brisée par la fumée articule avec incrédulité.
« Chef Séquoïa ? Qu’est-ce que… »
Elle tousse, et soudain ses mots prennent sens. June écarquille les yeux, oubliant un instant l’endroit où elle se trouve, et elle pointe l’autre du doigt, la bouche formant un O parfait.
« Tu… t’es… Quoi ? Mais… »
Elle essaie de se lever, mais elle a mal partout et se contente de pousser un grognement douloureux. Pas le temps pour des explications, de toute façon, elle n’est pas bien sûre de pouvoir les intégrer.
« Rose… lâche-t-elle. Le Second Clarimonde… Et le monstre…
- Il est loin et il n'en a pas après toi, ni après ton collègue. Il faut vous sortir de là. »
Nelladel se relève et avise la petite cuvette qui s'est créée après que le grand morgan et le Chef de l'Obsidienne aient retiré quelques décombres. Étant le plus fin des trois, c'est lui qui s'y est engouffré pour faire sortir June et le Second Clarimonde et il n'a pas vraiment eu le choix. Il passe une main nerveuse dans ses longs cheveux saphirs. Il est fichu.
Le père de June lui est tombé dessus pendant qu'il essayait de fuir le refuge pour remonter jusqu'au Quartier Général et essayer de voir où en étaient la cheffe du cartel et Nash. Bien évidemment, perdre sa perruque au plus mauvais moment, pendant une explosion provoquée par Candice, et être le portrait craché d'Ezarel Sequoïa ne l'ont pas aidé…
Nelladel s'approche de Rose pour aviser son état et grimace. Il ne s'en tirera pas. Il a perdu trop de sang et ses jambes forment des angles improbables, sans compter les débris pointus qui s'y sont fichés. Il se tourne de nouveau vers June :
« Je ressemble moins à un saltimbanque à la manche, ça va mieux ? Bon, tu peux te lever ? Je vais t'aider à sortir de là. Ton père et ton Chef ont réussi à retirer des débris. Ils sont là-haut. Par contre, pour ton copain ça va être compliqué… »
Elle parvient à grommeler quelque chose à propos de coupe de cheveux, et on peut deviner une insulte qui ressemble fort à puterelle, puis elle se relève en s’aidant des décombres. June se traîne jusqu’à Rose, et secoue la tête en mettant son animosité de côté.
« On peut pas le laisser là, répond-elle d’un ton catégorique. Je peux… je peux marcher, je crois. »
Elle se tourne vers son compagnon d'infortune pour le détailler, faisant abstraction de ses traits bien trop semblables à ceux du chef de l’Absynthe, et estime qu’à deux, ils pourront porter Rose.
« À deux, on devrait réussir à le sortir d’ici, décrète-t-elle. Mais faut faire vite, autrement il va…»
Elle déglutit, secoue la tête et entreprend de dégager les jambes de Rose. Ses joues sont blêmes, elle sait qu’il y a des choses plus urgentes et que le vampire est en très mauvais état, mais elle ne peut pas l’abandonner au milieu des décombres. S’il y a la moindre chance, elle doit la saisir, autrement, elle ne se le pardonnera jamais.
«Tu peux m’aider, s’il-te-plaît ? lâche June d’une voix un peu tremblante. »
Nelladel songe qu'ils vont lui faire plus de mal que de bien en le bougeant malgré ses blessures, mais il s'exécute. Lui-même n'aurait pas envie de mourir comme ça et il trouve que c'est quand même bien triste pour celui qui, avec Nevra Mircalla, avait œuvré pour les fées en reconnaissant leur souveraineté originelle. Mais il connaissait les risques.
Poussant quelques morceaux de débris, June et lui parviennent à dégager les jambes du vampire mais Nelladel arbore une grimace.
« On ne va pas pouvoir faire grand-chose pour les saletés qui se sont enfoncées. Je vais prendre les épaules et essayer de le porter. »
Plus facile à dire qu'à faire, car il n'a pas la force du grand morgan, ni celle du Chef de l'Obsidienne. D'ailleurs, Joseph se penche par-dessus la cuvette de gravats pour appeler sa fille, soulagé :
« June ! Par l'Oracle, tu vas bien… Tu peux marcher ? Vous avez réussi à dégager Rose avec…
- Nelladel, se présente ce dernier avec un sourire fade avant de grommeler, foutu pour foutu… »
June lui jette un regard qui oscille entre l’exaspération et la curiosité, puis elle hoche la tête en direction de son père.
« Ça va, on s’occupe de lui ! »
Du moins, ils vont essayer. Elle fait fit de la douleur qui parcourt tout son corps et tente de garder une expression totalement neutre pour ne pas inquiéter Joseph, mais une grimace lui échappe quand elle attrape les jambes du vampire. Et même si elle frissonne en imaginant la douleur de Rose, ce n’est pas l’angle de ses jambes qui tord un instant ses lèvres.
« Je suis prête, lance-t-elle à Nelladel. »
Ce dernier hoche la tête et lève le corps du vampire en peinant. Il n'est pourtant pas bien gros, mais Nelladel n'a pas beaucoup de force. Il lève ses yeux aigue-marine vers le haut de la cuvette pour voir que Valkyon Batatume a rejoint Joseph et leur jette un regard blême.
Plus tôt, quand l'elfe s'est retrouvé nez à nez avec eux, le Chef de l'Obsidienne a écarquillé les yeux comme s'il voyait un mirage. Mais le temps n'était pas aux explications néanmoins, Nelladel est sûr et certain qu'ils ne le laisseront pas partir.
Pour le moment, tout ce qu'il peut faire, c'est leur prêter main forte. Nelladel voit le regard inquiet de Valkyon s'égarer sur l'état de Rose Clarimonde et il est persuadé que son constat est le même que lui. Il ne s'en sortira pas.
Joseph Ael Diskaret, lui, pousse un soupir en fermant brièvement les yeux.
« Je vais le porter jusqu'aux soigneurs, affirme Valkyon.
- Chef. »
Le grand morgan et lui échangent un regard. Ils ont déjà fait un bilan de la situation, mais le Chef de l'Obsidienne veut essayer. Nelladel hisse Rose vers eux, avec l'aide de June, jusqu'à ce que Valkyon parviennent à le récupérer. Lorsque c'est chose faite, l'elfe s'étire et lance à la jeune faelienne :
« Bon. Maintenant je te fais la courte échelle et tu me promets que tu ne me laisses pas dans ce trou ? »
June ne peut s’empêcher d’arquer un sourcil. L’idée est tentante, c’est vrai, parce qu’elle ne s’est toujours pas remise de ses insultes lors de leur dernière rencontre, et si la situation n’était pas aussi désespérée, elle ne se serait pas faite prier. À la place, elle se contente de rouler des yeux.
« Tu rigoles ? Tu serais capable de hurler et non seulement, ça risque d’attirer l’autre, mais en plus, j’ai vraiment pas envie d’entendre ta voix chantante insulter tout ce qui passe pour qu’on vienne te sortir de là, ironise-t-elle. »
Elle prend une grande inspiration en s’approchant de lui, évalue la distance qui la sépare de Joseph, puis hoche la tête pour indiquer qu’ils peuvent y aller. Elle a hâte de sortir de ce trou, et de retrouver le reste de sa famille.
Nelladel peste pour la forme, mais hisse June jusqu'à la main que son père lui tend. Même si personne n'est hors de danger pour le moment au moins, il n'y a plus d'âmes en peines coincées sous des décombres.
Comme le lui a promis June, elle le tire de la cuvette avec l'aide de son père, même si ce dernier lui jette des regards suspicieux et une fois tiré d'affaire, Nelladel ne peut pas s'empêcher de souffler.
Non loin du grand morgan et de sa fille, Valkyon est en train d'examiner Rose, le visage livide. Enfin, le Chef de l'Obsidienne passe une main sous son dos et une autre sous son bassin pour le porter sans le blesser d'avantage, et ordonne :
« Nous allons rejoindre les soigneurs. Nous tous. »
Il fixe Nelladel avec insistance et ce dernier serre les dents :
« Je suppose que je n'ai pas le choix…
- Je vous déconseille de nous fausser compagnie, l'averti Joseph, la situation actuelle n'est pas au beau fixe et il serait facile pour moi de vous rattraper. De plus et lorsque nous vivrons des temps plus cléments, je pense qu'il sera important de lever le voile sur votre ressemblance plus que frappante avec le Chef Sequoïa et votre choix de porter une perruque. »
L'elfe lui adresse un faux sourire. Lui qui devait rester au refuge, selon les ordres de Titan, aurait mieux fait de filer vers les portes de la cité. Quelle idée d'avoir voulu remonter jusqu'à la cheffe du cartel…
Il lance des regards épars pour évaluer ses chances de fuite, mais elles sont maigres. Néanmoins, s'il les accompagne jusqu'aux soigneurs, il sait pertinemment qu'il ne coupera pas au face à face qu'il redoute tant. Nelladel toise le grand morgan et réplique :
« Le visage que j'ai ne regarde que moi et je porte une perruque si ça me chante. Je vous ai aidé à tirer votre fille et le Second Clarimonde hors des débris alors maintenant, je vais simplement tracer ma route.
- Et moi je crois que vous cachez quelque chose. Les citoyens fuient vers les portes et vous, vous vouliez rejoindre le Quartier Général. Pourquoi ? »
Nelladel ne répond pas. Il n'est pas gardien, ni guetteur alors il n'a aucune raison de vouloir rejoindre le grand bâtiment en train de brûler et hors de question de révéler la moindre information. Il laisse échapper un rire sans joie, avant de redevenir sérieux puis de désigner Rose du doigt et de cracher :
« On parle, on parle… Mais lui, il est en train de partir pour l'autre monde.
- Il a raison, Joseph, appuie Valkyon, le temps file et nous devons à tout prix le remettre entre les mains des soigneurs. »
Autour d'eux, les explosions se succèdent. Certaines, légères et d'autres, plus fortes. Nelladel lève les yeux vers le ciel d'Eel et souffle par le nez. Le chemin jusqu'aux soigneurs ne sera pas sûr pour eux. Sauf s'il vient.
Il souffle une nouvelle fois par le nez, pèse le pour et le contre, puis propose :
« Je vous garantie de pouvoir vous mener jusqu'aux soigneurs en sécurité mais après, vous me laissez partir.
- Papa… »
Elle ne prend même pas la peine de l’appeler Joseph, comme quand elle est en fonction, parce qu’elle est trop fatiguée pour ça. June s’avance pour poser la main sur le bras de son père, comme elle l’a fait plus tôt pour défendre Sira. Décidément, si on lui passe ses insubordinations, elle aura bien de la chance.
« Je suis d’accord avec toi, d’autant qu’en plus, sa perruque était franchement hideuse pour quelqu’un qui cherchait à passer inaperçu, mais s’il faut quelqu’un pour porter Rose, alors ça laisse que toi pour nous défendre tous… »
Elle se désigne d’un geste maladroit : son épée est quelque part dans les décombres, elle est blessée et elle boîte légèrement.
« Je peux aider, mais je t’avoue que je suis pas au mieux de ma forme… La vampire folle avec sa machette m’a sacrément amochée, grimace-t-elle. Et faut faire vite, parce que sinon Rose va mourir. Peut-être que pour cette fois, on peut accepter ça et le laisser s’en aller ? De toute façon, le Chef Sequoïa pourra nous dire directement s’il connaît un Nelladel, et on sera fixés. »
Joseph réfléchit à tout vitesse. Là où sa fille a raison, c'est qu'il est seul pour défendre leur petit groupe et encore, il n'a qu'une main valide puisque la fée lui a brisé son poignet gauche. S'ils se retrouvent tous face à elle, il n'est pas certain de pouvoir protéger tout le monde. En cet instant, l'identité de l'elfe qui ressemble trait pour trait à Ezarel Sequoïa n'est pas importante, même si le grand morgan est persuadé qu'il sait quelque chose sur ce chaos.
« Je n'ai pas envie de vous faire confiance, mais la situation ne me laisse pas le choix.
- À votre guise, mais vous allez voir que vous serez contents de m'avoir pour guide. »
Sans attendre, Nelladel commence à s'engager vers le Quartier Général, en proie aux flammes, se retournant pour attendre tout le monde. Valkyon est le premier à lui emboîter le pas, Rose dans les bras, et Joseph se met à les suivre bon gré mal gré, en gardant un œil sur le groupe.
Ils ont la sensation de marcher au beau milieu du chaos, avec des cadavres de demeures aux murs éclatés, une odeur pestilentielle de fumée et les cris, plus loin, laissant deviner les malheureux témoins du monstre.
Celui de la fée se rapproche et toutes les têtes se lèvent pour la regarder virevolter, cherchant sa proie. Quand elle aperçoit des silhouettes en train de marcher, elle veut plonger vers eux. Les muscles de Valkyon, June et Joseph se tendent, mais Nelladel lève une main et se met à crier à l'attention du monstre :
« Hekhelem ! »
La fée suspend ses gestes, ses ailes vrombissantes la portant dans les airs. Elle les fixe, puis file vers d'autres lieux au sein de la cité d'Eel. June, qui s’est figée en la voyant, ne peut s’empêcher d’accélérer le pas pour se mettre à la hauteur de Nelladel. Les sourcils froncés en une moue qui rappelle celle de Cristal quand elle réfléchit à quelque chose de particulièrement épineux, la jeune femme baisse la voix.
« C’est pratique, mais ça va pas convaincre mon père et le Chef que t’as rien à cacher… »
Elle a du mal à se maintenir au même rythme que l’elfe, mais maintenant qu’elle est sortie de la fosse et qu’elle se sent protégée, la curiosité pointe le bout de son nez. Elle se souvient de Nelladel près du bateau, qui cherchait quelqu’un, et voilà qu’à présent, il parle aux monstres qui le laissent tranquille. C’est louche, et elle sait que Joseph l’aura remarqué aussi.
« C’est quoi, comme langue ? demande-t-elle. Et celui-là, il est arrivé quand Sira l’a appelé… Ils sont ensemble ? Et pourquoi Sira était avec Rose ? Et puis cette vampire, là, qui voulait le découper à la machette, elle l’a appelé Rosie, elle avait l’air de le connaître… »
Elle manque de trébucher sur une pierre, se rattrape de justesse et secoue ses mèches cendrées, échappées de sa tresse et qui lui tombent devant les yeux. Elle ne sait même pas pourquoi elle lui pose ces questions, parce qu’il est peu probable qu’il lui apporte une réponse…
« Ça m'énerve, grogne-t-elle pour elle-même.
- Parle moins et marche plus vite. » lui intime Nelladel.
Foutu pour foutu… C'en est fini de sa belle couverture, il le sait. À moins d'un miracle, June, son père et le Chef de l'Obsidienne ne manqueront pas de rapporter qu'ils ont croisé le portrait craché d'Ezarel Sequoïa, sans compter qu'ils l'ont vu parler à une fée dans une langue étrange.
Même s'il est capturé ou contraint de rester, il se jure qu'il ne dira rien. Il est un ancien brigadier alors aucune méthode de la Garde de l'Ombre, pour le faire parler, ne l'effraiera.
Ça, c'est s'ils parviennent à le retenir ici
Nelladel guette Candice qui leur laisse la voie libre et son intervention a l'air d'avoir fonctionné. Il s'agit du mot de passe qu'ils ont convenu car quand elle entre dans sa rage meurtrière, la fée peine à distinguer ses ennemis des alliés, sauf quand ils lui sont semblables.
Le Quartier Général se rapproche et des voix se font entendre. Nelladel tend l'oreille : on parle d'urgence de la situation, on donne des ordres, on crie le nom d'ingrédient et enfin… Sa voix. L'elfe se fige alors que son visage se fend de surprise. L'inquiétude et la culpabilité lui agrippent la poitrine et ses membres se mettent à trembler. Il déglutit, s'apprête à dire au reste du groupe de continuer sans lui car ils sont en sécurité, à présent.
Mais il a tort. Il le sait quand une silhouette vêtue de blanc et couverte de poussière se traîne avec difficulté, le visage déformé par la rage.
Nelladel retient son souffle.
« Reculez…
- Nous sommes presque arrivés, menace Joseph, continuons ! Rose doit être soigné immédiatement !
- Vous ne comprenez pas, tente d'expliquer Nelladel.
- Mais… Le Conseiller ? » constate Valkyon.
Certes, mais la présence du Conseiller annonce un nouveau drame. Si Candice le trouve, ils seront aux prises dans le combat.
Les yeux de June naviguent entre Nelladel et le Conseiller. Elle a remarqué le mouvement de l’elfe, et se demande bien pourquoi soudain, il a l’air si mal à l’aise. Elle hésite : elle aussi à reconnu Leiftan Tuarran et il a l’air blessé. Mais il lui fait peur, ainsi. Elle ne sait pas si elle a vraiment envie de l’approcher.
« Par où tu veux qu’on passe, si on va pas par là ? » réplique-t-elle toutefois.
Mais Nelladel fixe le Conseiller d'un air effaré. Ses yeux aigues-marines cherchent une voie plus sûre mais sa raison, elle, sait déjà que si Candice repère Leiftan, les alentours deviendront chaotiques.
« Je…
- Joseph, allez aider le Conseiller, ordonne Valkyon, June, vous venez avec moi.
- Non ! s'exclame l'elfe, les yeux exorbités, vous ne comprenez pas…
- Alors expliquez-vous ! » somme Joseph.
Nelladel n'en a pas besoin. Un cri terrifiant résonne sur les lieux et un monstre, la gueule ouverte, la trompe dehors, fond sur sa proie qui n'attend que ça.
Leiftan dresse son glaive contre Candice en adversaire fidèle avant de se faire plaquer au sol. La forme maigre en robe bleu redresse le buste comme un familier, ses longs cheveux châtains coulant le long de ses épaules. Il pousse un nouveau cri effroyable et lève une main pour frapper, mais Leiftan le repousse avec son arme.
« Joseph ! lance Valkyon.
- Je vais y aller…
- Non ! » s'écrie Nelladel.
Dans l'autre main de Candice, il y a une étincelle. Nelladel sait qu'ils n'ont qu'une fraction de seconde et qu'ils ne pourront pas fuir. Il hurle aux autres de se mettre à terre alors qu'attrapant June par l'épaule, il la pousse vers le sol et l'entraîne avec son poids. Il n'a que le temps de voir les yeux écarquillés de Valkyon, Rose dans les bras, avant qu'il ne lui tourne le dos pour protéger le jeune vampire de la déflagration pendant que Joseph comprend la situation. Le grand morgan se jette sur sa fille, faisant de son corps une barrière contre la chaleur qui devient infernale.
June n’a pas vraiment eu le temps de voir ce qu’il se passait. Coincée entre Joseph et Nelladel, elle suffoque à cause de la chaleur et devine vaguement que le monstre a lancé l’assaut. Elle protège instinctivement ses yeux en retenant un gémissement, et accroche un morceau de tissu dans un réflexe de survie. Il faut qu’ils s’en aillent d’ici, Nelladel avait raison. Elle finit par ouvrir les yeux et serre les doigts un peu plus fort en essayant de se redresser.
« Par où… suffoque-t-elle. S’en aller… Par où… »
Mais elle ne parvient pas à finir sa phrase, sans savoir si c’est la terreur, la chaleur ou la douleur qui empêche les mots de sortir de sa gorge.
« Je vais aider le Conseiller Tuarran, dit Joseph en se redressant, rejoignez-vite les soigneurs !
- Vous faites une erreur… tousse Nelladel.
- Dépêchez-vous. »
L'elfe regarde, impuissant, le grand morgan tirer son épée pour se joindre à Leiftan et lutter contre Candice qui l'accueille avec un cri de rage. Il retient un juron, puis avise comment se portent Valkyon Batatume et le Second Clarimonde. Le Chef de l'Obsidienne se redresse avec difficulté, le dos brûlé, plié par des quintes de toux, mais il est déterminé à rejoindre sa destination.
« June… croasse Valkyon… Vite… Mettez-vous à l'abri… »
La jeune faelienne ouvre la bouche pour lui répondre quand tout à coup : nouvel hurlement, lutte acharnée, déflagration plus légère mais juste assez pour faire voler des débris. June n'a même pas le temps de hurler quand un morceau de bois effilé se plante dans le dos de Valkyon, qui hoquète et se fige.
Nelladel pousse un juron. Son instinct de survie le pousse à se lever en lui sommant de quitter cet endroit maudit. Tendant une main vers June il lui lance :
« Oublie les soigneurs ! Tu vas juste mourir si tu restes là ! Viens avec moi, on va aller aux portes de la cité et se mettre en sécurité ! Ton père fait une erreur et il va le payer. Il ne connaît pas le Conseiller mais moi, si ! »
Son regard navigue entre Valkyon, Rose, Joseph et les deux combattants. Elle voudrait se lancer dans la bataille, mais une petite voix lui hurle qu’elle sera une gêne plus qu’autre chose. June se mord la joue jusqu’au sang, et un goût métallique vient envelopper sa langue alors que les larmes roulent sur ses joues en traçant des sillons dans la saleté qui la recouvre.
À elle seule, elle ne pourra rien faire. Elle pouvait rester, oui, et essayer de soutenir son Chef et Rose, mais elle doute de faire plus de quelques pas. Et le monstre lui fait peur, trop pour qu’elle décide consciemment de s’en approcher.
June se sent lâche quand sa main se referme sur celle de Nelladel et qu’il l’aide à se relever. Elle tremble et essuie maladroitement ses yeux en hochant la tête, en s’agrippant à lui comme à une bouée de sauvetage. Pour une fois, elle va obéir aux ordres qu’on lui donne, et privilégier sa sécurité.
Fawkes - soir du Sauvetage de Nash
Grâce au choix général qui a été fait dans le chapitre précédent, Fawkes obtient une dose du Crachat de Cassandre.
Fawkes a bien du mal à respirer. La poussière et la fumée dans l’air encombrent ses bronches. La fatigue et les coups de lame qui ont abîmé son corps rendent ses pas de moins en moins vifs, mais il refuse d’arrêter de chercher tant qu’il n’a pas retrouvé les siens. Il appelle, parfois, un prénom ou un autre. Il ne prend plus la peine d’utiliser les noms de code. Avec le brouhaha qui recouvre la ville entière, personne ne sera là à tenir un registre.
La progression est laborieuse. Les débris jonchent le sol et les rues sont méconnaissables, si bien que parfois, Fawkes ne sait plus où il se trouve. Alors il se redresse, haletant, les oreilles tendues et mobiles pour chercher. Qui ou quoi ? Même ça, il ne sait plus. Le renard est désorienté et à chaque fois que quelqu’un l’attrape en lui beuglant qu’il doit se mettre à l’abri, il se défait de l’emprise en grognant. Il n’a pas le temps pour suivre les civils, pas le temps d’être une victime. Les citoyens d’Eel ne le savent pas, mais il était au cœur de l’action, pas plus tard que… que quand déjà ?
Le temps s’égraine et se dilate. Le rouquin passe une main sale dans ses cheveux et couche les oreilles sur sa tête. Sa queue ne bat plus dans son dos et pend, lasse, le long de ses jambes. Il croyait avoir entendu Gabrielle un peu plus tôt, mais il ne la trouve nulle part. Il a mal au visage, à sa jambe et à son épaule, entre autres, mais c’est tellement secondaire qu’il n’y fait plus attention. Ça ne lui fait mal que quand il bouge, alors ça ira. Il désespère de trouver les autres membres du Cartel, mais il refuse catégoriquement d’aller aux Portes de la cité. Peut-être les autres s’y trouvent déjà, mais si ce n’est pas le cas, il doute qu’on le laisse repartir vers le feu et le sang pour chercher ses frères d’armes.
« Titaaaan ! Gabri-...» commence-t-il à hurler, alors que ses yeux accrochent une silhouette massive recourbée au sol.
Un des gardiens d’Eel, si ce n’est un de ses dirigeants. Si Fawkes reconnaît la chevelure de Valkyon, c’est à celle, noire comme le charbon, qui dépasse de ses bras qu’il prête attention. Rose. Son nom coule de ses lèvres et le vampire a beau avoir trahi sa confiance, le renard oublie tout en cet instant. Il avale la distance qui les sépare en quelques secondes et tombe à genoux tout près d’eux. Une grimace tord son visage et il regrette aussitôt cette position. Mais déjà, ses doigts viennent délicatement chercher un pouls, à la gorge de Rose. Il ne sent rien et son cœur s’emballe. Mais la guerre tout autour d’eux, l’adrénaline qui pulse dans ses propres veines embrouillent ses sens. Alors il s’approche un peu plus, se penche au-dessus du vampire inconscient et colle sa joue à son torse. Son oreille duveteuse se plaque tout contre son sternum et quand elle perçoit un battement faible, il respire à nouveau.
Un cri strident retentit parmi le chaos. Non loin d'eux, Candice s'acharne contre ses adversaires redoutables, mais ni Leiftan, ni Joseph Ael Diskaret ne comptent abandonner. Le Conseiller est presque en transe, rageur d'être ainsi trahi par une espèce qu'il hait et lui, le Fantôme, l'un des Docteurs Becs, ne se laissera jamais vaincre par une fée !
Béni soit le grand morgan qui va l'aider à l'acculer, mais c'était sans compter la présence de Fawkes.
Le renard-garou a eu le malheur de faire du bruit. Un bruit léger, presque imperceptible pour une oreille faelienne, mais pas pour celle d'un prédateur si enfoncé dans sa rage de vaincre qu'il ne fait plus la différence entre les alliés et les ennemis. Sauf si on lui donne le mot de passe, mais Fawkes ne le connaît pas. Hekhelem.
Candice a mal. La souffrance parcourt son corps tout entier et dès qu'il est pris dans l'une de ses propres explosions, la brûlure le consume, mais ça ne le rend que plus vivant et plus tenace face à l'incarnation de toute sa rage. Quand il regarde Leiftan, il ressent le désir viscéral de lui déchirer le visage, de briser l'éclat de ses yeux émeraude, de lacérer sa chair, de la pétrir pour s'en nourrir, mais pas avant de l'avoir criblée avec sa trompe !
Penser au sang réveille la faim. Il est blessé, il saigne, il a besoin de manger… L'endroit grouille de cadavres inutiles, peut-être. Non.
De corps bien vivants. Les yeux de Candice s'agrandissent alors que son estomac se tord. Sa gorge se dilate, avide d'accueillir des morceaux de chair bien saignants et sa trompe réclame du sang.
Il ouvre la bouche, disloque sa mâchoire dans un bruit écœurant, puis laisse sortir son appendice meurtrier. Candice rive ses yeux gris sur Fawkes et Rose alors que son corps se ramasse sur lui-même comme celui d'un familier puis, répliquant contre une attaque de Joseph et Leiftan, laisse éclater la faim qui prend la forme d'un cri prédateur.
Il bondit, ses ailes vrombissantes, pour donner l'assaut d'une traque. Quand il sera bien nourri, il pourra reprendre le combat.
Le hurlement de la fée dresse tout le duvet de Fawkes sur son corps et sa queue se hérisse malgré lui. Ce qu’il déteste entendre ces hurlements… Il aimerait se dire que c’est loin de lui, tout ça et qu’il est presque hors de danger, mais la proximité du cri ne laisse que peu de place au doute. Alors quand il entend les os se disloquer, il se souvient trop bien du rapport de Fuya. Ces sons qu’elle a décrit et qui hantent encore ses nuits, quand une fée est sur le point de se nourrir. Son sang se glace et son instinct de survie lui hurle de fuir. Mais pas sans Rose.
Le renard se débat avec les décombres pour libérer Rose. Il le secoue pour le réveiller mais voit son flanc qui suinte. Alors il secoue Valkyon Batatume, mais aucun des deux ne réagit. Fawkes ne peut pas les porter tous les deux, il s’en sait incapable. Il est navré pour le chef de la Garde Obsidienne, mais sa loyauté envers Rose, même si elle est entachée par la trahison de ce dernier, est plus forte. Alors quand il parvient à extirper Rose des bras du chef de Garde, il le traîne un peu plus loin.
Et l’air se met à vibrer. Ou plutôt, à vrombir.
Il ne peut pas traîner Rose ainsi sur la distance. Ses jambes ont l’air en sale état, même s’il se réveille, le renard doute que son binôme soit en état de marcher. Alors il s’agenouille, grimace de douleur et grogne d’effort quand il se redresse sur ses jambes après avoir hissé le vampire sur son dos. Les bras de Rose retombent par-dessus les épaules de Fawkes et sa tête est presque contre la sienne. Si Fawkes tend l’oreille lorsqu’un silence macabre retentit, il pourra surveiller la respiration de celui qu’il avait osé considérer comme un ami.
«Tiens le coup, Rose… je te laisse pas », promet le renard en entamant ce qui sera sans doute le pire parcours du combattant.
Quand les ailes vrombissent dans sa direction, le cerveau de Fawkes tourne à plein régime. Il cherche une solution alors que la peur de Fuya se mêle à la sienne pour lui intimer de courir pour sa vie. Son cœur bat trop fort et sa respiration est bruyante, mais il n’a pas le loisir de s’en inquiéter. Le garçon se jette sous un morceau de bâtiment qui fera office de cache le temps de quelques secondes. Il tente de calmer ses palpitations et sa respiration. Et surtout, il se demande pourquoi Candice a l’air de le prendre en chasse, tout d’un coup.
Il l'entend se poser lourdement sur le sol et commencer à chercher. Sa bouche effilée laisse échapper des cris sourds, comme un chasseur en train de s'agacer parce qu'il a perdu sa proie de vue alors que la faim le consume. Mais c'est sans compter Leiftan qui lui, ne le lâche pas.
Cependant, il est seul, Joseph Ael Diskaret étant resté auprès de son Chef de garde pour s'enquérir de son état. Pour le Docteur Bec, ça ne lui importe pas.
Tout ce qui compte, c'est la fée qui a osé se dresser devant lui avec l'affront de lui tenir tête.
Il la voit dans toute son horreur et il songe à quel point il déteste ces créatures qui se pensent souveraines originelles d'Eldarya.
Un sourire malsain se dessine sur son visage alors qu'un frisson morbide court sur sa peau. Serrant la garde de son glaive, il file vers son adversaire et jubile quand sa main attrape ses cheveux. Il se met presque à rire quand la fée se débat, grognant comme une bête et quand Leiftan sent le dégoût couler en lui, il use de sa force pour cogner le crâne de Candice contre un mur partiellement détruit en rêvant de la voir éclater comme un fruit mûr.
Mais il oublie que les fées possèdent une puissance considérable dans leurs maigres bras, surtout celles qui savent se battre et qui ont quelque chose à défendre. Candice se moque de son front en train de saigner et du bleu qui fleurit sur sa joue. La faim et la haine se mêlent en un appel qui lui permet de jeter son dévolu sur sa proie originelle.
Leiftan a eu tort de se rapprocher. Quand deux mains agrippent le tissu de sa large veste, c'est trop tard. Pire encore, quand une trompe se rapproche dangereusement pour plonger dans son torse, lui arrachant un hurlement de douleur alors que, victorieux, Candice se nourrit et offre une échappatoire bienvenue à ceux qui l'ont fuit, plus tôt.
Le bout de mur qui leur fait office de toit pour les cacher se met à trembler quand le Conseiller d’Eel cogne Candice dessus. Et Fawkes ne se sent plus tant à l’abri que ça, là dessous. Il se tasse sur lui-même et ramène ses jambes contre son torse. Contre sa joue, le souffle de Rose est faible mais réel. Alors il s’y accroche comme la seule lumière dans une nuit tombée prématurément. Les bruits font gronder le renard à l’intérieur. Il sait ce que c’est. Fuya l’a suffisamment décrit et Fawkes a lu et relu son rapport pour l’assimiler comme s’il avait été présent avec la sirène. Mais qu’importe le nombre de fois où il a lu les mots de sa douce compagne d’aventure, rien ne le préparait à la réalité. Oh ce qu’il comprend comme Fuya en tremble encore…
Et puis quand un simulacre de calme ose se faire percevoir, il n’en faut pas plus pour que les deux Typhons filent de leur cachette. Comme il en a l’habitude, Fawkes tente d’être une ombre parmis les ombres, mais ici, tout est jeu de lumière, avec les flammes qui font ramper au sol des ombres lugubres et aux longs membres décharnés et le vent soulève la poussière et emporte les hurlements lugubres de monstres qui se font toujours plus nombreux. Alors qu’il ne s’agit là que d’un enfant, juché en haut d’un tas de gravas et qui pleure son parent enseveli. Fawkes en serait triste, s’il n’avait pas déjà vu ça des dizaines de fois. Un enfant qui pleure un parent. Il est peut-être sans cœur à présent mais il a appris à ne plus pleurer pour les autres. Et puis… il n’a pas le temps. Il sent encore la présence de Candice tout autour de lui. Il ne sait pas si la fée a décidé de le bouffer ou si elle l’a simplement pris pour le Docteur Bec.
Qu’importe, Rose est grièvement blessé et il ne peut rester sans soins plus longtemps. Alors le renard court aussi vite que ses jambes abîmées le lui permettent. Pourtant, il s’arrête tout d’un coup. Il est perdu. Il lui semblait que les soigneurs s’étaient regroupés vers le marché. Pourtant, ici, tout est encombré. Ce qu’il réalise, c’est que d’autres explosions ont eu lieu entre son aller et son retour et le chemin est entravé. Il va devoir trouver une solution.
Il pourrait escalader les bâtiments effondrés et arriver rapidement au campement des soigneurs, mais il n’est pas sûr d’être capable de porter Rose ainsi. Faire le tour pendra plus de temps, mais est plus sûr. La décision est rapidement prise. Fawkes va devoir courir plus vite encore et même si l’air qui entre dans sa trachée lui lacère la gorge, il s’en fiche. Il fait fit de son corps qui lui hurle de s’arrêter pour se reposer. Il fera ça quand Rose sera en sécurité.
REVIENS ICI ! hurle-t-on au loin d’une voix emplie de rage. Visiblement, le chasseur qui s’est transformé en proie a détesté être blessé par un être qu’il exècre.
Mais l’être en question s’est bien nourri et peut redoubler d’ardeur dans son combat. Son esprit est alerte, conscient et la faim a cessé de masquer ses sens. Il sait et il voit, maintenant mais surtout : il sait ce qui lui reste à faire.
Candice a pu blesser Leiftan et l'affaiblir, ce qui est déjà une victoire pour lui. Mais ça ne suffira pas et il le sait, parce qu'il connaît le Fantôme des Docteurs Bec.
Il ne s'arrêtera pas. Même avec les bras et les jambes coupées, il ne s'arrêterait pas…
Alors la fée a cherché un tas de débris instables ou bien un mur en train de s'écrouler. S'il arrive à ensevelir Leiftan, il lui sera facile de le tuer, ensuite.
Mais même avec une épaule ensanglantée, le Fantôme reste rapide. Il ne voit plus rien, sauf la fée encore debout et il se rue vers elle, son glaive à la main et la haine déformant ses traits.
D'un mouvement leste, il envoie son arme vers la gorge de Candice, qui l'arrête dans son élan en emprisonnant le plat de la lame avec ses mains tremblantes. Il sait que sa force ne sera plus suffisante, cette fois, et le sang s'écoulant de ses paumes en est témoin. Il parvient néanmoins à faire dévier l'épée, mais Leiftan en profite pour le frapper dans l'abdomen, lui coupant la respiration, avant de lui administrer un coup de genou au visage.
Désorientée, la fée se laisse entraîner au sol par son bourreau. Le Fantôme le frappe de colère et la souffrance qu'il procure à sa victime lui fait tant plaisir qu'il a délaissé son glaive. Les yeux exorbités, il regarde la peau de Candice se couvrir de bleus avec une fascination morbide, ses lèvres retroussées sur ses dents blanches, alignées comme des pierres tombales.
Il dit à Candice que sa faute lui coûtera très cher, que les enfants de son peuple seront abattus en premier et qu'il y assistera. Que Leiftan l'obligera à regarder et qu'il sera l'exécuteur.
Sauf si la fée meurt avant, bien sûr.
Le Fantôme s'arrête, le front en sueur. Il l'essuie d'un revers de la main et pendant ces quelques secondes de répit, Candice essaye de se relever, les bras tremblants et le souffle court. Mais Leiftan s'empresse d'écraser son dos, un pied entre ses ailes membraneuses puis, son visage arborant un calme presque effrayant, il se penche et lui susurre :
« Qu'est-ce que tu pensais faire ? Tu te croyais vraiment capable de me tuer ? »
Candice lève ses yeux gris. Son visage est maculé de sang, de crasse et d'ecchymoses. Son nez laisse échapper une rivière rouge alors que ses lèvres, tuméfiées, sont reliées au sol par un fil de salive. Pourtant, il n'a pas abandonné. Son état ne l'importe pas car tant qu'il peut tenir debout, alors il se battra.
Il n'a pas le choix : il doit tuer Leiftan. Mais ce qu'il n'avait pas prévu dans son plan, c'était qu'un autre membre de son espèce puisse se dresser contre le Fantôme par amour pour lui.
« Candice ! »
Quand il entend sa voix, son visage se décompose. Pas elle. Pas maintenant. Pas alors qu'il se préparait à encaisser une autre de ses explosions en affaiblissant Leiftan…
Mais elle est là, sa mère, Delta Milliget. Elle aurait dû se trouver sur leur bateau en l'abandonnant ici, après la faute et la trahison qu'il avait commises, mais elle est venue le chercher.
Elle est terrifiée, elle regarde le Fantôme d'un air épouvanté et Candice ne veut pas l'entendre le supplier de l'épargner. Delta pleure. Sa peau livide est sillonnée par des larmes de terreur et d'incompréhension et d'une voix hachée, elle lui demande "pourquoi ?".
« Qu'est-ce que ça peut faire, "pourquoi ?", dit Leiftan d'un ton laconique en récupérant son glaive, de toute façon il n'est pas défendable, alors ça ne sert à rien de venir me supplier. Je vais le tuer et ensuite, je tuerai une partie des enfants.
- Non ! s'écrie Delta, pas lui ! Pas les enfants ! Il ne sait pas ce qu'il fait… Candice, arrête… Qu'est-ce que tu as dans la tête ?
- Ferme-là. »
La fée se relève en prenant appui sur ses mains. Son corps n'est que douleur, mais il ira jusqu'au bout. Il se sent navré pour sa mère qui courbe l'échine devant des ordures, mais il ira jusqu'au bout. Seulement elle, elle doit vivre.
À genoux, il ignore sa respiration difficile, les brûlures qui parsèment son corps et il use de toute sa détermination pour glisser une main dans les replis de sa robe. Il lui en reste encore une.
Une dernière fiole d'un œil de feu.
« Dégage, maman. » croasse-t-il.
Sa mère secoue la tête, alors il commence à ouvrir la bouche et à grogner pour la menacer. Il sait que Leiftan ne perd pas une miette de la scène et s'amuse. S'il doit les tuer tous les deux, il le fera, mais Candice ne le laissera pas faire. Il sait où il va lancer son œil de feu. Il a remarqué un mur instable et s'il s'écroule, alors sa mère sera séparée de lui et Leiftan.
La fiole brille dans sa main. Il est déterminé.
Et si Leiftan s’amuse de la scène à laquelle il assiste, ce n’est pas le cas de Fawkes. Non loin, le renard s’est confronté à un mur de gravats. Il est bloqué et ne plus avancer. Pas par là en tout cas. Alors il s’est retourné quand il a entendu le bruit d’une lame tomber au sol, avec l’espoir que Leiftan était défait. Un espoir vain, bien évidemment puisque le Conseiller de la Garde occupe brutalement ses deux mains à marteler le visage de Candice.
Le spectacle horrifie Fawkes. Et après Candice, ce sera leur tour à Rose et lui ? Le renard ne veut pas se poser la question parce qu’il sait déjà la réponse. Bien que rendu à terre, il repart de plus belle dans la direction opposée, traînant Rose de toutes ses forces. Il veut rester au plus près du sol, pour ne pas faire remarquer leur présence, mais l’entreprise est laborieuse et la progression dans cet océan de brisures et de chaos est plus que compromise. Mais Fawkes n’abandonne pas. Tout comme Candice. Il ne laissera pas tomber et tant que ses jambes le porteront, alors il avancera.
D’une main sous les cuisses de Rose, il le fait tressauter sur son dos pour le hisser un peu plus. Le vampire glisse et cherche à épouser le sol pour y rester, mais Fawkes ne l’entend pas de cette oreille. Une autre fée a rejoint la mascarade et plus ils sont là-bas, plus Candice a de chances de l’emporter. C’est ce que se dit le membre du Cartel, en tout cas. Et par conséquent, il a davantage de chances de pouvoir filer sans être vu. Ou d’être pris dans les déflagrations. Il préfère la première option. Le renard rampe, grimpe sur des morceaux, les contourne. Il agrippe le pantalon imbibé de sang de Rose et le tire vers lui pour qu’il ne tombe pas. Ce qu’il est lourd !
Pourtant, Fawkes réunit toutes ses forces et les concentre pour ne pas flancher. Il doit avancer, et qu’importe que sa gorge se tapisse peu à peu de poussière. Qu’importe que son genou tranché cède par moment et le fait chuter. Il ignore la fatigue, la douleur et la difficulté. Il ne voit que Rose, sur son dos et ces monstres qui menacent de tout détruire sur leur passage. Fawkes sent l’urgence de la situation, il pousse plus fort sur ses jambes même s’il ne les sent plus. Il n’y a plus personne dans ce qu’il reste des rues. D’un côté, c’est tant mieux. Qui survivrait là dedans ? D’un autre côté, le renard espère qu’il y a encore une unité de secours qui les attend.
Le sol tremble tout d’un coup, et alors qu’il tombe à genoux en grognant de douleur, il pose les mains dans la poussière. Est-ce Beryl tout entier qui menace de se fendre en deux ? Rose a glissé, et comme tout tremble encore autour d’eux, le rouquin vient recouvrir son binôme de son corps pour le protéger des débris qui tombent un peu partout. L’explosion est plus loin et ils ne reçoivent que de maigres répercussions. Alors Fawkes ne perd pas de temps, il agrippe Rose à nouveau, le tire contre lui et reprend sa route. Il tousse, il chute et il est perdu, mais il ne renonce pas.
Sa peau est maculée de poussière, au même titre que le vampire qu’il traîne depuis ce qui lui semble être des heures. Mais il sait qu’il n’en est rien. Le sang colle leurs vêtements à leur peau et il devine déjà la douleur que ce sera de les leur retirer. Le renard souffle et quand il se laisse tomber à genoux, juste un instant, pour reprendre sa respiration, il se demande si ce calvaire trouvera sa fin.
Puis une main se pose sur son épaule. Pris d’un réflexe de survie, Fawkes sursaute, se recule prestement et relève les lèvres, prêt à grogner sur Leiftan ou une fée qui voudrait le dévorer. Mais ce n’est rien de tout cela. Ses yeux fatigués rebondissent sur le visage sali d’un jeune homme. Il porte les couleurs de l’unité de soigneur, mais Fawkes ne parvient pas à déterminer sa nature, les tissus recouvrent une partie de sa tête pour le protéger.
« Besoin d’assistance ! Un brancard ! scande-t-il en voyant le corps inconscient que porte Fawkes, Tout va bien, nous allons nous occuper de vous. Êtes-vous blessé ? Monsieur ? Vous avez des blessures ? »
Fawkes secoue la tête par la négative. Il oublie. Tout ce à quoi il pense, c’est que Rose et lui y sont parvenus. Il ont réussi à se tirer de ce champ de bataille morbide entre les monstres qu’Eldarya garde tapis sous la neige et dans la lumière.Les Choix
Isolée au beau milieu d'une cité d'Eel en détresse, Titan tâche de retrouver Nash alors que le Quartier Général est en train de s'effondrer et se trouve en proie à un terrible incendie. Malheureusement, le jeune orc est introuvable.
Cependant, Titan est tombée nez à nez avec Mery et à décidé de l'aider à rejoindre sa mère. Pourtant, sur le détour qui les mène vers le marché, ils tombent tous les deux sur Miiko Yamamura, la cheffe de la Garde Étincelante, coincée sous des décombres.
Titan a la force nécessaire pour l'aider, malgré l'état de ses doigts. Que doit-elle faire ?
➜ L'aider. Miiko lui serait redevable et aussi, peut-être qu'il est possible de la mettre face au vrai visage de Leiftan.
➜ La laisser. Miiko est peut-être un rouage important dans la machinerie de la conquête terrienne alors si elle disparaît, cela pourrait freiner ladite conquête.
Petite note : Laisser Miiko ne veut pas dire la condamner à mort. Simplement, avoir une interaction avec elle peut- être bénéfique - ou non - pour la suite de l'histoire. Vous avez peut-être la possibilité de vous faire une alliée ou bien une ennemie ou de passer tout simplement votre chemin.
Êtes-vous prêts à prendre le risque ?
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a choisi de suivre Nelladel afin de se mettre en sécurité. Tous deux se dirigent vers le refuge dans le but de gagner les portes de la cité et quitter les lieux. June va-t-elle retrouver sa famille, ou bien est-ce que d'autres problèmes l'attendent ? Si c'est le cas, saura-t-elle y faire face ?
Quand tu seras prête, Mayashiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes se trouve au camps des soigneurs avec Rose Clarimonde, qu'il a choisi de sauver. Maintenant que le jeune vampire est en sécurité, que compte-t-il faire ? La mission continue.
Quand tu seras prêt, Waïtikka, viens me trouver en MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
J'espère que vous passez un bon dimanche !
Navrée pour ce petit retard sur ce chapitre mais malheureusement, mon temps d'écriture a été très limité cette semaine à cause de contraintes IRL. Néanmoins, j'espère que vous apprécierez votre lecture et que vous apprécierez ce petit choix en fin de chapitre, toujours proposé avec amour, vous le savez bien.
Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 35 - Rage de Vaincre
June Albalefko et Nelladel, nuit du sauvetage de Nash
Nelladel lui tient la main, ses yeux aigues-marines rivés vers la direction des portes de la cité. Les ordres de Candice tournent dans sa tête et même si les hurlements continuent près du Quartier Général, il sait ce qu'il a à faire : il doit retourner à la Baie Cobalt et monter sur le bateau des Milliget en compagnie de ces derniers. Si tout va bien, Sira aura été évacué avec sa mère, ses frères et ses sœurs.
Mais avant cela, il doit remettre la jeune faelienne, avec lui, aux guetteurs. Ensuite, il partira.
Ce que Nelladel regrette, c'est d'avoir donné son nom en pensant être fichu pour de bon. Il n'aurait pas pu lutter contre le Chef de l'Obsidienne et le grand morgan, de toute manière. L'arrivée de Leiftan et de Candice en pleine lutte a causé bien des dommages, mais lui a tout de même ouvert une porte de sortie.
Quand ils atteignent le refuge, Nelladel et June sont en plein chaos : des gardiens tentent de réguler le flux de civils, mais c'est un exercice difficile puisque les corps et la frayeur transforment les faeliens en une masse compacte et destructrice. Nelladel retient un juron, mais fend la foule.
Sa main serre celle de June de plus belle. Avant de fuir comme un lâche et retourner auprès des fées, il veut au moins essayer de faire en sorte que la jeune femme s'en sorte, à défaut du Second Clarimonde et du Chef de l'Obsidienne…
« Ne me lâche pas, glisse-t-il à June, si on est séparé là-dedans, ça va vite devenir compliqué. »
Si ça arrive, il ne l'attendra pas et filera vers les guetteurs, mais tout de même… L'elfe jette des coups d'œil de tous les côtés mais peu importe où il regarde, la situation est la même. Autant essayer de jouer des coudes ou bien se marcher les uns sur les autres directement.
« Il y a des gens que tu veux appeler ? Parmi tout ce monde-là, il y a bien de la famille qui doit te chercher, non ? »
Il y a surtout une foule terrifiée en train de prendre la suite. Presque. L'œil aigue-marine de Nelladel accroche la silhouette pressée d'une sirène aux cheveux nacrés, vêtue d'une longue robe couleur parme. L'air inquiet, les sourcils froncés, elle tente d'aller contre le courant, ses yeux rivés sur un détail ou une personne qu'elle semble être la seule à voir.
Perplexe, Nelladel la regarde passer avant de l'oublier et de tirer June vers les portes de la cité.
Mais malgré elle, June tire dans l’autre sens. Elle aussi à vu la sirène, et un réflexe la force à s’arrêter pour la rejoindre. Il ne faut pas aller par là, c’est trop dangereux, et personne ne semble lui prêter suffisamment attention pour la prévenir. L’esprit embrumé, June agrippe la main de Nelladel pour ne pas le lâcher, et se détourne des portes pour se diriger vers la civile. Elle se sent pressée de tous les côtés, ses yeux améthystes accrochant sa cible sans les lâcher pour ne pas la perdre. Dans ces moments-là, sa petite taille est un sacré désavantage, car nombre de ceux qui la bousculent ne prêtent même pas attention à elle. June se sert de sa main libre pour repousser les corps, tandis que l’autre tire sur celle qu’elle tient toujours, bien consciente que ce n’est pas du tout la direction dans laquelle Nelladel essaie de l’entraîner.
« Qu'est-ce que tu fais ? » lui crie l'elfe par-dessus les éclats de voix.
Il ne comprend pas pourquoi June fait subitement demi-tour et quand il regarde plus loin, il aperçoit la sirène qui continue son chemin. Nelladel s'arrête et tente de faire revenir la jeune femme à la raison. Son cœur s'accélère quand il pense aux portes qu'il doit absolument rejoindre et au bateau sur lequel il doit monter.
Tant pis pour le cartel. Il ignore ce que sont devenus Titan, Gabrielle, Fawkes, Fuya… Sexta que June a appelé "la folle à la machette". Tant pis, il n'y a plus le temps.
« Laisse-là, il faut filer !
- Mais elle va dans la mauvaise direction ! »
Elle crie, elle aussi, et continue de l’entraîner avec elle. Un réflexe probablement aussi bête que celui qui la pousse à rattraper la sirène, mais elle ne pense même pas à lâcher ses doigts.
« On peut pas la laisser aller par là ! grimace-t-elle dans la cohue. C’est dangereux ! »
Ils peuvent l’arrêter avant qu’elle n’aille vers les combattants, et s’il peut y avoir un blessé de moins, alors ce sera mieux pour tout le monde. Elle ne comprend pas pourquoi l’elfe ne saisit pas ça !
« Et alors ? Tu veux sauver tout le monde ? réplique Nelladel, essaye déjà de te sauver toi-même ! »
Pendant qu'il parle, la sirène emprunte la direction du port et disparaît dans les rues qui bordent le refuge. Ce qui est sûr, c'est qu'elle sait où elle va. Ou plutôt : elle suit quelqu'un. Sa démarche ne souffre d'aucune incertitude et son pas est pressé.
Nelladel reconnaît qu'il est un petit peu curieux mais en cet instant, ce n'est pas ce qui est important.
« Il faut qu'on se sorte de là ! Tu veux finir comme ton Chef ou le Second de l'Ombre ? » lance Nelladel à June d'un ton agacé.
Piquée au vif, la jeune femme ouvre la bouche, la referme, lance un regard vers l’endroit où vient de disparaître la sirène puis revient à l’elfe. Ses joues se couvrent de plaques rouges, alors qu’elle fronce les sourcils pour le gratifier d’un regard où la honte se mêle à la colère.
« Et elle, tu veux qu’elle finisse comme eux ? réplique-t-elle. Si elle meurt et qu’on l’a pas aidé, tu pourras vivre avec ? »
Elle le pointe du doigt, les yeux rivés sur les siens, et secoue ses mèches cendrées : peu importe qu’il la prenne pour une incapable, mais pour une idiote, sûrement pas.
« Toi tu t’en fiches, tu le sauras jamais, puisque tu seras parti avant ! J’ai bien compris que tu voulais aller vers les portes pour t’en aller, et que les gardiens te rattrapent pas ! Je sais pas qui t’es, et pour l’instant, je m’en fiche, et je te retiendrais pas si tu veux t’enfuir ! »
De toute façon, elle en serait bien incapable dans son état, et puis si le sosie du chef Sequoïa veut disparaître, ce n’est vraiment pas son problème le plus urgent. Mais elle habite Eel, et elle connaît la sirène qu’elle a déjà vu en ville. June sent sa gorge se serrer à l’idée que, peut-être, sûrement, quand ils feront les comptes des morts et des blessées, certains visages qu’elle avait l’habitude de croiser au marché, pendant ses patrouilles ou même certains de ses camarades gardiens n’ouvriront plus jamais les yeux.
Elle écrase la main de Nelladel sans s’en rendre compte, et sa voix vacille un peu quand elle reprend son souffle.
« Et puis d’abord, va falloir que tu trouves un truc pour cacher tes cheveux et passer les portes, parce que, tu m’excuseras, mais pour un type qui veut s’enfuir, t’es pas super discret !
- Parce que tu crois que les guetteurs en auront quelque chose à faire de mes cheveux ? Tu sais où on se trouve au moins ou l'explosion t'as grillé la cervelle ? » s'emporte Nelladel.
À l'image de June, ses joues sont devenues rouges. Il a bien envie de cracher que des morts sur la conscience, il en a. Il pense à tous ces humains qui ont atterri et sont morts à Eldarya à cause de lui ou même à ses anciens collègues brigadiers qu'il a dû laisser aux prises avec des spectres pour sauver sa vie. Alors la sirène en train de s'en aller de son plein gré, qu'est-ce que ça peut lui faire ? Est-ce que tous les gardiens d'Eel se prennent pour la Capitaine à vouloir jouer les héros ?
Nelladel est à deux doigts de la planter au beau milieu des civils en train de fuir, quand un cri retentit. Plus proche, plus faible… L'elfe écarquille ses yeux aigues-marines. Il blêmit, pense avoir rêvé et aurait préféré que ce soit le cas, mais il doit se rendre à l'évidence : toutes les fées n'ont pas rejoint le bateau.
Nelladel serre la main de June en sentant l'agacement l'emporter de plus belle, et marmonne un juron.
Est-ce que c'est ce que la sirène a vu ? Est-ce que c'est ce qu'elle est en train de suivre ? Une fée ? Laquelle ?
D'un geste brusque, l'elfe se met à marcher en tirant June, bousculant quelques personnes qui le traitent de fou, quand d'autres l'appellent "Chef Séquoïa" avec étonnement, leurs yeux ronds.
« Tu as entendu ce que j'ai entendu ? Puisque tu veux tellement rattraper ta petite sirène, on va y aller. Mais on va sûrement découvrir une autre petite surprise avec des ailes, si tu vois ce que je veux dire… Ça a crié. »
Nelladel plonge son regard dans celui de June et achève :
« Et de ce que j'ai entendu, ça a crié parce que ça a peur. »
Elle trébuche quand il se met brutalement à marcher, surprise par son changement brutal de décision. Elle est obligée de trottiner pour se maintenir à sa hauteur, et voudrait lui siffler qu’elle aussi, elle a peur, mais qu’elle ira quand même. Elle veut aussi lui dire que c’est une raison supplémentaire, parce qu’ailes ou pas, si quelqu’un a peur, il faut aller l’aider, mais à la place, elle se contente de pousser ceux qui l’empêchent d’avancer.
Ses yeux quittent Nelladel pour sonder le sol autour d’eux, essayant de repérer l’éclat d’une lame. Une épée pourrait lui être utile, ou même un simple bâton, elle avisera avec. Alors qu’ils continuent de fendre la foule dans la direction qu’à prise la sirène, elle finit par trouver ce qu’elle cherche. Sans lâcher l’elfe, elle se baisse pour attraper le manche d’une courte épée que quelqu’un a laissé tomber là - ou a perdu, elle n’éprouve aucune envie de le savoir - et elle la ceint à sa hanche en défiant son compagnon de faire le moindre commentaire.
Malgré elle, June accélère. Maintenant qu’ils vont dans le même sens, avancer se révèle plus facile et elle ne quitte pas des yeux l’endroit qu’ils visent.
Plus ils marchent, plus le décor semble décliner. Le port est pourtant loin du Quartier Général, mais les ravages causés par Candice et Leiftan ne l'ont pas épargné. Les auberges, les magasins de textile, les herboristes… Leurs boutiques souffrent du chaos et même les flots calmes portant les bateaux amarrés font triste mine.
Pourtant, la sirène est là, occultant le bruit et les combats pour chercher quelqu'un. Elle a l'air beaucoup trop calme pour une faelienne se trouvant à l'orée du désastre et Nelladel, qui en a assez de courir les rues d'Eel alors que les portes de la cité l'attendent, à presque envie de la confronter pour lui demander ce qu'elle vient chercher ici, si ce n'est la folie.
Mais lui aussi, a entendu. Le cri.
Pourtant, il n'y a plus rien en dehors de ceux de Candice et d'ailleurs, en tendant l'oreille, Nelladel peut aviser qu'ils commencent à faiblir, mais il n'a pas envie d'y penser pour le moment.
« Je suis sûr d'avoir bien entendu. » souffle-t-il.
Il n'a pas rêvé. Là, sur la place du port, alors que le tumulte ne semble pas les atteindre pour le moment, une fée pousse un cri. Ce n'est pas un appel au combat, ce n'est pas un concentré de rage, non : c'est empli de détresse et c'est presque brisé par le chagrin.
Ça, c'est ce que suit la sirène aux cheveux nacrés et c'est ce qui l'a menée au port. Dès qu'elle l'entend, elle se précipite dans sa direction et commence à chercher. Elle ignore que June et Nelladel la suivent alors qu'elle se dirige vers le marché, sauf qu'à défaut de voir des échoppes, même détruites, il n'y a que des débris. Des bâtisses se sont effondrées les unes sur les autres, créant des barrages incontournables pour qui ne sait pas voler. Les pieds de l'elfe et sa compagne d'infortune butent contre des gravats, écrasent du métal, de la pierre et du bois, jusqu'à se figer.
Recroquevillée au milieu de ruines, il y a une fée qui est à genoux, les bras serrés autour de sa maigre poitrine. Sa peau de craie est sale, couverte de crasse et de terre et des mèches de cheveux saphir s'échappent de son chignon. Son visage brisé lance des regards larmoyant vers un amoncellement de murs, de sols et de plafonds alors que, par intermittence, elle semble lui lancer des appels désespérés.
La sirène trottine vers elle, puis s'arrête. Elle la regarde en portant une main à sa poitrine, alors que dans un murmure, elle prononce son nom. Celle qu'elle a déjà rencontré il y a quelques années quand elle parcourait l'Ulcère pour aller toiletter le ciralak du fils Alfirin, et celle qu'elle a revue il n'y a pas longtemps lors d’une audience.
« Delta Milliget… » souffle Alajéa.
En la voyant, June marque un temps d’arrêt, puis décrète que la fée à l’air nettement moins dangereuse que le monstre qui lui a fait exploser un mur dessus. Toutefois, elle décide de se montrer prudente et avise la sirène qui semble connaître la créature. La jeune femme songe que beaucoup de gens ont l’air de savoir beaucoup de choses, alors qu’elle n’a absolument aucune idée de ce qu’il se passe…
Elle se tourne vers Nelladel et désigne la femme du menton, un peu crispée.
« Je crois qu’elle a besoin d’aide, mais puisque tu sembles bien les connaître, si je m’approche, elle va essayer de me tuer ? » demande-t-elle à mi-voix.
Elle préfèrerais n’avoir pas fait tout ce chemin pour rien, mais elle préfèrerais encore plus rester en vie, alors avant d’apostropher la sirène et la fée pour leur signifier qu’il vaudrait mieux retourner vers les portes, elle s’assure que c’est sans danger.
Mais Nelladel est bien trop abasourdi pour lui répondre. Que fait la mère de la famille Milliget ici et que lui est-il arrivée ? L'elfe suppose qu'elle se soit trouvée prise dans le combat entre Candice et Leiftan mais si c'est le cas, qu'à-t-elle appris ? Pourquoi est-elle venue ? Est-ce que Sira a dit quelque chose ? Où est-il ?
Nelladel ferme brièvement les yeux et se reprend. Ses mains se mettent à trembler alors que dans son esprit, il sait ce qu'il a à faire : il doit amener Delta sur le bateau. Si Candice s'en sort et que quelque chose arrive à sa mère, Nelladel sait que ce n'est pas une trompe dans l'épaule, qu'il recevra…
Le calme commence à s'étendre dans sa poitrine alors que sa nouvelle mission est limpide : amener Delta sur le bateau et au passage, laisser June et la sirène aux mains des guetteurs, ou bien… Il ouvre de grands yeux.
Non.
Candice s'en sortira. Il doit s'en sortir et la mission principale continue… Il réalise. Le grand morgan ou le vainqueur des sélections auxquelles il a assisté. Et sa fille. Sa fille qui doit être envoyée dans le palais d'Odrialc'h avec son frère…
Quel idiot ! Quel imbécile de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt !
Que le cartel s'en sorte ou non, ça ne change rien, même si Nelladel prie pour que Titan ne pas meurt ici, à Eel, dans une tragédie aussi stupide.
Attirant June à l'écart, l'elfe lui explique d'un débit rapide :
« Toutes les fées ne sont pas comme celle qui nous a attaqué. Celle-là est pacifique. Tu étais à la Baie Cobalt avec le Second de l'Ombre quand tu m'as fichu en isolement, tu t'en souviens ? Tu gardais leur bateau. Il faudrait pouvoir la ramener là-bas, auprès de sa famille qui y est sûrement. La sirène va venir avec nous et on la laissera aux portes de la cité avec les guetteurs. Tu te sens capable de faire ça ? »
Et une fois arrivés au bateau… Il lui suffira de maîtriser June et de l'assommer avant d'attendre patiemment le retour de son maître. Il reviendra.
June plisse ses yeux violets, en essayant de savoir si elle peut lui faire confiance ou non. Son regard navigue entre l’elfe, la sirène et la fée, alors que son esprit tourne à plein régime. Elle est fatiguée, mais elle a de nouveau une arme et s’il suffit d’escorter les deux femmes dans la ville, elle devrait s’en sortir. Pourtant, ses lèvres se crispent. Nelladel a soudainement l’air de maîtriser la situation, ou du moins d’être nettement plus sûr de lui qu’avant, et elle ne sait pas si elle doit apprécier l’idée ou non.
Finalement, avec un grognement agacé, June hoche la tête avant de l’attraper par le bras pour le forcer à se mettre à sa hauteur.
« D’accord, mais crois pas que je suis stupide. Mon père veut savoir qui tu es, mais je peux décider que je m’en fiche. Je veux ta parole que tu essaieras pas de me faire un coups bas, parce qu’autrement, je hurle et tout le monde saura que le sosie du Chef Sequoïa se balade dans la ville. On est d’accord ?
- Qu'est-ce que tu veux que je fasse dans cette situation ? »
Hormis l'emmener hors de la cité d'Eel et l'arracher à sa famille parce que la cheffe d'un cartel a décidé qu'elle serait parfaite pour infiltrer le grand palais d'Odrialch', via le corps armée. Si elle a de la chance et que Nelladel le peut, son frère la rejoindra aussi.
Lui donner sa parole qu'il n'essaiera pas de lui faire un sale coup ? Non, il ne peut pas le faire. Il le pourrait s'il était une ordure comme Leiftan, mais il n'est pas ainsi. Ou peut-être que si ? Après tout, il prépare un enlèvement et peut-être deux, alors quand il aura les mains sales, il pourra regarder June dans les yeux et se dire que ce n'est pas grave, parce que la mission principale est importante. Trop importante pour regretter un acte.
Nelladel se mord la lèvre, jette un coup d'œil à Delta, la sirène, puis June… Son esprit se tord dans tous les sens, il avise l'endroit, capture le décor comme il avait l'habitude de le faire au Ragnarok, quand les spectres rôdaient, puis se décide.
Il peut le faire maintenant. S'il fait comprendre à Delta qu'il reconnaît sa souveraineté originelle, s'il lui parle dans sa langue pour qu'elle le suive jusqu'au bateau… il peut maîtriser June tout de suite, mettre la sirène en lieu sûr sur le chemin du retour et partir. Il transportera la jeune faelienne jusqu'aux portes de la cité, fera semblant de vouloir la ramener auprès de sa famille en disant qu'il l'a trouvée inconsciente sur son chemin et Nelladel sait que parmi les guetteurs débordés, trouver une faille ne sera pas difficile. Sans compter que le fils Ael Diskaret sera à portée de main.
Il peut y arriver !
Nelladel fait quelques pas et marche vers Alajéa. Quand la sirène l'entend, elle se retourne et écarquille ses yeux dragés :
« Chef Séquoïa ! Vous n'êtes pas au camp des soigneurs ?
- Tu fais erreur sur la personne. »
L'elfe se plante devant elle, un sérieux sans pareil sur le visage. C'est maintenant. Son maître se bat et la mission principale continue. Malgré le chaos, il doit au moins pouvoir réussir une partie de cette fameuse mission et si le cartel est plus faible que ce que Nelladel et son maître pensaient, alors tant pis : ce sont eux qui enverront June et son frère au grand palais d'Odrialc'h.
Agile, Nelladel assomme la sirène d'un coup à l'arrière du crâne et la regarde s'effondrer. Sa chute a au moins le mérite d'attirer l'attention de Delta dont le regard quitte le mur qui la sépare d'un de ses enfants. Nelladel sait qu'elle va se ramasser sur elle-même pour devenir menaçante, mais il la laisse faire et quand sa mâchoire menace de se disloquer pour faire sortir sa trompe, il se met à parler la langue des fées.
Surprise, Delta se fige.
«Hakhalma»
June, elle, regarde la sirène inconsciente, puis l’elfe et la fée. Finalement, elle aurait mieux fait de faire semblant de n’avoir rien vu… La jeune femme hésite une seconde, une toute petite seconde, parce qu’elle est tout de même venue pour essayer de protéger Alajéa. Mais quelque chose lui dit que si Nelladel veut l’assommer aussi, elle aura beaucoup plus de mal que sur les quais à le maîtriser.
Alors, avec une excuse muette à l’attention d’Alajea, elle tourne les talons et se met à courir. Et alors que ses muscles protestent contre cette course imprévue, June oublie de respirer pour mettre sa menace à exécution.
« Prévenez le Chef Séquoïa, à l’aide, un elfe se fait passer pour lui, il s’appelle Nelladel, s’époumone-t-elle de toutes ses forces sans cesser de courir. »
Pour une fois, sa voix aiguë lui est utile, parce qu’elle se sait capable de hurler par-dessus le vacarme, et de peut-être attirer quelqu’un dans la zone où elle se trouve. Et si l’autre s’avise de la rattraper, alors elle braillera plus fort encore.
D'ailleurs, Nelladel ne se fait pas prier : il crie à Delta de se mettre à l'abri jusqu'à ce que son enfant puisse vaincre son ennemi, puis il court après June et la rattrape sans difficultés. Pas de chance pour la jeune femme, elle a à faire à un ancien brigadier qui a appris à fuir les spectre pour protéger sa vie, alors elle n'ira pas loin.
Nelladel l'attrappe par les épaules, puis les bras et la retourne avec des gestes brusques pour lui faire face :
« Laisse tomber, gardienne, tu n'iras pas bien loin. Je t'arrête pour tentative de fuite à ta mission principale. Celle que quelqu'un, dans l'ombre, t'as confiée. »
Derrière l'elfe, Delta se lève et commence à fouiller parmi les débris afin de retrouver son voile hivernale, sa peau livide se couvrant de sueur et ses cheveux collant à ses tempes. L'une de ses maigres mains s'égare sur le mur qui la sépare de Candice et elle lui lance des regards implorants, comme s'il pouvait daigner s'écarter pour la laisser le rejoindre.
« Je suis désolé, reprend Nelladel, ça aurait pu être quelqu'un d'autre, mais c'est tombé sur toi. C'est pour ton bien et celui des autres. »
Elle lui répond d’un violent coup de tête, alors qu’elle fait de son mieux pour se débattre de toutes ses forces. Elle remue, frappe, mord et continue de hurler aussi fort qu’elle le peut, avec des gestes aussi furieux que ses yeux.
« Lâche-moi, espèce d’enflure, oreilles pointues, jumeau maléfique, mangeur d’écorce, crevure, laquais, pauvre type, Chef Séquoïa, l’elfe s’appelle Nelladel ! »
Elle crie d’une voix plus stridente qu’un sifflement, presque sans reprendre son souffle alors que ses pieds, son menton et son buste continuent de repousser l’elfe aux cheveux bleus. Elle se fiche bien de ce qu’il raconte, il est hors de question qu’elle le suive et si elle doit écouler pour ça toutes les insultes de son répertoire fourni, elle ne va pas se gêner.
Nelladel peste en se massant le front, mais redouble d'ardeur pour maîtriser June, les dents serrées et faisant tout son possible pour pouvoir l'assomer comme il l'a fait avec Alajéa mais la jeune femme se débat comme un black dog pris au piège.
Derrière lui, Delta est parvenue à récupérer son voile qui se trouve dans un triste état, mais bien loin de se mettre à l'abri, elle déploie ses ailes pour franchir le mur et rejoindre son fils. Nelladel manque de crier, de jurer, mais c'est trop tard : il a choisi. Il a voulu accomplir la mission originelle et maintenant, il doit partir avec June à tout prix.
« Laisse tomber ! s'exclame-t-il, tu crois qu'il va t'entendre ? »
Sa couverture est déjà ruinée, son prénom n'est plus un secret, mais s'il peut s'en aller d'ici, s'il peut éviter ce face à face qui le hante comme une confrontation avec le spectre du Ragnarok le plus puissant…
Nelladel lutte contre June, s'acharne, tente de faire tomber la jeune femme mais après quelques minutes, ses cris ont porté leurs fruits. Un coup d'œil et Nelladel voit plusieurs silhouettes au tuniques azurées envahir le port par le chemin que lui et June ont emprunté plus tôt.
Grimaçant, son cœur battant à tout rompre, il ne peut que constater que cinq guetteurs se précipitent vers eux, armés de leurs arcs.
« June ! » s'écrit Balam quand il reconnaît la gardienne de l'obsidienne.
L'elfe noir et ses collègues, alarmés face à la situation, n'hésitent pas une seconde avant de fondre sur Nelladel pour l'immobiliser, mais l'elfe n'est pas stupide : il sait qu'il ne fera pas le poids contre eux, alors il décide de se carapater, quitte à contourner le mur effondré pour plonger de nouveau dans le chaos.
Balam, lui, s'approche d'Alajéa pour vérifier son poul et sa respiration. Puis, levant son regard opaque vers June, il lui demande, inquiet :
« Plusieurs civils nous ont dit que le Chef Sequoïa se dirigeait vers le port avec une gardienne de l'obsidienne. Mais je savais que c'était impossible, puisque le Chef Sequoïa a monté le camp des soigneurs, près du Quartier Général, avec la docteure Osgiliath. Qu'est-ce qu'il s'est passé, June ? Est-ce que tout va bien ? Qu'est-ce qui est arrivé à Alajéa ? »
La jeune femme tousse pour reprendre son souffle et frotte ses bras douloureux en grimaçant. L’elfe n’y est pas allé de main morte…
« Aucune idée. » grogne-t-elle.
En quelques mots rapides, elle lui raconte comment Nelladel l’a aidée à sortir des décombres, et comment il l’a guidée à travers la ville. Ses mains viennent agripper ses mèches sales et elle désigne Alajéa du menton.
- Je l’ai vue remonter la foule, alors j’ai voulu la suivre, il était pas d’accord puis il a changé d’avis. Il y avait une fée, une femme avec des cheveux saphirs, elle avait l’air terrorisée. Il lui a dit quelque chose dans leur langue, mais j’ai pas vu la suite, j’ai essayé de partir et de hurler pour attirer quelqu’un. Je sais pas qui est ce type, juste que c’est le portrait craché du Chef Sequoïa et qu’il s’appelle Nelladel… et qu’il a une sacrée poigne, grimace-t-elle presque sans reprendre son souffle.
Et soudain, elle écarquille les yeux et attrape Balam par le bras, en oubliant complètement Nelladel et le reste.
« Oh, Balam ! Il faut que vous alliez aider le Conseiller et papa, ils se battent contre une fée, et le Chef Batatume est blessé, et Rose Clarimonde aussi ! J’ai rien pu faire, j’ai essayé, mais ça servait à rien, et j’ai eu peur alors j’ai voulu aller chercher de l’aide et… »
Le guetteur ouvre de grands yeux. La situation est critique et si Joseph est en train de se battre contre une fée avec le Conseiller, qui peut prédire comment ça va se terminer ?
Puis Valkyon, le Second de l'Ombre… Balam lève les yeux vers les cieux. La nuit est tombée depuis longtemps et les flammes se reflètent sur le ciel nocturne avec une allure morbide.
Balam fronce les sourcils :
« Pourquoi la Garde de l'Ombre ne déclenche pas d'attaque à distance ? » se demande-t-il.
Nevra aurait dû réunir ses maîtres des arcanes, ses archers et ses inspecteurs capables de combattre à mi-distance comme Rose Clarimonde ou Enthraa Kellerman. Mais rien.
Balam ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais ses collègues reviennent vers lui et June, essoufflés, arguant qu'ils n'ont pas retrouvé l'elfe ressemblant au Chef Sequoïa.
« Cette vermine a dû se glisser entre les décombres ! peste un bröwnie aux oreilles bovines, mais s'il remonte vers le Quartier Général, il sera vite bloqué et on l'aura !
- Certes, répond Balam, mais pour le moment et même si nous ne sommes qu'une poignée, nous devons coordonner une attaque à distance et nous préparer à nous battre contre une fée. »
À cinq guetteurs, ils ne vaudront jamais l'efficacité des gardiens de l'Ombre, mais si la fée en question prend son envol, ils peuvent toujours la toucher s'ils sont bien préparés.
Se tournant vers June, il ajoute en désignant le mur effondré du doigt :
« Tu disais qu'une fée aux cheveux saphirs était partie derrière ce mur ? Tu disais aussi qu'elle avait l'air terrorisée, alors j'imagine que ce n'est pas elle qui s'est battue contre ton père et le Coneiller. À quoi ressemble celle que nous devons chercher ? »
June secoue la tête pour confirmer, puis elle ferme les yeux pour se rappeler du monstre. Elle l’a vu, dans ses moindres détails quand il a essayé de la dévorer avec sa trompe. Alors, d’une voix pressée par l’urgence qu’elle s’efforce de maîtriser, June se concentre aussi fort qu’elle le peut.
« Elle a… les cheveux châtains clairs, et les yeux clairs aussi, elle porte une robe bleue et c’est elle qui cause les explosions, récite-t-elle. De toute façon, vous pourrez pas la rater, elle était blessée à cause du feu… »
Elle sent le soulagement l’envahir à l’idée que Balam prenne les choses en main. Au moins, sa mésaventure en compagnie de Nelladel aura eu le mérite d’aider son père…
Le guetteur retient tous les détails qu'il lui donne. Bien. Il devrait reconnaître cette fée sans problèmes et faire tout son possible pour l'arrêter, en compagnie de ses collègues.
Balam attrape son arc et vérifie le contenu de son carquois. Il sait qu'il dispose de toutes les flèches dont il aura besoin, mais il veut tout de même s'en assurer. Il n'est pas gardien de l'Ombre et il sait qu'il fera face à un ennemi qu'il devine puissant.
Ses collègues se tiennent prêts puis, rivant ses yeux opaques sur June, il lui déclare :
« Occupe-toi d'Alajéa et regagne les portes de la cité. Ta mère et ton frère sont déjà en sécurité à Albacore et tu y seras également conduite. Tu devras porter Alajéa et j'en suis désolé, mais nous devons tous continuer pour tenter de retrouver ton père et le Conseiller. Est-ce que tu te sens capable de retourner aux portes de la cité avec Alajéa ? »
Elle hausse les épaules. De toute façon, elle peut difficilement laisser la sirène avachie par terre, et même si elle s’inquiète énormément pour son père, elle n’a aucune envie de repartir dans la même direction que les guetteurs. Elle répond qu’elle se débrouillera, et adresse un sourire tremblant à Balam.
« Faites attention, la fée est sacrément dangereuse. Et… merci, Balam. »
Elle aurait bien voulu lui dire de sauver son père, mais ça aurait été affreusement puéril, alors elle espère qu’il l’aura compris au regard qu’elle lui lance. June trottine jusqu’à la sirène, la soulève par le bras et grimace sous son poids. Les prochains jours risquent d’être compliqués pour l’obsidienne, dont le corps proteste au moindre mouvement.
« Allez, siffle-t-elle entre ses dents. Avec un peu de chance, on croisera cet abruti d’elfe sur la route, et on lui rendra la monnaie de sa pièce. »
Balam la regarde s'éloigner, quitter le port et quand c'est chose faite, il se retourne vers le mur. Lui et ses collègues doivent le contourner et rejoindre le Quartier Général s'ils veulent espérer trouver Joseph et le Conseiller. Ils se tiennent prêts.
Le bröwnie aux oreilles bovines dit quelque à propos des gardiens de l'Ombre qui ne daignent pas se montrer et attrape son arc lorsque soudain, cinq paires d'yeux se rivent vers le mur effondré.
Les guetteurs le regardent à la dérobée alors que des bruits se font entendre ou plutôt, des espèces de borborygmes. Puis on cogne. On cogne de plus en plus fort, coupant la respiration d'une victime malheureuse, arrachant des cris de souffrance et de colère.
Une promesse est crachée par une bouche rageuse et Balam sent un frisson courir sur sa peau quand il entend une voix gronder "qu'il le suspendra par les tripes en plein soleil".
Mais le mur continue d'être malmené. À présent, des pleurs se font entendre, mais on continue de cogner et enfin, la pierre vole en éclat.
Balam n'a que le temps de faire un pas de côté pour éviter un débris et quand, d'un mouvement leste, il se tient prêt à se battre, son regard plonge dans les yeux aciers d'un prédateur en train de tenir fermement sa proie.
Prédateur qui se ramasse dangereusement sur lui-même en le défiant de la lui reprendre et pour la première fois depuis longtemps, Balam craint de ne pas pouvoir regarder le jour se lever, dans quelques heures.Par Damnox, âmes sensibles s'abstenir !
Quelques secondes de réflexion pour une décision qui changera tout. Qui tuera ou épargnera, qui condamnera ou absoudra et ça, ce n'est pas quelque chose que Yüljet peut prendre à la légère.
Quand elle regarde Miiko Yamamura, elle ne voit pas une faelienne en détresse, coincée sous des décombres et dont le bras s'agite comme un appel à l'aide, non : elle voit un outil. Un outil entretenant une ignoble machination que le cartel doit absolument combattre pour mettre un terme à la conquête terrienne et en sortir victorieux.
Combien d'humains mourront parce que Miiko Yamamura aura appliqué les ordres qui lui ont été donnés ? Combien de fées captives mourront à cause de la dirigeante de l'Étincelante ? Combien de faelien miséreux, le bas-peuple ou la plèbe aux yeux de la kitsune, seront envoyés au Ragnarok pour y mourir parce qu'elle a choisi son camp ?
Alors quand Mery lui demande si elle va l'aider, Yüljet a envie de refuser. Pourtant, elle commence à marcher vers Miiko Yamamura pour aviser les deux lourds morceaux de débris qui l'entravent. Elle est parfaitement capable de les déplacer. Elle a la force nécessaire pour le faire.
Et après ? Si la dirigeante de l'Étincelante s'empresse de courir vers son Conseiller pour l'aider à vaincre Candice, Titan se sentira complice de sa défaite. Elle joue à un jeu dangereux et elle le sait.
Pense. Pense bien, ça rendra service à tout le monde.
Dans son esprit, la voix tranchante d'une Sexta de sept ans plus jeune résonne comme une menace.
Pense bien.
Oui, Yüljet a appris à le faire car un seul faux pas peut lui coûter le cartel et en cet instant, dans cette Eel rouge de feu et de sang, il est déjà en danger.
Mery la regarde de ses grands yeux d'ambre et Titan s'accroupit avec lenteur, face à Miiko qui la regarde comme si elle était un mirage.
Certes, n'importe qui se serait précipité pour l'aider.
Sans un mot, la cheffe du cartel des Typhons lève les bras et commence à libérer la kitsune de ses entraves :
« J'ai de la chance que vous soyez passée par le quartier Rutilant, dit-elle d'une voix éraillée par la poussière.
- Une chance que l'enfant qui est avec moi vous ai vu, surtout. »
Miiko rive son regard azuré sur Mery, resté à l'écart, mais n'ajoute rien. Le ton de sa sauveuse est sûrement bien trop ferme pour quelqu'un qui vient apporter son aide à la dirigeante de la l'Étincelante, mais Titan s'en moque. Une fois qu'elle a fini son labeur, elle se recule et observe son œuvre : la kitsune, à présent libre de ses mouvements, se redresse péniblement.
Miiko ne porte pas son uniforme, aujourd'hui. Yüljet l'imagine sans mal au cœur de sa grande demeure qui est peut-être l'équivalent de trois ou quatre petites maisons du refuge, en train de siroter une boisson terrienne, inaccessible pour ceux qui ne deviennent pas les larbins d'Odrialc'h, par exemple.
La dirigeante de la Garde Étincelante porte une robe de soie d'or et d'ocre, brodée d'ornarks aux yeux rougeoyants comme des rubis. Malheureusement, certains d'entre eux ont été lacérés par la catastrophe, dévoilant les jambes blessées d'une kitsune qui peine à se mettre debout. Ses quatre queues fouettent l'air en des mouvements désordonnés alors que ses longs cheveux noirs coulent tristement sur sa silhouette blessée.
Miiko tousse, la gorge sèche, et si son visage trahit la douleur que son corps lui communique, elle se reprend pour arborer son rôle. Elle lève la tête pour scruter les cieux et comme pour lui apporter ce qu'elle cherche, Candice se met à crier.
Titan voit Miiko frissonner, ses traits se briser en une mélange de peur et de surprise le temps d'une seconde avant de demander d'un ton qu'elle veut maîtrisé :
« Que s'est-il passé ? »
Selon Yüljet, la bonne question est : Pourquoi personne n'est venu me chercher ?.
Quand la cité est en train de tomber, la dirigeante de la Garde Étincelante devrait être sur le terrain, auprès des gardiens et de leurs Chefs. Peut-être que le quartier Rutilant s'est transformé en champ de ruines beaucoup trop vite ou bien que quelqu'un n'a pas envie que Miiko puisse se confronter à Candice avant que Leiftan ne soit tué.
« Tout ceci, répond Titan, c'est l'expression de la rage d'une fée. »
Quand elle prononce le mot "fée", Yüljet voit une étincelle briller dans les yeux de la kitsune. Elle doit se demander pourquoi un membre de la famille Milliget causerait ce genre de désastre, surtout si elle sait ce qui l'attend en tenant tête à un Docteur Bec.
La mâchoire de Miiko se contracte, puis elle demande si les Chefs de Garde ont été vus :
« Moi j'ai vu celui de l'Obsidienne ! s'exclame Mery en trottinant jusqu'à elle, mais il était blessé, comme le chef-en-dessous de l'Ombre, mais il a été sauvé. Par contre je n'ai pas vu son Chef à lui, ni celui de l'Absynthe. Juste le Conseiller est en train de se battre contre la fée, et…
- Où tu allais ? le coupe Miiko, tu as été séparé d'un proche ? »
Perplexe, Titan écoute Mery, presque penaud, raconter à la dirigeante de l'Étincelante comment il essaye de rejoindre sa mère qu'il sait au marché. Elle se trouvait là-bas avant que la première explosion sonne le glas de l'Eel rouge, alors il a voulu s'y rendre. Mais il a dû faire face aux ruines et à la rage d'une fée qu'il prenait pour un monstre, puis à ses cris stridents qu'il entendra encore même quand elle ne sera plus là.
Désignant Yüljet du doigt, il achève :
« Elle, je la connais alors j'ai été content de la voir. On va aller au marché ensemble.
- Vous devriez plutôt vous diriger vers les portes de la cité, lui intime Miiko, les guetteurs ont dû déployer la procédure d'urgence pour la protection des civils. Si ta mère était au marché, alors elle a dû être évacuée et si ce n'est pas encore le cas, elle le sera. Inutile de vous mettre en danger et de prendre le risque de vous faire attaquer.
- La fée n'attaque personne d'autre que celui qu'elle combat, affirme Titan, ce sont les explosions qui ont blessé les citoyens.
- Et qui les a provoquées ? »
Yüljet plonge son regard onyx dans les yeux bleus de la kitsune. Miiko la jauge, peut-être curieuse ou bien confuse de se trouver face à une troll, victime desdites explosions, en train de défendre le monstre en train de hurler, sans savoir qu'elle se trouvait avec lui plus tôt.
Titan hésite, mais bien décidée à ne pas gâcher le sauvetage dont elle est l'auteure, elle demande :
« Pourquoi un Milliget s'en prendrait au Conseiller ? »
Face à sa question, Miiko semble se braquer. Quand elle répond qu'elle le découvrira quand il sera capturé, son ton affirmé sonne faux. Yüljet n'est pas dupe. D'ailleurs, Miiko n'est même plus avec elle et Mery, non : son esprit est ailleurs, auprès de Leiftan peut-être, ou bien des Chefs qu'elle veut absolument retrouver car elle a des ordres à leur donner. Et si ces ordres peuvent mettre le plan de Candice à mal, alors Titan va s'assurer qu'ils ne quitteront jamais la bouche de Miiko.
La kitsune fait quelques pas, claudiquant, les lanières de ses sandales presque arrachées lui donnant l'allure d'une faelienne de la haute société ayant assisté à un bal chaotique.
Yüljet sent Mery s'accrocher de nouveau à son manteau labouré mais, résolue, elle lui glisse de l'attendre puis rejoint Miiko en l'attrapant par l'épaule.
« Vous devriez remercier celle qui vous a aidé. » argue-t-elle d'une voix ferme.
La kistune se retourne. Elle ne le voit pas. Elle ne voit pas la troll qui lui fait face, car ses yeux sont déjà avides de découvrir un combat qu'elle ne peut qu'imaginer.
Que la grande faelienne et l'enfant aillent se mettre en sécurité pendant qu'elle, dirigeante de la Garde Étincelante, devra cheminer jusqu'au cœur de la catastrophe.
Elle n'a pas le temps pour eux. Pas même pour un merci.
« Vous avez ma gratitude, répond-t-elle cependant, mais vous devriez vous dépêcher. Je dois aviser la situation de mes propres yeux.
- Alors j'espère que vos yeux sont bons, réplique Yüljet, ne me faites pas regretter mon geste. »
Voilà. L'esprit de la kitsune est revenu dans l'instant présent et quand elle regarde Titan, cette fois, c'est avec une curiosité mal contenue.
Qui est-elle pour lui demander de juger correctement une situation d'extrême urgence ? Le constat est pourtant simple : une fée Milliget se bat contre le Conseiller de la Garde Étincelante en provoquant des catastrophes si terribles que certains civils ont perdu la vie quand d'autres se sont retrouvés blessés.
La fée doit être abattue. Le Conseiller doit être sauvé.
« Qui êtes-vous ? demande Miiko d'un ton très calme.
- Ce n'est pas important.
- Que contiennent les éponges ? »
Interloquée, Titan ne répond pas. Elle ouvre grand ses yeux noirs, dévisageant la kitsune dont les siens sont plissés, attendant une réponse qui ne vient pas.
Elle retient un soupir, puis reprend :
« J'ai du travail. Dirigez-vous vers les portes de la cité. »
Reconnaissance.
Le cœur de Yüljet s'accélère alors qu'elle regarde Miiko Yamamura lui tourner le dos pour reprendre sa route. Elle a compris. Elle met sa main à couper que si elle avait apporté un mot de passe, alors la kitsune se serait montrée plus réceptive pour discuter.
Que contiennent les éponges ? Quelles éponges ?
Puis elle se souvient. Elle se rappelle de son entretien avec Purral, quand elle était venue à Eel pendant les sélections. Le purreko lui avait parlé du mythe d'Anémone, catalyseur de l'emprunt d'un costume humain pour se protéger des aigrettes, germes et poisons.
Surtout sous le masque en forme de bec.
Le nez qui ressemble a un bec pouvait être équipé d'éponges imprégnées d'épices et d'herbes aromatiques afin de constituer un puissant anti-poison. résonne la voix de Purral.
Titan en est parfaitement certaine à présent : Miiko sait. Miiko connaît les Docteurs Becs.
Quelqu'un tire sur le tissu de son manteau et quand elle baisse la tête, Yüljet se confronte au regard ambré de Mery, perplexe :
« Pourquoi elle demande de quoi les éponges sont faites ? chuchote-t-il, on ne peut pas savoir, il n'y que les grandes gens qui ont des éponges. Nous, on a que des chiffons. »
Titan laisse échapper un profond soupir. Elle n'a ni le temps, ni l'envie d'expliquer au petit faelien que la situation est bien plus complexe qu'il ne l'imagine.
Yüljet passe une main lasse dans ses nombreuses tresses alors qu'elle réfléchit à toute vitesse. Elle doit gagner le marché dans l'espoir que Mery puisse retrouver sa mère, elle doit rester confiante en espérant que Candice puisse vaincre Leiftan et elle doit retrouver les autres Typhons.
Mais si Miiko intervient, les choses vont certainement se compliquer.
S'accroupissant face à Mery, Titan plonge son regard dans le sien en posant une grande main brune sur l'une de ses épaules :
« Est-ce que tu peux m'aider ? lui glisse-t-elle, j'ai besoin que tu te souviennes de quelque chose. »
L'enfant ouvre la bouche de stupeur, interdit par la question, mais hoche furieusement la tête en attendant plus d'explications. À vrai dire, Yüljet ignore si son entreprise a une chance de reussir, mais elle doit la tenter.
« J'aimerais que tu te souviennes de l'histoire que tu m'as racontée, quand tu es allé dans les bois il y a deux ans, chercher des baies pour ton familier malade. Tu as vu quelque chose, ce jour-là. Tu as vu quelqu'un qui n'appartient pas à ce monde.
- Oui… amorce Mery d'une voix chevrotante, elle… Elle…
- Est-ce qu'elle a dit quelque chose ? »
L'humaine que Nelladel a réveillée dans le Ragnarok et qui lui a permis de fuir cet enfer infesté de spectres. L'humaine emportée par les Docteurs Becs sous les yeux d'un enfant hanté par ce souvenir.
Titan sait qu'elle lui demande un exercice difficile mais si elle peut avoir un indice, alors elle saura comment l'exploiter.
Face à elle, Mery se concentre. Ses petites mains agrippent ses boucles blondes et ses paupières se ferment afin de le ramener deux ans en arrière, quand il avait trouvé le courage de se rendre dans la forêt qui borde la cité d'Eel pour y cueillir des baies. Il voulait guérir son familier atteint du mal de "la fin de l'aventure" et au-delà du bosquet recelant des fruits qu'il était venu chercher, il y avait eu l'humaine.
Qu'avait-elle dit ? Mery réfléchit très fort.
« Elle avait mal, chuchote l'enfant, elle avait juste… Mal.
- Je vois. Ce n'est pas grave. Partons d'ici.
- … Nikita. »
Mery regarde Yüljet comme s'il venait de découvrir une nouvelle facette de son souvenir qu'il pensait connaître par cœur. Il est sûr de lui. Il répète le mot une nouvelle fois, ses petits sourcils froncés quand il essaye de lui donner un sens.
Ça n'en a pas non plus pour Titan. Nikita. Qu'est-ce que ça signifie en langue humaine ?
« Tu t'en souviens bien ? souffle-t-elle à Mery.
- Oui. Elle a dit ça quand elle est arrivée et qu'elle est tombée. Tu crois que ça veut dire "à l'aide ?"
- Je ne sais pas. »
Mais cette information va peut-être lui servir.
Yüljet se remet debout et cherche la silhouette de Miiko Yamamura parmi les ruines alors que son esprit ne perd pas le fil de ce qu'elle veut entreprendre.
Même si la kitsune ne se trouvait peut-être pas sur les lieux lorsque l'humaine qu'à vu Mery, il y a deux ans, s'est faite capturée, Titan est certaine que chaque détail de son arrestation doit être consigné quelque part. Si Miiko sert les Docteurs Becs, alors elle est courant de tout ce qui est arrivé à l'être humain qui repose, aujourd'hui, sur le bateau des fées, comme sujet d'étude.
Yüljet attrape la main de Mery et allonge le pas pour rejoindre Miiko. Tout ce qui est en son pouvoir, ici et maintenant, c'est d'être capable de faire gagner du temps à Candice, mais aussi de jauger le fanatisme que la dirigeante de l'Étincelante peut avoir envers la conquête terrienne, les Docteurs Becs et Odrialc'h.
« Dame Miiko ! » l'interpelle-t-elle.
Surprise, la kitsune se retourne pour lui jeter un regard presque outré avant de lui demander, d'un ton sec, ce qu'elle fait encore ici, avec l'enfant.
Là où se rend Miiko, c'est près des cris et du combat. C'est sa place, mais pas la leur.
« J'avais quelque chose à vous demander, reprend Yüljet.
- Et ce quelque chose vaut la peine de mettre la vie d'un enfant et la vôtre en danger pendant qu'Eel est en train de tomber ?
- Nikita. Ça vous dit quelque chose ? »
Miiko Yamamura ne répond pas. Elle n'en a pas besoin. Son visage perd de ses couleurs, ses yeux s'écarquillent, ses oreilles animales s'agitent et même ses prunelles semblent vomir leur bleu d'azur. La dirigeante de la Garde Étincelante serre les poings pour mieux masquer ses tremblements.
Après moult efforts pour reprendre le contrôle d'elle-même, elle lance d'une voix tranchante :
« Pour qui vous travaillez ?
- Ça n'a pas d'importance.
- Il n'y a rien de plus important. »
Miiko serre les bras autour de son buste comme une maigre protection entre elle et son interlocutrice. Sa lourde frange de cheveux noirs colle à son front maculé de poussière quand le reste de sa chevelure l'enveloppe comme une cape de nuit. Ses quatre queues fouettent l'air et quand elle reprend la parole, c'est pour gronder :
« Je n'étais pas sur place ce jour-là. L'information que vous venez de me donner n'est accessible que pour une poignée d'élus. Et vous n'en faites pas partie car je ne vous ai jamais vu. Alors je répète : pour qui travaillez vous ? »
Nouveau cri de Candice en train de lutter. Mery pousse un gémissement en cherchant la fée de ses yeux d'or mais à présent, Miiko ne les laissera pas partir tant qu'elle n'aura pas obtenu sa réponse.
« Je fais partie de ceux qui ont déjà vu ce que le Fantôme est capable de faire. Je fais aussi partie de ceux qui pensent que la Terre n'est pas mon monde et qui aimeraient vivre sur celui qui nous porte.
- Avec leurs vrais souverains, c'est ça ? fulmine Miiko.
- Pourquoi pas ? »
Et vous, Dame Miiko, qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que ça vous fera quand vous donnerez vos ordres pour défendre un meurtrier et abattre une fée qui essaye d'œuvrer contre ses propres idéaux par amour pour sa famille ?
Yüljet a envie de cracher toutes ses pensées quand soudain, des coups se font entendre. Des coups sourds, puissants, comme si un bête emplie de haine et de rage tentait de se libérer de sa prison massive.
Titan, Miiko et Mery cherchent d'où ils peuvent provenir et la réponse leur est enfin apportée quand plus loin, près du port, des morceaux de murs massifs volent en éclat pour laisser apparaître un spectacle colossal que Yüljet n'oubliera jamais.
La troll se précipite vers un monticule de débris pour grimper dessus, Mery à sa suite, et observe de plus belle ce qu'elle a sous les yeux.
Candice est là, debout, malgré les coupures et hématomes qui parsèment sa peau de pêche et son visage marqué par la bataille. Ses cheveux et sa longue robe saphir lui collent à la peau à cause de la sueur et ses ailes semblent froissées, mais il tient bon.
Il a presque vaincu.
La fée maintient fermement un Leiftan ensanglanté au sol : ses maigres mains l'agrippent par les cheveux pendant que l'un de ses pieds lui écrase le dos et si le Conseiller veut se redresser en grondant de rage, c'est peine perdu.
Son regard émeraude, fou, ne peut que fixer la fée qu'il rêve de tuer et son épée plantée à terre ne peut pas l'aider pour le moment.
Candice n'a plus qu'à se pencher. Il n'a plus qu'à ouvrir grand la mâchoire, à la disloquer et sortir sa trompe pour percer le crâne de Leiftan et lui ôter la vie, puis il aura gagné.
Mais c'est sans compter les guetteurs.
Titan les a vu. Leurs tuniques d'un bleu azur jurent parmi le décor flamboyant et blanc cassé et même s'ils ne sont qu'une toute petite poignée, leurs arcs et leurs flèches peuvent devenir un problème.
Parmi eux, Yüljet reconnait Balam Lefaucheur.
C'est celui qui se tient le plus près de Candice et c'est le premier qui a été repéré par la fée.
« ARCHERS ! » hurle la voix de Miiko.
En alerte, Titan se retourne pour aviser que la kitsune a disparu. Ses yeux noirs la cherchent pour voir qu'elle l'a imitée et s'est lancée dans une quête des hauteurs afin d'être vue et entendue par le plus grand nombre de gardiens.
Les guetteurs répondent à son appel et ont déjà commencé à se saisir de leurs arcs pour y placer leurs flèches. Le reste des archers, ceux de la Garde de l'Ombre, demeurent silencieux.
Plus pour longtemps.
ARCHERS ! répète Miiko Yamamura.
La voix d'un vampire leur somme de ne pas bouger, mais elle a déjà perdu. Les gardiens disparus s'alignent sur la hiérarchie, délaissant leur Chef de Garde pour obéir à la dirigeante, confus, puis sortent enfin de l'ombre pour bander leurs arcs.
Ils étaient partout, non loin du Quartier Général, à attendre qu'on daigne les laisser œuvrer et maintenant que la fée est proche de la victoire, ils peuvent enfin l'abattre.
L'archer qui est près de sa cible terrifiante, lui, n'est qu'un simple guetteur désireux de faire son devoir. Titan voit Balam viser Candice, en train d'observer le moindre de ses mouvements.
Ses maigres mains tirent dangereusement sur la tête de Leiftan, à bout de forces et non loin de lui, les flammes voraces, avalant des débris de bois, éclairent la peau glacée d'un Joseph Ael Diskaret en train de se redresser avec difficulté.
Le temps et les âmes semblent se figer. Yüljet peut sentir la peur de Balam, son hésitation et son assurance lutter sous sa peau anthracite, jusqu'à ce qu'il se décide à tirer sa première flèche.
Elle est balayée d'un revers de la main et accueillie par un hurlement terrifiant. Plus strident que tous les autres, plus puissant, il traduit toute la haine que Candice peut porter à l'égard du guetteur qui vient ternir sa victoire en essayant de lui reprendre sa proie.
Mais Balam est déjà en train de placer une autre flèche et à présent, il se trouve dans le viseur de la rage la plus meurtrière qu'il n'ait jamais rencontré.
Même en tant que cheffe du cartel des Typhons, Titan est certaine que jamais elle ne s'est retrouvée confrontée à tant de haine. Pas comme celle de Candice.
Parce qu'en cet instant, ici et maintenant, Balam n'est qu'un rempart que la fée doit exterminer pour assurer sa victoire et sa domination. S'il le tue comme un exemple, alors les autres archers ne le défieront pas.
Il doit simplement leur montrer combien il peut être terrifiant et à quel point la douleur qu'il va infliger à Balam n'est pas enviable pour qui que ce soit.
Alors, plutôt que de se ramasser sur lui-même, Candice prend son envol et Yüljet le suit des yeux. Là, il est parfaitement exposé aux autres archers, mais ils n'auront pas le temps de le viser.Par WounwLe Dernier Rempart Contre La Victoire
Candice plonge.
Il n'est devenu qu'un rayon bleu saphir filant vers sa nouvelle proie et comme Titan l'avait prédit, les archers n'ont pas eu le temps de le viser : les flèches ont été tirées, mais elles s'entrechoquent, se rencontrent et se percutent en ne transperçant que du vide.
Plus bas, le guetteur est violemment plaqué au sol, le souffle coupé et n'a eu que le temps de dresser son arc entre lui et une bouche effilée, prête à mordre.
Balam veut lutter, Yüljet le regarde user de la force de ses bras pour repousser Candice, mais il comprend assez vite que face à une fée, ça ne lui sert à rien. Il roule sur le côté, échappe à l'emprise de Candice et tâche de se mettre debout au plus vite.
Si la fée Milliget n'était pas tant en colère, Titan pourrait presque l'entendre rire. Balam n'est qu'un chead, un spadel, une poussière essayant de jouer aux héros et c'en est presque aussi énervant que pathétique.
Alors Candice s'acharne. Il redouble d'ardeur quand les quatre autres guetteurs essayent de lui barrer la route et sa rage folle l'enveloppe tout entier comme un manteau de haine, l'immunisant même contre la douleur. Il se fiche de sa peau, de ses doigts fatigués, de la chaleur mordante et de son cœur qui ne peut pas supporter des émotions aussi lourdes que destructrices.
Cette fois, c'est avec des débris ardents que Candice veut écraser des corps. Il repousse un morceau de mur flamboyant d'un coup de pied, il récupère de longs tuyaux métalliques pour embrocher deux guetteurs sans jamais quitter Balam des yeux.
Il est si obnubilé par celui qui veut lui tenir tête avec son arc et ses flèches qu'il ne voit pas les petits groupes de gardiens commencer à se former autour d'eux, des cordes à la main.
Il n'entend pas non plus Miiko Yamamura comme Yüljet l'entend.
Elle donne ses ordres et Titan, elle, hésite pendant que Candice se ramasse sur lui-même pour filer vers Balam et lui porter un coup à l'abdomen.
Titan regarde le guetteur rouler au sol pendant que son bourreau marche vers lui d'un pas tranquille. Trop tranquille.
Pourtant, son souffle est court et sa silhouette s'est voûtée sous l'épuisement, Yüljet le voit bien. Balam aussi. Il se relève, titube, tombe à genoux, mais se redresse sur ses jambes.
Une main tremblante vers son carquois, l'autre tenant son arc, il recommence son ballet.
Il vise Candice qui lui hurle sa rage, serre les poings, puis se rue sur lui une nouvelle fois.
La fée a perdu toute sa noblesse et sa souveraineté originelle pour se transformer en bête du chaos.
Titan ne peut qu'imaginer son corps squelettique se tordre vers l'improbable pour traquer, virer, sa forcé phénoménale frapper jusqu'à entendre des craquements sinistres et voir sa propre chair se teinter du rouge de l'autre.
Ses dents effilées comme des lames sont avides de déchirer ce qu'ils peuvent agripper et même ici, même pour achever une seule âme, est-ce que ça vaut la peine de réduire Balam à une mort épouvantable ?
Le guetteur a peur, c'est évident. Mais il reste.
Qu'importe le feu qui l'entoure, les gardiens qui s'agitent, Miiko qui hurle aux archers de tirer, la nouvelle pluie de flèche en train de tomber, Balam fait face à la tempête meurtrière, patiente, ignore la douleur et vise.
Titan, elle, perd ses couleurs et ses espoirs. La victoire était proche… Si proche…
Près d'elle, Mery pleure, s'accroche à son manteau laminé et l'implore de quitter les lieux.
Yüljet ferme brièvement les yeux. Candice est épuisé et la Garde d'Eel s'est réveillée avec sa dirigeante. Le voilà encerclé au sol et depuis les cieux pendant que Leiftan, presque vaincu, sombre petit à petit dans l'inconscience.
Candice ne pourra peut-être pas l'achever, tout comme il ne pourra peut-être plus garantir la sécurité de sa mère, que Joseph Ael Diskaret est en train de capturer.
Titan est là, sur son monticule de débris, impuissante face au chaos avec l'impression d'avoir libéré la défaite de Candice de ses propres mains.
Ne peut-elle rien faire de plus ?
Fawkes, camps des soigneurs, nuit du sauvetage de Nash
Le camp des soigneurs, établi sur la place du marché, est un chaos minime mais un chaos quand même. Néanmoins, ici, on a l'impression que la fée meurtrière est loin et que les faeliens en train de courir avec des brancards ou bien enfermés dans des tentes seront capables de protéger leurs patients.
Parmi eux, des gardiens de l'Obsidienne veillent avec une sérénité presque effrayante. Et à la tête de ce lieu qui est un phare pour ceux qui n'ont pas pu fuir, Ezarel Sequoïa et Ewelein Osgiliath qui le tiennent à bout de bras.
« Dans la tente numéro six ! Maintenant ! » crie le Chef de l'Absynthe.
Deux infirmiers se dépêchent de transporter Rose Clarimonde au sein de la tente en question. Le visage d'Ezarel ne laisse rien paraître mais quand il relève ses cheveux saphirs collés par la sueur pour ensuite rejoindre sa collègue et médecin en cheffe, cela n'augure rien de bon.
Fawkes, lui, a été installé sur un banc de fortune et un soignant commence à ausculter ses blessures. Il se trouve non loin de la fameuse tente numéro six et quand les voix d'Ewelein et d'Ezarel s'élèvent, le constat est alarmant :
« Il faut préparer des poches de sang.
- Prépare le matériel. Je dois recoudre la plaie. Tiens-toi prêt. »
Des bruits métalliques indiquent que les ustensiles sont prêts et le reste n'est que silence. Fawkes peut imaginer sans mal la docteure Osgiliath en train de couper les vêtements de Rose pour observer ladite plaie plus en détail et la recoudre immédiatement afin de stopper l'hémorragie.
Seulement, quelques minutes après le début de la petite opération, Ezarel Sequoïa s'exclame :
« On le perd !
- Mise en place des cristaux d'énergie ! Dépêche-toi ! »
Après le bruit métallique, vient le bruit du verre et des pas pressés. Enfin, la médecin en cheffe lance un compte à rebours avant le déclenchement des cristaux et quand il arrive à son terme, les interstices de la tente numéro six se voient illuminés par des raies de lumière bleue.
« Le cœur ne repart pas, s'alarme Ewelein d'une voix forte, augmentation de l'intensité. »
Nouveau compte à rebours. Nouvelles raies de lumière bleue. Au sein de la tente numéro six, Ezarel Séquoïa demande au Second de l'Ombre de revenir parmi les vivants. Dehors, Fawkes s’est tendu. Il a fait fi des mains d’un soigneur qui s’occupe de lui pour se lever. Et malgré les remontrances dont il est le sujet, il tente de s’avancer vers la tente.
« Rose… » appelle-t-il.
Son cœur bat la chamade et même si le vampire a trahi son allégeance au cartel, il n’en reste pas moins son binôme. L’inquiétude de Fawkes se transforme en angoisse et les raies de lumière qui suintent par les interstices de la tente ne le rassurent pas le moins du monde. Une paire de mains lui barre le torse pour lui interdire d’aller plus loin et une voix lui commande de s’asseoir. Apparemment, il n’est pas en état de faire quoi que ce soit pour le Second Clarimonde. Ah. Mais le renard s’en fiche, il veut y aller, il veut défendre lui-même Rose de se laisser aller. Pourtant, ses fesses retrouvent la dureté du banc où il se trouvait un peu plus tôt. D’autres mains sont sur ses épaules et le maintiennent.
Il relève son regard noisette vers les membres de la Garde Absynthe qui le soignent. Il est perdu, complètement déboussolé et il a l’impression que tout son corps réagit avec un cran de retard, comme s’il était enlisé dans une étrange toile de chead.
« Sauvez-le… c’est plus important. Sauvez Rose, » supplie Fawkes, la voix rauque d’avoir respiré trop de poussière mais rendue fébrile par les émotions.
L'un des soigneurs lui déclare qu'avec le Chef Sequoïa et la docteure Osgiliath, il est entre de bonnes mains. Mais son état reste critique et il ne tient qu'à Rose de se battre pour survivre.
« Augmentation de l'intensité, reprend Ezarel.
- Je lance le compte à rebours. Énergie des cristaux maximale. Recule. »
La médecin en cheffe commence le décompte et les raies de lumière bleue sont si aveuglantes qu'elles illuminent brièvement la nuit comme en plein jour. Ensuite, il y a le silence et l'attente.
Enfin et avec des secondes interminables, Ezarel se remet à parler :
« Ça y est ! Il est de retour ! J'ai un pouls !
- Bien, ordonne Ewelein, maintenant, occupe-toi de la respiration et vérifie régulièrement le pouls. Les fractures sur ses jambes sont multiples et il faut retirer les débris. J'ignore s'il pourra supporter l'opération. Une fois la respiration stabilisée, procède à l'ingestion sanguine. »
Le Chef Sequoïa clame qu'il s'est saisi d'un tuyau étanche, qu'il l'a raccordé à la poche de sang et qu'il se prépare à l'ingestion directe vers l'estomac. Ewelein lui rappelle d'éviter l'œsophage et de contrôler régulièrement le pouls et la respiration pendant qu'il surélève le patient, mais Ezarel a un sang-froid à tout épreuve et agit avec soin.
Au moins, Rose est en vie, même s'il doit encore s'accrocher.
« Le tuyau est en place. L'ingestion sanguine a commencé. La respiration est stable et le pouls est encore présent.
- Bien, rétorque Ewelein, de mon côté j'ai enlevé les débris. Pas d'hémorragie en vue, mais les plaies ouvertes doivent être nettoyées. »
Ensuite, les fractures seront traitées même si Rose ne pourra pas marcher avant un bon moment. L’attente de Fawkes est interminable. Et s’il a eu l’impression qu’un poids immense s’est enlevé de ses épaules quand le sosie de Nelladel a affirmé que Rose était de retour, ses muscles restent tendus. Il se sent lourd, fatigué, et son corps lui fait mal jusqu’au bout de la queue, mais toute l’attention de Fawkes est dirigée vers la tente. Au moins, le médecin peut s’occuper de lui comme bon lui semble. Il a déjà recousu quelques plaies et en nettoie d’autres. Le renard ne réagit pas le moins du monde, la tête tournée vers la tente, les oreilles braquées vers le moindre son.
C’est d’ailleurs un contact sur l’une de ses oreilles qui le fait tiquer fort. Le médecin vient d’en attraper une pour la palper et s’assurer qu’il n’a pas de blessure sur ses appendices animaux. L’inconfort du toucher est tel que Fawkes sursaute et retrousse les lèvres par instinct. Il ne veut pas qu’on le touche. Pas à cet endroit. Et quand le médecin semble l’avoir compris, le visage du renard se détend et oriente à nouveau sa tête vers la tente. Le temps coule et s’écoule et Fawkes sait qu’il ne peut rester là indéfiniment. Il doit retrouver les purrekos pour être exfiltré de la cité. Mais il songe que les purrekos doivent être déjà partis. Fawkes espère au moins que ses alliés ont pu se mettre en sécurité. Il ne sait pas s’il doit rester avec Rose jusqu’à ce qu’il se remette ou s’il doit retrouver les autres au plus vite. Ces deux options sont incompatibles. Rose ne sera pas sur pieds dans l’heure, c’est sûr.
Le renard soupire. Il est dans une situation délicate et il se sent soulagé de ne pas avoir à y penser tout de suite. Pourtant, quelqu'un essaye d'attirer son attention. La personne en question ne peut pas parler car en plus de son apparence avec le Chef Sequoïa, sa voix est presque similaire.
À l'orée du camp des soigneurs, dissimulé derrière le mur d'une bâtisse, effondré, Nelladel l'a repéré et essaye d'attirer son attention. Il n'arrive pas à capter son regard, alors les gestes ne servent à rien.
Grimaçant, il s'abaisse pour attraper un petit cailloux et le lancer dans sa direction, l'atteignant sur l'épaule. Le regard du goupil se braque d’abord sur son épaule pour aviser le projectile qui gît à terre, avant d’en chercher la provenance. Il ne tarde pas à tomber sur Nelladel, près des décombres, qui gesticule comme ces espèces de fanatiques qui dansent pour les étoiles. Fawkes fronce les sourcils et réunit son énergie pour se lever. Il assure à la personne qui lui conseille de s’asseoir, que ça va, et qu’il a besoin de marcher un peu. Sinon il va devenir fou. Et ce n'est pas tout à fait faux, en vérité.
Alors il déambule un peu, à droite, à gauche, se rapprochant doucement mais sûrement de Nelladel à l’orée du campement de soigneurs. Il ne veut pas prendre le risque d’avoir l’air suspect et d’attirer l’attention sur le dava en le rencontrant trop frontalement. Quand le renard s’adosse au mur effondré, dos à Nelladel et face au reste du camp, il glisse jusqu’au sol. Sa tête tombe en arrière, lasse, pour s’appuyer sur la pierre poussiéreuse. Il est rassuré de voir que Nelladel va assez bien pour pouvoir remuer ses membres et se cacher. Mais il ne le dira pas, pas directement en tout cas.
« Tu as vu les autres ? » s’enquit-il, sérieux.
Enfin rassuré de pouvoir discuter avec le goupil, Nelladel s'assure de se recroqueviller derrière le mur, à l'abris des regards :
« Non. Je suis juste tombé sur le Chef de l'Obsidienne et le grand morgan, vainqueur des sélections. Il y avait sa fille, aussi. Elle était coincée sous des gravats et elle n'était pas toute seule ! Il y avait ton binôme. Il a dû être pris dans une attaque de Candice. Je les ai aidé à sortir de là et j'ai attendu le bon moment pour m'enfuir. Tu parles qu'avec ma tête et sans ma perruque, ils sont devenus suspicieux. Mais Candice et Leiftan se sont battus alors qu'on rejoignait le camp des soigneurs et ton binôme et le Chef de l'Obsidienne ont bien dégusté. Je ne pouvais pas les porter tous les deux et il fallait que je sauve ma vie… Alors je suis parti avec la fille du grand morgan. »
La suite, Nelladel ne risque pas de l'oublier. Il raconte à Fawkes comment il voulait l'emmener hors de la cité, mais comment elle a absolument voulu suivre une sirène qui courait à contre-sens. Comment il est tombé sur la mère de Candice et Sira, comment il a voulu la ramener au bateau et comment il a tenté de maîtriser June, jusqu'à l'arrivée des guetteurs.
« Ces salauds ont entendu dire que le Chef Sequoïa se baladait du côté du port, raille Nelladel, alors j'ai dû m'enfuir. J'espérais tomber sur un visage connu et je suis content de te trouver. Maintenant, il faut qu'on se tire d'ici ! Je peux t'emmener sur le bateau des Milliget, tu y seras en sécurité. »
Fawkes se repeint le périple de Nelladel à travers la cité en arborant le visage du Chef Sequoia. Il devine en effet que l’elfe doit marcher sur des œufs. Comme si ce n’était pas déjà assez difficile d’aller d’un point A à un point B à Eel… Pourtant, quand la proposition est faite au renard de fuir avec les Milliget sur leur bateau, Fawkes résiste au réflexe de se retourner vers Nelladel. Il aurait voulu scruter son visage pour aviser de son sérieux. Dans sa tête, il se repasse les derniers mots de l’elfe et surtout le ton de sa voix. Oui, il est sérieux.
« Nelladel… Pas sans les autres. Rose est dans une tente et sa vie ne tient qu’à un fil, je… »
Fawkes ne sait pas. Plus le temps passe et plus l’étau se resserre. Les chances de fuir s’amenuisent. Les purrekos sont certainement une option obsolète maintenant. Fuir vers Albacore lui semble compromis. Les portes de la cité doivent être contrôlées et Albacore sera sans doute un refuge pour tous ceux qui ont perdu leurs habitations. Il y aura plus discret comme planque. Le renard a conscience que la porte de sortie que lui offre Nelladel est peut-être une des seules viables. Pourtant il n’arrive pas à se résoudre à l’accepter. Pas avant d’avoir cherché les autres. Il s’en voudrait toute sa vie de se sauver sans même avoir essayé.
« On doit récupérer et sauver un maximum de nos compagnons, Nelladel. Ensuite, on partira sur le bâteau des Milliget, annonce-t-il avant de soudainement réaliser qu’il y a une grosse condition à ce plan. Où est Candice ? »
Cette fois-ci, le renard se retourne, toute l’inquiétude se lit dans son regard. Candice a-t-il seulement survécu à son affrontement contre Leiftan ? Parce que si ce n’est pas le cas, non seulement le Cartel des Typhon se retrouve avec les fées sur le dos, étant donné que le pacte était conclu avec Candice, mais en plus, ils deviennent des cibles pour Leiftan qui a bien saisi qu’ils étaient de mèche avec la fée qu’il exècre. Jamais Fawkes n’aurait cru autant espérer qu’une fée survive et ait vaincu son adversaire.
« Dis-moi que Candice est en vie et qu’il a défait Leiftan Tuarran ! » ordonne Fawkes, les sourcils froncés qui pourtant, ne suffisent pas à cacher l’effroi de la situation.
Oui, il est en vie. Nelladel hoche la tête. Candice ne peut pas être vaincu si facilement, surtout qu'il est la fée la plus puissante de sa famille. L'elfe se rapproche de Fawkes, un sérieux sans pareil sur le visage. Il pèse le pour et le contre dans sa tête, puis lui glisse :
« Écoute, on savait que le plan plongerait la cité dans le chaos, mais avec un ennemi comme Leiftan, on n'a pas le choix. Rose savait dans quoi il s'embarquait, Candice me l'a dit. Vu l'état dans lequel il est, on ne peut pas l'emmener. S'il survit, ce sera déjà un miracle ! »
Et puis, si Candice est vaincu, s'ils n'arrivent pas à fuir, Nelladel ne préfère pas imaginer comment ils finiront. Il ferme brièvement les yeux, puis reprend :
« Le cartel est éparpillé, Fawkes. Je ne sais pas où est la cheffe. Je voulais remonter jusqu'au Quartier Général, mais c'est là que je me suis fait prendre. Je n'ai vu personne ! Gabrielle, Fuya, Sexta… Je ne sais pas où elles sont. Rose devait ramener Sira sur le bateau et y embarquer et j'espère que Sira va bien. Écoute, si tu veux, on essaye de trouver les autres, mais on n'aura pas beaucoup de temps. Après il faut embarquer ! Candice… »
Il fait la grimace, se mord la lèvre, puis avoue :
« … Candice a prévu de se faire capturer, après la mort de Leiftan. Il n'aura plus la force de fuir. »
Tout ça, ça fait froid dans le dos et Fawkes a un frisson qui lui secoue les épaules. Il se doute bien qu’ils n’auront pas beaucoup de temps pour chercher les autres et ils n’auront jamais assez de temps pour ratisser la ville. Mais Fawkes se doit d’essayer. S’il arrive à retrouver ne serait-ce qu’un membre du Cartel, il se sentira déjà mieux. Ses pensées sont sans cesse parasitées par Candice. Candice qui se fait capturer. Quelle fée se portera alors garante de leur sécurité ? Sira ? La belle affaire…
La tête du renard est lourde sur ses épaules et il a du mal à la tenir droite. C’est donc par lassitude, épuisement et aussi une certaine forme de résignation qu’il la laisse descendre un peu devant lui et son menton se rapproche un peu de ses clavicules.
« On… on va… on va les chercher. N’importe qui, un des nôtres. Je veux pas partir sans essayer. Je veux pas partir en les abandonnant. Est-ce que tu as vu Nevra Mircalla ? Je veux lui parler.
- Pas vu, réplique Nelladel, mais les ombres sont censées préparer une attaque à distance et il n'y a rien, pour des raisons évidentes.»
Nelladel ignore comment Nevra Mircalla va expliquer ça, mais ce n'est pas son problème. Ce qui importe pour le moment, c'est essayer de retrouver au moins un Typhon.
« Si tu peux avancer, on peut aller voir du côté du Quartier Général. En contournant le camp des soigneurs, on devrait y arriver assez facilement. En plus, Candice et Leiftan sont du côté du port, alors ça ira. »
L'elfe ponctue sa phrase en offrant une main à Fawkes. Il faut se dépêcher, car le bateau des Milliget ne les attendra pas éternellement, lui aussi. Quand Candice renverra sa mère, elle partira pour de bon. Fawkes scrute le visage de Nelladel pendant quelques secondes, puis, il décide que oui, il peut marcher. C’est lui qui commande ses jambes et pas l’inverse. Alors il plonge sa main dans celle de l’elfe et glisse jusqu’à se refermer sur son poignet fin. Il tire un peu dessus pour se relever. Il claudique et n’a pas fière allure, mais il tâche de faire en sorte que Nelladel ne le remarque pas afin de ne pas les ralentir.
« Allons vers le Quartier Général, alors, » scelle le renard.
Puis leurs corps se mouvent à nouveau et si Fawkes accorde un regard en arrière, vers la tente de Rose en quittant le campement, il sait qu’il ne reviendra pas. Son cœur se serre, mais il ne doute pas que Nevra Mircalla prendra soin de lui.
Fawkes et Nelladel ont l'air de deux rescapés parmi les ruines. Tout le monde a fui le Quartier Général et eux, ils ressemblent à des fous venus se repaître des restes. Mais ils cherchent et ils tiennent bon. La fatigue veut les emporter, mais ils luttent, quitte à retourner chaque pierre.
Soudain, un hurlement terrifiant balaye la cité d'Eel à leur en faire dresser le poil et Nelladel bondit sur ses pieds pour scruter le ciel, le visage illuminé :
« Ça y est ! Ça veut dire que Candice est en train de gagner !
- Tu… tu en es sûr ? » s’enquiert Fawkes, dont la lueur d’espoir galvanise les muscles.
Même si ça ne leur garantit rien, quelque part, ça rassure un peu Fawkes. Au moins, ils n’auront pas Leiftan sur le dos. Mais ce n’est pas le moment de se laisser avaler par l’immobilisme. Alors mué d’une énergie nouvelle, il s’active vite avant qu’elle ne s’efface au profit de la fatigue.
Ils ont l'impression de pénétrer dans les entrailles de ce qui avait fait la fierté d'Eel et des trouvailles, il y en a. Nelladel est persuadé qu'ils s'attaquent à une tâche trop grande pour eux, mais il s'est engagé, alors il n'a plus qu'à aller jusqu'au bout.
Ce qui est sûr, c'est que son maître, presque victorieux, n'appréciera pas de le voir revenir bredouille, sans aucun otage et encore moins sa mère qu'il aurait dû renvoyer lui-même… Tant pis. Si au moins un ou deux Typhons peuvent l'accompagner, alors c'est une bonne chose !
Nelladel s'essuie le front d'un revers de la main. Ses cheveux saphir pendent tristement autour de son visage et semblent morts sur ses épaules et puis, quand lui et Fawkes s'enfoncent plus profondément, ils trouvent enfin quelque chose. Les yeux de l'elfe s'agrandissent alors qu'il reconnaît une seringue brisée, ayant servie à transporter un Crachat de Cassandre. Elle est vide, à présent.
Aussi et gisant parmi les débris, il y a l'épée de Gabrielle.
« Fawkes ! » appelle Nelladel.
Quand le renard-garou vient auprès de lui, l'elfe lui montre sa trouvaille. Plutôt qu'un ou deux cadavres, Nelladel est bien content de trouver ce genre d'objets.
« Gabrielle s'est battue, soupçonne-t-il, mais contre qui ? »
Ça ne fait pas l’ombre d’un doute et Fawkes en est autant rassuré qu’inquiété. Si Gabrielle en est venue à devoir utiliser le Crachat de Cassandre, ce ne devait pas être contre n’importe quel adversaire. Et l’elfe noire n’était pas du genre à délaisser son arme sur place. A moins d’y être contrainte. Fawkes allait pousser ses remarques à voix haute, mais quelque chose le saisit tout d’un coup. Il porte la main à sa nuque, la désagréable sensation tordant ses traits.
L'elfe n'a pas le temps de pousser ses réflexions plus loin qu'il sent une douleur vive dans le dos. Grimaçant, il se retourne, mais sent tous ses membres s'engourdir. Un coup d'œil vers Fawkes pour aviser qu'il est dans le même état que lui, alors qu'il a une main sur sa nuque.
Ils ont été attaqués. Nelladel veut pousser un juron, mais sa vision devient de plus en plus flou et sa tête, plus lourde.
Avant de tomber dans l'inconscience, il arrive à voir une silhouette. Une silhouette vêtue de noir portant un masque avec un long bec.
Informations Importantes : Nelladel et Fawkes ont été capturés par le Docteur Bec répondant au nom du Sans-Visage. Ils sont désormais des prisonniers appartenant à Odrialc'h.Les Choix
Libérée des débris, Miiko Yamamura a pu rallier les archers et reprendre le contrôle de la bataille. Obéissante aux Docteurs Becs, elle fera tout son possible pour abattre Candice pendant que Titan, elle, avise la situation et ce qu'elle peut faire.
Elle possède toujours une dose du Crachat de Cassandre et une dose de la Délivrance.
Que peut-elle faire ?
➜ Fuir la cité d'Eel avec Mery. Elle ne peut rien faire de plus.
➜ Rejoindre l'endroit où Leiftan est inconscient pour lui administrer une dose du Crachat de Cassandre et tenter de l'achever.
➜ Rejoindre l'endroit où Leiftan est inconscient pour libérer Delta Milliget.
➜ Tenter de jouer à l'héroïne et rejoindre l'endroit où Leiftan est inconscient pour essayer de l'achever avec une dose du Crachat de Cassandre ET libérer Delta Milliget.
Pour vous aider : Titan est la cheffe du cartel des Typhons et une combattante au corps à corps. Ce dont elle dispose est un couteau de combat, une dose du Crachat de Cassandre et une dose de la Délivrance. Aussi, Mery est avec elle et sa sécurité compte autant que sa mission.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a pu rejoindre les portes de la cité et elle est en direction d'Albacore afin de se mettre en sécurité. Elle va retrouver sa mère et Helouri et quand ce sera le cas, libre à elle de raconter ce qu'elle a vécu.
Quand tu seras prête, MayaShiz, viens me contacter par MP !
UNIQUEMENT pour Waïtikka : la somme de tes choix t'a mené vers la capture de Fawkes. Fawkes est inconscient pour le moment, alors il te faudra attendre son réveil pour pouvoir aviser de sa situation et voir comment tu peux l'en sortir.
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous et bienvenue sur ce chapitre trente-six ! (^_^)/
Ce chapitre-ci va marquer un grand tournant dans l'histoire et bien entendu, pour écrire la suite, le choix est vôtre.
Réfléchissez bien, argumentez, concertez-vous entre vous si vous le souhaitez car, et vous le comprendrez, nous marquons la fin du premier arc.
À vous de choisir le prochain chemin à emprunter.
Je n'ajouterai rien de plus si ce n'est : bonne lecture ! Et bonne chance… Peut-être.
Chapitre 36 - Temps Mort
June à Albacore - Nuit du Sauvetage de Nash
Si elle s’écoutait, elle laisserait ses jambes s’effondrer pour reposer au sol, comme un vieux bout de tissu rongé par l’humidité et la moisissure. June se sent sale, poisseuse de sang et de sueur, incapable de dire quels fluides lui appartiennent ou non. Porter Alajea jusqu’au campement mis en place pour les réfugiés à été un calvaire, d’autant que même en s’éloignant, elle pouvait continuer d’entendre les ravages causés par le monstre. Son esprit n’est plus qu’une purée d’informations dans lesquelles elle peine à faire le tri, et tous ses muscles protestent contre les traitements qu’ils subissent.
Pourtant, la gardienne continue de marcher d’un pas vacillant, jusqu’à apercevoir la tente qu’on lui a indiqué. À l’intérieur, deux silhouettes qui se tordent les doigts d'inquiétude, deux êtres blêmes aux cœurs battants qui oublient leur querelle pour attendre des nouvelles en silence. Son cœur aussi bat très vite, à chaque fois qu’elle pense à son père combattant le monstre, à son Chef et à Rose peut-être morts à cause de ses assauts enragés. Joseph connaîtra-t-il le même sort ? Elle veut se persuader que non. Son père est fort, il est malin et il sait se défendre. June sait qu’il s’en sortira. Il ne peut pas en être autrement.
La jeune femme rassemble ses dernières forces pour peindre un sourire fatigué sur son visage quand elle approche de la tente, et elle agite la main en direction d’Helouri et Cristal. Elle voudrait discuter avec son frère, mais elle doit d’abord rassurer sa mère, et surtout se laisser aller dans ses bras pour être certaine que le danger est passé.
« Salut, lance-t-elle d’une voix rauque. Vous ferez attention en vous promenant, il y a un psychopathe qui met le feu à la cité.
- June ! »
En la voyant, Cristal se lève immédiatement de son siège pour se précipiter vers sa fille et la serrer dans ses bras. Elle donne l'impression de vouloir l'avaler dans sa longue robe verbe, mais elle s'en moque car elle s'est fait du souci.
Savoir son mari et sa fille au cœur de la cité d'Eel alors qu'elle, aux portes puis au village d'Albacore, ne pouvait qu'écouter les explosions et les cris du monstre en se rongeant le sang.
Cristal fond en larmes, se recule, puis prend le visage de June en coupe pour la regarder. Voir le sang, la poussière et les blessures ne fait que redoubler ses sanglots alors qu'elle lui demande :
« Mais qu'est-ce qu'il se passe, là-bas ? Qu'est-ce qu'il t'es arrivé ? Où est Joseph ? »
Derrière elle, assis sur son tabouret de fortune, Helouri fixe sa grande sœur, les larmes aux yeux, mais reste en retrait pour laisser sa mère la retrouver.
June se laisse aller un instant dans les bras de Cristal, en laissant échapper un soupir soulagé. Sa gorge se serre, mais elle retient les sanglots qui menaçent de la submerger : ça ne servirait à rien de pleurer maintenant. Ses doigts accrochent la robe de sa mère, le temps d’une très longue minute durant laquelle elle reste silencieuse, puis une fois qu’elle est parvenue à se reprendre, June s’écarte doucement.
« J’ai pas bien compris, répond-elle. Il y a un monstre qui se bat contre le Conseiller Tuaran, et qui détruit tout ce qui l’entoure. La dernière fois que j’ai vu papa, il allait bien, et il aidait le Conseiller à se battre. Je sais rien de plus. »
Son regard dérive vers les fumées qu’on peut distinguer au loin, et elle serre les poings, assurée.
« Mais je suis sûre qu’il va bien, et qu’ils vont le vaincre, t’en fais pas. »
Elle sourit à Cristal en se voulant rassurante, mais alors qu’elle regarde sa mère, ses doigts viennent pincer le lobe de son oreille droite, qu’elle tire dans un mouvement qui paraîtrait naturel à n’importe qui d’autre. Elle sait que pour Helouri, qui ne la quitte pas des yeux, c’est un vieux code entre eux, qu’ils utilisent toujours quand ils en ont besoin. Il faut qu’on parle, c’est urgent.
Le jeune morgan l'a bien compris. Le récit de June est peut-être beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et malgré la distance qu'il y a eu entre eux depuis qu'il a été arrêté par le Second Clarimonde, Helouri veut écouter ce qu'elle a à dire.
Il se lève, se dirige vers sa mère et lui touche doucement le bras. Cristal frissonne, se retourne, puis se met à ciller quand elle se confronte au regard argenté de son fils.
« Maman, June a besoin de se reposer. Papa ira bien, surtout s'il a le Conseiller avec lui.
- Oui. »
Cristal n'ajoute rien de plus. Elle se défait du geste de son fils, puis s'avance vers l'entrée de la tente. Dehors, il y a la peur, le soulagement, les retrouvailles et l'attente de ceux qui se combattent encore entre les murs rouges de la cité.
Cristal adresse un sourire crispé à June, lui intimant qu'elle va quérir de quoi manger et à boire. June a besoin de reprendre des forces, mais Helouri n'est pas dupe. Il sait que sa mère, qui n'a pas dit un mot depuis qu'ils sont arrivés à Albacore, ressent le besoin de s'éloigner de lui maintenant qu'il s'est manifesté.
Cristal gratifie sa fille d'une étreinte avant de s'en aller, laissant June et Helouri seuls. Mal à l'aise, le jeune morgan baisse les yeux, regarde sa soeur, fixe le sol de nouveau avant de désigner le tabouret où sa mère était assise, d'une main :
« Tu… Veux t'asseoir ? »
June pousse un soupir agacé, avant de l’attirer à son tour dans une nouvelle étreinte. Elle est toujours en colère, bien sûr, et il lui faudra du temps avant d’oublier les bêtises de son frère, mais pour le moment, elle a beaucoup trop de choses en tête pour bouder. Elle le serre brièvement contre elle, puis s’écarte avant de se laisser tomber sur le tabouret.
« Toi, assieds-toi… grommelle-t-elle. J’ai fait la version courte à maman, mais c’est l’enfer là-bas. Écoute, je vais tout te raconter, mais personne d’autre doit savoir, d’accord ? »
Elle plonge ses yeux violets dans ceux du jeune homme, plus sérieuse que jamais. June n’a pas encore décidé de ce qu’elle dirait aux autres, mais à lui, elle peut. Il l’aidera à y voir plus clair, à démêler tout ce à quoi elle a assisté. La gardienne passe une main épuisée sur son visage, avant de rassembler ses mèches grises en un semblant de chignon.
« C’est juré ? » répète-t-elle.
Helouri lui promet. Il ne trahira pas ses secrets et même s'il a peur de découvrir ce qui se trame vraiment derrière les murs de la cité, il va écouter.
Aussi, il lui explique comment lui et sa mère ont été pris dans un assaut effroyable :
« Quand il y a eu la première explosion, maman et moi, on était dans les quartiers de l'Ombre pour… Tu sais bien. Elle m'avait accompagné là-bas avant de partir et j'étais en train de faire mes travaux quand il y a eu l'explosion. Le sol s'est mis à trembler et j'ai cru qu'il allait se détruire sous mes pieds. Le Chef de l'Ombre n'était pas là et c'est l'inspectrice Enthraa Kellerman qui a su maîtriser la panique des nouveaux gardiens. Elle m'a fait sortir avec les autres civils et je suis allé retrouver maman. Elle était dans les quartiers de l'Obsidienne avec papa. Il était très inquiet et il nous a demandé de rejoindre les portes de la cité. »
Ça, c'est ce que lui et sa mère ont vécus. Mais June ? Et son père ?
Helouri commence à tordre ses doigts. Il a peur de savoir, mais il doit savoir :
« Qu'est-ce qu'il se passe là-bas, June ? »
La jeune femme prend une longue inspiration pour remettre de l’ordre dans ses idées. Avec lenteur, elle commence par lui raconter son entraînement avec le Second Clarimonde et le Chef Batatume, puis l’explosion qui a retentit. Celle que lui a vécu, probablement. Elle lui parle ensuite du monstre, et de ses ordres qu’elle a voulu suivre jusqu’à tomber sur Ellen Price.
« Et là… fait June en se mordant la lèvre. Là, je suis tombée sur Rose. Il y avait une vampire avec lui, qui menaçait de le tuer avec une machette et qui l’appelait Rosie. Il y avait Sira aussi. »
Elle n’a pas vraiment eu le temps de lui parler de Sira, alors elle lui résume vaguement ce qu’il est, et comment elle l’a rencontré. Tout en parlant, June triture sa tunique sale et malmène tellement sa lèvre qu’elle est certaine que cette dernière finira en sang avant la fin de la journée.
« C’était un peu stupide, mais je me suis interposée, grimace June. Enfin, je te fais pas un dessin, elle était folle, mais elle m’a pas tuée. Ensuite, Sira s’est mis à crier et là, elle est partie avec Ellen Price, et puis papa et le chef Batatume sont arrivés. Et puis… »
Elle prend une légère pause, avant de se mettre à chuchoter pour raconter la suite. Les explosions, Rose blessé, le monstre a deux doigts de la dévorer, les pierres, la poussière… June essuie rapidement une larme avant de prendre une grande inspiration et de continuer son récit d’une voix qu’elle aimerait plus assurée.
« Et après… C’est cette partie que tu devras pas répéter, d’accord ? Tu te souviens du type que j’ai arrêté à la Baie Cobalt, le barde à la manque qui m’a traitée de puterelle ? Il était là, et ses cheveux, en fait c’était une perruque. Papa l’a forcé à descendre nous aider, avec Rose. Il s’appelle Nelladel, et c’est le portrait craché du chef Séquoïa. »
June se redresse pour fixer Helouri, ses sourcils froncés formant une ligne presque jointe au-dessus de ses yeux. Le reste du sauvetage est résumé en quelques mots, puis elle agrippe une mèche rebelle alors que ses doigts viennent gratter le sol.
« Mais c’est pas tout. Le monstre est revenu, et je me suis retrouvée à fuir avec lui. On est tombé sur une autre fée, et sur Alajéa aussi. Sauf qu’il l’a assommée, et qu’ensuite, il a voulu m’attraper aussi. Il a failli réussir, heureusement j’ai hurlé suffisamment fort pour que Balam et les autres guetteurs arrivent. Il a dit quelque chose… »
June ferme les yeux. Les mots de l’elfe se sont gravés dans sa mémoire malgré l’épuisement et les cris.
« Il a dit je t'arrête pour tentative de fuite à ta mission principale. Celle que quelqu'un, dans l'ombre, t'as confiée. Je suis désolé, ça aurait pu être quelqu'un d'autre, mais c'est tombé sur toi. C'est pour ton bien et celui des autres. »
La jeune femme rouvre les yeux, une moue agacée sur le visage, et elle fixe son frère en mordillant son ongle.
« Ma mission principale ? Que quelqu’un dans l’ombre m’a confié ? C’est bizarre, non ? Je veux dire, qui me confierait une mission ? Et quel genre de mission ? Et pourquoi il ressemblait au chef Séquoïa ? Et puis c’est quoi ces fées ? Pourquoi il parlait leur langue ? Il avait l’air de les connaître… Et Ellen Price et cette vampire aussi, qu’est-ce qu’elles voulaient à Rose ? Je comprends rien… » gémit-elle.
Helouri n'aime pas ça. Tout au long du récit de June, il n'a pu que s'imaginer l'enfer que sa grande sœur a vécu ainsi que les êtres qui lui ont barré la route.
Il a pu visualiser le Chef Batatume et son père cheminer au cœur d'une cité en train de tomber, June auprès d'eux alors que les fées les entouraient.
D'ailleurs, pourquoi une fée attaquerait Eel ?
Helouri s'affaisse sur lui-même et se met à réfléchir à l'histoire de June. Puis, il hésite quelques instants et finalement, il se lève pour déplacer son tabouret près du sien et la laisse poser sa tête sur son épaule.
Elle est épuisée.
« Je ne dirai rien à personne si c'est ce que tu veux, lui dit enfin Helouri, mais June… Toute cette histoire est effrayante. Ça voudrait dire que quelqu'un t'observerait dans l'ombre ? Quelqu'un qui serait lié à ce Nelladel ? »
Un froid intense glace les entrailles du jeune morgan quand il pense qu'une personne mal intentionnée pourrait nuire à sa grande sœur. Il secoue la tête, ses longues boucles nacrées glissant dans son dos alors qu'il ajoute :
« June… Tu devrais quand même en parler à papa et au Chef Batatume si… Quand tout ça sera terminé. Et peut-être même au Chef Séquoïa si ce Nelladel lui ressemble tant. Qui sait ? Il le connaît peut-être. Tu… Tu as failli être enlevée ! Et si Balam n'était pas venu ? »
Elle grimace alors que les mèches de nacre lui chatouillent le nez. Oui, mais Balam est intervenu, et cet elfe se trompait sûrement. Elle ne voit pas bien à quoi elle pourrait être utile, elle, la gardienne d’Eel aux états de services plus que banals.
« Il était obligé de venir, j’ai dû crever les tympans de tout le monde, plaisante-t-elle avant de redevenir sérieuse. Je sais pas, Lou… De toute façon, papa et le Chef Batatume l’ont vu aussi, et cet idiot leur a donné son nom. Si c’est vraiment son nom, mais je crois que sur ça, il mentait pas. Donc le chef Séquoïa sera sûrement au courant, surtout que visiblement, Balam a été alerté parce que les civils disaient avoir vu le Chef de l’Absynthe en compagnie d’une gardienne… »
Elle plonge soudain son visage dans ses mains et frotte violemment ses yeux, avant de reprendre sa position initiale dans un long grognement.
« Et puis il était tellement… agaçant ! » siffle-t-elle.
Soudain, June est prise d’une interrogation terrifiante. Elle se redresse et attrape Helouri par les épaules, les yeux écarquillés.
« Est-ce que tu crois que le Chef Séquoïa est dans le coup ? Peut-être que c’est lui qui m’observe ! Mais alors s’il apprend que Nelladel m’a dit qu’on m’avait confié une mission, c’est dangereux ! Ou alors… Nelladel et le Chef sont une seule et même personne. Et moi je suis en train de devenir folle… soupire-t-elle. De toute façon, il s’est enfui…»
Helouri attrape les épaules de sa grande sœur avec douceur. S'il était à sa place, il serait terrifié, alors il la comprend. Mais il secoue la tête et lui glisse :
« Ce n'est pas possible. Le Chef Sequoïa et ce Nelladel ne peuvent pas être une seule et même personne parce que quand vous l'avez arrêté, toi et le Second Clarimonde, il donnait un cours dans les quartiers de l'Absynthe. Mais peut-être qu'ils se connaissent et c'est pourquoi tu ne devrais pas garder cette histoire pour toi. »
Aussi, un autre élément est étrange : June dit que ce Nelladel parle la langue des fées. Qui peut se targuer de parler la langue des fées, aujourd'hui ? C'est un détail beaucoup trop singulier pour être ignoré et Helouri pense à voix haute en tirant distraitement sur une manche de sa tunique :
« Pourquoi il pouvait parler la langue des fées, d'ailleurs ? Et pourquoi les fées attaqueraient la cité ? Quand je suis allé à l'audience avec Alajéa Edam, elles ne ressemblaient pas à des monstres, pourtant. Mais je n'ai vu que trois d'entre elles… Celle avec les cheveux turquoise, l'autre avec un chignon bleu foncé et puis celle qui avait la voix très grave… Mais aussi, qu'est-ce que le Second Clarimonde faisait avec une fée ? »
Tout est bizarre dans cette histoire et Helouri craint pour June et son père. Soudain, il écarquille ses yeux d'argent et se tourne brusquement vers sa soeur :
« Tu crois que la mission dont ce Nelladel parlait, ça avait un rapport avec ton passage aux sélections ? Quelqu'un t'y aurais vue ?
- Toute la citée m’a vue… répond June distraitement. Et puis, je vois mal comment quelqu’un de dangereux peut s’être glissé dans la foule, c’était surveillé. A moins qu’il se soit suspendu sous les gradins, ou… Je sais pas, caché dans les tentures… Enfin, même si quelqu’un m’a vue aux sélections, j’ai bien combattu mais c’est papa qui a été choisi. En tout cas, celle avec un chignon bleu foncé, c’était la dernière que j’ai croisée, juste avant que Nelladel essaie de me capturer. Et puis il y avait que le monstre qui attaquait, pas les autres. Sira et… Delta ? Je crois que c’est comme ça qu’Alajéa l’a appelée, attaquaient personne, au contraire ils avaient l’air terrifiés. »
Quant à Rose… June soupire de plus belle. Elle n’en a aucune idée, et c’est surtout cette deuxième vampire qui l’inquiète : dans quel pétrin Rose s’est-il fourré pour que quelqu’un ait envie de le découper à la machette ?
« Eh, dis, tu te souviens du type qui t’a sorti de l’eau ? Jens Red ? Il était avec cette Ellen Price non ? Je te parie que lui aussi, il connaît la vampire à la machette ! Peut-être même qu’il connaît Rose, du coup ! »
Oui, Helouri se souvient parfaitement du renard-garou qui l'a sauvé. Il avait cru mourir ce jour-là, quand l'eau s'était infiltrée dans ses branchies sans qu'elles ne parviennent à s'ouvrir et le jeune morgan n'oubliera jamais la douleur effroyable de son système respiratoire en train de basculer pour se confronter à une erreur.
Jens Red était venu à Eel avec une sirène du nom d'Ellen Price, c'était vrai. Aussi…
« Je ne sais pas, June, c'est possible. Si Ellen Price connait la vampire à la machette, Jens Red la connaît peut-être aussi. Tu sais, si ça se trouve ce ne sont juste qu'une bande de… De… »
Helouri déglutit, mais finit par cracher le mot "drogués" avec difficultés. Il hausse les épaules d'un geste vif, puis ajoute :
« Peut-être que le Second Clarimonde a arrêté l'un d'entre eux et que la vampire a voulu profiter de la situation pour se venger. Je… Je ne sais pas, ça me paraît possible comme hypothèse mais je ne vois pas ce que les fées viennent faire là-dedans. Peut-être qu'au moment où la vampire à la machette l'attaquait, le Second Clarimonde devait simplement conduire la fée Sira en sécurité. Pour Delta Milliget, Alajéa l'aurait reconnue et aurait voulu l'aider ? »
Mais ça n'explique pas pourquoi Nelladel parlerait la langue des fées. De toute manière, ni Helouri, ni June ne sont inspecteurs néanmoins et ce qui est sûr, c'est qu'une enquête sera menée.
« Quand on découvrira pourquoi une fée à attaqué Eel, tu en sauras peut-être un peu plus. Rien ne dit que ce Nelladel a réussi à fuir et puis… Tu feras comme tu voudras, June, mais ce ne serait pas une bonne idée de garder tout ça pour toi. »
Elle fait la moue. Elle ne sait pas trop ce qu’elle dira ou non à ceux qui viendront lui poser des questions, et elle ne sait pas non plus si c’est une bonne idée de ne rien dire. Crier sur tous les toits qu’on lui a confié une mission secrète dont elle n’a pas connaissance, c’est risquer de passer pour une folle, ou pire, mettre sa famille en danger si cela s’avère vrai… June soupire, et adresse un sourire penaud à son frère.
« Je donnerais n’importe quoi pour que cet abruti de brouteur de pelouse soit encore là… Je suis sûre qu’il connaît les réponses à nos questions, et j’aimerais vraiment qu’il me les donne. Je vais attendre un peu, Lou. Et une fois que ça sera un peu plus clair dans ma tête, je verrais bien ce que je dis ou pas. Tu sais, il s’est sûrement trompé de toute façon. Si j’étais un dangereux criminel de l’ombre, c’est pas moi que je choisirais pour une mission… Sauf si c’est dévorer une centaine de tartes au fruit, évidemment. Mais je pense pas que ça soit ça. »
Non, effectivement. Helouri lui adresse un léger sourire alors que les prochaines minutes sont synonymes de silence. June pense à tout ce qu'elle a vécu et le jeune morgan, lui, songe à son père, Balam, le Chef Batatume, le Second Clarimonde et tous ceux restés dans la cité d'Eel pour la défendre.
Enfin, Cristal finit par revenir sous leur tente, les bras chargés de couvertures et d'un petit peu de nourriture.
« Les habitants d'Albacore partagent ce qu'ils peuvent avec nous, explique-t-elle d'une voix qu'elle tente de maîtriser, nous pourrons au moins dormir assez confortablement et manger un petit peu. »
Helouri, Cristal et June s'appliquent à construire le lit de fortune qu'ils partageront cette nuit en étendant les couvertures sur le sol. Quant à leur repas du soir, il se constitue de quelques fruits secs et tranches de pain.
Ils sont fatigués. Ils essayent de ne pas penser, mais c'est un exercice difficile.
Enfin, une fois leur maigre pitance avalée, Cristal brise le silence :
« Essayons de dormir, les enfants. »
Tout sera peut-être plus clair demain matin. On leur dira que la fée a été abattue et on leur dévoilera la liste des gardiens et gardiennes survivants à l'Eel rouge. Joseph en fera partie, bien évidemment.
Lui, Balam, Rose Clarimonde, Valkyon Batatume, Ezarel Sequoïa, Ewelein Osgiliath, Leiftan Tuarran… Tous ceux qui défendent la cité iront bien.
Cristal s'étend sous une couverture et Helouri l'imite. À sa gauche, le jeune morgan hésite quelques instants mais finalement, il vient se blottir contre sa mère qui tressaille, toujours bien trop choquée par ce qu'il a fait, mais reconnaissante que son fils n'ait pas fini enseveli sous les décombres du quartier de la Garde de l'Ombre.
Cristal l'accueille dans une étreinte bienvenue et commence à lui caresser les cheveux, comme quand il était petit et qu'il craignait les rawists, galopant dans les rues d'Eel pour surveiller les enfants turbulents.
Cristal tend sa main droite vers June et l'interpelle :
« Essaye de dormir, ma chérie. Au moins pour quelques heures. »
Elle se débarrasse de son armure et vient à son tour se nicher contre sa mère adoptive, avant de ceindre sa taille d’un bras lourd. Ses doigts attrapent ceux d’Helouri, et elle ferme les yeux en soupirant. Même si elle voudrait rester éveillée pour savoir, elle sait aussi que là, enfouie sous les couvertures et entourée de sa famille, le sommeil viendra bientôt quémander sa dette en fondant sur son corps meurtri de tout son poids langoureux.
- Ça va aller, maman, marmonne-t-elle à mi-voix. Il est fort, il ira bien, t’inquiète pas. Ça ira…
Cristal ne répond pas, mais les mots de June lui donnent de l'espoir. À son tour, elle lui caresse les cheveux et même si les esprits s'endorment, ils restent prisonniers d'une cité en train de tomber.
Qui peut prédire ce que l'aube leur apportera comme nouvelles ?Pixel Art de candice par Brume
Titan et Mery au coeur de la tempête
Est-ce qu'elle peut le faire ? Le peut-elle réellement ? Est-elle seulement capable de se glisser au cœur de la tempête sanglante, sa grande main brune serrant celle d'un enfant, pour achever le travail de Candice ?
Puis, une fois que Leiftan se sera éteint, une fois que le premier Docteur Bec se trouvera dans les bras de la Mort, alors Titan pourra sauver Delta Milliget.
L'ennemi et la fée sont proches. Il ne suffit que de quelques secondes pour rejoindre le premier et sauver la deuxième. En tant que cheffe du cartel des Typhons, Yüljet le peut.
Elle le doit.
TIREZ !
L'orage du combat gronde, mais sa rage commence à se tarir. Titan le sent. Titan le voit, quand une nouvelle pluie de flèches s'abat sur Candice, en train de lutter contre un adversaire bien plus faible que lui.
Balam le guetteur fait peut-être face à un ennemi acculé, mais l'elfe noir reste si petit face à une rage meurtrière en train de crier vengeance. Il ne sait pas que Candice donnera sa force et son sang pour abattre celui qui participe à la domination des siens et qu'à ses yeux, Balam est le dernier rempart avant la victoire.
Que peut-il faire contre une fée animée par la haine, si ce n'est gagner du temps ?
Là-haut, sur son monticule de débris, Titan sait qu'elle n'aura que quelques minutes. Le cœur battant, elle ferme les yeux, s'imagine courir vers cette cuvette meurtrière qui est devenue l'antre de la fée sauvage, puis s'approcher du corps inconscient de Leiftan pour lui administrer le Crachat de Cassandre. Ensuite, elle laissera le poison faire son effet, et se ruera sur Joseph Ael Diskaret et tâchera de libérer Delta Milliget.
Yüljet se sait beaucoup plus faible que le grand morgan aussi, elle espère qu'il a été bien assez affaibli par sa bataille contre Candice.
Titan prend une grande inspiration. Elle sent Mery tirer sur la manche de son manteau, mais elle l'ignore. Elle a besoin de rassembler ses esprits et de se concentrer.
Ce qu'elle s'apprête à faire, c'est ce qu'accomplirait l'héroïne d'une stupide histoire écrite entre les pages d'un livre humain et elle le sait. Mais peut-être que si elle est assez rapide, si elle a de la chance, si tous les gardiens ont leurs yeux rivés sur Candice, si Joseph Ael Diskaret est épuisé, si Mery la suit de près…
« Il faut partir avant que la fée nous voit… » chuchote le petit bröwnie à son attention.
Un cri de douleur lui répond. L'enfant se met à geindre, rivant ses grands yeux d'or sur la silhouette de Balam qui vient d'accuser un mauvais coup. Candice s'acharne sur lui, bien décidé à le détruire.
Yüljet regarde la fée, aux prises avec sa victime, lui faire subir un véritable calvaire. Presque pervers envers celui qui est venu lui tenir tête, Candice n'a de cesse de s'en prendre à ses jambes pour le faire chuter, le rejoindre et le rouer de coups en poussant des cris stridents.
Cette fois, Balam se raccroche à un immense morceau de mur, haletant, son arc à la main avant d'être saisi avec colère, traîné par les cheveux, puis plaqué au sol par le pied de son bourreau.
C'est là que Titan a su que c'était le moment. Que le compte à rebours venait de se lancer et que chaque seconde serait plus précieuse que la précédente.
Candice se prépare à achever sa proie. Il va ouvrir la bouche, se disloquer la mâchoire et percer le front de Balam avec sa trompe, ou bien il va commencer à tirer dangereusement sur sa tête jusqu'à la détacher de son corps.
Il doit le faire. Il doit tuer le guetteur en exemple pour tous les gardiens qui sont persuadés de pouvoir le capturer comme un familier sauvage.
Bien sûr, qu'ils le peuvent. Yüljet le sait. Elle le voit : la fée a atteint ses limites.
Sa peau de pêche disparaît sous la crasse, la poussière, le sang et la sueur. Ses cheveux forment des lianes poisseuses sur son corps épuisé et ses ailes ne sont plus que des membranes racornies que la chaleur a fini par vaincre.
Aussi, Candice peine à reprendre son souffle. Sa poitrine se lève et s'abaisse au rythme des grandes goulées d'air qu'il avale pour tenir encore un petit peu plus. Mais lui aussi, la chaleur le vaincra.
MAINTENANT, GARDIENS !
Miiko Yamamura aussi, a remarqué que la fée est en train de faiblir.
C'est maintenant. C'est maintenant que Yüljet doit se lancer. Pendant que les cordes se mêlent aux flèches, que des voix se brisent sous la peur ou la rage de vaincre, que d'autres s'inquiètent pour le Conseiller.
Titan attrappe Mery sous les aisselles et se précipite vers la cuvette en ignorant les plaintes de l'enfant, terrorisé d'être emporté tout droit en enfer. Mais ce ne sont que des secondes. De précieuses secondes.
Ensuite, ils fuiront.
Le cœur de Yüljet cogne contre ses côtes, sa respiration s'affole et un grand froid envahit ses entrailles alors que ses pensées s'écartent pour la laisser agir. Son corps sait tout, sa main trouve son chemin vers la poche de son manteau laminé, ses doigts se déplient, attrapent la seringue pleine de poison et ses yeux d'onyx, eux, ne quittent pas leur proie.
« Je l'ai ! s'époumone une gardienne.
- Ne le lâche pas !
- Attention !
- Couchez-moi ça comme un minaloo ! »
Les semelles de Titan écrasent les flèches éparses et plus loin, des cordes attrapent un poignet maigre, blessé, une taille malmenée et même une jambe. Candice se débat pendant que Balam se relève, à bout de souffle, un œil mi-clos après avoir accusé le plat d'une main vengeresse. Yüljet devine son corps douloureux par la rancune fielleuse d'une fée, mais là n'est pas le tableau qu'elle doit regarder.
Non.
C'est lui.
La Cheffe du cartel des Typhons dérape et glisse à côté de son corps. Elle le regarde. Elle observe celui dont elle a pris les crimes pour se construire la réputation d'un monstre dans un antre empli de monstres.
Elle est proche, elle n'a pas à lutter pourtant, l'ombre de la peur vient planter ses griffes dans sa chair. Quand Yüljet balaye la silhouette vêtue de blanc, moucheté de rouge sanguinaire, tachée de noir poussière et salie par une folie qui n'a pas de couleur, elle le craint.
Elle craint ses yeux émeraude, maudits, sa hargne et sa soif d'entrailles. Elle le sent déjà lui attraper le cou, les cheveux, l'attirer à lui et lui faire goûter ses lames, ses poings, sa démence.
Titan se raisonne. Elle ferme brièvement les yeux, respire, puis constate que Leiftan à les siens fermés et le souffle faible. Candice a meurtrie sa peau, déchiré sa chair avec sa trompe si bien que le buste du Conseiller est aussi rouge qu'Eel. Ses cheveux bicolores sont collés à ses tempes comme une auréole d'ombre et de lumière, souillée par la haine d'une fée.
Oui, il est vulnérable. Oui, Titan peut le faire.La Peur Au Ventre
Incertaine, les larmes aux yeux, elle serre la seringue comme si sa vie en dépendait et vise le cou de Leiftan. Son regard ne quitte pas la peau abîmée par le combat pendant que son esprit lui montre cette même peau en train de se racornir, se violacer pour finalement pourrir sous la puissance du Crachat de Cassandre.
« Tu fais quoi ? lui demande la voix chevrotante de Mery.
- Regarde ailleurs. » lui intime Titan d'une voix plus sèche qu'elle l'aurait voulu.
Elle ne sait pas si l'enfant lui a obéi, mais elle s'en moque. Dans quelques secondes, tout sera fini.
D'un geste vif, Yüljet approche la seringue, la lève haut, puis file vers le cou de Leiftan, le souffle court et les yeux presque fous.
Puis elle voit rouge.
Un éclair rouge, vif, fatal et douloureux quand il percute son visage. Titan hoquète sous la douleur, sent ses joues et son front s'humidifier avant de basculer en arrière, sa tête cognant contre le tapis de flèches abandonnées. Mery se met à crier.
« Occupez-vous de l'enfant ! ordonne la voix d'Enthraa Kellerman, gardien Ael Diskaret. Tout va bien ? »
Une elfe en uniforme de l'Ombre quitte les rangs pour filer vers Mery et lui prendre la main. Mais le petit bröwnie, confus, la repousse avec douceur en balbutiant qu'il n'est pas seul. Il est venu avec quelqu'un et il ira se mettre en sécurité avec elle.
Pourquoi l'inspectrice Enthraa Kellerman l'a frappée avec son trident ? Elle n'a rien fait de mal. Elle devait regarder si le Conseiller allait bien, non ?
Pourtant, elle a laissé échapper quelque chose. C'est tombé de sa main. Ça brille à la lumière des flammes et ça brille aussi à celles émises par le trident d'Enthraa. La seringue au poison mauve.
La grande sirène et inspectrice de l'Ombre domine Yüljet de toute sa hauteur. Elle ne disparaît de son champ de vision larmoyant que pour ramasser l'arme de ses méfaits avant de l'observer, presque fascinée, à la lumière du chaos. Une grimace fend son visage en deux alors qu'elle crache, venimeuse :
« Qu'est-ce que tu voulais faire avec ça ? »
Titan se met difficilement sur ses pieds, le visage en sang. Enthraa a frappé fort et a visé juste. Le Crachat de Cassandre siège désormais auprès d'elle et tout ce que Yüljet peut faire, c'est le lui arracher. Ou bien…
« Je vais bien, s'élève la voix de Joseph, je m'occupe de cette fée-là et je vais aller mettre l'enfant en lieu sûr.
- On mettra cette femme avec elle quand je l'aurai neutralisée, affirme Enthraa, visiblement, le monstre et elle veulent la vie du Conseiller. »
Non. La vie du Docteur Bec.
Peu importe. Yüljet est cernée. Face à elle, son adversaire avec son trident sanguinaire, à sa droite, Candice qui lutte contre les gardiens, derrière elle, Joseph Ael Diskaret, détenant Delta Milliget et à sa gauche, Miiko, bien haute sur son grand monticule de débris.
C'est là qu'elle a su. C'est à cette seconde précise que son esprit et toute sa chair ont pu lui communiquer la même résolution que Candice Milliget : il ne s'agit plus d'elle, mais des autres.
De tous les ennemis qu'elle pourra repousser, de toutes les vies qu'elle pourra sauver, de tous les masques qu'elle pourra faire tomber. Si elle parvient à accomplir une petite part de cela, alors ça en aura valu la peine.
Titan serre les poings pour maîtriser les tremblements de ses mains. L'émotion en train de la ronger, elle la connaît bien, mais elle ne peut pas se laisser emporter, cette fois. Elle a besoin de toute sa raison et de toute sa clarté d'esprit.
« Vous défendez un meurtrier. » lance Yüljet à Enthraa.
L'inspectrice de l'Ombre ne bronche pas. Ses mains agrippant son trident avec fermeté, elle rétorque d'une voix forte :
« Et qui dit ça ? Celle qui a voulu profiter de la catastrophe pour lui injecter le contenu d'une seringue ? Il n'y a que les sersea qui agissent comme ça. Les sersea et les lâches.
- Vous défendez un meurtrier ! répète Titan.
- On vérifiera le sang que vous avez sur vos mains quand je vous aurais mise derrière les barreaux ! Si elles sont propres, vous serez peut-être entendable ! »
Enthraa s'élance et Titan fait un pas en arrière en tirant son couteau. Non, elle ne peut pas se faire capturer pourtant, elle sait qu'elle a déjà perdu.
Un coup d'œil vers la droite pour voir Candice tirer rageusement sur une corde et attirer un gardien pour lui planter sa trompe dans l'épaule. Il lutte, mais il a perdu lui aussi.
Yüljet se retourne brusquement pour chercher Delta. Si elle a échoué à achever l'œuvre de Candice, elle peut au moins tenter de sauver sa mère.
La fée Milliget est facilement repérable, avec ses cheveux saphirs et le voile d'hiver qu'elle porte encore sur ses épaules livides. Joseph lui tient fermement les bras, la défiant de s'envoler pourtant, c'est ce qu'elle doit faire. Yüljet réfléchit à toute vitesse. Elle ne luttera jamais contre Enthraa et le grand morgan, mais tout ce qui importe c'est que Delta puisse s'enfuir.
L'esprit en alerte, Titan se rue vers Joseph pour lui asséner un coup d'épaule dans la poitrine. Il est épuisé, blessé, l'un de ses poignets est enflé, brisé, mais il a encore de la ressource pour se défaire d'une troll assassine. Néanmoins, il recule et son attention est focalisée ailleurs. C'est tout ce que Titan voulait.
Elle brandit son couteau, tente quelques passes, mais celui qui est destiné à protéger Ysul Gra Bolumbash ne connaîtra pas la défaite aujourd'hui.
« Maîtrisez-là, Ael Diskaret ! rugit Enthraa.
- Fuyez ! » crie Yüljet à Delta.
L'inspectrice de l'Ombre se précipite vers son adversaire et bloque ses mouvements avec son trident, appuyant fort sur son plexus pour lui couper le souffle pendant que Joseph devient un rempart. Mais le regard onyx de Titan cherche celui de la fée.
Cette dernière lève son visage blafard, la résignation sur ses traits. Ses prunelles couleur crème n'offrent aucune lueur et quand sa voix se fait entendre, ce n'est qu'un souffle.
« S'il tombe, je reste avec lui. »
Yüljet se met à ciller. Non. Delta ne peut pas sombrer avec son fils ! Ni avec elle. Elle s'époumone, se débat, lui crie de s'en aller ! Vite ! Tout est fini, de toute manière et lui, Candice…
DÉGAGE, MAMAN !
Fermement maintenue contre Enthraa, Titan le voit. Les cordes que l'on a voulu utiliser contre lui ont laissé des traînées de feu sur sa peau, le rendant encore plus misérable et plus affaibli. Certaines d'entre elles siègent encore sur ses épaules comme des cadavres de sersea et deux autres, plus vicieuses, ont trouvé grâce autour de son cou. On essaye de tenir la fée en laisse, mais la bête ne se laisse pas faire.
Plus essoufflé que jamais, Candice est en train d'abandonner. Yüljet fixe, blême, son visage épuisé et son regard gris, terne, en train de lutter pour voir le monde.
Quand il marche, ses pas sont gauches et quand il hurle à sa mère de s'en aller, sa voix est brisée.
« Capturez-le ! Capturez la fée ! » ordonne Miiko depuis son piédestal.
Les gardiens et les cordes reprennent du service. Même Balam parvient à se mettre sur ses pieds, la peau marquée par la rage de Candice et son propre sang maculant sa tunique azur. Titan le regarde porter une main tremblante à son carquois pour n'y trouver que deux flèches.
Cette fois, son adversaire sera beaucoup moins difficile à viser. Il ne file plus, il ne crie plus le combat et la chaleur drainent son énergie. Encore. Encore…
La puissante fée Milliget se traîne jusqu'à sa mère, mais on ne le laissera pas faire. Les cordes sont lancées.
La colère lui tordant le ventre, Yüljet joue la carte de la dernière chance : elle administre un coup de tête dans la mâchoire d'Enthraa, profitant de la surprise pour se défaire de son emprise et filer vers les cordes. Si elle les intercepte, elle fera gagner de précieuses secondes à Candice.
Serpentant comme des familiers sinistres, les liens de jute se jettent volontiers sur la nouvelle proie qui leur offre bras et buste. À l'image de la fée Milliget, Titan tire violemment sur ses attaches pour faire tomber quelques gardiens et en attirer d'autres à elle.
Ses poings partent vers des visages, ses pieds contre des tibias et quand elle le doit, quand elle le peut, elle parvient à maîtriser certains de ses adversaires.
Pas tous. Les cordes finissent par l'avoir, enroulées, serrées autour de son corps massif et avides de marquer sa chair brune. Peut-être que Yüljet finira pendue, la tête en bas, la peau mutilée par l'art d'un fou.
Nauséeuse à cette idée, la troll se donne un coup de fouet et lutte de plus belle.
Elle ne veut pas être capturée. Elle ne veut pas être envoyée à Odrialc'h. Elle ne veut pas retourner aux jeux des goules. Elle ne veut pas mourir.
Son front casse le nez d'une gardienne, son poing plonge dans les entrailles d'un gardien et son corps se tourne pour échapper à la violence. Ses tresses, lâchées, suivent tristement son ballet mais son esprit reste aussi clair que les flammes en train de ronger le cadavre de la cité blanche.
Elle a perdu. C'est terminé.
Plus loin, Mery, sa main dans celle de la gardienne de l'Ombre qui veut le tirer hors de l'enfer, la regarde à la dérobée, son petit visage couvert de larmes.
Plus loin, Candice relève sa mère avec une douceur qui ne lui ressemble pas. Ses mains blessées tenant ses bras blancs, il la regarde mais il ne la voit déjà plus. Il est fatigué.
Delta lui dit quelque chose, épouvantée, mais tout ce que Candice lui répond, c'est :
« Ce n'est que moi. Alors, ça va. »
Là, il rassemble ses dernières forces. Ses toutes dernières forces pour sauver sa mère hors du chaos.
Candice attire Delta à lui, telle une brève étreinte, avant de faire basculer son corps entre ses bras, bander ses muscles et le jeter hors de la cuvette.
Vole !
Vole, Delta, vole.
Pour tes autres enfants, abandonne celui-là. Il a fait son choix.
C'est ce que Yüljet pense sans trop y croire. Les Milliget subiront le courroux des Docteurs Becs et de ceux qui les entourent aussi, de toute façon. Titan aussi, Candice, Nevra Mircalla…
La troll gémit quand les cordes se resserrent autour d'elle et laisse échapper un cri de douleur quand le trident d'Enthraa vient cingler ses jambes, jusqu'à la faire tomber à genoux.
Des âmes se pressent autour d'elle, des mains saisissent ses épaules, des voix s'époumonent, rugissent, beuglent leur victoire contre le monstre de l'Eel rouge.
Yüljet, elle, le regarde.
Candice s'est effondré sur ses genoux. Sa longue robe d'un bleu saphir s'étend autour de sa maigre silhouette comme une fleur géante et ses ailes froissées forment une cape misérable. Ses cheveux sales coulent le long de ses épaules et bientôt, son front touchera le sol alors qu'il s'affaisse.
Derrière lui, des pas méfiants, un arc que l'on brandit, une flèche qui le vise, à l'affût. Finalement, l'arme est bien vite baissée.
À l'image de Titan, Balam le guetteur regarde le monstre déchu. L'elfe noir est dans un triste état, mais c’est sans importance. Ses blessures ne comptent pas, en cet instant.
Hésitant, il s'approche néanmoins du corps inconscient de la fée Milliget, tournant autour de sa silhouette maigre avant de faire face à son visage inerte. Quand il a presque touché terre, Balam le rattrape d'une main tremblante.
Ses yeux laiteux sont encore teintés de la peur viscérale qu'il a connue plus tôt, mais la présence de Joseph Ael Diskaret vient le rassurer.
Le grand morgan rejoint le guetteur, presque fasciné par la fée endormie, puis le ramène dans la réalité avec une main sur l'épaule.
« Joseph… lance Balam avec un sursaut, Je… J'avais…
- Vous en avez assez fait, lui répond le grand morgan avec douceur, reposez-vous. Nous nous occupons de la fée. »
En effet, Joseph Ael Diskaret n'a qu'à demander et Candice est évacué par des gardiens de l'Obsidienne.
Leiftan le suit de près et Titan le regarde, impuissante, rejoindre les médecins qui lui sauveront la vie. C'est là qu'on l'emmène. Auprès des soigneurs.
Elle ne peut plus rien y faire.
Quant à elle, elle ignore le sort qu'on lui réserve pour le moment. Mais Yüljet n'est pas idiote : quand le Conseiller sera réveillé, il l'enverra à Odrialc'h, se faire pourchasser par les goules dans des jeux macabres où seul le vainqueur peut accéder à la liberté.
Titan ferme les yeux. Non. Pas une seconde fois.
Elle ira à Odrialc'h, certes, mais Leiftan voudra la regarder se faire exécuter par la Capitaine elle-même.
C'est ça, qui l'attend : la mort par celle qu'elle déteste.
Yüljet n'entend plus les voix des gardiens faire l'inventaire des blessés, des morts et des disparus. Elle est presque dans un état second quand on la force à se lever pour marcher jusqu'à un endroit où l'on se presse pour sauver des vies. Son cerveau fatigué attrape brièvement la voix de Miiko, d'Enthraa, de Joseph, de Nevra, d'Ewelein et d'Ezarel.
« … Utilisera les bâtiments des Gardes encore debout pour le moment, affirme Miiko.
- Parce qu'il y en a encore ? demande Joseph, avec la puissance des explosions, je doute que l'on retrouve quoi que ce soit d'intact.
- Nous verrons bien. Le plus important, c'est d'évacuer les blessés vers le dispensaire d'Albacore et d'enfermer les prisonniers dans leurs geôles ! »
Deux prisonniers et un Chef de Garde à juger. Nevra ne sera plus tranquille pour longtemps.
Pourtant, Titan perd toutes ses couleurs quand deux gardiens de l'Ombre courent vers Miiko Yamamura pour l'informer, d'une voix pressée, que deux autres faeliens ont été fait prisonniers à leur tour et pour cause : ils ont été pris sur le fait, à côté du corps d'Élise Mircalla, dépouillée de son argent et de ses bijoux.
Yüljet tend l'oreille, alerte et ouvre de grands yeux. Une Mircalla a été assassinée par des charognards.
Charognards qui sont emmenés aux yeux de tous, titubants, la tête lourde et l'air presque hagard. Titan ouvre la bouche, interdite. Elle secoue la tête, son cœur rate un battement et elle a envie de hurler quand elle voit Fawkes et Nelladel, ligotés, leurs visages couverts de sueurs et leurs yeux en train de se fermer à plusieurs reprises comme s'ils ne supportaient pas la lumière.
« Ce sont eux qui ont été retrouvés auprès du corps d'Élise Mircalla, Dame Yamamura. Nous les avons fouillés et nous avons retrouvé son argent et ses bijoux. Seulement… Voyez… »
Oui, elle voit.Tout le monde le voit. Tout le monde s'est tu, d'ailleurs, les yeux écarquillés, avant de se retourner vers le seul qui ne voit et n'entend rien, l'esprit plongé dans l'inventaire du matériel qui lui reste pour soigner et sauver les blessés.
Au beau milieu des tentes du camp des soigneurs, Ezarel Sequoïa reste fidèle à lui-même. La fatigue ne parvient pas à l'emporter parce que sa mission n'est pas terminée. Il est enfermé dans une bulle qu'il est difficile à briser, même quand Ewelein s'approche de lui pour lui toucher l'épaule, le bras et enfin la main.
« Ezarel. »
Le Chef de la Garde Absynthe ne l'entend pas. Il ne la sent pas non plus, secouant la tête en maugréant contre les filtres qui s'épuisent et les hémorragies qu'il aura à traiter, s'il le peut.
Les autres retiennent leur souffle. Certains essayent de l'appeler, mais leurs gorges restent sèches.
Sauf une. La raison embrouillée par ce qu'il a reçu plus tôt, de la part d'un Docteur Bec, Nelladel ne réalise pas. Il ne réalise presque plus rien : ni le décor, ni le meurtre qu'on lui a mis sur les épaules, ni les gens. Sauf lui, là-bas, son parchemin d'inventaire à la main et ses cheveux miroir des siens.
« Ezarel… »
Cette fois, Ezarel entend. Il se fige, lève la tête puis, incertain, se retourne avec des gestes lents.
Sa main froisse son papier, le sang quitte son visage et tout son corps est parcouru de frissons alors qu'il retient son souffle.
Ezarel le regarde et Nelladel le regarde.
Le premier doit être persuadé que la fatigue et la vision du sang et des corps mutilés par une trompe lui ont pris toute sa raison. Parce que cela ne se peut. Mais c'est sa raison elle-même qui lui souffle que la réalité n'a pas été tordue. Il est là. Il lui a parlé, Ezarel l'a entendu.
Toute sa silhouette se met à trembler. Ses lèvres se fondent en une ligne presque invisible et des larmes roulent sur ses joues sans qu'il n'en ait donné l'ordre.
C'est plus qu'il ne peut le supporter. Sa conscience l'abandonne et Ezarel lâche son parchemin avant de s'effondrer, rattrapé de justesse par Ewelein.
Tout le monde s'interroge mais personne n'ose prononcer un seul mot.
Mais les blessés saignent, les gardiens s'épuisent et Eel est tombée.
« Emmenez les prisonniers à Albacore. Les blessés qui doivent être soignés d'urgence restent ici, les autres partent aussi à Albacore. Dépêchons-nous. » ordonne Miiko d'une voix qu'elle tente de maîtriser.
Quand on lui demande ce que l'on fait du miroir d'Ezarel, la dirigeante de la Garde Étincelante rétorque que cette histoire sera tirée au clair plus tard. L'important, pour le moment, ce sont les vivants et ceux qui doivent le rester.
Quand elle est emmenée, Yüljet croise le regard de Miiko. Véritable masque impassible, la kitsune se contente de lui jeter une brève oeillade comme si elle n'était que la plèbe parmi la plèbe. Visiblement, ses yeux ne sont pas bons.
Tant pis.
Titan sait où elle va. Elle sait aussi que quand Leiftan sera réveillé, son identité ne sera plus un secret et pendant ce temps, ce qu'elle peut faire, c'est se préparer mentalement.
Imaginer les semaines, les mois si elle a de la chance, qui la séparent d'Odrialc'h et du couperet que la Capitaine préparera spécialement pour elle.
Son cou sera dur, mais il finira par céder car personne ne résiste à la Légende. Pas même la cheffe d'un cartel des Typhons éclaté.
Pardon Sexta, Fuya, Fawkes, Nash, Gabrielle, Ryan.
Pardon, Sheraz.Temps Mort
Note très importante : Titan s'est faite capturer. Vous n'avez plus de narratrice.
Titan s'est faite capturer. Vous n'avez plus de narratrice.
Lorsque Leiftan se réveillera, il s'empressera de la transférer à Odrialc'h, où elle sera interrogée et exécutée par la Capitaine.
Vous avez encore le moyen d'empêcher cela. Vous avez encore le moyen de sauver Sheraz. Il vous faut entrer dans le grand palais d'Odrialc'h à tout prix !
Mais avant, il vous faut faire un choix : votre nouveau narrateur.Par Wounw
Vous avez le choix entre Rose Clarimonde et Candice Milliget.
Le premier a été gravement blessé durant la catastrophe, mais il se réveillera et le second deviendra un prisonnier très spécial pour la cité d'Eel.
Pour vous aider, laissez-moi vous présenter ces nouveaux narrateur afin que vous puissiez choisir, en votre âme et conscience, celui qui vous accompagnera durant ce nouvel arc :Rose Clarimonde
Le Second de l'Ombre mal-aimé des gardiens, traître au cartel et loyal à Nevra mais aussi serviteur de Candice Milliget.
Rose Clarimonde parle la langue des fées et lutte contre Leiftan, mais pour quelle raison ?
L'esprit de Rose Clarimonde est un véritable coffre fort recelant de secrets que l'on ne peut trouver que si l'on cherche aux bons endroits. Il est celui qui veut être un socle sans savoir qu'il n'est qu'une rose qui ne peut pas tout supporter.
Choisir Rose Clarimonde en tant que narrateur, c'est vous immerger dans la paix et la tourmente, mais avoir la certitude d'avoir un esprit clair et réfléchi. Peut-être que Rose a commis des erreurs que vous pouvez réparer ou bien allez-vous le détourner du chemin qu'il a emprunté ?
Quand Rose a une mission, il l'accomplit. Il est un soldat qui obéit. Si on lui dit de suivre le sentier, il le suivra.
Mais peut-être que si la raison et les émotions sont plus fortes que les ordres qu'il reçoit, il voudra explorer la forêt, l'océan ou la plaine gelée, au-delà du sentier.Candice Milliget
La fée la plus puissante de la famille Milliget. L'espèce souveraine déchue dont le peuple a été fait prisonnier et qui doit se contenter d'obéir aux forces qui tiennent Eldarya en laisse.
Candice est la fée impétueuse dont toute la haine va aux faeliens qui sont arrivés avec le Grand Exil et qu'il rêverait de renvoyer sur Terre ou bien au Ragnarok, en proie à une mort certaine.
Mais plus qu'à sa rage, c'est à sa famille que Candice voue son amour et sa loyauté. Ses actes ne sont motivés par rien d'autre que sa famille et tant qu'elle existe, alors il peut être fort.
Même en prison, Candice continuera de se battre, quitte à faire brûler Eel une seconde fois. Choisir Candice en tant que narrateur, c'est essayer de dompter un esprit impétueux et belliqueux. C'est aimer jouer avec le feu et peut-être se brûler mais une fois que l'on sait le maîtriser, alors il est facile d'emprunter une belle route pour la suite de l'aventure.
Avec Candice, vous ordonnez, mais saurez-vous distribuer les bons ordres ?
Qui sait ce que vous pourrez faire avec une rage meurtrière et une haine viscérale enfermées dans un cœur de glace ? Le meilleur ou le pire.
En fouillant l'esprit torturé de Candice ou en grattant la glace de son cœur, vous pourrez peut-être y trouver du bon et l'exploiter. Qui sait ce qu'une puissance comme Candice peut devenir quand les ténèbres et les feux ont fini de lui bander les yeux ?
Le meilleur. Le meilleur du meilleur, sûrement. C'est à vous de choisir.Fin du premier arcPar MayaShizVous avez jusqu'au mardi 27 septembre, 23h59, pour voter !
Dernière modification par Aespenn (Le 13-09-2022 à 10h47)
Hors ligne
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Un chapitre qui arrive plus tôt que prévu car malgré la fièvre et le mal de crâne, j'ai pu être efficace dans l'écriture. Premier chapitre de ce second arc, donc, avec un choix assez simple pour commencer, mais n'en prenez pas l'habitude : ça ne va pas durer. B)
Je vous souhaite une bonne lecture depuis les yeux et l'esprit de Rose Clarimonde et faites-vous des tisanes !
Chapitre 1 - La Femme En Rouge
Si tu veux quelque chose, mérite-le.
Si tu veux manger, tu dois travailler.
Si tu veux exister, tu dois apprendre.
Si tu veux recevoir, tu dois donner.
Si tu veux grandir, tu dois obéir.
Mais
.
.
.
Si tu veux vivre, ressens-là.
Dans tes veines.
La maladie de la vie.
Il prend son chiffon entre ses petites mains et il le tord, comme dans l'histoire des lavandières de Diane. Il n'a pas beaucoup de force et il n'est pas très grand, mais il prend un soin particulier à essorer l'épais tissu comme il se doit.
S'il y a trop d'eau, alors il y aura des traces sur le sol et s'il n'y en a pas assez, il y aura aussi des traces.
À la lumière du jour pâle, cela fera négligé aux yeux de la directrice et il faudra recommencer. La salle de restauration est assez grande et c'est fatiguant, alors il faut faire les choses avec minutie.
Ils sont dix-huit enfants, ici, à l'orphelinat pour jeunes garçons Saint Ezekiel et ils sont dix-huit enfants à avoir appris le devoir, la rigueur, la discipline et la valeur du silence.
Ils nettoient les pièces qu'ils utilisent, ils lavent leur vaisselle, ils raccommodent leurs vêtements et ils font correctement leurs devoirs.
S'ils désobéissent, ils seront punis. Leurs petits doigts connaissent les règles en métal des éducateurs, leurs oreilles ont été tirées par la main sévère de la directrice et certains mollets portent les stigmates d'une baguette ou d'un martinet.
Les orphelins élevés à Saint Ezekiel connaissent leurs droits et leurs devoirs. Ils savent aussi que personne ne les envie, que leur foyer ressemble à un véritable cachot aux yeux d'autrui pourtant, ils sont assez clairvoyants pour savoir que la directrice ainsi que les éducateurs sont des gens rigides mais justes.
Aucun châtiment corporel n'est infligé sans une bonne raison. La raison en elle-même peut être discutable, mais les enfants laissent cela aux adultes. Ils y penseront plus tard, quand ils existeront en tant que personne parce qu'ils auront été éduqués et parce qu'ils connaîtront la vérité. La directrice le leur répète tous les jours : ils n'ont pas de parents et ils sont arrivés à Saint Ezekiel les mains vides, mais ils quitteront l'orphelinat avec de bonnes manières, de la connaissance et un discernement sans pareil.
Les dix-huit orphelins savent qui sont leurs maîtres. Quand ils vont à l'école ou en sortie organisée, ils entendent partout que c'est Odrialc'h qui règne sur Eldarya. Que c'est Odrialc'h qui tient les rênes du monde.
C'est faux.
Les vrais maîtres de ce monde se trouvent de l'autre côté de la frontière, là où il fait beaucoup trop froid pour le commun des mortels et on leur a volé leur trône.
Quoi que vous fassiez quand vous serez adultes, a dit la directrice,ne donnez jamais votre temps, votre jeunesse et votre labeur aux voleurs. Travaillez honnêtement pour des cités et des hameaux qui ont besoin de vous. La grande Odrialc'h mensongère ne vous mérite pas. Elle vous attrappera et vous tordra comme les lavandières de Diane pour vous prendre tout ce que vous avez.
Oui, les lavandières de Diane. Un conte noir pour faire peur aux enfants et les dissuader de se rendre dans ce village sordide où les habitants ont été massacrés en une seule nuit.
On raconte que dans le vieux lavoir de Diane, au crépuscule, on peut encore voir des lavandières venir laver leurs linges. De grands draps blancs et des robes éclatantes tachées de sang, qu'elles frottent dans un calme religieux.
Aux malheureux passant par là, elle leur demande d'essorer leur linge. Fort. Très fort. Très très fort. Jusqu'à ce que le pauvre bougre finisse par tordre sa propre chair dans des craquements sinistres.
Tous les enfants de Rhenia-Gaear connaissent la légende, même ceux qui sont élevés dans une grande bâtisse de pierre brute qui ressemble à un monastère.
Lorsque le tissu a absorbé assez d'eau - ni trop, ni trop peu - Rose s'applique de laver le sol avec des gestes méticuleux. Il faut que ça brille à la lumière et alors seulement son travail sera achevé. Les autres enfants de l'orphelinat Saint Ezekiel font de même, dans un silence religieux.
Si Rose est sage et travaille bien à l'école le lendemain, alors la femme en rouge viendra.
La femme en rouge est une créature magique. C'était ce qu'il pensait. Elle ressemble à une légende mystique, car elle n'apparaît que les jours où il a école pour venir l'attendre à la sortie.
Rose ne peut pas la manquer, avec son manteau rouge. Il ne peut pas manquer non plus son visage très maquillé et ses longs cheveux blonds, filasses, laissant entrevoir quelques trous dans son crâne qu'elle essaye de cacher en les rassemblant en une queue de cheval.
Non, vraiment : son manteau est aussi rouge que le sang avec lequel il est en train de laver le sol de la salle de restauration.
Rose se fige. Chaque muscle de son corps est immobile, il retient sa respiration et lance des coups d'œil apeuré au décor. Tout est normal. Tout est parfaitement normal. Son cœur se calme et quand il regarde l'eau de son seau, elle est saine et limpide.
Alors il peut penser à la femme en rouge au visage très maquillé avant d'admettre que tout ceci n'est qu'un songe. Une salle d'attente. La dernière avant le grand départ.
Quand il était enfant, donc, une femme venait le chercher après l'école. Rose se souvient que ses yeux étaient verts comme une forêt profonde et qu'elle sentait le jasmin à lui en piquer le nez. À force de la côtoyer, Rose avait fini par déceler l'odeur de l'herbe du froid, à fumer, juste derrière son parfum.
La femme en rouge venait le chercher avec la joie sur son visage. Elle lui caressait les cheveux, les joues, l'emmenait manger un gâteau au miel et lui demandait ce qu'il avait fait à l'école. Ensuite, ils s'installaient sur une aire de jeu. Toujours la même avec les grands tunnels bleus, la balançoire et Rose se cachait pendant que la femme en rouge le cherchait en faisant semblant de mettre du temps à le trouver. Puis, quand venait le moment de le ramener discrètement à l'orphelinat, elle s'asseyait sur un banc et le serrait fort dans ses bras. Elle pleurait, mais elle tenait à cacher ses larmes, alors Rose faisait toujours comme s'il n'avait rien remarqué.
Au fil de leur rencontre, la femme en rouge lui avait dit qu'elle s'appelait Dora. Elle portait toujours le même manteau et nouait ses long cheveux blonds en queue de cheval. Parfois, les trous sur son crâne se voyaient moins cependant, ce qui n'avait pas échappé à Rose, c'étaient ceux dans son maquillage.
Quand les lourds pigment écarlates craquelaient sur ses lèvres, on pouvait y voir du noir et quand la poudre sur ses joues s'éstompait, il y avait des taches sombres. Rose pensait que Dora était malade pourtant, elle semblait en pleine santé. Elle marchait et parlait bien, même si son corps était maigre, ses lèvres noires et qu'il lui manquait quelques touffes de cheveux.
Rose était heureux en compagnie de Dora. Avec elle, il savait rire, s'exprimer à grands cris d'enfant, quitter la monotonie de l'orphelinat et courir se cacher à l'aire de jeux pour qu'elle le retrouve. Aussi, il empruntait un livre, à l'école, pour qu'elle puisse lui lire des histoires. Assis sur ses genoux, à manger le gâteau au miel qu'elle lui achetait, il écoutait sa voix.
N'importe qui se serait méfié de la femme en rouge qui venait chercher le même petit garçon les jours d'école. Rose lui avait accordé toute sa confiance et toute son affection. Dora s'occupait bien de lui et il avait même nourrit le souhait qu'elle puisse l'adopter. Il s'était dit qu'elle aurait fait une bonne maman parce qu'elle savait bien jouer à cache-cache et qu'elle racontait bien les histoires. Elle le félicitait beaucoup quand il réussissait à l'école et dans ses yeux verts, Rose lisait la fierté. Il ressentait, auprès de Dora, ce qu'aucun enfant ne pouvait ressentir à l'orphelinat : le fait d'être précieux pour quelqu'un.
Pourtant, Dora avait fini par se faire attraper par la directrice de Saint Ezekiel.
Une femme en rouge, qui vient les jours d'école chercher le même petit garçon, ne peut pas être discrète. Les professeurs avaient avertis la directrice et pendant que Dora déposait Rose non loin de l'orphelinat, elle s'était fait surprendre.
L'image mystique de Dora avait volé en éclat. On avait dit à Rose qu'elle était une femme mauvaise qui avait ingéré du poison et errée dans des endroits peu recommandables. Elle était malade dans son corps et son esprit et Rose aurait pu se mettre en danger en restant auprès d'elle.
Puis plus tard, avant de quitter l'orphelinat, il était revenu sur l'incident de la femme en rouge avec la directrice. Il avait demandé la vérité.
Peut-être qu'il n'aurait pas dû. Peut-être aurait-il fallu laisser Dora à l'état du songe de la femme en rouge plutôt que de l'emmener sur un chemin chaotique avec lui.
Qu'est-ce que ça lui avait apporté de savoir ? Qu'est-ce que ça lui avait fait de connaître l'histoire de Dora ou Théodora, son propre empoisonnement par le tap et celle du bébé qu'elle portait dans son ventre ?
Dora était particulièrement gentille et attentionnée avec Rose parce qu'elle n'avait pas réussi à être une bonne maman. La directrice avait dit que, même s'il ne s'en souvenait pas, Rose avait vécu la malnutrition, l'insalubrité et juste avant que sa mère réalise son geste, la maltraitance.
Théodora avait voulu se racheter une conduite dans l'espoir de récupérer l'enfant qu'elle avait elle-même déposé à l'orphelinat, mais la directrice avait catégoriquement refusé.
Ses erreurs étaient trop grandes pour permettre à Rose de retourner vivre auprès d'elle.
Qu'à cela ne tienne : il était parti, puis il l'avait retrouvée.
Il sursaute quand le seau se renverse. Ce n'est pas de sa faute, il n'aurait pas commis une bêtise aussi idiote. Non : le sol a tremblé, il en est certain.
Rose a peur de regarder l'eau car peut-être qu'elle n'en est plus. Quand il lève ses yeux opalins, les longues tables de l'orphelinat Saint Ezekiel ne sont plus les mêmes et les autres enfants ont disparu.
Il y en a deux autres tables, plus petites, simples, blanches et derrière l'une d'entre elles, une silhouette maigre semble dormir sur sa chaise.
Rose s'approche.
Il s'agit d'une femme, une vampire, comme lui. Son crâne est couvert de taches noires et ses cheveux ont disparu. Ses os sont saillants sous sa peau pâle et son visage semble fatigué de son existence trop courte, mais ravageuse.
C'était ainsi qu'elle s'était présentée, la femme en rouge, quand il l'avait retrouvée dans un établissement médical à Rhenia-Gaear. Un centre pour celles et ceux qui n'avaient plus personne.
Rose lève une main pour atteindre la table. Il n'était plus un enfant, quand il avait visité cet endroit pour la première fois de sa vie, mais ici…
Une toux légère se fait entendre. Rose a un sursaut, il se retourne, puis écarquille les yeux quand il se confronte à June Albalefko.
La jeune faelienne porte l'uniforme de la Garde Obsidienne. Elle est assise sur une chaise, face à une autre table, les mains croisées et ses cheveux cendrés auréolant son visage. Elle est telle qu'il l'a connue le jour où il a commencé son suivi pour son transfert dans le corps armé d'Odrialc'h. Le regard améthyste de June croise le sien et elle lui sourit :
« Bonjour, Second Clarimonde.»
Rose marche vers elle. Quand il est proche, il a retrouvé son corps d'adulte et il la regarde, perplexe, étonné qu'elle puisse se trouver ici avec lui.
Puis il blêmit : est-elle vouée à embarquer pour le grand départ, elle aussi ?
Mais June agite les mains, devinant son trouble :
« Ah ! Ne vous inquiétez pas, je vais bien ! Enfin, je crois. De toute façon je suis pas vraiment, June, vous savez ? Juste une image. Une projection de la dernière que vous avez connu. En réalité, vous parlez avec vous-même.
- Est-ce que ce sont des choses qui arrivent quand la mort est là ?
- Je sais pas. Je suis jamais morte. Quand vous déciderez de lâcher prise, vous verrez bien. »
Certes, mais il n'est pas prêt.
Quand Rose fait un mouvement, le dos de sa main bute contre le dossier d'une petite chaise, face à June. Il la tire et s'y assoit.
La grande pièce n'a pas vraiment changé, si ce ne sont les tables. Les fenêtres cintrées sont à leur place, le sol est toujours en pierre et l'atmosphère est celle d'un monastère. C'est la salle de restauration de l'orphelinat Saint Ezekiel sans être elle.
Pourtant, des choses et des gens apparaissent et disparaissent.
June triture une mèche de ses cheveux d'un geste distrait, puis semble réfléchir avant de reprendre la parole :
« Vous avez déjà regretté d'avoir su ?
- Su ?
- La femme en rouge.
- Non.
- C'est pourtant parce que vous avez su que vous vous retrouvez dans cette situation aujourd'hui. »
Est-ce que s'occuper de sa mère, à tout prix, valait la peine d'en mourir ? Est-ce réellement à cause de son choix qu'il est en train de mourir ou bien à cause de ses propres convictions ?
Il avait rejoint les Mircalla parce que c'était la meilleure chose à faire pour gagner de l'argent et placer sa mère dans un bon établissement. Il avait rejoint le cartel des Typhons parce que c'était un ordre.
Oh, si, il avait souhaité que sa mère puisse se remettre dans un monde meilleur mais est-ce que cet objectif valait la peine de mourir, aussi ?
« Vous avez des regrets ? reprend June.
- Je… Ne sais pas.
- Lui, par exemple ? »
Surpris, Rose lève la tête. June pointe son doigt sur sa gauche et quand il se retourne, il cille face à la silhouette massive de Valkyon, en train de regarder par la fenêtre.
Oui, lui est un regret. Il le sent au plus profond de son être. Maintenant qu'il ne le reverra plus, il regrette de ne pas avoir essayé avant d'abandonner.
« Ça aurait été bien d'essayer. Au moins pour vous.
- Non. Ça n'aurait mené à rien.
- Vous pouvez pas savoir.
- Je… Je ne correspond pas à son idéal.
- Ça existe pas les idéaux. Parfois on souhaite quelque chose, mais la vie nous apporte tout l'inverse et en fait, c'est mieux pour nous. »
Rose la regarde, perplexe et June lui adresse un sourire énigmatique.
S'il survivait, est-ce qu'il essayerait d'effacer ce regret-là ? Est-ce qu'il oserait seulement ? Qu'est-ce que ça lui ferait, si ses sentiments pour Valkyon étaient réciproques ?
Un sifflement le ramène à lui et quand il rive ses yeux opalins sur l'endroit où se tenait le Chef de l'Obsidienne, c'est pour trouver Nevra en train de fredonner l'air d'une chanson de taverne.
« Il vous aime beaucoup, constate June, il ne vous abandonnera jamais.
- Oui. C'est quelque chose dont je suis certain.
- Vous aussi, vous l'aimez beaucoup. Comme votre mère. Ah… Et eux… »
Eux.
Rose ferme brièvement les yeux. Un petit groupe s'est construit non loin des fenêtres cintrées et il peine à les regarder car eux, il les a utilisés comme des objets pour le plan du Maître.
Le cartel des Typhons est animé. Titan se tient contre le mur, les bras croisés sur son torse massif et elle semble demander l'opinion des uns et des autres avant de prendre une décision.
Fuya est enthousiaste. Son regard bleu, pétillant, file de Sexta à Nash qu'elle semble taquiner, plongeant le grand orc dans l'embarras. Ryan est aussi discrète que d'habitude et Gabrielle les rejoint, glissant sa main dans celle de son aimé.
Puis lui aussi, il est là. Son binôme.
Rose secoue la tête.
« Je n'ai pas été honnête avec eux.
- Non, en effet. Vous les avez utilisés et à présent, ils font les frais du plan de Maître Candice Milliget.
- Fawkes m'a fait confiance, alors Titan m'a fait confiance elle aussi.
- Il vous aime beaucoup, répond June en haussant les épaules.
- Il ne devrait pas. »
Fawkes l'a toujours tenu en haute estime sans que Rose n'en comprenne la raison. Peut-être qu'il aurait voulu qu'ils deviennent amis, mais puisque le cartel n'était qu'un outil, c'était impossible. Pourquoi le renard-garou s'est obstiné ? Pourquoi tenir à lui de cette façon ? Rose n'a jamais eu les réponses.
Il plisse soudainement les yeux quand un rayon de lumière bleu l'aveugle. Papillonnant des paupières, il regarde le jour, à travers les fenêtres, filtrer avec une intensité éblouissante.
« Et moi ? souffle June, c'était pas trop pénible de faire mon suivi ? »
La jeune faelienne lui sourit. Son regard améthyste se plisse et des fossettes se creusent au niveau de ses joues.
« Vous avez l'âge de mon petit frère, avoue-t-elle, c'était parfois difficile de vous voir comme un gradé quand j'ai su ça.
- Je n'aurais jamais dû me trouver à cette place, confesse Rose.
- Je sais. C'était pour vous protéger de Leiftan. »
Là, son monde devient noir. La nuit tombe à l'extérieur et les pierres, puis les murs, se teintent d'une substance poisseuse alors que des lanternes d'un vert émeraude comme du poison, illuminent les lieux de leur éclat macabre.
Rose se met à trembler. Ses muscles se tendent, ses poings se serrent à s'en faire blanchir les jointures et des larmes humidifient ses yeux. Il lève son visage vers June, puis lui murmure d'une voix blanche.
« Non. Pas maintenant. Pas maintenant alors que je vais bientôt partir. »
La jeune faelienne reste imperturbable pourtant, les ténèbres sont effacées quand un autre rayon de lumière bleu frappe à travers les fenêtres.
June se penche pour lui chuchoter :
« Vous ne sentez pas ? »
Ce qu'il doit sentir ? Que doit-il sentir ? La fin de son rêve, peut-être. Rose s'adosse contre le dossier de sa chaise et prend une grande inspiration. Quand son souffle franchit la barrière de ses lèvres, son monde n'a pas bougé. Pourtant, il est certain de lâcher prise.
« Je suis sûre qu'elle s'est inquiétée pour vous, vous savez.
- Elle ? demande Rose.
- June. »
Nouveau sourire énigmatique, mais le jeune vampire acquiesce sans répondre. Il discute avec lui-même, après tout et cette réflexion, il se l'est déjà faite : il comprenait pourquoi Helouri Ael Diskaret s'accrochait tant à June. Un petit frère qui suit sa grande sœur parce que c'est rassurant.
Rose aimait bien faire le suivi de June. Elle était une personne enthousiaste, dynamique, à l'écoute et volontaire. Maintenant, elle devra continuer avec quelqu'un d'autre.
« Vous ne sentez vraiment pas ? »
Rose s'apprête à lui demander ce qu'il doit sentir, lorsqu'un nouveau rayon de lumière bleu, plus intense, plus éblouissant envahit la grande pièce, son rêve, son monde.
Il ne voit plus, il entend moins et son corps tout entier semble figé. Puis, on le tire brusquement pour l'enfermer dans un carcan de douleur. Une enveloppe de souffrance ou chaque respiration lui plante des milliers d'aiguilles dans les poumons et où sa langue est un monticule de poussière.
« Vous ne sentez pas ? Vous êtes sûre ? Parce que moi, si vous avez encore mal, je vous en rajoute une couche ! Il faut le dire ! »
Une voix grave, lointaine, résonne dans la pièce où il se trouve. Elle n'est pas très éclairée. Beaucoup moins que le rêve dans lequel il se trouvait et Rose a l'impression que son crâne va se fendre en deux. Il veut faire un mouvement, mais il n'y arrive pas.
Il essaye de respirer. Ça lui fait mal, c'est douloureux pourtant, il doit le faire. Il doit prendre conscience de l'air qui afflue dans ses poumons et qu'il expire par sa bouche aux lèvres craquelées. Parce qu'il est en vie.
Vous ne sentez vraiment pas ? La vie.
Lorsque le souffle est acquis, Rose tente de sentir ses mains. L'effort est difficile. Très. Pourtant, quand enfin il parvient à plier et déplier les doigts de sa main gauche, il constate qu'elle existe toujours et qu'elle est en bon état. Même chose pour la droite.
Ensuite, son cœur bat toujours au creux de sa poitrine, ses entrailles sont là et pour le moment, il semble entier.
Viennent ses jambes. Ses jambes douloureuses. Très douloureuses.
Quand la souffrance remonte le long de ses mollets, de ses genoux et de ses cuisses, il commence à craindre. Il jette un regard épouvanté à la pièce qui l'abrite mais puisqu'il est allongé sur un lit, il est difficile de voir au-delà du plafond. Il lui faudrait se redresser, pour cela.
Ses mains peuvent peut-être l'aider, mais il n'a pas beaucoup de force ou plutôt : il ne lui en reste plus beaucoup.
« Je crois que ma plaie va mieux, lance une voix d'homme, merci, Yëvet.
- Pourtant c'est encore moche, vous savez. On va remettre de la crème dessus sinon, vous allez voir que l'infection va vite revenir comme un minaloo après son os ! »
Deux personnes discutent, plus loin. À la gauche de Rose, quelqu'un est étendu sur un lit et semble dormir cependant, un long rideau opaque a été tiré pour protéger son intimité. Face à lui, il y a… Il doit se redresser.
Le cœur de Rose s'accélère. La vie qui revient n'est que confusion et douleur, bien loin de son monde qui devait être une salle d'attente. Pourquoi est-il revenu ? Comment a-t-il pu revenir ?
Il n'aurait pas dû. Il devait mourir.
Mais il est là et il est réveillé alors, pour son retour vers le monde des vivants, il peut agir ou parler.
Montrer qu'il est conscient, qu'il a ouvert les yeux et que son songe est derrière lui.Les Choix
Rose Clarimonde a failli perdre la vie pendant la catastrophe mais par bonheur, il a été réanimé et le voilà vivant. Il vient de se réveiller et tout ce qu'il sait, c'est qu'il se trouve dans un lit, dans une grande pièce, que deux personnes sont en train de parler et que quelqu'un semble dormir à sa gauche, séparé par un rideau opaque.
Que devrait-il faire ? (Petite astuce : votre choix aura une influence sur la première personne qu'il va rencontrer).
➜ Appeler quelqu'un.
➜ Tenter de se redresser pour repousser ses couvertures et examiner ses jambes.
➜ Tirer le rideau pour regarder qui dort à sa gauche.
➜ Tenter de se redresser pour examiner l'endroit où il se trouve.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : On a annoncé à June, Cristal et Helouri que Joseph était en vie et qu'il se reposait dans un lieu réservé aux blessés. Ils peuvent évidemment lui rendre visite et quand elle s'y rendra, June peut voir d'autres têtes connues et décider de leur rendre visite aussi.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes se trouve dans une prison d'Albacore en compagnie de Nelladel. Candice n'est pas avec eux.
Nelladel ne lui a pas adressé un seul mot depuis qu'ils ont tous les deux retrouvé leurs esprits. L'elfe lui en veut.
Que devrait faire Fawkes ?
➜ Lui parler (RP)
➜ Le laisser tranquille (Pas de RP)
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Je poste ce chapitre bien tard mais au moins, je n'aurais pas à reporter la publication du chapitre et c'est un soulagement !
Alors, un petit mot pour vous prévenir que ce chapitre est assez sombre. Pas dans l'horreur, mais la psyché. Vous l'avez peut-être déjà compris, mais Rose est un personnage avec des pensées négatives et vous allez voir que sa détresse est grande.
Attention, donc, si vous êtes sensibles à ce genre de sujet, car le mal-être psychologique de Rose est très présent.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture malgré tout et je vous dis à bientôt !
Chapitre 2 - La Maladie Du Néant
Il aurait pu appeler quelqu'un, mais il n'a rien dit. Il aurait pu porter toute son attention sur le lit à côté du sien, tirer le rideau opaque qui le tient à l'écart du dormeur, mais il n'a rien fait.
Il aurait pu, aussi, aviser la pièce dans laquelle il se trouve. Observer le plafond, les murs, les autres lits ou même les odeurs flottantes dans une atmosphère presque morose, mais ce n'est pas ce qui a captivé toutes ses pensées.
Non.
C'est la douleur.
Du feu, du sel, du poison… Un sel brûlant et empoisonné en train de dévorer la chair de ses jambes avec une lenteur intolérable. Toute son attention focalisée dessus, la souffrance grandit, grandit, jusqu'à lui arracher une grimace ainsi qu'une angoisse glacée dans les entrailles.
Rose fixe la couverture épaisse qui recouvre une partie de son corps, le visage livide. Le bord du tissu vert ressemble à un couperet qu'il lui est difficile de repousser car même s'il sait, même s'il connaît la vérité, Rose n'a pas envie de la confronter.
Il se souvient de Sexta. Il se souvient de sa machette et de sa menace. Elle voulait lui couper une jambe et le laisser se vider de son sang, comme punition pour sa trahison envers le cartel.
Est-ce qu'elle a réussi ? Est-ce qu'elle a pu le priver d'un de ses membres ?
Retenant son souffle, Rose repousse la couverture et embrasse la réalité.
Sexta n'a jamais pu aller jusqu'au bout de son entreprise pour une raison qu'il ignore. Ses deux jambes sont là, mais elles reposent sous un amoncellement de bandages et sur des supports en bois, réservés à ceux qui se sont cassé quelque chose. Rose avise aussi, en relevant la tunique blanche dont on l'a affublé, qu'une partie de son bassin est camouflée par des pansements. La douleur le ronge, le dévore alors que d'une main tremblante, Rose effleure les bandages comme si ce geste pouvait la faire fuir.
Oui, il possède ses deux jambes, mais elles ont été brisées comme des brindilles et il n'a aucune idée de ce qui lui est arrivé. Si ce n'est pas Sexta, qui lui a fait cela ?
Rose soupire de concert avec quelqu'un d'autre. Surpris, il lève ses yeux opalins pour se confronter au soulagement d'un soignant.
Drapé dans sa longue robe viride, un plateau métallique avec des ustensiles dans les mains, Lilymoe lui adresse un sourire très doux, malgré son visage fatigué. Ses cheveux flamboyant auréolent sa figure dans une bataille que seul l'épuisement a su remporter et même ses oreilles animales semblent s'affaisser de temps à autre.
« Vous êtes réveillé, constate Lilymoe, j'arrive tout de suite. »
Rose le regarde s'en aller, sans comprendre. Il songe immédiatement à ses jambes, à ses pansements et il n'a aucune envie que quelqu'un s'en occupe pour le moment.
Il tente de se redresser, mais seul un gémissement franchit la barrière de ses lèvres quand ses membres inférieurs se transforment en chapes métalliques, impossible à déplacer.
Des larmes perlent au coin de ses paupières alors que la douleur le ronge jusqu'à l'os. Qu'importe ses efforts, Rose ne parvient pas à retirer ses jambes de son feu vorace.
En jetant des regards alentour, il ne peut que constater qu'il est cerné par des lits et des murs. Incapable de se relever, il ne parvient pas à voir si les portes de la pièces sont proches ou lointaines et en cet instant, Rose se sent prisonnier. S'il se trouvait réellement en prison, il pourrait tout aussi bien se laisser tomber au sol pour ramper, tirer sur ses jambes blessées et tenter de s'enfuir que ce serait vain.
Mais là, dans la seconde où toutes ses pensées se croisent sur la question d'une échappatoire, il se demande : que cherche-t-il à fuir ?
« Me revoici. » lui indique Lilymoe.
Le renard-garou s'approche de son lit avec un petit tabouret à la main. Il le pose au sol avant de s'atteler à tirer les rideaux, coupant Rose de la pièce et le jeune vampire se ferme instinctivement en songeant qu'il va être examiné. Qu'on le regarde pendant qu'il est inconscient lui importe peu, parce qu'il n'est pas présent pour voir.
D'ailleurs c'était mieux, de ne pas voir.
Mais pour le moment, Lilymoe ne s'est pas équipé pour défaire ses bandages et aviser les blessures. Il se contente de s'asseoir à ses côtés, arborant un masque paisible que Rose considère comme faux, si bien qu'il ferme une porte supplémentaire dans sa forteresse intérieure. Finalement, Lilymoe va bel et bien l'examiner, mais il ne s'agira pas de sa chair.
« Comment vous vous sentez ? » lui demande le soignant.
Rose ne dit rien. À vrai dire, il n'a pas fait d'examen interne et externe assez poussé pour pouvoir y répondre. Il sait que ses jambes se portent mal et qu'il souffre, voilà tout. Le reste, il n'y a pas pensé. Pas encore.
Un frisson court sur sa peau quand il se revoit, enfant, dans l'instant qui voulait le conduire à la mort, en train de renverser un seau rempli de sang sur le sol. Là, il s'était concentré pour ne pas réaliser le moment présent.
Rose songe : et si, maintenant, il le faisait, qu'est-ce que ça donnerait ?
Lilymoe remonte sa couverture. Il doit penser qu'il a froid.
« Si vous vous sentez confus, c'est tout à fait normal. Vous avez traversé beaucoup d'épreuves. Est-ce que vous vous souvenez de quelque chose ? »
Rose se met à réfléchir. Le jour de la catastrophe ne devait être qu'un plan finement ficelé où chaque instant était déjà écrit par Maître Candice, afin de tuer Leiftan Tuarran.
Se rendre à l'entraînement de June Albalefko, attendre l'arrivée des gardiens de l'Ombre qui prétendraient une situation d'urgence, se rendre à la maison d'Île Grande pour aller chercher Maître Sira en faisant croire, au membre du cartel présent, à un enlèvement et rejoindre Nevra aux salles d'interrogatoires jusqu'à l'arrivée de Maître Candice. Ensuite et une fois la situation sous son contrôle, courir jusqu'au bateau afin que Maître Sira y soit en sécurité.
Mais bien entendu, le plan ne s'était pas déroulé comme prévu.
... Ce que je fais aux traîtres !
Croiser la route de Sexta Stoker était ce qui avait pu lui arriver de pire. L'Impératrice des Abysses ne se contenterait pas de lui donner froidement et simplement la mort, non. Elle le ferait souffrir.
Mais Rose n'avait pas eu peur. Ni de souffrir, ni de mourir. Il avait craint pour la sécurité de Maître Sira ainsi que l'échec de la mission. Le reste, le coup de machette dans sa jambe et la sensation du sang en train de quitter son corps, c'était dommage. Juste dommage.
Est-ce que Maître Sira est en sécurité, d'ailleurs ? Est-ce qu'il a pu rejoindre le bateau de sa famille ?
« J'ai été attaqué, répond Rose d'une voix fatiguée, et je me suis évanoui.
- En effet, vous avez été attaqué et vous avez subi une blessure à la cuisse. Vous avez perdu beaucoup de sang. Mais ce n'est pas tout. »
Lilymoe se met à lui raconter ce qui lui est arrivé. Il n'a pas toutes les informations car il manque de nombreux rapports de gardiens encore endormis, mais aussi de Chefs de Garde. Ce que Rose ignore, c'est que pendant qu'il était inconscient, on a voulu le sauver.
Tout d'abord, Maître Sira s'est mis à crier pour appeler les siens.Le Cri d'Une Fée
Mais ce n'est pas tout. June Albalefko était avec lui. Elle a lutté contre Sexta pour essayer de le défendre, jusqu'à ce que Joseph Ael Diskaret et Valkyon Batatume arrivent sur les lieux.
Rose blêmit quand il apprend comment ses jambes ont été brisées.
Il y a eu une explosion et une bâtisse s'est effondrée sur June et lui-même, avant que Maître Candice ne réponde à l'appel de son frère et commence à attaquer Joseph et Valkyon.
Rose se dit que s'il avait été conscient, il aurait pu crier le mot de passe et ainsi, épargner tout le monde même si cela lui aurait coûté sa couverture.
« Ensuite, poursuit Lilymoe, vous avez pu être trouvé. Le gardien Ael Diskaret a dit qu'un individu ressemblant trait pour trait au Chef Séquoïa a réussi à vous tirer hors des décombres, June et vous. Le Chef Batatume aurait voulu vous évacuer vers le camp des soigneurs pourtant, quand vous êtes arrivé, vous n'étiez pas avec lui.
- Pourquoi ?
- Il a été gravement blessé. »
Rose sent sa poitrine s'ouvrir en deux. Il se met à ciller, dévisageant Lilymoe comme s'il se transformait en familier. Il ne sait pas ce qui est pire entre la fraction de seconde où il ignore si Valkyon sera capable de s'en sortir ou bien si ses chances de survie sont faibles, parce qu'il a voulu le sauver.
« Où est-il ? demande Rose d'une voix rapide.
- Près de vous. »
Le renard-garou se retourne pour faire face au rideau qu'il a tiré plus tôt et Rose comprend. De l'autre côté se trouve un lit caché aux yeux d'autrui, parce que son occupant est endormi.
Endormi et gravement blessé.
C'est…
Rose fixe Valkyon sans le voir. Lilymoe a dit que pendant la catastrophe, lui, Second de l'Ombre avait été bloqué sous des décombres avec June Albalefko. C'est ainsi que ses jambes ont été brisées, en plus du sang qu'il avait perdu. Pourquoi essayer de le sauver ? Pourquoi se mettre en danger pour le sauver ?
C'est injuste. C'est lui qui devrait être réveillé. Pas moi.
« Nous attendons son réveil, reprend Lilymoe, mais nous sommes optimistes. Il est comme vous : il se bat.
- Je ne me suis pas battu, souffle Rose.
- Pardon ? »
Le jeune vampire secoue la tête et fuit le regard vert du soignant quand il sent sa poitrine se déchirer une seconde fois. Le vide se creuse encore, encore, toujours plus profond depuis qu'il sait ce qui est arrivé à Valkyon.
Il attendra son réveil, lui aussi, ses yeux opalins fixés sur le rideau à sa gauche en espérant que quelqu'un l'ouvre pour dire "vous êtes enfin réveillé".
« Est-ce que vous avez mal ? demande Lilymoe d'une voix douce.
- Oui.
- Je vais vous apporter des anti-douleurs. Vos jambes vont vous faire souffrir quelques temps et j'en suis désolé. Mais rassurez-vous : vous pourrez marcher. Seulement, il va falloir être très patient. »
Marcher. Guérir. Ne plus souffrir.
Rose serre la couverture entre ses doigts pour s'empêcher de s'affaisser en songeant à toutes ces journées interminables qu'il vivra ici, dans cet hôpital, seul avec lui-même et ses pensées.
Seul avec le vide en train de le gangréner et la peur viscérale que celui qui dort près de lui le fasse pour toujours.
Je…
Pourquoi les débris sous lesquels il a été coincé ne lui ont pas transpercé la poitrine ? Pourquoi le dava de Maître Candice est-il venu les aider ? Pourquoi l'avoir tiré de là, lui qui n'avait que de faibles chances de survie ?
Je…
« Pourquoi tu as voulu me sauver ? murmure Rose pour lui-même
- Monsieur Clarimonde ? »
Le jeune vampire rive son regard sur le visage de Lilymoe, l'air grave comme si le soignant avait voulu pénétrer dans sa bulle. Il a l'air d'hésiter pourtant, il lui demande s'il souhaite parler à quelqu'un.
Rose secoue immédiatement la tête.
Je…
« Vous êtes sûr ? insiste Lilymoe.
- S'il vous plaît, j'ai très mal aux jambes. »
Un pieu mensonge.
Rose regarde le renard-garou acquiescer, se lever et lui lancer un dernier regard avant de lui adresser un faux sourire et de disparaître en arguant qu'il revenait avec le philtre contre la douleur.
Il sait, c'est évident. En tant que soignant, il a accès aux dossiers médicaux des patients qui sont allongés ici, dans cette pièce, et Rose sait ce qu'il y a d'inscrit dans le sien. Un doute pour ceux qui marchent main dans la main avec la médecine, comme la médecin en cheffe Osgiliath, mais une certitude pour lui, qui sert les Maîtres.
Je…
Ses mains serrent sa couverture à s'en faire blanchir les jointures alors que son corps se met à trembler. Ses yeux fixent le vert du tissu sans le voir et Rose sent, de nouveau, sa poitrine se déchirer en deux pour vomir des émotions. Mais elle n'y arrive pas.
Il n'y arrive pas.
Il regarde à sa gauche, fixe le rideau avec intensité comme s'il était capable de le transpercer pour voir Valkyon endormi. Rose aurait voulu pleurer pour lui. S'il était réellement capable d'un acte d'amour, comme ce qu'il croit ressentir, alors ça aurait été une réaction logique. Une réaction qu'il aurait aimé avoir.
Mais tout ce qu'il a, c'est le vide et un sentiment d'injustice, parce que c'est Valkyon qui dort encore et lui qui s'est réveillé.
Je ne peux plus vivre avec moi-même.
« Je suis de retour, monsieur Clarimonde. Avec ceci, la douleur vous laissera tranquille. »
Rose écoute à peine Lilymoe lui vanter les mérites de son philtre miraculeux. Il sait que le renard-garou ne parle que pour faire la conversation et détendre une atmosphère beaucoup trop sombre, dans cet hôpital de fortune.
Fort heureusement, l'anti-douleur est quelque chose qui doit être bu et non appliqué. Rose s'évertue religieusement à avaler son médicament et ensuite, tout ce qu'il a à faire, c'est de se reposer.
« Est-ce que vous avez faim ? demande le soignant.
- Non.
- Je vais tout de même vous apporter quelque chose. Votre corps à beaucoup souffert, alors il faut le nourrir. Le pichet, sur votre table de chevet, à été rempli. Aussi, utilisez la petite cloche si vous avez besoin de quoi que ce soit. »
Rose lève les yeux vers une petite cloche fixée au mur, près de sa table de chevet, utilisée pour appeler les soignants. Il doute qu'il en ait besoin car pour le moment, ni la faim, ni la soif ne viennent le torturer.
Quelqu'un viendra. Pour changer ses bandages, par exemple, ou l'assister dans d'autres tâches auxquelles il n'a pas envie de penser, comme la toilette. L'idée même que l'on puisse regarder des parties de son corps le répugne mais pour le moment, c'est le cadet de ses soucis.
Rose se laisse aller contre son oreiller et attend que le remède fasse effet. Lilymoe n'a pas exagéré les effets de son philtre car, quelques dizaines de minutes plus tard, la souffrance dans les jambes du jeune vampire s'atténue et il peut enfin cesser de focaliser son attention dessus.
À présent, son esprit dérive. Il tourne autour de son dossier médical et de la question en suspens qui y est restée depuis qu'il avait refusé de remplir un document, après un accident lors d'une mission.
Une mission particulière, en quatre-cent soixante-seize, quand il avait quinze ans, qui lui avait valu de commettre son premier assassinat, en tant que gardien de l'Ombre. Les risques du métier ou des circonstances déplorables. Un accident malheureux de légitime défense pour sauver sa propre vie néanmoins, il avait accompli ce qui ne pouvait être défait et à son retour, la docteure Osgiliath avait voulu le soumettre à un examen de l'esprit.
Prendre une vie est un acte qui marque la raison, la conscience et tout ce qui peut se trouver à l'intérieur de la tête et de la poitrine. Mais Rose n'a jamais voulu que l'on regarde plus loin, au-delà de sa propre chair, par crainte de ce que l'on pouvait y trouver.
Il s'en doutait, Ewelein Osgiliath s'en doutait aussi et quelques années plus tard, un Maître de la Médecine l'évoquait.
Rose avait fini par poser la question et Maître Sira avait répondu.
Le jeune vampire était ainsi avant l'effroyable accident de ses quinze ans, durant la mission et il restera ainsi jusqu'à la fin de ses jours.
Je ne peux plus vivre avec moi-même.Vivre avec Soi
« Si, tu peux ! Tu ne peux pas faire autrement de toute façon. Moi, je suis bien obligé de vivre avec moi-même. Mais je vis avec ma famille, aussi. Alors même si je suis plus idiot que les autres, c'est plus facile. »
Maître Sira l'avait regardé, le visage rayonnant et ses grands yeux bruns étincelants. Pour lui, sa réponse semblait évidente mais pour Rose, c'était hors de sa compréhension.
Pourtant, il avait demandé et on lui avait répondu.
Maître Candice n'aurait jamais tendu l'oreille sur ses doutes. Les dava doivent obéir en échange de sa protection et il se moque bien de leurs préoccupations ou même du vide qui peut déchirer leurs poitrines.
Alors, Rose s'était tourné vers Maître Sira qui, dans son univers bien singulier, avait déjà repéré sa maladie de l'esprit.
La maladie du néant.
Le vide d'une vie qui croît au fur et à mesure des années. Un monde gris qui ne revêt jamais de couleurs et un reflet dans le miroir qui n'inspire rien d'autre que du dégoût. Des yeux qui se tarissent, aussi, et un cœur qui s'est muré dans un silence funèbre en attendant la seconde où il arrêterait sa cadence.
Rose avait compris qu'il ne vivait plus depuis un long moment et que toute la valeur qu'il voulait bien accorder à quelque chose ou quelqu'un, c'était aux Maîtres, à Nevra et aux missions. Cela ne lui avait jamais sauté aux yeux, jusqu'au jour où il avait réalisé que mourir ne lui faisait pas peur.
Une aubaine, pour un chef qui dirige un tel soldat, mais une prise de conscience pour ce dernier qui réalise que l'avenir n'est qu'une brume opaque, et que le chemin à emprunter peut-être le plus terrible.
« Qu'est-ce que c'est, la maladie du néant ?
- Le vide dans le corps et l'esprit. Comme une bougie qui s'éteint et qui attend d'être oubliée ou bien une nuit éternelle. Mais en d'autres termes, c'est une détresse de l'esprit, quand une personne est atteinte d'anxiété, d'angoisse ou de pensées négatives. Tout ça, ça t'empêche de vivre.
- Et moi, j'en suis atteint ?
- Oui. »
Rose avait fixé Maître Sira, si catégorique dans son diagnostic et la fée lui avait lancé un regard emplit de compassion. Levant ses bras maigres pour s'expliquer, Maître Sira avait poursuivit :
« Tu n'as pas ton étincelle de vie. Tu n'as pas de convictions. Je le vois quand Candice te parle. Tu nous a reconnu comme tes rois mais au fond, tu t'en fiche. Aussi et quand mon frère te donne une mission très difficile, tu l'acceptes sans réfléchir. Si moi je l'ai vu, alors il l'a vu. D'ailleurs, certaines missions étaient juste là pour te tester. Pour le moment, Candice dit que tu n'es qu'un imbécile qui serait capable de se jeter d'une haut d'une falaise s'il te le demandait. »
Certes, mais Maître Candice se moque bien qu'il soit atteint d'une maladie de l'esprit. Maître Sira ne l'avait pas dit explicitement, mais Rose l'avait bien compris. Tant qu'il obéissait, que ce soit par conviction ou stupidité, ça lui était bien égal.
« Ce n'est pas important, ce qu'il pense, avait répondu Rose, tant que les missions sont accomplies, c'est ce qui compte.
- Si, c'est important. Même si tu ne veux pas le reconnaître, c'est important de savoir comment on te regarde. Je le sais parce que moi aussi, je n'aime pas qu'on me regarde pour se moquer ou avec de mauvaises pensées. »
Maître Sira s'était approché de lui. Quand un dava s'adresse à l'un de ses Maîtres, il doit le faire avec respect et se mettre à genoux. Les fées n'ont pas encore retrouvé leurs trônes, mais elles restent leurs futures souveraines.
Maître Sira a beau être atteint d'une maladie de l'esprit et exprimer la candeur d'un enfant sur son visage, il reste un roi en devenir.
Mais cette fois-là, il s'était abaissé à sa hauteur et lui avait expliqué l'importance de vivre.
Même assis sur le sol, il restait plus grand que Rose et sa robe bleue ressemblait à une fleur éclose, ainsi étalée à terre. Maître Candice n'aurait jamais toléré toute la tendresse que son frère pouvait adresser à un dava. Mais il n'était pas là.
Regarde, Rose. Tu es un enfant qui s'est enfermé dans son monde le plus noir et qui attend qu'on vienne le prendre dans ses bras. Je sais que ta maman n'a pas pu t'élever. Mais qu'est-ce que tu aurais voulu entendre d'elle ?
Rose l'avait regardé à la dérobée, incapable de prononcer un seul mot. Il ne s'était jamais posé ce genre de question. Il ne savait pas. Il avait simplement baissé les yeux, incapable de supporter le regard brillant de Maître Sira.
Il s'était crispé quand ce dernier l'avait attiré à lui, l'enfermant dans une étreinte glacée. Rose avait senti ses longues boucles glisser sur lui comme de la soie et toute la bonté du Maître le couvrir comme un soleil d'hiver.
Rose. Tu es beau. Vis bien. Sois heureux. Je t'aime.
Oui. Si sa mère ne s'était pas empoisonnée avec le tap, il aurait voulu qu'elle lui dise ces mots. Il aurait voulu qu'elle le gratifie d'une étreinte de la sorte, comme celle que lui donnait son futur souverain.
C'était la seule fois. La seule fois où il avait réussi à percer un trou dans sa sombre forteresse pour laisser la lumière entrer et permettre à ses yeux de pleurer.
Pourtant, même ce jour-là, il n'avait pas pu appliquer les mots du Maître.
Je te donne une petite partie du remède aujourd'hui. Ensuite…
«… Ce sera à toi de trouver le reste. » murmure Rose, depuis son lit d'hôpital.
Il est réveillé et il est en vie.
Il peut passer des heures à penser, à se replier sur lui-même en espérant mourir une seconde fois, ou il peut patienter, guérir ses jambes et marcher vers la chance qu'on lui a offerte.
Les mots dans son dossier médical sont des mots. Sa maladie de l'esprit en est une, mais le regard qu'il pose dessus n'incombe que lui.
Rose se tourne une nouvelle fois vers le rideau qui masque le lit de Valkyon. Les prochaines heures, il les passe à gratter les murs de sa forteresse noire, juste dans l'espoir de faire couler une émotion et de verser une larme pour lui.
June Albalefko, en visite à l'hôpital d'Albacore
L'hôpital est peut-être assez vétuste, mais le village d'Albacore et les hautes autorités de la cité d'Eel ont fait ce qu'ils ont pu. Chaque blessé a pu trouver un lit et le personnel soignant ne compte pas ses heures pour s'occuper d'eux.
Les gardiens les plus gradés ont été rapatriés dans la salle numéro dix-sept, à quelques exceptions près.
Joseph Ael Diskaret a pu faire soigner ses blessures, son poignet cassé et récupérer en paix avant de retrouver sa famille. Il a dormi un long moment, a souffert de ses brûlures et de la violence d'une fée sauvage, mais son esprit parvient à retrouver un petit peu de paix.
Ensuite, Joseph s'est redressé dans son lit et a laissé Yëvet, l'infirmière en cheffe des lieux, l'examiner à sa guise.
Il faut avouer que le franc parler de cette troll est assez rafraîchissant malgré la catastrophe qu'ils viennent tous de vivre. Ce qui est arrivé est injuste.
Injuste pour le docteur Rozenn Gamm qui n'a pas repris conscience depuis quarante-huit heures. Injuste pour Chrome Talbot, le jeune loup-garou endormi, son bras blessé contre lui et son front sous de nombreux bandages. Injuste pour celui qui dort profondément derrière le rideau et qui a faillit mourir en sauvant la vie de celui qui est à sa droite, les jambes dans un triste état et une hémorragie guérit par miracle.
Heureusement qu'Ezarel et Ewelein y ont cru, au miracle de le sauver.
Joseph réprime une grimace pendant que Yëvet s'acharne à examiner l'une de ses plaies, sur ses côtes.
« Je crois que ça guérit bien, lance-t-il d'un ton aimable, merci, Yëvet.
- C'est mieux, mais c'est pas encore ça. Va falloir mettre de la crème là-dessus, je vous l'dis ! »
Le grand morgan lui adresse un sourire. Heureusement qu'il y en a, comme elle, qui ne perdent jamais de leur bonne humeur. L'optimisme de cette infirmière est réconfortant, mais ce dont Joseph a besoin, c'est de voir sa femme et de ses enfants.
« Oula ! s'exclame soudainement Yëvet, alors là, on a un petit groupe ! On y va doucement avec celui-là, sinon il va me refaire saigner toutes ses plaies parce qu'il va être trop content ! »
Confu et intrigué, Joseph se redresse en grimaçant, mais son visage s'illumine et ses yeux s'humidifient alors que Cristal se jette à son cou en le gratifiant d'un mon amour. Derrière elle, June et Helouri attendent patiemment que leurs parents se retrouvent, avant de filer eux aussi entre ses bras.
La jeune gardienne prend soin de ne pas serrer son père trop fort, et elle retient ses larmes tant le soulagement de le savoir vivant est grand. Après quelques instants à s’imprégner de la force de sa famille enfin complète, June s’écarte et rectifie nerveusement un pli sur le draps blanc. La dernière fois qu’elle a vu Joseph, il partait aider le Conseiller pendant qu’elle fuyait lâchement en compagnie de Nelladel. Elle a eu peur. Peur que son obstination à aider Rose ait blessé son père, peur que sa fuite ait causé sa mort… Sa famille lui est si précieuse, elle n’aurait jamais supporté d’être la cause de sa destruction.
« Est-ce que tu vas bien ? demande-t-elle d’une petite voix.
- Disons que j'ai connu des journées plus sympathiques. » rétorque Joseph.
Nettement plus sympathiques. Mais il a joué son rôle et à présent, le fauteur de trouble, la fée Milliget est entre de bonnes mains. La suite ne sera pas de son ressort.
Joseph serre les mains de sa famille. Auprès d'elle, il peut enfin lâcher prise et redevenir Joseph Ael Diskaret plutôt que le gardien de l'Obsidienne.
« Ne vous inquiétez pas. Tout ira bien à présent. La fée a été capturée et le Conseiller… »
Il souffle par le nez. Le Conseiller était dans un sale état et il a bien failli y laisser la vie, lui aussi, comme beaucoup. Joseph secoue la tête, puis ajoute.
« Le Conseiller ira bien, lui aussi. »
Une main sur sa poitrine, Cristal commence à échanger sur la catastrophe en posant moult questions auxquelles Joseph ne peut pas toujours répondre. Il y a des détails qui doivent rester confidentiels.
Aussi, Helouri commence à parler. Tout comme avec sa mère, il a été assez timide au départ, malgré le soulagement intense de retrouver son père en vie, mais sa faute est difficilement oubliable pour tout le monde.
Joseph s'assoit sur son lit et lève une main pour caresser les boucles nacrées de son fils en poussant un soupir. Enfin, après quelques secondes de silence, il ajoute d'un ton faussement accusateur :
« Il y a une fée dans les cachots. Un seul faux pas et je t'enferme avec elle, qu'importe ce que diront les gardiens de l'Ombre. Vu ? »
Helouri hoche fébrilement la tête, les larmes lui montant aux yeux, avant de les laisser couler dans les bras de son père en lui adressant des excuses. June hésite entre le sérieux et le rire, même si elle frissonne en repensant à la terrible fée qui a détruit la moitié de la ville. La jeune femme passe une main dans ses cheveux cendrés, et détourne les yeux pour regarder le mur. D’un ton qu’elle veut détaché, elle s’adresse à son père en forçant ses mains à rester immobiles pour ne pas trahir son agitation.
« En parlant de la fée… Est-ce que ses complices aussi ont été arrêtés ? Je veux dire, elle doit pas avoir fait ça toute seule… »
Elle pense à Sira, à Delta qui semblait aussi inoffensive que la fée aux cheveux roses, mais aussi à la vampire et sa machette dont elle ne sait rien de l’allégeance. Elle n’oublie pas non plus Nelladel, et toutes les questions qu’elle voudrait lui poser…
« Il y avait une femme avec elle, répond Joseph en fronçant les sourcil, une troll dans la trentaine qui a tenté de nuir au Conseiller, mais je ne sais pas qui c'est. Il y avait la mère de la fée, mais elle s'est échappée. »
À vrai dire, son fils a eu assez de force pour la jeter hors de la cuvette que ses explosions avaient causée. Ses dernières ressources pour sauver et non tuer.
Joseph ne saurait prédire ce qui peut se passer dans la tête d'une fée, et si le meurtre du Conseiller était son seul mobile. Les gardiens de l'Ombre mèneront l'enquête de toute manière.
« On en saura plus quand l'interrogatoire sera fait. Pour le moment, la fée est gardée dans un lieu hautement sécurisé et elle est beaucoup trop faible pour tenter quoi que ce soit. Ne vous inquiétez pas et reposez-vous. Tout le monde a besoin de prendre des forces, ces jours-ci.
- Toi aussi ! s'exclame Cristal, regarde ton état…
- Peut-être, ma chérie, mais tu n'as pas vu la tête de l'autre.» plaisante Joseph.
Cette fois, June éclate franchement de rire. Au moins, Joseph n’a pas perdu son sens de l’humour. Ses doigts se referment sur la lanière du sac qu’elle porte en bandoulière, et elle le fouille pour en sortir un parchemin sur lequel sont représentés tous les membres de leur petite famille.
- Tiens, avec Lou on s’est dit que ça te remonterait le moral en attendant les horaires de visite, sourit-elle.
Il y est également marqué Bon rétablissement d’une écriture maladroite. Certaines lettres sont difficiles à lire, mais June sait que Joseph mesurera l’ampleur du présent qu’ils lui laissent.
Le cadeau le touche. Le grand morgan observe les lettres tracées comme si elles étaient ciselées dans un précieux métal et au sourire qui ourle ses lèvres, il est très fier des progrès de sa fille. Il dit que c'est formidable, parce que ça l'est et que dans peu de temps, l'écriture et la lecture n'auront plus de secrets pour June.
« Au fait… hésite-t-elle. Est-ce que tu sais si… Si le second Clarimonde va bien ? »
La fin s’est perdue dans un souffle, parce qu’elle a peur d’entendre la réponse.
Le visage de Joseph perd de sa lumière quelques instants. Il tourne la tête vers le lit qui se situe au fond de la pièce, à côté de celui qui a le rideau et souffle de nouveau par le nez.
« Je ne sais pas, ma fille. Je ne l'ai pas vu mais tout ce que je sais, c'est qu'il a été réanimé par la médecin en cheffe et le Chef Sequoïa. Il a eu beaucoup de chance. »
Cristal se tourne immédiatement vers la direction visée par son mari et Helouri l'imite. Elle met les poings sur les hanches et décide :
« Nous irons le voir avant de partir. S'il s'est réveillé, il sera peut-être content de voir du monde. »
June échange un regard de connivence avec Helouri. Plus tôt, ils en ont discuté et elle sait qu’il s’assurera qu’elle ne soit pas dérangée pour discuter avec Rose. Un signe, discret, pour lui dire que c’est le moment, puis un sourire à ses parents en désignant son sac.
« Je lui ai apporté des livres, je vais aller demander à l’infirmière s’il est réveillé ! lance-t-elle l’air de rien.
- C'est une bonne chose, ajoute Helouri d'une voix qu'il veut assurée, et je pense qu'il ne vaut mieux pas qu'il voit trop de monde en même temps. Ça le fatiguerait. »
Alors que ses parents s'interrogent du regard, Helouri adresse leur code secret à sa grande sœur, en touchant distraitement les membranes d'une de ses oreilles. Lui aussi, il a quelque chose à dire. Il veut lui parler des sélections, quand il est venu les voir, elle et son père et qu'il a surpris quelqu'un derrière les immenses tentures.
Une troll dans la trentaine, qui lui a fait signe de ne rien dire.
« D'accord, ma chérie, va voir s'il est réveillé, déclare finalement Cristal, s'il se sent assez bien, j'irai lui dire bonjour en partant. »
June sourit, et hoche discrètement la tête pour dire à Helouri qu’elle a compris. Si lui aussi a des choses à lui dire, alors peut-être qu’ils parviendront à assembler les pièces de ce puzzle compliqué qui semble entourer toute la cité.
La jeune femme quitte le lit de son père pour se diriger vers celui de Rose. Elle s’assure que l’infirmière est occupée un peu plus loin, car elle n’a en réalité aucune envie d’être dérangée, puis se plante devant les rideaux tirés. Sa poitrine se soulève tandis qu’elle prend une longue inspiration, elle agrippe son sac pour se donner un peu de courage, puis elle repousse doucement le tissu pour dévoiler le lit du Second de la Garde de l’Ombre.
D’abord, elle regarde ses jambes, car elle se souvient des éclats de bois qu’elle a essayé de retirer. Son teint est blême, alors qu’elle se force à détourner les yeux. Elle les pose alors sur sa figure pâle, et peint un sourire amical sur ses lèvres. Elle veut donner le change, mais elle est sincèrement heureuse de savoir qu’il est en vie.
« Second Clarimonde ? murmure-t-elle. C’est June, je peux ? »
Sa voix le tire de son demi-sommeil. Depuis qu'il a ouvert les yeux, Rose peine à rester complètement éveillé, peu importe combien il lutte, il finit toujours par s'endormir. Cependant, ses rêves sont plus paisibles.
Au début, pourtant, il pensait être retourné dans sa salle d'attente, avec une projection de son esprit qui aurait pris l'apparence de la dernière personne qu'il a connu. Mais ce n'est pas le cas.
Il est vivant, sa chambre d'hôpital est réelle et June l'est tout autant.
« June Albalefko. » souffle-t-il.
Pour répondre à sa question, il se contente d'acquiescer et tente de se redresser à la force de ses bras et avec de petits efforts, il y parvient. Cependant, l'épaisse couverture couvrant ses jambes blessées, ensevelies sous des bandages glisse quelque peu avant qu'il la rattrape et les recouvre de nouveau.
Puis, Rose lève la tête pour observer June. Visiblement, elle n'est pas blessée et le Maître Candice ne lui a rien fait. Peut-être qu'elle n'a pas croisé sa route, alors il se contente d'un constat poli :
« Vous allez bien. »
Elle hoche la tête et se faufile entre les rideaux. A côté du lit, il y a un tabouret sur lequel elle se hisse, avant de poser son sac sur ses genoux. Elle essaie de ne pas regarder les jambes de Rose, parce qu’à sa place, elle n’aurait pas envie qu’on attire l’attention dessus. Elle a vu les bandages, pourtant.
« J’ai eu de la chance. » murmure-t-elle.
Le silence s’impose, et elle ne sait pas par quoi commencer. Ses pieds tapotent le sol, ses doigts se crispent et tordent ses vêtements, ses dents maltraitent sa lèvre inférieure… Finalement, June se racle la gorge et sort plusieurs ouvrages de sa besace.
« Je… Je me suis dit que vous alliez peut-être vous ennuyer, alors j’ai pris des livres. Je crois que celui-là parle d’un couple d’amoureux qui ne peuvent pas finir ensemble, et que celui-ci raconte l’histoire de la garde. Oh, et celui-ci, je l’ai trouvé joli parce qu’il y avait une rose dessus, mais sur le chemin, Lou m’a dit que c’était un herbier. Et que ça, c’était un dictionnaire. Mais si ça se trouve, ça dit des trucs intéressants… »
Voilà qu’elle recommence à trop parler. June se mord la langue pour arrêter, avant de se perdre en explications fumeuses. Elle pose les livres sur la table de chevet, et adresse un pauvre sourire à Rose, avant de poser une petite boîte au-dessus des ouvrages.
« Désolée, comme je sais pas encore bien lire, je vous ai peut-être amené des trucs ennuyeux. Je sais pas si vous aimez ça, mais on a fait des biscuits pour papa, alors je vous en ai amené aussi. Comment… Comment vous allez ? »
Rose regarde la pile de livres d'un air presque confus. C'étaient bien les dernières choses qu'il s'attendait à obtenir, tout comme une simple visite, d'ailleurs. Il se souvient vaguement avoir entendu des voix avant de s'endormir, sans chercher à savoir à qui elles appartenaient.
Il joint les mains sur ses couvertures, et répond :
« Merci. Je suis certain qu'il y a de la lecture intéressante dans ce que vous m'avez apporté. Merci pour les gâteaux également. »
Il y touchera plus tard, quand son estomac sera moins dans les talons. Il doit manger et il le sait, le soignant qui est passé le voir a insisté mais pour le moment, il ne peut rien avaler.
June Albalefko lui demande comme il se porte, mais Rose ne peut pas être honnête avec elle. Comment va-t-il ? S'il devait mettre ce qu'il ressent en image, ce serait aussi bas que puisse être le fond d'un puits. Il a tout perdu et il le sait seulement, il ignore encore ce qu'il fera, une fois que ses jambes seront guéries.
« Je vais bien, répond Rose d'un ton monocorde, cependant je ne vais pas pouvoir assurer votre suivi durant un long moment. Je suis désolé. Mais quelqu'un d'autre le fera sûrement.
- Vous savez pas bien mentir, hein… »
Il ne faut pas être devin pour voir que Rose ne va pas bien, et June est particulièrement douée pour comprendre les sentiments des autres. Un sourire tord ses lèvres, alors que les larmes lui montent aux yeux.
« Vous savez, j’ai eu peur, là-bas. »
Les souvenirs remontent, et June fixe l’épaisse couverture. Sa voix n’est qu’un murmure, parce qu’elle ne veut pas être entendue et surtout, parce que sa gorge serrée ne lui permet pas d’émettre un autre son.
« J’ai… J’ai vu la vampire qui accompagnait Ellen Price. Mon père et le Chef Batatume savent, mais j’en ai parlé à personne d’autre, et je sais pas s’ils s’en souviennent parce que c’était au milieu des combats. J’ai vu Sira, aussi. Et la fée qui brûlait tout, elle a essayé de me tuer quand on était sous les décombres. Et puis…»
Elle se penche en avant, et baisse encore un peu plus la voix. Elle ne sait pas ce qu’il sait, elle ne sait pas les réponses qu’il voudra lui donner, mais elle veut être honnête avec lui. Peut-être qu’ainsi, il la jugera digne de sa confiance.
« Un elfe m’a aidé à vous sortir de là-dessous, et ensuite, je me suis retrouvée toute seule avec lui. Je l’ai dit à personne, parce qu’il m’a dit des choses bizarres, que j’ai pas vraiment comprises. Je sais juste qu’il s’appelait Nelladel, et qu’il parlait la langue des fées. Je me suis dit que… que peut-être, ça vous dirait quelque chose, et que vous voudriez le savoir. »
Rose la regarde dans les yeux. Si elle peut déceler le mensonge dans ses paroles ou son ton, il doute fortement qu'elle sache lire en lui sans quoi, elle aurait déjà deviné son rôle.
Ce qu'il s'est produit à Eel durant la catastrophe revêt deux visages selon les Maîtres que l'on sert et pour beaucoup, il y a eu un monstre qui a dévasté la cité tandis que pour d'autres, c'était un souverain originel qui voulait chasser le mal et reprendre son trône.
« Vous avez dû avoir peur, commence prudemment Rose, et je le comprends. Mais vous êtes toujours là et vous vous portez bien, alors la fée ne vous a pas tué. Beaucoup de choses se sont produites pendant la catastrophe et beaucoup de personnes en ont profité pour accomplir des actes malveillants ou bien des vengeances personnelles. C'est ce qui arrive quand l'ordre est troublé. »
Quand June évoque l'un des dava de Maître Candice, Rose ne dit rien. Bien qu'ils servent les fées, Nelladel et lui-même avaient des missions et des groupes différents à infiltrer. Le Maître Candice est intelligent. Il savait qu'il aurait besoin d'entrer en contact avec le cartel avec un autre dava que Rose, qui deviendrait suspect à force d'être proche de la famille Mircalla et il avait raison, comme souvent.
« Je pense que je ne peux pas vraiment vous aider, mais je vous remercie de partager l'information avec moi. La langue des fées n'est enseignée qu'à une toute petite poignée de personnes. Qu'est-ce qui est advenu de ce Nelladel qui vous a aidé ? »
Elle plisse les yeux. Elle ne sait pas si elle peut donner toute sa confiance à Rose, mais visiblement, il en sait plus qu’elle, et peut-être même plus encore. Mais s’il ne connaît pas Nelladel… June triture sa tunique, incertaine.
« Je sais pas, finit-elle par dire. Je crois qu’il y a eu des prisonniers, peut-être qu’il est de ceux-là. J’ai pas eu le temps de me renseigner. Vous savez, Second Clarimonde, il y a encore plusieurs choses que je comprends pas, et je sais pas vers qui me tourner pour y voir plus clair. Par exemple, je comprends pas pourquoi la vampire voulait vous couper la jambe, et pourquoi elle avait l’air de vous tenir responsable de ce qui se passait. »
June marque une pause, puis hausse les épaules comme si c’était une idée stupide. Elle ne lâche pas Rose des yeux, alors qu’un sourire tord ses lèvres.
« Enfin, c’était probablement une droguée que vous avez arrêté dans l’affaire du tap. Personne m’a encore posé la question, alors j’ai pas eu la possibilité de leur parler de mes opinions… Vous croyez que je devrais ? Parlez d’elle ? Et puis de Nelladel, aussi ? De ce qu’il m’a dit ? Il ressemblait comme deux gouttes d’eau au chef Sequoïa. »
June fait la moue. Elle est peut-être jeune, et moins compétente que Rose, mais elle n’est pas idiote. Depuis l’attaque, elle a eu le temps de réfléchir, et il reste de nombreuses zones d’ombres dans les évènements auxquels elle a assisté.
« Vu que vous étiez avec Sira, je me suis dit que peut-être vous en sauriez plus, reprend-elle doucement. Mais si vous pouvez pas m’aider, j’irais voir le Chef pour lui poser la question.
- June. »
Le ton que Rose a employé a été plus sec qu'il ne l'aurait voulu mais ce qu'il voit, c'est que June risque d'emprunter un chemin chaotique comme il l'a fait et que ça ne lui apportera rien de bon. Elle a eu de la chance de survivre à la catastrophe et que sa famille se porte bien, alors il est inutile qu'elle aille s'intéresser de trop près à des affaires sordides comme celles du cartel des Typhons, des Docteurs Becs ou même des Maîtres. Rose secoue la tête :
« Vous vous en êtes sortie et c'est une excellente chose. Votre père, votre frère et votre mère se portent bien, vous êtes chanceuse. Si des personnes ont cherché à vous nuire pendant la catastrophe, alors parlez-en, mais ne vous tracassez pas avec des détails. Vous avez des souhaits pour l'avenir, alors pensez-y et dirigez-vous vers eux. »
Rose se redresse quelque peu sur ses oreillers. Il n'a pas voulu être aussi sec avec June, mais il ne veut pas la voir plonger dans un monde douteux pour ensuite être forcée de choisir un camp dont elle n'a pas conscience.
« Vous savez, June, reprend Rose d'une voix plus aimable, on dit que le savoir est une arme, mais l'ignorance est un rempart. Il y a des curiosités qu'il ne vaut mieux pas assouvir. Vous ferez votre rapport à votre Chef de Garde parce que c'est votre devoir de gardienne et pour ce dont vous m'avez parlé, faites comme bon vous semble. Seulement, faites attention à vous. »
Elle arque un sourcil, mais retient la réflexion acerbe qui naît sur ses lèvres. Elle ne sait pas encore ce qu’elle dira dans son rapport, mais si elle garde des choses pour elle, ce n’est certainement pas à Rose de s’en mêler.
« Si vous le dites, répond-elle. Mais vous savez, si je sais pas à quoi je dois faire attention, ça risque d’être compliqué. »
Puis elle pose doucement la main sur l’avant-bras du vampire, en lui adressant un nouveau sourire, plus sincère cette fois.
« Et puis de toute façon, papa va rester là le temps d’aller mieux, alors j’aurais l’occasion de revenir vous voir pour discuter un peu ! Enfin… si ça vous dérange pas. Comme ça, je pourrais vous dire ce qu’il se passe dehors, et vous… bah vous pourrez me parler du dictionnaire. »
Est-ce que c’est ce qu’il a fait, lui ? Son devoir ? Est-ce que c’est pour ça qu’il se retrouve dans un lit d’hôpital, incapable de marcher ? Est-ce que c’est parce qu’il ne s’est pas tracassé avec les détails et qu’il a l’air de porter le poids du monde sur ses épaules ? June ne peut pas s’empêcher de se poser la question. Il est si jeune, Rose Clarimonde, et pourtant il a déjà l’air si vieux…
« Ça va aller, Rose. »
June plaque la main sur sa bouche, puis sent le rouge lui monter aux joues alors qu’elle se corrige en bredouillant.
« Oh, pardon, je veux dire Second Clarimonde ! Excusez-moi, c’est juste que vous aviez le même air qu’Helouri, alors ça m’a échappé ! Vraiment désolée, heureusement que je vous ai pas tapoté la tête !
- Heureusement, en effet. June, j'ai peut-être l'âge de votre petit-frère, mais je ne suis pas votre petit-frère. » répond Rose d'un ton rigide.
Tout comme il ne sera probablement plus Second de l'Ombre dans les jours à venir, ni même gradé tout court. Il ne serait même pas surpris si on lui interdisait d'entrer dans une autre Garde ou même que les Mircalla se débrouillent pour qu'il ne puisse plus séjourner au sein de la cité d'Eel. L'avenir le lui dira, mais il le craint. Si Nevra n'est pas encore au coeur de la discord avec sa propre famille, peut-être qu'il n'aura pas à l'affronter tout seul, du moins au début.
Conscient que sa réponse a jeté un froid, Rose ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais une grande silhouette tire le rideau et il reconnaît l'infirmière.
Yëvet est une grande troll qui serait l'antonyme de Titan. Son visage brun est rayonnant, auréolé de boucles sombres et elle le dégage avec une étole d'un orange vif.
« Ah ! s'exclame-t-elle, vous avez fini votre sieste ! Bon, eh bien je suis vraiment contente ! On va pouvoir tout examiner, comme ça. »
Puis, Yëvet remarque June, assise sur son tabouret, ainsi les livres et les gâteaux siégeant sur la table de nuit. Un large sourire étire ses lèvres avant qu'elle ajoute en baissant la voix :
« Oh, d'accord. C'est la petite copine. C'est très mignon par contre, attention : vous avez sûrement vu mais chez lui, il y a les jambes qui ne sont plus en état pour le moment. Et le bassin est un peu abimé aussi. Du coup pour vos bricoles, il va falloir attendre et le laisser tranquille, sinon il ne va jamais récupérer, hein. »
Le silence plane un instant, puis June camoufle maladroitement ses gloussements dans une fausse toux. Après quelques secondes, elle se redresse et tente de prendre un air très sérieux, avant de se pencher à son tour vers l’infirmière.
« Mince alors, c’est embêtant ça ! Vous croyez qu’il pourra quand même remarcher ? Parce que bon, sinon, je vais devoir en changer… »
Ça, c’est parce qu’il n’a pas voulu lui donner les réponses qu’elle attendait. Parce qu’elle en est certaine, Rose aurait pu lui donner des indications sur ce qu’il s’était passé. Il a probablement ses raisons, mais à cause de lui, elle va devoir prendre des risques pour obtenir plus d’informations.
« Je plaisante, enchaîne-t-elle après un silence. Vous savez, il a l’âge de mon petit frère, alors bon… Et puis, je suis pas du tout, mais alors pas du tout son genre. »
Elle ponctue sa remarque d’une moue amusée à l’adresse du vampire. Non, il n’est pas son petit frère, et ils ne sont pas suffisamment proches pour qu’elle se permette de l’appeler par son prénom, mais il aurait bien besoin que quelqu’un vienne lui tapoter la tête, ça, elle en est certaine.
Rose, lui, est cramoisi. Il regarde June et Yëvet, une expression choquée sur le visage, avant de reprendre ses esprits et de répondre d'une voix qu'il veut naturelle :
« Vous… Vous faites erreur. Ce… Cette gardienne est… Nous avons travaillé ensemble, voilà tout.
- Ah, d'accord. Bon ben je me suis trompée, hein, désolée. Je vois une demoiselle qui vous apporte des bouquins et des gâteaux. Je faisais exactement la même chose pour mon mari quand on était plus jeunes… »
Rose arbore une grimace ennuyée pendant que l'infirmière poursuit son monologue et si son regard opalin croise celui de June, il se fait fuyant quelques instants. Puis, revenant vers elle, il lui adresse d'une voix plus amène :
« Merci d'être venue me voir, June. Vous pouvez bien entendu revenir si vous le voulez, c'est très aimable à vous. Prenez soin de vous et j'espère que votre famille n'a pas trop souffert de la catastrophe. »
Elle n’a pas cessé de sourire, parce que la gêne du jeune vampire est palpable et qu’elle ne peut pas s’empêcher de s’en amuser.
« On s’en remettra, réplique-t-elle. Je repasserais alors, de toute façon, vous êtes entre de bonnes mains… »
Elle indique l’infirmière d’un geste du menton, en ricanant silencieusement. Elle donnerait tout pour se transformer en musarose et observer les échanges entre Yëvet et le vampire, car ils promettent d’être épiques.
« Je vous laisse, s’exclame la jeune femme. Vous me direz ce que vous avez pensé des livres, prenez soin de vous aussi ! L’avantage, c’est que vous êtes pas tout seul et que vous allez pouvoir discuter avec… plein de gens. »
Fawkes et Nelladel dans la prison d'Albacore
Ça fait quelques heures que Fawkes a repris conscience. Il a l’impression d’avoir dormi sur une plage, frappé par le ressac et que son corps n’a eu de cesse d’être ballotté contre les rochers. Il a mal. Un peu partout et nulle part à la fois si bien qu’il n’arrive pas à auto évaluer les dégâts qu’il a pu subir. Le renard a bougé, il s’est déplacé autant que faire se peut dans la cellule, il s’est accrochés aux barreaux, appelé quelqu’un. Mais personne n’est venu. Il est tout seul dans sa cellule. Tout seul avec Nelladel, mais l’elfe s’est recroquevillé dans son coin et a manifestement décidé de fusionner avec un mur. Il lui en veut. Fawkes n’a pas besoin d’être visionnaire pour le comprendre. C’est à cause de lui et de sa décision de chercher les membres du Cartel qu’il se retrouve enfermé ici.
Sa mémoire lui rappelle les différentes visites de Miiko et son Conseiller. Il se souvient de leurs mots, leurs accusations et pendant un temps, Fawkes se demande si ce sont bien ses souvenirs à lui. Elise Mircalla ? Pourquoi l’auraient-ils abattue ? Pourquoi auraient-ils voulu la dépouiller ? Fawkes n’a pas tous les éléments et sans doute que Nelladel non plus. Ce qu’il en reste, ici et maintenant, c’est que Nelladel est derrière les barreaux par sa faute. Pour autant le silence dans lequel l’elfe se mure ne les fera pas sortir d’ici. Le goupil n’est pas un grand bavard et si le silence doit être le troisième prisonnier ici, alors soit. Mais Fawkes veut sortir d’ici, et pour ça, il devra à nouveau s’associer à l’elfe aux cheveux bleus.
Il s’approche de son comparse morose et s’accroupit.
« Je m’excuse de t’avoir entraîné avec moi. Nelladel, tu m’écoutes ? »
Mais l'elfe semble dans son monde. Ses yeux aigues-marine fixent les barreaux de leur cellule sans les voir et il n'est pas bien difficile de se douter qu'en cet instant, toutes ses pensées sont tournées vers son frère. Leurs retrouvailles ne devaient pas être à la hauteur de ce qu'il imaginait, si Nelladel les projetait réellement.
Enfin, après quelques secondes, il sort de son mutisme. Il lève son regard vers Fawkes et le dévisage comme s'il retrouvait un vieil ennemi. Il lui en veut et il ne le cache pas.
À cette heure-ci, Nelladel et Fawkes auraient dû se trouver sur le bateau des fées, à voguer vers des endroits plus accueillants, loin de la catastrophe. L'elfe aurait pu plaider pour eux dans leur langue et ensuite, ils auraient pu faire le compte des Typhons et réfléchir à un moyen de retrouver ceux qui manquaient à l'appel.
Oui, ils auraient pu faire tout cela. Nelladel souffle par le nez alors qu'un sourire forcé étire ses lèvres minces. Cela le rend hideux, mais il s'en moque :
« Je t'écoute. En fait, je t'entends tous les jours depuis que je suis coincé ici avec toi. Alors, je dois faire avec, je suppose. »
Il laisse échapper une exclamation dédaigneuse puis, levant un bras, il désigne leur cellule d'un geste théâtral avant de reprendre :
« Ça te plait, tout ça ? C'était ce que tu imaginais, peut-être ? C'est mieux que de retourner des pierres pour retrouver nos chers camarades, c'est vrai. Au moins, on est à l'abri et on a rien d'autre à faire. Ah oui, et aussi : on est accusés de meurtre. »
Hochant la tête comme pour approuver cette dernière nouvelle, Nelladel se met soudain à applaudire avant de conclure d'un ton aigre, rivant son regard dans celui de Fawkes :
« Alors, le héros du cartel, qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? Ta cheffe n'est plus là. Mon maître non plus. On tord les barreaux et on part en voyage ? On appelle le Conseiller et on dit qu'on s'est trompé parce qu'on a pas fait attention ? Moi je ne sais pas, je ne suis qu'un simple dava. Je ne suis pas un héros, alors je suis peut-être un peu limité, donc je m'en remets à toi, Ô Maître Renard : on fait quoi ? »
L'amertume de Nelladel est si opaque qu’elle pique la peau de Fawkes et il doit plisser les yeux pour encaisser la véhémence soudaine de l’elfe. Quand il se réveille et sort de sa torpeur, il ne fait pas semblant.
« Parce que tu crois que c’était mon objectif ? Que j’avais envie de me caler des petites vacances tranquilles, à l’ombre, avec la tranche de bonne humeur que tu es ? Même pas dans mes rêves les plus fous, Nelladel. Le truc, c’est que j’abandonne pas les miens. Ceux qu’on cherchait sous les pierres, c’est ma famille. Pas mes maîtres, ma famille ! Tu sais, comme celle que tu as abandonné en te faisant passer pour mort. »
Le renard fronce son nez, agacé par les piques de l’elfe. Comme si tout est de son dû, tout est de sa volonté et de sa faute. Certes, il a sa part de responsabilité dans leur capture, mais il n’est pas responsable de tout.
« On est pas pareil toi et moi. Mais on est dans le même bateau, tu vois. Si tu restes à faire la gueule, on bougera pas de ce trou.
- Ça, c'est un bon constat. Merci, monsieur. » rétorque l'elfe.
Il allonge ses jambes et pousse un long soupir. Le rouge sur ses joues est visible, même dans l'obscurité et manifestement, il n'est pas prêt de s'en aller. Les poings de Nelladel se serrent, se desserrent, attrapent ses vêtements sales pour les malmener et enfin, il se remet à parler d'un ton amer.
Nelladel se retient de crier, mais ses yeux étincelants traduisent tout le poison qu'il a envie de cracher à la figure du renard.
« Tu veux qu'on discute, mon bon ami ? reprend-t-il en agitant un doigt, pas de problème, on a le temps. On a tout le temps du monde avant qu'on nous sorte de là pour les interrogatoires. Alors allons-y : épiloguons sur les pierres qu'on a retournées et sur nos charmants, adorables, aimants et précieux. Membres. De. Nos. FAMILLES. »
S'énervant, Nelladel laisse échapper un rire sans joie. Il secoue la tête en répétant le mot "famille", souffle une nouvelle fois par le nez, puis reprend d'un débit plus rapide :
« Tu as le droit de me reprocher d'avoir abandonné ma famille, parce que je l'ai fait. J'ai payé pour ça en vivant dans un endroit ignoble, entouré de monstres ignobles et en train de servir des gens ignobles. Mais tu vois, justice a été faite ! Même si Eldarya n'a pas de dieux, justice a été faite ! C'est magnifique ! Maintenant que mon frère sait que j'existe, sa vie va être MERVEILLEUSE ! »
Se redressant d'un seul coup, Nelladel s'agite de plus belle et pointe un doigt accusateur vers son interlocuteur malheureux :
« Ça c'est tout ce que je voulais éviter. J'ai peut-être abandonné ma famille, mais j'avais encore le choix de rester mort pour Ezarel et ce choix-là, il m'a été enlevé quand tu as choisi de retrouver tes chers frères et sœurs du cartel sous des pierres. Tu veux qu'on parle de ta famille, à toi ? On va en parler. On va parler du type pour qui tu as risqué ta vie en courant vers le camp des soigneurs. Ce type-là, qui a trahi le cartel. Et je sais de qui je parle, parce que c'est un dava, comme moi. Un pauvre mec qui s'est retrouvé à la place de Second de l'Ombre juste pour servir les intérêts du maître et qui a rejoint le cartel parce qu'il le lui a demandé. Un sale type qui ne connait même pas le libre arbitre et qui serait capable de passer ses journées sous le bureau de Nevra Mircalla ou bien dans le lit de n'importe quel membre de l'Étincelante s'il en recevait l'ordre. C'est ça, ta famille ? Un petit gardien sans cervelle ? C'est pour ça que tu as risqué ta vie ? Me fais pas rire, Fawkes. Je voulais peut-être fuir la cité mais tes copains du cartel, je t'aurais aidé à les retrouver !
- Tu sais très bien que je voulais rien de tout ça ! Je suis pas devin, je peux pas anticiper ce qui sort de son champ de vision. Alors oui, je suis loyal et j’ai des priorités. Même si Rose nous a trahi, même si… même si visiblement il n’a jamais été des nôtres, je pouvais pas le laisser là. Tu pourras dire ce que tu veux, si c’était à refaire, je le traînerais encore sur mon dos. »
La tension dans les jambes de Fawkes l’empêche de rester encore accroupi et il se relève brusquement. Un peu trop. Ça fait des jours qu’il n’a pas mangé, ou trop peu, et le manque d’énergie lui fait tourner la tête. Il porte la main à sa tempe et ses oreilles se couchent dans ses cheveux. Un raclement se fait entendre et les veines qui pulsent sur son bras révèlent son besoin d’envoyer un coup. Son poing s’écrase sur un mur, à défaut du visage de Nelladel. Fawkes s’énerve mais il sait que Nelladel n’est pas sa cible. La lucidité est encore présente.
« C’est ça ma famille, ouais. C’est tout ce que j’ai. Ils sont tout ce que j’ai. Je peux pas me résoudre à les abandonner, tu peux pas comprendre, ça ? Ou t’es trop égoïste, Nelladel ? »
Ça, Fawkes n’y croit pas, mais la colère lui fait dire des mensonges. Alors il essaye de se donner bonne conscience.
« Ton libre arbitre, tu l’avais déjà plus, de toute façon. »
Mais ça aussi, c’est un mensonge et il le sait. Ça l'énerve d’autant plus. Le renard feule dans le vide avant de darder sur Nelladel un regard sombre, plein de rancœur. Ce genre de regard qu’on réserve à un bourreau qui nous accuse de tous les maux.
« Je me suis excusé ! Je suis en rien responsable des accusations qui pèsent sur nous. J’y suis pour rien, Nelladel ! Ni pour… le reste. »
L'elfe et le renard se font face. Les traits de leurs visages sont tirés par la colère et la rancœur de l'un se confrontant à l'inquiétude de l'autre. Ils peuvent se lancer des horreurs à la figure pendant un très long moment, ça ne leur importe pas.
Pour Nelladel, Fawkes et sa tendance à vouloir sauver tout le monde, est responsable de leur situation et pour Fawkes, Nelladel est injuste de tout vouloir lui mettre sur le dos.
« Je suis peut-être égoïste mais toi, t'es vraiment idiot, tu le sais ça ? Sauver un type pour qui tu n'es rien, ce n'est pas de l'altruisme ou une autre connerie du genre, c'est simplement de la stupidité. Maintenant que tu es en prison avec moi, tu penses qu'il t'aidera ? Moi j'en suis pas sûr. »
Ça, Fawkes le sait. C’est une vérité qu’il refuse de voir, mais une vérité quand même. La colère du goupil gronde toujours, mais elle est plus sourde, et les appendices animals du rouquin s’affaissent.
« Je sais, je suis stupide. C’est une maladie dont je n’ai pas trouvé le remède. Que veux-tu que j’y fasse ? »
Ils sont dans le même bateau, c'est vrai et cette fois s'ils veulent s'en sortir, il faudra que Fawkes fasse un choix. Alors Nelladel insiste :
« Cogne le mur si ça te fait du bien, car mine de rien, on aura quand même besoin d'être deux pour réfléchir, alors laisse ma tête tranquille. Seulement, il va falloir que tu te décides : t'es membre d'un cartel, t'es pas gardien. Si c'est la gloire que tu veux, alors va t'engager dans la Garde d'Eel ou l'armée d'Odrialc'h. Mais si t'es décidé à poursuivre la mission, alors réfléchis bien… »
L'elfe lève une main puis, au fur et à mesure de son discours, déploie trois de ses doigts :
« Je te pardonne pas, mais on s'en fout. Tu l'as dit et sur ce point, je suis d'accord. On est deux ici et faut qu'on s'en sorte avant qu'on se fasse torturer aux interrogatoires, alors déjà d'une, il faut qu'on sorte d'ici et qu'on retrouve Titan et Candice. »
Nelladel déploie un premier doigt.
« Il faut qu'on poursuive la mission et qu'on enlève les gamins de Joseph Ael Diskaret pour les infiltrer au palais. »
Il en déploie un second.
« Si des membres de ton cartel sont portés disparus, on les retrouvera. Sexta n'est pas idiote et je pense qu'elle s'en est sortie avec Fuya. Pareil pour Gabrielle, je suis sûr qu'ils vont bien. Et pour finir… »
Nelladel déploie un troisième doigt.
« Tu choisis. On se barre d'ici, on retrouve le cartel et les fées, puis on continue la mission. Si on collabore et que tu fais, ne serait-ce qu'une action, pour sauver ton abruti de vampire, je me tire tout seul. Je t'ai prévenu. Tu me crois si tu veux, mais mets-toi bien dans le crâne que ce n'est qu'un soldat sans âme et sans cervelle qui te tuerait si Candice ou Nevra lui en donnerait l'ordre. Alors retiens-bien ça et si t'étais amoureux de lui ou une connerie du genre, désolé pour toi. »
Enfin, l'elfe souffle un grand coup et s'adosse contre le mur de leur cellule. Son teint est plus pâle, ses rougeurs ont quitté ses joues, mais l'agacement salit toujours ses veines. Fawkes ne dit rien. Il garde le silence, parce que les vérités qu’énonce Nelladel touchent juste et font mal. Sera-t-il seulement capable de se détourner de celui qui a été son binôme ? Fawkes lui a confié sa vie, et voilà où il se trouve. Néanmoins, le renard apprend de ses erreurs, tant qu’elles ne lui sont pas fatales. Enfin et un avec une voix monocorde, Nelladel conclut :
« Si tu te poses la question : oui, je vais abandonner mon frère une seconde fois. Sa réputation va en prendre un sacré coup, à cause de moi et des accusations de meurtre. Si je disparais, il pensera que je suis qu'une ordure et ce sera parfait. Il reprendra son travail là où il l'a laissé et moi, je ferais mon possible pour l'aider dans l'ombre. »
Le silence retombe comme un couvercle de pierre sur la petite cellule, une fois que Nelladel a terminé de parler. Fawkes n’a rien à dire. Qu’aurait-il à ajouter. Se cracher de la bile au visage ne fera pas avancer les choses, et Nelladel a exposé les termes d’un contrat. Libre à Fawkes de le signer ou non. Dehors, le soleil entame son chemin vers l’horizon et son ombre s’étire d’autant plus dans la pièce. Il n’y a rien pour les éclairer, et si Fawkes voit convenablement dans la pénombre, il faut pour cela que ses proies soient en mouvement. Nelladel ne bouge pas, alors pour Fawkes, c’est comme s’il était tout seul. Il s’adosse aux barreaux et se laisse glisser jusqu’au sol, genou relevé pour servir d’appui à ses coudes. Là, dans le creux formé par ses bras, il laisse tomber sa tête. Il réfléchit. En soit, le contrat est simple, mais Fawkes évalue ses capacités à laisser un des siens derrière lui. Son binôme. Quand il arrive à faire entendre raison à sa tête et à son cœur que Rose n’a jamais vraiment été son binôme et que la situation que lui décrit Nelladel est un reflet réaliste de ce qui pourrait arriver, alors Fawkes relève la tête. Il inspire profondément et alors que ses yeux noisettes accrochent et se verrouillent sur les deux pierres précieuses dans l’ombre, il tranche :
« Je suis avec toi. »
Nelladel lui jette un regard en coin. Bien. S'ils sont tous les deux d'accord, alors ils peuvent se sortir de cette situation. Ils vivront des moments assez sombres, mais ce sera nécessaire pour réunir le cartel et les fées, puis continuer la mission.
« D'accord, répond Nelladel, alors je suis avec toi aussi. »
L'elfe se lève, fait quelques pas et s'accroupie devant Fawkes. Son cœur s'accélère alors qu'il pense à la suite des événements. Il peut prédire ce qui se passera et il admet que ça lui fait peur.
« C'est moi qu'on viendra chercher en premier pour les interrogatoires, reprend Nelladel, parce que je suis le frère d'Ezarel et le dava de Candice. Leiftan doit déjà le savoir, j'en suis sûr. Bref. Tout ça pour dire que j'en profiterais pour repérer l'endroit où on est et de savoir où sont retenus Candice et Titan. Je te dirais aussi ce que j'ai subi pendant les interrogatoires comme ça, tu pourras t'y préparer. Quand on connaîtra les lieux par cœur, on pourra s'enfuir. »
Nelladel s'interrompt un instant. Il réfléchit, fait le tri dans ses pensées, puis conclut :
« Si on arrive à fuir avec Candice, on ira à la frontière du royaume des fées. Si on fuit avec Titan, on ira à Odrialc'h. Et si on arrive à les libérer tous les deux, tu t'en iras avec ta cheffe et moi, avec mon maître. T'es d'accord avec ça ?
- Je le suis, confirme Fawkes, même s’il se dit que la situation a le temps de changer d’ici là. »
Parce qu’il le sait, les plans ne se passent que rarement comme prévu. Toutefois, il a besoin d’une information supplémentaire. Ça ne changera pas grand chose dans l’état actuel des choses, si ce n’est éviter des tortures inutiles.
« Est-ce qu’on met en place une légende ? Une… version des faits, cohérente, entre toi et moi ? Ou préfère-tu qu’on reste dans le mutisme le plus total ? »
L’un ou l’autre convienne à Fawkes, il veut juste savoir ce qu’il en est de Nelladel. Si l’elfe préfère inventer un bobard au cas où l’interrogatoire devient corsé, Fawkes tient à être mis au courant pour ne pas lui faire défaut à nouveau.
L'elfe réfléchit mais plus il y pense, plus il en arrive à la conclusion que de toute façon, Fawkes et lui ont été piégés et qu'ils n'ont aucun moyen de se défendre.
« Je pense qu'il vaut mieux qu'on se taise, confie Nelladel en secouant la tête, on a été piégés de toute façon et ceux qui l'ont fait s'attendent à ce qu'on mentent. Si on invente un mensonge, même à deux, ça finira par se voir. Autant qu'on dise qu'on a rien fait ou qu'on la ferme en attendant de se tirer d'ici. »
On voudra leur faire avouer leur identité, pour qui ils travaillent, ce qu'ils font, comment ils connaissent Titan et Candice. Il est hors de question d'avouer quoi que ce soit ou même de vendre le maître Milliget et la cheffe du cartel des Typhons.
Puis, Nelladel pense à quelque chose :
« Fawkes, retiens bien ça : hekhelem. Quand on sortira de là et qu'on retrouvera Candice, dis-lui ça. Ça veut dire que tu le reconnais comme souverain originel et qu'en échange de ta loyauté, il t'accordera sa protection. Je te demande pas de devenir un dava, t'appartiens au cartel de toute façon. Mais si les choses tournent mal et que tu te retrouve seul avec lui, ça pourra t'être utile. Ça veut dire "mon roi" dans la langue des fées.
- Mo-mon roi ?! répète Fawkes en fronçant le nez avant de s’entraîner. Hek-Hélèm, comme ça ? »
Il prend note du mot. Hekhelem. Si ça peut lui éviter de se faire arracher la gorge par Candice, ça peut être pas mal. Ça lui aurait été plutôt utile quand il se trimballait Rose sur le dos, mais il ne peut pas revenir sur le passé. Il adoptera donc le choix de Nelladel. Ne rien dire et encaisser le temps de retenir la configuration des lieux. Le renard sait faire, ça, encaisser, même s’il craint ce dont sont capables ses bourreaux. La simple idée que le Conseiller puisse l’interroger ne le met pas en joie. Pas du tout et son cœur s'accélère à cette pensée, mais il se doit de garder tout son calme. Il hoche la tête et porte la main au cou de Nelladel pour verrouiller leurs regards.
« On sortira d’ici. Tous les deux. »
L'elfe hoche la tête. Ils doivent sortir d'ici, sinon c'est une exécution en bonne et dûe forme qui les attend. De plus, ils ont toujours une mission à accomplir, ils ne doivent jamais l'oublier.Les Choix
Rose est enfin réveillé et a rencontré son soignant, qui n'est personne d'autre que Lilymoe. Il a appris que ses jambes allaient guérir, même si cela prendrait du temps et qu'il pourrait marcher de nouveau.
Cependant et dans son lit d'hôpital, Rose ne peut rien faire d'autre que de penser. Il pense à sa maladie de l'esprit qui le ronge et qui est connue sous le nom de "maladie du néant". Rose en serait atteint depuis longtemps pourtant, il s'est souvenu des conseils donnés par Sira, juste pour l'aider à vivre.
Son réveil est une chance et non une calamité, alors peut-être qu'il est temps de commencer à prendre les choses en main, même si Rose est allité.
Que devrait-il faire ?
➜ Demander des nouvelles de la Garde de l'Ombre.
➜ Demander à voir Nevra Mircalla.
➜ Demander si June Albalefko peut lui rendre visite de nouveau.
➜ Demander à discuter avec Joseph Ael Diskaret.
➜ Demander à voir quelqu'un d'autre (indiquer le nom du personnage) ou bien renoncer à voir qui que ce soit.
Pour vous aider : Le réveil de Rose est comme une renaissance. Il est parfaitement conscient de sa maladie de l'esprit et il faut voir quel chemin il souhaite emprunter. Qu'est-ce qui est le plus important en ce moment ? Qu'il essaye de reprendre sa place de Second de l'Ombre ? Qu'il retourne vers le travail ou bien qu'il s'en éloigne ? Vers quel genre de personne devrait-il se tourner, ici et maintenant ?
Ce choix n'est pas un choix charnier, rassurez-vous ! Simplement, Rose peut évoluer en fonction de vos choix et au fur et à mesure, il deviendra ce que vous voulez qu'il devienne.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Miiko Yamamura va adresser un discours à la population d'Eel, réunie à Albacore, afin de faire le point sur la catastrophe qui a eu lieu et le devenir de la cité blanche, en ruines. Après l'avoir écouté, June pourra se faire ses propres conclusions et mener son enquête si elle le souhaite.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes va recevoir une visite assez étrange, en prison, pendant que Nelladel sera emmené par des gardiens de l'Ombre.
À l'issu de la conversation avec cette mystérieuse visite, Fawkes pourrait faire un choix.
Lorsque tu seras prêt, Waïtikka, viens me trouver en MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous et bienvenus sur ce troisième chapitre ! Posté bien tard, je vous l'accorde, mais malheureusement, j'accumulé du retard aujourd'hui et je m'en excuse.
Bon, je suis consciente que le début de ce second arc bouge beaucoup moins mais ne vous inquiétez pas (si), ça va arriver et ce sera bien entendu, en grande partie grâce ou à cause de vous.
De quoi je parle ? Je vous laisse le découvrir avec ce chapitre. Réfléchissez bien et n'ayez pas peur, ça va bien se passer, comme d'habitude. B)
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 3 - La Chair des Anges
« Ça fait tard, quand même. Mais ici, vous serez bien. »
Rose réprime une grimace quand l'immense siège à roulettes a un soubresaut en butant sur un cailloux. Ici, il peut sentir le vent sur son visage et la nuit l'entourer comme une aura protectrice. Pour sa peau trop pâle qui n'a pas luttée contre le soleil depuis plusieurs jours, tenter de le défier aurait été une erreur stupide. Il n'a pas besoin de brûlures superficielles pendant que ses jambes souffrent encore.
D'ailleurs et pour respirer plus convenablement, dans la cour arrière du petit hôpital de fortune, Yëvet a dû prendre sur son temps. Il a fallu que Rose soit levé, maintenu assis, puis transféré sur le siège à roulettes aux longues cales pour ses jambes brisées.
Il a fallu aussi que la troll le conduise jusqu'à la terrasse et au bord de la verdure, bloquant les roues afin qu'aucun incident se produise et même si Rose a détesté se faire manipuler de la sorte, il ne peut qu'être reconnaissant.
« D'habitude, on est toujours à plusieurs pour lever les gens, explique Yëvet, c'est important pour pas se faire mal aux dos ou aux épaules, par exemple. Mais ici, la situation est différente, tu vois bien. »
Il voit bien, en effet. Ce genre de chose, c'est un véritable tic de langage qu'il a su remarquer chez l'infirmière : le tutoiement involontaire lors de certaines phrases comme "tu vois bien", "attends" ou "tiens". Cependant, aucun patient ne s'en offusque et certains, comme Joseph Ael Diskaret ou bien Chrome Talbot aiment beaucoup rire avec Yëvet.
Lorsque les roues en bois sont bloquées dans un cliquetis assourdissant, Rose a un sursaut. Face à lui, en contrebas, la forêt qui borde la cour arrière de l'hôpital est plongée dans l'obscurité pourtant, les bruits de la nature trahissent la vie nocturne.
« Vous avez pas trop froid ? demande Yëvet.
- Non. Merci.
- Ça va, les cheveux ?
- Ça va. »
En réalité, Rose est persuadé de ne pas ressembler à grand-chose, mais ce n'est pas important. L'infirmière avait absolument tenu à l'aider à laver ses longs cheveux sombres qui commençaient à se rassembler en mèches grasses, durant sa toilette.
Pour nettoyer les blessures de ses jambes, Rose avait dû être immergé dans une grande baignoire en bois, destinées aux blessés dont les plaies étaient nombreuses ou gravissimes. Certains gardiens ayant fait les frais des explosions de Candice Milliget étaient notamment baignés, plusieurs fois par semaine, dans des solutions antiseptiques.
Concernant Rose, les soins étaient directement appliqués sur ses jambes mises à nue durant l'immersion, par Yëvet et Lilymoe. L'infirmière et le soignant avaient bien perçu que ce genre d'instant mettait Rose très mal à l'aise et même si Yëvet faisait de son mieux pour plaisanter avec son collègue ou dédramatiser la situation, c'était peine perdu.
« J'ai quarante-quatre, avait-elle dit d'un ton léger, je suis mariée et avec le métier que je fais, je peux vous dire que des bricoles, des queues de sirènes ou des cul de renards comme celui-là, à côté de moi, j'en ai vu ! Et des vampires à poil, c'est la même chose, hein ! À midi, à minuit ou même dès le matin, j'en ai vu depuis plus de vingt ans !
- Oh, Yëvet, quand même… avait soufflé Lilymoe, quelque peu choqué.
- Lui, c'est pareil, il est jeune, mais il a déjà pratiquement tout vu. Alors faut souffler un coup et se détendre sinon, la baignoire va se casser en deux, hein ! »
Rose n'avait rien dit et s'était contenté de subir en silence. Il se doutait bien qu'un soignant ne portait pas le même regard qu'une autre personne sur la nudité, à cause de son corps de métier. Mais ce qui le gênait, ce n'était pas la façon dont Yëvet et Lilymoe pouvaient le voir.
Non.
C'était sa propre fragilité qu'il exposait malgré lui, dans cette baignoire, et qui rajoutait un dégoût supplémentaire à l'estime qu'il pouvait se porter.
Là, dans la cour arrière de l'hôpital, Rose passe une main dans ses cheveux pour en défaire quelques nœuds. Il attend, sous le manteau noir de la nuit et il ignore encore si sa demande est une folie. Mais il veut savoir et après toutes ces journées passées dans un lit d'hôpital, c'est de sa présence dont il a besoin.
Quand Rose a revu la catastrophe qui a plongé Eel dans le feu et le sang, quand il a pu avoir connaissance de certains évènements, grâce à Lilymoe, il a voulu savoir ce qui était arrivé à Nevra. Si le Chef de la Garde de l'Ombre se trouve, aujourd'hui, dans le même état que Valkyon Batatume ou bien s'il a pu s'en tirer.
Mais en vérité…
« Tu ressembles à un fou en pleine cavale, tu le sais ? »
Rose tourne la tête avec précipitation, écarquillant ses yeux opalins avant de les river vers le propriétaire de la voix. La joie et le chagrin crépitent comme une seule flamme, au fond de sa poitrine.
Il aurait préféré que Lilymoe se soit trompé, lorsqu'il avait dit que Nevra Mircalla avait été arrêté pour haute trahison contre la cité d'Eel et ses citoyens. Rose aurait voulu le voir apparaître dans son uniforme de Chef de l'Ombre, dans toute son assurance pourtant, lui qui avait brillé dans tous les regards de ses gardiens, n'est devenu qu'un vampire de paille.
Son regard est le même, la force luit dans son oeil d'acier et l'auréole de ses cheveux d'ébène lui donnent cette vaillance et ce côté intouchable qui se dégage de sa personne pourtant, les vêtements du parjure ne lui vont pas.
Une tunique et un pantalon d'un noir d'encre. Sobres.
Nevra esquisse un sourire sans joie.
« Si tu te poses la question, nous sommes surveillés. Il y a des gardiens de l'Obsidienne tout autour de l'hôpital et si je peux avoir une discussion avec toi, c'est uniquement parce que je suis un Mircalla. »
Rose le sait. Quand il avait demandé à Lilymoe, quelques jours plus tôt, s'il pouvait voir Nevra, le soignant lui avait répondu que ce serait très difficile. Mais vu les circonstances, la conversation a été accordée.
Une fois sorti de l'hôpital, Rose aussi pourrait revêtir les habits sombres de ceux qui ont trahi Eel. Cela ne lui fait rien.
Nevra Mircalla vient s'asseoir à même le sol, sur la petite terrasse bordée par la verdure. Même la nuit tombée, la vue sur la forêt est belle et peut-être qu'il n'a plus l'occasion de voir un simple paysage comme celui-là, là où on l'a enfermé. Rose devine qu'en tant que membre de la famille Mircalla, sa vie en détention est certainement beaucoup plus facile que celles de Titan, Fawkes, Nelladel ou Maître Candice mais quand il regarde Nevra, le trou dans sa poitrine se creuse.
Il n'y a que trois personnes qui lui sont chères. La première sera certainement expulsée de son établissement médical, la seconde est dans le coma et la troisième est à un cheveux de sortir de sa vie, jugée pour haute trahison.
« Tu as essayé de manger une tempête, pour ton dîner ? » demande Nevra d'un ton léger.
Face au regard terne de Rose, le vampire lève une main pour mimer un coup de vent violent dans ses cheveux, mais sa plaisanterie tombe à plat. Poussant un soupir, Nevra rive son œil valide vers l'horizon et laisse le silence l'envelopper.
Rose voudrait dire quelque chose. Il est celui qui a demandé à le voir parce qu'il a craint que sa vie n'ait été en danger et maintenant qu'il est là, son mutisme habituel vient le museler.
Il voudrait mais il n'y arrive pas.
« Tu m'as fait peur. » reprend subitement Nevra d'un ton grave.
Les doigts de Rose se tordent sous l'épaisse couverture qui recouvrent ses jambes ainsi que son bassin. Du haut de sa grande chaise en bois, il peut voir le dos de l'ancien Chef de l'Ombre se crisper alors qu'il reprend :
« J'ai appris bien trop tard que Sexta des Typhons t'étais tombée dessus et qu'elle t'avait mortellement blessé. J'ai appris aussi qu'à cause d'une explosion de Candice, tu t'es retrouvé enterré avec la fille d'Ael Diskaret et que Valkyon a essayé de te ramener au camp des soigneurs, mais qu'il n'est jamais arrivé.
- Je suis…
- C'est dans ces moments-là que je regrette. »
Perplexe, Rose dévisage Nevra. Ce dernier a délaissé l'horizon pour le regarder dans les yeux et quand il se remet à parler, c'est pour personnifier la peur. Celle que Rose veut bannir hors de sa forteresse sans y arriver, tant elle continue de le hanter.
Qu'un jour, le chemin tout tracé qu'il doit suivre sans penser s'arrête et qu'à la fin, il ne lui reste que des choix à faire en son âme et conscience.
« Tu regrettes ? croasse Rose, la gorge sèche.
- Oui. De ne pas avoir réfléchi. D'avoir voulu affronter ma famille pour satisfaire mon ego et de nous avoir jeté tous les deux dans les mains d'un souverain qui a failli te tuer.
- Je ne suis pas d'accord. »
Nevra n'a jamais suivi la pensée des Mircalla, c'est vrai. Leur soutien pour la conquête terrienne ne fait pas partie de ses idéaux et cela, Rose l'a appris quand il a décidé d'entrer à son service. S'il ne l'a fait que pour l'argent au départ, les convictions de Nevra sont devenues les siennes et quand il y pense maintenant, c'est peut-être parce qu'elles sont similaires à ce qu'il a toujours appris. Alors elles sont rassurantes.
« Le Maître nous avait prévenus. C'était à nous, de protéger nos vies. Nous avions le mot pour l'arrêter dans sa rage.
- Notre survie n'a sûrement jamais fait partie des plans de cette fée, Rose. Parce qu'elle n'a jamais compté. Tu crois que c'est digne d'un souverain ? Si on veut porter une couronne sur la tête, il faut la mériter. Et ce que je tire de la catastrophe, c'est que sur dix fées Milliget, il y en a une qui ne la mérite pas. C'est déjà une de trop.
- Mais ce n'est pas ce que disent…
- On s'en fout de tout ça. »
Nevra a un geste agacé de la main et Rose se tait. Les vieilles connaissances qui étaient en train de refaire surface, dans son esprit, retournent dans les abysses de sa mémoire. Tout ce qu'il reste, c'est le silence agacé par la colère de l'ancien Chef de l'Ombre.
Rose s'est attendu à ce qu'il se mette à évoquer tout ce qu'il a perdu, mais ça n'a pas l'air de compter. En réalité, ça compte beaucoup plus pour celui qui a été son Second.
« On connaît l'Histoire, maugré Nevra, les bouquins, on les a lus. Toi, tu crois savoir des choses et moi aussi. Mais pour ce que ça a donné…
- Lui aussi, il est en prison, maintenant. »
Nevra lance un regard inquisiteur à Rose et ce dernier, perplexe, se contente de hausser les épaules avant de poursuivre l'évidence qu'il est en train de mettre en lumière.
« Maître Candice aussi, est en prison.
- Oui. D'accord. Il est en prison, moi je suis en prison dorée et toi, tu es en prison à l'hôpital.
- Tu aurais pu t'en aller. »
Après avoir empêché les archers de l'Ombre de tirer sur le Maître, Nevra Mircalla aurait simplement pu fuir la cité. Il est malin. Il aurait trouvé un moyen de s'échapper et de se terrer quelque part pour mieux revenir et retourner la situation à son avantage.
« Et te laisser derrière ? réplique l'ancien Chef de l'Ombre, et laisser Valkyon écouter des bêtises à mon sujet ? Et laisser ma famille, la Garde Étincelante et Odrialc'h me traîner dans la boue ? Franchement, Rose… »
Nevra secoue la tête en soufflant par le nez, avant de s'étirer en faisant craquer le haut de son dos. Rose le regarde sans rien dire, pourtant les mots de son comparse ont eu le pouvoir de faire monter l'écho d'une émotion et un instant, il a eu les yeux humides.
Nevra ne l'a pas abandonné mais il aurait pu.
Et maintenant ? Maintenant qu'il n'a plus confiance en Maître Candice, que va-t-il faire ? Est-ce qu'il compte retourner dans les rangs des Mircalla pour tâcher de se sortir de sa mauvaise posture, ou bien est-ce qu'il croit toujours en la souveraineté originelle des fées, ainsi que des trois autres peuples d'Eldarya ? Ou bien a-t-il une autre idée en tête ?
« Qu'est-ce que tu comptes faire ? demande Rose sans le quitter des yeux.
- C'est drôle, je suis venu pour te poser la même question. »
Nevra se met sur ses jambes et enfonce les mains dans les poches de son pantalon. Là, près de son ancien Second, la boue noirâtre dans laquelle il se trouve ne semble même pas l'atteindre et Rose est persuadé que quelque part, c'est la vérité. Il s'en sortira. Il y arrivera, parce qu'il est malin et qu'il est un Mircalla, alors les rouages pervers de sa famille ne pourront pas fonctionner avec lui.
« Quand mes chers geôliers ont reçu une demande de la part de l'hôpital pour te rendre visite, j'étais soulagé de te savoir réveillé. Ton binôme a quand même fait du bon boulot pour t'avoir amené au camp des soigneurs. Mais avant de partir, j'aimerais savoir une chose : en quoi est-ce que tu crois ?
- En quoi est-ce que je crois ?
- Oui. La conquête terrienne, les fées, les souverains originels… Toutes ces conneries pour lesquelles on est prêts à mettre notre vie en jeu… Toi, en quoi est-ce que tu crois ? »
Rose sait pourquoi Nevra lui pose cette question. Il a envie de savoir si celui qu'il a accueilli comme serviteur, lorsqu'il avait quatorze ans, puis comme Second à l'âge de dix-neuf ans, n'est qu'un soldat sans âme et un suiveur. Si sous son crâne et sa tignasse de cheveux noirs, il y a réellement un esprit capable de choisir au lieu d'obéir.
Mais Nevra le voit déjà comme une personne et non un pantin, Rose le sait. Quant à savoir ce en quoi il croit, peut-être qu'il décevra son comparse, mais il a déjà choisi.
« Je crois en la Chair des Roses.» souffle-t-il.
Il voit Nevra en train de fermer les yeux pour finir par acquiescer. Il sait ce que c'est, la Chair des Roses. Quand il a eu connaissance de cette histoire, au début, il a pensé qu'elle était le puits où la mère de Rose avait trouvé l'inspiration pour le nommer, mais il n'en était rien.
Théodora n'a jamais su et son fils, lui, a longtemps cherché, pensé, théorisé en espérant que toutes ses croyances puissent être vraies.
La Chair des Roses, c'est ce que Fawkes et le cartel n'auraient jamais pu deviner avec les écrits disponibles dans la bibliothèque de la cité d'Eel et c'est ce que les lorialets ont craint avant leur disparition.
« Les fées sont les souveraines légitimes d'Eldarya parce que dans leur royaume, il y a la Chair des Roses, récite l'ancien Second, C'est un jardin merveilleux, parmi le froid et la glace, où naissent des anges qui attendent d'être mangés. Et parce que les fées mangent les anges, elles sont belles, puissantes, érudites et elles peuvent gouverner. Mais depuis que la Chair des Roses s'est éteinte, les anges ne naissent plus et les fées mangent les criminels de la plus grande prison d'Eldarya. Elles ont perdu leur superbe, leur couronne et des quatre espèces souveraines, il ne reste plus qu'elles.
- Ça, nous n'en savons rien, répond Nevra, regarde Sheraz Alfirin. »
Oui, Sheraz Alfirin est un haut-elfe, issu de la seconde espèce souveraine d'Eldarya.
Les fées, les hauts-elfes, les chimères et les démons. Les deux derniers n'ont pas montré signe de vie, malgré les recherches ordonnées par Maître Candice.
« Tu crois que cette Chair des Roses qui donne naissance à des anges a vraiment existé ? reprend Nevra d'un ton suspicieux.
- Je crois qu'elle a existé et qu'elle existe, mais qu'elle n'est pas ce que nous pensons. Les lorialets la mentionnaient dans leurs poèmes pour désigner les fées qui venaient s'accoupler avec les femmes de leur espèce, à une époque, donnant naissance à des lorialets d'une grande beauté. Les elfes sylvestre la mentionnaient aussi dans leurs écrits pour désigner l'interdiction formelle de se nourrir de viande et je pense que cette désignation était surtout une façon de critiquer le régime alimentaire des fées.
- Et qu'est-ce que tu penses de tout ça ?
- Je pense que les fées ne veulent surtout pas que l'on sache ce que c'est, au-delà de l'aspect mythologique de la Chair des Roses. Soit parce que cette vérité pourrait remettre leur souveraineté en cause, mais je n'y crois pas. Soit parce que cette vérité nous serait insupportable. »
Nevra répète le mot insupportable en plissant son œil valide. Cependant, la réponse de Rose à sa question semble lui convenir même si ce dernier ne sait pas ce qu'il en fera. Rose doute qu'il continue de servir les fées et s'il le fait, il refusera d'être un dava et ignorant concernant la couronne qu'elles veulent récupérer.
Mais Candice ne parlera jamais de la Chair des Roses.
« Rose, l'interpelle Nevra, écoute-moi bien. »
L'ancien Second de l'Ombre lève son visage et fixe le profil de son comparse avec appréhension. Ses mains pâles se crispent sur les accoudoirs de son grand siège en bois et un instant, il craint que Nevra lui dise que leurs chemins se séparent de manière définitive, parce que la situation l'exige.
« Tu le sais déjà, mais tu es démis de tes fonctions de Second pour haute trahison envers la cité d'Eel et la Garde Étincelante. Tu n'appartiens plus à la Garde de l'Ombre et en sortant de l'hôpital, tu devras justifier tes actes face à la justice. Si tu n'es pas en isolement aujourd'hui, comme Candice, c'est parce que j'ai dis que tu n'étais qu'un pion et c'est le rôle que tu dois continuer à jouer.
- Mais, toi…
- Moi, je me débrouille avec ma famille. C'est une vraie famille d'abrutis, mais c'est la mienne. »
Un sourire très doux se dessine sur la figure de Nevra, alors que ses épaules s'affaissent. Lui aussi, il a sa part de fragilité sous sa peau et même s'il s'en sortira, se dresser contre ses propres parents et les affronter lui laissera des marques.
« Je suis désolé, lui confie Rose.
- De quoi ? Ce n'est pas toi qui a élevé mes parents. Mais tu sais ce que nous allons faire ? »
L'ancien Second secoue la tête, tirant un léger rire de Nevra qui lui ébouriffe amicalement les cheveux.
« Tu sais ce que nous allons faire ? Nous ferons ce que tu juges nécessaire, pour Eldarya. J'ai pris une décision qui nous a mené là où nous sommes, maintenant tu prendras la suivante. »
Rose écarquille ses yeux opalins et secoue immédiatement la tête. Non. Il n'en est pas capable. Il n'est pas celui qui prend les décisions. C'est Maître Candice ou Nevra qui le font. Pas lui.
« Vraiment ? réplique l'ancien Chef de l'Ombre en marquant un sourcil, eh bien puisque c'est comme ça : je décide que tu décides. Tu n'es plus Second et je ne suis plus Chef, alors fais-en ce que tu en veux. »
Ce qu'il en veut. Mais qu'est-ce qu'il veut ? Rose sait en quoi il croit, mais si on lui met une carte entre les mains en lui demandant de guider des âmes jusqu'au salut d'Eldarya, alors ses jambes ne bougeront pas. Il n'est pas un meneur.
Mais il a compris ce que veut Nevra. Il l'a compris, il y réfléchit et même après que leur conversation ait touchée à sa fin, parce que le personnel soignant de l'hôpital l'a appelé, arguant qu'il était attendu, Rose a continué de réfléchir avec le cœur meurtri.
Avant de partir, Nevra lui a ébouriffé les cheveux une seconde fois puis, il est venu appuyer son front contre le sien en lui promettant qu'ils se reverraient.
Il lui a aussi demandé quelque chose. Une simple question sur un souvenir et c'est peut-être ce qui fait pencher la balance aujourd'hui.
Qu'est-ce que Rose veut ? Qu'est-ce qu'il est bon de faire pour Eldarya ?
Yëvet est venue le chercher pour le ramener à l'intérieur de l'hôpital, mais Rose n'a pas sommeil. Il a demandé s'il pouvait rester sur son siège, face à la grande fenêtre cintrée du dortoir où il se trouve, avec Valkyon près de lui, Joseph Ael Diskaret en train de se remettre de ses blessures et Chrome Talbot.
Rose n'est plus Second de l'Ombre. Dès que ses jambes seront guéries, il sera jugé pour haute trahison. Mais pendant qu'il est encore à l'hôpital et qu'il a du temps devant lui, il peut penser. Son esprit ne peut pas lui être volé, alors il peut encore choisir ce en quoi il croit, pour Eldarya.« Dis, Rose, tu sais, la fois où tu es monté sur le bateau du Milliget. La seule fois. Est-ce que tu les as vu ?
- Quoi ?
- Les deux sujets humains. Est-ce que tu les as vu ?
- Oui. »
Il les a vu, mais il n'a jamais pu les approcher, car leurs gardiens veillent sur elles.
Des gardiens chéris par les fées.
Ils accueillent leurs Maîtres avec des sifflements joyeux, et ils accueillent leurs ennemis avec des grondement terrifiants et des dents effilées.Par Rokkun
June, Helouri et Cristal au discours de Miiko Yamamura
Albacore est devenu le nouveau foyer des réfugiés de la cité d'Eel. Même si les gardiens survivants sont enfin revenus vers leurs familles ou bien alités à l'hôpital de fortune, tous les habitants attendent des nouvelles de la Garde Étincelante.
Nombreux sont ceux qui veulent savoir ce qu'il s'est réellement produit durant la catastrophe et ce qu'il va advenir de leur glorieuse cité blanche.
Pour l'occasion, Miiko Yamamura a lancé un appel à tous les réfugiés, les invitant à se réunir sur la place du village d'Albacore, afin de prononcer un discours. Celles et ceux qui ne pourront pas venir se verront adresser une version écrite de ce même discours, afin que tous puissent connaître les prémices de la reconstruction d'Eel, ainsi que les coupables, les responsables de sa destruction.
Pour l'occasion, June, Cristal et Helouri se sont rendus sur la place centrale d'Albacore. Le jeune morgan et sa grande sœur ont eu le temps d'échanger, depuis leur dernière visite à l'hôpital, pour voir leur père. Helouri a rapporté à June ce qu'il avait vu, lors des sélections, dans la pièce réservée aux candidats : cette troll qui se cachait derrière les tentures et qui lui a fait signe de se taire.
À présent, il est curieux d'entendre ce que Miiko Yamamura a à dire.
Les habitants et gardiens d'Eel sont nombreux. Très nombreux. Ils envahissent la place du village, attentifs au discours de celle qui est à la tête de la Garde Étincelante. Miiko Yamamura fait presque misérable, à devoir monter sur une caisse pour dominer les autres, mais son piédestal a été détruit avec le Quartier Général d'Eel. Même ainsi, elle reste digne et elle le doit.
À ses côtés, il y a Leiftan Tuarran ainsi qu'une gardienne de l'Ombre que June reconnaît : Enthraa Kellerman.
Miiko s'éclaircit la voix, et le discours commence :
Mes chers amis, Chers habitants de la cité d'Eel et fidèles gardiens,
Ces jours sombres sont synonymes de pertes effroyables. Les murs de notre belle cité ont été peints en rouge par un monstre venu des Terres Gelées du Grand Nord et le sang qui a coulé sur les sols d'Eel ne sera jamais oublié.
Ces heures macabres ont vu des vies s'envoler, d'autres être menacées et tout cela pour une haine qui n'a ni nom, ni sens. Mes chers citoyens, il faut que vous le sachiez : les fées du sang et Maîtres de la Médecine ont déclaré la guerre à la cité d'Eel.
En voulant s'attaquer à nos vies, à celles de nos enfants et de nos gardiens, elles se sont fait des ennemis très puissants et nous ne laisseront pas cet outrage impuni.
La fée responsable de la catastrophe se trouve actuellement dans une prison hautement sécurisée et elle sera soumise à des interrogatoires.
Eel ne s'est pas encore remise sur ses jambes et la bataille est inenvisageable, cependant, nous devons faire comprendre aux fées du sang que nous plaisantons pas. Par bonheur, nous pourrons compter sur nos fidèles alliés d'Odrialc'h et sachez que la vénérable Capitaine Shakalogat Gra Ysul a déjà été mise au courant de notre situation. De l'aide nous sera envoyée pour faire face à l'ennemi, mais aussi pour reconstruire notre belle cité.
Aussi, chers citoyens… En tant que représentante de la Garde Étincelante et en ces temps troublés, je dois vous ouvrir mon cœur et faire briller la vérité.
Vous devez être vigilants. Aujourd'hui plus que jamais, car sachez que le mal n'était pas seul. Il y avait, parmi nous, des adorateurs des fées qui ont troqué leurs valeurs contre un culte souverainiste abject. Ils ont aidé Eel à chuter, ils sont responsables des vies qui ont été volées et pour cela, les punitions seront à la hauteur de leurs fautes. Certains d'entre eux ont été capturés, mais d'autres rôdent toujours.
Soyez vigilants, chers citoyens et si un doute persiste sur une personne que vous connaissez, veuillez en avertir les autorités compétentes.
Nous parviendront à retrouver notre vie d'avant, mais nous devons être unis et solidaires des uns et des autres.
La Garde d'Eel a été bouleversée et parce que certains de nos Chefs et gradés sont alités car gravement blessés, d'autres prendront temporairement leur place. Voici la nouvelle organisation :
Pour la Garde Absynthe, Ezarel Séquoïa reste le Chef. Cependant, son Second a péri durant la catastrophe, alors c'est Ewelein Osgiliath qui assumera cette fonction en attendant une nouvelle nomination.
Pour la Garde Obsidienne, puisque notre bien-aimé Valkyon Batatume est incapable d'en assumer le commandement, c'est Jospeh Ael Diskaret, qui sortira bientôt de l'hôpital, qui a été nommé à sa tête. Cameria Klimt reste la Seconde.
Pour la Garde de l'Ombre, je suis au regret de vous annoncer que Nevra Mircalla et son Second sont dans l'incapacité d'en assurer le commandement. Elle a donc été confiée à Enthraa Kellerman ici présente, ainsi qu'Andromède Mircalla en tant que Seconde.
Veuillez faire retentir vos applaudissements pour cette nouvelle composition de la Garde ainsi que ces gens qui font de leur mieux.
Puis, Leiftan Tuarran s'avance et a ces mots :
Quant à moi, je suis reconnaissant d'être en vie. Durant ces heures sombres, j'ai failli mourir entre les mains du monstre et je me croyais perdu. Fort heureusement, le courage et la vaillance de Joseph Ael Diskaret m'ont permis de me tenir ici, devant vous, aujourd'hui.
C'est pourquoi je tiens à lui rendre hommage, à lui et sa famille. Qu'ils sachent que s'ils ont besoin de quoi que ce soit, je me tiens disponible. C'est le moins que je puisse faire pour remercier le gardien… Non : le Chef Ael Diskaret de l'Obsidienne.
Un tonnerre d'applaudissements retentit et des regards brillants se tournent vers June, Cristal et Helouri. Cristal fond en larmes et serre chaleureusement les mains qui lui sont tendues, jusqu'à ce que le Conseiller de la Garde Étincelante marche vers elle afin de lui parler de son mari si grandiose.
June, elle, ne sait pas trop quoi penser. Si elle est ravie de voir les qualités de son père reconnues à leur juste valeur, elle trouve aussi que le discours de Miiko Yamamura dit beaucoup de choses, sans pour autant aller en profondeur. Elle sait bien sûr que Rose est dans un sale état pour avoir participé à son sauvetage, mais qu’est-il arrivé à Nevra Mircalla ? Et puis, la fée dont parle la cheffe d’Eel est forcément celle qui a essayé de la tuer, mais qu’en est-il des autres ? Bien sûr, elle ne s’attendait pas à ce que le discours des dirigeants réponde à toutes ses questions : pour cela, il faudrait une véritable conférence, voire un séminaire qui s’étalerait sur plusieurs jours…
Quant à ces adorateurs des fées cachés parmi eux… Le visage de Nelladel s’impose immédiatement à son esprit. L’elfe était de mèche avec la fée, elle en est certaine : il parlait sa langue, et il essayait d’aider Delta Milliget avant de vouloir la kidnapper. Mais alors Ezarel Séquoïa, qui lui ressemble comme une goutte d’eau, fait-il lui aussi parti de ces adorateurs ? Et qu’en est-il de Rose, qu’elle a retrouvé en compagnie de Sira ?
La jeune femme ne peut s’empêcher de grimacer, car plutôt que des réponses, le discours de Miiko Yamamura a entraîné d’autres questions dans son esprit déjà saturé. Son regard améthyste se pose que Leiftan Tuaran, remis de ses blessures, qui s’approche de Cristal. Il a dit se tenir disponible pour eux, mais elle doute que cela inclus de lui donner les réponses qu’elle voudrait pouvoir exiger… Et pourtant… Est-ce que ça vaudrait le coup d’essayer ? Indécise, elle se penche discrètement vers Helouri, non sans sourire à ceux qui applaudissent la nomination de son père.
« Tu penses qu’il saurait ? murmure-t-elle à son frère.
- J'en suis sûr. »
Comme d'ordinaire, Helouri se fait tout petit dans la foule. Il laisse sa mère s'entretenir avec le Conseiller et s'il est véritablement heureux pour son père, il ne tient pas à profiter des éloges et de la gentillesse d'autrui envers sa famille.
Se décalant vers June, il poursuit :
« La fée a essayé de le tuer, c'est ce qu'a dit Miiko Yamamura. Alors je pense qu'il doit savoir pourquoi. Je doute quand même que la fée ait essayé de le tuer sans raison, surtout si ça impliquait de détruire la cité d'Eel. »
En effet, mais elle doute que Leiftan Tuarran révèle au peuple la raison qui a poussé la fée à le tuer. En tout cas, à sa place, elle éviterait. June fait la moue et reprend sur le même ton.
« Oui, mais pour la troll ? Et pour tu-sais-qui ? Tu penses que je dois lui demander ? Parce que c’est le Conseiller, mais moi, je suis pas très à l’aise quand il est là… »
Helouri fait la moue. Il doute que sa grande sœur puisse discuter avec l'elfe qui ressemble à Ezarel, surtout s'il est en prison. Il fait d'ailleurs remarquer que Miiko Yamamura n'a pas parlé de lui, si ce n'est peut-être en les termes d'adorateur des fées.
Il réfléchit quelques secondes, et partage sa pensée :
« June, tu as été attaquée par la fée. Tu t'es retrouvée ensevelie sous les décombres, avec le Second Clarimonde qui était en train de mourir. Tu étais avec papa, tu-sais-qui et le Chef Batatume quand tu as fait les frais d'une explosion. Je pense que personne ne t'en voudra si tu parles de ça et que tu poses des questions, non ? »
Elle réfléchit un instant aux paroles d’Helouri, puis acquiesce. Dans ce genre de situation, elle a tendance à avancer sans penser, alors la sagesse du jeune morgan est toujours la bienvenue.
« D’accord. » souffle-t-elle pour se donner du courage.
Elle voudrait entraîner Helouri avec elle, car l’aura du Conseiller est écrasante et qu’elle aurait bien besoin d’un peu de soutien, mais elle est aussi une gardienne et elle doit se montrer digne de son statut. Alors June se contente se serrer les poings, et s’approche timidement de Leiftan Tuarran avant de se racler la gorge.
« Excusez-moi… »
Cristal est surprise par l'initiative de sa fille, mais elle lui adresse un sourire encourageant et se recule quelque peu alors que le Conseiller se tourne vers June. Vêtu de ses éternels habits blancs, il a les bras croisés sur la poitrine. Son visage porte encore les stigmates de la catastrophe pourtant, ses yeux émeraude se mettent à briller quand il se confronte à June et sa figure se pare d'une expression très douce.
« La fille du gardien Ael Diskaret, sourit-il, je suis navré pour les blessures de votre père. En quoi puis-je vous aider ? »
June sent le rouge lui monter aux joues, mais elle s’efforce de mettre de côté sa gêne pour parler d’une voix égale.
« Il va bien, répond-elle avant d’ajouter précipitamment. Merci ! En fait… Je n’ai pas eu l’occasion de faire mon rapport, avec tout ce qui s’est passé, mais quand Dame Yamamura a parlé des gens qui… adoraient les fées ? Je me suis rappelé qu’avec mon père et le Chef Batatume, on en avait peut-être croisé un. C’était un elfe qui ressemblait beaucoup au Chef Séquoïa, mais la dernière fois que je l’ai vu, il s’enfuyait dans les décombres. Je voulais savoir si vous l’aviez retrouvé, ça m’embêterait qu’il ait disparu parce que j’ai oublié d’en parler avant… Il s’appelle Nelladel, ou du moins c’est le nom qu’il nous a donné. »
Le Conseiller Leiftan Tuarran acquiesce. Autour de sa silhouette, il y a une aura de sérénité qui s'en dégage. Quand il élève la voix pour répondre à June, il le fait avec un calme religieux :
« Je comprends. Personne ne peut vous en vouloir pour votre rapport, gardienne Albalefko, les temps sont difficiles pour tout le monde. Cependant je vous remercie pour l'information que vous venez de partager avec moi et rassurez-vous : l'elfe en question a été retrouvé. Il séjourne actuellement avec son complice dans la prison d'Albacore, sous haute surveillance. Il a sans doute profité de la catastrophe pour commettre un crime horrible, celui de Mademoiselle Élise Mircalla mais par bonheur, des gardiens de l'Ombre les ont pris en flagrant délit, lui et son complice, alors qu'ils voulaient s'enfuir avec les possessions de Mademoiselle Élise. Si cet individu, ce Nelladel est un adorateur des fées, les interrogatoires nous le diront. Peut-être qu'il a volé les richesses de cette pauvre demoiselle pour les remettre à son maître, qui peut le savoir ? »
Elle écarquille les yeux devant l’information. Un meurtre ? Avait-il voulu la tuer aussi ? Il n’a parlé que d’enlèvement, et elle n’avait pas grand-chose sur elle à ce moment-là - ni tout court d’ailleurs - mais tout de même. June s’efforce de retrouver un air calme, mais ses mains s’agitent malgré elle.
« Tant mieux alors, soupire-t-elle avec tout ce qu’elle peut de soulagement. Même si c’est terrible pour la famille Mircalla… Merci pour vos réponses, et encore désolée pour mon rapport, je le ferais au plus vite, Conseiller ! »
Derrière son dos, ses mains ont fini par se calmer pour adresser un signe à Helouri. Il avait raison, discuter avec Leiftan Tuarran était une bonne idée : même si Nelladel est visiblement un criminel, elle sait qu’il est ici.
Quand le Conseiller prend congé d'elle avant d'aller discuter avec d'autres personnes, elle retourne vers Helouri pour lui répéter ce qu'elle a appris. Elle a eu une réponse à ses questions.
Les yeux d'argent du jeune morgan s'agrandissent au fur et à mesure des révélations, si bien qu'il se met à trembler rien qu'à la pensée que sa sœur a failli se faire enlever par un meurtrier.
« Le meurtrier d'Élise Mircalla ? souffle-t-il, c'est horrible ! Franchement, June, heureusement qu'il est bien surveillé. Tu imagines s'il avait réussi à t'enlever ? »
Mais June lui lance un drôle de regard. Helouri se met à blêmir, le sang quittant son visage, alors qu'il a peur de deviner. Il secoue la tête.
« Non, June. S'il te plaît, non.
- J’ai encore rien dit. » remarque la jeune femme.
Mais ce n’est pas la peine de faire semblant, parce qu’il la connaît presque mieux qu’elle-même. June le prend par la main pour l’attirer à l’écart, et baisse la voix au maximum en s’assurant que personne ne prête attention à eux.
« Ecoute, je t’oblige pas à me suivre sur ce coup, mais il faut que je sache. Je sais bien que la garde est compétente et tout le blabla qu’on nous sert, mais si j’en parle à une tête gradée, j’aurais jamais les réponses à mes questions, Lou… Ils vont faire comme le Conseiller : me remercier des informations que je donne, et ensuite j’aurais plus de nouvelles et ce type pourrira dans une geôle, ou pire. Imagine qu’il soit pas tout seul ? Imagine que d’autres gens, des gens qu’on connaît, soient de mèche avec lui et essaient encore de s’en prendre à moi ?
- Non, je n'imagine pas. » répond tristement le jeune morgan.
Si d'autres personnes, encore en liberté, faisaient partie d'un plan plus grand qui consistait à enlever June pour des raisons obscures, Helouri ne préfère pas imaginer. Pourtant, quand il pense au dénommé Nelladel, il est évident de se convaincre qu'il possède les réponses que June recherche car il est celui qui a voulu l'enlever. Il est aussi celui qui parle la langue des fées, et quand le jeune morgan pense aux fées…
« Je comprends pourquoi tu veux ça, June, mais c'est risqué. Ça va être difficile d'entrer dans la prison et je ne pense pas que ce Nelladel soit autorisé à recevoir des visiteurs. Et puis aussi, je me disais, par rapport aux fées… »
Helouri fait la moue, mais va jusqu'au bout de son raisonnement :
« … Tu as dit que quand le Second Clarimonde avait été attaqué par la folle à la machette, il était avec Sira, non ? Qu'est-ce qu'il faisait avec une fée ? Ça m'étonnerait quand même qu'il l'ait croisée par hasard. Même si ça a été le cas pour Alajéa Edam que tu avais vue… Mais quand même, Miiko Yamamura a dit que Nevra Mircalla et le Second Clarimonde étaient incapables d'assumer leurs fonctions. Pour le Second Clarimonde, je comprends, mais Nevra Mircalla… C'est bizarre, non ? »
Enfin, le jeune morgan pousse un long soupir. Il croise les bras, les décroise, triture le tissu de sa tunique et passe une main ennuyée dans sa queue de cheval avant de conclure :
« Quoi que tu décides, évidemment que je suis avec toi. Il faut bien que quelqu'un soit prudent pour toi, non ? »
June se retient de sourire. Helouri en est parvenu aux mêmes conclusions qu’elle, et si un est un hasard, elle a appris que deux est rarement une coïncidence. Elle murmure qu’elle est d’accord avec lui, et que toute cette histoire sent la vase après la marée.
« Tu sais, je pense que c’est beaucoup plus gros qu’on l’imagine, tout ça, chuchote-t-elle. Mais Rose a rien voulu me dire, alors soit il sait pas, soit il cache quelque chose, et toi et moi, on va trouver ce que c’est, et ce que j’ai à voir avec tout ça. Je suis une gardienne, et toi, même si le Chef Séquoïa t’a recalé, t’es intelligent et malin. A nous deux, on va bien réussir à entrer dans cette prison, et à découvrir ce qu’il voulait, ce fichu mangeur d’écorce. »
June attrape les mains de son frère et les presse entre les siennes. C’est elle l’aînée, alors elle fera tout ce qu’elle peut pour le protéger des retombées de leurs actions, mais elle est heureuse d’avoir son soutien.
« Et promis, si ça commence à puer le moisi, j’en parlerai à papa. Merci, Lou. »
Visite à la Prison d'Albacore
L'interrogatoire de Nelladel a lieu en ce moment-même, alors que le soir est en train de tomber sur Albacore. Durant la journée, Miiko Yamamura a pu partager son discours avec la population et si une chose est certaine, c'est que les fées s'en sont prises à un ennemi trop puissant.
Pauvres d'elles, elles seront détruites, mais c'est la meilleure chose qu'il puisse leur arriver.
Il en est certain.
Pendant que le miroir d'Ezarel, bien moins docile que son frère, s'apprête à vivre des illusions infâmes si sa langue ne se délit pas, son compagnon de cellule est seul.
Pas pour longtemps.
L'esprit en alerte, l'homme pénètre dans la prison d'Albacore. Il en a le droit. Il a tous les droits, en réalité, même celui qui régit sa visite inattendue. Le renard-garou, tapis dans la crasse et l'obscurité sera surpris de le voir, mais peut-être qu'à la fin de leurs échanges, il prendra sa venue comme une bénédiction.
Cela ne tient qu'à lui.
Lorsqu'il arrive enfin devant les barreaux, l'homme a un sourire très doux. Son regard d'un vert étincelant, comme le plus maudit des poisons, se met à briller d'excitation alors que de son ton serein, tel le calme avant la tempête, il salue son malheureux interlocuteur :
« Bonsoir, Jens Red. »
La voix de Leiftan Tuarran retentit en ces lieux, et même si l'issue des échanges est incertaine, le Docteur Bec espère que Fawkes a autant de discernement qu'il le pense.
Ce dernier a senti et entendu une présence entrer dans la maison qui lui sert de geôle. Sans même tourner son visage vers les grilles, il perçoit la griffure de la vilénie entourer tout l’être qui s’approche de lui. Il ne sait pas qui c’est, mais il n’a pas envie d’échanger avec pareille personne. Et puis, avant même que la voix ne retentisse, un visage s’impose à son esprit.
Fawkes braque son regard noisette sur l’homme qui se tient là. Ça, un homme ? Le goupil n’est pas sûr qu’il puisse être qualifié de la sorte. Aussi, il ne répond pas à l’interpellation. A l’ombre du mur, Fawkes reste assis au sol, les genoux relevés pour servir d’appui à ses bras. Il n’a pas besoin de se mettre debout pour toiser le Docteur Bec avec dédain. Mais Fawkes ne peut rien faire depuis sa prison. Il n’a aucun pouvoir ici. La seule chose qui le rassure pour le moment, alors que son corps frissonne déjà, c’est que de lourdes grilles le séparent de Leiftan Tuarran.
Le Fantôme le regarde avec un intérêt certain. Ce renard-garou est méfiant, il le sait. Leiftan connaît ses ennemis et parmi eux, il y en a un qui ne se laisse pas apprivoiser.
Tant pis. Les bras croisé sur son torse, ses épaules drapées de son éternel manteau blanc, le Docteur Bec laisse le silence planer durant quelques instant, avant de reprendre la parole.
« Fawkes. »
Il sourit. Ses prunelles brillent d'une lueur malsaine, mais il poursuit :
« Dis-moi comment je dois t'appeler. Tu es bien loin des tiens, aujourd'hui. C'est dommage. Si vous aviez pu vous réunir tous ici, ça m'aurait arrangé, je dois l'admettre. Il faut dire que ta cheffe n'est pas quelqu'un qui se laisse attrapper facilement, mais…. Oh ! »
Leiftan hausse les épaules en écartant les bras :
« Suis-je bête : c'est fait, maintenant. »
Si Fawkes a su contenir sa réaction à l’entente de son prénom, son vrai prénom, sa respiration le trahit quand Leiftan se pavane et cancane d’avoir capturé Yüljet. Pourtant, quand il ouvre la bouche, c’est pour faire fit de tout ce que Leiftan a pu lui dire.
« N’avez-vous donc rien à faire, là, dehors, pour venir vous distraire ici ? Vous ne vous ferez pas un manteau de ma fourrure. »
Fawkes n’est pas à vendre. Il ne sait pas ce que lui veut le Conseiller d’Eel, mais il doute fort que ça puisse l’intéresser.
Pourtant, Leiftan plisse les yeux, ravi d'avoir pu arracher un mot à ce renard-là. Une ombre passe sur son visage alors qu'il se pare d'un sérieux sans pareil. S'approchant des barreaux de la prison, il s'y agrippe, puis souffle par le nez :
« Qu'est-ce que faisait le cartel des Typhons avec la fée qui se prend pour un roi ? Vous n'aimez pas ce que je fais et je n'aime pas ce que vous faites mais jusque là, ça n'avait pas d'importance. L'un de nous aurait fini par tuer l'autre et la vie aurait continué son chemin. Mais rajouter les fées à l'équation, je dois admettre que j'ai été surpris. J'ai même pensé que vous vous étiez égarés. »
Fawkes s’est reculé quand Leiftan s’est accroché aux barreaux et il fusionne avec le mur dans son dos à présent. Le Fantôme lève ses yeux émeraude vers lui. Ses sourcils fins se froncent alors que sa curiosité est grande et il lui demande, dans le calme le plus religieux :
« Et toi ? Tu ne penses pas que vous vous êtes égarés ? Que tu sois le minaloo du cartel, ça fait partie de toi. Tu as choisi ta maîtresse, petit renard-garou. Mais les fées… Vraiment ? Vous êtes tombés aussi bas ? C'est vrai, regarde… Entre celle qui est en prison en train de crever de chaud et son frère attardé qui est né sans cervelle… Ce sont les rois que vous voulez ? »
Apparemment, que le renard soit le bon minaloo de Yüjlet est de notoriété publique et Fawkes le déplorerait s’il n’avait que ça à penser. Mais ce n’est pas le cas. Lui, il n’a pas choisi. Du moins, pas vraiment. Le choix n’en était pas vraiment un à ses yeux. Il a choisi le moindre mal pour servir la mission. Le Cartel s’est-il égaré pour autant ? Fawkes ne le pense pas. Lui, s’est-il égaré ? Peut-être, mais ça n’a rien à voir avec les fées, le Cartel ou la mission. Là où il s’est égaré, c’est en plaçant sa confiance dans les mauvaises personnes. Pas Candice, puisqu’ils savaient tous depuis le début qu’ils n’étaient que des pions sur son échiquier. Ils s’attendaient bien à ce que Candice ait prévu des choses qu’il n’avait pas jugé utile de porter à leur connaissance. Non, les fées ne sont pas un problème ici.
« La fée t’a cogné plus fort que tu ne le penses, grince Fawkes qui décide d’abandonner le vouvoiement pour le moment. Tu perds la tête. Tu devrais enfiler une jolie blouse verte et aller faire des puzzle pour reposer ton esprit. »
Fawkes ne compte pas lui donner la moindre information, ni même laisser entendre qu’il a un avis sur ce que le Conseiller lui dit. Il ne lui donnera aucune preuve, aucune confirmation que ce qu’il déblatère est fondé sur une vérité. Il est Fawkes, du Cartel des Typhon et allié aux Fées. Non, ça, Leiftan ne l’entendra pas de la bouche du renard.
Un rictus étire les lèvres du Fantôme. Il laisse échapper un léger rire et quand il reprend la parole, sa voix se fait plus basse et plus doucereuse :
« Tu sais très bien que j'ai trouvé un autre moyen d'expier le mal qu'il y a en moi. Je sais que c'est à cause de ça que tu ne m'aimes pas beaucoup et je ne peux pas vraiment t'en vouloir. »
“Ne pas l’aimer beaucoup”, c’est un euphémisme. L’avoir en face de lui, l’entendre s’adresser à lui, personnellement, ça donne envie à Fawkes de fuir loin d’ici pour se mettre hors de sa portée. Déjà, il a l’impression que si Leiftan tend les bras à travers les barreaux, il pourrait le toucher et cette simple pensée lui hérisse tout le poil.
Quant à Candice, la fée s'est montrée beaucoup plus sauvage que ce à quoi Leiftan s'attendait, c'est vrai. Elle avait une rage de vaincre, mais aussi la science des explosions et Leiftan doit avouer qu'il a failli perdre sa tête dans cette catastrophe. Mais il est toujours là.
Il pousse un faux soupir, puis reprend :
« Si tu ne veux pas te demander si tu t'es égaré, avec le cartel des Typhons et les fées, libre à toi. Mais tu devrais quand même essayer de penser, maintenant que tu es seul ici. Ton compagnon de cellule ne devrait pas te déranger puisqu'il sera souvent appelé pour des conversations assez mouvementées. Alors demande-toi ceci, Fawkes : est-ce que tu penses vraiment œuvrer pour le bien ? Toi et ton cartel, vous êtes en train d'essayer de boucher la seule porte de sortie que nous voulons offrir au peuple d'Eldarya. Vous voulez les condamner à rester sur un monde qui n'a plus rien à offrir. N'est-ce pas ce que font les bourreaux, d'habitude ? »
Au fond de sa cellule, le renard fronce les sourcils. Dans son ventre, une boule se forme mais il la réprime. Cette boule, c’est un doute. Un doute que Fawkes refuse d’admettre. Évidemment qu’il s’est toujours demandé si ce qu’ils faisaient avec le Cartel était LA solution. Il n’a toujours pas de réponse, mais il est certain d’une chose : ils sont mués par de bonnes intentions. Pourtant, ça ne suffit pas toujours. Leiftan en revanche, ses intentions laissent à désirer.
Le renard se relève avec lenteur. Son corps lui fait mal, il est fatigué et les longues heures à rester immobile l’ont ankylosé. Pourtant, il reste bien contre le mur, et s’il reste dans l’ombre, la lumière des torches, dehors, ravive sa chevelure terne et sale.
« Notre monde n’est pas condamné ! »
Le jeune traqueur du Cartel a voulu se montrer ferme et catégorique, mais dans sa voix transpire toute la crainte de faire fausse route. Il déglutit avec peine pour ravaler sa peur, en espérant que Leiftan ne l’ait pas perçu. Mais il sait que c’est trop tard.
Leiftan répète les mots qu'il vient de prononcer. Il secoue la tête en lui lançant un regard compatissant, comme s'il s'adressait à un enfant qui essayait de comprendre une situation complexe.
« Si, il l'est, lui répond le Fantôme d'un ton grave. Ton compagnon de cellule a déjà dû vous en parler. C'est un ancien brigadier. Il a dû vous parler du virus qui a été injecté dans les sols d'Eldarya. Il a dû vous dire que c'était pour les empêcher d'être fertiles alors qu'en réalité, c'était pour essayer de les sauver. Un ultime essai qui a échoué. Il a dû vous dire, aussi, que nous voulions assassiner son frère alors que nous voulons seulement dissoudre sa Garde pour arrêter ses recherches vaines, parce que son cerveau doit servir la conquête terrienne, mais… »
Leiftan pousse un long soupir et fort de ses révélations, il lève un doigt et l'agite vers le renard-garou, avant de tapoter un barreau de sa cellule :
« Tu sais, Fawkes, je sais que tu n'as pas tué Élise Mircalla. J'en suis sûr et c'est normal, puisque je sais qui l'a fait. Mais tu comprends, nous avions besoin de nous débarrasser du brigadier, alors… »
Il hausse les épaules comme si la mort malheureuse d'Élise justifiait tout :
« C'est fichu pour lui, mais pour toi… C'est à toi de décider. Penses à ce qui est juste. Penses au bien commun qui peut parfois demander quelques bavures, comme Dame Élise Mircalla ou ces gens qui peuvent croiser mon chemin. Penses à Sheraz Alfirin qui doit se sacrifier pour une population entière et demandes-toi si son sauvetage n'est pas l'acte le plus égoïste que le cartel veut entreprendre… Réfléchie, petit minaloo. Demandes-toi, aussi, si une vie sans laisse serait plus enviable. »
Le cœur de Fawkes bat fort sous ses côtes et omet une cadence de temps en temps. Il doit admettre une chose, les arguments de Leiftan Tuarran ne manquent pas de sens, mais le Conseiller expose-t-il seulement la vérité ? Il énonce sa vérité à lui, pour sûr. Fawkes ne sait pas s’il peut le croire. A ce stade, le Docteur Bec peut bien dire tout ce qu’il veut après tout. Lui aussi, il a des questions, mais s’il les pose, alors il admet que les informations de Leiftan à son sujet son justes.
Il soupire par le nez alors qu’il pince les lèvres. Leiftan sait déjà qu’il a raison à ce sujet, mais Fawkes refuse l’aveu. Il veut savoir ce que les humains ont à faire dans l’équation. Pourquoi mener des expériences sur eux ? Si le but est d’abandonner Eldarya, alors pourquoi vouloir savoir comment les humains y vivent ? Pour échanger les places et les condamner ?
« Qui a tué Elise ? interroge-t-il, même s’il sait qu’il n’aura pas la réponse. Si on s’en va, qu’on quitte notre monde, est-ce qu’on pourra seulement tous aller sur Terre ? Sois honnête. Tu sais que seule une poignée d’élus pourra survivre. »
Leiftan veut que Fawkes se libère de sa laisse, mais Fawkes sait qu’au bout de la laisse, il y a un Cartel tout aussi loyal que lui. Alors que s’il s’en détache, ce serait pour quoi ? Suivre aveuglément ce cinglé de Leiftan ? Échanger une laisse contre des œillères, ce n’est pas vraiment son idéal. Il refuse d’être un outil pour un bourreau, c’est une main exécutrice pour un charcutier.
« Le second Docteur Bec, le Sans-Visage a tué Élise. Il l'a fait sur ordre de notre maître, le troisième Docteur Bec. C'était nécessaire pour pouvoir capturer le brigadier et le faire inculper. Tu comprends, c'est un adorateur des fées et nous ne pouvons pas les laisser courir dans la nature et répandre leur idéologie. Quant à la Terre… »
Fawkes ne s’attendait pas à une réponse si franche. Mais en vérité que peut-il en faire ? Rien, et c’est bien pour ça que le Conseiller la lui révèle. Pourtant, le renard se tasse sur lui-même, de dégoût pour éviter que tout ce qui suinte de Leiftan Tuarran ne l’atteigne. Ce dernier pousse un profond soupire puis lève un regard contrit :
« Tu as raison. Seule une partie de la population y aura accès. La plèbe, les parasites qui grouillent dans les bas quartiers en se droguant au tap, ceux qui tuent, ceux qui commettent des méfaits et ceux qui n'apportent rien à la société seront envoyés dans le Ragnarok, auprès des spectres. Je pense que ça répond à ta question et… Ah. »
Souriant à en dévoiler toutes ses dents, le Fantôme lève un doigt accusateur en ajoutant d'un ton badin :
« Ne m'inclus pas dans ceux qui tuent, je te prie. Moi, je ne fais qu'expier le mal que j'ai en moi. C'est différent.
- En quoi c’est différent ? C’est même pire… tuer sciemment en s’inventant des excuses pour le faire. »
Commettre des atrocités et puis s’en dédouaner, ça a le don de révulser Fawkes. Chaque être est responsable de ses actes, en bien ou en mal. On peut être poussé à l’acte, commandité, influencé, mais on reste responsable. Si les criminels et les âmes déjà perdues doivent rester sur Eldarya, en suivant la logique de Leiftan Tuarran, alors ce dernier doit être le premier à rester pour montrer l’exemple. Pourtant, une question le turlupine.
« Pourquoi venir me parler, à moi ? »
Fawkes se demande ce que le Docteur Bec peut bien avoir à y gagner, s’il n’est que le minaloo du Cartel.
Face à lui, Leiftan semble jubiler. C'est la question qu'il attendait en patientant religieusement et enfin, il peut devenir celui qui offre quelque chose. Un choix. Une place. Un enfer ou un paradis selon celui qui l'accepte ou bien qui le refuse.
Le Fantôme plonge dans le regard de Fawkes, puis explique :
« Le brigadier a besoin d'être interrogé et exécuté. Toi, en revanche, tu peux avoir le choix. »
Face au dégoût du renard-garou, Leiftan sourit de nouveau et poursuit :
« Tu n'as plus de cheffe et tu es libre de penser par toi-même, maintenant. Félicitations. Tu es tout de même quelqu'un qui a su se faire une petite réputation à Eel, après avoir sauvé le rejeton de Joseph Ael Diskaret et même la Capitaine d'Odrialc'h se souvient de ton faux nom, j'en suis certain. En d'autres termes, tu peux nous être utile et tu peux faire ce qui est réellement juste. »
Tapotant sur le barreau de la cellule en un rythme qui n'existe que pour lui, le Docteur Bec achève d'une voix lointaine :
« Tu peux rester ici et être accusé de meurtre avec le brigadier, ou bien tu peux sortir d'ici et permettre à des milliers de personnes de fuir un monde en train de mourir. »
Fawkes garde le silence un instant, pourtant ses yeux ne se dérobent pas. Il reste focalisé sur le Conseiller. Sa proposition est réelle et effective, il le sait. Outre le fait qu’accepter le ferait sortir de sa prison et lui permettrait d’échapper à une mort promise, le renard ne voit pas en quoi il pourrait être utile à ceux qui deviendraient ses nouveaux “maîtres”. La curiosité le pique. Il doit savoir quel bénéfice les Docteurs Becs auraient à tirer de son allégeance pour savoir à quel point s’en passer leur coûterait.
« Tu l'as dit, je ne suis qu’un minaloo. Qu’aurais-tu à y gagner ?
- L'obéissance est une qualité. Quand elle n'est pas aveugle, c'est encore mieux. Tu connais quelqu'un comme ça, non ? Tu sais à quel point c'est pathétique. Ça a même le don de me mettre en colère. »
Et après l'obéissance, il y a…
« De plus, toi qui a servi le cartel, tu connais son fonctionnement. Tu pourras me dire qu'il s'agit d'une organisation bien ficelée et admirable, ou bien un simple nid où la vermine se réunit. Mais le plus important, Fawkes, c'est que t'avoir à nos côtés, c'est s'assurer d'avoir ta loyauté quand tu verras que nous travaillons pour le bien commun. Tu pourras voir tout ça. Je pourrais te montrer. »
Le visage de Rose s’impose sous la paupière close de Fawkes et quand il ouvre à nouveau les yeux, c’est la prunelle verte de Leiftan qui le regarde. Oui, il connait ça, l’obéissance aveugle. Mais ce n’est pas son cas. Le Cartel a gagné sa confiance et sa loyauté, mais Fawkes n’est pas aveugle. Évidemment, le Docteur Bec va vouloir des détails sur le Cartel. Pour mieux le démanteler, cela va de soi. Parce que Fawkes ne veut pas croire qu’il puisse être un “élément décisif” pour les plans de Leiftan et ses acolytes. Lui, il n’est rien, il n’est personne. Un renard sans nom, un anonyme qui se meut dans l’ombre. C’est peut-être ça, qu’ils cherchent. Un fantôme qui n’existe pas et qui connaît les coulisses du monde. Bien entendu, Fawkes a tout à gagner à suivre la voie que lui propose le Conseiller. Déjà, il aura la vie sauve et ce n’est pas peu. Alors le renard se décolle un peu du mur pour s’avancer un peu et montrer qu’il n’a pas peur. Il espère que Leiftan y croira en tout cas.
« Ce n’est pas le genre de décision que je peux prendre dans l’immédiat. J’ai besoin d’y penser. Quant au brigadier, vous ne devriez pas l’exécuter. En faire un martyr ne servira pas vos intérêts. »
Évidemment. Une réponse immédiate n'était pas attendue mais tout ce que veut Leiftan, c'est qu'il se mette à penser. Tout le temps.
« Ça, c'est à nous d'en juger, réplique le Fantôme en se reculant quelque peu, mais saches que quand tu auras pris ta décision, Fawkes, et qu'elle penche en ma faveur, alors il te suffit d'appeler un garde et de lui dire que tu es prêt à avouer. Je me chargerai de ton interrogatoire… Et du reste. »
Réfléchis bien.
Ce sont les derniers mots que Fawkes entend avant le départ du Docteur Bec. Le silence retombe dans la pièce et la solitude reprend ses droits sur Fawkes. Le renard la trouve salvatrice après la visite de Leiftan et il doit bien admettre que les mots de ce dernier le laissent perplexe. Maintenant, il n’attend qu’une chose : le retour de Nelladel.
Il va devoir réfléchir à son échange avec Leiftan, mais il veut aussi savoir comment s’est passé l’interrogatoire de Nelladel.
Vous avez du temps devant vous, mais il vous est compté.
Quand les jambes de Rose seront guéries, il devra faire face à la justice d'Eel et peut-être échapper à une exécution. Qui sait ?
Avant de quitter l'hôpital, Rose a encore le temps de penser. Nevra a confiance en lui et il lui a demandé de choisir ce qui serait bon pour Eldarya.
Alors en effet : quel serait le meilleur chemin à emprunter ?
Explications : Pour ce premier choix charnier de l'arc 2, laissez-moi vous en expliquer la petite particularité. Votre ennemi est le temps. Rose ne restera pas indéfiniment à l'hôpital et quand il en sera sorti, s'il a un plan défini en tête, la suite des évènements sera plus facile. S'il est indécis, ce sera plus complexe.
Bien entendu, c'est vous qui choisissez le plan et comme vous pouvez vous en douter, il y en a plusieurs !
Cependant, cette fois, si la route empruntée vous déplait, il vous sera possible de changer d'avis et d'en tester une autre. Mais le temps vous est compté et plus vous changez de route, plus ce sera difficile car les opportunités se feront plus rares.
L'erreur est faelienne et s'il s'avère qu'au détour d'une rencontre ou d'une situation, vous vous rendez compte que vous avez fait le mauvais choix, il vous sera possible de changer de route mais ce qui a été fait ne pourra pas être défait.
Choisissez donc en votre âme et conscience !
Quel serait le meilleur chemin à emprunter ?
➜ Continuer de servir Maître Candice et reconnaître les fées comme souveraines.
➜ Se rallier au cartel des Typhons et tâcher de se faire pardonner.
➜ Découvrir la vérité sur la Chair des Roses.
➜ Rejoindre la conquête terrienne et servir les Docteurs Becs, puis Odrialc'h.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a besoin de réponses à ses questions et, selon, elle, qui mieux que Nelladel peut y répondre ? Il serait possible de tenter une infiltration dans la prison d'Albacore, mais c'est risqué.
Si malgré tout tu veux tenter le coup, MayaShiz, contactes-moi par MP !
Pas de RP pour Waïtikka, mais je te conseille de réfléchir à la proposition de Leiftan car Fawkes aura une réponse à donner.
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Chapitre posté bien tard, mais chapitre avec une petite nouveauté concernant le choix actuel, et quelques un à venir. Vous allez voir, je pense que vous allez apprécier (ou pas) mais dans tous les cas et comme d'habitude : vous allez écrire la suite de la fiction et cela demandera réflexion.
Je vous souhaite une bonne lecture, en tout cas et comme le choix actuel contient quelques nouveautés, n'hésitez pas à me poser vos questions sur la fiction, j'y répondrai le plus rapidement possible !
Bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 4 - Compte à Rebours
Infiltration de la prison d'Albacore par June Albalefko et Helouri Ael Diskaret
7 jours après le discours de Miiko Yamamura
Helouri sent la nervosité le gagner. Maintes fois, il s'est répété que le plan stupide qu'ils s'apprêtent à réaliser avec June ne va que leur attirer des ennuis pourtant et tout comme sa grande soeur, il veut obtenir des réponses.
Mais s'ils se font prendre, June risque d'être démise de ses fonctions et lui, il ne sait pas ce qui pourra lui arriver, surtout qu'à présent, son casier judiciaire mentionne une prise en flagrant délit d'achat de stupéfiants. Parfois, Helouri se maudit.
« June, chuchote-t-il, maman est partie à l'hôpital rendre visite à papa et elle a dit qu'elle en aurait pour un moment. Nous, on est censés aller chercher de l'eau et de la nourriture au marché d'Albacore. Si on se fait prendre, on est morts. »
Après cette affirmation, vient la suivante et Helouri ne sait pas vraiment ce qui serait le plus terrible : que ses parents soient convoqués parce que leurs deux enfants ont été surpris en train de fouiner du côté de la prison hautement sécurisés d'Albacore, où sont détenus Nelladel, Jens Red et la fée, ou bien se faire prendre par la Capitaine Shakalogat Gra Ysul elle-même.
Miiko Yamamura a dû prévenir Odrialcl'h le jour-même de la catastrophe, puisque la Légende est arrivée au village il y a deux jours de cela, provoquant un engouement et un soulagement sans pareil. Helouri, lui, n'a pas tenu à assister à son arrivée, car rien que le fait d'apercevoir son armure étincelante, au loin, lui avait retourné les entrailles en plus de sentir plus stupide que d'ordinaire.
« La Capitaine est au village, récapitule-t-il et même si par miracle on arrive à entrer, il faudra trouver la cellule de Nelladel. Et ensuite il faudra sortir sans se faire prendre et ne pas oublier d'aller au marché pour acheter de l'eau et de la nourriture… »
Le jeune morgan, raide comme un piquet, déglutit avec difficultés.
June et Helouri se trouvent aux extrémités du centre d'Albacore, face au chemin tortueux qui mène vers la prison. Cette dernière se dresse comme une dame de fer à l'aspect vétuste, mais menaçant, entourée par des gardiens de l'Ombre et de l'Obsidienne. Pour espérer y entrer, il faudra soit les distraire, soit inventer un mensonge bien rôdé et le jeune morgan ne sait pas vraiment ce qui serait le pire ou le meilleur, pour June.
« Bon… achève-t-il, tu sais que papa va diriger temporairement l'Obsidienne, non ? Il ne faudrait pas lui faire honte alors interdiction de se faire prendre. Et… Et ce que l'on peut faire… Eh bien je peux faire diversion, mais il faudra trouver quelque chose ou alors… »
Il se tourne vers sa grande sœur, blême et murmure.
« … On vole un laisser-passer d'un membre de l'Étincelante. Je n'en reviens pas que je dise ça. Ou alors tu as une autre idée et je vais mourir d'inquiétude. »
Elle lui adresse un regard sans équivoque : elle ne lui a pas parlé de son plan, parce qu’autrement, il serait justement mort d’inquiétude. La jeune femme le force à s’accroupir entre les arbres, qui leur serviront d’abri jusqu’à l’entrée de la prison.
« Mets ça sur tes cheveux, répond-elle en lui tendant un foulard sombre. Tu es trop reconnaissable autrement. Tu vois les deux gardes là-bas ? C’est eux qui posent le plus de problème. On va avancer jusqu’à eux, et puis ensuite, on attendra le signal. »
Qui, elle l’espère, sera suffisamment fort pour attirer les deux gardes et leur faire quitter leur poste, même brièvement. La jeune femme soupire en songeant à sa bourse désormais presque vide. Obtenir les réponses coûtait cher, et pas seulement en investissement personnel…
« T’es prêt ? On doit pas traîner, souffle-t-elle.
- Prêt à quoi ? » lui répond Helouri en ouvrant de grands yeux.
Pendant qu'il couvre ses cheveux, ses entrailles se retournent et la peur commence à le gagner, mais il prend une grande inspiration et laisse June faire son œuvre. Tout ce qu'il espère, c'est que les choses ne se mettent pas à mal tourner…
June esquisse un sourire tremblant. Elle ne laisse pas voir qu’elle aussi est terrifiée, parce que se faire prendre n’aurait pas seulement des conséquences sur sa vie. Il est trop tard pour songer qu’elle est en train de faire une énorme bêtise, alors elle attrape la main d’Helouri pour l’entraîner sous le couvert des arbres. En prenant garde à rester hors de vue des patrouilles, elle les guide jusqu’à l’extrémité du petit chemin, puis elle s’accroupit au sol.
« Très bien, chuchote-t-elle. Quand je te dirais de courir, traîne pas. Ça devrait plus tarder. »
Au même instant, un énorme bruit s’élève en contrebas, rapidement suivis de hurlements stridents. Après quelques instants, une fillette en larme se précipite sur le chemin qui mène à l’entrée en appelant à l’aide, filant vers les deux gardes qui bloquent l’accès à la porte. Elle fait de grands gestes et June n’entend pas ce qu’elle bafouille, mais elle espère que c’est suffisamment convainquant pour que les gardes décident de l’écouter. Elle distingue les mots méchant, explosions et blessés par-dessus les cris qui se font plus pressants.
« Suivez-là…» souffla June entre ses dents.
Intrigué, les deux gardes échangent un regard alarmé avant de s'approcher de la petite fille et si Helouri est incapable d'entendre leur voix, il pense qu'ils sont en train de lui demander ce qui se passe. Le teint du jeune morgan est passé d'un bleu glacé à un blanc hivernal et s'il focalise toute son attention sur la scène en train de se dérouler sous ses yeux, c'est pour empêcher le malaise de contaminer son ête tout entier.
À quel moment June a eu une idée pareille ? Il n'ose même pas y penser.
Cependant, l'un des garde attrappe la fillette par la main avant de lui emboîter le pas, non sans se retourner et crier à son collègue :
« Prévient la patrouille ! »
L'autre garde se dépêche de faire le tour de la prison, dans le but de donner l'alerte aux autres, laissant temporairement l'entrée de la prison sans surveillance.
« Maintenant ! » murmure June.
Elle ne laisse pas le temps à Helouri de se reprendre et le tire jusqu’à l’entrée en croisant les doigts pour que personne ne décide de jeter un œil malencontreux dans leur direction. Son cœur bat la chamade, et elle se promet de donner la moitié de son salaire aux orphelins du coin jusqu’à ce que Joseph sorte de l’hôpital si son plan fonctionne.
Helouri et elle parviennent jusqu'à l'entrée de la prison et sans réfléchir, ils s'y jettent tous les deux. À présent, seul le silence les entoure, mais pas pour longtemps.
Les gardes reviendront et avant qu'ils décident de jeter un œil à l'intérieur de la bâtisse métalliques, il faut que June et Helouri disparaissent. Pourtant, les étages et les murs semblent les perdre tant l'endroit est grand alors que plusieurs chemins s'offrent à eux : un premier étage et peut-être même un second, si ce n'est plus, une grande porte face à eux, au rez-de-chaussée, et une plus petite à leur droite, qui à l'air de mener vers un bureau.
Helouri la désigne d'un signe de tête.
« June, on trouvera peut-être le numéro de la cellule de Nelladel. Ils doivent bien consigner son dossier ou quelque chose du genre dans leur bureau. »
Mais peut-être qu'ils n'auront pas le temps et qu'il faut choisir maintenant. Elle hoche la tête, et lui indique la porte.
« Vas regarder s’ils ont un registre des entrées, vite, souffle-t-elle. Cherche le nom de Nelladel, ou vois où a été transféré le dernier prisonnier. S’il revient, on avisera, mais on devrait avoir une bonne minute. Vite ! »
Elle le pousse jusqu’à la petite porte. June ne connaît pas le fonctionnement des prisons, mais si c’est comme n’importe quelle autre administration d’Eel, alors il devrait y avoir un journal. Helouri n’a pas beaucoup de temps, et elle l’aurait bien fait elle-même, mais elle ne sait pas lire correctement et ça lui prendrait des heures pour déchiffrer un éventuel indice.
« Un coup d’oeil, et si y’a rien, on file au premier. » chuchote la jeune femme.
De toute façon, c’est un risque à prendre car ça ne sert à rien de chercher au hasard… La jeune femme se poste donc dans l’ombre, attentive au retour de l’un des deux gardes.
Par bonheur, Helouri ne met pas longtemps à trouver la précieuse information et quand il revient, c'est pour souffler à la hâte :
« Premier étage, cellule numéro vingt-et-un. Dépêchons ! »
Heureusement que le jeune morgan est allé vérifier, car si lui et sa grande sœur avaient eu le malheur de tenter la porte face à eux, au rez-de-chaussée, ils se seraient retrouvés dans un dédale d'illusions menant vers la cellule de la fée et des gardiens seraient venus les repêcher.
June et Helouri s'engagent vers l'escalier, jusqu'au premier étage et commencent à observer les numéros des cellules.
Soudain, un cri perçant se répercute en écho entre les murs métalliques et le jeune morgan lance un regard apeuré vers l'épaisse porte du rez-de-chaussée. Il ignore ce que la fée est en train de subir, mais elle a l'air en colère ou en souffrances…
Helouri attrape la main de June et ils se dépêchent jusqu'à la cellule vingt-et-un.
Lorsqu'ils arrivent sur les lieux, ils se retrouvent face à une porte coulissante, lourdement fermée par un cadena.
« Attends. » souffle Helouri en tentant de maîtriser le tremblement dans sa voix.
Le jeune morgan sort un flacon rempli d'eau d'un repli de sa tunique, puis commence à la manipuler. Comme tous ses semblables, Helouri est capable de manier l'élément de l'eau à sa guise, mais aussi de la faire passer d'un état à un autre et pour leur entreprise, cela se révèlera utile.
L'eau enferme le cadena dans une bulle, jusqu'à ce que le jeune morgan ne la transforme en glace. Ensuite, se tournant vers June, il lui murmure de briser le cadena qui, gelé, ne lui oppose que très peu de résistance quand elle le casse avec le pommeau de son épée courte.
Une fois leur méfait accompli, Helouri ramasse les restes du cadena, désireux de ne laisser aucune trace derrière eux, pendant que sa grande sœur avise que la porte numéro vingt-et-un mène à un couloir, puis à une prison dotée de barreaux.
Derrière eux, un elfe aux cheveux bleus, pendant lamentablement sur ses épaules, avec le visage d'Ezarel Séquoïa.
Entendant un bruit suspect, il s'est levé, s'est approché des barreaux et leur lance un regard intrigué, pour finalement se mettre à ciller quand il reconnaît June. Elle s’est penchée à l’oreille d’Helouri pour lui chuchoter de faire le guet, avant d’adresser un regard mauvais au prisonnier.
La jeune femme s’assure discrètement qu’il n’y a personne, puis elle s’approche de la cellule pour ne pas avoir à hausser la voix.
« T’as une sale gueule, lâche-t-elle. Tu te souviens de moi j’imagine ?
- Bonjour à toi aussi, rétorque-t-il, j'imagine qu'être la fille d'un gradé te donne de sacrés passes-droits, sinon tu ne serais pas là. Quoique… Le bruit que j'ai entendu, c'était celui d'un cadenas que l'on brise… »
Nelladel toise June sans retenue. Fawkes est en plein interrogatoire et lui, il devra en endurer bien d'autres alors les raisons pour lesquelles cette fille est venue, il s'en moque. Ce qui le travaille, ce sont les illusions affreuses qui l'attendent et il en a des sueurs glacées rien que d'y penser.
« Si tu es venue ici exprès pour fanfaronner, c'est dommage. Il n'y a rien à voir, ici. Les interrogatoires t'offriraient plus de distraction, alors va demander à ton cher papa d'y assister.
- Je t’interdis de parler de mon père, siffle June. Il est à l’hôpital à cause de ce salaud, et puisque j’ai cru comprendre que t’étais son allié, c’est aussi de ta faute. »
Elle se fiche complètement de ses allusions, s’il veut croire qu’elle est là parce qu’elle a usé de l’influence de Joseph, grand bien lui fasse. La dernière fois qu’elle a voulu être gentille avec lui, il a essayé de l’enlever. June prend une grande inspiration pour se calmer. Elle n’est pas venue pour se disputer avec l’elfe, même s’il lui tape grandement sur les nerfs. La jeune femme ne sait pas de combien de temps elle dispose, alors elle doit garder la tête froide.
« Peu importe, lâche-t-elle après un instant à imaginer Nelladel étranglé par ses cheveux. C’est quoi, cette mission dont tu as parlé ? Et qui me l’a confiée, pourquoi ? Qu’est-ce que tu voulais faire, là-bas ?
- Pourquoi tu veux savoir ça, maintenant ? » siffle l'elfe.
June a aussi peu de chance d'être enlevée pour cette mission que de devenir un jour l'impératrice de la cité d'Eel, maintenant que Nelladel, Candice et Titan sont en prison. Il comprend que ça puisse la travailler, bien entendu, mais ça ne vaut plus rien à présent.
Levant un doigt, il tapote sa tempe avec un sourire goguenard, puis raille :
« Ce serait trop difficile à comprendre pour ta petite tête. Tu es plutôt du genre à foncer tête baissée, non ? Alors on t'a mal choisie. De toute façon, qu'est-ce que tu veux m'écouter parler de fées et de souverains, hein ? Et d'ailleurs, tu n'étais pas la seule à participer à cette mission. Ton adorable petit frère devait en faire partie. Tu vois, ça n'offre pas que des avantages, d'être la fille de ton. Cher. Pôpa. »
Nelladel se moque en ponctuant sa phrase d'une moue ridicule. La main de June se referme sur son col avec rage, et la jeune femme l’attire au plus près des barreaux. Elle est si proche qu’elle peut sentir la tiédeur du fer, mais elle est si furieuse qu’elle se fiche comme d’une guigne d’avoir l’air parfaitement ridicule.
« Espèce de sale… Si toi et tes copains essayez de vous en prendre à mon frère, vous me le paierez, peu importe combien vous êtes, crache-t-elle. Tu te prends pour qui, hein ? T’es qui pour juger de ce qui est compréhensible pour moi ou pas ? J’aurais dû dire au Conseiller que t’avais essayé de m’enlever, au lieu d’espérer que tu me donnes des réponses ! »
Lui, Rose… June était si furieuse qu’elle était à deux doigts de partir trouver Leiftan Tuarran pour tout lui raconter. Peut-être que le Conseiller, lui, aurait l’amabilité de l’éclairer.
Mais Nelladel repousse brutalement sa main et se recule, l'air mauvais. Le Conseiller. Il a presque envie de rire.
Il adresse une révérence ridicule à June et se met à cracher :
« Le Conseiller… Bien sûr. Vous me faites rire, vous les civils d'Eldarya avec vos héros qui sont pourris jusqu'à la moelle ! Tu sais ce qu'il a fait, au moins, ton cher Conseiller ? Des cadavres sauvagement torturés, accrochés au bout d'une corde, ça te dit quelque chose ? »
Nelladel pousse une exclamation de rage, fait quelque pas, puis se retourne en continuant de gronder, le teint livide par la colère :
« Toi et les autres, vous êtes stupide parce que vous n'êtes que des minaloo ! Si on voulait vous enlever, toi et ton frère, c'était pour vous infiltrer au palais d'Odrialc'h et sauver quelqu'un ! C'était pour libérer le peuple des fées, les anciens et les enfants que ton cher petit Conseiller adoré a enfermé pour éviter que les souverains originels d'Eldarya puissent récupérer leur couronne ! Mais ça… Ça te dépasse, non ? Toi tu es une adoratrice de la Garde Étincelante, de la Capitaine, d'Odrialc'h… Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?
- Qu’est-ce que t’en sais, hein ? Tu me connais ? réplique vertement June. Oui, j’admire la Capitaine, et alors ? Je m’en fous de l'Étincelante, et Odrialc’h c’est juste une ville ! Et puis tu… »
Elle se tait alors que le reste des paroles de Nelladel atteignent son cerveau bouilli par la rage. June agrippe l’un des barreaux, les yeux écarquillés. Des meurtres ? Un sauvetage ? Des souverains ? La jeune femme ouvre la bouche, la referme puis secoue ses mèches cendrées.
« Attends, quoi ? Le Conseiller a tué des gens ? »
Ce qui n’a pas de sens, parce que la Garde d’Eel n’accepterait jamais un meurtrier dans ses rangs. La preuve, Helouri, par le simple fait d’avoir acheté du tap, avait perdu toutes ses chances de devenir un gardien. Ses doigts libres viennent tordre ses vêtements, alors qu’elle se mordille la lèvre inférieure sans quitter Nelladel des yeux.
« De deux choses l’une, lâche-t-elle un peu plus calmement. Je ne vénère pas le Conseiller, et est-ce que tu peux arrêter de parler par énigme ? Je suis venu chercher des réponses, pas d’autres questions. Explique-toi. »
Puis elle prend une grande inspiration, souffle par le nez et peint un sourire factice sur sa figure.
« S’il-te-plaît. » articule-t-elle à contrecœur.
Nelladel arque un sourcil, regardant celle qui est soudainement devenue plus aimable. June a réellement l'air de vouloir connaître toute l'histoire et lui, depuis sa prison, ignore totalement ce que ça donnerait si quelqu'un, à l'extérieur connaissait la vérité et choisissait ce qu'elle en ferait.
Lui, ça ne lui importe plus vu sa situation.
Avec un long soupir, il se rapproche des barreaux, puis plonge son regard aigue-marine dans les yeux améthystes de la gardienne, et se remet enfin à parler :
« Je vais te dire ce que je sais tant qu'on a encore le temps. Après, tu en feras ce que tu voudras. Mais si jamais tu penses que ce n'est pas idiot, alors je te donnerais un mot de passe et un endroit. Là, tu iras voir par toi-même. »
Nelladel lui dit tout. Il n'a plus rien à perdre, alors il commence par lui avouer être le frère jumeaux d'Ezarel et un ancien brigadier. Il lui explique ce que sont les brigades, dans le Ragnarok et qu'elles existent pour la conquête terrienne. Ensuite, il lui parle des Docteurs Becs, dont Leiftan fait partie. Il lui raconte le passé meurtrier du Conseiller, de comment ses crimes étaient couverts par Odrialc'h et comment il garde un œil sur Eel en ayant intégré la Garde Étincelante. Ensuite, vient le sujet des fées et de leur souveraineté originelle. Espèce appartenant à Eldarya, contrairement à celles qui sont venus via le Grand Exil, il lui dit qu'elle gouverne avec trois autres espèces, mais qu'Odrialc'h les a forcé à se soumettre, en enlevant les anciens et les enfants de leur peuple et en utilisant leurs connaissances en matière de médecine afin de trouver un moyen de tuer les humains le plus rapidement possible, pour les besoins de la conquête terrienne, en les intoxiquant au maana. Il lui parle du virus injecté dans les sols d'Eldarya et enfin, de la mission de sauvetage dont June et Helouri auraient dû faire partie : sauver Sheraz Alfirin, un haut-elfe, la seconde espèce originelle, du grand palais d'Odrialc'h afin de l'empêcher de participer à un sacrifice.
Enfin, Nelladel achève son histoire :
« Tu voulais tout savoir ? Tu sais tout. À toi de voir ce que tu vas faire de tout ça. Tu peux tout raconter autour de toi ou penser que je suis cinglé, je m'en fous. Ma mission à moi, elle est finie et je vais juste mourir ici. Ils veulent savoir tout ce que je viens de te dire, mais je leur dirais pas. »
June, elle, écarquille les yeux. Pour avoir des réponses, elle en a eu. La plupart n’ont d’ailleurs aucun sens, mais Nelladel n’a pas l’air de mentir. L’elfe semble vaincu, et les gens qui ont baissé les bras racontent rarement des mensonges pour se faire bien voir. Ou du moins, pas des mensonges aussi élaborés. Il dit la vérité. Sa vérité.
« J’avais deviné pour le chef Séquoïa. »
C’est tout ce qu’elle trouve à dire, dans un murmure lointain. Heureusement qu’Helouri est avec elle, parce qu’elle aurait été incapable de tout lui raconter… June lui jette un regard éperdu, puis elle saisit les barreaux en baissant la voix, suppliant presque Nelladel de répondre à sa question.
« Est-ce que ma famille est en danger ? Est-ce que mon frère est en danger ? Écoute, je sais que tu t’en fiches et que t’as plus rien à perdre, et peut-être que tu me racontes des salades, mais si je décide d’aller voir ton endroit, d’entendre ton mot de passe, est-ce que ça pourra les aider ? S’il-te-plaît, balbutia-t-elle. Ils… C’est tout ce que j’ai, Nelladel…
- Je te l'ai dit, il y a peu de chances que la mission réussisse, maintenant. Candice Milliget est en prison et plus personne ne viendra vous enlever. Mais si tu te soucis des tiens et du monde dans lequel vous vivez, ça vaut peut-être le coup d'aller jeter un œil dans l'endroit que je vais te donner et de donner le mot de passe. »
Pour la première fois depuis qu'ils échangent, les barreaux entre eux, Nelladel a un léger sourire. June s'imagine sans doute quelque chose de glauque au possible, concernant son fameux endroit et son mot de passe, mais en réalité, il n'en est rien.
« Le type qui était avec toi quand vous m'avez arrêté, sur la plage. Celui qu'on a sorti des décombres avec les deux jambes brisées… Il travaille pour le même maître que moi. Il a reconnu les fées comme souveraines. J'ai appris qu'il était à l'hôpital d'Albacore et qu'il avait survécu. C'est ça, l'endroit. Et le mot de passe, c'est hekhelem. C'est la langue des fées, ça veut dire "mon roi". Donne ça à Rosinette, il sera peut-être plus bavard. Je déteste les types comme lui, ce sont rien que des soldats sans cervelle qui ne savent qu'obéir. Mais il te sera peut-être utile, sur ce coup-là. »
June manque de laisser échapper une exclamation agacée. Elle en était sûre, Rose sait bien plus de choses qu’il ne veut l’admettre. Et dire que si le Second de l’Ombre avait répondu à ses questions, elle aurait pu s’éviter un voyage en prison ! La prochaine fois, ce n’est pas un dictionnaire qu’elle lui amènera pour le distraire, mais toute l’encyclopédie.
« Hé-ké-lem. » répète-t-elle à voix basse.
Elle voudrait narguer Nelladel en lui disant qu’elle n’ira pas, mais elle sait pertinemment qu’elle saisira la moindre occasion de rendre visite à Rose pour lui poser le reste de ses questions. La jeune femme fronce le nez, gratifiant l’elfe d’une moue irritée.
« Ne crois pas que répondre à mes questions excuse ce que t’as fait, mangeur d’écorce, lâche-t-elle avant de s’adoucir d’un sourire contrit. Mais… merci quand même. Je sais pas si t’as tué Elise Mircalla, et même si tu l’as fait… »
Elle désigne la prison d’un geste vague, avant de hausser les épaules. Elle se rappelle du hurlement de tout à l’heure, et elle a assez peu de doutes sur ce qu’il se passe derrière les portes métalliques. La prison d’Albacore n’est pas un endroit où l’on veut rester.
« Personne mérite de mourir ici. » termine-t-elle dans un souffle à peine audible.
Nelladel hausse les épaules. Ce n'est malheureusement pas à lui d'en décider mais quoi que l'on puisse en penser, il s'est mentalement préparé à finir ses jours en prison. Il souffle par le nez, s'appuie contre les barreaux, puis répond :
« Fais-en ce que tu veux, de mes réponses. Et j'ai pas tué Élise Mircalla. Et aussi, je m'excuse de t'avoir traitée de puterelle. J'étais inquiet parce que j'avais perdu Sira Milliget, mais j'aurais pas dû quand même. »
June laisse échapper un gloussement nerveux. Elle a l’impression que ça s’est passé il y a des années, et la colère qu’elle avait ressentie à l’idée de rater son évaluation à cause de lui s’est évanouie.
« Bah, on va dire qu’on est quitte. » réplique-t-elle dans un haussement d’épaule.
Elle n’y est pas allée de main morte non plus, ni là-bas, ni après, lors de la bataille. June sent ses mains s’agiter. Maintenant qu’elle a ses réponses, elle ne sait pas très bien quoi faire. Ils ne doivent pas rester là, mais sortir va être une autre paire de manches… Et puis elle trouve gênant le silence qui s’est installé : elle se sent presque coupable de pouvoir repasser la porte dans l’autre sens.
« Bon… hésite-t-elle. Alors… »
Bonne continuation n’a pas sa place, bonne chance est un peu trop optimiste, au revoir ? Ou rien du tout, peut-être.
Mais Nelladel se contente de lui faire un geste de la main. Elle a eu ce qu'elle voulait et lui, il a arrêté de penser à l'interrogatoire durant quelques minutes. Qu'elle s'en aille, à présent. De plus, Helouri apparaît dans l'encadrement de la porte pour lui souffler qu'il a entendu du bruit et qu'ils doivent se dépêcher.
« Aller. À la prochaine, peut-être, si j'ai de la chance. »
Il n'est pas encore mort. Pas encore, et quelque part, cette certitude lui souffle que tout n'est pas fini. Il peut essayer. Il peut s'échapper, tenter le tout pour le tout…
June et Helouri quittent le premier étage, le jeune morgan tirant sa grande sœur par la main et une fois arrivés à l'entrée, il repère les silhouettes des gardes. Sans réfléchir, il file se cacher dans le bureau afin de leur laisser le temps de passer. June se laisse entraîner, l’adrénaline ruant dans ses veines. S’ils ouvrent la porte… Elle s’accroupit au sol, le cœur battant, et échange un regard incertain avec son frère.
« Bon… murmure-t-elle. Il faut qu’on sorte d’ici, maintenant. Ce serait dommage d’avoir appris tout ça pour rien. »
Elle ne s’en rend pas compte, mais elle serre si fort la main d’Helouri que ses jointures sont blanches. Son petit frère hoche la tête. Lorsqu'il n'y aura plus de mouvements dehors, ils pourront tenter de sortir en toute discrétion.
Soudain, il y a des voix. Deux voix. Une, grave, gutturale mais avec un timbre féminin que Helouri reconnait, car elle fait courir des frissons sur sa peau.
Il échange un regard épouvanté avec June. Shakalogat Gra Ysul. Quant à l'autre voix, elle est sage, calme, apaisante et il ne s'agit de nulle autre que Balam Lefaucheur.
Helouri et sa grande soeur tendent l'oreille, le coeur battant :
« … Pense que c'est barbare, déclare Balam avec tristesse, et peu dignes de nous.
- Qui a pris cette décision ? demande la Capitaine.
- Le Conseiller Tuarran. J'en ai été le premier surpris.
- Je comprends. Quand les prisonniers importants peinent à parler, il faut parfois user de méthodes peu recommandables, surtout quand les réponses permettent de sauver des vies. Mais ici, je n'en vois pas l'utilité.
- Je suis rassuré, dans ce cas. Je craignais que rien ne puisse être fait et que la fée se fasse arracher les ailes, vivante. »
Des cadavres sauvagement torturés, accrochés au bout d'une corde, ça te dit quelque chose ? June sent la nausée lui serrer la gorge. Elle n’avait pas accordé beaucoup de crédits aux paroles de Nelladel, mais si ce qu’elle vient d’entendre était vrai, alors elles prennent une autre dimension. Le teint pâle, elle accroche le regard d’Helouri pour lui communiquer sa détresse. Était-ce monnaie courante, ici, de torturer les prisonniers ? De leur… Elle préfère secouer la tête pour se reprendre. Ils doivent s’échapper, autrement, ils découvriront pour de bon ce qui se trame derrière les portes métalliques, elle en est certaine.
Pourtant, s'ils veulent quitter les lieux, ils sont obligés d'attendre qu'elles s'ouvrent pour laisser passer Shakalogat Gra Ysul et Balam.
Elles le font avec un grincement effroyable et quand la Capitaine appelle un maître des arcanes d'une voix forte, Helouri et June ne prêtent déjà plus attention à elle.
Candice Milliget hurle. Sa voix est stridente, vibrante de colère et de douleur et quand elle s'éteint afin qu'il puisse respirer un petit peu, les secondes sont courtes, son souffle aussi et il recommence.
Arrêtez ça ! la voix lointaine de la Légende et avec elle, Balam supplie d'arrêter aussi, pour Candice.
Alors, en réprimant son envie de vomir, June tire brusquement la main de son frère, ouvre la porte du petit bureau et fonce jusqu’au couvert des arbres. Elle ne s’y arrête pas, et même si Helouri halète et que ses propres poumons protestent, elle continue de courir. Ce n’est qu’une fois plaquée contre un mur, couverte de sueur et pantelante, qu’elle s’autorise à respirer à grandes goulées. Ses jambes manquent de la lâcher, et prise d’une impulsion subite, June attire Helouri pour le serrer très fort contre elle.
« Désolée, souffle-t-elle. C’était la dernière fois, promis. Merci, Lou. »
Ce dernier manque de fondre en larmes, mais il se retient. Il n'arrive pas à croire ce qu'ils viennent de faire, tous les deux, ni ce qu'ils ont entendu.
Helouri n'oubliera jamais les informations rapportées par Nelladel, tout comme les cris de souffrance de la fée Milliget le hanteront.
Le jeune morgan se recule, le teint blême et les mains tremblantes. Il secoue la tête. Il avait promis à June qu'il l'aiderait à avoir ses réponses, alors il l'a fait.
Dans la poche de sa tunique, il y a toujours les restes du cadena de la prison de Nelladel. Il se demande bien quelle tête feront les gardes, quand ils verront qu'il a disparu.
Levant ses yeux d'argent vers June, il tente d'esquisser un sourire, puis lui rappelle :
« Il ne faut pas oublier de faire les courses pour maman. »
Et cette fois, son gloussement nerveux se transforme en véritable fou rire qui la laisse à genoux au sol. Toute la pression qui l’a saisit s’évacue d’un seul coup, alors qu’elle hoche frénétiquement la tête en répétant les courses sans pouvoir s’arrêter.
Si sa discussion avec Rose est aussi mouvementée, elle craint de ne pas y survivre…
Viste de June Albalefko à l'hôpital d'Albacore, après l'infiltration de la prison
Elle avait vécu dans la terreur constante que quelqu’un l’interpelle après son intrusion dans la prison. Heureusement, personne n’était venu toquer à la porte, personne n’avait hurlé son nom ou celui d’Helouri en pleine rue. Elle regarde toujours régulièrement par-dessus son épaule avant de se fustiger mentalement, parce que ça lui donne l’air coupable, mais elle essaie de se convaincre que tout ira bien. Après tout, personne ne les a vu, et sa diversion s’est admirablement bien déroulée.
Son cœur bat à toute vitesse à chaque fois qu’elle passe devant l’un de ses collègues, mais elle se force à leur sourire comme d’habitude pour ne pas éveiller les soupçons. Pourtant, quand elle entre dans l’hôpital, elle oublie ses craintes pour se concentrer sur sa mission du jour. Elle doit parler à Rose Clarimonde, et de toute urgence… En fait, elle est un peu en colère contre lui, parce que Nelladel lui a confirmé ce qu’elle savait déjà. Rose sait, peut-être pas tout, mais il sait et il aurait pu lui éviter une intrusion dangereuse et illégale dans la prison d’Albacore.
La main sur la bandoulière de son sac, June adresse un signe de tête aux infirmières, doublé d’un sourire qui clame je suis viens voir un proche, ne vous préoccupez pas de moi et qui semble fonctionner à merveille, puis elle demande où trouver sa proie du jour. On la dirige vers le jardin, et June s’y presse avec l’enthousiasme de celle qui va retrouver un ami. Dans sa besace, une demi-douzaine d’ouvrages épais dont elle s’est assurée qu’ils soient parfaitement ennuyeux auprès d’Helouri.
Elle ne met pas longtemps à trouver celui qu’elle cherche. Quand elle aperçoit la silhouette de son fauteuil, June accélère le pas, puis se plante à côté de lui en se penchant pour se mettre à sa hauteur, un immense sourire sur les lèvres.
« Bonjour, Rose ! Je peux ? Second Clarimonde, ça marche plus, vu que t’es plus Second. Ou alors tu préfères Clarimonde ? Monsieur Clarimonde ? C’est un peu pédant, mais c’est comme tu veux… »
La voix de June le tire subitement de ses pensées. Rose ne s'attendait décemment pas à sa visite et encore moins à être interpellé de la sorte. Confus, il lève son regard opalin vers la jeune femme, en lui répondant d'une voix stupéfaite :
« Bonjour, June. Je ne m'attendais pas à votre visite, aujourd'hui. Est-ce que je peux savoir ce qui me vaut une telle irritation de votre part ? »
Rose n'a pas quitté l'hôpital depuis qu'il s'est réveillé, alors il a du mal à comprendre quel genre de tort il a bien pu causer à June.
La jeune femme éclate de rire comme s’il venait de raconter quelque chose de drôle, puis elle farfouille dans son sac pour en sortir une des encyclopédies trouvées par Helouri.
« Je passais dans le coin et je me suis dit que tu aurais bien besoin d’une petite visite, répondit-elle avec un sourire ironique. Tiens, je t’ai pris d’autres livres. Qu’est-ce que tu as fait de beau ? Moi, il m’est arrivé un truc incroyable. Tu veux savoir ? »
Elle n’attend pas sa réponse pour poser la main sur le dossier du fauteuil et continuer en faisant de grands gestes enthousiastes.
« Avec Helouri, on s’est promené un peu, et devine un peu sur quoi on est tombé ? Je te donne la réponse, c’est pas facile. Un bébé sabali ! Il était un peu moche et franchement débile, mais on a décidé de lui donner un nom. On a choisi quelque chose d’exotique, tu vois… Tu veux savoir comment on l’a appelé ? »
June se penche en prenant un air de conspiratrice, faisant fi de l’air d’incompréhension totale du vampire.
« Hekhelem, susurre-t-elle. T’en penses quoi ? Je le dis bien ? »
Rose devient blême. Il fixe June comme si elle venait de se transformer en fée et s'il ouvre la bouche d'incompréhension, aucun son n'en sort. Mais sa colère devient beaucoup plus limpide et Rose comprend, à présent, que June a pu apprendre, d'une manière ou d'une autre, ce qu'il a tant tenu à lui dissimuler.
Cependant, il doute profondément que ce soit Nevra qui ait révélé quoi que ce soit, alors quand il fait la liste des personnes dans son esprit, le visage du dava de Maître Candice se présente.
La figure de Rose perd petit à petit de sa lumière, alors qu'il secoue la tête :
« Qu'est-ce que ça vous a apporté de savoir, June ? Pourquoi avoir fait ce que vous avez fait pour obtenir des réponses qui ne vous apporteront rien de bon ? »
Cette fois, elle perd son sourire pour le fixer d’un regard sombre. Elle en a assez d’être prise pour une enfant par Rose Clarimonde, et assez qu’on lui cache des choses. La jeune femme plonge ses yeux dans ceux du vampire, et articule d’une voix dure, suffisamment bas pour qu’il soit le seul à l’entendre.
« Je me fiche complètement de tes maîtres, je les connais pas. Je me fiche aussi de tes motivations, à supposer que tu en ais. Qui es-tu pour savoir ce qui est bon pour moi, et ce qui est mauvais ? Qui es-tu pour décider que je n’ai pas besoin de savoir ce que tes copains et toi prépariez dans mon dos ? Je t’ai sauvé la vie, Rose, et je l’ai pas fait parce que je pensais que c’était bien, ou parce que je voulais une médaille, je l’ai fait parce que je ne voulais pas que tu meurs. J’ai fait ce que j’ai fait parce que j’ai estimé qu’obtenir des réponses était mieux que de rester dans cette ignorance que tu prônes. Tu gères ta vie comme tu l’entends, et je gère la mienne de la façon qui me plaît. »
Elle croise les bras sur sa poitrine, puis reprend d’une voix un peu plus calme, sans cesser de le fixer.
« T’es pas responsable de moi, et t’es pas responsable de tout le monde. J’ai besoin de ces réponses, parce que je veux protéger ma famille. Et j’ai bien fait, parce que même si tu te tues à dire que ça me concerne pas, je suis impliquée. Ou au moins, j’allais l’être, et visiblement, pas vraiment de mon plein gré. »
Visiblement, le dava de Maître Candice n'avait plus rien à perdre. En effet, parce que June et Helouri sont les enfants de Joseph, ils devaient être enlevés afin d'être envoyés au grand palais d'Odrialc'h, afin de sauver Sheraz Alfirin et libérer le peuple des fées.
Rose tente de se redresser dans son fauteuil et s'il répugne à avouer ce à quoi il a participé, June a raison quand elle dit qu'il n'est pas responsable d'elle. De toute manière, l'opération est mise en échec avec la capture de Titan.
« Il y avait effectivement une opération qui vous visait, vous et votre petit frère. Elle devait être effective si le Maître Candice Milliget avait réussi ce qu'il était venu faire à Eel mais à présent, vous et Helouri ne craignez plus rien. Il était question que votre petit frère entre au grand palais d'Odrialc'h, via les sélections qui auront lieu dans quelques mois. Celles qui éliront le nouveau serviteur personnel de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul. Quant à vous, June… »
Rose la regarde dans les yeux. Sa mission, quand il était encore Second, consistait à transférer June au corps armée d'Odrialc'h. Par bonheur, la jeune faelienne avait choisi cette option de son plein gré sans quoi, Rose aurait dû l'y pousser.
« Vous deviez entrer dans le corps armée d'Odrialc'h afin de recueillir des informations sur le peuple des fées qui est retenu quelque part, au grand palais. Mon travail, c'était de m'assurer qu'une fois là-bas, vous seriez insoupçonnable et que vous auriez les capacités de vous hisser jusqu'aux rangs des soldats qui apprennent directement sous le commandement de la Capitaine. Si ce n'était pas le cas, je devais faire en sorte de falsifier votre dossier pour que vous puissiez y accéder directement et votre lien avec Joseph Ael Diskaret aurait grandement facilité la tâche. Néanmoins, ça aussi, c'est compromis. Je suppose que celle qui est devenue la Cheffe de l'Ombre, maintenant, s'est déjà rendu compte que tout ce que j'ai écrit dans votre dossier, concernant vos capacités, ne sont que des mensonges. »
La jeune femme plisse les yeux. Elle n’a pas eu l’occasion de discuter avec Enthraa, et ne sait même pas si son suivi est toujours d’actualité, mais elle est presque plus en colère qu’il ait menti dans son dossier. Autant pour sa fierté personnelle… June s’adosse à un petit muret et arque un sourcil dubitatif.
« Pardon, mais il était un peu bancal, votre plan. Vous comptiez faire quoi, si on refusait d’obéir ? Nous tuer ? Tuer mon père ? Remarque, ton maître a bien failli réussir… grommelle-t-elle. Et pourquoi est-ce que j’aurais accepté ? Sans parler d’Helouri… Pourquoi tu fais ça, toi ? »
June passe une main dans ses mèches emmêlées par la brise, et hausse les épaules, incertaine.
« Je veux dire… cette histoire de peuple des fées enfermé, tout ça… On a des preuves, au moins ? Et puis… s’ils sont tous aussi terrifiants que ton maître, c’est pas mieux qu’ils restent enfermés, justement ?
- Si Nelladel vous a dit toute la vérité, alors vous devriez avoir des réponses à ces questions. Les fées sont les souveraines originelles et légitimes d'Eldarya avec les hauts-elfes, les chimères et les démons. Leur peuple a été asservi par Odrialc'h et retenu en otage en échange de leur savoir qui permettrait à ceux qui veulent reconquérir la Terre d'annihiler l'espèce humaine en un laps de temps très court. »
Concernant June et son petit frère, Maître Candice s'était bien entendu attendu à ce qu'ils refusent d'accomplir leur rôle dans l'opération. Il avait songé à un moyen de pression assez conséquent afin que June et Helouri agissent tel que le Maître le souhaite sans pour autant prévenir leur père ou qui que ce soit.
« Si vous et votre petit frère refusiez d'accomplir l'opération, alors Maître Candice aurait enfermé votre mère dans un caisson, auprès des sujets humains. Si vous aviez eu le malheur de prévenir qui que ce soit, elle aurait été dévorée. June, je… »
Rose secoue la tête et se tord machinalement les doigts sous la couverture qui recouvre ses jambes, mais ne dit plus rien.
Au moins, elle a deux fois la même version. June frissonne à l’idée que la terrible fée avait menacé sa mère. Rose lui dit les mêmes choses que Nelladel, même si ce dernier est plus cynique. La jeune femme triture sa tunique, alors que ses doigts reprennent leur vilaine habitude de s’envoler sans son accord.
« D’accord, Rose, répond-elle d’une voix presque douce. J’ai bien compris vos histoires de souverains originels, et je suis contre l’idée d’exterminer un peuple qui a rien demandé. Mais c’était pas ça, ma question. Ça te dérange pas, toi, de servir un maître qui mange des gens ? Ca t’aurait pas dérangé que ma mère meurt ? Qu’Helouri soit en danger ? En quoi est-ce que vous êtes mieux qu’Odrialc’h, dans ce cas-là ? »
Ce que lui avait dit Nelladel était terrible, si cela se révélait être vrai. Elle ne veut pas mourir, et elle ne veut pas qu’Eldarya meurt non plus, et même si elle ne peut rien faire pour empêcher ça, June veut comprendre. Ce sacrifice, ces souverains et Leiftan…
« Tu l’as dit, maintenant je sais, murmure-t-elle. Et je sais pas ce que j’aurais fait, si vous aviez réussi à nous capturer comme vous vouliez le faire. Parce que… c’est horrible, tout ça, mais je veux pas échanger la mort contre un tyran, tu vois ? »
Rose secoue la tête. C'est bien plus compliqué que cela.
« De servir un Maître qui mange de la chair faelienne ou non, ce n'est pas ça la bonne question. La bonne question, c'est de se demander ce qui est juste pour le bien commun. Tant que mes actes servent le bien commun, alors les dommages qui peuvent survenir sont des éléments inévitables. »
June a raison quand elle dit que le Maître Candice et ceux qui le servent peuvent paraître aussi pathétiques que les soldats de la conquête terrienne, à Odrialc'h mais comme dans toutes les guerres, les pertes sont inévitables.
« Je ne suis pas un sadique, June. Bien évidemment que le sort de votre mère ou les risques que vous pourriez courir, vous et votre frère, m'importent. Mais il fallait essayer car le temps nous est compté et quand il y a un choix à faire concernant le sort du monde, l'empathie n'est pas la bonne solution. »
Elle se mord la lèvre. L’empathie, c’est important et ça fait partie d’elle, alors elle ne peut pas penser comme lui. Elle se dit aussi qu’il y a peut-être une autre solution, mais qu’elle n’a pas les connaissances nécessaires pour la trouver. Il n’est personne pour lui dire ce qui est bon pour elle, et elle n’est personne pour lui dire comment réfléchir.
« Je sais pas si ton maître, c’était le bien commun, répond la jeune femme en frissonnant. Et maintenant, alors ? Si vous pouvez plus rien faire, ça veut dire que notre monde va disparaître et que les humains seront exterminés ? Que ma famille va mourir ?
- Mon Maître est ce qu'il est mais tout ce qu'il veut, c'est le bien de sa famille, de son peuple et d'Eldarya. Si rien n'est fait, je crains que notre monde finisse par disparaître et que le plan originel de conquête terrienne soit accompli. »
Malheureusement, sans Maître Candice et Titan, la suite de leur plan est impossible. Nelladel est en prison, Nevra va être traduit en justice et Rose, lui, le suivra une fois que ses jambes seront guéries. Il lève son regard opalin vers June, puis hésite de nouveau. Elle sait ce qu'elle voulait savoir, à présent, mais que va-t-elle faire de ces connaissances ?
« Que… »
Rose tire la couverture vers lui, la serre entre ses mains, puis reprend :
« Qu'est-ce que tu veux faire, June ?
- Franchement ? Me rouler en boule dans un coin et prier pour que ça passe… » grimace-t-elle en s’accroupissant par terre.
Elle soupire alors que ses doigts viennent faire rouler un petit caillou entre deux brins d’herbe. Ce qu’elle veut faire… Elle ne sait pas. Elle ne veut pas mourir, et elle ne veut pas participer à un génocide. Elle ne veut pas qu’Helouri soit en danger, elle ne veut pas risquer la vie de ses proches… Un sourire triste vient étirer ses lèvres, puis elle hausse les épaules. Elle pourrait aller voir Leiftan Tuarran pour lui demander des explications, à supposer qu’il accepte de répondre. Elle pourrait faire comme si elle ne savait rien et attendre que ça passe. Elle pourrait essayer d’agir. Mais elle n’est personne, elle n’a ni argent, ni talent, ni relation.
« Je veux… murmure-t-elle. Je veux un avenir. Et je le veux ici, pas sur un cimetière. »
Elle marque une pause, puis le regarde à son tour.
« Et toi, Rose ? Tu vas faire quoi, maintenant ? »
Rose écarquille les yeux le temps d'une seconde avant de fuir le regard de June. Ce n'est pas une question qu'il aime se poser parce qu'il ne sait pas y répondre. Quand il y avait un plan à suivre, tout était simple et il pourrait réfléchir à un avenir bien plus tard, une fois la mission accomplie. Mais maintenant…
« Je vais attendre que mes jambes soient guéries et ensuite, je serai traduit en justice pour haute trahison envers la cité d'Eel et j'irai en prison. »
C'est ça, le sort qui l'attend et il n'y a pas d'échappatoire. Nevra lui a demandé de prendre une décision mais même s'il le fait, il doute fortement que ça mène quelque part. Ils sont surveillés tous les deux et ce qui protège encore Rose des heures sombres qui l'attendent dehors, ce sont ses jambes brisées.
« Je ne me pose pas cette question, reprend-t-il, dans ma situation, ça ne sert plus à rien. Mais toi, tu as une famille et une vie à penser. Je ne te dirai pas quel genre de décision tu dois prendre, cependant et avant que l'on m'interdise de recevoir des visites, je peux être honnête avec toi. »
Comme la scène à laquelle June a assisté, quand il était avec Sira pendant qu'Eel s'effondrait, par exemple. Rose se cale contre le dossier de sa chaise et choisit de lui raconter :
« La personne qui a voulu me couper la jambe, pendant la catastrophe, c'était l'Impératrice des Abysses. Une criminelle avec une forte influence parmi les nombreux cartels d'Odrialc'h. Je faisais partie du sien parce que mon Maître voulait son aide pour notre cause. Elle n'a pas apprécié que je sois un agent-double et quand elle l'a découvert pendant la catastrophe, elle a voulu me faire payer le prix de la trahison. »
Elle manque de s’étouffer, parce qu’elle se rappelle très bien avoir sauté sur ladite Impératrice des Abysses. Une petite voix lui souffle qu’entre la vampire, Nelladel et la fée, elle ferait mieux de bien choisir ses adversaires. June lui souffle de se taire, parce que ce n’était pas de sa faute si personne ne prenait la peine de lui dire quoi que ce soit.
« Et donc j’imagine qu’Ellen Price en était aussi, s’étrangla-t-elle. Et ce Jens Red, celui qui a sauvé Helouri de la noyade et qui était avec elle… Tu as d’autres bombes comme ça, Rose ? »
Elle ironise, mais elle n’en mène pas large. Elle espère que l’Impératrice des Abysses n’a pas retenu son visage, parce que si elle se retrouve en face d’elle un jour, elle n’est pas certaine d’être capable de courir assez vite. La jeune femme triture ses cheveux, avant de poser doucement une main légère sur l’avant-bras du vampire.
« Tu sais… Ma mère dit que même quand la situation paraît désespérée, il faut pas abandonner. Toi, t’es coincé ici avec le jugement qui arrivera parce que t’as suivi tes convictions, et moi, je suis coincée avec ce que je sais sans pouvoir m’opposer à quoique ce soit parce que je suis personne. Mais ça veut pas dire qu’on peut rien faire du tout. »
Elle a besoin de réfléchir et de discuter avec Helouri de leurs options. De ce qu’eux, à leur échelle, peuvent faire pour essayer de sauver leur monde. Parce qu’elle en est certaine, son petit frère non plus ne veut pas vivre sur les corps des humains morts pour la conquête terrienne.
« Rien ne t’empêche de penser à l’avenir, même s’il a l’air sombre depuis là où tu te trouves. Et moi, rien ne m’empêche d’essayer de trouver une solution à mon échelle.
- On verra. »
S'il se force à réfléchir et à essayer de trouver une issue, peut-être qu'il y arrivera, mais il n'a pas grand-chose. Même s'il avait des espoirs pour l'avenir, ce serait vain et même celui qui lui restait, qui valait peut-être la peine d'essayer, ne se réveillera sans doute jamais.
Nevra lui a demandé de prendre une décision mais la vérité, c'est qu'il n'en sait rien. Quand Rose essaye de regarder au-delà de sa situation, il n'y a que du vide et rien d'autre.
Immobile, les yeux clos, il tâche de ressembler à un dormeur profondément happé dans ses rêves. Il contrôle sa respiration, l'empêchant de siffler et de trahir toute la terreur qui hérisse sa propre chair sous le regard émeraude. S'il pouvait dominer les battements de son cœur, alors cela lui garantirait d'être sauvé.
Il se sait observé. Dans la pénombre de l'hôpital d'Albacore, pendant que les soignants glanent quelques heures de sommeil bienvenues, Rose l'a entendu arriver avant de voir sa silhouette se profiler. Il a senti son corps s'éveiller avant son esprit et la peur remplacer son sang quand il a compris qu'il devenait de nouveau une proie pour un bourreau qui ne s'est pas encore lassé de lui.
Dans le noir complet de ses paupières, Rose s'empêche de trembler. La présence de Leiftan est si forte qu'elle transforme l'atmosphère paisible de l'hôpital en poison. Elle se dresse au-dessus de son lit, comme une ombre menaçante qui voudrait l'étouffer dans son sommeil ou bien modeler l'instant présent en moment de rancune.
« Je sais que tu ne dors pas. »
Rose agrippe les draps de son lit à s'en faire blanchir les jointures. Non loin de lui, il y a la chaîne reliée à la petite cloche qui permet à chaque patient d'appeler un soignant en cas de besoin. Il lui serait facile de l'attraper, mais il en est incapable. Ses membres sont lourds, son corps ne lui répond pas et tout ce qu'il a, ce sont ses muscles tendus à l'extrême en attendant un coup ou une plaie.
C'est une main ferme qui vient attraper ses cheveux et un souffle qui murmure à son oreille :
« Tu as de la chance. Toutes tes blessures sont consignées dans ton dossier médical. Ce serait malheureux que d'autres apparaissent miraculeusement en pleine nuit. Mais ne t'inquiète pas, Rose, ton tour viendra. »
Il le sait. Lorsque ses jambes seront guéries, Rose quittera l'hôpital pour être traduit en justice. Il sera incarcéré en attendant son jugement et il sait d'ores et déjà qu'il sera coupable de haute trahison envers la cité d'Eel et qu'il purgera une peine de prison. Mais avant cela, on cherchera à le faire parler et Rose se doute que Leiftan sera ravi d'être celui qui s'occupera de son interrogatoire.
La main dans ses cheveux se fait plus douce et à présent, le jeune vampire a l'horrible sensation d'être un familier en train de se faire flatter le crâne par son maître.
« Tu devrais être gentil, reprend Leiftan d'une voix doucereuse, si tu es gentil avec moi, je serai gentil avec toi. Ça m'évitera de prendre des mesures, comme… »
Il sourit. Rose peut presque le voir malgré ses yeux clos car tout, dans son ton, traduit la joie malsaine qui l'anime en imaginant les sévices tordus qu'il pourrait lui infliger. Dans son esprit et le plan qu'il imagine, il n'en est pas la cible, mais ici et maintenant, Leiftan lui rappelle qu'il est impensable de se dresser contre lui.
Sa main quitte les longs cheveux sombres de Rose pour arracher rageusement les couvertures. La peur saisit le jeune vampire à la gorge, lui bloquant la respiration pendant que ses jambes s'apprêtent à souffrir. Malheureusement, celui qui l'a sauvé durant la catastrophe, dans le lit voisin du sien, ne pourra pas lui venir en aide, cette fois.
Leiftan commence à faire courir ses doigts sur les bandages, tel un geste inconscient pendant qu'il réfléchit et quand il a enfin fait la lumière sur ses pensées, il frappe le genou de Rose.
Le jeune vampire ouvre les yeux, la douleur grimpant le long de sa jambe comme le feu et s'il ouvre la bouche pour laisser échapper un cri, Leiftan le bâillonne de son autre main. Il lui serre la mâchoire à lui en faire mal, puis le libère d'un geste vif, grimaçant de dégoût.
« Ta salive, crache-t-il, c'est dégueulasse. »
Mais son visage retrouve sa lumière quand il se met à souffler l'idée merveilleuse qui lui a traversé l'esprit, plus tôt. Pendant qu'il parle, il s'applique religieusement à tordre les chevilles de Rose dans tous les sens, se moquant des sons provoqués par sa vicieuse entreprise, ni des larmes versées par sa victime qui ne peut que gémir dans ses oreillers.
« Tu sais ce que je vais faire, Rose ? Je vais affamer ton maître. Ensuite, j'enfermerai Nevra Mircalla avec lui et on verra bien ce qui se passera. Mais tu sais quoi ? Tu peux empêcher cela. C'est très simple : tu peux prendre sa place. C'est lui ou c'est toi. »
Lui ou Nevra ? Nevra est un Mircalla, même s'il est condamné pour haute trahison, il ne sera jamais détenu dans une prison d'Eel et encore moins dans la même cellule que Maître Candice. Rose ignore par quel miracle Leiftan pour le faire enfermer avec une fée affamée mais ce dont il est sûr, c'est qu'il y arrivera.
« Tu croyais pouvoir te dresser contre moi sans en payer les conséquences, Rosinette ? Regarde. Même ton maître était prêt à te sacrifier. Je crois qu'il sera heureux d'avoir de la bonne viande. Oh ! Je sais… »
Ce sera lui. Leiftan a choisi. Ce sera lui qui se fera dévorer par Maître Candice et ça se déroulera sous les yeux de Nevra. Ensuite, toute la population d'Eel saura que l'ancien Chef de la Garde de l'Ombre aura lâchement sacrifié son complice contre sa survie et ça, ça ne lui sera jamais pardonné. Il sera disgracié par sa famille, répugné par les gardiens de l'Ombre et ainsi, il deviendra inoffensif pour les Docteurs Becs.
« Tu devrais être content, achève Leiftan, ta mort va servir à quelque chose. Tu devrais profiter du temps qu'il te reste et comme tu as été plutôt gentil, ce soir, je vais même t'en donner. »
Cette fois, quand Leiftan l'a arraché de son lit pour le jeter au sol avec violence, il l'a laissé hurler la douleur de ses jambes en miettes, rencontrant le sol dur. Il l'a aussi laissé hurler quand il lui a écrasé la cheville, juste avant de s'en aller.
Le tumulte a bien entendu attiré les soignants. Ils ont demandé à Rose comment il avait pu chuter au sol de la sorte et une fois qu'ils ont examiné ses jambes en urgence, ils ont malheureusement constaté que l'une de ses chevilles arborait des fractures multiples. Cette fois, Rose n'en retrouvera ni la souplesse, ni la mobilité complète.
« On va l'immobiliser pour cette nuit et demain, on demandera à la docteure Osgiliath de l'examiner. Il faut vérifier si les ligaments sont bons. Comment est-ce que vous avez pu tomber de votre lit, monsieur Clarimonde ? »
Rose n'a rien dit. Il sait qu'entre l'adorateur des fées et le Conseiller de la Garde Étincelante, celui qui sera cru est tout désigné. Ce qu'il sait, c'est que le temps lui est compté et qu'il doit prendre une décision.
Mais cela ne sert à rien. Il est reclus à l'hôpital d'Albacore et quand il sortira, c'est l'enfer qui l'attend. Qu'importe ce qu'il choisit, contrairement à Nevra Mircalla, il n'a aucun pouvoir, si ce n'est celui du néant.Le Pouvoir du Néant
En quoi est-ce qu'il croit ? C'est la question que lui a posé Nevra lors de leur entrevue. C'est une question à laquelle Rose n'avait pas eu la réponse tout de suite.
Il est en prison, à l'hôpital, mais aussi dans sa propre tête qui le laisse dans l'obscurité.
June lui a demandé comment il voyait l'avenir mais tout ce qu'il y a, c'est le vide. Depuis la veille, l'avenir est même devenu une cellule avec une fée affamée qui le dévorera vivant, tant la faim aura rongé ses entrailles.
À quoi Rose doit-il penser ?
Même s'il voulait rejoindre son Maître, tenter un contact avec le cartel des Typhons ou bien enquêter sur la Chair des Roses, sa situation ne le lui permettrait pas.
Je décides que tu décides.
La confiance que lui voue Nevra est peut-être ce qui lui pèse le plus. Rose aurait préféré qu'il prenne lui-même une autre décision plutôt que de lui demander cela. Nevra ne le voit pas tel qu'il est réellement, il le voit plus grand ou peut-être meilleur alors que la réalité est beaucoup plus terne et lâche qu'il ne le pense.
Oui, Rose est un lâche. Il s'est joué du cartel des Typhons et il l'a trahi, il a berné June et à participé à sa tentative d'enlèvement ainsi qu'à celle de son petit frère, il est un paillasson où Leiftan essuie sa rage et même son cher Maître le regarde tel que Rose se voit lui-même.
Comment Nevra peut-il penser qu'il est capable ?
Et s'il l'était réellement, que choisirait-il ?
Allongé dans son lit avec l'obligation de se reposer toute la journée afin de laisser ses jambes immobiles, Rose réfléchit.
S'il était quelqu'un d'autre, s'il avait la force nécessaire pour agir, s'il était libre, que ferait-il ?
Il refuserait de reprendre contact avec le cartel des Typhons, c'est chose sûre. Tous ses messages seraient ignorés et maintenant que Titan est en prison, Rose parie que c'est Sexta qui a été nommée cheffe. S'il décidait de se rendre à Odrialc'h, puis à la planque du cartel, l'Impératrice des Abysses n'hésiterait pas à le punir pour sa trahison avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche. Contrairement à Titan, Sexta condamne et ne pardonne pas. Ceux qui ont essayé en ont déjà payé le prix fort alors pour Rose, les Typhons sont inaccessibles pour le moment.
Avant de pouvoir ne serait-ce que se tenir debout face à Sexta, il doit se faire pardonner avec des actes. S'il parvient à participer à la libération de Fawkes, Nelladel ou Titan, alors une conversation pourrait être envisageable, par exemple.
Si le cartel n'est pas une option, Maître Candice n'en est pas une autre. Nevra a raison quand il dit qu'il ne mérite pas sa couronne, Rose doit le reconnaître. Si la fée Milliget peut espérer sauver son peuple et retrouver sa souveraineté, c'est parce que moult personnes croient en lui et pensent qu'il est capable de faire ce qui est juste. Mais il a prouvé le contraire et Rose a failli en mourir. Alors si le jeune vampire songe, aujourd'hui, aux gens à qui il confierait volontiers sa vie, ils se comptent sur les doigts d'une seule main.
Nevra et Valkyon. Joseph Ael Diskaret aurait pu faire partie de cette liste car c'est quelqu'un de bien, mais maintenant qu'il sait que Rose est un adorateur des fées, alors ce dernier doute qu'il lui sauvera la vie si une catastrophe de la même envergure qu'une Eel rouge se reproduit.
Alors malgré la foi qu'il porte envers le peuple des fées, Rose ne ferait pas confiance à Maître Candice, de nouveau. Pas après les décombres, les explosions, ses jambes brisées et la mort qui a failli venir le chercher.
Le jeune vampire se met à ciller. Il se réinstalle sur ses oreillers et il se souvient de ce détail qui a son importance. Il sait en quoi il croit.
« Je crois en la Chair des Roses. » souffle-t-il pour lui-même.
Le jardin merveilleux au cœur du royaume des fées, parmi le froid extrême et la glace, où naissent des anges qui attendent d'être mangés. Parce qu'elles s'en nourrissent, les fées sont belles, puissantes, érudites et elles méritent d'être souveraines.
Mais la Chair des Roses n'est plus là depuis longtemps. Aussi, elle n'est pas ce qu'elle prétend être, Rose en est certain. Cette histoire existe pour déformer une réalité plus sordide ou bien masquer une vérité insupportable.
Si les adorateurs des fées ou même ceux qui soutiennent la conquête terrienne la connaissaient, est-ce que cela changerait la donne ? Sûrement.
Si Rose devait embrasser une voie, il pense que ce serait celle de la Chair des Roses. Il sait que les fées n'avoueront jamais quoi que ce soit à son sujet, mais avec une monnaie d'échange conséquente comme Maître Candice, peut-être qu'elles daigneraient s'expliquer. De plus et avec la potion donnée aux prisonniers de l'île Zéro, il serait possible de marcher dans leur royaume et de constater cette Chair des Roses avec ses propres yeux. Vouloir remettre les souverains légitimes du monde sur leur trône est une bonne chose, mais s'intéresser aux origines peut permettre de construire l'avenir, donc connaître la vérité sur ce qui donnait de la puissance aux fées serait le chemin important à emprunter.
En effet, si Rose était libre, il remonterait jusqu'aux origines de la royauté et jaugerait, alors, comme membre du nouveau peuple qui se bat pour la survie du monde, si les fées méritent réellement leur couronne.
Le bruit d'un rideau que l'on tire le fait sursauter. Rose tourne la tête vers le lit voisin du sien pour voir une silhouette se glisser derrière le tissu opaque. Une tunique d'un bleu azur, la peau anthracite et de longs cheveux d'ébène ondulant sur ses épaules. Balam Lefaucheur.
« Bonjour, mon ami. »
Rose s'immobilise. De l'autre côté du grand rideau qui entoure Valkyon Batatume, Balam se saisit d'un petit tabouret pour s'y laisser tomber. Sa silhouette est courbée, comme si un poids insupportable s'abattait sur ses épaules et Rose traduit le geste qu'il est en train d'accomplir par une main lasse sur son visage.
Il se penche en avant, observant certainement l'état de Valkyon et de là où il est, le jeune vampire regarde ce triste spectacle d'ombres des Côte de Jade.
« Je suis désolé, reprend Balam d'une voix plus basse, j'aurais voulu être plus utile pendant la catastrophe. J'aurais dû vous accompagner quand vous étiez aux portes de la cité, toi et June… Je n'arrête pas de me dire que si j'avais été avec vous, tu ne serais pas dans ce lit d'hôpital. Pas comme ça. »
Certes, mais Balam est un guetteur. Sa place était aux portes de la cité, avec les autres guetteurs pour évacuer les civils vers Albacore. Il a fait son travail et il a même fait plus que cela, puisque Rose a appris qu'il s'était retrouvé près du Quartier Général, à lutter contre Maître Candice.
Maître Candice qui a tué deux guetteurs en les empalant sur des barres en métal.
« Valkyon, je… »
Balam pousse un long soupir et s'affaisse quelque peu. Même s'il ne le voit qu'à l'état d'une ombre, derrière un rideau, Rose a la sensation qu'il y a une faille qui s'est ouverte dans son être. Il n'en connaît pas encore l'auteur, mais tout le calme, toute la sérénité qui a toujours entouré la silhouette de Balam Lefaucheur comme une aura chaleureuse, semble le quitter.
Rose entend un léger rire, gardé derrière des lèvres closes.
« C'était toi qui venait me trouver quand tu avais des doutes. Tu en a toujours eu, sur tous les aspects de ta vie et tu as toujours su comprendre les sentiments d'autrui. Quand Shang Xia hésitait à partir pour Ningjing, tu savais déjà qu'elle avait fait son choix, mais tu étais venu me voir pour te préparer à la douleur de la séparation. Pour toi, je savais toujours quoi dire ou quoi faire, mais tu t'es trompé, mon ami. »
Pas aujourd'hui.
Rose se souvient que lors de ses toutes premières années à la cité d'Eel, quand il avait quatorze ans, il avait entendu parler de Shang Xia, par Nevra. Il s'agissait de l'ancienne compagne de Valkyon, qui avait dû choisir entre une carrière prestigieuse, à Ningjing, la capitale des Côtes de Jade, et une demande en mariage. Elle avait fait son choix et même si la séparation s'était montrée très difficile pour Valkyon, il disait toujours qu'elle ne pouvait pas passer à côté de sa vie, même par amour et qu'il comprenait sa décision.
Elle ne l'aimait pas assez pour abandonner une opportunité et il ne l'aimait pas assez pour abandonner son monde et tout quitter.
« Je ne sais pas quoi faire, reprend Balam dans un souffle, je pense que ce que j'ai fait était juste, mais les conséquences sont terribles. J'ai l'impression d'être un pion sur un échiquier et l'on attend que je tombe. »
Même si Valkyon ne l'entend pas, Balam lui raconte. Il lui partage les rondes qu'il a dû faire à la prison d'Albacore, pour pallier au manque d'effectifs et les cris de la fée. Il lui dit comment il a fini par s'habituer et comment la colère de Maître Candice le suivait chaque jour passant, jusqu'à celui où il l'a entendu hurler de douleur. Il savait qu'il souffrait et que ce n'était pas sa rage, qu'il laissait éclater. Il n'oubliera pas le son de ses râles, de son souffle court pendant les secondes de répit, avant que ses bourreaux se remettent à leur labeur.
« Je n'étais pas censé me rendre jusqu'à la cellule où la fée est détenue mais quand je l'ai entendu hurler de la sorte, ça m'a glacé le sang, Valkyon. Alors j'ai demandé à un maître des arcanes de me conduire à travers les illusions qui ont été mises en place, mais il a refusé. Je n'ai pas l'autorisation nécessaire pour m'approcher de ce prisonnier-là ou plutôt, je ne l'avais pas… »
Néanmoins, Balam dit qu'il était parfaitement certain que ce qui était en train de se passer, dans cette cellule, n'avait pas lieu d'être. Alors, puisque la Capitaine Shakalogat Gra Ysul se trouve actuellement à Albacore, pour venir en aide à la Garde Étincelante, il a été la chercher.
« Elle m'a écouté et tu te doute bien qu'elle n'a besoin d'aucune autorisation pour aller où elle veut, mon ami. Elle m'a dit que j'avais bien agi et que si la fée subissait gratuitement des sévices, alors il faudrait en punir les auteurs. J'ai pu l'accompagner jusqu'à la cellule et… et… Valkyon, ils essayaient de lui arracher les ailes. Ils lui jetaient de l'eau très chaude pour l'affaiblir et ils étaient une dizaine à le tenir pour le torturer. Tout cela, sous les yeux du Conseiller. »
Rose se tend immédiatement à l'évocation de Leiftan. Pour l'affront que Maître Candice lui a fait, le traitement qu'il subit ne le surprend pas. Il est évident qu'il se venge et qu'il lui fasse payer sa tentative de meurtre en l'humiliant et en le faisant souffrir.
Rose devine que Leiftan n'a certainement pas apprécié l'intervention de Balam, surtout s'il est venu en compagnie de la Capitaine et ce qu'il se demande, c'est de quelle manière il a bien pu se venger.
« La Capitaine a fait cesser ces agissements immédiatement, poursuit Balam, et le Conseiller a essayé de se défendre en expliquant qu'il voulait extorquer des informations à la fée, mais tu sais très bien, tout comme moi, que ce n'est pas ainsi que les procédures d'interrogatoires fonctionnent, même pour des prisonniers extrêmement dangereux. Alors quand le Conseiller a appris que c'est moi qui avais prévenu la Capitaine, en entendant les cris, il a pris une décision. »
Rose entend Balam pousser un long soupir. Si Leiftan veut lui faire du mal et lui faire payer son affront, il lui est bien entendu impossible de le faire souffrir de la même manière que le jeune vampire. Mais il est malin et quand Rose entend sa décision, il songe que Leiftan n'aurait pas pu trouver de meilleure façon de piéger Balam.
« Il m'a promu. Je suis un membre de la Garde Étincelante maintenant, et je suis responsable de la fée. Ses erreurs seront les miennes et je suis celui qui devra la faire parler. Si j'échoue à la tâche ou si la fée parvient à s'échapper ou à attaquer qui que ce soit à cause de moi, le Conseiller me fera bannir de la cité avec une interdiction à vie d'y revenir. Sans compter que je devrai assumer les crimes de la fée, bien entendu. Valkyon… »
Quoi qu'il advienne, Balam est déjà condamné. Leiftan demandera des résultats, beaucoup de résultats et quand il sera facile de constater que l'ancien guetteur ne parvient pas à faire parler Maître Candice, alors il sera jeté hors de la cité d'Eel. Il est évident que Balam n'usera jamais de méthodes abjectes pour de terribles interrogatoires, et Leiftan sait aussi qu'il se montrera certainement beaucoup trop clément avec le prisonnier dont il a l'entière responsabilité. Sans compter que Leiftan doit déjà avoir anticipé une possibilité pour que Balam parvienne à tisser des liens avec Maîtres Candice, grâce à sa diplomatie et sa pédagogie. Et s'il devenait un adorateur des fées ? Leiftan n'aurait plus qu'à l'écraser comme il se doit avant de le punir.
Balam est piégé, quoi qu'il fasse.
Un triste rire secoue la silhouette de l'elfe noir :
« J'ai demandé à ce que l'on dispose des glaces éternelles pour rafraîchir sa cellule et qu'on lui permette de se laver. Les blessures dans son dos ne sont pas très profondes car la Capitaine et moi-même sommes arrivés à temps, mais la fée refuse que l'un de nos médecins y touche. Il dit que le froid fera son travail. Valkyon, je… Je ne sais pas comment je dois agir. Je ferai de mon mieux, mais je ne suis pas celui qu'il faut pour m'occuper d'un tel prisonnier. La Capitaine le pense aussi. Elle n'a pas pu se dresser contre la promotion d'une personne par un membre de l'Étincelante, mais ce choix n'est pas le bon. »
Non, il ne l'est pas, mais cela pourrait offrir des opportunités à Maître Candice. Il sera plus facile d'échapper à la surveillance de Balam qu'à celle de nombreux gardiens et c'est ce que veut Leiftan. Qu'importe que la fée Milliget s'en aille, il se vengera sur le peuple et déclarera la guerre au reste du royaume, derrière la frontière. Rose ignore ce que Maître Candice décidera, dans cette nouvelle situation mais comme pour lui dans son lit d'hôpital, le compte à rebours s'est mis en marche et il ne tient qu'à eux d'utiliser leur temps pour gagner leur liberté.Les Choix
Re-bonjour à vous, chers amis lecteurs. Avez-vous apprécié votre lecture ? Je l'espère car à présent, vous vous trouvez devant un choix un petit peu particulier qui vous suivra pendant les six prochains chapitres. Mais quel est-il ? Laissez-moi vous l'expliquer !
Comme vous le savez, Rose est en convalescence à l'hôpital d'Albacore, avec ses jambes brisées. Cependant, quand il sera guéri et qu'il sortira enfin, il sera traduit en justice pour haute trahison et sera jeté en prison, sans compter que Leiftan a prévu un traitement bien particulier pour lui.
Mais ne vous inquiétez pas, il vous reste six chapitres pour vous en sortir et vous l'avez bien compris, c'est vous qui allez vous en occuper ! Nous devons emprunter la voie de la Chair des Roses, c'est ce que vous avez choisi mais pour ce faire, il vous faudra préparer un plan pour quitter Albacore, une fois que les jambes de Rose seront guéries et ainsi mener notre projet à bien.
Bien entendu, il vous sera tout à fait possible d'intégrer la libération des alliés que vous choisirez avant l'évasion, ces personnes étant :
➜ Candice Milliget
➜ Nevra Mircalla
➜ Fawkes
➜ Nelladel Sequoïa
➜ Titan
Ils sont cinq, vous pouvez en libérer un, deux, trois ou bien jouer aux héros et tenter de libérer les cinq. Pour vous échapper, vous aurez aussi besoin d'alliés qui vont et viennent entre l'hôpital et l'extérieur, alors pensez à June, Helouri, Joseph Ael Diskaret qui sortira bientôt et qui doit remplacer Valkyon, Cristal Ael Diskaret, Yëvet, Lilymoe, Ewelein, Ezarel… La liste est longue et les possibilités sont nombreuses.
Mais commençons par le commencement, si vous le voulez bien : que préférez-vous ? Tenter de rallier une personne à votre cause, ou bien tenter de retourner une partie de la Garde d'Eel et la population contre les Docteurs Becs ?
Selon ce qui serait pertinent selon vous, choisissez la personne à convaincre en premier. Vous avez le choix entre quatres personnages : deux qui n'ont aucune influence dans la Garde et deux autres qui possède de l'influence ainsi qu'une bonne réputation.
Vous ne pouvez choisir qu'une seule personne :
➜ June Albalefko (gardienne de l'Obsidienne, fille de Joseph Ael Diskaret, est connue pour les actes prestigieux de son père.)
➜ Balam Lefaucheur (Ancien guetteur ayant été promu dans la Garde Étincelante par Leiftan, responsable de Candice Milliget, malgré sa promotion, il n'a aucune influence dans la Garde d'Eel.)
➜ Joseph Ael Diskaret (Gardien de l'Obsidienne aux actes renommés, vainqueur des sélections, remplaçant du Chef de l'Obsidienne durant son coma, la renommée de Joseph n'est plus à faire et sa réputation parmi la Garde d'Eel est excellente.)
➜ Enthraa Kellerman (Ancienne inspectrice de l'Ombre qui est passée Cheffe après la déchéance de Nevra Mircalla, beaucoup d'expérience, une main de fer dans un gant de velours, a souffert de l'injustice concernant la place de Second de l'Ombre qui ne lui a jamais été attribuée malgré ses vingt ans d'expérience. Membre très apprécié parmi les gardiens de l'Ombre qui pensent, à présent, qu'elle mérite de diriger la Garde de l'Ombre.)
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a pu s'infiltrer dans la prison d'Albacore pour discuter avec Nelladel, et ensuite se rendre à l'hôpital pour confronter Rose. À présent, que pense-t-elle de ce qu'elle a appris et que compte-t-elle faire ?
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, vient me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Il est temps de prendre une décision : que va faire Fawkes ? Appeler Leiftan pour accepter sa proposition, ou bien la refuser ?
À toi de me le dire, Waitikka ! Suivant ta réponse, un RP peut avoir lieu ou non.
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Un petit chapitre posté avant vingt heures et j'en suis bien contente ! Alors comme d'ordinaire, il faut faire attention car nous suivons un personnage dont l'état mental n'est pas au beau fixe et vous allez avoir quelques aperçus de petites bribes horrifiques.
Mais vous êtes dans une fiction horrifique alors boooon…
Vous allez sûrement me maudire pour le choix à faire mais aller, ça va bien se passer !
Bon courage à vous et bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 5 - Peur de Vivre
June et Helouri sur la plage du Prisme
Le vent âpre leur fouette le visage et même si marcher dans la forêt qui borde Albacore aurait été appréciable, June n'a pas voulu prendre le risque. Helouri la comprend : on pourrait les écouter.
Quand elle est revenue de l'hôpital, le jeune morgan a eu peur de ce qu'elle avait pu apprendre, mais les propos de Rose Clarimonde sont très similaires à ceux de Nelladel. Helouri ne sait pas quoi en penser. Tout ce dont il est sûr, c'est qu'il entend le cri de la fée dans son sommeil, quand ses rêves se transforment en cauchemars et qu'il a parfois la crainte d'être enlevé. Il a peur de se retrouver loin, très loin avec June et qu'on les oblige à accomplir une mission pour préserver la vie de leur famille. Il imagine des gens attenter à celle de son père ou bien à celle de sa mère et parfois, il ne sait tout simplement plus quoi penser.
Helouri lève les yeux vers June, qui marche à ses côtés. Il sait qu'ils doivent discuter, prendre une décision pourtant… Il se demande où ça les mènera. Les choses étaient plus aisées, quand ils étaient ignorants, c'est certain. Mais s'il devait encore choisir, Helouri préférerait tout savoir, comme maintenant.
Les mains derrière le dos, le jeune morgan laisse le vent salin lui caresser le visage. L'horizon, à sa gauche, lui offre une ligne avec une mer calme mais celle devant lui, la haute tour d'une cité en ruine. Fut un temps, elle avait dominé le Quartier Général de la Garde d'Eel mais maintenant…
« Ça prendra du temps, de tout reconstruire. » amorce Helouri d'une voix qu'il veut naturelle.
June répond par un vague grognement. Pour le moment, Eel est bien la dernière de ses préoccupations… Son esprit tourne à plein régime depuis des jours, car entre l’attaque, les révélations de Nelladel puis celles de Rose, elle n’a pas eu une seule seconde pour ne penser à rien. Elle en dort mal, mange à peine et seulement parce que Cristal a commencé à s’en faire pour elle, alors elle a bien besoin de tout mettre à plat une bonne fois pour toute afin de ne pas se noyer.
La jeune femme passe une main dans ses mèches emmélées par le vent, puis tourne son regard vers l’horizon. Au moins, elle n’est pas toute seule… Si Helouri n’avait pas été près d’elle, elle ne sait pas ce qui se serait passé. Sans doute se serait-elle mise dans le pétrin, encore plus que maintenant.
« Dis, Lou… Tu crois qu’il mérite ce qu’il lui arrive, Rose ? soupire-t-elle. Je veux dire, c’est quand même à cause de lui que la cité est dans cet état. Et Nelladel aussi, même si j’ai l’impression qu’ils n’étaient pas tout à fait là pour les mêmes raisons. Leur but est noble, mais les moyens qu’ils ont employés pour l’atteindre…»
Le visage de Helouri s'assombrit. La question de sa grande soeur est difficile car il pense que personne ne mérite de mourir cependant, il doit tout de même avouer que même s'ils ne sont pas ceux qui ont provoqué la catastrophe à la cité d'Eel, ils y ont participé :
« C'est compliqué. Leur but est noble, c'est vrai, mais à cause d'eux, la cité d'Eel est détruite et des gens sont morts. Regarde ce qui est arrivé à ton Chef et ce qui a failli arriver au Conseiller, June. Sans compter qu'ils se sont alliés avec un cartel et qu'ils ont voulu nous enlever alors pour être honnête, je pense que quelque part, ils ne font que payer pour leurs actes. Et puis tu sais, pour ce qu'ils ont dit sur le Conseiller… Franchement tu y crois, toi ? Tu crois vraiment qu'il est un criminel ? »
June se mordille la lèvre. Le Conseiller est un homme gentil, mais elle n’a jamais été vraiment à l’aise en sa présence. Ceci dit, June est rarement à l’aise avec les personnes gradées. Sauf que cette fois, elle se voit mal aller confronter Leiftan Tuarran à propos des atrocités que Nelladel et Rose lui attribuent…
« Ben… hésite-t-elle. Je sais pas trop… Balam avait l’air de dire que c’était lui qui… enfin, tu sais, les ailes… »
Elle frissonne au souvenir du hurlement de la fée qui hante encore ses nuits. La jeune femme ajoute que maintenant, elle ne sait plus vraiment qui croire : elle pensait Rose fidèle à la Garde, et elle croyait que Nelladel était un simple vagabond. Visiblement, à Eel plus que n’importe où, les apparences sont trompeuses.
« Peut-être qu’ils exagèrent, peut-être qu’ils disent la vérité… reprend-elle. Dans le doute, je préfère m’attendre à tout. Ceci dit, si c’est un criminel et que la Garde est au courant, alors je sais pas si j’ai tellement envie de continuer à être une gardienne. »
Elle ne peut s’empêcher de taper du pied par terre : avec leurs révélations, ils remettent l’intégralité de son monde en question, et elle s’en serait bien passé. Puis June se reprend et respire un grand coup, avant de se tourner vers son petit frère.
« Une chose à la fois, autrement ma tête va exploser et franchement, on n’a pas besoin de ça. D’abord, on doit décider de ce qu’on veut faire. Maintenant qu’on sait, on peut plus faire comme si de rien n’était. »
En fait si, ils pourraient, mais ni lui, ni elle ne réfléchit de cette façon. Alors June plonge son regard dans le sien, très sérieuse.
« Qu’est-ce que tu penses qu’on devrait faire, Lou ?
- Je ne sais pas si je suis vraiment de bon conseil sur ce coup-là… » souffle le jeune morgan en secouant la tête.
Il n'a jamais été gardien et le seul fait notable qu'on peut lui attribuer, c'est de s'être fait arrêté pour possession de tap. Helouri ne sait pas s'il peut être d'une quelconque aide avec tout ce qu'ils savent, lui et June. Cependant, il lève les main et reprend :
« Bon… Essayons de prendre les choses dans l'ordre, ce sera déjà plus facile. Nelladel et le Seco… Rose ont dit la même chose, donc si leurs réponses se regroupent, je pense qu'ils disent la vérité. Enfin pour certaines choses… Bref. »
Puis, Helouri se fige et ouvre de grands yeux d'argent. Il dévisage June comme si elle venait de se transformer en sitourche, puis il ajoute :
« En fait, si on voulait vraiment aller jusqu'au bout de notre enquête, il y a encore une personne qu'on a pas encore interrogée. Deux, en réalité. »
Face au regard perplexe de sa grande soeur, le jeune morgan s'explique :
« Rose est démis de ses fonctions, mais l'ancien Chef de l'Ombre aussi et ce n'est sûrement pas une coïncidence. Et avec lui, il y a une autre personne qui pourrait nous dire des choses intéressantes, mais si vraiment on doit aller la voir, June, ce sera très difficile. Je veux parler de celle qui a failli se faire arracher les ailes. »
Elle hoche la tête, pas plus alarmée que ça à cette idée. Elle n’a pas vraiment envie de parler à la fée, d’autant qu’elle a essayé de la tuer, mais Helouri a raison, si l’occasion se présente, ils devront la saisir. Quant à Nevra Mircalla…
« Je sais pas si on pourra lui parler facilement non plus, marmonne-t-elle. Mais à choisir entre les deux, j’essaierai plutôt de le contacter lui. Peut-être en parlant à Rose ? »
Mais il y a d’autres personnes auxquelles June voudrait bien parler, alors elle entreprend de les lister.
« Peut-être que Balam pourra nous en dire plus, et il est plus accessible que l’autre malade. Et Alajea aussi, tu te souviens ? Elle connaissait Delta Milliget, elle doit en savoir plus. J’aimerais bien pouvoir discuter avec Sira, mais je saurais même pas par où commencer pour le trouver…»
Lui semblait nettement plus gentil que son frère, et peut-être qu’il pourra lui en dire plus. Le visage de Nelladel s’impose à elle, et avec lui un autre. La jeune femme triture ses cheveux, puis termine son énumération.
« Et puis… J’en reviens pas de dire ça… Toute leur histoire, là, de conquête terrienne. Ça repose sur l’idée que les sols de notre monde sont empoisonnés. Mais s’ils disent n’importe quoi, alors ça veut dire qu’ils mentent aussi sur le reste. Et pour vérifier ça, on devrait… On pourrait aller parler au Chef Séquoia. »
Elle grimace en prononçant son nom, parce qu’il est celui, de tous les Chefs, qu’elle apprécie le moins. Son caractère difficile ne joue pas en sa faveur, mais il est aussi celui qui refuse que son frère intègre la Garde. Refusait, puisqu’il n’a même plus besoin d’argumenter en ce sens maintenant.
Helouri se plonge dans ses réflexions. Les possibilités pour vérifier les propos de Rose et Nelladel sont nombreuses et à vrai dire, il ne sait pas vraiment dans quoi ils vont se lancer, avec June.
Il passe une main ennuyée dans ses longs cheveux noués en queue de cheval, puis il tente de faire le point sur ses idées.
« Le problème c'est que nos questions ne devront pas nous rendre suspects. Si jamais on nous accuse d'être des adorateurs des fées, tu imagines ce qu'on risquerait ? Donc même si on doit aller parler au Chef Séquoïa, à Alajéa ou à Balam, il faudra faire très attention à ce que l'on dira. »
Mais une bonne nouvelle : ils sont deux et le manque d'effectif se fait sentir après la catastrophe. Même leur mère tâche de prêter main forte là où elle le peut et leur père, quand il sortira de l'hôpital, fera de son mieux pour gérer les gardiens de l'Obsidienne.
Helouri s'approche de sa grande soeur et lui prend la main :
« Qu'importe ce que l'on décide, il faut être prudent. Je pense que le mieux, ce serait de profiter du manque d'effectif pour se rapprocher des gens que l'on veut interroger. Moi, par exemple, je connais déjà Alajéa parce qu'elle m'avait aidé pour réviser les examens pour la Garde Absynthe et le Chef Séquoïa… Je ne pense pas qu'il voudra me parler de quoi que ce soit, mais je peux essayer. »
Ce constat étant posé, il poursuit :
« Toi, June, tu es une gardienne de l'Obsidienne, alors tu peux faire beaucoup de choses. Tu peux aider Balam ou tu peux même aller demander au Conseiller de t'orienter vers des tâches où tu pourrais être utile. Même si on nous a dit des choses, si on l'évite, ça va paraître suspect. Je pense que pour le moment, si on enquête de cette façon et que l'on met régulièrement ce que l'on apprend en commun, on pourra avancer. »
Un sourire resplendissant étire les lèvres de June. Voilà pourquoi elle demande toujours son avis à Helouri ! Il a de bonnes idées, et il lui permet aussi d’organiser les siennes.
« Tu as raison ! s’exclame-t-elle. On va faire comme ça, je vais aller demander au Conseiller où je peux être utile, et si je retourne voir Rose, je lui demanderais comment parler avec Nevra Mircalla. »
Elle parlera à Balam si les tâches que lui propose Leiftan Tuarran ne lui semblent pas effectives pour apprendre plus de choses. Et puis, sans le savoir, il lui donnera peut-être des idées auxquelles elle n’a pas encore pensé. June presse la main d’Helouri dans la sienne.
« Courage, Lou, à nous deux, je suis sûre qu’on peut réussir à réunir quelques informations utiles. »
June et Helouri face à Leiftan Tuarran
Il est tôt et les rues d'Albacore sont encore vides. Pourtant, Helouri a tenu à ce que lui et June puissent se rendre de très bonne heure à la mairie du village, afin de pouvoir rencontrer le Conseiller en toute tranquillité. Depuis la catastrophe de l'Eel rouge, nombreux sont ceux qui tiennent à apporter leur aide, ce qui est à leur honneur. Mais nombreux aussi sont ceux qui veulent profiter de la situation pour se rapprocher des figures emblématiques d'Eel et creuser leur petite place…
Aussi, dans le calme le plus religieux, Helouri et June pourront prendre le temps de réfléchir aux tâches les plus adéquates pour leur enquête, selon ce que Leiftan Tuarran va leur proposer.
Achevant de nouer sa longue tunique couleur lavande et d'attacher ses cheveux, le jeune morgan demande à sa grande sœur si elle est prête et il la devine en train d'enfiler son uniforme de l'Obsidienne.
Beaucoup de gardiens de la Garde au rubis le font, même s'ils ne sont pas en service, car c'est une façon de rendre hommage à leur Chef qui ne s'est toujours pas réveillé.
Lorsqu'ils sont fin prêts, June et Helouri quittent la maison mitoyenne qui leur a été attribuée le temps qu'Eel soit reconstruite, et qu'ils partagent avec d'autres familles, puis prennent la direction de la mairie.
Contrairement à la cité blanche, Albacore dort encore même si l'aube s'est levée. Les rues sont vides et seuls les petits commerces d'herboristes et d'alchimistes ouvrent très tôt afin de fournir l'hôpital en continu.
À voix basse, June et Helouri échangent vis-à-vis de leur future rencontre avec le Conseiller et s'ils étaient en train de mettre en place quelques questions à poser, le jeune morgan s'arrête brusquement.
Helouri se fige comme une proie repérée par un chasseur. Son teint glacé perd des couleurs pour finalement en reprendre alors que ses mains deviennent moites. Le jeune morgan sent ses entrailles s'emballer et s'il essaye d'écouter ce que June lui raconte, toute son attention a été captivée vers l'horizon, droit devant lui, dès lors qu'une haute silhouette vêtue de cuir et à la longue natte de cheveux auburn s'est profilée.
June continue de parler pendant plusieurs secondes avant de se rendre compte que son frère ne l’écoute plus. Surprise, elle suit son regard et comprend immédiatement la raison de son trouble. La jeune femme reste pourtant de marbre, attend quelques instants qu’il se reprenne, puis constatant qu’elle l’a perdu pour de bon, elle retient un sourire torve avant de se pencher vers lui.
« Oublie pas de respirer, hein… »
Beaucoup de gens sont impressionnés en présence de la Capitaine, et elle n’est pas la dernière car la guerrière est une vraie légende. Mais si elle avait des doutes, ils sont à présent confirmés : Helouri est plus qu’ébranlé par l’orc aux mille exploits, il est subjugué. Et malgré la situation dans laquelle ils se trouvent tous les deux, June doit faire tous les efforts du monde pour ne pas éclater de rire devant l’expression qu’il arbore.
Helouri a un sursaut et écarquille ses yeux d'argent quand il fait face à sa grande sœur, comme s'il venait de réaliser qu'elle était avec lui. Il tente de se reprendre, mais son visage se couvre de rougeurs et tout ce qu'il arrive à balbutier, ce sont des mots inintelligibles.
De toute manière, le jeune morgan sait que cette mascarade sera terminée lorsque la Capitaine passera son chemin pourtant, Shakalogat Gra Ysul semble s'attarder sur quelque chose et à bien l'observer, il s'agit simplement des petites statues des familiers vivant dans la forêt qui borde Albacore. Un hommage assez original qui leur est rendu, mais dont les habitants du village sont fiers, eux qui aiment se vanter de vivre en harmonie avec eux.
« Je… Je… N-nous… Le rendez-vous… On… Pour travailler. » bafouille Helouri à sa grande sœur.
Cette fois, June ne retient pas son sourire. Elle hoche la tête, attrape son frère sous le bras et l’entraîne à grandes enjambées en direction de la Capitaine. Mais au lieu de la dépasser, une fois à sa hauteur, elle se plante à quelques pas d’elle, sans lâcher Helouri, tout en effectuant d’une main le salut de sa Garde.
« Temata, Kribaten ! lance-t-elle.
Désormais affublée d’un sourire parfaitement angélique, June reprend dans sa langue comme si cette rencontre tout à fait fortuite n’avait rien d’extraordinaire. Au fond, elle est ravie d’être en face d’une légende, mais après l’avoir combattue lors des sélections, elle songe que finalement, dire bonjour à la Capitaine n’est pas si difficile.
« Désolée de vous déranger comme ça, mon frère et moi, on s’est dit que ce serait plus poli de vous dire bonjour. Pas vrai, Helouri ? »
Mais le jeune morgan reste muet, incapable de prononcer un seul mot, avec la gorge aussi sèche qu'un vieux parchemin. Lever les yeux est déjà un acte difficilement réalisable dans sa situation pourtant, il sait qu'il serait fort malpoli de ne pas saluer la Capitaine Shakalogat Gra Ysul alors, rassemblant tous ses efforts, il essaye de la regarder, de placarder un sourire courtois sur son visage et de prononcer un "bonjour". Mais tout ce qu'il arrive à sortir, c'est un "bonjoir".
Cependant et loin de s'en offusquer, la Capitaine reste sereine à elle-même. Elle s'est détournée des statues pour concentrer toute son attention sur ces deux jeunes faeliens matinaux venus la saluer :
« June Albalefko, répond-t-elle de sa voix gutturale, nous ne nous sommes pas rencontrées de nouveau depuis les sélections, mais je me suis souvenue de votre visage. »
Les mains derrière le dos, Shakalogat Gra Ysul se contente de s'adresser à June en arborant un calme religieux, comme si la situation actuelle n'avait aucune emprise sur elle. Si elle marche dans les rues vides du village, dès l'aube, c'est pour faire le tri dans son esprit et prioriser les urgences qui sont légions, depuis la catastrophe de l'Eel rouge. Elle désigne Helouri, dont tous les muscles se sont crispés, d'un signe de tête :
« Le jeune morgan qui est tombé à l'eau. Je suis navrée, mais je n'ai pas retenu votre nom.
- Helouri, croasse le concerné, C-c-c-e n'est pas…
- Je vois. Je suis désolée pour la catastrophe qui a touché votre cité. Vous vivez une période difficile, mais beaucoup de gardiens font leur possible pour assurer la sécurité des civils et les rassurer. C'est une bonne chose. »
June a un peu de peine pour son frère, mais elle resserre son étreinte sur son bras. Heureusement que le plan de Nelladel et de ses maîtres n’est pas arrivé à terme, Helouri n’aurait jamais pu devenir le serviteur personnel de Shakalogat en étant incapable de lui dire bonjour… Elle retient un ricanement mauvais : la fée et ses complices se pensaient sans doute très malins, elle aurait presque aimé qu’ils réussissent pour constater l’ampleur des dégâts… Toutefois, elle hoche la tête en revenant à la Capitaine, dont le calme apaise un peu son esprit toujours agité.
« Oui, justement, on allait demander au Conseiller Tuarran s’il avait du travail pour nous. Helouri est pas gardien, mais il pourra sans doute être utile, et moi, mon uniforme servira mieux ici que dans mon placard. Et puis, ça nous permettra de nous changer les idées, vu que papa est encore à l’hôpital…»
Et qu’on est au courant de ce qu’il se passe à Odrial’ch, ajoute-t-elle en pensée. Du moins, de la version de Nelladel et Rose…
Shakalogat hoche la tête, un sourire paisible sur le visage. Elle répond qu'aller demander du travail au Conseiller Tuarran est une bonne initiative, mais elle précise qu'il est également possible d'aller s'inscrire directement auprès des Chefs des trois Gardes respectives si des tâches en particulier attisent l'intérêt :
« Beaucoup de personnes qui ne sont pas gardiennes veulent apporter leur aide pour leur cité. Pour ce faire, elles doivent passer quelques tests d'aptitudes afin d'être placées dans des travaux qui leur correspondent. Je ne remets pas en cause le jugement du Conseiller Tuarran, cela va de soi, mais il est évident que la situation est difficile pour les membres de l'Étincelante qui n'ont pas toujours le temps de guider les personnes qui viennent à eux de la meilleure façon qu'il soit. »
Helouri la regarde, fasciné. Quand la Capitaine parle, son débit est aussi serein que sa personne ainsi que la force tranquille qu'elle dégage. Un petit peu de sa sérénité parvient à l'atteindre et il se sent quelque peu détendu, même si son estomac a toujours tendance à faire des bonds à chaque fois qu'il croise son regard.
Elle ne se souvient que très peu de lui, à cause d'un bête accident et d'un autre plus tragique, qui a failli avoir lieu, mais il ne lui en veut pas.
« … Oui. » lâche-t-il bêtement.
Quand Shakalogat lui prête attention, le jeune morgan s'empourpre mais cette fois, il tâche de respirer et de garder son calme comme il le peut, avant de s'expliquer d'une petite voix :
« Je… Je pense que je serai utile à l'hôpital. J'étais… Je faisais parfois des replacements… Remplacements ! À Eel… Pour le ménage… Puis aider les aides-soignants.
- Ils auront certainement besoin de vous, dans ce cas. »
June hoche la tête à son tour. Utile, et surtout, bien placé pour avoir accès à des réponses en cas de question, puisque Rose Clarimonde s’y trouve toujours, et qu’il est nettement plus abordable que Nelladel.
« C’est vrai, et puis comme tu veux être médecin… » réfléchit-elle.
Au moins, ça ne devrait pas être trop dur de le faire entrer là-bas. June a lâché son frère, ses mains reprenant leurs mauvaises habitudes alors qu’elle continue de se triturer les méninges. Reste à savoir ce qu’elle pourrait faire d’utile… A vrai dire, elle n’a pas spécialement envie d’aller voir Leiftan depuis qu’elle sait ce qu’elle sait, mais elle se voit mal aller voir l’un des trois Chefs de Garde sans avoir aucune idée du poste qu’elle souhaiterait occuper.
« Il y a tellement de choses à faire, soupire-t-elle. J’ai envie d’aider du mieux que je peux, mais c’est dur de savoir comment…
- Il y a de nombreux travaux qui ne trouvent que très peu de preneurs, explique la Capitaine, mais cela dépend de vos compétences, mais aussi de votre propre sensibilité. Si votre frère a déjà travaillé en hôpital, alors il sait déjà à quoi il sera confronté. »
Des postes à pourvoir le temps de la reconstruction, il y en a beaucoup, comme ceux des patrouilles dans le village, effectuées par des obsidiens. Il y a également des travaux administratifs chez les Ombres, notamment l'envoie de missives régulières entre Eel et Odrialc'h, mais ce genre de poste n'est accessible qu'aux gardiens de toutes Gardes confondues, puisqu'il y a un accord de confidentialité à respecter.
« Vous pouvez également assister des gardiens plus gradés dans leur travail si vous en avez les compétences, poursuit Shakalogat, mais pour certains d'entre eux, il se peut qu'il y ait des évaluations de l'esprit à passer. Vous pourriez peut-être vous pencher dessus si cela vous intéresse puisqu'il est évident que ce sont des tâches inaccessibles aux civils. »
June acquiesce en notant soigneusement dans sa tête les différents postes auxquels elle pourra trouver une utilité. Une partie d’elle est déçue de n’avoir pas suffisamment eu le temps de progresser, car son apprentissage de la lecture l’empêchera de s’occuper de l’administration des Ombres, ce qui aurait pu lui apporter des informations intéressantes. Peut-être que ça bloquera également sa candidature pour assister les hauts gradés, mais on ne sait jamais.
« Merci, sourit-elle. Je vais voir si le Conseiller à une tâche précise en tête pour les membres de l’Obsidienne comme moi, mais autrement, je pourrai aller là où je suis le plus utile. »
June marque ensuite une pause, puis se racle la gorge en détournant les yeux, alors que ses mains viennent agripper sa tunique pour la tordre dans tous les sens.
« Est-ce que… Est-ce que je peux vous poser une question ?
- Vous venez de le faire, répond la Capitaine en plissant les yeux avec amusement, mais je vous en prie. Je vous écoute. »
La jeune femme prend une grande inspiration. C’est à la fois une curiosité de sa part, mais également quelque chose qui lui trotte dans la tête depuis les révélations faites par Nelladel.
« Pour passer les sélections, j’ai dû remplir un formulaire, commence-t-elle. Il y avait une question à propos des humains, et sur l’idée qu’une espèce pourrait dominer les autres. Et je me demandais… c’est sans doute un peu idiot, mais… Vous pensez qu’il y a une espèce… reine, ou quelque chose comme ça, sur Eldarya ? Une espèce meilleure que les autres, et meilleure que les humains ? C’était un peu incongru, comme question, alors… »
Helouri lui lance un regard effaré pourtant, la Capitaine ne semble pas indignée par la question de June. Elle a surtout l'air de réfléchir aux mots qu'elle va employer, comme un professeur qui essaierait d'expliquer un propos complexe à un élève.
« C'est une question délicate qui est proposée dans ce formulaire, comme les autres. Et comme vous pouvez vous en douter, elle a une réponse délicate, également. »
Intrigué, le visage d'Helouri se fend de surprise et le temps d'une seconde, il oublie son embarras pour écouter cette fameuse réponse.
« L'espèce dominante est celle qui parvient à s'imposer, explique Shakalogat, mais pas de n'importe quelle façon. Des barbares qui réduisent un village à feu et à sang ne restent que des barbares, tout comme le général qui a soif de conquêtes pour satisfaire son propre égo. La véritable espèce dominante, dans un monde, est celle qui a l'intelligence d'utiliser ses capacités pour faire grandir les autres et les hisser à son égal. Pas pour les détruire. Une telle espèce se voudrait dominante, car elle serait alors la mère de toutes les civilisations qu'elle a pu créer grâce à son partage de connaissances. »
June plisse les yeux. Elle voit où l’orc veut en venir, mais elle ne sait pas si elle est d’accord avec elle ou non.
« Et vous croyez qu’une telle espèce existe ? s’enquit-elle. Qu’il peut y avoir des gens suffisamment désintéressés pour vouloir élever les autres à leur niveau sans les écraser ? Il faudrait être sacrément sage, non ?
- C'est justement ce qui différencie les barbares des peuples éclairés. Le guerrier le plus noble est celui qui n'a provoqué aucune guerre et qui n'en a gagné aucune alors un peuple comme celui-ci, dans le monde où nous vivons, je doute qu'il existe. La catastrophe qui vous est arrivée en est la preuve.
- Mais… »
La Capitaine rive ses yeux noirs sur Helouri dont l'estomac fait un bond. Le jeune morgan sent ses joues s'empourprer avant de se reprendre, puis d'oser poser sa question :
« Pourquoi un Maître de la Médecine voudrait provoquer un tel carnage, comme celui qu'Eel a vécu ?
- Ça, je l'ignore. Je ne suis pas dans la tête de la fée qui a accompli cela. »
June frissonne à son évocation, mais elle fait en sorte de ne rien laisser paraître de son trouble. Néanmoins, la réflexion de la Capitaine est intéressante, et cette conversation n’a pas été inutile.
« Heureusement, parce que j’aimerai pas y être non plus, grimace la jeune femme. Merci, Capitaine, j’espère qu’on vous a pas trop embêté avec nos questions. »
Elle adresse un regard interrogateur à son frère : la concernant, elle a demandé tout ce qu’elle voulait, et même si elle aurait aimé interroger directement l’orc concernant la conquête terrienne révélée par Nelladel et Rose, elle sait que ce ne serait pas sage. Et si son frère n’a plus rien à dire non plus… Mais le jeune morgan reste muet, alors la conversation est close.
« Vous ne m'avez pas dérangée, répond la Capitaine d'un ton aimable, j'ai apprécié de discuter avec vous et je vous souhaite une bonne continuation. »
June lui adresse un "au revoir" tonitruant pendant que Helouri ne parvient qu'à le manifester dans un souffle. Il regarde la silhouette massive de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul s'éloigner, ses yeux d'argent fixés sur sa natte de feu. Il ignore s'il l'a observée longtemps mais quand il se retourne, il se confronte au visage de June. Il ouvre la bouche pour bafouiller quelque chose et finalement, levant les bras, il lance d'une traite :
« Je sais ce que tu penses. Ne dis rien, s'il te plait. Je me sens déjà assez ridicule comme ça. »
Elle ne peut s’empêcher d’éclater de rire en passant son bras autour des épaules de son frère. De sa main libre, June ébouriffe ses cheveux nacrés avant de secouer la tête, une moue attendrie sur les lèvres.
« Comment ça, ridicule ? Ce genre de chose, ça se choisit pas, rétorque-t-elle. Et puis tu aurais pu tomber sur pire. Bon, c’est clair que tu aurais aussi pu tomber sur plus accessible… »
Elle le relâche en haussant les épaules. Ça lui passera sûrement, même si Helouri est du genre à s’entêter quand il emprunte des chemins impossibles. Mais ce n’est pas elle qui le trouvera ridicule, ça non. Et puis, en plus, ça fait un moment qu’elle a deviné. Un air espiègle se peint sur son visage.
« De toute façon, je peux rien dire à ce sujet. Tu te souviens de ce haut-gradé de l’ombre qui avait eu le malheur de m’adresser un sourire ? Ou encore de la médecin qui m’avait rafistolée après un entraînement ? Niveau béguin, c’est pas vers moi qu’il faut se tourner pour être jugé ! »
Helouri se met à rire à son tour. C'est vrai que sa grande sœur n'est pas en reste, au niveau des histoires impossibles. Il se souvient même que peu de temps après leur rencontre, elle avait eu le béguin pour Balam, qui l'avait aidée à régler sa paperasse pour avoir sa carte de séjour et elle lui racontait combien il était gentil. Mais Balam était gentil avec tout le monde et laissait rarement qui que ce soit indifférent, malgré lui.
Avec l'esprit plus léger mais le plan dans leurs tête, June et Helouri parviennent jusqu'à la mairie d'Albacore où ils sont accueillis par des gardiens de l'Ombre. Ils peuvent aviser que même s'ils se sont levés tôt, d'autres personnes sont également présentes pour les mêmes raisons qu'eux et attendent patiemment d'être reçu par un membre de l'Étincelante.
« Ça fait plaisir de voir qu'il y a des gens motivés, leur dit l'un des gardiens de l'Ombre, vous souhaitez voir une personne en particulier ? À cette heure-ci, les Étincelants sont disponibles.
- Leiftan Tuarran, s'il vous plaît. » demande Helouri d'une voix qu'il espère maîtrisée.
Le gardien leur demande d'attendre, leur indiquant que lorsque le Conseiller sera disposé à les recevoir, il les appellera. Ils n'ont pas eu besoin de patienter longtemps, car Leiftan vient les chercher, vêtu de ses éternels habits blancs.
« Les enfants de Joseph Ael Diskaret, les salue-t-il, il m'a été dit que vous veniez proposer votre temps pour prêter main forte aux gardiens et aux civils. C'est tout à votre honneur. Nous allons donc discuter de tout ça. »
Leiftan les conduit à un bureau qu'il occupe, au sein de la mairie, et quand il pénètre dans la pièce, Helouri se fait la réflexion qu'elle est sobre avec un brin de désordre. Les membres de l'Étincelante doivent être très occupés, c'est chose sûre. June et lui sont invités à s'asseoir et quand Leiftan les imite, il leur demande :
« June Albalefko, vous est gardienne, vous avez donc accès à plus de postes. Helouri Ael Diskaret, quant à vous, même si vous n'êtes pas gardien, vous avez déjà travaillé à l'hôpital d'Eel, il me semble. Et je peux avancer que les soignants sont en manque de personnel. »
June s’efforce de maintenir un sourire poli, mais son esprit travaille à toute allure. Les révélations de Nelladel et Rose tournent en boucle dans sa tête, et si elle a bien du mal à superposer l’image de l’affable Conseiller avec celle du monstre qu’ils décrivent, elle ne peut s’empêcher de chercher la petite musarose dans son comportement. Pourtant, Leiftan Tuarran est comme à son habitude, et le malaise qu’elle ressent en sa présence est similaire à celui qui la saisit à chaque fois qu’elle se retrouve en présence d’un gradé.
« Justement, je voulais voir avec vous les postes qui étaient disponibles, pour être la plus utile, répond-elle. Et puis, ça tombe bien, Helouri voulait vous demander s’il était possible de travailler à l’hôpital. »
Elle adresse un regard encourageant à son frère, parce qu’elle sait qu’il est en proie aux mêmes questions qu’elle. Ne rien laisser paraître, c’est le plus important.
Un sourire timide ourle les lèvres du jeune morgan mais comme d'ordinaire, Leiftan doit attribuer cela à sa réserve naturelle. Il complète les propos de sa grande sœur en arguant qu'il avait l'habitude de travailler sous la supervision d’Ewelein Osgiliath, à l'hôpital d'Eel et qu'il faisait principalement les tâches d'un aide-soignant.
« Dans ce cas, explique Leiftan, je pense que je pourrais directement vous fixer un rendez-vous avec la docteure Osgiliath et qu'elle pourra vous orienter vers une équipe qui a cruellement besoin de main d'œuvre. Cependant, certains patients actuels sont potentiellement dangereux car ils appartiennent au culte des adorateurs des fées. Ils seront traduits en justice lorsque leurs blessures seront guéries mais ne vous inquiétez pas, vous ne les approcherez pas. »
La voix du Conseiller est douce, comme d'habitude et Helouri ne parvient pas à y trouver le mal. Il doute fortement des propos de Rose et de Nelladel et songe plutôt que quitte à être à l'hôpital et même s'il ne sera pas autorisé à approcher l'ancien Second de l'Ombre, il tâchera tout de même d'en savoir plus.
Leiftan concentre son attention sur June et lui liste les différents postes qu'elle pourrait occuper :
« Quant à vous, June, en tant que gardienne, vous pouvez vous occuper de la sécurité des civils, en partenariat avec la Garde de l'Ombre ou bien travailler avec les guetteurs. Il y a également d'autres postes à pourvoir mais pour cela, il faut passer des évaluations de l'esprit car le travail est difficile. Par exemple, il s'agit d'effectuer de la surveillance en prison, contenir des prisonniers trop violents ou bien aller les nourrir. Bien entendu, ce genre de poste, personne n'en veut pour des raisons évidentes pourtant, ils pourraient vous garantir une bonne promotion et je suis certain que votre père en serait fier. »
Elle reste de marbre et fait semblant de réfléchir, même si le regard de détresse que lui lance discrètement Helouri la conforte dans l’idée qu’il sait déjà, comme elle, ce qu’elle va répondre au Conseiller. June force ses mains à s’immobiliser sur sa tunique et hoche la tête, très sérieuse.
« Vous avez raison, et puis ça pourra peut-être m’aider quand nous partirons à Odrialc’h, songe-t-elle comme si ça avait la moindre importance. Je ne suis pas spécialement enchantée à l’idée de travailler avec ce genre de criminels, mais il faut bien que quelqu’un le fasse, et si c’est là que je peux me rendre utile, je m’en occuperais volontiers. Sous réserve de l'évaluation bien sûr. »
Il est difficile de ne pas bouger, car malgré le danger inhérent au poste, les prisons sont l’endroit rêvé pour apprendre d’autres choses, répondre à d’autres questions, et surtout, en savoir plus sur cette fée. Même si elle doute pouvoir l’approcher directement, avec un peu de chance et beaucoup de doigté, il lui sera peut-être possible de se glisser jusqu’à elle.
« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais passer ces tests, déclare June. Je ne sais pas si je serais retenue, mais je ferai de mon mieux. Ce serait une bonne surprise pour mon père quand il sortira de l’hôpital ! »
Elle espère qu’elle n’en fait pas trop, mais en raison de sa petite taille et de ses traits juvéniles, nombreux sont ceux à la prendre pour une enfant tout juste bonne à essayer de marcher dans les traces de sa famille adoptive. Et June ne se prive jamais d’en jouer, surtout aujourd’hui…
« Je n'en doute pas, lui sourit le Conseiller, je suis certain que vous saurez vous illustrer à l'évaluation de l'esprit, et je suis content de voir que malgré la catastrophe, vous savez garder votre ambition. C'est important. »
Helouri sera donc affecté à l'hôpital d'Albacore, tout d'abord sous la tutelle d'Ewelein Osgiliath et ensuite, de la soignante qu'elle désignera. Le jeune morgan ne sera pas mis en contact avec Rose Clarimonde, mais il essaiera. Il voudrait obtenir ses propres réponses car pour le moment, il peine à croire certains points de ce qu'il a entendu.
June, elle, passera l'évaluation de l'esprit afin d'aller nourrir les prisonniers. Cela sera difficile, mais si elle souhaite approcher la fée ou Nelladel, alors il le faudra.
Tant qu'ils obtiennent leurs réponses, June et Helouri peuvent affronter cela.
Conversation entre Fawkes et Nelladel
Fawkes est pour le moins perplexe. Sa conversation avec Leiftan laisse le tumulte de ses pensées dans un maelstrom sans fin. Le renard ne sait plus où se situe la frontière entre le vrai et le faux. Il pense savoir, il veut se dire qu’il sait, mais il n’est plus sûr de rien. Les Typhons ont toujours œuvré pour le bien, quitte à revêtir le manteau des renégats. Mais les mots du Conseiller d’Eel mettent tout ça en question. Et puis, outre savoir où se situe Fawkes dans tout ça, la position de Nelladel se pose également.
L’elfe aux cheveux saphirs se fait raccompagner dans la geôle et jeter au sol sans aucun ménagement. Fawkes s’approche de lui et pose une main délicate sur l’épaule de l’elfe. Il se demande quelles sont les tortures qu’il a encore pu subir. Ils se sont promis mutuellement qu’ils sortiraient ensemble de cette prison. Seulement, Leiftan lui a assuré que jamais Nelladel Sequoïa ne sortira d’ici. Alors quoi ? Fawkes doit-il trahir Nelladel et l’abandonner à son sort ?
Quand il est sûr que plus personne ne peut les écouter, Fawkes ouvre la bouche :
« Nell’... je dois te parler de quelque chose. »
Et comme Nelladel relève les yeux vers lui, il lui raconte sa rencontre avec Leiftan. Sa venue dans les geôles, ce qu’il lui a raconté et surtout, sa proposition. Et quand le silence retombe, Fawkes attend. Il attend une réaction de son comparse de cellule.
L'elfe tente de reprendre ses esprits. Comme d'ordinaire et pour les interrogatoires, il a eu le droit à de terribles illusions qui l'ont contorsionné de douleur. Il respire avec difficultés puis, au fil des secondes, il finit par se calmer. Nelladel réalise ce que Fawkes est en train de lui raconter.
« Quoi ? » croasse-t-il.
Il laisse échapper une exclamation dédaigneuse. Finalement, cette ordure de Leiftan ne perd pas de temps. L'elfe essaye de déterminer ce que Fawkes pourrait lui apporter, il songe surtout à la récupération du cartel… Avec le renard-garou dans ses rangs, il lui suffirait d'utiliser Titan comme monnaie d'échange et peut-être que Sexta serait plus encline à l'écouter. Que représente le monde pour la vampire, après tout ?
Nelladel serre les dents. Il se déplace à croupeton pour se laisser aller contre le mur, puis demande à Fawkes :
« Et toi, tu le crois ? Tu penses vraiment que moi et les fées, on est des abrutis et que le cartel est dans le mauvais camp ? »
Il n'aurait pas tout à fait tort. Nelladel se considère comme un abruti capable de suivre les ordres d'une fée juste pour garantir la sécurité de son frère. Sauf que contrairement à un véritable abruti comme Rose Clarimonde, il a encore toute sa tête et la faculté de penser par lui-même. Mais le cartel, dans le mauvais camp ? Non, il n'y croit pas. Enfin… Maintenant que Titan n'est plus à sa tête…
« Non.. souffle Fawkes. Je refuse de croire qu’on se fourvoie depuis le début. Je refuse de croire qu’on fait fausse route. Mais je pense que Leiftan est assez tordu pour croire à sa réalité. Seulement… il faudrait être stupide pour ne pas voir que le Cartel n’a été qu’un ensemble de pion pour Candice. »
- Tu sais ce que j'ai entendu pendant qu'on me traînait hors de la salle d'interrogatoire ? Que Leiftan a voulu faire arracher les ailes de Candice. Juste pour le faire parler, à ce qu'il paraît. Ça, c'est bien son genre.
- Le Conseiller est l’être le plus fourbe qu’il m'ait été donné de voir. Que va-t-il te faire si je te laisse ici ? Et qu’adviendra-t-il de nous et du plan si on ne se sort pas de là ? Nelladel, je te laisserai pas entre ses griffes, mais… est-ce qu’accepter sa proposition ne peut pas nous ouvrir une brèche ? »
Toutefois cette brèche peut aussi se révéler à double tranchant. Si les intentions doubles de Fawkes sont comprises par Leiftan, alors nul doute que Nelladel en subira les conséquences. Si le renard était seul dans l’équation, ce serait beaucoup plus simple, mais là, il a un allié qu’il ne peut négliger.
L'elfe secoue la tête, le teint blême. Le plan de Fawkes aurait pu être applicable s'il n'avait pas à faire à Leiftan Tuarran. Nelladel est certain que dans sa proposition, il a sûrement déjà anticipé le fait que Fawkes se jouerait de lui pour tenter de s'échapper et faire échapper son camarade de cellule.
« Franchement, Fawkes, c'est beaucoup trop dangereux. Je suis sûr que ce monstre a déjà envisagé ça et qu'il fera tout son possible pour tester ta loyauté. Leiftan n'est pas quelqu'un qu'on peut tromper, j'en suis sûr. Nevra Mircalla et Rose en feront les frais, d'ailleurs, tu peux me croire. »
Nelladel ramène ses jambes contre son buste, tandis que Fawkes perd ses couleurs. Les épaules du renard s’affaissent. L’elfe commence à trembler et une grimace tord son visage alors qu'il poursuit :
« Fais pas ça, Fawkes. Tu t'y perdras, c'est tout ce que tu vas gagner. Faut qu'on survive comme on peut et qu'on s'échappe par nos propres moyens. Même si des fois, ça implique de faire des choses qu'on n'a pas envie de faire pour sauver sa vie ou celle d'un allié. »
L'elfe lève ses yeux aigue-marine vers son camarade de cellule. Ils sont humides de larmes, mais Nelladel tient bon. Hors de question de s'effondrer. Pourtant Fawkes sent qu’il ne lui dit pas tout et qu’il y a quelque chose qui lui pèse. Alors il avoue :
« Leiftan était là à mon interrogatoire. Il a dit qu'il était en train d'affamer Candice et que quelqu'un devrait lui être jeté en pâture. Ça pouvait être moi, mais si je voulais sauver ma vie, il fallait que je désigne celui qui prendra ma place. Ton nom est venu sur la table, mais j'ai refusé, évidemment. On peut pas se trahir entre nous, Fawkes. Alors à ta place, j'ai… J'ai… »
Il prend une grande inspiration, puis il confesse ce qu'il a fait :
« J'ai sacrifié la mère de Rose. »
Si Fawkes n’était pas déjà par terre, il serait tombé. Il sent ses jambes céder et son coeur faire une chute entre ses côtes. La mère de Rose. Le renard réalise que sa tête oscille d’un côté puis d’un autre quand il sent ses oreilles balloter.
« Non, t’as pas fait ça… Nelladel… Pas Rose… pourquoi elle ? »
La respiration du goupil est laborieuse et il devine déjà la douleur de son ancien binôme quand il apprendra que sa mère a été jetée en pâture à Candice. Et même s’il est rassuré de ne pas faire office de repas à la fée, Fawkes n’arrive pas à se réjouir de ce sursis. Le renard s’avance vers Nelladel et prend son visage en coupe pour le forcer à le regarder.
« On doit sortir d’ici ! On doit s’échapper avant de laisser plus de cadavres encore dans notre sillage. »
Fawkes a déjà tué. Il a déjà pris une vie pour sauver la sienne. Mais il se sent sur une pente glissante et il refuse d’échanger sa vie contre des dizaines d’autres innocentes pour le plaisir d’un boucher. Et si feindre l’allégeance n’est pas une solution, alors ils doivent trouver un meilleur plan. Compter sur Rose semble compromis s’il vient à apprendre que c’est Nelladel qui a sacrifié sa mère. Pourtant, le renard pose son front sur celui de l’elfe et ferme les yeux.
« Je… je te remercie de ne pas m’avoir offert à Candice. On sortira d’ici. Tous les deux. Mais je suis à cours d’options. Je pensais pouvoir jouer de la proposition de Leiftan.
- Je te déconseille d'essayer. Il est bien trop malin et il aura toujours un coup d'avance, voire plus, sur toi. On peut pas… On peut pas lutter contre lui. »
Mais en tout cas, le temps leur est compté. Quand Nelladel a proposé la mère de Rose à sacrifier contre sa vie et celle de Fawkes, le Conseiller était tellement ravie par la perspective de livrer Théodora Clarimonde à la fée qui était censée la guérir de sa maladie de l'esprit. Pour Leiftan, c'était si finement trouvé qu'il a clamé s'occuper, dès aujourd'hui, du rapatriement de la pauvre vampire à Albacore. De toute façon et après ce que Rose a fait, les Mircalla refuseront de la garder dans leur institut plus longtemps et n'auront que faire de ce qu'elle deviendra.
« C'était moi, toi ou elle, reprend Nelladel en secouant la tête, mais il faut qu'on se dépêche Fawkes… Je sais pas si on arrivera à s'échapper à temps pour récupérer la mère de Rose, mais faut essayer ! Après ça… Ce sera trop tard. Je sais pas ce qu'on nous fera. On nous coupera en petits morceaux pour les donner à Candice… Ou pire. »
Ou alors… Nelladel lève la tête et plonge son regard aigue-marine dans celui du renard-garou. Leurs options sont bien trop pauvres, mais pour s'échapper de la prison, ils ne peuvent pas compter sur leurs propres capacités physiques.
« Si. Il faut qu'on se jette en pâture à Candice. »
Face au regard perdu de Fawkes, Nelladel s'explique :
« Candice a beaucoup plus de force que nous. Tu as bien vu comment il a réussi à détruire la cité et à lutter contre les gardiens. Si Leiftan l'affame, c'est par menace, mais c'est aussi pour qu'il ne puisse pas retrouver toutes ses capacités physiques, j'en suis sûr ! Mais si on arrive à aller jusqu'à sa cellule en se livrant en pâture, on pourrait faire en sorte de lui jeter un garde, non ? »
C'est complètement insensé, mais c'est tout ce qu'il a. Dans les yeux de Fawkes, une lueur brille et oscille entre panique et espoir. Parfois, la frontière entre génie et folie est si mince qu’on ne la distingue pas. Fawkes est persuadé d’être en présence d’un de ces moments. Mais faute de mieux, il décide que c’est du génie. Son cœur bat si fort qu’on jurerait qu’il tente de fuir tant qu’il le peut encore, avant d’être entraîné de force dans une entreprise qui ne lui convient pas.
« D’accord. On va faire ça. Toi et moi, on va se livrer à Candice et on tournera la situation à notre avantage. Il faut seulement que notre reddition ne soit pas trop suspecte. Je vais faire appeler Leiftan. Je suis supposé demander à tout avouer pour lui prêter allégeance. Mais je n’avouerai rien. Je m’assurerai de le mettre plus en colère encore pour qu’il n’ait plus qu’une seule envie : nous jeter tous les deux dans la gueule de Candice. »
Fawkes souffle entre ses lèvres fines. Il n’est pas rassuré, mais il est déterminé. De toute manière, s’ils n’arrivent pas à se sortir de là, ils seront exécutés. Il se console en se disant qu’à défaut, il choisira l’heure et le couperet…
« Si ça te convient vraiment, alors je fais appeler Leiftan. Je compte sur tes talents d’acteur pour jouer la surprise, tente de lui sourire Fawkes. »
Nelladel hausse les épaules, serrant ses vêtements, les mains tremblantes. Il n'a aucunement l'envie de se retrouver face à une fée enragée et à devoir lui donner un dîner de substitution, mais il n'y a pas le choix.
Un pauvre sourire ourle ses lèvres, puis il répond :
« D'accord, mais tu devrais me refaire le portrait, dans ce cas. Si Leiftan voit qu'on s'est battu, il sera plus susceptible de croire à ton histoire. Tu n'auras qu'à me livrer à Candice avant de retourner ta veste et de te faire livrer, toi aussi. Il sera tellement en colère qu'il nous jettera tous les deux dans la cellule de Candice. »
Ensuite, ils devront repérer un garde à maîtriser tous les deux et quand ce sera fait, alors ils n'auront plus qu'à attendre l'ouverture de la cellule, puis à se débattre de toutes leurs forces pour s'échapper et y enfermer le garde, et eux avec. Pendant que Candice mangera, il ne s'occupera pas d'eux et après, tout ce qu'ils auront à faire, c'est d'attendre qu'ils reprennent ses esprits et qu'il détruise enfin sa cellule.
C'est risqué, mais ça en vaut la peine.
« J’avais dans l’idée de te la faire à l’envers, à toi aussi. Te vendre contre ma libération. Cela dit, si tu t’en prends à moi alors que Leiftan m’emmène, je serai bien obligé de t’en coller une. Si tu y tiens. »
Se battre devant le Conseiller ? Pourquoi pas, au moins ça l'amusera et si ça peut lui faire baisser sa garde, alors ce sera une bonne chose.
Nelladel hoche la tête. Il a repris ses esprits, alors il se remet debout en s'aidant du mur, puis répond :
« Faisons ça. De toute façon, tu es aussi abruti que ton ancien binôme, alors te cogner me fera plutôt plaisir, si tu veux savoir. Quand tu appelleras le Conseiller, je me gênerai pas pour t'en coller une ! Seulement fais attention à ne pas trop nous faire saigner, sinon ça fera saliver Candice et on ne doit pas lui servir de repas. »
Concernant Nelladel, il a déjà reçu une trompe dans l'épaule et ça lui a laissé un très mauvais souvenir ainsi qu'une cicatrice, alors il n'est pas prêt de répéter l'expérience. Il pourrait avoir de la peine pour le pauvre garde qui prendra sa place, mais malheureusement et pour s'enfuir de la prison, quelqu'un devra se sacrifier. Il préfère encore que ce soit un homme de main de Leiftan que la mère de Rose. Fawkes sourit, animé de cette nouvelle détermination. S’il pense pouvoir le faire saigner, Nelladel surestime peut-être ses capacités. Pourtant, le renard se relève et s’approche des grilles avant de siffler pour appeler un garde.
Et quand ce dernier passe la tête dans le couloir, Fawkes annonce :
« Faites appeler Leiftan Tuarran. J’ai des choses à lui dire. »
Il se voit dans un champ. L'herbe est haute, elle lui arrive au niveau du genou et au loin, l'horizon est clément. Il lui offre un rideau de verdure, de grands arbres magnifiques et bercés dans leur écrin, de jolies petites maisons de pierres aux jardins colorés. C'est peut-être ça, la graine de son idéal. Un lieu simple pour une vie simple, loin des tracas et des bruits de la ville. Loin du danger, de la mort et des obligations qu'il porte avec fatalité.
Quand il lève la tête vers le ciel, il est doux. La lumière se fait timide, comme pour préserver sa peau fragile et la brise fraîche fait voler ses longs cheveux sombres comme des rubans de nuit. Il la sent même s'engouffrer dans ses habits et quand il les regarde, il remarque qu'il porte le long vêtement blanc de l'hôpital. Mais au moins, il peut marcher.
Il a envie de rejoindre les maisons car l'une d'entre elles est la sienne, ou plutôt, celle qu'il aurait aimé avoir. Un beau foyer accueillant, avec des plantes et des fleurs aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Une demeure qui recevrait des visiteurs ravis de venir passer un instant de convivialité avec lui et un logis qu'il finirait par partager avec quelqu'un.
Quand il se plonge dans un songe comme celui-là, Rose réalise que même si sa vie avait été beaucoup plus agréable, il n'aurait souhaité rien d'autre qu'un quotidien simple, mais épanoui.
Le décor qui l'entoure est chimérique et il le sait. Seulement, s'il y pense, il s'évanouira et cela provoquera son réveil. Rose refuse de quitter le sommeil.
Quand il dort, il peut marcher dans un décor paisible, il peut évoluer dans une réalité bâtie par des désirs enfouis dont il ne soupçonnait même pas l'existence et quand il ferme les yeux, il n'est plus un adorateur des fées qui sera traduit en justice.
Il est un lâche et il fuit, il en a conscience. Mais ses fugues ont toujours une fin et quand il doit se réveiller, alors il reprend les rênes d'une autre fuite, pour sauver sa vie et peut-être même celles d'autres âmes comme Nevra ou Titan.
Rose ignore s'il en sera capable, mais il va essayer. Quand ses jambes seront guéries, il devra quitter cet endroit avant que Leiftan ne fasse de lui son nouveau jouet et le jette en pâture à Maître Candice. Il a été clément, la nuit où il lui a broyé la cheville, mais Rose sait qu'une fois dehors et à sa mercie, son indulgence aura disparu.
Il doit partir, c'est chose sûre.
Seulement, il aura besoin d'aide et quand il y pense, il se sent pris au piège dans une impasse. Rose ne sait pas comment dire "à l'aide", tout comme il ignore si quelqu'un sera disposé à l'épauler, en ces lieux.
Qui le fera ? Joseph ? June ? Yëvet ? Une personne de l'extérieur ? Il n'y croit pas. À moins qu'il existe quelqu'un de piégé, comme lui, mais qui ne se trouve derrière aucun barreau.
Rose doute qu'il puisse trouver une telle personne. Tant pis. Dans son rêve, il n'en a pas besoin alors, pendant qu'il dort encore, il se décide à marcher jusqu'à sa maison irréelle.
Ses jambes ne le font pas souffrir et contrairement à ce que lui avait dit le soignant, quand Leiftan l'avait jeté hors de son lit avant de lui écraser la cheville, il ne boîte pas.
Sa longue chemise de nuit d'un blanc cassé flotte autour de sa silhouette et le parfum de la nature l'enveloppe. L'endroit où il se trouve est une alcôve au beau milieu de la tempête qui l'attend à son réveil et comme toujours, ce dernier se présente bien trop tôt.
Une voix enthousiaste, le contact d'une main sur son épaule et le décor se disloque déjà. Les couleurs disparaissent et Rose se retrouve prisonnier de son corps douloureux, les yeux clos et la tête lourde. Il a l'impression que mille cheads courent sous sa peau et qu'un poids s'est abattu sur chacun de ses membres.
« Aller, Rose ! Il est déjà treize heures, là ! Vous avez fait la bringue, cette nuit, ou quoi ? »
Le jeune vampire ouvre un œil. La lumière du jour, filtrée par la grande fenêtre cintrée, face à son lit, l'éblouit quelque secondes avant qu'il ne parvienne à s'habituer. Revenant dans le monde réel, il reconnaît la grande main de Yëvet ainsi que sa présence enthousiaste. Elle est toujours là pour le réveiller quand il dort trop tard à son goût, comme maintenant.
Derrière son large sourire, elle s'inquiète, Rose le sait. Elle s'inquiète parce que ça fait plusieurs jours qu'il mange très peu et dort énormément.
« On va prendre le petit-déjeuner ? reprend Yëvet d'un ton jovial, je vais pas vous faire manger salé dès le réveil. Mais avant ça, vous avez besoin de l'urinal, ou pas ? »
Rose se tend machinalement, serrant sa couverture d'un geste crispé. La réalité est rude, avec ses jambes brisées et tous les gestes du quotidien qu'il est incapable d'accomplir par ses propres moyens comme se lever, se laver ou faire ses besoins. L'aide qu'il peut recevoir est vécue comme une humiliation et si Rose sait que Yëvet a un autre regard sur cela, il ne peut pas empêcher de s'empoisonner avec la honte.
Il ne lui répond pas, mais l'infirmière est fine et a appris à interpréter ce qu'il est incapable de dire, comme maintenant : oui, il a besoin de l'urinal.
Yëvet va donc le lui apporter et tirer le rideau avant d'aller préparer son plateau de petit-déjeuner et ensuite, elle viendra lui répéter des évidences que Rose sait déjà.
« Il faut manger, bonhomme. Vous avez perdu six kilos, c'est énorme. Un sac vide, ça tient pas debout, hein. Alors je veux que le plateau soit vide quand je vais revenir, d'accord ? »
Oui, il a perdu du poids, il en est conscient. Ça, c'est parce qu'il est faible et parce qu'il est lâche. C'est parce qu'il ressemble à un lapy qui se prend pour un alfeli, à essayer de voler vers la liberté avant de réaliser qu'elle lui est inaccessible.
Pourtant il essaye. Quand Rose se sent sombrer, il se reprend, il pense à Nevra, à sa mère qui sera sûrement transférée à l'institut public des maladies de l'esprit, à Rhenia-Gaear, pour les gens démunis. Là-bas, elle retrouvera un environnement beaucoup plus abrupt que celui d'Odrialc'h et surtout, un endroit bondé de patients et déserté par le manque de personnel.
Alors il doit sortir d'ici, il doit fuir l'hôpital d'Albacore avant d'être traduit en justice.
Mais s'extirper du néant, c'est difficile. C'est comme effectuer une ascension vers la lumière depuis l'enfer, alors qu'il serait plus aisé de se résigner, puis d'attendre la mort ou la prison.
Rose ne craint ni l'un, ni l'autre.
« Eh, Rose. Je rigole plus, là. Je vais quand même pas vous faire manger ? »
Le plateau n'est pas vide, bien entendu. Quand il la mange, la nourriture a le goût de la cendre et la faim a déserté son estomac. Rose est conscient que tout ceci est l'œuvre de son esprit, de la maladie du néant, sûrement et il est urgent qu'il se ressaisisse.
Il a la sensation d'être sous l'eau tout en sachant qu'il doit impérativement remonter à la surface s'il veut survivre, sans être capable d'y arriver.
« Finissez au moins le petit bout de pain ! »
Il le doit. Il doit quitter les ténèbres, nourrir son corps, se relever, réfléchir à une façon de sauver sa vie, de libérer quelques âmes comme Nevra, Titan… Il faut qu'il arrête maintenant, il faut qu'il se décide à cesser sa chute libre et à se réfugier dans ses rêves sinon, il n'y arrivera pas.
Rose regarde ses mains. Elles sont aussi fades que deux fleurs séchées et aussi blanches que de la viande malade. Il observe ses veines qui forment des chemins bleutés, ses doigts comme des brindilles et les os saillants qui lui rappellent ceux de ses côtes.
Quelle est la prochaine étape ? Il arrête définitivement de se nourrir ? Il refuse d'absorber le sang nécessaire à son organisme ?
Rose embrasse le décor de l'hôpital de ses yeux opalins. Il fixe la grande fenêtre cintrée qui donne sur la forêt bordant Albacore, puis les lits avec les autres patients. Chaque journée est différente par les visites que chacun d'entre eux peut recevoir, ou même les liens qui se tissent.
Chrome Talbot, par exemple, a sympathisé avec un vétéran de l'Obsidienne qui a bien cru qu'il ne connaîtrait jamais la retraite. L'expérience de cet homme est précieuse pour le jeune loup-garou impétueux, tout comme l'humour et la jovialité du dernier donne l'impression, au premier, de rajeunir de vingt ans.
Chrome s'approche souvent du lit de Rose pour lui rendre visite, aussi. Il vient uniquement quand il est persuadé que l'ancien Second de l'Ombre est endormi et si c'est souvent le cas, il y a des moments où Rose fait semblant, juste pour l'écouter parler.
Vous avez toujours été gentil avec moi. Si j'arrive à lire aujourd'hui, c'est parce que vous m'avez soutenu. Il paraît que vous êtes un adorateur des fées, mais j'ai du mal à le croire. Si c'est vrai, si c'est à cause de vous que la cité est tombée… Je peux vraiment pas croire ça ! J'y arrive pas. Vous auriez pas pu provoquer ça avec la fée en sachant que j'allais peut-être y rester, non ?
Chrome devrait croire à tout cela, pourtant. C'est la stricte vérité. Rose savait que la cité blanche allait tomber, mais il n'a rien fait et a suivi les ordres. Il savait qu'il y aurait des dommages collatéraux, que des personnes mourraient et que Chrome, comme June et bien d'autres en feraient partie, mais que c'était le prix à payer pour la mort de Leiftan.
Le jeune loup-garou ne devrait pas s'en faire pour quelqu'un d'insipide et Rose aimerait qu'il le sache.
Moi, je vous aimais bien comme Second. Les autres étaient juste jaloux, c'est tout.
Enthraa était jalouse, certes, mais elle avait toutes les raisons de l'être. Aujourd'hui, si elle peut diriger la Garde de l'Ombre, c'est parce qu'elle le mérite et c'est parce que Nevra Mircalla et Rose Clarimonde doivent payer pour ce qu'ils ont fait. Ce n'est qu'un juste retour des choses.
Mais au fond de lui, Rose remercie Chrome pour l'affection qu'il lui porte et le regard qu'il pose sur lui. Il n'a fait que jouer son rôle, quand il était Second de l'Ombre, tout en prenant son travail à cœur. L'apprentissage de la lecture, pour Chrome, en faisait partie et par la suite, celle de June.
Dans cette grande pièce hospitalière, il y a également Cristal qui rend régulièrement visite à son mari et futur Chef de l'Obsidienne, en attendant le réveil de Valkyon Batatume. Joseph pourra bientôt prendre ses fonctions. Il va beaucoup mieux et il veut faire honneur à son Chef en s'occupant de la Garde comme Valkyon l'aurait fait. Mais il se sent navré, aussi, pour sa famille.
« C'est injuste.
- Qu'est-ce qui est injuste ? avait demandé Cristal.
- C'est injuste que tu doive encore me soutenir alors que nous devrions partir pour Odrialc'h, afin que tu puisses réaliser ton rêve. On devrait être là-bas, en train de regarder les locaux à acheter pour ta boutique, avec moi en train de réfléchir à ce que je pourrai rénover… »
Rose ne peut pas les voir, de là où il se trouve, au fond de son lit, mais quand Joseph et Cristal Ael Diskaret discutent ensemble, ils s'enferment dans une bulle que seul un couple marié et amoureux, depuis de longues années, peut bâtir.
« Et alors, chéri ? Qu'est-ce que c'est, quelques mois ou quelques années en plus ? Je préfère être ici avec toi, qu'à Odrialc'h, mais veuve. Tu feras de ton mieux, comme tu l'as toujours fait et moi, je ferai aussi de mon mieux.
- Mais Cristal, ce n'est pas comme ça que les choses auraient dû fonctionner…
- Parce que tu sais comment fonctionne la vie, toi ? avait rit Cristal, Écoute, Joseph, on est une équipe. Ça fait vingt-quatre ans qu'elle fonctionne, quand même, alors on s'en sortira. »
Rose avait appris, ce jour-là, que June et Helouri se sont portés volontaires pour pallier au manque de personnel dans divers domaines. Si le jeune morgan allait travailler à l'hôpital, June devait passer des évaluations de l'esprit pour un poste plus complexe.
Cristal, quant à elle, a prévu de se rendre à Amzer, le village des morgans, afin de retrouver sa famille et de demander des vivres ainsi que du matériel médical. Elle est certaine que toute la population locale sera d'accord pour prêter main forte à la cité d'Eel.
Rose s'est demandé si leurs parents viendraient leur rendre visite, après avoir eu vent de la catastrophe, mais il a pu obtenir la réponse : ils étaient trop âgés pour entreprendre un voyage jusqu'à Albacore, alors ils devaient attendre les nouvelles avec anxiété.
Cristal ira les rassurer.
« J'aimerais emmener Helouri et June, mais je pense qu'ils seront occupés.
- Si la Garde envoie des véhicules pour rapatrier le matériel, peut-être qu'ils pourront venir. Ça fera du bien aux enfants de voir leurs grands-parents. »
Un petit rayon de soleil dans la tempête qu'ils sont en train de vivre et Joseph trouve que c'est une excellente idée. Ses parents, ainsi que ceux de Cristal, sauront égayer les journées de certains civils, malgré leurs grands âges, en racontant des histoires ou bien en aidant certaines familles à la préparation de médicaments ou de plats cuisinés.
Forts de cette conversation, Joseph et Cristal se sont séparés sur cette note plus joyeuse, car le grand morgan doit se reposer pendant que son épouse doit prendre rendez-vous avec l'Étincelante pour proposer le trajet jusqu'à Amzer.
Quand elle est passée devant son lit, Rose a surpris un coup d'œil furtif, ainsi qu'un pauvre sourire. Elle a semblé hésiter, puis elle s'est finalement approchée pour le saluer en chuchotant :
« Bonjour.
- … Bonjour. »
Surpris, Rose l'a regardé comme s'il attendait des reproches de sa part. Il pensait aussi qu'elle chuchotait parce que son mari n'aurait pas apprécié qu'elle adresse la parole à un adorateur des fées mais en réalité, c'est parce qu'elle craignait de réveiller Valkyon avant de se rappeler qu'il dormait bien trop profondément.
Cristal a croisé les mains sur le devant de sa robe avant de demander d'un ton aimable :
« Vous avez pu lire tous les livres que June vous a apportés ?
- Pas tous, mais vous pouvez les reprendre, je… Je n'ai pas très envie de lire. »
Il n'en a pas le cœur, parce que son esprit est tourné vers le procès qui l'attend, mais aussi vers le Conseiller. Cristal a hoché la tête, puis s'est approchée de la pile de livres pour faire le tri, en reprendre quelques-uns, grognant contre June qui n'avait pas choisi les plus intéressants.
« Je comprends pourquoi vous ne lisez pas ! Le dictionnaire, franchement… »
Les bras chargés, elle lui a dit qu'elle viendrait avec des ouvrages plus passionnants, avant de quitter les lieux. Il n'y avait eu aucun jugement ni aucune méfiance dans sa voix ou l'expression de son visage, si bien que Rose ne pouvait pas déterminer ce qu'elle pensait.
Qu'est-ce que Joseph pensait de lui, aussi ? Était-il un adorateur des fées, à ses yeux, qui méritait la prison ou bien de se faire jeter en pâture à l'un de ses maîtres ?
Qu'importe, il ne peut pas leur faire confiance.
« Rose, le petit bout de pain ! »
Le jeune vampire a un violent sursaut quand la voix de Yëvet le ramène à la réalité. Il fixe son plateau comme s'il était en train d'en découvrir le contenu. Sa tartine de pain siège toujours dans sa main, lui inspirant une lassitude sans pareille et le dégoût d'une nourriture que Rose veut refuser à son corps. Pourtant, il la porte à sa bouche et se met à la mâchonner du bout des dents. Il se répète qu'il doit vivre et si ce n'est pas pour lui-même, alors c'est pour quelqu'un qui compte sur lui, au cœur de sa prison dorée.
Je décide que tu décides.
Qu'est-ce qu'il est en train de faire, à se négliger ainsi ? Il n'en a pas le temps ! Ça file, les jours passent et dans sa tête, hormis le noir le plus total, il n'y a même pas l'ébauche d'un plan. Qu'a-t-il fait à dormir et à rêver une vie qu'il n'a jamais pu bâtir ? Ce n'est pas comme ça que l'on survit.
Mâche ton pain, Rose, lui dit la voix de Nevra, dans sa tête, Mâche ton pain, avale le sang que l'on te donnera et réfléchit bien. Tu vas trouver.
Oui, mais c'est lourd. L'espoir est lourd sur ses épaules et tout ce que Rose a, c'est un crochet planté dans son nombril pour l'attirer vers les ténèbres. Un frisson de panique le saisit et il s'attrappe machinalement le ventre pendant que son sang cogne contre ses tempes.
Il se sent mal, il craint de perdre la raison, il a peur de vivre et de ce qu'il pourrait vivre mais plus que tout, il est terrifié à l'idée de prendre les rênes de sa propre existence.
Si personne n'est là pour lui dire ce qu'il serait judicieux de faire, à quoi peut-il penser ?
Il s'adosse contre la tête de son lit et ferme les yeux. Les brumes du déni lui montrent les belles images qui ont accompagné sa nuit, avec ses jambes guéries, sa maison, son jardin et un ciel clément. Seulement, la réalité ne le laissera pas tranquille et les souvenirs d'un vécu pénible envahissent son esprit.
Tu veux de l'argent pour ta maman, Rosie ? Je peux t'en donner, mais en échange, tu me donneras ton sang…
Des murs sombres, deux yeux d'un vert étincelant, maudit, puis une lame qui court sur son dos pendant qu'un rire trop doux se porte en écho. Il y a des jeux malsains que Rose a connu pour pouvoir protéger le maigre objectif qui a régi sa vie et quand il regarde tout cela depuis son lit d'hôpital, il a les yeux humides.
Il y a un ennemi bien vivant, que Maître Candice n'a pas pu tuer et qui l'attend pour lui infliger les sévices les plus tordues dont il est capable.
Tu vas me dire que tu obéis. Si tu le fais, je te laisse respirer. Sinon, tu vas devoir plonger ta tête là-dedans, autant de fois qu'il le faudra.
"Là-dedans", c'était un souvenir que Rose avait mis sous clé. Peut-être qu'il parvient à le voir de nouveau parce que la vie elle-même cogne contre sa prison noire pour se libérer pourtant, il aurait voulu oublier. Ce souvenir-là et tous les autres impliquant Leiftan et ses plaisirs morbides.
"Là-dedans", c'était une cuve où ceux qui ont failli aux ordres du Conseiller se sont vidés de leur sang après avoir eu la gorge ouverte. Leiftan s'amusait beaucoup du fait que Rose soit un vampire et qu'il puisse osciller entre faim et terreur, là, la tête dans la cuve et ses cheveux poisseux, prisonnier d'une main de fer.
Il fallait qu'il apprenne la peur, selon le Conseiller et il fallait que cette peur ait un visage inoubliable.
Ça s'arrêtera quand tu arrêteras de pleurer, Rosinette. Je ne t'ai jamais autorisé à le faire.
« Ah ! Ben c'est bien mieux, quand même ! Vous avez tout mangé, je suis fière de vous ! »
Le sourire de Yëvet s'efface devant le teint blême du vampire. Elle lui demande ce qui ne va pas, mais Rose est incapable de lui répondre. Il fixe son plateau d'un air vide, pendant que l'infirmière se saisit du tabouret pour s'asseoir à ses côtés. Elle pose une grande main sur son épaule et après quelque secondes où Rose s'est perdu avec lui-même, elle lui glisse d'une voix chaleureuse.
« Vous pouvez pleurer, vous savez. C'est pas interdit. »
Mais le jeune vampire secoue la tête. Il a la gorge sèche, il a les yeux qui brûlent, mais il est incapable de verser des larmes pour lui-même. Quand elles parviennent jusqu'au bord de ses paupières, c'est que le mal atteint une partie de son cœur où Leiftan n'a aucune emprise. Celle qu'il a donné à un homme, sans aucun espoir de recevoir la sienne, par exemple.
« Eh, Rose, reprend, Yëvet, de tout façon, vous savez quoi ? Vous allez bientôt voir la docteure Osgiliath. Va falloir faire une belle évaluation de l'esprit, bonhomme.
- Non, répond immédiatement le vampire.
- Vous avez pas trop le choix. C'est pour votre dossier, pour la justice. C'est un Grand Juge qui a demandé ça, et c'est pas plus mal.
- Pourquoi ? »
Parce que Yëvet ne le croit pas coupable. Il est son patient et voilà quelques semaines qu'elle s'occupe de lui, alors si elle pense qu'il a commis les actes qu'il a commis, elle croit qu'il y a été contraint.
Selon elle, il y a "des gens qui sont capables de faire faire des choses à d'autres". Des personnes qui savent manipuler les autres et se faire obéir alors, peut-être, qu'il y a quelqu'un qui a blessé Rose dans son esprit pour faire de lui sa marionnette et son souffre-douleur.
« Si vous parlez, la docteure Osgiliath et le Grand Juge pourront mettre le doigt dessus. Mais si vous dites rien, ça va être compliqué. »
Il faut qu'il y réfléchisse. C'est peut-être sa porte de sortie et s'il pense correctement, alors il pourra s'en tirer et permettre à d'autres d'être innocentés. Enfin pour cela, il faudrait qu'il arrive à tirer son épingle du jeu et à être capable d'aligner des idées intéressantes pendant l'évaluation de l'esprit.
« Bon ! Je vous mets sur le pot de chambre ? demande Yëvet avec son enthousiasme naturel.
- Non, merci. »
L'infirmière se remet debout et lui dit qu'il doit sonner la petite cloche, s'il a besoin de quelque chose et que de toute manière, ce soir, il devra prendre son bain, se laver les cheveux et que ses bandages seront changés. Rose en est fatigué d'avance, mais il sait qu'il n'a pas le choix.
Pour le moment, il a une après-midi complète pour reposer son esprit. Tout ce qu'il veut, c'est plonger de nouveau dans les limbes d'un sommeil clément, ou personne ne lui impose une évaluation de l'esprit, un bain, un repas et où Leiftan n'existe pas.
Il ne demande qu'un champ d'herbe verte avec une brise légère et les effluves d'une nature paisible. Un paysage sans violence avec un soleil pâle, soucieux de sa peau fragile, ainsi qu'une jolie maison de pierres. Peut-être qu'il arrivera à l'atteindre, cette fois pour en découvrir l'intérieur. Peut-être que quelqu'un sera là et peut-être qu'alors, il pourra proposer quelque chose à boire à son invité chimérique. Une tasse de thé, par exemple.
Rose plonge. Son souffle ralentit, les battements de son cœur retrouvent une paix beaucoup plus douce. Seulement, si son esprit choisit d'abdiquer pour embrasser l'illusion, la réalité le rappelle encore une fois.
Une clochette sonne.
Quelqu'un appelle un soignant pourtant, le son est étrange. Il est incertain, perdu, le résultat d'un mouvement malheureux et Rose tâche de le sortir de sa tête pour s'endormir.
Mais la clochette sonne encore et quelqu'un déplace sa couverture. Le froissement du tissu accompagne une respiration lourde, rauque, un râle qui revient de loin.
Les paupières de Rose s'entrouvrent.Par Max PhylisL'Éveil
La clochette sonne une nouvelle fois pendant qu'un esprit profondément endormi retrouve la lumière du jour et Rose se redresse, le cœur battant, pendant que Yëvet et Lilymoe se précipitent vers le lit voisin du sien. Ils s'engouffrent derrière le rideau et leurs voix chevrotantes d'émotion appellent le guerrier en éveil.
« Restez avec nous ! Restez avec nous ! » s'écrie l'infirmière.
Rose fixe le rideau, tremblant, les mains moites. Quelqu'un se met à tousser, quelqu'un d'autre se précipite pour aller chercher de l'eau et bientôt, d'autres personnes affluent vers le lit de Valkyon, dont Chrome et Joseph Ael Diskaret.
Joseph…
Une voix profonde tente d'aligner les syllabes pendant qu'une autre, émue, lui intime de prendre son temps et d'économiser ses forces.
« Laissez-lui de l'espace, s'il vous plaît ! » s'exclame Lilymoe.
Mais Valkyon a une autre demande à faire, même si formuler un nouveau nom lui tire quelques bribes d'énergie. Peut-être parce qu'il a besoin de savoir si celui qu'il avait dans les bras avant de s'évanouir, est en vie.
Rose ?
Silence. Dans la tête d'un jeune vampire, les ténèbres sont éclipsées par la voix d'un seul homme et il regarde, éperdu, la grande main de Yëvet tirer le rideau qui le sépare de Valkyon pour lui dévoiler sa silhouette.
« Ça va aller, Chef, regardez : il est là, Rose. Il a les pattes en vrac, mais il va bien. »
Le Chef de l'Obsidienne, le torse couvert de pansements et la respiration lourde, tourne la tête avec difficultés. Enfin, quand il plonge son regard ambré dans les yeux opalins de Rose, un frêle sourire ourle ses lèvres fatiguées, soulagé de constater que la mission qu'il n'avait pas pu mener à bien a fini par être accomplie malgré tout.
Et Rose se met à pleurer.Les Choix
Pour la constitution de son dossier judiciaire, un Grand Juge responsable de l'affaire de l'Eel rouge a demandé à ce que Rose suive une évaluation de l'esprit. Cette dernière sera opérée par la docteure Ewelein Osgiliath.
Cette évaluation de l'esprit est une évaluation psychologique qui permettra de déterminer si Rose est responsable des actes qu'il a accomplis ou s'il se trouve sous l'emprise d'une tierce personne.
Cette évaluation de l'esprit peut être l'occasion pour Rose de tourner la situation à son avantage, mais qu'est-ce qu'il serait judicieux de faire ?
Infos : Attention avec ce choix. Vous avez la possibilité de tout mettre sur le dos de certaines personnes, mais il faudra bien entendu en assumer les conséquences sur le long terme. Pour vous aider, une petite note sera mise entre parenthèses pour vous indiquer ce qu'il serait susceptible d'arriver.
➜ Tout mettre sur le dos de Candice Milliget (Le reste de la famille Milliget deviendra l'ennemie)
➜ Tout mettre sur le dos du cartel des Typhons (Il ne sera plus possible de revenir vers Sexta)
➜ Dire la vérité et parler des actes de Leiftan (reste à savoir si l'on sera cru…)
➜ Plaider la folie (Ce choix implique directement une mise sous tutelle)
➜ Choisir une autre coupable (le préciser dans votre vote)
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June doit passer des tests afin de savoir si elle est capable d'occuper un poste à risques. Mais qu'est-ce que cela lui réserve ? Lorsque tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Fawkes a fait son choix. Avec Nelladel, ils ont monté un plan et sont déterminés à le mener à bien, même s'il est dangereux !
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, viens me trouver par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
J'espère que vous allez bien en ces journées froides et pluvieuses et comme vous avez pu le constater… Je me suis trompée de jour pour la publication. Si si. J'aurais dû vous publier le chapitre hier, donc mardi, mais j'étais persuadée que c'était aujourd'hui. Donc navrée pour cette petite erreur comme quoi vous voyez, la fin de l'année n'est pas mal du tout. XD
Mais voilà le petit chapitre et même si vous commencez à avoir l'habitude, je vous donne tout de même l'avertissement :
La première partie en RP avec MayaShiz et Waitikka peut-être particulièrement difficile car on plonge à pieds joints dans l'horrifique. mes sensibles, s'abstenir !
Le corps même du chapitre n'est pas mieux car comme vous allez vous en apercevoir, il y a des descriptions assez peu attrayantes.
Mais comme je vous l'ai déjà dit, cette fiction est horrifique donc nous allons continuer à couler tout droit vers les abysses.
Mais faites tout de même attention en lisant !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 6 - Évaluation Mentale
Le plan de Fawkes et Nelladel, pour la liberté
« Faites appeler Leiftan Tuarran. J’ai des choses à lui dire. »
Ce sont les mots de Fawkes quand le garde daigne lui accorder de l’attention. Le cœur du renard accélère mais il fait de son mieux pour se contenir et garder son sang froid. Il joue gros sur le coup et ne peut pas se permettre de tout faire foirer, même si sa nervosité reste légitime étant donné ce qu’il s’apprête à faire. Sauf que le garde ne disparaît pas pour aller chercher le Conseiller : s’approche de la cellule.
« Que veux-tu au Conseiller ? » lui demande-t-il sèchement.
Fawkes déglutit et tourne légèrement la tête pour aviser Nelladel derrière lui.
« Je… je veux tout avouer, » confesse le renard tout d’un bloc.
Derrière lui, Nelladel doit feindre la surprise. Il sait que c'est capital, s'il tient à ce que leur plan réussisse, alors il ouvre des yeux ronds et lance d'une voix qu'il rend lourde de fausses menaces :
« Avouer ? Qu'est-ce que tu veux avouer ? »
De l'autre côté de la cellule, le garde lui jette un regard en biais pendant que la suite du plan continue. Fawkes fait mine d’ignorer Nelladel dans un premier temps et insiste auprès du garde en le pressant :
« J’ai un marché avec lui. Faites le appeler. Maintenant. »
La magouille est lancée. Le garde doit déjà être persuadé que Fawkes trahi son compagnon de cellule et c’est tant mieux. Alors le renard fronce le nez et ses oreilles se couchent en arrière. Quand il se retourne, sa queue fouette l’air nerveusement.
« Crois pas un seul instant que je vais continuer à subir ces interrogatoires si j’ai une porte de sortie. Je te dois rien. »
Nelladel laisse échapper un grondement de rage et se précipite vers son compagnon de cellule sous le regard suspicieux du garde. Il doit faire semblant de maudire Fawkes, de voir la situation lui filer entre les doigts et de se sentir trahi. S'il était réellement abandonné par le renard, si ce dernier voudrait l'échanger contre la liberté en le condamnant à se faire dévorer vivant par une fée, que ferait-il ? Que dirait-il ?
« Un marché ? crache-t-il, avec un type pareil ? C'est ça, ton plan ? Alors que je t'ai fait éviter le pire ! »
Il le dégoûte, il doit le dégoûter et Nelladel doit se forcer à ressentir une rancune sans pareille envers Fawkes s'il veut que leur altercation soit crédible, alors il le crie avant de frapper le renard à l'épaule.
« Tu me dégoûtes ! T'aurais dû te faire bouffer ! »
Fawkes le repousse, même s’il ne porte pas de coup. Il feule presque entre ses dents aux mots de Nelladel. Dans sa tête, il visualise la situation. De lui qui vend l’elfe pour sa salvation. Après tout… il peut encore le faire. Rien ne l’empêche de réellement passer un marché avec Leiftan. Et alors Nelladel aurait bien raison d’être dégoûté. Fawkes a un rictus et renifle de dédain.
« Tu sais ce qui nous différencie, toi et moi ? Demain matin, je respirerai encore ! Certains choix s’imposent. Regarde où on est. Ta fée va devoir bouffer, mais je peux m’y soustraire. C’est ce que je fais. Trouve tes propres solutions. »
Le renard pare un coup de Nelladel, mais il est chassé sur le côté de la cellule et se plaque aux barreaux froids.
« Mais je crois que t’as conscience de ce qui t’attend. Me refaire le portrait changera pas la situation. »
Cette fois-ci, Fawkes appuie ses mots d’un geste. Un coup dans le ventre qui plie l’elfe et comme il tient à éviter de le faire saigner, il lui flanque son genou dans la pommette au lieu du nez. Ça fera mal, il aura un hématome, mais il ne se videra pas de son sang.
L'elfe, plié en deux, se met à tousser violemment jusqu'à vomir d'épais filets de salive. Là, à genoux, avec un bleu en train de fleurir à l'endroit où Fawkes l'a frappé, il amuse beaucoup le garde qui a l'impression d'assister à deux familiers empoisonnés en train de se battre pour un antidote. Il sait que le Conseiller appréciera tout cela.
« C'est bon, laisse-le, indique-t-il à Fawkes, je vais t'emmener voir le Conseiller. Ça tombe plutôt bien, il devait passer saluer la petite fée. Elle va pouvoir manger. »
Dans un cliquetis, le garde déverrouille la cellule de Fawkes et Nelladel. Il passe les fers au premier, relève le second d'un geste brusque et l'attache à son tour. À présent, ils doivent descendre, tous les trois, vers le rez-de-chaussée. Là, face à la grande salle bardée d'illusions, Fawkes et Nelladel sauront qu'ils ne pourront plus reculer et que leur seule échappatoire, ce seront des murs détruits par Candice.
Les marches se succèdent, le garde ne dit plus rien et enfin, proches de leur destination, ils entendent la voix doucereuse de Leiftan qui leur provoque des frissons de dégoût ainsi qu'une autre voix, beaucoup plus enjouée.
Nelladel, qui fixait ses pieds, lève la tête. Quand il aperçoit des cheveux cendrés, il plisse ses yeux aigues-marines, blêmit, puis s'ordonne mentalement de faire semblant de ne pas la reconnaître.
« Et donc je disais, June, achève le Conseiller d'un ton poli, que si vous ne craignez pas l'image de la mort, alors ce test devrait être facile pour vous. »
June fronce les sourcils, et lorsque son regard croise celui des deux détenus, elle fait de son mieux pour ne pas sursauter. A la place, elle laisse la surprise éclairer brièvement ses prunelles améthystes : il serait étrange de faire comme si elle ne reconnaissait pas Nelladel, puisqu’elle en a parlé au Conseiller lors du discours de Miiko Yamamura. Ses yeux glissent sur l’elfe suffisamment vite pour ne pas être suspects, puis appréhendent également Jens Red, le renard qui a sauvé Helouri. Cette fois, elle ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux, et se mord la langue pour ne pas laisser échapper un commentaire malencontreux.
« Je… » hésite-t-elle, un peu déstabilisée.
Elle déglutit, s’arrache un sourire poli et se force à détourner le regard des deux prisonniers.
« Je ne sais pas s’il existe des gens qui ne craignent pas l’image de la mort, répond-elle prudemment. Je vous mentirai si je vous disais que c’était mon cas, mais en tant que gardienne, j’ai appris à composer avec.
- C'est ce que nous verrons. » sourit Leiftan.
Se détournant de June, il indique au garde, d'un signe de tête, de lui expliquer la présence des deux prisonniers. Ce dernier s'approche pour lui murmurer à l'oreille et le visage du Conseiller s'éclaire comme si on venait de lui annoncer uneexcellente nouvelle. Mettant les mains derrière le dos, il plisse ses yeux émeraude, puis reprend d'un ton très calme :
« Bien, June. Comme je vous l'ai expliqué en chemin, la principale difficulté de cette prison est la gestion du prisonnier qui a ravagé notre belle cité. Il faut un contrôle absolu sur sa nourriture sans quoi, il sera capable de retrouver assez de force pour tout détruire et s'échapper d'ici. Si vous réussissez le test que je vais vous proposer, alors vous serez celle qui contrôlera la nourriture de la fée prisonnière et je vous garantie que lors de votre transfert pour Odrialc'h, vous intégrerez l'escouade directement commandée par la Capitaine. »
Seulement, pour obtenir une place de ce genre, il faut se salir les mains et c'est ce que Leiftan veut faire comprendre à la fille de Joseph Ael Diskaret. Cependant, il est ravi que Fawkes ait accepté son petit marché. À en aviser le visage marqué de l'elfe, ils se sont battus et s'il le pouvait, le Conseiller s'amuserait volontiers de la trahison qu'il a pu subir. Il le fera tout de même car il ne peut pas manquer une si belle occasion.
« Vous voyez ces deux prisonniers ? poursuit Leiftan en désignant Fawkes et Nelladel du menton, le renard-garou est un membre du cartel des Typhons qui est entré à Eel sous une fausse identité. Il a participé à la catastrophe car son cartel était de mèche avec la fée. Le second, l'elfe, vous le connaissez déjà alors je ne vais pas refaire les présentations. Vous voyez, June, j'ai proposé à Fawkes, le renard-garou, d'alléger sa peine s'il avouait tout ce qu'il savait et visiblement, il a décidé de me parler. Mais l'elfe ici présent, qui a commis des crimes, à commencer par adorer les fées et plonger notre belle cité dans le chaos, doit maintenant payer pour ce qu'il a fait. Nous allons donc rendre visite à la fée, et vous pourrez voir comment on contrôle la nourriture, qui est encore vivante pour le moment. »
Bien entendu, Leiftan se garde d'expliquer à June que le sacrifice de Nelladel faisait partie du marché. Mais pour tester la loyauté de Fawkes, le renard devra regarder son ancien compagnon de cellule en train de se faire dévorer.
La jeune femme reste muette de longues secondes, le temps d’intégrer les informations qui se présentent à elle. Contrôler la nourriture de la fée, ça signifierait pouvoir l’approcher, et elle a des milliers de questions qu’elle veut lui poser. A supposer que le monstre accepte de lui répondre… Puis son regard se pose sur Jens Red, et elle se demande ce qu’elle aurait fait à sa place. Aurait-elle trahi ses compagnons pour avoir la vie sauve ?
Les dernières paroles du Conseiller la frappent. Qui est encore vivante pour le moment. June sent le sang quitter ses joues. Sa bouche est soudain très sèche, et elle doit déglutir plusieurs fois, alors que ses mains échappent à son contrôle pour venir agripper si fort sa tunique qu’elle menace de se déchirer.
La nourriture, c’est Nelladel. June sent la nausée tordre son ventre, et il lui faut toute sa maîtrise d’elle-même pour ne pas bouger. Soudain, toutes les informations données par l’elfe et par Rose sont remises en perspective… Ils soutiennent que les fées sont les véritables souveraines d’Eldarya, mais comment vénérer un peuple qui dévore ses sujets ? La jeune femme prend conscience qu’elle est silencieuse depuis un moment, alors elle se force à hocher la tête, sans oser regarder le Conseiller. A la place, elle fixe un point quelque part entre la tête de Fawkes et celle de Nelladel.
« Je devrais… Lui donner à manger… combien de fois par jour ? » demande-t-elle.
Leiftan ne quitte pas June des yeux. Il observe chacune de ses réactions, du sang qui quitte son visage aux tremblements qui peuvent la parcourir. Si June est incapable de supporter le travail que l'on va lui demander de faire, alors elle devra ingérer une potion d'oubli et elle sera transportée à l'hôpital d'Albacore, comme ses prédecesseurs qui se sont crus malins et invulnérables.
« Une seule fois par jour, explique le Conseiller comme s'il parlait d'un familier, tout d'abord, la nourriture doit être tuée. Si elle est présentée vivante à la fée, il sera impossible d'en contrôler les quantités et le lui retirer est très compliqué. Quand elle est morte, la nourriture est conservée dans du sel mais avant cela, elle doit être découpée en morceaux. Démembrée, pour être plus exact mais ne vous inquiétez pas, June, ça ne sera pas votre travail. Tout ce que vous devrez faire, c'est vous présenter à la prison d'Albacore à heure fixe pour nourrir la fée et noter scrupuleusement ce que vous lui avez donné à manger. L'abattage de la nourriture est réalisé par un exécuteur qui se charge lui-même de la découpe. Vous, vous ne vous occupez que de nourrir la fée. »
Lui adressant un sourire trop doux, Leiftan pose une main amicale sur l'épaule de June avant de se diriger vers l'immense porte de fer, accompagné du garde, puis de demander un maître des arcanes afin de les guider jusqu'à la cellule de Candice Milliget.
Bien entendu et à chaque fois qu'elle entend la porte s'ouvrir, la fée se met à hurler de rage.
Nelladel sent une sueur froide couler le long de sa colonne pendant que ses yeux s'humidifient. Le garde et June doivent penser que c'est à cause de la peur de la mort alors qu'en réalité, c'est la peur de l'échec qui le paralyse.
Le protocole décrit par le Conseiller fait froid dans le dos à Fawkes. Il ne peut s’empêcher d’imaginer Nelladel subir cette exécution et cette découpe. Leiftan Tuarran ne semble éprouver aucun remord, aucun scrupule à déshumaniser comme ça les proies qu’il jette en pâture à la fée. Sa queue rousse tique dans son dos et il se retient fort de coller son épaule à celle de Nelladel, alors qu’ils marchent, pour lui témoigner son soutien. Il ne laissera pas cela arriver. Il se retient fort, parce qu’il soupçonne Leiftan d’avoir des yeux derrière la tête. La présence de June en ces lieux, par contre, le surprend. Il sait la fille adoptive des Ael Diskaret très volontaire, mais à ce point ? Pour ce genre de mission ? Elle ne sait pas dans quoi elle vient de mettre les pieds. Tout ce qu’espère Fawkes, c’est que ce ne soit pas elle qu’ils aient à offrir à Candice.
June, elle, n’a pas pu s’empêcher d’émettre un son étranglé qui oscillait entre le ricanement nerveux et le couinement d’un minaloo blessé après les explications du Conseiller. En se proposant de travailler à la prison, elle imaginait servir une bouillie infâme aux prisonniers, et sûrement pas les prisonniers eux-mêmes ! Son esprit d’ordinaire si pressé ne peut que se focaliser sur l’idée qu’elle va devoir regarder Nelladel se faire dévorer, et qu’elle ne peut absolument rien faire pour éviter ça. Elle ne peut que suivre l’homme qui la guide, en essayant de retenir son dernier repas qui menace de salir le sol. Peu importe les crimes commis par les prisonniers, personne ne mérite d’être mangé, et elle n’est pas certaine de supporter le spectacle.
Le maître des arcanes finit par répondre à l'appel. Il s'agit d'un faune voûté, tenant son crâne de cristal comme s'il était la plus belle merveille du monde. Seul guide dans un dédale d'illusions, il est leur clé d'entrée et de sortie. C'est ce que Leiftan, son garde et June croient, mais Nelladel sait que c'est faux. Il tente de maîtriser sa respiration puis, se souvenant qu'il doit avoir l'air d'un parfait condamné à mort, la laisse s'emballer. Il rassemble ses idées, songe à la victime parfaite qu'il pourrait offrir en pâture à Candice, puis pense à quelque chose. Il croit que c'est la bonne solution et Fawkes comprendra.
Faisant semblant d'avoir les jambes qui se dérobent, il chute au sol et laisse les larmes inonder son visage. Le maître des arcanes s'arrête et comme il l'avait prédit dans sa tête, le garde de Leiftan se précipite vers lui. D'un coup de pied dans la cuisse, il lui somme de se mettre debout, mais Nelladel refuse en secouant vivement la tête. Il se met à crier à l'injustice, à insulter Fawkes, jusqu'à ce que le Conseiller s'avance en ordonnant d'une voix trop douce :
« Ce n'est pas grave. Porte-le ou traîne-le au sol. »
Le garde maugré, mais attrappe Nelladel par les fers et se met presque à le traîner. L'elfe, lui, songe que la victime de Candice est choisie. Le contact est lié entre Nelladel et le garde. C’est comme si le pauvre bougre était déjà enfermé avec Candice à ce stade et Fawkes le comprend bien. Lui, il s’est reculé d’un pas, quand Nelladel s’est encore mis à l’insulter, comme s’il craignait de se prendre encore des coups. En vérité, il s’est efforcé de réagir à l’opposé de son instinct et ainsi prendre du recul sur la situation.
Il ne doit pas tout faire capoter avant l’instant fatidique. Fawkes darde son regard noisette sur Leiftan qui jubile bien trop à son goût. Puis quand le Conseiller se détourne pour poursuivre avec June, comme si sa formation pour son nouveau travail était une simple formalité, Fawkes claque de la langue entre ses dents. Ça peut être pris pour du dédain, du dégoût et c’en est. Mais ce n’est pas dirigé contre Nelladel qui se tortille au sol pour essayer de se relever alors qu’on le traîne vers la mort. Cet écoeurement est bien ciblé sur Leiftan. Le maître des arcanes les conduit, couloir après couloir, vers les cris de Candice. A chaque pas, sa voix se fait plus claire, plus forte et le cœur de Fawkes s’emballe un peu plus au fur et à mesure de leur progression. Sa cible est verrouillée. C’est le garde qui va mourir ce soir, pour les sauver tous les deux. Prendre une vie n’est jamais facile, mais c’est parfois nécessaire.
Quand ils pénètrent enfin dans l'endroit sordide qui contient la cellule de Candice, ils s'arrêtent face à l'énorme cage circulaire aux barreaux en orichalque. À l'intérieur, le monstre s'est redressé, la fureur tordant les traits de son visage crasseux et sa mâchoire démesurée, disloquée, laissant sortir sa trompe hérissée de pointes. La fée meurtrière secoue les barreaux avec ferveur, faisant trembler son triste habitacle et les cris de colère qui s'échappent de sa gorge sont adressés au Conseiller.
Ses longs cheveux châtains pendent tristement autour de sa maigre silhouette et sa robe bleue, détrempée, lui colle à la peau en le rendant encore plus misérable.
La faim le rend violent, mais faible. La chaleur des lieux, elle, le rend fatigué au point qu'il ne peut même pas redresser ses ailes.
Leiftan se plante devant sa cellule, un sourire aux lèvres.
« Couché. »
Le garde qui l'accompagne s'exécute immédiatement, attrapant un bâton pour repousser la fée, enfonçant son extrémité pointue dans sa chair.
« Arrêtez ! » scande une voix que June reconnaît.
Émergeant de l’annexe, Balam se hâte près de la cellule pour répéter au garde d'arrêter sa manœuvre. Il écarquille les yeux blancs quand il avise les prisonniers, puis il devient livide lorsqu'il aperçoit June.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? demande-t-il dans un souffle.
- Mademoiselle Albalefko s'est portée volontaire pour nourrir la fée. » répond Leiftan d'une voix suave.
Puis, reprenant ses explications comme si de rien n'était, le Conseiller se tourne vers June pour reprendre avec plus d'enthousiasme :
« Monsieur Lefaucheur ici présent s'est pris d'affection pour le prisonnier et tient à préserver son intégrité physique. C'est pourquoi j'ai reconnu son bon cœur et lui ai proposé de prendre la fée en charge comme un tuteur avec une belle promotion au sein de la Garde Étincelante. Nous ne sommes pas des tortionnaires, June, alors nous avons besoin de personnes comme lui. Vous serez d'ailleurs en sa compagnie, même si vos tâches divergent. Monsieur Lefaucheur ne doit pas vous quitter des yeux durant votre travail, car vous ne devez pas adresser la parole au prisonnier et être très prudente durant le nourrissage. Comme vous pouvez le voir, la créature est violente.
- June, rentre chez toi. » lui intime Balam d'un ton presque suppliant.
Elle respire un peu vite et ses doigts s’affolent sur sa tunique. Heureusement, June parvient à les garder plaqués le long de son corps, autrement, elle sait qu’ils seraient déjà dans ses cheveux, en train de triturer ses poignets ou même de se tordre entre eux pour faire passer l’agitation qui la prend. Ses yeux se promènent sur Jens Red et sur Nelladel en détaillant chacune de leurs blessures, comme si c’était important dans un moment pareil. Mais elle ne veut pas faire face à Balam, ni voir la lueur de délice qui brille dans les yeux du Conseiller. Le dégoût la reprend et lui arrache un frisson, tandis qu’elle se force à regarder la fée.
L’avantage, c’est que si c’est Balam qui la surveille pendant qu’elle nourrit la chose, alors elle pourra sans doute s’arranger avec lui pour parler au monstre… Mais elle doute de plus en plus qu’il accepte de lui donner une réponse, et le voir ici lui rappelle douloureusement la bataille d’Eel, et l’instant où elle a failli mourir, transpercée par l’immonde trompe du prisonnier.
A quelle point souhaite-t-elle obtenir les réponses à ses questions ? Elle voulait se faire une idée de l’idéologie des fées, car les propos de Nelladel et Rose lui ont fait remettre en question ses vérités, mais comment peuvent-ils adorer un tel monstre ? Et le Conseiller qui jubile de la souffrance qu’il va infliger ? Il n’est pas bien différent de l’être qui réclame sa pitance en bavant sur les barreaux qui le retiennent… Simplement, lui, il a la chance d’être du bon côté de la cellule.
« J’avais pas besoin de preuve pour savoir ça, dit-elle d’une voix qu’elle s’efforce de ne pas faire trembler. Il a essayé de me tuer pendant l’attaque. »
Elle ignore délibérément Balam, car elle sait que le guetteur sera capable de voir à travers ses yeux. Il lira sa panique, et elle ne doit pas flancher. Et puis, lui aussi est ici, alors elle n’a pas d’ordre à recevoir de sa part.
Mais jusqu'à quel point est-elle prête ? C'est ce que Leiftan veut savoir aussi. Il a tout préparé. Il plonge une main dans une poche intérieure de son long manteau blanc pour en tirer un petit flacon de liquide translucide. Il s'agit d'une potion d'oubli et elle peut être très utile à June si elle veut abandonner.
S'approchant de la gardienne de l'Obsidienne, il agite sa trouvaille et lui adresse d'une voix compatissante :
« Tout ce qui se passe ici peut-être très difficile à supporter quotidiennement. Le prisonnier doit nous donner des réponses car il est très probable que ses congénères profitent de notre faiblesse pour nous attaquer de nouveau, June. Alors il est vrai que la violence et la souffrance font partie des méthodes utilisées pour le faire parler. Aussi et comme vous le savez maintenant, une fée se nourrit de chair faelienne et il faudra le lui en donner quotidiennement. Le bétail sera les condamnés à mort et ça aussi, ce peut-être une vérité difficile à supporter. Vous pouvez choisir de refuser ce travail et je ne vous en voudrais pas. Dans ce cas, vous boirez ceci et vous oublierez tout ce que vous venez de vivre dans cette prison. Mais si vous vous en sentez capable, alors vous serez assurée de vivre une belle vie à Odrialc'h, je m'en porte garant. Vous devrez garder ce qui se passe ici pour vous sans quoi, je me verrai obligé de vous radier de la Garde et aussi de la cité d'Eel. La décision à prendre ici et maintenant est importante, June. »
Elle fixe le petit flacon, comme hypnotisée. Une gorgée, et elle oubliera tout ce qu’elle vient de voir… C’est trop beau, et aussi trop facile. La jeune femme prend une inspiration tremblante. Pourra-t-elle regarder Helouri dans les yeux si elle accepte ce travail ? En tout cas, elle pourra plonger dans ceux, emplis de haine, du monstre qui hurle toujours. Ses mains sont tout à fait immobiles, à présent, traduisant l’état dans lequel elle se trouve.
Mais si elle boit la potion ? Elle ne se souviendra pas de ce qu’elle a vu, et quel moyen trouvera-t-elle alors pour se mettre à nouveau dans le pétrin ? Ces derniers temps, June a l’impression que sa vie se résume à prendre des décisions irrévocables et dangereuses… Ses yeux ont quitté le flacon pour regarder le mur, et ne plus voir aucun des visages qui l’entourent. Va-t-elle vraiment rester sans rien faire pendant que Nelladel se fait dévorer ? Elle ne doit rien à l’elfe, mais il a été le premier à lui donner les réponses qu’elle cherchait. Elle ne le connait pas, mais elle ne veut pas qu’il se fasse dévorer. Qu’elle soit là ou pas, cependant, les choses arriveront…
Ses lèvres s’ourlent d’un sourire tremblant, en réponse aux pensées qui la traversent. Et si elle ne le fait pas, qui d’autre ? Qui sera condamné à nourrir la fée ? Sûrement un gardien avide, en quête d’une promotion, peut-être un être sans cœur comme le Conseiller… Et puis… elle ne sera pas obligée de regarder.
Lentement, June secoue la tête. De toute façon, elle ne veut pas oublier.
« Ma mère a toujours voulu vivre à Odrialc’h. » répond-elle d’une voix lointaine.
Il faut bien que quelqu’un le fasse, songe-t-elle sans le dire. Elle inspire longuement, puis se force à reprendre un visage impassible, malgré son teint blême et ses doigts gelés.
« Je vais le faire. » murmure-t-elle.
Alors, Leiftan lui adresse un regard brillant et range la fiole dans la poche intérieure de son manteau. Un signe de tête au garde, un rictus à Nelladel et il annonce la fatalité :
« Procédez à l'exécution. La fée doit manger. Vous lui donnerez un bras. »
Balam, livide, détourne le regard. Comme June, il est impuissant et il se contente de supporter la condition dans laquelle il s'est mise, malgré lui. Pourtant, Leiftan l'interpelle et quand il se confronte à son regard émeraude, c'est pour entendre un ordre de sa part :
« Pendant que la nourriture va être abattue, puis découpée, vous allez montrer à votre nouvelle collègue comment on nourrit le prisonnier. »
Puis, s'adressant de nouveau à June :
« June, si vous vous sentez mal, il y a des baquets derrière vous pour vomir. Ne vous inquiétez pas, ils sont là pour ça. Les débuts sont toujours difficiles. »
Elle hoche la tête, incapable de regarder Nelladel. Ce n’est pas d’un baquet dont elle a besoin, mais d’un endroit pour se rouler en boule et hurler. Pourtant, elle ne fait rien et se contente de rejoindre Balam. Fawkes relève la tête et ses yeux rebondissent tour à tour sur Leiftan, Balam et June. Il est sidéré par le manque de réaction des deux derniers. Mais il n’a pas le temps de s’en outrer, sa mission passe avant tout et sa vie ainsi que celle de Nelladel en dépendent. Son cœur bat fort et il sent une goutte de sueur rouler le long de sa colonne pour mourir au creux de ses reins. Une mine répugnée sur le visage, le renard fait un pas vers Nelladel, mais comme il le pensait, le garde fait barrage de son corps et le repousse d’un coup d’épaule.
« Savoure bien les quelques minutes qu’il te reste, » lui souffle-t-il, presque désolé.
Que Leiftan pense que Fawkes ait un minimum de remords l’arrange. Après tout, il trahit son allié. Pour un bon minaloo, ce n’est pas rien. Il râle un “ça va, ça va”, alors que le garde lui somme de reculer. Dans sa main, est précieusement cachée une tige de métal à l’embout cranté. Fawkes en fera bon usage. Leiftan est plus reculé et semble apprécier de voir June, blanche comme un linge, écouter avec appréhension les explications de Balam. S’ils n’agissent pas, ils n’ont pas l’air enchantés de la mission qui leur a été assignée. C’est un maigre réconfort. Fawkes, Nelladel et le garde sont plus près de la cellule où Candice gronde, la gueule béante. Et dire qu’ils vont s’enfermer dans la cellule avec lui, quel plan suicidaire ! Mais c’est le mieux qu’ils ont pour l’heure.
Nelladel est à nouveau debout et à la tension que Fawkes capte chez lui, il le sent prêt, alerte. Un regard et ils se comprennent. Ils n’auront pas de seconde chance. L’impulsion est donnée. Tandis que Fawkes envoie son poing fracasser le nez du garde, Nelladel lui flanque son pied à l’arrière du genou. Le temps que les trois autres réalisent que les chaînes qui relient les fers de l’elfe font un joli collier au garde, Fawkes a déjà enfoncé la clé qu’il a volé dans la serrure.
Le renard ne tremble pas. Il sait garder son sang froid dans ce genre de situation. Pourtant il a peur. Le cliquetis lui indique la porte est déverrouillée. En une fraction de seconde, la porte est ouverte et le cri de Candice les accueille. Le visage de Leiftan se déforme, Fawkes le voit. Il préfère encore la compagnie de la fée plutôt que celle du Conseiller. Il tire à nouveau sur la grille pour la refermer sur eux et d’un coup dans la clé, il la brise dans la serrure pour coincer la porte. Les voilà tous les deux, avec le garde, dans la cellule avec la fée affamée.
La surprise s'est peinte sur les traits de Candice. Il fixe l'elfe et le renard, son esprit luttant avec la faim, puis il comprend le plan quand Nelladel pousse le garde vers lui :
« Lak, hekhelem ! Mi tak chawok, wun mivok shapahch ! »
[Mange, mon roi ! Avec ta force, nous sommes libres !]
Oui, si Candice se nourrit d'un seul homme, il pourra détruire les barreaux, les murs, les vies… Il pourra même tenter de poursuivre sa mission originelle et arracher la tête de Leiftan.
Ce dernier devrait trembler de terreur comme son garde, à terre, qui fond en larmes pourtant, il a récupéré son calme olympien.
Il s'approche de la cellule à pas lents, ignorant la sidération sur les traits de June et de Balam, à qui il s'adresse en premier :
« Restez derrière moi, je vais régler cet incident. »
Il feint un soupir de lassitude et secoue la tête. Tout ce qu'il fait, c'est jeter un regard amusé à Nelladel et Fawkes, livides, puis de leur adresser, faussement triste :
« C'était beaucoup trop beau pour être vrai… Un membre du cartel des Typhons cherchant à retrouver le droit chemin… Quel dommage. Tu es passé à un cheveu de la rédemption, Fawkes. Quant à toi… »
Il rive ses prunelles émeraude sur Candice et toute la haine qu'il porte à son espèce, puis il lève un doigt pâle pour caresser un barreau d'un geste presque sensuel :
« Touche à cet homme et tu sais ce qui va arriver. Tu pourras dire adieu aux négociations, car il me suffira de donner un ordre, un seul, et tu perdras tout. Ils disparaîtront un par un. Lentement. Très lentement. Alors réfléchis bien. »
Candice se met à gronder pendant que le garde gémit. Toutes les cellules de son corps hurlent de faim et tout ce qu'il veut, c'est se précipiter vers le faelien pour le dévorer sans vergogne.
Mais il pense à son peuple. Il pense aux anciens et aux enfants, prisonniers à Odrialc'h et il refuse d'imaginer leur mise à mort parce qu'il se sera échappé.
« Quel est le plus important ? reprend Leiftan, ta liberté ou ton peuple ? Tant que je serai vivant, tu sais bien que tu n'as aucun moyen de t'échapper d'ici. »
Fawkes fait un pas de recul. Il ne veut pas être à portée de main de Leiftan à travers les barreaux. Il jette un coup d'œil à Nelladel et à Candice, immobiles.
« La rédemption que vous proposez n’en est pas une. C’est au contraire la pire des damnations. »
Puis il se tourne vers Candice et feule, atterré par l’hésitation évidente de la fée.
« Alors quoi ? Vous allez le laisser avoir cette emprise sur vous ? Si c’est pas aujourd’hui, ce sera demain. Le Docteur Bec aura toujours une nouvelle raison de vous garder sous sa coupe et docile. Mais c’est dehors que vous serez le plus à même de protéger votre peuple ! »
Le renard jette un coup d'œil au garde effrayé qui supplie pour sa vie. C’est un dommage collatéral acceptable. Aussi, quand Fawkes relève ses yeux vers Candice, porte d’une voix déterminée :
« Choisissez bien vos combats. »
La phrase résonne dans la tête de June, dont les yeux écarquillés mangent le visage blême. Elle aussi, à la place de Nelladel, elle aurait tenté le tout pour le tout, mais elle ne voit pas en quoi les deux prisonniers sont plus avancés maintenant qu’ils se trouvent ensemble dans la cage du monstre… Et si la fée ne mange pas le garde pour protéger son peuple, lequel des deux compères va-t-elle dévorer ? Machinalement, June agrippe la main de Balam. Elle sait que c’est un geste puérile qui ne va sans doute pas conforter le guetteur dans l’idée qu’elle a le droit de se trouver là, mais elle ne peut pas s’en empêcher.
Elle ne veut voir personne mourir aujourd’hui, et encore moins comme ça. Alors elle serre les doigts de Balam entre les siens, sans même noter qu’il s’est légèrement avancée pour se placer entre elle et la cage, comme s’il pouvait la protéger si jamais la chose décidait de s’enfuir. Son corps à elle ne bouge pas, figé dans l’attente, incapable de quitter Nelladel et son compagnon des yeux.
L'elfe s'est plaqué contre les barreaux, le souffle court et les yeux hagards. Il fixe son Maître en attendant un geste de sa part et quand Fawkes lui a dit de bien choisir ses combats, il a su ce que Candice allait faire.
Qu'importe la situation, qu'importe qu'il soit enfermé, maltraité ou bien humilié, Candice choisira toujours les fées. Jamais il ne sacrifiera les anciens et les enfants de son peuple pour sortir d'ici, surtout s'il sait qu'ils seront massacrés après sa fuite.
C'est pour ça que les fées sont soumises et c'est aussi pour cette raison que tuer Leiftan a toujours été l'objectif principal de Candice.
« Allons, ça suffit, lance le Conseiller d'une voix traînante, nous avons perdu assez de temps comme ça. Balam ! Chauffez-moi un petit peu tout ça. »
Balam ouvre de grands yeux blancs alors que ses mains se mettent à trembler. Mais Leiftan lui adresse un sourire trop doux et lui fait remarquer qu'en tant que geôlier de la fée, c'est à lui de le faire.
« De plus, vous savez que si c'est moi qui m'en charge, je ne serai pas aussi clément que vous. »
Résigné, l'ancien guetteur se dirige vers l'annexe de la pièce pour en revenir avec des gants épais, puis une amphore. Pendant ce temps, Leiftan s'est placé à la gauche de June, une main sur son épaule en lui soufflant que tout allait bien et que des prisonniers aussi dangereux devaient seulement être maîtrisés. Puis il lui explique ce qui va se passer :
« Vous voyez, June, les fées vivent dans des températures extrêmement froides qui seraient mortelles pour nous. Alors quand le prisonnier commence à s'agiter et à devenir violent, il est impératif de le maîtriser en l'aspergeant d'eau chaude. C'est comme ça que nous allons pouvoir sauver la vie de mon bon garde de prison. »
Mais ce que Leiftan ne lui dit pas, c'est qu'il aurait préféré opter pour de l'huile bouillante. Seulement, cet idiot d'ancien guetteur serait allé pleurer dans les jupes de la Capitaine…
Mais de l'eau chaude, c'est déjà bien.
Il regarde Balam hésiter pour finalement se lancer dans une manœuvre qu'il déteste pour lancer l'eau sur Candice. Le jet est faible, la fée ne sera pas trempée de la tête aux pieds et Leiftan trouve même que c'est assez minable. Mais cela suffit à arracher un cri de douleur à la créature qui se recule, délaissant le garde.
« Voilà qui est mieux ! se rejouit Leiftan, bon, et maintenant qu'est-ce que l'on devrait faire de deux prisonniers imbéciles comme vous ? »
Ses yeux émeraudes fixent Fawkes et Nelladel, terrorisés, réalisant l'échec de leur plan, alors le Conseiller poursuit :
« Visiblement, la fée a été plus raisonnable que vous. C'est dommage, si vous vous étiez bien comporté, on aurait pu négocier mais force est de constater que ce n'est plus possible. Si vous avez été capable de vous lancer dans un plan aussi idiot, j'ai peur de savoir quel genre d'idées tordues vous pourrez avoir dans le futur, pour vous évader d'ici. Et comme vous le savez, j'ai des citoyens à protéger. »
Mais bien évidemment, Leiftan a une idée. Une idée brillante qui va forcer Fawkes et Nelladel à rester bien immobiles un bon moment, juste le temps que Leiftan puisse leur arracher des réponses et se décide de ce qu'ils vont devenir.
Il s'approche de la cellule et siffle la fée qui lui lance un regard de haine pure :
« Puisque tu as été sage, alors je te laisse une chance, lui dit-il de sa voix doucereuse, tu vas punir tes deux larbins en les estropiant un petit peu. Le mollet sera suffisant. »
Puis, tapant sur les barreaux, il achève d'une voix forte :
« Aller, qu'on en finisse ! Ensuite, il faudra transférer ces deux idiots à l'hôpital, dans des chambres confinées ! Avec une jambe bien abimée, je doute qu'ils puissent aller bien loin. »
Et si Candice ne s'exécute pas, alors l'un des anciens ou des enfants, détenus à Odrialc'h, devra en payer le prix. C'est pourquoi la fée n'a pas le loisir d'hésiter. C'est pourquoi elle envoie valser le garde qui file vers la porte de la cellule, attendant qu'on le libère et qu'elle darde ses yeux gris sur Fawkes et Nelladel.
L'elfe ne parvient pas à maîtriser ses tremblements mais de toute manière, Candice commencera par le renard. Il l'attrappe par le tissu de ses vêtements et se met à le traîner sur le sol. Le mollet sera suffisant, alors la fée choisit le gauche, déchire la jambe du pantalon, et brise l'os avant de lacérer la chair en ouvrant grand la bouche, dans un craquement écoeurant.
Fawkes a eu beau reculer, à l'image de Nelladel, la sentence tombe. Un hoquet de terreur s'échappe de sa bouche quand il chute au sol et se fait traîner. Ses ongles s'arrachent quand il tente malgré tout de se retenir en griffant le sol, mais il ne sent pas la douleur. Celle qu'il ressent, soudaine et brutale, c'est celle de son os qui se brise. Son souffle est tenu en otage entre ses côtes. Pas pour bien longtemps puisque l'autre douleur, brûlante, déchirante lui vrille la jambe. Un hurlement de douleur rebondit sur les murs de la geôle et Fawkes ne voit même plus Nelladel vaciller de peur, tant ses yeux s'embuent.
Le renard se débat comme il peut, mais son corps lui fait si mal et la douleur se répand comme un feu de forêt, si bien qu'il en tremble comme une feuille. Il ne réalise pas tout de suite que Candice l'a délaissé. C'est quand il entend la voix de Nelladel supplier dans la langue des fées, qu'il sait que c'est au tour de l'elfe. Fawkes porte ses mains liées à sa jambe mais il n'arrive pas à atteindre ses blessures. Pourtant, il sent bien qu'il nage dans le sang, sa queue baigne et colle au sol, derrière lui. Sa tête tourne, sa respiration devient compliquée. La peur l'assaille tout entier mais il n'a pas la force de se relever pour lutter. Leiftan pourrait demander à Candice de réitérer et Fawkes n'est pas sûr de pouvoir encaisser. Pendant un instant, le renard songe qu'il finira sa vie en captivité, estropié et torturé. Mais il se dit qu'avec un peu de chance, ça ne durera pas trop longtemps.
Pour l'heure, il est fatigué, alors il laisse sa tête se poser au sol et s'enfoncer dans la pierre. Son oreille s'est pliée dans ses cheveux et c'est inconfortable mais il n'a même pas la force de s'en incommoder.
Depuis sa place, immobile sous la main du Conseiller, June a fermé les yeux. Elle ne sait pas si le geôlier lui en tiendra rigueur, et elle s’en fiche, parce que le simple bruit des os qui se brisent lui donne envie de vomir. Pourtant, elle sait qu’elle n’offrira pas cette satisfaction au Conseiller, alors elle ravale sa bile en prenant de toutes petites inspirations. Sa tête tourne et son naturel trop empathique lui serre la gorge en faisant monter des larmes à ses yeux, alors elle se concentre sur ses autres sensations pour oublier le reste. Et même si le contact avec Leiftan Tuarran la dégoûte, à présent, elle s’y raccroche pour se forcer à se tenir debout sans bouger, jusqu’à ce que le supplice soit terminé.
Quand Fawkes et Nelladel ont une jambe brisée et saignante, quand ils rampent dans une marre de sang, alors Leiftan se déclare satisfait. Candice s'est plié à sa volonté, craignant pour les vies des anciens et des enfants de son peuple et c'est tout ce qui compte. Les prisonniers rebelles ont été punis alors à présent, le Conseiller daigne les transférer à l'hôpital d'Albacore.
Il appelle d'autres gardes, ainsi que le maître des arcanes, puis il ordonne :
« Emmenez-moi tout ce monde-là à l'hôpital. Qu'ils soient soignés et enfermés dans des chambres confinées. Je leur rendrai visite plus tard. »
Puis, se tournant vers June, il lui administre une tape amicale sur l'épaule et lui indique, avant de prendre congés :
« Reprenez vos esprits. Ce genre de choses arrive en ces lieux, malheureusement. Je vais devoir rapporter l'incident au reste de la Garde Étincelante. Vous, vous allez nourrir la fée sous la direction de Balam et ensuite, vous pourrez quitter les lieux. Si vous vous sentez mal, vomissez dans les baquets, mais tenez bon, June. Pensez à votre avenir. »
Une dernière tape sur l'épaule et il se détourne pour quitter la prison.
Des gardes viennent évacuer Fawkes et Nelladel sur des brancards, afin de les amener à l'hôpital. Les deux prisonniers ne disent plus rien, ayant perdu connaissance et quand ils sont enfin partis, Balam se plante face à June, la secouant légèrement par les épaules et lui intime d'un ton effaré :
« Qu'est-ce qui t'as pris de venir ici ? Pourquoi tu fais ça ? Joseph serait mort d'inquiétude ! Qu'est-ce que tu espères, June, tu t'infliges vraiment cette violence pour entrer sous le commandement de la Capitaine ? »
La jeune femme, les lèvres si serrées qu’elles en deviennent presque invisibles, lui adresse un regard de défi. Et lui alors ? Il est là pour la promotion ? Pourquoi n’a-t-il pas refusé ce travail ? Car elle n’a qu’à s’emparer de membres découpés qu’il suffit d’apparenter à des sacs de viande froide, mais Balam torture la fée, même s’il le fait à contrecoeur. Ses victimes à elle sont déjà mortes.
« Mon père en saura rien, répond-elle entre ses dents. Personne en saura rien. J’ai mes raisons, Balam, et elles me regardent. »
Elle ne sait pas ce qu’elle peut lui raconter, et elle n’a de toute façon pas envie de partager ça maintenant. A un autre moment, peut-être… Si elle est destinée à nourrir la fée, elle va pouvoir observer l’attitude de Balam à son égard. Car si le guetteur la considère comme un être dénué de raison, sa bouche restera close, mais s’il s’avère qu’il peut entendre les arguments de Rose et Nelladel, alors elle envisagera de lui parler. Petites touches par petites touches, car avoir un allié en ces lieux ne pourra qu’être bénéfique.
June songe à l’elfe et grimace malgré elle en se remémorant ses cris de douleur. Son compagnon aussi avait l’air mal en point, et elle songe qu’il ne devait sans doute pas s’attendre à recevoir un tel châtiment en s’enfermant dans la cage de son maître…
Son regard confronte à nouveau celui de Balam et elle croise les bras sur sa poitrine. Elle a hâte d’en finir.
« Qu’est-ce que je dois faire ? » demande-t-elle d’une voix basse qui tremble à peine.
Balam ne dit plus rien. Son visage exprime un épuisement sans pareil et même si cela le dégoûte, il entraîne June dans l'annexe où sont conservés les morceaux et lui explique son travail.
Quelques jours après l'incident de la prison d'Albacore
Le maître des arcanes est à l’heure, et June le salue vaguement avant de le suivre. Ce rituel est en train de devenir une routine, et elle sait déjà ce qu’il va se passer, alors elle laisse ses pieds refaire seuls le chemin qui mène à la cage de Candice Milliget.
En sortant de la prison, quelques jours plus tôt, elle s’était effondrée dans la forêt d’Albacore et avait rendu son dernier repas, avant de laisser tous les sanglots qu’elle retenait la secouer jusqu’à ce qu’elle n’ait plus aucune force. Elle était restée par terre longtemps. La nuit tombait presque quand elle s’était relevée, les hurlements de Nelladel et son compagnon résonnant toujours dans son esprit. Faire semblant avait été difficile. Passer la soirée en compagnie d’Helouri et Cristal, sourire, manger son repas sans vomir… Elle était allée se coucher en prétextant une migraine.
June soupire discrètement, mais le maître des arcanes, concentré sur sa tâche, ne lui accorde pas un regard. Il s’est habitué à sa présence, et peut-être songe-t-il que la jeune femme ne va de toute façon pas rester très longtemps. Elle n’a pas raconté à Helouri ce qu’elle faisait dans la prison. Elle ne lui a pas menti non plus, parce qu’ils se sont jurés de ne plus le faire, mais elle s’est contenté de lui dire que son travail était difficile. Son petit frère aurait sans doute insisté si elle ne lui avait pas pris la main pour la serrer entre les siennes, pour le supplier de se taire. Alors ils s’étaient simplement étreints, et ils n’en avaient plus reparlé ensuite.
La gardienne pianote sur sa tunique du bout des doigts. Elle se demande si Nelladel et son compagnon vont se remettre. Maintenant qu’il est à l'hôpital, le frère d’Ezarel a-t-il eu l’occasion de voir son jumeau ? A-t-il été reconnu ? Elle n’a entendu aucune rumeur à son sujet, mais elle doute que sa chevelure soit passée inaperçue.
Ses pensées sont interrompues par le maître des arcanes, qui s’arrête pour la laisser rejoindre son nouveau poste de travail. June lui adresse un léger signe de tête, plus machinal qu’autre chose, puis elle se dirige vers le bureau de Balam. Arrivée devant, elle toque deux fois en passant la tête dans l’embrasure de la porte.
Elle n’a pas encore parlé au guetteur des secrets qu’elle détient, et d’ailleurs, c’est à peine s’ils ont échangé quelques mots depuis le plan catastrophique des deux prisonniers pour s’enfuir… Les salutations d’usage, quelques explications et c’est tout.
« C’est moi. » s’annonce-t-elle à mi-voix.
Balam lève les yeux vers June. Il lui aurait volontiers adressé un sourire amical, comme il le faisait avant la catastrophe, mais il songe qu'en ces lieux, sourire est quelque chose de déplacé. June est à l'heure et tout est prêt pour sa besogne :
« Bonjour, June. La nourriture est prête, tu la trouveras dans le bac habituel. J'ai rajouté quelques… Quelques abats. Garde ça pour toi. »
Plutôt qu'un membre journalier, Balam ajoute aussi quelques organes. Ce n'est pas suffisant pour que la fée retrouve toute sa puissance, mais c'est un peu plus de nourriture tout de même.
Les bras croisé sur sa poitrine, l'ancien guetteur souffle par le nez et poursuit :
« J'ai aussi préparé de l'eau fraîche. Est-ce que tu pourras changer l'eau du tonneau ? Pense bien à ne pas laisser l'une des cruches dans la cellule car tu sais bien, la dernière fois, il l'a brisée contre les barreaux. »
Elle s’en rappelle, alors elle fera attention. June s’apprête à repartir, mais sa main s’attarde sur la poignée de la porte. Elle hésite, puis s’adosse au chambranle pour fixer un point au-dessus de l’épaule du guetteur.
« Dis… Pourquoi tu es gentil avec lui ? demande-t-elle prudemment. Je veux dire, il a détruit la cité, tué des gens, blessé papa et le Chef Batatume… »
Elle fait mine de se mordiller un ongle, mais du coin de l'œil, elle ne perd rien des réactions de Balam. Il y a bien une chose dont elle a parlé avec Helouri : sa présence au sein des prisons, et son frère est tombé d’accord avec elle. Tâter le terrain auprès du guetteur est une bonne idée.
« Et puis le Conseiller a dit que c’était un monstre…» continue-t-elle.
Balam ferme brièvement les yeux. Cette question, il se la pose à lui-même depuis qu'il est intervenu avec la Capitaine quand la fée se faisait arracher les ailes. Il a trouvé cela ignoble et injuste, malgré les crimes qu'elle avait commise et son jugement lui a valu la place qu'il occupe aujourd'hui.
« Qu'est-ce que je devrais faire ? demande-t-il en haussant les épaules, le torturer ? Lui arracher les ailes comme le voulait le Conseiller ? Je ne peux pas faire ça. »
Certes, la fée a attaqué la cité et a provoqué une catastrophe sans pareille qui a laissé des marques indélébiles dans les esprits de tout le monde. Pourtant, Balam se pose une autre question. Il se demande pourquoi elle a fait cela et il aimerait bien obtenir la réponse.
« Si on nous demande de le voir comme un monstre, c'est pour lui enlever toute trace de considération. On ne peut pas se montrer cruel avec une personne, mais face à une créature, un monstre, c'est plus facile. Je ne suis ni un tueur ni un tortionnaire, June, et je ne veux pas le devenir.
- Et ça marche ? »
June a relevé les yeux et l’observe maintenant sans se cacher. Au moins, il ne voit pas Candice Milliget comme la bête qui a attaqué la cité, mais ça ne lui dit pas ce qu’il en pense en général. June hausse les épaules comme si ça n’avait pas d’importance, mais elle reprend d’une voix détachée.
« D’être plus gentil avec lui ? De lui donner plus à manger, de lui changer son eau… Ça t’aide à plus le voir comme un monstre ?
- Oui, ça m'aide, admets Balam, et peut-être qu'à la force du temps, ça aidera la fée à nous voir différemment aussi. S'il a détruit la cité pour tenter de tuer un seul homme, c'est peut-être parce qu'il juge nos vies moins importantes que celles de ses semblables. Je n'en sais rien. J'aimerais bien lui poser la question. »
L'ancien guetteur a un pauvre sourire, puis achève :
« Mais c'est compromis. Quand je l'appelle par son nom, il se met en colère et je crois qu'il m'insulte dans sa langue. Tant pis. Je préfère rester optimiste. »
June ne peut s’empêcher de l’imiter. Elle aussi, il l’a insultée, même si elle ne lui a pas encore adressé la parole. Elle a d’ailleurs retenu quelques insultes, et si jamais elle à l’occasion de trouver quelqu’un qui parle la langue des fées, elle lui en demandera la signification. Si Nelladel était resté dans la prison, elle aurait peut-être tenté d’accéder à sa cellule pour le faire, mais puisque l’elfe était désormais hors d’atteinte, elle demandera probablement à Rose, même si l’ancien Second sera sans doute curieux de savoir où elle a entendu ce genre de mots.
Mais Balam a essayé de parler à Candice, malgré les ordres de Leiftan, et c’est tout ce dont elle a besoin de savoir. La jeune femme hoche la tête, puis son sourire se fait un peu plus franc.
« Bah, s’il te répond, tu me diras ? J’aimerais bien le savoir aussi, ment-elle avec aisance.
- Je te le dirai. Peut-être qu'après les insultes, il fera semblant de ne pas comprendre et de ne pas parler le commun, mais pour un Maître de la Médecine, ce serait étonnant. »
Tout d'abord, il faudrait que Candice accepte l'eau propre et quand ce sera fait, Balam songe qu'il pourra peut-être lui proposer des vêtements propres sans se les faire jeter à la figure, quand ils ne sont pas lacérés.
Arborant un air soucieux sur le visage, Balam plonge ses yeux opaques dans le regard de June, puis lui conseille :
« June, ne laisse pas cet endroit avoir raison de toi. Je ne sais pas pourquoi tu as voulu être là et ça te regarde, mais ne perds pas ta bienveillance, ni ta miséricorde. C'est comme ça, que l'on devient un vrai monstre. »
A nouveau, la jeune femme hoche la tête pour le lui promettre. Candice Milliget est peut-être une créature dénuée de principes, mais à en croire ce qu’elle sait, il n’est pas le seul. Elle ne compte pas devenir comme lui, ou comme les autres.
« T’inquiète pas pour moi, assure-t-elle. Je suis plus une petite fille. Je te dirais pas que je sais ce que je fais, parce que je suis pas sûre que ce soit le cas, mais je deviendrai pas un monstre, Balam. Promis. »
Le guetteur ne répond pas, mais la bienveillance se peint à nouveau sur son visage, et June sait qu’ils se sont réconciliés. La jeune femme sort puis se dirige vers le bac qui contient les restes à donner au prisonnier. Elle le soulève pour le traîner jusqu’à la trappe destinée à en recevoir le contenu.
A cet instant, June ne considère plus la viande comme des morceaux de faeliens. Ceux qui sont morts se fichent de savoir ce qui arrive à leur corps, alors elle reste rationnelle et oublie que l’avant-bras qui s’écrase dans la trappe à un jour été celui de quelqu’un. La veille, en sortant, elle n’a pas rendu son déjeuner - elle attend toujours d’être dehors pour le faire, parce qu’elle ne veut pas donner la satisfaction au Conseiller de savoir qu’elle est dégoûtée. Elle espère qu’aujourd’hui aussi, son repas restera là où il est.
L’odeur est infecte, et les abats rajoutés par Balam n’arrangent rien. June laisse cependant le tiroir ouvert le temps d’attraper les chaînes qui permettent de tirer le tonneau d’eau jusqu’à elle. Il lui faut beaucoup de force et de grognements pour réussir à le récupérer, et en silence, elle change l’eau. Puis elle le repousse, en prenant soin de ne pas y laisser une cruche, avant de se planter devant la trappe et de se racler la gorge.
De là où il est, Balam ne peut pas l’entendre si elle parle doucement, alors elle prend son courage à deux mains en évitant d’inspirer trop fort, et interpelle le prisonnier à mi-voix.
« Monsieur Milliget ? tente-t-elle. Hum… Hekhelem ? »
Le mot dans la langue des fées fait sortir Candice de sa torpeur. Il ouvre un œil métallique, toise June et le premier réflexe qu'il lui adresse est celui de ses lèvres qui se retroussent sur ses dents pointues. Il commence à grogner, puis avise la nourriture qui se trouve dans le petit compartiment de sa cellule. Un avant-bras faelien tout juste sorti du sel et quelques abats. À peine de quoi se nourrir…
« Maih ata sathar, ozna ? Mivshe arrona reott tak chsa hapess… »
[Qu'est-ce que tu veux, fille de putain ? C'est horrible de voir ta sale gueule.]
Le ton est venimeux, claquant comme un coup de fouet et manifestement, la fée n'est pas en train de saluer June. Elle grimace en l’entendant. Evidemment, elle n’a rien compris parce qu’elle ne connait pas grand-chose à sa langue natale… Mais elle a reconnu l’un des mots, et elle en déduit qu’il l’insulte. Charmant… June regarde de nouveau autour d’elle, puis elle baisse la voix pour répondre.
« Je sais pas ce que tu dis. Vous dites. Mais je sais que tu… vous… parlez le commun. J’imagine que vous… tu… que tu t’en fiches, mais t’as essayé de me tuer, quand t’as attaqué Eel. Et t’as blessé mon père, aussi. »
Sans la quitter des yeux, Candice se lève pour aller chercher la nourriture que June lui a donnée. Il attrape l'avant-bras faelien, se met à genoux dans un geste bien trop tranquille, et le casse en deux d'un coup sec. Là, il ouvre grand la bouche, mord dans la chair et tire dessus sans se soucier du sang qui coule sur son menton. Il se met à mâcher, avale et dès que c'est chose faites, il lui rétorque avec fiel :
« Ezeol yaba lish. »
[Je n'en ai rien à foutre.]
June reste de marbre. Une petite voix songe qu’il mange comme une bête, et que s’il veut qu’on le considère comme autre chose, il devrait agir autrement, mais elle refuse de lui montrer autre chose qu’un visage impassible.
« Tu sais pas qui je suis ? demande-t-elle. Ou alors tu sais, mais maintenant que t’es là, tu t’en fiches…»
Parce qu’elle l’a promis à Balam, et aussi à elle-même afin de rester saine d’esprit, June s’efforce de ne pas traiter Candice Milliget comme une chose. Mais c’est difficile, car rien chez lui n’inspire la moindre empathie. Il ne fait aucun effort, et semble même prendre un certain plaisir à manger comme un familier. Ceux qui le vénèrent ne l’ont sûrement jamais vu en train d’avaler des tripes… Il fait un bien piètre souverain, ce destructeur aux yeux de métal.
Candice lui lance un regard ennuyé. Il avale un autre morceau de chair puis, levant les yeux au ciel, se redresse et se met à bonne distance de June. Là, il lève une main, paume vers le ciel, et la glisse à travers les barreaux. La jeune femme arque un sourcil, puis indique son geste d’un doigt.
« Je sais pas grand chose de toi, mais je suis pas Jens Red ou Nelladel, je vais pas te donner la patte, remarque-t-elle. J’ai failli faire connaissance avec ta trompe une fois, ça m’a suffit. »
Candice lui adresse un sifflement amusé et la gratifie d'un Dalhyah nayib* moqueur.
Il se recule pour retrouver sa nourriture qu'il attrape d'un geste nonchalant, avant de river son regard gris vers June. Il ouvre de nouveau la bouche dans un craquement écoeurant et laisse sortir sa trompe qui ressemble à un sersea aveugle, comme s'il menaçait la jeune faelienne. Laquelle pousse un soupir las. Derrière ses barreaux, Candice Milliget n’est pas un monstre, c’est un être pathétique qui se réfugie sous la carapace d’un souverain déchu. Le Conseiller et Balam ont tort. Candice est un enfant bougon, et même s’il est dangereux une fois hors de sa cage, pour l’instant, il ressemble juste à ces orphelins provocateurs que June croise en allant travailler.
« Je comprends pas pourquoi Nelladel a voulu te sauver, lâche-t-elle. T’es pas un roi, en fait. T’es juste tout seul. Au moins, Sira faisait l’effort de parler ma langue… Mais si tu veux continuer ton cirque, fais comme tu veux. Moi je m’en fiche, et à force, peut-être que Balam finira par se lasser, et tu pourriras là jusqu’à ce que le Conseiller décide que ça suffit. »
Elle s’approche de la cage, suffisamment pour lui montrer qu’elle n’a pas peur, mais sans lui laisser le loisir de l’attraper s’il lui en prend l’envie.
« Si tu te préoccupais un peu plus de ceux qui te considèrent comme leur souverain légitime, tu serais sans doute déjà dehors, Hekhelem. »
Mais tout ce qu'elle récolte, c'est un regard las et un rictus. C'est comme si toutes les paroles de June glissaient sur sa peau sans qu'il n'y prête une attention particulière, sauf quand il vient se moquer d'elle. Il continue de manger puis, agitant ce qu'il reste de l'avant-bras, il crache d'une voix moqueuse :
« Quand je parle la langue des idiots, j'ai l'impression de perdre beaucoup de neurones. Alors j'évite.
- June ? Tout va bien ? »
S'extirpant de l'annexe, Balam se demande pourquoi June met aussi longtemps à nourrir la fée. Craignant pour sa sécurité, il a préféré venir aux nouvelles et la réaction de Candice ne se fait pas attendre.
Dès que ses yeux gris se posent sur l'ancien guetteur, la fureur peint ses traits. Il lui jette les restes de son repas qui ricochent contre les barreaux puis, le menaçant avec sa trompe, se met à lui crier à la figure comme s'il allait l'attaquer.
Levant les deux mains en signe de paix, Balam tente de l'apaiser, mais sans succès :
« Doucement, doucement… Je vois bien que ma présence n'est pas souhaitée. June, si tu as terminé, regagnons le bureau. »
La jeune femme hausse les épaules, mais elle frissonne devant la démonstration de colère de la fée. Elle se détourne sans plus lui accorder un regard, mais remarque tout de même que contrairement à Balam, Candice lui a adressé quelques mots. Des insultes, sûrement, et des remarques acerbes emplies de fiel, mais au moins, il lui parle. Avec un peu de chance, elle pourra obtenir plus de réponses.
Encore faudrait-il qu’elle en ait envie, cependant. Une fois dans le bureau, elle attend que Balam la rejoigne et s’adosse à la porte, les bras croisés sur la poitrine.
« Il parle le commun, soupire-t-elle d’un ton fatigué. Garde le pour toi… »
Balam se laisse tomber sur le siège qu'il doit occuper toute la journée et souffle par le nez. Il s'en doutait. Ça aurait été plus qu'étrange qu'un Maître de la Médecine ne sache pas parler le commun.
« Je ne compte pas en dire un mot au Conseiller. De toute manière, il se moque bien des rapports que je peux lui faire. Mais c'est une bonne chose, ça veut dire qu'il comprend tout ce que je lui dit même s'il ne veut jamais répondre. En dehors des insultes, bien sûr. »
Il pousse un soupir las et hausse les épaules. Avec une moue faussement amusée, il glisse à June comme une confidence :
« Je crois qu'il me déteste parce que je l'ai affronté durant la catastrophe. Pourtant je ne l'ai pas vaincu. C'est lui qui a faillit me tuer. Que ton père soit loué, il m'a sauvé la vie. »
June esquisse un sourire froid. Elle ne serait en effet pas étonnée. La jeune femme pose la main sur la poignée de la porte, et roule des yeux comme quand elle était petite en faisant la grimace.
« Au moins, on peut enrichir notre vocabulaire pour la prochaine fois qu’on rencontrera un de ses semblables, ironise-t-elle. J’y vais. Je sais que tu es contre la torture, mais si tu pouvais lui chanter des berceuses, ça lui ferait les pieds. A plus tard, Balam. Fais attention à toi. »
Le chemin du retour est accompagné par le rire léger de Balam qui pense que ce n'est pas une mauvaise idée et qu'il pourrait essayer. Mais plutôt que de chanter, l'ancien guetteur se contentera de lui parler et peut-être qu'un jour, il finira par lui répondre et lui expliquer les motivations qui l'ont conduit à faire tomber Eel.
Il avale une gorgée de sa boisson chaude, puis pose tranquillement son bol sur le petit plateau que Yëvet lui a apporté. Son esprit voudrait regagner la tanière dans laquelle il aime se lamenter pourtant, toutes ses facultés sont tournées vers la conversation en train de s'animer, à sa gauche.
Il y a le rire léger de Joseph Ael Diskaret, rayonnant et bien portant, prêt à quitter l'hôpital afin d'endosser le rôle de celui qui s'est réveillé il y a peu. Le grand morgan est un homme bon, alors plutôt que de faire tourner la Garde Obsidienne à sa guise, il préfère en discuter avec Valkyon Batatume même si la fatigue de ce dernier est lourde.
Nombreux ont été les visiteurs à se bousculer devant les portes de l'hôpital pour s'enquérir de son réveil. Valkyon n'a pourtant pas perdu conscience avec héroïsme et c'est ce qu'il revendique, mais personne n'est d'accord avec lui : la fille de Joseph et Rose Clarimonde auraient pu mourir sous les décombres d'une maison pourtant, c'est son acharnement et son sens du devoir qui leur a permis d'être extirpés.
Mais Valkyon continue de dire que c'est faux. Selon lui, la situation était beaucoup plus complexe que cela. C'est tout ce qu'il dit et Rose songe que personne n'est prêt à entendre que le frère jumeau d'Ezarel, en prison pour autre trahison ainsi que son compagnon de cellule, Fawkes, ont participé aux sauvetage de leurs vies.
Personne ne voudra accepter la vérité, alors Valkyon n'insiste pas. Quand il discute avec Joseph, son corps massif et éreinté reposant contre des oreillers, Rose laisse traîner une oreille juste pour écouter sa voix qu'il ne pensait plus entendre à nouveau.
Pourtant, lorsque son esprit s'applique à décortiquer les bribes de la conversation malgré lui, le jeune vampire réalise qu'il n'en saisit pas un mot et pour cause : Valkyon et Joseph discutent à l'aide d'un code.
« Et pour la montagne aux milles contes ? demande le grand morgan.
- Laissez-la moi, sourit le Chef de l'Obsidienne, je m'en occuperai une fois rétabli. Concentrez-vous plutôt sur la grande œuvre. C'est le plus important. Il faudrait aussi que l'on sache ce qu'il en est de la fraternité, mais…
- N'y pensez pas trop, si je peux me permettre. Pas tout de suite. »
Valkyon hoche la tête en poussant un soupir pourtant, une ombre passe sur son visage. Rose plisse ses yeux opalins alors qu'il essaye de percer le mystère derrière les phrases, mais c'est peine perdue.
Reportant son attention sur la tranche de pain qu'il est en train de beurrer, il entend soudain le rideau, autour du lit de Valkyon, être tiré. Les voix se font plus basses et Rose pense qu'à présent, les sujets évoqués sont si personnels que les deux hommes prêtent une attention particulière aux oreilles indiscrètes.
Ils peuvent être tranquilles, car si le cerveau de Rose veut s'acharner à percevoir les mots, son propriétaire ne se satisfait que d'un seul son.
« Bon ! Ça va, là-dedans ? Je peux entrer ou la réunion des grands guerriers est pas finie ? »
Faisant irruption dans la grande salle de convalescence, Yëvet apparaît en poussant une chaise à roulettes.
Depuis son réveil, Valkyon est examiné scrupuleusement plusieurs fois par jour, surtout au niveau de sa vision, de ses réflexes et de la cohérence de ses pensées. Les maladies du cerveau et de l'esprit étant méconnues, la docteure Ewelein Osgiliath craint beaucoup qu'elle et les autres médecins puissent faire face à des maux mystérieux.
Rose, lui, pense que Maître Candice aurait pu étudier cela et trouver une solution. Il aurait forcément trouvé. S'il n'y avait pas eu l'oppression du peuple des fées, ni la catastrophe de l'Eel rouge et encore moins cette prison qui le retient prisonnier, alors il aurait pu continuer d'étudier des cerveaux pour en percer tous les mystères.
Le jeune vampire le revoit à bord de son bateau, dans une grande salle aux couleurs monochromes, près des plans de travail ainsi que des conteneurs où flottaient des organes humains et faeliens. Candice avait extirpé la matière grise de tous ses anciens repas pour pouvoir la disséquer religieusement en notant ses observations.
Rose se souviendra de cette fameuse salle toute sa vie.
Il se rappellera des schémas aux encres colorées, des mots compliqués qu'utilisait la fée Milliget comme lobe frontal, lobe pariétal, lobe temporal, lobe occipital, cervelet, hémisphère droit, hémisphère gauche… mais ce qu'il n'oubliera jamais, ce sont les visages.
Certains prisonniers de l'île Zéro qui ont été dévorés par la famille de Candice n'ont légué, malgré eux, que leur cerveau qui flotte à présent dans un bocal. Mais d'autres, cependant, ont gardé leurs visages ou bien une partie de leur visage.
Leurs têtes trônaient sur des supports en métal, le crâne ouvert et des aiguilles plantées dans différentes zones de leur matière grise afin de marquer celles que Candice voulait étudier. Combien de fois leurs yeux morts ont dévisagé Rose qui tâchait de ne jamais croiser leurs regards afin de garder son repas dans son estomac.
Peur, joie, tristesse, colère… Candice voulait lier toutes les émotions humaines ou faeliennes à l'organe le plus complexe qu'il puisse exister et si c'était un véritable travail colossal, Rose a toujours pensé qu'il était le seul de la famille Milliget à pouvoir aller jusqu'au bout de son œuvre.
Tu vois, ça ? C'est ce qu'il manque à beaucoup de gens sur ce monde. La plupart des faeliens ont de l'air entre les oreilles. Quand je lis les recherches de ceux qui pensent être des médecins, j'ai l'impression de perdre quelques neurones.
Chacune de ses paroles était teintée de mépris pour les créatures qui ne se comptaient pas parmi ses semblables. La fée Milliget mettait la stupidité des faeliens en lumière et pouvait cracher, longtemps, une liste infinie de tout ce qu'il leur manquait ou bien de tout ce qu'ils ne pourraient jamais accomplir. Si Candice était comme eux, Rose aurait pu le trouver pathétique mais aussi arrogant et désagréable soit-il, le génie de Candice surpassait, en effet, la plupart des cerveaux eldaryen.
La fée Milliget se vantait d'être forte, parce qu'elle l'était. Elle se disait intelligente, parce qu'elle l'était. Sa capacité à emmagasiner le savoir n'avait rien à envier aux autres et Rose s'était toujours fait la réflexion que Candice pourrait exceller dans n'importe quel domaine s'il choisissait de tenter l'expérience, même par vanité.
Tu vas faire ce que je te dis et quand il sera mort, je pourrai guérir ta mère.
Rose perd son regard opalin sur son plateau. Il ne voit plus son bol vide, ni les tranches de pain qu'il a grignoté du bout des dents, l'estomac noué à cause de la voix qui s'élève à sa gauche. Ce matin, quand Lilymoe lui a apporté son petit déjeuner, il s'est senti épuisé. Rose n'a pas cauchemardé cette nuit. En réalité, il l'a passé à lutter contre le sommeil, juste pour écouter la respiration de Valkyon en craignant qu'il sombre dans l'inconscience, à nouveau.
Quand il pensait à lui, Rose délaissait toutes les zones d'ombre qui l'avaient rongées jusqu'à maintenant.
C'est ça, la force tranquille de Valkyon. C'est semblable à une aura qui se dégage de son corps massif pour atteindre ceux qui se tiennent autour de lui comme le nuage d'une poussière bienfaitrice. Le Chef de l'Obsidienne a toujours été le seul phare qui parvenait à attirer Rose dans son sillage et avec du recul, le jeune vampire songe que c'est uniquement parce que Valkyon a su lui donner ce qu'il a toujours cherché sans en avoir conscience : de la gentillesse, de l'attention et de l'estime.
C'est dans les yeux du grand faelien que Rose a su voir sa valeur et c'est dans ses gestes et le ton de sa voix qu'il s'est senti important. Là, dans une foule de gardiens, une jeune vampire de quatorze ans entièrement vêtu de noir croisait le regard du Chef de l'Obsidienne qui le saluait d'un signe de tête parce qu'il le reconnaissait. Parce qu'il estimait que s'arrêter quelques secondes pour dire bonjour à Rose Clarimonde, ça en valait la peine.
Valkyon avait aussi estimé que réaliser un petit bracelet de perles sombres pour le jeune protégé de Nevra qui craignait sans arrêt de perdre ses clés, ça en valait également la peine.
Rose pensait que ce n'étaient que des paroles en l'air et qu'il ne le ferait jamais, mais il l'avait fait. Valkyon était un homme de parole, un homme juste, gentil, compréhensif, à l'écoute et avec un sourire très doux flottant sur ses lèvres.
Pourtant, tout ce que Rose a pu faire pour le remercier d'avoir été un véritable pilier pour lui, c'est l'aimer pour de mauvaises raisons.
« Bon, le Chef Batatume, on va aller prendre un bain, nous ! s'exclame Yëvet, faut changer les pansements et vous frotter le dos ! Vu l'état, ça va pas être triste, c'est moi qui vous le dit !
- J'ai confiance en vous, Yëvet, je sais qu'avec vous, mon corps ne sera jamais légué à la science. »
L'infirmière rit de bon cœur et Joseph se joint à elle. Malgré les blessures qu'il a subi, Valkyon ne se défait pas de sa bonne humeur ainsi que de son optimisme. Pourtant, durant la journée de la veille, Rose a déjà vu une ombre passer sur son visage.
Les visites se sont succédées, accueillant une foule de personnes venues saluer le Chef de l'Obsidienne et parmi les visages connus comme celui de Balam, de Caméria ou de Cristal, il manquait celui de Nevra.
Rose est certain que Valkyon a été mis au courant de la situation par Joseph alors à présent, il se contente d'attendre que le regard du grand faelien se mette à changer sur sa personne.
Il est un traître et un adorateur des fées. Aujourd'hui, il va être soumis à une évaluation de l'esprit et ce qu'il dira sera inscrit dans son dossier, pour son futur jugement.
« Eh, vous savez, reprend Yëvet, il manquera plus que le Chef Séquoïa et comme ça, à la fin de ma carrière, je pourrai me vanter d'avoir vu tous les Chefs de la Garde d'Eel et leurs Seconds à poil ! »
Son commentaire déclenche de nouveaux rires et Valkyon, qui est en train d'user de la force de ses bras pour s'installer sur le fauteuil à roulettes, ajoute qu'il ignore si le voir dans son plus simple appareil est réellement un exploit de fin de carrière.
« Ah, c'en est un ! lui répond l'infirmière, et vous savez, avec les collègues, on en a un autre mais je vous en dirai pas plus. Ça implique de prendre la température dans toutes sortes de derrières. Et ça, c'est exceptionnel ! »
Rose, qui s'est tassé sur ses oreillers après les paroles de Yëvet, laisse la conversation lui échapper pour se concentrer de nouveau sur son plateau. Il n'a pas fini de manger et ça lui sera encore reproché, mais il ne peut pas. Son estomac est toujours noué et cette fois, c'est à cause de son évaluation.
Pour lui, il s'agit de sa première porte de sortie, alors il y a réfléchi avec le plus grand des sérieux. Il sait que Leiftan le fera condamner par tous les moyens pour finalement le tuer de la manière la plus sadique possible, alors Rose doit pouvoir jouer les cartes qu'il a en main.
Dans les solutions qui se sont présentées à lui, certaines ont été plus convaincantes que d'autres. Dire la vérité a tout de suite été mis de côté car Rose sait que personne ne le croira. S'il tente de tout mettre sur le dos du Conseiller, alors il écopera de sanctions supplémentaires pour diffamations et outrage sur un membre de la Garde Étincelante. Leiftan pourrait même s'amuser de la situation, en le regardant se débattre comme un spadel pris dans la toile d'un chead pour finalement finir dans l'estomac d'une fée.
Alors ce n'est pas la bonne solution.
Rose peut aussi accuser Maître Candice. Il est celui qui est actuellement en prison parce qu'il a détruit Eel et voulu attenter à la vie du Conseiller. Aux yeux des autres, il est perçu comme un monstre, un sauvage sans âme et sans conscience avec une trompe immonde dans une gueule béante, puis des dents comme des rasoirs. Ce serait facile de dire que Maître Candice l'a menacé et l'a forcé à collaborer avec lui et ce serait même encore plus facile d'expliquer que Nevra Mircalla s'est rangé dans son camps pour essayer d'aider Rose, mais le jeune vampire est incapable de raconter tout cela, parce que ce sont des mensonges.
Des mensonges qu'il se refuse d'assumer. Maître Candice est ce qu'il est, mais lui et sa famille sont les souverains originels et ça, c'est la vérité de Rose. Il ne peut pas livrer un souverain qui possède le savoir, la puissance et l'intelligence nécessaires pour régner sur Eldarya.
De plus, Maître Candice a dit qu'il trouverait un moyen de guérir sa mère et Rose le croit.
Maître Candice est ce qu'il est, mais…
« Monsieur Clarimonde ? »
Rose revient à lui avec un sursaut. Quand il lève ses yeux opalins, il se met à ciller face à la digne silhouette d'Ewelein Osgiliath. Dans cette pièce remplie de convalescents, l'elfe médecin à l'air d'une apparition, dans sa longue robe d'une jolie couleur lavande, ainsi que son chignon de cheveux nacrés. Son visage ressemble à une sculpture de marbre, si digne, et ses yeux d'un bleu glacé le fixent sans aucune once de jugement. Si Ewelein le considère comme une crasse, comme un adorateur des fées imbécile qui mérite le pire des sorts, alors elle sait parfaitement se maîtriser et intérioriser toutes ses opinions afin de rester la plus neutre possible.
Ewelein n'est pas seule. Elle est accompagnée d'une jeune femme à la peau très pâle, vêtu de ce qui semble être un uniforme et quand Rose avise les couleurs bronze et véronèse, une boule se loge dans ses entrailles alors qu'il pense tout de suite à la cité d'Odrialc'h.
Il remarque à peine les oreilles velues, siégeant sur la tête de la jeune faelienne, parmi sa masse de longs cheveux noirs, ainsi que ses deux queues animales qui se balancent paresseusement derrière elle.
« Je vous présente Sadako Nakata, représentante du Grand Juge Alma Tuarran, de la cité d'Odrialc'h. Madame Nakata sera présente durant votre évaluation de l'esprit. Elle vous posera quelques questions et fera un rapport à la justice d'Odrialc'h lorsque nous aurons terminé. Est-ce que vous avez fini de manger ? »
Tuarran. Blême, Rose fixe Sadako Nakata comme si elle venait de prendre l'apparence de Leiftan et dans son for intérieur, il se demande si le nom de famille du Grand Juge Alma a un rapport avec Leiftan ou bien s'il ne s'agit que d'une coïncidence.
Mais dans ce genre d'affaires comme la sienne, les coïncidences sont bien trop rares…
Sadako le fixe avec intérêt. Ses sourcils, comme deux traits d'encre, sont froncés alors que son visage exprime une réflexion presque méditative. Ses lèvres sont pincées et dans ses mains, il y a une multitude de parchemins dont certains sont prêts à être remplis.
Rose ne dit rien pendant qu'Ewelein débarrasse son plateau. Il ne dit rien non plus quand elle l'aide à faire son transfert sur une chaise à roulettes, comme Valkyon avant lui. Même s'il ne l'évoquera jamais à voix haute, il doit bien admettre qu'il préfère quand c'est Yëvet qui s'occupe de lui. Elle ponctue toujours ses visites par des commentaires singuliers comme Bon aller, Rose, je vous déménage encore mais on va aller faire un tour dans le jardin… Ah ben si, vous allez prendre le soleil un peu, c'est moi qui vous le dit ! Vous avez pas prévu d'aller vivre avec les cargoches, non ?.
Ici, les gestes de l'elfe médecins sont précis, professionnels, mais dénués de toute chaleur.
Si le jeune vampire connaît la pièce dans laquelle il vit, ainsi que la salle de bain et les latrines, à présent, il découvre les couloirs de l'hôpital d'Albacore, puis l'aile réservée aux médecins.
La salle qui est mise à disposition pour son évaluation de l'esprit ressemble plus à une pièce où se déroulent moult interrogatoires, tant elle est austère. Le blanc maladif des lieux côtoi un unique bureau qui semble écrasé, ainsi que trois chaises. Les murs, nus, seraient presque morbides si une fenêtre cintrée ne laissait pas entrer la clarté du petit jour.
Rose y rive machinalement les yeux pour se perdre quelques instants vers la forêt bordant le village et ce qu'elle lui évoque, maintenant, c'est la liberté.
Il ferme brièvement les yeux. Il sait ce qu'il a à faire.
Il doit raconter un pieu mensonge. Un mensonge bien moins grand que celui qui accuse Maître Candice de tous les maux.
Un mensonge qui ne condamnera qu'une personne qui a essayé de le tuer, pendant la catastrophe et qui réessaiera quand l'occasion se présentera. Rose préfère que ce soit elle plutôt que Maître Candice, puis elle plutôt que Titan.
Ewelein installe sa chaise roulante face au bureau, puis y prend place en compagnie de Sadako Nakata. La kitsune a des gestes presque militaires, mais puisque c'est la mère de la Capitaine qui est à la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h, Rose devine sans mal qu'elle doit gérer ses Grand Juges et autres subordonnés d'une main de fer.
Sadako pose ses parchemins sur la surface plane et quand elle en arrange quelques-uns, Rose découvre que son dossier médical se cache parmi eux. Ewelein s'en saisit, avant de prendre la parole :
« Monsieur Clarimonde, nous sommes le marim vingt-deux du mois de sartane. Aujourd'hui, je vais procéder à une évaluation de l'esprit vous concernant afin de pouvoir déterminer votre implication dans la chute de la cité d'Eel qui a eu lieu le talez quatorze du mois de sartane.
- Nous avons préparé des questions que nous allons vous poser, reprend Sadako, Madame Osgiliath, médecin en cheffe de la Garde d'Eel participera à l'élaboration de mon rapport pour le Grand Juge Alma Tuarran avec le compte-rendu de son évaluation médicale. Si vous êtes jugé irresponsable de vos actes, c'est également Madame Osgiliath qui se chargera de votre mise sous tutelle. Mais ne rêvez pas trop : avec les éléments que je possède déjà, je doute fort que vous soyez fou, monsieur Clarimonde… »
Sadako lui adresse un sourire méprisant, mais Rose ne dit rien. Il a bien compris qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour que son rapport soit exemplaire, avec un coupable servi sur un plateau d'argent. Elle fera ce qu'il faut pour que son procès ne soit qu'une formalité alors s'il doit parler, il faut que chacun de ses mots serve à quelque chose.
La kitsune se penche vers Ewelein et lui demande, dans un murmure, si elle peut commencer avec ses questions. La médecin en cheffe lui donne l'autorisation et quand Sadako amorce son enchaînement, Rose a l'impression de se trouver au coeur d'une bataille sans chair et sans armes mais dont le moindre faux pas peut lui infliger une hémorragie éternelle qui le mènera tout droit vers le plus atroce de tous les verdicts :
« Vous êtes bien Rose Clarimonde, fils de Théodora Clarimonde, résidente de l'Institut des Maladies de l'Esprit d'Odrialc'h, dirigé par Chrysanthème Mircalla et d'un père non dénommé ? Répondez par oui ou par non.
- Oui.
- Vous avez grandi à l'orphelinat pour jeunes garçons Saint Ezekiel de Rhenia-Gaear, de vos deux ans jusqu'à vos quatorze ans, est-ce bien cela ?
- Oui.
- Lorsque vous êtes arrivé à la cité d'Eel, vous avez tenté l'examen d'entrée pour la Garde de l'Ombre et vous avez échoué. C'est correct ?
- Oui.
- Ensuite, après votre échec, vous avez choisi d'entrer au service de la famille Mircalla en tant que domestique. C'est toujours correct ?
- Oui.
- Ce qui nous amène à votre second passage à l'examen de la Garde de l'Ombre où vous avez réussi et ensuite, à votre place de Second de l'Ombre à l'âge de dix-neuf ans, seulement. C'est bien ça ?
- Oui. »
Tout est absolument correct. Les recherches de Sadako Nakata sont parfaites et à son air satisfait, Rose redoute la prochaine série de questions. Pourtant, la kitsune se tourne vers Ewelein et lui affirme d'une voix tranchante :
« Il est cohérent. Voyons s'il le sera jusqu'au bout. »
L'elfe médecin prend des notes régulières. Quand elle lève son regard perçant vers Rose, ce dernier frissonne. Il a l'impression qu'elle lit en lui et tout ce qu'elle espère, c'est qu'elle ne lira pas trop profondément. Il a besoin qu'elle le croit, quand il dira que la véritable cheffe d'orchestre derrière la catastrophe, c'est Sexta Stoker.
« Comment êtes-vous devenu Second de l'Ombre, monsieur Clarimonde ? lui demande brutalement Sadako, répondez honnêtement.
- J'ai eu ma place dans les règles, répond le jeune vampire, pris de cours.
- Non. C'est impossible. Vous n'aviez pas l'expérience de vos collègues et vous n'avez réussi aucune mission notable qui vous permettrait d'accéder à un tel poste. De plus,vous n'êtes pas un génie comme le Chef Séquoïa, par exemple et vous n'avez aucune autorité. Répondez honnêtement, s'il vous plaît.
- Je… j'ai…
- Vous avez ? » demande Sadako avec insistance.
Rose à la sensation de se retrouver face à un prédateur particulièrement retors qui guetterait sa proie. Il songe que la kitsune est typiquement le genre de personnage que Sexta apprécierait, parce qu'elle lui est un petit peu similaire : un black dog qui ne lâche rien.
Le jeune vampire ouvre de grands yeux. Penser à l'Impératrice des Abysses lui rappelle l'air vicieux qu'elle pouvait arborer face à un plan tordu, mais aussi à ses interrogatoires ignobles où elle cuisinait ses victimes jusqu'à leur faire cracher ce qu'elle voulait entendre.
En cet instant, Rose sait ce que Sadako veut entendre. Il ne peut pas lui dire que Nevra l'avait fait nommer Second pour le mettre hors de la portée de Leiftan au maximum, alors il doit trouver quelque chose d'autre.
S'inspirer des rumeurs propagées par les gardiens de l'Ombre qui le détestent, par exemple/
Mais Rose refuse de souiller Nevra de la sorte avec un mensonge aussi sale. Alors, pour satisfaire Sadako, il penche vers le petit soupçon de vérité qu'il peut ajouter à son histoire :
« Pour devenir Second de l'Ombre, j'ai eu une liaison avec un membre de la famille Mircalla.
- Nous y voilà ! s'exclame la kitsune, victorieuse, Qui donc ? Votre Chef de Garde ?
- Non, réplique Rose, Élise Mircalla.
- Élise Mircalla ? »
Sadako plisse les yeux, suspicieuse, mais Rose poursuit son récit. Il raconte qu'il a connu Élise quand il était domestique au domaine des Mircalla et qu'il s'est rapprochée d'elle. Il explique qu'il voulait l'épouser, mais que son père n'accepterait jamais que sa fille puisse se marier avec un simple serviteur. C'est pourquoi Rose est finalement devenu gardien et que dans l'ombre, Élise avait pu tirer quelques ficelles pour le hisser à la place de Second. Ainsi, Rose serait assez digne pour l'épouser.
« Vous êtes donc devenu Second juste pour épouser Élise Mircalla ? raille Sadako qui peine à y croire.
- Pour cela, mais aussi pour garantir la sécurité de ma mère à l'Institut Mircalla.
- Une place dans cet institut est hors de prix, en effet. Élise Mircalla est morte pendant la catastrophe mais j'imagine que vous êtes au courant. Vous l'aimiez ? Vous ne semblez pas attristé, quand vous parlez d'elle.
- J'avais de l'affection pour elle, mais je ne l'aimais pas.
- Je vois. C'est son argent et son nom, que vous aimiez. » crache Sadako.
Oui. Non.
Oui, Rose avait de l'affection pour Élise, même si son plan tordu impliquant un mariage avec elle l'avait beaucoup ennuyé car il s'immisçait dans ceux de Maître Candice, même s'il pouvait lui servir. Rose admirait beaucoup la résolution d'Élise Mircalla ainsi que l'amour qu'elle portait à Kumomo. Elle était prête à toutes les machineries pour s'extirper de sa famille étouffante et vivre avec elle, à Inari. Il aurait aimé être aussi courageux qu'elle.
Quand il a appris sa mort, Rose s'en est voulu. Il l'avait prévenue, mais elle ne l'a visiblement pas pris au sérieux, ou bien peut-être cherchait-elle désespérément sa compagne avant de quitter la cité. Elle était au mauvais endroit, au mauvais moment et elle a fait les frais d'un terrible ennemi.
Oui, Rose en avait après l'argent d'Élise. C'est ce qu'elle lui aurait laissé s'il avait accepté son plan. L'argent et le nom de Mircalla qui lui aurait ouvert de nombreuses portes. Pourtant, il sait au fond de lui qu'il aurait été parfaitement incapable de jouer le rôle qu'elle voulait lui confier et encore moins de lui donner ce qu'elle voulait obtenir de lui, contre sa fortune et son nom.
« Vous pouvez dire adieu à la tutelle, monsieur Clarimonde, siffle Sadako Nakata d'une voix doucereuse, visiblement, vous savez parfaitement ce que vous faites. D'ailleurs, j'ai trouvé quelque chose d'intéressant… »
Elle fouille parmi sa paperasse et quand elle sort plusieurs feuilles de parchemins, Rose reconnaît son écriture. Perplexe, il interroge Sadako du regard et lorsqu'elle reprend la parole, c'est avec un rictus :
« Peu de temps après les sélections, au mois de mimouet, vous avez effectué le suivi de June Albalefko, fille adoptive de Joseph Ael Diskaret, vainqueur des sélections et de Cristal Ael Diskaret, propriétaire d'une affaire de joaillerie de la mer. Cependant… »
Elle plonge ses yeux noirs dans ceux de Rose, puis poursuit d'un air faussement confus :
« Toutes vos évaluations concernant June Albalefko sont fausses. Je me suis entretenue avec la nouvelle Cheffe de l'Ombre, Enthraa Kellerman, qui participait également à ces entraînements inter-gardes et en lisant vos notes, elle a pu affirmer que ce que vous avez écrit ne correspondait pas à la réalité desdits entraînements. Comment ça se fait ? À vous lire, on dirait que June Albalefko est une gardienne diligente qui fait d'énormes progrès, au point de pouvoir intégrer une place de choix dans l'armée d'Odrialc'h. Pourquoi avoir falsifié vos évaluations, monsieur Clarimonde ? La gardienne Albalefko vous a donné quelque chose en échange ? »
Rose secoue furieusement la tête. Si Sadako veut entendre des propos ignobles de sa bouche, elle n'entendra rien. Comme pour Nevra, il ne traînera pas June dans la boue et n'entachera pas sa réputation. Ce n'est pas ainsi qu'il veut gagner sa liberté.
« La gardienne Albalefko ne m'a fait aucune faveur en échange de mes évaluations.
- Alors pourquoi avoir menti ?
- Parce que je voulais qu'elle réussisse à entrer dans l'armée d'Odrialc'h.
- Pourquoi ? »
Parce que Maître Candice voulait qu'elle ait son rôle à jouer, au sein de l'armée d'Odrialc'h. Parce qu'il voulait qu'elle s'infiltre parmi les guerriers de la plus grande cité d'Eldarya afin de retrouver les anciens et les enfants du peuple des fées, retenus en otages.
Mais Rose ne peut pas dire cela.
Sadako Nakata commence à le dévorer tout cru et quand ses yeux se plissent, le jeune vampire sent un frisson courir le long de sa colonne vertébrale.
« Vous savez, reprend-t-elle d'une voix onctueuse, si vous ne voulez pas nous parler, nous pouvons lui demander directement.
- Pardon ?
- À la gardienne Albalefko. Nous pouvons lui demander de venir et nous verrons si elle est prête à nous parler. Ce serait même plus simple, vous ne pensez pas ? Elle pourrait nous dire des choses intéressantes sur vos sessions d'entraînement ainsi que les évaluations que vous avez écrites, si elle est au courant de vos mensonges. »
Rose blêmit. Il refuse de mêler June à cela. Il songe à une explication plus convaincante, mais Sadako le presse de répondre.
Par oui ou non.
Oui, il peut coopérer et demander à ce que June vienne répondre à quelques questions ou non, il peut trouver une histoire plus convaincante pour cacher la vérité. Si Sadako Nakata apprend que June devait servir de pion pour l'infiltration de l'armée d'Odrialc'h, alors il ne sera plus question de procès mais d'une mise à mort immédiate.
Rose, Nevra Mircalla, Maître Candice, Nelladel, Fawkes et même Titan… Ils seront tous reconnus coupables de haute trahison, non seulement envers Eel, mais également envers Odrialc'h. Il ne peut pas laisser cela arriver.
« Alors, monsieur Clarimonde ? Dépêchez-vous. Doit-on faire venir June Albalefko ? Oui ou non ? »Les Choix
Rose est en pleine évaluation de l'esprit. Ewelein Osgiliath doit déterminer sa responsabilité dans la catastrophe et Sadako Nakata, elle, subordonnée du Grand Juge Alma qui s'occupe de l'affaire, mène son enquête afin de déterminer si Rose est coupable et si son implication dans la catastrophe est grande.
Rose a décidé de tout mettre sur le dos du cartel des Typhons et plus précisément, sur celui de Sexta Stoker. Cependant, protéger certaines vérités est difficile, tout comme celle qui implique le plan de Candice Milliget, avec l'enlèvement de June et de Helouri, pour les infiltrer respectivement dans l'armée d'Odrialc'h, puis au grand palais.
Sadako Nakata a donc posé une série de questions concernant les évaluations falsifiées de Rose, concernant June Albalefko. Elle s'interroge sur ces entraînements inter-gardes et la raison pour laquelle Rose a menti vis-à-vis de ces fameuses évaluations.
Pour faire la lumière sur cette histoire et obtenir une réponse à sa question, Sadako Nakata propose de faire venir June Albalefko.
C'est à Rose de prendre la décision. Que devrait-il faire ?
➜ Faire venir June Albalefko.
➜ Ne pas la faire venir.
Notes importantes : Faire venir June déclenche un RP. Maya, tu seras donc tout à fait libre de répondre aux questions de Sadako Nakata et d'inventer le plus gros des mensonges si tu le souhaite ! Mais attentions aux conséquences…
Vous êtes libres d'attendre le post de Maya pour faire votre choix ou même d'échanger entre vous pour monter une éventuelle histoire que June pourrait raconter, si Maya le souhaite.
L'important est de protéger l'infiltration de June et Helouri prévue par Candice Milliget, ainsi que toutes les conséquences qui en ressortiraient si cette vérité était exposée au grand jour.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a choisi un travail très difficile et pas des moindres : nourrir la fée. Malgré les conditions cauchemardesques de son nouveau travail et tout ce qu'elle a pu y apprendre, June reste déterminée.
Il est temps d'aller nourrir la fée une nouvelle fois. June peut essayer de la faire parler de nouveau.
Quand tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Fawkes est blessé à la jambe depuis que le plan qu'il a monté avec Nelladel a échoué. Le voilà transféré à l'hôpital d'Albacore, dans une chambre confinée, menotté à son lit.
Il peut observer les lieux et peut-être trouver un moyen de communiquer avec Nelladel.
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contacte-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous et bienvenue sur ce premier chapitre de l'année 2023 ! (^_^)/
Encore une fois, je vous remercie pour votre présence sur cette fiction intéractive ainsi que pour votre implication ! J'espère que cette année sera toujours aussi riche pour vous en rebondissements sur cette histoire et qu'ensemble, nous écrirons la fin.
J'aimerais pouvoir vous dire que l'on commence l'année dans la joie et la bonne humeur mais… Vous finissez par me connaître et par connaître le ton d'Apotheosis.
Tout ceci pour vous dire de faire très attention avec ce chapitre : nous avons un sujet très sensible et ça augmente encore d'un cran. Vous savez que le personnage de Rose est en très grande détresse psychologique et si je vous avais déjà recommandé de faire attention dans les précédents, j'insiste beaucoup avec ce chapitre : attention ! Si vous êtes très sensibles avec des thèmes comme la dépression et le suicide, je vous recommande de passer votre chemin.
Pour les autres, je vous souhaite une bonne lecture et un bon retour dans l'univers de la fiction !
Chapitre 7 - Le Mal À Dit
Exploration de l'annexe et nourrissage de la fée
Quand June quitte enfin le dédale des illusions, elle se confronte à la violence des lieux. La grande cellule circulaire de la fée lui fait face et son occupant s'est terré contre le tonneau d'eau fraîche, lui tournant le dos. Ses ailes pendent tristement comme des morceaux de tissu et sur la chair crasseuse, il reste encore les stigmates de ce que Leiftan lui a fait, quand il a voulu la priver de ses ailes.
La jeune faelienne le quitte des yeux pour chercher Balam. Il doit sans doute se trouver dans l'annexe qui possède un long couloir communiquant avec la boucherie, là où les condamnés à mort sont exécutés puis préparés pour nourrir Candice. Mais June doute que Balam ait emprunté ce couloir pour aller voir ce genre de spectacle. Il doit être assis à ce qui lui sert de bureau, en train de rédiger un rapport que Leiftan ne lira jamais.
Elle se dirige donc vers l'annexe et abaisse la poignée. Comme elle s'y attendait, Balam est bel et bien, là attablé à son bureau, en train d'écrire. Il est si concentré sur sa tâche qu'il ne l'a pas entendu entrer et June se demande si elle doit s'annoncer, au risque de le faire sursauter.
Balam a beau accomplir son travail avec peine, il reste professionnel malgré lui. L'annexe témoigne d'ailleurs de son côté précautionneux car chaque chose est à sa place, de la chaise dépareillée qui siège près d'une autre, face au bureau, aux quelques pots de glace éternelle rangées dans des baquets de bois, apportant une grande fraîcheur à la pièce.
Balam a apporté quelques livres, du papier, des plumes ainsi que de petits encriers. Il a commencé certains carnets, dont un ouvert sur une page avec une liste de mots et tous ses rapports sont rédigés en double. Balam garde toujours une copie de ce qu'il fait.
À l'autre bout de l'annexe, près de la porte en métal qui donne sur le couloir, il y a deux autres caisses empilées l'une sur l'autre. La première contient des tuniques pliées proprement, d'une couleur bleu saphir et la seconde contient peut-être le même genre de choses.
Un balai est adossé contre un mur puis, suspendu à un crochet, une longue blouse grisâtre.
Ses prunelles améthystes font rapidement le tour de ses options, et elle décide de profiter de sa présence ici pour fureter un peu. Il faudra qu’elle soit maligne, car elle doute que Balam la laisse fouiller dans ses affaires sans rien dire, mais il ne soupçonnera pas de mauvaises intentions chez elle si elle fait attention.
June toque à la porte trois fois, puis s’avance dans la pièce en le saluant comme à son habitude.
« Je suis un peu en avance, sourit-elle gentiment. J’espère que je te dérange pas ? »
Ses yeux captent brièvement la liste de mots notés sur le carnet, mais même si elle avait été seule, il lui aurait fallu du temps pour la déchiffrer, alors elle ne s’attarde pas. À la place, elle s’approche du bureau et se laisse tomber dans la chaise libre, comme si elle était déjà épuisée par le travail qui l’attend.
« Il fait un peu froid ici, remarque-t-elle.
- Je comprends, sourit Balam, c'est à cause de la glace éternelle qui est entreposée là-bas. »
Son regard blanc se pose machinalement sur les baquets en contenant des pots. Balam souffle par le nez, puis reporte son attention sur le rapport qu'il est en train de rédiger :
« Je voulais en mettre dans la cellule de la fée. Je ne sais pas si tu le sais, mais les fées vivent dans des températures extrêmes, tout à l'ouest des Terres Gelées du Grand Nord et comme j'ai remarqué que le prisonnier se déshydratait beaucoup, alors j'ai pensé à la glace éternelle. Mais il n'en veut pas… »
Balam hausse les épaules, penaud. June hoche la tête. Ça ne l’étonne pas, la fée n’a pas l’air de vouloir de grand chose… Même sa nourriture, elle ne la dévore que pour essayer de dégoûter ceux qui la regardent. D’un geste naturel, June commence à jouer avec l’encrier qui se trouve devant elle, faisant tourner la plume à l’intérieur comme quand elle était plus petite et qu’elle réfléchissait à la manière de tracer ses lettres.
« Je savais pas, ment-elle. Tu crois qu’il a trop chaud alors ? C’est vrai que celle que j’ai rencontré avait un voile tout froid, c’était peut-être pour ça… »
June repose les yeux sur le petit carnet, les plisse puis essaie de déchiffrer l’un des mots avec application.
« O… z… n… a… articule-t-elle. Ozna ? C’est comme ça qu’il m’appelle, quand je lui donne son repas. Tu sais ce que ça veut dire ?
- Tiens donc, il m'appelle comme ça aussi. Je pense que c'est une insulte. Je ne sais pas si ça servira à grand-chose, mais j'écris tous les mots que j'entends dans sa langue. »
L'ancien guetteur s'interrompt. Il agite machinalement la plume qu'il tient entre ses doigts, son regard opaque perdu vers une image qu'il est le seul à voir, puis il reprend en racontant à June :
« Tu sais, quand les fées sont arrivées à Eel, après les sélections, je faisais partie du comité d'accueil. Je ne comprenais pas pourquoi un guetteur comme moi devait être ici, avec le Chef Mircalla et le Conseiller, mais j'ai très vite compris pourquoi. »
La mère de famille et deux de ses enfants avaient été parfaitement corrects, mais le troisième…
« Ton père était avec nous. Helouri voulait accompagner Alajéa pour une audience avec trois membres de la famille Milliget afin de poser ses questions, tu te souviens ? Ça avait inquiété Joseph, alors il avait voulu les voir. C'est un petit peu à cause de lui que je me suis retrouvé là-bas, vu qu'il n'a pas arrêté de vanter ma diplomatie. Il a toujours exagéré… Mais quand il a commencé à poser ses propres questions à la mère de famille, Delta Milliget, l'un de ses enfants s'est moqué de lui d'une manière très méprisante. Je te laisse deviner qui c'était… »
June esquisse un demi-sourire. Joseph n’avait pas beaucoup parlé de sa rencontre avec les fées, mais elle se souvient très bien avoir capturé quelques bribes d’informations en laissant traîner ses oreilles au sujet des Maîtres de la Médecine. À l’époque, elle était loin d’imaginer qu’elle en croiserait un d’aussi près… Elle hausse les épaules en secouant ses mèches cendrées.
« T’es trop modeste. Papa te fait confiance, et je suis sûre que le Chef Mircalla était complètement d’accord avec lui. »
Elle hésite, puis triture un peu plus sa plume en frissonnant quand elle se remémore l’attaque d’Eel.
« Je l’ai vue, je crois. Delta Milliget, quand tu m’as trouvée pendant… Avec ce Nelladel. Elle avait l’air gentille, de loin. Est-ce que… Est-ce que tu penses qu’ils sont tous comme lui ? Ou que c’est un cas à part ? Enfin je veux dire, ils disent que Rose Clarimonde est un adorateur des fées, mais j’ai du mal à l’imaginer vénérer un type pareil… »
Balam se recule sur sa chaise. Vaste question et vaste réponse. Il pense que personne ne peut vraiment se targuer de connaître les fées, pas même leurs adorateurs. Delta Milliget est peut-être plus gentille que son fils, au sein de sa cellule, ou bien peut-être qu'elle est comme lui ou pire que lui…
« Nous ne sommes ni dans la tête des fées, ni dans celle de leurs adorateurs. Reste à savoir qui leur a donné ce nom-là d'ailleurs, parce qu'entre adorer quelqu'un au point de le considérer comme un dieu et désigner une espèce comme souveraine d'Eldarya, ce n'est pas la même chose. »
Balam ne connaît que très peu Rose Clarimonde, si ce n'est ce que Valkyon ou Nevra ont déjà dit de lui. En tout cas, ça ne sonnait pas vraiment comme quelqu'un d'étrange qui adorait les fées en secret, mais plutôt comme une personne effacée qui faisait toujours de son mieux.
Balam n'aurait jamais pu imaginer que le Chef de l'Ombre et son Second puissent être impliqués dans la catastrophe d'Eel et partisans d'une fée sauvage et meurtrière. L'ancien guetteur croise les bras sur sa poitrine, secoue la tête puis demande :
« J'ai personnellement du mal à réaliser que Nevra Mircalla et son Second aient pu participer à la chute de la cité. D'ailleurs, toi qui t'es entraînée avec Rose Clarimonde, June, est-ce que tu avais remarqué quelque chose d'étrange dans son comportement, comme des signes avants-coureurs par exemple ? »
Elle arbore une grimace qui n’est même pas forcée. Elle a encore en travers de la gorge la façon dont on s’est servi d’elle, et elle n’est pas tout à fait sûre d’avoir pardonné Rose… Alors qu’elle hausse les épaules, ses doigts serrent un peu plus fort la plume qu’elle continue de faire tourner l’air de rien.
« Rien du tout, c’est pour ça que je suis surprise. Tout ce que j’ai appris de lui, c’est qu’il est psycho-rigide et qu’il a un faible pour le… Par l’Oracle ! »
La plume lui échappe et l’encrier roule sur le bureau en répandant son contenu jusque sur la tunique de Balam, et June se lève brusquement pour essayer de réparer les dégâts. Ce faisant, son coude heurte la pile de papiers soigneusement rangés, qui dégringole alors qu’elle pousse une nouvelle exclamation dépitée.
« Oh non, je suis désolée ! Excuse-moi, et maintenant il y en a partout ! »
L'ancien guetteur se lève d'un bond, jetant un regard épouvanté à sa tunique azur. Il ignore s'il pourra retirer l'encre sans quoi, il n'aura plus qu'à en obtenir une autre…
Toutes les copies de ses rapports sont par terre, mélangées et dans la chute, quelques livres sont également tombés, révélant leur contenu. Il y a des gravures représentant des animaux humains ou bien des humains eux-mêmes, certains portant de grandes robes ainsi que des bijoux et d'autres, des costumes tout à fait élégants. Des histoires humaines traduites dans la langue commune que Balam emmène dans cet endroit pour s'y échapper un petit peu.
« Ce n'est pas grave, June répond-t-il d'une voix paisible, mais je veux bien que tu m'aides à tout ranger. »
Avec un air épouvanté, elle hoche la tête et entreprend de ramasser les parchemins. Elle voudrait bien en lire le contenu, mais à nouveau, il lui faudra plus de temps, alors elle en sélectionne trois au hasard, qu’elle glisse subrepticement dans sa tunique en détournant l’attention de Balam vers les caisses derrière lui.
« Je suis vraiment désolée, heureusement que tu as d’autres tuniques là-dedans ! J’espère que tes livres ne sont pas tâchés…»
Elle en ramasse innocemment, et admire les gravures en esquissant un sourire penaud.
« C’est joli, je suis sûre que Lou aimerait beaucoup… De quoi ça parle ?
- D'un capitaine qui parcourt les fonds de mer à bord d'un bateau capable d'aller sous l'eau. Si on pouvait avoir la même chose dans notre monde, je pense que ce serait bien pratique pour ceux qui ne peuvent pas aller sous l'eau. »
Balam cherche un chiffon des yeux et quand il en trouve, il s'applique à essuyer toute l'encre de sa tunique mais malheureusement, il ne pourra pas s'en débarrasser. Grimaçant, il adresse tout de même un regard chaleureux à June puis, désignant les autres tuniques d'un geste du menton, il explique :
« Ce n'est pas pour moi, c'est pour la fée. Je pense qu'elle aurait bien besoin de se changer mais quand je lui propose des vêtements propres, elle les détruit… Enfin, c'est dommage. J'aurais bien aimé pouvoir examiner sa robe. »
Un sourire très doux flottant sur son visage, Balam se met soudain à ciller en avisant que ses propos peuvent sonner d'une façon assez ambigüe. Embarrassé, il passe une main dans ses cheveux sombre et précise sa pensée :
« Ce que je veux dire, c'est que le tissu me rappelle quelque chose. Une légende sur des anciens peuples composé de tisseuses qui accompliraient des miracles, mais qui étaient si terrifiantes qu'elles ont été chassées. Les vêtements qu'elles filaient avaient l'air irréel et je me disais que peut-être que là où vivent les fées, il y a aussi des créatures de ce genre. »
June hoche la tête, même si le conte ne lui dit rien. Il faudra qu’elle pense à demander à son frère s’il sait quelque chose à ce sujet. Elle n’a pas non plus prêté attention à la robe de la fée, et elle songe que Balam a dû passer beaucoup de temps à l’observer.
Elle aligne sa pile de parchemins, puis la repose sur le bureau en s’excusant de nouveau, puis ajoute en plaisantant que la fée pourra peut-être lui en dire plus si elle est de bonne humeur.
« Ça fait beaucoup de robes, remarque-t-elle tout de même. Et la blouse, c’est aussi pour lui ? »
Elle fait mine de grimacer, et rentre la tête dans les épaules en rougissant légèrement.
« Désolée, je t’embête… ça m’aide à me distraire pour… ce que je vais faire ensuite. » marmonne-t-elle avec un regard en coin.
Balam hoche la tête. Il la comprend et c'est aussi pour cette raison qu'il rapporte beaucoup de livres sur les lieux et qu'il préfère se concentrer sur le folklore mystérieux qui entoure l'espèce des fées plutôt que sur la situation du prisonnier en lui-même. Ça l'aide à voir les choses différemment et à ne pas se laisser happer par la violence de l'endroit.
Quant à la blouse…
« Non, la blouse c'est pour quand je dois aller chercher la nourriture de la fée. Tu sais, directement dans la boucherie. Je la mets pour éviter que l'odeur qu'il y a là-bas me reste sur la peau, parce que… »
L'ombre qui passe sur son visage en dit long. La boucherie, c'est un lieu qui empeste la mort. Elle est appelée ainsi par l'exécuteur qui y travaille et qui reçoit régulièrement des condamnés à mort dont il procède à l'exécution et à la découpe. Dans son antre, il y a d'énormes crochets sanguinolents, un plan de travail, des montagnes de sel ainsi qu'une pièce entière qui n'est jamais nettoyée et toujours gardée rouge pour terroriser les nouveaux arrivants. L'odeur du sang s'est incrustée dans chaque recoin de la boucherie et les murs, là-bas, transpirent la peur.
Quand Balam est forcé d'y aller pour chercher la nourriture que June doit donner à la fée, il tâche de faire abstraction de la réalité et de se plonger dans les histoires qu'il apporte sans quoi, il serait capable de perdre la raison.
June hoche la tête. Elle comprend, et elle n’a pas envie de mettre les pieds là-bas. La jeune femme se racle la gorge, puis prend une longue inspiration avant de peindre un sourire tremblant sur son visage.
« Encore désolée pour ta tunique, si jamais ça te fait des problèmes, dis leur que c’est moi, ils ont l’habitude. Je crois que c’est l’heure. »
Le guetteur lui indique qu’il ne lui en veut pas, et June quitte l’annexe en poussant un soupir soulagé. Elle espère que dans les rapports, elle pourra apprendre certaines choses utiles, autrement, elle sera quitte de fouiner à nouveau…
À l’extérieur, le prisonnier n’a pas bougé, alors elle se dirige vers le bac qui contient son repas du jour, et comme d’habitude, elle fait abstraction de l’aspect pour le poser dans la trappe, puis elle s’empare de la chaîne qui permet d’attirer le tonneau d’eau, dérangeant l’occupant des lieux. En ahanant sous l’effort, la jeune femme jette un coup d’oeil à la fée et quand le récipient lui parvient, elle passe une main agacée sur son front couvert de sueur.
« Eh, l’apostrophe-t-elle. Tu fais toujours la tête ? J’imagine que si je te pose des questions, je vais me faire insulter ? »
Tout ce qu'elle récolte, c'est un regard mauvais, même pire. La fée s'était repliée sur elle-même, près du tonneau que June a emporté et la priver de l'objet qui la masquait quelque peu des rares âmes qui errent en ces lieux ne lui plait pas du tout.
Lors de la dernière visite de June, l'irritation de Candice avait pris le dessus et il lui avait adressé quelques mots de la langue commune. Erreur qu'il regrette aujourd'hui.
Sans un mot, il se traîne jusqu'au bac et y découvre un tronc. Il attrape la viande puis, avant d'y planter la trompe et les crocs, se charge de la désosser. L'exécuteur a pris soin de la vider et c'est bien dommage mais comme d'habitude, le geôlier laisse quelques abats en plus.
Candice arque un sourcil. Finalement, peut-être qu'il peut égayer son temps imbécile avec la langue commune des faeliens…
Il ouvre grand la bouche et engloutit un foie. Lorsque l'organe est avalé, il raille :
« L'autre ozna n'est pas avec toi. Un jour, je mangerai assez, je sortirai d'ici et je le tuerai. Si tu es là, je te tuerai aussi. Tu sais, je goberai tes yeux. Ça me manque de ne plus en manger. »
Elle lui adresse une moue fatiguée. Encore faudrait-il sortir d’ici, et ce n’est pas demain la veille qu’il y parviendra. La jeune femme ne se gêne pas pour le lui faire remarquer, en s’adossant à une caisse pour hausser les épaules.
« C’est pas avec les bras cassés qui te servent d’adorateurs que tu vas t’en aller… Fallait manger l’autre fois si tu voulais t’enfuir, je suis sûre que le renard aurait fait un repas convenable. »
June remplit le tonneau d’eau propre, et prend même soin de nettoyer le bois pour faire plaisir à Balam. Si ça ne tenait qu’à elle, la fée n’aurait droit qu’à ce qu’elle mérite, et pour l’instant, Candice Milliget ne mérite sûrement pas sa sympathie.
Oui, il aurait pu manger le renard, le garde ou même l'elfe qui lui sert de dava. Il aurait pu quitter cet endroit et même tenter d'assassiner Leiftan Tuarran, mais il aurait échoué une seconde fois. Candice le sait.
Dès que la rage dépasse une limite dans son esprit, il cesse d'être maître de lui-même et il perd. S'il s'échappe, d'autres paieront pour son méfait. Les anciens et les enfants de son peuple et ça, ça ne peut pas arriver.
Arrachant un énorme morceau de chair pour l'avaler dans un bruit ignoble, Candice répond d'une voix traînante :
« Le renard aurait fait un bon repas, oui… Mais l'elfe qui me sert de geôlier en ferait un meilleur. Son visage, par exemple. Je lui arracherai le visage… »
Achevant ses paroles en retroussant les lèvres, les maigres mains de la fées déchirent l'abdomen de son repas dans un mouvement de rage. Puis, reportant son attention sur June, ses yeux gris se plissent pendant que ses lèvres s'étirent en un rictus. Enfin, il lui demande d'une voix doucereuse :
« Toi, tu es sans doute plus maligne que mes dava. Donc, tu pourrais me rendre un service ? »
June est passée maîtresse pour afficher une impassibilité à toute épreuve. À défaut de lui apporter quelques compétences, ce travail ignoble lui aura permis de travailler ce stoïcisme qui lui manque tant selon ses collègues… Elle ne cille même pas quand la chair se brise, et il lui est presque naturel de réprimer la nausée qui menace de la submerger.
Si un jour elle cherche à se reconvertir, elle pourra toujours devenir bouchère… Elle hausse les épaules et se met à examiner ses ongles comme si cette conversation l’ennuyait passablement.
« Dis toujours. » répond-elle.
C’est sans doute un de ses coups tordus, et elle l’imagine aisément se moquer d’elle ensuite en lui demandant de venir elle-même dans sa cage, mais ça ne coûte rien de l’écouter. Après tout, c’est lui qui se trouve du mauvais côté des barreaux, elle, elle n’a rien à craindre pour l’instant.
Pourtant et même s'il est le prisonnier, Candice s'approche dangereusement des barreaux. Il les agrippe avec force et y fait glisser ses mains comme s'il cherchait à les tordre. Mais il n'a pas assez mangé, alors il n'y arrivera pas.
June se tient à bonne distance alors il ne peut pas l'attraper, tout comme il ne peut pas passer son visage entre les barreaux. Tant pis, il se contente seulement d'y presser son front en toisant la jeune faelienne d'un regard moqueur, derrière son rideau de cheveux gras puis, quand il reprend la parole, il s'adresse à elle dans un souffle :
« Je sais que les têtes pensantes qui m'ont mises en prison ont gardé mon voile. Et je trouve qu'il fait bien trop chaud, ici. Puisque ton collègue a tant envie de prendre soin de moi, alors je voudrais que tu ailles lui demander de récupérer mon voile pour moi. »
Candice fait mine de réfléchir, puis ajoute :
« Toi, tu n'as l'air d'être qu'une miyina. Il vaut mieux que ce soit lui. Mais si tu fais gentiment la commission, peut-être que je répondrai à l'une de tes questions. Alors ? Tu veux bien être gentille ? »
Elle jette un regard dans la direction de l’annexe. Elle ne sait pas si Balam accepterait une requête de ce genre, mais elle sait que si quelqu’un apprend que Candice a récupéré son voile, des têtes tomberont et elle n’a aucune envie de perdre la sienne. La jeune femme fait un pas vers lui, en s’assurant de toujours rester à bonne distance, et peint un sourire froid sur ses lèvres.
« J’ai une meilleure idée, Hekhelem, susurre-t-elle. Pourquoi est-ce que tu ne répondrais pas à une de mes questions, et ensuite, peut-être que j’irais demander à Balam s’il peut récupérer ton voile ? »
Il est hors de question qu’elle fasse ses quatre volontés pour rien, et elle imagine mal Candice lui donner ce qu’elle veut même si elle lui obéit sagement… Alors puisqu’elle risque de ne rien savoir de toute façon, autant jouer le tout pour le tout.
« Parce que c'est moi qui propose le marché, réplique Candice, et que jusqu'à présent, je peux me passer du froid. Il y ceux qui peuvent survivre en enfer et il y a les gens comme toi. »
La chaleur, ici, est intolérable. Candice a l'impression d'être piégé dans un volcan, mais il est hors de question qu'il accepte les glaces éternelles que le geôlier veut lui remettre. S'il veut retrouver le froid, alors ce sera par ses propres moyens.
« Fais ce que tu veux, miyina, c'est toi qui veut poser des questions… Ah, et si tu veux savoir ce que ça veut dire, miyina... »
Candice prend une inspiration puis, son front collé contre les barreaux, il crache aux pieds de June. Elle recule en écarquillant les yeux. Ses traits se tordent de colère, et sa voix se fait sifflante alors qu’elle serre les poings pour s’empêcher de marcher jusqu’à la grille pour lui faire passer l’envie de recommencer, et ainsi s’éviter par la même occasion de perdre la vie.
« C’est ça, tu peux aller crever espèce d’enflure, gronde-t-elle. C’est bien beau de se croire supérieur aux autres, mais en attendant miyina, elle est du bon côté de la cage et le tout puissant Hekhelem a été vaincu par un simple guetteur armé d’un arc. »
Ses sourcils se haussent et elle prend un air faussement désolée, avant de porter la main à son cœur.
« Oh pardon, t’aimes peut-être pas qu’on te rappelle comment tu t’es salement vautré en essayant de tuer Leiftan Tuarran ? Ça doit être dur de voir le visage de celui qui t’a empêché de sauver ton peuple tous les jours, non ? J’imagine qu’ils vont tous mourir maintenant que t’es coincé là, à bouffer des cadavres dans ta robe dégueulasse… Mais bon, ils seront ravis de savoir que t’as pas été foutu de mettre ton égo de côté, et que t’as refusé l’aide de Balam pour te débrouiller tout seul. Jusqu’ici, ça m’a plutôt l’air de marcher. »
Elle ponctue sa tirade d’un ricanement mauvais, puis attrape la corde du tonneau pour le repousser vers lui, en lui adressant un regard mauvais.
« Je suis pas Balam, pauvre abruti. La prochaine fois que tu me craches dessus, je mettrais du sel dans ton eau. »
Le hurlement de colère qui suit ses paroles lui crève les tympans. La cage, secouée par des bras qui n'ont pas retrouvé toute leur puissance, émet un gémissement lourd et Balam, que tout ce vacarme a attiré hors de son bureau, se retrouve confronté à une fée en état de rage.
La mâchoire disloquée et la trompe cherchant à percer la chair, Candice fixe June avec toute la haine, tout le mépris qu'il porte pour celle qui n'est pas l'un de ses semblables et surtout, moins qu'un dava et même moins qu'une miyina. Il tend une main vive, se heurte aux barreaux, les secoue de plus belle alors qu'il crache des insultes dans sa langue, ainsi qu'un commun haché :
« C'est toi qui va ramper au sol, sale conne ! J'aurais dû te tuer quand tu crevais sous les décombres comme une merde ! J'aurai dû trouer ta putain de cervelle !
- June, qu'est-ce qu'il se passe ? s'exclame Balam, alarmé.
- TOI ! »
À la vue de l'ancien guetteur, Candice abat son poing contre les barreaux en poussant un nouvel hurlement, le regard assassin et la rage de ne pas être assez puissant pour faire sauter le seul et unique barrage qui le tient loin de sa proie.
Il est terrifiant, elle doit bien l’admettre, et elle est rassurée que la cage soit solide. June sait qu’elle a blêmit malgré elle, mais elle restaure son impassibilité en quelques instants, profitant du fait que la colère de Candice est à présent dirigée vers Balam. La jeune femme termine de tirer le tonneau pour laisser le temps à ses oreilles d’arrêter de siffler, puis elle se tourne vers l’elfe et lui adresse une moue faussement ennuyée.
« Oh rien, notre petit roi en devenir prend la mouche parce qu’il aime pas qu’on lui rappelle que c’est à cause d’une petite flèche qu’il est ici, lâche-t-elle. Enfin, si tu veux qu’il te parle en commun, tu sais quoi faire… À plus, ta majesté, va falloir que je retourne à l’extérieur. En revenant, si t’es sage, je te dirais quel temps il fait.
- June, viens avec moi s'il te plaît. »
Balam n'élève jamais la voix et même au beau milieu des cris stridents de la fée Milliget, il reste parfaitement calme. Saisissant doucement la main de la gardienne de l'Obsidienne, il l'entraîne dans l'annexe. Là, il se retourne, croise les bras sur la poitrine et lui demande une nouvelle fois :
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu devais seulement nourrir la fée. Qu'est-ce qu'il y a eu pour qu'elle se mette en colère comme ça ? Après moi, c'est habituel, mais après toi, pourquoi ? »
June détourne les yeux. Elle sait qu’elle a agit comme une enfant capricieuse, et que répondre aux attaques de Candice ne sert à rien, seulement, elle ne peut pas s’en empêcher. Elle n’est pas Rose, prête à accepter n’importe quoi de la part de son maître parce qu’elle le vénère, et elle n’est pas Nelladel, prêt à subir parce qu’il est devenu un dava. La jeune femme rentre la tête dans les épaules, consciente que son attitude risque de lui attirer des ennuis et qu’elle a beaucoup de chance que Balam soit celui qui surveille la fée. Ses mains trahissent son agitation et viennent triturer sa tunique, ses cheveux et même les lanières de son pantalon, malmenant sa peau au passage sans même qu’elle ne s’en rende compte.
« Il m’a craché dessus. » marmonne-t-elle.
Elle ferme les yeux, soupire, tente de calmer ses gestes erratiques sans y parvenir, puis jette un regard par en-dessous à l’elfe qui la toise.
« Il… m’a demandé un truc, dit-elle prudemment. Je voulais… lui poser une question, alors je l’ai écouté, il m’a insulté, il m’a craché dessus et ça m’a énervé, voilà. »
Balam l'écoute sans broncher pourtant, ses sourcils se froncent à la mention de ce que Candice a bien pu demander à la gardienne de l'Obsidienne et à la question que cette dernière veut lui poser. Même s'il partisan de n'infliger aucun mauvais traitement au prisonnier, l'ancien guetteur se méfie.
« Qu'est-ce qu'il t'a demandé et qu'est-ce que tu voulais lui poser comme question ? » l'interroge-t-il d'un ton très calme.
Elle se mord la lèvre, mais autant continuer ce qu’elle a commencé, d’autant qu’elle sait que Balam ne la réprimandera pas pour avoir parlé au prisonnier. Pour l’avoir insulté sans doute, mais l’intention était là…
« Il a trop chaud, marmonne June. Et moi…»
Elle prend le temps de soupirer et passe une main dans ses cheveux en détournant les yeux, le temps de se bâtir une posture plus convaincante.
« Je voulais lui demander pourquoi il avait détruit Eel et blessé papa. » ment-elle.
Balam ferme brièvement les yeux. Lui aussi, il veut savoir pourquoi la fée a voulu détruire Eel mais pas au prix d’un marché qu’elle impose et qu’elle contrôle.
« Je lui avais déjà donné de la glace éternelle à mettre dans sa cellule mais il n’en a pas voulu. Il veut que ce soit toi qui lui donne ou bien il veut autre chose ? »
June gonfle les joues, agacée. Visiblement, Balam n’est pas dupe de son histoire, et il a très bien compris qu’elle lui cache quelque chose. Alors elle croise les bras en abandonnant sa moue contrite et plante ses yeux dans les siens.
« Il voulait que je te demande de ramener son voile, parce qu’il estime que tu es le mieux à même de le faire, en échange de quoi, il répondrait peut-être à une de mes questions. Je lui ai proposé de faire l’inverse, et c’est là que les choses ont dégénéré parce que visiblement, ce type est un mégalomane doublé d’un imbécile, et si j’étais lui, je ferais moins le malin considérant que mes idiots de sous-fifres sont actuellement l’Oracle sait où parce qu’ils ont pas été fichus d’élaborer un plan correct pour me sortir de là ! »
Elle se mord la langue pour se taire, consciente d’en avoir un peu trop dit, et s’efforce de garder un air agacé alors que ses paumes deviennent moites. Avec lenteur, Balam les attrappe pour les serrer entre ses mains et quand le regard de June croise le sien, elle y lit beaucoup d'inquiétude :
« June, amorce-t-il avec douceur, quand tu es venue nourrir la fée la première fois, je t'ai demandé de faire attention. De faire attention à ce que la violence des lieux ne te contamine pas comme une vilaine maladie. Eh bien c'est la même chose avec celle du prisonnier. N'entre pas dans son jeu. »
Tout ce que Balam peut observer chez Candice Milliget, c'est qu'il est un paquet de nerfs et de rage. Il le hait parce qu'il s'est dressé contre lui, lors de la catastrophe et il hait aussi Leiftan Tuarran ainsi que tout ce qui ne ressemble pas à une fée pour une raison que Balam veut découvrir. L'ancien guetteur ne comprend pas comment des individus comme le frère d'Ezarel ou bien Rose Clarimonde peuvent se donner corps et âmes pour une créature qu'ils vénèrent, certes, mais qui les considère comme des moins que rien.
« Laisse-le dans sa colère, poursuit Balam, qu'est ce que ça peut te faire qu'il te voit comme une saleté ou pire que ça ? Il ne semble aimer personne à part lui-même et les siens, alors à quoi bon te faire du mal ? Moi, ça ne me dérange pas qu'il m'insulte. C'est tout ce qu'il lui reste, maintenant. Et si ça se trouve, c'est contre lui-même qu'il est en colère et nous, nous ne sommes que des excuses. »
Haussant les épaules, Balam pose une main amicale sur celle de June et se recule pour retourner s'occuper de ses affaires.
« Il n'aura pas son voile, achève-t-il sur ce sujet, je ne peux pas faire une telle demande. Peut-être que s'il se conduit mieux, j'aurais une bonne raison de plaider en sa faveur mais pour l'instant, il devra se contenter de la glace éternelle que je lui propose. Je le lui dirai moi-même, June. Tu devrais rentrer. »
Elle se retient de dire à voix haute que c’est bien fait pour lui, et se contente d’adresser un sourire penaud à l'ancien guetteur avant de tourner les talons. Décidément, ce n’est pas demain la veille qu’elle obtiendra des réponses de la part de la fée qui ne semble avoir aucun point faible sur lequel appuyer…
Entrevue entre June Albalefko et Sadako Nakata
« Oui. »
Un dixième de seconde pour sa réflexion face à Sadako. Rose a peut-être commis le pire en acceptant de faire venir June mais si la kitsune d'Odrialc'h veut un interrogatoire sur leurs sessions d'entraînement, alors la gardienne de l'Obsdienne ne lui donnera pas les réponses qu'elle espère obtenir. Si June le souhaite, elle confirmera peut-être son lien avec Candice Milliget, mais il n'est plus à prouver.
« Bien, tranche Sadako en haussant les sourcils, alors dans ce cas, allons la chercher. »
Elle ne fera pas un pas dehors, bien sûr. Elle a des larbins pour cela, comme elle le dit si bien avec sa bouche fielleuse. Elle a envoyé un elfe en uniforme bronze et véronèse jusqu'au domicile de June Albalefko, à Albacore. Une maison mitoyenne qu'elle partage avec d'autres familles et la sienne et si elle n'y est pas, alors le soldat n'aura qu'à fouiller le village. Il doit revenir avec elle, c'est un ordre.
Par bonheur, quand il a toqué à la porte, Cristal Ael Diskaret lui a ouvert, écarquillant les yeux en l'apercevant et quand il a demandé à voir June Albalefko, la morgan s'est tournée puis a appelé :
« June ! Monsieur… Qui êtes-vous ?
- Ristel Orod, Madame, je travaille pour Sadako Nakata, représentante du Grand Juge Alma Tuarran de la cité d'Odrialc'h. Madame Nakata a besoin de lui poser quelques questions au sujet de Rose Clarimonde, pour l'enquête.
- June ! reprend Cristal livide, Monsieur Ristel Orod travaille pour quelqu'un qui doit te poser des questions sur le Second Clarimonde… L'ancien Second Clarimonde ! Tu peux venir s'il te plait ? »
Il y a un silence, puis un bruit de pas précipités se fait entendre. June manque de glisser et se rattrape à l’embrasure de la porte, avant de souffler sur une mèche de cheveux pour dégager ses yeux et fixer le soldat.
« Quoi ? s’exclame-t-elle. Enfin, je veux dire, bonjour, pardon, qu’est-ce que vous voulez ? »
Son ton est incrédule, parce qu’elle ne voit pas bien en quoi elle pourra être utile à une enquête sur Rose… A moins qu’ils ne sachent ce qu’elle fait en secret ? Son cœur accélère et elle prend soin de ne pas montrer son trouble, espérant que le soldat interprète sa précipitation pour de la surprise d’être en présence d’un membre de l’armée d’Odrialc’h.
Ristel semble se tendre quelque peu, puis après quelques secondes, il relâche sa posture, puis s'explique :
« June Albalefko, je travaille pour Sadako Nakata, représentante du Grand Juge Alma Tuarran d'Odrialc'h. Le Grand Juge Alma enquête sur la catastrophe et en ce moment-même, Rose Clarimonde est en train d'être interrogé car il est soupçonné d'être un adorateur des fées et complice de Candice Milliget. Puisque vous avez suivi des sessions d'entraînements en compagnie de Rose Clarimonde, Madame Nakata voudrait vous poser quelques questions. Veuillez me suivre jusqu'à l'hôpital, s'il vous plaît.
- June… souffle Cristal, est-ce que je peux accompagner ma fille ?
- Je suis désolé Madame, mais l'interrogatoire est confidentiel. Cependant, si vous souhaitez vous rendre à l'hôpital avec elle, je n'y vois aucun inconvénient. Mais vous devrez patienter en salle d'attente. »
Cristal se tourne vers sa fille, l'inquiétude fendant son visage en deux. Une main sur la poitrine, elle tressaille, signe qu'elle est prête à aller chercher un gilet pour accompagner June jusqu'à l'hôpital. June réfléchit à toute vitesse : elle perdrait énormément en crédibilité si un grand ponte d’Odrialc’h la voyait arriver accompagnée de sa mère, mais elle sait aussi que Cristal tournera en rond jusqu’à ce qu’elle revienne tant l’anxiété lui serre le cœur. Alors elle peint un sourire rassurant sur son visage et attrape brièvement la main de sa mère.
« T’embête pas, ça doit être la routine, lâche-t-elle. Puis de toute façon, on sait pas combien de temps ça va durer, et t’as plein de choses à faire aujourd’hui. »
Ça ne sert à rien qu’elle reste assise sur une chaise à paniquer en attendant sa fille… June fait signe à l’officier d’attendre, puis file enfiler ses chaussures. Elle attrape un ruban au passage, et essaie tant bien que mal de brosser ses mèches folles pour les rassembler en une tresse brouillonne tout en continuant de sourire à sa mère.
« T’inquiètes pas, si c’était grave, papa nous en aurait parlé, articule-t-elle avec effort. C’est bon, je suis prête. »
Elle doute que Joseph soit même au courant, mais elle veut rassurer Cristal et surtout, elle refuse de mêler sa mère aux affaires des fées. Elle espère qu’il s’agit simplement d’un témoignage banal…
Lorsqu'elle est prête, Ristel Orod la conduit jusqu'à l'hôpital d'Albacore. Cependant, plutôt que de la mener vers les chambres où se trouvent les patients, il la guide dans une aile interdite au public. Là, des salles s'alignent, ressemblant plus à des chambres d'internement pour les personnes atteintes de maladies de l'esprit qu'à des pièces ordinaires.
Le couloir qu'empruntent June et Ristel semble infini pourtant et alors qu'ils passent devant une grande pièce fermée par une porte à double battant, le soldat d'Odrialc'h l'invite à entrer dans l'annexe qui se trouve juste à côté.
Quand elle y entre, elle découvre une large vitre à sa gauche. Là, dans la grande salle, Rose Clarimonde est assis dans son fauteuil à roulette, face à Ewelein Osgiliath, religieusement attablée à un bureau ainsi qu'une autre femme, une kitsune à l'air revêche avec de longs cheveux sombres. Ristel demande à June de prendre place sur l'une des chaises mises à disposition et ensuite, il se détourne pour rejoindre Sadako Nakata et lui murmurer quelque chose à l'oreille. La kitsune d'Odrialc'h hoche la tête et semble adresser une phrase sarcastique à Rose, vu le rictus qu'elle a aux lèvres, avant de se lever et de quitter la pièce.
Elle pénètre dans l'annexe d'un pas conquérant, ses yeux noirs se posant sur June avec intérêt, comme si elle essayait de lire en elle. Ses oreilles animales s'agitent par instant, tout comme ses deux queues, puis d'un ton ferme, elle se présente :
« June Albalefko, donc. Je suis Sadako Nakata, représentante du Grand Juge Alma Tuarran d'Odrialc'h. Le Grand Juge Alma est en charge de l'enquête sur la catastrophe qui a touché la cité d'Eel et en ce qui me concerne, je suis actuellement en train de procéder à l'interrogatoire de Rose Clarimonde, soupçonné pour être un adorateur des fées et complice du prisonnier qui a été capturé. Puisque vous avez déjà reçu des sessions d'entraînements en sa compagnie, j'aimerai vous poser quelques questions. »
Sadako attrape une chaise et y prend place. Elle redresse le buste, croise les bras sur sa poitrine, puis amorce :
« Si vous êtes là, c'est que vous avez choisi d'y répondre. Commençons. Ne vous inquiétez pas, Rose Clarimonde peut vous voir, mais pas vous entendre. Lors de l'entraînement inter-garde entre les Gardes de l'Ombre et celle de l'Obsidienne, vous aviez le choix entre plusieurs gardiens de l'Ombre. Vous aviez pour objectif d'entrer dans l'armée d'Odrialc'h et il vous fallait faire un choix. Pourquoi avoir choisi Rose Clarimonde ? Vous le connaissiez avant vos sessions d'entrainement ? »
L’agressivité de la kistune la tend, mais June essaie de ne pas le montrer. Elle jette malgré elle un regard à Rose, de l’autre côté de la vitre. Le vampire n’a pas l’air au meilleur de sa forme, et elle se demande à quel genre de question il a dû répondre.
La jeune femme revient à Sadako. Elle pose ses mains sagement sur ses genoux, de façon à ne pas se trahir par des gestes nerveux, et hoche la tête.
« Je le connaissais, comme tous les gardiens, répond-elle. Je savais qu’il était le Second de la Garde de l’Ombre, mais nous n’avons jamais discuté avant ça. Mon Chef m’a demandé de choisir entre plusieurs gardiens pour m’entraîner. »
June lève les yeux vers le plafond pour les énumérer, tout en exposant les raisons qui l’avaient poussée à choisir Rose. Elle n’était pas certaine que le gardien Talbot puisse lui apprendre beaucoup, parce qu’il était jeune et que leur style de combat était similaire. Elle avait hésité à demander à être suivie par Enthraa Kellerman, mais finalement, elle n’avait pas retenu ce choix, et elle le lui explique en grimaçant, gênée.
« J’avais un peu peur de la gardienne Kellerman, pour tout vous dire. Et du coup, j’ai préféré choisir Rose, parce qu’on a le même gabarit. Je suis petite, et pas très forte, il fallait donc que je puisse travailler sur ces handicaps là. Et comme Rose manie une hallebarde, je me suis dit que c’était une excellente occasion de travailler avec un combattant avec une plus longue portée, comme j’utilise moi-même une épée. »
Sadako hoche la tête. Les raisons évoquées par June sont légitimes et elle ne voit rien de suspect parmi elles. Si elle s'était retrouvée à sa place, elle aurait probablement fait la même chose : évaluer ses propres capacités et se choisir un gardien complémentaire. De plus, sélectionner un gradé lui promettait d'avoir un avantage lors de son arrivée à Odrialc'h, surtout si elle excellait durant les sessions d'entraînement.
« Je vois, c'est pertinent. Et parlez-moi de ces sessions d'entraînement. Comment elles se passaient ? Est-ce que Rose Clarimonde était un bon mentor ou bien est-ce que vous avez noté des choses étranges dans son comportement ou ses capacités ? »
June secoue la tête, une moue soucieuse sur les lèvres. Elle fait de nouveau mine de réfléchir, puis hausse les épaules.
« Vous savez, il était pas très bavard, avoue-t-elle. Enfin, au début, je me suis même demandée si on allait réussir à communiquer, parce que… je veux dire, c’est Rose Clarimonde, vous pouvez interroger qui vous voulez à la Garde, les autres vous diront pareil. Donc j’avais un peu peur que le manaa passe pas, mais finalement, on fonctionnait pas trop mal. Il était très rigide, mais il me donnait toujours des bons conseils, du coup, je crois que j’ai quand même progressé un peu. Autrement, j’ai pas remarqué grand-chose, mais quand on se doute pas de ce qu’il faut chercher, c’est un peu difficile. »
Et elle n’a même pas besoin de mentir sur ce point : elle en veut toujours un peu à Rose d’avoir participé à sa tentative d’enlèvement, d’autant qu’elle n’avait rien vu venir, puisqu’elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit un traître.
« En plus, continue June. On parlait pas de lui, donc à part ce que j’ai appris pendant mes entraînements, j’en savais pas plus. Il s’intéressait à moi dans le cadre de mon suivi, mais ça restait Rose Clarimonde.
- Vraiment ? »
Sadako dévisage June. Soit la jeune gardienne ment avec une aisance sans pareille, soit elle dit la vérité et Sadako devra découvrir ce qu'il se cache derrière les fausses évaluations. Aussi et depuis qu'elles se trouvent dans cette salle, June n'a jeté qu'un seul regard à Rose Clarimonde. Rien de bien soupçonneux.
« Je ne sais pas si vous le saviez, mais Rose Clarimonde a falsifié les évaluations de votre dossier. Il a écrit des éloges qui ne correspondaient pas à la réalité, selon Enthraa Kellerman qui a participé à des sessions d'entraînement dans la même salle que vous à plusieurs reprises. Pourquoi a-t-il fait ça, à votre avis ? »
Elle n’a pas besoin de faire semblant de rougir, mais elle sait qu’elle doit faire attention. June baisse la tête, et sa gêne est à peine feinte. Heureusement que Sadako ne la connaît pas, autrement, elle aurait trouvé étrange sa réaction plus calme que d’habitude. La jeune femme soupire, se mord la lèvre puis finit par répondre, d’une voix agacée et boudeuse, tandis que ses pensées fusent à la vitesse de l’éclair pour ne pas dire de bêtise.
« Il… Il me l’a dit. » grommelle-t-elle.
Et sans doute qu’il aurait préféré s’être tu s’il avait su que la kistune lui poserait la question… June soupire, alors que sa main vient triturer une mèche de cheveux.
« Après la catastrophe, je suis allée voir mon père à l’hôpital, et j’en ai profité pour aller lui dire bonjour. Il m’a dit qu’il assurerait plus mon suivi, et que c’était Enthraa Kellerman qui le ferait à sa place. Et c’est là qu’il m’a dit qu’il avait un peu exagéré mes capacités dans les rapports… Sur le coup, j’étais très en colère, parce que ça pourrait compromettre mes chances d’entrer dans l’armée d’Odrialc’h, et c’est mon objectif. »
Elle tourne les yeux vers Rose et souffle par le nez, puis secoue la tête.
« Je sais pas pourquoi il a fait ça. Je sais même pas si c’était son idée… J’en doute un peu, parce que… c’est Rose, quoi. On sait tous qu’il prend assez peu d’initiatives tout seul. Enfin… Le Rose Clarimonde que je connais aurait sans doute pas fait ça de lui-même. Mais comme il semblerait que je le connaisse pas tant que ça…» soupire-t-elle.
Visiblement, le mystère derrière ces évaluations est épais et ça ne plaît pas du tout à Sadako. Elle pensait que Rose Clarimonde aurait profité de son statut et des aspirations de June pour lui proposer des choses plus que douteuses contre de bonnes évaluations, mais le portrait dépeint par le jeune femme n'a aucun sens.
Sadako sait que le père de June, Joseph Ael Diskaret, est un gardien influent dans la Garde Obsidienne mais aussi le vainqueur des sélections. Elle pensait qu'il aurait peut-être usé de son nom dans l'ombre pour que sa fille puisse avoir une bonne place dans l'armée d'Odrialc'h, mais elle n'y croit pas. Elle n'y croit pas parce que la Capitaine l'a nommé vainqueur et Shakalogat Gra Ysul ne laisserait jamais quelqu'un de corrompu entrer dans la garde rapprochée de sa mère. Elle s'est forcément renseignée avant.
« Élise Mircalla. Est-ce que ce nom vous dit quelque chose ? » demande Sadako.
- C’est la fille qui a été assassinée pendant la catastrophe, non ? réfléchit June. Par le frère du Chef Séquoïa et Jens Red ? Le Conseiller Tuarran m’en a parlé, je crois.
- C'était aussi l'amante de Rose Clarimonde, selon ses dires. Il en avait après son nom et son argent et visiblement, il se préparait à l'épouser. »
Quelque chose ne tourne pas rond. Le portrait du vampire dépeint par June ne correspond pas à une entité vénale, adoratrice des fées et complice d'une catastrophe abominable.
Le mystère des bonnes évaluations demeure toujours mais Sadako parviendra à le percer, elle s'en fait la promesse.
« Durant la catastrophe, reprend la kistune, vous étiez tout d'abord en compagnie de votre Chef de Garde. Ensuite, vous avez été séparé et votre père, ainsi que Valkyon Batatume vous ont retrouvé en compagnie de Rose Clarimonde, inconscient et blessé à la jambe, mais aussi d'une fée. Une fée qui n'était pas celle qui a attaqué Eel. Est-ce que vous savez ce que Rose Clarimonde faisait en compagnie de cette fée ? »
Regrouper les témoignages de la catastrophe n'était pas une mince affaire, mais Sadako devait absolument connaître chaque minute de chaque âme ayant affronté le carnage.
June, encore en train de se remettre de l’idée de Rose épousant une Mircalla, les yeux ronds, secoue la tête pour se reprendre et fronça les sourcils.
« Ah oui, Sira. » lâche-t-elle machinalement.
Sa gifle mentale ne lui tire aucune réaction, mais elle se promet d’être moins stupide à l’avenir. Le nom de la fée flotte entre elles, puis June esquisse un sourire gêné.
« Je l’ai rencontré une fois en dehors de la ville, pendant que les Milliget étaient en visite. Il est gentil, c’est juste un enfant. »
A moins qu’il ne se cache en réalité sous cette apparence pour détourner l’attention, et qu’il ne soit aussi dangereux, malpoli et idiot que son frère. Elle se retient de rouler des yeux au souvenir de sa dernière altercation avec Candice Milliget, puis reprend en faisant la moue.
« Je sais pas trop… Sur le coup, je vous avoue que j’ai plus prêté attention à la vampire qui essayait de le tuer. Après, Sira s’est mis à crier et elle s’est enfuie avec une sirène qui… enfin, j’ai tout marqué dans mon rapport à propos de la vampire, raconte June. Et une fois que Sira s’est mis à crier, Rose est tombé dans les pommes, du coup c’était un peu difficile de lui demander ce qu’il faisait avec lui, d’autant que l’autre fée s’est ramenée en l’entendant.
- Oui, ces choses obéissent comme une meute. Elles crient pour menacer, dévorer, s'appeler et annoncer leur victoire. Hormis le prisonnier actuel, aucune autre fée n'a été retrouvée. »
Le rapport de June, Sadako l'a lu. Pour le moment, la gardienne ne fait aucun écart et ce qu'elle dit correspond à ce qu'elle a écrit. La suite, c'est elle et Rose Clarimonde bloqués sous des décombres, puis délogés grâce à l'aide de Nelladel Séquoïa. C'est l'ancien Second évacué vers le camp des soigneurs, mais par une autre personne que Valkyon Batatume qui a failli y laisser la vie.
Puis…
« Durant la catastrophe, vous avez failli être enlevée. Je me suis entretenu avec Balam Lefaucheur, responsable du prisonnier actuel et il m'a dit qu'il vous avait trouvé en train de lutter avec Nelladel Séquoïa. Est-ce que vous vous souvenez de ce qu'il vous a dit ? Pourquoi avait-il voulu vous enlever ? »
L'hypothèse d'un culte étrange concernant les adorateurs des fées n'est pas à écarter. Nelladel Séquoïa voulait peut-être offrir June en pâture à son maître, afin qu'il puisse récupérer des forces, mais rien n'est sûr.
June grimace intérieurement. Elle aurait préféré que Balam ne mentionne pas l’incident. Ses doigts se crispent sur sa tunique et elle fronce les sourcils.
« Il m’en voulait peut-être de l’avoir mis en cellule ? propose-t-elle. Ou alors il a eu peur que je m’en prenne à l’autre fée ? Vous connaissez Alajéa, la vendeuse qui aide à la boutique de familiers ? Elle l’a appelée Delta, c’était ni Sira, ni l’autre dingue, et quand elle s’est approché, Nelladel l’a assommée. »
June croise les bras sur sa poitrine et souffle sur une mèche rebelle d’un air agacé.
« Je vois pas bien comment on peut adorer ces trucs, mais j’imagine qu’il en faut pour tous les goûts. Heureusement que Balam est arrivé avec les autres, parce qu’autrement, je serais peut-être pas là pour vous répondre.
- Je ne pense pas non plus, en effet. »
June semble être la gardienne qui s'est trouvée au mauvais endroit et au mauvais moment. Les sessions d'entraînement avec Rose Clarimonde n'avaient rien de spéciale, hormis les évaluations falsifiées et durant la catastrophe, June a surtout eu beaucoup de chance de s'en sortir vivante.
Sadako lisse une mèche de cheveux sombre, puis demande en fronçant les sourcils :
« Je me pose une question, June Albalefko. Visiblement, puisque ces "trucs" vous ont fait si peur, hormis la fée Sira, pourquoi avoir choisi d'aller nourrir le prisonnier ? Ce n'est pas un travail agréable, puisqu'il peut vous ronger l'esprit, à cause de la violence des lieux et de la fée. Vous auriez pu laisser cette tâche ingrate à un autre et vous pencher sur autre chose. Pourquoi avoir choisi ce travail ? »
Surprise, June tourne machinalement la tête à droite et à gauche, comme si quelqu’un avait pu se tenir dans la pièce vide, et elle baisse la voix.
« Vous… Vous êtes au courant ? J’ai pas le droit d’en parler en dehors de la prison, sinon le Conseiller m’a dit que j’aurais des problèmes. »
Elle serre les poings, puis pousse un soupir las. Travailler à la prison n’est pas facile, en effet, et pour le moment, ça ne s’est pas révélé très productif… Pourtant, cette fois, elle n’est pas obligée de mentir ou de détourner la vérité, car au-delà des réponses qu’elle veut arracher au prisonnier, son objectif est réel.
« Je veux que mes parents et mon frère soient heureux, répond-elle. Je veux vivre à Odrialc’h, et je veux avoir une bonne place là-bas. Alors si pour ça, je dois me salir les mains, je le ferais jusqu’à ce que je puisse plus le supporter. Et puis, j’ai cru comprendre que le Conseiller Tuarran avait un moyen de pression efficace sur le prisonnier. Vous avez peut-être entendu parler de l’incident avec Nelladel et Jens Red ? Au début, j’avais peur, et puis je me suis rendue compte que derrière ses barreaux, tant qu’on respecte les règles, il peut rien nous faire. Il est faible, il a faim et il a trop chaud. Surmonter ses peurs, ça fait aussi partie de l’entraînement, donc… »
Sadako hoche la tête en souriant doucement. Elle représente le Grand Juge Alma Tuarran, en charge de l'enquête alors elle a tous les droits. Si elle veut obtenir une information, elle n'a qu'à se servir.
« Puisque je suis la représentante du Grand Juge en charge de l'enquête, alors j'ai accès à de très nombreuses informations. Ne vous inquiétez pas, nos échanges restent entre nous et je suis une personne officielle du pôle judiciaire d'Odrialc'h, alors il n'y aura aucune représaille. »
Il n'y a rien à tirer de June Albalefko. Tout ce que Sadako voit, c'est une gardienne ordinaire qui a connu de durs moments, mais la seule ombre au tableau, ça reste les évaluations falsifiées. Il n'y a aucune raison valable qui aurait pu pousser Rose Clarimonde à le faire sans rien y gagner en échange. Sauf si la gardienne ment comme elle respire mais ça, Sadako le saura quand elle découvrira la vérité derrière ces évaluations, aussi stupide soit-elle.
Elle jette un regard vers la vitre pour fixer le jeune vampire qui a le regard perdu vers la fenêtre, puis Ewelein, accroupie près de lui et lui tenant le poignet.
Sadako fronce les sourcils, interloquée, mais elle verra ça plus tard.
« Quelque chose vous est revenu en mémoire le concernant ? Un dernier détail, peut-être ? » tente-t-elle.
June jette un nouveau coup d'œil à Rose, elle fait mine d’hésiter, puis hausse les épaules en songeant qu’à force, elle va en avoir des courbatures.
« C’est pas vraiment un détail, et je sais pas si c’est très utile, mais quand je suis allée le voir à son réveil, il avait l’air… vide. Il m’a fait penser à Helouri, mon petit frère. Je sais pas si Rose est derrière tout ça, s’il obéissait simplement, ou si c’est encore pire et que j’arrive pas à l’imaginer parce que je pensais pas que c’était possible, mais il a l’air vide. »
Elle redresse la tête pour adresser un sourire d’excuse à Sadako, et reprend d’un ton désolé.
« Je vais essayer de réfléchir à nos entraînements, et si quelque chose me revient, je vous le dirais, mais je vous garantis rien… Ah si, vous devriez peut-être parler à Chrome Talbot, il pourra peut-être vous en dire plus, réfléchit-elle. Comme je suis de l’obsidienne, je côtoyais Rose que pendant les entraînements, mais Chrome et moi, on a des difficultés avec les lettres, pour lire et écrire, et apparemment, c’est Rose qui a conseillé Chrome à ce sujet. Si ça peut vous aider… »
Sadako hoche la tête. Elle compte interroger tout le village d'Albacore si ça peut lui apporter ce qu'elle cherche. Certains gardiens de l'Ombre méprisent Rose Clarimonde quand d'autres le regrettent en tant que Second, mais aucun ne mentionne une attitude étrange, si ce n'est sa proximité avec Nevra Mircalla. Mais qu'à cela ne tienne, Sadako à affaire avec des adorateurs des fées extrêmement prudents et elle compte bien les faire tomber.
« Si quelque chose vous revient en mémoire, venez à la mairie d'Albacore et demandez mon nom. Sadako Nakata. Retenez-le s'il vous plaît. Je pense en avoir terminé avec notre entrevue. Ristel va vous raccompagner jusqu'à la sortie. »
Sadako se lève d'un bond et quitte la pièce pour retourner dans la salle adjacente. Quand elle y apparaît, Ewelein se redresse et les deux femmes commencent à discuter.
Sadako semble furieuse. Elle a perdu son temps et sa discussion avec June ne lui a rien apporté…
« June Albalefko ? l'interpelle Ristel Orod à l'entrée de l'annexe, je vais vous raccompagner, si vous le permettez. »
June sourit au soldat en se levant. Elle se force à ne jeter aucun regard à Rose et en pensée, elle lui souhaite bon courage avec la terrible kitsune, car le pauvre vampire ne doit pas passer un bon moment. Son nom, elle le retiendra, mais Sadako n’obtiendra rien d’elle, et elle est tout de même rassurée, parce qu’elle a l’impression de ne pas s’être trop mal débrouillée.
Une fois hors de l’annexe, elle se permet un soupir de soulagement, puis décide de rentrer directement pour rassurer Cristal. Elle n’a rien fait de mal, et elle n’a rien dit non plus. En revanche, il faudra qu’elle touche deux mots à Balam… La gardienne lève les yeux au ciel. Avec tout ça, elle a encore plus mal à la tête…
Pendant l'entretien entre Sadako Nakata et June Albalefko
Il n'aurait pas dû.
C'est ce que Rose se répète alors que ses yeux opalins ne parviennent pas à quitter la grande vitre derrière laquelle Sadako Nakata s'entretient avec June. Un instant, il regrette de l'avoir fait venir, de l'avoir mêlée à cette histoire sordide, mais son esprit le rappelle à l'ordre : June veut des réponses.
June a mis un pied dans l'engrenage de son propre chef. Elle est capable de l'abattre en partageant ce qu'elle sait avec la représentante.
Son implication dans la catastrophe, son lien avec Maître Candice, la raison pour laquelle il a falsifié ses évaluations…
Rose se détourne de la vitre. L'anxiété coule dans ses veines comme un poison, mais il tente de la contenir afin qu'elle n'atteigne jamais les traits de son visage. Ewelein est restée avec lui et si elle perçoit son angoisse, alors c'est terminé.
La suite du plan est claire dans son esprit, mais tout dépendra de ce que June dira.
« Monsieur Clarimonde ? »
Rose a un sursaut. Il tourne la tête vers Ewelein pour se confronter à son regard glacé. Installée derrière son bureau, à remplir des parchemins de son écriture élégante avec un calme religieux, le jeune vampire à l'impression que la situation n'a aucune emprise sur elle.
Ewelein Osgiliath dans sa longue robe couleur lavande et son chignon complexe parvient même à se détacher des crocs et des lames de Sadako.
Quand elle le regarde, elle penche légèrement sa figure sur le côté, plissant ses yeux bleus. Elle semble faire face à une curiosité et Rose ignore encore comment il peut lui apparaître :
« Est-ce que vous dormez bien ?
- Pardon ? souffle Rose.
- Je vous demande si vous dormez bien. Pas d'insomnie ? De cauchemars ? De fatigue chronique ? »
Le jeune vampire peine à comprendre pourquoi son interrogatoire délicat se transforme soudainement en visite médicale et face à sa surprise, Ewelein jette un bref regard vers June et Sadako.
« Je suis là pour réaliser votre évaluation de l'esprit. Pas pour vous déclarer coupable ou innocent. Est-ce que vous dormez bien, Monsieur Clarimonde ? »
Peut-être que la présence de Sadako est contraignante pour ladite évaluation. Peut-être que la médecin en cheffe avait besoin d'une atmosphère beaucoup moins incisive pour réaliser son travail avec le plus grand soin.
« Sadako Nakata n'a pas le pouvoir de rendre un verdict. Elle n'a pas non plus le pouvoir de réaliser votre évaluation de l'esprit. » explique calmement Ewelein.
La médecin en cheffe le fixe avec intérêt puis, forte de ces affirmations, répète une troisième fois sa question.
Rose se reprend. Ses mains agrippent les accoudoirs et son esprit se concentre sur la réponse qu'il doit formuler. Contrairement à l'interrogatoire de Sadako, il n'est pas question de mentir. Ici, il n'y a aucun coupable à pointer du doigt mais seulement un regard à poser sur son état.
« Oui, confesse-t-il.
- Vous faites des insomnies ?
- Non.
- Des cauchemars ?
- Non.
- De la fatigue chronique ?
- Oui. »
Rose ignore si ce qu'il vit correspond réellement au symptôme de la fatigue chronique, mais il sait que son corps quémande régulièrement du sommeil, même en journée. Du sommeil pour fuir la réalité et non pour réparer.
Ewelein note soigneusement ses réponses, puis reprend :
« Selon les transmissions du personnel qui s'occupe de vous, vous mangez très peu. Vous avez perdu du poids, monsieur Clarimonde et si vous continuez dans cette voie, vous filez droit vers la dénutrition.
- Je n'ai pas faim.
- Vous ne ressentez pas la faim ou bien vous refusez de vous nourrir pour une autre raison ? »
Rose s'interroge.
Quand il est dans son lit, le plateau de nourriture sous les yeux, son estomac se noue et sa gorge se serre. Parfois, sans qu'il n'en comprenne la raison, une colère sourde le prend aux tripes et il décrète que personne ne le forcera à avaler quoi que ce soit. S'il n'a pas envie de manger, il ne mangera pas.
Puis il se reprend et grignote ce qu'on lui donne du bout des dents quand il ne perd pas son regard opalin vers la fenêtre cintrée qui lui offre la forêt bordant Albacore comme distraction.
Il boit le sang dont il a besoin pour ne pas souffrir physiquement mais même cela lui laisse un arrière-goût amer sur la langue.
Il a la sensation que tout est fatal : les tartines qu'on lui apporte le matin, les aliments qu'on lui dépose le midi et même le sang. Tout est fatal. Tout est horrible. Tout est à vomir, à commencer par lui-même.
Ses mains se crispent sur les accoudoirs comme s'il voulait les arracher.
« Je…
- Comment vous vous sentez ?
- Comment je me…
- Vous vivez une situation difficile et l'avenir est incertain. Comment vous traversez tout cela ?
- Je n'en sais rien. »
Rose tourne la tête vers la fenêtre de la grande salle, fuyant le regard perçant d'Ewelein. Les arbres resserrés et leur feuillage s'agitant au gré du vent avec une plénitude qu'il aimerait pouvoir connaître le fascinent.
« Vous avez mal ? reprend la médecin en cheffe.
- Mes jambes me font mal, souffle Rose d'une voix lointaine.
- Vous avez mal en vous ?
- Je ne sais pas. »
Son cœur s'accélère. Dehors, des familier troublent la paix de l'océan de verdure et machinalement, Rose les cherche. Il croit apercevoir un becola, mais il n'en est pas certain.
Il voudrait être là-bas, respirer les odeurs d'humidité, les senteurs d'écorce, les vestiges d'une pluie fine tombée la nuit précédente. Il voudrait être ailleurs que dans le fauteuil en bois inconfortable et cette grande pièce austère.
« Qu'est-ce que vous ressentez en ce moment-même ?
- Je ne sais pas. »
Il voudrait être là-bas autant qu'il voudrait être ailleurs. À Rhenia-Gaear, par exemple, dans le parc de jeux où il se rendait avec sa mère ou alors près du grillage de son ancienne école, celui qui séparait les filles et les garçons. Il discutait avec une camarade un peu plus âgée que lui. Comment s'appelait-elle, déjà ?
« Qu'est-ce que vous auriez envie de dire, maintenant ?
- Rien. »
Petra. Elle s'appelait Petra. Fille de bonne famille, elle lui parlait du chant qu'elle apprenait, de la danse qu'on lui enseignait et des instruments de musique qu'elle jouait sous la tutelle d'une professeure. À une époque, Rose aurait peut-être été tenté de s'intéresser à tout cela. Mais ça n'aurait servi à rien.
« Qu'est-ce que vous ressentez ? reprend Ewelein.
- Je ne sais pas.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Rien. »
Il pourrait être là-bas, dans la forêt. Il pourrait être dans sa chambre, à écouter la voix de Valkyon. Il pourrait même se remettre à espérer, comme il avait été tenté de le faire lorsqu'il se trouvait à la lisière de la mort. Espérer qu'en se réveillant, il serait assez courageux pour faire un pas vers l'homme dont il est amoureux, jusqu'à ce qu'il se souvienne de la réalité : il est à vomir, comme la nourriture qu'il ne veut pas avaler.
Valkyon mérite mieux. Lui, ne mérite rien.
« Monsieur Clarimonde, l'interpelle Ewelein d'un ton très calme, qu'est-ce que vous ressentez ? »
Rose commence à trembler. Quelque chose est en train de se lever dans ses entrailles et il la sent monter. Ça grimpe, ça s'appuie sur la souffrance qu'il y a en lui et qu'il essaye de museler par tous les moyens, comme un gant enfilé sur une main blessée pour ne plus voir le sang.
Ça le submerge comme un raz-de-marée, ça l'enveloppe comme un manteau de parjure et il ne peut rien faire.
« Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Je veux mourir. »Corps de Souffrance
Silence.
Le blanc maladif de la grande pièce semble figer la scène pour la classer dans un monde hors du temps. La médecin derrière son bureau a cessé d'écrire pour poser sa plume et joindre les mains, sans cesse de fixer son patient. Dans son fauteuil de bois, les jambes brisées, l'estomac vide et les yeux humides, Rose ne parvient plus à retenir la douleur qui le griffe et qui se hisse.
Sa poitrine se soulève avec frénésie, la bile s'empare de sa bouche mais reste à lui brûler la gorge, parce que ce sont les mots qui se bousculent en premier. Les mêmes. La forme que la souffrance à choisit de prendre pour supplier qu'on l'achève et qu'on l'oublie sans jamais la regretter.
Les larmes de Rose tracent des sillons brûlants sur ses joues pâles alors que son corps subit l'épreuve d'une explosion interne qui se défait de la matière pour ne laisser que la réaction.
Chagrin. Douleur. Colère. Honte. Dégoût. Injustice. Abandon. Rancune. Doute. Désespoir.
Si cela possédait des couleurs, alors Rose serait une carte stellaire où le jour se laisserait dévorer par la nuit et où l'orage engloutirait l'aube sous sa tempête.
Une carte avec un ciel détrempé, terni, sans soleil, juste un œil opalin qui ne voudrait jamais connaître la lumière d'un nouveau jour.
« Je veux mourir. »
Rose fixe Ewelein comme si elle pouvait accéder à sa requête, mais la médecin en cheffe ne dit rien.
Elle regarde ses yeux s'agrandir puis elle attend que le vampire noyé sous ses émotions commence son ascension. Il dit qu'il veut en finir, mais il ne l'a pas encore assez dit.
Un coup d'œil vers la large vitre pour aviser Sadako s'entretenir avec June et s'assurer que leur échange n'est pas encore terminé. Elles peuvent les voir, mais pas les entendre.
« Vous voulez en finir ? »
La voix d'Ewelein, si paisible, ressemble à une pierre lancée à travers un carreau. C'est ce qu'elle voulait devenir car avant de réparer, il faut laisser la fenêtre fatiguée tomber en morceau et dévoiler l'intérieur sinistre de la pièce qu'elle voulait protéger.
Rose hoche la tête, les yeux grands ouverts, exorbités par son être en train de couler.
« Oui… supplie-t-il.
- Pourquoi ? souffle Ewelein.
- Je n'en peux plus…
- Non, Monsieur Clarimonde. »
Rose la dévisage et la médecin en cheffe secoue la tête. Non. C'est non. Il n'y aura pas de chemin vers cette voie car tout ce qu'il s'est produit, tout ce qui est en train de se produire et tout ce qui se produira, il lui faut l'affronter.
C'est non.
Ewelein est médecin. Elle protège la vie, elle ne la retire pas et quand face à elle, il y a une détresse qui veut disparaître, alors elle la regarde. Elle l'écoute. Elle lui dit non et elle l'affronte.
Pas la détresse. La rage.
« Non, Monsieur Clarimonde, reprend Ewelein, vous ne pouvez pas. »
Une main fragile s'abat sur l'accoudoir et un buste tremblant se penche subitement en avant comme s'il était animé par la colère que son Maître lui aurait léguée. Il y a une plaie invisible sur sa poitrine qui s'ouvre et qui saigne jusqu'à la dernière goutte et Ewelein attend de pouvoir la recoudre.
« Si, je peux… Je veux…
- Non, Monsieur Clarimonde.
- SI, JE PEUX ! C'EST MOI QUI DÉCIDE QUAND ÇA S'ARRÊTE ! C'EST FINI ! »Ewelein Osgiliath
Ewelein ne dit rien. Elle se lève, gracieuse dans sa longue robe couleur lavande. Elle fait le tour de son bureau, puis elle s'accroupit près de son patient, son vêtement formant une flaque mystique autour de sa silhouette.
Là, elle sort un petit flacon des replis de sa robe. Il s'agit d'une huile à l'odeur mentholée, fraîche comme un vent matinal et avec une lenteur religieuse comme le calme maîtrisé de ses gestes, elle saisit les mains de Rose pour en verser sur ses poignets. Du bout des doigts, elle trace des cercles et l'odeur monte jusqu'aux narines du jeune vampire pour lui apporter le parfum d'un extérieur qui lui manque. Des effluves de liberté.
« Monsieur Clarimonde, regardez dehors. »
La voix d'Ewelein guide son esprit épuisé vers la fenêtre cintrée de la grande pièce. Il y a les arbres, il y a le vent, il y a les familiers qui furètent et il y a le ciel, paisible.
« Citez-moi cinq choses que vous voyez. » demande la médecin en cheffe.
Il ne peut pas. Parler est un effort, penser en est un autre et focaliser toute sa concentration sur autre chose que le vide qui prend place après la colère est infaisable.
Rose secoue la tête.
« Très bien, décide Ewelein, alors je vais vous dire ce que moi, je vois. »
Loin de l'hôpital, loin de l'échange entre June et Sadako, loin de la catastrophe de l'Eel rouge et de ses conséquences, il y a les paroles de la médecin en cheffe qui donnent vie à tout ce qui peut exister au-delà de la fenêtre.
Le ciel, infini.
Le sol, robuste.
Les herbes sifflantes, qui ploient sous les plus puissantes rafales.
Les nuages, voyageurs éternels.
Le spadel, si petit mais si précieux.
« Est-ce que vous les voyez aussi, Monsieur Clarimonde ? »
Il les voit… Il voit… Qu'est-ce qu'il voit ?
Une chose, une seule. Une étincelle à attraper pour une nouvelle toile à tisser. Pour allumer la lumière.Les Choix
Pendant que Sadako Nakata et June Albalefko sont en plein interrogatoire, Ewelein poursuit son évaluation de l'esprit. En tant que médecin, elle n'est pas dupe et elle sait que Rose Clarimonde est sujet à la maladie du néant. Pour elle, il était temps de le pousser dans ses retranchements afin qu'il puisse affronter la situation dans laquelle il se trouve.
Maintenant que Rose a touché le fond de son gouffre, il est temps de remonter.
Il regarde par la fenêtre et Ewelein lui demande ce qu'il voit. À vous de décider.
Chaque élément cité représente une qualité liée à un souvenir. Ce choix se base sur l'évolution de Rose, votre narrateur et le premier fil qu'il pourra attraper pour continuer son exercice avec Ewelein et reprendre contenance. C'est la première pierre de son nouvel édifice parmi les cinq suivantes :
➜ Le ciel, infini (Liberté, rêverie d'enfant)
➜ Le sol, robuste (Pragmatisme, amour puissant)
➜ Les herbes sifflantes, qui ploient sous les plus puissantes rafales (Force de caractère, instant difficile)
➜ Les nuages, voyageurs éternels (Espoir, admiration pour le divin)
➜ Le spadel, si petit mais précieux (Confiance, valeur dans l'œil gris d'autrui)
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Depuis que sa grande sœur travaille à la prison d'Albacore, Helouri remarque qu'elle a changé. Malgré le masque de bonne humeur que June continue de porter, son petit frère voit la douleur qu'elle essaye de cacher. Même si June ne peut pas lui parler de son nouveau travail, Helouri veut l'épauler au maximum et c'est pourquoi il lui propose une promenade en forêt.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, viens me trouver en MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : report du RP précédent.
Note de l'Auteure
Bonjour et bienvenue sur ce huitième chapitre de cet arc 2 ! (^_^)/
Arc avec beaucoup moins d'action que le premier, j'en conviens et je sais aussi que cela se ressent dans les RP, mais il faut brosser la trame dans laquelle vous allez vous engagez et c'est exactement ce que vous faites.
Ce chapitre possède un choix charnier mais ne vous inquiétez pas : vous aurez quelques indices. Vous allez vous apercevoir que vous êtes en train d'assembler les pièces d'un puzzle que vous choisissez et j'espère que vous serez satisfaits du résultat final !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 8 - Je Voudrais… J'aimerais…
Fawkes et Nelladel à l'hôpital d'Albacore
Fawkes est loin, il est parti loin, profondément dans l’inconscience, depuis qu’il a été extirpé de la cage de la fée. Son corps inerte a été confié aux médecins et il ne s’en est pas du tout rendu compte. Il aurait pu être découpé et préparé pour Candice, que ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid. Pourtant, quelque chose le tire de cette pesanteur qui l’embourbe dans le sommeil. Il n’identifie pas tout de suite ce que c’est. Et puis quand ça inonde tout son corps, ses nerfs, jusqu’à envahir son cerveau avec l’information, il sait. C’est la douleur. Une douleur sourde qui irradie depuis sa jambe et qui pulse jusqu’à ses cheveux.
La respiration de Fawkes change, elle devient plus profonde, plus hachée, et ses paupières se serrent sur son visage contrit. Le renard s’éveille, et avec lui, la douleur de sa jambe, malgré les soins des médecins. Pourtant, il ne dit rien, n’émet aucun son. Il sait rester stoïque quand il le faut, et son cerveau lui rappelle bien rapidement qu’il n’est pas dans une situation qui lui est favorable. Les lèvres pincées, un mince filet d’air s’expulse de la bouche de Fawkes. Il exorcise la douleur et encaisse celle qui ne veut pas être ignorée.
Et puis la lumière s’invite et lui brûle les yeux quand il daigne soulever ses paupières. Le prisonnier ne sait pas s’il fait grand soleil, mais le peu de lumière qui entre dans la pièce est réfléchie par les murs et le plafond blanc. C’est une bulle froide et austère qui fait rebondir le moindre rayon de soleil pour qu’il s’infiltre dans sa rétine. Le renard souffle par le nez et bascule la tête sur le côté. Il voit un verre et sa carafe, et même si sa langue est aussi sèche que du sable, il ne veut rien boire. En tout cas, il n’y songe pas, là, tout de suite. Pourtant, Fawkes cherche à se relever, au moins pour aviser sa jambe qui le fait souffrir, mais il est retenu dans son entreprise. Son poignet est attaché.
Un rictus déforme ses lèvres. Comme s’il pouvait aller bien loin… Le renard laisse sa tête retomber sur l’oreille mais il le regrette aussitôt. Le choc se répercute dans son corps jusqu’à sa jambe et un grincement s’échappe de sa gorge.
« Fait chier… » peste-t-il pour lui-même.
Et s’il s’attendait à être complètement seul, isolé et surtout séparé de son comparse, il est surpris de reconnaître la respiration de l’elfe à proximité. Son oreille rousse s’est braquée dans la direction du son et quand sa tête entière s’incline, il ne peut voir que la silhouette d’un patient sur son lit, derrière une parois de verre martelé. C’est flou, trouble et rien ne permet d’identifier le pauvre bougre qui lui tient compagnie, mais Fawkes ose quand même appeler, la voix déformée par la douleur et l’hésitation :
« Nell ? C’est toi ? »
Un grognement lui répond. Une silhouette s'agite derrière la vitre et s'il tente de se redresser sur son lit, Nelladel échoue. La douleur dans sa jambe est insupportable pourtant, il veut voir sa blessure.
Il veut enlever les pansements pour regarder l'état de ses plaies car s'il arrive à revoir tout ce qu'il s'est passé dans la cellule de Candice, il peine à croire que ce dernier les ait estropié, lui et Fawkes.
« Je suis encore entier, répond l'elfe d'une voix éraillée, et j'ai encore mes deux jambes. »
À force d'insister, Nelladel parvient à s'asseoir sur son lit. Là, il repousse les couvertures de sa main libre alors que son regard aigue-marine avise les bandages qui recouvrent sa jambe. Tout ce qu'il espère, c'est que Candice ne lui ait pas brisé les os avec sa mâchoire, mais seulement déchiré sa chair.
« Il fallait juste qu'il y ait beaucoup de sang pour que Leiftan soit content, non ? murmure-t-il pour lui-même, alors j'espère que tu ne nous as pas fait trop de dégâts, sinon je me tire sans toi, hekhelem... »
Mais pour le savoir, il doit écarter les pansements. Se mettant à l'ouvrage, l'elfe s'écrie à l'attention de Fawkes :
« Fawkes ! Assieds-toi et regarde sous tes bandages ! J'espère avoir raison, mais je pense qu'on a juste des points de sutures et que Candice ne nous a pas broyé les os ! Si c'est vrai, on sera rapidement sur pieds ! »
L’optimisme de Nelladel n’est pas contagieux. Fawkes y croit peu, à cette hypothèse. La douleur est bien trop intense pour qu’il ne s’agisse que de quelques points de sutures. Pourtant, quelque part, il veut y croire. Peut-être est-ce une enzyme propre aux fées qui provoque cette douleur ? Dans le doute, il faut vérifier.
Le renard se redresse donc sur ses coudes en grimaçant. Il pousse le drap qui le recouvre et le laisse choir au sol. Sa jambe est entourée de bandages et il sent une tige rigide sur le côté, qui relie son genou à sa cheville. L’entreprise est difficile d’une seule main, mais Fawkes y parvient et son visage se décompose quand il avise les dégâts de sa jambe. La peau est violacée, boursouflée autour de la morsure. Mais c’est loin d’être le plus moche. Si la lymphe fait briller la plaie, Fawkes ne s’en occupe pas. Son os est brisé en plusieurs endroits et cette vision lui fait tomber le cœur au fond du bassin. Qu’est-ce qu’un renard qui ne peut plus courir ?
« C’est brisé, Nell… lui annonce-t-il, le dépit dans la voix. Candice nous a bousillés… »
Silence.
Nelladel ne veut pas y croire. La fée Milliget n'aurait pas fait ça. Ça ne l'avancerait à rien que son dava et Fawkes soient tous les deux alités jusqu'à qu'on les envoie en prison ou bien qu'on les exécute tous les deux. Il tressaille :
« Non, c'est pas brisé Fawkes ! C'est juste moche, un peu gonflé, un peu violet, mais c'est pas brisé… »
Si, ça l'est. Sa jambe est affreuse, sous les pansements et il lui faudra un moment avant qu'il puisse marcher, alors quitter les lieux…
Nelladel secoue la tête. Pourquoi ? Il a toujours fait ce qu'il fallait. Il a toujours obéit aux ordres, il a été chercher le cartel quand Candice le lui a demandé et même s'il savait qu'à ses yeux, il ne représentait pas grand-chose, il a tout de même continué à le servir dans l'espoir d'un monde meilleur.
Sauf que Candice choisira toujours son peuple.
« Ma loyauté contre ta protection… » souffle Nelladel, la gorge sèche.
C'était ça ? L'estropier pour laisser Leiftan faire ce qu'il voulait de lui et de Fawkes ?
L'elfe passe une main tremblante dans ses cheveux, le regard vide. Il fronce les sourcils, puis renchérit :
« Il a… Il a forcément fait quelque chose ! C'est un Maître de la Médecine, alors il a sûrement fait en sorte qu'on guérisse vite… Mais on a… ON A LA JAMBE BRISÉE, TU LE CROIS, ÇA, FAWKES ? »
Après avoir essayé de fuir grâce à la puissance de Candice en lui offrant un repas sur un plateau d'argent, voilà ce qu'il récolte ! L’éclat soudain de la voix de Nelladel fait sursauter le renard dans son lit. Fawkes ne peut détourner son regard de ses plaies, de sa jambe tordue qui ne marchera plus avant très longtemps.
« Ouais…, souffle-t-il. On s’est planté, on a misé sur la mauvaise option. »
Compter sur une fée pour s’enfuir. Compter sur Candice en particulier, qui avait été très clair avec eux avant de lancer l’opération de sauvetage, quant à devoir se débrouiller pour survivre par leurs propres moyens. Candice est égocentré, obnubilé par lui-même et par son espèce. Ce qu’il peut advenir de Nelladel et de lui, il n’en a rien à faire selon Fawkes. Et Nelladel est en train de le réaliser, sauf que pour lui, la désillusion est grande. Le goupil peut entendre son comparse respirer fort, s’énerver. S’il avait des affaires à sa portée, sans doute aurait-il déjà tout envoyer valser.
« Faut pas compter sur Candice, Nelladel… formule Fawkes. Calme-toi. Toi et moi, on est vivants, et on va se sortir de là. »
Mais pour l’instant, l’ancien membre du cartel n’a aucune idée de la manière dont ils vont devoir s’y prendre.
Nelladel, lui, à du mal à se calmer. Toutes ses pensées sont tournées vers son ancien Maître et l'injustice qu'il est en train d'affronter lui retourne les entrailles. Oui, Candice avait dit que tout le monde devrait protéger sa propre vie mais dans sa cellule, dès l'instant où il avait un repas à portée de main, il aurait pu s'enfuir et les tirer de là, lui et Fawkes.
Il pousse un long soupir rageur, puis se met à réfléchir.
Et maintenant ?
Ils vont rester à l'hôpital, ils vont guérir, mais ils ne seront certainement pas épargnés par la justice d'Eel et le Conseiller. Tout ce qu'ils ont gagné, c'est un sursis, mais Nelladel est persuadé que les interrogatoires se déplaceront jusqu'à eux, si besoin.
« Dis, Fawkes, demande tristement Nelladel, Tu crois que les membres de ton cartel vont venir te chercher ? Comme ta cheffe et les autres sont allés chercher Nash ? »
Titan l'aurait fait. Mais Sexta ? Fawkes a de gros doutes. Autant il n’aurait jamais douté de Titan. Autant il sait que Sexta ne risquera pas sa vie et celle de Fuya pour venir en aide à un renard paumé qui a donné sa confiance à un traître. Même si Nelladel ne peut pas le voir, Fawkes secoue la tête, ses oreilles ballottent dans ses cheveux.
« Elle ne viendra pas… Sexta ne se mouillera pas pour moi. Je suis tout seul, réalise-t-il aussi, à voix haute. Je dois trouver Titan… »
Mais il n’est pas sûr d’y parvenir lui-même. Et quand on voit comment s’est soldé sa première tentative de retrouver ses compagnons avant de fuir, ça remet ses priorités en perspective. S’ils ont l’occasion de fuir, l’elfe et lui, Fawkes ne peut pas se permettre de mettre à nouveau la vie de Nelladel en danger pour le cartel.
« Non… on doit s’enfuir d’ici. Ensuite… ensuite j’aviserai, se confirme Fawkes. Je te ferai plus défaut, Nell. On peut plus compter que sur nous-même. C’est toi et moi, et personne d’autre. Tu m’entends ? Toi et moi. »
Nelladel ne doit pas se laisser abattre par la situation. Lui non plus. Ils ne doivent surtout pas sombrer dans la déprime, se laisser démoraliser et décourager. Tant que Fawkes respire, il se battra pour sa liberté et celle de Nelladel. Leurs jambes sont foutues, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas subir les sévices de Leiftan Tuarran, à la différence qu’il ne pourra pas les blesser plus que de raison au risque d’alerter le corps soignant. Ça leur offre un sursis pour réfléchir à leur fuite. Et puis… ils devraient avoir davantage d’opportunités ici, pour s’enquérir de la situation en dehors des murs qui composent leur vie.
« T’es réveillé depuis longtemps ? demande Fawkes. T’as vu quelqu’un ? »
Nelladel répond un "non" lointain. Il n'a vu aucun soignant et il est incapable, pour le moment, de pouvoir se faire une carte mentale de l'hôpital pour mieux le fuir.
Mais il est un ancien brigadier, alors se faufiler dans des endroits mortels en évitant le danger, il sait faire. Et même avec une jambe brisée, il saura le faire.
« Écoute-moi bien, Fawkes, lâche-t-il avec un sérieux sans pareil, la dernière fois, tu as voulu rester dans la cité pour essayer de sauver tes compagnons et on s'est fait prendre. Maintenant qu'on est tous les deux ici, tu feras ce que tu voudras mais moi, je vais tout faire pour m'enfuir. Je suis un ancien brigadier alors j'y arriverai. Et je vais pas attendre que ma jambe guérisse. »
Le plan est simple : ils attendent les soignants et ils essayent d'en savoir un maximum sur l'hôpital. Mais ce qui est sûr, c'est qu'à cause de la catastrophe, l'endroit ne peut pas être aussi sécurisé qu'un véritable hôpital pénitentiaire, alors s'y extraire sera facile, même avec l'état de leurs jambes.
« Après, poursuit Nelladel, on contacte les purrekos et on demande à voir un de leurs médecins. J'ai une information dont je pourrai me servir comme paiement. On se planque le temps de guérir et ensuite… J'irai dénoncer le hekhelem à quelqu'un qui ne sera pas ravi d'apprendre ses petites cachotteries. »
De l'autre côté de la vitre, Nelladel ne peut que voir la silhouette de Fawkes mais tout ce dont il a besoin, c'est d'une réponse :
« Tu es avec moi ? Une fois dehors, tu feras ce que tu voudras. Mais tant qu'on risque de se faire torturer par Leiftan et qu'on est pas encore sortis d'affaire, vaut mieux qu'on reste deux. »
Pendant un court instant, Fawkes a cru que Nelladel voulait se débrouiller seul, par ses propres moyens, sans se le traîner comme un boulet à la cheville. Le renard a conscience d’avoir mis leur situation à tous les deux en péril avec de mauvais choix, mais est-ce une raison suffisante pour le laisser derrière ? Sans doute. Pourtant quand Nelladel lui demande s’il est avec lui, la réponse n’a pas besoin d’être réfléchie.
« Evidemment. La question ne se pose pas. »
C’est l’évidence même aux yeux de Fawkes. Ils ne peuvent plus compter que l’un sur l’autre. Ce serait stupide de vouloir rester seul et méfiant. Fawkes se souvient bien comme il a été applaudi et congratulé quand il sauvé le rejeton Ael Diskaret de la noyade et s’il sait qu’il est rapide à la populace de retourner sa veste, il espère que ça jouera auprès des soignants qui leur rendront visite. Peut-être accepteront-ils de répondre à quelques questions innocentes.
« Pour l’instant, on se focalise sur notre convalescence, mais on en dissimule les progrès. Ça te convient ? S’ils nous pensent plus inaptes que nous le sommes, on sera peut-être moins surveillés… »
Nelladel acquiesce. Ils feront ainsi, le temps d'obtenir des informations sur l'hôpital et ensuite, pendant une nuit, ils s'en iront. Et quand ils seront enfin libres, ils pourront guérir en paix, loin des yeux de la population d'Albacore.
Puis, quand le moment viendra, alors Nelladel retournera à Rhenia-Gaear, jusqu'à la frontière du royaume des fées afin de dire à une personne particulier que son frère à failli en son rôle de futur souverain et qu'il est encore temps de réparer les dégâts avant qu'Odrialc'h ne massacre ce qui reste de leur peuple.
C'est maigre mais c'est tout ce que Nelladel a.
Il ne peut plus retourner dans les brigades finir ce qu'il a commencé. Il ne peut plus marcher sur Eel et Albacore et encore moins sur Odrialc'h. Se cacher parmi le cartel des Typhons n'est pas envisageable alors tout ce qu'il peut faire, c'est dévoiler au grand jour le mal qu'a commis celui qui lui a brisé la jambe afin qu'il paye et que les véritables souverains puissent enfin se réveiller.
Il doit essayer, mais il ira seul.
« Il faut qu'on aide Titan, songe Nelladel à voix haute, si tu laisse Sexta à la tête du cartel, Fawkes, ça ne fera rien de bon. »
Si Nelladel veut reprendre le fil de ce qu'il a laissé, pour lui, pour son frère, alors ce doit être Titan et personne d'autre.
Il est résolu : il va réessayer, mais pas en tant que dava cette fois. Fawkes partage sa pensée. Sexta en cheffe de Cartel, c’est la garantie de trouver des cadavres semés aux quatres coins d’Odrialc’h. Il ne sait pas si sauver Titan suffira à contenir Sexta, mais il ne peut écarter cette possibilité. Alors si Nelladel se propose de l’aider à sortir Titan de sa prison, il ne s’en privera pas.
« Je sais… souffle-t-il quand même. Repose-toi. On va avoir besoin de toutes nos forces pour se tirer de là. »
June et Helouri à Albacore (après l'entretien avec Sadako Nakata)
Quand il entre dans la chambre qu'ils partagent, elle ne le remarque pas. Elle se trouve sur ses propres couvertures, celles que les habitants d'Albacore leur ont donné et qu'ils empilent afin de ne plus ressentir la dureté du sol.
Dans cette pièce, June, Helouri et Cristal y dorment tous les trois et maintenant que Joseph est enfin sorti de l'hôpital, il est venu s'ajouter à l'équation, si bien que la famille dort les uns blottis contre les autres.
En ces temps troublés, c'est difficile d'avoir un petit peu d'intimité et c'est pourquoi Helouri veut se dépêcher de déposer son gilet pour laisser sa sœur tranquille. Pourtant, quelque chose ne va pas.
Quelque chose ne va pas depuis qu'elle travaille à la prison d'Albacore, à vrai dire. Helouri ignore ce que June peut bien y voir, car son travail reste confidentiel, mais cela lui vole son énergie et son enthousiasme. Le jeune morgan hésite.
Ses mains glacées serrent son gilet pendant qu'il réfléchit et quand il prend sa décision, il s'éclipse de la chambre avec discrétion pour mieux y revenir une petite demi-heure plus tard.
June est toujours là, perdue dans ses pensées. Helouri, lui, à enfilé son gilet de nouveau et s'est muni d'un grand sac en jute qu'il pose sur le sol avec mille précautions.
Il s'approche de sa grande sœur, s'agenouille à ses côtés et pose une main délicate sur son épaule. Quand elle sursaute pour tourner la tête vers lui, il lui sourit avec douceur et lui demande :
« Je vais dans la forêt chercher des herbes acides. Tu veux venir avec moi ? »
Elle plonge dans ses yeux clairs. Il voit, et malgré tous ses efforts pour lui cacher son train de vie difficile, il s’inquiète. June esquisse une moue lasse et se redresse en triturant sa tresse, qui se répand sur ses épaules dans une débâcle de cendre.
« J’arrive. » soupire-t-elle.
Il lui faut une minute pour mettre ses bottes et passer une tunique plus convenable, puis elle le rejoint et fait mine de s’étirer en étouffant un bâillement.
« Je te suis. »
Un petit mot rapide pour Cristal et Joseph partis marcher quelque peu, et ils prennent la direction de la forêt qui borde Albacore. Helouri ne compte pas s'y enfoncer plus que de raison et en vérité, les herbes acides peuvent attendre : il veut juste atteindre la petite clairière qui avait l'habitude de le voir dans tous ses états quand il essayait d'entrer dans la Garde Absynthe. Celle avec la grande souche offrant un banc convenable et celle, aussi, que l'on dit trop proche du territoire des black dogs, même si Helouri en doute.
Il n'a jamais aperçu la moindre créature ressemblant à un black dog et de toutes manières, le jeune morgan n'est pas certain que leurs nez affutés pourraient supporter la forte odeur des plantations de rozmarins sauvages.
Après une petite demi-heure de marche, June et Helouri parviennent jusqu'à cet endroit. Le jeune morgan peut enfin poser son sac de jute dont il tire de grands bols de bois dotés d'un couvercle. Il les dispose sur la souche puis, se tournant vers June, il les désigne d'un signe de tête :
« C'est une soupe aux algues rouges. Tu sais, celle que tu aimes bien et que je te faisais quand tu rentrais de soirées. En plus, c'est tranquille ici, alors prends le temps de la boire. Personne ne vient jamais alors si tu veux… Crier… Pleurer… »
Helouri passe une main dans ses boucles nacrées, ses lèvres tordues en une grimace, mais il pense que sa sœur à compris qu'il a remarqué son changement de comportement, même si elle se tue à le cacher.
June étouffe un rire, et elle attrape un bol de soupe pour s’y regarder. Son reflet est troublé, comme son esprit. Elle l’observe plusieurs secondes, puis avale une gorgée pour savourer le goût qui se répand sur sa langue. Elle n’a pas envie de pleurer, mais elle se sent bien, ici. Suffisamment pour laisser tomber sa garde et pousser un soupir épuisé, avant de lever les yeux vers les frondaisons.
« C’est bon, murmure-t-elle. Je suis pas sûre que crier serve à quelque chose, mais c’est tentant. »
Elle préfèrerait pouvoir écraser la tête de Candice Milliget dans son écuelle d’eau sale, mais elle se contentera de la clairière.
« Ça se passe bien, à l’hôpital ? » demande-t-elle d’une voix plus douce.
Helouri vient s'installer sur la souche, près de sa sœur. Il attrape son propre bol et avale une gorgée de la soupe avant de focaliser son esprit sur son travail à l'hôpital.
Il ne s'occupe que des blessés légers, du ménage et du classement administratif. Le personnel soignant est si débordé que l'on prête rarement attention à lui et que sa discrétion lui est fort utile. Ils sont quelques faeliens à faire les basses besognes et ils sont si occupés qu'ils ne se mêlent pas des affaires des uns et des autres, alors Helouri peut tendre l'oreille ou bien fouiller dans la paperasse :
« Il y a énormément de travail, confie-t-il, mais on m'a assigné le service pour les civiles qui se blessent. Je fais aussi du classement et je n'ai pas appris grand-chose… Enfin je pense. Mais tu sais, la nuit dernière, je suis resté tard. »
Il terminait la vaisselle et ensuite, il devait nettoyer la salle commune où les blessés capables de marcher venaient prendre leurs repas. Une tâche éprouvante à cause de la surface de la pièce cependant, cette fois-là, Helouri avait entendu une dispute.
« C'était le Chef Séquoïa, j'en suis sûr. J'ai reconnu sa voix. Il était en train de se disputer avec la docteure Osgiliath et même s'ils essayaient de ne pas faire de bruit, j'ai réussi à les comprendre. La docteure Osgiliath lui disait qu'il devrait aller voir son frère, mais le Chef Séquoïa a dit que c'était hors de question et que jamais il n'irait lui adresser le moindre mot. »
La paroles d'Ezarel envers son frère jumeau avaient été implacables, à l'image du Chef de l'Absynthe. Helouri imagine sans mal qu'il est le type de personne qui ne pardonne pas.
« Je crois que les actes de son frère vont lui attirer des problèmes. » songe Helouri en faisant la grimace.
June l’imite. Sans doute qu’elle n’aurait pas été ravie non plus à sa place… Et peut-être aussi qu’elle aurait été en colère contre Nelladel de s’être fait passer pour mort, mais après avoir passé autant d’années sans le voir, elle aurait au moins voulu savoir pourquoi.
Les affaires des jumeaux Séquoïa ne la concernent pas, mais elle ne peut s’empêcher d’éprouver une pointe de peine pour Nelladel. Mais l’elfe a sans doute d’autres choses à penser, et elle n’apprécie pas suffisamment le chef Séquoïa pour s'émouvoir de ses éventuels problèmes.
« En même temps, c’était complètement idiot de se jeter dans la cage. » grommelle-t-elle.
Elle avale une autre gorgée, puis adresse une moue curieuse à son frère.
« Du coup, Nelladel est à l’hôpital ? Et tu sais s'il y a d’autres blessés graves ? Du genre, un renard par exemple ? »
Helouri arque un sourcil quand June fait mention d'une cage, mais il ne demande rien car il se doute que sa sœur ne pourra pas lui raconter quoi que ce soit. Il réfléchit à ce qu'il a trouvé dans les papiers administratifs, mais il songe que ce qui concerne les prisonniers administrés à l'hôpital ne lui est jamais tombé entre les mains.
« Je pense que si des prisonniers sont arrivés à l'hôpital, alors le personnel soignant qui s'occupe d'eux à dû faire très attention, répond Helouri en secouant la tête, je ne le savais même pas. »
Le jeune morgan se demande ce qui a bien pu se passer dans la prison, mais ça a dû être terrible. En revanche, il a cherché un dossier particulier et il a fini par le trouver en bénissant l'infirmière qui s'occupe de Rose Clarimonde.
Le dossier de l'ancien Second de l'Ombre était encore dans le bureau du personnel soignant, quand Helouri a pu mettre la main dessus, à défaut de se trouver dans celui d'Ewelein Osgiliath.
Helouri a été rapide à le lire car il imagine que s'il avait été pris en flagrant délit, alors non seulement il aurait été expulsé de l'hôpital mais en plus, il aurait dû expliquer son acte.
Seulement, le contenu du dossier est difficile et le jeune morgan ne sait pas vraiment comment l'expliquer :
« J'ai pu trouver le dossier médical de Rose Clarimonde, explique-t-il en serrant les mains autour de son bol de soupe, je ne savais pas vraiment s'il y aurait quelque chose d'utile, mais j'ai quand même regardé. »
Helouri cite à June tous les éléments qu'il a retenu : les blessures pendants les missions, la mère de Rose qui se trouve en institut pour les maladies de l'esprit à cause d'une accoutumance au tap et tous les effets qui l'ont rendue malade, puis les soupçons concernant une potentielle maladie de l'esprit, la maladie du néant.
« Je n'ai pas vraiment étudié les maladies de l'esprit, confesse Helouri, alors je ne sais pas à quoi ça fait référence. Mais il y avait une note… Une note de la main de la docteure Osgiliath, je pense, qui disait… Qui disait de mettre l'ancien Second Clarimonde sur surveillance parce que… Parce qu'il y avait un risque de… »
Le jeune morgan ne veut pas dire les mots qu'il a lu alors à la place, il cherche une façon de traduire sa pensée, mais c'est difficile :
« … Un risque d'un mauvais acte, envers soi-même. » finit-il par dire.
June écarquille légèrement les yeux. Rose est-il donc à ce point malade ? Ou peut-être est-ce la défaite de son maître dont il accuse encore le coup… Elle songe à son entretien avec l’envoyée d’Odrialc’h. Les rares regards qu’elle s’est permis d’envoyer à Rose n’ont pas été suffisants pour savoir si le vampire allait mieux, mais elle ne s’imaginait pas que les choses étaient aussi graves.
Elle ne sait pas vraiment quoi faire de cette information, mais ça ne l’empêche pas d’adresser un sourire torve à son petit frère.
« Dis donc, tu prends goût à l’illégalité… plaisante-t-elle. Après l’interrogatoire que j’ai subi, je sais pas si c’est une bonne idée que j’aille lui rendre visite, même si la kitsune avait l’air de me croire… »
June triture de nouveau sa tresse, puis ses lèvres se crispent. Elle hésite, reste silencieuse, puis reprend avec précaution.
« J’ai pas le droit de te dire ce que je fais, alors je dirais rien, lance-t-elle. Mais si tu devines tout seul, ça sera pas vraiment ma faute. »
Elle lui adresse un regard entendu, puis continue en terminant sa soupe.
« J’ai discuté avec Balam, et je suis pas encore sûre, mais il se pourrait qu’il puisse nous aider. Je lui ai pas parlé de… tout ça, fait-elle en agitant les mains. C’est trop tôt. Je me renseigne juste un peu, et je crois qu’il est pas trop d’accord avec les positions de la Garde concernant… certaines personnes. »
Helouri se met à réfléchir. Le dernier souvenir qu'il a de la prison, c'est lui et June en train de se cacher dans un bureau pendant que Balam et la Capitaine se dirigent vers la cellule qui contient la fée. Balam s'insurgeait contre les mauvais traitements que Leiftan Tuarran voulait lui infliger.
Ensuite, le jeune morgan, comme son père fraîchement sorti de l'hôpital, avait appris que Balam était à présent membre de l'Étincelante, grâce à Leiftan, mais aussi assigné à la surveillance de la fée.
« Je suppose que Balam n'est pas le genre de personne à vouloir maltraiter un prisonnier, quel qu'il soit, réfléchit Helouri, et qu'il doit quand même en vouloir au Conseiller. »
Le jeune morgan n'imagine pas du tout Balam infliger des sévices à qui que ce soit, même à une fée qui aurait détruit la cité d'Eel et manqué de le tuer.
Helouri se redresse, souffle par le nez, puis se met à réfléchir. Un léger sourire fleurit sur ses lèvres quand il pense que sa sœur a raison : il prend goût à l'illégalité, mais c'est parce que lui aussi il aimerait avoir des réponses à ses questions. Tout comme June, le plan de la fée et de ses sous-fifres était de l'enlever pour le placer au grand palais d'Odrialc'h par tous les moyens.
Les paroles de Nelladel résonnent encore dans son esprit, mais il se demande toujoursqui a raison.
« Peut-être que Balam aussi veut des réponses, songe Helouri, mais je ne sais pas s'il voudra creuser pour les avoir. Mais si on lui souffle de s'intéresser à la langue des fées pour communiquer avec le prisonnier, ça peut peut-être l'intéresser… »
Les yeux de June étincellent. Effectivement, ça pourrait sans doute intéresser le guetteur. Elle hoche la tête en se servant un peu de soupe.
« Imaginons que pour l’instant, Balam connaisse quelques mots, et que ce soit majoritairement des insultes. » répond-elle.
Insultes qu’elle a d’ailleurs noté dans son propre répertoire, bien qu’elle doute pouvoir les ressortir un jour étant donné la popularité relative de la langue des fées.
« Il lui faudrait un moyen d’apprendre la langue des fées, et je doute que le prisonnier soit du genre à la lui apprendre, continue-t-elle. Il faudrait que quelqu’un la lui enseigne, ou qu’il puisse s’instruire tout seul. »
Elle doute de trouver des dictionnaires à la bibliothèque, et les seules personnes qui parlent la langue des fées sont actuellement à l’hôpital. June adresse un regard interrogateur à Helouri.
Ce dernier se crispe, ses mains serrant les pans de sa tunique comme s'il venait d'être pris en faute. Se mordillant la lèvre, il répond d'une voix qu'il veut détachée :
« Eh bien… En sa qualité de membre de l'Étincelante, Balam peut aller où il veut. Il peut donc aller à l'hôpital d'Albacore, dans le service où se trouve l'ancien Second Clarimonde, ou même celui où il y a Nelladel et le renard. Je pense que ceux qui travaillent pour la fée doivent parler sa langue, à mon avis. En plus, peut-être que… Peut-être que Balam voudrait savoir pourquoi ces gens ont choisi de travailler pour la fée et en tant que son surveillant principal, il a le droit de poser des questions. Je crois. Peut-être. Mais il n'y a sûrement pas pensé…
- Il faudrait que quelqu’un le lui suggère, alors. »
Elle lui fait un clin d'œil, l’air de dire que ce sera la partie la plus simple du plan. Être membre de l'Étincelante, ça aide beaucoup… Elle aimerait bien pouvoir demander aux complices de Candice Milliget s’il a un point faible qui lui permettrait d’en apprendre plus sur lui. Mais pour ça, c’est sans doute Balam qui est le plus indiqué, vu comment elle s’en sort…
« On devrait ramasser des herbes sifflantes plus souvent. » plaisante de nouveau June.
Helouri lui adresse un sourire complice et tous deux terminent leurs soupes, le cœur plus léger.
J'aurais voulu être lui.
La silhouette débordant d'un charisme entêtant pour toutes les oreilles qui l'écoutent et d'une prestance fascinante pour les yeux qui le regardent. Même dans la pénombre, on sait que c'est lui qui marche, qui s'exprime, qui anime ses récits à grands coups de gestes et qui soumet le décor de son œil gris.
Bien que la nuit soit son amie, il se transforme en soleil et il touche les âmes d'une chaleur bienveillante. Être en sa compagnie, c'est comme une bougie près de soi dans le froid le plus glacial.
Le travail en lui-même n'est pas difficile. Mais il vous faudra apprendre le savoir-être, la rigueur et la discrétion professionnelle. Ficaire va vous enseigner le métier.
Ficaire, c'était un majordome au service de la famille Mircalla. Puisque Rose avait échoué à être gardien, alors il s'était contenté de se trouver un travail pour gagner de l'argent et payer la place de sa mère dans un institut décent. Mais peu de boutiques acceptaient d'embaucher un adolescent de quatorze ans, alors Rose avait dû se tourner vers le métier de majordome.
Dans l'esprit du personnel des Mircalla, plus la pierre est jeune, plus elle peut être taillée pour s'adapter au moule de l'excellence.
Rose savait déjà ce que c'était, la discipline, l'ordre et la rigueur. Il avait appris cela à l'orphelinat, alors travailler sous la tutelle de Ficaire s'était révélé assez simple.
Le majordome aguerri avait trouvé en la personne du jeune adolescent quelqu'un de silencieux et diligent, mais également une coquille vide qui absorbait les consignes sans jamais se plaindre.
Il nettoyait, rangeait, lissait les draps, faisait les lits au carré et se transformait en ombre en présence des Mircalla. Rose laissait les journées passer, le temps filer pendant qu'il récoltait l'argent dont il avait besoin pour payer l'institut.
« De quoi avez-vous envie, Monsieur Clarimonde ?
- … »
Et puis il y a eu la tasse.
Une très jolie tasse de porcelaine, d'un blanc d'ivoire avec des fleurs ciselées sur son contour et de l'or sur le rebords. Tout ce qu'il faut pour que le nez puisse capter les effluves pendant que les yeux se régalent, disait Ficaire, jusqu'à ce que le goût puisse déguster le chapeau aromatique.
Faire du thé était un art que Rose avait appris aussi. Une boisson parfaite à la température parfaite dans une tasse parfaite. Et ce jour-là, l'adolescent avait fait tomber cette tasse.
Son corps précieux avait répandu son contenu sur la moquette du petit salon, là où un jeune vampire Mircalla, à la lisière de la trentaine, se reposait avec un livre dans les mains.
Mortifié face à son erreur, Rose avait découvert la fatigue de son corps frêle, que les tâches répétitives avaient fini par épuiser.
Intrigué par le bruit, le Mircalla avait quitté sa lecture pour plonger son œil gris dans ceux, opalins, de la frêle statue figée face à lui. Serrant le petit plateau d'argent dans ses mains, ses sombres atours jurant avec sa peau pâle, Rose avait attendu les remontrances.
Mais à la place, il n'avait eu qu'un haussement d'épaules ainsi qu'un sourire compatissant.
Ah… Eh bien ça va nourrir la moquette.
Puis, quand le pas vif de Ficaire s'était fait entendre, le Mircalla avait arraché le plateau des mains de Rose pour le jeter sur la petite table basse. Le majordome, les yeux ronds, s'apprêtait à réprimander son jeune apprenti, mais il avait été interrompu.
Laissez, Ficaire, c'est de ma faute. La tasse m'a échappé des mains.
Ce jour-là, Nevra avait adressé un clin d'œil complice à Rose et celui-ci s'était demandé pourquoi.
Pourquoi est-ce qu'il avait endossé sa faute ? Pourquoi est-ce qu'il s'était montré si gentil quand les autres Mircalla ne savaient remarquer leurs serviteurs uniquement quand ils commettaient des erreurs ?
Je ne sais pas
C'était simplement lui. Si au départ, Rose s'attendait à ce que Nevra lui demande quelque chose en échange de sa gentillesse, le temps lui avait montré qu'en réalité, le vampire Mircalla restait égal à lui-même.
Au sein de son domaine, il y avait des âmes qu'il savait aimer et détester à la fois et une seule à laquelle il s'était attaché malgré lui. En réalité, Rose avait pu constater que Nevra était très seul et que son travail à la tête de la Garde de l'Ombre se muait en une véritable soupape, pour lui.
Là, dehors, il y avait des gens qu'il aimait comme Valkyon ou même le gérant du réfectoire, ce faune aigri qui l'accueillait pourtant à bras ouverts parce que Nevra avait le mérite de le faire rire. Et puis, au sein de son domaine, il y avait Rose.
Je sais ce qu'on va faire ! Aujourd'hui, je te coupe les cheveux ! On va enlever ta frange et te dégager le visage ! Tu verras, ça t'ira bien. Ça fera moins… Attends, j'essaye de trouver un terme plus gentil que "coincé"...
Nevra était l'étincelle dans la vie de Rose et Rose, la pousse fragile que Nevra voulait protéger pour la voir éclore et profiter du soleil. Il y a toujours eu ce lien pudique entre eux, de celui qui aurait aimé qu'un autre vampire naisse après lui et de l'autre, qui aurait voulu que le contraire se produise.
Nevra était la main tendue vers la sécurité que Rose a toujours cherché, mais aussi l'œil qui pouvait lire en lui en tâchant de lui faire croire le contraire. Nevra savait tout.
Tu le mérites, et lui aussi.
Il avait désigné la silhouette de Valkyon du menton avant de rire quand les joues de Rose s'étaient embrasées. Il avait mis les pieds à Odrialc'h, dans le dos de sa famille, pour rendre visite à Théodora, avec celui qu'il aimait comme son jeune frère et il s'était même rendu à la frontière du royaume des fées, avec Rose, sans avoir la certitude d'en repartir vivant.
Il y a vraiment quelqu'un derrière ça ? Tu es sûr ?... Qu'est-ce que…
Il était venu parce que Rose y croyait.
Il avait fait le voyage jusqu'aux grandes portes glacées, immenses, infranchissables parce que Rose voulait que sa mère, que Nevra, que Valkyon puissent vivre dans un monde clément, magnifique, dirigé par les souverains originels. Il avait été cru.
Nevra refusait aussi de marcher sur des cadavres humains pour avoir le droit de vivre, alors il était resté devant la porte pour se fendre de stupeur quand les hauts et lourds battants avaient été poussés par Maître Candice, à la seule force de ses bras.
Son œil gris était devenu rond quand Rose, subjugué par l'apparition, avait réussi à prononcer le seul mot qui était enseigné à l'orphelinat. Hekhelem.
C'était peut-être cela qui leur avait valu leur survie, parce que durant leur voyage de Rhenia-Gaear jusqu'à la grande porte, le Maître les guettait. Comme un prédateur, il attendait le bon moment pour tuer ou bien insuffler assez de terreur pour dissuader les curieux de s'approcher.
Seulement, dans les yeux de Rose, il avait ce qu'il voulait et ce qui attisait le feu de son arrogance : de la fascination.
Rose sait. Il a toujours su. L'emprise du Maître aurait pu être complète si Nevra n'avait pas été là. Comme Nelladel qui n'était plus aimé de personne puisqu'on le croyait mort, Rose aurait pu être le genre de dava qui craint la colère de son Maître ainsi que la douleur insupportable d'avoir la chair percée avec sa trompe.
Mais Nevra, lui, avait tenu tête à Maître Candice. Il avait refusé de devenir un esclave et l'échange qui s'était tenu à l'ancien village des lorialets aurait pu devenir un bain de sang si Nevra n'avait pas tenu bon.
Prouve-moi que tu mérites ta couronne, et peut-être que je t'aiderai à retourner sur le trône. Là, tu me donnes plutôt envie d'être gouverné par un pimpel.
Il n'avait pas eu peur et Rose avait salué son courage. Vampire Mircalla face à un souverain déchu qui possédait la force de le tuer dans la douleur pour le dévorer ensuite, il n'avait pas ployé face au cri strident hurlé dans le vent glacial, ni même face à la mâchoire disloquée, bardée de crocs tranchants et encore moins devant la trompe hérissée de pointes.
Prouve-moi que tu mérites ta couronne.
Non. Le Maître ne la méritait pas. Là, au cœur de l'Eel rouge et de ses propres explosions, il avait semé le chaos sans un seul regard pour les vies de ceux qui auraient pu devenir ses futurs sujets. Le prix à payer pour récupérer son trône était trop élevé, même pour un dava qui avait grandi avec l'adoration des fées.
De quoi tu veux parler ? De la nouvelle chemise de Dimitri ? Qu'est-ce qu'elle est moche…
Qu'est-ce qu'il regrette… Qu'est-ce que Rose regrette que Nevra soit pris au piège avec lui. À cause de lui. À cause de ce en quoi il croit.
Peut-être auraient-ils mieux fait de se taire et d'accepter de marcher sur des cadavres humains.
« De quoi avez-vous envie, Monsieur Clarimonde ? »
Le ciel, le sol, les herbes sifflantes qui ploient sous le vent, les nuages et le spadel. Rose suit le vol du petit familier de ses yeux opalins, appréciant combien sa course permet aux fleurs eldaryennes de prospérer.
Je décide que tu décides.
Si le monde pouvait être aussi beau… S'il pouvait avoir un autre avenir que la conquête d'un autre ou bien la rage d'une fée comme souveraine. Si le spadel pouvait se poser sur la pousse d'une céréale qui pourrait remplir des estomacs…
« Et maintenant, dites-moi de que vous avez envie, Monsieur Clarimonde. »Je voudrais… J'aimerais…
Il est assis dans son fauteuil à roulettes, avec ses jambes brisées et son estomac vide. Il a perdu du poids, il voudrait dormir pour toujours et l'extérieur qui l'appelle, il ne peut pas y aller.
Alors, quand il se confronte au regard étincelant d'Ewelein Osgiliath et à celui, assassin, de Sadako Nakata, Rose réalise que son esprit est aussi clair que celui qui revient de loin.
« Que va nous apporter cette question ? grince la kitsune d'Odrialc'h, j'ai une enquête à poursuivre.
- Pas maintenant. »
Sadako lance un regard outré à la médecin en cheffe, mais cette dernière reste impassible. Serrant ses parchemins, ses deux queues battant l'air, elle se rengorge et indique que son interrogatoire doit se poursuivre car elle ne peut pas adresser un rapport incomplet au Grand Juge Alma Tuarran.
« Monsieur Clarimonde présente une profonde détresse de l'esprit, explique Ewelein, alors je dois continuer mon évaluation mentale. Si vous insistez, les réponses que vous obtiendrez de cet interrogatoire ne seront pas recevables et vous le savez. »
La médecin en cheffe se tourne vers Sadako, ses mains pâles jointes sur le devant de sa robe. Sans jamais se défaire de la dignité qui enveloppe toute sa personne, elle poursuit d'un ton grave :
« Il n'est pas question d'entraver votre travail, mais comprenez que je dois faire le mien. Vous avez besoin de mon évaluation mentale pour votre rapport, mais vous n'obtiendrez rien d'une personne qui présente une prof…
- Sexta Stoker. »
Ewelein se fige. Elle tourne la tête vers Rose qui s'est redressé dans son fauteuil, alors que Sadako dresse ses oreilles animales, les yeux plissés :
« Je vous demande pardon ? tranche-t-elle.
- C'est Sexta Stoker qui a permis à la fée de détruire la cité d'Eel. »
Les yeux ronds, Sadako se précipite vers la chaise, près du bureau, et se libère de ses notes. Elle dévisage Rose comme si elle tenait à lire dans son esprit, mais tout ce qu'elle récolte, c'est un regard fatigué.
« L'Impératrice des Abysses ? lance la kitsune, à Eel ? Où et quand ? Faites attention à ce que vous dites car comptez sur moi pour enquêter là-dessus !
- Elle était…
- Monsieur Clarimonde, vous n'avez pas à parler, intervient Ewelein, vous vous trouvez encore sous évaluation mentale.
- Au contraire ! insiste Sadako, dites-moi tout ! Parlez-moi de l'Impératrice des Abysses, je suis curieuse de savoir ce que vous avez à dire ! »
Parlez ! Taisez-vous. Parlez ! Taisez-vous. Parlez ! Taisez-vous.
Rose ferme brièvement les yeux. Il oscille entre un esprit qui veut remonter à la surface pour sauver sa vie et un autre qui s'était préparé à mourir.
Ses mains serrent les accoudoirs de son fauteuil et si le vide, dans ses entrailles, veut l'emporter, il reste éveillé pour tout ce qu'il veut sauver.
Pas lui-même. Lui.
« Je voudrais parler. » souffle-t-il.
Silence.
Il lève son regard épuisé vers celui de Sadako. La kitsune n'a aucune empathie pour lui et même s'il était en train de se vider de son sang sous ses yeux, elle ne broncherait pas. Tout ce qui compte, c'est ce qu'il a à dire.
Rose peut revoir Sexta lever sa machette pour l'estropier, le poursuivre dans le Parc de la Fontaine alors qu'il essayait de conduire Sira jusqu'au bateau des Milliget.
La traque de la terrible vampire des Abysses a été une véritable malédiction dont il n'avait pas pu se défaire mais si elle peut l'aider maintenant, si elle peut lui permettre d'assurer la sécurité de Nevra, alors Rose préfère livrer Sexta à Odrialc'h.
« Elle avait fait un pacte, explique-t-il, la vie de l'orc contre celle du Conseiller. Sexta devait s'assurer que la fée puisse semer le chaos dans la cité, alors elle a envoyé quelqu'un libérer l'orc pendant qu'elle contrôlait tous les points centraux d'Eel. »
Ce qui était vrai. Avant que Rose ne se rende dans la maison d'Île Grande pour mettre la main sur Sira, Nevra avait repéré Sexta sur la place du marché d'Eel, prête à entrer en communication avec les purrekos pour évacuer Nash.
L'ancien Second de l'Ombre ignore si le jeune orc est parvenu à fuir la cité en compagnie de Gabrielle ou d'un autre membre des Typhons, ou bien s'ils se sont cachés longtemps sous les décombres, attendant le meilleur moment pour fuir.
Mais seule Titan a été capturée.
Les oreilles de Sadako s'agitent alors qu'une question fleurit dans son esprit :
« Est-ce que c'est Sexta Stoker qui vous a attaqué pendant la catastrophe ? La gardienne Albalefko m'a dit qu'une vampire armée d'une machette en avait après vous, quand elle vous a trouvé en compagnie d'une fée.
- J'évacuais un membre de la famille Milliget hors de la cité quand Sexta Stoker m'a attaqué.
- Pourquoi l'a-t-elle fait ?
- Parce que j'avais mené une enquête sur elle et les Abysses et que j'avais transmis toutes les informations obtenues à Nevra Mircalla. »
Un pieu mensonge, puisque Nevra connaît tout du cartel. Chaque action que Rose a mené pour les Typhons et chaque information qu'il a obtenu, il les transmettait à Nevra qui les gardait bien précieusement dans un coffre inviolable, au creux de son esprit.
Maître Candice aussi savait tout, mais il n'écoutait que d'une oreille pour ne garder que les éléments qui l'intéressaient.
En tout cas et si Sadako veut s'assurer des paroles de Rose, elle sera obligée d'interroger Nevra. Il comprendra très vite, le jeune vampire en est certain.
« Qu'est-ce que vous faisiez avec la fée Milliget ? Vous essayiez de l'évacuer, d'accord, mais pourquoi l'avoir fait alors qu'un de ses semblables attaquait la cité ?
- Parce qu'elle n'était pas responsable des actes de son frère.
- Et si ça avait été le cas ? Et si elle était complice ?
- Alors je n'aurai eu aucun moyen de le savoir. Son comportement n'était pas révélateur d'une telle chose. La fée était effrayée et agissait comme un enfant. »
Qu'importe ce que la kitsune peut penser, si un jour elle se retrouve face à Maître Sira Milliget, alors elle comprendra qu'il est parfaitement impossible de l'accuser de quoi que ce soit.
Pourtant, Rose songe que les actes de Maître Candice pourraient porter préjudice aux anciens et aux enfants de son peuple, sous le joug d'Odrialc'h, mais aussi au reste de sa famille.
Il aurait été une bénédiction que le plan réussisse. Il aurait été tellement mieux que June et son frère puissent accomplir leur mission, sous la contrainte ou la liberté et que la marche contre la conquête terrienne continue…
« Est-ce que vous vous considérez comme un adorateur des fées, Monsieur Clarimonde ? »
Oui. Oui, il l'est.
Malgré la rage de son Maître, malgré la sauvagerie dont il fait preuve et tout le mépris qu'il porte aux espèces différentes de la sienne, Rose ne peut pas se défaire de la fascination qu'il lui inspire. Il n'a jamais su éloigner l'admiration qui l'a saisi quand il s'est retrouvé à la frontière des Milliget et qu'il a vu les lourdes portes, glacées, s'ouvrir pour laisser apparaître un souverain déchu.
Force, érudition, sagesse, beauté, les fées sont faites pour gouverner et parfois, quand Rose observait Maître Sira ou Maître Candice, il se faisait la réflexion que quelque part, il comprenait l'aversion que pouvait ressentir le premier envers ceux qui n'étaient pas de son espèce.
Il y a une barrière entre les fées et les autres. Il y a toujours eu une barrière.
Alors oui, Rose est un adorateur des fées et il ignore s'il restera ainsi, malgré tout ce dont il a été témoin, ou bien s'il finira par ouvrir les yeux parce qu'il se trompe.
Il est l'idiot instruit ou l'idiot tout court.
« Je suis désolée, intervient Ewelein, mais Monsieur Clarimonde doit retourner en salle de repos. Je devrais achever son évaluation de l'esprit avant que vous ne puissiez reprendre votre interrogatoire. »
Sadako réplique qu'elle reviendra pour terminer ce qu'elle a commencé, mais les informations qu'elle a obtenues lui suffiront pour le moment. Rose ne doute pas une seconde qu'elle ira poursuivre son enquête auprès de Nevra, mais il a confiance en ce dernier et il sait qu'il saura s'en tirer.
Si Sexta Stoker devient la cible d'Odrialc'h, alors cela leur permettra de gagner un petit peu de temps pour mieux s'extirper de leur situation et la retourner à leur avantage.
Et ensuite ?
Ensuite, Rose verra bien. Il verra bien quand son esprit s'éveillera de nouveau, loin de l'épuisement qui s'est construit comme un mur et qui se manifeste par le sang battant contre ses tempes.
Il voudrait…... Dormir
Je voudrais dormir.
Alors il dormira. Il fermera les yeux et laissera une partie du vide retrouver un petit peu de matière dans ce qu'il a réussi à construire. C'est maigre, c'est petit, mais c'est précieux, comme le spadel virevoltant de fleur en fleur.
Sur le chemin qui l'a mené jusqu'à son lit, sous ses paupières closes, il a pensé à Nevra.
À l'image qui s'est tissé de lui-même, au sein de son œil gris, quand il l'a vu si frêle, son plateau dans les mains et la tasse de thé échouée à ses pieds.
Il aurait voulu… Il aurait voulu partager son sang. Il aurait voulu que Nevra naisse avant lui, comme un arbre qui croît et qui se parre de majesté pour mieux protéger la jeune pousse qui s'éveillera à ses pieds.
Il aurait voulu ne jamais l'avoir mené à la frontière des Milliget, il aurait voulu ne jamais partager ses croyances et il aurait voulu lui montrer le vide en lui, capable d'avaler le précieux écrin qui contient ce que Rose n'arrive pas à traduire avec des mots.
Et quand il s'accroche à cela pour tirer sur le fil du néant et réparer la blessure, alors il peut avancer.
Je décide que tu décides.
Alors il veut…Il veut creuser, construire, bâtir un chemin vers la liberté.
Il ouvre les yeux, il accueille le temps qui a filé et le sommeil qui l'a couvert de son regard bienveillant.
Rose a dormi longtemps. Il l'a su quand, passant dans la grande salle de repos, Yëvet l'a salué d'un tonitruant :
« Ah ben quand même ! »
S'approchant de son lit, l'infirmière s'empresse de le redresser et l'installer pour son petit-déjeuner. Rose, lui, embrasse la lumière filtrée par les carreaux de la fenêtre cintrée, mais aussi les visages des autres convalescents.
Il entend le rire de Chrome, en grande conversation avec le vétéran de l'Obsidienne et il a l'impression que ses oreilles captent tous les sons.
« Fallait que je vous laisse dormir, explique Yëvet, consigne de la médecin Osgiliath, alors je vous ai laissé tranquille. Par contre on va manger quand même parce qu'un sac vide, ça tient pas debout ! Et puis après, on ira prendre un bain et changer les bandages. Je vais vous frotter le dos, vous allez voir, ça va aller. »
Même s'il est peu enclin vis-à-vis du passage de la baignoire, Rose laisse l'infirmière parler et son enthousiasme envelopper la petite bulle dans laquelle il s'est réfugié.
Le vide est là, mais Rose a déjà commencé à le transformer. Tant qu'il est capable de le regarder sans se laisser happer, alors ça ira.
Il doit s'accrocher.
« Bon, décide Yëvet, je vais vous apporter le petit déjeuner. Et vous mangez tout sinon je vous fait manger. Et je vous mettrai le bavoir qui va avec, c'est moi qui vous le dit ! »
Rose lui adresse un léger sourire. Son estomac est toujours replié sur lui-même, mais il sera patient et petite bouchée par petite bouchée, il laissera la vie se glisser en lui. S'il tombe, alors il recommencera son ascension.
Parce qu'il le voudra.
Et maintenant ?
Maintenant, il doit demander.
J'aimerais… Je voudrais…
Après avoir touché le fond du gouffre, Rose entreprend son ascension. Ewelein Osgiliath a commencé son évaluation mentale et si Sadako Nakata voulait le jeter en pâture à la justice d'Odrialc'h, Rose est parvenu à insinuer le doute dans son esprit en rejetant la faute sur Sexta Stoker.
À présent, il doit poursuivre son entreprise s'il veut gagner la liberté et garantir celle de Nevra.
Il doit vouloir.
Mais qu'est-ce qu'il veut ?
Avec Rose, écrivez la suite de l'histoire d'Apotheosis…
➜ Il veut voir June Albalefko pour lui parler de la mission qui lui était assignée ainsi que celle qui était assignée à Helouri.
➜ Il veut voir Chrome Talbot pour lui dire la vérité et le laisser lui en vouloir ou le pardonner.
➜ Il veut voir Shakalogat Gra Ysul pour la laisser être juge de sa situation à la place de Sadako Nakata et du Grand Juge Alma Tuarran.
➜ Il veut voir Balam Lefaucheur parce qu'il est le gardien de Maître Candice. Parce qu'il a été son dava, Rose sait comment fonctionne Maître Candice.
Pour vous aider : Voici quelques petits indices qui pourront vous guider dans votre choix :
June Albalefko : Elle est la fille d'une plume vivante qui veut des réponses à ses questions.
Chrome Talbot : Des yeux et des oreilles qui pourraient se montrer précieuses s'il choisit de pardonner.
Shakalogat Gra Ysul : Un rempart qui peut devenir une épée si elle choisit d'incarner la justice. Mais il n'y a pas plus haute égérie que la Légende.
Balam Lefaucheur : Gardien de la rage des fées, il peut apprendre auprès du dava qui sait que son Maître jouera à tous les jeux du monde, juste pour pouvoir gagner.
Petite note : Ce choix est déterminant concernant la direction que prendra l'histoire. Il ne remet pas en cause l'allié que vous vous êtes choisi lors du chapitre 4 qui est Balam.
Ici, il s'agit d'implanter une idée, comme une jeune pousse, qui va s'étoffer dans les chapitres suivants.
Récapitulatif de ce que vous avez déjà choisi :
➜ Balam Lefaucheur en allié
➜ la Chair des Roses
➜ Le sauvetage de Titan et Nevra
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Alors qu'elle va nourrir la fée avec la conversation qu'elle a eu avec Helouri en tête, June est témoin de quelque chose.
De quoi s'agit-il ? Comment va-t-elle réagir ?
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
Waitikka est indisponible jusqu'au 11 février, alors ce sera pour la prochaine fois !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Un chapitre posté bien tard, certes, mais qui a eu le droit à sa bêta.
Du coup et même si vous le savez, vous avez pu constater des perturbations au niveau du rythme de parution et comme je l'ai dit dans mes précédents posts, cela pourra arriver de nouveau jusqu'au mois d'avril. En effet, je déménage avec tout ce que ça implique, notamment la préparation, démonter les meubles, faire les cartons, s'occuper de l'administration… Et ça prend du temps et de l'énergie !
Je refuse de mettre la fiction en pause car je pense que pour une fiction intéractive, ce sera beaucoup trop difficile de se remettre dans le bain par la suite et j'aurais trop peur de la baisse d'intérêt. Donc ralentissons le rythme si jamais j'ai très peu de moments pour écrire, mais gardons la fiction active !
Avec ce nouveau chapitre, vous allez vous remettre dans un bian bien sombre mais eh… Vous avez l'habitude maintenant ! Alors pour ce retour avec plusieurs jours sans pouvoir écrire, je vous souhaite une bonne lecture avec ce chapitre neuf du second arc ! (^_^)/
Chapitre 9 - L'Ancien Second de l'Ombre
June au marché d'Albacore
Penchée sur les différentes étoffes, June plisse les yeux pour essayer de déterminer si la couleur à vraiment une importance. À côté d’elle, Cristal farfouille dans les étalages, concentrée. Grâce à celui que l’obsidienne surnomme désormais petit roi dans le secret de ses pensées, en s’imaginant lui cracher l’insulte avec la même arrogance que lui, toutes leurs possessions sont parties en fumée. Elle a la chance d’avoir toujours son uniforme, mais sa mère et Helouri ont besoin de nouveaux vêtements.
June soulève une tunique d’un orange criard, puis secoue sa tresse en la reposant. Elle est trop longue, et elle n’aime pas quand ses mouvements sont entravés par le tissu. Un soupir lui échappe alors qu’elle se tourne vers sa mère, les sourcils froncés en une moue ennuyée.
« Tu trouves ce que tu veux ? s’enquiert-elle. Tiens, c’est joli ça. »
Elle lui désigne un ensemble jaune vif, ainsi qu’une étole couleur anis et argue que ça irait sûrement très bien à Helouri. Cristal lève les yeux et fait la grimace en avisant que le jaune jurerait beaucoup trop avec la peau de son fils et qu'il n'apprécierait pas vraiment les vêtements trop voyant.
D'ailleurs et en cherchant bien, elle met la main sur une tunique lavande aux manches bouffantes, puis se tourne vers June pour la placer sous son visage, l'air songeur. Finalement, la figure de Cristal s'éclaire alors qu'elle déclare :
« Elle irait bien avec tes yeux ! En plus, la couleur n'est pas trop criarde. C'est comme le rose clair ou même les couleurs automnales, ça te va bien, ma chérie. »
Elle continue sur sa lancée en arguant qu'il faudrait également des pourpoints pour Joseph ainsi que de nouveaux ensembles pour Helouri. Elle parvient à mettre la main sur un long vêtement d'un bleu profond, rappelant celui de la robe de Candice Milliget - qu'elle a eu la chance de ne jamais rencontrer - et se demande si son fils l'apprécierait.
June cesse d’examiner la tunique lavande en décrétant que si Cristal estime qu’elle lui convient, c’est sans doute que c’est le cas. Elle ne peut s’empêcher de frissonner en voyant la couleur du tissu que tient Cristal, et machinalement, la lui prend des mains pour la reposer, avant de lui adresser un regard d’excuse.
« Désolée, j’aime plus trop cette couleur depuis la catastrophe. »
Elle s’empare d’un pantalon rouille, et l’agite devant sa mère en essayant de paraître la plus naturelle possible. Personne ne s’est vraiment remis de l’attaque du petit roi, mais elle ne veut pas que Cristal s’inquiète pour elle.
« Ça, c’est bien. Il en faut encore beaucoup, tu crois ? Franchement, si ça tenait qu’à moi, je garderais mon uniforme même les jours où je suis pas en service. » ironise-t-elle.
Mais sa mère aimerait qu'elle fasse la différence entre le travail et le repos afin de ne pas finir par se perdre. Lorsque Joseph s'était engagé dans l'Obsidienne il y a vingt ans, c'était un point d'honneur qu'il s'était fixé et cela passe également par les vêtements. Comme dit Cristal : c'est un détail, mais il fait la différence.
D'ailleurs, beaucoup de civils rescapés de la cité d'Eel se rendent au marché, que ce soit pour y faire des achats ou bien simplement s'aérer l'esprit. Même si Cristal n'est pas gardienne et ne travaille pas pour l'Étincelante, elle remarque sans mal que le village d'Albacore ne pourra pas contenir un grand nombre de réfugiés bien longtemps et qu'il faudra trouver une solution.
Par bonheur, Odrialc'h va prêter main forte et les travaux de reconstruction commenceront bientôt.
« Je vais me rendre à Amzer pour aller y chercher des traitements, explique Cristal à sa fille, c'est ma façon à moi de me rendre utile. Je pense que vos grands-parents, à toi et Helouri, voudront venir vous voir, alors je les ramènerai avec moi. »
Tout en parlant, Cristal quitte l'étal des textiles pour fendre la foule et progresser au sein du marché. June la suit en louvoyant entre les corps, en arborant un sourire ravi. Elle n’a pas vu ses grands-parents depuis un moment, et ça lui fera du bien de s’aérer l’esprit. Même si cacher son nouveau travail sera plus difficile avec du monde dans leur nouveau chez-eux…
« Tu vas partir longtemps… ne peut-elle s’empêcher de réfléchir. »
Azmer est de l’autre côté du continent, et ça signifie que le voyage qui attend Cristal ne sera pas de tout repos. Au moins, sa mère quittera Albacore et les environs d’Eel pour quelques jours, et June songe que ce n’est pas plus mal avec tout ce qu’il s’y passe.
Les deux femmes s'arrêtent devant un herboriste et Cristal commence à regarder les plantes eldaryennes qu'elle utilise pour relever certains plats. À défaut d'être nutritives pour l'organisme, elles donnent du goût, alors la morgan décide d'en acheter quelques-unes.
Près d'elle et de June, une sirène aux longs cheveux couleur jade est en train de regarder des algues séchées. Ses oreilles membraneuses aux rayons roses jurent avec ses boucles vertes, mais ses vêtements bruns la rendent oubliables.
Quand elle jette un bref regard à June et Cristal, elle blêmit, ouvre de grands yeux bleus, puis s'esquive, les mains derrière le dos, pour aller se perdre dans la foule.
Mais son comportement n’a pas échappé à June, qui se concentre sur tout, sauf l’étal devant elle puisqu’elle n’est pas spécialement bonne cuisinière. Son regard se perd un instant sur les cheveux atypiques de la sirène, en songeant que ce n’est pas souvent qu’elle a l’occasion de croiser cette couleur. Et soudain, elle fronce les sourcils. Elle a une étrange impression de déjà-vu, et une intuition qui se faufile dans sa poitrine.
« Je reviens. » lâche-t-elle à Cristal.
La jeune femme se dresse sur la pointe des pieds, sans plus faire attention à la foule autour d’elle, et finit par capturer un éclat vert. Profitant de sa petite taille pour se faufiler entre les corps, June s’empresse de se diriger vers elle, sans cesser de chercher pourquoi la sirène lui rappelle quelqu’un. Elle l’a déjà vue, elle l’a dessinée, peut-être ? Une gardienne en repos, ou une rencontre un soir à la taverne…
Sa main finit par se refermer sur le poignet de l’inconnue, au moment où June élève la voix pour l’interpeller.
« Attends ! »
La sirène retient son souffle pourtant, quand elle se retourne, elle papillonne des paupières et tâche de se construire un masque neutre, uniquement trahi par la surprise. Elle esquisse un sourire poli, puis demande :
« Pardon ? »
Cette fois, June écarquille les yeux. Elle a beau avoir changé de couleur de cheveux, elle sait où elle a déjà vu cette sirène et ces yeux bleus. Son visage hante ses carnets de croquis, entourés de ceux de Rose, du petit roi et surtout, d’une vampire armée d’une machette qu’elle ne peut s’empêcher de chercher dans la foule. Son cœur s'accélère, alors qu’elle plaque un sourire avenant sur son visage en serrant un peu plus son poignet des doigts.
« Elle est pas là, ta copine du cartel ? » dit-elle comme si elle lui demandait la météo.
La sirène reste impassible. Si une ombre passe sur sa figure, elle se contente de hausser les sourcils en répétant un pardon ? avant de secouer la tête :
« Je pense que vous me confondez avec une autre personne, répond-t-elle d'un air navré, je ne comprends pas ce que vous dites. Excusez-moi. »
Elle tire sur son poignet pour se libérer et reprendre son chemin. Mais June ne la lâche pas. Au contraire, elle l’attire à elle pour passer son bras sous le sien, et adresse un grand sourire à la ronde, comme si elle venait de retrouver une amie de longue date.
« Et moi, je suis sûre de ton identité, réplique-t-elle sans cesser de sourire. Si tu essaies de partir, je préviens les gardiens et tu finiras avec ton pote renard. »
June fait mine de désigner une étale, et continue paisiblement, sans relâcher la pression sur le bras de la sirène.
« Mais si tu m’accompagnes gentiment, j’éviterais peut-être de leur dire que t’étais avec la vampire qui a essayé de tuer le Second Clarimonde et que t’appartiens au cartel des Typhons. Qu’est-ce que t’en dis, Ellen ? Ou Fuya, comme tu préfères.
- J'en dis que tu devrais faire attention, surtout quand tu menaces une Typhon. » sourit Fuya.
Son petit cœur s'accélère. Elle est capable de prouesses en infiltration, sauf quand elle rencontre une consoeur qui a la mémoire photographique, comme elle. Il semblerait que la gardienne qui l'ai suivie lors de la catastrophe ait gardé son visage intact dans son esprit.
Elle a aussi mis la main sur des informations dont elle ne devrait pas avoir connaissance et ça, Fuya est certaine qu'elles viennent de Rose ou bien de Fawkes, même si elle doute du second. Il est bien trop loyal au cartel et il n'aurait jamais dit quoi que ce soit, même sous la torture.
June ressent une petite piqûre au niveau de l'avant-bras alors que Fuya chuchote :
« Si tu cries, je t'injecte ce truc et tu auras l'impression de te faire digérer par une arachnée. Si j'étais toi, je me méfierais. Puisque tu tiens tant à marcher avec moi, on va marcher. Aller… Viens, June. »
Fuya hâte le pas et s'apprête à quitter le marché, pour prendre la direction de la sortie d'Albacore. June la suit de bonne grâce, même si elle grimace intérieurement à l’idée que sa menace se retourne finalement contre elle. L’important, c’est que Fuya ne se soit pas enfuie.
Les deux jeunes femmes traversent la foule en gardant le sourire, mais ses pensées, à elle, tournent à plein régime. Elle liste ce qu’elle sait de Fuya, et du cartel des Typhons en essayant de se rappeler de ce que lui en ont dit Rose et Nelladel. June se méfie également, parce que si la sirène ne paie pas de mine avec ses vêtements passe-partout et son visage innocent, elle est certaine qu’en cas d’altercation, et sans arme, elle ne fera pas le poids.
Fuya reste focalisée sur sa destination.
Tout ce qu'elle veut, c'est y arriver sans être obligée d'injecter le Crachat de Cassandre dans l'organisme de June. Ça l'ennuierait beaucoup de la regarder se tordre de douleur, quitte à lui administrer la Délivrance en attendant que Ryan revienne de l'hôpital.
Mais elle tient bon et continue sa route.
Fuya guide June jusqu'aux abords de la forêt et quand enfin elle s'arrête, sa compagne malheureuse pense qu'elle s'apprête à lui parler, mais elle a tort. La Typhon sait qu'elle n'a qu'un dixième de seconde pour inverser les seringues en injecter un puissant somnifère.
Quand elle s'exécute, ses gestes sont rapides. Elle sait qu'elle ne doit pas laisser June avoir le temps de comprendre la situation sans quoi, elle devra faire face à des problèmes beaucoup plus gros.
June ne doit pas savoir où se trouve la planque des Typhons, celle que Sexta, nouvelle cheffe du cartel, a négociée avec les purrekos.
Elle ne doit pas savoir, non.
Elle doit juste s'y réveiller.***
Quand elle reprend conscience, June essaie de maîtriser sa respiration. Elle prend garde à ne pas bouger, malgré sa légère nausée, et tente d’analyser ce qu’il s’est passé. Elle a perdu connaissance, ou plutôt, Fuya s’est assurée de l’endormir, et elle se trouve à présent assise sur une chaise. À en juger par la pression sur ses poignets, on l’y a attachée, même si elle n’est pas bâillonnée.
Une petite voix sarcastique lui murmure que finalement, elle a bien été enlevée, et que le cartel semble plus efficace que Nelladel… Parce qu’elle n’entend pas grand-chose, hormis le son de son propre souffle, June redresse légèrement la tête pour entrouvrir les yeux. Sa vue ne lui apprend pas beaucoup plus que son ouïe, alors elle se résigne à s’éveiller complètement pour constater que la pièce est plongée dans la pénombre. Il n’y a pas de fenêtre, et la seule source de lumière provient d’une bougie, dont le halo ne suffit pas à lui permettre de prendre la mesure de son environnement.
Et brusquement, elle se fige. En maîtrisant l’expression de son visage, la jeune femme sent son coeur accélérer. Elle n’est pas seule. Là, cachée par l’obscurité, il y a quelqu’un. Ce quelqu'un est en train de tapoter sa cuisse avec une machette.
Un pas après l'autre, la silhouette quitte les ténèbres pour gagner la lumière et quand le halo de la bougie révèle son visage et sa peau blafarde, June blêmit.
Sexta Stoker, elle, rive ses yeux noirs sur la gardienne avant de la gratifier d'un sourire énigmatique.
Son corps maigre, ses atours délavés, ses cheveux sombres auréolant son visage. On pourrait presque croire que la vampire est incapable de se servire de l'arme qui sied dans sa main pourtant, l'Impératrice des Abysses a déjà commis le pire.
« Comment tu te sens ?, lance-t-elle d'une voix traînante, Ça tourne un peu. C'est normal. Ryan fait des poisons et des miracles. »
Sexta va chercher un petit tabouret, dans un coin de la pièce, puis prend place face à June. Elle pose sa machette en travers de ses cuisses, puis glisse une main sous son menton, toisant la gardienne dont la tête dodeline.
« Tu es stupide, non ? On dirait moi, à ton âge. Tu te jettes à travers le danger, tu vas le chercher dans une foule, alors qu'il n'a rien demandé. Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on va faire de toi ? »
La vampire fait mine de réfléchir, mais elle n'attend pas de réponse. De toute manière, ceux qui la connaissent savent qu'elle a déjà décidé. Mais elle va s'amuser un petit peu en regardant June se débattre.
« Il paraît que Rosie a été un petit peu trop bavard, reprend-t-elle, mais il a été punie : je voulais lui enlever une jambe, il en a perdu deux. Ce qui est dommage, c'est qu'elles vont finir par guérir. »
June a la gorge sèche. Elle aurait préféré discuter avec Fuya plutôt qu’avec la vampire… Elle essaie tant bien que mal de ne pas bouger, mais de toute façon, Sexta doit pouvoir sentir sa peur. Est-ce qu’elle entend son coeur s’affoler ? La jeune femme souffle doucement entre ses lèvres, et malgré le froid qui envahit ses membres, elle fait de son mieux pour rester digne. Quitte à mourir tout de suite, autant essayer de ne pas passer pour une froussarde…
« Vous êtes là pour le renard ? demande-t-elle d’une voix qu’elle voudrait plus assurée. Il est plus en prison, il a essayé de servir de déjeuner à la fée, mais ça s’est pas passé comme il voulait. »
Elle prend une petite inspiration, pince les lèvres et ajoute, alors que ses paumes deviennent moites.
« C’est pas Rose qui m’a dit ce que vous vouliez faire. Enfin il l’a fait après, mais c’est Nelladel qui m’a mise au courant.
- Chouchou… sourit la vampire d'un ton presque doucereux, il regrette sans doute sa jolie fée et il s'est épanché sur la première oreille qu'il a trouvé. »
Sexta se redresse. Elle fait courir ses doigts sur la lame de sa machette puis, amusée, regarde June frémir. Elle ignore quel genre de plan Fawkes a bien pu monter avec le dava de la fée Milliget mais ça lui importe peu.
« Il y a quelqu'un de très important, dans cette prison, susurre Sexta, et on compte la faire sortir. Ce n'est ni la fée, ni Fawkes, ni l'elfe imbécile. Mais vas-y, je t'écoute, tu as l'air de savoir beaucoup de choses. »
Le sourire de la vampire s'efface et d'un geste vif, elle braque la lame de sa machette sous la gorge de June. Elle approche son visage, ses yeux noirs luisant comme deux insectes, puis murmure :
« Tu vas gentiment te mettre à parler, ma chérie. Ça me ferait mal au cœur d'abîmer ton joli cou mais tu comprends que si je n'aime pas ce que j'entend ou que si tu me prends pour une idiote, je vais devoir sévir. »
Elle avale sa salive avec difficulté, ses prunelles améthystes fixées sur la machette. La prochaine fois, elle y réfléchira à deux fois avant de suivre Cristal au marché… June a l’air de vouloir se fondre dans la chaise, et elle serre très fort les poings, jusqu’à ce que ses ongles pénètrent sa chair, afin de ne pas laisser la panique la submerger.
« C’est pas très dur d’infiltrer la prison, s’étrangle-t-elle. On l’a fait avec Lou pour parler à Nelladel. Mais de toute façon, vous allez me tuer. »
Elle redresse la tête pour fixer Sexta, et grimace.
« J’imagine que vous allez pas me laisser rentrer gentiment chez moi, maintenant que je sais que vous êtes à Eel. Et je pourrais vous promettre de rien dire à personne, mais je doute que vous me fassiez confiance… »
Son cerveau fonctionne à plein régime, et elle se demande ce qu’Helouri aurait fait à sa place. Sans doute qu’il n’aurait pas menacé une Typhon d’appeler la garde, en premier lieu, et qu’ensuite, il se serait évanouie de terreur en voyant Sexta, mais elle met ces considérations de côté pour réfléchir.
« J’ai pas très envie de mourir maintenant, gargouille-t-elle. Alors je veux bien vous dire ce que vous voulez savoir, mais avant, il va falloir m’assurer que je sorte d’ici. En plus, ça serait plutôt dans votre intérêt, parce qu’il se trouve que je travaille à la prison d’Albacore, et si mes souvenirs sont corrects, c’est aussi là qu’ils ont enfermé votre cheffe… »
Sexta laisse échapper une exclamation amusée. Elle attrape une poignée de cheveux cendrés et tire violemment dessus. Fille intelligente.
Mais elle n'en pense pas un mot. Tout ce que Sexta voit, c'est une âme qui essaye de s'en sortir par tous les moyens. Mais c'est elle qui décide. C'est elle qui tient la vie de June dans une balance.
Délaissant ses cheveux, Sexta saisit le col de son vêtement et l'attire à elle.
« Si tu devais payer pour ta vie, combien tu donnerais ? »
De l'or ? Des informations ? Une autre vie ? La vampire dévoile ses canines en un large sourire. Elle lui demande : la vie de Rose ? De son frère ? De sa mère ? Toutes ses possessions ?
Sexta n'en a que faire.
« Que tu travailles à la prison ou non, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Le cartel est capable de l'infiltrer sans toi. On récupérera ce que nous sommes venus chercher et on punira les traîtres. La fée va crever, son elfe de compagnie aussi. Ça leur apprendra l'humilité. Mais toi… »
Elle fait partie du plan. Nelladel le lui a forcément appris, s'il s'est vraiment épanché comme June le lui a confié. Alors peut-être que sa vie vaut une compensation…
« Admettons que je sois de bonne humeur, aujourd'hui et que je choisisse de te laisser la vie. Ce serait plutôt gentil de ma part, non ? Tu devrais dire merci pour ça. Merci en m'offrant ton temps, ton énergie et ta loyauté. À moi et à celle qui récupèrera sa place. »
Sois gentille, June. Sois gentille et viens accomplir ta mission. Si tu ne le fais pas, alors tu devras en payer les conséquences. Peut-être que la mort serait trop douce car ce qui fait mal, ce n'est pas de partir, c'est de rester.
Peut-être que la machette folle d'une vampire viendra blesser une peau glacée. Arracher des écailles, par exemple, ou bien priver Cristal de la peau fragile de ses oreilles membraneuses.
Sexta lève une main pour caresser tendrement la joue de June :
« Tu tombes plutôt bien, chérie. C'est toi que l'on voulait. Toi et ton frère. Tu sais quoi ? Peut-être même qu'aujourd'hui est une bonne journée et que le cartel pourra faire bien plus que récupérer sa cheffe. Alors dis-moi : toi et ton frère contre la vie de tes parents. Ça te semble équitable ? Si tu ne veux pas, alors pars. Je te libère. Mais tu ne sais pas ce qui va arriver quand tu rentreras chez toi… Ou même à Amzer. Tes grands-parents sont plutôt âgés, non ? Qu'est-ce que tu crois qu'ils feraient devant moi ? »
Ce n’est pas un choix, et cette fois, ses prunelles améthystes étincellent de haine. Si c’est ainsi que Sexta s’acquiert la loyauté de ses compagnons, il n’est pas étonnant qu’on la craigne autant. Pour la première fois, le petit roi derrière ses barreaux lui paraît presque sympathique…
Contre ses lèvres, mille insultes et autant de menaces en l’air se pressent pour s’abattre sur la vampire, mais June les retient. Elle ne peut rien faire, parce que Sexta est tout à fait capable d’accompagner ses paroles par des actes, et si elle veut protéger sa famille, elle n’a pas le choix.
Pour l’instant. Parce que dès qu’elle en aura l’occasion, et peu importe si elle doit attendre le reste de sa vie pour le faire, June fera payer Sexta. Les fées, le Conseiller, même la conquête terrienne valent mieux que de devoir servir la vampire et sa machette, et tant pis si sa chute entraîne celle du reste du cartel au passage. Des gens comme elle, comme eux, ne méritent pas que d’autres se sacrifient pour sauver le monde dans lequel ils se trouvent.
« Il suffisait de demander gentiment, articule-t-elle entre ses dents serrées. Laisse ma famille en dehors de ça, et je ferais ce que vous voulez. »
Et dès que j’en aurais l’occasion, je te rendrais la pareille, crachent ses yeux.
« C'est elle ? » souffla-t-il.
La réponse, il la connaissait déjà. Il la connaissait depuis qu'ils avaient quitté Eel, avec Rose, pour se rendre à Rhenia Gaear en prétextant une visite de courtoisie à Maximilien Ville de Fer.
Nevra Mircalla, fils de Narcisse et d'Iris Mircalla, avait vogué vers les Terres Gelées du Grand Nord dans le voilier de sa famille en traînant une ombre derrière lui, parmi tous ses serviteurs.
Ficaire était resté au domaine, parce qu'il était indispensable. Son œil avisé pourrait surveiller ceux qui oseraient se relâcher leur travail en l'absence du fils Mircalla.
Quant à ce dernier, il se moquait bien de Maximilien Ville de Fer car tout ce qui importait, c'était une femme dans un triste bâtiment.
Un établissement médical aux allures de prison, avec sa pierre grise sous les flocons acérés. Avec ses statues sinistres en hommage aux médecins qui ont su contribuer à la science des maladies de l'esprit, mais sans les ailes pour ne pas que la vénération envers les fées soit trop évidente.
Une bêtise avec des couloirs lugubres, des fenêtres ouvertes vers un ciel de neige éternel, puis des âmes déambulant dans leurs mondes et dans des salles trop silencieuses. Certaines d'entre elles, sur des chaises à roulettes, étaient conduites par des soignants à l'air morose et aux traits tirés par la difficulté de leur métier.
Cet endroit était un mouroir, selon Nevra. Une salle d'attente où les patients atteints de maladie de l'esprit laissaient la vie passer sans espoir de guérison, car même ces soi-disant Dieux de la Frontière ne savaient pas encore guérir les maux dont ils étaient atteints.
Le jour où il avait mis les pieds dans cet établissement, Nevra avait eu un frisson. C'était comme si l'atmosphère lourde de l'endroit lui collait à la peau et que s'il y restait pendant un long moment, alors il perdrait la tête, lui aussi.
L'ombre derrière lui l'avait remarquée. Mais l'ombre, elle, n'avait que trop l'habitude de tout cela.
Du haut de ses seize ans, elle connaissait les trajets entre Eel et Rhenia Gaear par cœur. Elle s'amputait d'une grosse somme d'argent, chaque mois, pour voyager et si Ficaire détestait qu'elle disparaisse ainsi durant sept jours, il ne pouvait pas le lui interdire.
Elle était une habituée de cet endroit qui pouvait, parfois, se transformer en antre de violence et de folie mais qu'importe tout cela, puisque c'était la maison de sa mère.
Théodora Clarimonde, chambre soixante-dix huit.
Une petite pièce simple avec le strict minimum. Le personnel qui venait y faire le ménage n'avait pas beaucoup de bibelot à soulever afin de nettoyer la poussière, ou même de meubles à pousser pour laver le sol, puisque Théodora ne possédait rien. À cette époque, elle ne couvrait même pas son crâne chauve avec des perruques en cheveux véritables et ainsi, elle offrait les ravages du tap aux yeux du monde.
Quand il venait lui rendre visite, quand il poussait sa chaise roulante dans les jardins extérieurs, sous les cloîtres, Rose fixait ces traces noirâtres, comme si une main obscure et éternelle serrait le crâne de sa mère avec force.
« La régression comportementale résultant de l'accoutumance au tap ne sera pas très agréable pour vous, avait dit une médecin, vous devriez songer à mettre votre mère sous tutelle. Je connais des très bonnes personnes. »
Non, l'état de Théodora n'était agréable pour personne, à commencer par elle-même. Seulement et à cause des lésions importantes qu'elle portait dans son esprit, elle ne réalisait pas sa propre chute. À vrai dire, il lui arrivait de ne même pas se reconnaître dans un miroir.
Mais pour Rose, il était hors de question de la mettre sous tutelle, surtout sous la coupe d'une personne qui la laisserait dépérir dans un établissement médical en attendant que son état l'emporte vers la mort. Quelqu'un qui ne lui rendrait jamais visite et pour qui elle ne serait qu'un nom sur un dossier.
Alors, quand Nevra était venu à l'institut avec lui, Théodora était encore liée à son fils, même si elle ne le voyait pas. Il s'agissait d'un fil fragile, qui pourrait se rompre si Rose n'avait plus les épaules pour le supporter, mais un fil difficile, aussi. Difficile pour lui.
Elle était dans sa chaise roulante, sous le cloître, à regarder la neige tomber sans la voir, Nevra lui faisant face. Ses yeux verts, morts, tournés vers son propre monde et son corps maigre enveloppé dans une robe trop grande. À cette époque, Rose n'avait encore les moyens de lui offrir de plus beaux vêtements et encore moins un cadre agréable comme celui de l'institut d'Odrialc'h. À Rhenia Gaear, le personnel se succédait, les équipes changeaient régulièrement et ce n'était jamais la même personne qui s'occupait de Théodora.
Rose se souvient très bien de la surcharge de patients pour la poignée de soignants et de comment sa mère était souvent installée face à une table, seule ou en compagnie d'autres malades qui peinaient à communiquer et qui ne pouvaient lui apporter aucun stimulus extérieur.
Théodora attendait, comme eux, l'heure du dîner où on tenterait de l'encourager à manger pour finalement la gaver et la coucher. Il y avait d'autres patients, d'autres tâches à accomplir et trop peu de monde.
On n'avait pas le temps.
Mais Rose aurait voulu que quelqu'un puisse en avoir pour sa mère, du temps. S'il avait plus d'argent, alors il pourrait placer Théodora dans un autre institut avec de meilleurs médecins et une meilleure équipe, quitte à ce que lui sacrifie un repas par jour ou bien sa dignité.
Attends, Rosie. Je vais commencer du haut vers le bas. Je veux que ça saigne beaucoup. Oh… Je sais ! Je veux te voir boire ton propre sang !
Quand il l'avait rencontrée pour la première fois, Nevra lui avait dit qu'elle était jolie. Mais Théodora ne l'entendait pas. Il avait dit, aussi, que Rose avait les yeux de sa mère et il avait fait tout son possible pour réveiller la lucidité de la vampire sans jamais y arriver.
Nevra n'avait rien dit, en sortant, mais Rose a toujours su que cette journée avait remué ses entrailles et que même quelques années plus tard, il ne s'en remettait toujours pas.
C'était trop étrange et trop terrible de se tenir face à une mère qui ne se rendait même pas compte que son propre fils était assis près d'elle. C'était perturbant de se trouver près de quelqu'un qui ne réagissait pas à son prénom, ou bien qui perdait la notion du temps parce que dans son monde, elle vivait une journée différente. C'était déchirant de regarder Rose l'aider à manger.
Alors Nevra avait fait tout son possible, mais aussi Mircalla soit-il, il n'avait jamais pu soustraire Rose la violence et aux ténèbres sous une seule et même chair.
Tu sais ce qui m'énerve, chez toi, Rosinette ? C'est de te regarder jouer le parfait minaloo avec le fils Mircalla. Si je savais qu'il te prenait pour son jouet, je ne serais pas aussi en colère contre toi. Mais il t'aime beaucoup. Tu te rappelles de ce que je t'ai dit, non ? Tu ne mérites pas d'être aimé, Rosie. Tu es né d'une femme immonde et et d'un père qui s'est envolé dans la nature, alors tu es beaucoup trop dégoûtant pour venir mendier l'amour d'autrui.
Il avait eu raison. Il avait eu raison pendant très longtemps, mais… Plus maintenant. Rose n'en est pas encore sûr. Il hésite, il s'accroche, il doute et puis il se souvient de ces yeux d'ambre, quand Valkyon s'est réveillé. Il se souvient avoir été la première pensée du Chef de l'Obsidienne quand il est revenu parmi les vivants, comme s'il méritait vraiment d'être sauvé.
Valkyon avait failli perdre la vie pour le secourir et à la façon dont il l'avait regardé en ouvrant les yeux, il trouvait ça juste. Rose ignore si ça l'est réellement car si les choses s'étaient déroulées d'une autre manière, il aurait trouvé bien plus juste de sacrifier sa propre vie pour sauver celle de Valkyon.
D'ailleurs, il s'interroge.
Il ne sait pas s'il pense à Nevra et sa mère parce qu'ils lui manquent ou bien parce que leurs souvenirs sont liés à d'autres qui l'ont détruit à petit feu. Si le désir de vivre qu'il a ressenti lorsqu'il était seul dans cette grande pièce avec Ewelein Osgiliath, la fenêtre pour seule échappatoire, lui a rappelé les pires heures de lui-même.
Rose est un faelien et malgré le vide qu'il s'est imposé dans son enveloppe charnelle, il a connu des ruptures. Des pensées innommables qui auraient pu le transformer en tas d'ombres, le cœur mort et la rancune effilée.
Tiens, maman. Mange.
Rose se souvient de la cuillère rayée qu'il donnait à sa mère, à l'institut de Rhenia Gaear puis à celle, dorée, d'Odrialc'h. Il se souvient des moues ennuyées, enfantine qu'arboraient Théodora lorsqu'elle refusait d'avaler sa nourriture, puis des regards las qu'elle posait sur le décor en délaissant ce pourquoi son fils se privait.
Il faut que tu manges, maman.
Mais Théodora ne disait rien et plus tard, quand elle parlait plus, elle se lançait dans des monologues ou bien elle jouait avec ses autres couverts. Elle levait ses yeux mornes vers son fils qu'elle ne reconnaissait pas et même quand elle se rappelait de lui, elle redécouvrait son visage.
C'est fatiguant. Tu es fatiguante. C'est pour ça, que je me prive de manger ? C'est pour ça que je me fais saigner ? Très bien. Ne mange pas. Meurs. Tu coûteras moins cher.
Pourquoi je devrais gâcher ma vie pour la tienne ? Qu'est-ce qu'il reste à sauver ? Regarde-toi. Tu es une loque. Tu es pire qu'une loque. Tu es jeune, mais ta vie est déjà fichue. Qui voudrait de toi, dans cet état ? Même moi je commence à en avoir assez et le jour où je ne supporterais plus de te regarder, alors ta vie prend fin.
C'est moi qui ait l'argent, pas toi. Peu importe comment je l'ai, si tu peux vivre ici, dans cet institut, c'est parce que je le veux. Si tu peux porter des perruques et des beaux vêtements, c'est parce que je le veux aussi.
Pourtant, je ne te dois rien. Tu ne m'as jamais rien donné. Tu m'as porté dans ton ventre empoisonné et tu m'as abandonné. Tu sais à quel point c'est difficile de commencer dans la vie quand on est orphelin ? C'est pire quand sa mère est une droguée et que son père n'existe pas. Alors, dis-moi : qu'est-ce que tu m'as donné ? Pourquoi je devrais m'occuper de toi ? Parce que nous avons le même sang ? Trouve mieux comme réponse.
Si je gardais l'argent que je te donne, j'aurais une belle vie. Je ne me ferai pas torturer et je n'aurais pas fait certains choix. Peut-être même qu'en cet instant, je serais ailleurs, dans un bel endroit, avec l'homme que j'aime et toi, tu serais morte. Tu ne vivrais même pas dans mes pensées parce que j'aurais réussi à rompre avec ton nom et ton souvenir. D'ailleurs, tu sais quoi ? Si je réussis à épouser cet homme, alors je prendrai son nom et j'abandonnerai le tiens.
C'est tout ce que tu mérites.
Tu sais ce qui me mets hors de moi ? C'est que dans ton état, tu n'es pas capable de t'excuser. Tu n'es pas capable de me dire que tu es désolée pour tout le poison que tu m'as donné quand j'étais dans ton ventre. J'aurais pu mourir avant d'être né. Tu ne peux pas t'excuser non plus pour ne pas avoir essayé de m'élever et pour avoir échangé les quelques heures de plaisir de ta mort à petit feu, contre quelques heures à jouer avec moi, à m'apprendre quelque chose ou bien à me lire une histoire. Mais le pire, ça reste l'espoir que tu m'as donné quand tu venais me chercher à l'école, avec ton manteau rouge, sans me dire qui tu étais. Tu avais peur que j'ai honte ? Bien sûr, que j'aurais eu honte. J'ai eu honte, quand la directrice de l'orphelinat m'a tout raconté, bien des années plus tard.
Ne sois pas étonnée si j'aime Nevra plus que toi et si j'aime Valkyon plus que tout.
Mais tu vois, maman, si je fais tout ça, c'est parce que j'ai toujours l'espoir qu'un jour tu reprennes tes esprits pour regarder la réalité que tu as voulu fuir.
Et peut-être que quand le poison ne sera plus là, tu pourras être honnête avec toi-même, mais aussi avec moi.
C'est tout ce qu'il a pensé avant de plonger la lame de la culpabilité dans ses entrailles. C'est tout ce qui a mariné sous le vide, dans les tréfonds de son être et Rose sait que s'il n'avait pas saisi la main secourable de Nevra, ainsi que son amour fraternel, il se serait changé en monstre.
Peut-être aurait-il fini par abandonner sa mère pour finalement s'abandonner lui-même et vivre une vie dans la rancune et la vengeance. Mais ce serait beaucoup trop facile.
Rose sait que s'il écarte les nuages, il n'y a qu'un petit garçon qui aspire à retrouver sa mère parce qu'il a envie de croire qu'à l'époque, Dora voulait vraiment le retrouver, l'aimer et racheter ses erreurs en lui offrant une vie décente.
C'est faux, Rosie. Tu sais bien que c'est faux. Personne ne veut t'aimer. Nevra et Valkyon ont pitié de toi, voilà tout. Tu sais… Je crois bien que je suis le seul à être sincère avec toi.
« Bonjour, Second Clarimonde. »
Rose a un violent sursaut. Il quitte le marasme dans lequel il s'était enfoncé pour écarquiller ses yeux opalins sur le livre qu'il tenait entre ses mains, chercher le propriétaire de la voix, puis se figer quand il fait face au visage de Chrome.
Le jeune loup-garou semble blêmir, comme s'il regrettait d'être venu parler à celui qui est suspecté d'être un adorateur des fées et en partie responsable de la catastrophe de l'Eel rouge.
Ses yeux d'ambre s'égarent quelques instants sur la grande salle de l'hôpital, jusqu'à ce que Chrome passe une main embarrassée dans ses longs cheveux emmêlés en s'expliquant :
« D'habitude, quand je viens, vous dormez. Puis j'ai arrêté de venir. Mais je vais bientôt sortir de l'hôpital, alors je voulais quand même vous dire au revoir.
- Me dire au revoir ? » souffle Rose.
Chrome hoche la tête. Son ancien supérieur sent combien ça lui coûte de venir jusqu'ici pour lui parler. À vrai dire, le jeune loup-garou n'a jamais eu confiance en lui, en partie à cause de ses lacunes pour la lecture et l'écriture. Mais il faut croire que sa convalescence auprès du vétéran de l'Obsidienne a eu des effets bénéfiques sur lui.
D'ailleurs, quand Rose le cherche du regard, il peut s'apercevoir que le vieux faelien fait mine de se reposer alors qu'en vérité, un œil attentif veille sur son jeune protégé. Jeune protégé qui tire un tabouret pour s'y laisser tomber.
« J'ai eu du mal à venir vous parler, confie Chrome, au début c'était facile, parce que je savais pas encore, pour vous, Nevra et les fées. Mais après, c'est devenu compliqué, parce que j'avais peur de savoir. »
Rose ferme brièvement les yeux. Son visage fuit celui de Chrome, malgré lui, parce qu'il sait ce que le jeune loup-garou veut lui demander.
Il veut savoir si Rose a permis à Maître Candice d'entrer dans la cité d'Eel pour perpétuer son carnage avec le risque que Chrome puisse mourir dans la catastrophe. En tant que recrue de l'Ombre, il irait faire son devoir de gardien et permettre aux civils d'évacuer, en collaboration avec les membres de la Garde Obsidienne trop inexpérimentés pour tenir tête à l'ennemi.
Sauf qu'il y avait toujours le risque de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment, dans le sillage du monstre, par exemple.
« Est-ce que vous l'avez fait ? Est-ce que vous saviez ? »
Rose se redresse sur ses oreillers. Un bref coup d'œil à sa gauche lui montre le lit de Valkyon entouré par les rideaux alors que ses oreilles perçoivent sa respiration profonde. D'ordinaire, celui lui permet de se plonger dans paisible, à son tour.
Mais en cet instant, la réalité l'ancre à l'aide d'un regard implorant. Quand Rose soutient les prunelles de Chrome, il peut lire sa résolution, sa détermination, mais aussi un souhait profond, comme un souffle de retenu, pour un idéal qui va peut-être se briser dans la prochaine seconde.
Chrome ne veut pas savoir et Chrome veut savoir. Chrome ne peut pas croire, mais Chrome sera peut-être obligé de se rendre à l'évidence que celui qu'il a toujours défendu dans son esprit, malgré les quolibets, n'est qu'un traître. Un adorateur des fées qui a plongé Eel dans le chaos et qui ne s'est jamais soucié de ce qu'il pourrait devenir.
Il veut croire que Rose avait une once de considération pour sa petite vie de gardien, tout comme il l'avait quand il a été si patient avec ses soucis de lecture et d'écriture.
Près de l'ancien Second de l'Ombre, Valkyon dort. Yëvet n'est pas là et les autres patients sont bien trop loin.
Si Rose rampe parmi les soupçons de Sadako, sa conscience lui dicte d'être honnête avec celui qui devra vivre avec une désillusion. Mais s'il le dit, alors c'est un aveux et cet aveux peut devenir une arme dans les mains de Chrome.
Moi, je vous aimais bien comme Second.
« Oui. »
Ses yeux s'agrandissent, son visage devient livide et sa silhouette se courbe. Ses mains attrapent ses genoux et avec ses cheveux en bataille, Chrome ressemble à un vagabond qui réaliserait que le soleil peut brûler, s'il brille trop fort.
Il secoue la tête, tente de respirer, mais son souffle s'est bloqué. L'ambre devient humide, son nez renifle la réponse dont il se doutait mais sa gorge est trop serrée pour la laisser passer.
« Pourquoi ? croasse Chrome.
- Pour vivre dans un monde meilleur. »
Le visage du jeune loup-garou se fend d'incompréhension. Rose ne peut pas lui en vouloir. La justification qu'il lui a fournie est celle d'un idéal à atteindre, mais qui ne peut exister sans avoir provoqué un bain de sang.
De plus, est-ce que le monde serait vraiment meilleur si Maître Candice était assis sur le trône du royaume des fées ? Rose n'en est plus certain. Mais sans Odrialc'h, Eldarya tournerait mieux.
« Et la chose qui a détruit Eel, reprend Chrome d'une voix hachée, vous la vénérez ?
- Plus maintenant.
- Parce qu'à cause d'elle vous allez finir en prison ? raille le jeune loup-garou, c'est bien fait ! »
Chrome se lève d'un bond, sa poitrine se soulevant au rythme d'une respiration difficile. Ses poings sont si serrés que ses jointures en blanchissent et sans qu'il ne puisse les arrêter, des larmes roulent sur ses joues. Il répète que c'est bien fait. Si Rose finit en prison pour avoir adoré un monstre qui a ruiné puis tué, alors ce sera bien fait.
L'ancien Second de l'Ombre lève son visage vers celui qui se sent trahi. Il braque ses prunelles opalines dans les siennes et depuis qu'il souhaite parler, depuis qu'il veut parler, Rose tient à être sincère avec Chrome. Parce qu'il est vrai et parce qu'il a toujours été vrai :
« Il y a des choix lourds de conséquences qui doivent être faits, Chrome. Tout ce que je pouvais souhaiter, c'était de pouvoir revoir les visages de ceux que j'apprécie, en espérant que leurs vies aient été épargnées ?
- Et si j'avais été mort ? crache Chrome.
- Je me serais demandé si tout ceci en valait la peine. Comme pour ceux qui ont disparu. »
Le visage d'Élise lui vient immédiatement à l'esprit. Rose l'avait prévenue, mais il ne saura jamais si la demoiselle Mircalla avait pris son avertissement au sérieux. Tout ce qu'il sait, à présent, c'est que sa mort est injuste, comme celle de tous ceux qui sont tombés le jour où Maître Candice a attaqué la cité d'Eel.
« C'est facile ! s'emporte le jeune loup-garou, vous avez menti, vous avez trahi et maintenant, vous êtes là, à l'hôpital, en train de vous demander si tout ceci en vaut la peine !
- Chrome…
- De toute façon, vous irez en prison. Vous pourrez vous poser la question, ça n'y changera rien. Vous sortirez jamais. Et si jamais vous êtes condamnés à mort, c'est tout ce que vous méritez !
- Vous ne pensez pas ce que vous dites. »
Si, veut dire Chrome, mais ses yeux mentent. Il n'a jamais été un meurtrier et même ses quelques années au sein de l'Ombre n'ont jamais pu le confronter à l'irréparable. Tout le monde savait, lui le premier. Il était traqueur, il partait chercher les informations et si d'autres ont dû choisir entre leur vie et celle de l'ennemi, Chrome n'a pas encore eu à faire ce choix.
« Quittez la Garde de l'Ombre, Chrome, souffle Rose, quittez la Garde d'Eel et allez vivre ailleurs.
- Laissez tomber, vous êtes plus Second. »
D'un pas rageur, Chrome se détourne pour rejoindre la cour extérieur et quand le vétéran le regarde passer d'un œil songeur, il se lève pour le suivre. Rose l'attrappe en train de se retourner pour le toiser avec mépris. Il se laisse aller contre ses oreillers en poussant un long soupir.
Chrome ne le dénoncera pas. Il ne le fera pas parce qu'il serait incapable de vivre avec le doute que Rose puisse croupir toute sa vie, derrière les barreaux, par sa faute. Il passera son temps à se demander ce qu'il serait advenu de son ancien Second, s'il n'avait rien dit et les années passant, la culpabilité finirait par le ronger.
Le cœur de Rose se serre alors qu'il a la désagréable impression de profiter de la faiblesse de Chrome mais une autre partie de lui se sent libérée d'avoir pu être honnête avec quelqu'un.
Il récupère le livre qu'il était en train de lire et qu'il a laissé choir sur les couvertures et grimace sous son poids. Finalement, le dictionnaire que June lui a apporté lui permet de focaliser son esprit sur autre chose.
Rose reprend sa lecture. Il en était à la lettre R. Regrets. Rater. Ruiner. Ressasser. Remords. rage.
Il ferme son ouvrage d'un claquement sec alors qu'il renifle bruyamment. Il sent l'émotion monter, mais il a le réflexe de tout bloquer avant qu'elle se mette à déborder. Une infime partie de lui-même veut tout laisser sortir, comme dans la salle, avec Ewelein, mais peut-être que c'est sa présence si digne qui lui manque.
Rose ne prête pas attention au bruit d'un rideau que l'on tire, ni même à celui d'un corps massif qui se redresse dans son lit, avec douleur.
C'est sa voix qui le tire de sa propre salle de torture.
« Rose, est-ce que tout va bien ? »
Rose ne le regarde pas. S'il le fait, s'il plonge dans ses yeux d'or, alors il sait que les siens seront mis à nu et que toute la culpabilité, tous les regrets, les remords, la rage d'être un raté et la ruine qu'il a pu causer avec la vénération qu'il porte à Maître Candice et ses semblables, pourront se lire dans son regard.
Valkyon pourrait voir tout cela.
Mais Rose se trahit. Il tourne la tête, ses longs cheveux sombres coulant sur ses épaules, puis fait face à ce visage qu'il a su peindre dans son esprit. Quand il clôt ses paupières, il est capable d'ébaucher son portrait avec un fusain imaginaire, en songeant que durant les heures les plus sombres, Valkyon veille sur lui. Mais Rose sait aussi mettre fin à ce genre de chimères, comme maintenant.
Le Chef de l'Obsidienne est épuisé et son corps massif peine à se remettre de la catastrophe. Rose pense toujours que c'est injuste. Mais dès qu'il croise l'or de ses yeux, c'est la plénitude qui parvient à se frayer un chemin jusqu'à lui.
Il cesse d'avoir peur, il cesse de douter, il cesse de se faire du mal et même de se détester.
Valkyon est un soleil qui disperse la tempête et quand il lit l'inquiétude sur son visage, Rose réalise à quel point il est vrai. À quel point c'est facile, d'être lui-même, s'il voulait bien essayer.
« Tout va bien ? » répète Valkyon en fronçant ses sourcils blancs.
Oui. Non. Je ne sais pas.Les Choix
Durant sa discussion avec Chrome, qui a fait la démarche d'aller lui parler, Rose a décidé d'être honnête. Il a essuyé la colère et la déception du jeune loup-garou et malgré les risques, il se sent soulagé de lui avoir dit la vérité. Il est persuadé que Chrome ne le dénoncera pas, mais seul l'avenir le lui dira.
Pourtant, le poids des actes, du passé et de la réalité lui pèsent et même si Rose a sorti doucement la tête hors de l'eau, cela reste difficile. Mais en cet instant, l'homme qu'il aime est près de lui, à lui demander s'il va bien.
Qu'est-ce que Rose doit faire ?
➜ Lui dire la vérité.
➜ Lui répondre simplement que tout va bien et ne pas poursuivre la discussion.
➜ Inventer un mensonge.
➜ Ne rien dire et laisser Valkyon faire ses propres déductions.
➜ Lui dire autre chose (à vous de faire parler Rose. La proposition qui sera approuvée par la majorité sera utilisée).
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June se retrouve désormais à la solde du cartel des Typhons, sous la menace de Sexta. Elle n'a pas d'autre choix que d'accomplir ce qu'elle lui demande si elle veut que ses parents et Helouri restent sains et saufs.
Sexta a une mission pour elle et elle a tout intérêt à la réussir.
Quand tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Fawkes et Nelladel sont bien décidés à s'évader de l'hôpital. Mais avant cela, ils doivent obtenir des informations pour planifier leur évasion.
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contacte-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous et bienvenue sur ce dixième chapitre de l'arc deux, d'Apotheosis ! (^_^)/
Comme vous allez pouvoir le lire, l'inertie commence à bouger et différentes entreprises se dessinent et tout ceci, au rythme de vos choix. Il y a une mission, il y en a plusieurs et reste à savoir s'il y a un camp que vous finirez par soutenir plus qu'un autre !
Comme toujours, vous restez décisionnaire et sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 10 - Le Chemin Imaginaire Vers La Liberté
Fawkes et Nelladel à l'hôpital d'Albacore (2)
La douleur dans sa jambe le lance, mais Nelladel a appris à s'en séparer. C'est comme la peur permanente qui voulait s'accrocher à ses tripes lorsqu'il était brigadier et qu'il devait traverser toute le Ragnarok pour atteindre le portail vers le monde des humains : il s'agit d'une information dont on peut se défaire, si on en a la force et la volonté.
Pourtant, la différence entre le Ragnarok et cet hôpital, c'est la solution et la vision large de l'avenir. Avant, Nelladel savait pourquoi il endurait l'insupportable. Maintenant, il ne le sait pas.
Il se trouve à Albacore, dans un hôpital, mais les soignants ont reçu l'ordre de ne pas leur adresser la parole, à lui et Fawkes. On vérifie régulièrement l'attache qu'ils ont à l'un de leur poignet et quand ils peuvent manger, c'est sous surveillance. Mais le pire, ça reste les instants où ils doivent aller se laver et se soulager, parce qu'on refuse de leur accorder une seconde d'intimité. Les portes restent gardées en permanence et le temps leur est compté : trois minutes dans les latrines et cinq pour une toilette.
De toute manière, avec leur patte folle, ils ont toujours besoin d'aide et quand cela s'arrêtera, alors ils finiront au coeur d'un procès pour retourner en prison ou bien être executés en bonne et dûe forme.
Cependant, il y a un monde que ni les gardes, ni les soignants ne peuvent atteindre et c'est celui dans lequel Nelladel aime se réfugier pour fuir la douleur et la peur. Il s'agit d'un endroit où il arrive à accéder en rêves et dont les images sont si nettes qu'il a l'impression d'y être encore.
Le regard dans le vague, il se souvient. C'est grand, c'est froid, mais c'est beau. Il sourit et laisse échapper à voix haute :
« Sidiet. »
Derrière la parois en verre martelé, le goupil est dans un état presque tout autant végétatif. Il n’est pas très causant de nature et s’il a essayé de s’adresser aux soignants quand ils sont venus au début, il a vite abandonné l’idée de leur faire la conversation. Alors il se terre dans un silence et une solitude qui revêt des murs froids et sales. Pour se persuader qu’il n’est pas dans un sas entre la geôle et l’exécution.
Sa jambe lui fait un mal de minaloo, mais il ne sait pas l’oublier comme le fait Nelladel. Fawkes, lui, il sait juste rester impassible et encaisser en s’y habituant. Parfois, son souffle change, à la recherche d’un sanglot de douleur, mais s’étouffe après qu’il ait froncé son nez pour se contenir.
Son oreille tique quand il entend un mot. Un mot qu’il ne connaît pas, prononcé par une voix qu’il connaît à présent très bien, même si cela fait de longues heures, voire peut-être même des jours, qu’il ne l’a pas entendue. Avec lenteur, le renard ouvre les yeux et incline la tête sur le côté. Il a l’impression d’être dans un océan de coton. Sa jambe broyée agit comme un anesthésiant sur le reste de son corps. Ses sens sont engourdis et il n’est donc pas sûr d’avoir bien entendu malgré son ouïe fine. Quand il ouvre la bouche, parler lui demande un effort.
« Que dis-tu ? »
Nelladel ne lui répond pas tout de suite. Il laisse passer quelques secondes avant de reprendre, comme une litanie :
« Sidiet, idi ko mne, riadom, lijate… J'ai appris ça sur Terre. J'ai appris beaucoup de mots de langues différentes. Surtout deux en particulier. Celles que parle… Parlait ma cible. »
Dans sa tête, il y a une immense forêt. Elle a l'air de s'étendre à l'infini et elle connaît des températures extrêmement froides. Là-bas, il y a des pins, des sapins, des épicéas et beaucoup d'arbres introuvables sur Eldarya. Il y a aussi la neige en hiver, le soleil en été et des saisons qui tournent grâce à un monde qui fonctionne. Sans compter les points d'eau glacés, avec le bruit d'un bâton que l'on jette et celui d'un animal robuste fendant les flots pour aller le chercher. Apport !
« Je crois que tu peux traduire ça en "assis, viens ici, au pied et couché". Le genre d'ordres que tu peux donner à un minaloo. Mais sur Terre, il n'y a pas de minaloo. Il y a des chiens. Beaucoup d'espèces de chiens et celui-là, il était aussi beau que dangereux. Elle. »
Une chienne à la robe noire et fauve, avec des oreilles qui se laissaient malmener par ses courses effrénées. Au sein de la forêt immense, il lui arrivait de chasser des proies comme de petits écureuils ou d'aboyer sur des dangers potentiels ou d'autres, bien plus fourbes, comme celui d'un elfe aux cheveux bleus. Sa mâchoire avait une force impressionnante, capable de transporter de lourds bâtons ou bien de soulever des morceaux de souches.
C’est étrange que les pensées de Nelladel soient habitées par une traque qu’il a pu mener il y a bien des années maintenant. Une traque et surtout son chien. Fawkes se demande pourquoi l’elfe a appris la langue de sa cible et pourquoi il l’a retenue. Il songe que peut-être Nelladel avait épargné sa proie.
« Qu’est-il advenu du… du chien ? »
Il s’en fiche sans doute de ce chien. Qu’est-ce que le devenir d’un familier terrien comparé à leur situation ? Mais cette bête a de l’importance pour Nelladel, alors pour l’heure elle en a aussi pour Fawkes. Ce sont les premiers mots qu’ils s’adressent depuis un petit moment et ils le font pour s’évader de cet endroit qui pue la mort.
« Tu crois que j'ai fait du mal à cette chienne ? répond Nelladel avec un sourire sans joie, non. Non, Fawkes. Les promenades de cette chienne et de ma cible, c'étaient les seuls moments où j'oubliais mon rôle. Parce que je me disais que dans deux ans, après avoir tout enduré, ce serait mon tour. Ce serait moi, dans cette forêt, avec mon chien. »
Rottweiler. C'était le nom de la race de cette chienne, avec sa robe noire et fauve et de la force dans sa mâchoire. Nelladel ne l'a jamais oublié.
Sa cible dans cette forêt, avec son animal, c'était une fuite dans son propre chaos et le brigadier qui la suivait comme son ombre, une fuite dans le sien.
« Je me disais que c'était bientôt fini, mon rôle au Ragnarok. Il me restait deux ans. Si j'arrivais à survivre, alors moi aussi, je pourrai m'installer dans ce grand pays froid, pas loin de cette forêt avec des arbres comme tu n'en as jamais vu. J'aurais adopté un chien comme celui de ma cible. Un rottweiler et je lui aurais appris des ordres dans la langue de ce pays. On aurait fait beaucoup de promenades et ça aurait été bien. Une belle vie sans avoir à m'inquiéter de la nourriture, du confort, du monde qui tourne mal et de ma propre survie. Je me voyais déjà vivre normalement, épouser une femme humaine et mourir de vieillesse, avec ma famille et mon chien. »
Un rire sans joie s'échappe de sa bouche. Ce qu'il décrit, c'est peut-être le quotidien de Lance Batatume, en cet instant. Un quotidien qu'il mérite après avoir été un bon chef et avoir supporté l'insupportable, comme tout le monde dans le Ragnarok. Mais pour Nelladel, c'en est fini de ce genre d'aspiration, parce qu'il a fait un choix.
« Tu vois Fawkes, au bout du compte, j'ai fini par choisir ma famille. Je suis revenu parce qu'on veut assassiner mon frère, mais à quoi bon ? Je pensais qu'il serait venu me voir, au moins pour me dire qu'il me pardonnerait jamais. Mais il viendra pas et moi, je vais juste mourir. En prison ou pendu au bout d'une corde, on verra bien. »
Fawkes a écouté. Il a tout écouté et s’il entend les désillusions de Nelladel, lorsqu’il réagit, c’est pour un détail dénué d’importance.
« Je sais que tu ne lui as pas fait de mal… »
Et comme le renard lui-même a besoin d’éclaircir ses mots, il reprend après un soupir.
« Je me demandais seulement si cette chienne pleure sa maîtresse. Mais je suppose que oui. »
Enfoncé dans son lit, le traqueur aurait aimé avoir des rêves d’avenir comme Nelladel, même s’ils sont brisés à présent. Il trouve atrocement triste de n’en avoir eu aucun et en vérité, Fawkes n’y avait pas songé jusqu’à présent. Pas vraiment. Mais là, immobile, il n’a que son esprit et ne peut le leurrer en trouvant moultes activités. Et son esprit se torture de multiples versions parallèles de la réalité. Des “Et si…” à n’en plus finir.
« Mais tu as choisi ton frère, par amour, non ? Ou l’as-tu choisi par intérêt ? Dans l’intérêt qu’il te soit redevable pour lui faire contracter une dette ?
- À quoi ça sert, une dette, dans un monde en train de mourir ? »
Nelladel avait tout à portée de main. Il lui suffisait de tenir encore un petit peu. Il ignore s'il peut rire de lui-même ou s'il doit être fier de ce qu'il a accompli, juste par amour et peut-être aussi par regrets.
Après toutes ces vies humaines sacrifiées aux Docteurs becs et aux fées, tenter de sauver celle de son frère, ce pouvait être une façon de se pardonner. Se redressant quelque peu sur ses oreillers, l'elfe poursuit :
« S'il y a une chose que j'ai apprise sur Terre, c'est que ce que je croyais qu'on avait perdu ici, ça existe encore. Tu vois, Fawkes, je suis sûr que la chienne cherche encore sa maîtresse dans cette forêt au moment où je te parle. Je le sais parce que l'amour qu'elle a pour elle, il est vrai. Avec notre monde en train de mourir, je me disais qu'on avait perdu ça. Que ça servait plus à rien de chercher à s'aimer ou à fonder une famille puisque de toute façon, on savait pas quand Eldarya rendrait son dernier souffle. Mais c'est faux. L'amour vrai comme celui de cette chienne pour sa maîtresse, on l'a toujours. C'est pour ça que je suis revenu. »
Cette lueur, ce timbre qui s'imprègne soudainement dans la voix de Nelladel, Fawkes la connaît. Il la connaît pour l’avoir sentit plusieurs fois, chez d’autres personnes. Mais jamais en lui. L’espoir que ça s’appelle. Ou la foi, qu’importe le nom qu’on lui prête, ça revient au même. Quelque part, Fawkes a un peu de peine pour cette chienne à qui on a volé le centre de son univers. Comme lui, le familier terrien n’a plus vraiment de raison de se battre pour vivre. Alors à quoi bon ?
Nelladel se bat pour un concept. Le concept de l’amour, même s’il en est privé. L’absence de son frère est pire encore que sa haine. Fawkes voudrait dire que si Nelladel ne se bat que pour ça, qu’il n’est revenu que pour ça, lui, il ne partage pas sa motivation. Mais il se refuse à le formuler. L’elfe a une étincelle et Fawkes se refuse de l’éteindre.
« Je ne sais pas pourquoi je lutte… avoue le goupil. Je n’ai rien qui m’attend, personne, pas d’idéaux, pas d’ambition ni de rêves. J’ai œuvré aux côtés de Titan par loyauté, parce qu’elle m’a… elle a rendu ma vie un peu moins misérable, je suppose. »
Le silence est lourd quand il cesse de parler. Fawkes commence à croire que ces murs blancs seront les derniers qu’il verra et qu’ils résument son univers à présent. Pourtant, il ne veut pas mourir ici. Il ne sait pas pour quoi il veut vivre, mais il refuse de mourir. Ses oreilles se redressent alors qu’il fixe la silhouette bleue derrière la vitre floue.
« Peut-être que lorsque que tu iras sur Terre, tu pourras retrouver cette chienne et t’en occuper ? Peut-être qu’elle pourra te donner un peu de l’amour qu’elle voue à sa maîtresse… »
En réfléchissant, éloignant ses pensées de sa jambe en piteux état, Fawkes réalise quand même une chose. Il se bat pour quelque chose. Il a choisi un de ses combats malgré tout. La sauvegarde d’Eldarya. Parce que s’il n’a pas de foyer, ni de famille, Fawkes est quand même ici, à Eldarya. Il aurait pu refuser d’accompagner Titan dans son combat pour sauver leur monde et trouver un autre moyen de rembourser ses dettes. Pourtant, il a accepté d’être un de ses hommes.
« On doit parler de ton frère. Tu as dit qu’il pouvait trouver une solution pour les sols Eldaryens, non ? Peut-être que notre mission originelle peut-être résolue de cette façon ! »
Fawkes grimace alors qu’il se redresse dans son lit et la menotte qu’il a au poignet cliquète quand il tire dessus.
« Tout serait court-circuité si Ezarel détenait la solution. Tout ce qu’il lui manque c’est les bons collaborateurs. »
Oui, Fawkes a raison, mais Odrialc'h a l'œil partout et ne le laissera pas faire. Depuis leur tour d'ivoire, ceux qui régissent le monde ont peur qu'Ezarel Sequoïa découvre qu'un virus a été volontairement implanté dans les sols eldaryens pour faire mourir le monde.
Les meilleurs collaborateurs pour son frère, Nelladel pense que ce seraient les fées, mais les derniers événements le font sérieusement douter. Odrialc'h a accompli la prouesse d'isoler toutes ses victimes pour éviter une rébellion de masse et les forcer à œuvrer pour elles-mêmes. Pourtant, si tout le monde se donnait la main, on pourrait faire tomber les puissants. Nelladel secoue la tête :
« C'est Odrialc'h qui a le contrôle d'Eldarya, Fawkes. Personne ne serait assez fou pour se la mettre à dos en aidant mon frère. Le meilleur moyen de le protéger, c'est de s'allier à des organisations indépendantes d'Odrialc'h comme le cartel ou ce qui se fait de pire dans les Abysses. L'erreur, c'était de compter sur les fées. Je… »
L'elfe serre les dents. Quand il tire sur sa menotte, il se fait mal au poignet et fait gémir le métal, si bien que son geste de colère ne peut pas aller jusqu'au bout.
« Je m'en veux ! s'emporte-t-il, Je… Je croyais vraiment… En la puissance… En la souveraineté originelle de ces… Saloperie ! Qu'il crève dans sa prison !
- Oui mais… Peut-être qu’on peut quand même tirer profit de nos alliances, non ? »
Selon lui, les fées sont déjà opposées à Odrialc’h et elles n’ont donc rien à perdre à étudier cette voie. Mais dans son esprit, le souvenir de Candice qui lui broie la jambe est encore trop vif pour qu’il ne l’oublie. Alors son menton retombe sur sa poitrine et le renard souffle par le nez. Il se sent impuissant à son échelle et songe que l’entreprise était irréalisable dès le début. Il a été naïf de croire qu’ils pouvaient y parvenir. Pourtant, il refuse de baisser les bras et de s’avouer vaincu et condamné.
« Je n’ai pas plus de ressources, Nell. J’aimerais avoir des solutions, mais c’est pas le cas. »
Il n'y en a aucune, à vrai dire. Si au départ, Fawkes et Nelladel voulaient dresser une carte mentale des lieux, force est de constater qu'ils sont surveillés et accompagnés en permanence. Chacun de leurs gestes se réalise sous un œil attentif et quand ils se retrouvent seuls, alors c'est menottés à un lit et derrière une porte verrouillée. Nelladel pousse un soupir :
« C'est fichu, Fawkes. J'espère que ton cartel viendra te sauver comme il est venu sauver Nash, sinon on a juste à attendre la prison ou la pendaison. »
Le cœur de Fawkes se serre. Il n’a jamais compté sur personne parce qu’il a toujours été en mesure de se débrouiller seul, parce qu’il a appris à ses dépends à le faire. Et voilà où ça le mène. A s’assurer de ne compter sur personne, il se trouve confronté aux limites de ce que sa propre volonté et sa débrouillardise peuvent accomplir. Finalement, il aura peut-être été un peu trop orgueilleux, trop sûr de lui.
Alors le goupil se rallonge dans son lit. Il n’a pas la force de se tenir redressé, tout comme il n’a plus la force de feindre l’enthousiasme après de Nelladel. Ses oreilles s’affaissent et sa queue, qui avait retrouvé un peu de vigueur, s'aplatit à son côté sur le lit. Il aimerait au moins se tourner sur le côté, pour se rouler sur lui-même et remonter ses cuisses contre son torse, mais les menottes et sa jambe en vrac l’en empêche. Il tourne néanmoins son buste autant que possible pour tourner le dos à Nelladel à sa fatalité. Il veut se leurrer encore un petit peu et se bercer d’illusions.
« T’en sais rien… Ils viendront p’t’être… »
Nelladel laisse échapper une exclamation dédaigneuse. Qui viendra ? Sexta ? Non, il n'y croit pas. Si Sexta doit venir à Albacore, ce sera peut-être pour libérer Titan, mais sûrement pas eux. Il en doute fortement, même s'il souhaite de tout coeur pouvoir se tromper.
Nelladel se rallonge sur ses oreillers. Sa jambe le lance, il en a assez d'être couché, il s'ennuie, mais tout ce qu'il peut faire, c'est attendre. Le silence s'abat sur la petite chambre alors que l'elfe serre les dents.
Tout à coup, il reprend la parole :
« Sept jours. »
Il s'interrompt, pèse le pour et le contre de sa décision, mais il est sûr de lui :
« Encore sept jours, Fawkes et je me rends à la Capitaine. J'ai pas abandonné le Ragnarok ni ma future vie sur Terre pour mourir bêtement, alors il faut que je pense à moi. Si je me rends à la Capitaine et que je dis tout, ça va peut-être alléger ma peine. Si ça se trouve, on me renverra même dans le Ragnarok et je devrais recommencer à endurer dix ans pour pouvoir vivre sur Terre. C'est pas grave, je peux le supporter. Cette fois, je m'en irai pas. Je veux… Je veux retourner dans cette forêt… Dans la taïga... Je retrouverai la chienne à qui j'ai enlevé sa maîtresse et je m'occuperai d'elle. Mais je peux pas mourir ici et encore moins mourir pour rien… »
Les oreilles du renard tiquent et si sa queue veut bouger, elle reste inerte. C’est bien. C’est une bonne idée ce que veut faire Nelladel. En désespoir de cause, il tente le tout pour le tout. Ça ne peut pas empirer sa situation après tout. Mais ce que Fawkes retient surtout, c’est le délai sous lequel il doit trouver une solution pour lui-même. Une fois que Nelladel se sera rendu et se trouvera, possiblement, hors de la portée du Conseiller, alors le membre du Cartel sera le seul bouc émissaire sur lequel Leiftan Tuarran pourra se défouler. Et même s’il doute qu’au bout de deux ans, la chienne ne sera plus là, il approuve quand même :
« Oui, tu as raison… Si tu as une opportunité, alors saisis-là et sauve-toi. Je trouverai un moyen de survivre. »
Il l’espère fort, en tout cas. Il songe qu’il pourrait faire pareil, mais ce ne serait pas productif, au contraire. Lui, il ne peut pas jouer sur le fait qu’il ait été berné ou influencé. Ce n’est qu’un renard, fils de personne, qui n’a jamais rien accompli de notablement bien dans sa vie. On ne le graciera pas. Et cela risquerait de détruire les chances de Nelladel. Fawkes doit trouver sa propre solution. Une solution différente de la soumission à Leiftan.
« Je veux pas mourir ici… » marmonne-t-il pour lui-même.
Première mission de June au cartel des Typhons
Réunion du cartel. Viens aux abords de la forêt, Fuya t'y attendra. Si tu te défiles ou si tu en parle à quelqu'un, ton frère va boire la tasse.
Elle a froissé le message dans l’une de ses poches, après avoir passé de longues minutes à essayer de le déchiffrer. S’éclipser de la maison n’a pas été trop difficile, même si elle n’a pas manqué le regard étonné que lui a lancé Helouri, pas vraiment convaincu par son air enjoué. Mentir à son frère ne lui plaît pas, mais jusqu’à ce qu’elle trouve une solution à son problème, elle va devoir s’en contenter…
June triture sa tresse, en repassant en boucle les mots de la vampire. Sa traduction est un peu approximative, et elle n’est pas vraiment certaine de la teneur de la menace adressée, d’après elle, à Helouri, mais elle a compris l’essentiel. La forêt, et pour le reste, elle verrait bien.
La jeune femme marche vite, ses yeux fixés sur le paysage, saluant sans les voir les quelques personnes qu’elle croise. Lorsque les premiers arbres se dessinent, elle sent son cœur accélérer, et elle se force à rester de marbre. Sexta lui fait peur, c’est un fait, mais il est hors de question que les Typhons exploitent chez elle plus de faiblesses qu’ils ne le peuvent déjà. Après son entrevue avec la vampire, June est restée éveillée toute la nuit, les prunelles fixées sur le plafond, imaginant des scénarios plus tordus les uns que les autres pour faire ravaler leurs menaces au cartel. Aller toquer à la porte du Conseiller Tuarran était en tête de sa liste pendant un bon moment, et elle ne s’est ravisée que par crainte qu’il ne la croit pas.
June s’arrête devant l’entrée de la forêt, et hésite. Doit-elle y pénétrer ou attendre qu’on la contacte ? Elle est sur place, mais aucun signe du cartel, alors elle serre les poings, grogne et finit par s’adosser à un arbre. Un mot qu’elle ne connaissait pas était inscrit sur le papier, et elle en a déduit qu’il s’agissait du nom d’un Typhon. Reste à espérer que Sexta ne viendrait pas l'accueillir en personne.
« Admettons que je sois de bonne humeur aujourd’hui, et que je décide de te laisser rentrer chez toi avec des sucreries, singe-t-elle à mi-voix en roulant des yeux. Oh, mais ça nuirait à mon image de grande cheffe du cartel des Typhons qui sait tout sur tout le monde, alors je vais plutôt te manger les pieds et me faire un collier avec tes oreilles !
- Tu as de la chance qu'elle ne t'entende pas. » souffle-t-on à son oreille.
Les secondes suivantes sont marquées par une piqûre dans le cou, puis par le néant. Même si June travaille pour le cartel des Typhons malgré elle, il est hors de question qu'elle connaisse le chemin jusqu'à la planque d'Albacore. De toute manière, Fuya est persuadée que les purrekos qui patrouillent dans les couloirs souterrains seraient susceptibles de lui faire peur.
De plus, il y a beaucoup trop d'informations importantes qui circulent et il faut faire attention.
La jeune sirène pousse un soupir. L'hypnos de Ryan finira par provoquer des dommages corporels importants s'il est utilisé trop souvent, alors il faudra trouver un autre moyen ou bien déterminer un autre lieu pour s'entretenir avec June. Fuya regarde le corps inanimé de la gardienne de l'Obsidienne et si elle ressent un pincement au cœur pour celle qui l'a aidée alors qu'elle était terrorisée par Candice, elle est pourtant prête à l'utiliser pour que Titan revienne.
Même Sexta, est prête à tout pour que Titan revienne.
Fuya se met à siffler pour appeler les purrekos qui se précipitent pour l'aider à transporter son chargement faelien. June va encore se réveiller attachée à une chaise mais cette fois, ce sera pour quitter les lieux avec une mission.***
«… Possible ?
- Ça l'est, mais il faudra traiter avec la clinique du douzième sous-sol. Tant que je rapporte les matériaux, je devrais pouvoir utiliser leurs locaux. Mais il faudra qu'il soit inconscient, il ne supportera jamais l'atmosphère des lieux.
- Et toi ?
- Je pense que ça ira… »
Sexta jette un regard suspicieux à Ryan, mais ne dit rien. Pour cette mission délicate, elle songe qu'il serait plus judicieux de l'accompagner puisque contrairement à la licorne, elle connaît parfaitement le douzième sous-sol des Abysses. Avec les nouvelles commandes de poisons, le cartel pourra payer des assassins de renom afin de se procurer les matériaux nécessaires à ladite mission…
« Nous verrons. »
Mais Ryan n'a pas tort. Face à elle, Fuya fixe le vide, silencieuse, attendant le réveil de June comme les autres. Dans cette planque, elles ne sont que trois Typhons et celle qui anime leur petite réunion est celle qui se contente de lancer des remarques d'une voix traînante, d'habitude.
Une main sur son épaule la tire de sa torpeur. Quand elle croise le regard de Sexta, Fuya tâche de lui adresser une moue confiante mais elle sait que la vampire n'est pas dupe.
June reprend lentement conscience, la bouche sèche. Sa tête est lourde et elle la lance, mais cette fois, elle ne fait pas mine de continuer de dormir. Elle rouvre les yeux et fusille Fuya, ainsi qu'une licorne qu'elle n'a jamais vue. C’est l’une d’elles qui l’a de nouveau assommée, et elle aime moyennement ce moyen de transport.
La gardienne se redresse tant bien que mal, grimace devant la migraine qui perce ses tempes, puis tourne la tête vers Sexta pour lui adresser un rictus mielleux.
« J’ai reçu le message, articule-t-elle d’une voix pâteuse. Je sais pas lire correctement, alors la prochaine fois, faudrait écrire plus gros ou trouver autre chose, parce que sinon je risque de me tromper de point de rendez-vous. »
Elle retient le reste de sa remarque acerbe, et elle espère que Sexta ne possède pas l'abilité secrète de lire dans ses pensées, où elle est en train d’être renommée de toutes sortes de noms grossiers.
Un léger rire lui répond. La vampire plisse ses yeux noirs et joint les mains sur la table :
« On dit bonjour, quand on est polie. Ne m'oblige pas à t'apprendre la politesse, petite chose, ça ne serait pas agréable, ni pour toi, ni pour moi. »
Se redressant, elle croise les bras sur sa poitrine et laisse échapper une exclamation dédaigneuse en toisant June, un sourire méprisant sur ses lèvres minces :
« Ça ne sait pas lire et ça ose être insolente… Tu vas apprendre. Crois-moi, que tu vas apprendre. Ça et beaucoup de choses, mais comme je n'ai pas le temps de jouer les professeurs, je vais laisser ça entre les mains de quelqu'un d'autre. Tu verras, tu vas l'adorer. »
Mais pour le moment, June doit connaître son rôle, le but de la mission d'envergure que le cartel s'apprête à lancer et la finalité de toute cette entreprise. La désignant d'une main, Sexta commence à faire les présentations d'une voix doucereuse :
« Fuya, Ryan, voici June, nouvelle membre du cartel des Typhons. Rassurez-vous, si je devais lui donner un grade pour sa petite place, elle serait celle d'un familier. D'un minaloo, pour être plus précise, alors si elle aboie en montrant les crocs, il faudra sortir le bâton. »
Un faux regard emplit de tendresse, et la vampire poursuit :
« June est là parce qu'elle le veut bien. Elle a été un petit peu trop curieuse et puisqu'elle voulait tant se mêler de nos affaires, alors j'ai décidé de commencer la mission que Titan lui a confiée un petit peu plus tôt.
- Et son frère ? demande Ryan.
- Quand on aura terminé ici, toute cette jolie petite famille déménagera à Odrialc'h. Son frère jouera son rôle et ces deux-là, ils seront bien dressés pour entrer au palais. Mais avant ça, il y a du travail. »
Croisant les jambes, Sexta laisse courir ses doigts sur le bois de la table. La mission est simple, June doit la comprendre vite et ensuite, elle aura les détails :
« Notre cheffe a été faite prisonnière avec cette abrutie de fée pendant la catastrophe. La phase la plus importante de la mission, c'est de la faire évader. On récupère notre cheffe et ensuite, on récupère aussi Chouchou qui a fini à l'hôpital. Sa petite tête contient des informations très précieuses. Après, il y a bien sûr Fawkes et Rosie, mais ça va dépendre du temps que l'on aura. Si on peut emmener Rosie vivant pour qu'il reçoive sa punition en bonne et dûe forme, ça m'arrange, sinon je ferais ça sur place mais ça m'embêterait de me presser… »
June grimace malgré elle. Sexta prend visiblement un malin plaisir à imaginer les tortures qu’elle fera subir à Rose. Mille et unes piques fourmillent sur sa langue, mais elle n’a aucune envie de goûter au bâton que lui promet la vampire, alors elle se mord l’intérieur des joues pour ne rien dire.
Après une légère expiration, elle se recompose un masque neutre, mais elle sait qu’il sera difficile de cacher l’étincelle de haine qui brille dans ses yeux. Elle se fiche bien de Fawkes, et pour ce qu’elle en sait, Nelladel peut se débrouiller tout seul.
Quant au sort de Rose, elle a fait ce qu’elle a pu la première fois, mais s’il s’est mis Sexta a dos, elle ne pourra rien faire pour lui. La vie d’Helouri et du reste de sa famille passe avant l’ancien Second de l’Ombre, qui devra se débrouiller seul cette fois. Non pas qu’elle puisse lui être d’une grande utilité de toute façon…
La jeune femme s’efforce de garder une voix posée quand elle l’interroge.
« Et vous voulez que je…
- Tout d'abord tu vas faire ton travail à la prison d'Albacore correctement. Il paraît que tu te relâches un petit peu, Junie et ça, c'est sûrement parce que la jolie petite fée ne te donne pas les informations que tu veux. »
Sexta se baisse pour ramasser quelque chose. Un bruit sec et un long coffret trône à présent sur la table. La vampire en caresse le couvercle comme s'il s'agissait d'un familier, puis reprend :
« Il n'est pas question de plonger le village dans le sang et le chaos, même si ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Il faut que l'évasion se fasse en douceur alors toi, tu vas faire ton travail, tu vas gagner la confiance du Conseiller Tuarran et quand il pensera que tu es un bon minaloo qui aboie quand on le lui demande, alors tu pourras nous servir de clé quand on ira libérer notre cheffe. L'important, c'est que tu puisses disposer de la prison comme tu le souhaite sans que la Garde Étincelante se méfie. Sauf que la fée risque de poser problème. »
Sexta souffle par le nez, une moue nostalgique sur le visage. On la regardant, on a l'impression que le souvenir de Candice lui est presque agréable, sauf que ses paroles acerbes témoignent du contraire :
« J'aurais presque pu le trouver sympathique s'il n'était pas un sauvage. J'ai connu des gens pires que lui qui savaient pourtant se tenir… Si tu veux gagner la confiance du Conseiller, Junie, il va falloir réussir à le dresser et ça, ça devrait t'aider. »
Elle soulève le couvercle du coffret. Ça, c'est une mèche de cheveux bouclés, d'un rose fatigué. Une mèche qui a été coupée à la racine et qui repose sur de la soie comme une défunte.
Cette fois, June ne peut s’empêcher de blêmir. Elle ne connaît qu’une seule personne avec cette teinte de cheveux, et il n’est pas très difficile de deviner où veut en venir Sexta. La jeune femme prend son temps pour retrouver une respiration correcte, mais tandis que ses pensées fusent à toute vitesse, leur conclusion ne lui plaît pas beaucoup.
Si Candice avait été autre chose qu’un enfant égoïste et buté, peut-être qu’une alliance avec lui aurait été possible dans le dos du cartel. A ce stade, elle préfère encore travailler avec la fée meurtrière plutôt qu’avec la vampire psychopathe. Mais elle pourrait arriver la bouche en cœur et la meilleure volonté du monde gravée sur ses traits que Candice Milliget continuerait de la prendre pour une esclave, ou peu importe le nom qu’il donnait à Nelladel.
Elle prend un peu d’air, puis détourne les yeux de la mèche de cheveux.
« Comme vous voulez, répond-elle d’une voix crispée. C’est votre plan. Autre chose ? »
Elle va devenir un minaloo pour le Conseiller, mais aussi pour Sexta. Pas pour gagner sa confiance, elle lui semble du genre à ne croire qu’en elle-même, mais pour éviter de mourir bêtement. Parce qu’une fois dans la tombe, il lui sera compliqué de rendre la monnaie de leur pièce au cartel des Typhons…
La vampire tente de lire en elle. Elle aime les minaloo dociles, mais elle n'est pas stupide au point de croire que June lui mangera dans la main sans la poignarder dans le dos quand elle en aura l'occasion.
« Le petit oiseau sur sa branche qui a eu les cheveux coupés est toujours en vie, explique-t-elle, il a même le droit à un environnement beaucoup plus joli et glacé que son adorable frère qui est en prison. Vu qu'il est incapable de se débrouiller tout seul, c'était très facile de l'attraper pendant la catastrophe. Même sa chère maman n'a rien pu faire. »
Au final, toutes les fées ne sont pas puissantes et c'est une bonne nouvelle pour le cartel. Avec Sira Milliget en tant qu'otage, elles seront forcées de choisir un autre camp que celui d'Odrialc'h et quand ce sera fait, les Typhons leur rendront Sira.
Sexta a fait les choses à sa manière alors quand Titan reprendra sa place, elle réparera les pots cassés et arrangera le tout avec sa diplomatie.
« Tu montreras ça à la fée, reprend Sexta, et tu lui diras que si elle ne se montre pas plus gentille, alors la prochaine, c'est un doigt de son frère que tu lui apporteras. Puis une dent. Un œil. Sa trompe… Une aile ? C'est beaucoup moins difficile qu'il n'y paraît de maintenir quelqu'un en vie tout en lui enlevant des morceaux, tu sais. Alors si Candice Milliget est vraiment capable de tout endurer pour son peuple, il finira par manger dans une main. Mais pas la tienne. »
Un rictus sur les lèvres, la vampire se met à railler :
« Toi, tu n'es qu'une idiote inintéressante. Même si tu promenais son frère au bout d'une laisse, Candice ne pourrait pas te voir autrement. D'ailleurs, tu n'as jamais réussi à obtenir la moindre information de sa part, non ? C'est normal : tu te prends pour une guerrière, mais tu n'en as pas l'étoffe. Même la Capitaine a certainement dû se retenir de rire aux sélections quand elle t'a vu. Enfin… »
Ce qui importe, c'est la scène que June doit peindre pour le Conseiller. Elle doit se fondre dans les murs de la prison tout en dirigeant les regards ailleurs et une fois que ce sera chose faite, alors le cartel se glissera à Albacore pour libérer Titan. Ensuite, l'hôpital perdra Nelladel, Rose et Fawkes. Sexta sait que Titan serait peinée de devoir laisser un Typhon derrière elle, mais pour son retour au bercail, le renard-garou va devoir apprendre à arrêter d'être idiot, même si cela semble compromis… Finalement, Candice a raison de vouloir dresser ses davas. Sexta regrette presque qu'il soit en prison, mais il va faire sa part du travail, elle va s'en assurer.
« Ton collègue, reprend-t-elle, c'est un membre de la Garde Étincelante. Le Conseiller en a fait une cible parfaite qui pourra assumer toutes les erreurs que fera Candice mais malheureusement pour lui, la petite fée va être docile avec son geôlier. Si elle ne le fait pas, son frère risque d'avoir mal. »
Sexta récapitule la mission de June : elle doit menacer Candice et lui demander de devenir un prisonnier modèle, quitte à donner de fausses informations à Balam, sur les motivations de son peuple. Ainsi, Balam deviendra intouchable et June passera également pour une employée modèle. Leiftan n'est pas idiot, il saura que les informations de Candice sont fausses, mais il ne pourra pas le révéler sans se trahir, alors il craindra que Balam et la fée Milliget complotent derrière son dos et s'intéressera à eux de très près. Pendant ce temps, June aura la voie libre pour chercher la cellule de Titan et communiquer son emplacement au cartel.
« Tu feras un plan de la prison que tu donneras à Fuya. Elle sera chargée de te surveiller et au moindre faux pas, elle m'appellera moi, le bâton. Tu as compris ? Ryan s'est infiltrée à l'hôpital. Elle gardera un œil sur nos imbéciles heureux qui en ont assez de leurs jambes. N'espère même pas aller voir Rosie pour papoter avec lui. Sinon, il se pourrait que ton frère se retrouve dans le même état que lui. Ça arrive, les accidents. »
June lui adresse un regard las. Sexta a de la chance de savoir mordre, parce qu’à force d’aboyer des menaces toutes les trois phrases, elle finirait par perdre sa crédibilité.
« Et si le petit roi refuse ? s’enquiert-elle. Il a mauvais caractère. »
Vous avez ça en commun, reste dans sa gorge, mais flotte dans l’air entre elles. Au moins, sa mission n’est pas insurmontable. Dessiner, elle sait faire, d’autant qu’après son escapade pour aller voir Nelladel, elle a quelques notions de la prison. Le plus dur sera probablement de ne plus insulter Candice, ou peut-être de devoir supporter Fuya. Un instant, elle imagine le hasard malheureux qui pousserait la sirène dans la cage du Maître de la Médecine. Avec ça, il reprendrait des forces, et alors même pas besoin de se venger de Sexta, il le ferait pour elle. June retient un soupir. Dommage que ça ne puisse rester qu’un songe…
La vampire hausse les épaules :
« Pour soumettre des gens comme lui, il suffit de savoir ce qui leur est cher et de le leur prendre. Maintenant que c'est fait, tu verras qu'il se montrera plus aimable. »
Candice avait beau aboyer sur son frère lors de la première entrevue avec le cartel, à la maison d'Île Grande, sa famille lui est précieuse, tout comme son peuple. Si même quelqu'un comme lui peut accomplir le souhait de son ancêtre uniquement par loyauté, alors c'est une faille que Sexta peut exploiter.
« Tu commenceras la mise en place du plan dès demain, ordonne Sexta, et tu me feras des rapports réguliers. Puisque tu ne sais pas lire et probablement pas écrire, tu n'auras qu'à tout raconter à Fuya. Elle saura me transmettre l'essentiel. Tu as une semaine pour rendre la fée plus docile et la contraindre à obéir à son geôlier. J'ai déjà eu la chance de lui parler, quand Eel était encore debout. Je suis sûre qu'il sera heureux d'avoir l'impression de servir à quelque chose. »
June jette un regard mauvais à Fuya. Contrairement à la vampire, la sirène semble nettement moins effrayante, et surtout moins encline à découper des membres. Elle lui racontera tout, mais que l’autre n’espère pas avoir droit à la reconnaissance que semble estimer mériter Sexta pour le simple fait de l’avoir gardée en vie.
« Je peux y aller ? demande June après avoir acquiescé. Votre truc me donne des migraines, et il vaut mieux être en forme quand on donne à manger au petit roi. J’imagine que vous connaissez déjà mes horaires, et vous savez où j’habite, donc Fuya saura me trouver ? »
Oui, elle peut y aller. De toute façon, June connaît sa mission, à présent et maintenant que le cartel des Typhons la garde à l'œil, elle ne peut pas s'échapper.
Dans une semaine, Leiftan Tuarran doit trouver le comportement de Candice Milliget étrange et être intrigué par la docilité qu'il voue à son geôlier. Quand ce sera chose faite, le cartel pourra passer à l'autre phase du plan.
On verra ce que pensera le Conseiller et la Capitaine, quand Titan leur filera entre les doigts, juste sous leur nez.
« Tout va bien ? » répète Valkyon en fronçant ses sourcils blancs.
Non.
C'est ce que Rose a envie de lui dire, mais sa situation ne lui permet aucune parole. La catastrophe de l'Eel rouge se joue dans son esprit comme un ballet malheureux et quand il revoit ce qu'il a accomplit, ce qu'il a supporté, ce qu'il a provoqué malgré lui, les bandages sur le corps du Chef de l'Obsidienne lui brûlent la rétine.
Et s'il avait perdu la vie ? Et si Chrome avait perdu la vie ?
C'est dans le regard de Valkyon que Rose peut voir le reflet de la vérité. C'est comme s'il avait accès à une pièce, parfaite image du contenu de son propre cœur, à défaut que cette fois, elle ne peut pas lui mentir et Rose ne peut pas se mentir non plus.
Il regrette. C'est injuste. C'est stupide. Il mérite de mourir. Il veut vivre. Il doit payer. Il veut payer. Doit-il payer ?
Sûrement. Mais pas de la façon dont Sadako et Leiftan le veulent.
« Vous en êtes à quelle lettre ? » reprend la voix profonde de Valkyon.
Le grand faelien désigne le dictionnaire d'un geste du menton et lui demande si c'est si intéressant que cela. Rose reconnaît ce ton amusé, pour l'avoir déjà entendu à maintes reprises. Avant, il pensait que Valkyon s'adressait à lui de cette manière juste par pitié, mais au fur et à mesure du temps, l'ancien Second de l'Ombre a fini par émettre l'hypothèse que Valkyon était capable de déceler sa maladie du néant. Comme maintenant.
Pourtant, même lui a ses propres limites car durant toutes ces années, il n'a rien vu. Ni l'alliance de Rose et Nevra avec les fées, ni leur rôle avec le cartel des Typhons et encore moins la cruauté de Leiftan avec lequel il échangeait des banalités polies.
Alors qu'est-ce que Valkyon peut bien voir en ce moment ? Rose aimerait savoir s'il a eu vent des accusations qui pèsent contre lui et Nevra, mais en tant que Chef de l'Obsidienne, il est certain que c'est le cas.
Joseph lui a souvent rendu visite afin de le tenir au courant de tout ce qui pouvait se passer dehors. C'est sa façon de montrer à Valkyon qu'il ne compte pas lui ravir la Garde au rubis durant sa convalescence et Rose, lui, songe surtout que c'est la noblesse d'esprit de ces deux hommes qui les empêchent de le traiter comme un criminel.
« J'aimerais vous poser une question, Rose. »
Le jeune vampire se fige. Ses mains se crispent sur la couverture du lourd dictionnaire et lorsque le silence s'installe entre lui et Valkyon, il réalise que ce dernier ne reprendra pas la parole avant d'avoir eu une réponse de sa part. Son coeur s'accélère, sa bouche devient sèche et si Rose redoute cette fameuse question, il finit par hocher la tête :
« D'accord…
- Ah ! »
Un doux sourire ourle les lèvres du Chef de l'Obsidienne alors qu'il lève un doigt en ponctuant son exclamation :
« Le son de votre voix. C'est toujours une pièce rare. »
Rose sent ses joues prendre la couleur des fleurs dont il porte le nom. Valkyon est égal à lui-même, dans cette grande pièce monochrome et alité dans un lit, avec des bandages recouvrant son torse massif. Même ses plaisanteries n'ont pas changé.
Au final, la seule barrière qui se dresse entre eux, c'est peut-être celle que Rose a d'ores et déjà installée.
« Valkyon, mon ami ! Je suis un homme riche aujourd'hui !
- Comme hier, je suppose ?
- Plus ! J'ai entendu la voix de mon cher et adorable Second durant de longues minutes ! Je peux mourir heureux. »
Rose peut revoir Nevra et ses grands gestes dramatiques à l'extérieur, quand il riait de se pâmer face aux petites conversations qu'il pouvait partager avec lui, Rose Clarimonde, Second de l'Ombre peu loquace. Mais derrière ces visages-là, Nevra reste la personne qui entendait sa voix tous les jours, parce qu'il était le seul à l'écouter réellement.
« Non. » dément Rose.
Mais Valkyon se contente de lui répondre un rire discret avant de fixer la fenêtre droit devant lui. Peut-être qu'il cherche la meilleure manière de poser sa question et l'ancien Second de l'Ombre lui laisse le temps.
Ou alors, tout comme lui, Valkyon regrette la liberté offerte par l'extérieur et se contente de supporter les chaînes de la douleur ainsi que de sa propre faiblesse passagère, avec une force mentale aussi grande que sa personne. Aux yeux de Rose, il est et il restera un socle qui ne faillit jamais.
Seulement, Valkyon retrouvera sa liberté, lui.
« Qui était votre ennemi durant la catastrophe ? »
L'ancien Second de l'Ombre ouvre de grands yeux. Il dévisage Valkyon, cherchant la vérité et les doutes dans le plus infime de ses traits sans jamais rien trouver. Rose abandonne son dictionnaire sur ses couvertures, loin de ses jambes brisées, pendant que ses entrailles se tordent.
La réponse à cette question, il aimerait la draper de silence ou de mensonge, mais pour quelqu'un comme Valkyon, il répugne à le faire.
« Nos lits sont voisins, reprend le grand faelien, et depuis la blessure qui m'a plongé dans un long sommeil, une partie de moi continue de faire le devoir que je n'ai pas pu accomplir en s'assurant que vous vous réveillez toujours le matin. »
Haussant les épaules, Valkyon lui adresse une moue navrée et reprend :
« Ce n'est peut-être pas correct, car dans cet hôpital, vous êtes vulnérable, tout comme moi. Mais j'imagine que la catastrophe qui a eu lieu va nous laisser des marques pendant un long moment. Néanmoins et puisque je vous ai trouvé en train de baigner dans votre sang, je me suis toujours demandé qui avait bien pu vous faire ça. »
Vous savez déjà de qui il s'agit.
Rose a la sensation de se trouver en équilibre sur une balance. D'un côté, il aimerait effleurer la joie d'être une pensée, une petite considération dans l'esprit de l'homme qu'il aime, au point qu'il se mette à veiller sur son réveil comme Rose l'a fait avec le sien. Lui aussi, il craignait qu'un beau matin, Valkyon n'ouvre plus jamais les yeux, alors il prêtait attention à chaque souffle de sa respiration.
Il aurait aimé le remercier, lui parler comme si son discours n'était pas l'objet le plus délicat qu'il avait à manier en ces temps troublés. Pouvoir s'exprimer sans muselière chimérique et sans se demander quel visage il revêt dans les yeux de Valkyon.
Peut-être que l'homme veut s'assurer que Rose n'est pas un menteur, avec lui. Peut-être qu'il veut mesurer sa noblesse d'âme, pour pouvoir la comparer avec la sienne, celle de Joseph et celle de Nevra ou bien, il s'agit sûrement de la confiance que Rose peut lui vouer.
Si sa voix est une pièce rare, comme il l'a mentionné précédemment, alors qu'en est-il de ce qu'il a enfoui en lui ?
Ses pensées et ses vérités les plus profondes.
Mais Rose s'est déjà tracé une ligne imaginaire qui est censée le mener tout droit vers la liberté, alors en réponse à la question de Valkyon, ce sera son propre périple.
Ses prunelles s'égarent sur ses couvertures, sur le dictionnaire en train de choir, sa double-page ouverte sur la lettre R - Ressentir, réagir, rêver, réunion - puis sur les mains du Chef de l'Obsidienne, jointes sur les draps de son lit.
« C'était une dangereuse membre d'un cartel, raconte Rose d'un ton monocorde, elle voulait se venger parce que j'avais mené une enquête sur elle et les Abysses.
- Sexta Stoker. »
Une sueur glacée coule le long de son dos alors que la balance devient branlante. Rose doute. Rose blêmit et ouvre de grands yeux opalins tout en se demandant s'il subit un interrogatoire trop calme ou bien s'il partage une simple conversation.
Et s'il sait ? Et s'il ne dormait pas pendant que je discutais avec Chrome ?
Pourtant, Valkyon reste la force tranquille qu'il a toujours incarnée. Son regard est perdu vers des souvenirs qu'il est le seul à voir, vers des dossiers, des écrits, des rapports qu'il a dû consulter dans son bureau qui gît maintenant en tant que décombres.
« L'Impératrice des Abysses, songe Valkyon d'une voix lointaine, connue de tous, mais insaisissable. »
Ni par l'armée d'Odrialc'h, ni par la Capitaine elle-même, tout comme la cheffe du cartel des Typhons, à l'époque. Beaucoup ont toujours pensé que c'était parce que Sexta était maligne et avait su s'entourer au fur et à mesure des années, et ils avaient raison.
Mais ce que tout le monde ignore, c'est surtout que l'Impératrice des Abysses a abandonné sa notion du bien et du mal depuis longtemps, tout comme le sens de la morale. Aussi, elle ne craint ni la mort, ni la douleur, ce qui fait d'elle le plus redoutable de tous les adversaires.
Rose est persuadé qu'avec Titan derrière les barreaux, Sexta la laissera croupir pour s'approprier le cartel et renverser la conquête terrienne à sa manière. D'ailleurs, il est sûr qu'elle n'oubliera pas sa vengeance et le jour où elle viendra, le jeune vampire pourra aviser qui, d'elle ou de Leiftan, est le plus terrible.
Sous les yeux d'or de Valkyon, Rose se contente de hocher la tête. Il a dit à Sadako que Sexta avait traité avec Candice Milliget en troquant le meurtre du Conseiller contre la libération de Nash. Si le Chef de l'Obsidienne le sait déjà, alors Rose n'est pas un menteur. Pas encore.
« Vous avez eu de la chance, Rose. Je ne sais pas ce qui aurait pu se produire si June, son père et moi n'étions pas arrivés.
- Je ne sais pas. » souffle l'ancien Second.
Peut-être que Maître Sira, terrifié, aurait tout de même fini par crier pour appeler les siens seulement, il ne l'aurait jamais évacué et Rose serait mort en se vidant de son sang.
June, Valkyon, Joseph et même Nelladel, cela a fait beaucoup d'âmes pour sauver la sienne et quelque part, c'est un fait, un objet sans nom que le jeune vampire observe avec curiosité.
Il leur est reconnaissant, à tous. Il commence à accepter leurs actes et à leur donner un sens, sans se flageller. Lui aussi, il aurait fait la même chose.
Le silence s'installe entre eux et Rose finit par fixer un point invisible sur ses couvertures, en se tordant les doigts. Dans le lit voisin, Valkyon s'est laissé aller contre ses oreillers et a fermé les yeux.
Les secondes passant, le jeune vampire finit par l'imiter. C'est là qu'il réalise.La Plénitude
Chaque muscle de son corps a perdu sa rigueur et même la douleur lancinante de ses jambes s'est endormie. Rose respire et l'air envahit son être sans se cogner contre le poison d'une peur qui comprime ses poumons et son coeur, lourd, affolé, cognant comme un dément contre les barreaux d'un cage, marque finalement un rythme plus clément.
Il y a aussi un vent paisible soufflé dans son esprit, envoyant valser des débris, des doutes et du fiel destiné à empoisonner l'entité qui se nomme Rose. Tous les parasites qui s'accrochent à son cerveau finissent par lâcher prise en même temps que lui et cela, le jeune vampire sait qui en est responsable.
C'est lui et ce n'est pas lui.
C'est sa voix profonde, c'est ce qu'il a dit, c'est le miracle d'être présent dans sa tête comme une alerte et de le savoir veiller sur lui. C'est la façon dont il le voit, sans l'étiquette du criminel ou de l'adorateur des fées, même si les heures et les jours peuvent changer cela. C'est même sa plaisanterie, sur le son de sa voix.
Fort de toutes ces affirmations, c'est surtout la façon dont l'amour que Rose éprouve pour Valkyon est capable de le défaire de toutes les peines qu'il s'inflige. À l'image de Nevra, le Chef de l'Obsidienne a le pouvoir d'éveiller le souffle de la vie là où Rose l'a abandonné, mais aussi sa propre vérité. Valkyon en est son synonyme car tout ce que le jeune vampire peut éprouver et penser de lui est teinté de la couleur de la sincérité.
Quand il y a du désordre, en lui, la présence de Valkyon est capable de tout ranger et quand Rose à mal, son regard peut apaiser la douleur.
Si l'ancien Second de l'Ombre se laisse happer par les profondeurs d'un lac, il sera capable de remonter, puis de nager jusqu'à la berge où Valkyon se tiendra et s'il était l'océan, alors il voudrait embrasser les plages qui portent son nom, plutôt que de devenir les abysses.
Se laissant bercer par le calme des lieux, Rose ouvre les yeux pour aviser le décor simple de l'hôpital. Il jette un regard à Valkyon, qui n'a pas bougé, puis observe ses bandages.
L'explosion provoquée par Maître Candice lui a fait du mal. Il peut noter qu'au-delà de la blessure grave de son dos, couverte par plusieurs couches de pansements, il y a également des brûlures éparses ainsi que de vilaines coupures. Valkyon en gardera certainement des séquelles, tout comme Rose sait que ses jambes n'auront plus jamais la même apparence qu'avant.
« Je suis désolé. »
Valkyon sort de sa torpeur et le jeune vampire réalise qu'il a parlé à voix haute. Il se met à ciller alors que le grand faelien l'interroge de son regard d'or, pour finir par lui demander pourquoi, d'un ton très calme.
Rose tire les couvertures à lui d'un geste nerveux, mais finit par aligner mentalement les mots qu'il veut prononcer et ainsi, développer ses propos :
« Blessures. Vos blessures. Je suis désolé pour vos blessures.
- Merci, Rose, mais vous n'en êtes pas responsable. »
Si, il l'est d'une certaine manière. Il est celui qui a permis à Maître Candice de se déchaîner, d'utiliser ses explosifs, alors il se sent coupable. Comme il l'a dit à Chrome, plus tôt, les dommages étaient inévitables, mais justes s'ils permettaient la mort d'un terrible ennemi.
Mais celle de Valkyon, si elle avait existé, aurait été un couperet dans le cœur.
« Je dois ce qui m'est arrivé à la fée qui a attaqué la cité, reprend le grand faelien, pas à vous. »
Rose n'est pas d'accord, mais il se contente de hocher la tête. Il se sent tout de même soulagé de l'avoir dit et même si la culpabilité continue de le ronger comme une musarose, une partie de son esprit lui souffle que s'il parvient à regagner sa liberté, alors il lui suffira de garder sa propre souveraineté et faire en sorte que Valkyon ne soit plus blessé par sa faute.
« J'espère que vos jambes iront mieux et que vous pourrez marcher de nouveau, Rose. »
Le jeune vampire souffle un merci poli, même si le jour où il pourra se lever et mettre un pied à terre sonnera peut-être le glas d'un quotidien en cellule. Ça, ou une porte vers une liberté durement gagnée.
Rose songe à ce qu'il ferait s'il se trouvait dehors, dans le village d'Albacore.
« Vous pourrez lui rendre visite si on vous y autorise. Vous verrez bien, et moi aussi. »
Quand son regard opalin rencontre l'or, il dit : c'est ce pourquoi vous pleuriez tout à l'heure.. C'est ce qu'il croit et une parcelle de la vérité lui donne raison.
Il lui manque, c'est une évidence. Son absence est un cauchemar permanent car Rose s'était accroché à lui pour recevoir ce que sa mère aurait dû lui donner alors certes, une fois sous le soleil d'Eldarya, ses premiers pas seront destinés à Nevra. Ceux de Valkyon aussi.
Le grand faelien lui adresse un sourire compatissant. Une seconde et toute la douceur qu'il y a sur son visage veut s'emparer des lèvres de Rose pour lui répondre. Les coins de ses lèvres tressaillent, la plénitude l'enveloppe, il se sent vrai.
Soudain, une porte claque et la voix franche de Yëvet retentit :
« Et moi je vous dis que vous devriez aller voir la kitsune à la mairie. Je suis infirmière, je peux pas vous donner d'autorisation. Ou alors vous attendez la docteure Osgiliath.
- Je m'en doute, je vous prie de m'excuser, Yëvet, répond une voix affable, je ne veux pas vous causer du tort, je demande une simple conversation.
- J'entends bien, mais il est sous évaluation mentale. » souffle l'infirmière.
Rose se redresse subitement sur ses oreillers. Si la mention de Sadako Nakata lui déplaît fortement, la curiosité quant au propriétaire de la voix l'intrigue même si ses muscles commencent à se tendre.
Entrant dans la pièce, Yëvet adresse un sourire naturel aux patients dont elle s'occupe et derrière elle…
« Balam, le salue Valkyon, ravi de le voir.
- Bonjour, mon ami. »
Malgré son nouveau rang, Balam Lefaucheur ne s'est pas défait de la tunique azurée des guetteurs. Rose songe que cela rime peut-être avec une façon pacifiste de lutter contre la décision de Leiftan Tuarran. Ses yeux opaques se plissent en une joie silencieuse et son visage exprime à lui-seul son désir de s'asseoir au chevet de Valkyon pour une longue conversation avec lui. Cela lui manque.
« Bon, Rose, on a une affaire qui roule pas trop bien, là ! » l'interpelle Yëvet.
Face à sa surprise, elle développe en désignant Balam du pouce, son autre main enfoncée dans la poche de sa blouse.
« J'ai ce machin-là qui voudrait discuter avec vous seulement, c'est un peu délicat. Vous savez de quoi je veux parler. »
Oui, il voit. L'évaluation mentale, sans compter l'enquête de Sadako Nakata pour le Grand Juge Tuarran.
Rose ignore de quoi Balam voudrait lui parler, mais l'hypothèse qu'il tente de lui extorquer des informations sur Maître Candice se présente immédiatement à son esprit.
« Du coup, achève Yëvet, je suis obligée de prévenir la docteur Osgiliath si jamais vous êtes d'accord pour lui parler. Mais vous êtes pas obligé, hein ! »
Derrière elle, Balam joint les mains derrière son dos. Il échange un regard avec Valkyon, dont les sourcils blancs se sont froncés, puis complète les paroles de Yëvet de son éternelle voix aimable :
« Bonjour, Rose. Je suis navré de vous déranger, mais j'aimerais m'entretenir avec vous au sujet d'une affaire dont vous possédez des connaissances. »
Une affaire dont il possède des connaissances ? Rose se tasse machinalement sur lui-même. Il pense que Balam ne serait pas assez fou pour l'interroger sur les fées en présence d'Ewelein ou de qui que ce soit d'autre pourtant, l'idée ne parvient pas à quitter son esprit.
Il pense à sa ligne imaginaire, son périple jusqu'à la liberté et dans son for intérieur, Rose se demande si cette étape est nécessaire. S'il doit être aussi vrai que quelques minutes plus tôt, ou bien s'il doit se remettre dans la peau d'un rôle à jouer.Les Choix
Rose continue de s'accrocher, malgré son état, et d'œuvrer pour gagner sa liberté. C'est difficile mais il se trace un chemin imaginaire qu'il suit, oscillant entre mensonge et sincérité, culpabilité et rédemption, regrets et espoirs. Il a admis auprès de Valkyon qu'il a été attaqué par Sexta Stoker et il est déterminé à vouloir lui faire porter le chapeau pour se sauver lui-même et sauver Nevra.
Là, Balam vient d'arriver à l'hôpital et il demande une discussion avec Rose. Seulement, Rose est sous évaluation mentale par Ewelein Osgiliath, mais également au sein de l'enquête menée par Sadako Nakata pour le Grand Juge Alma Tuarran. Rose à le droit de refuser mais au fond, que devrait il faire ?
➜ Accepter la discussion en présence d'Ewelein Osgiliath.
➜ Refuser la discussion.
➜ Accepter la discussion en présence de Sadako Nakata.
➜ Accepter la discussion en présence d'Ewelein Osgiliath ET de Sadako Nakata.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a reçu sa première mission pour le cartel des Typhons. Elle sera surveillée par Fuya et elle sait que l'échec n'est pas une option. Il est temps d'entamer cette première mission !
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
Pas de RP pour Waitikka ! La situation actuelle ne permet plus d'évolution. Il va falloir attendre de l'aide extérieure, si elle viendra…
Dernière modification par Aespenn (Le 28-03-2023 à 21h11)
Hors ligne
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous !
Fraîchement installée dans mon nouvel appartement, je suis bien contente de pouvoir vous sortir ce chapitre en temps et en heure étant donné que ces dernières journées ont été très laborieuses.
Mais l'écriture m'avait tellement manquée que j'ai pratiquement écrit ce chapitre d'une traite !
On avance doucement, mais sûrement et j'espère que vous apprécierez votre lecture. (^_^)
Chapitre 11 - Qenndys
Première mission de June pour le cartel des Typhons
Trois coups sur la porte. Helouri a un sursaut. Perplexe, il repousse la couverture épaisse et tente de reprendre contact avec la réalité avant de se lever pour s'apprêter à ouvrir.
Les journées à l'hôpital d'Albacore sont longues et parfois les soirées le sont aussi. Le jeune morgan passe une main dans ses boucles nacrées pour tenter de les coiffer et quand il tourne enfin la poignée pour découvrir le mystérieux visiteur, il se confronte à une sirène.
La peau pâle, des yeux d'azur, des oreilles membraneuses aux rayons roses et un carré de cheveux bleu saphir. Elle drappe sa silhouette frêle dans une tunique cintrée à la taille par une ceinture et à l'air embrassé qu'elle arbore, elle craint sûrement de déranger.
« Bonjour, le salue-t-elle d'une voix amicale, je suis désolée de vous déranger. Est-ce que June est là ?
- Bonjour, réponds Helouri, elle est là… Mais vous êtes ? »
June ne lui a jamais parlé de cette sirène. C'était ce qu'il croyait, jusqu'à ce qu'elle se présente, avec un sourire trop doux qui lui donne des frissons :
« Ellen Price. J'ai rencontré June durant la catastrophe, elle m'a aidé et elle continue de le faire. Je dois la voir à son travail. Est-ce que vous pouvez l'appeler, s'il vous plaît ? »
Ellen Price, Sira, la vampire à la machette, l'ancien Second de l'Ombre qui se vidait de son sang… Helouri se souvient de ce que June lui a dit quand elle est revenue de la cité d'Eel en train de tomber. Il blêmit. Que se passe-t-il ?
Se retournant avec nervosité, il appelle sa soeur en se posant moult question vis-à-vis de son travail dont elle ne peut pas parler :
« June ! Il y a Ellen Price à la porte ! Est-ce que tu peux venir s'il te plaît ? »
Le silence, puis des pas précipités. Quand June déboule dans l’entrée, le souffle court, ses yeux violets étincellent d’anxiété. Il ne lui faut qu’un geste pour se placer entre son frère et l’intruse, qu’elle gratifie d’un regard acéré avant de se tourner vers le morgan.
« Merci, désolée, tu peux aller te recoucher, je m’en occupe. » feint-elle en souriant.
Helouri peine à comprendre ce qui se passe. Il réprime une grimace, gratifie sa sœur d'un regard inquiet, mais se détourne pour retourner se coucher. Cependant, il sait qu'il aura du mal à retrouver le sommeil et qu'il attendra que June revienne. Leur mère a déjà quitté le village la veille, afin de se rendre à Amzer pour tenter d'obtenir des remèdes morgans, mais aussi revoir ses parents, ceux de Joseph et les ramener à Albacore. Leur père, lui, est rarement à la maison avec la gestion de la Garde Obsidienne. Helouri doit admettre qu'il est inquiet.
« Bon courage, dit-il à June,... Au revoir mademoiselle Price…
- Au revoir. » le salue-t-elle d'un ton poli.
Sa sœur tente malgré tout de le rassurer d’un signe de la main. June n’aime pas cacher ce qu’elle fait à Helouri, mais Sexta a été très claire, et elle sait que la vampire n’hésitera pas une seconde à mettre ses menaces à exécution si elle estime que ses règles ont été bafouées.
L’obsidienne prend une longue inspiration, puis fusille Fuya du regard avant de refermer la porte.
« C’est pour être sûre que je me perde pas ? ironise-t-elle. Tu vas me montrer le chemin ? On doit se tenir la main, aussi ? »
Elle secoue ses mèches cendrées qu’elle n’a pas eu le temps de rassembler en sa tresse habituelle, et s’éloigne de la petite maison, certaine que Fuya va la suivre de toute façon.
« Je suis celle qui doit veiller à ce que tu réalises correctement ta mission, s'explique la sirène, et je dois aussi écouter tes rapports pour les transmettre, puisque tu ne sais pas lire ni écrire. »
Il n'y a aucun jugement dans sa voix, mais son ton est monocorde. Cette mission est importante car l'issue doit être la libération de Titan et le cartel des Typhons doit absolument récupérer sa cheffe.
« Je dois aussi te donner des nouvelles de Sira pour que tu puisses les utiliser quand tu iras parler à Candice. J'espère que tu n'as pas oublié ce que tu dois lui montrer.
- J’ai du mal avec les lettres, pas avec les ordres. » grince June.
Dans sa poche, la mèche rose pâle crisse sous ses doigts agacés. La présence de Fuya, qui lui rappelle l’épée qui se balance au-dessus de sa tête, lui fait regretter d’avoir aidé la sirène lors de l’attaque d’Eel. Si elle pouvait revenir en arrière, June s’assurerait que la Typhon meurt sous les décombres… Elle roule les yeux vers le ciel. Voilà qu’elle devient aussi radicale que le petit roi dans sa cellule.
Fuya lui jette un regard en biais, puis commence à énumérer ce qu'elle doit dire de Sira :
« Sira se trouve à Odrialc'h. Il est détenu au douzième sous-sol des Abysses. Tu peux comparer cet endroit à un marché noir, dirigé par les purrekos. Sira se trouve dans la chambre froide d'une clinique et des assassins plus que compétents vont lui chercher sa nourriture. Il est bien traité et si Candice fait ce qu'on lui dit, ça pourra continuer. Sexta et moi-même avons réussi à capturer Sira pendant la catastrophe, alors qu'il essayait de rejoindre le bateau de sa famille. Ensuite, Sexta a pris contact avec Delta en lui disant de bien se tenir si elle voulait revoir ses enfants. Donc tu pourras dire à Candice que s'il espère que les siens viennent le chercher, ils ne bougeront pas. Si Titan est libérée, alors il sera peut-être sauvé. On a quand même besoin de lui et Sexta lui fera payer la catastrophe. »
June retient la remarque acerbe qui manque de fuser de ses lèvres, et se contente d’un grognement pour signifier à Fuya qu’elle a retenu les informations. Ses mains quittent ses poches pour en tirer un ruban de cuir, et elle entreprend de rassembler ses mèches épaisses en un semblant de natte brouillonne. Alors que la prison d’Albacore se profile, la jeune femme s’arrête et adresse un sourire faussement mielleux à Fuya.
« Autre chose, vos Altesses ? demande-t-elle. Tu vas m’accompagner jusqu’à la porte ou tu vas m’attendre ici ? »
La sirène se plante face à elle et plisse les yeux en une moue narquoise. Elle se contente de joindre les mains derrière le dos, puis répond de la même manière :
« Je vais t'attendre ici. Je n'ai pas très envie de revoir Candice depuis que je l'ai vu manger et détruire toute la cité d'Eel. Par contre, prends ça avant d'y aller. Ça lui prouvera que le cartel est ici, en plus de ce que Sexta a prélevé sur Sira. »
Fuya tire un petit carnet de sa poche et quand elle le remet à June, cette dernière peut aviser qu'il comporte principalement des dessins. Des visages, en réalité, et des silhouettes squelettiques avec des ailes. Candice est représenté sur certaines pages, la mâchoire disloquée et sa trompe serpentant comme un sersea aveugle sous des rangées de dents effilées, mais il y a également d'autres fée comme l'une d'entre elles, le front haut, de très longs cheveux bouclés et l'air aussi féroce que son frère.
Une double-page représente toute la famille Milliget autour d'une table en train de se nourrir d'un repas sanglant.
« Montre-lui ça. Ça lui rappellera sûrement des souvenirs.
- Wouf, wouf » singe June en fourrant le carnet dans sa poche.
Elle adresse un nouveau sourire glacial à la sirène, puis prend la direction de la prison sans un regard en arrière. June a presque hâte de prendre son service, pour être débarrassée l’espace de quelques instants de la présence du cartel. A l’intérieur, elle s’efforce d’agir comme à son habitude, en saluant les gardes postés à l’entrée, puis le maître des arcanes qui s’est habitué à sa présence, à son bonjour puis à son silence pensif. Aujourd’hui, il est lourd et pesant, mais lui ne s’en rend pas compte, trop occupé par sa tâche essentielle.
Quand il la quitte, elle ne se rend pas tout de suite auprès de Candice. A la place, elle longe le mur qui mène jusqu’au bureau de Balam, puis elle toque à la porte en esquissant une moue fatiguée, en appelant le guetteur pour le saluer.
Comme d'ordinaire, ce dernier est attablé à son bureau, l'air pensif, en prenant des notes à intervalles réguliers. Il a un sursaut quand il remarque la présence de June et lui adressant un signe de tête poli, il lui déclare de son éternel air affable :
« Bonjour June, excuse-moi je ne t'avais pas entendu arriver. Tout est prêt dans le baquet, comme d'habitude. Est-ce que tu pourras changer son eau, aussi ?
- Je m’en occupe. Il est toujours aussi agréable ? » s’enquiert la jeune femme.
Peut-être qu’un miracle s’est produit et qu’en une nuit, Candice Milliget a décidé de révéler à Balam toute son histoire, lui évitant ainsi d’obéir aux ordres du cartel ? June ricane intérieurement. Elle n’a pas envie de présenter la mèche de cheveux de Sira au petit roi, mais il va bien falloir qu’elle s’y colle…
« Ce serait miraculeux, mais il est toujours égal à lui-même, répond Balam d'une voix navrée, cependant je suis en train de faire un rapport à Miiko Yamamura. Je crois que la chaleur des lieux commence à avoir raison de lui, je trouve sa respiration sifflante et hier, je suis sûr de l'avoir vu avoir des hauts-le-cœur. »
Balam réfléchit quelques instants, semblant peser le pour et le contre dans son esprit, avant de demander à June en fronçant les sourcils :
« Est-ce que tu pourrais rester un petit peu plus longtemps, après le nourrissage ? J'aimerais bien que tu observes la fée avec moi. Si elle tombe malade et que nous sommes deux à avoir vu quelques signes, c'est mieux pour mon rapport.
- Si tu veux, soupire June. J’ai rien de prévu aujourd’hui. »
Elle lui fait un petit signe de la main, puis se détourne pour se diriger vers la cage de Candice. Ses mains plongent machinalement dans le tonneau de sel pour en sortir la viande, puis elle s’approche prudemment des barreaux. Depuis leur précédente altercation, elle prend soin de faire son travail en silence, sans interpeller la fée, pour éviter d’attirer l’attention de Balam sur leurs échanges. Aujourd’hui, après un long soupir, elle agite le mollet qu’elle tient et dont le pied manque de s’échapper, puis se racle la gorge.
« Eh. Faut qu’on parle. »
Candice s'est recroquevillé près du tonneau d'eau, comme d'habitude. Néanmoins, Balam a raison quand il dit que la chaleur des lieux l'écrase petit à petit. Si la crasse recouvre son visage et la peau laissée découverte par sa robe, sa figure exprime aussi une fatigue intense et son teint est plus pâle. Ses longs cheveux pendent toujours tristement autour de sa silhouette et si on pourrait penser qu'il se laisse mourir, c'est l'étincelle de violence dans son regard métallique qui prouve qu'il est capable de survivre en enfer.
« Crève. » grogne Candice en lui lançant un regard féroce.
June soupire. A ce stade, c’est presque une idée tentante… La jeune femme laisse tomber le mollet dans le bac prévu à cet effet, puis fourre la main dans sa poche pour en sortir la mèche de cheveux de Sira.
« Ecoute, j’ai pas la force de me disputer avec toi, même si nos joutes verbales me manquent, ironise June d’une voix morne. Le cartel des Typhons détient ton frère. »
Elle laisse tomber la mèche sur la viande, puis referme la trappe pour que Candice puisse aviser de la véracité de ses propos en personne.
Quand il relève subitement la tête pour la fixer, il ne la croit pas. Quand il jette un bref regard au baquet qui contient sa nourriture et qu'il perçoit un éclat rose, il a un doute, mais quand il se traîne avec force pour se saisir de la longue mèche de cheveux, il blêmit.
Candice serre les poings jusqu'à en trembler. Il déglutit avec difficulté, puis approche les cheveux de son nez pour y déceler l'odeur de Sira et ainsi, réaliser que June ne lui a pas menti.
Le cartel des Typhons détient Sira. Comment ? Depuis quand ? La fée Milliget braque son regard métallique dans les yeux améthystes de June alors que son esprit lui murmure qu'elle détient des informations. Peut-être même qu'elle est dans leur camp, dans un autre, qu'elle est en partie responsable de l'emprisonnement de Sira. Il s'en moque, il lui faut un coupable.
Se redressant, Candice ignore le décor qui tourne et la chaleur qui l'écrase. Il se précipite vers les barreaux et là, il fait appelle à toute la haine et toute la violence qu'il ressent pour ceux qui ont osé lever la main sur l'un de ses semblables. Il peut se briser les os, ça ne lui importe pas, tout ce qui compte, c'est l'urgence de sortir d'ici. Il veut tordre les barreaux, il veut les broyer et il ne s'arrêtera pas tant que son œuvre ne sera pas accomplie.
Mais Candice est trop faible et trop mal nourri alors malgré toute sa hargne, tout ce qu'il parvient à réaliser, c'est de faire courber les barreaux de sa cage à s'en faire saigner les paumes.
June recule, impressionnée par la rage qui émane de lui. Elle lève immédiatement les mains devant elle, comme une protection inconsciente, et lui siffle d’arrêter son bazar.
« Tu vas attirer Balam ! Sira va bien, d’après ce qu’ils m’ont dit. Écoute, je sais que c’est pas ton genre, que je suis qu’une miyina et que de toute façon, quoi que je dise, ça changera rien, mais là c’est important. »
June déglutit en sortant le dessin de Fuya de sa poche, puis elle le fait glisser jusqu’au sol pour que Candice puisse y jeter un œil.
« Je suis que la messagère, et crois-moi, te voir tuer Sexta Stocker et sa petite sirène de compagnie me mettrait en joie, parce que j’ai pas du tout envie de jouer au parfait petit minaloo avec cette psychopathe, reprend-elle. Donc même si t’en a rien à faire, écoute ce que j’ai à te dire et peut-être que ton intelligence de petit roi couplée à ma capacité à sortir de cette prison pourront nous servir. »
Non, Sira ne peut pas aller bien s'il se trouve hors du royaume des fées et pris en otage par le cartel. Le portrait de Sexta se dessine dans son esprit et la rage de Candice enfle quand il s'imagine en train de lui percer un trou dans son front avec sa trompe. Oui, c'est son œuvre. Ça n'aurait pas pu être celle de Titan, parce que Titan se méfiait de lui.
Candice fulmine contre ce cartel imbécile qui a pu récupérer son orc grâce à lui et qui maintenant, lui enlève Sira. Qu'est-ce qu'il cherche ? Qu'est-ce que Sexta cherche ?
Quand il jette un oeil au carnet que June a glissé dans sa cellule, il reconnaît immédiatement la scène qui a été dessinée : c'est celle qui s'est déroulée au manoir de Maximilien Ville de Fer, il y a quelques mois de cela, lorsque la sirène du cartel s'était infiltrée. Candice aurait dû la tuer tout de suite, ce jour-là.
« Qu'est-ce que tous ces ozna t'ont pris ? » gronde la fée Milliget.
Elle soupire et décrète qu’elle peut s’approcher un peu de la cellule pour baisser la voix. Elle s'assoit, à un mètre des barreaux, et triture sa tresse en haussant les épaules.
« Pour l’instant, rien. Sexta m’a enlevée et elle a menacé de tuer mon frère et toute ma famille si j’obéissais pas à ses ordres, alors en attendant de trouver comment me sortir de cette situation, je suis obligée de le faire. Peut-être que mon père pourrait se défendre, mais si elle décide de tuer Helouri…»
June frissonne et ravale la boule qui s’est formée dans sa gorge.
« Ma mission du jour, c’est de te faire un rapport sur ton frère et tes soi-disant seules options, reprend-elle. Je peux te dire tout ce que je sais, mais pas pour obéir à Sexta. Plus tu en sauras, plus tu voudras la tuer, et le reste du cartel avec, et ça, c’est tout ce que je souhaite.
- Regarde-toi, toi qui était si insolente l'autre fois… Tu viens ramper devant ma cellule, maintenant que l'on veut toucher à ce qui t'est cher. Ça fait mal, non ? »
S'il n'était pas dans une situation si critique, Candice en aurait jubilé. Mais avec une partie de son peuple sous le joug d'Odrialc'h et Sira entre les mains du cartel, il ne peut pas rester en prison.
« Et maintenant, quoi ? Tu veux me faire sortir d'ici en espérant que je protège ta famille ? Tu peux me dire ce que compte faire le cartel et je pourrais faire ce qu'il faut pour les tuer. Mais tout se paye un jour ou l'autre. »
June hausse les épaules. Se rouler dans la boue n’est pas un problème si ça peut permettre à sa famille de vivre heureuse, elle l’a bien signifié à Balam en prenant son poste. Elle ne s’incline devant personne, sauf si on lui offre des contreparties généreuses. Là, elle est prête à oublier à qui elle a affaire.
« Si tu m’assure que tu peux débarrasser notre monde de ces pourritures, alors je peux accepter de payer ton prix, réplique-t-elle. Mais j’ai d’autres options, je viens te voir en premier parce que j’y suis obligée. Tu es fort, ça je l’ai vu, Hekhelem, mais tu n’as pas gagné, et si je t’aide pour qu’au final, tu me traites comme tu as traité Nelladel, d’un coup de trompe dans le mollet, avant de me demander de payer une dette que tu n’auras peut-être pas remboursée, alors j’aurais vraiment perdu au change. »
Candice a clairement montré que sa famille passait avant le reste. Et si une fois dehors, il décrète que sauver Sira est plus important que tuer Sexta ? June ne lâche pas sa tresse. La fée est une possibilité, mais elle n’est pas la plus fiable, et elle n’a pas encore fait ses preuves, au contraire.
« J'ai fais tomber la cité à moi seul et j'aurais pu tuer celui que j'étais venu tuer si l'ozna qui se trouve dans le bureau, là-bas, ne m'avait pas dérangé, siffle la fée Milliget, alors si tu penses que tu peux trouver plus fort que moi, vas-y. »
Il avait la tête de Leiftan Tuarran entre les mains et il ne lui restait plus qu'à l'arracher. Mais il a fallu que cet abruti de guetteur vienne tout gâcher et permette aux gardiens de lancer leurs cordes…
« Le cartel a pris mon frère en otage, alors ils vont mourir. En les tuant, ça va garantir la sécurité de ta famille, alors tu devras faire ta part du travail. Il me faut deux personnes pour infiltrer le palais d'Odrialc'h et trouver le reste de mon peuple pour le libérer. Toi et ton frère, vous êtes les enfants de celui qui a gagné les sélections, alors il faut que ce soit vous. Si ça ne te convient pas, va chercher plus fort que moi. »
Jusque-là, les directives de Candice suivent celles du cartel. June fronce les lèvres, alors que ses yeux évaluent la fée en face d’elle.
« Sexta veut libérer Titan, lui apprend-elle. Si elle y parvient, et que Titan reprend la tête du cartel, tu les tueras quand même ? Même si Titan est plus mesurée, même si elle promet de relâcher Sira ou je sais pas quoi d’autre ? Et si ta famille te demande de les laisser vivre ?
- Même si tu penses le contraire, je ne suis pas une bête comme Leiftan Tuarran. Titan n'a jamais agi contre mon peuple et s'est toujours contentée de suivre mes directives à la lettre. Elle a pu obtenir ce que je lui avais promis. Je n'ai pas de raisons de tuer Titan, mais j'ai beaucoup de raisons de tuer Sexta et sa sirène de compagnie. »
Si Sexta et sa sirène meurent, c'est juste. Si Titan meurt, ça l'est moins. De plus, Titan est celle qui a permis à Candice de sauver sa mère pendant la catastrophe et il ne l'a pas oublié.
« Je ne tuerai pas Titan, affirme Candice, et quant à ma famille, ma mère est la reine du royaume des fées, alors elle fait en sorte qu'aucun mal ne soit fait à ceux que l'on nous a retirés. Tout ce qui compte, ici, c'est que celle qui a repris les rênes du cartel a enlevé mon frère et qu'elle doit payer. C'est moi qui décide comment elle paye pour ce qu'elle a fait.
- D’accord. »
June se relève pour attraper la chaîne du bassin d’eau, et plonge son regard dans celui de la fée.
« Mais je veux être là. Comment, quand et où, c’est toi qui choisit, du moment que je peux la voir tomber. »
Et si pour ça, il faut devenir l'esclave du petit roi en cage, elle préfère de loin aboyer pour lui que pour le compte de la vampire et sa machette.
Candice raille qu’elle pourra assister au spectacle si elle le veut. Il s’en moque. Tant que les têtes qu’il a choisies tombent et que son peuple, ainsi que sa famille, sont en sécurité, c’est ce qui compte.
Alors que June est en train de tirer sur la chaîne pour récupérer le tonneau, elle s’est approchée plus près des barreaux. Candice, lui, n’a pas bougé, mais pour qu’elle entende sa demande, il reprend à voix basse :
« La prochaine fois, amène moi à manger. Des poches de sang pour les vampires, des morceaux que tu iras chercher à la morgue de l’hôpital ou voler ici, je m’en fous. Je dois reprendre des forces, alors apporte moi à manger. Si tu le fais, je ferai mine de donner au cartel ce qu’il veut et quand j’aurai retrouvé toutes mes forces, je sortirai d’ici et je les tuerai. »
Elle hoche la tête. Elle se débrouillera pour redonner des forces à la fée, mais il ne faut pas que le cartel se doute de son double jeu.
« Sexta veut que tu joues au prisonnier docile, répond-elle sur le même ton. Elle veut que tu donnes des informations à Balam, même si elles sont fausses, elle s’en fiche, du moment que tu donnes l’impression de jouer le jeu. »
Elle lui rapporte tout le reste, les conditions de détention de Sira, le marché auquel est soumise Delta, ainsi que ce qu’elle sait du plan de Sexta pour faire libérer Titan.
« Balam est gentil, soupire June en changeant l’eau du baquet. Tu peux en profiter, il questionnera pas tes propos, et lui aussi, il pourra t’apporter de quoi reprendre des forces. »
Elle n’aime pas vendre la peau du guetteur, mais elle n’a pas le choix, et il l’a prouvé plus d’une fois : Balam pourra être un allié très utile, car même s’il ne partage pas les croyances des fées, il ne supporte pas de voir Candice enfermé ainsi. A la fée de se saisir de l’information et de l’opportunité, mais Balam est capable d’aller dans des endroits qui lui restent, à elle, inaccessibles.
« Il est en train d’écrire un rapport à Miiko Yamamura, parce qu’il pense que tu es malade. » lui révèle-t-elle.
Candice manque de passer ses nerfs sur les barreaux de sa cellule quand il apprend que Sexta a forcé sa mère à se soumettre. La rage se met à pulser dans son être mais pour le moment, il doit garder la tête froide. La tête et son corps tout entier. La chaleur des lieux commence à faire des ravages et s'il veut retrouver toutes ses forces, il doit retrouver le froid.
Le cartel veut qu'il se montre plus docile ? Bien, c'est ce qu'il va leur faire croire.
Levant les yeux vers June, il lance d'une voix tranchante :
« À manger pour la prochaine fois. C'est ta part du marché pour le moment. Maintenant, va chercher l'autre ozna. La chaleur commence à m'écraser et j'ai de plus en plus de mal à garder ce que je mange. S'il est si gentil, alors il va s'occuper de ça. »
June replace le baquet d’eau, puis, tout en songeant à la manière dont elle va se procurer de la nourriture, elle repart en direction du bureau de Balam. Elle ouvre la porte sans toquer et pare son visage d’une moue inquiète, alors que ses mains viennent triturer sa tunique.
« Je crois que tu devrais venir, l’interpelle-t-elle. T’as raison, il a pas l’air en forme, et quand il mange, il a l’air de vouloir vomir… »
L'ancien guetteur ouvre de grands yeux, mais hoche la tête. Il s'en doutait et si June l'a vu aussi, alors il pourra demander un aménagement de la cellule de la fée.
Balam se lève et quitte son bureau pour aviser lui-même les dégâts. En s'approchant des barreaux, il peut d'ores et déjà voir que Candice Milliget n'a presque pas touché à sa nourriture, ce qui est étrange, et est beaucoup plus pâle que d'habitude. Aussi, il ne se lève même pas pour lui crier dessus et le menacer avec sa trompe, mais se contente d'un regard assassin.
« Tu n'as vraiment pas l'air bien. » constate-t-il d'un ton très calme.
Candice lève les yeux au ciel. Il lui réplique des insultes cinglantes dans sa langue maternelle et quand son geôlier lui indique qu'il serait plus avisé de s'exprimer dans la langue commune, alors il réitère en crachant :
« Bravo, tu es médecin maintenant.
- Moi, non, mais toi tu l'es. Alors tu peux me dire ce qui t'arrive. »
La fée se redresse pour se mettre à genoux. Le visage de Balam le répugne et lui rappelle sans cesse qu'il a échoué par sa faute. Il regrette de ne pas avoir pu le tuer pendant la catastrophe et il espère pouvoir réparer cette erreur quand il sortira d'ici. Mais pour le moment, il a besoin de lui.
« Je vais t'expliquer les choses comme à un enfant pour que tu comprennes : je vis sous des températures extrêmement froides qui te tueraient. Mais ici, il fait beaucoup trop chaud et mon corps n'arrive plus à réguler sa température parce qu'il est dépassé par la chaleur trop forte. C'est pourquoi je commence à avoir des céphalées et des nausées, sans compter la fièvre. Tu as compris ou je dois te faire un dessin ? »
Balam laisse échapper un soupir. Malgré sa situation, la fée ne se défait ni de sa hargne, ni de son mauvais caractère. Néanmoins, elle reste un prisonnier important et si l'ancien guetteur doit demander un réaménagement de sa cellule avec de la glace éternelle, ça ne sera pas sans contrepartie.
« Je pense avoir tout saisi, répond-t-il d'un ton serein, et je peux te proposer une solution mais pour cela, il faudrait te montrer plus coopératif et répondre aux questions que l'on te pose. Je ne peux pas agir de mon propre chef si tu ne fais pas d'efforts.
- Si tu veux que je parle au Conseiller, alors tu peux me laisser suffoquer. » réplique Candice d'une voix aigre.
June a bien compris le message. La nourriture d’abord, et la docilité ensuite. Elle a une semaine pour rendre Candice coopératif aux yeux du cartel, et si elle revient en expliquant à Fuya que la fée a accepté tout de suite, la vampire n’y croira pas. Mais au moins, le dialogue est engagé, et elle est certaine que le guetteur va revenir à la charge.
Ce dernier semble réfléchir et quand il se détourne pour regagner son bureau, elle le suit.
« Je vais achever mon rapport aujourd'hui en ajoutant que j'ai pu établir un semblant de dialogue avec la fée, mais aussi faire mention de son état. Peut-être que Miiko Yamamura aura une solution à me proposer.
- C’est la première fois que je l’entends parler aussi longtemps, ment June avec aplomb. Au moins, c’est un début. »
Elle salue le guetteur de la main, parce qu’elle n’a rien à faire de plus, puis prend congé. A présent, il lui faut trouver un moyen de faire son rapport à Fuya de manière convaincante, mais surtout, un moyen de trouver de quoi manger à la fée sans se faire prendre par le cartel…
Rose ne connaît pas beaucoup Balam. À ses yeux, il est le guetteur bienveillant, affable et serein que tout le monde connaît et apprécie. L'elfe noir qui n'a jamais vécu dans sa cité natale et qui considère Eel comme un foyer dont il tient chaleureusement la porte pour accueillir les voyageurs de courte ou longue durée.
Du haut de sa petite personne, et observateur silencieux, Rose a toujours su que Balam était un ami important pour Valkyon. Nevra et lui l'ont soutenu lorsque son ancienne compagne, Shang Xia, était partie pour Ningjing et même si Rose n'a jamais été proche de l'ancien guetteur, il songe qu'il incarne ce que l'on attend d'une bonne personne.
S'il avait la capacité de voir les auras d'autrui, Rose est persuadé que Balam se compterait parmi les soleils, comme Nevra, Valkyon et Joseph. On apprécie de se trouver en sa compagnie, de le saluer, de lui adresser la parole et parmi des jours pluvieux ou de tristes heures, il pourrait revêtir le visage du réconfort.
Pourtant, Balam est fatigué. Rose le voit aux cernes qui soulignent ses yeux blancs ou même à ses cheveux rassemblés à la va-vite en une demie-queue de cheval.
L'ancien Second de l'Ombre est persuadé qu'être le geôlier de Maître Candice est une mission qui viderait n'importe qui de ses forces, avec les armes de la rage et du silence. Les rapports de Balam doivent être vierges des réponses attendues et c'est pourquoi il est là, aujourd'hui.
« Vous êtes pas obligé d'aller discuter, Rose, hein, lance Yëvet, en plus ça m'éviterait d'aller courir partout pour aller chercher la docteure Osgiliath. »
Certes. De plus, si Yëvet doit tourner les talons pour aller chercher Ewelein Osgiliath, alors Rose sera laissé seul avec Balam pendant un court laps de temps. Suffisamment longtemps pour dire quelque chose qui ne sera pas entendu des soignantes et pendant une évaluation mentale, cela pourrait être fâcheux. Mais Yëvet n'a pas le choix, parce que Rose accepte de parler avec Balam.
Si le silence est l'erreur de Maître Candice, elle ne sera pas la sienne. Même en nageant en eaux troubles et en se faufilant comme il le peut, le jeune vampire sait qu'il doit coopérer.
« Ça va aller. » répond-t-il d'une voix tranquille qui le surprend lui-même.
C'est peut-être parce que Valkyon est près de lui, peut-être parce qu'il lui a dit, plus tôt, qu'il veillait sur son sommeil. C'est aussi parce que c'est Balam Lefaucheur, que tout le monde connaît et que tout le monde apprécie. Balam Lefaucheur trop souvent surnommé "Balam Leguetteur".
Ce dernier à l'air surpris que Rose accepte si facilement la discussion et au creux de ses yeux opaques, l'ancien Second de l'Ombre croit y trouver une once de déception. Peut-être que c'est facile parce que Rose ne sait rien. Pourtant, Balam arbore un sourire poli et le remercie.
« Bon ben je vais chercher la docteure, soupire Yëvet, par contre vous venez avec moi pour lui répéter ce que vous m'avez dit. Je suis infirmière, moi, pas postière ! »
Pourtant et malgré le ton qu'elle emploie, Yëvet ne se défait pas de son air jovial et adresse un regard compatissant à Balam. Elle se doute qu'il ne joue pas les interrogateurs de son plein gré alors, quand elle l'invite, l'ancien guetteur lui emboîte le pas.
Rose les regarde quitter les lieux. Si on avait insisté pour que la discussion soit supervisée par Sadako Nakata, il aurait eu l'impression de filer tout droit vers la gueule d'un blackdog, mais avec Ewelein Osgiliath, il sait qu'elle ne fera que son travail de médecin. Il se sent rassuré.
Derrière lui, quelqu'un souffle par le nez et quand il se retourne, c'est pour voir Valkyon fixer l'endroit où Balam et Yëvet ont disparu. Le grand faelien, perdu dans ses pensées, met un instant à réaliser qu'il est observé et lorsqu'il surprend son admirateur silencieux, ce dernier détourne subitement le regard.
Un moment de flottement, et Valkyon constate d'une voix sereine.
« Ça ne lui va pas. »
Rose arque un sourcil, se demandant de quoi il veut bien parler, mais l'ancien Chef de l'Obsidienne n'en dit pas plus. Le jeune vampire fixe son profil, se redresse sur les oreillers, joint les mains pour regarder ses doigts se plier puis se déplier, hésite et finalement, demande un timide :
« Pardon ? »
Quand Valkyon le regarde, Rose a l'impression qu'il est capable de lire en lui. Qu'il est capable de comprendre pourquoi lui parler lui demande de l'adresse, comme s'il maniait un objet très fragile et précieux. Qu'il sait ce que Balam va lui demander et qu'il a même le pouvoir de discerner les souvenirs les plus enfouis de son être. Ça et la façon dont Rose voit Valkyon.
Pourtant, il arbore son air tranquille qui lui sied toujours et désigne la porte des lieu du menton :
« Je parlais de Balam, s'explique l'ancien Chef de l'Obsidienne, je pense que sa nouvelle fonction ne lui va pas. Balam n'est pas fait pour mener des interrogatoires ou même surveiller des prisonniers. »
Surtout une fée particulièrement dangereuse qui se nourrit de viande faelienne. Valkyon a raison, Balam n'est pas fait pour ce genre de tâche, mais il l'a choisi malgré lui. Voilà ce qu'il en coûte, de défier Leiftan Tuarran.
« Je ne le connais pas très bien, répond Rose d'un ton monocorde.
- Il n'y a pas besoin de le connaître pour le voir, sourit Valkyon, Balam est peut-être pudique, mais il est facile de lire en lui. »
Rose rentre la tête dans les épaules. Il ne sait pas vraiment ce que l'ancien Chef de l'Obsidienne veut dire par là, mais il se contente de hocher la tête comme s'il avait compris.
Pourtant, une question lui brûle les lèvres. La réponse ne lui importe pas, pas vraiment, mais un combat se joue au fond de ses entrailles. Une partie de Rose veut savoir si Valkyon lui adresse quelque chose dans une discussion à double-sens et une autre partie argue que tout ceci n'en a pas, tout comme cette conversation. Rose ferme brièvement les yeux, puis cesse de penser :
« Qu'est-ce que vous voyez, chez lui ? »
La question a eu du mal à quitter ses lèvres et il a dû se faire violence, mais il a parlé et c'est tout ce qui importe. Ça en valait la peine.
« Je vois ce qu'il montre à tout le monde sans s'en douter une seconde. Une capacité à voir le bon même chez la plus sauvage de toutes les créatures. »
Oui, sûrement. Et c'est d'ailleurs ce qui a mené Balam là où il est, parce qu'il a voulu la clémence pour celui qui a failli le tuer et qui a détruit la cité toute entière. C'est noble, mais ça ne le sauvera pas.
« C'est une bonne chose, répond Rose en fixant ses mains.
- Ça dépend des esprits. »
Des esprits ? Lesquels ? Le jeune vampire plisse ses yeux opalins, perplexe, mais Valkyon ne dit plus rien. Il doit songer à Balam, qui est malheureux dans son nouveau travail et Rose imagine sans mal qu'être celui qui devra assumer toutes les fautes de Maître Candice, s'il en commet derrière les barreaux, doit peser lourd sur les épaules.
Comment Valkyon voit-il la capacité de Balam, avec ses propres yeux ? Il n'aura peut-être pas sa réponse de sitôt, car des éclats de voix résonnent dans le couloir et lorsque la porte se pousse, Balam et Yëvet apparaissent en compagnie de la docteure Osgiliath.
Toujours aussi digne dans ses longues robes, elle arbore son éternel chignon impeccable ainsi qu'un charisme imperturbable.
« Monsieur Clarimonde, le salue-t-elle, vous avez accepté un entretien avec le membre de la Garde Étincelante ici présent. Puisque vous êtes sous évaluation mentale, je vais devoir assister à votre conversation. »
Rose hoche la tête. Il préfère que ce soit elle, plutôt que Sadako Nakata. Cette dernière n'appréciera probablement pas d'apprendre qu'une discussion avec le geôlier de Candice Milliget a eu lieu sans sa présence, mais il s'en moque.
Ewelein Osgiliath ajoute que l'entretien se tiendra dans une salle appropriée avant de demander à Yëvet de déplacer Rose sur un fauteuil à roulettes. Ensuite, Ewelein le conduira elle-même et le jeune vampire sait qu'il retrouvera la grande pièce qui l'a entendu dire qu'il voulait mourir.
Il le voulait.
Quand Yëvet manipule ses jambes brisées avec précaution afin de l'asseoir dans son fauteuil, son regard croise celui de Valkyon. Il ne lui faut qu'une seconde pour ressentir la plénitude que lui offre sa présence.
Je voulais, mais je ne veux plus.
« Valkon, l'interpelle Balam d'une voix amicale, je passe vous voir tout à l'heure. J'ai apporté une infusion d'asphodèle.
- Vous savez comment parler aux grands blessés. » sourit le Chef de l'Obsidienne.
Et malgré la fatigue qui se lit sur son visage, Balam est content d'être à l'hôpital. C'est comme une bouffée d'air frais, hors de son enfer, alors après sa besogne, il aura grand besoin d'une conversation avec Valkyon, autour d'une infusion d'asphodèle.
Comme Rose s'en était douté, la discussion aura lieu dans la grande salle où s'était déroulé son précédent interrogatoire. Un frisson lui court le long de l'échine quand il repense à cette explosion d'émotions qui avait ravagé ses entrailles, puis sa poitrine éteinte depuis longtemps mais cette fois, il pense que Balam ne sera pas là pour le disséquer.
Arrivés sur les lieux, Ewelein s'installe derrière le petit bureau et invite l'ancien guetteur à faire de même. Rose leur fait face dans son grand fauteuil à roulettes et enfin, la docteure Osgiliath prend la parole, ses yeux bleus dans les siens :
« Monsieur Clarimonde, pour la discussion d'aujourd'hui, je suis là en tant que votre médecin. Monsieur Lefaucheur ici présent a des questions à vous poser en rapport avec le drame de la cité d'Eel, qui a eu lieu, mais puisque vous êtes sous évaluation mentale, vous n'êtes pas tenu de répondre à toutes ses questions. Je n'interviendrai qu'en cas de besoin. Est-ce que c'est clair pour vous ?
- Oui. »
Rose fixe Balam. L'ancien guetteur met quelques secondes à réaliser qu'il est invité à entamer la discussion et le jeune vampire songe que Valkyon a raison quand il dit qu'il est facile de lire en Balam : il n'est pas fait pour les interrogatoires ni les enquêtes et à vrai dire, il ne sait même pas par où commencer. Il croise les bras sur le bureau et dans la pièce monochrome, sa tunique azur ressemble à un morceau de liberté.
« Comment vous vous sentez ? » demande-t-il à Rose.
Ce dernier est surpris par la question. Il s'était attendu à ce que Balam se présente, même brièvement, avant de lui exposer les raisons de sa venue ainsi que le sujet de son interrogatoire. Mais pas s'enquérir de son état de santé.
« Ça va. » répond Rose, incertain.
Ewelein est attentive. Cependant, elle semble moins rigide que lors de l'entretien avec Sadako Nakata. C'est sûrement le calme émanant de la silhouette de Balam qui parvient à rendre la pièce moins austère et la liberté de la fenêtre plus présente.
La discussion est moins pénible, aussi.
« Tant mieux. La catastrophe a été très difficile pour tout le monde et la reconstruction sera longue. »
La reconstruction de la cité, la reconstruction des esprits traumatisés… Oui, Rose voit où il veut en venir. D'ailleurs, Balam a fait partie des personnes qui se sont tenues au plus près du danger et le jeune vampire ignore s'il sait masquer sa douleur comme un grand guerrier ou bien s'il en est dénué. Rose en doute.
Le silence s'installe et l'ancien guetteur semble chercher ses mots. Le jeune vampire s'attend à tout moment à ce qu'il aborde le sujet dont il est venu parler et qu'il mette en lumière l'accusation d'adoration des fées.
Sauf que Balam n'est pas Sadako. Il est le membre de l'Étincelante qui repousse son statut, s'adosse contre le dossier de sa chaise et croise les bras sur la poitrine :
« J'aimerais compléter les informations que je possède avec les vôtres, si vous le voulez bien, Rose.
- Vos informations ? demande l'ancien Second de l'Ombre, perplexe.
- Quand les Milliget sont venus en visite de courtoisie à la cité d'Eel, les Mircalla ont tenu à ce que plusieurs gardiens de l'Ombre montent la garde devant leur bateau. Aussi, j'imagine que ce sont les meilleurs éléments de l'Ombre qui se sont occupés des Milliget. »
Oui, il a raison. Les Mircalla ont voulu briller lors de cette fameuse visite qui cachait, en réalité, un autre but. De ce fait, plusieurs gardiens, dont Rose lui-même bien entendu, ont gravité autour des fées jusqu'au jour de la catastrophe.
« C'est exact, répond Rose en plissant ses yeux opalins.
- Tant mieux, sourit Balam, je n'ai rencontré les fées qu'une seule fois. C'est difficile pour moi de me faire une idée de qui elles sont. »
Il était guetteur, simplement guetteur. Pourtant, on lui a demandé de venir accueillir les Milliget lors de leur arrivée, avec Nevra Mircalla, Leiftan Tuarran et Joseph Ael Diskaret.
Balam se met à raconter comment elles étaient et comment il les a perçu. Du grand bateau glacé qui est une merveille de curiosité, elles étaient quatre à le quitter et au départ, puisqu'il ne pouvait pas voir leurs visages, Balam s'est fié à leurs mains avant de connaître leurs noms.
Mains Pâles, Mains Irisées, Mains Blafardes et Mains Pêches.
Il se souvient de leurs ailes qui se sont mises à vrombir quand les fées ont quitté leur navire et comment leur éclat jurait avec la nuit. Il n'avait jamais vu cela. Il se rappelle de leurs voix, du froid mordant qui émanait de leurs corps, de leurs voiles et de la manière dont une barrière chimérique s'est dressée entre eux, peuple du Grand Exil et celui de l'Eldarya originelle.
« Il y avait la mère, raconte Balam, puis ses trois enfants. »
Il s'interrompt, cherche une information dans son esprit en fixant un point invisible sur le sol, de ses yeux opaques, puis plonge dans le regard de Rose en énumérant :
« Delta, Shelma, Sira et Qenndys... »
Les doigts pâles de Rose serrent les accoudoirs du fauteuil alors qu'il s'empêche de ciller. Il déglutit le plus silencieusement possible, maîtrise sa respiration et tâche de hocher la tête comme s'il suivait religieusement l'histoire de Balam.
Ewelein, elle, assiste à l'échange avec vigilance.
« Celui qui est enfermé à la prison d'Albacore et dont j'ai la responsabilité, complète l'ancien guetteur.
- Qui ? souffle Rose.
- Qenndys.
- Qenn... Candice… »
Ne pas montrer l'accent de la langue des fées. Ne pas dire "Maître" car derrière son récit, c'est ça qu'il est venu chercher. Balam veut savoir si c'est vrai. Si Rose a réellement servi les fées en tant qu'adorateur, de dava et s'il détient des informations précieuses.
Et le jeune vampire, lui, se demande comment il a entendu le prénom de son prisonnier avec l'accent de sa langue maternelle.
Maître Candice ne se serait jamais présenté. Maître Candice ne lui aurait jamais adressé la parole, ni à lui, ni à June qui travaille à la prison. Alors comment ?
Les mots de Valkyon lui reviennent à l'esprit, avec la capacité de Balam a voir le bon même chez la plus sauvage de toutes les créatures. Mais malgré un talent comme celui-là, l'ancien guetteur ne peut et ne pourra jamais dompter Candice Milliget, s'il cherche réellement à le dompter pour remplir ses rapports.
« Qu'est-ce que vous savez sur Qenndys Milliget, s'il vous plaît, Rose ?
- Vous n'êtes pas tenu de répondre, Monsieur Clarimonde, intervient la docteure Osgiliath.
- Je n'en sais pas plus que vous. » ment Rose.
Il ne veut pas raconter à Balam sa propre fable avec Sexta Stoker qui aurait pactisé avec Maître Candice. Il peut mentir à Sadako, parler peu devant Balam.
Ce dernier peut user de stratagèmes comme ce qu'il est en train de faire, à attiser la curiosité de Rose avec un accent qui est difficile à entendre, si on n'est pas une fée ou un dava et le jeune vampire admet que la tentation est grande. Comment ?
« Pourtant, j'imagine que la famille Mircalla a dû vous apprendre quelques informations pour assurer dignement la venue des Milliget.
- Nous avions simplement nos ordres.
- Vous savez quelle question je me pose tous les jours depuis que je ne suis plus guetteur ? »
Rose lève la tête. Quand il regarde les yeux blancs de Balam, comme deux fenêtres vers une brume éternelle, il y discerne plusieurs lueurs. Il y a de tout, sauf le pouvoir de la persuasion, parce que l'ancien guetteur demande, mais n'exige rien.
En haut, le souvenir, en bas, le doute, au centre, l'appel du savoir et en périphérie, l'absence de jugement. Puis derrière, loin derrière, la sérénité acquise avec une vie simple ainsi qu'une expérience discrète, sans couleurs et certainement livrée à une poignée d'âmes venues se greffer à sa vie.
« Pourquoi une seule fée a attaqué la cité d'Eel ? tente Rose.
- Qu'est-ce qui a pu provoquer une haine si grande, chez une seule fée, pour aller jusqu'à faire tomber une cité et briser des vies afin de prendre celle d'un seul homme. »
Le jeune vampire ouvre de grands yeux. Quand il l'observe, avec son visage fatigué, il avise que Balam Lefaucheur n'est plus guetteur, mais n'est pas membre de la Garde Étincelante non plus. Malgré la lourde responsabilité qui pèse sur ses épaules, il continue le voyage de sa sobre vie, quitte à s'attirer la colère de Leiftan Tuarran qui n'aura pas de réponses arrachées dans la douleur, dans les rapports de Balam.
« D'après vous, Rose, qu'est-ce qui a pu provoquer la haine chez Qenndys Milliget ?
- Monsieur Lefaucheur, mon patient est sous évaluation mentale et ce genre de question n'est pas appropriée. »
Si, elle l'est. C'est une question intéressante et si Rose en connaît la réponse, il ignore ce que Balam en ferait. Ce serait comme lui remettre un fragment du royaume des fées entre les mains en espérant qu'il ne le transforme pas en arme en le confiant à Leiftan Tuarran.
L'ancien guetteur se tourne vers Ewelein Osgiliath en lui demandant d'un ton amène :
« Serait-il possible de laisser Rose Clarimonde choisir de répondre à ma question ? Elle est importante et j'aimerai la maintenir.
- Bien entendu. Seulement, ses réponses ne pourront figurer dans aucun de vos rapports et je vais devoir adresser une missive au Conseiller Tuarran afin d'en demander l'accès à la lecture.
- Je vois. »
Cette condition n'a pas l'air de déranger Balam et Rose pense qu'il doit bien se moquer du nombre d'yeux ayant l'autorisation de lire ses rapports. Ce n'est pas ce qui est important, cela se lit sur son visage.
Cela se lit sur son visage. Ce qui est important, c'est de savoir d'où vient la haine et pourquoi elle a brisé une cité et des vies pour une seule, juste une seule.
Balam a failli mourir de la main de Maître Candice et Rose sait que quand il a raconté ce qui lui est arrivé à Valkyon, quand il dormait profondément d'un lourd sommeil semblable à la mort, il disait qu'il avait vu le danger de très près.
Alors en cet instant, Rose se demande ce qu'il a bien pu lire, dans les yeux de Maître Candice.Qu'est-ce qui a bien pu provoquer la haine ?
Les Choix
Rose est actuellement en plein entretien avec Balam Lefaucheur, venu chercher des informations sur les fées et Candice Milliget. La conversation se déroule sous la vigilance d'Ewelein Osgiliath en sa qualité de docteure et responsable de l'évaluation mentale de Rose.
Durant l'entretien, Balam pose cette question : qu'est-ce qui a pu provoquer la haine chez Candice Milliget ?
Aussi, il prononce le prénom de Candice avec l'accent de la langue des fées et Rose se demande comment il a bien pu l'entendre, car il doute que Candice ait pu prononcer son nom avec l'accent de sa langue maternelle.
Que doit-il faire ?
➜ Répondre à la question en disant la vérité.
➜ Répondre à la question en disant la vérité et prononcer le prénom de Candice en utilisant l'accent de la langue des fées.
➜ Choisir de ne pas répondre à la question et en avertir Ewelein Osgiliath.
➜ Répondre à la question en inventant un mensonge.
➜ Nier en disant que l'on ne sait rien.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a choisi de pactiser avec Candice Milliget. Elle doit lui ramener de la nourriture si elle veut qu'il continue de jouer le jeu pour le cartel jusqu'à ce qu'il retrouve assez de force pour s'échapper de la prison. Bien entendu, le cartel ne doit se douter de rien.
Cette fois, Balam est absent de la prison pour un court instant, alors c'est le moment de passer à l'action avant qu'il revienne !
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Chapitre posté assez tard, et j'en suis navrée, mais à la bonne heure !
Vous allez pouvoir y lire les conséquences direct de votre choix, en faire un nouveau bien évidemment et à voir si ovus allez déclencher un choixcharnier dans le chapitre suivant ou non ! B)
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 12 - Pour Les Siens
Absence de Balam à la prison d'Albacore
June ne prête même plus attention au chemin qui la mène dans l’antre de la prison d’Albacore. Elle le connaît par cœur, et ce ne sera pas difficile de le retracer pour le cartel, alors elle profite de ces quelques instants de répit pour souffler. Quand le maître des Arcanes la laisse seule, elle se dirige naturellement vers le bureau de Balam pour saluer le guetteur.
Son poing toque à la porte, mais devant l’absence de réponse, elle fronce les sourcils, jette un regard intrigué à la cellule de Candice dans laquelle la fée est toujours seule, puis elle pousse le lourd panneau pour rentrer dans le bureau.
« Balam ? »
Aucune réponse, alors elle hausse les épaules et s'apprête à repartir quand ses yeux capturent un morceau de papier, visiblement posé là à son intention. June s’approche, et constate que le guetteur, conscient de ses problèmes de lecture, a fait en sorte de bien espacer les mots et d’écrire lisiblement, ce qui lui arrache un léger sourire. Balam, prévenant, comme à son habitude.June,
J'ai un rendez-vous important. Je ne serai pas long. La nourriture se trouve dans le bac, comme d'habitude. N'oublie pas de changer l'eau du tonneau.
Dès que tu as fini, tu peux partir.
Balam
Déchiffrer le mot lui prend tout de même de longues minutes, mais une fois qu’elle a terminé, elle a un instant d’incrédulité. Ça revient à lui offrir ce dont elle a besoin sur un plateau ! Immédiatement, June pose le papier et sort du bureau pour se rendre devant la cellule de Candice. Dans le bac, il n’y a toujours qu’un avant-bras, mais avec l’absence de Balam, elle va pouvoir offrir un peu plus à la fée enfermée. La jeune femme s’approche des barreaux et s’accroupi en baissant la voix, l’urgence dans son ton mûe par l’éventualité que Balam revienne plus vite que prévu.
« Psst, Hekhelem. Combien de membres est-ce que tu peux boulotter avant de plus avoir faim ? demande-t-elle. Et est-ce qu’il y a de quoi cacher du surplus dans ta cage ? »
Une main moite s'abat sur les barreaux de la cellule pendant qu'un corps fiévreux se traîne péniblement sur le sol. Pourtant, Candice se met péniblement sur ses pieds et toise June de son regard métallique :
« Tu en as mis du temps ! grogne-t-il, ça fait un moment que l'autre ozna est parti en se sentant obligé de me dire qu'il ne serait pas long ! »
De toute manière et avec le sang qui cogne contre ses tempes, Candice n'a pas vraiment prêté attention à ce qu'il disait. Il doit se maîtriser s'il veut garder la nourriture dans son estomac, mais cela devient de plus en plus difficile. Serrant les barreaux entre ses mains, il ajoute avec fiel :
« Où crois-tu que je vais cacher de la nourriture ? Sous ma robe ? Ou dans la trappe qui me sert de latrine ? Non, je vais devoir tout manger le plus rapidement possible. »
Et pour ce faire, il a besoin de retrouver le froid de sa contrée natale. Pas assez longtemps pour faire baisser la fièvre de façon définitive, mais au moins de quoi pouvoir manger sans avoir envie de vomir. Ce sera une soupape pour son corps.
Désignant le bureau de Balam d'un geste du menton, Candice achève :
« Donne-moi trois autres membres et apporte-moi une caisse de glace éternelle. Je sais que l'autre abruti en a dans son bureau puisqu'il voulait redécorer ma cellule avec ça. Je les garderai juste le temps de manger et après, tu les reprendras. Dépêche-toi avant qu'il arrive ! »
Elle lui adresse un sourire mauvais. L’idée de le voir rendre son déjeuner est tentante, juste pour qu’il ravale un instant sa suffisance, mais elle garde ses remarques acerbes pour elle et elle file dans le bureau de Balam. Là, elle ne peut s’empêcher de maugréer en imitant Candice d’une voix haute perchée, en roulant des yeux et en agitant les mains le temps de trouver les caisses.
« Foutus fées. » grogne-t-elle.
Elle trouve ce qu’elle cherche, attrape l’une des caisses et sursaute quand le froid de la glace se communique jusqu’à ses doigts. Voilà bien quelque chose qu’elle déteste… En prenant sur elle, June repart dans l’autre sens et place la caisse, ainsi que l’avant-bras déjà prévu, dans le bac. Elle actionne la poignée, et adresse une nouvelle grimace dédaigneuse à Candice.
« La suite arrive, ta majesté.
- Formidable, répond la fée Milliget sur le même ton avec un faux sourire, magnes-toi. »
Puis il se détourne de June pour s'occuper de la caisse de glaces éternelles et ainsi, se repaître du froid qui lui a tant manqué. La jeune femme lui adresse à peine un regard en obéissant, non sans imaginer mille et une façon de noyer Candice dans son bac à latrine.
Elle emprunte le couloir qui mène à l'abattoir. Les effluves qui s’en échappent lui tirent une grimace, mais elle continue d’avancer jusqu’à pousser la lourde porte qui la sépare du garde-manger personnel de Candice, où elle pénètre pour la première fois.
Elle se couvre le nez et la bouche quand l'odeur l'attrape et elle comprend pourquoi Balam enfile une blouse avant de s'y rendre, tant le sang et le sel doivent coller à la peau et aux vêtements.
June sait que que la pièce du fond sert de petit passage entre la grande salle d'exécution, puis de préparation ainsi que le garde-manger. Là-bas, le boucher prépare la viande dès qu'il l'a abattue et June a déjà entendu dire qu'il prenait un malin plaisir à travailler pour nourrir une fée.
Quand elle observe les morceaux présents dans le garde-manger, entreposés dans des tas de sel, elle réalise qu'ils comportent tous un petit parchemin avec des numéros. Parchemins que Balam doit enlever quand il prépare la ration de Candice. Si certains numéros manquent, cela se verra.
June doit donc se rendre jusqu'à la grande salle des exécutions et tâcher de récupérer des morceaux que le boucher n'a pas encore préparés, en espérant qu'il soit absent. Elle grogne, insulte mentalement la garde d’Eel et leurs plans qui ne l’arrangent pas, puis elle attrape une blouse et se faufile dans le petit passage en tâchant de ne faire aucun bruit. Ses pensées se focalisent sur le boucher : si elle avait dû faire son travail, elle aurait demandé bien plus qu’une vie facile à Odrialc’h ! Heureusement qu’elle n’est pas très sensible aux odeurs, autrement, elle aurait dû s’arrêter plus d’une fois pour rendre son propre repas.
La salle d’exécution se dessine, et June ralentit, en priant l’Oracle, ou toute autre divinité que le boucher en soit absent.
Le rouge omniprésent lui pique les yeux alors que ses oreilles se tendent, guettant le moindre bruit lui indiquant la présence de l'imposant ogre. June peut le revoir, avec son tablier taché, son crâne chauve et sa peau sale luisants de sueur alors qu'il peut rire de la peur qu'il inspire. Fort heureusement pour elle, il ne quitte pas beaucoup son lieu de travail.
Quand elle se rend dans la salle d'exécution, son œil améthyste capte des crochets sur lesquels on a suspendu des corps et des membres fraîchement abattus pendant que son cerveau lui donne l'alerte en entendant des coups de couperets dans de la chair fraîche. June déglutit.
Le boucher est en train de travailler sur sa longue table répugnante, non loin de la salle d'exécution. Quand il aura terminé, il ira entreposer les morceaux coupés dans les tas de sel, avant de les numéroter.
Si June veut récupérer deux ou trois membres suspendus aux crochets à viande, elle doit faire vite.
Elle prend une grande inspiration, regrette immédiatement son geste, ravale sa toux et ne réfléchit pas. Sa petite taille, d’ordinaire pratique pour les opérations de ce genre, lui arrache une nouvelle flopée d’insultes mentales, car les crochets sont suspendus très haut. Le cœur battant sous l’effet de l’adrénaline, elle file jusqu’aux membres accrochés, referme la main sur un poignet et une cheville, avant de tirer. Le mollet et l’avant-bras lui tombent dessus, quelques morceaux de chair viennent s’accrocher dans ses mèches cendrées, et elle à un haut-le-cœur silencieux. Un autre poignet vient rejoindre le premier. Aujourd’hui, Candice mangera des membres supérieurs, et il n’aura pas intérêt à râler sur la nourriture. Sans un regard derrière elle, pour ne pas perdre de temps, June se détourne des crochets sanglants et bondit jusqu’au couloir, en espérant qu’aucune voix ne vienne l’arrêter dans son chapardage.
Elle traverse la grande salle, gagne la petite pièce et atteint le garde-manger sans encombre. Les battements affolés de son cœur résonnent douloureusement dans son cerveau, mais pas moins que les pas lourds se traînant sur un dallage incrusté de rouge, plus loin. Il y a un sifflement aussi. Le boucher va venir entreposer les morceaux qu'il a travaillé, alors June doit rejoindre Candice au plus vite et tous deux doivent rester les plus silencieux possible.
Si le boucher entend quelque chose de suspect, il viendra. Elle s’empresse donc de reposer sa blouse, agrippe tant bien que mal les membres en oubliant qu’ils sont des morceaux de personnes, puis rejoint la cage de la fée. Pour ne pas utiliser la trappe, dont le bruit pourrait attirer le boucher, June s’accroupit de nouveau et pose la nourriture de Candice à travers les barreaux.
« Le déjeuner de monsieur, singe-t-elle à voix basse. Essaie de pas faire trop de bruit en mangeant, autrement on risque d’avoir de la visite. »
Puis elle attrape la corde du tonneau d’eau, qu’elle s’empresse de tirer comme si de rien n’était pour en changer le contenu et cacher les bruits de mastication.
Et même si June l'a déjà vu manger, elle ne peut pas s'empêcher de grimacer face au spectacle ignoble de la fée Milliget qui se jette sur la nourriture. Visiblement, le froid l'a revigoré et lui a rendu un petit peu de fougue, même si son visage est toujours fiévreux.
Candice ouvre grand la bouche et se disloque la mâchoire afin de faire sortir sa trompe. là, il crève la chair pour pomper le sang dans des bruits infâmes, avant de la déchirer à pleine dents pour engloutir certains morceaux sans les mâcher, réprimant des hauts-le-cœur. La faim est tellement grande qu'il se met même à ronger les os pour récupérer le moindre bout de chair, poussant des grognements bestiaux comme une créature sauvage animée par la prédation.
Quand il a terminé, il s'essuie la bouche pour retirer le sang, puis il se redresse avec moins de peine. Là, il fixe June et arque un sourcil :
« Tes cheveux. Tu as des morceaux. »
Elle vient de finir de remplir le tonneau d’eau, et s’apprête à le renvoyer d’où il vient. Machinalement, June porte la main à ses mèches et en ressort un petit bout de chair, qu’elle jauge d’un regard dégoûté.
« C’est la nouvelle mode, à Albacore, couronne de morceaux de gens, ironise-t-elle. Vous avez pas ça, chez vous ? »
Elle penche la tête et secoue ses cheveux, puis ramasse soigneusement tous les morceaux qui forment un petit tas dans sa paume, qu’elle montre à Candice en arquant un sourcil.
« Je les jette ou tu les manges ?
- Tu me prends pour un vide-ordure, miyina ? Tu sais où tu peux te les mettre ou tu veux une irrigation colonique ? »
Néanmoins les pupilles de la fée se dilatent à la vue de la chair sanglante et la fée Milliget songe qu'aussi petits soient-ils, de la nourriture reste de la nourriture. Désignant la caisse de glaces éternelles du menton, qu'il a repoussé vers la trappe, il ajoute :
« Remets ça à sa place et donne ce que tu as dans la main. »
June retient un ricanement, certaine que si elle montre ne serait-ce qu’une miette d’arrogance, Candice n’hésitera pas à lui percer la main avec sa trompe. Le visage de marbre, elle échange les morceaux de chair contre la caisse de glace, et une fois éloignée de la cage, adresse une parodie de révérence à la fée.
« Si Hekhelem est satisfait de son repas, miyina va retourner dans son humble demeure en réfléchissant à un autre moyen de continuer de nourrir sa majesté, lâche-t-elle avant de reprendre plus sérieusement. Maintenant que j’ai rempli ma part, et en attendant la suite, essaie d’être plus gentil avec Balam, histoire de nous faciliter la tâche, Hekhelem.
- Je ferai… »
Mais le bruit d'une lourde porte que l'on repousse lui fait écarquiller les yeux alors qu'il tourne machinalement la tête vers le garde-manger. Un grondement enfle sur sa gorge, puis il crache à June d'un ton saccadé :
« Dégage ! Va dans le bureau avec ça ! Casse-toi ! »
June a a peine le temps de comprendre que son corps agit de lui-même quand un sifflement se fait entendre, avec des pas lourds, traînés sur le sol. Quand elle voit le boucher apparaître dans la pièce, elle blêmit et file s'enfermer dans le bureau. Là, par la porte entrebâillée, elle peut l'observer fixer Candice d'un regard torve.
La fée, elle, s'est ramassée sur elle-même, la mâchoire disloquée et la trompe dehors, pour pousser un hurlement strident. Mais tout ce qu'elle récolte, c'est un rire malsain. Le boucher toque contre les barreaux, comme s'il cherchait à attirer l'attention d'un familier, avant de chantonner d'une voix rocailleuse :
« Petite fée, dans sa cage, a trop chaud mais heureusement, papa Yött lui coupe de beaux morceaux. »
Il s'interrompt, émet des bruits de bouche dégoûtants pendant que Candice lui montre les dents en grondant, le menaçant avec sa trompe.
« Ton geôlier aime pas bien que je te rende visite, lance le boucher, mais vu qu'il est pas là, je peux aller voir la bête que je nourris. »
Il rit et continue de tapoter sur les barreaux.
« T'as chaud, bichette ? Enlève ta robe, alors. Montre ce que t'as en dessous. Il paraît que les fées, vous êtes pas faites pareil que les autres. Fais-donc voir. »
Mais tout ce qu'il récolte, c'est un poing rageur contre les barreaux. Le boucher devait s'adonner à ce genre de visite malsaine régulièrement, quand Balam s'en va. Cela devait l'amuser de voir Candice s'acharner contre lui sans pouvoir l'atteindre pourtant, quand les barreaux gémissent sous la puissance du coup, tremblent dangereusement en donnant l'impression de se briser si la fée recommence, il fait un pas en arrière. La peur passe sur son visage pendant une fraction de seconde, avant qu'il se remette à cracher :
« Calme-toi, bichette, je veux juste regarder. Je t'avais même amené un petit morceau, regarde… »
Il tire un bout de chair sanguinolente de son tablier et se met à l'agiter devant la cellule de Candice en lui intimant de donner la patte, de faire le beau et de lui manger dans la main. Le boucher lui flatterait la tête et lui gratterait la nuque comme un bon petit familier.
« Je sais pas s'ils vont t'exécuter, lâche-t-il avant de s'en aller, mais si c'est le cas, je suis censé faire ça vite. C'est dans la loi pour les faeliens. Mais toi, t'es pas faelien, non ? »
Avec un sourire sinistre, le boucher tourne les talons en sifflotant pour regagner son antre qui pue le sang et la mort. June, elle, referme la porte sans un mot, puis elle regagne l’extérieur sans pouvoir s’empêcher, malgré elle, de ressentir une pointe de compassion pour le petit roi enfermé dans sa cage.
D'après vous, Rose, qu'est-ce qui a pu provoquer la haine chez Qenndys Milliget ?
Son cœur s'accélère et sa gorge est sèche. Il se sait au seuil d'un carrefour, il doit choisir une direction à emprunter et il hésite. Il lève son regard opalin pour se confronter aux prunelles opaques de Balam et quand il y plonge, il y retrouve la neige des Terres Gelées du Grand Nord. Il y retrouve aussi Rhenia-Gaear, la cité austère qui n'apprécie pas les étrangers, mais qui s'honore de recevoir les Milliget quand ils daignent quitter leur royaume interdit, que seuls des yeux de fées peuvent se targuer d'observer. Balam n'a jamais mis les pieds dans sa cité natale, Rose le sait. Il n'en a jamais ressenti le besoin non plus, mais s'il avait pu se rendre au moins une fois devant la frontière des Milliget, qu'est-ce qu'il en aurait pensé ?
« Vous n'êtes pas obligé de répondre à cette question, Monsieur Clarimonde. » répète Ewelein Osgiliath.
Non, il n'est pas obligé. Il pourrait s'exprimer et dire qu'il ne veut pas, que cette discussion l'épuise mentalement et qu'il aimerait retourner dans son lit d'hôpital. Seulement, serait-il capable de se regarder en face, après ça ? Rose sait d'ores et déjà que non.
Quand il regarde Balam, il ne trouve pas un ennemi en lui. Il y a toujours cette noblesse d'esprit qui se lit sur son visage ainsi qu'une sagesse qui ne devrait pas marquer les traits d'un trentenaire. Mais Balam a toujours été ainsi et si la tâche qui lui incombe aujourd'hui est difficile, Rose songe que c'est peut-être bien pour Maître Candice. Il imagine sans mal que Leiftan aurait profité de sa perte de puissance pour l'affamer plus que de raison et le torturer.
Alors en cet instant, Rose se demande ce que Balam ferait, s'il apprenait la raison pour laquelle la fée Milliget a attaqué la cité d'Eel et tenté d'assassiner le Conseiller.
« Vous n'en avez pas une idée ? demande Balam d'un ton très calme.
- Monsieur Lefaucheur, intervient Ewelein, je ne peux pas vous laisser insister.
- Si. »
Sa bouche a parlé plus vite que son esprit. Rose se connait assez pour savoir qu'il a agit avant de regretter et même si la médecin en cheffe ouvre de grands yeux, face à son aveux, le jeune vampire se redresse sur sa chaise roulante et met de l'ordre dans ses idées. Il n'est pas assez idiot pour faire voler les mensonges prononcés face à Sadako Nakata et perdre Sexta comme couverture, mais il se refuse de mentir à Balam.
L'ancien guetteur n'est ni Odrialc'h, ni Leiftan.
« Pour les siens. »
Il s'attendait peut-être à par vengeance, par caprice, pour soumettre ceux qui ne lui ressemblent pas, par conquête ou par mépris et à vrai dire, il y a un petit peu de tout cela. Mais au fond de lui, ça a toujours été pour son peuple et sa famille.
« Pour les siens ? » répète Balam.
Rose hoche la tête. Une partie de lui est persuadée qu'il fait une erreur pourtant, face à l'ancien guetteur, il ressent moins la crainte de tout perdre en un claquement de doigts, parce qu'il aura avoué l'inavouable. Balam n'est pas en train de le juger, il est d'ores et déjà en train d'aligner ses idées pour donner un sens à deux faits qui ne s'accordent pas : la fée Milliget faisant tomber la cité d'Eel et essayant de tuer le Conseiller et tout cela pour les siens.
« Les siens, son peuple, sa famille… C'est toujours pour cela qu'il ferait des choses pareilles.
- C'est lui qui vous l'a dit ?
- Oui. »
L'ancien guetteur souffle par le nez. Ses yeux blancs se plissent alors qu'il semble faire du tri dans ses souvenirs et Rose pense qu'il doit passer en revue le soir de l'arrivée des Milliget, à Eel. Il sait qu'il a raison lorsque Balam évoque un fait qui l'avait surpris :
« Quand on m'a demandé de me rendre au port du Prisme pour l'arrivée des Milliget en tant que diplomate, je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. Mais ce que j'ai pu observer, c'est le lien qui unit les membres de cette famille. »
Un lien très fort qui se ressent. Une hiérarchie, aussi, avec les yeux des plus forts, masqués par leurs voiles glaciales, prêtant régulièrement une attention particulière au plus faible et au plus naïf d'entre eux. Il a suffit que Sira Milliget, ce soir-là, s'approche trop près de Nevra pour qu'il soit rappelé à l'ordre par l'un de ses frères. Puis il a fallu qu'il adresse la parole à Balam de façon totalement innocente pour provoquer le fiel du Milliget le plus fort.
L'ancien guetteur se souvient de la façon dont Candice avait aboyé le nom de son petit frère et de celui-ci, obéissant, accourant immédiatement vers lui. Il se rappelle aussi avoir ressenti le regard assassin sous le voile d'hiver, comme s'il représentait une menace potentielle.
C'est ce qu'il évoque à voix haute avec Rose, comme si cela pouvait l'aider à faire un constat avec un semblant de sens.
« Dans quelles circonstances est-ce qu'il vous l'a dit ? »
Le jeune vampire réfléchit. À vrai dire,Maître Candice aimait toujours rappeler à ses dava qu'il serait capable de tout pour les siens, même du pire. Il le faisait parce qu'à ses yeux, être sous ses ordres en échange de sa protection était un honneur ainsi qu'un statut particulier : il y avait les fées, les dava et les autres. Tout cela, il l'avait dit aussi à Nash pendant ses interrogatoire, en raillant qu'il avait mal choisi son maître et que Titan ne pourrait rien pour lui. Il ne savait pas encore qu'il s'était trompé.
« Quand les Milliget sont arrivées à Eel avec leur prisonnier, raconte Rose, certains membres de la Garde de l'Ombre étaient chargés d'escorter celui qui s'occuperait des interrogatoires jusqu'aux salles hautement sécurisées. Cette tâche m'était souvent destinée.
- Je vois, réponds Balam d'une voix tranquille, et même si Qenndys pense tout cela, pourquoi aurait-il attaqué la cité ?
- Il pense surtout qu'Odrialc'h détient une partie de son peuple. »
Le visage de Balam se fend de surprise, en écho avec celui d'Ewelein. Si Rose s'était retrouvé face à Sadako Nakata, ses propos délicats lui auraient valu l'étiquette d'adorateur des fées ainsi qu'un interrogatoire plus intense. Mais ici, il est le patient de la docteure Osgiliath et il partage une conversation avec Balam Lefaucheur.
« Qu'est-ce que… souffle l'ancien guetteur, en ouvrant de grands yeux.
- Je pense que nous allons devoir arrêter. » affirme Ewelein.
Balam lui jette un regard confus et Rose sent un poids immense couler dans ses entrailles. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais le regard perçant de la médecin en cheffe l'en dissuade, si bien qu'il est persuadé d'avoir commis une erreur.
« Si Monsieur Clarimonde souhaite continuer à me parler, pourquoi arrêter la conversation ? s'enquit Balam.
- Parce que Monsieur Clarimonde est sous évaluation mentale et que ses propos ne peuvent pas être consignés. De plus, Monsieur Clarimonde vient d'évoquer une information de grande importance qui mérite d'être traitée et qui lui aurait valu des accusations plus lourdes si elle avait été entendue par une personne officielle.
- Je suis une personne officielle. »
Ewelein Osgiliath et Balam Lefaucheur se regardent. La médecin en cheffe de feu l'hôpital universitaire d'Eel, si digne dans ses longues robes de soigneuses, avec ses cheveux brillants si élégamment relevés. Puis l'ancien guetteur devenu membre de l'Étincelante mais qui revêt pourtant sa tunique azur comme une protestation silencieuse. Il arbore la même coiffure et son ordinaire air affable, comme si les problèmes qui pesaient sur ses épaules ne parvenaient pas à l'atteindre.
« Je suis une personne officielle, répète Balam, je suis un membre de l'Étincelante, même si je ne l'ai pas vraiment choisi. »
Il prononce ces derniers mots d'un ton plus léger comme si cela n'avait plus d'importance, puis il poursuit :
« Et je suis le geôlier qui a la charge du prisonnier qui a attaqué la cité d'Eel. De ce fait, j'aimerai consigner et traiter l'information que m'a partagé Monsieur Clarimonde. »
Ewelein pousse un léger soupir. Comme beaucoup d'autres, elle a certainement oublié que Balam n'était plus guetteur cependant, elle continue son travail de médecin. Secouant la tête, elle s'explique :
« Je suis médecin, Monsieur Lefaucheur, et mon rôle n'est pas de rendre votre enquête difficile. Seulement et comme je vous l'ai dit avant que nous ne commencions, Monsieur Clarimonde est sous évaluation mentale. De ce fait, aucune de ses paroles ne peut-être recevable pour le moment.
- Bien. Et quand est-ce que vous pensez terminer ?
- C'est difficile à dire. Cela va dépendre de Monsieur Clarimonde lui-même. »
Ça reste ennuyeux pour Balam, Rose le voit. Mais il a dit ce qu'il avait à dire. Il n'a pas menti, il n'a pas été lâche et c'est tout ce qui compte. Cependant, il sait que l'ancien guetteur est à présent détenteur d'une information importante, mais qu'il ne peut rien en faire.
Néanmoins et s'il veut en vérifier la véracité, il lui est toujours possible de le faire auprès de Maître Candice. Même si la fée n'est pas coopérative, Rose sait qu'elle saura s'emporter lorsqu'il sera question de sa famille et de son peuple.
Balam réfléchit, l'un de ses doigts marquant un rythme discret sur le bureau. L'information que Rose vient de livrer, elle pourrait changer le cours de l'enquête, de l'opinion publique, des liens entre Eel, Odrialc'h et le peuple des fées, si elle est réelle. En vérité, elle pourrait tout changer.
Si la plus grande cité d'Eldarya est effectivement coupable d'un grand crime commis contre les fées, alors que se passera-t-il si cela est mis en lumière ?
Levant ses yeux opaques vers le jeune vampire, il l'interpelle :
« Rose, j'ai cru comprendre que vous avez dû rencontrer la subordonnée d'un Grand Juge d'Odrialc'h pour l'enquête en cours, non ? »
Rose hoche la tête.
« Est-ce que vous lui avez dit ce que vous venez de me dire ? »
Rose secoue la tête.
Balam lui sourit, joint les mains sur le bureau, puis s'adresse à Ewelein pour lui intimer que la discussion pouvait être close. La médecin en cheffe lui rappelle qu'elle devra avoir accès à ses rapports et qu'elle en fera la demande auprès du Conseiller. L'ancien guetteur lui répond qu'il n'y voit aucun inconvénient.
Ils se lèvent tous les deux, puis Ewelein Osgiliath reconduit Rose jusqu'à son lit. Quand ils pénètrent dans la grande pièce, ils sont immédiatement accueillis par la bonne humeur de Yëvet en train de plaisanter avec le Chef de l'Obsidienne, pendant qu'elle change ses bandages :
« Le Chef Sequoïa, il en avait recousu un, je vous dis… Le pauvre malheureux, il s'était pris un sacré coup de trompe, mais ça lui avait pas fait du bien ! Fallait voir le machin ! Eh franchement… L'autre et les fées comme lui, là, si elles faisaient des trous dans le sol, plutôt, ça serait carrément plus pratique pour creuser des mares et des terriers pour les pimpels ! »
Valkyon lui répond d'un ton amusé qu'il n'est pas certain que le jardinage soit l'occupation principal d'un fée, mais il imagine sans mal que la blessure du pauvre homme devait être vilaine. Rose aussi.
« D'ailleurs, reprend Yëvet, plus sérieuse, l'autre là qui a fait des conneries avec le renard… Ça fait quand même bizarre. Vous saviez que je devais m'occuper de lui, mais que le Chef Sequoïa a pas voulu ? Il a dit qu'il voulait personne de son équipe envoyé là-bas. Lui-même il y va jamais ! C'est triste, quand même…
- Yëvet, s'il vous plaît. » l'interpelle Ewelein d'un ton sévère.
L'infirmière fait la moue. Elle souffle par le nez et marmonne à la médecin en cheffe qu'elle sait ce qu'elle pense que ça ne la regarde pas. Mais tout de même, si elle devait retrouver son frère jumeau, elle serait tout de même passée le voir.
Yëvet termine sa tâche et une fois celle-ci accomplie, elle met les poings sur les hanches puis rive ses yeux noirs sur Rose :
« Bon ! À nous ! Je vais vous mettre au lit et vous donner un bouquin pour faire passer le temps, mais ce soir c'est le bain, hein ! Faut bien vous frotter le dos, quand même, puis on va regarder comment c'est sous vos pansements, mais on va vers le mieux, quand même ! »
Rose pique un fard en se sentant épuisé d'avance pour le bain qui lui sera donné le soir même. Il ne s'habitue jamais à ces instants, même si Yëvet se contente de faire le nécessaire de la conversation afin qu'il oublie sa nudité et l'humiliation de la situation qui le poursuit.
L'infirmière s'applique à le déplacer dans son lit avec les gestes précautionneux dont elle a l'habitude. Elle lui demande s'il veut manger quelque chose, mais Rose refuse, l'esprit resté dans la grande pièce où il s'est entretenu avec Ewelein et Balam, si bien qu'il écoute Yëvet le réprimander gentiment qu'un sac vide, ça ne tient pas debout. Mais elle est tout de même moins rigide sur ce sujet, car Rose a pris du poids. Pas assez pour faire cesser les inquiétudes des soignants, mais cela est suffisant pour qu'ils le considèrent sur la bonne voie.
Près de lui, Balam s'est assis sur un tabouret et à sorti une flasque d'infusion d'asphodèle. Sa voix et celle de Valkyon forment un ballet apaisant, étouffé par le rideau qui a été tiré pour plus d'intimité.
Rose pousse un long soupir.
Il a un poids en moins dans sa poitrine. Même s'il sait que l'information qu'il vient de livrer est vitale et qu'elle lui apportera sûrement des ennuis lorsque son évaluation mentale sera terminée, il se sent apaisé de l'avoir fait. D'avoir donné cette information à Balam.
Si l'ancien guetteur ne peut rien en faire pour le moment, Rose le croit assez réfléchi pour l'utiliser à bon escient et tenter de voir les faits ainsi que l'enquête sous un autre œil.
J'ai bien fait. Il s'en convainc. Si le doute subsiste toujours, le jeune vampire le range dans une partie de son esprit où il ne l'ennuiera plus, parce qu'il n'a pas le temps pour les regrets.
Il attrape le livre que Yëvet a mis à sa disposition et constate qu'il s'agit d'un herbier alchimique parfaitement ennuyeux que June lui avait apporté lorsqu'elle était en colère contre lui. Il songe à la gardienne de l'Obsidienne dont il avait truqué les résultats de ses entraînements dans son dossier et il se demande ce qu'elle devient, puisqu'il ne la voit plus à l'hôpital.
Rose ouvre le livre, tourne quelques pages, commence à lire la présentation de l'algue rouge, aux propriétés détoxifiantes bonnes pour le foie ainsi qu'à sa régénération lors de stress toxiques. Il ne réalise qu'après quelques minutes qu'il est en train de lire les mêmes lignes et que plonger dans un herbier aux termes trop pointus ne l'intéresse pas.
Rose retourne le livre à plat sur ses couvertures et se laisse aller contre son oreiller. Quand il ferme les yeux, c'est pour écouter de nouveau l'échange qu'il a eu avec Balam Lefaucheur pendant que son esprit capte le rire léger de Valkyon, en réponse à une boutade que l'ancien guetteur a dû lui adresser.
C'est ce qui lui manque le plus depuis qu'il est enfermé à l'hôpital, le rire. Pas celui de Yëvet, ni ceux des autres patients, comme Chrome et son rire communicatif : celui de Nevra.
En réalité, Rose se souvient que le Mircalla était capable d'adapter sa façon de s'esclaffer en toute situation, comme lorsqu'il pouffait de manière assez hautaine comme un noble particulièrement méprisant, juste pour ennuyer les personnes qu'il n'aimait pas. Il prenait même un accent aristocratique assez agaçant et faisait des manières, pour ensuite pester contre ses interlocuteurs une fois seul et même contre l'étiquette protocolaire exigée par sa famille. Rose ne riait pas, lui, mais il souriait intérieurement.
Dis, celui qui arrive à retirer le manche à balais que tu as dans le derrière, il devient un grand chevalier, non ?
Quand Nevra s'était penché à son oreille pour lui glisser cette plaisanterie graveleuse, Rose lui avait retourné un regard outré en rougissant avec ferveur. Face à sa tête, l'ancien Chef de l'Ombre avait éclaté de rire, en ajoutant qu'il connaissait un homme, l'un de ses proches amis responsable d'une garde au Rubis, qui pourrait faire ça très bien. Rose se souvient qu'il avait bégayé quelque chose, croisé les bras autour de son buste comme si cela pouvait éloigner les paroles de Nevra, hilare, qui poursuivait sa plaisanterie en faisant des mouvements de bras ridicules :
« En garde ! … Robe. »
Le silence embarrassant avait tiré Rose de son mutisme, puis il avait écarquillé ses yeux opalins en rougissant de plus belle quand il s'était confronté à Valkyon haussant un sourcil, perplexe. Le grand faelien avait expliqué qu'il avait entendu Nevra rire depuis l'armurerie du Quartier Général et qu'il était donc venu voir ce qu'il y avait de si drôle, par curiosité.
« La garde-robe de Dimitri, avait immédiatement répondu Nevra, n'est-ce pas Rose ? Qu'est-ce qu'elle est moche ! Avec ses… Chemises. Affreuses. Absolument aucun goût. »
Valkyon n'a sûrement jamais compris ce que la garde-robe de Dimitri pouvait avoir de si hilarant, mais pour Rose, c'est un souvenir précieux qui lui rappelle que la bonne humeur et l'affection que Nevra lui portait étaient son oxygène dans un quotidien qui ne lui rendait pas la vie facile. Il lui est difficile d'évoluer sans lui et au fond de son lit d'hôpital, il ne peut s'empêcher de se demander comment il va. Nevra a beau se trouver dans une prison dorée, il est en prison quand même.
À quoi elles ressemblent, les deux autres espèces originelles, Rose ?
Une question de l'ancien Chef de l'Ombre qui tentait de visualiser à quoi pouvait bien ressembler le monde, avant le grand exil. Il imaginait le grand nord dominé par les fées, en tant qu'espèce souveraine. Les forêts luxuriantes comme celle de Lotheg sous le règne des hauts elfes, comme les Alfirin et ensuite…
Les chimères et les daemons. À quoi peuvent-ils ressembler ? Est-ce qu'il en reste ou bien est-ce qu'ils ont tous disparu ? Les fées espèrent qu'ils ont réussi à se trouver un endroit bien à l'abri des barbares. Un endroit où ils sont en sécurité, à défaut d'avoir pu venir s'installer derrière la frontière des Milliget.
Rose a toujours pensé que Maître Candice se leurrait quand il rêvait d'un monde comme avant. Si la conquête terrienne est un projet qui peut être arrêté, remonter le temps est impossible.
Peut-être que les chimères et les daemons ne sont plus. Peut-être que Maître Candice retrouvera les siens et qu'ils iront se protéger parmi le froid le plus extrême et que ceux qui sont venus avec le grand exil et ceux qui vivaient déjà sur Eldarya continueront à se livrer une guerre sans pareille. Rose se demande si la paix est vraiment possible. Il pense qu'elle n'est qu'une illusion car peu importe les peuples, il y en aura toujours un qui voudra dominer les autres.
Le jeune vampire souffle par le nez. Il a le cœur lourd et cet instant, ce qu'il ressent, c'est le trou béant creusé par l'absence de Nevra.
Il voudrait pouvoir lui parler de cette journée, de ce qu'il a dit à Balam, de ses incertitudes, de son évaluation mentale et même de la nourriture qu'il mange afin que l'ancien Chef de l'Ombre ne s'inquiète pas.
Mais il ignore s'il est autorisé à lui rendre visite et si c'est le cas, alors il sait que ça aura un prix.Les Choix
Rose a fini par livrer une partie de la vérité à Balam, sous la forme d'une information importante qui a le pouvoir de changer l'enquête en cours et de reconsidérer la situation après la catastrophe. Seulement, comme Rose est sous évaluation mentale, ce qu'il a dit ne peut être consigné dans aucun rapport et Balam ne peut rien tenter d'officiel avec cette information.
En attendant la suite de son évaluation mentale, Rose songe à Nevra et à son quotidien. Le vampire lui manque et Rose ressent le désir de lui rendre visite, mais il ignore s'il en a le droit. Que devrait-il faire ?
➜ Demander à Ewelein Osgiliath si c'est faisable.
➜ Demander à Balam Lefaucheur si en tant que membre de la Garde Étincelante, il peut faire quelque chose.
➜ Ne rien demander et laisser tomber.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a déjà réussi sa première tentative pour donner plus de nourriture à Candice. Seulement, Balam était absent. Est-ce qu'elle y arrivera pendant sa seconde tentative et est-ce que Candice Milliget va honorer sa part du marché en se montrant plus docile ?
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Pendant la nuit, des soignants viennent chercher Fawkes et Nelladel pour les emmener quelque part. Que se passe-t-il ?
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contactes-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous avez un chapitre sorti en avance ! … Enfin c'est une façon de parler puisque vous auriez dû l'avoir hier. x)
Néanmoins, notre artiste a achevé son illustration plus tôt que prévu, alors je suis ravie de vous faire cette surprise !
Bon. Je pense que nous nous sommes bien amusés ces dernières semaines et qu'un peu de challenge ne vous fera pas de mal, non ? Vous ne pensez pas ? En tout cas, il y a un choix charnier qui vous attend en fin de chapitre et je pense que je vais en avoir, des questions sur le topic. Sachez-donc que je serai disponible pour y répondre, dans la limite du raisonnable, car je comprends que la direction radicale que ce choix peut faire prendre à l'histoire est effrayante.
Mais ne vous inquiétez pas, vous êtes rodés maintenant, alors vous allez y arriver !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 13 - Le Traité de Polaris
Hôpital d'Albacore - Fawkes et Nelladel
La nuit rend la pièce lugubre. Une atmosphère pesante envahit le lieu, si bien que chaque cliquetis des menottes résonne de manière funèbre. C'est toujours difficile de trouver le sommeil, ici. Fawkes et Nelladel ne parviennent jamais à s'endormir, rongé par le mal de dos ainsi que l'incapacité à pouvoir se tourner. Alors ils râlent, ils soupirent et ils attendent.
Parfois, la porte s'ouvre et un soignant vient vérifier leurs blessures, sans un mot.
Comme maintenant.
La porte s'ouvre et deux silhouettes se profilent. L'une d'entre elles, petite et frêle puis l'autre, plus grande avec de larges épaules ainsi qu'une corne sur le front, mais leurs tenues ne laissent aucun doute quant à leur profession.
Les soignants s'approchent d'eux mais cette fois, plutôt que de défaire leurs bandages, elles défont les freins des lits d'hôpitaux, puis elles commencent à emmener Fawkes et Nelladel hors de la pièce.
« Qu'est-ce qui se passe ? » demande immédiatement l'elfe d'un ton inquiet.
Mais il n'obtient pas de réponse. Le renard se redresse tant bien que mal dans son lit, alerté par ce qui se passe. Ce n’est pas normal. Si une décision avait été prise les concernant, ils seraient informés et déplacés au grand jour. Pour qu’ils soient tirés de leur sommeil et emmenés en pleine nuit, c’est que ça doit rester discret.
« Où nous emmenez-vous ? » questionne encore Fawkes, en écho à son compagnon, alors qu’il tire déjà sur le lien qui garde son poignet captif.
Toujours pas de réponse. Fawkes et Nelladel sont transportés parmi les couloirs sombres de l'hôpital d'Albacore et ils ne peuvent qu'assister, impuissants, à leur déplacement vers une salle inconnue. Le trajet est long, bien trop long pour qu'il s'agisse d'un acte officiel et si Nelladel tente d'apercevoir le visage d'un des soignants, c'est peine perdue.
Enfin, ils débouchent vers une aile qui sert d'entrepôt et parmi tous les meubles et matériel médical à l'abandon, le trajet s'arrête. Leurs freins sont de nouveau bloqués, puis les deux silhouettes se redressent. Elles plongent leurs mains dans les replis de leurs blouses pour en tirer quelque chose et quand enfin elles se débarrassent du tissu qui entoure ce qu'elles tiennent, c'est pour dévoiler des fioles remplies de lucioles.
Leur lueur permet d'éclairer quelque peu la pièce, mais aussi leurs visages peu à peu débarrassés de leurs masques et coiffes de soignants.
Quand Fuya laisse échapper ses longs cheveux d'un rose pastel, elle adresse un large sourire au renard avant de le gratifier d'une étreinte.
« Fawkes ! »
Derrière elle, Ryan lui adresse une moue plus douce avant de passer une main sur son front couvert d'une légère pellicule de sueur. Les épaules de Fawkes s’affaissent et il ne sait pas encore à ce stade, si c’est de la peur ou du soulagement. Il veut croire que ce sont bien elles, que c’est la réalité et que Ryan et Fuya viennent le libérer. Mais il craint que ce ne soit qu’un tour de magie orchestré par Leiftan. Dans quel but ? Il ne tient même pas à chercher. Il doute, et c’est ce qui garde sa bouche close, et ses oreilles plaquées en arrière sur sa tête. Pourtant son bras libre entoure la petite silhouette de Fuya et ses yeux sombres rebondissent d’une Typhon à l’autre. Quand il ouvre la bouche, les mots se bousculent, si bien qu’il ne sait plus dans quel ordre les organiser pour qu’ils aient du sens.
« Tu… vo-... qu’est-ce que vous faites là ? »
Si le Cartel est à Eel, ne seraient-ils pas allés chercher Yüljet en priorité ? Et dans ce cas, où se trouve-t-elle ? Dans quel état ? Si c’est une illusion, que cherche à savoir Leiftan ? Fawkes ne doit rien fournir malgré lui. Le renard jette un regard à Nelladel, inquiet, pour s’enquérir de sa réaction.
L'elfe est tout aussi choqué. Il s'est redressé sur son lit, la bouche ouverte, les yeux écarquillés comme s'il cherchait à comprendre le miracle qui se trouvait sous ses yeux, lui qui s'était résigné à se rendre.
« Vous… Vous… bégaie-t-il.
- Bonjour Fawkes, salut Ryan, et le…dava, c'est ça ? De la fée. »
Les politesses étant échangées, Fuya se recule et s'empresse d'expliquer :
« On n'a pas beaucoup de temps ! Nous sommes venues à Eel pour libérer Titan ! Sexta dirige le cartel en attendant, mais on a un plan pour la faire libérer.
- Seulement, ça prendra un petit peu de temps, complète Ryan, et si on vous emmène tout de suite, ça créera la panique à Albacore et la Garde fera systématiquement le lien entre vous et le cartel. La sécurité près de la cellule de la Cheffe risque d'être renforcée et ça sera difficile. Alors on va vous expliquer le plan et vous demander d'être patients.
- Parce que je fais aussi partie du voyage ? raille Nelladel, Dame Sexta est trop bonne.
- Sauf si tu veux retourner dans les jupes de ta fée ! » réplique Fuya.
Le cœur de Fawkes bat la chamade. La façon dont les lieux ont été analysés, la façon dont Ryan appelle Titan “la Cheffe”, ou même Fuya qui envoie paître Nelladel. Le doute subsiste mais il est trop minime aux yeux du renard et un tremblement lui secoue les épaules. Il décrète qu’il est soulagé. Pourtant ses sourcils se réhaussent en circonflexe. Ils vont devoir patienter. Retourner dans cette cellule et faire comme s’ils étaient dans l’ignorance la plus totale, dépité par un avenir aussi écourté que certain.
« Sortez Titan de sa cage, approuve Fawkes. Et revenez nous chercher. Nous laissez pas crever ici. »
Et dans tout ça, un visage apparaît et s’impose à l’intérieur de la paupière du renard. Il ne sait pas comment le jeune orc s’en est tiré de leur mission. Et aussi inutile soit ce détail aujourd’hui, il a besoin de savoir. Il a besoin de savoir que tout ça, ce n’était pas pour rien.
« Et… et Nash ? Où est-ce qu’il est ? »
Ryan lui assure que personne ne mourra ici, même si elle et Fuya passent sous silence que le sauvetage de Fawkes était optionnel, selon Sexta. Seulement, Titan ne laisserait personne derrière elle. Ce n'est pas comme ça que fonctionne le cartel, alors les deux Typhons oeuvreront comme l'aurait souhaité leur seule et unique Cheffe.
« Nash va bien, explique la licorne, il est actuellement aux Abysses avec la fée que nous avons capturée quand nous sommes partis d'Eel, après la catastrophe. Gabrielle l'a récupéré de justesse et les choses ont dégénéré quand ils ont fait face, tous les deux, à un Docteur Bec. »
Face aux visages estomaqués de Fawkes et Nelladel, les deux Typhons leur expliquent ce qui s'est passé après la défaite de Candice Milliget et la capture de Titan.
Candice avait pu sauver sa mère et l'extraire hors de la cuvette où il s'était évanoui, et Delta avait trouvé un autre de ses enfants, Sira, en voulant rejoindre le bateau de sa famille. Seulement, Candice n'était pas le seul à avoir perdu : le cartel venait de perdre leur cheffe.
Alors, Sexta avait pu capturer Sira, avec l'aide de Gabrielle et Nash.
« Nash a très mal vécu son emprisonnement et ses interrogatoires, explique Ryan, et Gabrielle en veut énormément aux Milliget. Eux deux et Sexta ont arraché Sira aux bras de sa mère en la menaçant que si elle voulait le revoir, alors les fées devront se soumettre au cartel.
- Sexta pense qu'à partir du moment où la cheffe a été capturée, alors une alliance avec les fées n'est plus possible. Puis tu sais, Fawkes, avec ce que Candice à fait à Nash…
- Se les mettre à dos n’est peut-être pas la meilleure des solutions non plus, réprimande-t-il. »
Seulement, ce n’est pas lui qui commande, et il n’a encore moins son avis à donner avec Sexta à la tête du cartel. La situation est pire encore que ce qu’il pensait. Il sait que Sexta ne supporte pas les fées, mais elle joue à un jeu dangereux.
« C’est pour s’assurer la docilité de Candice ? demande-t-il, avant de jeter un coup d'œil à Nelladel. On a essayé de le libérer, mais Leiftan a davantage d’influence sur lui que nous n’en aurons jamais. Nelladel, tu as été son dava pendant des années, tu as côtoyé les fées plus que quiconque au cartel… Tu penses que le plan de Sexta peut aboutir ? »
Et quand bien même… Dès l’instant où le cartel rendrait Sira et n’aurait plus rien pour faire pression sur les fées, alors ils seraient tous des cibles à abattre. Le renard secoue la tête, ça ne lui plait pas du tout.
« Qu’importe, souffle-t-il. Ce qui est fait est fait. On aura le temps d’y penser après, et Titan saura arranger les choses. »
Il relève la tête, les oreilles dressées, attentif. Ce que c’est bon de revoir des visages amicaux. L'inquiétude a creusé les traits de Ryan, mais elle diffuse toujours cette bienveillance maternelle dont elle a le secret. Fawkes veut leur faire confiance, il se posera des questions et râlera au sujet de Sexta plus tard.
« Qu’en est-il du plan pour sortir Titan de sa cage ? On doit se tenir prêt ? A quel délai songez-vous ? Nelladel et moi… On veut bien être patients, mais quand ils auront décidé qu’on est bons à être jeté à Candice, on pourra pas repousser la sentence. »
- Ça ne change pas grand-chose si Sira est fait prisonnier, crache l'elfe, vous imaginez ce qui va se passer si Candice l'apprend ? Pire encore s'il arrive à sortir d'ici ?
- Ne t'en fais pas, il va être tout gentil, maintenant, réplique Fuya, vous voyez la fille du gagnant des sélections ? Le grand morgan. Sa fille adoptive. Elle a voulu se mêler des affaires du cartel d'un petit peu trop près, alors Sexta l'a contrainte à travailler pour nous. Vu qu'elle s'occupe de nourrir Candice à la prison d'Albacore, alors on lui a demandé de lui transmettre un message. Il doit être gentil ou son frère va avoir mal. »
Nelladel la regarde avec des yeux ronds. Assommé, il se laisse aller contre ses oreillers en secouant la tête, blême.
« Fawkes a raison, reprend-t-il d'une voix saccadée, se mettre les fées à dos est la pire idée que la cartel a pu avoir !
- La plus forte est derrière les barreaux. En plus, elle est affamée par la Garde, demande Fuya en fronçant les sourcils, alors quoi ?
- Alors quoi ? crache Nelladel, tu crois que Candice est le seul à être puissant dans le royaume des fées ? Chaque famille a sa fée la plus forte ! Et si ce sont les Milliget qui règnent, leurs premiers vassaux sont des fées spécialisées dans la traque. Qu'est-ce qui va arriver, à ton avis, maintenant que deux Milliget on été faits prisonniers ?
- Titan saura arranger les choses ! tente de se persuader Fawkes. La libérer n’est même plus une question de loyauté, mais de survie, au stade où on en est. »
Intérieurement, il peste contre Sexta et ses grands airs. En revanche, il est étonné que la vampire ait eu pour projet de faire libérer Titan, mais il se demande si ce n’est pas pour s’assurer qu’elle ne parle pas à la Garde. Yüjlet est solide, elle saurait encaisser la douleur de la torture, mais Sexta est-elle prête à prendre le risque de tout perdre sur ce simple pari ? Fawkes n’en est pas sûr.
« Alors on fait quoi ? Qu’est-ce qui est prévu ? »
Fawkes veut savoir s’il doit se tenir prêt à un signal, s’il y a quelque chose à faire de l’intérieur. Il n’en peut plus de rester immobile dans sa chambre aseptisée et il est sûr que Nelladel partage ce sentiment. Plus tôt ils pourront se sauver, mieux ce sera.
« Une fois que la fille de Joseph Ael Diskaret aura localisé la cellule de la Cheffe et donné toutes les informations concernant la prison, Fuya s'infiltrera, explique Ryan, pendant ce temps-là, il y aura un incident à la cellule de la fée, ce qui attirera l'attention. Si Candice Milliget est un prisonnier d'une très grande importance, alors il sera amené à l'hôpital et pendant que tous les soignants s'occuperont de lui, je reviendrai vous libérer tous les deux. Quand ce sera le moment, je vous injecterai le Liberatio. »
Une substance qui endort toute douleur pendant un temps donné, avant d'en provoquer une autre, terrible, lorsque les effets se dissipent. Mais Ryan a besoin que Fawkes et Nelladel soient en possession de tous leurs moyens pendant qu'elle les aide à s'évader, alors elle ne peut pas se permettre d'être ralentie parce qu'ils ont mal à leurs jambes. Le renard cille. Il connaît le Liberatio pour en avoir déjà subi les effets. S’il n’a pas le choix, il se soumettra à l’injection, même s’il sait que ce ne sera pas une partie de plaisir. Mais c’est de sa survie dont il est question, alors il ne fera pas dans la dentelle.
« Quand on sera sortis d'Albacore, je vous endormirai tous les deux et vous serez amenés à la planque souterraine que le cartel loue aux purrekos. Là-bas, je pourrai vous soigner avec l'aide d'un de leurs médecins. En attendant, tenez bon. Tout sera fini d'ici une semaine.
- Une semaine, se répète Fawkes pour se rentrer l’information dans le crâne. Plus qu’une semaine. »
Il prend une profonde inspiration et expire en saccade, malgré lui. Il peine à y croire et refuse de se réjouir trop vite. Tout peut arriver en une semaine et pas que de jolies choses. Mais au moins, une lueur d’espoir lui est offerte et il ne peut l’ignorer. Le renard hoche la tête, s’assure d’un regard que Nelladel est bien avec eux et demande :
« On doit faire quelque chose pour vous faciliter la tâche ?
- Si c'est Titan qui reprend la tête du cartel, tranche Nelladel, alors moi, je vous faciliterai la tâche une fois qu'on sera sorti d'ici. Je ferai en sorte que personne ne soit tué par les fées. »
Mais il ne demande rien sur une potentielle libération de Candice. Hekhelem n'a pas tenu parole et l'a estropié, alors il peut rester en cellule. Cependant, Sira doit être rendu à sa famille avant que les vassaux des Milliget ne se mettent à agir.
« Je parle la langue des fées, alors je pourrai créer un terrain d'entente, mais il faudra que Titan y mette du sien.
- Titan est la cheffe du cartel des Typhons, affirme Ryan, alors elle saura quoi faire. »
Plus qu'une semaine. En attendant, Ryan et Fuya ne leur demande qu'une chose : d'avoir l'air apathique. De faire croire aux soignants qu'ils baissent les bras et qu'ils n'attendent plus que la mort.
« Comme d’habitude, en somme. Entendu. J’avais pas l’intention d’être tout sourire et de leur raconter qu’on partirait bientôt se dorer la peau ailleurs, de toute manière, tenta Fawkes d’être léger. »
Sa peau le picotait pourtant et il n’avait qu’une hâte, c’était de pouvoir sortir de là pour sentir le vent dans sa fourrure. En attendant, il sera aussi dépressif que puisse l’être un condamné à mort. Ça, il saura faire, il le sait. De sa main libre, il attrape celle de Fuya, juste à côté de lui et si ses lèvres ne bougent pas, son visage lui sourit. Il s’autorise à espérer et c’est grâce à toutes les deux.
« On se revoit très vite, alors… »
La sirène hoche la tête et quelques minutes plus tard, les deux Typhons remettent leurs masques et leurs coiffes pour les reconduire dans leur chambre.
Dans une semaine, ils pourront enfin retrouver leur liberté et Titan reprendra le contrôle du cartel, pour la mission originelle.
Nouvelle Mission Pour June
« Donnes-lui ça dans cinq jours. »
Fuya remet un petit sachet de poudre dans la main de June. La sirène lui a donné rendez-vous aux abords de la forêt d'Albacore, là où elle avait dû lui injecter le puissant sédatif de Ryan pour l'emmener jusqu'à la planque.
Elle relève ses yeux bleus, puis poursuit :
« On parle beaucoup de la fée à la Garde Étincelante. La missive du geôlier y est pour quelque chose et je ne sais pas si elle est vraiment malade mais en tout cas, demander son voile contre des réponses, c'est une bonne chose. »
Puis désignant le petit sachet d'un geste de la main, elle achève :
« Ça, c'est le Desertio de Ryan. Mets ça dans sa nourriture dans cinq jours. Ça va la faire plonger dans un profond coma et ainsi, provoquer une panique générale. Tous les regards seront tournés vers elle et pendant ce temps-là, le cartel aura le champ libre. Par contre, tu devras me donner les plans de la prison avant et la fée, des réponses. Tu as compris ? »
June lui adresse un regard mauvais, puis acquiesce en grimaçant un oui cheffe peu convaincant. La sirène lui porte de plus en plus sur les nerfs, et de toute façon, elle n’a pas vraiment besoin de jouer la fille gentille. Sexta trouverait cela étrange qu’elle soit tout d’un coup compliante… Tant qu’elle effectue son travail correctement, leur accord ne stipule pas qu’elle doit lécher les bottes du cartel des Typhons.
« Je sais pas si vous avez pris ça en compte dans vos petites manigances, mais je suis pas autorisée à me balader partout dans la prison, lâche-t-elle. Ça risque d’être difficile de trouver votre cheffe, je sais même pas où ils la gardent. »
Elle imagine que la réponse sera débrouille-toi, mais ça ne coûte rien de demander. Elle sait qu'elle a raison quand elle voit Fuya hausser les épaules et lui rétorquer que c'est son problème. Elle doit localiser la cellule de Titan et l'indiquer sur le plan :
« Ton travail n'est pas si difficile, ajoute la sirène, et en plus, il se terminera dans cinq jours, quand tu auras donné le Desertio a Candice. Alors tu ne devrais pas autant te plaindre. Et puis c'est toi qui a voulu être ici, non ?
- C’est vous qui m’avez incluse dans vos plans dès le départ sans me demander mon avis, corrige June. Avant la tentative désastreuse de cet imbécile d’elfe, ma vie se portait à merveille, je te remercie. »
De plus, son travail est loin d’être terminé, que ce soit pour le cartel ou pour Candice. Et puis, elle peut parler, la sirène et son travail pas si difficile… Ce n’est pas elle qui doit localiser la cellule de la cheffe du cartel, recopier ou voler des plans et tout ça, sans jamais se faire voir au risque de devenir elle-même une occupante desdites cellules. Bien sûr, pour une criminelle dans son genre, ça doit être aussi simple que d’injecter son satané produit dans les veines de June.
« Qu’est-ce qu’elle veut savoir, ta cheffe ? grogna-t-elle en croisant les bras.
- Le plan de la prison et l'emplacement de la cellule de notre cheffe. Concentre-toi là-dessus pour le moment et le reste, tu verras ça avec Titan quand elle sera libre. C'est bientôt l'heure de prendre ton service, non ? Alors va faire en sorte que Candice soit bien gentil avec son geôlier, c'est court, cinq jours, tout de même. »
Fuya ponctue sa tirade d'un sourire radieux. June lui rend son sourire, mais si ses yeux pouvaient lancer des dagues, Fuya serait clouée aux troncs derrière elle.
« J’y vais alors, chantonne-t-elle. À la prochaine, j’ai hâte qu’on se recroise encore ! »
Son ton est si mielleux qu’on pourrait y tremper un biscuit, et elle ponctue sa tirade d’un petit geste de la main avant de se détourner. La veille, Balam était absent, mais rien de garanti qu’elle aura de nouveau cette chance…
La jeune femme quitte la forêt pour entrer dans la prison. Ses yeux se baladent discrètement autour d’elle, alors qu’elle songe à un moyen de récupérer les plans pour le cartel. Elle a cinq jours, mais peut-être que Candice ne sera pas remis avant ça, et qu’elle devra quand même fournir les informations que le cartel demande. Au moins une partie, histoire de ne pas éveiller les soupçons et de risquer la vie de sa famille.
Le plus simple serait sans doute de s’introduire comme ils l’avaient fait avec Helouri dans le petit bureau à l’entrée, mais il lui faudrait trouver la carte vite et la reproduire en très peu de temps, sans garantie de savoir où se trouve Titan. June soupire, avant d’adresser un sourire poli au maître des arcanes qui s’est habitué à sa présence, puis quand elle pénètre sur les lieux, elle fait face à une scène effroyable.
Balam est accroupi devant la cellule, tendu, pendant qu'à l'intérieur, la fée Milliget, trempée de sueur, est parcourue de tremblements incontrôlables. Le souffle court, ses longs cheveux rassemblés en de longues bandes graisseuses, Candice serre une caisse remplie de glaces éternelles contre lui, comme si sa vie en dépendait. Quand June s'approche, elle peut s'apercevoir que des flaques immondes s'étalent près de lui, signe que tout ce qu'elle a pu lui donner la veille a choisi de quitter son estomac.
« Qenndys, l'appelle Balam, s'il te plaît, est-ce que tu peux me regarder ? »
À l'entente de son nom, prononcé avec l'accent de la langue des fées, Candice lève les yeux vers Balam pour les écarquiller. Son visage se fend de colère et il commence à grogner, mais un haut-le-cœur l'interrompt. La fée Milliget porte une main à sa poitrine, puis ouvre grand la bouche pour vomir une bile acide.
La première réaction de June est d’insulter la fée de toutes ses forces, mais seulement en pensée. Si c’était pour rendre tout ce qu’il a mangé, autant ne pas lui demander des rations supplémentaires. Elle songe aussi que la fierté de la fée la perdra, et qu’en agissant ainsi, il ne respecte déjà pas leur accord, car en échange de nourriture, il devait se montrer plus docile.
La jeune femme lève les yeux au ciel en maudissant la stupidité de Candice, puis elle s’accroupit aux côtés de Balam et désigne le prisonnier.
« Il va mourir, à force, soupire-t-elle. Tu as d’autres caisses de glace ? Il faudrait peut-être le refroidir, là…
- Je fais ce que je peux, mais je ne suis même pas certain que toute la glace éternelle dont je dispose puisse reproduire le froid extrême de son royaume ou même celui de son voile. En plus, la fièvre le fait délirer… »
L'ancien guetteur se met à réfléchir. Il souffle par le nez, puis se tourne vers June et lui demande d'aller dans son bureau pour lui apporter une plume, de l'encre et un parchemin.
« Je vais écrire un mot à l'attention de Miiko Yamamura et je vais te demander de le lui apporter le plus vite possible. J'aimerais qu'elle vienne sur les lieux pour constater l'état de la fée. Même si la Garde a besoin de réponses, ce n'est plus possible de le garder ici. »
Puis, reportant de nouveau son attention sur la cellule, il tente de s'adresser encore une fois à Candice :
« Qenndys, June va aller porter un message à la dirigeante de la Garde Étincelante. Elle va venir constater ton état et je vais pouvoir lui demander un moyen de te rafraîchir. Est-ce que tu peux m'entendre ? »
Mais la fée Milliget ne l'écoute pas. Elle s'est tassée dans un coin de la cellule, serrant la caisse de glace éternelle, tremblant de tous ses membres. Elle lance des regards exorbités partout dans la prison et enfin, quand elle rive ses yeux gris sur June et Balam, elle semble s'apercevoir de leur présence. Candice commence à gronder, à montrer les dents, puis son visage se tord en grimace de douleur alors qu'il tente de contrôler sa respiration frénétique. Quand Balam l'appelle de nouveau, il ne répond pas, mais exprime seulement le son "gue" sans aucun sens.
« Vas-y, June, demande l'ancien guetteur, le temps presse. »
Elle obéit et en rassemblant le matériel, chuchote une nouvelle bordée d’insultes loin des oreilles de Balam. June a envie de pleurer tant la situation lui échappe : qui sait ce que fera Sexta si Candice est emmené loin de la prison ? Et si elle perd l’accès aux lieux, comment récupérer les plans ? Pire, si la fée meurt, elle se retrouve coincée avec le cartel sans aucun moyen de s’échapper ou de faire payer à la vampire la menace qui pèse sur sa famille. De dépit, elle donne un coup dans le bureau et laisse échapper un gémissement de douleur : parfois, elle oublie que le bois est plus dur que ses orteils, et c’est en sautillant sur un pied qu’elle continue de rassembler la plume et l’encre, en insultant cette fois le meuble.
Quand elle ressort, ses yeux lancent des éclairs et elle manque de jeter ce qu’il demande à Balam. Elle se retient au dernier moment et inspire longuement pour se calmer - le guetteur est tellement absorbé par la fée qu’il ne remarquerait sans doute pas si Leiftan Tuaran rentrait nu pour danser au milieu de la pièce en égorgeant un minaloo, mais autant ne pas attirer ses soupçons.
« Tu crois qu’ils y tiennent suffisamment pour le soigner ? s’enquiert-elle l’air de rien. Et qu’ils vont pas juste le laisser mourir là ?
- Je ne sais pas, June, mais moi j'ai besoin qu'il vive pour éclaircir quelque chose. »
Les paroles de Rose Clarimonde lui reviennent en mémoire. Elles n'ont peut-être aucun poids, tant que le jeune vampire est sous évaluation mentale, mais si Odrialc'h est réellement coupable de détenir une partie du peuple des fées, alors Balam ne pourra pas passer cela sous silence. Mais il veut savoir si c'est vrai.
L'ancien guetteur attrape le matériel que June lui a apporté et griffonne une missive à l'attention de Miiko Yamamura.
« Donne-là à Miiko Yamamura, s'il te plaît, June. À Miiko Yamamura. »
Il insiste bien sur le nom de la dirigeante, puis tourne subitement la tête quand la voix de Candice s'élève. Elle est faible, éraillée, mais tant qu'il parle, il est conscient :
« … 'na 'ttoh Mahk...
- Je n'ai pas compris ce que tu as dit, Qenndys », répond calmement Balam.
La fée Milliget reprend péniblement sa respiration, puis reprend d'une voix saccadé, prononçant les mots en langue commune avec peine :
« J'ai… Chaud… Guetteur… »
Balam hoche la tête, puis intime à June d'un regard, d'aller porter la missive. Elle l’attrape et avant d’appeler le maître des arcanes, désigne le bureau de Balam de la main.
« Tu devrais quand même mettre les caisses, Balam. Le laisse pas crever, s’il-te-plaît, ça ne m’arrangerait pas plus que toi. »
Le maître des arcanes n’avance pas assez vite pour elle, alors elle trépigne jusqu’à atteindre l’entrée de la prison, et là, la missive dans sa main, June hésite. Son regard se porte vers Albacore, puis vers la forêt, ses pieds l’entraînent d’un côté, puis de l’autre sous le regard impassible des gardiens de l’entrée. Elle remonte le petit chemin, courant à moitié, et un nouveau gémissement lui échappe.
Elle doute que Miiko Yamamura aide Candice. Et si Candice meurt, elle sera dans la crotte de musarose jusqu’au cou. Et le cartel… La jeune femme serre le parchemin entre son poing. Que dirait Sexta ? Aiderait-elle la fée ? Qui pourrait lui apporter son soutien ? Qui pourrait aider à son rétablissement ? La vampire est forte et maligne, certes, mais ses plans mettent June en danger, et qui sait ce qu’elle voudrait mettre en place pour sauver, ou non, le prisonnier. Elle sort du sentier, indécise. Qui peut-elle aller voir ? Qui l’aiderait, qui aiderait une fée meurtrière et sauvage ? Qui, hormis Balam, aurait assez de bonne volonté, et surtout de pouvoir, pour ordonner qu’on la sauve ? Elle perd du temps, du temps que Candice n’a peut-être pas.
Son regard se pose sur un groupe d’enfants en train de jouer à la guerre. Parmi eux, il y a les orphelins qu’elle a payés pour s’introduire dans la prison et parler à Nelladel. Le plus grand porte des morceaux de métal reliés par des cordes, et il brandit une épée en bois en hurlant qu’il est le plus grand guerrier d’Odrialc’h, plus fort que la Capitaine elle-même, et qu’il va décimer ses adversaires comme elle l’a fait jadis.
June s’arrête de courir et son cœur accélère. Ça ne plaira ni au cartel, ni à la Garde, mais ça pourrait sauver Candice Milliget. Ses pieds reprennent leur course, bien décidés cette fois, et elle fonce jusqu’à la mairie d’Albacore. Quand elle y arrive, elle manque de s’effondrer contre le chambranle de la porte d’entrée, et à bout de souffle, elle attrape le poignet d’un fonctionnaire qui passe par là.
« Excusez-moi… articule-t-elle difficilement. Je dois… voir… la Capitaine… à la demande… de Balam Lefaucheur… s’il-vous-plaît… C’est assez urgent… »
Elle voit bien que le faelien peine à remettre qui est Balam Lefaucheur et quand enfin il ouvre de grands yeux, elle comprend qu'il s'est enfin rappelé qu'il était le geôlier de la fée. Avant de permettre à June de voir la Capitaine, il doit consulter le contenu de la missive afin d'aviser l'urgence de la situation, mais la jeune femme ne doit la remettre qu'à la Capitaine elle-même ou bien un fonctionnaire d'Odrialc'h.
Il y en a dans l'aile de la mairie qui accueille ses invités de la plus grande cité d'Eldarya et quand un orc en armure d'orichalque s'approche, June lui remet la missive. Ses yeux noirs balayent les lignes écrites par Balam, puis il intime à la messagère de le suivre jusqu'à un grand bureau. Il toque trois fois, jusqu'à ce que la voix gutturale de Shakalogat Gra Ysul l'invite à entrer.
« Capitaine, la salue l'orc, une gardienne de l'Obsidienne travaillant avec Lefaucheur a une missive à votre attention. C'est urgent.
- Très bien. Qu'elle entre. »
Le fonctionnaire d'Odrialc'h fait signe à June d'entrer, puis lui rend sa missive. June obéit, légèrement tremblante. Elle a pu reprendre son souffle, mais la sueur sur son front n’est pas seulement dûe à sa course. Ses yeux améthystes se posent immédiatement sur la Capitaine, et elle s’incline maladroitement en la saluant d’une voix étranglée.
« Temata, Kribaten. Excusez-moi de vous déranger, je travaille avec Ba… le gardien Lefaucheur dans les prisons d’Albacore, et il faudrait que vous lisiez ceci, s’il-vous-plaît. »
Elle sait que c’est le nom de Miiko Yamamura qui est inscrit sur le parchemin, et elle doute que Shakalogat ne le remarque pas, alors elle tend la missive déjà ouverte en priant pour que l’urgence la dispense de questions, car elle n’est pas certaine d’avoir un mensonge suffisamment convaincant pour s’en sortir d’une simple pirouette.
« C’est le prisonnier, ajoute-t-elle d’une petite voix. Il ne va pas bien du tout.
- Je vois. Mais je lis aussi le nom de Miiko Yamamura. Pourquoi avez-vous désobéi aux ordres du gardien Lefaucheur pour me remettre cette missive ? »
June songe que ses pensées regorgent d’insultes adressées secrètement à ses interlocuteurs, ces derniers temps. Heureusement qu’elle est capable de garder un visage neutre, autrement, la moitié de ses connaissances auraient été la cible de ses regards furieux. Elle se compose un air penaud et écarquille les yeux pour signifier son inquiétude, alors que ses doigts viennent se tordrent de manière erratique en tirant sur sa tunique.
« J’avais peur d’arriver trop tard… geint-elle avec application. Vous étiez plus près, et je crois que la fée va vraiment mourir… Je me suis dit que c’était peut-être mieux de venir vous voir, parce que j’aurais jamais pu courir directement jusqu’à la Garde sans m’effondrer avant. »
Elle baisse la tête, contrite, et ses mains tirent si fort sur le tissu qu’il manque de se déchirer.
« Je sais que j’aurais dû obéir à Balam, mais je crois que l’important, pour l’instant, c’est l’état du prisonnier plus que la personne à qui je remets cette missive. Et puis comme nous travaillons directement avec vous, je me suis dit qu’il n’y avait pas vraiment de différence, si ?
- Nous verrons cela une fois sur les lieux. Il est important de juger l'état du prisonnier pour le moment. »
Lorsqu'elles quittent le bureau, Shakalogat interpelle deux de ses soldats hauts gradés pour l'accompagner, puis ordonne au fonctionnaire qui a conduit June d'aller chercher Miiko Yamamura, afin qu'elle les rejoignent à la prison.
Ensuite, elles se mettent en route. La Capitaine presse le pas afin d'arriver sur les lieux au plus vite, si bien que June doit courir pour la suivre. Mais une fois à la prison, la gardienne de l'Obsidienne peut aviser qu'elle a bien fait.
Shakalogat ne dit rien, pendant que le maître des arcanes la conduit, mais son visage s'assombrit quand elle avise la cellule de Candice Milliget.
« Capitaine Gra Ysul ? souffle Balam en se retournant, écarquillant ses yeux opaques.
- Gardien Lefaucheur. La gardienne Albalefko a jugé bon de me remettre votre missive. Elle a visiblement dû agir dans l'urgence. Miiko Yamamura est prévenue au moment où nous parlons. »
La Capitaine s'approche de la cellule pour y découvrir les vestiges du malaise de Candice, séchant en flaques écoeurantes, puis Candice lui-même, effondré contre les barreaux de la prison, inconscient.
« Il a perdu connaissance il y a quelques minutes, l'informe Balam.
- Avez-vous essayé de le stimuler ?
- Je l'ai appelé plusieurs fois, mais il ne répond pas.
- Ça ne va pas. »
L'ancien guetteur lève la tête, perplexe. Il peut voir que Shakalogat a brièvement fermé les yeux pour pousser un soupir discret, avant de faire un tour des lieux.
« Quand j'étais venue ici après l'installation du prisonnier, vous m'aviez sollicitée pour faire cesser de mauvais traitements. Je dois vous avouer que j'avais hésité à récupérer le prisonnier au nom d'Odrialc'h. Est-ce que le Conseiller Tuarran est toujours désigné comme responsable de la fée ?
- En effet, répond Balam, et c'est lui-même qui m'a désigné comme geôlier.
- Je m'en souviens. »
En quelques minutes seulement, Shakalogat vérifie le bureau, fait le tour de la cellule, puis se dirige vers le garde-manger. En de grandes enjambées, elle observe, vérifie, découvre, avise et au fil des secondes, son visage exprime un immense mécontentement.
Enfin, elle interpelle l'un de ses soldats pour lui glisser quelque chose en langue orc. Ce dernier effectue un salut militaire, avant de disparaître.
« Qui lui a remis la caisse de glace éternelle ? demande brusquement Shakalogat.
- C'est moi, confesse Balam.
- Où est son voile ?
- C'est la Garde Étincelante qui le possède.
- Malgré votre statut, vous n'avez jamais eu l'autorisation de remettre son voile au prisonnier ?
- Pas sans l'autorisation de la dirigeante, en effet. »
Dirigeante qui fait irruption dans la prison à pas pressés, ses longs cheveux sombres formant une cape de ténèbres derrière elle. Quand elle aperçoit la Capitaine sur les lieux, elle la salue, puis demande ce qui se passe.
« Le prisonnier serait dans un état critique ?
- En effet, réplique Shakalogat, mais cela ne vous concerne plus. Odrialc'h reprend la responsabilité du prisonnier.
- Comment ? »
Miiko Yamamura ouvre de grands yeux, mais la Capitaine reste imperturbable. Les bras derrière le dos, elle énumère le résultat de ses observations, ainsi que la suite des évènements :
« Vous détenez un prisonnier important, responsable de la catastrophe qui a ravagé votre cité, mais vous l'avez placé dans un endroit avec des températures qu'il lui est impossible de supporter à long terme. Ce qui résulte de son état actuel. De plus, je constate que le prisonnier fait preuve d'un aspect répugnant, ce qui signifie qu'il n'a visiblement jamais eu l'occasion de se laver. Le geôlier va me faire un rapport détaillé sur le quotidien de la fée et des autorisations dont il disposait, mais si la Garde espérait obtenir des réponses de cette façon, alors il est préférable qu'Odrialc'h reprenne la responsabilité du prisonnier. »
June reste parfaitement impassible. Elle s’est réfugiée dans un coin, et observe sans se faire remarquer. Elle ne sait pas si elle a bien fait de ramener la Capitaine, mais rien que pour voir Miiko Yamamura en prendre pour son grade, sa journée semble soudain plus lumineuse. Et puis, si Candice est mieux traité, alors ça ne peut qu’arranger ses affaires. Reste à espérer qu’elle puisse garder le contact avec la fée, car si Odrialc’h reprend sa responsabilité, rien ne dit qu’elle pourra continuer à manigancer avec Candice.
Elle tourne la tête pour essayer de croiser le regard de Balam. June sait que c’est surtout l’état de santé de Candice qui lui importe, alors elle espère qu’il n’est pas en colère contre elle. D’autant qu’elle songe de plus en plus qu’il pourrait se montrer extrêmement précieux s’il venait à apprendre les véritables raisons qui ont poussé Candice à attaquer Eel…
« J'ai demandé le transfert immédiat de la fée dans une chambre froide de l'hôpital d'Albacore. Une équipe médicale devrait intervenir d'une minute à l'autre pour déplacer le prisonnier avec l'aide de mes soldats.
- Capitaine, l'enquête de la catastrophe qui a frappé la cité d'Eel incombe à la Garde ! Vous ne pouvez pas nous la reprendre !
- Je suis venue ici en tant que représentante d'une cité amie pour aider la Garde à contrôler les dommages qui ont eu lieu. Et ceci en fait partie. Si une fée Milliget meurt, est-ce que vous pensez pouvoir faire face aux conséquences, Dame Yamamura ? »
Shakalogat rive son regard onyx dans les yeux de Miiko. La réponse est évidente : non, la Garde ne pourra pas faire face à une attaque lancée par le peuple des fées, si ce dernier voulait venger la mort d'une des leurs.
Alors elle regarde, impuissante, des soldats d'Odrialc'h ainsi que des soignants de l'hôpital d'Albacore, déplacer le prisonnier inconscient jusqu'à la chambre froide. Elle observe aussi la Capitaine donner ses directives, former la nouvelle sécurité qui sera maintenue autour de la cellule glaciale de Candice Milliget jusqu'à nouvel ordre, puis elle s'approche de nouveau de Miiko Yamamura :
« Je dois aussi m'entretenir avec vous et le Conseiller Tuarran, de ce que j'ai vu dans le garde-manger de la prison. Cela dépasse l'entendement. J'ai eu tort, de fermer les yeux sur ce qui se passait dans cette prison après le premier incident et sachez, Dame Yamamura, que je compte bien réparer mon erreur. »
Puis s'adressant à June et Balam :
« Avec moi, leur intime-t-elle, je vous démets de vos fonctions jusqu'à la fin de notre entretien et ensuite, j'aviserai. »
June grimace intérieurement : voilà qui risque fort de déplaire à Sexta. Malgré elle, la jeune femme se rapproche un peu de Balam et hoche la tête, obéissante. Décidément, le monde ne tourne jamais dans le sens qui l’arrange…
Entretien avec Shakalogat Gra Ysul
June et Balam sont conduits dans le bureau de Shakalogat Gra Ysul. Derrière eux, la sécurité de la prison a été renforcée pendant que des soldats d'Odrialc'h, accompagnés par une équipe médicale, s'occupaient du transfert de Candice Milliget dans la chambre froide de l'hôpital d'Albacore.
Conformément à ce que la Capitaine avait dit, Balam et June sont démis de leurs fonctions et ils ignorent quel statut ils retrouveront à l'issue de l'entretien. Shakalogat prend place derrière son bureau, puis invite les deux faeliens à faire de même. Sans plus attendre, elle commence en interpellant Balam :
« Gardien Lefaucheur. Vous étiez guetteur à la cité d'Eel. Après la catastrophe, vous prêtiez main forte à la Garde, notamment en tant que surveillant pénitentiaire durant le transfert des prisonniers d'Eel à Albacore. Seulement, vous avez changé de statut après l'incident avec la fée Milliget. »
Balam hoche la tête. Pendant l'une de ses rondes, il avait entendu des hurlements qui lui avaient glacé le sang. Ils provenaient de l'endroit où avait été placée la fée. Endroit qui lui était inaccessible car le maître des arcanes ne laissait pas entrer des personnes non-autorisées. Balam avait eu un doute alors, écoutant son instinct, il s'était éclipsé pour aller chercher une personne gradée, et cette personne avait été la Capitaine.
« En effet, répond l'ancien guetteur, après l'incident dont vous avez connaissance, le Conseiller Tuarran s'est occupé de ma promotion dans la Garde Étincelante ainsi que de mon nouveau travail.
- Vous aviez choisi de devenir le geôlier du prisonnier ?
- Non. Mais je craignais que si quelqu'un d'autre le surveillait, il en profiterait pour lui infliger de mauvais traitements.
- Pardonnez-moi, gardien Lefaucheur, mais vous lui avez infligé de mauvais traitements. »
Balam ouvre de grands yeux opaques. Il ouvre la bouche, confus, puis fixe le visage de la Capitaine comme si elle venait de se changer en fée. Il secoue la tête et rétorque qu'il n'a jamais fait une telle chose, sauf quand le Conseiller Tuarran lui en donnait l'ordre direct et qu'il savait qu'il subirait des représailles.
« Vous avez bien agi quand vous êtes venu me quérir pendant l'incident, mais en tant que geôlier responsable du prisonnier, vous auriez dû agir en signalant son lieu de détention inadapté à son espèce. De plus, le laisser ainsi sans possibilité de se laver est un mauvais traitement, monsieur Lefaucheur. Vous craigniez peut-être une insubordination et cela est entendable, mais vous auriez dû penser aux conséquences comme ce qui s'est produit aujourd'hui et même d'autres conséquences plus grandes, telles qu'une vengeance de la part du peuple des fées. »
Balam accuse les reproches, mais ne dit rien. Dans son esprit, les paroles de Rose Clarimonde tournent en boucle, si bien qu'il ne peut s'empêcher de penser que si Odrialc'h détient vraiment une partie du peuple des fées en otage, alors Shakalogat Gra Ysul et ses sermons sont bien pires que le Conseiller lui-même.
« Gardienne Albalefko. »
June se raidit. Elle fixe le bureau et ses mains sont sagement posées sur ses genoux. Son cœur bat vite, car elle n’a pas besoin de problèmes supplémentaires… L’avantage, c’est que contrairement à Balam, elle n’est absolument pas gradée. Elle se raccroche à cette idée, et redresse lentement la tête pour regarder la Capitaine, en peignant une moue contrite sur son visage.
« En tant que gardienne de l'Obsidienne, vous cherchiez à vous rendre utile depuis la catastrophe, ce qui est louable. Je me souviens d'ailleurs avoir échangé avec vous, à ce sujet. Cependant j'aimerais comprendre comment vous vous êtes retrouvée à travailler avec le gardien Lefaucheur et quel est votre rôle dans cette prison. »
June prend un longue inspiration, puis elle hoche le menton en prenant le temps de rassembler ses pensées. Bien joué, ma grande, grogne-t-elle à son intention. Sa bouche est un peu sèche, et quand elle avale sa salive, sa gorge lui fait mal.
« Je suis allée voir le conseiller Tuarran avec mon frère, juste après notre discussion, commence-t-elle lentement. Il m’a proposé plusieurs postes, comme gérer la sécurité des civils ou travailler avec les guetteurs. Il m’a également signifié qu’il existait des postes plus difficiles, et que pour y accéder, je devais passer une évaluation de l’esprit. Il m’a dit aussi qu’exercer ces postes pourrait me valoir une promotion. »
Elle baisse la tête, comme si elle regrettait de s’être faite bercer par ces paroles, et elle hausse brièvement les épaules.
« Je veux dire… Je ne veux pas rester une simple gardienne toute ma vie, vous comprenez ? Être promu, ça veut dire aussi voir son salaire augmenter, et je suis une charge pour mes parents, donc si je peux les aider… Alors j’ai demandé à passer ces tests. Ça ne m’engageait à rien, au pire, je les ratais et j’allais aider les guetteurs, au mieux je réussissais et j’avais des responsabilités plus importantes. Au début, le Conseiller à juste dit que le travail consistait à nourrir les prisonniers, et que comme beaucoup d’entre eux avaient fait des choses horribles, personne ne voulait le faire. Je me suis imaginée quelque chose de facile, comme devoir leur donner leurs écuelles et repartir chez moi, contenir d’éventuels mouvements d’humeur… Je pensais que personne ne voulait de ce travail parce que personne ne voulait être en compagnie de meurtriers, mais moi ça ne me dérange pas, il faut bien que quelqu’un leur donne à manger et les surveillent. »
Elle soupire, et son regard se perd un instant dans le vague. Pas besoin de mentir à la Capitaine pour ça, elle s’était vraiment naïvement imaginée ce genre de choses. En même temps, comment aurait-elle pu savoir qu’il allait falloir nourrir Candice avec des morceaux de gens ? June reprend d’une voix un peu morne, traduisant sa désillusion.
« Je me suis rendue à la prison pour passer ce fameux test, et au départ, tout s’est passé comme je l’imaginais. Et puis le conseiller à fait amener les deux prisonniers, j’imagine que vous voyez desquels je parle. »
Elle fait mine d’essayer de se rappeler leurs noms, et mime deux oreilles sur sa tête.
« Le renard, vous savez, roux, le membre du cartel des Typhons qui se faisait appeler Jens Red ? Vous l’avez rencontré pendant les sélections. Et Nelladel, l’elfe avec les cheveux bleus. Enfin bref, il les a amené, et ensuite, il m’a dit que je devrais m’occuper de nourrir la fée. Sans préciser… Ce que je devrais lui donner, grimace-t-elle. Et puis là, il m’a dit que la nourriture était parfois encore vivante, alors je n’ai pas tout de suite fait le lien, et j’ai cru qu’il parlait de familier, peut-être… Je crois que j’avais compris, mais que je ne voulais pas l’admettre, parce que… Enfin… »
Elle passe une main dans sa tresse, et se racle la gorge avant de reprendre en triturant ses doigts. Les larmes lui montent aux yeux, à peine forcées, mais elles restent prisonnières.
« Et puis… On est arrivé dans la cellule, et là, il m’a dit que la nourriture, c’était les condamnés à mort. Que moi, j’aurais juste à lui donner les morceaux de cadavres, que je devrais bien contrôler sa nourriture pour qu’il soit toujours faible. Il m’a dit que si je refusais, je devrais boire un philtre d’oubli, et que si j’acceptais, j’aurais une belle vie, une promotion, mais que si j’en parlais à quelqu’un, je serais radiée de la Garde et de la cité. Balam… Il a essayé de m’en dissuader, mais je… Je me suis dit que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre devrait le faire à ma place. Que peut-être ce serait quelqu’un de méchant, qui torturerait encore plus la fée. Moi, je lui donnais juste ses repas, et ensuite je m’en allais après avoir changé l’eau. J’ai voulu en parler à mon père, mais j’avais peur, pour moi et pour le reste de ma famille, parce que je ne voulais pas qu’ils subissent ma décision, alors je n’ai rien dit du tout. »
Elle espère que Balam adhérera à sa version et passera sous silence ses anicroches avec la fée… June renifle, elle se mord la lèvre et paraît se reprendre un peu quand elle redresse la tête vers la Capitaine.
« Après, il y a eu l’incident avec le Typhon et Nelladel, et ils ont été transférés à l’hôpital, et moi, j’ai donné à manger à la fée. Et ensuite, j’ai juste continué, et je ne voyais pas comment m’en sortir. Je voyais bien que Balam voulait l’aider, mais comme je suis juste une gardienne, je ne pouvais pas faire grand-chose. Et puis, pour la nourriture, je n’avais pas le droit d’aller dans l’endroit où elle était préparée, et je pouvais juste prendre ce qui était dans mon tonneau. C’est… je pensais que vous saviez aussi, et je me disais que tout le monde cautionnait ça, et que moi, face aux dirigeants d’Eel et d’Odrialc’h, j’étais trop petite. »
La Capitaine l'a écouté jusqu'au bout sans l'interrompre. Dans son esprit, elle a déjà pris des décisions concernant Balam Lefaucheur et en cet instant, elle vient d'en prendre quelques unes concernant June Albalefko. Elle croise religieusement les bras sur son bureau, puis demande d'une voix sereine :
« Gardienne Albalefko, est-ce que vous savez pourquoi j'ai choisi votre père comme vainqueur des sélections ? »
Le visage de June se fend d'étonnement. Elle doit se demander pourquoi Shakalogat lui parle soudainement des sélections et elle secoue la tête.
« Pour sa noblesse d'esprit et son détachement matériel. En tant que sa fille, je pensais que vous vous seriez imprégné des valeurs similaires à celles de votre père, mais visiblement ce n'est pas le cas, puisque c'est l'appât du gain qui vous a mené jusqu'ici. Mais de ce que je peux voir, vous vous êtes brûlé les ailes. »
C'est si facile, de proposer un tel poste à une gardienne de l'Obsidienne sans aucun grade, pour lui promettre un salaire élevé et l'emprisonner dans une tâche ignoble dont elle ne pourra plus se défaire, à cause de toutes les clauses de son contrat. Balam Lefaucheur avait le pouvoir de changer les choses, mais il ne l'a pas fait. June Albalefko, elle n'en avait aucun et devait avoir peur de parler à qui que ce soit. Néanmoins, elle a fini par agir aujourd'hui.
« Qu'est-ce que vous avez retenu de ce poste, gardienne Albalefko ? Comment a été votre quotidien après vos prises de fonctions ? »
June prend un air repenti et triture de nouveau sa tunique, en jetant malgré elle un regard à Balam, qui regarde le mur en songeant sûrement aux paroles de la Capitaine.
« C’était horrible, murmure-t-elle. Nourrir le prisonnier, c’était… C’était pas vraiment le pire. Je ne regardais pas trop ce que je lui donnais, et on m’avait interdit de lui parler, alors je n’osais pas m’approcher trop. Je venais, je changeais l’eau du tonneau, je lui donnais le morceau et je repartais, mais après… Mon petit frère a bien compris que ça n’allait pas, et je ne pouvais rien lui dire parce que je ne voulais pas qu’il soit en danger. Je dors mal, et je mange plus trop non plus, il voit bien que quelque chose me tracasse, et je crois que c’est ça, le pire, de ne pas pouvoir le mettre au courant. Et de savoir que si je lui disais, il aurait très peur pour moi, que ça l’inquièterait beaucoup. »
Bien sûr, ses cauchemars n’ont pas grand-chose à voir avec Candice et les bras qu’il avale, mais elle ne peut pas avouer à Shakalogat qu’ils s’ils sont effectivement hantés de trompes, on y voit surtout Sexta en train de torturer les siens, ou le Conseiller faire du mal à ceux qu’elle aime.
« J’ai jamais trop parlé à maman de ce que je faisais, parce qu’elle, elle panique un peu vite, donc ça, ça ne changeait pas vraiment, mais ne rien pouvoir dire à papa, c’est difficile aussi, reprend-elle. Et puis… Pendant l’attaque, j’ai failli mourir à cause de la fée, alors au début, je me disais que c’était bien fait pour lui qu’il soit enfermé ici, et quand j’ai découvert comment ils le détenaient, je… C’était… Personne ne devrait subir ce genre de choses. Même pas lui, même s’il a tué tous ces gens, c’est mal. Il était de plus en plus faible, de plus en plus malade, et moi, je ne pouvais rien faire. Je suis devenue gardienne pour aider les autres, Capitaine, pas pour les voir souffrir à cause de moi. Avant ça, je ne pensais pas que les gens pouvaient être aussi…»
June déglutit et regarde autour d’elle, comme si elle craignait qu’on l’entende.
« Que la Garde pouvait être cruelle, dit-elle à voix basse. Que les gens pour lesquels je travaille ne font pas forcément le bien. Pendant mes missions, j’ai déjà dû faire des choses terribles, et il m’est déjà arrivé de tuer quelqu’un, mais à chaque fois, c’était pour sauver quelqu’un d’autre ou pour me protéger moi. Ce n’était pas gratuit, ce n’était pas prémédité. J’ai plongé au milieu d’un océan sans savoir nager, et je me suis noyée parce que je ne savais pas comment sortir de là et aider ceux qui en avaient besoin. »
Shakalogat hoche la tête et le silence retombe. La Capitaine assimile soigneusement toutes les informations que June lui a partagé et les décisions qu'elle a prises la concernant ne changent pas.
Soudain, Balam reprend la parole :
« J'aimerais vous poser une question, Capitaine.
- Je vous écoute.
- À votre avis, pourquoi une fée s'en prendrait à une cité toute entière ? »
Shakalogat plisse ses yeux noirs. Elle répond que le fée Milliget voulait s'en prendre au Conseiller et qu'elle n'a pas hésité à détruire Eel pour cela. Balam réitère un pourquoi ? et la Capitaine lui rétorque que c'était la réponse que la Garde devait trouver.
L'ancien guetteur souffle par le nez, l'un de ses doigt tapotant son genou, puis demande :
« Que ce soit en tant que geôlier ou bien un autre rôle, j'aimerai continuer de m'occuper de prisonnier.
- Pourquoi est-ce que je devrais vous laisser l'approcher de nouveau ?
- Parce que je suis comme vous : lorsque je fais une erreur, je fais tout mon possible pour la réparer. Si j'ai commis de la maltraitance comme vous l'avez évoqué, alors je voudrais pouvoir m'occuper convenablement du prisonnier jusqu'à la fin.
- Et que représente la fin, pour vous ? »
Balam ne dit plus rien. C'est une réponse délicate, que Shakalogat demande, mais c'est celle qui déterminera son nouveau rôle. La fin, ce peut être l'exécution ou le transfert de la fée dans une autre prison. Pourtant, ce n'est pas ce que répond l'ancien guetteur.
« Sa libération. »
Si Shakalogat est frappée par la stupeur, elle tâche de garder une attitude imperturbable. Ses mains jointes sur le bureau, elle demande à Balam de développer ses propos et de lui expliquer pourquoi, selon lui, celui qui a tenté d'assassiner le Conseiller, détruit la cité d'Eel et manqué de le tuer, devrait être libéré, un jour :
« C'est la réponse que je finirai par trouver.
- Une réponse qui correspond à votre vision de la réalité ou votre théorie de la catastrophe ?
- Une réponse qui fait peut-être écho à ce que vous avez vu aujourd'hui. Je pense que derrière la catastrophe, il y a peut être plus de choses qu'une histoire de meurtre par une fée. »
Cette fois, June écarquille ses yeux violets. Balam aurait-il vu plus qu’il n’en laisse paraître ? Saurait-il… Elle tâche de garder une respiration normale, et de ne pas attirer l’attention de la Capitaine sur elle, car une simple gardienne devrait être perdue d’entendre ce genre de choses. Pourtant, elle sait qu’une fois sortie de l’entretien avec la Capitaine, elle ira parler au guetteur. Et cette fois, elle trouvera peut-être enfin un allié digne de confiance.
« Et vous, gardienne Albalefko ? Est-ce que vous souhaiteriez être libérée de vos obligations, ou bien continuer à travailler au contact du prisonnier ? »
Elle s’imagine retourner voir Sexta et lui expliquer que la Capitaine l’a démise de ses fonctions. Elle sera aussi sûrement démise d’une main, ou peut-être d’une jambe, de ses grands-parents et aussi de sa famille. June soupire intérieurement, et prend une expression déterminée.
« Je voudrais continuer, si vous le permettez. »
Elle sait que ce n’est pas la réponse attendue, et que la Capitaine n’a sûrement pas envie de la voir à nouveau autour de la fée, surtout après son témoignage. June attrape le bord de sa chaise et prend une longue inspiration.
« Je sais que c’est bizarre, mais je me sens responsable, comme le gardien Lefaucheur. Je sais bien que je ne pouvais rien faire, et que je n’ai pas eu le courage d’essayer, je sais que mes motivations initiales peuvent paraître ridicules, mais malgré tout, je veux me racheter. Même si le prisonnier a tué des innocents, même si c’est un meurtrier et que tout le monde parle de lui comme d’un monstre, c’est aussi de ma faute s’il est dans cet état. Et puis maintenant, je suis habituée, alors autant ne pas imposer ça à quelqu’un d’autre. Je suis juste une gardienne, et peut-être que vous jugerez que ce n’est pas ma place, et qu’il vaut mieux que j’aille servir à quelque chose ailleurs, ou que je ne suis pas apte à prendre soin du prisonnier, mais s’il-vous-plaît, je voudrais essayer de faire les choses correctement cette fois. Qu’il soit libéré, exécuté ou remis à Odrialc’h, je ne peux rien y faire, et mon avis n’a pas d’importance, alors qu’au moins, jusqu’à ce que la décision soit prise, je puisse avoir la possibilité d’être une vraie gardienne et de prendre soin des autres, même si c’est cette fée, même s’il est odieux et qu’il ne sait que jurer, même s’il a failli me tuer. Cette leçon-là, elle sera peut-être encore plus bénéfique que celle que je viens d’apprendre à mes dépends. »
June reprend son souffle et baisse les yeux, en priant pour que la Capitaine ne soit pas l’instigatrice de sa décapitation prochaine par Sexta Stocker, et elle reprend d’une voix plus calme.
« Si vous m’autorisez à travailler à nouveau à son contact, je ne demande pas de promotion ou de statut particulier, mais simplement d’avoir la possibilité d’en parler à mon petit frère. Je ne lui dirais que ce que vous m’autorisez à lui dire, mais si je sais qu’il me soutient, la situation sera nettement plus supportable que ces derniers temps. Je pense que c’est aussi pour ça que je me suis noyée, Capitaine. Parce que j’avais l’impression d’être toute seule. »
Shakalogat joint les mains. C’est elle qui a repris la responsabilité du prisonnier au nom de la cité qu’elle sert, et c’est elle qui a démis les deux personnes qui lui font face, de leurs fonctions. Alors elle a le pouvoir de leur en donner d’autres plus adéquates, selon elle.
La Capitaine commence par le gardien Lefaucheur :
« Gardien Lefaucheur, je vous enlève votre statut de gardien et je vous retire de la Garde Étincelante. Vous exercerez le rôle de surveillant auprès du prisonnier avec un statut parfaitement neutre aux yeux de la cité d’Eel et celle d’Odrialc’h et ce, jusqu’à la fin, peu importe ce qu’elle est. Votre rôle sera de faire des rapports réguliers qui seront consultables par la Garde Étincelante, pour le bien de l’enquête et par moi-même. Vous travaillerez en partenariat avec les soignants de l’hôpital et vous devrez accompagner les enquêteurs durant les interrogatoires. Vous êtes responsable du prisonnier, alors aucune erreur n’est permise. »
Shakalogat demande à Balam s’il a bien compris et pour l’ancien guetteur, tout est clair. C’est comme si sortir de la Garde Étincelante lui retirait un poids des épaules et il affirme qu’il saura s’occuper du prisonnier comme il se doit, jusqu’à la fin et surtout la réponse à sa question.
Ensuite, la Capitaine se tourne vers June et reprend :
« Gardienne Albalefko, je peux vous affecter à la l’équipe de sécurité qui se chargera de garder la nouvelle cellule du prisonnier. Seulement et pour cela, il vous faudra vous détacher de la Garde pour œuvrer pour Odrialc’h jusqu’à la fin de la détention. Contrairement au rôle de Lefaucheur qui doit être parfaitement neutre afin d’être mené à bien, le vôtre doit se réaliser sous l’étendard de la cité d’Odrialc’h. Si cela vous pose problème, alors vous resterez gardienne de l’Obsidienne et ferez ce que bon vous semble. »
Intérieurement, elle jubile. Autant pour le cartel et ses tentatives d’enlèvement, elle vient d’obtenir exactement ce dont elle avait besoin, et sans même avoir besoin de manigancer dans l’ombre. La jeune femme hoche la tête avec une détermination farouche : son crâne restera attaché à son cou, et elle aura un pied à Odrialc’h avant même que ne commence la mission qu’elle s’est engagée à réaliser pour Candice Milliget.
« J’accepte, Capitaine. »
Balam et elle prendront leurs fonctions une fois le transfert du prisonnier achevé. Ils n’auront pas le droit à l’erreur et ils devront travailler avec le personnel d’Odrialc’h. Ils ne devront divulguer aucune information à la Garde d’Eel, sauf concernant les rapports de Balam.
D’ailleurs, la Garde cherchera sûrement à se réapproprier le prisonnier, mais cela n’arrivera pas.
Shakalogat va contacter immédiatement la plus grande cité d’Eldarya afin de demander à ce qu’un médecin intervienne immédiatement pour prendre le commandement de l’équipe soignante.
June et Balam devront obéir à ses ordres, en plus des siens car ce qu’ils doivent retenir c’est qu’à présent, ils sont officiellement détachés de la Garde d’Eel.
La bibliothèque des Mircalla était une pièce si grande qu'elle avait l'air de l'écraser. Au beau milieu d'étagères garnies d'œuvres humaines traduites par des linguistes, ainsi que de romans d'auteurs eldaryens, Rose n'était pas grand-chose. Un adolescent famélique de quatorze ans, vêtu de l'uniforme réglementaire des majordomes avec un carré de cheveux sombres, en train de faire la poussière.
Il fallait prendre son équipement de nettoyage, commencer par les tables de lecture, puis les secrétaires, ranger le matériel d'écriture, s'occuper des fauteuils et enfin, utiliser les grandes échelles pour dépoussiérer chaque étagère. Il avait une bonne partie de la journée pour cela. Ensuite, il devrait s'occuper de la mise en place des couverts pour le repas du soir, comme Ficaire le lui avait montré.
Un travail harassant, mais un travail qui payait bien et c'était tout ce dont il avait besoin. Rose ne pensait à rien, pendant qu'il effectuait des mouvements circulaires sur le plat des tables en bois, avec un chiffon humide. Il ne songeait ni à demain, ni aux jours suivants et encore moins à ce qui se produirait dans quelques années. Ses journées se ressemblaient toutes, sauf une en particulier : quand il avait malencontreusement renversé le thé de Nevra Mircalla sur la moquette d'un petit salon et qu'il s'était couvert de honte.
Ah… Ça ira nourrir la moquette.
Rose n'avait pas compris pourquoi le fils Mircalla s'était montré si indulgent. Il aurait dû le réprimander et ensuite, le jeune vampire aurait essuyé d'autres remontrances de la part de Ficaire. Pourtant, Rose n'avait pas apprécié le geste de Nevra et il se méfiait de lui. Les nobles n'agissaient jamais par pure gentillesse, alors il viendrait certainement un moment où le fils Mircalla lui rappellerait la sienne contre un service.
Il s'était raidit quand il avait entendu la porte de la bibliothèque s'ouvrir, mais il s'était contenté de se concentrer sur sa tâche sans lever ses yeux opalins. De toute manière, on ne lui prêtait aucune attention et il devait simplement continuer ses besognes en silence, afin de ne pas déranger celui ou celle qui venait se plonger dans un ouvrage. Alors il avait continué ses mouvements circulaires sur le plat de la longue table en bois. Ensuite, il utiliserait de la cire afin de le rendre brillant jusqu'à ce qu'il puisse y percevoir un semblant de reflet. C'était ainsi que l'on travaillait bien, selon Ficaire.
« Bonjour. »
Au début, Rose n'avait pas tout de suite compris que cette salutation lui était adressée. Il avait fallu qu'elle soit répétée pour qu'il finisse par lever la tête et écarquiller ses yeux opalins quand ils s'étaient confrontés à la prunelle grise de Nevra Mircalla. Rose avait suspendu ses gestes, réalisé qu'il n'avait pas répondu, puis retourné la politesse. Néanmoins, il s'était méfié.
Reprenant son nettoyage, il avait entendu le fils Mircalla se déplacer au sein de la bibliothèque, déambulant entre les étagères sans vraiment chercher un livre qui l'intéressait, pour finir par se planter devant l'une des grandes fenêtres cintrées du domaine. Elles donnaient toutes vers la forêt en contrebas et plus loin, on parvenait à distinguer Albacore, caché parmi les arbres. On apercevait aussi les mines de mithril, puis les quelques hameaux où logeaient les travailleurs, non loin des routes qui serpentaient jusqu'aux confins de la région du Beryx, là où se trouvait Amzer, le village des morgans.
« Vous allez finir par rayer le verni. » avait lancé Nevra d'un ton badin.
Surpris, Rose avait levé la tête, le cœur battant. Il avait pensé que le fils Mircalla faisait une réelle remarque sur son travail, mais en voyant son œil plissé d'amusement, il avait réalisé qu'il ne faisait que plaisanter.
« Il n'y a pas grand-monde qui vient s'asseoir à cette table pour lire, vous savez. »
Rose avait hoché la tête, puis s'était préparé à reprendre son travail, mais Nevra lui avait fait signe de s'approcher en agitant une main pâle, et le jeune vampire s'était exécuté, quelque peu soucieux. Il avait eu un mouvement de recul quand Nevra s'était penché vers lui pour lui souffler telle une confidence :
« C'est juste pour se la péter. »
Puis il avait ri. Il s'était de nouveau laissé absorber par le paysage du dehors, à travers la fenêtre et il avait fini par en actionner la poignée afin de sentir le vent sur son visage, en arguant que de toute façon, ça sentait le renfermé, ici.
« Ça doit vous changer, non ? Il paraît que vous avez grandi à Rhenia-Gaear. »
Oui, Eel l'avait énormément changé des Terres Gelées du Grand Nord, mais Rose avait toujours préféré sa contrée natale. Parce que là-bas, il y avait les dieux de la frontière, alors c'était plus rassurant. Il s'était toujours dit que s'il se trouvait en détresse, alors il n'avait qu'à faire le voyage jusqu'à la porte immense et glacée, puis demander de l'aide en priant, jusqu'à ce qu'on lui ouvre.
« Hein, Rose ? »
Il n'avait pas répondu, alors Nevra s'était permis d'insister. Ça avait été étrange, d'entendre quelqu'un prononcer son prénom, parce qu'on ne le faisait jamais. Eh, toi là-bas ! Monsieur Clarimonde, puis de simples gestes de la main. Mais on ne l'appelait pas.
« Oui, avait-il soufflé.
- Oui, quoi ? avait rit Nevra en s'accoudant au rebord de la fenêtre.
- Ça change.
- Et qu'est-ce qui change ? »
Pourquoi il avait voulu converser avec un serviteur insipide de quatorze ans, pourquoi il avait tenu à écouter les nombreuses différences entre Eel et Rhenia-Gaear et pourquoi il avait eu l'air d'apprécier ce moment quand d'autres se seraient ennuyés… Rose a mis du temps à le comprendre. Aujourd'hui plus que les autres jours alors qu'il attend, fébrile, le cœur au bord des lèvres.
Il se sent comme un voyageur du temps qui a compté les heures, qui a attendu sa médecin avec une impatience qu'il ne se connaissait pas, parce que tout son être meurtri ressentait le besoin d'en retrouver un autre.
Il aurait pu se taire, il aurait pu le demander à Balam Lefaucheur, mais il a fini par choisir celle qui est censée se préoccuper de son bien-être, alors il a pu oser.
Il voulait revoir Nevra. Il ressentait le besoin de le revoir. Il avait l'impression que sans lui, il n'arrivait à rien et que le monde se contentait de l'écraser pendant que le temps passait, pénible et infini.
S'il pouvait, ne serait-ce qu'échanger quelques mots avec lui, alors ce serait suffisant. Voir qu'il allait bien aussi et regarder cette étincelle briller, dans son œil d'orage, celle qui lui disait qu'il était toujours content de le voir. Alors Rose avait demandé à Ewelein Osgiliath s'il lui était possible d'aller voir Nevra Mircalla.
Surprise, la médecin en cheffe lui avait demandé pourquoi, même si elle se doutait de la réponse. Seulement, il fallait que son patient l'exprime avec ses propres mots.
Il me manque. Je m'inquiète. Je voudrais simplement savoir comment il va, s'il vous plaît.
Je vais voir ce que je peux faire. Il fallait remplir des papiers, des tonnes de papiers pour quelques minutes de retrouvailles, parce que Rose et Nevra restaient des êtres particuliers au cœur d'une enquête.
Même si l'entrevue avait lieu, on ne les laisserait pas tranquille, on ne leur offrirait même pas l'intimité d'une conversation mais ce n'était pas important. Que ce soit pour un simple bonjour ou une discussion sur la pluie et le beau temps, ça irait.
Il avait fallu trois jours pour qu'Ewelein obtienne un droit de visite. Trois jours, du grabuge dans l'hôpital pour des raisons qui n'avaient pas été communiquées aux patients et trois jours de visites incessantes que Valkyon recevait avec appréhension. Rose le regardait être conduit ailleurs, dans son fauteuil à roulettes, pour des discussions hautement confidentielles et cela ajoutait du poids à son angoisse.
Enfin, au bout du troisième jour, Ewelein était venue lui annoncer que son droit de visite lui avait été accordé. Seulement et en tant que responsable de son évaluation mentale, elle serait présente, tout comme le geôlier de Nevra, qui n'était personne d'autre que la nouvelle Cheffe de l'Ombre : Enthraa Kellerman.
Rose avait regardé sa médecin à la dérobée, comme si elle venait de lui offrir le plus beau des trésors. Joie. Ce qui avait coulé dans ses veines pendant un dixième de seconde, c'était de la joie.
Même s'il ne gagnerait pas l'extérieur car cela serait trop compliqué de le déplacer en fauteuil jusqu'au lieu où Nevra était détenu, on l'avait fait venir jusqu'à l'hôpital. Et Rose l'attend.
Dans cette grande salle monochrome, austère, ce lieu qui l'a vu se détruire face à Sadako, puis sous le regard bienveillant d'Ewelein. Cette pièce qui a entendu sa conversation avec Balam Lefaucheur, quand Rose a avoué à demi-mots, le crime commis par Odrialc'h.
Et maintenant, qu'est-ce que le blanc fade et maladif verra ?
Rose est assis derrière le petit bureau mais cette fois, ce n'est pas pour un interrogatoire. Pourtant, il n'a jamais été aussi nerveux. Il n'a jamais senti son être se faire chavirer par une vie oubliée, comme un grand navire qui n'était qu'un vaisseau fantôme ces dernières années. Là, son cœur joue son rôle : il est une pompe qui pulse sous le passage du sang, mais aussi le réceptacle de ses émotions qui surgissent, comme à l'issue d'un long tunnel sombre. Rose guette la porte à double battants de ses yeux opalins, à l'affût de chaque mouvement. Ses mains se tordent, sa gorge s'assèche et quand enfin il fait son entrée, il regrette d'avoir les jambes brisées.
Il le savait, il l'a toujours. Plus que moi-même. Je les aime plus que moi-même. Lui, Valkyon et maman.
Dans la stase provoquée par la maladie du néant qui gravite autour de son esprit, il a enfoui cette réponse sans jamais s'y intéresser de près. Il a tissé des liens sans avoir conscience de leur importance et parce qu'il a côtoyé la mort, alors il s'est réveillé une première fois, puis ici, une seconde fois.
Rose ouvre de grands yeux et Nevra Mircalla fait un pas dans la salle. Le dos bien droit, vêtu de ses habits de paria avec l'air digne qui sied à sa famille et l'œil pétillant, comme si sa situation n'avait aucune emprise sur lui. Il porte ses chaînes avec une nonchalance qui doit couvrir ses parents de honte, mais qui l'aident à tenir avec tous les poignards que l'on veut lui planter dans le dos. Sa peau pâle arbore les stigmates d'une vie d'attente et d'ennuie, son corps est drapé dans le tissu noir du déshonneur et ses cheveux de jais, aussi indomptables que lui, encadrent une figure qui ne se défait jamais de son arrogance intouchable. C'est certainement pour cela qu'on s'acharne tant pour le faire tomber et cracher des vérités qui le mèneraient tout droit en prison.
Mais Nevra reste un socle. Un socle qui n'a pas honte des fers à ses poignets ainsi que ses chevilles, même si cela meurtri le cœur de son ancien Second. Près du prisonnier Mircalla, Enthraa Kellerman ressemble à une dame de ténèbres et de sang, son uniforme jurant avec sa peau grise ainsi que ses yeux d'un vert intense, comme le plus maudit des poisons. Elle a coiffé ses cheveux turquoise en arrière, dégageant son visage sévère. Certes, elle a l'allure d'une cheffe mais pour Rose, elle n'aura jamais le charisme de son prédécesseur ainsi que sa façon de diriger l'Ombre, de sa main de fer dans un gant de velours.
« Cheffe Kerllerman, la salue Ewelein.
- Un quart d'heures. » tranche cette dernière d'un ton autoritaire.
Après trois jours d'administration et d'attente, c'est tout ce qu'ils auront. Alors plutôt que de laisser filer les minutes, Nevra et Rose refusent d'en perdre une seule. L'ancien Chef de l'Ombre prend place sur la petite chaise en bois. Face à face, son œil d'orage plongeant dans les prunelles opalines de celui qui a l'air de se noyer sous sa frange. Rose se sent trembler. Rose peut l'entendre souffler d'un air taquin que la chaise sur laquelle il se trouve, n'aura peut-être plus jamais l'occasion de recevoir son illustre derrière. Que celui qui parviendra à retirer le manche à balai du derrière d'Enthraa Kellerman, deviendra roi. Qu'il ferait mieux de couper ses cheveux, aussi, sinon on ne verra même plus ses yeux.
« Ça va ? »
Sa voix résonne d'une triste manière, dans cette salle trop grande. Elle est telle que Rose l'a gardée dans sa mémoire, quand il l'écoute raconter une anecdote ou bien se moquer gentiment de lui. Il renifle pendant que sa gorge se serre en même temps que ses poings. Il ne veut pas pleurer maintenant, alors il hoche la tête.
« Tu mens très mal. » sourit Nevra.
Ses fer cliquètent alors qu'il pose ses mains sur la surface du petit bureau. Il souffle par le nez, puis tourne la tête vers la fenêtre, à l'image de Rose quand il avait perdu pied. Il dit que les saisons chaudes vont bientôt se montrer. Le jeune vampire se demande ce que ça peut lui importer, maintenant.
« C'est épuisant, la chaleur, pour des êtres comme nous. Même si je ne suis pas un grand adepte de l'hiver, je préfère les ciels plus gris.
- Moi aussi, répond Rose d'une voix hachée.
- Qu'est-ce que tu lis de beau, en ce moment ? »
Surpris par le changement de sujet, Rose plisse les yeux. Face à lui, il n'y a qu'un sourire bienveillant. Celui qu'il a toujours connu et en cet instant précis, il sait. Il tâche de rester aussi imperturbable que d'ordinaire, le même patient triste d'Ewelein Osgiliath, avec ses jambes brisées et son manque flagrant d'intérêt pour le quotidien.
À quoi tu penses ?
« Rien.
- "Rien", ce n'est pas le titre d'un livre. »
Nevra se laisse aller contre le dossier de sa chaise. Il est peut-être déçu, même s'il n'en montre rien et Rose aussi, serait déçu à sa place. Je décide que tu décides, c'était ce que Nevra avait dit mais depuis… Qu'est-ce que Rose a pu penser ?
« J'aime toujours les légendes lointaines, finit-il par confesser, elles aident à passer le temps.
- Tu m'en racontait beaucoup, avant, c'est vrai. »
L'ancien Second lui adresse un sourire timide, puis pince les lèvres. C'est tout ce qu'il a. Nevra est devant lui, en chair et en os, et c'est tout ce qu'il a. Une envie de poursuivre le mythe de la Chair des Roses pour mieux comprendre le peuple de Maître Candice et après ?
Il a envie de dire pardon à Nevra. Pardon de ne pas être à la hauteur de ses espérances et pardon de ne pas avoir été à la hauteur du tout.
« Tu dors bien ? reprend Nevra.
- Non.
- Les lits d'hôpitaux sont si inconfortables que ça ? rit le vampire Mircalla.
- C'est difficile. »
Ses yeux brillent pour le lui dire parce que ses lèvres ne peuvent pas traduire ses pensées. C'est difficile, sans lui. C'est compliqué d'exister sans une entité si puissante, un réservoir de bienveillance à son égard dans lequel il peut piocher la force qui lui manque pour avancer. Sans Nevra, il peine à exister parce que l'ancien Chef de l 'Ombre incarne une magie capable d'éveiller ce qu'il y a de plus beau, en Rose. Une forme d'amour qui prend vie dans ses entrailles pour marcher sur des sols asséchés par la maladie du néant. Un pouvoir aussi puissant que celui qui est capable d'exister grâce aux regards de Valkyon, mais d'une couleur différente.
« Pardon, souffle Rose pendant que des larmes dévalent le long de ses joues.
- Pourquoi ? demande Nevra d'un ton serein.
- Parce que… Parce que je pleure.
- C'est vrai que c'est vexant. »
Puis il rit. Dans ses habits de parjure, les fers aux mains, les pieds liés par du métal et sous le regard méprisant d'Enthraa Kellerman, il rit. C'est là toute sa force et c'est d'elle que Rose s'abreuve. Nevra a saisi ce qu'il voulait dire parce qu'il a toujours su lire en lui. Seul dans le domaine des Mircalla et fatigué d'être à la hauteur d'attentes qui n'étaient pas les siennes, il avait trouvé son souffle de liberté en essayant de décrypter un adolescent à l'âme noir chagrin et pour Rose, c'est un honneur. Aujourd'hui, il se déteste d'être si impuissant.
« Rose. » l'appelle Nevra.
L'ancien Second l'écoute, les yeux humides. Il voit la lueur navrée dans le regard du vampire Mircalla et il tremble.
« Je vais passer en jugement.
- Non !
- Tout ira bien. Ce n'est pas la première fois que je vais m'adresser à une foule venue me regarder, tu sais.
- Arrête. »
Rose ne veut pas l'entendre plaisanter de cette façon-là. Il ne veut pas entendre dire, quelques jours plus tard, que Nevra sera jeté dans une prison à Odrialc'h ou ailleurs. Rose s'effondre parce que son monde est à deux doigts de le faire, malgré lui. Il en veut à ses jambes de ne pas pouvoir le porter, à Enthraa et Ewelein d'être présentes, à lui-même de ne pas agir, de ne pas pouvoir agir et à Leiftan de régner en vainqueur, sur tout ce qu'il aura brisé.
« Cinq minutes. » claque la voix d'Enthraa.
Rose baisse la tête et fixe ses mains. Il a la sensation que toutes ses entrailles se réduisent à une flaque de larmes qu'il sera condamné à verser pour le restant de ses jours et à la seconde où le destin de Nevra se transforme en hurlements dans sa tête, il chute. Sans lui, il n'y arrivera pas.
Un doigt se fraye un chemin à travers sa frange pour tapoter son front.
« Restez où vous êtes, intime la Cheffe de l'Ombre.
- Arrête, un petit peu, réplique Nevra, il y a quelques semaines, tu vidais les poubelles, si je te demandais de le faire. »
Sourd aux protestations de l'ancienne inspectrice, Nevra chéri ses dernières minutes de liberté, avant d'en être de nouveau privé. Rose aussi, mais pour lui, c'est une course contre la montre. Il doit trouver un moyen.
« Dis donc, toi, souffle Nevra, écoute-moi bien. »
Trois minutes.
Rose veut trouver un moyen. Il sauvera la vie de Nevra comme ce dernier à sauvé la sienne en lui donnant ce qu'il n'a jamais eu, l'empêchant ainsi de commettre l'irréparable. Il le sauve dans ses pensées, grâce à ce lien qu'il lui a donné, alors Rose ne peut pas le laisser chuter sans rien faire.
« Rose, espèce de petit frère… »
Deux minutes.
Il presse ses mains contre ses joues pour le forcer à le regarder. Il plonge dans les prunelles hagardes sur ce visage suspendu à ses lèvres. Rose ne peut que constater à quel point Nevra sait qu'il va plonger dans un gouffre et tout ce qu'il veut invoquer, c'est la puissance, une arme ultime, peut-être immatérielle, capable de lui sauver la vie.
« … Je t'aime. »Pour toi, je peux tout
Par MayaShiz
Une minute.
Un souffle de feu sur la maladie du néant et elle grogne en reculant dans l'ombre. Une vie portée par l'énergie des mots qui s'éloignent de la fatalité et quand Rose voit l'oeil d'orage lui dire à quel point c'est vrai, à quel point l'amour fraternel de Nevra est réel, alors il sait qu'il pourrait se tenir debout sur ses jambes brisées.
Moi aussi ! Pour toi, je peux tout ! Pour ma famille, je suis capable de tout !
Il comprend Maître Candice qui peut se sacrifier pour les siens, quitte à commettre le pire et il ressent la force qui l'a porté dans la pire des fournaises. Rose bégaye, il veut aussi que Nevra sache qu'il est précieux à ses yeux, alors il essaye, mais c'est beaucoup trop délicat pour ses lèvres habituées aux silences vides d'émotions.
« Nevra… Moi… Moi au…
- Terminé. » tranche Enthraa.
Non, ce n'est pas terminé. Rose s'accroche au regard du vampire Mircalla quand on le lève, quand on racle sa chaise, quand on le guide jusqu'à la sortie et là, il sait. Il sait quelle arme il peut manier pour le sauver. Le seul moyen.
« Nevra. »
Avant de disparaître derrière les battants de la porte, l'ancien Chef de l'Ombre se retourne pour lui sourire une dernière fois.
« Je regarderai l'étoile polaire pour toi. Ta préférée. »
Le visage de Nevra se fend de surprise, mais il se reprend. Il veut secouer la tête. Il veut lui dire "non", mais Rose lui jure, derrière ses larmes, qu'il en est capable. Capable d'invoquer au grand jour, le traité de Polaris, l'ancien roi des fées avant Delta Milliget.
Alors Nevra le regarde, disparaît avec Enthraa Kellerman dans un cliquetis de chaînes avec un au revoir silencieux, ainsi qu'une étincelle d'espoir dans son œil d'orage.Pour toi, je peux tout. Pour toi, je suis capable de tout. Pour ma famille, je peux invoquer l'étoile Polaire. Ta préférée.
Pendant leur entrevue, Rose a appris que Nevra allait passer en jugement. Les crimes commis durant la catastrophe risquent d'être mis sur son dos, malgré l'enquête de Sadako Nakata sur Sexta. Rose craint le pire.
Il lui fait comprendre, alors, qu'il est prêt à invoquer le traité de Polaris, l'ancien roi des fées avant Delta Milliget, et le grand-père de Candice. Mais en quoi consiste ce traité ?
Le traité de Polaris : Proposé par Polaris Milliget, il consiste à une union des peuples originels d'Eldarya contre la sauvagerie des faeliens du Grand Exil. Ce traité oblige les goules à se battre avec les fées si l'une des leurs est persécutée par les faeliens du Grand Exil, en échange de la protection de leur royaume par les Milliget. Le traité de Polaris peut être invoqué par celui qui en connaît les mots, dans la langue des fées, et qui est capable de le graver sur sa chair.
Lorsque le traité est invoqué, le trône des fées se pare des couleurs de la guerre et les goules migrent vers le royaume de leur protecteur.
Le traité de Polaris est capable de provoquer une nouvelle guerre. Dès lors qu'il est invoqué, les vassaux des Milliget se mettront en route en compagnie des goules. L'invoquer, c'est se ranger du côté des fées de façon définitive, mais peut-être est-ce le seul moyen de sauver Nevra et de renverser la situation à son avantage.
Seulement, êtes-vous prêt à cheminer à travers des temps sombres ?
➜ Invoquer le traité de Polaris pour sauver Nevra et se réfugier derrière les fées.
➜ Ne pas l'invoquer et utiliser l'enquête de Sadako Nakata pour désigner Sexta comme coupable.
Informations importantes dont vous disposez : Les fées sont soumises à Odrialc'h et à présent, au cartel des Typhons depuis l'enlèvement de Sira par Sexta. Les anciens et les enfants de leur peuple sont détenus à Odrialc'h. Candice Milliget, la fée la plus forte de sa
famille, est très mal en point.
Odrialc'h a pris la responsabilité du prisonnier à Eel et devient dominante dans l'enquête.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a fait le choix de se détacher de la Garde pour intégrer les rangs d'Odrialc'h afin de continuer à être auprès de Candice, avec qui elle a passé un marché. Au courant de cette nouvelle, Sexta la convoque pour accélérer la mission. Ensuite, June prendra ses nouvelles fonctions et rencontrera le nouveau médecin de Candice, ainsi que son assistante.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous en ce beau dimanche ! (^_^)/
Une petite note d'auteure avant de vous laisser à votre lecture pour vous prévenir que l'on aborde ici, quelques sujets sensibles, à commencer par la scarification. Comme vous avez pu le lire dans le chapitre précédent, les symboles du traités se gravent dans la chair et vous allez voir Rose accomplir cet acte donc si vous êtes sensible, faites attention.
Il y a aussi la mention d'abus via des propos rapportés, dans la partie de June, donc de même, attention si vous êtes sensible.
Vous avez choisi la voix du traité alors voilà ce qu'il en est ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 14 - Le Sang du Dava
Prises de fonctions de June pour Odrialc'h
Les nouvelles ont été rapides. À peine sa sœur a-t-elle eu le temps de rentrer dans leur foyer temporaire pour lui annoncer la nouvelle, que Helouri savait déjà. Il y a eu du grabuge à l'hôpital, des soldats d'Odrialc'h accompagnés du personnel soignant qui se sont précipités en urgence et juste après la tempête, on disait que la fée avait été rapatriée. Helouri se souvient avoir eu la nausée, à l'idée qu'il se tenait au même endroit que celui qui avait ravagé la cité d'Eel et après, il avait appris pour June et Balam. Il avait dû se rendre aux latrines les plus proches pour vomir.
Balam était démis de ses fonctions et n'appartenait plus à l'Étincelante. Il était le responsable principal du prisonnier et ça, on le savait. Mais que June ait pu travailler avec lui pour nourrir la fée, Helouri n'aurait jamais pu s'en douter. Qu'elle veuille continuer l'interloque aussi.
Alors quand il la voit prête à prendre ses fonction, vêtue de l'uniforme bronze et brun d'Odrialc'h, revêtant l'emblème de la plus grande cité d'Eldarya, le marteau croisant la hache, le tout sous le regard d'une couronne, il s'interroge. Il ne dit rien et l'observe tresser ses cheveux cendrés. Enfin, quand il se décide à prendre la parole, c'est d'une voix presque timide :
« Je comprends pourquoi tu ne dormais pas. »
Il s'interrompt, réfléchit, puis reprend :
« Je comprends aussi pourquoi tu mangeais moins et je peux deviner pourquoi tu as fait tout ça, June. Mais je ne comprends pas pourquoi tu continues… Enfin… C'est… »
Il secoue la tête et souffle le mot monstre en regardant June à la dérobée. Les mains de sa sœur s’agitent encore un instant dans la masse de cendre, puis elles s’arrêtent, comme deux automates que l’on n’a pas remonté suffisamment longtemps. June déglutit, ferme brièvement les yeux puis elle pousse un profond soupir. Plus de secrets, c’est bien beau, mais cette fois, c’est elle qui est fautive.
La jeune femme se retourne pour le regarder. Son petit frère, qu’elle voudrait protéger de tout et surtout du monde pour qu’il retrouve le sourire… Elle ne mentait qu’à moitié quand elle a dit à la Capitaine qu’elle s’était noyée parce qu’elle se sentait seule. Nourrir Candice était difficile, mais elle s’y était habituée. Le plus dur, ce n’est pas la fée, c’est ce qu’il y a autour et toutes les conséquences.
« Candice Milliget est un imbécile qui ne mérite pas son titre de roi, concède-t-elle. Mais il vaut toujours mieux que le cartel des Typhons, ou que le Conseiller Tuaran. »
Elle se rapproche de lui pour prendre sa main entre les siennes. Elle ne lui dira pas tout, pas encore. Elle passera sous silence la promesse de Candice de l’aider à tuer Sexta Stocker et sa petite sirène de compagnie, mais le reste, elle va le lui confier.
« Au début, je voulais juste des réponses, murmure June sans le regarder. La situation m’a échappé. J’adhère pas à l’idéologie de Rose, mais qu’on le veuille ou non, toi et moi, on est embarqués dans quelque chose de plus grand que nous, Lou. Le cartel des Typhons, Candice Milliget… Ils veulent nous envoyer à Odrialc’h, et ils se fichent qu’on soit d’accord. Alors quitte à faire partie de leur plan, je préfère que ce soit selon mes conditions. »
Pour le protéger, lui, et pour décider de la manière dont elle gèrera les choses. June sourit tristement. Elle voudrait bien être plus forte, être capable de s’opposer à Sexta et de renvoyer Candice dans son pays glacé, mais elle n’est qu’une gardienne détachée sous les ordres de la Capitaine, tout juste bonne à mentir et survivre.
« Je t’en ai pas parlé parce que le Conseiller me l’a interdit et qu’il me terrifie, avoue-t-elle. Je suis désolée, Lou. »
Pour Helouri, c'est son quotidien qui s'effondre. Un plan plus grand, le cartel des Typhons, la fée… La mission au grand palais d'Odrialc'h.
« Tu l'as appelée par son nom… souffle Helouri, la fée… »
Depuis quand June est-elle au courant de tout ceci ? Après la catastrophe ? Le jeune morgan secoue la tête alors que les rouages de son esprit se mettent en route. Ce plan dont parle June, c'est celui qui a été mentionné par Nelladel quand ils se sont infiltrés dans la prison. Ça fait partie des réponses qu'ils ont été chercher. Mais l'accomplir ?
« Pourquoi tu veux quand même faire ce qu'ils veulent ? Tu penses que tu arriveras à tout contrôler jusqu'au bout et que ça va quand même protéger papa et maman ? Si on décide de se rendre entre leurs griffes, June, on va juste y rester et on va perdre notre liberté.
- Et si on refuse, ils nous forceront ou pire encore. »
Elle comprend sa réticence. Elle, elle a eu le temps de s’habituer, et elle a toujours été plus téméraire que lui. Foncer, réfléchir ensuite puis se mordre les doigts, même si ça signifie perdre beaucoup au passage, c’est comme ça qu’elle fonctionne. Elle pourrait essayer de changer. Elle l’a déjà fait. Mais ça ne marche pas.
« Je crois qu’il y a pas de solution miracle, grimace-t-elle en le relâchant. C’est comme choisir entre sauter d’une falaise et se réceptionner sur des récifs ou plonger dans des rapides avec une cascade au bout. Dans les deux cas, il y aura des conséquences… Mais si tu as une autre idée, vas-y, j’en manque un peu ces derniers temps… »
June reprend sa tresse en marmonnant qu’elle répondra à toutes les questions qu’il lui posera. Elle lui doit bien ça… Si elle pouvait faire en sorte qu’il n’aille jamais à Odrialc’h, qu’elle soit la seule impactée par ses propres choix… Mais elle n’y peut rien. Cela la désole, mais Helouri va se retrouver confronté à des décisions difficiles.
Seulement, son petit frère ne voit pas d'autres solutions. À vrai dire, ceux qui ont élaboré ce plan ont largement profité de la victoire de leur père et même de leurs perspectives d'avenir. June voulait entrer dans l'armée d'Odrialc'h et c'est chose faite. Maintenant qu'elle est soldate, Helouri est certain qu'elle ne reviendra pas vers la Garde d'Eel. Mais lui ? Peut-il accomplir ce que l'on attend de lui .
« Pour qui tu fais ça ? demande-t-il, pour le cartel ? Ou alors pour la fée ? Et si on y arrive, et si on arrive vraiment à sauver Sheraz Alfirin, tout redeviendra comme avant et on vivra normalement ? Je ne le pense pas. Si on fait ça, ça nous changera, June, et je ne sais pas en quoi.
- Je fais ça pour nous. »
June termine son ouvrage, puis elle accroche le regard de son frère, plus sérieuse qu’elle ne l’a jamais été.
« Et pour l’instant, Hekhelem est notre meilleure option. »
De toute façon, ça fait longtemps qu’ils ne vivent plus normalement. June soupire en triturant ses cheveux, avant de hausser les épaules avec une désinvolture de façade.
« C’est ennuyant, la normalité, en plus, lâche-t-elle. Et puis, tant qu’on devient pas aussi taré que cette foutue vampire, ça me va. »
Helouri soutient son regard en pinçant les lèvres. À lui, la normalité lui va très bien. Il n'est pas comme June, il n'est pas un aventurier et il sait déjà que si les têtes pensantes de ce plan de sauvetage veulent le placer dans les sélections pour le nouveau serviteur personnel de la Capitaine, il échouera.
« Toi, tu es une aventurière. Moi, je suis un lâche et je m'accommode très bien de ma vie de lâche. Tu es devenue soldate pour Odrialc'h, et… »
Il s'interrompt, puis réalise. Hekhelem. Qu'est-ce que c'est ? Puis il se souvient : le mot dans la langue des fées que Nelladel leur avait donné. Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
« Tu comptes réellement sur la fée qui a tout détruit et tu parles sa langue ? Si je ne te connaissais pas du tout, je pourrais penser que tu es une adoratrice des fées. On est vraiment piégés jusqu'au cou pour que tu en arrives là ? »
June émet un ricanement mauvais. Une admiratrice des fées… En dehors de Sira qui lui a fait bonne impression, que le peuple de Candice vive ou meurt est la dernière de ses préoccupations.
« Je parle sa langue, c’est vite dit, réplique-t-elle. Disons que si là, maintenant, tu me demandais de t’insulter, j’aurais quelques mots sous le coude. »
Elle s’adosse au mur et lève les yeux vers le plafond. A nouveau, elle regrette d’être faible. A cause de ça, Helouri ne peut pas continuer à vivre comme il l’entend. Est-ce que c’est bien, est-ce que c’est mal ? Elle n’en sait rien, et seul l’avenir leur dira si son frère est réellement ce lâche qu’il estime être. Elle ne sait pas non plus comment ils se débrouilleront pour accomplir leur mission, mais ils n’en sont pas encore là, après tout.
« Pour l’instant, on n’a pas d’autre choix, Helouri, soupire-t-elle. Peut-être que si Sexta arrive à libérer Titan, les choses pencheront en notre faveur, mais peut-être que ce sera encore pire. En ce moment, j’avance au jour le jour et demain, on verra plus tard. Ça sert à rien de se demander si j’aurais pu faire autrement, ou ce que toi t’aurais fait à ma place, de toute façon, c’est fait. »
Helouri pense qu'il n'aurait pas fait mieux. Il n'aurait rien fait du tout car approcher la fée lui aurait insufflé un sentiment de terreur si intense qu'il se serait contenté de rester figé sur place. Le jeune morgan a conscience que June a fait comme elle a pu cependant et même si elle continue de penser qu'elle a le contrôle de leur mission, il songe qu'elle se trompe. Ils se trouvent tous les deux soumis à des personnes plus fortes qu'eux et ils n'ont pas le choix.
« Ça ne changera rien du tout… » rétorque Helouri.
Les yeux humides, il lève une main pour essuyer les larmes qui pointent le bout de leur nez, quand il réalise la fatalité dans laquelle ils se trouvent tous les deux, pendant que le silence s'abat entre eux. Puis il inspire et lance d'une voix qu'il veut maîtrisée :
« Tu ne devrais pas être en retard le jour où tu prends tes fonctions. »
June hésite. Finalement, elle se décolle du mur et s’approche de lui pour venir frotter gentiment ses cheveux clairs. Elle colle un sourire sur son visage : même si elle est terrifiée, même si elle ne sait pas de quoi sera fait l’avenir, elle fera tout ce qu’il faudra pour qu’il s’en sorte avec le moins de casse possible. Peu importe ce qu’elle devient au passage, Helouri sera heureux, elle s’en fait la promesse.
« Ça va aller, Lou, assure-t-elle. Tant qu’on est ensemble, on peut affronter toutes les fées du monde. Je te promets que je ferais rien d’inconsidéré, et toi, tu me promets que tu te feras pas des nœuds au cerveau. On va s’en sortir. »
Helouri hoche la tête. Il ne peut pas s'en convaincre maintenant et il sait d'ores et déjà que son esprit tournera en boucle pendant que June prendra son service. Mais quand il aura enfin accepté la réalité, alors il pourra prendre du recul.
« On verra bien ce que l'on fera quand on sera au fond de l'eau, June. Pour le moment, nous n'avons même pas sauté. On verra aussi si on est si forts que ça quand on fera face au danger parce que là encore, on n'y est pas. Et c'est ce qui fait toute la différence. »
Non, ils ne peuvent pas affronter toutes les fées du monde, c'est évident. Mais se sortir d'une situation délicate en comptant l'un sur l'autre, ils peuvent au moins essayer. Néanmoins, Helouri est tout de même soulagé que June lui ait dit la vérité alors, avant qu'elle quitte la maison, il vient gratifier sa grande sœur d'une étreinte. June la lui rend en grimaçant intérieurement. Si quelqu’un pouvait inventer une potion de positivité, elle en ferait boire deux tonnes à son frère…
La jeune femme le salue, vérifie une dernière fois que son uniforme est correct, puis elle file hors de la maison pour ne pas être en retard. Sur le chemin, elle met de côté les préoccupations de son frère pour se concentrer. Le cartel viendra sans doute bientôt prendre de ses nouvelles, et si Candice va pouvoir reprendre des forces, l’échéance de Sexta approche. Elle ne peut pas verser la potion dans la nourriture de la fée, il lui faut donc réfléchir à cette partie du plan, mais surtout, à l’aspect prison de sa mission. Maintenant qu’elle est affectée à l’hôpital, elle ne peut plus voler les plans qui permettront de sauver Titan… La jeune femme grimace en accélérant le pas. Quelque chose lui dit qu’elle va passer un sale quart d’heure…
Arrivée devant l’hôpital, elle trouve un soldat d’Odrialc’h, qu’elle salue poliment. Il l’escorte dans les longs couloirs jusqu’à son nouveau lieu de travail, mais aussi les sous-sols abritant les chambres froides. D'ordinaire, elles sont réservées au stockage temporaire d'organes à greffer juste avant les opérations, mais la plus large a été libérée pour accueillir Candice.
Lorsque June et le soldat se rendent près de sa nouvelle cellule, la jeune femme peut aviser qu'une large porte fermée à double-tour laisse apparaitre l'intérieur de la pièce grâce à une vitre épaisse. Cependant, la Capitaine s'est déjà appliquée à faire poser des barreaux supplémentaires en orichalque pour plus de précautions. Les lieux sont froids. Pas autant que l'intérieur de la cellule, mais June peut voir sa respiration se transformer en brume.
En observant la nouvelle prison de Candice, elle avise que la fée Milliget est allongée sur une longue table en métal, inconsciente. Néanmoins, quelqu'un s'est appliqué à la laver et à la changer, puisque ses longs cheveux sont propres, coiffés autour de sa silhouette maigre, vêtue d'un vêtement d'hôpital.
Près de lui, deux silhouettes s'affairent. June reconnaît Balam, emmitouflé dans un manteau épais frappé de l'emblème d'Odrialc'h quant à l'autre, il doit s'agir du nouveau médecin. June avise sa masse épaisse de boucles blanches relevées en un chignon lâche, ainsi que la pâleur maladive de son teint. Mais ce qui frappe sa rétine, ce sont ses yeux entièrement noirs.
« June Albalefko, je suppose ? »
La jeune femme a un sursaut. Quand elle se retourne, c'est pour se confronter au miroir du médecin qui s'affaire avec Balam, dans la cellule. Une peau d'albâtre, de longs cheveux blancs rassemblés en deux nattes tressées avec des fils d'or, un visage à la mâchoire étroite et de grands yeux noirs. Un regard d'encre, profond, parsemé de lueurs comme si les étoiles avaient fait leur nid dans ses prunelles, puis des lèvres rouges sang. Un rouge qui s'accorde à merveille avec sa blouse.
« Je me présente : Odette Le Preux. Je suis l'assistante du docteur Camille Le Preux qui se trouve actuellement en compagnie du prisonnier ainsi que de son geôlier. Nous sommes arrivés ce matin-même et je me dois de rencontrer toute l'équipe de surveillance. »
June reste un instant sans voix, puis elle s’empourpre et hoche vigoureusement la tête. Elle se racle la gorge, incapable de détacher ses yeux de ceux d’Odette Le Preux, avant de se gifler mentalement pour se reprendre.
« En… Enchantée ! bredouille-t-elle. June Albalefko, c’est ça. Ravie de vous rencontrer, et de travailler avec vous ! »
Elle toussote à nouveau, triture sa tresse et ses mains reprennent leur liberté en venant agripper son uniforme de façon anarchique. June réussi à détacher le regard de l’assistante du docteur et des étoiles retenues prisonnières dans ses prunelles pour observer Candice, inconscient.
« Est-ce que… hésite-t-elle. Est-ce qu’il va mourir ? »
Odette se place face à la vitre, les mains dans les poches de sa blouse. Tout comme la fée Milliget, elle semble faite pour vivre sous des températures glaciales, mais le frisson qui l'étreint vient prouver le contraire.
« Non. Il a été pris en charge à temps, mais cela aurait pu être plus grave. Il devrait reprendre connaissance dans les prochaines heures. Vous devrez être vigilante lorsque ça arrivera mais ne vous inquiétez pas, le docteur Le Preux et moi-même resterons présents à l'hôpital. »
D'ailleurs, le docteur Camille Le Preux est en train de retirer ses gants. Il attrape un carnet pour noter quelque chose qu'il montre à Balam et ce dernier hoche la tête avant de désigner son œil, d'un geste de la main.
Ensuite, quand Camille Le Preux se tourne vers la porte de la cellule, il adresse quelques signes à son assistante qui lui répond de la même manière. Sous le regard intrigué de June, elle précise :
« Le docteur Le Preux est atteint de surdité congénitale. Tout comme votre collègue nouvellement affecté à Odrialc'h, il vous faudra apprendre le langage des signes. C'est très important. En attendant, le docteur Le Preux communiquera avec vous par écrit. »
June grimace, et ses mains reviennent se perdre dans ses cheveux. Décidément, tout le monde s’échine à lui écrire des petits mots, ces derniers temps… Elle espère que la langue des signes n’est pas très difficile, car il ne sera pas viable de communiquer avec elle à l’aide d’un carnet.
« C’est-à-dire… Je pense qu’on vous a pas mis au courant, d’ailleurs, il y a pas beaucoup de monde qui sait, peut-être même que c’est pas encore arrivé aux gradés qui s’occupent de moi… »
June se tourne à nouveau vers Odette, consciente d’enrober l’information principale d’une flopée d’autres totalement inutiles. Camille Le Preux est médecin, Odette Le Preux est son assistante, et c’est ce qu’elle se répète pour parvenir à exprimer sa pensée, d’une voix empreinte de honte.
« J’ai du mal avec les lettres, avoue-t-elle. Elles se mélangent, et je lis pas très bien. J’écris mal aussi, avec plein de fautes. Avant la catastrophe, j’ai vu un docteur qui m’a un peu aidé, mais j’ai pas eu beaucoup le temps de régler ce problème puisque… Enfin, après l’attaque, c’était plus compliqué. »
Odette semble imperturbable, comme si l'information en question n'était pas une grande révélation. Elle répond qu'elle n'a pas été mise au courant sans quoi, le docteur Le Preux et elle-même auraient pris leurs dispositions :
« C'est une mission importante que nous menons et la cohésion de notre équipe l'est tout autant. Faites de votre mieux avec le docteur Le Preux, s'il vous plaît et il fera de même à votre égard. Vous vous appliquerez avec l'apprentissage du langage des signes. Ce n'est pas très difficile, vous verrez. »
Odette lui adresse un sourire encourageant, puis quelques secondes plus tard, Camille Le Preux et Balam quittent la pièce. Le docteur est le reflet de son assistante, si ce n'est l'or qui s'est emparé de ses lèvres et qui souligne ses yeux. Quand il détache ses cheveux, une cascade de boucles blanches dégringole sur ses épaules et au fond de son regard, les mêmes lueurs qui rappellent les étoiles.
Quand Camille Le Preux aperçoit June, il lui adresse un signe de tête alors que Balam la salue avec politesse.
« Monsieur Lefaucheur, l'interpelle Odette, j'étais en train de faire un bilan de la situation à la soldate Albalefko qui vient de prendre ses fonctions. Comment se porte le prisonnier ?
- Il est stable, répond Balam, et ses chaînes lui laisseront assez de liberté pour qu'il se mette debout et déploie ses ailes. Le docteur Le Preux dit qu'il doit pouvoir bouger normalement. »
Camille pose une main livide sur le bras de Balam et lorsque ce dernier se retourne, le docteur lui indique la cellule avant de lever son doigt vers l'un de ses yeux. Balam hoche la tête et lève le pouce.
« Je vais rester ici jusqu'à ce qu'il se réveille, indique-t-il à Odette, même si je suppose que nous devrons essuyer une colère noire. »
June ne peut retenir une nouvelle grimace. Elle est certaine que Candice ne sera pas ravi de se retrouver ici, même si la pièce lui permettra de reprendre des forces. De plus, elle n’avait pas pris conscience que la surveillance serait accrue… Avant, Balam était le seul à pouvoir la surprendre en train de comploter, mais maintenant, les choses vont se compliquer. Elle se racle la gorge avant de se rappeler que Camille Le Preux n’entend rien, puis elle incline la tête pour le saluer. La jeune femme se tourne vers Odette, en désespoir de cause : écrire lui prendrait trop de temps, elle espère que l’assistance pourra traduire pour elle.
« Est-ce que vous pouvez me montrer comment lui dire bonjour ? s’enquiert-elle. Et aussi me renseigner sur ce que je dois faire ? Avant, j’étais chargée de nourrir le prisonnier, mais puisqu’il dort, ça me parait difficile. »
Elle a pris soin d’articuler, des fois que Camille Le Preux parvienne à lire sur ses lèvres.
L'assistante lui indique qu'il faut que June lève la main à hauteur de ses lèvres, comme si elle voulait envoyer un baiser, avant de la tendre vers le docteur Le Preux, avec lenteur. C'est ainsi que l'on dit bonjour en langage des signes. Lorsque la jeune femme s'execute, Camille Le Preux lui répond de la même manière, sous le regard bienveillant de Balam.
« Le docteur Le Preux est un spécialiste des malformations diverses, explique Odette, il pratique la chirurgie pour des extractions de corps étrangers, de tumeurs, mais aussi pour des greffes de tissus. Ici, il sera le seul et unique médecin autorisé à examiner la fée Milliget et ceci est un honneur puisqu'il s'agit d'un Maître de la Médecine. Peu importe ce qu'elle a fait, nous ne devons pas l'oublier. »
Ceci étant dit, Odette s'applique à expliquer les différentes tâches que June devra accomplir, la principale étant la surveillance de la cellule. Elle devra noter tout comportement étrange et être capable de communiquer avec le prisonnier selon le protocole autorisé :
« Vous pouvez entendre ses besoins et les transmettre, déclare Odette, mais il est interdit de converser avec le prisonnier. Si vous êtes prise en train d'échanger avec la fée Milliget sur un sujet qui n'est pas en rapport avec votre mission, alors vous serez sanctionnée. Seul Balam Lefaucheur ainsi que le docteur Le Preux sont autorisés à instaurer un climat de confiance avec le prisonnier.
Aussi, June ne s'occupera plus du nourrissage de la fée. Ce sont deux membres d'élite qui s'en occuperont et ce, sous stricte surveillance de Balam Lefaucheur ainsi que le corps médical.
« Les conditions d'exécution étaient innommables, raconte Odette, et l'exécuteur sera d'ailleurs traduit en justice. Il a été prouvé après une inspection des lieux qu'il torturait sauvagement les prisonniers avant de leur donner la mort et qu'il se préparait à celle de la fée Milliget. Il avait prévu d'abuser d'elle avant l'achever, alors Odrialc'h ne peut laisser ce genre d'actes impunis.
- J'ignorais tout cela, déplore Balam.
- Et c'est pourquoi vous devez être vigilants. La surveillance d'un prisonnier ne se suffit pas à garder la porte de sa cellule. Si nous voulons mener l'interrogatoire à bien, alors il faut respecter le protocole. La Capitaine ne peut plus tolérer d'erreur, Monsieur Lefaucheur, Madame Albalefko, alors accomplissez votre mission. »
June reste parfaitement stoïque, mais au fond d’elle, elle a envie de hurler. Comment discuter de son plan avec Candice si elle n’est plus autorisée à lui parler ? Une mare d’insultes silencieuses à l’encontre de la fée et de son égo noie un instant son esprit. Les révélations sur l’exécuteur ne la surprennent pas vraiment : il avait l’air d’un homme tout à fait exécrable.
« Entendu, répond June. »
Elle espère que Candice se réveillera rapidement. La jeune femme jette également un oeil à Balam. Il faut qu’elle discute avec le guetteur, car il est désormais son seul moyen de s’entretenir avec la fée. Elle profite que les deux Le Preux reprennent leur poste pour adresser un sourire amical à Balam, et elle s’étire en écarquillant légèrement les yeux.
« Les conditions de travail sont drôlement mieux ici, mais il fait un peu froid. Il doit bien y avoir un endroit où on peut prendre une pause, ou se réchauffer un peu ? dit-elle avec nonchalance. »
Balam lui indique qu'une salle de pause a été aménagée à l'étage supérieur, mais qu'il est évident que lesdites pauses sont strictement réglementées.
« Je doute que Candice se réveille dans les prochaines minutes, mais tu as entendu les Le Preux, June : l'erreur n'est plus permise. »
Néanmoins, l'ancien guetteur s'éloigne quelque peu en sa compagnie puis, loin des oreilles indiscrètes, il lui demande comment elle se sent et si elle ne regrette pas son choix. June secoue la tête, avant de se plonger dans ses pensées. Elle cherche comment formuler sa question, et finalement, elle se tourne vers lui pour plonger ses yeux améthystes dans les siens.
« Je suis ici de mon plein gré, et toi aussi, commence-t-elle à mi-voix. Je voulais savoir… Ce que tu as dit dans le bureau de la Capitaine. Tu le pensais ? Que Candice Milliget n’est pas un monstre, que tu pensais qu’il y avait quelque chose de plus qu’une simple attaque sur la cité ? »
Une ombre passe sur le visage de l’ancien guetteur. Balam ressemble des pensées avant de répondre à la question, cherchant le meilleur moyen de le faire et quand enfin il prend la parole, c’est pour être honnête avec lui-même et avec June :
« Oui, je le pensais. Candice Milliget est ce qu’il est, mais je ne peux pas croire qu’une seule fée ait pu attaquer la cité par caprice, même pour prendre la vie d’un seul homme. Je suis persuadé qu’il y a autre chose et c’est pourquoi je tiens à mon poste car j’aimerais pouvoir répondre à cette question.
- Même si tu n’aimes pas la réponse ? »
June sent son cœur accélérer, parce qu’elle sait qu’elle prend des risques en posant la question aussi frontalement. Pourtant, elle a besoin de Balam, et surtout, elle a besoin d’alliés.
L’ancien guetteur reste égale à lui-même, comme si sa propre situation et l’atmosphère des lieux n’avaient aucune emprise sur lui. L’air serein, comme d’ordinaire, il se contente de répondre :
« J’aviserai en conséquence, mais je ne peux rien prédire tant que je n’ai rien trouvé. Et c’est pourquoi il est important de communiquer avec le prisonnier. J’aimerai qu’il me dise, de sa propre bouche, pourquoi il a détruit la cité d’Eel et pourquoi il a voulu tuer le Conseiller.
- J’espère que tu arriveras à le convaincre. »
J’espère qu’il n’a pas oublié notre accord, songe-t-elle en jetant un regard agacé vers Candice. Elle soupire en triturant de nouveau sa tresse, qui commence à laisser échapper quelques mèches à force d’être malmenée ainsi, puis elle détourne les yeux.
« Si tu y arrives… Tu auras qu’à me prévenir, si ça se trouve, ça m’intéresse aussi, Balam, lâche-t-elle. Et si t’y arrives pas… Bah. T’auras qu’à me le dire aussi, peut-être qu’en y réfléchissant à deux, on pourra émettre quelques théories intéressantes. »
Il le lui dira. Peut-être que June est plus impartiale qu’il ne le pense et peut-être que si Candice se met à parler, alors sa vérité pourrait changer leur vision du monde. Balam se demande aussi pourquoi on déteste tant les adorateurs des fées et c’est peut-être parce qu’ils voient l’enfer quand d’autres se contentent de voir le monde.
« Recommence. »
Rose s'exécuta. Il attrapa une autre feuille de parchemin, trempa sa plume dans l'encrier et se mit à tracer, une fois de plus, les symboles qu'il devait graver à tout prix dans sa mémoire. De toute manière, Maître Candice ne le laissera ni manger, ni dormir, tant qu'il ne les aura pas écrit sans se tromper. Et Maître Candice n'était pas quelqu'un de patient, alors Rose devait apprendre vite, écrire vite et tout ceci sans faire d'erreur sans quoi, il devrait essuyer la colère de la fée Milliget.
Ce qu'elle était en train de lui enseigner était une arme, Rose en avait bien conscience. Il s'agissait d'un traité ancien, que le précédent roi des fées et grand-père de Maître Candice avait assis parmi les peuples originels d'Eldarya, en même temps que son règne.
« Lorsque les barbares sont arrivés sur Eldarya, expliqua Candice, ils ont ravagé tout ce qui se trouvait sur leur chemin par pur désir de conquête. Mais il y a deux royaumes qu'ils n'ont pas découvert : celui des goules et celui des chimères. Le premier, parce que mon peuple le protège depuis que mon grand-père a conçu le traité, le second, parce qu'il est impossible pour un faelien lambda d'y pénétrer. Le royaume des chimères n'est pas franchissable pour n'importe qui. »
Tout ce que la fée Milliget avait dit des chimères, c'était qu'il s'agissait de créatures métamorphes capables de prendre l'apparence de n'importe qui, tant qu'elles en possédaient l'héritage de la chair et du sang. Cela pouvait passer par l'ingestion d'une goutte de sang, d'un cheveux ou bien par un accouplement. Les chimères possédaient la formidable capacité d'étoffer leur collection de corps ainsi que de visages dans la mémoire de leur propre chair et c'était de cette manière que leur peuple avait pu se fondre parmi les faeliens. Quand Rose avait demandé à quoi pouvait ressembler leur véritable apparence, Maître Candice s'était moqué en lui répondant qu'il ne voulait pas savoir.
Le jeune vampire avait achevé de tracer le dernier symbole. Ensuite, la fée Milliget lui avait arraché le parchemin pour vérifier l'exactitude de son travail, et lorsque le plat de sa main s'était violemment abattu sur le bureau jusqu'à le faire trembler, Rose s'était replié sur lui-même. Il avait commis une erreur.
Il se trouvait dans l'aile des invités, au sein du Quartier Général et sa présence ne soulevait aucune question, puisque l'on savait que les membres de l'Ombre les plus gradés avaient été assignés à la protection des Milliget, sur ordre de la famille Mircalla. Ce que l'on ignorait, c'était que les fées n'avaient besoin d'aucune protection.
Même si Rose ne pouvait pas voir le visage de Maître Candice, dissimulé sous son long voile hivernal qui projetait un froid insupportable dans la petite pièce, il sentait sa colère courir le long de sa chair. Il lui faudrait recommencer jusqu'à ce que tout soit parfait, car c'était beaucoup trop important.
« Et après, vous, les faeliens abrutis, vous vous plaignez que l'on vous traite comme des idiots, avait craché Maître Candice, mais regarde-toi… Je te demande de retenir une série de symboles et tu n'en es pas capable ! C'est d'avoir grandi dans le ventre de ta mère droguée au tap qui t'a rendu si stupide ? »
Rose sentit le sang quitter son visage. Ses mains se mirent à trembler et s'il les serrait jusqu'à s'en faire blanchir les jointures, il avait la sourde impression que du sel coulait dans ses veines pendant qu'une boule se formait dans ses entrailles. Rose ouvrit de grands yeux. Avec lenteur, il leva la tête vers Maître Candice, amorçant l'ascension du grand voile irisé, s'arrêtant sur ses mains couleur pêche pour enfin se figer face à son visage hypothétique. Si Rose s'était confronté à l'orage de son regard gris, il n'aurait pas été certain de pouvoir le soutenir. Ou peut-être que si, parce que l'injustice qu'il ressentait comme une plaie profonde au sein de son être lui donnait un petit peu de courage.
« Quoi ? railla Maître Candice, qu'est-ce que c'est que ces yeux-là ? Tu n'aimes pas ce que j'ai dit ? »
Rose n'avait pas répondu. De toute manière, ça n'aurait servi à rien, parce que la fée Milliget savait pertinemment que ses mots l'avaient blessé et que son dava ne trouverait jamais le courage de le lui dire que c'était injuste. Injuste de blâmer sa mère et son addiction au tap pour justifier l'erreur d'un symbole sur un parchemin. Mais si Rose en commettait une autre, alors Maître Candice deviendrait encore plus venimeux, il le savait. La fée Milliget chiffonna le parchemin avant de le lui lancer d'un geste vif. Il atteignit Rose au front, puis s'échoua à terre, auprès de ses congénères couverts d'erreurs.
« Recommence.»
Le jeune vampire avait obéit. L'avantage de se trouver au Quartier Général et non sur le bateau des Milliget, c'était que Maître Candice ne pouvait pas lui crier dessus. Sa mère, Delta ainsi que deux de ses frères, Shelma et Sira, se trouvaient dans d'autres pièces alentour. Rose sentait que la fée Milliget craignait de se faire surprendre par l'un d'entre eux, alors s'il ne voulait pas user de l'impatience de Maître Candice jusqu'à la corde, il devait se dépêcher de tout mémoriser. D'une main tremblante, il attrapa une autre feuille de parchemin, trempa sa plume dans l'encrier, mais sa pointe sema quelques gouttes sur son passage.
« C'est quoi, ça ? » grinça Maître Candice.
Rose ferma brièvement les yeux. Quand il les rouvrit, il vit le poing de la fée Milliget se serrer et là, il fut certain que dans les prochaines minutes, des bleus se mettraient à fleurir sur son corps et ça, à cause du traité de Polaris.
Maître Candice s'était déjà énervé contre Rose, lui avait dit des mots atroces, lui avait crié dessus, attrapé par le col de sa tunique, cependant, il ne l'avait jamais frappé. Pas par pur acte de gentillesse, mais uniquement parce qu'il n'en avait jamais eu besoin, car Rose se soumettait tout seul. Cette fois, le jeune vampire était persuadé qu'il allait essuyer son premier souffle de violence, de la part d'un Dieu de la Frontière, mais ce ne fut pas le cas.
« Tu sais ce que je suis en train de t'enseigner ? » gronda la fée Milliget.
Rose hocha la tête. Oui. Le traité de Polaris. Un appel à la guerre sous couvert d'une magie ancienne, dont les symboles devaient être gravés à même la chair pour l'invoquer et si une erreur était commise durant le processus, Rose finirait par se vider de son sang avant d'arriver à son troisième ou quatrième essai.
L'ordre était simple : s'il arrivait quelque chose à Maître Candice lorsqu'il fera tomber la cité, alors le jeune vampire devra se servir du traité de Polaris pour appeler les fées à la guerre et rallier les goules. Maître Candice lui avait expliqué que la princesse et régente de longue date, Algol Abigor, était une vieille amie de son grand-père. Ainsi, elle répondrait à l'appel.
Rose avait voulu demander pourquoi, alors, la princesse des goules n'avait rien fait pour libérer Polaris Milliget si elle était son amie, mais il s'était tu.
« Regarde-moi, abruti de dava »
Rose s'exécuta, les muscles raides. Quand il leva ses yeux opalins, il put aviser que Maître Candice avait rabattu son voile pour découvrir son visage et que ses traits arboraient le masque de la colère noire. Le traité de Polaris, c'était un précieux héritage pour la fée Milliget. Une arme polie par des années de recherches, par l'érudition d'un souverain aussi sage que belliqueux et dont le sacrifice avait permis aux jeunes générations de son peuple d'avoir le luxe de choisir. Se soumettre ou dominer. Maître Candice, lui, dominera ou mourra.
Néanmoins, enseigner les symboles du traité de Polaris a un dava le répugnait, mais il n'avait pas le choix.
« Les goules sont nos amies, cracha Maître Candice, ce sont des créatures intelligentes qui exploitent la stupidité de faeliens barbares, comme ta mère, pour leur faire consommer des horreurs et elles ont bien raison. Vous êtes moins que des familiers, moins que toutes les toxines que mon corps peut rejeter alors toi et tes congénères, vous pouvez remercier mes ancêtres d'avoir pitié de vous. »
Tu n'es que de la viande, pour moi, dava. Tu vaux même moins que les cobayes humains car eux, contrairement à toi, peuvent se vanter d'avoir des entrailles intéressantes. Ta mère mérite son sort mais si tu te tiens bien, si tu fais tout ce que je te dis, je trouverai un moyen de la guérir.
Maître Candice le détestait pour ce qu'il était, Rose le savait. Mais aux yeux du jeune vampire, Maître Candice restait un dieu qui avait le droit de mépriser les espèces moins évoluées que la sienne, alors il essuyait ses propos acides, sans broncher. Pourtant, quand il l'entendait dire que les goules avaient raison de répandre leur poison sur le monde et que ceux qui choisissaient de s'en repaître étaient stupides, qu'ils le méritaient, Rose sentait ses entrailles s'embraser. Ses lèvres se serraient, ses doigts trituraient le tissu de sa tunique et il soutenait le regard métallique de Maître Candice. C'est injuste.
« Tu es en colère ? » persifla la fée Milliget.
Non. Rose n'était pas assez vivant pour se mettre en colère et encore moins face à une fée. Pourtant, au fond de lui, peut-être que la colère essayait de s'éveiller, en effet.
« Quoi ? Poursuivit Maître Candice, c'est ce que j'ai dit sur ta mère ? Ce que j'ai dit sur les goules ? Tu veux m'affronter ? »
Il écarta les bras comme s'il incitait Rose à ouvrir les hostilités mais bien entendu, le jeune vampire ne pourrait jamais le vaincre. Seulement, ce n'était pas ce que la fée Milliget attendait de lui. Voyant qu'il ne bougeait pas, elle fondit sur le lui, l'attrapa par le col de la tunique pour le forcer à se mettre debout et le repoussa avec violence.
« Vas-y. Mets-toi en colère. Affronte-moi. »
Rose se contenta de le regarder comme si Maître Candice perdait la raison et si la peur restait au centre de ses yeux opalins, il y avait d'autres lueurs en train de s'y bousculer. Rose recula, serrait ses bras autour de son buste, et attendit que l'orage passe. Mais Maître Candice était un orage éternel.
« Ça me tue de devoir t'enseigner un savoir si précieux que tu n'es même pas capable de mémoriser ! Ça me répugne de devoir utiliser mon cerveau pour traiter ta mère qui n'a qu'à crever dans son institut ! Elle n'est qu'un déchet bouffé par le tap et tout ce qu'elle a mis au monde, c'est une ordure que je suis obligé de supporter ! »
S'il avait pu le faire, Maître Candice aurait causé un carnage. Il aurait renversé le bureau, brisé la chaise contre le mur, il aurait même retourné toute la pièce pour aller jusqu'au bout de son entreprise, mais tout ce qu'il pouvait faire, c'était cracher sa bile. Face à lui, Rose le dévisageait, blême, ses yeux opalins écarquillés et son être, endormi par la maladie du néant, tout juste flagellé par ce qu'il venait d'entendre. La fée Milliget attendit quelques secondes puis, fatiguée par son dava sans âme, poussa un soupir et jura dans sa langue. Elle quitta la pièce en claquant la porte derrière elle et ensuite, Rose l'entendit aboyer le prénom de son frère, Sira, qui était manifestement en train de se promener dans un endroit qui devait lui être interdit.
Maître Candice n'avait pas obtenu ce qu'il avait voulu chercher chez Rose et Rose, lui, n'avait pas compris ce qu'il aurait dû lui donner. Après son départ, il s'était de nouveau attablé face au bureau, avait saisi un morceau de parchemin, trempé sa plume dans l'encrier et s'était mis à tracer les symboles du traité de Polaris. Cette fois, tout était parfait. Mais il manquait tout de même quelque chose…
Quelque chose que Rose a fini par trouver, en bravant l'apathie de la maladie du néant pour renaître, revivre et retrouver l'amour, tout au fond de lui, étouffé par le poids du vide. La conviction. Profonde, inébranlable, ne souffrant d'aucune incertitude et lui donnant bien assez de courage pour saisir l'arme immatérielle que Maître Candice lui a enseignée pour sauver une seule vie.
Rose ferme les yeux. Là, allongé dans son lit d'hôpital, son cœur battant la cadence avec une douceur sereine qu'il n'avait pas embrassée depuis un long moment, il visualise chaque symbole du traité de Polaris.Legalaashuragi Ooshiqire Assolo,
Oossiratuqetsamila Moqulemiqanoqeni,
Itabomamotabo Moluqosshimatoli,
Ssilamoqabossuti lemolessomomiqato,
Oossiratuqamo Asseqamitano,
Ssutabulamoqulemaa,
Ematuqesso.Les Symboles du Traité de Polaris
Il prend une grande inspiration et serre les draps de son lit. Rose ouvre les yeux dans la pénombre. Il fixe la noirceur des lieux, écoute les respirations paisibles de ceux qui se trouvent entre les bras du sommeil pendant que son esprit lui partage un calme religieux. Il lui montre, aussi, les images de Nevra en train de sourire, il lui fait écouter son rire et pour poser une dernière pierre sur le monticule de sa conviction, il lui peint la silhouette de l'ancien Chef de l'Ombre, en vêtements de parjure, les fers aux mains et aux pieds.
Rose se redresse sur son lit. Avec des gestes lents, il dégage les couvertures pour dévoiler ses jambes, emmitouflées sous les bandages, puis prend une nouvelle inspiration. Il a attendu toute la journée. Il a guetté le moment opportun et œuvrant de toute sa patience, il a pu obtenir sur l'objet dont il aura besoin. Glissant la main sous ses oreillers, Rose en tire un petit ciseau de mithril. Il se mord la lèvre et pousse un soupir. Il savait que Yëvet viendrait changer les bandages de Valkyon, en faisant rouler son petit chariot recelant de matériaux de soins, dont ces ciseaux destinés à couper les pansements et parfois, les fils de sutures.
Il a été difficile de les subtiliser, car l'infirmière oscillait souvent entre son patient et son chariot mais en tâtonnant et en restant le plus discret possible, Rose a fini par avoir ce qu'il voulait.
Le jeune vampire se tourne pour observer la silhouette massive, endormie, de Valkyon. Il sait qu'il ne peut se résoudre à accomplir son dessein auprès de lui car tout ce qu'il répugne, c'est d'imaginer le Chef de l'Obsidienne se réveiller pour le voir s'entailler la chair, assis sur son lit, comme s'il commettait un acte de désespoir. De plus, Rose ignore ce qu'il se passera dans cette pièce, une fois l'invocation du traité achevée, alors si quelque chose doit recueillir son sang, il préfère que ce soit le sol, quitte à se traîner comme un cargoche.
Prudent, Rose attrape sa jambe droite pour la guider, avec douceur, vers le côté de son lit. N'ayant que trop peu l'habitude à ce que ses pieds ne soient plus soutenus, il grimace sous la douleur, mais s'empêche de gémir. Rose reproduit son entreprise avec sa jambe gauche et lorsque c'est chose faite, il enfonce ses mains tremblantes dans son matelas. À présent, il doit se laisser glisser sur le sol, en silence, peu importe ce qu'il devra supporter. Après, il pourra ramper comme un malpropre. Rose prie pour que le grincement de son lit ne tire pas Valkyon de son sommeil, puis amorce son douloureux pèlerinage. Le lit est haut, alors sa descente est un cauchemar qui met bien trop de temps à s'accomplir. Lorsque ses pieds rencontrent le sol, c'est comme si un feu vorace et rapide s'emparait d'eux pour grimper le long de ses jambes, si bien que le jeune vampire est persuadé qu'elles vont se briser de nouveau.
Soudain, ses bandages glissent sur le sol. Rose s'accroche au matelas, au rebord du sommier, mais ses doigts lâchent prise et son dos racle contre le lit en lui arrachant une grimace de souffrance. Le jeune vampire plaque une main contre sa bouche, respire pour calmer la douleur et palpe ses jambes avec angoisse. Il se courbe, réprime un gémissement quand il a la sensation d'être prisonnier d'un étau hérissé de pointe, puis focalise son esprit sur le traité de Polaris.
Avec difficulté, Rose plaque ses paumes sur le sol froid de l'hôpital, puis commence à se traîner. Il veut se terrer dans un coin, près des latrines et si la distance lui semble insurmontable, si les muscles de ses bras protestent, il continue son chemin, ses longs cheveux sombres formant un rideau autour de son visage. Là, quand aura trouvé sa place pour saigner en silence, alors il pourra commencer l'invocation. Rose trace les symboles dans son esprit, encore et encore, pour oublier la douleur pénible qui le ronge comme un poison. Il revoit les courbes, les virgules apposées comme des coiffes, les traits nets qu'il avait dû répéter sur des parchemins pour ensuite, les faire vérifier à Maître Candice.
Le jeune vampire sent la transpiration recouvrir son corps avec le suc de la souffrance. Ses mains moites glissent sur le sol, ses cheveux s'emmêlent sur ses épaules et ses jambes se traînent comme deux mourantes. C'est une ascension, qu'il est en train d'accomplir ou plutôt, un périple vers un endroit ridicule, comme un dépotoir à déchets, juste pour permettre à Rose de se faire oublier pendant qu'il versera son sang. Quand il y parvient, il prend quelques secondes pour retrouver son souffle. Il se laisse aller contre le mur, le front appuyé sur la surface lisse et fraîche, puis rive son regard opalin vers les raies de lumière pâle que la lune laisse filtrer par les fenêtres cintrés. Là, juste à quelques mètres de son propre lit, ainsi que de celui de Valkyon, Rose à la sensation de se trouver dans un autre monde. Il passe une main fatiguée sur son front, balayant sa frange trop longue, puis se saisit du petit ciseau en mithril.
Il l'ouvre. Les lames étincellent, puis Rose se souvient des mots de Maître Candice : l'extérieur de la cuisse. Pas l'intérieur du poignet, à cause des artères palmaire et radiale. Pas l'intérieur de la cuisse non plus, à cause de l'artère fémorale. Tu as compris ?
Oui, il avait compris. Il a compris. Rose ferme une nouvelle fois les yeux, pour revoir les symboles, défait les bandages afin de libérer le haut de sa jambe gauche, la ramène contre lui en ignorant la douleur, puis trace la première courbe.Legalaashuragi Ooshiqire Assolo,
Oossiratuqetsamila Moqulemiqanoqeni,
Itabomamotabo Moluqosshimatoli,
Ssilamoqabossuti lemolessomomiqato,
Oossiratuqamo Asseqamitano,
Ssutabulamoqulemaa,
Ematuqesso.
Il se place en témoin de son acte. Tout ce qui compte, c'est ce qu'il voit dans sa tête, c'est ce qu'il grave dans la chair de sa cuisse avec sa conviction la plus solide, son vœu le plus cher, son corps, plus vivant que jamais, couplé au désir de survivre et de sauver.
Le sang coule comme des larmes vermeilles. Elles viennent s'échouer sur le sol froid, se fondre dans les bandages pour se transformer en fleurs morbides, puis écarter leurs pétales, mais Rose continue. Ça brûle, ça pique, ça suinte et ça file vers l'intolérable, mais il ne peut pas s'arrêter. Il doit aller jusqu'au bout, sinon, ça n'aura servi à rien. À rien du tout.
Sa main tremble, sa cuisse demande grâce, de véritables larmes coulent sur ses joues, en miroir avec celles de sa chair suppliciée, mais il doit encore tracer un trait net, un autre, deux virgules… Il a terminé. Les yeux humides, il observe son œuvre accomplie : un véritable carnage. La main qui serre le ciseau comme un trésor maudit fini par le lâcher et sa petite chute se transforme en bruit de tempête. Puis Rose suffoque.Les Couleurs de la Guerre
L'air devient lourd, tangible, humide. Il écrase le monde comme une aura malsaine, un cri refoulé qui prendrait vie pour appeler, pour devenir l'ébauche de la guerre et peindre en rouge, le trône du royaume des fée. Rose porte une main à sa gorge, mais ses poumons lui donnent l'impression de s'être rétractés comme des sachets d'herboristes. Le sol est chaud, trop chaud, sa cuisse brûle, son corps tout entier est traversé par des aiguilles en feu et s'il veut ouvrir la bouche pour crier, on le prive d'air. C'est le monde qui se lève. Ce sont les entrailles d'Eldarya qui s'éveillent, qui ouvrent des portes inconnues pour laisser l'enfer s'échapper et Rose a servi de clé. Plus loin, nombreux sont les patients tirés de leur sommeil, éveillés par une peur irraisonnée qui s'est abattue sur eux comme un couperet maudit et ils lancent des regards hagards, perdus, à la recherche d'un danger chimérique. Il y en a qui portent la main à leur poitrine, à leur cou, qui se retrouvent avec un souffle court, si bien qu'ils essayent de bailler pour se soulager.
Puis il crie. Strident. Puissant. Une colère noire menée à un désir de vengeance si redoutable qu'il a brisé tous les sons pour laisser sa marque dans l'invisible, peu importe si les tympans des patients alentour, dans les étages de l'hôpital d'Albacore, explosent.
Rose veut plaquer ses mains sur ses oreilles, mais il est incapable de bouger. Une petite flaque poisseuse s'est formée autour de lui et il est là, comme un familier marin, à essayer de chercher l'air sans jamais le trouver, ses os vibrants sous le hurlement de Maître Candice. Il ignore pourquoi il se trouve dans les tréfonds de l'hôpital et comment il est arrivé là. Ce n'est pas important. Ce qui est important, c'est le monde qui gronde et la rage d'un roi déchu, qui ressent la magie du traité dans sa chair souveraine. Mais la clé du traité, elle, s'effondre.
Retenez-le ! Aller chercher le geôlier ! Il va réussir à briser la porte, retenez-le !
« Rose ! »
Peu importe ce qui lui arrive, il a réussi. Quand les fées et les goules marcheront vers les vestiges d'Eel et s'arrêteront à Albacore, alors la vérité sera dévoilée et Nevra ne craindra plus la prison. Rose, lui, doit juste demander à son corps de tenir encore un petit peu pour lui permettre de se réveiller plus tard, puis de continuer sur la voie qu'il a emprunté.
« Qu'est-ce que vous avez fait ?! » tonne une voix puissante près de lui.
Rose veut le regarder, mais il est incapable de bouger. Il voudrait pouvoir plonger son regard opalin dans le sien, juste pour lui communiquer sa résolution, lui demander de ne pas s'inquiéter et lui assurer que tout ira bien. Il a choisi un camp, mais c'est pour la sécurité des personnes qui lui sont chères.
Merci de t'être levé pour moi, malgré la douleur.
Valkyon se porte mieux que lui, mais sa blessure grave, dans son dos, l'entrave dans certains de ses mouvements. Rose sent ses grandes mains appuyer sur sa cuisse avec fermeté, pour arrêter le saignement, puis il l'entend appeler de l'aide.
« Qu'est-ce qu'il vous à pris ? » gronde le Chef de l'Obsidienne.
Rose ne dit rien. Même si son corps est trop lourd, il s'accroche à la voix et à la présence de Valkyon, pour ne pas sombrer dans l'inconscience et il use de tous ses efforts pour pouvoir lui répondre. Lui dire qu'il a fait ça pour lui, autant que pour Nevra et pour sa mère.Les Choix
Rose a invoqué le traité de Polaris et il a pu mener son entreprise jusqu'au bout. L'ancienne magie des fées s'est servie de lui pour lancer l'appel à la guerre et sans tarder, Rose ressent les effets du traité sur son propre corps qui devient lourd. Son invocation et la puissance de la magie ont provoqué le réveil des autres patients de l'hôpital, dont Valkyon qui a trouvé Rose avec les marques de son acte. Inquiet, le Chef de l'Obsidienne lui demande ce qui lui a pris, ce qu'il a fait et Rose, lui, use de toutes ses facultés pour pouvoir lui répondre. Mais comment devrait-il lui répondre ?
➜ Tenter de parler, même si cela est très difficile.
➜ Essayer de lui prendre la main.
➜ Ne rien faire et attendre.
➜ Se concentrer sur la voix et la présence de Valkyon pour essayer de reprendre le contrôle de son corps.
UNIQUEMENT pour MayaShiz et Waitikka : June est appelée en urgence à l'hôpital d'Albacore pour venir prêter main forte aux autres soldats d'Odrialc'h, ainsi qu'à Balam, pour essayer de contenir Candice Milliget, qui s'est réveillé.
Seulement et profitant de l'urgence de la situation, l'hôpital a été infiltré et les âmes qui profitent du chaos environnant, vont tâcher d'en sauver d'autres.
Lorsque vous serez prêts, MayaShiz et Waitikka, contactez-moi par MP pour un RP commun !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Me voilà enfin avec le chapitre 15 que je suis ravie de vous partager, surtout pour le fastidieux RP commun sur lequel j'ai pu travailler avec MayaShiz et Waitikka ! Vous allez voir que l'histoire prend un sacré tournant et que le choix final, même s'il n'est pas charnier, va vous permettre de vous triturer les méninges !
Je précise que bien évidemment, le ton de cette histoire n'est pas pour tout le monde, donc faites attention à vous si vous êtes sensibles.
Aussi, je m'excuse encore pour ce délai affreux. Même si la vie IRL est très prenante, je n'aime pas prendre du retard mais parfois, c'est ainsi.
Comme vous pourrez le constater, vous avez deux semaines d'office pour voter. Non pas parce que le choix est charnier, mais parce que certaines personnes m'ont d'ores et déjà demandé une rallonge dû à leur emploi du temps IRL assez chargé. Donc profitez en pour lire et réfléchir à vos votes !
Bonne lecture à vous ! (^_^)/
Chapitre 15 - De La Viande Pour Un Dieu
June Albalefko, village d'Albacore
Son corps s’éveille si brusquement qu’elle met quelques instants à comprendre qu’elle ne dort plus. June se redresse avec l’impression que sa gorge est devenue trop étroite pour laisser passer l’air que réclament ses poumons. Un poids étrange s’est abattu sur ses épaules, qui la laisse pantelante, le front couvert de sueur. Elle déglutit, repousse ses couvertures puis passe les jambes par-dessus son lit. Ses pieds touchent le plancher au moment où des coups puissants retentissent à la porte. La jeune femme se raidit, mais il lui faut quelques instants pour parvenir à se lever. C’est comme si ses jambes étaient devenues des sacs de coton, que ses muscles refusaient de répondre à ses sollicitations.
Son intuition lui souffle que quelque chose de grave est en train de se passer, sans qu’elle puisse dire comment et pourquoi. Les coups reprennent, insistants, et elle entend des pas rejoindre la porte pour savoir qui toque à cette heure de la nuit. June s’agrippe aux montants de son lit pour se lever, titube et réussit à attraper son uniforme avant de rejoindre l’entrée. La même intuition lui crie qu’elle en aura besoin.
Les cheveux emmêlés sur son vêtement de nuit, Helouri lance un regard perdu à sa grande sœur avant de se décider à ouvrir. Son corps est couvert de sueur et il réprime une nausée subite qui l'a saisi en plein milieu de la nuit, sans qu'il n'en comprenne la raison. Il fait tourner la poignée et son visage devient blême quand il se confronte à un soldat vêtu de l'uniforme règlementaire d'Odrilac'h. Visiblement, le jeune orc a été tiré de son lit et quand il croise le regard de June, il déclare d'un ton pressé :
« Soldate Albalefko, vous êtes attendue à votre poste de toute urgence ! Veuillez venir immédiatement ! »
Puis, s'attardant sur Helouri, il plisse les yeux, puis se souvient de quelque chose :
« Je crois que vous travaillez à l'hôpital, non ? Vous devriez venir aussi, beaucoup de patients ont fait des malaises et le personnel est débordé.
— Des malaises ? répond Helouri, hébété.
— Vous verrez bien sur place. Soldate Albalefko, allons-y s'il vous plaît. »
June n’a besoin que d’un instant pour enfiler son uniforme et attraper son épée. Pendant qu’elle rassemble ses cheveux en un vague chignon pour les dégager de son visage, elle interpelle Helouri d’une voix pressée.
« J’y vais, si tu viens aussi, dépêche toi, et si tu préfères y aller tout seul, fais attention à toi. »
Elle ne peut pas mentionner le cartel devant le soldat, mais l’idée qu’Helouri se promène seul dans les rues ne l’enchante pas. June s’empresse de nouer ses chaussures, puis elle lui lance un regard interrogateur. Décide-toi vite, lui disent ses yeux, parce qu’elle a senti l’urgence dans la voix du soldat et qu’elle craint que Candice ne fasse des siennes dans sa cellule.
Son petit frère semble indécis, mais il finit par hocher la tête et file se préparer en vitesse. Il s'attachera les cheveux en chemin. La situation ne lui plaît pas du tout et il se demande ce qui peut se passer à l'hôpital pour que le personnel soit débordé ainsi.
Lorsqu'ils sont fin prêts, lui et June, le soldat les accompagne jusqu'à l'hôpital d'Albacore et quand ils passent la porte, ils sont accueillis par un hurlement monstrueux. Helouri plaque ses mains sur ses oreilles membraneuses pendant que tout son corps est parcouru de frissons. Il a l'impression que le cri strident serait capable de lui briser les os et de lui déchirer la peau. Il lance un regard épouvanté à June, mais le soldat lui intime de rejoindre les soignants, pendant qu'il emprunte une autre direction.
« À tout à l'heure… » lance Helouri à sa grande sœur.
Mais il a un très mauvais pressentiment. June lui répond à peine. Pendant un instant, elle se revoit durant la catastrophe, faisant face à Candice Milliget au plus fort de sa rage. Soudain, elle regrette ses provocations à l’égard de la fée.
La jeune femme presse le pas pour rattraper son collègue, le souffle court. Maintenant qu’ils sont seuls, elle s’autorise à lui demander d’une voix étranglée ce qu’il se passe.
« C’est le prisonnier ? Sa cellule est solide ?
— Espérons-le. »
Son réveil a été brutal, comme s'il avait été sorti d'un mauvais rêve et à peine a-t-il réalisé l'endroit dans lequel il se trouvait, qu'il s'est mis à hurler comme s'il appelait quelqu'un. Ensuite, il s'est acharné sur la porte de la chambre froide, tiré sur ses chaînes avec violence et en cet instant, l'ensemble des soldats affiliés à sa sécurité souhaitent de tout cœur qu'il faiblisse avant de parvenir à sortir.
« Son geôlier est déjà sur place en compagnie des médecins, explique le soldat, si jamais la fée réussit à briser la porte de sa cellule, nous devrons la contenir à tout prix. Pour le moment, le geôlier Lefaucheur essaye d'entretenir un dialogue, mais… »
Il n'a pas besoin d'en dire plus. Le hurlement de rage provenant des sous-sols traduit, à lui-seul, une colère noire. Le soldat d'Odrialc'h, déglutit quand ils arrivent face à l'escalier menant jusqu'à Candice mais alors qu'il ouvre la bouche pour dire quelque chose, il hoquète, ses yeux se révulsent, puis il tombe lourdement sur le sol.
« Tu m'avais déjà oubliée ? » lance une voix que June ne connaît que trop bien.
Un doux sourire sur son visage, Fuya s'extirpe de sa cachette, se glissant entre les larges étagères desquelles elle guettait sa proie. Une sarbacane à la main, elle laisse courir son regard bleu sur le soldat, à présent plongé dans un profond sommeil. Le désignant du menton, elle ajoute :
« Il va dormir longtemps. Comme toi quand j'ai dû te traîner à la planque. Enfin… »
Son visage devient sérieux alors qu'elle achève d'une voix tranchante :
« Tu allais où, comme ça, June ? Tu as oublié ta mission ? C'est ennuyeux que la fée soit ici et que moi, je ne sache toujours pas où se trouve la cellule de notre cheffe. Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? Si j'étais toi, je réfléchirais très vite. Sexta est ici, tu sais. Et elle est bien accompagnée. »
Plissant ses yeux d'azur, Fuya tire une petite boîte de sa poche. Elle en descelle le couvercle avec une lenteur intolérable, puis en extrait une mèche de cheveux nacré, tourbillonnant sur elle-même pour former une boucle.
« Tu étais prévenue, non ? souffle Fuya, ne t'en fais pas. Il est encore entier pour le moment. »
Son cœur dévale sa poitrine pour s’écraser au sol. La haine se mêle à l’effroi, et June serre les poings en se retenant de se jeter sur Fuya pour lui arracher cette langue affreuse qui ose menacer son petit frère. La jeune femme s’atreint au calme, mobilisant toutes ses forces pour ne pas faire quelque chose de regrettable. Il faut qu’elle réfléchisse, et vite.
« Ça ne vous aurait pas arrangé qu’il meurt, gronde-t-elle entre ses dents. Je n’ai rien oublié du tout, j’ai dû improviser. Avec tout ce bazar, ça ne sera pas compliqué de s’introduire dans la prison, il suffira juste de trouver quelqu’un qui la connaît suffisamment ou de récupérer les plans. »
Quitte à menacer un garde, elle n’est plus à ça près. June se force à esquisser un sourire confiant, tandis que ses prunelles promettent la mort et la souffrance à la sirène qui se tient devant elle.
« Mais puisque tu es là, j’imagine que tu as des ordres à me donner ? La fée risque de ne pas avoir très faim, et ça ne fait pas cinq jours, mais j’imagine que je peux toujours trouver quelque chose à lui donner. »
Toi, par exemple. June se mord la langue, avant de reprendre d’une voix rauque qu’elle tente de maîtriser.
« À moins que je ne doive faire autre chose ? On abandonne le prisonnier pour trouver votre cheffe ? Je t’écoute.
— Tu vas sagement m'accompagner, sourit Fuya, nous allons faire un petit détour pour aller chercher du monde. Tu pourras même voir que ton petit frère va bien. Ensuite, tu nous conduiras à la prison d'Albacore et on cherchera la cellule de notre cheffe. Quand on l'aura trouvée, c'est elle qui décidera ce qu'elle fera de vous mais ne t'en fais pas : notre cheffe est quelqu'un de juste.
— Ne fais rien de regrettable ! » s'exclame une voix en provenance des sous-sols.
C'est celle de Balam. Elle tâche de se maîtriser mais visiblement, l'ancien guetteur a toutes les peines du monde à raisonner son terrible prisonnier. June peut l'entendre lui hurler dessus dans la langue des fées, puis des poings cogner contre la porte de sa cellule.
« Je crois que quelqu'un est en colère, argue Fuya en haussant les épaules, allez dépêches-toi, June, nous n'avons pas toute la nuit. »
Se détournant, elle file dans un couloir. June a une pensée pour Balam, pour son accord avec Candice qui est peut-être en train de lui échapper, et tandis que Fuya disparaît, elle donne un coup violent dans le mur. C’est idiot, car à présent sa main droite la lance terriblement, mais quitte à frapper quelque chose, autant que ça ne soit pas capable de se défendre.
La jeune femme se met à courir pour rattraper la sirène. C’est rare, mais elle se sent totalement impuissante. Cette fois, elle ne peut pas s’en sortir par une pirouette, ni par un mensonge, et pourtant, la vie d’Helouri dépend sans doute de ses actions dans les prochaines heures. Elle voudrait que Candice se libère, qu’il perde la tête et qu’il vienne s’occuper du cartel tout entier. Heureusement, la course l’empêche de hurler sa frustration. Elle a rattrapé Fuya et force sur ses jambes pour se maintenir à sa hauteur, incapable de réfléchir car ses pensées sont toutes tournées vers Helouri.
Les deux jeunes femmes s'enfonçent dans l'hôpital. L'atmosphère est lourde, comme si un couperet s'abattait sur le monde et plus loin, elles peuvent entendre les soignants s'affairer, criant que les patients font des malaises ou bien des crises d'angoisse. Même Fuya sent des frissons courir sur sa peau et son cœur s'accélérer pourtant, elle se maîtrise. Elle n'a pas le choix : cette nuit est cruciale. La sirène respire avec difficulté et quand elle parvient jusqu'à la chambre dans laquelle Fawkes et Nelladel sont détenus, elle pousse un soupir. Elle se précipite vers la porte qu'elle ouvre brutalement d'un coup de pied, puis rencontre les yeux noirs de Sexta, aussi imperturbable que d'ordinaire.
« June…
— Si j'étais toi, j'éviterais de parler, glisse la vampire d'une voix doucereuse, qu'est-ce qui arriverait à ta langue si je me mettais réellement en colère, hein ? »
Prisonnier de son étreinte, Helouri lance un regard horrifié à la vampire, déglutit, puis se mure dans son mutisme en tentant de maîtriser ses larmes. Dans cette pièce, il y a également une licorne avec un carré blond en train de préparer deux seringues, en occultant la présence du jeune morgan puis Nelladel, interdit, quand son regard se pose sur June.
Cette dernière serre les dents si fort que le goût du sang envahit sa bouche. Elle se force à rester calme, parce qu’elle ne veut pas que son frère pense qu’elle est dépassée. Il s’en doute sûrement, mais pour lui, elle doit paraître sûre d’elle. La jeune femme ferme brièvement les yeux, puis lui adresse un regard dans lequel elle essaie de faire passer tout ce qu’elle ne peut pas dire. Ça va aller. Je m’occupe de tout, tout va bien.
Elle se force à tourner la tête pour que Sexta ne lise pas la haine qui flamboie dans ses yeux, et se concentre sur les autres personnes présentes. Tous des membres du cartel, sauf Nelladel dont la jambe est toujours dans un sale état. June grimace légèrement quand elle le voit. Il a payé cher sa tentative d’évasion… Toutefois, elle entrevoit une chance, maigre, infime, de se sortir de là. Peut-être que l’elfe acceptera de l’aider. Il l’a déjà fait, même si elle n’a rien à lui offrir, il n’a sans doute pas envie de se retrouver à la mercie de Sexta. Encore faut-il qu’elle parvienne à lui poser la question, sans que personne ne l’entende lui demander ouvertement de l’aider à échapper au cartel…
Tout ce qui se passe autour de lui prend un peu Fawkes au dépourvu. Il s’était préparé à une intervention, mais il était loin de se douter qu’elle prendrait cet aspect. Le réveil brutal l’a secoué. Les sueurs froides ont couru sur sa peau, alors qu’il se relevait fort dans son lit, grimaçant à cause de sa jambe. D’un bref regard, il s’était rendu compte que Nelladel avait été également tiré de son sommeil. La peur lui serrait le ventre et il lui avait fallu un instant avant de réaliser qu’il n’y avait aucun danger dans la pièce. Maîtriser la terreur qui voulait s’emparer de ses nerfs avait alors réquisitionné toute son attention.
Puis Sexta est arrivée. Accompagnée. Le hurlement qui s’est échappé du couloir l’a obligé à plaquer ses oreilles sur son crâne. Elles y sont encore, planquées dans sa tignasse rousse, alors que Fuya entre avec la sœur du morgan. Son cœur bat fort. Trop fort. Les regards se défient, se provoquent, mais aucun geste n’est mené.
« Si ça vous fait rien… Vous pourrez discuter de la suite dehors, non ? » demande Fawkes.
Lui, il voudrait se lever et s’en aller. Ses liens ont été défaits, mais il sait que s’il pose un pied au sol, il sentira les aiguilles de la douleur remonter le long de ses muscles jusqu’à son bassin. Et les seringues que Ryan prépare lui filent la chair de poule. Il en connaît les conséquences, mais il n’a pas le choix.
« On va encore devoir éviter les assauts de la fée pour se tirer ? » ose-t-il demander, alors qu’il songe “très peu pour moi”.
Un léger rire lui répond. Sexta rive ses yeux d'onyx sur lui, un sourire trop doux flottant sur ses lèvres et quand elle reprend la parole, c'est pour lui rappeler qu'il a déjà de la chance, d'être sorti d'ici.
« Vous êtes une perte de temps. Tous les deux. Mais le minaloo de la fée a au moins le mérite de détenir des informations précieuses. Toi, Fawkes, tu t'es mis dans le pétrin tout seul. Tu as intérêt à marcher et à prier pour que Titan soit libérée. »
Ceci étant dit, elle adresse un signe de tête à Ryan pour lui intimer de commencer. La licorne s'approche de Nelladel pour lui administrer une injection, puis fait de même avec Fawkes. Fuya se précipite vers lui pour l'aider à se lever et derrière eux, l'elfe se met à grogner quand il pose les pieds à terre.
« La fée est prisonnière dans une chambre froide, explique Fuya, et toute la sécurité d'Odrialc'h est en train de la contenir. C'est le moment de filer vers la prison !
— Et après ? demande Nelladel.
— Quand Titan sera avec nous, on retourne à la planque et on rentrera. »
L'elfe serre les poings. Un poids s'abat sur ses épaules et il lève les yeux vers le plafond, comme s'il essayait de discerner quelque chose. Il se mord la lèvre, mais finit par se mettre debout. Il fait quelque pas, timidement, ouvre de grands yeux quand il réalise qu'il ne souffre plus du tout, puis son regard passe de Helouri à June :
« Et eux ?
— C'est Titan qui décidera, susurre Sexta, mais s'ils sont sages, ils resteront entier jusqu'à ce qu'on la libère. De toute façon, ils font partie du plan.
— Si Candice n'est plus là, ça ne servira à rien. Surtout pour lui, réplique Nelladel en désignant Helouri.
— Je trouverai de quoi le motiver, sourit Sexta en lui adressant un regard emplit de promesses, on verra ça à Odrialc'h, chouchou. Sois gentil et marche au pas. »
Fawkes garde le museau bas, alors qu’il s'appuie sur Fuya pour se relever. Si poser le pied est inconfortable, la sensation s’estompe rapidement et il prend une profonde inspiration quand il sait qu’il va morfler, plus tard. Il ne dit rien, parce qu’il sait que Sexta ne loupera pas une occasion de lui mettre le nez dans le crottin de sabali. Elle a raison, mais ce n’est pas plaisant à entendre. Quand il peut tenir debout tout seul, sans douleur, il lâche Fuya et lui adresse un remerciement tacite d’un hochement de tête. Son regard se perd sur les deux prisonniers. Toute la situation est un véritable bordel et il doute que tout le plan puisse être exécuté et récupéré…
June, elle, se force à inspirer calmement. Elle ne sait pas qui, de Candice ou Sexta, serait le pire pour motiver son frère, quoi que ça puisse vouloir impliquer. Tout ce qu’elle sait, c’est que si Candice reste en prison, elle peut dire adieu à sa vengeance et surtout, à la sécurité de ses proches. Elle ne veut pas flancher, ni devant Sexta, ni devant les autres, mais sa gorge se serre et elle doit déglutir plusieurs fois pour ravaler les larmes qui menacent de la submerger. Ce n’est pas le moment de s’apitoyer sur son sort, alors elle se tourne vers la vampire et serre les poings, si fort que ses ongles pénètrent la chair fragile de ses paumes.
« J’imagine qu’on ne va pas tous entrer dans la prison, parce que ça risque d’être un peu visible ? s’enquit-elle.
— Non, en effet, répond Sexta d'une voix mielleuse, nos deux grands blessés de guerre vont rejoindre la planque avec Ryan et nous quatre, toi, moi, Fuya et ton adorable petit frère, nous allons nous rendre dans la prison. »
June réfléchit à toute vitesse. Elle voit sa chance lui échapper, et sans réfléchir, elle fait un pas en direction de Nelladel. Ce n’est pas le meilleur moyen d’entamer une alliance, mais elle n’a pas d’autre idée.
« J’ai travaillé dans la prison, et Nelladel y était enfermé, dit-elle à toute vitesse. Peut-être qu’il peut nous aider, plutôt que d’errer au hasard en espérant tomber sur le bon couloir ? »
L'elfe la dévisage comme si elle perdait la raison. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais baisse la tête pour jeter un regard assassin à sa jambe. Il pourrait retourner dans cette prison, même s'il ignore s'il serait d'une grande aide, mais l'effet de l'injection se disspirera.
« Et quand il va s'effondrer sous le coup de la douleur, tu le porteras ? raille Sexta, tu as le goût du risque. »
Mais la vampire fixe Nelladel et lui demande de prendre sa décision. L'elfe réfléchit à toute vitesse, puis finit par répondre :
« Je pense pouvoir m'orienter. Je suis un ancien brigadier, alors trouver mon chemin très vite avant le danger, ça me connait. Si on se dépêche, je pense qu'on pourra revenir avant que les effets de l'injection se dissipent.
— C'est risqué, intervient Ryan.
- C'est votre plan, qui est risqué ! crache Nelladel, de toute façon entre vous et la fée, je ne sais même plus qui est le pire !
— Je ne t'ai pas encore estropié, susurre Sexta, ça peut faire pencher la balance, chouchou. »
L'elfe lui jette un regard noir, mais la vampire leur intime, à tous, de se dépêcher. À côté, le renard roule des yeux et gronde sourdement.
« Décidez-vous ! Mais le morgan vient avec nous à la planque. Il ne vous sera d’aucune utilité dans la prison et risque de vous retarder. Pire, de vous faire prendre ! »
Outre cela, il songe que s’il a plongé dans le port d’Eel pour lui sauver les branchies, ce n’est pas pour le laisser se faire tuer bêtement lors d’une infiltration aux antipodes de ses capacités. Ses camarades auront bien assez à gérer pour ne pas s’encombrer du gamin.
Sexta plisse ses yeux noirs. Elle ne veut pas s'embarrasser de son otage, mais elle ne veut pas s'en séparer non plus, de peur qu'il s'échappe. Tant qu'il est là, il reste une garantie pour que June obéisse. Le jeune morgan se soumet très facilement, elle a pu le remarquer, mais il a des jambes et il pourrait filer vers les soldats présents à l'hôpital, quitte à courir vers les chambres froides.
Enfin, Sexta se met à sourire.
« D'accord, Fawkes, tu le prends avec toi et tu l'emmènes à la planque, avec Ryan. S'il s'échappe, vous êtes responsables, tous les deux. Néanmoins, je ne pense pas qu'il le fera. Il est faible et il suffit de lui rappeler qu'il serait malvenu de désobéir. »
Et un rappel, c'est toujours bon. La vampire attrape Helouri par une poignée de cheveux pour le pousser brutalement vers Fawkes, mais avant qu'il n'atteigne le renard, elle fauche ses jambes. Le jeune morgan trébuche sur le sol, terrorisé, jusqu'à ce qu'un violent coup de pied dans le ventre lui arrache un cri, puis une quinte de toux.
« Voilà, lance-t-elle d'une voix doucereuse, là, il sera sage. Tu seras un gentil poisson.
— Laisse-le tranquille ! »
June a crié, et son corps a agit avant qu’elle ne puisse réfléchir aux conséquences. Elle efface la distance qui la sépare de la vampire, en sachant pertinemment qu’elle se précipite vers une punition douloureuse. Pourtant, elle lance ses mains en avant pour la repousser. Elle veut qu’elle se tienne aussi loin de son frère que possible, qu’elle ne repose jamais ses doigts griffus sur la peau du jeune morgan, et peu importe ce que ça lui coûte.
L’impulsivité de June est compréhensible, même si Fawkes aurait préféré qu’elle s’abstienne de jeter de l’huile sur le feu. Lui, il ramasse le morgan par le bras et le relève. Il peut même fléchir ses jambes, et s’il grimace c’est plus d’appréhension que de douleur.
« N’essaie pas de fuir, tu ne courrais pas assez vite… »
Et comme le petit poisson est enfin debout sur ses frêles jambes, Fawkes s’empresse d’ajouter à l’attention de Sexta, espérant la détourner de la fureur qu’elle s’apprête à abattre sur cette inconsciente de gardienne.
« Combien de temps je vous laisse avant de m’occuper de lui ?
— Le temps qu'il faudra. »
Sexta a répondu d'un ton laconique, sans quitter June des yeux. Sa réaction était attendue, mais elle ne pensait tout de même pas qu'elle risquerait sa peau pour défendre son pathétique petit frère. Elle sourit, puis songe qu'elle lui fait penser à elle, à son âge.
« Ryan et Fawkes, filez maintenant avec le petit poisson ! ordonne Sexta, chouchou et la soldate émérite, vous allez nous guider vers la prison et faire votre travail. »
La vampire se rapproche de June. Elle est si près que son nez pourrait toucher le sien pourtant, elle se contente de lever la main, de replacer une mèche de cheveux cendré derrière son oreille, puis de lui souffler :
« Ne cherche pas à me berner. Même si j'étais en enfer, je serai capable de trouver la sortie. Dresse-toi contre moi, touche à un seul cheveux de Fuya ou même à notre cheffe quand on la trouvera, et ton frère sera vendu à des pervers qui vont adorer ses jolies petites bouclettes nacrées. Celles du haut, et celles du bas. »
Elle se recule avec un air satisfait, tandis que June retient un haut-le-cœur, puis ordonne à Fawkes et Ryan de partir les premiers. Le renard hoche la tête. S’il trouve que Sexta use de méthodes que Titan n’approuverait pas, il n’en dit rien pour le moment. Il n’est pas en position de dire quoi que ce soit.
La main solidement refermée sur le bras de Helouri, Fawkes le force à venir avec eux. Il le sent fébrile, presque tremblant et sans doute préférerait-il rester auprès de sa sœur. Il n’en sera rien. Alors sans un regard en arrière, le renard s’éloigne avec Ryan et le petit poisson. Il se laissera guider jusqu’à la planque, par la licorne. Il suppose que Sexta l’a fait changer de place, quand il a été fait captif avec Nelladel. Quand il est enfin seul avec Ryan, loin de la vampire, Fawkes interroge quand même :
« Dans l’hypothèse où ils n’arrivent pas à récupérer Titan, Sexta entend garder la tête du cartel ? »
Ryan ne répond pas. Elle semble chercher ses mots et enfin, quand elle ouvre la bouche, c'est pour déclarer d'une voix douce :
« C'est ce qui se fera s'il arrive le pire à notre cheffe. Sexta est la plus à même de diriger le cartel, Fawkes, peu importe les méthodes qu'elle utilise. Si… »
Elle s'interrompt, plonge son regard clair dans les yeux de Fawkes, puis achève :
« Si tu n'es pas d'accord avec ça, alors penses-y maintenant. »
Les yeux noisette du traqueur sont fixes, comme si tout mécanisme de mouvement leur avait été ôté et qu’ils sondaient l’âme de Ryan à travers ses pupilles. Oh… il sait qu’il doit y penser, parce qu’en effet, il n’est pas d’accord. Pas d’accord avec Sexta, pas d’accord avec ses méthodes, pas d’accord avec sa prise de commandes du cartel. Lui, il trouve qu’elle n’est pas la plus indiquée pour ce poste. Mais qui est-il pour émettre un avis, lui qui se garde bien de le faire en temps normal. Et puis si ce n’est pas elle, alors qui d’autre ? En vérité, Sexta, c’est ça. Elle est un choix par dépit, faute de mieux. Et Fawkes le déplore. Il espère très fort que Titan va bien. Et pas seulement pour le cartel. Elle est celle qui lui a tendu la main quand il en avait le plus besoin, bien qu’il ait été un animal sauvage qui la mordait à l’époque. Elle a insisté et ne l’a pas abandonné alors qu’elle aurait eu toutes les raisons de le faire.
Il lui est redevable. Elle lui a appris ce que c’était que d’avoir une maison. Aussi insalubre a-t-elle été. Ça le peinerait de quitter tout ça. Mais sans Titan, le quartier général du cartel n’aura de foyer pour lui, que le nom. Avec Sexta, il ne s’y sentira plus en sécurité.
Ça, non, il n’est pas d’accord. Pourtant, quand il ouvre la bouche, ce n’est pas pour annoncer que leurs chemins vont se séparer dans l’immédiat. Il ne pense même plus au petit poisson, encore fermement prisonnier de sa poigne et de son regard d’âme morte. Lui, il songe à ce que vient de lui dire Ryan, de ce qu’il décide. Pour maintenant, et pour plus tard.
« Je ne quitte pas le cartel. Pas maintenant. J’entends mener à bien notre mission initiale, parce que c’est Titan qui nous l'a confiée et que ça dépasse nos simples petites personnes. Je saurai mettre mes états d’âme et mes affinités de côté, pour la sauvegarde d’Eldarya. »
Il sait qu’il n’a pas à convaincre ou à plaidoyer devant Ryan, pourtant, il a besoin de le formuler à voix autre. Au moins une fois, pour qu’une personne en qui il a encore un minimum de confiance soit témoin de sa décision.
« Mais passer cela… je ne supporterai pas davantage les méthodes cruelles de Sexta. »
Sexta a souvent raison. Elle cerne bien les gens. Preuve en est avec Rose, au grand dam de Fawkes. Pour autant, sa façon de réagir est trop extrême, trop radicale. Fawkes se sait trop naïf, trop idéaliste peut-être. Il se pensait résigné avant, parce qu’il ne voulait plus placer aucun espoir en personne, mais Titan lui a montré que c’était encore possible. Alors il veut se raccrocher à cela. Parce que si tout est noir et sombre comme Sexta le prétend, autant se flinguer tout de suite. A quoi bon.
Ryan ne dit rien, mais hoche la tête. Elle hésite, pince les lèvres, puis ajoute :
« Je suis maman et même si des gens trouvent la mort à cause de mes poisons, je n'ai pas envie d'en devenir un. La tête du cartel a peut-être changée, Fawkes, mais Titan reviendra. En attendant, il ne tient qu'à nous d'en maintenir l'âme, tu ne crois pas ? »
Elle lui adresse un doux sourire puis ils reprennent leur chemin vers la planque, en espérant que leur cheffe revienne bientôt.
« Dans ce cas, j’espère que nous en aurons la force et l’endurance, Ryan. »
Finalement, il n’est peut-être pas le seul à avoir encore un peu d’espoir et Ryan parvient à lui transmettre un peu du sien. Il souffle par le nez, un peu plus apaisé. Alors il tapote l’intérieur du bras de Helouri avec ses doigts et accélère le pas.
« Allez, viens le petit poisson, on va te mettre en sécurité. »
Infiltration de la prison d'Albacore avec Fuya, Nelladel, June et Sexta
Elle marche d’un pas raide, les poings serrés. La menace de Sexta résonne sous son crâne comme un hurlement, et elle ne peut s’empêcher d’imaginer Helouri subir les pires sévices aux mains du cartel. Elle les hait, du plus profond de son être. Tous autant qu’ils sont, eux, leurs alliés et les idiots qui prétendent les soutenir. June en a presque oublié la chape de plomb qui pèse toujours sur ses épaules depuis son réveil, et Candice qui continue sans doute de s’échiner dans sa prison.
Blême, elle jette un regard discret vers Fuya et Sexta, qui marchent derrière elle, puis vers Nelladel. Elle l’a emmené avec elles en dépit de sa jambe blessée, et elle espère que le produit fera effet suffisamment longtemps pour ne pas avoir à le porter. Ça rendrait les choses encore plus compliquées, et elle n’est pas sûre d’y parvenir. June pousse un soupir léger, puis elle se rapproche de l’elfe sans le regarder.
« Désolée, murmure-t-elle. Je ne savais pas quoi faire d’autre. »
Nelladel lui jette un bref regard, souffle par le nez, puis reste silencieux durant quelques secondes. Lui non plus, n'aurait pas su quoi faire. Les mains derrière le dos, il répond :
« À deux, on finira bien par trouver la cellule de Titan. J'ai l'habitude du danger et même si ma jambe me fera mal tout à l'heure, je m'en fiche. J'aurais pas su quoi faire à ta place non plus et franchement… »
Il tourne la tête pour aviser Sexta et Fuya, chuchotant entre elles, puis glisse les dents serrées :
« … Je commence à regretter Candice. Quitte à choisir, il me manque. »
June réprime un sourire crispé. Elle doutait que quiconque préfère Sexta à la fée, en dépit de son mauvais caractère. Au moins, Nelladel ne semble pas trop lui en vouloir.
« Oui, je préfèrerais mille fois être dans la chambre froide, même si Hekhelem n’est pas très agréable, et qu’il mérite qu’on lui lave la bouche au savon, lui, il est en cage. » ironise June sur le même ton.
Dans l’idéal, il faudrait qu’il soit dehors, et qu’elle y soit pour quelque chose, mais un seul problème à la fois. La jeune femme triture ses cheveux, malmenés par ses récentes périgrinations. La vie était plus simple quand elle devait se contenter de donner des bras au prisonnier…
« Quand Titan reprendra sa place de cheffe, j'espère qu'elle mettra de l'ordre dans tout ce bordel, songe Nelladel, De toute façon, si on veut que le plan initial réussisse, il faudra que Candice sorte de prison, mais… »
Il pousse un long soupir.
« … Maintenant que Sexta détient son frère, la guerre est déclarée. Candice pardonnera jamais ça… »
Il sursaute quand un main s'abat sur son épaule et June l'imite quand elle subit la même chose. Derrière eux, Sexta s'est rapprochée et écoute leur conversation avec intérêt.
« On appelle ça une garantie, chouchou, susurre la vampire, car même si ta jolie fée sortait de prison, elle pourrait abandonner le plan pour aller régler ses affaires de famille. Là, avec son imbécile de frère en chambre froide, elle sera bien obligée de coopérer.
— Tu ne le connais pas, réplique Nelladel, il se vengera et tout ça n'aura servi à rien.
— Parce que tu crois que je n'ai jamais connu des gens comme lui ? Ce sont des minaloo qui aboient mais qui mordent rarement. La preuve en est qu'il ne t'a jamais inspiré la peur correctement. »
June est d’accord avec Nelladel. Capturer Sira était la pire idée du monde, elle doute que Sexta s’en sorte, même si elle ne parvient pas à faire échapper Candice de prison. La fée réussira, d’une manière ou d’une autre, à sortir de sa cage, et la vampire n’aura plus qu’à surveiller ses arrières. C’est ce qui la console un peu : tant que Candice est en vie, elle est certaine que Sexta trouvera la mort d’une façon ou d’une autre. Elle préférerait bien sûr que Fuya tombe avec elle, mais il sera toujours temps de s’en occuper plus tard.
— Ça lui arrive de mordre, demande au renard, la dernière fois, il s’en n’est pas tiré avec juste un aboiement, grince la jeune femme. Et puis, tu n’étais pas là quand il a vu la mèche de cheveux…
Mais Sexta s'en moque. Selon elle, il y a largement pire. Des gens qui ne plaisantent pas et qui arrivent à vivre sans peur. C'est ce qui les rend si dangereux.
Quand ils arrivent devant la prison, Nelladel fait quelques pas et se plante devant le décor. Les mains sur les hanches, il détaille la bâtisse, les gardes postés devant l'entrée, puis il se met à réfléchir.
« Si Candice avait été placé au rez-de-chaussée derrière un dédale d'illusions, je pense que pour votre cheffe, on aura le droit au même genre de procédé. Plutôt que de se promener à l'aveugle, ce serait mieux qu'on jette un coup d'œil au plan. »
Si le plan mentionne Titan. L'elfe songe qu'une information si importante ne trainerait pas n'importe où. Il se retourne, toise Fuya, puis lâche :
« Ou alors notre championne de l'infiltration pourrait se glisser dans les bureaux des Étincelants ou bien dans celui de la Capitaine pour trouver cette information.
— Je pourrai, réplique la sirène, mais c'est dommage de perdre du temps.
— Pour une fois, tu te sers plutôt bien de ta matière grise, chouchou, intervient Sexta, ça fait longtemps qu'Odrialc'h rêve de capturer Titan alors je doute qu'ils la laissent pourrir dans n'importe quelle prison. »
June hoche la tête. Elle ne sait pas vraiment ce qu’elle fait là, car entre les deux Typhons et l’ancien brigadier, ses compétences ne valent pas un sou. De plus, elle n’a pas eu l’occasion de parcourir la prison, hormis pour rendre visite à Nelladel, et il n’était pas dans un quartier très sécurisé. La jeune femme frôle l’épaule de l’elfe en mâchonnant une mèche cendrée, songeuse.
— Quand on s’est infiltré avec Lou pour te voir, on avait trouvé ton nom sur le registre des entrées, se souvient-elle. Le bureau est juste là, à droite, je pense qu’on ne perd rien à jeter un coup d'œil.
Elle doute que le nom de la cheffe du cartel soit explicitement mentionné, mais s’il y a un endroit où sont gardés les prisonniers dangereux, c’est dans le bureau des entrées qu’ils le verront. Et ça vaut mieux que de se promener au hasard dans la prison.
« Il devrait bien y avoir quelques indications et un plan, continue-t-elle en regardant dans le vague. Ou alors, ils ne la gardent pas ici, et ça nous évite de perdre du temps.
— Très juste, siffle Fuya, d'ailleurs si tu avais fait ton travail correctement, on ne serait pas en train d'en parler.
— Qu'elle le fasse maintenant, ajoute Sexta d'une voix mielleuse, et chouchou va lui donner un coup de main, puisqu'il est là. Aller. »
Un signe de tête et Fuya arme sa sarbacane pour viser les gardes. Lorsque les aiguilles atteignent leurs cibles, ils s'effondrent sur le sol et la sirène file jusqu'à la prison. Nelladel la rejoint avec une pensée pour sa jambe qui lui fera payer ses efforts et enfin, le bureau des entrées est à portée de vue.
« June ne sait pas lire, argue Fuya d'un ton acide, alors dépêche-toi de voir ce que tu peux trouver. Je fais le guet.
— Trop aimable. » marmone Nelladel.
Néanmoins, l'elfe attrape June par le bras et la tire à l'intérieur du bureau. Là, il lui intime de fouiller dans les documents et de lui donner tout ce qui semble confidentiel ou très important, pendant qu'il fera le tri dans la paperasse habituelle.
Rouge de honte, la jeune femme obéit en déplaçant les papiers avec des gestes brusques. Évidemment, elle aurait notifié Nelladel de ce léger problème elle-même, mais que la sirène le dise tout haut, comme si elle était idiote… Les tas qu’elle fait sont bancaux, l’une des piles menace de s’écrouler, mais June continue de fulminer en triant comme elle peut ce qui lui semble confidentiel ou pas. Dans son esprit, mille et une façons de faire souffrir Fuya défilent, sans parvenir à l’apaiser. Ses doigts s’agitent, et finalement, n’y tenant plus, elle pose un dossier un peu brutalement sur le bureau sans regarder son complice.
« Je sais lire. Un peu. C’est juste que ça se mélange dans ma tête, j’y peux rien.
— D'accord, rétorque Nelladel en évaluant l'importance d'un parchemin, mais honnêtement je m'en fiche. »
Il lève la tête, délaisse ce qu'il a dans la main, puis plante son regard aigue-marine dans celui de June :
« Actuellement j'essaye de survivre et tu devrais faire pareil. Si ça te va, on parlera de tes soucis de lecture plus tard. Essayons de trouver où ils ont mis la cheffe du cartel.
— Actuellement, je veux juste sauver mon petit frère, c’est du reste dont je me fiche, soupire June avant de désigner les piles. J’ai fait un tri, tu peux regarder là-dedans. »
Elle lui montre la pile de droite, supposée rassembler les documents importants et confidentiels. Ça pourrait aussi bien être les listes de course du gardien, pour ce qu’elle en sait. La jeune femme entreprend de fouiller dans les tiroirs à la recherche d’un plan. Elle ne voit pas ce que ça changera de sauver la cheffe du cartel, de toute façon.
Nelladel s'empresse d'éplucher les dossiers, ses yeux balayant des lignes et des lignes de mots, jusqu'à trouver un indice qui leur permettrait d'avoir une piste concernant la cellule de la cheffe des Typhons. Enfin, il met la main sur une petite pile de parchemins qui sont visiblement des échanges entre le bureau des entrées ainsi que la Garde Étincelante. Il fronce les sourcils, lit avec attention, puis blêmit.
Nelladel se redresse, souffle par le nez, puis se retourne pour regarder Fuya et Sexta avec discrétion. Les deux femmes font le guet, alors il fait signe à June de s'approcher, puis lui souffle :
« On a un gros problème. »
Lui désignant les parchemins, il s'explique :
« Si j'en crois ça, la Garde Étincelante a demandé, il y a deux jours, après l'incident avec la fée, le transfert de Titan vers Odrialc'h. »
Nelladel déglutit, puis achève :
« La cheffe du cartel… Elle est actuellement sur un bateau. Direction Odrialc'h. »
June a l’impression que le sol se dérobe sous ses pieds. Elle fait de son mieux pour rester immobile, mais elle sait que son visage doit ressembler à un croquis sans couleur. C’était sa mission. Aider le cartel à libérer leur cheffe, sans quoi son frère, ses parents et même sa famille trouveront la mort de la main de Sexta. Ses mains tirent sur sa tunique pour empêcher son corps de trembler. Son esprit est vide, incapable de lui présenter une solution. S’il n’y avait pas Helouri, elle irait voir Sexta et subirait les conséquences de ses bravades, mais si elle dit à la vampire que la cheffe n’est plus là, son frère…
Elle pourrait mentir, dire que Titan est derrière le labyrinthe d’illusion, voler un crâne, perdre Sexta et Fuya à l’intérieur. A supposer qu’elle parvienne à maîtriser la sirène, que Nelladel accepte de l’aider à s’occuper de la vampire, qu’elle vole un crâne, qu’on la croit… Et après ? C’est une solution, mais elle doute de s’en sortir. Elle pourrait tenter de courir suffisamment vite pour atteindre Albacore, et espérer qu’il y ait des gardes qui puissent interpeller les Typhons. Mais ça mettrait Nelladel dans le pétrin, et même si elle est rapide, la sarbacane de Fuya est un problème minime de ce plan bancal. Et puis, tous les soldats, la Capitaine comprise, sont sans doute en train d’essayer de maîtriser Candice.
C’est de sa faute. Elle s’est enfoncée jusqu’au cou dans la boue, et maintenant, elle n’a presque plus assez d’air pour respirer. L’une de ses mains s’envole jusqu’à ses cheveux, qu’elle agrippe avec force. Si seulement Candice pouvait sortir de sa prison, maintenant, tout de suite… Elle perdrait son accord, mais au moins, le cartel aurait les yeux rivés sur autre chose. Elle souffle entre ses dents, puis secoue la tête.
« Candice, souffle-t-elle. Il faut le sortir de sa cage. »
C’est dangereux, et si elle échoue, tout ce qu’elle a fait n’aura servi à rien. June ravale la nausée qui essaie de la submerger, avec l’impression que son corps a été changé en pierre. Son seul moyen de s’en sortir est d’essayer de sauver une fée enragée, sous les yeux d’une vampire capable de la tuer sans lever le petit doigt et de son acolyte armée d’une sarbacane. Un rire hystérique menace de la secouer, alors elle le ravale pour ne pas attirer l’attention des Typhons. Quitte à mourir, autant essayer de faire ça proprement, songe-t-elle. Toute seule, elle n’y arrivera pas, et il n’est même pas certain qu’elle y parvienne avec Nelladel. Sauf qu’elle n’a absolument rien à offrir à l’elfe. Quelqu’un d’autre lui dirait sans doute de partir, de fuir pendant qu’elle règle ses problèmes toute seule, mais June est égoïste, et surtout, elle est désespérée. Alors elle lève les yeux vers lui, incapable de prononcer un mot de plus.
L'elfe est blême. Même s'il se sait utile pour le cartel grâce à son vécu de brigadier et ses connaissances, il sait que la suite des événements deviendra un enfer. Il n'a pas envie d'assister à une exécution d'otage ou même pire et en cet instant, il ne voit pas comment Titan peut être libérée. Il se tapote la joue pour se sortir de sa torpeur, puis serre les poings.
Soudain, il saisit June par le col de son uniforme, puis s'approche pour lui souffler :
« Si Sexta et Fuya regagnent leur planque, c'est fini pour ton frère. Aux yeux de Candice, je suis encore son dava et je parle sa langue. On sort de là, on leur dit que Titan se trouve dans la bâtisse réservée aux Étincelants et après… On court jusqu'à l'hôpital. Je sais pas où ils ont mis Candice, alors faudra que tu me guides. Tu te sens capable de faire ça ?
— Ça ira pour Candice, chuchote June. J’ai passé un marché avec lui, je t’expliquerai plus tard. Je te guide, est-ce que ça ira pour ta jambe ? »
De toute façon, ils n’ont pas vraiment le choix. Heureusement, elle court vite, et grâce à Rose, elle a pu travailler son endurance, mais ça reste risqué, alors elle espère vraiment qu’ils auront le temps de libérer Candice avant que Sexta ne décide de tuer Helouri. June inspire profondément. Il suffit de voir ça comme un plan banal, et de ne pas se laisser submerger. Elle pleurera ensuite, une fois que tout sera terminé et qu’on ne la regardera plus.
Nelladel la relâche, se détourne et marche vers Sexta en ne pensant à rien. S'il laisse ses esprits s'échaper, alors il sera incapable de lui mentir et la sentence tombera.
Ce n'était pas ce qu'il voulait, quand Candice lui a demandé de rallier le cartel des Typhons. Il l'a fait parce que Titan était une cheffe juste mais face à Sexta, il se sent responsable de toutes les atrocités que des victimes comme le morgan pourrait subir. Alors, ignorant sa jambe et la peur qui grandit dans son ventre, il se plante face à elle et lui affirme :
« J'ai trouvé un échange de lettres entre la Garde Étincelante et le bureau des entrées. Titan est détenue à la mairie d'Albacore, auprès des Étincelants et des soldats d'Odrialc'h. »
Sexta croise les bras et l'observe en plissant ses yeux noirs. Nelladel a la désagréable sensation qu'elle est capable de lire en lui et que si elle décèle son mensonge, alors c'est terminé. L'elfe tient bon, maintenant sa figure imperturbable, puis lorsqu'elle souffle par le nez, il se sent soulagé :
« Je m'y attendais. Ça aurait été étrange qu'elle soit emprisonnée ici. Au moins, on sait où s'infiltrer. »
Elle lance un regard entendu à Fuya, puis elle se détourne pour quitter la prison. Nelladel, lui, cherche le regard de June pour lui demander, implicitement, de se préparer. La jeune femme reste imperturbable, pour ne pas attirer les soupçons. Elle est prête. Elle se place à côté de lui, et pour ne pas éveiller les soupçons de Sexta, elle se contente de pousser un léger soupir. Mentir à la vampire est la partie la plus facile, et elle n’a même pas besoin de faire semblant pour paraître anxieuse à propos de la tâche supposée l’attendre.
L'hôpital d'Albacore est situé près de la forêt et éloigné de la place du village. Lorsqu'ils l'atteindront, c'est à cet instant-là qu'il faudra se mettre à courir. D'ailleurs, cette fameuse place se rapproche trop vite au goût de Nelladel qui ferme brièvement les yeux et supplie l'injection de Ryan de tenir encore un petit peu plus longtemps. Les statues des familiers capturent son regard et là, quand il attrape le chemin jusqu'à l'hôpital, il donne un léger coup de coude à June. C'est le moment.
Elle n’hésite pas. Ses jambes prennent le contrôle pour filer à travers les rues qu’elle connaît par cœur, sans un regard en arrière. Courir, elle sait faire. Regarder en arrière est exclu, car c’est perdre un temps précieux à essayer de deviner si on la poursuit. Il faut aller vite, ne penser qu’à respirer correctement et à ne pas tomber. Ce n’est qu’une fois qu’elle estime avoir mis assez de distance entre la place et elle qu’elle s’autorise un léger coup d'œil, sans ralentir, pour s’assurer que Nelladel la suit. L’elfe s’arrête net et la percute de plein fouet mais au moins, il est là. Le souffle court, il lui demande où se trouve Candice et la presse de les conduire tous les deux jusqu’à sa chambre froide.
Sans reprendre son souffle, June attrape sa manche et le presse dans les rues de la cité. Il faut faire vite, car si quelqu’un les voit, il se posera des questions. Nelladel n’est pas censé se trouver ici, et il est particulièrement reconnaissable. Quant à elle, il ne faut pas qu’elle tombe sur un soldat d’Odrialc’h… June a cessé de courir parce que ses poumons demandent grâce, mais elle marche aussi vite qu’elle peut en priant pour que la jambe de l’elfe tienne encore un peu.
Les couloirs sont déserts, alors elle focalise ses pensées sur sa mission pour ne pas songer à Helouri, que Sexta essaie peut-être déjà de faire payer pour sa trahison. C’est en sueur et à bout de souffle qu’ils atteignent leur destination.
Un silence pesant les accueille et quand Nelladel tend l'oreille, il ne perçoit absolument rien. Il ignore si au sous-sol, là où Candice est détenu, il y a encore des soldats qui le surveillent, mais il se doute que c'est le cas. Néanmoins, il n'aime pas ça.
« Vous êtes fou ! » s'exclame une voix.
Nelladel ignore qui est fou. Accompagné de June, il descend les escaliers avec prudence, son cœur menaçant de crever sa poitrine, puis il scrute la moindre silhouette. Quand ils parviennent sur les lieux, le spectacle laisse place à une tension intolérable : encadré de deux lampades qui doivent être les médecins, un elfe noir se tient juste devant la porte épaisse, une main sur la vitre, faisant face à Candice qui s'est acharné de son côté. La fée, elle, inspire et expire, sa poitrine se soulevant frénétiquement pendant que ses yeux affirment une promesse de rage qu'il n'abandonnera pas. Les soldats, eux, forment un arc de cercle, la main sur la garde de leurs épées, prêt à dégainer. Nelladel serre les dents. Levant les yeux vers June, il tire sur sa manche et quand il capte son attention, il fait mine de tourner une clé, avant de désigner tout ce beau monde d'un geste du menton.
June lui désigne Balam de la main. Ironiquement, c’est l’ancien guetteur qui risque de signer l’arrêt de mort de son frère… Elle parcourt la salle des yeux, puis tire Nelladel par la main pour les éloigner un peu et lui parler tout bas.
« Candice est mieux nourri qu’à Albacore, mais comme je ne m’occupe plus de sa nourriture, je n’ai pas pu lui donner plus que ce qu’il reçoit. Il va falloir sacrifier un des gardes. »
Elle garde un ton froid, chirurgical, car même si l’idée de tuer quelqu’un ne lui est pas étrangère, elle n’aime pas non plus ça. Sauf qu’à choisir entre un parfait inconnu et son frère, la décision est rapide. Et elle n’est pas aussi bête que le renard du cartel, il est hors de question de rentrer dans la cage pour s’offrir à la fée. La jeune femme jette un oeil à la salle. Il faudrait que Candice se calme, pour donner une bonne raison à Balam d’ouvrir la cage… Elle est presque sûre que le guetteur veut entrer, mais les soldats ne le laisseront pas faire.
« Est-ce qu’il y a une chance qu’il nous laisse l’aider ? marmonne-t-elle. Il est capable de nous mettre dans le pétrin juste à cause de son égo…
— Tu as passé un marché avec lui, non ? Et moi maintenant, je suis ici. Essayons de capter son attention et s'il a réellement qu'une parole, alors ça devrait marcher. »
L'elfe se redresse, s'appuie contre un mur puis, un pas après l'autre, se tient dans le dos des gardes en espérant que Candice le voit. Le bleu de ses cheveux devrait jurer parmi les autres, et le décor. Là, il attend. La fée Milliget ne quitte pas son geôlier des yeux et ici, dans cette pièce, seule sa voix sereine s'élève. Il lui dit qu'il ne lui veut pas de mal, qu'il veut comprendre pourquoi elle est tant en colère et qu'il veut simplement lui parler. Nelladel pense qu'il a de l'espoir. Enfin, les yeux de Candice se posent sur lui et l'elfe le voit réfréner une expression de stupeur.
June le rejoint aussi discrètement, en espérant que personne ne les remarque. Elle prend une longue inspiration, puis fait les gros yeux à Candice, l’air de lui demander de coopérer. Ses mains se lèvent devant son buste pour désigner la porte, puis Balam, imitant Nelladel, avant de montrer un soldat. Normalement, c’est assez clair et autrement, elle avisera. On peut toujours compter sur l’effet de surprise, l’important, c’est d’ouvrir la porte. Une fois que c’est fait, Candice s’occupera des soldats restants et avec un peu de chance, Balam pourra en réchapper aussi.
La fée semble hésiter. Elle serre les poings, montre les dents à Balam puis feignant l'épuisement, elle s'affaisse comme si le poids du monde s'écroulait sur ses épaules et fait claquer ses chaînes.
« Tout ira bien, lui promet Balam, quand tu seras plus calme je vais entrer et nous allons discuter. Est-ce que tu es d'accord ? »
Candice ne lui répond pas et se contente de reculer d'un pas, sans cesser de le toiser. Les soldats, eux, lancent à Balam qu'il est fou et qu'il va se faire massacrer, mais l'ancien guetteur leur intime qu'il sait ce qu'il fait. Il va entrer dans la chambre froide.
Nelladel tapote le bras de June pour lui désigner un des soldats. C'est celui qu'il jettera en pâture à la fée quand la porte sera ouverte. June, elle, devra récupérer la clé. C'est risqué, mais Nelladel est prêt.
Ils attendent que Balam se décide à entrer. L'ancien guetteur se saisit de ses clés alors que derrière lui, les soldats forment une ligne, prêts à agir. Pour le moment, la fée est tranquille mais ils savent qu'elle est imprévisible et ils ne cessent de répéter à Balam que son entreprise n'est que pure folie.
Ce dernier rajuste sa veste fourré, fait cliqueter la serrure, puis ouvre la porte en laissant échapper un froid des plus terribles. Nelladel sent des frissons courir sur sa peau et quelque part, il admire l'elfe noir, Balam, de pénétrer dans la cellule d'une fée meurtrière, sans peur. Il se demande si cela tient du courage ou de la folie, mais il n'a pas le temps d'y réfléchir car quand Balam fait un pas dans la cellule, Nelladel se jette sur un soldat.
« Maintenant ! » crie-t-il.
June n’a pas eu besoin de son signal. Au moment où la porte s’est ouverte, la jeune femme a foncé entre les soldats. Sa petite taille lui permet de se faufiler au milieu des corps comme un sersea dans les algues, et quand Nelladel attrape sa proie, elle file vers Balam en mettant toute l’urgence dont elle est capable dans sa voix.
« Balam, attention, derrière toi ! »
Surpris, le guetteur se retourne, mais à peine a-t-il eu le temps de comprendre qu'il est tiré en arrière, si bien qu'il chute à terre. Là, Nelladel pousse le soldat dans la chambre froide et peu importe qu'on vienne lui saisir les épaules pour le forcer à se mettre à genoux, tout ce qui compte, c'est que Candice mange. Qu'il mange et qu'il sorte.
« Lakal, Hekhelem !
- Arrête ! » s'exclame Balam.
Mais Candice le regarde.
Il s'accroupit avec lenteur, puis attrape le soldat par le cou. Il arque un sourcil alors que son visage récupère toute l'arrogance et le mépris que la prison avait brisé chez lui, puis réplique d'une voix moqueuse :
« Arrêter ? Oui, je vais arrêter. Arrêter d'être ici. »
Il brise la nuque du soldat dans un craquement sec, puis disloque sa mâchoire pour laisser sortir sa trompe et percer la chair. Face à lui, Balam, épouvanté, le regarde dévorer le malheureux, dans toute son impuissance.
June lui accorde à peine un regard. Maintenant qu’il n’est plus dans sa cage, Candice va faire un carnage, aussi retient-elle ses piques habituelles. Ce n’est pas le moment de jouer au plus malin, pas sans barreaux pour empêcher la fée de décréter que sa nouvelle dava est plus intéressante empalée sur un mur. La jeune femme se met à genoux et force Balam a rester par terre. Elle jette un regard éperdu à Nelladel : Candice mange, leur plan suicidaire a fonctionné. Elle ne parle pas la langue des fées, mais elle a rempli sa part, et elle veut être sûre que Candice remplira la sienne.
« Le cartel des Typhons est dehors, lance-t-elle à la cantonade. Deux de ses membres étaient sur la place du village d’Albacore, une vampire et une sirène, et il y a aussi un renard et une licorne qui sont partis ailleurs.
— June, qu'est-ce qu'il se passe ? »
Le silence lui répond. Le reste des soldats voudraient réagir, mais la peur les paralyse. Ils fixent la fée en train de se nourrir, hésitant entre fuir et rester, et même les médecins Le Preux se sont collés contre un mur, espérant être épargnés.
Les bruits ignobles de chair arrachés et de mastications emplissent l'espace, mais pas moins que ceux des os en train d'être brisés ou bien de la trompe pompant le sang. La fée se nourrit et bientôt, elle retrouvera toute sa puissance.
« June, explique-moi, intime Balam.
— Qu'est-ce que tu veux qu'elle t'explique, guetteur ? réplique Candice d'une voix acide, d'ailleurs… Tu voulais me parler de quelque chose ? »
La fée engloutit un morceau de chair puis, dépliant son corps maigre, elle rive ses yeux métalliques sur Balam. Le sang maculant son menton la rend terrifiante et ses mains poisseuses, elles, plient et déplient ses longs doigts. Candice s'apprête à attaquer et cette fois, aucune porte et aucun barreau ne le sépare de sa proie tant honnie.
June se ramasse, prête à bondir si Candice décide de dévorer Balam. Elle grimace intérieurement : le guetteur s’est attiré les foudres de l’égo de la fée, mais il y a plus important. La jeune femme prend son courage à deux mains, se racle la gorge et prie très fort pour que sa diversion fonctionne.
« Hekhelem ? lance-t-elle. Sexta t’a entendu crier et elle a dit qu’elle allait immédiatement s’occuper de Sira pour s’assurer de ta coopération… Je me dis que tu aimerais le savoir, maintenant que tu as récupéré quelques forces. »
S’il a envie de manger Balam d’abord, elle ne pourra pas l’en empêcher, mais elle aimerait autant qu’il évite, et en plus, elle est certaine que ce n’est pas vraiment un mensonge. Pourtant, quand l'ancien guetteur se met debout, face à l'incarnation d'une rage déferlante, il lui fait face. Tout, dans le corps de la fée laisse penser à la traque, de la façon dont elle se ramasse sur elle-même pour mieux bondir, à la force impressionnante portée par de maigres bras. Même si Candice est vêtu de la tunique des patients et non de sa robe d'un bleu profond, qui le rendait impressionnant quand les flammes créées par ses explosions s'y reflétaient, il inspire la peur, en témoignent celles des soldats. S'ils s'approchent, ils meurent et ils le savent.
Un cri s'échappe de leurs gorges quand la fée détruit la porte d'un coup de pied, dans un bruit d'orage et que le verre éclaté résonne comme un synonyme de danger.
« Kreb, dava ! »
Immédiatement, Nelladel tombe à genoux. Il attrape le bas de la tunique de June pour lui intimer de l'imiter, puis lui souffle que si elle veut vivre, elle doit s'exécuter. La jeune femme hésite une fraction de seconde, avant d’obéir. Elle n’aime pas courber l’échine devant une fée enragée, surtout quand celle-ci à tendance à tuer tout ce qui bouge, mais autant ne pas tenter le ciel, elle est suffisamment dans le pétrin comme ça. Morte, elle ne servira à rien à Helouri…
« Oh, June… » souffle Balam, désabusé.
Une adoratrice des fées. Voilà ce qu'elle est devenue à ses yeux. Mais si Helouri peut vivre, alors ça n'importe pas. Seulement, il n'y a pas l'ombre d'un jugement dans les prunelles opaques de Balam : il cherche à comprendre pourquoi. Qu'est-ce qui a bien pu conduire June à se soumettre à une fée et là, dans son esprit, son désir de la suivre où qu'elle soit emprisonnée prend son sens.
« Qu'est-ce qu'il t'a promis ? demande-t-il à June, qu'est-ce que tu lui a promis ? »
Cette fois, il s'adresse directement à Candice. Ce dernier ne lui répond pas. Toutes ses pensées sont tournées vers la façon dont il peut tuer son geôlier, dont il peut le faire souffrir jusqu'à ce qu'il se soumette et qu'il finisse par l'implorer d'en finir. Quand il le voit agir en prédateur, Balam tressaille. Cette fois, il n'y a pas d'Eel rouge, pas de gardiens et pas d'armes. Si Candice le tue, Balam ne pourra rien y faire.
« Tu ne vas pas me faire ça, déclare-t-il d'un ton très calme.
— Tes espoirs sont beaux, guetteur, gronde Candice.
— Très bien. Alors, sois un monstre. »
Balam ne bouge pas. Il sait que de toute manière, il n'y a aucune échappatoire qui lui permettrait de survivre. Il peut fuir, emprunter l'escalier et espérer quitter l'hôpital avant d'être tué, il sait que la fée le rattrapera quoi qu'il en coûte. Alors il se tient debout, puis attend.
Il songe que Candice va fondre sur lui pour lui percer le crâne avec sa trompe, ou bien qu'il le plongera dans la douleur avant de l'achever pourtant, quand il est projeté en arrière, quand un poing s'abat dans son abdomen, il écarquille ses yeux blancs. Il y a un instant de flottement, la souffrance qui se répand comme du venin, une immersion dans un gris d'orage où le doute n'est qu'une ombre, puis son dos qui heurte le mur. Balam hoquète pendant que des tâches sombres se mettent à danser, puis l'inconscience vient le chercher, dominée par la douleur. Il ne se réveillera sans doute jamais, parce qu'il servira de viande au prédateur qui aurait pu lui offrir une mort bien plus terrible. Il sent sa main glaciale autour de son cou mais moins qu'un étau, elle est animée par l'hésitation. Avant de sombrer, Balam a peur. Il ressent une peur primaire et viscérale de la mort, traduite par une voix sifflante qui le traite d'imbécile. Imbécile, imbécile heureux… Ses espoirs sont beaux, c'est vrai, mais maintenant, il n'a plus qu'à s'éteindre en silence. Les doigts de l'ancien guetteur s'agitent, se plient, se déplient, supplient de vivre encore un peu plus longtemps parce qu'au fond, il n'a rien fait. Ou alors, il en a peut-être trop fait.
Quand il a froid, il ne sait plus si c'est à cause de Candice ou bien parce qu'il s'endort. Il se raccroche à quelque chose. C'est soyeux, c'est doux, c'est gelé et quand on le lui arrache, il lui reste tout de même quelques fils, emmêlés entre ses doigts.
Candice recule et le regarde. Il lui a causé une lésion sérieuse à la rate et en cet instant, l'ancien guetteur est en proie à une hémorragie interne. Il mourra ainsi.
Il serre les poings, laisse échapper un sifflement dédaigneux, puis se détourne. Passant devant ses dava, il claque des doigts et crache un kalak !.
Nelladel se lève d'un bond pour le suivre, saisissant June par le poignet. La jeune femme se laisse entraîner, non sans jeter un regard effaré à Balam. Au moins, il est à l’hôpital et pas au milieu d’une ruelle. Elle adresse une prière muette pour que le guetteur soit pris en charge, même si elle ne sait pas bien à qui elle la destine. Son corps agit automatiquement pour suivre Nelladel et son nouveau maître, désormais aussi libre que l’air.
Fawkes, Ryan et Helouri, Village d'Albacore
Helouri ahanne, grimaçant sous la douleur que lui procure la poigne de Fawkes. Son cœur menace de remonter dans sa gorge pour quitter son corps sous la forme d'une nausée acide pendant que sa vision, elle, se trouble par les larmes. Il trébuche, se redresse, perd son souffle et toutes ses pensées sont tournées vers sa sœur. Quand il imagine June en compagnie de la terrible vampire et de la sirène, il a envie de hurler et il se déteste d'être aussi faible et aussi lâche. Il porte une main à sa poitrine quand son cœur cogne trop fort, puis grimace.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demande subitement Ryan, qui n'a rien raté de son manège.
Helouri ne répond pas, mais quand Fawkes s'arrête, il tombe à genoux pour tenter de calmer son cœur ainsi que sa respiration. Le renard braque sur lui un regard plein d'incompréhension.
« Qu'est-ce qu'il t'arrive, le morgan ? T'as de l'eau dans les branchies ? » interroge-t-il, incertain.
Pourtant il l'a lâché et s'est accroupi auprès de lui. Il porte le dos de ses doigts à son cou. Le petit poisson est moite, chaud. Il a du mal à respirer et quand Fawkes pose sa main à plat sur le sternum fragile du garçon, il peut sentir son cœur qui bat la chamade.
« T'arrives pas à tenir la cadence ? »
Helouri veut ouvrir la bouche pour lui répondre, mais son cœur cogne trop fort. Son propre corps peine à affronter la situation et l'inquiétude déchirante qu'il ressent pour June a raison de lui. Il aurait voulu faire quelque chose, se rendre utile, combatif mais même ici, sa nature profonde le rappelle à l'ordre : il est faible.
Un hurlement strident retentit, au loin, ajoutant une pincée de peur dans son esprit vacillant et bientôt, deux silhouettes se profilent à l'horizon. Helouri reconnaît la vampire et la sirène, en train de se précipiter vers eux, l'air sombre. Ryan pense, à voix haute, qu'elles doivent enfin détenir l'information cruciale de l'endroit où leur cheffe est détenue, mais que cela doit être beaucoup plus complexe que prévu pourtant, quand Sexta se trouve enfin auprès d'eux, c'est pour annoncer les faits d'une voix tranchante :
« La gamine et l'elfe abruti se sont fait la malle ! Cette garce a même abandonné son frère pour se sauver !
— J'étais restée en arrière pour fouiller le bureau des entrées de la prison, intervient Fuya, la cheffe est en transfert vers Odrialc'h. Elle se trouve en ce moment-même sur un bateau. Si on part tout de suite, on peut payer un passeur pour tenter une infiltration. »
Fawkes inspire et si ses sourcils se froncent soudainement, son regard s’élève derrière Sexta, vers un paysage où il espère ne pas avoir à retourner. Il songe à la gardienne qui est partie sans se retourner, sans emmener son frère. Il se doute qu’elle tentera quelque chose pour le récupérer. Après tout, elle a Nelladel avec elle, et lui, il connait le cartel. Le renard a une pensée pour Rose. Selon toute vraisemblance, lui non plus, il ne le reverra pas. Son cœur se serre un peu, mais les choses sont ainsi.
« Très bien ! amorce Fawkes. Alors on a pas une minute à perdre ! »
Il relève Helouri sans se soucier du poids qu’il représente. Autant en profiter tant que la potion de Ryan fait effet, parce qu’après, ce sera lui qu’il faudra porter. Il sent que les heures qui vont venir ne seront pas de tout repos. La situation est urgente et l’erreur n’est pas permise, s’ils veulent récupérer Titan. D’un signe de tête, il informe Ryan qu’il est prêt à la suivre.
Cependant, le morgan est un poid mort. Un poid dont la main est crispé sur sa poitrine et dont la bouche s'ouvre à la recherche d'air. Le malaise envahit son corps et Helouri lutte pour ne pas perdre conscience, parce qu'il craint l'endroit où il se réveillera. Peu importe ce qu'a dit Sexta, June ne l'aurait jamais abandonné. Il refuse de se mettre debout. Même quand Fawkes essaye de le traîner et même quand Sexta lui administre un coup de pied dans le dos.
Il y a un autre hurlement strident, plus proche cette fois-ci, puis une voix qui dit : sharad !
Il ne faut pas longtemps pour qu’un bruit de pas précipités se rapproche d’eux, et qu’une autre voix claque dans l’air.
« Lâche mon frère, espèce d’enflure ! »
June, haletante, adresse un regard menaçant à Fawkes. Elle n’est pas seule, et si Nelladel est tout aussi essoufflé qu’elle, ils ont trouvé ce que leur maître leur a demandé de chercher. Un sourire mauvais éclaire le visage de la jeune femme. Elle a hâte de voir le cartel essayer de vaincre Candice. Il les blessera sans doute, et peut-être même qu’il lui fera le plaisir de mettre sa parole à exécution. Ses yeux améthystes se posent brièvement sur Fuya et Sexta, avant de revenir sur Helouri. Je suis là. Tout va bien, maintenant.
Par réflexe, Fawkes s’est retourné en faisant barrière de son corps entre l’otage du cartel et les nouveaux venus. Il accorde un regard sans émotion à June. Lui, l’enflure ? Il ne doit pas avoir toutes les données en main pour comprendre pourquoi il hérite de cette insulte, mais ça lui importe peu. Pourtant, le regard qu’il pose sur Nelladel est plus amer. Maintenant qu’ils sont sortis de leur geôle, leur promesse d’être du même côté quoi qu’il en soit ne tient plus. En tout cas, c’est ce qu’il comprend.
Pourtant, il ne lâche pas le petit poisson et parce qu’il est loyal à Titan et croit en leur mission originelle, il tente de plaider :
« Tu comprends pas que vos présences sont nécessaires dans un dessein plus grand ? L’avenir d’Eldarya dépend de ce qu’on va décider maintenant.
— Va crever, siffle June. Toi, et tout le reste de ton cartel, vous pouvez aller vous noyer dans le port, ça ne me tirera pas une seule larme. »
Nelladel, lui, ferme brièvement les yeux. Il se sent navré pour son compagnon d'infortune, mais ce n'est pas ainsi qu'il voulait rester auprès du cartel. Il ne veut pas d'otage, pas de massacre et encore moins la cruauté de Sexta à la tête de l'organisation mafieuse la plus juste qu'il ait connu. S'il reste avec la vampire, il ne pourra pas garantir la sécurité d'Ezarel, alors que s'il rampe aux pieds de son ancien maître comme un minaloo… L'elfe serre les dents.
Je sais de quoi j'ai l'air, Fawkes. Mais je ne veux pas ça. Je voudrais que Titan revienne, mais il ne faut pas rêver. Sur un bateau vers Odrialc'h, elle ne peut plus être sauvée.
« Fawkes, si le morgan t'échappe, je t'estropie, tranche Sexta, quant à toi, sale garce… »
Elle dégaine sa machette, susurre à June qu'elle va passer un long moment avec elle et qu'on ne la trahit qu'une fois, quand une voix traînante la fait taire.
« On ne me trahit qu'une fois aussi, ozna. »
Il luttera contre la chaleur jusqu'au bout. Bien nourri et avec un chapelet de proies tentantes sous les yeux, Candice s'avance d'un pas tranquille, conquérant, avec la certitude de vaincre. Son regard métallique plonge dans celui de Sexta, puis s'attarde sur la silhouette de Fuya qui réprime des tremblements incontrôlables. Fawkes a frémi quand Sexta l’a menacé de l’écharper. Il sait qu’elle en est parfaitement capable et dans son état actuel, il sait aussi qu’il ne pourra pas la fuir très longtemps. Mais quand Candice Milliget se rajoute à la partie, ses organes dégringolent dans son ventre. La vampire serre les dents, puis un rictus se dessine sur ses lèvres quand elle comprend :
« Tu t'es choisi un nouveau maître pour sauver ton frère, imbécile ?
— Il y a des minaloos intelligents, réplique Candice, pas comme toi qui mord une main trop bonne pour toi. Titan était lucide, elle.
— Tu vas bafouer l'accord que tu as passé avec elle ?
— Non. En revanche, je n'ai passé aucun accord avec toi. Tu as posé la main sur mon frère, alors tu es déjà morte. »
Le visage de Candice s'assombrit. Toisant Fawkes, il lève une maigre main pour désigner Helouri, puis ordonne :
« Rend le morgan.
— Reste où tu es, Fawkes. » ordonne Sexta.
Fawkes ne bouge pas, mais rien n’indique que ce n’est pas définitif. On peut voir que l’hésitation se peint sur son visage. Alors quand il tourne le visage vers Sexta, il est presque certain de déjà connaître la réponse .
« Compte-tu rester entièrement loyale à Titan, à notre mission et aux valeurs que Titan nous a transmises ? Es-tu seulement capable de mettre ton ambition personnelle de côté, Sexta ? »
Le cœur du renard bat fort. Il sait que la situation dans laquelle il se trouve n’a pas d’issue. Ou tout du moins, aucune de bonne où il gardera son intégrité corporelle et mentale.
« Plus tu parles, plus le bateau s'éloigne, Fawkes, gronde Sexta, si tu as du temps à perdre, reste ici. Ryan ! Récupère l'otage ! »
Fawkes voudrait dire qu'il est déçu mais ce serait mentir. Il soupire et fait un pas de côté, à l'opposé de Sexta, avec le Morgan.
« Tu vois, Sexta… J'ai ma réponse. Et si Rose a su me leurrer, je crois que je ne me suis jamais fait d'illusion à ton sujet… »
Déjà, sa main relâche le bras de Helouri, mais tous les muscles de Fawkes se crispent à la voix qui retentit.
« Roura, » siffle Candice. »
Une fraction de seconde et la fée fond sur Ryan. La licorne a fait un pas, levé un bras pour récupérer Helouri, mais elle écarquille ses yeux clairs quand elle bascule en arrière pendant qu'un étau gelé se serre autour de sa gorge. Helouri est tiré par le bras, le souffle coupé, puis jeté sans ménagement sur le sol. Il roule aux pieds de June, tousse, puis tente de récupérer ses esprits.
Sexta lève sa machette et Candice lui sourit :
« Tu veux m'affronter, ozna ?
— Tu connais mal le cartel.
— Rend mon frère et le cartel continuera d'exister. »
June suit d’un œil la confrontation entre Sexta et Candice. Elle tombe à genoux près de son frère, l’attrape pour le forcer à se relever et, tout en le tenant fermement contre elle, le fait reculer jusqu’à se retrouver entre Nelladel et elle. Son cœur bat beaucoup moins vite maintenant que Candice se dresse entre Helouri et le cartel, mais elle ne peut s’empêcher de l’entourer d’un bras pour le presser contre elle, soulagée qu’il soit en vie.
« Respire doucement, souffle-t-elle a son intention. Ça va aller, je suis là, tout va bien. Je ne t’abandonne pas, Lou. Jamais. »
Elle pose néanmoins la paume sur la poignée de son épée, juste au cas où, et jette un regard interrogateur à Nelladel : elle ne sait pas combien de temps l’injection fera effet, et s’il tient toujours sur sa jambe blessée.
Fawkes, lui, a conscience qu'il vient de se mettre définitivement Sexta à dos. Mais s'il était prêt à prendre sur lui jusqu'au retour de Titan, il a de plus en plus la conviction que ça ne changera rien pour Sexta. Et si Candice affirme respecter l'accord passé avec sa véritable cheffe, il ne donne pas cher de sa peau pour autant. Les oreilles dressées, aux aguets, il guette. Il guette ses chances, ses risques pour aviser le moment opportun.
Helouri, blotti contre sa sœur, ne perd rien de la scène. Ses yeux exorbités, rivés sur la fée, peinent à réaliser ce qui se passe. Il vient d'être sauvé par un monstre. Par la créature qui a détruit Eel.
« Rend. Mon. Frère, menace Candice alors que ses poing se serrent et qu'il se ramasse sur lui-même.
— Vas-y, hurle, jolie fée. Si je meurs, ton frère meurt avec moi, susurre Sexta.
— Et elle ? »
Repoussant Sexta d'un revers de la main, il heurte sa machette. L'autre plonge vers Fuya qui laisse échapper un cri de terreur, puis se referme sur ses cheveux pastels pour la traîner au sol et la redresser comme une poupée. Candice la secoue comme si elle ne pesait rien, brisant sa figure pour lui inspirer la peur viscérale et quand il lui attrape le poignet, quand il tire son bras en arrière, il crache :
« Et elle, qu'est-ce qu'elle devient si tu ne rends pas mon frère ? »
Ignorant les pleurs de Fuya, la fée Milliget se penche dangereusement, sifflant un kreb. À genoux. La main de la vampire se crispe sur son arme, ses yeux noirs rivés sur la figure humide de Fuya.
June, elle, ne quitte pas Sexta de ses prunelles améthystes. C’est ton tour. Tu as voulu me prendre ce que j’avais, et maintenant, tu vas payer. Elle jubile en silence : elle a peut-être vendu son âme à un monstre, mais celui-là ne tuera pas les siens pour la forcer à obéir. Elle voudrait que Fuya la regarde aussi, pour voir la haine luire dans ses yeux, mais elle se satisfera de voir son corps s’effondrer une fois que Candice aura pris sa vie.
Fawkes s'est tendu à l'instant où la main de la fée s'est refermée sur Fuya. Sa raison pourrait comprendre pourquoi Candice agit ainsi. C'est parfaitement logique même. Le seul point faible de Sexta, c'est Fuya. Mais Fawkes n'écoute pas sa raison. Son cœur a chaviré sous ses côtes. Son souffle accélère, mais alors qu'il esquisse un pas vers la petite sirène, il s'interrompt. S'approcher ne l'aidera pas, au contraire.
« Pas Fuya… » lâché dans un souffle à peine audible.
Ils retiennent leurs souffles. Celui de Nelladel s'accélère alors qu'il vacille sur ses jambes, la douleur commençant à affluer comme une impitoyable morsure. Il grimace, s'effondre sur le sol, les larmes aux yeux, retenant un cri de souffrance.
« Où est mon frère ? exige Candice en tirant dangereusement sur le bras de Fuya.
— Dans mon propre royaume, jolie fée. Et il mérite que tu relâches Fuya. Il fallait bien s'assurer que tu tienne parole, répond Sexta, assurée.
— C'est parce que des gens comme toi veulent des garanties que d'autres souffrent, rétorque la fée d'une voix acide, tu veux vraiment jouer avec moi ? »
Les yeux noirs de Sexta s'écarquillent. Il y a la mâchoire de Candice qui se disloque, sa trompe qui se fraye un chemin vers la chair fraîche, puis un hurlement terrifiant. Helouri a fermé les yeux, mais le cri perçant qui court jusque dans ses os menace de le faire vomir. Il sait que le bras de Fuya s'est détaché de son corps à la seconde où la trompe de la fée a percé un trou dans sa peau, et où la force impressionnante de ce petit roi a achevé le travail. Tremblant, larmoyant, il se serre contre June en suppliant le cauchemar de s'arrêter.
Fawkes chute au sol. Il ne sait pas si c'est à cause de la vision d'horreur qui se dépeint sous ses yeux ou à cause de ses jambes qui semblent se briser sous poids. Un tremblement au fond de ses entrailles remonte le long de sa gorge. Pas Fuya… qu'il prenne Sexta mille fois. Mais pas Fuya !
Le corps de Sexta s'est animé. Elle a brandit sa machette avec un cri de colère, elle s'est jetée sur l'ennemi, mais même l'Impératrice des Abysses, seule, ne peut rien faire contre une créature capable de détruire une cité en une seule nuit. Un pied rageur percute son abdomen, un coup vient mordre son bras, la désarmant, puis le monstre qui détient la seule personne qui a su éveiller l'amour, chez elle, se penche pour la toiser de toute sa hauteur :
« Si tu ouvres la bouche, c'est pour répondre à ma question. Tu as intérêt à bien utiliser ta langue, ozna. »
Le renard veut s'avancer vers Fuya. Il veut aller la chercher. Mais une grimace de douleur déforme son visage et son corps refuse de se relever. Que Sexta réponde à la question de Candice ! Pourtant… il se sent déjà se résigner. Elle ne répondra pas. Il s'en doute.
June a gardé Helouri contre elle en s’accroupissant près de Nelladel quand il est tombé. Elle lit la souffrance sur ses traits, et passe son bras sous le sien pour lui offrir un appui machinal, tout en soufflant à son frère de garder les yeux fermés. Les siens sont rivés sur le spectacle que lui joue Candice, sur Fuya et son bras arraché, sur Sexta qui voit sa sirène adorée réduite à l’état de poupée inanimée, sur Fawkes qui semble agoniser de désespoir et sur Ryan qui ne peut rien faire d’autre que regarder. Il est beau, le cartel des Typhons. Il mérite de souffrir encore, alors elle tend l’oreille pour écouter la réponse de Sexta.
« Les Abysses. Au douzième sous-sol, dans une chambre froide. »
La vampire se tourne vers Ryan, blême. La licorne est en pleurs, ne supportant pas une seconde de plus le spectacle sanguinaire de Fuya qui vient de perdre son bras. Elle tremble, puis sous le regard assassin de Candice, elle poursuit :
« On peut y entrer par la vieille mine de la forêt de Tantale, près d'Odrialc'h. »
Ryan ferme les yeux, soufflant à Sexta que ça suffit. Elle est maman, et si l'une de ses filles avait pris la place de Fuya, elle aurait sacrifié n'importe quel monde pour sa sécurité. Une main sur sa corne la force à redresser la tête. Candice a jeté la sirène au sol, mais un pied entre ses omoplates l'empêche de bouger. Il examine la licorne comme s'il s'agissait d'un animal particulièrement intéressant, puis lui demande, dans un souffle, si elle saurait extirper son frère des entrailles des Abysses, ou s'il doit aller le chercher lui-même. Ryan lui promet de lui rendre Sira.
Candice se redresse en des gestes lents. Saisissant les cheveux de Fuya, il la met sur ses jambes, lui arrachant des plaintes, puis des sanglots horrifiés. Là, il lui jette un regard vide, puis finit par trancher en désignant Sexta :
« Il semblerait que je n'ai plus besoin de toi. Mais qu'est-ce qui te fera le plus mal, à ton avis ? »
La réponse est une seconde imminente. Une trompe qui vient se ficher dans le front de Fuya, brisant sa jolie figure pour la laisser pantelante, les membres lourds, pendus comme de simples morceaux de viande, à l'instant où la vie vient de la quitter.
Un craquement et un "flop" mou. Le regard de Fawkes ne peut pas se détourner des yeux de Fuya qui se révulsent, aveugles à présent. Pendant un instant, le temps s'arrête. Son coeur aussi. Et quand le corps de la petite sirène s'échoue au sol, le choc est si grand que Fawkes a l'impression que la terre entière en tremble. Les secousses lui retournent l'estomac et en une convulsion, il en rend son maigre contenu. Maintenant, ce sera certainement le tour de Sexta. Et quand sa machette n'aura pas pu la protéger, ce sera alors au tour de Ryan de laisser ses filles orphelines. Lui… il sera le dernier. Il ne peut pas fuir alors Candice n'a pas besoin de se précipiter. Fawkes veut s'en aller loin d'ici mais malgré toute sa volonté, ses jambes n'existent plus pour l'instant. Et le simple fait de s'affaisser au sol lui arracher un gémissement de douleur, humide d'un sanglot ravalé.
C’est immonde et elle en gardera sans doute des cauchemars affreux, mais June ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire mauvais. Elle est faible, elle ne peut pas vaincre Sexta, mais la vampire a oublié une chose importante : les gens comme elle, ceux qui ne peuvent pas détruire des empires d’un claquement de doigt, ils se servent des autres pour le faire, peu importe ce que ça leur coûte. Peu importe qu’elle ne puisse plus se regarder dans une glace, peu importe qu’on la trouve hideuse ou qu’Helouri estime qu’elle est pire que Sexta de se réjouir de la mort de Fuya. Elle s’en fiche. Son frère est sauf et sa vengeance accomplie. Sexta a menacé de lui prendre la seule chose qui a de la valeur à ses yeux, de lui voler son monde et de l’écraser, alors elle a fait en sorte de lui prendre le sien. Candice est un faux roi, un monstre d’arrogance pétri d’ego, mais il a accompli sa part, et June obéira comme le veut leur marché, tant qu’il protège les siens de la mort.
Elle cherche les yeux de Sexta pour lui faire passer tout cela d’un regard brûlant de haine et de satisfaction mêlées. Tu l’as mérité.
Tout est terminé et après cette nuit, les minaloos retrouveront leur place. Il y a ceux qui se sont finalement soumis au véritable roi d'Eldarya. Ceux qui ont voulu le défier en s'attaquant à sa famille et il y en a d'autres qui rampent encore.
Quand le regard métallique de la fée se pose sur Fawkes, il se prend pour un dieu qui regarde grouiller la vermine. Il lui demande :
« Titan ou moi ? Devant quels pieds tu vas te soumettre ? »
Il faut un instant au renard pour saisir que c'est à lui que s'adresse Candice. Quand il relève la tête vers la fée, étrangement, la peur qu'il pouvait lui inspirer auparavant s'est évaporée. Ou peut-être que l'horreur, la peine et le dégoût la surpassent tant qu'ils la camouflent. De toute manière, il est fait comme un rat. Il peut encore essayer de sauver sa peau mais il refuse de trahir la seule personne qui lui a offert un foyer.
« Toi ou Titan… c'est du pareil au même, parvient-il à formuler en retenant sa bile. Vous avez un objectif et des convictions qui se rejoignent. Lui être loyal, c'est t'être loyal à toi aussi. »
Fawkes tente de se redresser tant bien que mal mais les mouvements dans son bassin tirent des fils invisibles reliés aux muscles de ses jambes comme des ronces. Des épines de fer se plantent dans son mollet meurtri et son tibia à peine ressoudé et la douleur se répercute dans son autre jambe par effet miroir. Pourtant ce n'est rien. Ce n'est rien à côté de la certitude qui l'habite.
« Je suis… je suis loyal… à Titan. Elle ne t'a jamais trahi. Et j'en ai pas l'intention non plus. »
Il est sûr de lui, pourtant, le goût de la peur revient sur le fond de sa langue. Ou bien est-ce la bile.
Brave petit renard. La fée se moque de lui pourtant, Fawkes a répondu correctement. S'il avait trahi sa cheffe pour se soumettre à celui qui venait de tuer une membre du cartel, il n'aurait récolté que du mépris, en plus de quelques coups. Le renard ne vaut rien, à ses yeux, mais il n'est pas Sexta.
Candice interpelle Ryan d'un sifflement dédaigneux et quand la licorne se met debout avec peine, il lui ordonne d'aller "ramasser le renard". Quant à Sexta, elle verra son royaume s'effondrer et quand elle aura tout perdu, alors il lui prendra la vie.
Candice l'abandonne près du cadavre de Fuya. Il l'observe de haut, penchant la tête avec une grimace, puis il raille que c'est dégueulasse et que ça ne vaut même pas la peine d'être mangé.
Ensuite, il s'approche de June, puis lui lance :
« Récupère ton frère et file chez toi, avec Nelladel. Tu dois garder ta place de soldate, dava, alors quand ils t'interrogeront, dis-leur la vérité. Toute la vérité. Tu as compris ? À l'aube, j'irai récupérer mon voile et je leur ferai face. »
Puis son visage se pare de toute son arrogance, alors qu'il achève :
« Quelqu'un a appelé mon peuple à combattre, alors sois gentille et ta famille ira bien. »
June passe sur les insultes. Dans la prison, elle aurait répondu, mais la, ça signerait un moment très désagréable. La jeune femme agrippe fermement Nelladel, puis, de sa main libre, s’empare du menton de son frère pour le forcer à la regarder.
« Ferme les yeux et tiens toi à moi, Lou. On rentre à la maison. »
Elle lui aurait bien demandé de l’aide pour soutenir l’elfe blessé, mais elle préfère qu’il ne regarde pas et qu’il avance pour oublier ce qu’il vient de se passer. Et puis, elle n’est pas certaine qu’il lui soit d’un grand secours…
June grimace, avant de pousser sur ses jambes. Elle vacille, parce que Nelladel est plus grand qu’elle, mais surtout qu’il est lourd. Les muscles verrouillés, elle fait un pas vers Fawkes, toujours agenouillé. Son pied écrase le mollet du renard, lui arrachant un grognement de douleur, alors qu’elle plonge ses prunelles améthystes dans les siennes.
« Ne t’approche pas de mon frère, siffle-t-elle. Et ne t’avise plus jamais de poser tes mains sur lui. »
Elle s’écarte, non sans lui jeter un regard empli de dédain. Elle ahane, épuisée par les événements, mais parvient toutefois à tourner la tête vers son compagnon d’infortune.
« Tu vas pouvoir marcher jusqu’à chez nous ? s’enquiert-elle. Désolée, je ne peux pas te porter… ça ira quand même ? »
Oui, ça ira. Nelladel va faire avec. Qu'il ait mal ou non ne change rien à la situation, parce qu'il a la sensation qu'une guerre va éclater et qu'il n'aurait rien pu arriver de pire, que la capture de Titan.
Si tu étais là, tout irait bien. J'en suis sûr. C'est à toi qu'on a confié le cartel et je comprends pourquoi, à présent. Il faut que tu reviennes.
La douleur court sous sa peau comme une armée conquérante. Rose la sent quitter le nid de sa cuisse brûlante pour affluer vers son ventre, sa poitrine, ses épaules, ses bras et même son cou. Ses poumons crient grâce en silence, incapable d'amonceler assez d'air pour lui permettre d'utiliser sa voix et le jeune vampire se sent comme un minaloo avec une muselière. Couché sur le flanc, il n'a pas l'aura d'un traître ni celle d'un adorateur des fées, pas encore. À vrai dire il sait simplement qu'il a l'air pathétique, avec sa cuisse blessée et ses symboles gravés, sanguinolents, puis sa propre chair qui est devenue une véritable prison. Rose sent la magie ancienne des fées tirer sur son énergie pour lancer son appel. La vie dans ses veines s'est transformée en aiguilles enflammées, pendant que ses organes crient grâce. Il ressent la présence rassurante de Valkyon en train de comprimer l'hémorragie, il entend sa voix profonde lui demander ce qu'il lui a pris, mais il est incapable de lui répondre. Rose voudrait ouvrir la bouche, émettre un son, mais sa bouche reste muselée par une fatigue extrême. Il a songé que Maître Candice lui avait menti, qu'il ne lui avait pas tout dit concernant le traité de Polaris et que le véritable prix à payer pour invoquer, c'était celui de sa vie. Un instant Rose a ressenti la peur de mourir. Il a songé que la souffrance ne s'arrêterait qu'une fois endormi à jamais, il a maudit les fées et là seulement, il s'est souvenu qu'il n'était que de la viande.
Tu es sacrifiable et tu es un imbécile.
Rose ne veut pas mourir. Toutes ses facultés intellectuelles ont afflué vers son propre corps afin d'en avoir conscience. Pathétique, stupide, naïf et fanatique. Peu importe ce que l'on peut lire à travers les symboles du traité de Polaris qu'il a gravé sur sa chair, Rose tâche tout simplement de se sentir comme un être vivant. Quelqu'un qui n'a pas abandonné malgré l'énergie qui le quitte, quelqu'un qui se raccroche à tout ce qu'il peut pour garder les yeux ouverts, même si ses propres paupières pèsent bien trop lourd. Rose utilise le feu qui lui brûle la peau. Grâce à lui, il parvient à prendre conscience de ses doigts, puis du plat de sa main. Il réalise qu'il est en train d'étouffer sa paume sur le sol, tant ses muscles sont rigides, agonisants à cause du traité. Rose la libère de bonne grâce en se forçant à invoquer la sérénité, seulement, la peur le maintient dans un étau. Ses poumons finissent par se bloquer, si bien qu'incapable d'ouvrir la bouche pour gober l'air comme un blobfish, il panique.
Il est prisonnier de son propre corps, il a l'impression qu'une présence invisible l'écrase de tout son poids jusqu'à l'asphyxie et si Rose se débat de toutes ses forces, c'est elle qui l'emporte.
« Restez avec moi, Rose ! »
La voix de Valkyon est un son qui résonne à la surface de son esprit. Rose ne peut pas tourner la tête pour le regarder mais il se doute qu'à ses yeux, il n'est qu'une poupée de chiffons paralysée qui a eu la bêtise de se mutiler. Le jeune vampire voudrait lui dire que c'est faux, qu'il n'a pas agi par désespoir, mais avec la résolution de sauver ceux qu'il aime, quitte à devenir un tapis pour le peuple des fées. Il n'est pas celui qu'il croit, il n'est pas celui qu'il voit… Comment Valkyon le voit-il ?
Le feu dans sa main s'intensifie et son bras soufre de plus belle quand Rose concentre toute sa volonté dessus. Il doit bouger quelque chose, il doit essayer de se mouvoir. Si une partie de son corps parvient à échapper à sa léthargie, alors peut-être qu'elle deviendra un levier pour débloquer toutes les autres. Rose veut accomplir un geste simple. Un geste qui devient un exploit en cet instant. Pour éloigner la panique, il décide d'imaginer que sa main est un petit pimpel, comme ceux qui gambadent dans la forêt qui borde Albacore. Un familier assoiffé qui a besoin de parcourir un morceau de chemin pour aller se désaltérer dans son point d'eau favori. Si faire des bandes est épuisant, alors il n'a qu'à marcher à petit pas, même si le sol est en feu. Il n'a qu'à se dire que même s'il a mal aux pattes, une fois près de l'eau claire, il se sentira bien, à sa place.
Centimètre par centimètre, peu importe son épaule qui hurle ou son bras qui proteste, sa main se met à glisser. Elle veut abandonner, épuisée, mais Rose tient bon et pense au pimpel. S'il n'atteint pas le point d'eau, il mourra, échoué sur le flanc comme un miséreux, alors la seule solution, c'est de continuer. Sa main tremble, menace de chuter sur le carrelage à nouveau mais elle tient bon et quand enfin, sa peau entre en contact avec celle de Valkyon, Rose se sent vivant.
Ses doigts pâles sont si fins comparés à ceux du Chef de l'Obsidienne, habitués à manier de lourdes armes, mais ce qui permet au vampire de ne pas sombrer dans les abysses, c'est parce que son propre cœur est plus fort que ses nerfs. Rose a commis ce qu'il a commis, mais il n'est pas seul. L'homme qu'il aime a trouvé la force de s'extirper de son lit, malgré sa grave blessure, pour aller le trouver couché sur le flanc, incapable de bouger et c'est tout ce qui compte. Peu importe que Valkyon l'ait fait par noblesse d'esprit, il est là.
La porte de la salle s'ouvre avec fracas et Rose peut entendre la voix de Joseph appeler les noms de ses enfants, mais aussi une autre, plus sage, plus posée, trop douce. La main de Rose se crispe sur celle de Valkyon alors que ses poumons se rétractent pour devenir des sacs de jute.
« J'ai envoyé des gardiens de l'Ombre à leur recherche, Chef Ael Diskaret. Nous ne pouvons pas quitter le périmètre.
— Il faut alerter la Capitaine ! Qui sait ce que cette fée a pu leur faire ! s'emporte Joseph.
— Que se passe-t-il ? »
Rose entend des pas s'approcher de lui. L'ancienne magie des fées a étendu une chape de plomb sur sa silhouette, mais la présence qui empoisonne l'atmosphère le recouvre du linceul de la peur. Ses muscles gémissent, se tendent dans l'attente d'un coup pendant que son cerveau s'endort et le force à s'extirper de la réalité. Rose devient témoin de lui-même car c'est la seule manière de supporter l'insupportable pourtant, Leiftan n'a encore rien fait. Tant que Valkyon sera là, Leiftan ne fera rien.
« Par l'Oracle, Chef Batatume, qu'est-ce qu'il s'est produit ? demande Joseph avec précipitation.
— Un acte dont la docteure Osgiliath doit s'occuper. Joseph, expliquez-moi la situation. »
Un léger bruit métallique attire l'attention des deux obsidiens. Depuis ses yeux opalins ainsi que son visage figé, destiné à ne regarder que les chaussures des nouveaux arrivant, Rose peut voir le Conseiller dans ses habits blancs se pencher, puis saisir le petit ciseau de mithril, couvert de son sang.
« Que c'est malheureux, s'émeut-il de sa voix doucereuse, pourquoi s'est-il blessé ainsi ? Il m'a l'air en état de choc… Il se serait traîné près des latrines pour se mutiler de la sorte ?
— Conseiller Tuarran, s'il vous plaît. » intervient Valkyon,.
Le silence s'installe et Rose peut imaginer Leiftan arborer le visage le plus navré qui soit. Ensuite, Joseph Ael Diskaret reprend la parole d'une voix alarmée afin de faire un rapport de la situation. Le jeune vampire comprend que derrière les portes de la grande salle, c'est le chaos.
June et Helouri sont introuvables mais le plus catastrophique, c'est que Maître Candice a été libéré de sa prison. Sans voix, Rose imagine le massacre qu'il a pu semer sur son passage, abattant Balam Lefaucheur le premier.
« Balam a pu être pris en charge immédiatement par le docteur Le Preux, explique Joseph, mais Chef Batatume, sa rate a été sérieusement endommagée.
— Par l'Oracle… souffle Valkyon, où est-il, à présent ?
— En sécurité aux soins intensifs. Les soldats d'Odrialc'h qui n'ont pas été tués sont restés avec lui, tout comme le docteur Le Preux et son assistante.
— Pour ce qu'ils peuvent faire… »
La voix de Leiftan résonne comme une fatalité et même si Rose songe que Joseph et Valkyon doivent lui lancer des regards confus, le Conseiller fait mine d'être embarrassé, puis ajoute que quoi qu'il arrive, face à une fée en colère, personne ne pourra rien.
« De plus, vous avez oublié d'ajouter que votre fille a été vue en compagnie du frère d'Ezarel Séquoïa, Joseph Ael Diskaret. Et que ce sont eux qui ont libéré la fée.
— Qu'est-ce que vous racontez ? s'enquit Valkyon, outré.
— Ma fille a forcément agi sous la contrainte ! Il y a quelqu'un, ici, qui a dû orchestrer la libération de cette fée ! » s'emporte Joseph.
Oui, il y a quelqu'un.
Tant que la main de Valkyon comprime sa blessure, les symboles du traité de Polaris restent invisibles aux yeux des gardiens. Rose se sent coupable, quand il pense à la catastrophe qui a lieu dehors car si Maître Candice a ressenti l'ancienne magie du traité - ce qui ne peut être que le cas - alors il sera encore plus combatif. Même la menace des anciens et des enfants de son peuple, détenus par Odrialc'h, ne suffira plus à le tenir à distance car avec les fées volontaires pour la guerre ainsi que leurs alliés, les goules, plus personne ne pourra leur barrer la route.
Cependant, Rose se demande si June a réellement agi sous la contrainte et comment elle a pu se retrouver en compagnie de Nelladel Séquoïa.
« Le frère du Chef Séquoïa ainsi que son compagnon de cellule ont disparu, raconte Leiftan, alors il est évident que le cartel des Typhons est passé à l'action.
— Je vois, réfléchit Valkyon, Joseph, vous me disiez il y a deux jours que la cheffe du cartel allait être transférée à Odrialc'h. J'imagine que ses sbires sont venus pour elle mais que s'ils ne la trouvent pas, les représailles envers Eel et Odrialc'h seront terribles.
— À quoi pensez-vous ? » demande Joseph.
Valkyon Batatume est en train d'analyser la situation. Même si son remplaçant temporaire tâche de rester maître de lui-même, son inquiétude pour ses enfants transparaît dans sa voix et Rose est certain que si son chemin croise celui de Maître Candice, il serait capable d'aller le combattre comme il l'avait fait lors de la catastrophe.
« Joseph, tranche Leiftan Tuarran, quoi qu'il en soit, nous devons faire la lumière sur ce chaos et partir à la recherche de vos enfants. J'irai avec vous néanmoins, vous devez savoir que votre fille devra expliquer ses actes.
— Je le sais, réplique le grand morgan, mais je reste persuadé qu'elle n'a pas pu agir de son propre chef.
— Ne pensez pas à cela et dépêchez-vous ! leur intime Valkyon, je vais rester ici avec Rose, je serai inutile dehors. Allez retrouver vos enfants, Joseph et que toute la Garde fasse front devant cette fée ! »
Il aurait voulu être avec eux, il aurait aimé jouer son rôle de Chef de la Garde au rubis, à protéger ce qui reste de la cité blanche depuis que Maître Candice a fait des ravages. Rose se sent si désolé pour lui. Une boule se forme dans sa gorge alors que la culpabilité prend le dessus sur la terreur que peut lui inspirer Leiftan Tuarran, même si ce dernier s'accroupit près de lui pour espérer, dans toute sa perfidie, qu'il ira bien. Rose se crispe, répugne son état, mais baisse les yeux vers le sol afin de ne pas avoir à le regarder dans les yeux, même si le Conseiller cherche un contact visuel. Il sait déjà ce qu'il veut lui dire dans le plus grand des silences : si tu as fait quelque chose, tu souffriras. Si tu es responsable, tu souffriras. Et tu ne seras pas le seul à souffrir..
Tant pis, Rose est prêt à souffrir. Maître Candice est dehors, maintenant et peu importe ce qu'il fait, tout ce qui compte, c'est qu'il respecte le protocole du traité de son ancêtre. Rose est celui qui l'a invoqué, alors il a le droit de demander à ce qu'une personne qui lui est chère soit placée sous la protection du peuple des fées, avec lui. Même si pour cela, il doit encore courber l'échine face à Maître Candice.
C'est mieux que ce soit moi. On n'arrête jamais vraiment d'être un dava. J'ai été élevé pour être un dava.
Rose se souvient des directives de la directrice de l'orphelinat pour jeunes garçons Saint Ezekiel. Donner de sa personne à Odrialc'h, c'était mal, mais se donner entièrement aux fées, c'était bien. La main du jeune vampire se crispe sur le carrelage froid. Ce n'est pas ce qu'il aurait souhaité. Il aurait aimé, il aurait voulu…
« Conseiller Tuarran ? l'interpelle Joseph d'un ton pressé, vous venez ?
— Bien sûr, répond Leiftan, quand cette catastrophe prendra fin, je viendrai voir comment se porte l'ancien Second de l'Ombre. Il n'a pas encore avoué. Nous pourrons ajouter le poids de Balam Lefaucheur et celui des autres victimes de ce soir sur ses épaules. »
Il a craché la fin de sa phrase avant de s'éloigner. Rose a observé ses chaussures disparaître et quand enfin, la salle a pu regagner un peu de son calme malgré les patients terrifiés par les effets du traité, sa respiration est devenue plus sereine. Valkyon est avec lui et sa main est restée sur la sienne, pendant qu'il comprime sa blessure. Rose ferme brièvement les yeux.
Il aurait voulu ne pas avoir à subir les effets secondaires du traité de Polaris, juste pour pouvoir lui dire que ce qu'il venait d'accomplir, il ne l'avait pas fait par esprit de trahison envers Eel, mais pour protéger ceux qui comptent pour lui. Lorsqu'on le lui demandera, il voudrait que Valkyon puisse lui aussi bénéficier de la protection des fées, sauf qu'il est certain que le Chef de l'Obsidienne n'en a pas besoin et le refuserait.
Non. À vrai dire, Rose aurait simplement souhaité ne pas avoir à vivre tout cela. Ne pas avoir grandi avec l'image d'un Dieu incarné dans le corps d'une fée, ne pas avoir à évoluer dans les méandres tordus de complots et ne pas revêtir le visage du souffre-douleur idéal pour l'esprit sadique de Leiftan Tuarran. Qu'il soit majordome au service de la famille Mircalla ou bien simple aspirant pour l'une des trois Gardes, Rose aurait seulement voulu être un jeune homme avec un soleil dans la tête, capable de marcher vers l'homme qui lui plaît dans l'espoir de construire quelque chose.
Il se tend quand une grande main se pose sur son front. Les doigts de Valkyon se frayent un chemin entre les mèches sombres de sa frange afin d'aviser s'il a de la fièvre :
« Bon sang, Rose, vous êtes brûlant. »
Un autre effet du traité de Polaris. Peut-être qu'il ne passera pas la nuit et qu'il est bel et bien stupide d'avoir accompli cela. Rose pense que la dernière image qu'il emportera avec lui, cette nuit, ce sera celle du sol immaculé de l'hôpital d'Albacore réfléchissant les reflets de la lune eldaryenne. Ce sera aussi la sensation de la main de Valkyon comprimant sa blessure et tous les regrets auxquels il pourra penser quand il fermera les yeux. Finalement, Maître Candice a raison quand il dit que tout ce qui n'est pas une fée est idiot, avec de l'air entre les oreilles.
« Qu'est-ce que vous avez fait ? » demande Valkyon d'une voix tranquille.
Rose réunit tous ses efforts pour ouvrir la bouche. Il veut répondre. Il veut parler. Il veut tout expliquer seulement, la magie ancienne des fées le musèle comme un minaloo, si bien qu'il hurle dans le silence de son esprit. Ses lèvres pleines laissent passer un air sifflant et tout ce qu'il finit par émettre, c'est un grognement proche du borborygme.
« Qu'est-ce que vous avez tracé sur votre peau ? »
Les larmes s'accumulent au bord de ses paupières. Le traité de Polaris peut l'empêcher de bouger, mais pas de pleurer et quelque part, Rose se sent soulagé de voir que chaque parcelle de son corps n'a pas cédé aux fées. Une larme s'échappe pour couler le long de son nez, sur l'aile d'une narine, perler sur le bout et chuter au sol. Bientôt, une seconde larme suit la première et Rose pleure en silence.
« Tout ira bien. »
Non, Valkyon a tort. Les choses vont empirer et même quand les fées seront là avec les goules, alors il devra accomplir son devoir de dava et leur appartenir en échange de sa propre protection et de celle de Nevra. En tant qu'invocateur du traité, Rose reconnaît les fées comme souveraines originelles et qu'il le veuille ou non, les symboles gravés sur sa chair permettront à Candice Milliget d'accéder au trône. Il fera un massacre pour récupérer son peuple, c'est chose sûre.
Il se tend, crie à ses muscles de se réveiller, à sa voix de quitter ses cordes vocales et à son corps de redevenir vivant. Il veut s'animer, bouger, parler, redresser le buste et même paraître ridicule à vouloir se mettre sur ses jambes. Il essaie, il essaie de toutes ses forces, maudissant le traité de Polaris en ne pouvant même pas serrer le poing pour montrer sa colère.
« V… Val… »
Des hurlements, des soldats qui donnent l'alerte, une porte ouverte avec fracas et tous les patients de la grande salle qui sautent hors de leur lit pour s'agglutiner en une masse faelienne. Le cœur de Rose s'accélère et si Valkyon se tend durant une fraction de seconde, le juron soufflé entre ses lèvres traduit à lui-seule la présence imposante qui s'est annoncée. Rose sent la vie quitter son corps quand un froid hivernal envahit les lieux. Il entend les gémissements des patients, une insulte crachée dans la langue des fées, puis un lit être projeté au sol avec violence, juste pour insuffler suffisamment la terreur aux faeliens les plus téméraires qui voudraient tenter une folie.
Ensuite, un silence tranchant, puis du mépris. Son mépris que Rose connaît plus que quiconque.
« Te voilà, dava.
— N'approchez pas. » menace Valkyon.
Mais face à Maître Candice Milliget, il est impuissant. Gravement blessé, sans armes et sans armure, le Chef de l'Obsidienne est un homme qui ne ferait que subir les assauts meurtriers de la créature qui a été capable de faire ployer Eel en une nuit.
Alors même si Valkyon lui intime de ne pas approcher, Maître Candice le fait parce qu'en ces lieux, c'est lui qui domine. Rose ressent le froid mordant de sa personne mordre sa peau malmenée par le traité de Polaris et même le sarcasme dans ses paroles effilées, se moquer de la raison pour laquelle il a agit.
Maître Candice n'est pas idiot. Rose n'est pas un dava fanatique. Si la fée sert sa famille et son peuple, le jeune vampire, lui, n'aspire qu'à défendre ceux qu'il aime et pour cela, il n'a pas de protection plus solide que celle de Maître Candice.
« Je t'avais dit de faire attention à ta vie. Regarde-toi, maintenant. Qui va te ramasser, à ton avis ? »
La main de Rose serre celle de Valkyon. C'est tout ce qu'il parvient à faire. Dans les prochaines secondes, Maître Candice va l'emmener et ensuite, il vivra son existence de dava jusqu'à ce que son peuple soit enfin libre. Durant la seconde où ses pensées songent à plus tard, son être tout entier s'attache à l'hôpital, à la présence rassurante de l'homme qu'il aime, à la docteure Osgiliath et à tout ce qui laissera derrière lui.
Qu'est-ce que j'ai fait ? Quel genre de vie j'offre à Nevra ? À combien ais-je estimé le prix de sa liberté ?
« Retire ta main, ozna, crache Maître Candice, sa vie m'appartient.
— Et contre quoi a-t-il bien pu vous la donner ?
— Tu veux jouer avec moi ? »
Il n'est pas patient. Il ne l'a jamais été. Valkyon s'engage sur un chemin dangereux et Rose sait que dans la minute qui suit, les choses peuvent dégénérer. Maître Candice a raison : sa vie lui appartient. Il le lui a donné et même s'il a manqué à ses devoirs à cause de la catastrophe et des sévices que Leiftan a pu lui infliger, Rose ne peut pas revenir en arrière. Il sent les larmes lui monter aux yeux, mais il relâche la main de Valkyon et se résigne à partir.
Il sent une main glacée lui attraper le bras pour le tirer sans ménagement, si bien que le décor se réhausse et que cette fois, Rose est capable de voir le visage de Valkyon.
Auréolé de ses cheveux blancs, le Chef de l'Obsidienne arbore un visage inquiet, mêlé à la peur que peut lui inspirer Maître Candice. Il a le regard de l'homme qui a su estimer le danger face à lui, qui sait qu'il est incapable d'y faire face, mais qui voudrait accomplir quelque chose. Rose plonge dans son regard d'or et le supplie de rester à sa place.
Je peux subir, mais pas toi. Je ne le supporterai pas.
Pourtant, une fraction de seconde, un mouvement leste et l'homme se met debout. Sa grande main se referme sur le poignet de Rose, ses sourcils blancs se froncent et sa voix profonde dit lâchez-le.
« Tu commences à m'ennuyer. » prévient Candice d'une voix acide.
Mais Valkyon se hisse au-delà de la peur. Il abandonne le poignet de Rose pour attraper celui de la fée Milliget et diriger sa rage sur sa personne. Le jeune vampire devine les yeux de son Maître devenir orageux, puis sa colère franchir le point de non retour.
« Est-ce que tu viens de me toucher ? »
Oui, Valkyon l'a touché. Rose, lui, veut briser les effets du traité pour le sauver. Il doit s'échapper de la cage de son propre corps, il doit faire quelque chose, il doit s'armer du même courage que celui du Chef de l'Obsidienne car invoquer la guerre n'aura servi à rien, s'il doit le perdre dans son sillage.Les Choix
Rose subit les effets du traité de Polaris. Valkyon est auprès de lui mais malheureusement, Rose est incapable de bouget et incapable de parler. Il ne peut que subir la situation en silence, même s'il voudrait expliquer son geste.
Il apprend que Candice a été libéré de sa cage et que June et Nelladel seraient les auteurs de cela. Il imagine que dehors, ce doit être le chaos, mais le pire arrive quand Candice vient le chercher.
Valkyon s'interpose seulement, Rose sait qu'il y laissera la vie si les choses dégénèrent.
Que doit-il tenter ?
➜ Tenter de hurler par tous les moyens.
➜ Essayer de se débattre de toutes ses forces afin de se libérer de Candice.
➜ Tenter de parler à Candice afin qu'il épargne Valkyon.
➜ Tenter de se libérer de Candice pour se placer entre lui et Valkyon.
UNIQUEMENT POUR MayaShiz : après la catastrophe, June regagne son domicile avec Nelladel et Helouri. Seulement, en chemin, elle tombe nez à nez avec son père et le Conseiller Tuarran.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Après la catastrophe, Fawkes se trouve avec Ryan et Sexta. Ils ont tous les deux gagné la planque des purrekos et le silence est lourd depuis la mort de Fuya.
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contacte-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
J'espère que tout le monde va bien ! Je vous laisse avec un chapitre que j'ai pris plaisir à écrire, car il s'agit d'une de mes moments préférés dans la fiction mais aussi : il est la somme des choix que vous avez fait depuis le début de l'arc 2. Eh oui ! Sachez que si vous aviez choisi autre chose, si vous en aviez décidé autrement, eh bien cette scène n'aurait peut-être pas eu lieu ou bien, elle se serait passée différemment.
Je vous souhaite donc une bonne lecture ! D'ailleurs et malgré ce dont il a l'air, le choix de ce chapitre n'est pas charnier, rassurez-vous. Mais il n'est pas facile pour autant. B)
Bonne lecture à vous ! (^_^)/
Chapitre 16 - Entretien Avec Un Dieu
Face à Leiftan Tuarran et Joseph Ael Diskaret
Il y a du monde partout, et même si dans la panique, il est plus facile de passer inaperçus, June s’efforce de les guider dans les rues les moins fréquentées. Le souffle court, le front couvert de sueur, elle ne sait pas par quel miracle elle peut encore marcher. Nelladel est lourd, Helouri marche seul mais il n’est pas d’une grande aide, toujours sous le choc de ce qu’il vient de se passer. June les supporte tous les deux autant qu’elle s’accroche à eux, concentrée sur les pas qu’elle doit faire l’un après l’autre.
Fuya est morte. Candice est libre. Elle se répète ces constatations simples pour ne pas s’écrouler d’épuisement. L’adrénaline qui lui permettait de se mouvoir quand elle a fuit Sexta à la prison a disparu depuis longtemps. Ses pensées s’égarent vers Balam, pour qui elle n’a pas l’énergie de s’inquiéter, mais qu’elle espère revoir un jour. Elles peignent Joseph, qui doit savoir que la fée s’est libérée et qui est sans doute submergé par la peur que quelque chose arrive à sa famille. Les soldats, qui l’ont vu aider Nelladel à libérer Candice ? D’autant que l’elfe ne passe pas inaperçu… June sent sa respiration se bloquer, et elle est secouée d’une quinte de toux. Sa gorge est tellement sèche que l’air qui essaie d’y passer semble y mettre le feu, répandant un goût métallique sur sa langue.
Sa vision se brouille un instant, et une larme traîtresse se mêle à la sueur. Et si elle avait fait les choses autrement, que se serait-il passé ? La mort de Fuya ne pèse en rien sur sa conscience, car la sirène a cherché son trépas. Ce n’est pas la première vie qui s’arrête par sa faute, et June ne lui accordera plus une pensée. Non, elle songe à Helouri, à ses parents, et à la suite qui s’annonce compliquée. Elle aurait voulu que tous ses proches soient sains et saufs, et même si être sous les ordres de Candice vaut mieux que se trouver sous ceux de Sexta, elle sait que la situation est grave.
La jeune femme manque de trébucher sur un pavé. Elle doit reprendre son souffle, autrement, ils n’atteindront jamais la maison des Ael Diskaret.
« Une… Minute… balbutie-t-elle. Arrive… Plus… à respirer… trop lourd. »
Nelladel tombe lourdement sur le sol. Un gémissement s'échappe de ses lèvres scellées et il use de toutes ses facultés pour ne pas hurler. Sa jambe lui fait mal. Terriblement mal. Ryan avait prévenu que le retour de la douleur serait affreux mais en cet instant, Nelladel a l'impression que sa jambe est en feu. Ses mains moites se crispent sur le tissu de son pantalon pendant que des larmes coulent sur ses joues.
« Je voudrais m'évanouir… » souffle Nelladel entre ses dents.
Près d'eux, Helouri s'est agenouillé près de sa sœur, sans un mot. Son corps glacé est parcouru de tremblements alors que ses yeux, hagards, fixent un point invisible sur le sol. Son esprit joue les évènements récents dans une litanie éternelle, si bien qu'il peine à réaliser qu'il est en sécurité. Ses longs doigts fins s'accrochent à sa tunique et quand il semble revenir soudainement à lui, il remarque June, épuisée, puis Nelladel, en proie à la douleur. Helouri sait qu'il doit essayer de penser à quelque chose. N'importe quoi pour ne pas plonger dans les images de ce qui lui est arrivé, de ce qui aurait pu lui arriver et de la sirène en train d'être tuée.
Avec des gestes maladroits, il fouille dans les replis de sa tunique, puis en sort une fiole d'eau pure qu'il porte toujours sur lui, comme quand il a infiltré la prison d'Albacore avec June. Il attrape le bras de sa sœur pour attirer son attention, puis la lui tend.
Accroupie, au bord de la nausée, June essuie machinalement son front avec sa manche et attrape la fiole de sa main libre. Elle n’a pas la force de froncer les sourcils, elle pense seulement au fait qu’elle va devoir se relever et porter à nouveau Nelladel et sa jambe morte. Le contenu de la fiole lui apparaît soudain, et elle s’empresse de la déboucher pour boire une gorgée. Un regard à Nelladel lui confirme que la soif est sans doute le dernier de ses soucis, alors elle avale le reste, prend une longue inspiration et sort une lanière de cuir de sa poche pour dégager son visage des cheveux qui ont décidé de reprendre leur liberté.
« Bientôt, promet-elle d’une respiration sifflante. Chez nous, tu pourras t’évanouir autant que tu voudras, on s’occupera de ta jambe, et si on n’est pas morts d’ici là, on pourra même dormir. »
Elle se parle à elle-même plus qu’à l’elfe. June fait signe à Helouri de se relever, puis elle passe son bras sous celui de Nelladel pour le hisser dans un gémissement d’effort. La prochaine fois, j’irais sauver Rose, au moins, il roule, songe-t-elle.
« Encore un peu, ahane la jeune femme. Ça va aller, Lou, avance, on est juste derrière toi. »
Helouri lui jette un regard apeuré, mais daigne avancer. Un pas après l'autre, il observe la frayeur chez les civils, tirés hors de leur lit lorsqu'ils ont entendu leur cauchemar hurler. La fée qui a détruit la cité d'Eel est en liberté, à présent, et plus personne ne pourra dormir en paix.
Les pieds campés sur le sol, figé sur place, le jeune morgan observe les alentours puis, perdu, il se retourne vers sa soeur et lui demande d'une voix hachée :
« Où… où on va, June ? »
L’intéressée retient un grognement et s’efforce de rester calme. Toute à son fardeau, elle en a oublié que son petit frère n’est pas fait pour ce genre de situations, et s’énerver ne l’aidera pas. Pourtant, cette fois, elle aurait bien aimé ne pas être la seule en capacité de gérer les problèmes qui leur tombaient dessus…
« À la maison, articule-t-elle d’une voix hachée. On va… À la maison, Lou. Nelladel vient avec nous, et il ne peut pas marcher, donc on va le soigner là-bas… d’accord ? Viens… »
Elle grogne en lui tendant la main, et force ses lèvres à dessiner un sourire rassurant.
« Prends… ma main, d’accord ? On y va… tous ensemble.
— Laisse tomber, grogne Nelladel, laisse-moi ici, quelqu'un finira bien par me ramasser. »
Peu importe ce que Candice a dit, Nelladel sait que les autorités d'Eel ou les soldats d'Odrialc'h le chercheront. Qu'ils le remettent en prison, si la fée Milliget a décidé qu'il lui serait plus utile ailleurs, elle viendra le chercher. De toute façon, avec la douleur, il est bien en peine d'essayer de se concentrer à marcher ou même de l'endroit où aller. June est épuisé, il est épuisé…
Rivant son regard aigue-marine sur le morgan qui se tient devant eux, les bras ballant, comme un imbécile, il lui cri :
« Avance abrutie ! Tu vois pas qu'on aimerait bien pouvoir s'asseoir quelque part ? Oh ! Bouge ! Dépêche-toi ! Je te jure que t'as de la chance que je sois pas en état de te botter le cul ! »
Mais Helouri se contente de le regarder en ouvrant la bouche, interdit. Soudain, parmi les civils qui filent se cacher ou bien scrutent les cieux, terrifiés, deux silhouettes, presées, se dessinent : l'une, massive et portant les couleurs de la Garde au rubis et l'autre, entièrement vêtue de blanc.
« June ! Helouri ! » s'époumone Joseph Ael Diskaret, qui a enfin aperçu ses enfants.
June se retint d’écraser le pied de Nelladel, mais elle lui décoche un regard noir avant d’attirer son petit frère vers eux.
« Il ne manquait plus que ça, grommelle-t-elle à voix basse. Lou, tu te tais et tu me laisses parler. »
Elle doute qu’il soit en état de dire quoi que ce soit de toute façon, mais il vaut mieux être sûre. Sa main se crispe malgré elle, car elle a reconnu Leiftan Tuarran, et elle baisse d’un ton pour apostropher Nelladel.
« Ne lui parle pas comme ça, il n’y peut rien, c’est un civil, siffle-t-elle avant de se radoucir légèrement. On est tous les deux dans la crotte de musarose, alors n’hésite pas à m’aider si l’envie t’en prend. »
Ou je te lâche sur le pavé et tant pis pour Candice, il se trouvera un autre paillasson, décrète-t-elle en silence.
Nelladell est bien trop épuisé pour répliquer. Quand il se trouve face à Leiftan Tuarran et Joseph Ael Diskaret, il est persuadé que c'en est fini de lui.
« Bon sang… Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ? June, qu'est-ce que tu fais avec lui ? Helouri… »
Mais Helouri a parcouru la distance qui le séparait de son père pour s'effondrer dans ses bras, puis éclater en sanglots. Leiftan, lui, ne dit rien et se contente de fixer June et Nelladel comme s'ils étaient des êtres particulièrement intéressants. Son regard étincelle alors que d'une voix suave, il énumère les faits :
« Je me demande comment l'adorateur de la fée a bien pu faire pour marcher avec une jambe dans cet état et comment la gardienne… Pardon : la soldate Albalefko s'est retrouvée avec lui. Je me demande aussi pourquoi le jeune fils Ael Diskaret se trouve en pleine détresse et aussi… »
Leiftan fait mine de réfléchir avant d'achever :
« Pourquoi les soldats d'Odrialc'h survivants, à l'hôpital, vous ont distinctement vu libérer la fée. Tous les deux. »
June sait qu’elle doit se concentrer. La fatigue aurait vite fait de lui faire dire n’importe quoi, et dans cette situation, il faut être particulièrement prudent. Ses craintes sont néanmoins confirmées : Candice n’a pas fait l’effort de tuer les témoins, et donc elle peut difficilement dire qu’elle a ramassé Nelladel dans le coin d’une ruelle parce qu’elle passait par là. La jeune femme n’a pas besoin de forcer pour avoir l’air épuisée, ni pour que les larmes lui montent aux yeux. Elle les retient de couler, et fait mine de se redresser pour confronter le minaloo d’Odrialc’h.
« J’ai libéré la fée sur l’ordre de Sexta, du cartel des Typhons, répond-elle d’une voix tremblante. Je suis désolée, papa, je ne savais pas comment faire, elle a menacé de vous tuer, maman, Lou et toi, je ne savais pas que c’était elle quand je l’ai vue pendant la catastrophe, c’est d’elle dont je parlais dans mon rapport… »
Elle renifle et essuie ses yeux, son cerveau fonctionnant à toute vitesse pour l’aider à se sortir de ce mauvais pas. Il serait dommage de mourir maintenant, et si elle finit en prison, ce n’est pas Helouri qui viendra la sauver.
« J’ai été enlevée juste après avoir été engagée à la prison, avoue-t-elle. Je voulais en parler à quelqu’un, mais ils m’ont dit qu’ils surveillaient tous mes faits et gestes, ils ont même menacé grand-père et grand-mère… Et tu n’étais pas à la maison souvent, si je m’approchais d’un gradé, elle a dit qu’elle vous ferait du mal, le seul moment où j’ai essayé de prévenir quelqu’un, c’est quand la fée s’est sentie mal dans sa cage, et que j’ai dû prévenir la Capitaine, mais elle n’a pas semblé comprendre mon sous-entendu. Et ce soir… On allait à l’hôpital, et quand on s’est séparés, je suis tombée sur la sirène, Fuya quelque chose, et ils m’ont dit que si je ne libérais pas la fée, ils tueraient mon frère. Sexta, elle… Elle le frappait, je… Je ne savais pas quoi faire… »
Sa voix se brise dans un murmure, et elle baisse les yeux en priant toutes les étoiles du ciel pour ne pas être accusée de trahison.
« Elle dit la vérité. » croasse Nelladel.
Ses cheveux saphirs sont collés autour de son visage par la sueur et si June ne le retenait pas, il se serait effondré. Sa jambe tremble et chaque appuie lui donne la sensation de marcher sur des lames effilées, mais il est hors de question de tomber dans les filets de Leiftan !
« Quand Sexta est venue libérer le renard, elle avait déjà votre fils en otage. June est arrivée juste après. Sexta voulait la forcer à libérer la fée, puis leur cheffe. J'ai été obligé de les suivre et pour pouvoir marcher, une membre du cartel, une licorne, m'a injecté quelque chose. Elle a appelé ça le Liberatio.
— Très bien, tranche Leiftan, admettons que vous dites la vérité…
— Conseiller ! intervient Joseph.
— Ce n'est pas parce qu'il s'agit de votre fille et de votre fils que la loi doit s'appliquer différemment. Pour le moment, ils sont suspects et s'ils ont vraiment dû agir sous la contrainte, alors leur innocence sera prouvée. »
Leiftan et Joseph échangent un regard mauvais. Le grand morgan serre Helouri de plus belle, comme s'il craignait qu'il ne le lui enlève, puis demande à June d'une voix douce :
« Tu es épuisée, où est-ce que tu allais avec l'adorateur de la fée ?
— Fée qui m'a pratiquement broyé la jambe, grogne Nelladel, mon admiration pour lui est aussi haute que votre estime pour moi. »
June renifle, et ses lèvres se tordent en une moue effrayée, comme si se remémorer les derniers instants était un calvaire.
« Quand on a libéré la fée, elle a immédiatement attaqué Balam, raconte-t-elle d’une petite voix. Le cartel, ils détiennent l’un de ses frères, celui avec les cheveux roses. »
Elle marque un temps d’arrêt, puis secoue la tête.
« Sexta m’avait demandé de le menacer avec une mèche de cheveux, pour être sûr qu’il lui obéisse. Alors je me suis dit que, peut-être, si la fée attaquait le cartel pour récupérer son compagnon, je pourrais en profiter pour sauver Helouri, parce que le renard, du cartel, Fawkes, je crois, était parti avec lui et toute seule contre Sexta, je ne pouvais rien faire. Donc avec Nelladel, on les a cherché et on a indiqué leur position à la fée. »
Elle frissonne et renifle de plus belle, avant de prendre un air dégoûté.
« La fée, elle… Elle a menacé Sexta pour qu’elle lui dise où était retenu l’autre, et après… Après, elle… Elle a tué la sirène, souffle June. La potion, dans la jambe de Nelladel, elle a arrêté de faire effet à peu près à ce moment-là, et il fallait qu’on s’en aille, parce que la fée était en colère. J’ai pas réfléchi, je voulais juste éloigner Helouri de là, et comme je portais déjà Nelladel, j’ai juste… »
Elle lève les yeux vers son père pour lui offrir un visage rougit par les larmes et l’horreur, avant de hausser les épaules.
« Je voulais juste qu’on s’en aille… »
Joseph pousse un profond soupir. Toutes ses pensées alarmées sont tournées vers ses enfants, mais aussi vers la situation d'Albacore, en train d'arborer le même visage que l'Eel rouge. Retrouver la fée est une priorité seulement, la contenir pour l'emprisonner de nouveau semble compromis. Le grand morgan se tourne vers Leiftan pour lui indiquer qu'il compte emmener ses enfants et l'adorateur des fées à l'hôpital.
« Très bien, répond le Conseiller, mais je les veux sous surveillance. Lorsqu'ils seront reposés et soignés, ils seront interrogés. Joseph… »
Leiftan rive son regard émeraude dans celui de Joseph, puis tranche d'une voix ferme :
« Si on découvre la moindre incohérence dans leur discours et que vos enfants sont délibérément des adorateurs des fées, je m'assurerai personnellement que leur place est en prison. Quoique… Je n'ai pas d'inquiétude concernant votre fils, mais votre fille…
— Ma fille n'est pas une adoratrice des fées, affirme le grand morgan, ne tirez pas de conclusion hâtive. Je les emmène à l'hôpital et ensuite, nous devons retrouver la fée et le cartel ! »
Joseph se dirige vers June et la libère du poids de Nelladel. Ce dernier laisse échapper un cri de douleur, puis glisse à Joseph qu'il a une sacré poigne. Helouri les attend, fixant le vide comme s'il voulait faire abstraction de la réalité, lorsque son père l'interpelle.
« Helouri ? Viens m'aider s'il te plaît. »
Mais Helouri fait un bond, dévisage Joseph comme s'il remarquait sa présence, puis trottine jusqu'à lui pour s'accrocher à son bras libre. Le grand morgan souffle par le nez, puis lui indique que ce n'est pas grave et qu'ils vont tous se rendre à l'hôpital.
June songe que c’était bien la peine de faire tout ce chemin pour devoir le refaire dans l’autre sens, mais au moins, elle est libérée du poids de Nelladel. La jeune femme masse un instant ses épaules meurtries, puis elle se traîne jusqu’à son père pour le suivre. Elle ne rêve que de son lit, mais elle ne pourra pas s’y effondrer tout de suite. Peut-être vivra-t-elle une journée entière sans avoir l’impression que le poids du monde pèse sur son dos, un jour… June soupire discrètement. Se réveiller le matin sans craindre de mourir ou d’être jugé pour trahison, comme ça lui manque, soudain… Néanmoins, son père a besoin d’aide, et ce n’est pas Helouri qui le lui en fournira, alors elle vient offrir un appui à Nelladel. C’est plus facile maintenant que Joseph le porte aussi.
June se concentre sur ses pas, pour ne pas s’effondrer, puis elle s’adresse à son père d’une petite voix.
« Pardon, j’étais coincée, murmure-t-elle d’un ton contrit. La vampire, elle… Elle savait tout sur vous, tu sais ? Elle a dit que si je ne faisais pas ce qu’elle disait, elle vendrait Helouri aux Abysses à des sales types et qu’ils… Enfin, j’essayais juste d’arranger les choses.
— Tu as fait ce que tu as pu, répond Joseph d'un ton très calme, et je suis désolé de ne pas avoir vu. De ne pas avoir été là. Diriger l'Obsidienne pendant le rétablissement du Chef Batatume n'est pas une excuse pour s'éloigner de sa famille. Je vous pensais en sécurité… »
Sexta Stoker a été sournoise. Elle l'est. C'est ce que l'on dit de l'Impératrice des Abysses et qu'elle s'en prenne à ses enfants… Joseph ne préfère pas imaginer la douleur et la culpabilité qui l'auraient submergé s'ils avaient réellement disparu.
« Tu as protégé ton frère, reprend Joseph, et tu as agi sous la contrainte. Peu importe l'enquête qui sera menée, tu diras la vérité, June et personne ne pourra te reprocher d'avoir été obligée de faire ce que tu as fait pour protéger ta famille. »
Puis, même si June n'a rien demandé, Joseph le lui précise car c'est sûrement quelque chose dont elle se sent coupable :
« Balam va bien. Les Le Preux l'ont pris en charge à temps. Il a subi de sérieux dommages à la rate, mais il n'a plus rien à craindre et il s'en remettra. »
June hoche la tête, soulagée pour le guetteur. Il lui demandera sûrement des explications, mais tout ce qu’elle espère à l’instant, c’est qu’il tienne sa langue et ne dise rien qui puisse la mettre en danger.
Ils ahanent tous les quatre en direction de l'hôpital d'Albacore quand tout à coup, une silhouette se précipite vers eux en leur faisant de grands signes, hurlant de rester là où ils sont. Quand Joseph plisse les yeux, il reconnaît Chrome Talbot, vêtu de la tunique typique des patients, puis il ouvre la bouche de stupeur. Le visage du jeune loup-garou est déformé par la peur et quand il s'arrête face à eux, il porte deux mains à sa poitrine pour reprendre son souffle.
« Pas… Aide… Avancez plus… La fée… Emmener Rose… Chef Batatume… »
Joseph blêmit. Il a peur de comprendre. Son esprit lui montre les images de la fée à l'hôpital, en train d'emporter Rose Clarimonde pendant que le Chef Batatume essayerait de l'en empêcher.
« Que dis-tu ? La fée est à l'hôpital ? »
Avec horreur, Chrome hoche la tête. Il tousse, puis reprend d'une voix alarmée :
« Elle est venue chercher le Second Clarimonde ! Rose ! Et le Chef Batatume… Il essaye de la retenir, mais… Il va juste mourir ! Et tous les autres patients ont peur ! J'ai été le seul qui a réussi à s'enfuir… »
June jette un regard étonné à Nelladel. Que fait Candice à l’hôpital, et quelle utilité peut-il bien avoir à récupérer Rose ? Le vampire estropié ne lui servira à rien en l’état, d’autant qu’il n’a plus de poste important au sein de la garde…
Elle adresse une moue horrifiée à son père, tandis que son esprit se demande ce qui va encore lui tomber dessus. Elle voudrait bien se reposer, se rouler en boule quelque part et ne plus jamais ouvrir les yeux, mais elle se doute que Joseph va vouloir aller aider son ami et chef de garde.
« Papa… déglutit-elle. La fée a tué la fille du cartel sans transpirer… »
Elle se crispe malgré elle. Elle ne veut pas que Joseph aille à l’hôpital, elle ne veut pas être interrogée sur ce qu’il s’est passé, elle ne veut pas que quelqu’un d’autre soit blessé, elle ne veut plus se battre aujourd’hui.
« S’il-te-plaît… » murmure-t-elle.
Mais elle connaît déjà la réponse de Joseph. Il ne peut pas laisser le véritable Chef de l'Obsidienne se faire tuer et il est de son devoir de le soutenir face à la fée. Seulement, sa fille est épuisée, son fils est très choqué par tout ce qui vient de se produire et l'adorateur des fées et frère d'Ezarel Sequoïa ne peut pas se déplacer seul…
Joseph ferme brièvement les yeux pour mettre de l'ordre dans ses idées, lorsque la voix de Nelladel intervient, grinçante, épuisée :
« Votre famille.
— Qu'est-ce que vous dites ? demande brusquement Joseph.
— Pensez à votre famille, poursuit péniblement Nelladel, si vous y allez, vous allez juste mourir. Si Candice veut emmener Clarimonde, il emmènera Clarimonde. Vous ne l'empêcherez pas de faire quoi que ce soit. »
Face à eux, Chrome attend les instructions, terrorisé. Enfin, après quelques instants de silence, Joseph finit par donner ses directives :
« Gardien Talbot, rendez-vous à la mairie d'Albacore et informer les hautes instances de la situation à l'hôpital. Faites vite ! Je vais mettre ma famille en sûreté et je retournerai à l'hôpital pour soutenir le Chef Batatume. »
June ne peut retenir un soupir soulagé. Avec un peu de chance, d’ici à ce que Joseph retourne à l’hôpital, Candice aura terminé ses affaires. Quoique la chance n’est pas vraiment de son côté ces temps-ci. Nelladel échappera à la chute sur le pavé pour cette fois.
« Dépêchons-nous, alors, soupire-t-elle d’une voix fourbue. Il est un peu lourd, je ne suis pas sûre de tenir encore longtemps. »
Chrome file en direction de la mairie d'Albacore et Joseph peut enfin raccompagner ses enfants, ainsi que Nelladel, en lieu sûr. Une fois arrivés à leur domicile, le grand morgan observe les alentours. La fée qui s'est échappée de sa cellule a créé du désordre parmi les civils qui ne peuvent plus dormir et Joseph se demande comment a bien pu évoluer la situation à l'hôpital. Se retournant vers June, il lui indique :
« Ne bouge pas d'ici. Enferme l'adorateur des fées dans le cellier, à double-tours. Ensuite, allez manger et vous reposer, toi et ton frère. Je reviendrai à la maison et je m'occuperai du reste. Ne prends pas de risques, June. N'ouvre à personne d'autre à part moi.
— Compris. » assure June.
Il est hors de question qu’elle mette Nelladel dans le cellier, du moins, pas tant qu’elle n’y est pas obligée. Finalement, elle aura réussi à obéir aux ordres de Candice, même si ça ne s’est pas fait sans heurt. June ouvre la porte, mais juste avant d’entrer en traînant Helouri avec elle, elle se tourne vers son père et lui adresse une moue suppliante.
« Fais attention, s’il-te-plaît. La fée… Elle est dangereuse, la dernière fois… N’y va pas tout seul, papa, et… Ne meurs pas. On n’arrivera à rien si tu n’es pas là. »
Joseph lui adresse un sourire rassurant et lui promet de revenir. Avant que June ne ferme la porte, Nelladel le suit du regard, les dents serrés, avant de déclarer, désabusé :
« Je ne sais pas si ton père est très courageux ou bien complètement fou. Candice ne va pas l'épargner s'il se met en travers de sa route.
— Une chose à la fois. » grogne la jeune femme.
Néanmoins, elle sait qu’il a raison. Pour Helouri, qui les écoute probablement, elle doit faire comme si les choses allaient se passer sans accrocs. June se traîne jusqu’au salon, avec l’impression qu’elle n’arrivera jamais à se défaire de son fardeau. Elle aide Nelladel à s’asseoir sur le canapé, puis se laisse tomber au sol en poussant un gémissement douloureux. Tous ses muscles protestent, elle a soif, faim, envie de vomir et surtout, elle est tellement épuisée qu’elle pourrait s’endormir, là, tout de suite, recroquevillée sur le sol dur.
Nelladel, lui, remonte la jambe de son pantalon avec une lenteur infinie pour découvrir sa blessure, sous les pansements, et grimace en avisant qu'ils sont sales et qu'il saigne de nouveau. Il soupire, se laisse aller contre le dossier du canapé, puis crispe les mains sur sa jambe quand la souffrance, lancinante, continue de la marteler. Enfin, ses yeux suivent Helouri, qui s'est assis sur une chaise en se repliant sur lui-même, et il réprime un sifflement dédaigneux.
« Comment tu vas rembourser Candice pour ce qu'il a fait ? Tu te doutes bien que maintenant que tu es une dava, il va s'assurer de te faire payer ta dette. Je pense qu'on peut oublier le plan initial. »
Nelladel désigne Helouri du menton, puis affirme :
« Il n'y arrivera jamais. »
June jette un regard à la plaie juste à côté de sa tête, puis à son petit frère. Elle aurait bien aimé qu’il s’occupe de Nelladel, lui qui rêve d’être médecin, mais elle ne prend même pas la peine de demander et se lève en grognant de fatigue. D’un pas lourd, la jeune femme se dirige vers la salle de bain, fouille quelques tiroirs, en sort des morceaux de tissus qui feront bien l’affaire, puis elle retourne dans le salon. Elle n’y connaît pas grand-chose pour soigner, seulement la base quand il s’agit d’arrêter une hémorragie en mission, et elle n’aime pas vraiment mettre les mains dans le sang et la souffrance des autres… Un nouveau coup d'œil vers Helouri lui arrache un soupir de dépit, et elle remplit un petit bol d’eau avant de retourner vers le canapé.
« Je m’en fiche, répond-elle en s’agenouillant. Cette sale garce de sirène est morte, Sexta n’est plus mon problème pour l’instant, le reste, j’aviserais. Helouri va bien, c’est tout ce qui compte. Ne bouge pas. »
Elle entreprend de défaire les pansements sales sans retenir une grimace de dégoût, puis marmonne à voix haute, sans s’en rendre compte.
« Enfin, il va, c’est le principal, on verra pour bien ensuite…
— J'aimerais bien la voir, la suite. »
Nelladel n'est pas idiot. Il sait bien que Candice va s'entêter à maintenir son plan et qu'à ses yeux, le fils de Joseph Ael Diskaret sera bien assez malléable pour être brisé, puis reconstruit à sa manière. L'elfe ne dit rien mais selon lui, le morgan est complètement inutile et incapable de remplir sa mission. Si sa sœur avait été en danger, ce soir, il n'aurait pas été fichu de déployer le moindre effort pour la sauver et se serait contenté d'attendre en pleurant… Nelladel a bien envie de lui lancer que s'il a l'impression de ne servir à rien, c'est parce que c'est le cas pendant que June, épuisée, s'occupe de sa jambe, mais il ne dit rien et se contente de ruminer.
« Au fait, je pense qu'il se trame quelque chose, glisse-t-il à June, tu te souviens quand je m'étais enfermé dans la cellule de Candice avec Fawkes, à la prison ? Candice n'avait pas saisi l'opportunité de s'échapper car il avait peur pour les anciens et les enfants de son peuple. Ce soir, il est sorti de sa prison et il n'a pas hésité une seule seconde à semer la terreur. Je pense que quelque chose est en marche et qu'il le sait…
— Je m’en rappelle, oui, pas ta meilleure décision. » réplique June en faisant couler un peu d’eau sur la plaie.
Elle marque une pause et mordille sa lèvre inférieure, avant de frissonner. Elle aussi, elle a la sensation qu’il se passe quelque chose, et ce, depuis qu’elle a été réveillée en sursaut tout à l’heure.
« Il y a quelque chose dans l’air, murmure-t-elle. C’est lourd et visqueux, ça m’a réveillé. »
Elle jette un regard en coin à l’elfe, en se demandant comment il a fait pour marcher aussi longtemps avec la jambe dans cet état.
« Je pensais que tu saurais, avoue-t-elle. Tu crois que ça a un rapport avec les fées ? Et… Pourquoi il veut récupérer Rose ? Tes décisions sont parfois dénuées de sens, mais toi, tu es utile. Rose, lui, est en fauteuil, et à mon avis, il ne pourra pas se battre avant un bon moment… Non pas que Candice ait besoin de soldats, tu me diras. Mais je ne vois pas pourquoi il tient tant à sortir Rose de l’hôpital, un esclave, c’est mieux quand ça peut faire autre chose que rester alité en regardant le plafond parce que c’est triste…
— Je n'en sais rien, justement. J'ai beau y penser, je n'arrive pas à savoir mais je suis certain que ça a un rapport avec Clarimonde. »
Nelladel souffle par le nez, puis réfléchit. Il sait qu'en tant que dava, lui et Clarimonde n'ont pas eu les mêmes enseignements. Lui, il était l'homme de terrain et Rose, le tacticien qui devait s'exécuter au bon moment.
« Candice ne s'encombrerait pas d'un dava qui lui est inutile, alors il y a forcément quelque chose. Soit Clarimonde possède un savoir que Candice n'a enseigné qu'à lui, soit… »
Nelladel laisse échapper un léger rire en secouant la tête. Il se laisse aller contre les coussins du canapé, puis achève :
« … Soit Clarimonde est une chimère et c'est son espèce qui le sauve. »
June arque un sourcil en nettoyant la plaie, puis elle entreprend d’y enrouler les bandes de tissus avec des gestes maladroits. Elle recommence en constatant que le pansement ne tiendra jamais, puis lève la tête vers Nelladel.
« Ben voyons, et moi, je suis une licorne, réplique-t-elle avec un demi-sourire. De toute façon, on verra bien, si d’ici là, Candice ne tue pas mon père… »
Elle a baissé la voix sur ces dernières paroles. La jeune femme s’adosse au canapé, son oeuvre terminé, et elle étouffe un baillement en désignant l’elfe qui prend ses aises.
« Et maintenant, qu’est-ce que je vais faire de toi ? articule-t-elle d’une voix épuisée. Ils vont te chercher, et s’ils te retrouvent, tu vas encore finir en prison. Quoiqu’ils veulent nous interroger, de toute façon. On ne va pas tous se cacher sous mon lit, ça va finir par se voir.
— Laisse tomber, répond Nelladel, il m'arrivera ce qu'il m'arrivera. Soit Candice me trouve encore utile et viendra me chercher, soit je vais retourner en prison. »
Au fond, ça ne change pas grand-chose. Nelladel regrette d'avoir quitté les Brigades du Ragnarok. Il était revenu pour son frère, mais Ezarel refuse de le voir et de lui parler, alors Nelladel ne peut rien faire concernant la préméditation de son futur assassinat. S'il avait été plus malin, il ne se serait pas fait prendre et il aurait pu continuer d'œuvrer dans l'ombre…
C'est trop tard pour les regrets maintenant. Avisant l'épuisement de June, il lui lance :
« Tu ferais mieux de dormir. Si ça peut te rassurer, je vais pas aller loin avec ma jambe. Je vais juste dormir aussi et on verra bien ce qui va nous arriver. »
June marmonne quelque chose qui ressemble vaguement à un assentiment. Son regard améthyste se pose sur Helouri, toujours prostré sur sa chaise, et elle se force à se relever pour aller lui chercher une couverture, qu’elle enroule autour de son corps frêle. Elle aurait voulu l’emmener jusqu’à sa chambre, mais c’est tout ce qu’elle peut faire pour lui pour le moment. La jeune femme se traîne jusqu’au canapé, s’y laisse tomber avant de se rouler en boule en essayant de ne pas heurter Nelladel.
« Merci, murmure-t-elle en fermant les yeux. Même si t’es quand même un peu agaçant, j’y serais pas arrivée toute seule. »
Et pour la suite, ils verraient bien, l’elfe avait raison. June laisse le sommeil l’emporter, et songe que si elle ne se réveille jamais, sa vie sera sans doute bien plus simple que le futur compliqué qui s’annonce.
Après la catastrophe d'Albacore
Fawkes est encore sous le choc. Son regard refuse de quitter le petit corps disloqué et sans vie de Fuya. Elle est bien triste là, allongée sur le sol, le regard hagard, l’expression déformée. Le renard est à genoux, mais il ne sent plus son corps. Il a l’impression que l’herbe entre ses doigts s’est emmêlée jusqu’à ses avant-bras et le garde accroché au sol. Ses oreilles n’entendent que le sang qui bat à ses tempes. Ça tape et ça cogne dans sa tête et dans son cœur. Et quand il réalise que la fée est partie avec sa clique, il a froid.
Ryan est là. Mais Sexta aussi, et avec elle, il ne se sent pas du tout en sécurité. Si Candice est la main exécutrice, pour Fawkes il n’y a pas d'ambiguïté : Sexta est responsable. Il relève un regard sombre vers la vampire et dans ses yeux, toutes les accusations du monde s’y sont logées.
« C’est ce que tu avais prévu, dans ton plan si savamment ficelé ? lui grogne-t-il dessus. C’est là, la raison pour laquelle il te fallait que Titan soit captive pour prendre les rênes. Parce qu’elle sait que jamais tu ne sauras remplir son rôle. »
La vampire se redresse avec des gestes lents. La sueur colle ses cheveux à ses tempes, ainsi qu'à son front alors que ses yeux noirs ne quittent pas le corps sans vie de Fuya. Le trou béant causé par la trompe de Candice rend son visage difforme, encore plus effrayant qu'une poupée brisée. Sexta est en train de trembler. Le teint blême, elle s'approche de la sirène échouée à petit pas, puis s'accroupit à ses côtés. Elle reste ainsi longtemps, contemplant son œuvre sans un mot, avant de récupérer le corps fin de Fuya entre ses bras.
Elle paiera un purrekos pour qu'elle puisse être enterrée aux Abysses, auprès d'autres malfrats de renom mais surtout : près de son trône à elle, l'Impératrice. Puis elle paiera encore plus pour du sang et de la vengeance. Son regard se perd vers l'horizon de la nuit, puis Sexta se reprend.
« Arrête de pleurer, Fawkes. Si tu as du temps à perdre à grogner, alors utilise-le pour faire libérer Titan. Toi et Ryan, allez récupérer votre cheffe.
— Sexta… gémit la licorne en ouvrant de grands yeux.
— Ne me regarde pas comme ça. »
Les lèvres de Fawkes se retroussent en silence au-dessus de ses crocs. Il gronde, au fond de lui-même, mais se contient. Ce n’est ni le lieu, ni le moment. Il sait que bien que désespérée, Sexta n’en reste pas moins une redoutable combattante au corps à corps. Bien meilleure que lui.
Mais il sait aussi reconnaître qu’elle a raison sur un point : ils n’ont pas de temps à perdre à se quereller. Fawkes songe que pendant que Sexta va rester là, lui et Ryan, ils iront libérer Titan. De toute façon, ils n’ont que ça à faire. Alors le traqueur se redresse. Son corps pèse si lourd qu’il doute un instant que ses jambes sauront le porter, mais il se sous-estime. Bien que fébrile, il se relève et amorce un pas en direction de Ryan. Quand il est à sa hauteur, il lui prend le poignet et continue sa route, sans se soucier de Sexta. Pour lui, elle n’existe déjà plus. Pourtant, il sent Ryan résister. Elle est trop gentille.
« Laisse-la. Elle a raison, on a mieux à faire que s’occuper d’elle.
— Vous avez mieux à faire. » lâche Sexta.
Ryan lui lance un regard résigné. Depuis qu'elle fait partie du cartel des Typhons, elle a toujours été la partenaire principale de Sexta. La maîtresse des poisons s'illustrant aux Abysses grâce à l'Impératrice, remplissant ainsi les caisses du cartel, d'or. Face à Candice, Sexta savait qu'elle avait déjà perdu, tout comme elle savait qu'à partir du moment où la fée détenait Fuya, elle la tuerait, peu importe ce qu'on lui dirait.
Face à un ennemi pareil, une vengeance froide et sournoise est le meilleur couperet mais pour cela, il faut s'affranchir des règles du cartel.
Sexta soutient le regard de Ryan. Enfin, elle toise Fawkes, puis lui lance d'une voix tranchante :
« Puisque tu te prends pour le sauveur de toutes ces âmes, alors je te nomme chef du cartel des Typhons. Félicitations, Fawkes. Tâche de maintenir à flot ce que Titan a construit jusqu'à sa libération. Moi, je vais reprendre mon trône dans les Abysses. Vous aurez bientôt de mes nouvelles et ne vous inquiétez pas : vous aurez de l'aide pour notre cheffe bien-aimée.
— J’en veux pas de cette couronne. Mais j’irai chercher Titan, sois-en certaine. »
Alors il tire sur la main de Ryan pour l’emmener avec lui. De toute manière, il n’y a plus rien à faire ici, si ce n’est rester et attendre que des gardes les cueillent. Ça n'arrivera pas. Et même s’il tourne le dos à Sexta, il sait qu’elle disparaîtra bientôt et Fuya avec elle. Il ne veut pas regarder en arrière. Il ne veut pas voir le corps mou de la petite sirène être soulevée de terre comme une poupée de chiffon. Même si ses yeux se ferment fort, ses oreilles sont braquées en arrière, vers Sexta. Il entend le moindre de ses mouvements et de ses gestes. Il entend son souffle et le frottement d’une main sur une peau qui ne rougira plus. Mais il entend le vide qui lui répond et préfère nourrir ce vide de colère plutôt que de tristesse.
Les doigts serrés autour du poignet de Ryan, il s’en va. Son pas se veut rapide, mais il sait qu’il traîne la patte. Il a mal et les ronces enlacent amoureusement ses muscles et ses os. A chaque pas, la torture est un peu plus cruelle, mais il refuse de s’arrêter. Il est encore trop près de Sexta, trop près de Fuya, trop près d’Eel et de toute la vase que cette cité remue. Il veut juste s’éloigner même si pour ça, il doit serrer sa cuisse de sa main libre pour endiguer la douleur.
Ryan ne dit pas un mot. Toutes ses pensées sont tournées vers Fuya et le sort injuste qui a mis un terme à sa vie. La sirène avait presque le même âge que sa fille aînée et la providence, elle, avait privé Fuya de l'existence insouciante d'adolescence qu'elle aurait dû avoir. C'est injuste, mais surtout…
« Ça n'aurait pas dû se passer comme ça, souffle la licorne.
— Non, ça n’aurait pas dû. »
Elle s'arrête, glisse une main tremblante sur l'épaule de Fawkes, afin de l'aider à s'appuyer, puis secoue la tête en reprenant :
« Si Titan avait été là, ça ne se serait jamais passé comme ça.
— Je sais… » grince Fawkes avec peine.
Titan n'aurait pas été assez folle ni assez téméraire pour mettre Candice en colère en retenant son frère. Lorsque Fuya en avait émis l'idée, quand Nash avait été capturé, Titan avait refusé. Prendre une fée Milliget en otage, c'est causer un carnage alors quand il existe des créatures aussi puissantes, mieux vaut les avoir en alliées.
« Et maintenant, Fawkes ? lui demande Ryan avec un regard perdu, est-ce que tu penses qu'à nous deux on peut libérer notre cheffe ? Il faut qu'elle revienne, mais toi et moi… Toi tu es un traqueur, tu peux t'infiltrer. Moi, je suis une experte en poisons. C'est impossible, il nous faut de l'aide… »
Fawkes s’arrête un instant. Il a besoin de réfléchir et il ne peut pas le faire s’il se concentre sur sa jambe qui refuse encore d’avancer. Il doit souffler un coup et calmer sa respiration ainsi que son coeur. Le renard se frotte le visage. La réalité lui colle à la peau comme un masque de mauvaise qualité. Ce que lui dit Ryan, c’est une vérité qu’il connaît déjà. Seulement, en évitant de mettre les mots dessus, il espérait rester encore un peu dans le déni. Ryan l’entend différemment.
Prenant appui sur la licorne, Fawkes secoue la tête.
« Tous les deux, on y arrivera pas. »
Gabrielle voudra probablement rester auprès de Nash et ne veut plus entendre parler de mission pour le moment. Les possibilités de trouver des alliés aux abysses se sont amenuies dès lors que Sexta s’est écartée du Cartel et en un sens, Fawkes ne le déplore pas.
« Les purrekos restent nos alliés pour peu qu’on puisse les dédommager. Mais il nous faut d’autres alliés. S’il faut… s’il faut ramper auprès des fées, alors je le ferai, pour Titan. »
Le renard se retourne pour faire face à Ryan. Il s'appuie sur sa jambe valide pour épargner l’autre, mais il se tient fermement à la licorne pour ne pas chuter.
« Si tu as d’autres suggestions, c’est maintenant Ryan. Si tu vois qui serait disposé à nous prêter main forte, je t’écoute, parce que tous nos plans viennent de s’envoler. Et… je suis pas chef, moi. »
Elle non plus, elle n'est pas cheffe. C'est Titan qui sait évaluer les risques et prendre les meilleures décisions, pas elle. Ryan est une mère avant d'être une experte en poison et jamais elle ne mettrait ses enfants en danger parce qu'elle se fera des ennemis trop puissants. Mais ramper devant les fées… Après ce qu'il vient de se produire…
La licorne secoue la tête :
« Les purrekos sont neutres. Peu importe le montant que l'on paiera, ils ne prendront jamais le risque de se heurter à l'armée d'Odrialc'h pour sauver Titan. Il est impensable d'engager des mercenaires de pacotilles ou même de s'allier aux goules… Oh, Fawkes… »
Ryan ferme les yeux si fort que des larmes perlent aux coins de ses paupières. D'une voix saccadée, elle fait un constat ignoble : tout mène à la soumission aux pieds du peuple des fées. Si elle et Fawkes se dépêchent de rentrer à Odrialc'h pour sortir Sira des Abysses et le rendre à son frère, honorant ensuite le marché que Candice avait passé avec Titan, alors ils se soumettent à lui. S'ils veulent s'accrocher à plus fort qu'eux pour libérer Titan, ils se soumettent aussi.
« Est-ce que tu penses que nous en sommes là ? Que nous devons nous soumettre comme des esclaves ? … Tout est fichu ?
— J’en sais rien. Mais si on ne rend pas Sira à Candice, il nous confondra avec Sexta et c’est hors de question. Tu sais qu’il sera capable de nous détruire. Tu veux qu’il te brise comme il a brisé Sexta ? Si ça peut ramener Titan, je suis prêt à me soumettre… C’est pas pour toujours, de toute façon, si ? »
Fawkes n’a pas un sens de l’égo très développé et il a vécu la majeure partie de sa vie comme un moins que rien, alors se soumettre, ça ne devrait pas lui coûter. Pourtant, ça lui noue déjà le ventre. S’il a survécu jusqu’à ce que Titan le trouve, c’est bien parce qu’il a mordu toutes les mains qui ont tenté de l’approcher. Mais si c’est là, leur dernière solution, ils n’ont pas vraiment le choix, sans aller jusqu’à dire que tout est fichu. Fawkes ne voit pas à qui d’autres ils pourraient demander assistance. Il connait quelques noms, mais pas des personnes suffisamment puissantes ou assez suicidaires pour s’attaquer à Odrialc’h.
« Ils sont repartis à Raenia Gaear ? » questionne la voix de Fawkes, bien sourde malgré lui, alors qu’il masse sa jambe et se raccroche à Ryan.
Ryan pousse un long soupir. Elle s'accroupit quelques secondes, juste pour faire le vide dans son esprit et reprendre son souffle, puis elle finit par acquiescer. Il n'y a pas d'autres solutions.
Quand elle se relève, elle passe une main autour des épaules de Fawkes, puis elle se remet à marcher :
« Je vais te faire un filtre puissant contre la douleur et après, on partira. Il ne faut pas perdre de temps. On ira chercher le frère de la fée et on le lui rendra et on… On suppliera pour qu'il nous aide à libérer Titan.»
Nash et Gabrielle ne seraient pas d'accord. L'elfe noire tempêterait qu'elle préférerait accepter toutes les conditions, même les plus lâches, plutôt que de s'allier à la fée qui a torturé Nash et tué Fuya. Oui, c'est ainsi qu'elle agirait. Ryan s'arrête brusquement. Elle ouvre de grands yeux bleus, comme si la réalité venait de la frapper, puis elle sent son coeur s'accélérer.
« Non.»
Elle secoue la tête de plus belle.
« Non, Fawkes, poursuit-elle d'une voix plus ferme, nous ne pouvons pas faire ça. Nous sommes le cartel des Typhons, pas de simples larbins des bas quartiers.
— C’est pas le Cartel qui se soumet, mais moi seul, tente d’expliquer Fawkes, alors que la licorne n’écoute déjà plus. »
Dans sa tête, un plan se dessine. Un plan qu'elle décrit à Fawkes :
« Nous allons partir ce soir et pendant le trajet, nous allons contacter Nash et Gabrielle. À nous quatre, nous avons plus de chances de libérer Titan. Aussi, si nous ne pouvons pas engager des purrekos pour nous aider, alors il nous suffit de nous rendre aux Abysses, dans le douzième sous-sol, pour faire affaire avec un mercenaire. Tu sais… Trois têtes et six bras. »
Trois têtes et six bras, c'est ainsi qu'on les nomme, aux Abysses. Il s'agit de trois membres d'une famille éminente de tueurs à gages, connus pour leurs méthodes sadiques. Trois têtes et six bras sont trois cousins de cette famille au passif sanglant : les Strashilka. Vova, Silas et Serapion Strashilka. Si le cartel engage l'un d'entre eux, alors il y a une chance de sauver Titan… Mais il faudra les convaincre et révéler que le cartel des Typhons se porte au plus mal…
Les yeux du renard s’écarquillent. Faire appel à cette famille de mercenaire n’est pas sans risque et très certainement pas gratuit. Il souffle, mais garde le silence. Dans sa tête, il tente de visualiser l’arbre des possibles s’il décide de prendre ce chemin-ci. Ce n’est ni mieux, ni vraiment pire, pour autant, cela augmente leurs chances. S’ils peuvent récupérer Yüljet sans avoir à contracter de dette auprès de Candice, ce n’est pas plus mal.
« Très bien. Mais s’ils refusent ou que le prix est trop élevé, je me rendrai à la frontière du territoire des fées. On doit impérativement récupérer Titan. On peut pas la laisser tomber, pas elle. »
Les mètres à parcourir sont laborieux, jusqu’à la planque, mais quand Ryan le fait entrer et lui montrer un siège, Fawkes se laisse choir dessus et souffle de soulagement. Sa jambe lui fait un mal de chien et la douleur vibre jusque dans sa hanche avant de vrombir dans son ventre. Il a envie de vomir et la chaleur sur sa peau ne veut pas s’en aller. Son os se ressoude, mais son muscle, lui, a bien du mal à se régénérer. Foutue trompe de fée. Il doit y avoir mille et une saletés là-dedans.
« Ça ira, toi, pour retourner aux Abysses ? » s’inquiète pourtant Fawkes.
Ryan s'attelle immédiatement à la préparation d'un filtre contre la douleur. Pendant qu'elle réunit les ingrédients, elle se plonge dans une profonde réflexion. Elle a l'habitude des Abysses, même si elle n'est que rarement descendue au douzième sous-sol, parce qu'il lui donne envie de vomir.
« Ça ira. Il faudra bien que quelqu'un aille chercher la fée. Mais pour négocier avec les Strashilka, je préférerais que tu m'accompagne, Fawkes. Nous ne serons pas trop de deux.
— Evidemment. Pendant que tu seras aux Abysses, je ferai un rapport à Gabrielle et Nash sur la situation. Que peux-tu…»
Finalement ce siège devient inconfortable assez rapidement et Fawkes se redresse pour tirer sa jambe et la tenir vers lui afin d’éviter que son pied n’appuie trop au sol. Quelle plaie. Pourtant, il est presque guéri, il le sait, mais ses chairs se souviennent trop fort du baiser de la fée. Alors il préfère occuper son esprit avec quelque chose de plus utile pour ne pas y penser.
« Que peux-tu me dire sur les cousins Strashilka ? Que dois-je savoir à leur propos ? »
Ryan achève la préparation du filtre. Elle verse sa décoction dans un verre, qu'elle tend ensuite à Fawkes, puis elle s'assoit sur le siège, face à lui. Avant de se lancer sur ce qu'elle sait sur les cousins Strashilka.
À vrai dire, toute la famille baigne dans le sang depuis longtemps. Elle est intouchable parce qu'elle a accompli les vengeance de grandes figures d'Eldarya mais surtout, elle est bien assez riche pour se tirer de situations épineuses et se faire oublier quelque temps en quittant Odrialc'h quand cela s'impose. Aujourd'hui, les trois nouvelles étoiles sanglantes de la famille sont Vova, Silas et Serapion Strashilka. Trois têtes et six bras.
« Silas est le plus âgé, explique Ryan, il a vingt-sept ans et déjà quatorze ans d'expérience derrière lui. Il est un tueur à gage renommé qui sait faire preuve de discrétion et on dit de lui qu'aucune porte, ni aucune fenêtre ne peut lui résister. Il se glisse dans n'importe quelle pièce et quand il atteint sa cible, il cause un véritable carnage avec sa signature : les ongles de sa victime peints avec son propre sang. »
Ensuite, Ryan dresse les portraits de Vova et Serapion. Serapion est âgé de vingt-trois ans et est le plus volcanique de ses cousins. Il tue ses victimes en les frappant à mort et il est surtout passé maître dans les règlements de compte. Si on manque de respect à la famille Strashilka, alors Serapion viendra faire taire les mauvaises langues à tout jamais. Il est celui qui inspire la terreur et se lance à corps perdu dans des bagarres sanglantes ou la seule règle, c'est tuer ou être tué.
Puis il y a Vova, le plus jeune, âgé de vingt ans. De ce que Ryan en sait, Vova est un sadique qui accomplit les vengeances d'autrui avec une créativité des plus morbides. Ses tortures ont donné lieu à des rumeurs atroces, au sein des Abysses et personne ne veut être sa victime. Vova est aussi réputé pour être un menteur et un manipulateur particulièrement doué. C'est lui qui négocie les affaires et ce sera donc sûrement à lui que Fawkes et Ryan devront s'adresser.
« La famille a beau être riche, elle aime l'argent, mais elle aime surtout le frisson du danger. Si une mission n'est pas assez intéressante à son goût, elle la refusera. Sauver la cheffe du cartel des Typhons leur donnera du pouvoir. Quand la famille voudra que le cartel rembourse la dette, nous ne pourrons pas refuser, Fawkes. Mais ça en vaut la peine…
— Dans tous les cas, il ne faut pas espérer bénéficier de leurs services si on ne compte pas respecter nos engagements. C’est en effet très risqué, mais… si eux ne parviennent pas à nous aider à sortir Titan d’Odrialc’h, je suppose que personne ne le pourra… »
Le renard a déjà bu son breuvage, mais il tapote le fond du verre pour faire couler les dernières gouttes dans sa gorge.
« C’est donc Vova qui nous fera face. Méfiance sera de mise, je ne sais pas si je te serai très utile, mais je ferai de mon mieux. »
Fawkes est bien meilleur traqueur et exécuteur que négociateur. Son truc à lui, c’est pas vraiment de parler, alors il ne voit pas ce qu’il pourra faire pour aider Ryan, mais si elle dit avoir besoin de lui, il ne lui fera pas défaut. Peut-être sa simple présence suffira à lui donner la force d’affronter ce type sadique. Bien entendu, Fawkes a déjà entendu quelques histoires à propos des cousins Strashilka, mais il sait aussi qu’il faut se méfier des histoires qu’on raconte et qu’on entend. Elles sont souvent exagérées et rarement empreintes de vérité.
« Tu sais où et comment les trouver ? »
Ryan hoche la tête. Oui, elle sait. Mais quand la famille Strashilka les recevra, elle et Fawkes, ils ont tout intérêt à venir bien préparés car comme tous les meurtriers, ils ont horreur de perdre du temps.
« Lâchez-le. »
Rose sent la main glacée de Maître Candice se refermer sur son bras. Incapable de tenir sur ses jambes blessées, la poigne de la fée lui fait mal à le maintenir droit, chancelant comme un homme âgé. Son regard opalin est rivé sur le visage de Valkyon. Le guerrier blessé a peur, Rose peut le sentir. Maître Candice fait cet effet-là à tout le monde, comme un ennemi invulnérable qu'aucune épée ne peut pourfendre, parce qu'on ne peut pas l'atteindre. Trop rapide, trop cruel, trop puissant, trop meurtrier.
Rose voudrait secouer la tête, lui faire comprendre que jouer sa vie contre une fée Milliget pour le sauver n'en vaut pas la peine, car il n'est qu'un dava. Il a été élevé pour être un dava, alors il doit embrasser sa destinée sans se plaindre. Mais après avoir servi de parchemin de chair pour le traité de Polaris, il veut dire quelque chose. Il veut demander à Maître Candice d'épargner la vie de Valkyon. Que lui et Nevra soient placés sous la protection des fées.
Seulement, il doit lutter pour ouvrir la bouche. Tout son corps est entravé par des chaînes invisibles, en plus de l'étau glacé de Candice Milliget et il a l'impression que tout son être, sous sa chair, a envie de hurler. Il en veut à la magie ancienne des fées de le maintenir prisonnier ainsi, et si Valkyon meurt sous ses yeux, alors il veut être un dava qui ne respire plus.
« Est-ce que tu viens de me toucher ? » menace Candice.
C'est un avertissement qui n'en est pas un. Dans sa tête, la fée Milliget a déjà décidé et les secondes suivantes seront décisives, car elles marqueront le temps d'un couperet en train de tomber. Rose voit le bras de Valkyon en train de trembler, mais le Chef de l'Obsidienne tient bon. Il a de l'expérience, il sait qu'il n'a aucune chance, seul et désarmé face à une fée qui a récupéré sa puissance. Pourtant, quand il se remet à parler, sa voix ne tremble pas :
« Vous vous attaquez à un citoyen de la cité d'Eel, qui est aussi un patient de cet hôpital. Ce que vous êtes en train de faire est un enlèvement.
— Tu ferais mieux de fermer ta gueule avant que je ne perde patience, trouak. »
Soudain, Rose retient son souffle quand il est manipulé comme une poupée de chiffon. Lorsqu'il comprend que Maître Candice veut exhiber ce qu'il s'est infligé en gravant le traité de Polaris dans sa chair, il se sent mourir. Il se sent devenir un morceau de viande, incapable de s'exprimer, entre les bras glacés d'une fée qui n'a que faire de lui, si ce n'est le transformer en outil et le jeter quand elle n'en aura plus besoin. C'est quand les courbes sanglantes de la langue des fées sont ainsi dévoilées à Valkyon que Rose suffoque. Il sait à quoi ça ressemble et le Chef de l'Obsidienne le sait aussi : ce sont des marques, des entailles qui ont versé des larmes rouges le long d'une jambe pâle et même quand ça cicatrisera, Rose en portera les stigmates toute sa vie.
« Tu vois, ça ? crache Candice, c'est le choix d'un gentil et loyal petit dava qui s'est intelligemment soumis à l'espèce souveraine. Sa vie appartient aux fées. Elle m'appartient et si tu ne retires pas ta main, je vais détruire la tienne.
— Non. » souffle Valkyon.
Rose ferme les yeux. Sa poitrine se gonfle pendant que son crâne commence à bourdonner. Il somme à son corps de se défaire de ses liens magiques, tant pis si cela le blesse, mais il veut partir. Le contact de la peau de Maître Candice le répugne, tout comme ses paroles pleines de poison ou sa manière d'exhiber sa cuisse blessée, comme s'il n'était qu'un familier. Ses muscles gémissent, la douleur court le long de ses nerfs mais quand il se débat, peu importe combien ça lui fait mal, il finit par faire basculer son poids sur ses jambes blessées avant de tomber à genoux sur le sol, incapable de supporter la souffrance. Là, il se traîne jusqu'à Valkyon, tremblant de tous ses membres, puis redresse le buste. Son vêtement d'hôpital lui colle à la peau, comme si la fièvre s'était emparée de son corps et ses cheveux forment une auréole folle autour de son visage fatigué. Le souffle court, il lève la tête vers Maître Candice avec une lenteur infini, puis plonge dans ses yeux gris. Il est en colère, c'est une évidence. Il a horreur qu'un bête faelien comme Valkyon ose lui tenir tête et encore moins que son dava se dérobe à son autorité pour ramper à terre comme un minaloo et espérer devenir un rempart suffisant entre le Chef de l'Obsidienne et un roi.
« Maih ata havshe, dava ? »
[Qu'est-ce que tu fais, dava ?]
Rose n'en sait rien. Il ignore si c'est sa raison ou sa volonté qui sont parvenues à le sortir de son silence léthargique, mais tout ce qu'il a à l'esprit, c'est qu'il ne veut pas que Valkyon meurt. Il sait aussi que c'est terminé. Maître Candice s'adresse à lui dans la langue des fées, alors si Rose lui répond, cela scellera son rôle d'adorateur des fées. Valkyon le verra comme le gentil et loyal petit dava soumis à l'espèce souveraine, capable de comprendre et de parler la langue de ses maîtres, puis de s'entailler la cuisse pour une guerre dont il se moque.
Bien sûr qu'il s'en moque, tant que ceux qui lui sont chers peuvent vivre.
Rose ne veut pas se retourner pour regarder Valkyon et lire la déception dans ses yeux ou pire : la trahison. Tout comme il refuse que Valkyon comprenne le moindre mot de ce qu'il va dire.
« Ina rathya, Hek… » dit-il avec difficulté.
Il a l'impression que deux mains invisibles lui serrent la gorge pour l'empêcher de parler. Mais il tient bon, se reprend, puis se corrige :
« Ina rathya, Qenndys. »
Il reste. Il brise sa laisse et il lui dit qu'il reste. Son esprit de dava lui voue toujours un culte parce qu'il n'en a que trop l'habitude mais dans sa poitrine, son ventre, son corps tout entier qui ressent et ne ment jamais, le brouillard a cessé de l'aveugler. Maintenant, il est prêt à affronter la tempête.
Le lit d'hôpital, retourné avec violence, provoque une véritable explosion de sons, comme si la pièce éclatait. Rose ferme brièvement les yeux alors que derrière lui, Valkyon lui a saisit les épaules, prêt à trouver une issue pour l'évacuer. Ou bien à le livrer.
Face à eux, Candice s'accroupit avec lenteur. L'air glacé autour de sa silhouette maigre est en suspens, comme s'il pouvait s'enflammer d'une seconde à l'autre et Rose est conscient qu'il vient de planter une graine de violence qui lui fleurira à la figure, mais il est prêt. Quand il regarde le visage de Candice, il n'est qu'une ombre aux yeux d'orage, alors que tous les muscles de son corps sont prêts à s'incliner sous le poids de sa rage. Même son vêtement d'hôpital n'arrive pas à le rendre moins impressionnant et ses ailes, elles, se dressent, brillantes, malgré la chaleur des lieux qui doit les écraser.
Après un lourd silence, la fée Milliget se met à siffler, menaçante, dans sa langue :
« Tu as oublié ton rôle ?
— Je ne peux pas vivre pour vous, répond Rose le souffle court, j'ai déclenché votre guerre. Tout ce que je souhaite, c'est que vous teniez votre promesse, cette fois.
— Cette fois ? »
Il dit, avec la plus grande des arrogance, qu'il n'a jamais failli à ses promesses. Que tout ce que ses dava avaient à faire, c'étaient de protéger leurs propres vies et que ça n'avait rien d'insurmontable, avec un minimum de matière grise entre les oreilles. Mais lui, souverain originel, il n'a jamais menti. Il a promis la protection des fées et il l'a donné.
« Noll, Qenndys. »
Rose secoue la tête. Non. C'est faux. Que ce soit lui-même ou bien Nelladel, quand il ne les a pas abandonnés, il les a entraînés dans sa chute. Le jeune vampire se redresse avec peine. Il sent son cœur battre beaucoup trop vite, au creux de sa poitrine et il sait que c'est l'œuvre de la peur qui entre en conflit avec ce qu'il exprime.
Depuis qu'il s'est mis au service de Candice Milliget, aujourd'hui est le premier jour où il s'adresse à lui avec sincérité et même si cela le terrifie, il ne peut plus s'arrêter de parler. Rose se demande si parmi les autres Milliget, quelqu'un a déjà été vrai avec Candice ou bien si personne n'a jamais osé.
« Je me suis toujours demandé pourquoi vous vouliez régner sur les ordures, puisque vous nous détestez tant.
— Tu sais pourquoi, crache Candice, tu veux qu'on en parle maintenant ?
— Noll. Je voulais juste dire que j'ai supporté votre haine assez longtemps. J'avais assez de la mienne, envers moi-même. Je n'avais pas besoin de la vôtre. Je vais rester ici.
— Noll. Pas si je le décide autrement. Tu veux m'affronter, dava ? »
Rose s'affaisse quelque peu. Il s'y attendait. Il savait que Candice refuserait de laisser un dava lui tenir tête et si jamais il l'emmène de force, le jeune vampire s'attend à payer son affront plus tard. Dans son esprit, il se revoit en train de tracer les symboles du traité de Polaris, encore et encore, la peur au ventre, redoutant la moindre erreur mais surtout la tempête glacée qui viendrait lui hurler à la figure. Ce jour-là, Candice lui a dit des choses atroces et face au mutisme de Rose, il lui a posé la même question.
Tu veux m'affronter ?.
Peu de gens peuvent l'affronter en espérant gagner et le jeune vampire ne fait pas partie de ceux-là, encore moins dans son état. Mais Rose a religieusement appris, pendant les cinq années où il s'est soumis à Candice, tout ce que ce dernier a voulu lui inculquer.
« Je ne peux pas vous affronter, Qenndys. J'ai déclenché votre guerre. Je voudrais simplement que vous teniez vos promesses.
— Si tu restes ici, il n'y a plus de promesses. Tu mourras avec les autres quand je détruirai cet endroit !
— La reine, votre mère, et la princesse des goules voudront savoir où se trouve le dava qui a gravé les symboles du traité dans sa chair. Si vous ne voulez pas tenir vos promesses, je leur demanderai. »
La gifle glacée qui a ponctuée sa déclaration lui donne l'impression que son crâne va exploser, surtout lorsque le sol lui en rend autant. Rose a l'impression que la peau de son visage s'est détachée pour le laisser à vif. Sonné, ses oreilles se mettent à siffler alors que les sons de la grande pièce de l'hôpital d'Albacore se changent en cacophonie. Son cœur bat trop fort, mais Rose se demande surtout pourquoi il bat encore. Avec ce qu'il a dit, il a atteint le point de non-retour et Candice devrait avoir mis un terme à sa vie. Un hurlement suraigu lui crève les tympans. Le jeune vampire plaque ses mains de chaque côté de son visage, avant de perdre l'équilibre et de glisser en avant. Il entend la voix forte de Valkyon crier aux patients d'évacuer les lieux et Rose réalise qu'il s'est mis debout pour faire face à Candice.
Quand il s'aide de ses bras pour se redresser, le grand faelien peine à se tenir debout. Son dos est luisant de sueur, ses bandages sont en train de se défaire et sa respiration est pénible. Le jeune vampire écarquille ses yeux opalins, le visage brisé par l'inquiétude et la terreur lui attrapant les entrailles. Dans sa tête, la scène horrible de Candice en train d'abattre Valkyon en perçant un trou dans son crâne se joue encore et encore, pire lorsque la fée Milliget l'attrape par le cou.
La main de Rose se referme sur le tissu de son pantalon d'hôpital alors qu'un cri passe la barrière de ses lèvres.
« Ça va aller, Rose. »
Valkyon est calme. Trop calme. La pièce de l'hôpital, désormais vide des patients qui ont pu fuir, va peut-être devenir l'antre d'une Albacore rouge, petite sœur d'une Eel qui n'est plus la cité blanche. Rose, les yeux humides, ne peut que jouer son rôle de témoin malheureux. Il ne peut rien faire. Il ne peut que regarder Valkyon en train de lever sa main gauche pour attraper le poignet de Candice.
« Ça va aller, répète-t-il dans un souffle.
— Et si j'écrase ta gorge, tu vas peut-être finir par la fermer. » gronde Candice.
Mais Valkyon tourne la tête. Son visage fatigué plonge ses yeux d'or dans le regard de Rose alors qu'il lui adresse un faible sourire. Le jeune vampire ouvre la bouche pour lui demander de partir, pour le supplier de fuir. Ça n'a plus d'importance, qu'il revienne sur ce qu'il a dit plus tôt et qu'il suive docilement la fée Milliget en acceptant la punition qu'il lui réserve, si Valkyon reste en vie. Là, quand il lui fait face, il ne voit qu'un homme qui est prêt à accepter la mort.
« Les siens ne tuent pas les miens. »
Avec lenteur, Valkyon lève sa main droite. Sa grande main déplie ses cinq doigts puis, sa paume se scinde en deux dans un bruit de chair modelé. Sous le regard stupéfait de Rose, son pouce s'allonge, son bras se tord, ses os prennent des angles improbables, sous le commandement d'un esprit capable de sculpter son propre corps, à condition de posséder un héritage de la chair et du sang.
Le visage de Candice se fend de surprise :
« Mathalla.
— Nous sommes déjà si peu nombreux, lui indique Valkyon d'un ton très calme, nous avons subi la guerre, comme vous.
— Et te voilà avec les ennemis. » siffle Candice.
Sa main se resserre autour du cou de Valkyon, mais Rose peut voir que son visage est blême, sous le choc de la révélation. Le jeune vampire, lui, sent ses les siennes trembler. Il observe Valkyon à la dérobé, comme s'il le rencontrait pour la première fois de sa vie et quand il regarde sa main droite reprendre son apparence ordinaire, il secoue la tête comme si ce qu'il venait de voir n'était pas réel.
Mathalla. Chimère. Des créatures qui vivaient dans un royaume inaccessible pour les autres espèces, car inatteignable. Des êtres capables d'emprunter l'apparence d'autrui à condition d'avoir ingéré leur chair ou un de leurs cheveux, ou bien d'avoir eu recours à l'acte d'accouplement. Rose se met à trembler. Ouvrant de grands yeux opalins, il se demande ce qu'il est advenu du véritable Valkyon. Si ce grand faelien si bon, noble et gentil dont il est tombé amoureux a toujours été une chimère ayant emprunté son corps ainsi que son visage, ou bien s'il a été lui-même. Le vrai lui, mort pendant la chute d'Eel, avant de se faire voler son identité par une chimère en quête d'une cachette.
Non. Il n'y croit pas. Après son réveil, Valkyon était lui-même. Authentique. C'était lui, avec sa façon de parler, la douceur et la bonté se dégageant de son grand corps, puis ses souvenirs de la catastrophe qui étaient exacts. Tous ceux qui lui ont rendu visite à son chevet n'ont rien remarqué d'étrange et même Balam, si observateur, n'a eu aucun soupçon. Non, c'était lui.
C'était Valkyon depuis le début, depuis l'arrivée de Rose à Eel, quand il avait quatorze ans, jusqu'à maintenant. C'était la chimère sous son apparence.
« Lâchez-moi, demande Valkyon le souffle court.
— Wogab ! s'emporte la fée Milliget, traître à ton espèce ! Traître à mon peuple qui vous a protégé ! Tu sers les barbares ! Tu as osé te dresser contre moi ? Contre une fée pendant que j'écrasais cette putain de cité ? »
Valkyon est projeté au sol avec violence. Rose tend la main, mais ne peut rien faire. Candice hurle dans sa langue qu'il est pire que les déchets, pire que les barbares qui détiennent les anciens et les enfants de son peuple, pire que tout et qu'il mérite la mort. Pendant qu'il hurle, il frappe. Il blesse et Rose ne peut qu'attendre, impuissant, le moment où sa mâchoire se disloquera. Candice percera un trou dans le front de la chimère et Rose ne pourra que hurler.
Mais la tempête se calme. Elle a fait voler un nuage de poussière, brillant sous la lune et quand il y a enfin un signe de vie, Rose peut respirer de nouveau.
Valkyon se met à tousser. Il se redresse avec difficultés, puis fait face à la fée Milliget. Deux espèces originelles se regardent, l'une, trahie et haineuse, l'autre, paisible et presque résignée.
« Vous ne pouvez pas me blâmer d'avoir trouvé refuge.
— Et alors quoi ? s'écrit Candice, tu n'avais pas le choix ?
— J'ai fais ce que j'ai pu, il y a douze ans, pendant une guerre atroce aux Îles du Qi. Il était là. Il avait une horrible blessure à l'abdomen. Il agonisait. Alors j'ai pris l'un de ses cheveux pour sauver ma propre vie. »
Rose sait à quoi il fait référence. Il s'agit de la bataille des Sables Rouges, douze ans plus tôt, quand Odrialc'h avait envoyé ses soldats massacrer la population des Îles du Qi qui refusait de se soumettre. Valkyon avait vingt-cinq ans et c'est donc à cet âge-là qu'il est mort. La chimère devait posséder les traits d'une personne de la population locale et pour sauver sa vie, elle est passée dans le camp ennemi. Rose se demande qui elle était, avant d'emprunter le visage de Valkyon. Comment elle a pu reproduire ses capacités en combat, comment elle a pu tromper la Capitaine Shakalogat Gra Ysul, simple soldate à l'époque.
Candice fond sur Valkyon pour lui attraper les cheveux puis lui susurrer, menaçant :
« Une nouvelle guerre va bientôt éclater, mathalla. Choisis bien ton camp, cette fois. Si tu te dresses devant moi, je te déchirerai le visage et tu ne pourras plus te cacher.
— Et qu'en dit l'ancien roi ? » demande péniblement Valkyon.
Rageur, Candice attrape un tabouret pour le lancer à travers une fenêtre, provoquant un vacarme assourdissant. Rose se protège la tête de ses mains pendant que des bris de verre coulent sur sa silhouette, lui offrant des coupures au passage.
« C'est pour sauver l'ancien roi que je fais ça ! s'époumone la fée Milliget, tu verras, traître à ton espèce ! Quand les fées et les goules seront ici, ma mère sera forcée de me donner la couronne et j'écraserai tous les barbares jusqu'à ce qu'on me rende mon peuple.
— Et Rose ? Quel est son rôle dans tout ça ? »
Le jeune vampire sent son coeur se serrer. Quand il croise le regard de Valkyon, moult émotions s'entrelaçent pour former un tout qu'il est incapable de nommer. C'est lui et ce n'est pas lui, c'est celui qu'il a toujours connu, mais avec le visage d'un faelien qui est mort pendant la bataille des Sables Rouges, c'est celui dont il est amoureux, mais… Rose fixe son visage, ses traits marqués par son altercation avec Candice, l'absence de jugement dans ses yeux d'or et ce devoir qu'il n'a pas pu accomplir pendant la catastrophe de l'Eel rouge, mais dont il veut toujours s'acquitter aujourd'hui. C'est le faelien. Non : c'est la chimère dont il est amoureux.
« Ce petit dava ingrat a appelé ma guerre en gravant le traité de l'ancien roi dans sa chair, jubile Candice, et même s'il ne veut plus jouer son rôle, ce n'est pas important. Les fées et les goules vont marcher jusqu'ici.
— En échange de quoi ?
— Il devait protéger les gens qui me sont chers. Celui qui grave le traité dans sa chair est placé sous la protection du peuple des fées, avec sa famille. »
Rose serre les poings. Il ferme les yeux si forts que des larmes perlent au coin de ses paupières et quand il les ouvre de nouveau, c'est pour se confronter au visage colérique de la fée Milliget et à celui, incrédule, de Valkyon.
« Je n'ai que ma mère, reprend Rose d'une voix hachée, mais je voulais que les deux autres personnes qui comptent le plus pour moi puissent être en sécurité aussi.
— Et la catastrophe d'Eel, Rose ? demande Valkyon d'une voix sereine, c'était pour quelle raison ? »
Le jeune vampire écarquille ses yeux opalins. Il ouvre la bouche, hésitant, la vérité se bousculant avec des mensonges dont il aimerait donner vie, à travers ses paroles, juste pour que Valkyon ne le déteste pas. Il ne veut plus avouer qu'il comptait mettre Candice Milliget sur le trône, en espérant sa protection ainsi que la fin de la conquête terrienne. Il ne veut pas avouer qu'il a fait une erreur. Qu'il a remis sa propre souveraineté entre les mains d'un faux roi plutôt que de devenir plus fort par ses propres moyens et ainsi protéger ceux qu'il aime. Il se refuse d'admettre qu'il a entraîné Nevra avec lui et que ce dernier l'a suivi par tendresse fraternelle ou bien par ennui pour sa vie aisée. Il n'en sait rien. Rose est honteux. Pourtant, il refuse de fuir. Il soutient le regard de Valkyon, puis il secoue la tête en lui demandant pardon.
Ce dernier se redresse, s'accrochant au mur afin de se mettre debout, puis il se confronte à Candice, prêt à attaquer.
« Votre guerre ? lui demande Valkyon d'un ton grave, très bien. Mais dans ce cas, voyons ça avec les hautes instances. Saccager un hôpital et terroriser un village n'est pas digne d'un futur souverain.
— Tu veux te battre à la loyale contre les fées et les goules ? raille Candice, très bien. Tu as choisis ton camp. Je te détruirai sur le champ de bataille.
— Je suis le Chef de la Garde Obsidienne. Je protège les civils et les personnes qui comptent pour moi. »
La fée Milliget lui répond un sifflement dédaigneux. Elle fait volte-face pour jeter un regard assassin à Rose, avant de cracher à ses pieds en grondant que c'est tout ce qu'il mérite, puis il lui intime :
« Remets-toi bien sur tes jambes, ozna, que je puisse t'étriper dans les règles. Quand ce sera fait, j'éclaterai la cervelle de ta mère bouffée au tap ! »
Puis il s'en va et Rose le suit du regard. Il va trouver les hautes instances lui-même pour annoncer sa guerre et si le jeune vampire songe qu'il a peut-être fait une erreur en invoquant le traité de Polaris, il se raisonne en pensant que Candice n'est pas roi. S'il doit sauver Nevra en argumentant avec la protection du peuple des fées, alors c'est à Delta Milliget qu'il doit demander et elle ne pourra pas refuser.
Il a un sursaut quand il réalise que Valkyon s'est approché. Il a souffert, mais il tient bien et il est en train d'examiner les coupures que les morceaux de verre ont laissé sur la peau de Rose. Le silence les enveloppe. La grande salle de l'hôpital est devenue l'antre de secrets qui se sont dévoilés et ni la chimère, ni le traître qui a tout avoué n'osent se mettre à parler. Pourtant, avec une très longue minute, Valkyon finit par prendre la parole :
« Rose. » l'interpelle-t-il.
Le jeune vampire lève les yeux vers lui. Valkyon n'est ni en colère, ni déçu. Dans son regard d'or, il y a une sagesse infinie, si bien que Rose se demande si son âge véritable ne serait pas proche du siècle.
« Vous avez été très courageux, reprend la chimère.
— Non.
— Vous avez fait face à une fée et vous avez avoué. Presque avoué. »
Rose pince les lèvres, l'une de ses mains se crispant sur sa jambe blessée.
« Vous aussi, souffle-t-il.
— Oui, moi aussi. »
Est-ce que Joseph sait ? Est-ce que Nevra sait ? Rose en doute fortement. Valkyon, la chimère, peu importe comment elle se nomme réellement, a dû enfouir ce secret en lui pendant douze ans, de peur que les autres faeliens soient effrayés par sa véritable espèce. Les chimères sont des mythes, au même titre que les hauts-elfes ou bien les daemons, quand les fées n'inspirent que la terreur ou bien une fascination morbide.
« Est-ce que vous garderez le secret, s'il vous plaît, Rose ? »
C'est une demande qui prend le ton d'une supplication. Comme plus tôt, quand il faisait face à Candice, Valkyon est résigné. Il s'est produit ce qui s'est produit et si Rose se met à parler de ce qu'il est, alors il n'y pourra rien. Mais Rose hoche la tête. Il scelle une promesse : il ne dira rien et la chimère lui sourit. Elle lui dit merci. Elle lui dit merci et au cœur de cette grande salle ravagée par la rage de Candice, elle lui propose la rédemption, juste avant la guerre.Les Choix
Rose a réussi à faire face à Candice et à se libérer de sa condition de dava, mais cela n'a pas été sans conséquence. Néanmoins, Valkyon n'a pas été tué et au cours de l'altercation, Rose a appris qu'il était en réalité une chimère. Il lui a promis de garder son secret et cette promesse lui a valu une demande des plus particulières : tout reconstruire, malgré les erreurs.
Mais comment Rose peut-il tout reconstruire ?
➜ Se libérer définitivement des fées pour reprendre sa place au sein de la Garde d'Eel. Il donnera toutes les informations qu'il possède sur les fées et leur fera face pendant la guerre.
➜ Utiliser le traité de Polaris à son avantage en rencontrant Delta Milliget. La reine des fées ne veut peut-être pas mener la guerre et avec elle, il est peut-être possible de trouver un terrain d'entente. Si Rose se propose en tant que médiateur, il peut éviter la guerre de Candice et faire libérer Nevra.
➜ Se placer sous la protection des fées grâce au traité de Polaris mais faire en sorte que Candice n'ait jamais accès à la couronne en dénonçant tous ses méfaits à Delta Milliget et au reste de la famille.
➜ Se ranger du côté d'Odrialc'h en partageant toutes les informations qu'il possède afin d'essayer d'en savoir plus sur les anciens et les enfants des fées retenus comme otages. Si Rose parvient à découvrir où ils se trouvent, alors il lui sera possible de faire mettre les agissements d'Odrialc'h en lumière et peut-être même de faire tomber les Docteurs Becs.
➜ Ne rien reconstruire du tout. Seulement se venger des fées et de Leiftan.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Après avoir pu enfin dormir, June se réveille le lendemain alors que la journée est bien entamée. Son père est rentré à la maison et June peut l'entendre discuter avec Helouri. Nelladel n'est plus là.
Lorsque tu seras prête, Mayashiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Ryan et Fawkes se sont mis d'accord pour contacter la famille Strashilka, afin d'engager l'un des trois cousins afin de libérer Titan. Une fois rentrés à Odrialc'h, il leur faut donc descendre au douzième sous-sol des Abysses.
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contacte-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
Je suis ravie de vous retrouver sur ce chapitre dix-sept que je suis bien contente de vous livrer ! Navrée encore pour le retard mais en plein période d'été, mon planning est plus instable.
Comme vous allez pouvoir le lire, MayaShiz et Waitikka ont bien usiné en matière de RP ! Cependant, je tiens à vous prévenir, comme d'ordinaire : attention, des sujets très sensibles sont évoqués, en plus d'un langage plus que cru ! Si vous vous savez sensibles à ce genre de choses, alors faites attention durant votre lecture, ou bien ne lisez pas.
Cependant, j'espère que vous allez apprécier ce chapitre malgré tout ! Je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 17 - Le Mythe de l'Androgyne
Réveil de June au foyer des Ael Diskaret
C’est une sorte de bourdonnement qui la sort lentement du sommeil de plomb dans lequel elle était plongée. June papillonne des yeux et met de longues minutes à se rappeler comment elle a atterrit sur le canapé du salon. Sa bouche est plus sèche qu’un vieux parchemin, son corps la fait souffrir à chaque contraction de muscle, sa tête est lourde et la lance affreusement. La jeune femme se rend compte qu’elle a dormi recroquevillée, comme si elle n’avait pas voulu occuper tout l’espace disponible. Quelqu’un était là, lui souffle son cerveau embrumé.
June se redresse légèrement. La couverture qu’on a posée sur elle glisse au sol, alors qu’elle passe une main lasse sur son visage en essayant de remettre les éléments dans l’ordre. Machinalement, elle tourne la tête à sa droite, et constate qu’elle est bien seule sur le canapé. Elle souffle par la bouche et étouffe une quinte de toux dans sa main, avant de triturer ses cheveux emmêlés. Ça lui revient, ça y est. Quand elle s’est affalée sur le canapé pour se laisser emporter par le néant, elle se trouvait en compagnie de Nelladel. L’elfe n’est nulle part, mais June décrète qu’elle verra ça plus tard. Peut-être que la garde d’Eel est déjà venue l’emporter, auquel cas, elle ne peut rien pour lui. De toute façon, elle en a assez d’essayer de sauver les miches de prétendus alliés qui lui apportent plus de problèmes que de solutions, alors à l’instant, Nelladel Séquoia est le dernier de ses soucis.
La jeune femme pose ses pieds au sol et inspire longuement, tandis que le bourdonnement se précise. Elle reconnaît des voix, deux. Celle de Joseph, grave et posée, et celle d’Helouri, fluette, claire, fragile. Fragile. June esquisse un rictus. Elle sait qu’elle ne devrait pas en vouloir à Helouri d’être ainsi, mais la veille - si tant est que le soleil ait fini par se lever - il l’a laissée se débrouiller seule, et elle n’aurait pas craché sur un peu d’aide. Elle se lève avec difficulté, la langue pâteuse, et s’approche en silence pour écouter ce que disent les deux autres occupants de la maison.
« Tu as eu peur, tu as été enlevé, tu aurais pu connaître le pire, si June n'était pas intervenue. Personne ne peut te reprocher d'avoir eu peur, Helouri, et le courage qu'il te manque, c'est… »
Joseph pousse un long soupir. C'est toujours le même discours. Toujours le même constat. Toujours le même drame qui se répète, comme quand Helouri avait voulu se jeter dans l'eau, pendant les sélections, parce qu'il en avait assez de se trouver faible. Mais il est faible, et les derniers événements l'ont prouvé une nouvelle fois. Il n'a pas su agir. Il n'a pas su quoi faire. Il était redevenu un enfant qui avait tout oublié et sans personne pour le guider, il serait resté au beau milieu du chaos comme un idiot.
« Ce n'est pas de ta faute, reprend Joseph, c'est la nôtre. Ta mère et moi, nous t'avons bien trop protégé à cause de ta malformation aux branchies. Nous ne t'avons jamais laissé faire quoi que ce soit par toi-même. Nous pensions qu'avec beaucoup de repères, tu t'en sortirais, mais en réalité Helouri, ce sont des murs que nous avons dressés autour de toi.
— J'aime bien ces murs, souffle son fils en fixant le bois de la table, ça me convient de vivre comme un lâche, papa. Ça me va bien.
— Personne ne peut vivre comme ça toute sa vie, Helouri. Si ta sœur avait choisi de vivre comme une lâche, où est-ce que tu serais, en ce moment ? »
Le jeune morgan lève subitement la tête pour le fixer avec de grands yeux d'argent. Il ne veut pas penser à l'endroit où il serait, si June n'avait rien fait pour le sauver. Il ne veut pas songer qu'il se tiendrait dans un lieu glauque, à Odrialc'h, avec des personnes ignobles qui lui feraient des choses ignobles.
« June n'est pas comme moi, se défend Helouri en secouant la tête.
— Pourquoi n'est-elle pas comme toi ? demande doucement Joseph.
— Parce qu'elle est forte.
— Pourquoi est-elle forte ? »
Helouri hausse les épaules. Il n'en sait rien. June est forte. Elle a toujours été forte, à ses yeux, si bien qu'il a toujours pensé qu'elle était née ainsi. June est née forte et il est né faible. C'est comme ça.
Adossée de l’autre côté du mur, les yeux levés vers le plafond, June écoute leurs constats en silence. Helouri ne comprend pas comment fonctionne le monde, car même si certaines personnes naissent avec un don pour ne pas se laisser battre par la vie, personne ne naît fort. Ni Sexta Stocker, ni Candice Milliget, ni la Capitaine, et encore moins elle-même. Elle est devenue moins faible par la force des choses, parce qu’à choisir entre être esclave de son destin ou en prendre les rênes, elle préfère décider seule du chemin que prendra son existence, mais elle ne s’estime pas forte. Maligne, têtue et avec un don certain pour se fourrer dans les ennuis, mais pas forte.
Un autre jour, June aurait pénétré dans la pièce en esquissant un sourire, pour venir entourer les épaules de son petit frère d’une étreinte rassurante. Elle lui aurait sans doute tenu un long discours à propos de ses qualités, de l’importance d’être ce qu’il était et de ne pas se dénigrer quand il se comparait aux autres. Aujourd’hui, elle se contente de pousser un soupir léger, mélange de déception, de colère et de résignation. Helouri est faible, oui. Hier, elle aurait aimé qu’il devienne un peu plus comme elle, et un peu moins comme lui.
« Et moi, tu penses que je suis fort depuis ma naissance ? Et ta mère ? » demande Joseph.
Il est épuisé. Cette nuit a été épuisante et le carnage qu'il a trouvé à l'hôpital d'Albacore lui est apparu comme une tragédie. Par bonheur, Valkyon Batatume allait bien, bien qu'il lui ait avoué avoir eu la peur de sa vie. Même une force de la nature comme lui, Chef de l'Obsidienne, a ressenti de la peur face à une fée profondément belliqueuse.
Joseph sait qu'aux yeux d'Helouri, lui et sa mère sont des modèles. Ce sont des personnes qui s'en sortent peu importe la situation et même si Cristal n'est pas une combattante, elle a su trouver le moyen d'apporter sa petite pierre à l'édifice en allant chercher des médicaments à Amzer. Elle a pensé au mieux, parce qu'elle n'a pas eu le choix et parce qu'elle est une mère de famille qui s'inquiète pour ses enfants, tout comme elle est une épouse qui s'est sentie mourir quand elle a cru que son mari ne reviendrait jamais vivant de l'Eel rouge.
« Tu sais, reprend le grand morgan, il y a vingt-quatre ans, je me rendais à la fête de la Mer. Celle qui a lieu tous les ans, à Amzer. Là-bas, il y avait la plus belle de toutes les morgans. C'était la fille du prêtre de l'océan et tout le monde voulait danser avec elle. Tout le monde voulait lui parler, tout le monde voulait se faire remarquer mais moi, je n'avais d'yeux que pour la fille du pêcheur de perles. Tu sais pourquoi ? Parce que ta mère, Helouri, elle rayonnait la bonté et l'amour. Pour moi, elle rayonnait cent fois plus que la beauté de la fille du prêtre de l'océan et je savais qu'auprès d'elle, peu importe la difficulté des épreuves que je devrai surmonter, je saurai puiser ma force dans son amour. C'est comme ça, que l'on devient plus fort. »
On puise sa force dans l'amour de sa femme, dans celui de son mari, de ses enfants, de ses parents, de son frère ou bien de sa soeur. On se bat pour protéger cet amour, protéger son foyer, sa famille, son peuple et peu importe ce que la vie peut souffler comme bataille, quand on a un endroit où rentrer avec des gens chaleureux, quand on a un endroit où on est attendu, on est capable de devenir plus fort.
« Avant d'arriver à Eel, June n'était pas aussi forte que maintenant, Helouri, explique Joseph, elle faisait de son mieux, comme elle l'a toujours fait. Puis elle t'a rencontré, toi, elle nous a rencontré et si elle a pu fleurir et s'épanouir, c'est parce qu'elle a eu un endroit où rentrer avec des gens qui l'aiment. Et moi, si j'ai pu devenir encore plus fort, c'est parce que la vie a pu m'apporter un second enfant en plus d'une épouse et d'un fils. Sans toi, sans ta mère et sans June, je ne suis pas un homme, Helouri. Juste un morgan. C'est pour toi, pour June et pour ta mère que je me sens capable de lever mon épée en pensant à vos vies avant la mienne, parce que je vous aime plus que moi-même. »
Derrière son mur, June esquisse un sourire plus doux. Peut-être que Joseph changera d’avis à son sujet s’il apprend tout ce qu’elle a fait ces derniers jours, mais à sa manière, elle aussi n’est personne sans eux. Sur ce point, même si les méthodes diffèrent, leurs objectifs sont semblables.
Lentement, la jeune femme se décolle de son appui pour passer l’embrassure de la porte. Elle entre dans la pièce et prend conscience qu’elle n’a pas enlevé son uniforme avant de s’avachir sur le canapé. Une moue fatiguée tord ses lèvres, alors qu’elle salue vaguement son père et son frère d’une main. Ses yeux améthystes rencontrent brièvement ceux de Joseph, mais elle détourne rapidement la tête pour fixer la table. Elle n’a pas envie qu’il y lise les réponses aux questions qu’il se pose, comme elle n’a pas envie de regarder Helouri, parce qu’elle ne veut pas qu’il y voit la colère, la déception et la résignation.
« Salut. » coasse-t-elle d’une voix rêche.
Puis elle va se servir un verre d’eau, avant de défaire la partie cuirassée de son uniforme afin de retrouver sa liberté de mouvement.
Joseph la salue avec un sourire pendant que Helouri pique un fard, son regard d'argent fixant ses mains qu'il trouve soudainement très intéressantes. Lorsque June vient s'asseoir à table avec eux, Joseph pousse une assiette de bois vers elle, avec du pain et du fromage.
« Mange, lui indique-t-il, j'aimerais te dire que nous allons passer une journée plus tranquille, mais c'est impossible. Néanmoins, tu as besoin de manger, j'ai besoin de dormir et nous avons tous besoin de nous laver. »
Elle ne se fait pas prier et avale le fromage sans prendre la peine de mâcher. Le pain rejoint son comparse dans l’instant, arrosé de grands verres d’eau destinés à apaiser sa gorge en feu. June manque de s’étouffer, tousse plusieurs fois puis, en terminant sa bouchée, se tourne vers son père et fronce les sourcils.
« Non pas que cha m’intéreche…»
Elle avale, s’essuie la bouche et reprend avec un peu plus de dignité, alors que sa main libre vient triturer ses cheveux.
« Désolée. Non pas que ça m’intéresse, répète-t-elle, mais je crois qu’il y avait un elfe sur le canapé quand je me suis effondrée. Je serais légèrement rassurée sur mon sort si tu pouvais me dire qu’il n’a pas mystérieusement disparu… »
Puis soudain, elle se souvient des paroles de Candice et pose les paumes sur la table, ses yeux tellement écarquillés qu’ils lui mangent la moitié du visage.
« Can… La fée ! Personne a attaqué la ville ? Quelqu’un est blessé ? Le Chef Batatume va bien ? Comment vous nous avez retrouvé ? On a des nouvelles du cartel des Typhons ? Et c’était quoi le problème hier soir ? Tu ne t’es pas interposé entre Candice et le Chef hein ? T’as rien ? »
Joseph lève une main pour interrompre le flot de questions. Pendant que June, Helouri et Nelladel Séquoïa avaient regagné le foyer des Ael Diskaret, énormément de choses se sont déroulées à l'extérieur. Joseph attendait que June se réveille avant de pouvoir aller se coucher, afin de la mettre au courant de la situation actuelle.
« Nelladel Séquoïa est actuellement enfermé dans le cellier. L'état de sa jambe a empiré, à cause des efforts physiques qu'il a fait hier. Il est actuellement inconscient. Le Chef Séquoïa est venu ici pour l'ausculter et il sera bientôt retransféré à l'hôpital d'Albacore, mais l'hôpital, June… »
Joseph secoue la tête, puis commence à lui récapituler la situation. L'hôpital a été partiellement détruit et tous les patients ont pu fuir, par bonheur. Mais quand Joseph s'est rendu sur place, il a trouvé Rose et Valkyon en mauvaise posture, avec des coupures sur la peau et assez choqués. Le Chef Batatume lui a relaté la confrontation avec Candice ainsi que ses promesses de massacres, et Joseph s'est demandé par quels miracles Rose et Valkyon étaient encore entiers. La salle d'observation où ils se trouvaient a été complètement saccagée.
« Je n'ai pas eu à faire face à la fée, bien heureusement, mais elle n'a pas encore quitté Albacore, June. Elle se trouve en ce moment même à la mairie, auprès de Miiko Yamamura et la Capitaine Gra Ysul et elle a décrété qu'elle ne partira pas tant que les siens ne marcheront pas sur Albacore, avec les goules. Elle a menacé de détruire le village tout entier si les hautes instances ne se pliaient pas à ses exigences.
June se détend un peu. Finalement, Nelladel aura bien terminé dans le cellier. Elle a une brève pensée pour sa jambe en mauvais état, puis soupire de soulagement à l’idée que Joseph n’ait pas eu à affronter de nouveau Candice. En songeant à la fée, June grimace. Décidément, pour quelqu’un qui veut devenir roi, Candice a de drôles de manières… Cela dit, elle n’est pas très étonnée. La jeune femme se renfonce dans sa chaise, tandis que ses mains s’apaisent pour venir simplement triturer le tissu de son uniforme.
« À croire qu’il ne sait faire que ça, détruire, grommelle-t-elle. Et dire qu’il y a des gens qui estiment que ce type est une espèce de dieu… »
Au moins, il n’a pas encore mis ses menaces à exécution. June baisse les yeux sur ses doigts sales, puis se mord la lèvre. En tuant Fuya, Candice s’est attiré la haine de Sexta Stocker. Sans doute la vampire estimera-t-elle la fée responsable de la mort de sa fille, mais elle doit en être certaine, alors elle se racle la gorge et demande, d’une voix maladroite :
« Et… En dehors du Chef Séquoïa, personne n’est venu ? »
Joseph secoue la tête. Personne d'autre. Les hautes instances ont bien assez à faire et la Capitaine essaye tant bien que mal d'empêcher un incident diplomatique alors que Miiko Yamamura se trouve impuissante. La cité est tombée, le village où ses citoyens ont trouvé refuge menace d'être rasée et une guerre va se présenter à ses portes, bientôt.
« La Capitaine et Dame Yamamura font ce qu'elles peuvent pour éviter toute violence, mais face à un ennemi pareil, je ne te cache pas que c'est très compliqué. Espérons que la reine des fées soit plus raisonnable car pour le moment, celle qui nous pose problème exige qu'Odrialc'h lui rende les anciens et les enfants de son peuple pourtant, la Capitaine affirme qu'Odrialc'h ne détient aucune fée. »
Joseph hausse les épaules et achève :
« Soit l'un est fou, soit l'autre ment.
- Ou un peu des deux. » réplique June en haussant les épaules.
D’après Nelladel, le cartel et Candice, le peuple des fées est bel et bien retenu à Odrialc’h, mais ils n’ont qu’une seule source : Candice lui-même. Et qui sait si la fée, dans ses délires mégalomanes, n’a pas grossi l’histoire pour recruter des partisans. June sait que sa mission, si Candice décide de ne pas détruire Albacore et elle avec, sera de s’infiltrer dans le palais pour rechercher les jeunes et les vieux du peuple des fées, mais elle n’a aucune certitude de les trouver et à vrai dire, elle se fiche bien de savoir ce sur quoi elle tombera là-bas.
Elle soupire et penche la tête vers le plafond.
« Est-ce que tu sais si Balam va bien ? s’enquiert-elle. Et si… quand, je vais être interrogée ? Je sens beaucoup trop mes muscles aujourd’hui pour subir un interrogatoire… »
Elle fait mine d’être détendue, de ne rien avoir à se reprocher, mais il n’en est rien. Cependant, June ne peut s’empêcher de jeter une pique au plafond qui la regarde, à l’intention d’Helouri qui a l’air de vouloir fusionner avec sa chaise.
« À cause du poids mort que j’ai porté toute seule, notamment. Mais au cas où quelqu’un se poserait la question, ça va, je vais à peu près bien. » grince-t-elle.
Près d'elle, le jeune morgan se ratatine sur sa chaise en grimaçant alors que ses longs doigts glacés se crispent. Il voudrait dire qu'il est désolé, mais ça ne changera rien, alors il se tait.
« Nous avons encore un petit peu de temps pour nous reposer, annonce Joseph, alors profites-en pour reprendre des forces, June. Tu devrais retourner dormir un petit peu dans un vrai lit. »
Quant à Balam, il va bien. Dans la partie de l'hôpital qui n'a pas été détruite, une grande salle a pu être réaménagée en urgence pour recevoir des patients. Les Le Preux ont prêté main forte au personnel soignant et Balam, toujours inconscient, a encore la chance de pouvoir se réveiller tranquillement. D'ailleurs, Rose et Valkyon ont également été transférés dans cette salle et Nelladel le sera aussi, bien que cela puisse rendre son frère malade.
« Pour le moment, je suis en attente d'instructions, poursuit Joseph, alors n'ouvrez à personne. Si quelqu'un frappe à la porte, j'irai moi-même. »
À présent, il n'aspire qu'à se laver, puis à aller se reposer. Le grand morgan a le sommeil léger alors quand quelqu'un viendra chercher Nelladel, il ouvrira l'œil et se lèvera.
« Vous devriez faire de même, conseille-t-il à ses enfants en se levant, faites votre toilette et dormez. Je pense que les prochaines heures et les prochains jours ne seront pas paisibles. »
Puis il disparaît dans le salon, avant de prendre la direction de la salle de bain. June continue de fixer le plafond, tandis que le silence laissé par Joseph se prolonge. Il s’étire, devient assourdissant, jusqu’à ce qu’elle finisse par le rompre d’un grognement agacé. June n’aime pas le silence, et celui-ci lui irrite particulièrement les nerfs.
« Bon, si tu n’as rien à dire, je vais aller vérifier que Nelladel respire toujours, si tant est que le cellier ne soit pas fermé à clé, et puis j’irais dormir. » ironise-t-elle.
Elle ne le regarde pas, mais elle aimerait bien qu’il réagisse, maintenant que Joseph n’est plus là pour les écouter.
Mais Helouri ne dit rien, alors elle se lève, agacée, jusqu'à ce que sa voix basse se fasse enfin entendre :
« J'ai eu peur. »
Helouri se cache derrière un rideau de boucles nacrées. Ses mains agrippent fermement le tissu de sa tunique, sale, détrempée par une sueur froide et acre. Il ne regarde pas sa soeur et il ne parle pas trop fort non plus :
« J'ai eu peur. Elle m'a dit qu'elle me vendrait à des pervers quand elle m'a enlevé, si tu ne faisais pas ce qu'elle disait. Je n'avais jamais vu quelqu'un se faire tuer, et puis… À la prison, c'était différent. J'avais peur mais je voulais t'aider. Là, je ne savais plus comment je m'appelais, je… »
Enfin, il relève les yeux vers elle. Il est désolé, mais il ne sera jamais comme elle :
« Je ne suis pas comme toi ni comme papa. Je ne serai jamais comme vous. Je ne peux pas faire ce que vous faites. »
June expire brusquement par le nez, avant de revenir vers lui à grandes enjambées pour agripper ses épaules.
« Je ne te demande pas d’être comme moi, quoi que ça veuille vouloir dire. » articule-t-elle distinctement.
Elle ne veut pas qu’il se transforme en un être capable de souhaiter la mort d’une personne comme elle a espéré celle de Fuya et Sexta, elle ne veut pas qu’il devienne une machine à tuer comme Candice… June fronce les sourcils, alors que la colère brille dans ses prunelles améthystes.
« Je ne veux pas non plus que tu fasses ce que je fais, continue-t-elle. Et je te protégerais, quoi qu’il arrive. J’aurais fait n’importe quoi pour te sortir des griffes de cette folle, tu m’entends ? Mais je ne suis pas encore suffisamment forte pour tout faire toute seule, et parfois, souvent, j’ai aussi besoin d’aide, Helouri. J’ai besoin de savoir que je peux compter sur toi, même pour quelque chose d’aussi simple que bander la jambe d’un blessé, ou me soulager d’un fardeau un peu trop lourd. J’ai besoin de savoir que tu peux courir si je te le demande, même si ça signifie te perdre des yeux quelques minutes, le temps que le danger soit écarté. Tu comprends ? »
Elle reprend son souffle et son ton s’adoucit un peu, tandis que sa prise sur les épaules du jeune morgan se relâche.
« Même si tu as peur, je dois être sûre que tu peux te débrouiller seul si je ne suis pas là, que tu es capable d’attendre que j’arrive pour te sauver, d’accord ? »
Non, il n'en est pas capable. Quand il était avec le renard et la licorne du cartel, c'est son cœur qui s'est emballé jusqu'à le faire chuter au sol. Helouri avait foi en June, il savait qu'elle ne l'abandonnerait jamais seulement, il savait aussi que la vampire à la machette était plus forte que June. Que peut-être que cette fois, June ne pourrait pas le protéger et il était impensable qu'il puisse s'en sortir seul.
Mais il va devoir changer et il le sait.
« De toute façon, la fée va nous envoyer au grand palais parce que c'est comme ça que tu vas payer ta dette, non ? Alors je vais devoir le faire. »
Il ne sera jamais choisi aux sélections s'il reste tel qu'il est. Il va devoir changer, de gré ou de force et si la fée choisit de le briser, Helouri ne pourra que supporter. Mais June l'a faite sortir pour le sauver, alors c'est la moindre des choses.
« Quand la fée m'aura changé, je serai comme elle, tu crois ? »
June grimace et se laisse de nouveau tomber sur une chaise, pour prendre la main d’Helouri entre les siennes. Elle réfléchit, longtemps, puis hausse les épaules en baissant la voix.
« Non, Lou. Tu resteras toi, et puis si Candice attaque encore Albacore et qu’il y a la guerre, je ne suis pas sûre d’avoir encore une dette à payer. Dans tous les cas, il ne t’arrivera rien, je te le promets. »
Peu importe si elle doit tuer ou mourir, peu importe si elle doit vivre comme une esclave le temps de payer une dette trop lourde pour ses épaules, June s’en fiche. Tout ce qu’elle demande, c’est que son frère cesse d’être paralysé par la peur, ou du moins qu’il essaie.
« Même…» reprend Helouri.
Il s'interrompt, réfléchit longuement, puis reprend, parce qu'il est sûr. Au moins un petit peu sûr et parce qu'il a eu le temps d'y penser cette nuit, alors qu'il n'arrivait pas à dormir. Il a assisté à la venue d'Ezarel qui a examiné son frère jumeau, avec l'application d'un médecin qui ne juge pas ses patients, mais dont la rancœur lui a dévoré le visage et il s'est dit que tout ça lui était impossible. Il ne peut pas être médecin. Il n'a pas su être l'ombre d'un médecin la veille, en prenant soin de la jambe de Nelladel.
« Même si tu n'as plus de dette à payer, ce serait bien que je le fasse, non ? Si j'arrive à devenir le serviteur personnel de la Capitaine, ce serait bien. Je pense que c'est ce que j'arriverai à faire de mieux et que ça me changerait, en bien parce que… Je ne peux pas être médecin, June. Je n'en suis pas capable et hier… Hier j'ai dû l'admettre. »
Ça lui a fait mal, mais c'est la vérité. Lui qui pensait qu'en devenant médecin, il pourrait trouver un moyen de guérir ses branchies atrophiées, mais c'est peine perdu. Il n'en est pas capable et la vérité est blessante cependant, même si ses yeux s'humidifient, Helouri tient bon. Il a eu toute la nuit pour admettre qu'il ne peut pas être médecin.
June se fige, surprise par cet aveu. Devenir médecin est le rêve de son frère depuis qu’il peut avoir des rêves, et c’est la première fois qu’elle l’entend le remettre en cause. Elle ne sait pas ce qu’il faut pour devenir médecin, mais elle sait que si elle avait un rêve comme celui-là, elle s’obstinerait pour le réaliser. À tort ou à raison, elle n’abandonnerait pas. Sauf qu’à l’instant, ce n’est pas ce qu’Helouri a besoin d’entendre, alors elle lui adresse un sourire doux, en plongeant ses yeux dans l’argent.
« Ce que tu deviens et pourquoi, ça n’a pas grande importance pour moi, Lou. Tant que tu vas bien, que tu es heureux et que ta vie te plaît, tu pourrais vouloir vivre sur Terre comme Nelladel, ça serait pareil. Je veux juste être sûre que c’est ce que tu veux, toi, pour toi, et pas pour Candice. »
Elle presse ses doigts entre les siens et fronce les sourcils, avant de reprendre avec sérieux.
« Parce que ce sera difficile, ces sélections. Encore pire que l’examen de la Garde Absynthe ou que les remarques d’Ezarel… Et si tu t’engages dedans, il faut que tu en sois conscient. »
Quelque part, ça l’arrange un peu, parce qu’en dépit de son discours, June sait que Candice viendra réclamer son dû. Il n’est pas du genre à mourir parce que sa présence devient pénible pour ceux qui l’entourent…
« Ce que je veux… souffle Helouri, non. Ce n'est pas ce que je veux. Mais June, je voulais être médecin par égoïsme, juste pour soigner mes branchies. Mais je ne suis pas médecin, je… Je n'ai pas ce qu'il faut pour être médecin. »
S'il arrive à passer les sélections pour devenir le serviteur personnel de la Capitaine, ce sera bien. Ça le changera, il sera quelqu'un, sa famille n'aura pas honte de lui. Servir, c'est plus à sa portée qu'être médecin.
« Si je n'y arrive pas, alors je serai juste infirmier ou bien je ferai le ménage dans les hôpitaux. June, ce n'est pas une histoire de si je veux, c'est une histoire de si je peux. Je veux être médecin, mais je ne peux pas. Je voudrais passer les sélections, mais je ne sais pas si je vais y arriver.
— On fera tout ce qu’il faut pour que tu y arrives. »
June ne sait pas quoi dire de plus. Elle est fatiguée, mais surtout, elle ne sait pas si un autre discours encourageant changera quelque chose au désespoir qui émane de son petit frère. Il se dévalorise, n’a aucune conscience de ses capacités et ne cherche pas à les affûter. Elle voudrait lui dire qu’infirmier, c’est aussi bien que médecin, que le ménage dans les hôpitaux, ce n’est pas un sous-métier, qu’il n’y a pas de raison meilleure qu’une autre pour choisir un chemin plutôt qu’un autre, qu’il pourrait, s’il y mettait du sien. Mais les mots restent bloqués, parce qu’ils sont usés par le temps et les répétitions, et ce sont d’autres qui prennent leurs places, plus génériques, presque vides de sens.
« Et puis tu sais, l’important, c’est d’essayer, Lou. Comme moi pendant les sélections avec la Capitaine, j’ai essayé, j’ai échoué, et pourtant j’ai quand même gagné quelque chose. Tant que tu essaies, tu as déjà changé.
— Pourquoi tu ne me crie pas dessus ? »
La question surprend sa grande sœur. Helouri plonge son regard argenté dans le sien et même si la fatigue se lit sur ses traits, il poursuit d'une voix éteinte :
« Tu as vécu le pire, hier. J'ai été enlevé, tu as eu peur pour moi, tu as dû t'infiltrer dans une prison avec le cartel, tu as dû faire libérer la fée pour me sauver et après, assister à un meurtre. Tu as dû porter Nelladel toute seule jusqu'ici parce que je ne savais pas quoi faire et maintenant, tu es épuisée et tu voudrais juste dormir, mais tu restes ici à essayer de me réconforter alors que je te parle de mon avenir. Tu étais en colère contre moi quand tu es arrivée ici, mais elle a disparu. Pourquoi ? Pourquoi tu ne me crie pas dessus, June ? Tu es un socle pour moi, mais je n'en suis pas un pour toi. Je ne fais rien pour toi. Pourquoi tu ne me crie pas dessus ? »
June le lâche pour plonger la tête entre ses mains et émettre un gémissement léger. Si un jour, elle décide d’avoir des enfants, il faudra qu’elle trouve un partenaire capable de pallier à son manque de patience, parce qu’elle n’est pas prête pour ce genre de discussions… La jeune femme se redresse et adresse une moue crispée à son frère, avant de secouer la tête.
« Premièrement, je suis toujours en colère contre toi, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas écouter tes souffrances. Ensuite, je ne crie pas parce que je ne veux pas que papa m’entende, et enfin, est-ce que ça servirait vraiment à quelque chose de crier ? »
Elle pourrait, oui. Elle pourrait lui balancer toutes sortes d'horreurs, elle ne se prive pas quand il s’agit d’inconnus, mais si elle est toujours en colère, elle ne veut pas détruire son petit frère. Et ce qu’elle a fait, elle ne l’a pas simplement fait pour lui. Le meurtre de Fuya n’était pas le premier auquel elle avait assisté, et sans doute pas le dernier. Elle pourrait se lever et partir, le laisser seul avec ses questions, mais ce n’est pas parce qu’elle est en colère qu’elle ne veut plus être sa grande sœur.
« J’ai libéré Candice pour me venger de Sexta, m’infiltrer dans la prison n’était pas excessivement dangereux et c’est Nelladel qui a plus servi à quelque chose sur cette partie, et c’est moi qui ait demandé à Candice de tuer Fuya, énumère-t-elle en comptant sur ses doigts. Si tu veux tout savoir, Lou, c’était la meilleure partie de ma journée d’hier. Je n’ai pas besoin que tu sois un socle, mais si tu veux que je m’énerve pour de bon, je peux aussi. Simplement, je ne suis pas certaine que ça soit très utile, et papa risquerait de débarquer pour savoir ce qu’il se passe. Or, il y a certaines choses que j’aimerais garder pour moi, ou du moins pour nous. »
Son ton est plus sec, plus agacé, et elle n’est pas parvenue à cacher la frustration qu’il fait naître en elle et qui doit se lire clairement sur ses traits.
Helouri plisse les yeux. Oui, il est vrai que leur père viendrait voir ce qui se passe si June se mettait à crier, mais tout le monde est épuisé, alors une dispute entre frère et sœur ne serait pas si étrange. Quand il regarde sa sœur, il a l’impression de voir un orage qui s’empêche d’éclater. Il joint ses mains glacées sous la table, puis il répond :
« Tu n’avais pas crié non plus quand j’ai été arrêté après avoir acheté du tap. Et quand tu as dû travailler à la prison, tu as pu le supporter. Ce doit être bien d’être toi, June et c’est pour ça que c’est si confortable pour moi d’être ce que je suis. Peu importe ce que je fais, tu restes debout et tu réussi même à avoir un peu de la noblesse de papa. »
Peu importe ce qu’elle fait et ce qu’elle a dû faire pour se protéger, elle, et le protéger lui, son petit frère, June a appris de son père. Elle n’est pas lui et elle ne sera jamais lui, mais elle est la fille de Joseph et cela se voit. Helouri lui adresse un sourire fatigué :
« Tu n’es pas vraiment en colère contre moi, tu n’arrives pas à te mettre en colère contre moi. Ce n’est pas grave. Pardon pour hier, June. Je t’aime. »
Elle reste coite, incapable de répondre. Si elle s’écoutait, elle se lèverait pour le secouer, lui répéter ce qu’elle se tue à lui dire depuis des années, lui expliquer à quel point être elle n’a rien d’enviable, et peut-être, finalement, hurler pour se défouler. À la place, June inspire, expire, puis force ses lèvres à esquisser un sourire qui ressemble à une grimace.
« Je doute que papa se soit réjoui de voir la tête de cette sale garce fracassée par la trompe de Candice, lâche-t-elle. Mais tu peux bien penser ce que tu veux, c’est agréable d’être mise sur un piédestal. Et puis de toute façon, je pourrais aussi bien parler au mur que ça aurait le même résultat. »
La jeune femme se lève, s’étire, observe à nouveau le plafon et secoue ses mèches cendrées avant de jeter un regard las à son frère.
« J’accepte tes excuses. Maintenant, tu ferais mieux d’aller prendre une douche et te coucher. S’ils t’interrogent, essaie de ne pas dire de choses compromettantes pour moi, s’il-te-plaît. On reparlera de tout ça plus tard. »
Helouri la suit des yeux, sans rien ajouter. Ses mains se serrent autour du tissu de sa tunique sale, alors qu'un énorme sentiment de culpabilité se met à le ronger. Il aurait voulu qu'elle lui crie dessus.
Il aurait aimé qu'elle lui énumère la liste de tous ses reproches, qu'elle s'énerve contre lui, qu'elle maudisse sa faiblesse et son incapacité à prendre soin de lui-même. Qu'elle lui crache qu'il ne fait jamais rien pour elle… Il aurait voulu qu'elle se libère d'un poids, elle qui doit tout encaisser depuis la catastrophe. June ne peut pas crier contre ses parents, contre Leiftan, contre Balam ou contre Valkyon, mais contre lui, elle peut.
June n'est pas seulement en colère, elle est déçue et Helouri la comprend : lui aussi, il est déçu de lui-même.
Négociations avec la famille Strashilka
C’est le jour J.
Voilà plus d’une semaine qu’ils ont quitté Albacore et le chaos qui y régnait. Les cris de la fée résonnent encore dans la tête de Fawkes, quand il dort. Si on peut considérer ces quelques heures éparses à fermer les yeux de réel sommeil. Le renard pourtant s’efforce à songer à l’avenir. À Yüljet uniquement. À sa libération, pour le bien du cartel, mais aussi de leur mission originelle. Il ne perd pas ça de vue. Si toutefois Titan n’est pas récupérable, Ryan, lui et les membres restants du cartel devront garder la tête hors de l’eau et poursuivre leur mission. Mais ça, il n’y pense pas pour le moment.
Ryan a joué de ses relations pour leur obtenir une entrevue avec les cousins Strashilka. Fawkes ne connaît leurs futurs interlocuteurs que de réputation. Il ne les a jamais vu, jamais rencontrés et d’après lui, c’est très bien comme ça. Mais aujourd’hui, les choses ont changé et ils sont suffisamment désespérés pour devoir prendre ce risque.
C’est le jour J.
Fawkes se concentre. Il range toutes les pensées parasites dans un coin de son esprit pour qu’elles ne le dérangent pas durant les heures à venir. Il range aussi ses inquiétudes, ses doutes et tout ce qui pourrait le faire reculer ou pire, flancher. C’est un luxe qu’il ne peut se permettre.
Son esprit s'apaise peu à peu, alors que ses doigts restent toujours habillement en mouvement. Il a entièrement démonté son arme, pour en astiquer les rouages, les huiler, ou les réparer si c’était nécessaire. Maintenant, il remonte tout, minutieusement. Se concentrer sur quelque chose d’aussi simple et mécanique l’aide à rythmer les battements de son cœur, sa respiration ainsi que sa tête. Ça le bride, ça le retient. Il se souvient qu’il n’est pas négociateur, mais Ryan a besoin de lui. Il porte une couronne qui n’est visible que pour les Typhons et pourtant, il trouve qu’elle est déjà bien lourde.
Quand le dernier clic sonore affirme que l'arbalète est parfaitement fonctionnelle, Fawkes la tourne entre ses mains. Une dernière inspection. Ses pensées sont calmes, il est confiant. Son regard noisette croise alors celui de Ryan et sans un mot, ils se comprennent.
Ils sont prêts.
« Tu sais bien que ça ne servira à rien, lui rappelle la licorne, on ne pourra pas rentrer armés. »
Les Strashilka ne sont pas fous au point d'accueillir les membres d'un cartel venus négocier avec leurs armes. Elle-même sera fouillée afin de s'assurer qu'elle n'aura aucun poison à glisser dans un verre. La demeure de la famille, aux Abysses, est une forteresse meurtrière pour quiconque veut la forcer et les trois cousins, eux, sont la fine fleur de la génération actuelle. Fils de tueurs, de menteurs, de manipulateurs et de sadiques, ils ont été bien entraînés pour revêtir, fièrement, le visage des Strashilka. Et s'ils peuvent se pavaner dans la liberté la plus totale, c'est que contrairement au cartel des Typhons, ils ont su tisser de solides relations avec des gens influents. Titan n'a jamais pu faire cela et les Strashilka se gardent bien de partager leurs connaissances des hautes instances.
« Je sais, mais je me sens moins nu, de l’avoir avec moi, se justifie Fawkes. Au moins pour le trajet. »
Ryan se lève de sa chaise. Ses mains sont moites. Elle est une experte en poisons, une mère de famille et Fawkes, lui, est un traqueur. Ils ne sont pas négociateurs pourtant, dans les prochaines heures, ils devront faire face à Vova Strashilka et c'est comme s'ils se jetaient tout droit en enfer.
Mais pour cela, il faudra descendre au douzième sous-sol des Abysses.
Le chemin, Ryan le connaît par cœur : il faut se rendre à l'ancienne mine de mithril, puis s'orienter dans un dédale qui n'en est plus un depuis longtemps, pour elle. Ensuite, il faut attendre son tour, jusqu'à ce que Chaucha, la petite kobold de la lignée de Purrobald, leur donne l'accès à l'ascenseur, puis au douzième sous-sol. De toute manière, la famille Strashilka a déjà dû l'avertir. Aussi ignobles soient-ils, ils font les choses dans les règles, car c'est tout ce qu'on leur demande, aux Abysses.
Durant le trajet, Ryan et Fawkes restent silencieux. La licorne se demande à quoi peut bien penser son comparse, mais elle devine sans mal que le sauvetage de Titan doit occuper son esprit. Ryan, elle, songe à ses filles. Les revoir après le chaos d'Albacore a été une véritable bouffée d'oxygène après des jours atroces sous apnée, mais cela n'a rendu que celui des négociations bien plus lourd. Ryan doute qu'elle puisse mourir chez les Strashilka. Elle doute parce qu'ils font partie de ses clients et ils lui ont toujours acheté ses poisons les plus terribles. Il n'y a pas d'autre experte de son calibre, alors mourir leur serait dommageable. Cependant, les Strashilka sont imprévisibles.
Silas, le tueur à gage qui peint les ongles de ses victimes avec son propre sang. Sérapion, le bagarreur qui commet de véritables massacres rien qu'avec ses poings et Vova, le sadique et manipulateur qui torture avec une ingéniosité des plus sanglantes. Ceux qui contactent les Strashilka voguent en eaux d'or. C'est ce que l'on dit. Ils ont l'argent, le pouvoir, la renommée, mais ils s'ennuient. Ils s'ennuient alors ils se vengent sans se salir les mains.
Ryan et Fawkes ont quitté Odrialc'h pour se retrouver dans la forêt de Tantale. Là, ils se dirigent vers l'ancienne mine de mithril et la licorne arpente tout naturellement le chemin qui lui était si familier, lorsque tout allait bien et qu'elle devait se contenter d'accéder au quatrième sous-sol afin de faire ses propres transactions pour ses poisons. Elle sent son coeur s'emballer et la panique monter en elle pourtant, elle doit se calmer. Des êtres comme les Strashilka sentent la peur et savent en jouer. Surtout Vova.
Fawkes aussi sent la fragrance si particulière de la peur. S’il parvient à faire fi de la sienne, parce qu’il la ravale, il perçoit sans mal celle qui émane de Ryan. Elle doit se contenir. Lui dire que tout se passera bien serait utopique. Lui assurer qu’il la protègera de tous les dangers serait naïf et lui promettre qu’ils sauveront Titan serait s’engager sur une voie sans aucune garantie. Alors marchant à côté de la licorne, le renard tend légèrement le bras et glisse ses doigts dans la paume moite de Ryan. Il ne la regarde pas, continue son chemin comme si rien ne venait les perturber. Mais sa main accroche la sienne et si elle a besoin de s’accrocher à lui, il la soutiendra.
Alors qu'une petite file d'attente se profile, Ryan retourne un problème épineux dans son esprit. Depuis qu'elle sait qu'elle va rencontrer les Strashilka, elle se demande ce qu'elle serait capable de sacrifier pour le retour de Titan. Elle est prête à mettre en jeu toute la trésorerie du cartel, que Sexta n'a pas vidé, à sa grande surprise. Mais est-ce que l'argent va intéresser les assassins ? Elle n'en est pas certaine.
« Personne suivante ! … Bonjour Ryan ! » l'interpelle la voix fluette de Chaucha.
La licorne revient à elle, puis lui adresse un pauvre sourire. Néanmoins, elle tente de paraître naturelle, même si c'est peine perdue. Elle réalise que le petit visage de la kobold s'est assombrie, alors qu'elle tire une lettre de son pupitre, marquée du sceau des Strashilka. Chaucha lève les yeux vers Fawkes et Ryan, puis elle leur demande d'une petite voix :
« C'est le grand saut aujourd'hui ? »
Le questionnement marque les traits de Fawkes. Sur son front, ses sourcils frémissent. Que veut dire cette kobold ? Une rencontre avec les cousins Strashilka est importante, certes, mais est-ce à ce point évènementiel ? Il sait que ce sera une rencontre pivot pour l’avenir du cartel, mais ne songeait pas que même une kobold en serait consciente. Les lèvres du renard s’ouvrent et avant qu’il ne poursuive ses pensées, sa langue s’active.
« Le grand saut ? Qu’entends-tu par là ? »
Chaucha hausse les épaules, pendant qu'elle prépare deux parchemins. Visiblement, le douzième sous-sol conserve les mêmes règles que les autres, à savoir un parchemin pour pouvoir y descendre et remonter en toute quiétude.
« C'est Sexta qui a dit ça. Que vous alliez faire le grand saut. D'ailleurs, elle est déjà sur place. Les Strashilka qui invitent les Typhons… Je peux vous dire que tout le monde en parle. Mais n'oubliez pas que les règles s'appliquent à tout le monde ! »
Ryan pâlit et écarquille ses yeux azurés. D'instinct, elle se tourne vers Fawkes pour échanger un regard avec lui. C’est impossible de lire sur le visage de Fawkes, à moins de bien le connaître. Si la kobold peut se dire qu’il ne réagit pas le moins du monde, Ryan peut percevoir les légères tensions de ses muscles. Que Sexta soit au courant, ça ne l’étonne pas tant que ça. Mais qu’elle en ait parlé et qu’elle soit déjà sur place, ça, ça l’embête un peu plus. La vampire est instable et Fawkes ne sait pas comment prendre en compte cette variable imprévisible. Tout ce qu’il espère, c’est qu’elle ne fasse pas tout foirer. Cela dit, elle leur a assuré qu’elle aiderait à sauver Titan. Fawkes croise les doigts pour qu’elle tienne parole. Jusque là, Sexta n’a pas failli à sa parole, qu’elle soit bénéfique ou maléfique. Il acquiesce donc et garantit leur bonne foi.
« Nous n’oublions pas et ne ferons pas d’histoire. »
Quand la kobold les laisse passer, il attend d’entrer dans l'ascenseur avant de souffler et vider ses poumons. Il secoue la tête et s’il ne dit rien, c’est évident qu’il ne voit pas la présence de Sexta d’un très bon œil.
Il n'a même pas prêté attention à Chaucha qui a actionné les leviers leur permettant d'accéder au douzième sous-sol, ni même les murmures dans la file d'attente, derrière lui et Ryan. Les noms de Strashilka et celui de Sexta, prononcés dans une seule et même phrase, à de quoi faire parler. Pour ceux qui pensent que l'Impératrice des Abysses fait encore partie du cartel des Typhons, cette association n'en est que plus terrible et hisse le cartel jusqu'au sommet de la pègre.
La cabine s'enfonce dans les entrailles de la terre et le trajet est long. Le purreko qui les accompagne, gardien des lieux, ne leur adresse aucun mot, regardant droit devant lui. Enfin, Fawkes et Ryan arrivent à destination et les portes s'ouvrent sur le monde noir et terrifiant du douzième sous-sol.
Loin du marché coloré où les tisserandes du quatrième sous-sol côtoient les marchands de cheveux, d'écailles et d'ingrédients aussi rares que dangereux, le fin fond des Abysses est une large rue bordée de bâtisses qui se dressent comme des pierres tombales. Les feux rougeoyants de leurs enseignes éclairent le sol d'un éclat meurtrier et pour celui qui ne sait pas où aller, ici, il ne fera pas un seul pas. Derrière les fenêtres aux rideaux tirés, il y a toujours quelqu'un qui guette. Tout se sait, au douzième sous-sol. Tout se sait, tout se paye, tout se cache, mais l'horreur tient parfois à se dévoiler pour rappeler aux visiteurs qu'ils se trouvent à un endroit où tout est permis, sauf le tap. Ainsi, plus loin, une petite file de silhouettes émerge d'une ruelle. Enchaînées les unes aux autres, leurs corps nus ne laissent aucun doute quant au genre de destination qui les attend. Leurs ravisseurs, eux, marchent d'un pas trop tranquille, celui en tête de file tirant violemment sur les chaînes pour intimer à ses proies d'avancer, puis son congénère, fermant la marche, les menaçant avec un fouet.
Ryan reconnaît leurs masques, semblables à des gueules hérissées de crocs en métal, couvrant la moitié de leurs visages. Il s'agit d'un cartel très dangereux qui travaille pour la plus grande maison close des Abysses. Celle que dirigeait Sexta, avant qu'elle choisisse de se rallier aux Typhons. Visiblement, l'Impératrice a déjà retrouvé son trône et les affaires reprennent, mais Ryan n'aime pas ça.
« Dépêchons-nous,» glisse-t-elle à Fawkes.
La demeure des Strashilka se situe près du royaume de Sexta Stoker. Elle se dresse bien haute, véritable dame de fer, telle une prison qui promet mille et un sévices. Comme intimé par Ryan, Fawkes hâte le pas. Il devine aisément à quoi est voué le cortège de corps nus qu’ils dépassent et il se dit que s’il en détourne le regard, alors ça ne l’atteindra pas. Il a plus important à faire que s’interroger sur le devenir de ces gens qui perdent leurs âmes pour les plaisirs charnels des plus offrants.
L’endroit est sombre et lugubre. Fawkes n’est pas dérangé par la pénombre, ses yeux y sont adaptés. Mais c’est l’atmosphère oppressante qui lui hérisse le poil sur la nuque et les reins. Il a l’impression qu’une créature carnassière qu’il ne peut voir lui souffle au creux du cou et glisse ses longs doigts maigres et osseux sous ses vêtements. Il déteste ça et il peut déjà anticiper le soulagement qu’il ressortira en retrouvant la surface. Fawkes est un prédateur par nature. Quand il se sent être une proie, tout son corps rue à l’intérieur et se rebelle contre ce calme apparent qu’il s’impose.
Il y a peu de monde dans la rue, mais Fawkes sent bien des regards sur eux, à les suivre comme s’ils allaient à la potence. Alors Ryan et lui marchent sans baisser le menton, sans chercher du regard. Ils savent où ils vont et s’y dirigent d’un pas déterminé. Au pied de la grande demeure des Strashilka, Fawkes lève les yeux. Il sent la chape de plomb peser sur lui. Tout ce domaine possède sa propre aura et il doit faire un effort pour garder son torse à minima gonflé. Il n’a pas peur. Il est seulement mal à l’aise. Très mal à l’aise.
« Quand faut y aller… »
Seulement, la demeure des Strashilka les toise comme un monstre géant. Ryan ne préfère même pas imaginer ce qui peut se tramer à l'intérieur. Là, elle prend une grande inspiration, invoque le calme et pense à Titan. Sa cheffe aurait peut-être eu peur à sa place, mais elle aurait rassemblé tout son courage pour y aller tout de même, parce qu'il s'agit de son rôle. Alors, la licorne s'avance, ne sachant pas si elle doit sonner quelque part ou bien cogner à la porte avec un heurtoir, mais elle n'a pas besoin de se poser la question car à peine Fawkes et elle font un pas vers la bâtisse, que des faeliens à la carrure impressionnante sortent de la pénombre pour leur bloquer le passage. De concert, ils tirent des couteaux de chasse pour les menacer et leur somment de décliner leur identité.
« Fawkes et Ryan du cartel des Typhons, répond la licorne à toute vitesse, nous devions rencontrer les Strashilka pour affaires. »
Visiblement, les hommes de main sont au courant. Cependant, avant de s'écarter et leur ordonner d'avancer d'un signe de tête, il les fouille. Ryan n'a rien emporté mais Fawkes, lui, se voit confisquer son arbalète. Lorsque c'est chose faite, ils se dirigent tous deux vers la porte d'entrée.
Quand Ryan s'exécute et lève une main incertaine vers la poignée, elle peut constater avec effarement que la porte est ouverte. Visiblement, les Strashilka sont si sûrs de l'effet qu'ils procurent sur autrui, mais aussi de leur force, pour se permettre ce genre de luxe au douzième sous-sol. Face à elle, un large couloir plongé dans la pénombre l'accueille et au loin, Ryan reconnaît le rire trop doux de Sexta. Le renard grince des dents et ferme les yeux, un court instant. La voix de la vampire lui porte définitivement sur les nerfs.
« Première salle à gauche, lance un homme de main, derrière eux, la première. À gauche. »
Très bien. Si Fawkes et Ryan tentent de visiter la bâtisse, ils auront affaire à eux. Portant une main contre la taille de Ryan, le renard tente d’utiliser sa présence comme un rempart avec l’atmosphère du lieu. Il respire profondément et tous ses sens sont aux aguets. La première porte à gauche. Les oreilles rousses sont mobiles et si une d’elles est braquée vers la porte qui les intéresse, d’où provient le rire de Sexta, l’autre pivote et capte les moindres sons glauques de cette maison.
Ils bifurquent et les silhouettes se dévoilent à eux. Sexta affiche un peu trop de joie au goût de Fawkes et il ne peut réprimer une déglutition de dégoût. Pour autant, il ne lui accorde que très brièvement son attention, préférant présenter son respect à leurs hôtes d’une légère inclination du chef.
« Messieurs, Mesdames…»
Puis seulement, il accorde un regard à Sexta et c'est la voix plus grave qu’il lui adresse la parole.
« Sexta…»
L'impératrice des Abysses lève ses yeux noirs. Confortablement installée sur un siège qui doit valoir une fortune, elle partage volontiers une tasse de café - une boisson rare - avec les cousins Strashilka et ce qui semblent être leurs mères. Ryan, elle, observe les visages. On dit de Vova Strashilka qu'il a des cheveux de feu, alors il est facilement reconnaissable. Le manipulateur et le maître de la torture a les yeux aussi bleu que l'océan et un visage angélique auréolé par une chevelure flamboyante. Ses longues oreilles se dressent sur son crâne et lorsque ses hôtes arrivent dans son champ de vision, il leur adresse une moue polie en tenant délicatement sa tasse de porcelaine entre ses doigts. Il semble fragile, délicat, un fils de nobles éduqué avec les règles d'une étiquette aristocrate pourtant et même si sa tenue riche et verte comme la plus merveilleuse des forêts le rend si digne, la raison perdue est une étincelle dangereuse qui ne peut pas être cachée.
« Bienvenue, chers amis, » les salut-il d'une voix suave.
Assise près de lui, une femme replette avec un chignon cuivré plisse ses yeux noisette en les dévisageant religieusement. Elle n'est peut-être pas une brownie aux longues oreilles, comme les cousins Strashilka pourtant, Ryan parit qu'il s'agit de la mère de Vova.
Plus loin, assis sur le dossier d'un canapé, Sérapion Strashilka leur jette un regard aussi noir que ses lèvres. Ryan le reconnaît sans mal grâce à l'aura meurtrière qui l'entoure tout entier, mais aussi à ses yeux magenta, comme deux joyaux. Un carré de cheveux sombre entoure son visage hargneux et quand la licorne attrape ses gants de combat, elle peut constater avec horreur qu'ils sont usés et maculés de sang.
À la gauche de Sexta, la mère de Sérapion, une faelienne arrogante en robe fleurie et aux boucles brunes, échange un regard entendu avec son fils. Silas Strashilka, lui, reste silencieux en faisant tourner sa tasse entre ses doigts fins. Ses cheveux d'un vert d'eau tombent sur sa figure pâle alors que ses yeux étincelants, comme une forêt d'émeraude, sont perdus vers des images sanglantes qui n'appartiennent qu'à lui. Sa mère, une femme svelte au visage aussi doux que le blond de ses cheveux, pose une main sur son épaule et lui murmure quelque chose à l'oreille. Silas lève la tête pour observer Fawkes et Ryan d'un air fatigué, avant de s'en détourner comme s'ils ne l'intéressaient pas.
La licorne comprend vite que les mères des cousins Strashilka veillent prudemment sur leurs affaires et que traiter avec eux, c'est aussi traiter avec elles.
Vova Strashilka
Sérapion Strashilka
Silas Strashilka
Sexta, elle, tapote un siège à sa droite.
« On vous attendait, sourit-elle, je savais que auriez eu l'idée de faire affaire avec les Strashilka pour votre problème épineux. Mais vous allez être contents de savoir que j'ai déjà négocié pour vous. »
Cette famille donne froid dans le dos au renard et tout ce qu’il espère, c’est que la fourrure de sa queue ne le trahisse pas. “Amis” n’est pas le terme que Fawkes aurait employé pour les qualifier, mais si Vova Strashilka préfère les voir ainsi, grand bien lui en fasse. Ryan l’a prévenu sur ce garçon, alors Fawkes se méfie et s’interdit de le trouver joli ou sympathique. De toute manière, pour l’heure, si le premier est assuré, le second l’est bien moins.
Refusant de prendre place à côté de Sexta, Fawkes fait mine d’être grand seigneur et propose à Ryan de prendre le siège. Aussi, il ne perd pas de temps en plaque une expression courtoise sur son visage.
« Quelle bienveillance. Et quels sont donc les termes de la négociation ? »
Si Fawkes ne doute pas que Sexta est excellente négociatrice, il redoute cependant ce qu’elle a pu obtenir des cousins Strashilka et pire encore, ce qu’elle leur a promis en échange.
« Cette chère Sexta nous a raconté les malheureuses mésaventures qui touchent le cartel des Typhons en ce moment, raconte Vova avec une moue faussement peinée, mais aussi l'accident du village d'Albacore. Les Typhons sollicitent notre aide pour aller délivrer leur cheffe et c'est tout à votre honneur.
— Seulement, les Strashilka ne se déplacent pas pour rien, complète Sexta, alors il leur fallait une monnaie d'échange plus que conséquente. »
Pas d'argent. Les Strashilka sont riches. Très riches. Les commandes que les hautes instances peuvent passer à Vova ou bien à Silas sont largement suffisantes pour faire vivre la famille. Les Strashilka ne prendront pas de risques inconsidérés pour de l'argent, non. Mais pour nourrir leur savoir ou leur fantasmes malsains, cela peut se discuter.
« Une fée a tué Fuya, susurre-t-elle avec hargne, mais il se trouve que je possède une fée.
— Et il se trouve que nous connaissons des chercheurs aventureux qui seraient ravis de pouvoir étudier les propriétés des ailes des fées, complète Silas d'un ton très calme en jouant avec sa cuillère.
— Et il se trouve que je n'ai jamais eu l'honneur de baiser une fée. »
Le visage de Ryan perd de ses couleurs alors qu'elle dévisage Vova, dont un sourire gourmand fend sa figure en deux. C'est comme si le manipulateur et le sadique de la famille Strashilka était un antonyme de lui-même. Si frêle, si noble, si ravissant, mais pourtant si désaxé. Son fantasme écoeurant se lit dans ses yeux et Ryan est persuadée que Sexta a déjà dû lui montrer Sira. La licorne sent sa poitrine se compresser. Fawkes se retient de gronder et si son regard s’enflamme en se braquant sur Sexta, il ne desserre pas les dents. La vampire a fait le déplacement et n’a négocié que dans un seul but : nourrir sa vengeance. Tirer Titan de ce mauvais pas n’est qu’un prétexte, un bonus, pour elle.
« Qu’on s’entende, Sira Milliget est intouchable, déclare Fawkes d’un ton si calme, qu’il s’étonne lui-même. L’alliance qui nous attache à son frère aîné rend cette monnaie d’échange parfaitement caduque. Je crains que notre chère Sexta ait vendu la peau du bériflore avant de l’avoir tué, vous m’en voyez navré. »
Sur ce point-ci, Fawkes sera intransigeant. Ils ont bien vu les conséquences engendrées lorsqu’on s’en prend à une fée. Si Sexta veut se venger, qu’elle le fasse en son nom, sans impliquer le cartel. Fawkes, Ryan et le cartel des Typhons ne se rendront pas complices de tant de bassesse. Titan serait parfaitement contre cela, qui plus est.
Le renard fait quelques pas, non pas tant pour empiéter sur l’espace, que pour rester en mouvement. L’immobilité le verrouille un peu trop dans ce carcan de proie et il déteste ça. Sa queue fouette l’air dans son dos, au rythme de ses pas. Il se concentre sur un balancement fluide pour ravaler ses tics d’agacement. Ça l'aide aussi, à ralentir ses pensées et à modérer ses mots.
« Par chance, nous sommes enclins à mettre nos différents talents en œuvre pour vous offrir une juste rétribution en échange de vos services. Emettez un souhait et nous vous confirmerons si c’est réalisable, suggère Fawkes.
— Excusez-moi, demande Vova, mais qui est à la tête des Typhons, jusqu'à la libération de Titan ?
— Justement, répond Sexta d'une voix mielleuse, j'ai occupé cette place quelque temps, mais il semblerait que mes méthodes n'aient pas plu à tout le monde. Et notre cher Fawkes a refusé de me remplacer, donc cette petite place est vacante.
— Alors il ne peut pas parler au nom du cartel, conclu Vova, le visage rayonnant.
— Sexta non plus, rétorque le renard. Aussi, j’assure la tenue du Cartel jusqu’au retour de Titan. L’organisation suivra la ligne de conduite dictée par notre cheffe, qu’importe qui en occupera le siège principal. Encore une fois, messieurs, émettez un souhait et nous pourrons aviser. »
Fawkes adopte une attitude tout à fait volontaire et encline à la négociation, mais il restera décisionnaire de la contrepartie. Seule Ryan, en cet instant, pourrait le faire fluctuer. Sexta en a perdu tout droit, pour peu qu’elle l'ait eu un jour. Et si Fawkes doit porter la couronne pour que cela se fasse, alors soit. Il en assumera les conséquences. Il le doit à Yüljet.
La vampire se laisse aller contre le dossier de son siège en haussant les épaules. La vengeance, oui elle la veut. Candice paiera pour le meurtre de Fuya. Mais il ne sera pas le seul à payer.
« Et pour finir, j'avais également proposé, en complément de la fée, une jolie partenaire pour notre ami bagarreur. Une nouvelle fille que j'ai cueillie pendant le voyage du retour. »
Sexta échange un regard amusé avec Sérapion, puis poursuit :
« Elle n'est pas toute jeune. Elle a une bonne cinquantaine. Mais je sais que tu les aimes mûres. Elle est jolie, très jolie. Une ravissante morgan aux longs cheveux turquoises. Son mari en est fou, ses enfants l'adorent, mais… »
Elle lève la main, déploie ses doigts, puis serre le poing.
« … Mais sa gamine s'en est prise à la mauvaise personne. Alors j'ai cueilli sa jolie maman en chemin et j'ai enterré les vieux morgan qui lui tenaient compagnie. Elle est belle, Sérapion et elle est à toi. »
Un soupir las. C’est tout ce qu’elle récolte de Fawkes et le renard se fait pourtant discret. S’il lève une main, lentement, c’est pour se pincer l’arête du nez. Sexta est un champ de ronces planté dans ses pieds.
« J’entends que tu tiennes à régler tes comptes avec la gamine et la fée, Sexta. Mais j’aurais apprécié que tu ne délègues pas la vie de Titan à un simple levier pour assouvir ta vengeance… »
Il secoue la tête, songeant au fait qu’il n’est pas en son pouvoir de tout refuser. Et s’il doit quelque chose à Candice, au nom de leur alliance, pour leur mission de sauvetage d’Eldarya, il ne doit rien à la morgan et à sa famille. C’est triste pour elle, d’autant que Fawkes la trouvait très gentille, cette dame-là. C’est injuste, mais le monde est bourré d’injustice et lui, il n’est pas là pour rétablir l’équilibre.
« Soit. Cette contrepartie est à votre disposition, puisque Sexta a eu l’amabilité de la cueillir pour vous. »
Ça lui coûte et il sait que s’il laisse la parole à Ryan, elle risque d’en avoir la gorge nouée. En tant que mère, elle doit se sentir d’autant plus concernée par la situation. Fawkes songe que le gosse morgan aura une raison de plus de se jeter dans une fontaine. Malheureusement, et même s’il aurait aimé pouvoir faire autrement, il se trouve acculé. Cependant, il refuse de laisser son imagination visualiser ce que Sérapion Strashilka pourra bien faire à Cristal Ael Diskaret. Puis il songe à Fuya et il se dit que la balance n’est pas équilibrée. Une vie contre une vie. Celle de Fuya pesait plus lourd.
« Votre temps est tout aussi précieux que le nôtre. Messieurs, mesdames, cela vous convient-il ? » n’omet-il pas de s’adresser aux matriarches.
Un profond soupir lui répond. Visiblement, Vova est ennuyé et quand Vova est ennuyé, l'atmosphère de la pièce devient plus lourde. Sexta, elle, fait mine d'observer ses ongles en arguant de sa voix traînante qu'à présent, Cristal Ael Diskaret va travailler pour elle. De ce fait, elle maintient sa négociation de la donner gratuitement à Sérapion, pour s'amuser.
« Fawkes a décidé de prendre la tête du cartel, alors il est en droit de refuser pour la fée. Maintenant, ça n'est plus de mon ressort, Vova.
— Et alors quoi ? réplique le Strashilka, son frère, avec sa grande gueule et sa grande trompe, va venir le chercher. Et alors ? Il devra déjà faire face à notre adorable réceptionniste, Chaucha et les purrekos ne le laisseront pas faire. Beaucoup de clans et de cartels, ici, s'allieront aux purrekos alors qu'est-ce qu'il fera ? Il détruira les Abysses ?
— Il en sera capable, » souffle Ryan.
Tous les regards se tournent vers elle et la licorne se tasse sur elle-même. Elle serre les poings, pour se donner du courage, puis s'explique :
« La puissance de cette fée est réelle. Elle a pu détruire une cité entière en une nuit.
— Et alors ? Elle a fini en prison, non ? De plus, si la reine des fées veut maintenir son règne, semer la violence ne donnerait pas une très bonne image de son peuple. Et puis il y a peut-être des gens, ici, qui ont déjà entendu parler de fées détenues à Odrialc'h. Si vous voulez de l'aide pour faire libérer votre cheffe, alors je vais baiser la fée de Sexta. Et si les fées veulent des informations, pour libérer leur peuple, alors j'en baiserai une autre. C'est tout. »
Près de lui, sa mère pouffe derrière un éventail en le traitant de vaurien alors que Ryan ferme brièvement les yeux. Cette issue-là va donner suite à un massacre. Si Candice apprend que qui que ce soit a osé poser la main sur Sira Milliget, alors il fera un carnage et n'entendra plus rien. Et la situation de la morgan enlevée par Sexta, c'est une véritable horreur. Mais elle non plus, elle ne sait pas ce qu'elle peut proposer de mieux pour convaincre les Strashilka. La famille a tous les moyens du monde pour acheter ses poisons, alors ça ne sert à rien. Elle a un sursaut quand elle entend Vova éclater d'un rire très doux. Le Strashilka plonge son regard azuré dans le sien, puis raille, sourire aux lèvres :
« C'est tout ? Est-ce que le cartel des Typhons est seulement capable de survivre sans Sexta Stoker ? »
Si ça ne tenait qu’à Fawkes, il affirmerait que dorénavant les Strashilka devraient se passer des services de Ryan et de ses poisons. Mais il n’est pas en position de faire cela. Les cousins auraient plus d’un moyen pour forcer la licorne à les fournir en poisons et Ryan le sait. Le renard n’apprécie pas de sentir la peur suinter de l’être tout entier de Ryan et elle empeste encore plus quand Vova darde sur elle son regard malsain.
Alors Fawkes change d’appui, remue la queue, pour détourner l’attention de Ryan.
« À défaut d’avoir le cadet des Milliget, nous pouvons le délester de son voile hivernal dès lors que nous irons le récupérer. »
Le renard s’explique pour qu’ils décèlent tout l'intérêt.
« Vous n’êtes pas sans savoir que les fées supportent mal nos chaleurs, c’est pourquoi elles se revêtissent d’un tissu imprégné de magie. Ou peut-être est-ce une technologie dont ils gardent jalousement le secret. Ce secret sera le vôtre. Il vous sera essentiel si vous envisagez de trouver et de garder une fée pour vos différents plaisirs. »
Ce qu’ils en feront, ce qu’ils prévoient concernant les fées, de leur côté, Fawkes s’en fiche. Ce ne sont pas ses affaires.
Vova éclate d'un petit rire. Il échange un regard de connivence avec ses cousins. Sérapion semble détendu sur le dossier du canapé et Silas se ressert une tasse de café pendant que près de Fawkes, Sexta jubile, les bras croisés sur sa maigre poitrine. Se penchant en avant, Vova explique avec des gestes gracieux :
« Monsieur Fawkes, je crois que vous ne comprenez pas bien à qui vous vous adressez et où vous vous trouvez. Nous sommes une riche famille, vous savez. Nous ne manquons de rien. Votre cheffe est détenue par les soldats d'Odrialc'h et vous venez nous demander notre aide. Soit. Vous nous demandez de prendre des risques pour vous et contre quoi ? Le voile d'une fée ? Vous vous moquez de nous ? »
Près de Vova, sa mère agite son éventail d'un air agacé et celle de Sérapion semble perdre patience.
« Sexta nous propose sa fée, reprend Vova, je la baise jusqu'à l'os, Silas peut avoir ses ailes pour les étudier et il peut même avoir son voile pour en percer tous les secrets. Sérapion aura sa morgan et il en fera ce qu'il voudra. C'est de la bonne négociation. Mais c'est Sexta qui propose tout cela et vous n'en voulez pas. Très bien. Dans ce cas, si vous n'avez pas mieux, vous irez sauver votre cheffe vous-même et vous allez nous dédommager pour le temps perdu.
— Je crois au contraire, Monsieur Strashilka, que vous ne réalisez pas comme Candice peut causer votre perte. Votre argent, votre richesse ne pourra malheureusement pas vous protéger de l’inévitable. »
Le renard glisse un regard vers Sexta. Elle sait de quoi Candice est capable et c’est bien pour ça qu’elle se cache derrière les cousins pour asseoir sa vengeance.
« Candice est capable de vous faire perdre bien plus que la vie. Les tortures, il ne les inflige pas qu’au corps. Sexta en sait quelque chose et c’est pourquoi elle se cache derrière vous. L’impératrice a tremblé. Comme moi et comme Ryan. Et vous tremblerez aussi quand il viendra pour son petit frère. »
Menacer les cousins Strashilka n’est pas du tout un bon deal, mais Fawkes ne les menace pas. Il les informe parce qu’apparemment, Sexta n’a pas jugé bon de tout leur rapporter.
« Sira Milliget ne fait pas partie de l’accord. Il sera rendu à Candice. Entier et vierge. Ce que je vous propose, c’est une forme d’immunité contre Candice. Prenez le voile. Etudiez-le. Capturez votre fée quand bon vous semble et conservez-la au frais autant de temps qu’il vous siéra. Je peux même vous communiquer le mot clé qui assure de calmer Candice Milliget s’il s’emporte. Mais ne commettez pas l’erreur de sous-estimer sa détermination et sa capacité à tout détruire parce qu’il l’a décidé. Il en est capable et Sexta le sait parfaitement.
— Ils le savent déjà, intervient Sexta d'une voix lasse, nous en avons parlé tout à l'heure et je le leur ait déjà dit. Mais Fawkes, les visiteurs des Abysses ne sont pas des civils. »
La vampire pousse un soupir et rit qu'elle va avoir besoin d'une autre tasse de café que la mère de Silas lui sert. Elle en boit une gorgée, puis s'adresse à Vova :
« Fawkes n'est pas fait pour être chef, mais il fait ce qu'il peut. On ne peut pas lui retirer cela. Ryan n'est pas faite pour négocier non plus, c'est une gentille petite licorne experte en poisons.
— Oh, Sexta, tu vas me demander de ne pas être aussi dur avec eux, rétorque le brownie en levant les yeux au ciel, mais comprends bien que nous ne pouvons pas passer toute la nuit ici à papoter comme des vieilles femmes. Mais j'entends bien que tu nous connais bien et que tu as su cibler nos besoins. De plus, tu as un long règne derrière toi, aux Abysses.
— Je me souviens des garnements que j'avais dû attraper en train de rôder autour de mon lupanar, sourit Sexta, et des longues heures à discuter affaires avec vos mamans. J'ai été patiente. Alors dites-leur ce dont vous avez besoin et peut-être qu'on ne s'éternisera pas. »
Oui, mais ça les ennuie beaucoup. Les Strashilka aurait largement préféré que Fawkes et Ryan viennent bien préparés seulement, la licorne a beau réfléchir à toute vitesse, elle ne sait pas ce qui peut valoir la libération de leur cheffe. Elle n'a pas envie de livrer Sira Milliget à un pervers comme Vova, tout comme elle n'a pas envie qu'il se fasse arracher les ailes. Elle serre les poings.
« Et un lorialet ? » souffle-t-elle.
Tous les regards se tournent vers elle, mais Ryan tâche de ne pas perdre le fil de ses pensées. Sexta, elle, ressemble à un prédateur qui vient de trouver une proie particulièrement intéressante. Elle peut ébaucher l'idée de Ryan et elle lui plaît.
« Un lorialet ? demande Vova, étonné, quoi ? Tu peux trouver ça ? Cette espèce-là s'est faite massacrer il y a longtemps.
— Le Conseiller de la Garde Étincelante d'Eel est un lorialet, reprend Ryan, je suis certaine que tu n'en as jamais baisé un, non ? Pour le cartel des Typhons, il est une épine dans nos pieds et Candice Milliget, le frère de la fée de Sexta, veut sa tête. Si nous te livrons le lorialet, tu en feras ce que tu voudras. Ton cousin Silas pourra le faire parler, il a plein de choses intéressantes à raconter puisqu'il est un Docteur Bec qui a déjà mis les pieds dans le Ragnarok et pratiqué des expériences sur des humains. De plus, il possède beaucoup d'informations sur Eel et Odrialc'h de par sa position. Tu sais, c'est le fils adoptif d'Alma Tuarran, le Grand Juge. Et pour finir, ce lorialet-là vous permettra de traiter avec Candice Milliget. Contre lui, il te remettra peut-être une fée à baiser ou des informations sur la magie de leurs voiles et les propriétés de leurs ailes. »
Le silence plane quelques secondes. Les yeux de Vova se mettent à briller et enfin, avec un large sourire, il lui propose :
« Est-ce que vous voulez un café ? »
Fawkes a écarquillé les yeux sous ses sourcils froncés. Ryan s'attaque à un gros morceau. S'il plaçait Leiftan Tuarran et Shakalogat Gra Ysul hors d'atteinte, ce n'était pas anodin. Mais si Ryan propose le lorialet, elle doit avoir quelque chose en tête. Alors le renard décrète qu'il lui fait confiance. Il hoche la tête. Ils trouveront un moyen de leur offrir Leiftan. Une chose est sûre, personne ne le regrettera, celui-ci.
D'un regard vers Ryan alors que Vova leur a posé une question, Fawkes répond.
« Elle en serait ravie, oui. »
Et s'il lui est proposé également, Fawkes voudra bien goûter ce breuvage qu'il n'a jamais eu l'occasion d'essayer.
Deux tasses leur sont servies et Sexta leur demande comment, à eux deux, ils pourraient capturer Leiftan pour le livrer aux Strashilka. Silas leur indique qu'il s'agit d'une bonne négociation, seulement s'ils sont capables de l'accomplir et de tenir leur parole :
« Si vous nous livrez Leiftan Tuarran, alors nous pourrons garantir notre aide pour libérer votre cheffe. En travaillant de concert, ce sera aisé pour Vova, Sérapion et moi-même. Seulement, Sexta nous a expliqué que ça avait été compliqué, même pour une créature comme la fée Milliget. Comment vous vous y prendriez ?
— En nous servant de la fée de Sexta comma appât, explique Ryan, Leiftan était la cible principale de Candice Milliget. Seulement, il a dû faire face à la Garde d'Eel toute entière et même si son plan a échoué, on ne peut pas retirer le fait qu'il ait fait tomber la cité. Leiftan voulait se venger de Candice en le torturant alors qu'il était en prison…
— Il me plaît de plus en plus, intervient Vova.
— … Et il voudra toujours se venger de lui, poursuit Ryan, alors il suffit que le cartel des Typhons lui fasse croire que l'on veut lui livrer son frère pour tenter une négociation contre la libération de notre cheffe et alors, nous en profiterons pour le capturer et vous le livrer.
— C'est audacieux Ryan, souffle Fawkes. Mais le Conseiller voudra Sira. Nous n'aurons pas le droit à l'erreur. »
Cela dit, s'ils parviennent à l'attirer et le coincer aux Abysses, les Strashilka pourront en faire ce qui leur chante.
« Candice a tué l'une des nôtres. Si on omet ce que nous savons des circonstances, il sera aisé pour Leiftan de croire à notre désir de vengeance couplé à la volonté de retrouver Titan. »
Fawkes relève les yeux vers Vova, un sourire mauvais se peint sur ses lèvres et dans ses yeux, l'amertume de la rancœur.
« Amusez-vous fort avec ce type. Mais n'abrégez pas trop vite son calvaire.
— On fera ce que l'on a à faire, le renard, remercie juste ta copine pour avoir fait tourner ses méninges, raille Vova.
— Ryan est une gentille licorne, confirme-t-il. Mais elle n'en est pas moins redoutable. Sexta a raison, ni elle ni moi n'avons l'étoffe d'un chef, mais nous ferons ce qu'il y a à faire pour rendre sa place à notre vraie cheffe. Attirer Leiftan pour vous, compris. »
Les pensées du renard s'éloignent vers Eel, vers Albacore où se trouve Leiftan Tuarran. Il se détourne et sa main se porte à son menton. Ils devront élaborer et ficeler un plan avec Gabrielle et Nash, pour approcher Leiftan et passer ce marché avec lui et pour celà, ils se réuniront au quartier général des Typhons. Pour l'heure, ce qui l'intéresse, c'est de savoir si les Strashilka sauront récupérer Titan. Ou plutôt quand et comment le feront-ils.
« Quand pourrons-nous avoir le plaisir de retrouver Titan ?
— Quand nous aurons le lorialet, explique Vova en écartant les bras, et le plus vite possible serait le mieux. Puisque vous avez besoin de la fée de Sexta, alors à présent, c'est avec elle qu'il faut voir.
— Une parole ne vaut pas un acte, complète Silas, nos mères vont consigner nos négociations et les approuver. Une fois le lorialet entre nos mains, nous vous garantissons la libération de votre cheffe en œuvrant tous les trois.
— Personnellement, je vous prête la fée gratuitement, intervient Sexta, en souvenir du bon vieux temps au sein du cartel. Mais si vous en faites n'importe quoi ou bien si vous la perdez inutilement sans avoir réussi à remplir votre part du contrat auprès des Strashilka, alors vous devrez payer pour tout ça.
— J'espère que son cul est solide, sourit Vova en fixant Fawkes.
— C’est dommage, vous ne pourrez pas le savoir, assura le renard. Bien, il est inutile de perdre davantage de temps, nous avons à faire. Sexta… »
Fawkes lui fait signe. Ils ont à s’organiser pour approcher Leiftan Tuarran et comme dit, le plus tôt sera le mieux. Avec la permission de leurs hôtes, Ryan, et lui se retireront. Si Sexta pouvait en faire de même pour préparer la rencontre à venir, il ne s’y opposera pas, bien au contraire. Alors il remercie les Strashilka de leur avoir accordé de leur précieux temps et d’avoir bien voulu écouter leur requête. Mais en cet instant, il n’a qu’une hâte : sortir de ce clapier à lapins malsain. Jamais un renard ne s’est autant senti mal à l’aise et si peu à sa place dans l’habitat d’une espèce appartenant aux proies d’ordinaire.
Frère et Soeur
C'était à l'aube, quand elle est arrivée. Il neige, parce que la fée a décidé qu'il neigerait jusqu'à ce que les siens marchent sur Albacore. Personne n'entre et ne sort du village et l'attente est bien trop longue.
Pourtant, juste avant de fuir pour ne pas se faire attraper, quelqu'un a glissé un message sous la porte du foyer des Ael Diskaret. Quelqu'un qui sait que c'est June qui le trouvera, car il a été rédigé en lettres capitales, qu'elle mettra du temps à déchiffrer. Mais elle finira par le lire.
Même si les temps sont houleux à la mairie d'Albacore, parce que la fée, Miiko Yamamura et Shakalogat Gra Ysul se livrent une guerre sans merci, June doit continuer de remplir ses obligations, comme Joseph Ael Diskaret.
Cristal leur manque, à tous les deux. Cristal ne peut plus entrer dans le village et a certainement dû rebrousser chemin vers Amzer, en attendant des nouvelles. Joseph préfère la savoir là-bas de toute façon. Là-bas, en sécurité.
Mais ce matin, June se lève la première, comme d'habitude. Son père est rentré à la maison dans la nuit, alors il dort encore. Elle voit le message soigneusement plié, glissé à son attention. Elle le saisit, puis elle le déchiffre. Cela lui prend quelques minutes, mais elle y arrive :Jolie June,
Ta fée m'a causé bien des ennuis. J'ai perdu une fille à cause de toi. J'ai été si déçue de devoir quitter Eel les mains vides. Le cul de ton frère m'aurait rapporté de l'or. Mais tu sais quoi ? Tout va bien. Je ne t'en veux même pas. Je dirais même que nous sommes quittes.
Sur le chemin du retour, j'ai croisé une merveilleuse morgan, sur une charrette tirée par des bériflores. Une belle créature dans l'âge d'or, avec ses vieux parents. Il leur restait peut-être quelques années devant eux, mais pourquoi attendre ? Ensuite, j'ai cueilli la morgan.
Tes grands-parents sont en train de pourrir au soleil, ma belle. On ne les retrouvera pas de sitôt et pour ta mère, ne t'en fait pas : je l'ai donné à un jeune et fougueux pervers qui saura l'apprécier dans toute sa splendeur. Quand il en aura assez d'elle, je vous la rendrai, à toi, ton frère et ton père.
Je ne peux pas garantir son état. Ce cher petit l'aime déjà. Il l'aime beaucoup et ta mère décore bien joliment sa chambre.
Avec toute mon affection,
Sexta Stoker
Elle a mis du temps à lire correctement. Et puis quand elle y est parvenue, elle a recommencé, parce qu’elle voulait être sûre d’avoir tout compris. Une partie de son cerveau lui criait qu’elle n’était pas idiote, que ça voulait bien dire ce que ça disait, mais l’autre niait. Et puis finalement, elle s’est rendue à l’évidence, et depuis, elle fixe le vide comme s’il pouvait lui apporter la tête de Sexta Stoker.
Ses grands-parents sont morts. Sa mère est entre les mains de la vampire. Son cerveau corrige de lui-même, dans un calme qui la surprend elle-même. Ce ne sont pas tes grands-parents. Ce n’est pas ta mère. Il rationalise l’information, et June trouve ça tellement ridicule qu’elle ne peut pas s’empêcher de rire. Un premier gloussement lui échappe, hystérique, rapidement suivi d’un autre. Voilà, ça y est. Sexta s’est vengée pour la mort de cette garce de petite sirène, et comme la fée n’a pas été suffisamment forte pour tuer aussi la vampire, des innocents en paient le prix. June rit, de plus en plus fort, et elle est obligée de plaquer la main sur sa bouche pour ne pas faire trop de bruit. Même si finalement, elle se fiche de réveiller Joseph, d’attirer l’attention d’Helouri ou de passer pour une folle. Ça la fait rire encore plus. Elle ne sait pas si les larmes qui roulent sur ses joues sont dûes à son hilarité ou à l’horreur de la situation. Parce que de toute façon, il va bien falloir leur dire. Leur montrer la lettre, expliquer à Joseph pourquoi sa femme, cette femme qu’il trouve encore si belle, qu’il aime à la folie même après que le temps ait pris son dû sur leurs personnes, sa femme si gentille et si fragile est à présent entre les mains d’un homme qui va la détruire. Que ses beaux-parents sont morts aussi, et que désormais, sa famille se résume à une femme torturée, un fils trop faible pour marcher seul et elle qui rit toujours devant ce triste constat.
Son manège attire l'attention d'Helouri qui s'est réveillé. En voyant sa grande sœur rire ainsi, il a dévalé les escaliers en lui demandant ce qui lui arrivait, mais elle ne lui a pas répondu. Alors il s'est saisi du message qu'elle tient entre ses mains et elle l'a laissé faire. C'est parce qu'il a entendu son fils hurler que Joseph est apparu, à son tour.
Helouri a essayé de lui expliquer ce qu'il se passait mais même ça, il en est incapable. Il a bégayé, pleuré, supplié de retrouver quelqu'un au plus vite et Joseph, qui est un vétéran de l'Obsidienne, a compris bien trop vite. Dès que le papier s'est retrouvé dans ses grandes mains bleues, le silence est tombé sur le foyer. Helouri a vu le visage de son père pâlir et ce qui l'a empêché de tomber à la renverse, de s'effondrer et de cracher sa douleur, c'est l'amour. L'amour et l'instinct de sauver son épouse qui a foudroyé son cerveau à partir du moment où la réalité lui a dépeint l'horreur de la situation.
« Restez ici. »
Sa voix glaciale a frappé comme un coup de fouet. Joseph est sorti sous la neige et Helouri le devine en train de courir vers la mairie d'Albacore, peu importe ce qui s'y déroule. Il va réunir des gardiens, il va monter un plan pour aller secourir sa femme, il va remuer Eldarya tout entière pour la tirer de son malheur avec la rage, la colère et la douleur de l'imaginer souffrir sous les mains d'un homme. Puis il voudra tuer Sexta, pour se venger. Mais Sexta n'a pas peur, jamais. Tout le monde veut se venger d'elle, mais personne n'y parvient.
Quand le silence retombe sur le foyer des Ael Diskaret, Helouri se contente de pleurer. Tremblant, il voudrait se laisser tomber quelque part, parce qu'il sent sa poitrine se compresser. Puis il se souvient. Il réalise. Il rive son regard d'argent, gonflé par les pleurs, sur sa grande soeur, puis il lui souffle :
« C'est de ta faute. Tout est de ta faute.
— Peut-être. »
Sa voix n’est qu’un souffle lointain, comme si June parlait sans vraiment être là. Postée à la fenêtre, la jeune femme regarde les flocons tomber sur les pavés et songe que la neige est aussi belle que paresseuse. Lentement, elle se retourne vers Helouri pour lui adresser un sourire tordu, avant de hausser les épaules. Ça n’a pas vraiment d’importance.
« De ma faute, de la tienne, de celle de Joseph… »
Elle énumère avec ses doigts et un nouveau gloussement lui échappe, avant que ses yeux ne se vrillent à ceux du jeune morgan pour qu’il y lise la haine, la colère et le dégoût.
« Ça devrait être toi, là-bas, continue-t-elle. Si je ne t’avais pas sauvé, ça aurait été toi. Si tu n’avais pas été aussi faible, si tu ne t’étais pas fait capturer, si tu avais sû t’enfuir tout seul… Mais non, Helouri ne peut rien faire si on ne l’aide pas. Alors Helouri attend, il attend qu’on vienne l’aider, et quand quelqu’un daigne le faire, il l’estime responsable si les choses ne se déroulent pas correctement. »
June passe une main légèrement tremblante dans ses cheveux, puis elle se rapproche de lui pour prendre son visage en coupe et le gratifier d’une étreinte mauvaise.
« Moi, j’ai tué Fuya, mais toi, tu n’as rien fait pour protéger les gens qui comptent, murmure-t-elle. Tu as préféré essayer de disparaître, essayer de mourir parce que tu pensais que ce serait mieux pour nous. Peut-être que tu avais raison, Lou. Peut-être que Cristal serait toujours là, si toi tu étais parti. Ou peut-être que je n’aurais pas dû te sauver des griffes de Sexta. Tu aurais sans doute voulu être à la place de ta maman. Enfin, c’est ce que tu dois te dire, j’imagine. Pourquoi pas moi ? Pourquoi June m’a-t-elle sauvé ? Mais soyons réalistes. »
Elle le lâche et écarte les bras, les yeux brillants. Sa voix baisse d’un octave, rendue rauque par le désespoir et la rage.
« Si tu étais à sa place, tu serais déjà mort de peur. Littéralement, parce qu’il n’y a pas plus lâche qu’Helouri Ael Diskaret.
— Arrête de l'appeler "maman". »
Ce n'est pas June. Ce n'est pas sa sœur qui se trouve face à lui. C'est une étrangère qui a provoqué le chaos parce qu'elle a voulu s'attaquer à un monstre plus grand qu'elle. Maintenant, Cristal est partie, par sa faute et elle le désigne comme responsable. Oui, il est faible. Oui, il est lâche mais sa lâcheté n'aurait jamais causé les horreurs que sa mère est en train de subir.
« Tu as raison, June, répond Helouri d'une voix éteinte, ça aurait été mieux que je sois à sa place, dans le lit d'un pervers. Je serai mort de peur et je n'aurais pas eu à subir, mais maman est plus forte que moi. Mais tout ça… »
Il secoue la tête. C'est elle. C'est elle qui a provoqué tout cela. Elle avait une famille, les Ael Diskaret l'avaient accueillie chez eux pourtant, elle a semé le chaos :
« … C'est entièrement ta faute. C'est toi qui a provoqué Sexta, c'est toi qui a voulu te mêler des affaires du cartel et c'est toi qui a marchandé avec la fée ! Qu'est-ce que tu voulais ? Devenir une héroïne ? Tout ce que tu es, c'est l'esclave d'une fée ! Je suis un lâche, mais tout ce qui m'est arrivé, c'est parce que tu l'as provoqué ! »
Plissant ses yeux d'argent, il se recule, toise celle qui était sa grande soeur, puis lui crache :
« C'est toi qui devrait être à la place de maman, pour réparer les fautes que tu a commises. »
June le fixe sans rien dire. Elle ne voulait pas devenir une héroïne, parce que ça n’existe que dans les histoires. Elle n’a pas demandé à ce qu’on l’adopte. Elle n’a pas demandé à ce que Candice attaque la cité, à ce que Nelladel tente de l’enlever, elle n’a pas demandé à voir toutes les horreurs auxquelles elle a assisté.
« Et alors quoi ? répond-elle doucement. J’ai fait ça parce que je préfère savoir que de rester dans l’ignorance, parce que je refuse de subir. J’ai marchandé avec Candice pour sauver tes petites branchies, je me suis mêlée des affaires du cartel parce que tu étais impliqué. Et tu sais quoi ? J’ai fait des erreurs, mais au moins, j’ai fait quelque chose. J’ai le droit de me plaindre, pas toi. Pas le pauvre petit Helouri qui ne fait qu’assister à sa vie sans y prendre part et qui ose trouver quelque chose à redire quand les choses ne vont pas dans son sens. »
Elle lève les bras au ciel et éclate de nouveau de rire, puis triture ses mèches cendrées en retournant regarder la neige.
« Si tu veux un coupable, tu n’as qu’à désigner Joseph. C’est lui qui m’a adoptée. C’était votre idée à tous, mais tu n’aurais jamais pris une décision comme ça tout seul, et Cristal… Bah, Cristal a bien assez à gérer en ce moment pour qu’on la blâme de quoi que ce soit. Mais vas-y, Helouri. »
Elle lui montre la porte sans le regarder, et hausse les épaules avec fatalisme.
« Vas voir ton papa, raconte lui comment ta méchante grande soeur adoptive est devenue la cause de tous tes malheurs, comment elle s’est faite l’esclave d’une fée pour assurer ta sécurité, raconte lui qu’elle a tué la sirène grâce à ladite fée parce qu’elle voulait être sûre que rien n’arrive à ta petite personne. Va chialer dans ses jupons comme tu sais si bien faire, ça arrangera sûrement les choses. Ta maman va revenir, comme par magie, tu ne seras pas envoyé de force au grand palais pour devenir le page d’une femme que tu ne pourras que rêver de toucher, à supposer que tu sois un peu plus courageux dans tes rêves. »
Elle finit par se retourner et lui adresse une moue affreuse, mélange entre satisfaction, effroi et déception.
« C’est dur, pas vrai ? De se rendre compte que les gens ne sont pas aussi parfaits que ce qu’on imagine, crache-t-elle.
— Oui, c'est dur. » admet-il.
Elle voulait savoir ce qui se passait, elle a su. Et maintenant ? Même si Cristal revient, dans quelle état sera-t-elle ? Helouri refuse d'imaginer sa mère en train de subir des horreurs et peu importe à quel point il est faible, ce n'est pas sa faiblesse qui a conduit Cristal entre les mains de Sexta.
« Arrête d'utiliser ma sécurité comme excuse, June, gronde Helouri, tout ce que tu as fait, tu l'as fait pour toi ! Parce que tu voulais savoir, parce que tu voulais fourrer ton nez dans des affaires qui te dépassent ! Si tu n'avais rien fait de tout ça, personne ne serait en danger ! Ni moi, ni maman ! »
Il essuie son visage d'un revers de sa manche puis il poursuit d'une voix saccadée :
« Et maintenant, qu'est-ce que tu vas faire ? Puisque ma sécurité t'importe soi-disant beaucoup, qu'est-ce que tu vas faire pour maman ? Quoique… »
Il fait mine de réfléchir, puis achève avec colère :
« Elle n'est pas ta mère et ceux qui sont morts quand Sexta l'a enlevée ne sont pas tes grands-parents. Je ne suis même pas ton frère et papa n'est pas ton père. Tu n'es pas une morgan et c'est peut-être pour ça que ça ne te fait rien. Mais tu sais quoi ? Personne ne t'as adoptée de force ! Tu avais un papier sous les yeux, quand papa et maman t'en ont parlé, il te suffisait de ne pas le signer ! Tu n'avais même pas besoin de le lire, espèce d'illettrée, alors pourquoi tu as tant voulu faire partie de notre famille si c'était pour la détruire pour toi et seulement pour toi ?
— Bah tu vois, c’est pas si compliqué de s’affirmer. »
Elle esquisse un rictus amer. Il peut crier, elle s’en fiche. Il peut pleurer, elle ne viendra pas le rassurer. Elle a essayé de faire les choses correctement, elle s’est noyée et personne n’est venu la secourir, parce que la seule personne à qui elle a cru pouvoir faire confiance est ce petit bout d’être qui ne sait rien faire seul. Elle est toute seule, elle qui a tant voulu être parfaite pour cette famille qui a offert de l’accueillir en son sein. Helouri ne sait pas, il ne saura jamais. Il a un papa et une maman, il a des grands-parents. Avait. Peut-être que maintenant, il n’a plus que Joseph, mais il n’a jamais été tout seul. Elle a dit oui parce qu’on le lui proposait, parce que c’était son vœu le plus cher, et ensuite, elle a essayé d’être la fille idéale pour ne pas qu’ils regrettent.
« Tu as raison, murmure-t-elle. Cristal n’est pas ma mère, Joseph n’est pas mon père, tu n’es pas mon frère. Bonne nouvelle, comme ça, personne ne pourra plus me menacer de quoi que ce soit, et encore moins Sexta. Peut-être que si tu lui envoie une lettre, elle sera assez gentille pour relâcher ta mère. Je ne voulais pas être toute seule. »
June regarde ses mains. Elles qui s’agitent d’habitude dans tous les sens reposent au bout de ses bras comme les cadavres d’oisillons incapables de voler.
« Ça me terrifiait, chuchote June. Mais peut-être que c’est mieux comme ça, parce que de toute façon, avoir une famille, ça n’apporte que des ennuis. Que des fardeaux. J’ai eu de la chance de tomber sur vous, mais ça aurait pu être n’importe qui d’autres. Le Conseiller, Candice, même Sexta… Si l’un d’eux m’avait proposé un endroit où dormir, où manger et quelqu’un sur qui me reposer, j’aurais dit oui de la même façon.
— Alors cours à la mairie, Candice est là-bas. Peut-être qu'il t'emmènera dans son royaume, avec sa famille et que tu te mettras à manger comme les fées. »
C'est injuste. Terriblement injuste. Elle était parfaite, à leurs yeux. June est parfaite pour Joseph et Cristal Ael Diskaret et elle l'a toujours été, peu importe qui elle est et le sang qui peut couler dans ses veines. Helouri ferme les yeux si fort que de nouvelles larmes se mettent à couler. Non, il ne sait pas s'affirmer, il ne peut pas se mettre en colère sans pleurer et il se sait pathétique. Il se recule, puis se laisse tomber sur l'accoudoir du canapé. Le silence s'installe entre lui et June, lorsqu'enfin il demande dans un souffle :
« Tout le monde t'aime. Ça ne te suffisait pas ? Tu avais besoin d'aventures ?
— On ne peut pas tous se satisfaire d’une vie ennuyeuse, Helouri. »
Aimer quelqu’un, ce n’est pas suffisant si on n’est pas capable de l’aider quand il se noie. Il peut lui reprocher d’avoir voulu explorer le monde, ça ne la touche pas plus que les flocons dehors. Elle a remercié tous les jours le destin d’avoir mis les Ael Diskaret sur sa route, d’avoir sorti l’orpheline qu’elle était de sa solitude si effrayante, mais ce n’est pas parce qu’elle porte leur nom qu’elle doit devenir comme eux. Trouver un foyer lui a permis de se forger des rêves. Helouri peut dire ce qu’il veut, elle n’avait pas à les abandonner parce qu’à ses yeux, ils étaient moins convenables que d’autres.
« De toute façon, on s’en fiche, soupire-t-elle en suivant le trajet d’un flocon. C’est trop tard, maintenant. Ce qui est fait est fait, comme dit ton père. Tu peux bien faire ce que tu veux, ça ne me regarde plus. Moi, je vais trouver un moyen de tuer Sexta, et ensuite, je tuerais Candice, parce que je ne serais pas l’esclave d’un incapable dans son genre. Et je tuerais le renard, la licorne, et ensuite… »
Elle se tait. Ensuite, elle aura bien le temps de voir. La conquête terrienne, Sheraz, la mission du cartel des Typhons… Ils peuvent tous mourir, ça ne l’empêchera pas de dormir. Et ce sera encore mieux si elle est responsable.
« Tu es comme eux. »
Quand Helouri la regarde, June n'est plus celle qu'il a rencontrée il y a quatre ans. La gardienne de l'Obsidienne pétillante et enthousiaste qui rêvait de partir en mission aux quatre coins du monde. Celle que Cristal et Joseph ont accueillie chez eux, tout d'abord pour quelques jours, puis au final, qui n'est jamais partie.
« Tu ne tueras pas de fée, June. Leiftan n'a pas pu le faire, mon père non plus et même Sexta en a été incapable. Et tu ne tueras pas non plus Sexta, ni le renard, ni la licorne… Et puis tu sais quoi ? Fais-le si ça te chante. Tu les méprise, mais tu es exactement comme eux et tu aurais ta place dans un cartel. Tu n'as qu'à t'y enrôler, d'ailleurs. »
Helouri fait quelques pas, plonge son regard argenté dans les yeux de June, puis affirme :
« Tu peux critiquer la vie ennuyeuse que tu avais avec nous mais au moins, elle t'empêchait de devenir un monstre. Va te venger si tu veux, June, mais fais-le en ton nom et pas en celui de maman. Assume que c'est parce que tu veux te prouver quelque chose et que les faibles et les lâches dans mon genre ne sont que des prétextes. »
Sur ces paroles, Helouri quitte la maison pour se diriger vers la mairie d'Albacore. Il n'a rien à y faire, mais il veut retrouver son père et entendre ce que les hautes instances ont à dire sur l'enlèvement de sa mère.
June reste un moment à regarder la neige tomber. Il a peut-être raison, il a peut-être tort, elle s’en fiche. Personne n’est capable de lui offrir un autre but, celui de Candice ne l’intéresse pas, et elle ne peut protéger personne. Alors qu’elle devienne un monstre comme Leiftan ou Sexta, qu’importe. Elle a déjà détruit tout ce qu’on lui avait offert.
Quand elle sort à son tour, elle ne met pas de manteau, mais elle sent à peine le froid. Elle veut juste marcher jusqu’à ce que son esprit se vide, et peut-être que la rage brûlante laissera place à l’anesthésie du néant. Elle n’est pas encore comme eux, elle n’est pas assez forte, alors elle va le devenir. Et quand elle égalera les monstres qu’ils sont, même si ça lui prend toute une vie, elle les fera disparaître, peu importe ce que ça lui coûtera au passage.
Elle déambule quelque peu lorsque soudain, quelqu'un se met en travers de son chemin. Quand elle lève les yeux, c'est pour se confronter à Helouri. Le jeune morgan est là, stoïque, son visage rougit par les pleurs, ses boucles nacrées en désordre et sa tunique trop légère, incapable de le protéger du froid de Candice. Il la fixe, l'air grave et enfin, il affirme :
« Non, June. »
Avec lenteur, il s'approche. Il prend ses mains dans les siennes et il regarde les cicatrices qui les parsèment, vestiges de ses entraînements ainsi que de ses missions.
« Je ne te laisserai pas devenir un monstre, ni te noyer dans ce qu'il y a de pire, comme eux l'ont fait. »
Il lui serre les mains, puis poursuit, les yeux humides :
« Je suis lâche et faible, c'est vrai. Mais moi, au moins, j'ai quelque chose qu'ils n'auront pas. Je t'aime. Peu importe ce que j'ai dit ou ce qu'on doit vivre. Parce qu'on fait partie de la même famille, même si nous n'avons pas le même sang.
— Si tu veux. »
Sa voix est atone, rendue rauque par le froid. Il fait bien ce qu’il veut, ça ne la regarde pas. June regarde leurs mains, puis elle reprend les siennes et continue sa marche sans le regarder.
« De toute façon, tu partiras quand ça deviendra trop dur. »
C’est ce qu’il a toujours fait, et c’est ce qu’il fera toujours, parce qu’on ne change pas ce qu’on est. Alors il peut la suivre, l’empêcher de se noyer pour un temps, mais June sait, qu’au fond, il finira par l’abandonner pour de bon.
Sa main est fraîche, sur la vitre de la fenêtre. Il sent la morsure du froid sur sa paume et il ne peut qu'imaginer ce que les flocons acérés pourraient faire sur sa peau. Ses yeux opalins observent le paysage blanc, à l'extérieur. C'est peut-être la seule étincelle de quiétude au milieu du chaos.
Voilà dix jours, qu'il neige sur Albacore. Voilà dix jours que Candice Milliget fait tomber la neige sur un village dévasté et terrorisé par le souffle destructeur d'une guerre à venir. Voilà dix jours que Miiko Yamamura et Shakalogat Gra Ysul tentent de négocier sans se soumettre.
Le reste de la population, elle, attend. On entend beaucoup de rumeurs, quand la fée ne hurle pas de colère : il paraît que la guerre va bientôt frapper et que ceux qui ne plieront pas devant le peuple originel seront tués. On raconte aussi que les goules vont se montrer et on tremble. On ne veut pas croire à tout cela et on prie pour que les hautes instances parviennent à repousser le monstre aux ailes brillantes.
Rose n'a pas peur.
Quand il regarde le décor d'albâtre, il se sent étrangement apaisé. Il sait pourtant qu'il s'agit d'une marque de domination, celle du monstre qui occupe la mairie d'Albacore en attendant sa guerre de pied ferme. Mais ce calme-là, ça lui rappelle une personne et le blanc de la poudreuse, des cheveux. Rose détourne le regard en croisant les bras sur sa poitrine, son visage ayant pris des couleurs.
La pièce dans laquelle il se trouve est bien plus exiguë que l'ancienne. Les patients avec les blessures les plus graves y sont traités, pendant que les blessés légers ont été transférés dans plusieurs salles de soins. Le personnel soignant fait ce qu'il peut. À plusieurs reprises, Rose a vu Ezarel Séquoïa faire des allers et venues, l'air tendu, lançant des ordres, criant des diagnostics d'un ton pressé, signant des documents… Ewelein Osgiliath, elle, tâche de rester aussi sereine que d'ordinaire, même si elle est tout aussi sollicitée que le Chef de l'Absynthe.
Bien entendu, dans son éclat de colère, Candice a détruit une bonne partie du matériel médical, ce qui a engendré une pénurie. De ce que Rose a entendu, les médicaments que le village d'Amzer devait donner à Albacore ne sont pas encore arrivés et beaucoup de gardiens se demandent si Cristal Ael Diskaret, la volontaire de cette mission, a eu pour ordre de ne pas s'approcher de la neige du village.
Rose balaye la salle de son regard opalin. Lorsque Balam Lefaucheur entre dans son champ de vision, il s'arrête pour l'observer. L'ancien guetteur est redressé sur son lit d'hôpital, son dos calé contre des oreillers, ses yeux opaques perdus vers des images qui n'appartiennent qu'à lui. Rose a appris, plus tôt, que les dégâts infligés à sa rate étaient tellement importants qu'il a dû subir une lourde intervention à ventre ouvert dirigée par le docteur Le Preux. Mais par bonheur, il est tiré d'affaires et il est très chanceux. Le jeune vampire se demande encore pourquoi Candice ne l'a pas tué sur le coup, vu que Balam était à sa mercie et peut-être que ce dernier se pose la même question.
Rose détourne le regard quand Valkyon s'approche de son ami. Il l'entend le saluer d'un ton affable, puis tirer un tabouret afin de s'asseoir à son chevet. Visiblement, Balam ne l'a pas entendu s'approcher et il a été surpris. Rose joint les mains sur ses genoux, tordant ses longs doigts fins de manière inconsciente.
Depuis qu'il sait, il a passé quelques souvenirs en revue. Des anciens aux plus récents, de sa première rencontre avec Valkyon, jusqu'à leur dernière conversation, il y a dix jours. De l'instant où il est tombé amoureux jusqu'à la minute où il a réalisé que ses sentiments restaient inchangés, malgré le secret de Valkyon, ou peu importe son véritable nom.
Valkyon est décédé aux Îles du Qi il y a douze ans et la chimère vit avec son visage, parle avec sa voix et marche avec son image. C'était elle, il y a sept ans, lorsque Rose est arrivé à la cité d'Eel, c'était elle qui lui avait fabriqué le petit bracelets aux perles noirs, afin qu'il ne perde plus jamais ses clés et c'était elle qui illuminait la vie monotone de Nevra et celle de Rose.
Que Valkyon soit une chimère ou plutôt qu'une chimère ait pris les traits de Valkyon ne change rien, si ce n'est que le véritable Valkyon se soit éteint dans l'indifférence. Rose peut imaginer sans mal ce qui se produirait si la vérité éclatait. Ce que traverserait tous les proches du véritable Valkyon qui se sentiraient trahis, à commencer par ses propres parents, puis la Capitaine Shakalogat Gra Ysul et enfin, Nevra.
« Je vais simplement dormir, je pense, songe Balam, plus loin, Merci Valkyon. »
Ce dernier hoche la tête, administrant une légère tape amicale sur l'épaule de son ami. L'intervention chirurgicale a été épuisante et il mettra du temps à récupérer seulement, Albacore n'est plus un lieu où les grands blessés peuvent se reposer en toute quiétude. Lorsque Valkyon se redresse, l'or de ses yeux croise le regard de Rose. Avant, le jeune vampire y lisait une gentillesse infinie, beaucoup de chaleur ainsi qu'une force tranquille, comme un foyer accueillant où il se sentait en sécurité. C'est toujours le cas pourtant, depuis qu'il sait, il y décèle quelque chose en plus. Une étincelle singulière qu'il aime à traduire comme une sagesse qu'une longue existence a pu lui apporter, même s'il ignore si sa supposition est réelle.
Depuis son altercation avec Candice, Valkyon a pu récupérer tant bien que mal. Ses blessures ont été pansées, l'énorme bandage qui couvre sa poitrine est changé à plusieurs reprises et avec le chao qui court, le Chef de l'Obsidienne rechigne à garder son lit. Même s'il ne peut pas encore quitter l'hôpital, il fait son maximum en travaillant avec les gardiens venus lui rendre visite et Joseph Ael Diskaret. Peut-être qu'une fois dehors, il redoute la confrontation avec Candice qui, contrairement à Rose, n'aura aucun scrupule pour livrer son secret aux hautes autorités d'Eel. Seulement, il reste une chance qu'il ne soit pas cru.
« Pauvre homme. »
Le jeune vampire ouvre de grands yeux quand il voit Valkyon s'installer à ses côtés, posant son petit tabouret afin de s'y asseoir. Les muscles de Rose se crispent alors qu'il commence à malmener le tissu de son vêtement d'hôpital. Il jette un regard en biais pour détailler le Chef de l'Obsidienne. Valkyon est égal à lui-même. Sa silhouette massive, bien que blessée de toutes parts, n'a pas changé en dix jours, tout comme son visage anguleux, auréolé de cheveux blancs. Si on ne sait rien, on ne voit rien. Il n'y a aucun détail curieux qui pourrait susciter des questions et Rose se demande s'il est mal avisé d'y penser, si cela change réellement quelque chose, mais son propre cœur lui donne la réponse. Il n'a pas d'yeux. Il bat toujours pour le même. L'homme ou la chimère, peu importe.
Le silence s'installe entre eux. Rose a entendu ce qu'il a dit, mais son esprit n'a pas pris la peine de traduire les mots pour lui donner le sens de la phrase.
« Si ma présence vous importune, n'hésitez pas à me le dire, Rose. Je comprendrais.
— Non. »
Rose secoue la tête. Ses bras se tendent dans un mouvement d'embarras, faisant craquer ses articulations alors qu'il réitère son non. Quand il lève son regard opalin vers le visage de Valkyon, il peut lire le soulagement. C'est bref, comme une fraction de seconde durant laquelle le guerrier aurait faibli pour se reprendre, puis désigner Balam d'un mouvement de tête :
« Pauvre homme. Son poste de geôlier lui aura coûté cher. C'est un miracle qu'il soit encore en vie. Loué soit l'Oracle. »
Rose le pense aussi. Balam peut remercier la providence de ne pas avoir fini le crâne percé. Peut-être que Candice était si pressé de retrouver le cartel qu'il a épargné Balam, mais le connaissant, le jeune vampire doute que ce puisse en être la raison. Quand il le voit dans son lit, les yeux clos, à essayer de trouver le sommeil, il ressent de la peine pour lui. Balam est quelqu'un de bien, quelqu'un qui a voulu essayer de comprendre la haine d'une fée, mais dont l'échec est douloureux.
« Il est comme vous, songe Valkyon.
— Comme moi ? demande Rose, perplexe.
— Il a voulu trouver ce dont il avait besoin chez une créature qui ne pouvait pas le lui donner. »
Face à son air confus, Valkyon lui adresse un sourire attendri. Malgré le chaos qui règne sur Albacore et le désespoir flottant dans cette grande salle d'hôpital, il semble si tranquille, si apaisé. Comme libéré d'un poids et c'est avec une aisance particulière qu'il partage son savoir, en baissant la voix :
« Vous, Rose, vous recherchiez l'amour, chez Candice Milliget…
— Pas du tout, se défend le jeune vampire, choqué, je n'ai jamais eu ce genre de pensées…
— Pas cette forme d'amour, sourit Valkyon, celui qui rassure. Celui qui vous place en sécurité, celui qui peut se partager entre les membres d'une même famille. Vous avez sûrement dû voir comment les fées d'une même famille interagissaient entre elles, non ? C'était ce que vous vouliez et Candice avait la puissance nécessaire pour vous apporter le simili d'une protection. Comme si vous comptiez pour lui. Comme si vous faisiez partie de sa famille. »
Rose baisse la tête alors que ses joues prennent la couleur des fleurs dont il porte le nom. Oui, Valkyon a raison. En étant un bon dava, en s'attirant la protection et l'attention d'une créature aussi puissante et érudite qu'une fée, alors il pourrait vivre sa vie sans craindre rien ni personne. Il se creuserait une petite place auprès des souveraines originelles et il s'imaginait vivre auprès d'elle, avec Nevra et sa mère. Il aurait droit à tout cela parce qu'il aurait fait le bon choix. Combien de fois a-t-il envié les Milliget, de partager un lien aussi fort, une forme d'amour inconditionnel que l'on ne voue qu'à sa mère, son frère ou sa sœur. Peu importe que Candice puisse crier sur Sira ou lui demander de se taire, il serait capable de donner sa vie pour sauver la sienne. Tout comme Delta Milliget s'était résolue à se rendre à la Garde d'Eel, pendant la catastrophe, juste pour rester auprès de son fils. Fils qui avait usé de ses dernières forces pour la sauver, elle.
« Balam, lui, lui a cherché une excuse. Il est le genre de personne qui ne peut pas concevoir que la haine puisse se construire toute seule. Il y a une raison à la violence, à la folie, à l'amour ou à la haine de l'autre. À l'amour ou à la haine de soi. Balam a pensé avoir les ressources nécessaires pour trouver ce qu'il cherchait, sans comprendre qu'il s'attaquait à une catastrophe, qui n'a jamais pu être résolue par son propre propriétaire. »
Rose regarde Valkyon et Valkyon regarde Balam. La chimère sourit paisiblement, comme si elle compatissait pour l'échec douloureux de son ami qui n'a jamais pu comprendre que sa belle âme n'était pas suffisante pour apaiser l'incarnation de la violence. Valkyon sait. Il sait parce qu'il a bien vécu, avant d'arborer le visage qui lui sied, ici et maintenant. Rose ouvre de grands yeux :
« Vous… Vous avez déjà rencontré…
— Jadis, notre nature n'était pas ce qu'elle est à présent, elle était bien différente. D'abord, il y avait trois espèces d'hommes, et non deux, comme aujourd'hui : le mâle et la femelle et, outre ces deux espèces-là, une troisième composée des deux autres ; le nom seul en reste aujourd'hui, l'espèce a disparu. C'était l'espèce androgyne qui avait la forme et le nom des deux autres, mâle et femelle, dont elle était formée; aujourd'hui elle n'existe plus et c'est un nom décrié.* »
Il vient de décrire les fées pourtant, face à l'air interdit de Rose, Valkyon lui explique qu'il vient de lui relater un mythe issu de la Terre. Un mythe rapporté par les lorialets, lors du Grand Exil, avec d'autres ouvrages savants ainsi qu'une religion humaine.
« Les miens aiment le savoir, reprend Valkyon, et notre vie est bien assez longue pour que l'on s'intéresse à tout ce que le monde peut porter. Il y a plus d'un siècle, les lorialets se sont installés sur les Terres Gelées du Grand Nord. Ils ont bâti leur village, il y ont installé une église en son centre et ils se sont nourris d'ouvrages, comme celui du mythe de l'androgyne, écrit par un humain nommé Platon. Il décrit des créatures érudites, arrogantes. Si arrogantes qu'elles voulurent combattre les dieux pour prendre leur place, mais au final, leur insolence fut punie. »
Quelle ne fut pas la surprise des lorialets quand ils découvrirent que leurs voisins n'étaient nulle autre que des créatures si semblables à celles de leur mythe… Les souveraines originelles d'Eldarya, mâles et femelles, érudites, arrogantes, puissantes et si sûres de leur suprématie naturelle. Les lorialets n'étaient pas difficiles à soumettre pourtant, ils étaient persuadés qu'un jour ou l'autre, un dieu ou une déesse viendrait punir les fées pour leur arrogance, comme dans le mythe et ce jour a fini par arriver.
« Les androgynes, c'était ainsi que les lorialet nommaient les fées, avant qu'ils ne disparaissent, poursuit Valkyon, seulement, les premiers lorialets avaient assez vécu avec les humains pour savoir que la perfection n'existe pas. Et nous, nous connaissions assez les fées pour le savoir aussi. »
Pour les fées, rien n'est plus important que leur famille. Et après la famille, rien n'est plus important que leurs semblables. Les plus faibles obéissent aux plus forts, les plus forts se reproduisent et quand les petits viennent au monde, ils sont des joyaux qui seront polis pour devenir un modèle de perfection. Un maître du monde.
La destinée d'une fée est grande. Sa tête est bien remplie, son aspect inspire la fascination, ses muscles sont aussi puissants que délicats et elles n'ont besoin de personne pour donner la vie.
« L'amour parental et fraternel est le sentiment le plus puissant qu'une fée peut connaître, juste avant la fierté d'appartenir au peuple des fées. Seulement et comme dans le mythe de Platon, les dieux finissent par punir les créatures arrogantes. Il y a une soixantaine d'années, les fées ont commencé à donner naissance aux anomalies.
— Commencé ? s'enquit Rose, interdit, ça n'a pas toujours été le cas ? »
Valkyon secoue la tête. De ce que Rose sait, l'anomalie est un secret lourd à porter, un secret qui n'est partagé qu'entre le parent et la fée afin que cette dernière puisse se préserver de la honte des siens. L'anomalie est un enfant mis au monde pour être sacrifié. Un enfant qui, contrairement à ses frères et sœurs hermaphrodites, ne possède qu'un seul sexe et est destiné à être dévoré par le parents, aux portes de la mort, après avoir donné naissance à neuf enfants.
Seulement et depuis le règne de Delta Milliget, ce genre de pratique est proscrite et l'anomalie reste en vie.
« À l'époque, les fées naissaient au nombre de huit, explique Valkyon, parce que le monde était bien assez grand pour que les quatre plus puissantes de l'adelphie puissent se reproduire à leur tour. À présent, leur royaume s'est considérablement rétrécie depuis le Grand Exil. Elles naissent au nombre de neuf, mais l'une d'entre elles est une anomalie, à leurs yeux, et seules les deux fées les plus puissantes de l'adelphie pourront se reproduire à leur tour. Les temps ont changé et les fées pensent que le malheur frappe leur peuple. »
Elles ont été contraintes de servir la conquête terrienne et de mener des expériences sur des êtres humains pour les Docteurs Becs, parce que les anciens et les enfants de leur peuple sont retenus en otage. Seraient. Ce que Rose sait, c'est ce que Candice lui a appris seulement et depuis une dizaine de jours, il remet en cause tout ce que la fée Milliget a bien pu lui dire.
Il a pu mentir ou bien croire ses propres mensonges.
« Vous savez ce qui vous différencie des créatures comme les fées, Rose ? demande Valkyon, vous, Balam, Nevra… Vous qui êtes venus de la Terre.
— Nous avons gardé le modèle de vie humain, même si nos ancêtres et premiers arrivés sur Eldarya ont tenté de changer cela ? essaye Rose.
— C'est vrai, sourit Valkyon, mais pas seulement. Vous avez la plus belle de toutes les vertues. Vos êtres sont capables de ressentir et d'apprécier toutes les formes d'amour que ce monde peut porter et aucune croyance ne vous interdit cela. Vous écrivez l'amour dans vos poèmes, vous le chantez, vous le dansez et vous l'embrassez sur vos chemins de vie. Un amour romantique, libre et heureux… Même les fées ne connaissent pas cela. »
Elles ne sont pas faites pour aimer de cette manière. Leurs vies n'ont pas de place pour cette forme d'amour et elles n'en ont pas besoin pour se reproduire. Pour les autres peuples, elles peuvent incarner la fascination, susciter le désir et se moquer, du haut de leur piédestal, de cette sacralisation que les petits peuples du Grand Exil vouent à l'amour romantique et aux plaisirs éphémères de la chair. Pour de futures reproductrices, c'est risible, pour le reste de la famille qui s'occupera également de la génération suivante, c'est risible, mais pour les anomalies…
« Mettons-nous à leur place, Rose. Au sein du ballet très précis du peuple des fées, les anomalies n'ont aucune destinée à accomplir. Elles ne pourront jamais être reproductrices, elles grandissent dans le secret d'elles-mêmes, dans la honte de soi, dans la croyance qu'il leur est impossible de s'occuper des générations suivantes, comme le font leurs frères et soeurs qui ne se reproduisent pas, car elles valent moins qu'eux et pour finir, elles n'attendent que la seconde où leur secret sera révélé pour faire un choix.
— Lequel ?
— Le sacrifice de soi. Pour sa famille. Pour son peuple ou bien… Par haine de soi. »
Rose fronce les sourcils. Pour lui, l'anomalie est une histoire qui flotte autour du peuple des fées, mais il n'a jamais été assez fou pour aborder le sujet avec Candice. Le jeune vampire n'a jamais compris l'importance que les fées pouvaient accorder à leur hermaphrodisme, comme si être une créature mâle et femelle à la fois, capable de se reproduire seule, faisait d'elles des êtres parfaits. Des êtres parfaits capables de traîner les anomalies dans la boue, quand leur secret est dévoilé au grand jour.
Sacrifice de soi, pour sa famille, pour son peuple ou bien par haine de soi… Rose peine à comprendre que des créatures aussi érudites que les fées ne puissent pas envisager de destin plus enviable, pour les anomalies. Au final, pour elles, tout se solde dans la mort.
« Pourquoi ne sont-elles pas parties ? demande Rose.
— Parce qu'elles aiment profondément leur famille et leur peuple. »
Bien sûr. Rien n'est plus important que cela, pour une fée. Pourtant, ce sont leur famille et leur peuple qui leur apprennent la honte et la haine de soi, pour une raison que d'autres espèces trouveraient parfaitement stupide.
Rose songe que si une anomalie pouvait connaître le regard d'un être qui ne serait pas une fée, peut-être retrouverait-elle l'amour d'elle-même. Grâce à des yeux qui ne seraient pas nés fées, pas polis comme une fée et étrangers à leur perfection. Mais pour une fée, l'amour d'un autre n'aurait sûrement pas la même valeur que celui d'un de ses semblables.L'Anomalie
Le jeune vampire perd son regard par la fenêtre, quelques secondes. À l'extérieur, la neige de Candice Milliget est toujours en train de tomber en de paisibles flocons qui viennent mourir aux pieds de la forêt bordant le village. Près de Rose, Valkyon s'est tu et ses yeux d'or se sont perdus dans des souvenirs anciens. Le jeune vampire se demande s'il est venu lui parler des temps reculés parce cela lui manquait ou bien parce que Rose a été un dava.
Il se retourne pour le lui demander pourtant, quand il fait face au visage de Valkyon, les mots se bloquent dans sa gorge. Pourquoi ? Combien ? Quel est votre nom ? Qu'avez-vous vu ? Qu'avez-vous vécu ?
Durant ces quelques minutes, la chimère lui a livré un petit fragment de sa longue vie, peut-être parce qu'elle en avait seulement envie et qu'il n'y a que Rose pour écouter, depuis qu'il sait.
« Vous ferez ce que vous jugerez bon, Rose. Ayez confiance en vous.
— Pardon ? »
Mais Valkyon se contente de lui sourire avant de se lever, puis de retourner auprès du lit de Balam pour vérifier son état. L'elfe noir s'est endormi, la main sur son ventre blessé. Rose fronce les sourcils alors que leur conversation passe en boucle dans son esprit.
Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il fera de bien ? Tout ce à quoi il a pu penser, ces dix derniers jours, c'est ce qu'il fera lorsque la reine Delta marchera sur la cité d'Albacore. Rose sait déjà qu'il a décidé de plaider la protection de Nevra, la sienne, celle de sa mère et enfin, celle de Valkyon. Il fera tout son possible pour éviter la guerre, ensuite, en s'essayant au rôle de médiateur. Peut-être qu'il n'est pas trop tard.
Le jeune vampire est celui qui a le traité gravé sur sa chair, alors peut-être que Valkyon lui donne de quoi lutter, ou bien… Non.
Sacrifice de soi, pour sa famille, pour son peuple ou bien par haine de soi.
Rose ouvre de grands yeux. Il regarde dehors, puis il secoue la tête comme pour chasser une idée, avant de se laisser happer par le calme de la poudreuse. Il pense à avant, il penser à maintenant et il pense à plus tard. À ce qu'il dira et à ce qu'il fera car quand il se trouvera face à Delta Milliget, rien ne sera plus important que ce qu'elle pensera.
* Extrait du "Mythe de l'Androgyne", de Platon, le BanquetLes Choix
Depuis dix jours, le village d'Albacore se trouve sous le joug de Candice. Shakalogat Gra Ysul et Miiko Yamamura tentent de parlementer avec lui, en attendant la venue des goules et des Milliget qui répondront à l'appel du traité de Polaris. Rose, lui, a décidé de jouer le rôle de médiateur, une fois que la reine des fées sera là.
Pour l'instant, il se trouve une nouvelle fois à l'hôpital, auprès des grands blessés. Aujourd'hui, Valkyon lui a fait part d'une petite histoire sur les fées, datant d'une époque qu'il a visiblement connue. À Rose d'en tirer la conclusion qu'il souhaite, mais aussi de poser les questions qu'il a à l'esprit. Peut-être que ce que raconte Valkyon pourra lui servir lorsqu'il se trouvera face à Delta. Mais que doit-il demander ? Quel sujet ?
➜ Creuser le sujet de l'anomalie.
➜ Demander au sujet de la Chair des Roses.
➜ En savoir plus sur les lorialets.
➜ En savoir plus sur les chimères.
➜ Un autre sujet (à vous de décider ! Dites-moi tout sur vos posts !)
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June s'est disputé avec Helouri. Le frère et la sœur se reprochent mutuellement des choses et une petite cassure s'est instaurée entre eux.
June est à présent en train d'errer dans le village. Veut-elle aller quelque part ? Parler à quelqu'un ?
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : Fawkes, Ryan et les Strashilka se sont mis d'accord sur un plan. Fawkes et Ryan doivent livrer Leiftan Tuarran à la famille Strashilka afin d'obtenir leur aide, mais encore faut-il le capturer. Ils comptent se servir de Sira Milliget comme appât, mais à présent, il faut parlementer avec Sexta Stoker, au sein de son ancien empire des Abysses.
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contactes-moi par MP !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
Je suis ravie de vous retrouver sur ce chapitre dix-huit ! J'espère que vous passerez un bon moment devant votre lecture et que vos méninges vont travailler avec le choix en fin de chapitre. Choix assez particulier, mais qui je pense, vous plaira. Je ne vous en dit pas plus et je vous laisse le découvrir !
Bonne lecture !
Chapitre 18 - Voir et Entendre
Au son des cors
Elle a continué de marcher sans se préoccuper de savoir si Helouri la suivait. June s’en fiche, qu’il soit là ou non ne change rien. À vrai dire, qu’il ne soit pas là l’arrange, au moins, elle n’a pas besoin de lui répondre. De toute façon, elle n’écoute pas ce qu’il lui dit. Helouri est ce qu’il est. Il a beau clamer de grands discours, lui assurer qu’il restera avec elle ou d’autres bêtises du genre, elle n’attend rien de lui.
Les flocons tombent sur sa peau anesthésiée par le froid, mais June ne frissonne pas. Ou peut-être que si, simplement, elle n’y prête pas attention. Elle marche dans les rues silencieuses, promène ses yeux sur le paysage sans le voir, écoute le crissement de la neige sans l’entendre. C’est de sa faute, et en même temps, qu’aurait-elle pu faire d’autre ? Et si, et si, et si… Avec des si, elle pouvait mettre sa vie dans une bouteille en verre et la jeter à la mer pour lui offrir d’autres rivages plus seyants. June n’aime pas regretter, et puis d’ailleurs, elle ne sait pas ce qu’elle devrait regretter. Elle est triste, elle est en colère, elle a mal, et pourtant elle est vide.
Ses pieds se traînent dans la poudreuse, jusqu’à ce que ses jambes protestent parce qu’il fait trop froid pour la tenue qu’elle porte. June soupire en s’adossant à un bloc de pierre, qu’elle finit par identifier. C’est une des statues de familiers qui ornent la grande place d’Albacore. La jeune femme renverse la tête en arrière pour l’observer, offrant un répit à ses muscles. Peut-être que si elle reste là, elle se transformera aussi en statue de pierre. Une statue emplie de haine, une statue vengeresse… Une statue aussi amère que le café que boivent les riches personnes. Amère, oui, c’est ça. Elle esquisse un sourire tordu et attrape un flocon entre ses doigts pour le regarder s’étaler. Elle n’a pas chaud, elle n’a pas froid, elle n’a plus mal, elle est simplement amère.
« Vous allez attraper une angine de poitrine. » l'interpelle un ton aigre.
Assis sur un banc de la place, Ezarel Sequoïa est emmitouflé dans un manteau rembourré couleur crème. Le Chef de l'Absynthe semble s'octroyer un rare moment de répit, une boisson chaude à la main. L'épuisement se lit sur ses traits. Son teint est terne, presque olivâtre et ses longs cheveux saphirs sont ramenés en un chignon lâche, réalisé à la va-vite, si bien qu'il est devenu le miroir de son jumeau qu'il déteste tant.
« L'hôpital d'Albacore n'a pas besoin de gardiens malades, poursuit le médecin, et les civils, eux, ont besoin de vous. Prenez soin de vous, vous rendrez service à tout le monde.
— Qu’est-ce que ça peut vous faire ? »
June plonge les mains dans ses poches et tourne la tête vers lui en arborant une moue morose.
« Je ne suis plus gardienne, et les dernières personnes qui ont eu besoin de moi ont terminé avec une jambe brisée, en prison, ou les deux.
— Formidable, rétorque Ezarel, les quatre dernières personnes qui ont eu besoin de moi sont décédées sur une table d'opération. C'était trop tard. Pourtant je dois bien continuer à accomplir mon rôle. Pensez au vôtre, peu importe pour qui vous trimez. »
Le Chef de l'Absynthe avale une gorgée de sa boisson en serrant ses doigts fins autour du gobelet fumant. Le silence s'installe entre lui et June durant quelques secondes, jusqu'à ce qu'il reprenne la parole :
« Si vous ne voulez pas protéger vos organes vitaux du froid et attraper des gelures, ça vous regarde. Sinon, juste là-bas, il y a une herboriste très gentille qui propose gratuitement des infusions de camomille. Profitez-en tant que nous sommes encore libres. »
Il désigne ladite boutique d'herboristerie d'un geste de la main. June l’observe un instant, puis hausse les épaules. Elle marche jusqu’à l’herboriste, compose un sourire soulagé quand elle reçoit une infusion, puis retourne sur ses pas pour se laisser tomber sur le banc du Chef de l’Absynthe. La jeune femme boit une gorgée, suit la progression du liquide chaud dans sa gorge, avant de lever les yeux vers les nuages.
« Libres, c’est un bien grand mot, ironise-t-elle. Votre frère ne vous l’a pas dit ? Candice et moi, on est comme cul et chemise. Quand il aura fini son caprice ici, il m’ordonnera de le suivre pour recommencer ailleurs.
— Par l'Oracle, de quoi vous vous vantez ? »
Ezarel secoue la tête comme s'il était en train d'écouter un enfant en train de lui relater l'exploit d'avoir écrasé une chenille luminescente. Il pousse un soupir, ferme brièvement les yeux, puis répond d'un ton très calme :
« Ma dernière réelle conversation avec mon frère remonte à loin. Avant de penser qu'il était mort dans son utopie de vie paisible sur Terre. Je crois qu'en effet, il a omis de me parler de vous et de votre belle amitié avec le Maître de la Médecine en train de faire tomber la neige. D'ailleurs, vous deviez être en chemin vers la mairie, non ? C'est là où il se trouve. »
Ezarel trace des cercles sur son gobelet en bois avec son doigt. Quand il reprend, c'est d'une voix lointaine :
« Vous auriez pu également lui demander de faire attention à l'hôpital. Mon confrère d'Odrialc'h a dû effectuer une laparotomie il y a peu, et sans le bon matériel c'est très compliqué. Rafistoler la jambe d'un abruti aussi. Il boitera toute sa vie mais c'est tant pis pour lui. »
June étouffe un gloussement. Elle est d’accord avec lui, Nelladel l’a bien cherché. Le souvenir de l’elfe en train de pénétrer dans la cage de Candice lui arrache un nouveau ricanement, et elle boit une gorgée de camomille en secouant la tête.
« Bienvenue dans le cercle des cadets incompétents, se moque-t-elle. Enfin, au moins, le vôtre, il n’est pas très malin, mais il n’est pas complètement inutile. »
Elle avale une nouvelle gorgée, alors que ses lèvres se tordent en une moue songeuse.
« Quoique, vous êtes toujours là, alors peut-être qu’il n’est pas si bête que ça. C’était pour Balam, la laparo-chose ? J’ai entendu dire qu’il avait survécu de justesse, ça m’embêtait un peu parce qu’il était juste au milieu du chemin, le pauvre.
— Alors vous auriez dû dire à votre ami de ne pas viser la rate. C'est ennuyeux à reconstituer et en pleine pénurie de médecins, il n'aurait pas été possible de le faire. Balam Lefaucheur serait mort. »
Ezarel repose son gobelet, à présent vide, sur ses genoux. Il dit que la vie ne tient à rien. Qu'une seconde, on est là et celle d'après, on a disparu.
« Une seconde pour avoir conscience de ce qui nous arrive et celle d'après, vous n'êtes qu'un tas de chair sur une table d'autopsie et ça, c'est en temps de paix. Sur un champ de bataille, vous n'êtes personne, en pleine catastrophe, vous n'êtes pas grand-chose. Une priorité avec un numéro suivant la gravité de vos blessures. Ou bien, dans un contexte particulier, de la nourriture. Vous avez vu ça, non ? »
Ezarel veut bien entendu parler du garde qui s'est fait dévorer par Candice, le soir où il a été libéré. Il dit que ce pauvre homme a eu de la chance d'avoir été tué juste avant sans quoi, il aurait dû endurer l'insupportable.
« Imaginez-vous consciente pendant que la peau de votre visage est arrachée. C'est aussi arrivé pendant qu'Eel est tombée. La fée s'était servie des ruines pour attaquer en les utilisant à même le sol, comme pour créer des glissements de terrain. Mais en dessous, il y avait parfois des gens. Des gens conscients. La vie… »
Ezarel s'interrompt en secouant la tête. Des vies perdues de façon inutile. Pour de la bêtise. Pour la neige qui tombe aujourd'hui, pour les hurlements stridents qui fusent parfois de la mairie, pour la seconde catastrophe qui a touché Albacore.
June dévisage le Chef de l’Absynthe, qui semble avoir mille ans quand il parle. C’est assez fascinant de l’écouter, car sa réalité semble cent fois plus belle que la sienne, mais il s’agit en réalité d’une vision tordue du même problème. Ezarel Séquoïa décide de qui doit vivre ou mourir entre deux blessés quand il n’a pas le choix. C’est exactement la même chose qu’elle, lorsqu’elle décide que la vie du garde vaut moins que celle d’Helouri. L’un dans l’autre, quelqu’un vit, quelqu’un meurt et quelqu’un doit en porter la responsabilité. Quant à avoir sa peau arrachée… Cette fois, June sourit franchement. Certaines personnes le méritent. Fuya Pyle le méritait. Bien sûr, peut-être que dans le monde du Chef de l’Absynthe, le meurtre n’est jamais justifié. Mais June n’est pas médecin. Elle est soldat, et les soldats tuent pour que les médecins puissent soigner.
« On n’est jamais grand-chose, répond-elle doucement. Peut-être pas vous, parce que vous avez des responsabilités, mais les soldats, les civils… On n’est personne, jusqu’à ce qu’on soit morts et que l’opinion publique décide que c’est bien triste. Quand Helouri a voulu mourir, les gens ont trouvé ça scandaleux parce qu’il n’avait pas réussi, mais s’il était mort, personne n’aurait dit qu’il était trop faible pour faire face aux difficultés de la vie. Les gens seraient venus nous voir, ils auraient pleuré avec nous en disant à quel point c’était un gentil garçon. »
Elle observe la fumée s’élever de son gobelet et tracer des images oniriques au milieu des flocons, puis reprend à voix basse.
« Je ne suis rien pour Candice, Nelladel n’est rien pour Candice, vous n’êtes rien pour Eel, Cristal n’est rien pour Sexta… Tout ça, c’est juste une danse de petits pantins destinés à mourir quand les gens importants auront décidé qu’ils en ont assez. Les fées, Odrialc’h, la conquête terrienne, le cartel des Typhons… »
June se tourne vers l’elfe pour lui sourire, comme si ça n’avait pas d’importance.
« Quand on se fait à l’idée qu’on n’est rien du tout, c’est drôlement plus facile.
— Bien sûr, que c'est facile. C'en est tellement facile que ça en est confortable. Et puis c'est tellement pratique, aussi… »
Ezarel écarte les bras pour marquer l'évidence. Ses sourcils se haussent, disparaissant sous sa frange saphir en lui donnant l'air parfaitement hagard. Il croise les bras sur ses genoux, se penche, puis reprend :
« Si vous pensez que vous êtes une marionnette, alors vous serez une marionnette. Ainsi, vous serez tant en colère que vous choisirez d'être libre et de vous affranchir de vos fils mais en réalité, vous deviendrez exactement ce que l'on attend de vous. C'est plus facile que ce que l'on croit, d'ailleurs : pensez le vide et vous deviendrez le vide. Moi, personnellement, je n'ai pas le temps. J'ai besoin d'être un massif de ronces dans les pattes de ceux qui veulent la conquête terrienne. »
C'est d'ailleurs pour cela que l'on veut lui ravir sa Garde mais malheureusement pour ces gens-là, on a encore besoin de lui, surtout en ces temps troublés. Les médecins ne sortent pas d'un terrier de pimpel et il est long d'en former.
« Vous parliez de votre frère, plus tôt, songe Ezarel en fronçant les sourcils, je me souviens bien de lui. Crises de tachycardies, branchies atrophiées, pensées suicidaires et puis, attendez… Pris en flagrant délit de possession de tap. Quel genre de marionnette est-il, selon vous ? »
June s’adosse au banc, les yeux levés vers les nuages. Ce qu’est Helouri ? Elle gratte ses cheveux rendus humides par la neige et hausse les épaules.
« Le genre de marionnette dont personne ne voit l’utilité. Vous n’en avez pas voulu dans votre Garde, non ? Vous devez bien avoir conscience de ce qu’il vaut. Il est intelligent, ça, je ne lui retire pas. Mais pour l’instant, c’est tout ce qu’il est. On ne naît pas tous avec l’envie d’être un massif de ronces, ou de se défaire de ses fils.
— Et vous êtes sa sœur ? Vous êtes sûre ? » raille Ezarel.
Il étouffe un bâillement dans le creux de sa main, puis laisse échaper un rire jaune en se frottant un oeil.
« Je n'en ai pas voulu dans ma Garde parce que j'ai décidé qu'il n'avait pas besoin de se tuer pour devenir médecin. Je lui ai crié dessus. À chaque examen. Pourtant, il revenait toujours, c'est étrange, non ? En fait c'est parce que contrairement à vos parents et à vous-même, j'étais sûrement la personne la plus honnête avec lui. Je n'ai pas cherché à le protéger ni même à le descendre parce que je n'en avais ni le temps, ni l'intérêt. »
Il lève un doigt, puis récite :
« Répétez à quelqu'un qu'il est lâche et il le deviendra. Répétez à quelqu'un qu'il est faible et il le deviendra. Vos enfants ne sont pas vos enfants, ils sont les fils et les filles de l'appel à la vie elle-même. C'est alambiqué, mais c'est de la science de l'esprit de base. Peu de parents le comprennent.
— C’est facile de critiquer l’éducation des autres quand on n’a pas d’enfant soi-même. » remarque June.
C’est pour ça qu’elle s’est contentée de reproduire le modèle instauré par Cristal et Joseph. Elle qui a grandi toute seule n’en n’a pas connu d’autre, et si eux estimaient que c’était ce dont Helouri avait besoin, et qu’elle n’était personne pour leur dire le contraire. June souffle sur sa camomille, et ses lèvres s’ourlent d’une moue attristée.
« Moi, j’ai essayé de le protéger, parce que c’est tout ce que je sais faire. Je me fichais bien qu’il soit médecin, balayeur de rue ou marin, je voulais juste qu’il soit heureux. Parce que c’était tout ce que j’avais, parce que c’était doux et chaud de rentrer à la maison. Je me disais que comme ça, il se rendrait compte qu’il pouvait faire des choses. Comme quand on est allé dans la prison ensemble. Il avait peur de ne pas y arriver, mais moi j’y croyais, et je me suis dit que de toute façon, quoi qu’il arrive, je serais là pour le protéger. »
La jeune femme observe son reflet dans le breuvage, qui a cessé de fumer à cause de la température ambiante.
« Il m’a aidée, dans la prison. Il m’a aidé après aussi, et c’était bien, parce que je lui donnais des fils, et il m’aidait à les démêler. Je n’y peux rien, si ce n’était pas assez. Je l’ai mêlé à tout ça, et maintenant il m’en veut, parce que Sexta a capturé Cristal et qu’elle a tué ses grands-parents, mais il m’en aurait voulu aussi si je n’avais rien dit. Moi… Moi, je ne lui ai jamais dit qu’il était faible, ou qu’il était lâche. Sauf aujourd’hui, mais c’est parce qu’il le méritait, et que de toute façon, maintenant, ça n’a plus d’importance.
— Criez-lui dessus, alors. »
Ezarel hausse les épaules. L'histoire a l'air compliquée, mais il est médecin et il a bien à faire de son côté dans un hôpital à moitié dévasté. Le reste, la Garde d'Eel ou les soldats d'Odrialc'h s'en occuperont quand ils le pourront. Tout le monde à de sombres secrets et il n'est pas en reste.
« Tout, sauf l'indifférence. Le jour où vous cessez de crier, alors c'est terminé. Le jour où la vision de votre frère sur un brancard ne vous suscite aucune once d'empathie, c'est fini. »
Il pousse un soupir et plante son regard aigue-marine dans celui de June, puis réitère :
« Si vous êtes en colère, déçue, trahie ou que sais-je, criez-lui dessus tant qu'il y a encore de l'amour. Une famille, ce n'est pas une jolie peinture. Je n'ai pas d'enfants, mais j'ai eu des parents. Qu'on se déchire, qu'on s'ouvre le cœur, que l'on se fasse des reproches ou bien que l'on soit fier des uns et des autres… Tout, sauf le vide et l'indifférence. »
Elle a vaguement l’impression qu’ils ont changé de sujet, et que sous couvert de lui donner des conseils, Ezarel Séquoia fait des parallèles qui n’en sont pas tout à fait.
« Je serais triste, s’il se retrouvait sur un brancard, remarque June. C’est pour ça que j’ai demandé à Candice de tuer Fuya, d’ailleurs. »
La jeune femme termine son infusion et elle s’étire, avant de mettre les bras derrière sa tête comme pour s’en faire un oreiller.
« Vous n’avez qu’à crier sur Nelladel, si ça vous tient à cœur. Le voir sur son lit d’hôpital, ça ne vous fait peut-être rien, mais lui, il est devenu l’esclave de Candice pour essayer d’empêcher qu’on vous assassine, il me semble. Ce n’est pas ce que j’appelle de l’indifférence. Après, je vous l’accorde, ce n’est sans doute pas l’idée du siècle. Mais si nos frères étaient parfaits, on ne servirait pas à grand-chose.
— Il s'y prend bien tard, souffle Ezarel, et il est naïf s'il pense que je ne suis pas au courant. Mais il y a des choses qui valent plus que ma propre vie, enfin… »
Il pousse un long soupir et ferme brièvement les yeux. Il sera bientôt temps de retourner à l'hôpital, mais avant cela, il écarte les bras et propose à June :
« Essayons. Imaginez que je suis votre frère et criez-moi dessus ensuite, j'imaginerai que vous êtes mon frère et je vous crierai dessus. Ça ira peut-être mieux après, ou pas du tout. Mais la science de l'esprit dit que crier entraîne de l'oxygène vers le cerveau et les muscles. C'est toujours bon à prendre. »
L’idée la fait pouffer. Crier sur le Chef de l’Absynthe en prétendant qu’il est Helouri, voilà bien quelque chose qu’elle n’imaginait pas faire au début de sa journée. Quoiqu’elle n’imaginait pas non plus apprendre que Cristal allait probablement finir ses jours dans une maison close. June pince les lèvres, puis elle rive ses yeux à ceux de l’elfe et croise les bras sur sa poitrine.
« D’accord. Alors… »
Elle réfléchit, pince les lèvres et fronce les sourcils, en haussant légèrement le ton.
« C’était égoïste de vouloir mourir sans penser à nous, c’était idiot d’acheter du tap, et j’aurais préféré que tu viennes me parler. D’ailleurs, j’aurais préféré qu’au lieu de me voir comme une super gardienne capable de tout et n’importe quoi, tu me vois comme une sœur. C’est facile de reporter tous les problèmes du monde sur moi, alors que j’essayais juste de m’en sortir comme je pouvais en faisant le moins de dégâts possibles. »
Ezarel lui adresse un geste de la main. Il lui indique de hausser le ton. Plus fort. Crie plus fort. Laisse sortir. Ensuite, il prend l'air hagard en ouvrant de grands yeux aigue-marine, puis geint d'une petite voix :
« Mais je voulais être quelqu'un comme toi ! Je voulais devenir médecin pour soigner mes branchies, ça vous aurait tous rendus fiers ! Et puis le tap, c'était juste pour m'aider à mieux mémoriser. Je voulais être aussi bien que toi, que papa et que maman, parce que je ne suis personne. Je n'ai jamais rien fait de bien ou de notable et tout ce que je sais faire, c'est avaler bêtement toutes les connaissances qu'il y a dans les livres. J'aurai voulu que tu sois fier de moi June, parce que quand je dois citer un modèle pendant l'oral de l'examen d'entrée à la Garde Absynthe, c'est ton nom qui revient. Pas papa parce que c'est trop facile. Toi parce que tu n'étais personne au début, et puis tu as réussi à devenir quelqu'un. Je ne savais pas que t'admirer était si difficile pour toi.»
June fait les gros yeux, comme elle l’aurait fait si son frère avait réellement proféré une telle énormité.
« J’étais déjà fière de toi, avance-t-elle. J’étais fière de faire partie de ta famille ! Je voulais juste avoir un foyer où rentrer chez moi, et vous me l’avez donné sans concession. Je me fiche bien de ce que tu deviens du moment que tu es heureux. Mais toi, tu me demandes d’abandonner mes rêves pour les tiens, tu n’entends pas que je ne suis pas comme toi, et que ce n’est pas grave si on est différents ! Ce n’est pas grave si tu marches pendant que je cours ! Je ne veux pas être un modèle, ni pour toi, ni pour personne, je ne veux pas d’un piédestal, je ne suis pas parfaite, loin de là ! Moi, je voudrais être altruiste comme Joseph, et gentille comme Cristal, et intelligente comme toi, mais je n’y arrive pas, voilà ! Tu vois le monde en noir et blanc, il y a les bons et les méchants, mais je ne suis ni l’un ni l’autre, je suis au milieu, parfois je fais les choses bien, parfois je les fais mal, parfois je suis aussi laide que Sexta et je n’y peux rien, parce que c’est trop dur d’être comme tu imagines que je suis !
— D'accord, June, nous sommes différents ! Nous n'avons pas le même sang, nous ne sommes pas de la même espèce, mais ce n'est pas grave. Je t'aime et maman t'aime comme si elle t'avait portée dans son ventre. Papa t'aime aussi. Mais tu vois, même si je suis heureux que tu fasses partie de ma famille, je suis jaloux que tu ais réussi à te faire une place alors que moi je cherche encore la mienne. Mais ce serait laid de l'avouer. Je me rends malade pour essayer d'accomplir quelque chose de trop grand pour moi et parce que je veux être comme toi et comme papa… Je ne vois pas ce que je suis capable d'accomplir. Mais j'en ai marre de toujours me plaindre pourtant, je ne fais que ça. Et je ne te vois pas faiblir parce que dans ma tête, tu ne faiblis jamais. C'est pour ça que tu m'en veux ? »
Oui, ce doit être pour ça. C'est à June de le dire. De vider son sac. Ezarel lui demande, en redevenant un petit peu lui-même, mais en tâchant d'arborer la faiblesse de Helouri :
« Comment je peux t'épauler ?
— Laisse-moi vaciller ! »
Elle crie pour de vrai, à présent, ses joues se parent du rouge de la colère, de la honte et de la tristesse. June serre les poings sans s’en rendre compte et elle crie.
« Laisse-moi être laide et continue de m’aimer, dis-moi que ce n’est pas grave si je tombe, aide-moi à me relever, montre-moi le chemin quand je m’égare, laisse-moi te protéger quand tu ne peux rien faire et protège-moi quand je suis incapable de le faire toute seule, moque-toi quand je fais une bêtise, sois en colère, agacé, triste, heureux, effrayé, joyeux, sois tout ça avec moi, laisse-moi échouer, échoue avec moi, réussi avec moi, réussi sans moi, apprend à vivre tout seul et montre moi ce que ça fait, montre moi comment faire autre chose que survivre en ayant peur de me réveiller un matin toute seule, dans le froid et le noir ! »
Quelque chose coule le long de sa joue gauche quand elle termine, d’une voix presque soufflée.
« Ne me laisse pas toute seule…
— Parfait, sourit Ezarel, maintenant, dites-lui tout ça, à lui. »
Il laisse June récupérer de ses émotions et ensuite, il lui indique que ce qu'ils viennent de faire se nomme une thérapie de constellation familiale. Une thérapie bien étrange qui consiste à trouver des volontaires pour incarner un membre de la famille, puis permettre au patient de donner corps à sa colère.
« Maintenant que c'est fait, vous savez que lorsque vous irez retrouver votre frère, vous pourrez lui dire tout ce que vous m'avez dit. Et tout ira bien. »
June essuie sa joue puis lève la tête vers les nuages. Elle ne sait pas si la thérapie d’Ezarel Séquoia a fonctionné comme il le voulait, parce qu’elle n’a pas envie de dire tout cela à Helouri. Elle a froid, et elle n’aime pas beaucoup se livrer de cette façon.
« Si vous le dites, répond-elle d’une voix un peu lointaine. J’essayerais peut-être. »
Ou peut-être pas. Mais à présent, c’est à son tour de crier, alors elle croise les bras en haussant un sourcil.
« À vous maintenant. Oxygénez donc votre cerveau et vos muscles. »
Ezarel laisse échapper un rire jaune. L'entreprise risque d'être plus difficile que prévue néanmoins, il n'y aura pas d'autre volontaire, au sein de ce genre de thérapie, pour incarner Nelladel. Il crispe ses longs doigts autour du gobelet en bois, essaye de trouver les bons mots, puis décide de les laisser sortir, peu importe à quoi ils ressemblent :
« Père et Mère étaient mourants. Tu n'as pas pu oublier ça. Ils s'étaient fait attaquer par des brigands à la Triade d'Ohm, et leurs armes rouillées ont infecté leurs corps. Ils étaient mourants, mais tu es parti en nous abandonnant tous les trois. Peu importe ce que tu laissais derrière toi, tu tenais à ta petite vie sur Terre, alors quand tu as intégré les Brigades, j'ai fait mon deuil. Tu étais mort, pour moi et tu l'es toujours. Après tout ce temps, tu reviens avec la prétention de me sauver ? Toi ? Et je devrais te montrer ma reconnaissance ? Regarde-toi… Tu n'es personne et tu n'arrives même pas à te sauver toi-même ! Si tu avais un peu d'amour propre et une once de respect pour ceux que tu as abandonné, tu ne serais jamais réapparu devant moi ! »
June croise les bras, une lueure de défi dans les yeux, et elle baisse d’une octave en secouant la tête.
« Je ne voulais pas réapparaitre devant toi, figure-toi. Je voulais faire ce que j’avais à faire, te sauver la vie dans l’ombre et ne jamais croiser ton regard. J’ai été obligé quand on m’a capturé, mais si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais continué à me faire passer pour mort. Je ne dis pas que j’ai bien fait, mais ce que j’ai vu au sein des Brigades m’a fait changer. Je ne me souviens pas de t’avoir demandé une autre chance !
— Faire ce que tu as à faire… Tu ne penses pas que tu t'y prends un peu tard ? Et tout ça pourquoi faire ? Racheter ta mauvaise conscience ? Tu n'étais plus là quand Père et Mère sont morts. Tu ne les as pas vu s'éteindre. Tu aurais mieux fait de continuer à faire ce que tu faisais au sein des Brigades, puis aller vivre sur Terre comme tu le souhaitais. Plus personne n'a besoin de toi, ici ! Et moi, encore moins ! Tu n'as toujours été qu'une épine dans mon pied, une épine égoïste et ingrate ! »
Finalement, le Chef de l'Absynthe peut se mettre à crier réellement. Pas pour réprimander de façon professionnelle, pas pour tyranniser ses futurs médecins et leur montrer la réalité du terrain, non. Pour lui-même et pour ce frère jumeau qui est parti en le laissant auprès de leurs parents mourants.
« Ils allaient mourir de toute façon, gronde Ezarel, alors à quoi bon laisser passer ma chance de vivre dans l'abondance sur un autre monde ? C'est ce que tu t'étais dit ! »
June repense à Nelladel, désabusé, dans la prison d’Albacore, alors qu’il se préparait à mourir, et elle arbore une moue rageuse.
« J’étais immature, et j’ai grandi. J’ai été forcé de grandir, quand j’ai découvert que la vie n’était pas aussi merveilleuse que les promesses qu’on m’a faites. J’ai été embrigadé dans la conquête terrienne, j’ai tué parce que c’était ça ou mourir, et ce que j’ai véçu, ça s’apparente à de la torture. Tu as souffert parce que je vous ai abandonné, j’ai souffert tout autant de l’avoir fait ! Je voulais une vie dorée, une vie facile, et à la place, j’ai eu l’enfer. J’ai appris des secrets pour lesquels je pourrais mourir si je les révélais, j’ai regagné la réalité aussi durement que toi. Oui, j’ai choisi le chemin le plus aisé, mais je l’ai abandonné pour revenir parce que j’ai compris que ce n’était pas ça qui en valait la peine. Et je regrette, je regrette tellement d’être parti que je n’ose même pas affronter ton regard, parce que j’ai peur d’y lire que tu me hais, et que ça ne changera plus jamais. Je voudrais implorer ton pardon et redevenir ton frère, mais je ne sais pas comment faire, je ne sais pas si c’est encore possible. »
Redevenir son frère ? D'un point de vue parfaitement simpliste, c'est toujours le cas. Nelladel et Ezarel sont des miroirs. Des jumeaux. Pourtant, Ezarel a appris à vivre seul, à se penser enfant unique par la force des choses, puisque de toute façon, son frère ne voulait plus faire partie du même monde que sa propre famille.
« Il y a des erreurs qui se réparent, crache le Chef de l'Absynthe, pas la tienne. Je ne veux pas te pardonner et je ne peux pas le faire. N'essaye même pas de me sauver. Sauve ta propre peau. C'est ce que tu sais faire de mieux. On ne vit que ce que l'on mérite, Nelladel ton enfer, c'est la tempête que tu as semée. Vis avec. »
June ne répond rien, elle laisse le silence s’éterniser un peu. Si sa colère est un torrent de lave brûlant, celle d’Ezarel Séquoia est une vague aussi glaciale que la neige qui tombe autour d’eux en recouvrant leurs paroles d’un manteau étouffé. La jeune femme replie une jambe contre son buste en frissonnant, puis jette un regard en coin à son compagnon d’infortune.
« Vous lui direz ? demande-t-elle. Quand vous irez soigner sa jambe ? Vous lui direz ce que vous venez de me dire ? »
Le Chef de l'Absynthe secoue la tête. Non, il ne lui dira rien. Nelladel est mort depuis longtemps et il n'a plus rien à dire à un mort. Ce qui est fait est fait et Nelladel ne peut plus rattraper ses erreurs.
« Non, souffle Ezarel en secouant la tête, je ferai mon travail de médecin. C'est tout ce que je ferai.
— Oui, c’est plus facile quand ils ne sont pas vraiment là. » songe June.
Elle souffle, et de la buée s’échappe de ses lèvres pour former un petit nuage, qui s’en va rejoindre les géants qui recouvrent le ciel.
« Peut-être qu’un jour, je trouverais le courage de vivre, et vous la force de vider votre sac. En attendant, vous avez raison, ça fait du bien aux muscles, de crier. Surtout quand ça n’a pas vraiment de conséquences…
— Ça permet aussi de réaliser tous les poids qui pèsent sur le cœur. L'inconscient et les émotions font partie des grands mystères de la science. »
Il hausse les épaules, puis ajoute en agitant un doigt :
« Votre frère est faiblard, le mien est idiot. Mais nous n'avons pas besoin de les porter comme des sacs de graines. Quand il est possible de crier la douleur, la colère, l'incompréhension ou la trahison, alors il est bon de le faire. Sinon, les non-dits nous rongent comme des poisons et c'est comme ça qu'on se retrouve avec des ulcères. Franchement, je m'en passerai bien. »
Elle rit doucement, puis hoche la tête. Elle n’a pas encore d’ulcère, mais le poid qui écrase ses épaules et son cœur, elle aussi, elle s’en passerait bien.
Ezarel et June restent quelques instants silencieux. Un calme apaisant les enveloppe, jusqu'à ce que la bulle dans laquelle ils s'étaient enfermés se brise au son d'un cor. Ezarel relève la tête et scrute les alentours, attentif. Sa mâchoire se crispe et le cor retentit une fois de plus. Il ferme brièvement les yeux, comme résigné, puis souffle :
« Les voilà. Ils n'auraient pas pu attendre que je retourne à l'hôpital. »
Son sarcasme tombe à plat et des pas lourds approchent. Mais ce qui les caractérise, c'est surtout leur présence. Une aura noire, écrasante, terrifiante, comme des morceaux de ténèbres extirpés des abysses les plus profondes. Les voilà.
De loin, ils ne sont que des créatures en armure, des créatures recouvertes d'un métal aussi noir que le néant et dont l'aspect laisse penser à des sévices. Les goules sont parées pour la guerre, mais c'est comme si leurs protections étaient fixées à même la peau. Elles sont si tranchantes et si terrifiantes que même les porter doit leur faire mal, mais ce n'est qu'une impression. Parce que la princesse, elle, s'anime merveilleusement bien dans sa robe guerroyante.
Elle ressemble à la Mort. Le métal cliquète quand elle marche et il est ciselé de telle manière que la robe n'est qu'un empilement de plumes acérées, qu'un ange de ténèbre aurait laissé tomber. Ses épaulières sont hérissées de pointes, sa traîne et le bas de sa tenue dissimule ses solerets alors que haut sur son crâne, une couronne effilée file vers les cieux. La coiffe doit peser lourd, mais la princesse la porte avec une aisance sans pareille. Un long voile opaque recouvre son visage et quelque part, Ezarel est rassuré de ne pas avoir à le regarder. Néanmoins, il ouvre de grands yeux aigue-marine lorsqu'il remarque la créature agrippée sur le dos de la princesse.
Une créature rachitique à la peau sombre, aux yeux d'un blanc laiteux et à la gueule pleine de crocs. Une créature qui siffle avec joie quand elle découvre la neige et qui s'agite sur le dos de sa maîtresse. Ses cornes, épaisses et striées, se tordent sur elle-même. Elles sont couvertes de bijoux du noir le plus total et saignent avec la couleur du rubis. Ezarel remarque aussi que ces créatures-là accompagnent d'autres guerriers. Perchées sur des épaules, des têtes et des dos, chaque goule semble avoir son propre familier. Ezarel les entend siffler, gronder, montrer leur enthousiasme sans jamais quitter leurs maîtres. Celle de la princesse a l'air plus maigre que les autres, plus lente, aussi. Peut-être est-elle aussi vieille qu'elle.
Avachie sur le banc, June a légèrement redressé la tête pour observer la procession. D’après les informations qu’elle a glanées ça et là, Candice Milliget attendait du renfort, et s’il s’agit de l’armée qu’il a rassemblée, alors Eel risque de passer des temps compliqués. La jeune femme les regarde passer, et ses yeux accrochent la petite créature aggripée au dos de ce qui semble être la cheffe des nouveaux arrivants. Dans son horrible apparence, il y a quelque chose de beau, un attrait morbide et gracieux qui rend le contraste presque agréable à voir.
Allongé sur la table d'examen, Rose laisse la docteure Osgiliath examiner ses jambes. Les mains reposant sur son ventre, il attend le verdict, anxieux. Voilà six semaines qu'il est alité depuis la catastrophe et six semaines qu'il est incapable de se déplacer par ses propres moyens, ni même d'exécuter des gestes du quotidien comme prendre un bain ou bien aller aux latrines. Si au début, retrouver l'usage de ses jambes lui importait peu, tant il s'était laissé absorber par sa maladie du néant à présent, c'est un besoin vital. Il veut marcher. Il veut se rendre à l'extérieur. Il veut voir la délégation des goules ayant répondu au traité de Polaris.
Rose serait tenté de se redresser pour aviser le visage d'Ewelein et ainsi, déchiffrer son expression, mais il se retient. Il peut sentir les doigts délicats de la médecin en cheffe courir sur ses blessures, puis tester les réflexes, la rigidité de ses os ainsi que la bonne santé de ses muscles.
Les soins prescrits par Ewelein ont dû faire leurs effets, le sang ingurgité par Rose aussi mais ce qu'il sait, c'est que ce n'est pas sa condition de vampire qui l'aidera à sa guérison. Quand il songe à cela, il ne peut pas s'empêcher de penser à Nevra, à son sourire amusé quand il évoquait l'image du mystérieux et ténébreux vampire véhiculée chez les êtres humains. C'est ainsi qu'ils sont décrits dans leurs ouvrages alors que la réalité, elle, est beaucoup moins brillante. Leur porphyrie congénitale ne l'est pas, par exemple. Elle leur fait pousser de longs et beaux cheveux, mais elle leur donne des gencives trop rouges, une sensibilité accrue à la lumière ainsi que des blessures qui mettent du temps à cicatriser. Leurs forces s'épuisent plus vite, aussi, et un vampire devra toujours faire plus d'efforts pour progresser dans une discipline physique. Rose ignore quelle succession d'anomalies de la chair à pu donner une espèce avec une si mauvaise constitution dès la naissance, mais les humains sont bien loin de la vérité. Tout ce qu'ont les vampires, c'est leur longue vie et Nevra aimait beaucoup dire qu'il leur restait au moins ça et que c'était leur façon à eux de se montrer têtus. Néanmoins, se nourrir de sang pour compléter leurs lacunes biologiques n'a rien de glorieux.
« Monsieur Clarimonde, j'ai terminé mon examen, vous pouvez vous asseoir. » lui indique Ewelein.
Rose se redresse sur la table d'examen, puis recouvre une partie de ses jambes du tissu blanc de son vêtement d'hôpital. Ensuite, il prend garde à appuyer ses pieds contre le petit marche-pieds en bois. Là, il se sent déjà heureux de pouvoir sentir une surface plane. Cela lui change des bandages et de la position allongée. Ewelein vient lui faire face et quand il avise son air grave, son cœur s'accélère. Elle va certainement lui dire que c'est trop tôt et qu'il faut attendre, mais c'est impossible pour lui. La médecin en cheffe croise les bras sur sa poitrine, puis lui explique son diagnostic :
« Vos jambes ont beaucoup récupéré et c'est une bonne chose. Les traitements ont été efficaces néanmoins, votre chute, il y a quatre semaines, a beaucoup fragilisé votre cheville. Vous allez boiter, je le crains. »
Rose soutient son regard alors qu'il réprime un frisson. Il se souvient de cette nuit épouvantable où il s'était trouvé à la mercie de Leiftan, où il avait été jeté au sol comme une bête et où sa frêle cheville avait été écrasée par un pied cruel.
« Je comprends, répond-t-il d'un ton résigné, mais est-ce qu'il me sera possible de marcher bientôt ? »
Il voit la surprise passer sur le visage de sa docteure et même dans le timbre de sa voix quand elle lui demande s'il a hâte de marcher. Il hoche la tête alors, elle tire un tabouret pour y prendre place et lui indique que s'il est volontaire, il peut tenter de débuter une rééducation :
« Cela risque d'être difficile et douloureux les premiers temps, monsieur Clarimonde. Comme vous le savez, la constitution de votre corps de vampire n'aide pas à la guérison et il ne tiendra qu'à vous de faire des efforts. Mais je pense que nous pouvons mettre la rééducation en place. »
Rose se sent soulagé. Quand il se trouve dans son grand fauteuil en bois, à roulette, il n'a qu'une hâte, c'est d'en sortir et cela le surprend lui-même. Mais il a des choses à faire. Il a des choses à faire et les goules sont là.
« Monsieur Clarimonde. » l'interpelle Ewelein.
Il lève son regard opalin vers elle, puis se confronte à son visage songeur. La médecin en cheffe veut lui demander quelque chose, mais elle hésite. Elle prend quelques secondes pour chercher ses mots puis, joignant les mains sur ses genoux, elle se lance enfin :
« Est-ce que nous pouvons parler de ce que vous vous êtes fait à la cuisse ? »
Rose pâlit. Ses lèvres se serrent jusqu'à former une ligne mince. Il sait que le traité de Polaris, gravé sur sa cuisse, n'a pas pu passer inaperçu lors de ses soins et examens cependant, il ne peut rien avouer.
« Est-ce que vous voulez me dire pourquoi vous vous êtes infligé cela ?
— Je ne tiens pas à aborder le sujet, répond Rose.
— Pourquoi ? »
Parce qu'il ne peut pas avouer à Ewelein qu'il est à l'origine de la venue des goules sur Albacore. Il ne peut pas non plus avouer qu'il savait qu'en gravant les symboles du traité sur sa peau, il prenait le risque d'invoquer une guerre, mais qu'il l'a fait pour sortir Nevra de prison. Si Candice Milliget et la princesse des goules n'ont pas encore parlé, alors Ewelein ne peut pas savoir. Voilà deux jours que Rose attend qu'on vienne le chercher à l'hôpital.
« Je ne suis pas fier de ce que je me suis fait, mais sur le moment, ça en valait la peine, à mes yeux.
— Sur le moment, ça en valait la peine, à vos yeux. » répète la médecin en cheffe d'un air songeur.
Et maintenant ? l'interroge-t-elle. Maintenant, qu'est-ce que ça lui fait ? Est-ce que ça en vaut toujours la peine ? Rose affirme que oui parce que maintenant, ça lui donne envie de marcher.
« Marcher vers qui ? »
Ewelein pose la question avec intérêt, comme une docteure. Marcher, en dehors de l'acte physique que tout le monde peut accomplir s'il n'est pas blessé, c'est symbolique. Du point de vue de la médecin en cheffe, Rose s'est blessé dans un acte de désespoir mais au final, il ressent l'envie de se lever pour marcher. C'est peut-être la catastrophe que le village d'Albacore a connue qui lui a donné une impulsion assez forte pour vouloir se mettre debout.
« Vers les personnes qui me sont chères. »
C'est un constat simple, mais véridique. Une fois hors de l'hôpital, Rose ira chercher Nevra et tout ce qu'il souhaite, c'est que ce qu'il a accompli ne sera pas vain. Quand la vérité sera révélée et qu'il ne deviendra qu'un abject adorateur des fées, alors ses échanges avec Delta Milliget seront cruciaux et l'erreur ne sera pas permise. Pourvu que la reine des fées ne tarde pas…
Ewelein le fixe quelques instants avant que son regard bleu dérive vers sa cuisse marquée. Ses yeux se plissent alors que son esprit doit être en proie à une réflexion quelconque pourtant, elle se contente d'acquiescer silencieusement avant de déterminer un moment pour le début de la rééducation.
« Nous commencerons demain matin, après votre petit-déjeuner. Yëvet viendra vous chercher. »
Le visage de l'infirmière se dessine dans les pensées de Rose. Après les dommages causés à l'hôpital, son mari a accouru, affolé, craignant qu'elle ait pu être ensevelie sous des décombres. Les ravages de Candice, durant cette nuit, sont même parvenus à effacer le sourire jovial de Yëvet. L'infirmière tente toujours de rassurer ses patients, d'arborer son sourire naturel, mais Rose a remarqué qu'il est crispé et que la situation lui pèse. Yëvet supporte de moins en moins la neige qui tombe dehors et il l'a déjà entendu dire à ses collègues qu'aller et venir à Albacor, sur cette même neige, devenait un véritable calvaire. De plus, elle craint la venue des goules. Heureusement qu'il y a Chrome Talbot.
Le jeune loup-garou a fait preuve d'un immense courage, le jour où Candice est venu chercher Rose à l'hôpital. Il a filé, malgré la situation, pour aller quérir de l'aide et même si elle s'est faite attendre, peu de gardiens peuvent prétendre s'être esquivés, dans le dos d'une fée, peu importe la peur qui lui tordait le ventre. Chrome a dit qu'il l'avait fait pour les autres patients, mais aussi parce qu'il est traqueur. Il avait simplement accompli son travail. À présent, il en réalise un autre, en aidant à l'hôpital. Il va beaucoup mieux alors, bien qu'il ne soit pas soignant, il apporte son soutien en effectuant de petites tâches telles que le ménage, l'aide aux repas, la vaisselle ou soutenir le moral des autres avec son enthousiasme naturel.
Rose n'est pas dupe. Il connaît assez Chrome pour savoir qu'il a peur, comme tout le monde seulement, il est assez naïf pour croire que tout finira toujours par s'arranger. Il est naïf ou bien trop optimiste mais ce qui est certain, c'est qu'il tient Rose pour responsable. Depuis que ce dernier a été sincère avec lui, en lui avouant la vérité, Chrome est persuadé qu'il a son rôle à jouer dans la libération de Candice, même si les faits lui prouvent le contraire. Quand il a eu vent de ce qu'il s'est fait à la cuisse, Rose l'a entendu persifler qu'il aurait mieux fait de se graver je suis un idiot plutôt que des symboles sans aucun sens. Même si l'ancien Second de l'Ombre est peiné de voir l'adolescent si joyeux qu'il a connu le détester de cette manière, il est incapable de lui vouloir.
Une fois de retour dans la grande pièce, ses yeux opalins se posent brièvement sur Chrome, en train d'aider Balam à se redresser afin qu'il puisse manger. L'ancien guetteur est épuisé, cela se lit sur son visage. La veille, les Le Preux sont venus lui rendre visite et il a chaleureusement serré la main du docteur Camille Le Preux, qui lui a sauvé la vie. Balam a eu de la chance, beaucoup de chance et Rose se demande encore pourquoi. Balam n'est certainement pas quelqu'un qui aurait mérité la mort dans des conditions aussi terribles que pitoyables et c'est peut-être pour cela qu'il a eu la chance de survivre. Pour le moment. Parce que pour Candice Milliget, ce n'était peut-être pas assez ignoble pour une vengeance en bonne et dûe forme.
Quand il l'apperçoit, Chrome lui jete un regard noir avant de se détourner. L'aide-soignant qui pousse la chaise à roulettes de Rose le mène près de son lit, mais ce dernier lui demande s'il peut rester à la grande fenêtre, comme d'habitude.
« Si vous voulez, lui répond l'aide-soignant, mais ensuite, il faudra manger. La docteure Osgiliath insiste bien là-dessus. »
Rose hoche la tête. Il mangera plus tard, mais il mangera, c'est chose sûre. Pour le moment, tout ce dont il a envie, c'est de profiter du paysage enneigé. De la forêt d'Albacore, qui borde l'hôpital, sous la poudreuse tout en se demandant ce qu'il dira, une fois que Delta Milliget sera là. Il sait que même s'il a invoqué le traité de Polaris, il ne veut pas d'une guerre et il songe qu'il en est de même pour la reine des fées. On ne dirige pas le peuple des fées sur simple succession de la couronne, Rose le sait. Si Delta est devenue reine, c'est parce qu'elle est la plus puissante de toute son adelphie, au même titre que Candice est la fée la plus puissante au sein de la sienne. De ce fait, si Delta avait voulu la guerre, elle aurait pu la provoquer depuis longtemps alors, la menace des anciens et des enfants du peuple des fées, détenues par Odrialc'h, est peut-être réelle.
Quant à la princesse des goules, Algol Abigor, tout ce que Rose sait d'elle, c'est qu'elle est une vieille amie de Polaris Milliget et qu'elle règne depuis longtemps sur son royaume. Candice avait déjà expliqué qu'elle atteindrait bientôt les quatre-vingt-dix années passées sur le trône des goules. La princesse est appréciée des fées et des siens. Son mari quant à lui, n'est nul autre que le créateur du tap et c'est là, la vengeance la plus perfide qu'il ait pu mener contre l'arrivée des peuples faeliens. Rose ignore s'il se trouve à Albacore en ce moment-même et s'il sera obligé de supporter sa vue, lui qui répugne à le rencontrer.
Soudain, son regard accroche quelque chose dans le décor. Une forme sombre, effectuant des mouvements lestes, bondissant, s'arrêtant, scrutant en levant haut le chef et en ouvrant de grands yeux laiteux. Rose reconnaît un sgarkellogy et à en aviser les bijoux métalliques ornant ses cornes striées, il est venu avec la délégation des goules.
« Regardez ! » s'exclame Chrome en s'approchant, à son tour, de la fenêtre.
Des blessés se redressent sur leur lit, essayant de regarder pendant que ceux qui peuvent marcher s'approchent, curieux. La plupart d'entre eux ouvrent de grands yeux stupéfaits, se demandant de quoi il peut bien s'agir pendant que d'autres se reculent, effrayés. Rose les comprend. La première fois qu'il a rencontré un sgarkellogy, il s'est méfié, certain que la créature n'hésiterait pas à lui bondir à la figure s'il osait entrer dans la pièce qu'elle gardait, avec ses congénères, sur le bateau des Milliget. Pendant que les autres patients de l'hôpital murmurent que les goules ont apporté des monstres avec elles, Rose songe qu'ils ont tort. Les sgarkellogy sont des créatures intelligentes, capables de réfléchir de la même manière que les faeliens. Sur le bateau des Milliget, elles aident volontiers les fées en les assistant dans leurs recherches et opérations chirurgicales. Elles veillent également sur les sujets humains, dans la pièce qui leur est consacrée et empêchent les étrangers, tels que Rose, d'entrer. D'ailleurs, en dehors de ses frères et sœurs, le sgarkellogy qui a l'habitude de travailler avec Candice Milliget est certainement la seule créature d'une autre espèce qu'une fée, a avoir reçu de la bienveillance et de la considération de sa part. Rose se souvient des sifflements joyeux des sgarkellogys ou bien de leurs terribles grognements, toutes dents dehors, pour repousser les intrus.
Quand la créature jette des coups d'œil curieux aux faeliens amassés contre la fenêtre, ces derniers se reculent, pour finalement disparaître. Seul Rose reste à le regarder, jusqu'à ce que quelqu'un le rappelle. Il voit le sgarkellogy lever la tête, aux aguets, puis filer vers sa gauche, en direction du village. Le jeune vampire quitte le décor des yeux lorsqu'une voix grave attire son attention. Quand il se retourne, il remarque que Valkyon est arrivé à l'hôpital. Malgré les blessures dont il souffre encore, il a tenu à se rendre utile à l'extérieur, auprès des autres gardiens, mais aussi pour soulager Joseph Ael Diskaret, qui connaît une tragédie avec l'enlèvement de son épouse. Lorsqu'il a appris l'horrible nouvelle, les pensées de Rose se sont immédiatement dirigées vers June et son petit frère, qu'il n'a pas revus depuis un long moment. Elles se sont aussi dirigées vers Cristal, la douce et gentille morgan qui se rendait tous les jours au chevet de son mari et qui avait voulu se rendre utile en apportant des médicaments d'Amzer. À présent, il ne peut qu'imaginer l'endroit où elle se trouve, surtout si le visage de sa ravisseuse est bel et bien celui qui vient d'apparaître dans son esprit. Pour Rose qui a fait partie du cartel avant la catastrophe, il se sent mal et il sait que jamais Titan n'aurait commis un acte pareil.
« Vous devriez, suggère la voix grave de Valkyon, bon sang, Balam, regardez-vous… »
Lorsque le regard de Rose se pose sur le lit de l'ancien guetteur, il le voit lever lentement la main pour balayer les mots de son ami. Balam lui adresse un sourire trop doux, que Rose trouve presque résigné, alors qu'il répond que cela ne fait rien, qu'il guérira et qu'ensuite, il fera ce qui lui semble le mieux, selon la situation. Le jeune vampire se demande bien ce qu'il fera, une fois qu'il sera sorti de l'hôpital. Avec le précédent transfert de Candice sous la juridiction d'Odrialc'h, Balam avait été libéré de ses obligations envers Eel pour embrasser celles de la plus grande cité d'Eldarya, en tant que geôlier. Cependant, Rose l'imagine mal y rester.
« Merci Valkyon, souffle l'ancien guetteur.
— Vous voulez dormir ? » lui demande ce dernier.
Le jeune vampire voit Balam hocher la tête et Valkyon l'aide à s'allonger. Rose remarque qu'il n'a pas touché à son dîner. Contrairement à lui, l'ancien guetteur n'est pas quelqu'un qui pourrait se laisser tomber dans le gouffre de la maladie du néant, Rose en est certain. Il songe qu'avec la situation actuelle, Balam doit réfléchir à quelque chose et que cette même réflexion lui coupe l'appétit.
Puis, les yeux opalins du jeune vampire s'égarent sur le reste de la pièce, croisent ceux de Valkyon et se détournent immédiatement pour fixer de nouveau le paysage, derrière la fenêtre. Les mains de Rose viennent machinalement triturer le tissu de son vêtement d'hôpital pendant que ses pensées lui montrent les vestiges de leur dernière conversation. Le jeune vampire s'est demandé si les sentiments qu'il porte pour Valkyon lui ont donné l'image du puits de sagesse, depuis que Rose sait ce qu'il est. Ou bien si les souvenirs anciens, relatés avec une pointe de nostalgie ainsi qu'un regard éclairé, forment la véritable sagesse d'une créature qui n'a plus besoin de se cacher auprès de celui qui sait ce qu'elle est.
Le mythe de l'androgyne, l'anomalie, les lorialets… Au cours de sa longue vie, Valkyon a pu amasser bon nombre de connaissances à leur sujet et voir beaucoup de choses. Rose pense qu'il aurait beaucoup à apprendre à Eel et Odrialc'h, s'il acceptait de se dévoiler mais contrairement aux fées comme Candice, il semblerait que les chimères choisissent de rester plus humbles et de laisser vivre les faeliens, sans leur donner de leçon.
Soudain, Rose se fige. Une idée vient de germer dans son esprit. Une question, à vrai dire. Une question dont seule une fée, ou une créature qui les connaît bien, pourrait détenir la réponse.
Le jeune vampire se retourne une nouvelle fois. Cette fois, Valkyon est en train d'échanger Ewelein Osgiliath, Ezarel Sequoïa, venus examiner leurs patients, puis Yevët, l'air inquiète.
Les nouvelles de l'extérieur ne sont visiblement pas bonnes. Rose attend patiemment que leur conversation se termine et ensuite, il hésite. Il veut ouvrir la bouche, pour interpeller Valkyon, mais il n'ose pas, puis il doute de sa question ainsi que de la réaction qu'elle pourrait susciter. Il devait avoir l'air étrange, à fixer le Chef de l'Obsidienne, avec une hésitation évidente, car lorsque Rose réalise qu'il est ouvertement en train de le dévisager, Valkyon lui adresse un sourire très doux, puis lui fait signe d'attendre.
Le jeune vampire tourne si vivement la tête qu'il s'en fait craquer la nuque. Rigide sur son siège à roulettes, il observe le paysage sans le voir, les battements de son cœur s'affolant. Il y a cet embarras ordinaire, cette peur que Valkyon puisse lire ses sentiments amoureux dans ses yeux, puis il y a la crainte de savoir. Est-ce que Rose en a envie ? Bien sûr, qu'il en a envie. La Chair des Roses est un mythe qu'il suit depuis longtemps et si ce même mythe est capable de mettre Candice en colère, dans une colère qui existe pour masquer une peur, alors Rose tient à le connaître. C'est aussi une vérité dont il pourrait faire part à Delta Milliget.
« Bonjour, Rose. »
Le jeune vampire se tend, puis lui répond dans un souffle. Valkyon lui demande, d'un ton amusé, si regarder la neige tomber dehors, est une activité intéressante, mais Rose se contente de s'empourprer avant de se reprendre. Le Chef de l'Obsidienne tire un petit tabouret afin de s'installer à ses côtés, puis lui demande :
« Vous avez besoin de quelque chose ?
— Je… »
Le jeune vampire ne sait pas comment poser sa question. Il ne sait pas non plus s'il est simplement convenable de la poser et si Valkyon risque d'avoir une réaction outrée, de la même manière que Candice. Pourtant, la chimère attend, patiente.
« Vous allez bientôt commencer la rééducation. » remarque-t-elle en avisant l'absence des bandages.
Rose hoche la tête, puis reste silencieux. Loin de s'en offusquer, Valkyon reprend en lui donnant des nouvelles de l'extérieur :
« Les goules sont arrivées. Il y a toute une délégation avec la princesse Algol Abigor à sa tête. Elle était en train de discuter avec Candice Milliget, tout à l'heure. Il a l'air plus que ravi, je pense que c'est mauvais signe.
— Si la princesse des goules rejoint les idéaux de Candice, ce sera difficile pour la reine des fées de s'y opposer.
— Sauf si les vassaux des Milliget se rangent du côté de leur reine.
— Elles sont déjà là ? »
Valkyon acquiesce. Il les décrit au nombre de trois, avec de longues robes rouges comme le sang. Elles se sont présentées à Miiko Yamamura et Shakalogat Gra Ysul comme les Dames Musca. Epsilon, Gamma et Mu Musca. Elles se sont postées à l'entrée du village en attendant la venue de Delta Milliget, refusant d'échanger le moindre mot avec Candice.
« Je ne sais pas grand-chose à leur sujet, dit Rose, simplement que leur famille sert celle des Milliget depuis toujours.
— Les vassaux des fées ne sont pas des servants, mais des maîtres d'armes, raconte Valkyon, je présume que ce sont ces mêmes Dames Musca qui ont enseigné l'art du combat à Candice et que leurs voix compteront. Ce peut-être une bonne nouvelle. »
Rose hausse les épaules. De toute manière, l'heure où il se trouvera face aux fées et aux goules, comme invocateur du traité de Polaris, est proche. Néanmoins, il aimerait avoir tous les arguments nécessaires en main.
« Qu'est-ce que vous vouliez me demander, Rose ? »
Le jeune vampire lève les yeux vers ceux de Valkyon. Là, depuis qu'il sait, il a tendance à transformer l'étincelle de la gentillesse en sagesse infinie. La chimère ne l'obligera pas à répondre, mais elle l'encourage à poser sa question.
« Je… hésite Rose, je me demandais si vous saviez quelque chose à propos de la Chair des Roses. »
Il l'a dit et cela lui a paru beaucoup plus simple. Contrairement à ce qu'il pensait, le visage de Valkyon ne se ferme pas et il ne semble pas en colère. Il se contente de se redresser, de souffler par le nez comme si le sujet était complexe - et Rose ne doute pas qu'il l'est -, puis de hocher la tête avec une lenteur infinie. Le jeune vampire ouvre de grands yeux.
« Est-ce que vous pouvez m'en dire plus ? s'enquit-il.
— Cela ne dépend pas de moi. Cela dépend de vous.
— Qu'est-ce que vous voulez dire ?
— Je veux dire que la réponse est très lourde à porter. »
Elle peut changer, à jamais, la vision du monde. Elle peut la rendre insupportable, si bien que marcher sur sa surface pourrait devenir une torture, un dégoût, une souffrance. Cela pourrait pousser quelqu'un à vouloir quitter Eldarya, quitte à s'engager dans les Brigades pour espérer vivre sur Terre.
Rose ouvre la bouche, interdit.
« Je suppose que c'est pour cela, que les fées n'aiment pas aborder le sujet.
— Les fées sont les gardiennes de la Chair des Roses, raconte Valkyon, mais le Grand exil a rendu leur tâche de plus en plus difficile et l'évidence est compliquée à constater pour elles.
— Vous pensez que c'est la raison pour laquelle Delta Milliget se soumet à Odrialc'h. »
Valkyon ne répond pas. Son visage exprime un sourire énigmatique et Rose songe qu'il préfère garder son point de vue pour lui-même. Le jeune vampire ne dit rien. Il voudrait insister au sujet de la Chair des Roses, mais il craint que Valkyon ne veuille pas en dire plus, qu'il le juge incapable de supporter la vérité. Rose plonge dans son regard ambré et la chimère se penche un peu plus pour lui murmurer :
« Rose, ceux qui savent voient. Ceux qui savent, entendent. C'est quelque chose dont vous ne pouvez plus vous débarrasser. Laissez ce fardeau aux fées.
— Et vous ? » souffle le jeune vampire.
Valkyon se redresse, puis fixe le décor extérieur. Il sourit :
« Je vois. J'entends. »Les Choix
Rose a tenu à en savoir plus sur la Chair des Roses. Il a alors posé la question à Valkyon, qui connaît effectivement la réponse, mais la chimère l'a averti : il est dangereux de savoir. Les fées sont les gardiennes de la Chair des Roses et cela est leur fardeau. La vérité, elle, peut-être insupportable et une fois que l'on voit, que l'on entend, il est impossible de revenir en arrière.
Pourtant, voulez-vous tout de même savoir ?
Informations Importantes : la question de Rose a déclenché un choix complexe, mais pas charnier. Votre vote aura une grande importance car si malgré les avertissements de Valkyon, vous choisissez de connaître la vérité, vous ne pourrez plus revenir en arrière. Vous verrez. Vous entendrez et cela pendant tout le reste de la fiction. Si cela devient insupportable pour vous, le seul moyen de s'en débarrasser, ce sera de changer de narrateur, grâce à un choix charnier. Gardez bien cela à l'esprit et votez en connaissance de causes !
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Helouri veut parler à June. Il aurait quelque chose d'important à lui dire. June a-t-elle envie de lui parler ?
Si c'est le cas, alors contacte-moi par MP, MayaShiz !
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous avec ce chapitre publié en avance ! Je ne tenais pas à vous faire attendre vis-à-vis des révélations, alors le voici ! B) Vous vous demandez depuis le début ce qu'est la Chair des Roses ? Eh bien allez donc voir !
Vous avez sûrement l'habitude et depuis le temps, vous connaissez le ton de l'histoire néanmoins, je vous avertis tout de même que nous continuons de glisser dans les abysses alors, attention à vous. Au sein de chapitre, je vous propose une petite expérience, mais prenez garde à l'avertissement ! N'oubliez pas de le lire, lorsque vous verrez un spoiler. B)
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 19 - S E B A S T I A N
June et Helouri, leur foyer à Albacore, après le coucher du soleil,
Elle disparaît à l'aube, elle revient le soir, tard. Elle mange à coup de lance-pierre en espérant éviter les âmes qui vivent sous le même toit qu'elle. Il le sait. Il a appris à observer son manège durant les jours de silence. Celui de son père, abattu par la catastrophe, mais volontaire. Joseph Ael Diskaret a secoué la mairie d'Albacore avec les questions du cartel, exigeant une enquête de la part d’Odrialc’h, qui n'a jamais réussi à le démanteler. Mais les hautes instances ont déjà fort à faire avec Candice Milliget. Ce dernier, dénué d'empathie, lui a simplement dit que s'il se soumettait au peuple des fées, il retrouverait son épouse. Le plus effrayant, pour Helouri, c'était de voir son père y penser.
Puis June, elle, est devenue un fantôme. Un courant d'air difficile à saisir et encore moins à apercevoir. Mais Helouri s'est fait encore plus discret que d'ordinaire, alors il a réussi à déterminer le bon moment. Durant plusieurs jours, il a pleuré la disparition de sa mère, l'horreur qu'elle doit vivre entre les mains de Sexta, le meurtre de ses grands-parents… Il a pensé à June, à ses paroles, à leurs disputes… Il a observé son père marcher comme un cadavre, puis s'effondrer dans les bras de Valkyon. Il a appris que Joseph Ael Diskaret n'était pas un roc incapable de flancher. Alors il a pensé, tout d'abord, puis il a agit. Maintenant, il attend.
June va bientôt rentrer, manger à la va-vite, puis se précipiter vers sa chambre. Elle voudra s'endormir avant qu'il arrive, il le sait. Helouri s'est donc caché dans le noir, silencieux, attendant sa grande soeur.
Elle a attendu que la nuit soit noire pour rentrer. Son corps fatigué, amaigri, passe la porte de la cuisine en silence. Elle n’allume pas de bougie pour se guider, elle traîne des pieds comme un soupir sur le point de mourir. Ses cheveux, qu’elle ne coiffe plus que pour les dégager de son visage, forment une auréole de cendre autour de ses traits creusés par le peu de lumière qui filtre encore en dépit des nuages de neige. Ses vêtements sont mouillés, mais elle a quand même pris la peine de passer un manteau avant de sortir. Ezarel Sequoïa a raison : si elle perd ses doigts, elle ne pourra plus tuer Sexta. June s’approche du comptoir, et sa main se tend vers le pain. Elle en découpe un morceau, qu’elle agrémente d’un peu de fromage et d’un verre d’eau. La jeune femme s’adosse au comptoir, nettement moins utilisé depuis que Cristal est partie, puis elle porte son repas à ses lèvres pour mâchonner machinalement la nourriture dont son corps a besoin pour survivre.
Son petit frère, caché dans la pénombre, ne sait pas vraiment comment l'interpeller, il sait juste qu'il le faut. Alors, se levant du fauteuil, il se dirige lentement vers la cuisine, sa longue robe volant autour de sa silhouette grêle, puis il s'adosse contre l'encadrement de la porte. Il attend que June le remarque, mais elle a le regard plongé dans le vague alors, Helouri finit par s'éclaircir la gorge, puis lui adresser d'une voix éteinte :
« Bonsoir, June. »
Elle ne sursaute pas, parce qu’elle n’en a pas la force. June relève ses yeux améthystes vers lui, le jauge, l’examine, comme on regarderait un caillou étrangement incliné ou un tronc d’arbre joliment taillé. Il est là, devant elle, c’est tout. La jeune femme avale sa bouchée, prend une gorgée d’eau et attend la suite qui ne manquera pas de venir. Ses lèvres restent obstinément closes. Elle ne parlera pas la première. Peut-être même qu’elle ne parlera pas du tout, qu’elle prétendra que cette rencontre n’a jamais eu lieu, et qu’elle regagnera sa chambre en silence une fois la conversation terminée.
« Je… Je reviens de la mairie, reprend Helouri, je voulais voir quelqu'un. C'est une catastrophe là-bas, surtout depuis que les goules sont arrivées. »
June ne lui répond pas, mais peut-être qu'elle écoute. Helouri lui raconte alors comment Eel et Odrialc'h se sont rassemblés pour faire barrage à Candice, et que ce dernier exige, depuis qu'il a fait tomber la neige sur Albacore, qu'il soit mené au grand palais d'Odrialc'h, mais on le lui refuse. Shakalogat Gra Ysul et Miiko Yamamura veulent s'entretenir avec la reine des fées qui est en chemin. Les vassaux des Milliget sont arrivées et elles attendent à l'entrée du village. Tant que la reine Delta n'est pas présente, elles ne sont pas autorisées à s'entretenir avec Candice.
« Candice a dit à papa que s'il se soumettait, il retrouverait maman, pour lui. De toute façon le cartel détient aussi son frère, non ? Papa a refusé, bien sûr, mais il finira par le faire. Il est capable de tout, pour maman. »
Helouri reste quelques instants silencieux, puis il finit par dire ce qu'il voulait dire à June. C'est ce qu'il dira également à son père, plus tard.
« J'ai attendu à la mairie, puis je suis allé voir Candice. Il était avec la princesse des goules. Je lui ai dit que j'étais le fils de Joseph Ael Diskaret et ton petit frère. Je lui ai dit aussi que je savais, pour le plan d'Odrialc'h et que j'étais d'accord, à condition qu'il ramène maman. Il a dit qu'il fallait que je me soumette aux fées, alors je l'ai fait. Je me suis mis à genoux, jusqu'à ce que mon front touche le sol et j'ai récité les mots que Candice disait, dans la langue des fées. »
Après ça, Candice lui a dit qu'il devrait le préparer pour les sélections, pour son infiltration dans le grand palais et que cela commencerait bientôt. Le jour où il réunirait tous les dava, pour la venue de sa mère et il est proche. Il le formera de ses mains et Helouri sera forcé de se plier. Une fois que Candice aura obtenu ce qu'il veut de sa mère, il ira chercher Sira, puis il ramènera Cristal. Si Helouri le trahi, Cristal mourra, mais Helouri fera religieusement ce qu'il lui demandera. Parce que Candice est fort et que personne, à part lui, ne peut sauver Cristal. C'est ce que le jeune morgan dit à sa sœur.
June continue de mâcher en l’écoutant, le regard fixant le vide. Quand le silence se fait trop long, elle esquisse un sourire sans joie.
« C’est bien, tu appliques tes propres conseils. Cours à la mairie, cite-t-elle d’une voix amère. Quand est-ce que tu vas te mettre à manger comme les fées, Helouri ? »
La jeune femme triture une mèche de cheveux et repose sa tartine. Elle n’a plus faim, maintenant. Helouri est un dava, comme elle, comme Nelladel. Grand bien lui fasse, s’il estime que c’est ainsi qu’il lui viendra en aide, qu’il sauvera sa mère. June ne préfère pas espérer revoir Cristal. Elle a vu qui était Sexta, elle se doute que jamais la vampire ne laissera repartir sa proie. C’est sa punition, alors elle préfère faire une croix sur sa mère d’adoption. Espérer, c’est risquer d’être déçu, et June sait qu’elle ne supportera pas une déception supplémentaire.
« C’est tout ce que tu voulais ? soupire-t-elle.
— C'est tout ce que je voulais, répond-t-il d'une voix neutre, je vais faire ma part du travail. J'espère que tu feras la tienne. Après tout, Candice t'a donné ce que tu voulais. »
Et puis, il vaut mieux que ce soit Helouri qui se soumette aux fées plutôt que son père. Joseph en aurait été cent fois capable, mais ça l'aurait tué d'œuvrer contre Eel. Cependant, Helouri est décidé à tout lui dire plutôt qu'à lui cacher quoi que ce soit. Le jeune morgan se décolle de l'encadrement de la porte, puis ajoute avant de tourner les talons :
« Laves-toi avant de te coucher, cette fois. Et coiffe tes cheveux. Tu en as besoin.
— Je n’ai pas besoin d’être jolie pour lécher les pieds de Candice. »
June se juche sur le plan de travail. Elle va attendre qu’Helouri soit rentré dans sa chambre, elle ira se passer un peu d’eau sur le visage et après une toilette rapide, elle ira essayer de dormir un peu. Quant à ses cheveux, ils resteront tels quels, elle n’a pas la force de les tresser, un chignon vague suffira à les maintenir en place. Helouri peut bien dire ce qu’il veut, June se fiche de ressembler à une sauvageonne ou de faire peur aux rares âmes qu’elle croise lors de ses déambulations.
La jeune femme penche la tête en arrière pour observer le ciel. Elle fera sa part du travail. Et ensuite… Ensuite, seule la neige savait ce qu’il adviendrait d’elle.
« Non, réplique Helouri, mais tu fais peine à voir. Évite de te laisser aller maintenant, on a besoin de toi. Pas pour ramener maman, ça, même quelqu'un comme moi arrive à lécher les bons pieds, comme tu dis, pour la sortir de son calvaire. Mais au moins pour honorer ton marché avec Candice. »
Il va rester, donc. June revient à lui, un sourcil arqué pour arborer un air dubitatif. Pourquoi ne veut-il pas aller se coucher ? Elle soupire et attrape son morceau de pain, qu’elle observe longuement avant de le croquer. Finalement, elle a le temps de le terminer.
« Ma part du marché consiste à devenir un soldat dans l’armée d’Odrialc’h, il me semble, répond-elle d’une voix lasse. Il se trouve que j’en suis déjà un. Enfin, c’était temporaire, mais ma part du marché à moi, je suis capable de la réaliser, je l’ai déjà fait. »
June mâche, avale, puis lui adresse un sourire glacé.
« Il va falloir que tu lèches les pieds de Candice longtemps, si tu veux devenir l’assistant de la Capitaine, ou peu importe le rôle qui t’incombe. Nelladel est persuadé que tu vas échouer, et il a l’air plutôt adepte des causes perdues, si tu veux mon avis. Tu ferais mieux de rester ici comme tu sais bien le faire, Helouri.
— Nelladel s'est estropié comme un imbécile, je suppose qu'il a des leçons à me donner. Quant à toi, je pense que ton rôle se résumera à plus que ça. »
De toute façon, lorsque la fée Milliget sera décidée à les envoyer au palais d'Odrialc'h, ils auront leurs ordres. Ça viendra. Helouri verra bien le moment venu, mais ce dont il est sûr, c'est qu'il doit faire cela. Il a crevé de peur quand il s'est retrouvé face à Candice et la princesse des goules, plus tôt. Il a encaissé l'humiliation d'être une chenille rampant aux pieds d'une fée, puis il a craqué une fois dehors.
« Maman mérite cent fois que je fasse ça, pour elle, poursuit-il d'une voix cassée, et puis quitte à faire quelque chose, je me suis inspiré de toi. Être un dava est une bonne chose, c'est vrai. Papa doit affronter Odrialc'h pour une enquête qui n'aboutira jamais alors que moi, j'ai juste à ramper dans la boue pour que maman revienne. »
Il hausse les épaules d'un air désinvolte alors qu'un frisson court le long de son échine. Ce qu'il devra subir avec Candice le terrifie, mais le visage de Cristal se dessine dans son esprit et il se reprend. Il sourit avec peine, puis soutient le regard améthyste de June :
« C'est bien. C'est une bonne solution. Adott, June. »
Elle ne peut pas le contredire au sujet de l’elfe, pas plus qu’elle ne peut le contredire au sujet de Cristal, de Joseph et d’Odrialc’h. June termine sa tartine puis fixe ses mains en silence. Finalement, elle hausse les épaules et plonge ses yeux dans ceux du jeune morgan, l’air éteinte.
« Tu changes d’avis aussi vite qu’une girouette, marmonne-t-elle. Qui parle comme une fée, maintenant ? Qui devient comme eux ? Et pourquoi quand c’est toi, c’est une bonne solution ? »
Il a de l’audace, Helouri. La jeune femme se redresse pour s’appuyer sur ses mains et le toiser, une grimace tordant son visage.
« Va faire la leçon à quelqu’un d’autre, d’accord ? grince-t-elle. Etale tes grands principes devant quelqu’un qui veut bien les écouter, parce que moi, je savais déjà que c’était une solution. Pas la meilleure, pas la bonne, parce qu’il n’y en a pas, mais une solution accessible et intelligente. Tu t’en rends compte trop tard, et je n’ai pas envie de t’entendre me dire à quel point tu m’es supérieur pour ce constat.
— Sauf qu'avant, maman n'était pas en danger. Il n'y avait aucune raison de se ranger dans les rangs de Candice, même après la catastrophe. Tu as voulu faire ta curieuse avec le cartel, voilà le résultat. Le contexte est différent, les pires solutions peuvent devenir les bonnes, c'est tout. »
Il triture le tissu de sa robe d'un geste nerveux alors que son coeur s'accélère, puis achève avec un sourire sans joie :
« Je ne te suis pas supérieur. Je suis lâche et faible, souviens-toi. J'essaye simplement de faire quelque chose, comme toi tu as essayé. Et tu vois, même quand ça deviendra difficile, je vais rester. Un calvaire avec Candice pour que celui de maman s'arrête, ça en vaut la peine.
— J’attends de voir, ricana June. C’est facile de dire qu’on va souffrir sans rien dire, ça l’est nettement moins de mettre ça en pratique. »
La jeune femme saute du plan de travail et se dirige vers lui. Elle le dépasse sans lui accorder un regard, puis hausse les épaules.
« Va te coucher, Helouri. Il va te falloir tout ton courage et ton esprit pour affronter les prochains jours, alors tu ferais bien de faire des réserves.
— Tu as raison, June. Je vais me coucher. Je te souhaite une bonne nuit et s'il te plaît, va te laver avant d'aller dormir, c'est plus agréable pour les gens qui doivent partager ta chambre. »
Sur ces paroles, le jeune morgan emprunte l'escalier, le cœur lourd.
« Tu l’as déjà dit, lâche-t-elle avec un sourire froid. Si tu veux faire mal à la personne d’en face, essaie de trouver quelque chose qui la blesse vraiment, la prochaine fois. Je suis un soldat, j’ai l’habitude de sentir la sueur, la boue et la poussière. Estime-toi heureux qu’il fasse froid, petit frère. Les odeurs, ça ne me dérange pas. »
June se détourne pour aller à la salle de bain. Sa toilette sera rapide, car avec le froid, il n’y a pas besoin de plus. Ensuite, elle prendra une couverture, et elle dormira dans le salon. Elle ne veut pas retrouver sa chambre. Elle préfère qu’on la laisse tranquille, et que le jour se lève vite pour lui permettre de quitter cette maison hantée.
Les mains serrées sur les barres, il fixe toute son attention sur ses pieds. Il se souvient de l'exercice que Yëvet lui a demandé de réaliser, la veille au soir, avec le morceau de drap. Il devait poser son pied en son centre, puis tirer sur les extrémités sans se faire mal, juste pour réveiller les muscles et les os endormis depuis trop longtemps. Il a eu la sensation que ses jambes étaient parcourues de mille et une courbatures mais le lendemain, il était déterminé. Son premier jour de rééducation, puis un autre, et encore un autre… Au nombre de quatre. Rose veut marcher. Rose concentre toutes ses facultés sur les membres qu'il veut réhabiliter à tout prix, pour combler l'attente.
Je vois. J'entends.
Rose veut savoir, il veut entendre. Lui qui veut percer les mystères de la Chair des Roses depuis longtemps, afin de connaître enfin ce que les fées gardent précieusement dans leur royaume, il a la possibilité d'obtenir la réponse. Mais il y a un prix, Valkyon l'a prévenu. La vérité peut être insupportable. Elle peut engendrer des sons et des images, juste par le miracle de savoir. Seulement, Rose n'a pas peur. Il a supporté Leiftan, il a tenu bon face au faux roi et à présent, tout ce qu'il souhaite, c'est lever le voile sur un mythe et avoir un petit peu de matière en sa possession, lorsqu'il parlementera avec Delta Milliget.
Alors, quand il a dit à Valkyon qu'il voulait savoir, ce dernier n'a pas répondu et s'est contenté de fixer le décor extérieur. Ensuite, après un silence de quelques secondes, la chimère lui a suggéré de se concentrer sur sa rééducation durant quelques jours. Ainsi, cela serait moins pénible. Rose ignore ce qui serait moins pénible, mais il réunit ses efforts pour faire avancer ses pieds, tout en demandant à ses jambes de se réveiller.
« Prenez votre temps, Monsieur Clarimonde, lui indique la voix d'Ewelein, sollicitez vos jambes avec parcimonie. »
La médecin en cheffe a tenu à passer voir comment se déroulait la rééducation et comme elle avait indiqué à Rose, sa condition de vampire ne l'aidera pas. Il a beau être patient et faire attention, les sessions l'affaiblissent et il a dû augmenter sa quantité de sang ingéré. Le premier jour, ses jambes se sont mises à trembler de façon incontrôlable et un soignant à dû le rattraper avant qu'il tombe. Là, au quatrième jour, Rose parvient clairement à définir sa limite afin de s'arrêter à temps. Après chaque séance de rééducation, il est en nage comme s'il venait de courir une longue distance, si bien qu'il lui arrive de s'assoupir dans son fauteuil. Il comprend, en effet, pourquoi aucun vampire ne s'est jamais enrôlé dans l'Obsidienne.
« Vous avez dépassé les trois mètres, aujourd'hui, lui indique le soignant, vous progressez. »
Certes, il a marché plus longtemps, mais il lui faudra encore persévérer avant de retrouver son aisance habituelle. Et encore, pendant sa rééducation, même s'il ne marche que très peu, Rose s'est rendu compte qu'il boitait. Il se sent beaucoup moins stable sur son pied droit et il ne peut pas y appuyer tout son poids sans flancher.
Sa fatigue marque la fin de sa séance. Rose est tout d'abord accompagné dans une salle d'eau afin de pouvoir se laver et enfiler une tunique propre. Ensuite, il gagne la salle habituelle, auprès des autres patients. Comme d'ordinaire et à chaque fois qu'il y retourne, le jeune vampire rive ses yeux opalins sur le lit de Balam, qui est réveillé. Le dos calé contre ses oreillers, l'ancien guetteur est en train de discuter avec Chrome, venu lui tenir compagnie. De ce que Rose comprend, leur principal sujet de conversation tourne autour des anecdotes de Balam, quand Eel était encore debout et qu'il en gardait les remparts, auprès des autres guetteurs.
« D'où elle vient, cette phrase ? s'enquit Chrome.
— Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie ? répond Balam d'une voix fatiguée, elle est tirée d'un conte humain rapporté de la Terre et qui a été traduit par Valarian Orpin. Il raconte l'histoire d'une femme qui épouse un homme avec une barbe bleue.
— Une barbe bleue ? Le grand-père du Chef Sequoïa, vous pensez ? »
Le jeune loup-garou éclate de rire et l'ancien guetteur l'aurait rejoint volontier si cela ne le faisait pas souffrir. Ensuite, il lui raconte qu'un jour, ils ont dû interpeller une jeune morgan venue d'Amzer qui hurlait contre les portes de la cité d'Eel. La pauvre demoiselle avait fréquenté un elfe peu fidèle qui l'avait trompée avec une faelienne d'Albacore. De ce fait, elle était déterminée à lui refaire le portrait et avait juré qu'elle ne quitterait pas les lieux tant qu'elle n'aurait pas mis sa menace à exécution.
« Mais comment vous avez fait ? lui demande Chrome, les yeux ronds.
— Eh bien, je me souviens qu'une jeune recrue que j'avais formée est descendue des remparts pour discuter avec elle. Visiblement, lui crier dessus lui a fait du bien et une fois qu'elle s'était calmée et que j'était certain que le jeune elfe ne risquait plus la mort, je l'ai autorisée entrer.
— Et l'elfe qui l'a trompée ?
— Elle l'a quitté et elle s'est mise en couple avec la jeune recrue. » sourit Balam.
D'après lui, la recrue en question était un triton que ses collègues appelaient le poisson-bulle, à cause de son visage rond et de ses bonnes joues. C'était un excellent archer et quelqu'un de très à l'écoute, qui aimait apprendre. À présent, il vit à Amzer auprès de sa compagne et de ses deux enfants. La dernière fois que Balam a eu de ses nouvelles, il avait appris à pêcher les perles et visiter le fond des océans, ça lui plaisait plus que de garder des remparts.
De là où il se trouve, près de cette fenêtre qu'il chérie, Rose écoute l'histoire avec un sourire paisible. Visiblement, la compagnie de Chrome ainsi que son énergie communicative sont bénéfiques pour Balam qui retrouve un petit peu de sa bonne humeur habituelle. Il se perd dans le décor enneigé, qu'il connaît par cœur. Plus loin, entre les arbres, il est persuadé d'avoir vu la silhouette sombre d'un familier en train de fureter et il se demande s'il ne s'agit pas du sgarkellogy d'une goule. La neige tombe avec plus d'intensité et Rose trouve le temps long. Valkyon continue ses visites quotidiennes, pour prendre des nouvelles de Balam, mais aussi rassurer les blessés qui se demandent le sort que leur réservent les fées et les goules.
Sauf que depuis leur dernière conversation, Valkyon n'a encore rien dit, concernant la Chair des Roses. Le jeune vampire n'a pas insisté, parce qu'il se doute que la chimère le fera lorsqu'elle le jugera prêt. Aujourd'hui, encore, elle est venue. Elle a attrapé un petit tabouret et elle s'est assise auprès de Chrome, afin de profiter des anecdotes de Balam. Ce dernier est toujours content de le voir et là, dans cette salle d'hôpital, alors qu'une neige colérique tombe dehors, ils semblent rayonner.
« Balam, l'interpelle Valkyon, je vais sortir un moment. Je reviendrai vous voir tout à l'heure, il y a quelque chose dont j'aimerai vous parler. »
Chrome lui jette un coup d'œil curieux, mais ne dit rien. Balam, lui, répond d'un ton aimable que de toute manière, Valkyon le trouvera là où il l'a laissé. Néanmoins et même s'il paraît quelque peu préoccupé par ce que son ami veut lui dire, ce dernier lui administre une tape amicale sur le bras, puis se met debout. Rose croit tout d'abord qu'il va partir, mais la surprise se peint sur son visage quand il réalise qu'il a tort.
Valkyon s'approche. Cette fois, il ne compte pas s'asseoir. Il le salue d'une voix très douce et comme d'ordinaire, lorsque Rose plonge dans son regard ambré, il sent ses joues chauffer. Ses mains se crispent sur ses genoux, alors que ses doigts jouent avec le tissu blanc cassé de son vêtement d'hôpital.
« Vous avez commencé votre rééducation, je pense. Est-ce que tout se passe bien ? » s'intéresse le Chef de l'Obsidienne.
Rose hoche la tête. Soudain, l'attention de Valkyon est captivée par quelque chose à l'extérieur. Le jeune vampire peut l'entendre souffler discrètement par le nez et enfin, la chimère finit par lui proposer de se couvrir pour une promenade dehors, près des abords de la forêt. Rose ouvre la bouche, surpris. Sa figure prend la couleur des fleurs dont il porte le nom et il balbutie quelques syllabes. Enfin, lorsqu'il parvient à rassembler ses esprits, la vérité sur la Chair des Roses lui apparaît avec une clarté saisissante. Il est évident que Valkyon n'abordera jamais le sujet ici, dans cette salle remplie de patients et de soignants. Rose hoche la tête en se traitant d'idiot, pour la pensée naïve qui a pu traverser son esprit, puis se prépare mentalement à apprendre, voir et entendre.
Il donne mille formes à la Chair des Roses, lui réfléchit milles théories mais peu importe tout ce qu'il peut imaginer, il se pense loin de la réalité. Il entend Valkyon prévenir le soignant qu'il se porte volontaire pour le conduire à l'extérieur, et ce dernier accepte tant qu'ils ne s'enfoncent pas dans la forêt et que Rose reste à portée de vue.
« Ne vous inquiétez pas, le rassure Valkyon, vous pourrez facilement nous voir depuis la fenêtre. »
Le soignant argue que cela ferait du bien à Rose de prendre l'air, en effet. Alors, après s'être emmitouflé dans une couverture épaisse, le jeune vampire quitte l'hôpital. Quand les portes s'ouvrent, une vague de froid le frappe en plein visage, avec le baiser des flocons. La chaleur bienveillante des locaux l'abandonne, pour le laisser entre les griffes glacées de Candice et son emprise sur le village. Lorsqu'il respire, Rose a l'impression que ses poumons vont geler. Il sent ses yeux ainsi que son nez s'humidifier, transis par le froid, et il réalise qu'il a passé beaucoup trop de temps enfermé.
« Tout va bien, Rose, le rassure Valkyon, nous n'allons pas loin.
— Mais assez des oreilles indiscrètes, je suppose. » souffle le jeune vampire.
Le Chef de l'Obsidienne ne répond pas, mais continue de pousser la chaise à roulettes vers le sentier qui mène aux abords de la forêt. Le trajet se fait dans un silence religieux et serrant sa couverture autour de ses épaules, Rose songe qu'il aurait voulu que sa première promenade, même en fauteuil, se déroule dans d'autres circonstances. Sans le joug de Candice, sans le contexte d'une révélation qui explique la présence de l'homme qu'il aime, près de lui, et sans le traité de Polaris.
Enfin, Valkyon s'arrête lorsque la grande fenêtre de l'hôpital est à portée de vue, avec les lits des patients alignés, puis les silhouettes des soignants en train de s'animer. Quand le Chef de l'Obsidienne bloque le frein du fauteuil juste à l'orée de la forêt, Rose à la sensation de se trouver à l'aube de la liberté. D'ordinaire, les ténèbres tapies derrière les arbres sont synonymes d'une peur que l'on retrouve dans les livres pour enfants mais pour lui, en cet instant, elles lui donnent envie de se lever pour marcher.
Valkyon s'assied sur une pierre, après avoir épousseté la neige qui s'y était accumulée. Là, il ressemble à un géant en train de penser. Fixant Rose de son regard ambré, il lui demande avec intérêt :
« Comment vous vous sentez, ici, Rose ?
— Je me sens bien… hésite le jeune vampire, j'ai froid. Ça fait longtemps que je ne suis pas sorti. »
La chimère se contente de lui sourire. Avec des gestes lents, elle présente le dos de sa main à la poudreuse et se demande si Candice ressent leur présence avec une pointe d'intérêt. Ceux qui lui ont tenu tête, en train de converser aux abords de la forêt, près de l'hôpital…
« Au sein du royaume du peuple des fées, amorce Valkyon d'une voix lointaine, il y a un jardin où naissent les anges. Les fées s'en nourissent et c'est ainsi qu'elles sont belles, puissantes et érudites.
— Le mythe de la Chair des Roses…
— Certes, seulement, ce jardin n'est pas un jardin. Les anges ne sont pas des anges et les fées ne sont pas que ce qu'elles sont parce qu'elles s'en nourrissent. »
Face à l'air confus du jeune vampire, la chimère se penche quelque peu, puis baisse la voix. Elle est en train de lever le voile. Elle lui explique que le jardin en question est le seul endroit du royaume des fées à ne pas se plier sous les températures extrêmes d'un hiver mortel et éternel.
La terre est meuble, les plantes poussent et s'épanouissent comme sous la lumière d'un soleil magnifique, les fleurs sont exquises et uniques et au milieu, il y a la brèche.
« La brèche ? s'enquit Rose.
— Une brèche comme une entaille dans le sol, là où naissent les draflayels. »
Draflayel. Rose n'a jamais entendu ce mot. Quand il demande de quoi il s'agit, interdit, Valkyon lui répond que les draflayel sont de délicats petits volatiles, d'un rose pâle, mais qu'ils sont surtout la forme que l'Oracle a choisi de donner pour les gouttes de son propre sang.
Les couleurs quittent le visage du jeune vampire alors que sous sa masse de cheveux sombres, son esprit s'active. Il essaye de donner un sens à tout cela, de comprendre, mais il n'y parvient pas.
« Dans le royaume des fées, récapitule-t-il, il y a un jardin qui ne subit pas l'hiver mortel. Un jardin magnifique avec une brèche où naissent les draflayel… Ou le sang de l'Oracle ?
— La brèche est une plaie ouverte sur son cœur, explique Valkyon, et quand elle avait besoin de communiquer avec les fées, gardiennes de sa parole, alors elle leur offrait son sang, sous la forme des draflayel. Les fées s'en nourrissaient et elles savaient alors de quoi le monde avait besoin.
— Le monde ? L'Oracle ? »
Valkyon ne dit rien. Il attend patiemment que Rose reconstitue lui-même les pièces du puzzle, puis comprenne enfin l'ampleur du lourd secret derrière la Chair des Roses. Une partie du secret. Quand les yeux du jeune vampire s'écarquillent, quand il ouvre la bouche de stupeur, si certain de s'être trompé, espérant s'être trompé, alors il s'affaisse contre le dossier de son fauteuil.Sebastian…
Le monde est l'Oracle. L'Oracle est le monde. Cela pourrait ressembler à une citation joliment alambiquée pour faire honneur au culte de l'Oracle, mais c'est plus que cela.
« Nous vivons sur l'Oracle… souffle Rose, abasourdi.
— L'Oracle est une déesse qui a offert son corps pour la création de son monde, précise Valkyon, seulement…
— … Seulement ? Sebastian
— L'Oracle est morte. »
Morte. Rose secoue la tête. Il sent sa gorge se nouer alors qu'une vérité effroyable se dessine dans son esprit. L'Oracle est le monde, le monde est l'Oracle, l'Oracle est morte. Le monde se meurt. Ils vivent sur un cadavre en train de tomber en morceaux. SEB…
Pris d'une nausée, Rose se penche sur le côté de son fauteuil afin de rendre son déjeuner. Il sent son cœur tambouriner contre ses côtes et même s'il ressent l'image de la forêt se tordre devant ses yeux humides, il est persuadé que ce n'est pas terminé. Il y a un détail. Il y a une raison à sa présence ici, dehors, à part les oreilles indiscrètes.
Lorsque Rose se redresse, Valkyon lui tend un mouchoir. La chimère arbore un air navré, de celle qui est sur le point de regretter sa confession, mais c'est trop tard.
« Rose, l'interpelle-t-elle.
— Ça va, répond le jeune vampire d'une voix hachée. ...ASTIAN
Alors, Valkyon ferme brièvement les yeux, puis se met à énumérer le monde. Ce qui est. Ce qui était. Ce qui a disparu.
« Ses pieds sont le sol sur lequel nous marchons. Ses poumons, le vent. Ses mains, le jour et la nuit. Ses cheveux, l'océan. Son dos, le ciel. Ses ailes, les nuages. Sa bouche, les saisons et ses yeux, la vie et la mort. Mais ses yeux sont fermés, alors… »S E B A S T I A N
/!\ AVERTISSEMENT /!\ : À travers cette vidéo, je vous propose d'expérimenter avec Rose, ce qu'il s'apprête à voir et entendre. Néanmoins, si vous vous savez sensible, je vous déconseille fortement de déplier sur spoiler et de lancer la vidéo. Vous ne verrez ni n'entendrez rien de choquant, mais la vision d'un fantôme et ses sons peuvent être très dérangeant quand on est sensible.
Un rire lugubre résonne dans toute la forêt. Rose sursaute alors que ses mains agrippent fermement les accoudoirs de son fauteuil. Ses yeux hagards cherchent une silhouette à travers les arbres, puis s'arrêtent sur une ombre en train de flotter. Ses cheveux s'élèvent comme des morceaux de fumée et sa robe…
« Rose, regardez-moi. »
Paniqué, le jeune vampire tâche de fixer toute son attention sur le visage de Valkyon. Il ne comprend pas. Il entend quelqu'un appeler Sebastian !, il a vu une forme, et…
« Rose, répète Valkyon pour garder son attention, l'Oracle a fermé les yeux. Ses yeux sont la vie et la mort, alors, la frontière qui les séparait a disparu. Vous comprenez ? »
Rose se débat quand il sent quelque chose lui frôler la joue alors qu'une respiration sifflante s'élève près de son oreille. Il veut tourner la tête, mais la chimère l'en empêche en lui saisissant le visage. Rose lui attrape les poignets, S E B A S T I A N, il entend rire, chanter une mélodie affreuse, il entend des râles, des borborygmes…
« Rose, est-ce que vous m'écoutez ? » lui demande Valkyon d'une voix très douce.
Le jeune vampire hoche la tête, les lèvres serrées, les larmes roulant sur ses joues. Il a l'impression que d'autres choses se sont réveillées, dans cette forêt, que le vent est putride, que la neige s'est transformée en de la cendre et que le sol sous son fauteuil à roulettes devient de la glaise. Depuis qu'il sait.
« Regardez-les, écoutez-les, reprend la chimère, ce ne sont que des âmes errantes qui n'ont plus d'endroit où aller. Elles continuent de chercher ceux qu'elles ont perdu. Elles jalousent les vivants et elles se languissent de leur trépas, parce qu'ils deviendront comme elles.
— Se… Sebastian ?
— Je ne sais pas qui il est. Ça n'a pas d'importance. Ça n'en a que pour elle. Ne vous retournez pas. »
Un long frisson court le long de son dos. Elle est là. Rose ressent sa présence glacée, ses mains fantomatiques courir le long de ses épaules, jalousant cette chair qui les a quitté après la mort. Il entend son long râle, il imagine ses cheveux flotter autour de sa silhouette décharnée comme des rubans de fumée et il sait qu'à présent, c'est son dû. C'est la vérité, derrière la Chair des Roses. Le jeune vampire renifle avec difficulté, puis se concentre sur les mains de Valkyon autour de son visage pour se calmer. Sa respiration devient plus lente, moins pénible et il retrouve toutes ses facultés.
Il va apprivoiser ce qu'il voit et ce qu'il entend. Il le doit. Seb…as…tian… La mélodie reprend, mais Rose décide de ne pas y prêter attention. Il essaye. Une question germe dans son esprit alors, il se concentre dessus pour la poser correctement :
« Co… Comment l'Oracle… Comment elle est morte ?
— Lorsque les faeliens du Grand Exil ont empoisonné les sols avec des cristaux, pour leurs idéaux de conquête terrienne. »
Rose hoche la tête. Cela fait sens. Mais cette réponse soulève d'autres questions, comme ce que le peuple des fées peut avoir en tête pour sauver leur monde ou pourquoi Candice veut suivre la volonté de son grand-père en empêchant la conquête terrienne. Se débarrasser de ceux qui ont tué l'Oracle, ce serait une bonne chose. Le jeune vampire se recule et les mains de Valkyon laissent son visage. Ce qu'il entend, ce qu'il voit, ce qu'il a appris, c'est insupportable. Rose essuie les larmes qui roulent sur ses joues, puis il se demande ce qu'il est possible de faire, à présent.
Au-delà des rires macabres, de la mélodie, de ce que la vérité lui a révélé et de ce qui va hanter sa vision du monde, il songe qu'il n'y a plus d'impasse, mais la fin du voyage.
L'Oracle est le monde, le monde est l'Oracle. L'Oracle est morte. Il n'y a plus rien à faire.Les Choix
Rose a appris la vérité sur la Chair des Roses. Il a également appris que derrière le mythe, se cache une vérité bien plus grande et que lever le voile sur le monde a un prix. La frontière entre la vie et la mort a disparu alors à présent, Rose est capable de voir les âmes errantes et de les entendre. Il devra vivre avec, désormais.
Lorsque Valkyon le ramène dans sa chambre, Rose s'assoupit. À son réveil, il apprend que la reine Delta Milliget est enfin arrivée à Albacore et qu'elle souhaitait le voir. Il apprend également que Balam est convoqué aussi. Rose sait que cette discussion est importante et qu'à présent, il dispose de plusieurs cordes à son arc.
Parmi les propositions suivantes, relevez celles qui vous semblent pertinentes et que vous souhaitez voir utilisées lors de l'entretien avec Delta Milliget. N'oubliez pas que Balam se trouvera avec Rose.
➜ Aborder le sujet de la Chair des Roses (attention ! Si Balam apprend la vérité, il sera capable de voir les âmes errantes et de les entendre).
➜ Dénoncer les actes de Candice Milliget.
➜ Demander la protection des fées pour la mère de Rose, Nevra et Valkyon (vous êtes libres d'ajouter des noms).
➜ Aborder le sujet des Docteurs Becs et de Leiftan Tuarran.
➜ Demander s'il est vrai qu'Odrialc'h détient les anciens et les enfants du peuple des fées.
➜ Autre chose ? Dites-le moi. Si la proposition convient à tout le monde, elle sera enregistrée.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June a appris que Helouri s'était soumis à Candice dans l'espoir qu'il puisse délivrer sa mère des griffes de Sexta. Helouri va donc être formé à accomplir le plan de Candice à Odrialc'h. D'ailleurs, Candice ne manque pas de lui rappeler que June lui est redevable, en envoyant Helouri lui dire qu'il l'attend près de la forêt d'Albacore.
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Report du précédent RP.
Dernière modification par Aespenn (Le 01-10-2023 à 22h16)
Hors ligne
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous en cette heure tardive ! (^_^)/
Je suis ravie de vous retrouver ! J'ai vraiment l'impression que ça fait longtemps et j'en suis navrée. J'ai été pas mal occupée lors de mon retour de vacances et j'ai eu quelques petits soucis de santé. Mais tout va pour le mieux, alors nous allons pouvoir revenir à un rythme normal.
Bon. Je vous le dis : pour le retour d'Apotheosis, je vous offre un choix charnier. Ne me remerciez pas. Néanmoins, peut-être qu'il ne sera pas si terrible que cela. Vous verrez bien !
Je vous laisse avec le dernier chapitre du second arc et je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 20 - Gloire Hivernale
Négociations avec Sexta Stoker
Fawkes se sent bien soulagé de quitter la demeure des cousins Strashilka. Au plus il met de distance entre eux, au mieux il se sent. Pourtant, un malaise vient vite remplacer un autre, quand ils approchent du bordel de Sexta. Fawkes n’y a jamais mis les pieds et entendait bien ne jamais avoir à le faire. Aux grands maux, les grands remèdes. Il sait que la vampire jubile, qu’elle s’amuse de la situation. Lui, ça l’exaspère et il sent à son côté, que Ryan n’est pas à son aise également.
« Nous permettras-tu au moins de voir Sira Milliget ? » demande-t-il de but en blanc pour ne pas perdre de temps en palabres inutiles.
La vampire lui répond qu'elle n'y voit aucun inconvénient. La bâtisse qui se profile, c'est son domaine. Peu importe qu'elle ait abandonné son activité de gérante au profit du cartel, maintenant que Titan n'est plus à sa tête, elle va simplement récupérer son trône. Sira, lui, se trouve dans une chambre froide, à attendre bien gentiment que son frère vienne le chercher.
Selon Sexta, quand il est réveillé, il passe son temps à geindre. Il répète trois noms en boucle : Maman, Candice, Shelma pourtant, personne ne vient.
« Tu as intérêt à mener ton plan très vite, Fawkes, lui indique la vampire, Quelqu'un finira par venir chercher le petit oiseau et c'est déjà un miracle que personne ne se soit encore montré. »
Sexta a attendu Candice. Elle s'est dit qu'il viendrait très vite mais elle a été obligée de constater qu'aucune fée n'était descendue aux Abysses. Surprenant.
Quand ils approchent de son établissement, elle sourit. Il se terre loin dans le douzième sous-sol, dame de pierres et dame de fer aux volets clos desquels s'échappent des raies de lumière rouge. Il y a des étages, aussi. Au nombre de neuf, ils désignent les privilèges des clients, mais aussi la beauté des lupas, les créatures qui travaillent de nouveau pour Sexta. Il y a de tout. De belles jeunes femmes, de beaux jeunes hommes, mais aussi des êtres plus atypiques qu'il est difficile de croiser ailleurs que dans les entrailles des Abysses. Tout ça, ça a un prix.
« Si jamais le cartel s'effondre parce que tu n'auras pas réussi à libérer Titan, Fawkes, tu pourras venir travailler ici. Vova paiera pour toi, » raille la vampire.
Le renard grimace. Le rictus déforme son nez qui se plisse, alors qu’il visualise ce brownie lapin poser les mains sur son corps dévêtu. La langue claque contre son palais.
« Si je peux éviter d’en arriver là, ça m’arrangerait. Mais la proposition me va droit au coeur, Sexta. Quelle bonté d’âme… » incline-t-il la tête sur le côté avec exagération, tout à fait conscient que Sexta perçoit l’hypocrisie.
Pourtant, en approchant, Fawkes lève les yeux vers la bâtisse et mesure comme l’empire de Sexta est imposant. Cette demeure n’a rien à envier à ses voisines et l’actuel chef des Typhons se pose une question.
« Tu as abandonné tout ça pour rejoindre le Cartel, seulement parce que Titan te l’a demandé ? Ça ne t’avait jamais manqué, ce rôle de toute puissante que tu semble avoir ici ?
— Disons que j'étais plus utile au sein de cartel. Tu sais, Fawkes, peu importe ce qui va se passer, j'irai en enfer. Le cartel est un changement de vie que j'ai apprécié, mais si Titan n'est pas là, il n'en vaut plus la peine. »
Sans Fuya non plus, ça n'en vaut plus la peine. Alors, quand elle pousse les portes de son empire, la luxure s'imprègne sur les corps et les vêtements de Fawkes et Ryan. L'opulence ainsi que le divertissement se trouve sur chaque centimètre carré de la bâtisse, par des tapis et ses murs colorés, par les fauteuils et les couches composant les salles principales où les clients déambulent, juste pour regarder. Ils regardent les lupas en petite tenue, poitrines et torse dénudés, des pagnes à motif pour cacher leurs intimités. Il y a des brownies, des elfes, des vampires, des sirènes, des morgans, des orcs… Et même des goules. Le visage de Ryan pâlit lorsque ses yeux bleus se rivent sur l'affreuse créature au corps livide, flétri, couturé de cicatrices comme s'il avait trop vécu. Son visage rond se fait manger par des yeux trop grands, globuleux, d'un blanc opaque qui rappelle la cécité, alors que des cheveux gris, filasses, sont rassemblés en une queue de cheval haute. Les seins de la goule pendent comme des gouttes d'huile et Ryan se demande bien quel genre de client peut payer pour poser les mains sur ce genre de créature. Créature qui lui offre un sourire rouge, plein de dents noires, pointues, comme du charbon. Mais la goule n'est pas la seule curiosité de l'établissement de Sexta.
Il y a également des services étranges, des pièces réservées à une clientèle spécifique demandant à ce que les prostitués jouent un rôle. Qu'elles fassent semblant d'être tristes, blessées, démentes, agressives… Tout le monde peut trouver ce dont il a besoin. Même une lupas amputée d'un membre ou bien défigurée. En réalité, Sexta ne tient pas seulement la maison close la plus grande du douzième sous-sol, non, elle tient l'antre de la perversité.
Quand les prostituées voient passer leur maîtresse, elles la saluent avec un sourire trop large. Ryan lit l'admiration et la peur dans leurs yeux. Elle ne doute pas que la vampire tienne son empire d'une main de fer.
Cette dernière les mène vers les sous-sol de la maison close, ignorant les couloirs illuminés par des torches, où les cris de douleurs se mêlent à des exclamation de plaisir et enfin, près des chambres froides, elle se retourne et adresse un sourire trop doux à Fawkes et Ryan.
« Vous voyez cette porte immense ? Le petit oiseau est juste derrière. Il a été bien dressé, alors il sera gentil. Mais tu vois, Fawkes, c'est une belle prise. Il te sera utile pour en faire une plus grosse, je n'en doute pas, mais si tu n'y arrive pas, ce sera un problème.
— Sexta, l'interpelle Ryan, nous devons sauver Titan. Nous n'avons pas le choix, nous devons réussir.
— Vous n'avez pas été très convaincants, devant les Strashilka, j'ai dû aider un petit peu. Tu dois bien le reconnaître, Ryan, alors permets-moi d'avoir des doutes quant à vos chances de capturer Leiftan.
— Quand nous quittions Albacore, commence Fawkes. Tu as promis que tu aiderais et ferais également ce qui est en ton pouvoir pour libérer Titan. On peut t’accuser de bien des choses, Sexta, mais je suis le premier à reconnaître que tu ne faillis jamais à ta parole. Comptes-tu me faire mentir sur ce point, aujourd’hui ? »
Le traqueur sait parfaitement que le rôle de chef n’est pas fait pour lui et qu’il est loin d’être parfait à la tâche. Mais il sait aussi que sa loyauté envers Titan n’est plus à prouver. Il n’est peut-être pas fin stratège comme Titan, il n’a pas l’esprit assez tordu comme Sexta ou le recul sage de Ryan mais il fera ce qu’il y a à faire.
« N’oublie pas que Ryan s’est engagée auprès de Candice à le conduire auprès de son frère. S’il te reste un temps soit peu de considération, au moins pour elle, assure-toi qu’il n’arrive rien de mal à la petite fée. Ton âme est peut-être perdue, mais celle de Ryan et ses filles ne sont pas à mettre dans le même panier. »
La situation amuse beaucoup trop Sexta, au goût du renard, et elle veut tellement pouvoir se venger de Candice, qu’elle serait capable des bêtises les plus grosses, qu’importe les répercussions sur les autres. Fawkes secoue la tête, ses oreilles gigotent et remuent ses mèches épaisses de cheveux.
« Si on allie nos forces, toi et nous, on a nos chances de capturer Leiftan Tuarran. Ce que je veux savoir c’est… Est-ce qu’on peut compter sur toi, Sexta ? Jusqu’à retrouver Titan… après, tu feras bien ce que tu veux.
— Justement, Fawkes, comment tu veux procéder ? Si Candice descend aux Abysses et que Sira n'y est plus, qu'est-ce qu'il va arriver ? Qu'est-ce qui arrivera à Ryan ? »
La licorne pique un fard et toutes ses pensées se tournent vers Fuya et le sort qu'elle a connu entre les mains de Candice. La meilleure solution serait d'attirer Leiftan dans les Abysses. Non seulement, Sira ne pourrait pas s'échapper, mais lorsque son frère se montrera, alors il pourra le récupérer. Avec un peu de chance, le Conseiller aura mordu à l'hameçon et il se trouvera dans les parages… Fawkes et Ryan auront juste à le conduire aux Strashilka et ainsi, le marché sera honoré.
« Fawkes, il va falloir attirer Leiftan ici. »
Cela paraît impossible, mais il n'y a pas le choix. Plongeant son regard bleu dans celui du renard, la licorne explique qu'ils ne peuvent pas prendre de risques vis-à-vis de Candice, mais que leur plan deviendra beaucoup plus facile si le Conseiller décide de se risquer dans les Abysses.
« Nous pouvons au moins l'attirer à Odrialc'h. Ce sera toujours plus facile que de retourner à Eel et de risquer le voyage du retour en bateau, surtout si les hautes autorités nous pourchassent. »
Reste la question de l'appât. À moins que de laisser Sira sortir à l'air libre, juste pour que Leiftan le voit serait suffisant ? Sexta argue qu'elle aimerait que son établissement reste debout, mais qu'il est tout à fait possible de rendre la fée obéissante. Plissant ses yeux noirs, elle s'adresse à Fawkes :
« J'ai dit que j'aiderais à faire libérer Titan et c'est ce que je compte faire. Je vais vous prêter la petite fée, mais il faudra qu'elle soit rendue à son frère. J'aurais bien aimé l'abimer un peu, mais tu es rabat-joie, Fawkes. Mais s'il y a besoin de se faire obéir de la fée ou même du Conseiller, à condition que vous réussissiez à lui faire boire quelque chose, c'est tout à fait possible.
— C'est précisément ce que j'avais en tête, acquiesce Fawkes. Nous devons attirer Leiftan aux Abysses. Sira est dans une chambre froide parce qu'il n'a plus son voile n'est-ce pas ? L'en sortir en ferait une marchandise périmée…»
Le goupil confie donc qu'ils doivent transmettre un message à Leiftan, lui apportant la preuve qu'ils détiennent Sira Milliget.
« Une mèche de ses cheveux si particuliers devrait suffire, suppose-t-il. Nous confierons au Conseiller que Candice Milliget a tué l'une des nôtres. Nous ne sommes donc plus alliés et plus encore, nous voulons le voir tomber. Aussi… en échange d'une immunité et de la libération de Titan, nous serons prêts à offrir à Leiftan Tuarran le jeune frère de Candice pour qu'il ait tous les outils nécessaires à la capture et la mise à mort de Candice.»
Le renard frotte sa barbichette alors que ses pensées s'entrechoquent. Il visualise les différentes réactions possibles du Conseiller et même s'il ne peut pas tout prédire avec exactitude, il espère pouvoir en deviner les plus importantes.
« Évidemment, je ne m'attends pas à ce qu'il accepte la requête de libérer Titan. Peut-être même rechignera-t-il à nous accorder l'immunité. Mais s'il pense être en position de pouvoir, il sera plus confiant. »
Il explique alors qu'attirer Leiftan aux Abysses est le meilleur plan qu'ils puissent avoir. Une fois sous terre, ses chances de fuite seront amoindries, et il sera aussi plus aisé de lui faire boire un élixir de bienvenue dans le bordel de Sexta. Ou trinquer pour leur accord passé, au choix.
« Avons-nous la moindre information concernant ce qui émoustille le lorialet ? Si cette maison recèle son péché mignon, il pourra d'autant plus être approché, non ? »
La vampire ne répond pas, perplexe. Son esprit tente de saisir ce que Fawkes lui demande et enfin, lorsqu'elle comprend que Fawkes pense réellement ce qu'il dit, elle esquisse un sourire narquois en soufflant un bien sûr. Elle secoue la tête, couvre le renard d'un regard indulgent, comme une mère qui pardonnerait l'esprit naïf d'un enfant, puis récapitule son plan, non sans sarcasmes :
« Tu veux persuader le Conseiller de descendre au dernier sous-sol des Abysses par le simple pouvoir de ta bonne foi et celui d'une mèche de cheveux du petit oiseau. Là, admettons qu'il soit le dernier des idiots, tu penses réellement qu'il va gentiment s'asseoir dans mon bordel, l'une de mes lupas sur ses genoux et qu'il va religieusement boire ce que tu vas lui servir ? »
Elle éclate d'un rire froid puis pousse un long soupir, enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon, puis s'adossant à l'épaisse porte de la chambre froide.
« Ton problème, c'est toujours le même, Fawkes, poursuit-elle d'une voix lointaine, trop gentil, trop honnête, trop loyal, comme un bon petit soldat d'Odrialc'h ou un gardien d'Eel. Tu n'es pas un mercenaire et tu ne seras jamais un mercenaire. On ne fait pas partie du même monde, toi et moi et tu ne fais pas partie du même monde que Titan non plus, et tu veux savoir pourquoi ? »
Parce que Titan, elle, dans la situation de Fawkes, aurait tout de suite compris que pour capturer un personnage tel que Leiftan, qui est un Docteur Bec et qui n'a pas hésité une seul seconde à faire face à Candice, durant la catastrophe d'Eel, elle devrait se battre. Que pour le faire descendre aux Abysses et le livrer aux Strashilka, elle devrait lui faire avaler de force, un breuvage pour le droguer. Titan n'est pas Sexta, Titan ne fait pas partie de son monde, mais elle a réussi à s'en rapprocher sans se corrompre toute entière. C'est aussi pour cela que Sexta la respecte. Elle tâche de l'expliquer au renard et quand elle achève son discours, elle lui affirme avec le plus grand des sérieux, que ni lui, ni Ryan n'ont les épaules pour capturer Leiftan Tuarran.
« Mais Ryan n'est pas une combattante, ni une traqueuse. Elle est une experte en poisons et elle n'a plus rien à prouver, elle fait déjà largement sa part pour le cartel. Elle est comme Titan, elle sait vivre dans les ténèbres sans se laisser avaler complètement parce que là haut, dans la lumière, elle a des enfants. Toi, Fawkes, tu ne sais tout simplement pas vivre dans les ténèbres.
— Tu as raison, souffle Fawkes. Je ne sais pas vivre dans les ténèbres. Je sais seulement y survivre et m'en cacher quand elles m'ont englouti, parce qu'on m'y a plongé dès mon plus jeune âge. Titan a su m'en extirper et pour rien au monde je ne voudrai y retomber. Je ne suis pas naïf au point de croire que l'affrontement est inévitable. Il est même… certain qu'on en vienne là. Et je sais que j'y laisserai des poils contre un tel adversaire. Mais je ferai ce qu'il y a à faire.»
Seulement Leiftan Tuarran sera excessivement méfiant envers tout membre du cartel. Il sera plus que difficile de l'approcher. Alors lui faire boire un élixir semble tout bonnement impossible.
« Ou bien je devrai volontairement tomber sous sa main, pour qu'il soit alors à ma portée. Ce ne serait pas la première fois que je simule une défaite pour pouvoir m'approcher de ma cible, mais avec Leiftan… le risque est bien plus grand. »
Cet homme répugne Fawkes. Le peu qu'il a été en contact avec lui, ça lui a dressé le duvet sur tout le corps et il n'a vraiment aucune envie de réitérer. Mais il se prépare mentalement à ne pas avoir le choix. Il ne s'attendait pas à ce que le plan de diplomatie fonctionne mais il aurait apprécié que Sexta envisage une seconde qu'il était viable. Elle et Leiftan sont bien identiques, la même moisissure au fond des os.
« Le plan reste le même. Nous le contactons avec preuve à l'appui que nous détenons Sira Milliget et convenons d'un point de rendez-vous. Je l'accueillerai au port de Tantale. Il ne tentera rien sous le regard des habitants. Mais dès que nous serons sous le couvert des arbres, en direction de l'entrée des Abysses alors tout sera possible. »
Il serait cependant judicieux que Sexta et Ryan se tiennent suffisamment loin pour que Leiftan ne les repère pas et ne les prenne pas pour cible, mais suffisamment proches pour intervenir dans le cas où Fawkes tomberait vraiment sous les coups du Conseiller. Ils devront aller jusqu'au bout, pour Titan.
« S'il vient, susurre Sexta, s'il vient, Fawkes. »
Puis, la vampire se retourne afin d'ouvrir la chambre froide. Pour ce faire, elle fait tourner un énorme robinet rotatif, usant de la force de ses bras et enfin, quand la porte s'entrouvre, elle crache une fumée glacée. Fawkes a besoin de voir les ténèbres de plus près. Elle pense que ce renard stupide, incapable de voir que son binôme n'était rien d'autre qu'un traitre adorateur des fées, doit se confronter à la réalité, s'il veut sauver Titan et rester dans le cartel. Quand on veut survivre dans les ténèbres, il faut apprendre à les dominer. Sexta sait comment faire.
Elle sait s'occuper de sa maison close, de ses nouvelles recrues, puis des prisonniers comme le petit oiseau. Elle a une manière bien à elle de les rendre docile et elle va lui montrer.
Sexta fait signe à Fawkes et Ryan de la suivre. L'entrée de la chambre froide est un couloir qui n'est emprunté que par elle, mais aussi par les assassins venus livrer la viande. Sexta les paye un peu plus et ils sont assez aimables pour évacuer les restes, mais aussi vider le pot de chambre de la fée Milliget. On évite de contrarier l'Impératrice des Abysses…
Enfin, quand cette dernière accède à une seconde porte, qu'elle déverrouille, Fawkes et Ryan se retrouvent dans une chambre joliment décorée. Trop joliment décorée. Une vraie chambre d'enfants, avec un lit à baldaquin, des peluches représentant des familiers, des coussins en dentelles, un tapis en forme de nuage… Et Sira. Fawkes trouve que l’endroit est un parfait repère de ravisseur pour susciter la sympathie de la victime envers son geôlier. Puis il voit Sira.
Ryan porte les mains à sa bouche en écarquillant ses yeux bleus. La fée est assise sur un tabouret, immobile, le regard vide. On lui a enlevé sa longue robe bleue afin de lui en faire porter une nouvelle, d'un rose vif, aux manches bouffantes et aux jupons vaporeux. Un corset serre sa maigre taille, brodés de jolies fleurs blanches et de fil d'or. Le dos de la robe a été coupé afin de laisser passer les ailes irisées et les cheveux de Sira, eux, sont propres et impeccablement coiffés. Ses boucles pastelles ressemblent à une rivière d'or rose et Sexta commente en haussant les épaules :
« Je l'avais préparé pour les Strashilka, au cas où. »
Sira ne réagit pas. Il ne semble même pas avoir conscience des présences qui s'animent autour de lui. La fée Milliget se contente de fixer le vide, perdue dans ses pensées. C’est à peine vraisemblable, de voir cette petite fée, dépourvue de toute vie. Le renard peut entendre un cœur battre, s’il tend l’oreille, pourtant, il n’y a bien plus que cela pour affirmer que Sira Milliget vit encore. Candice ne va pas apprécier. Il ne va pas apprécier du tout et Fawkes se promet de ne pas être dans les parages quand l’aîné trouvera son petit frère.
Il s’approche de la jeune fée. Sa peau frissonne parce que lui, il n’est pas habitué à ces températures. Pourtant il n’en a cure. Accroupi devant Sira, pour se mettre dans son champ de vision, Fawkes se confronte pourtant à une parfaite indifférence. Le jeune homme aux cheveux pastel le voit-il seulement ? Il ne semble pas blessé, son corps ne montre aucune séquelle, encore que Fawkes ne l’examine pas en détail. Pourtant, son esprit semble brisé et c’est une blessure tout aussi sérieuse que celle du corps, il le sait et Sexta le sait très bien aussi.
« Que lui as-tu fait pour qu’il soit dans cet état ?
— Ça, mon cher renard, c'est le résultat d'une longue rééducation. Les premiers temps, il a eu peur. Je te l'ai dit. Il appelait sa maman, Candice et Shelma et comme tu peux le voir, maintenant, il est tout calme. »
Détruire un cerveau, c'est un art. Sexta a appris cela lors de son cheminement vers les Abysses. Elle sait transformer les êtres en poupées catatoniques comme le petit oiseau, puis leur redonner la vie grâce à un mot, un seul, quand elle le décide. Tournant autour de la fée comme une prédatrice, elle explique d'une voix doucereuse :
« Il faut d'abord passer par la peur et ensuite par l'amour. Du froid, puis du chaud. Ensuite, quand on obtient la naïveté et la confiance du petit oiseau, alors on le persuade d'être ce que l'on veut qu'il soit. Ici, Fawkes, je me suis dit que la jolie fée serait parfaite en tant que poupée, alors je lui ai enlevé la vie. Celle de son esprit. Mais ne t'en fait pas, je vais la lui rendre quand je l'aurais décidé. »
Puis, la vampire s'incline. Quand elle relève la tête, elle darde ses yeux d'onyx sur le visage de Fawkes, puis l'invite à s'adresser à Sira. Tout ce qu'il a à faire, c'est lui demander s'il veut jouer avec lui. Fawkes est perplexe. Le regard qu’il garde braqué sur Sexta cherche à déceler les règles de son jeu morbide, mais il sait qu’il ne les trouvera pas. Il sait aussi qu’elle veut le faire participer bien malgré lui. Pourtant, le renard n’a pas le choix.
Alors il baisse la tête et soupire. Il sent déjà la noirceur gluante de Sexta et des lieux lui courir sur la peau et il ne veut pas s'entâcher à cause d’elle. Il l’est bien assez par lui-même. Pourtant, quand il relève les yeux vers Sira, le traqueur du cartel pose la main sur un de ses genoux et obtempère.
« Hey Sira… On joue à un jeu, tous les deux ? »
Comme sortie d'un songe, la fée Milliget cligne des paupières à plusieurs reprises. Son visage rond se fend de surprise quand elle remarque Fawkes, face à elle. Sira ouvre de grands yeux, balayant la pièce comme s'il la découvrait pour la première fois de sa vie puis, ravie de voir autant de monde venu pour lui, il lance d'un ton enthousiaste :
« Bonjour ! Oui, je veux jouer ! Mais seulement si Sexta est d'accord.
— Tu peux, Sira, lui indique la vampire, mais tu dois rester sage.
— Oui ! chantonne Sira, sinon je ne mangerais pas ! À quoi on joue ? »
Ryan s'est tassée dans un coin de la pièce, des larmes roulant sur ses joues pâles. Là, elle a l'impression de rencontrer Sexta une nouvelle fois. La vampire est capable de ça. Bien sûr, qu'elle est capable. C'est elle, c'est Sexta Stoker. Mais tout de même, voir cette fée dépourvue de son esprit, comme un jouet que l'on prend et que l'on jette quand on veut le voir silencieux, ça lui donne des frissons de dégoût. Fawkes, lui, a déjà vu ça. De telles pratiques mises en œuvre par des personnes si abjectes qu’il ne pensait pas revoir cela. Pas au sein du cartel en tout cas. Il cille face à cette fée dont l’esprit est en morceaux et qui pourtant, se réjouit de le voir face à lui. Et la vampire a su le rendre docile et si dépourvu de son libre arbitre en si peu de temps que c’en est effrayant. Pourtant, c’est un autre visage que celui de Sira qui s’imprègne sous ses paupières closes. Et même si les cheveux sont d’un rose pastel, les traits ne sont en rien semblables. Il darde la vampire d’un regard qui trahit son malaise.
« Est-ce que tu lui as fait ça aussi… à Fuya ? »
La question est réelle, même s’il espère une réponse négative. Pourtant, au vu de ce que Sexta peut accomplir sans l’once d’un remord, il se doit de poser la question. Il la voit plisser les yeux pendant qu'une ombre passe sur son visage. Évidemment. Le souvenir est là, présent, si frais dans sa mémoire et le résultat, la vengeance, elle est assise sur un tabouret, affublé d'une robe rose. Sexta laisse échapper un léger rire, puis elle commence à entortiller une boucle de Sira autour de l'un de ses doigts.
« Non, Fawkes. Ce que tu vois, c'est ce qui attend mes lupas quand ils viennent d'arriver, et les otages comme cette jolie petite fée. Fuya, elle… »
Un sourire trop doux s'esquisse sur son visage. Fuya, elle… Elle la rendait meilleure. Elle a su réveiller un instinct que Sexta croyait détruit à jamais et avec la sirène, avec Titan, elle pensait pouvoir faire quelque chose de bien avant de mourir, puis d'aller en enfer.
« Tu as toujours tout faux, n'est-ce pas, Fawkes ? lui lance-t-elle en plissant les yeux, amusée, tu ne vois rien. Comme avec Rose, tu n'as rien vu. Tu es exactement comme ce petit oiseau. »
Sexta tapote doucement le crâne de Sira et ce dernier laisse échapper un rire enfantin. Le renard souffle par le nez et secoue la tête de gauche à droite.
« Tu te trompes. Je voulais seulement être sûr. Sûr qu’un jour, tu as sû être capable d’aimer et d’être aimée en retour, et non pas de vivre dans un simulacre que tu aurais toi-même créé. »
Puis Fawkes délaisse Sexta pour s’adresser à Sira. Il affiche un sourire franc, bien que peu enthousiaste. Il s’adresse à un enfant qui veut jouer mais à qui on a peu de temps à accorder. Le renard serre un peu le genoux de Sira et s’excuse.
« On jouera une prochaine fois, si tu veux bien. Mais j’aimerais bien avoir une mèche de tes cheveux. C’est pour te faire une surprise, plus tard. Tu veux bien ? Sexta est d’accord. N’est-ce pas, Sexta ? »
La vampire donne son accord, alors Sira, heureux d'avoir une surprise, se lève pour se diriger vers une coiffeuse. Là, il sort un ciseau, se saisit d'une longue mèche de ses cheveux, puis la coupe avant de la remettre à Fawkes.
« Qu'est-ce que c'est, la surprise ?
— Tu verras bien, trésor, lui souffle Sexta en lui caressant la joue. Aller. Fini de jouer. »
À peine a-t-elle prononcé ces mots que la fée Milliget s'affaisse comme une poupée de chiffon, le regard vide, à fixer un point invisible sur le sol. Désignant la mèche d'un rose pastel du menton, la vampire intime à Fawkes d'en faire bon usage.
« Je ne vais pas raser le crâne de cette fée, cher renard. Si tu te plantes, j'irai chercher Titan à ma façon et Vova s'amusera avec Sira avant que je ne le rende à son frère.
— Si ON se plante, insiste Fawkes sur le pronom, alors tu ne jubileras pas très longtemps, chère vampire. »
Abandonnant là la poupée inerte, Fawke se redresse, range précieusement la mèche de cheveux dans une des nombreuses poches de sa tenue et se tourne vers Ryan. Il compte sur elle pour créer le breuvage parfait pour la situation. Il aimerait dire qu’il compte sur Sexta pour prendre le relais si Leiftan y échappe mais il refuse de placer toute confiance en elle à moins d’y être totalement obligé. Il s’approche d’un petit bureau, où Sira a peut-être été autorisé à dessiner lors de moments de lucidité, et s’empare d’une feuille et d’un crayon. Là, il y fait courir son écriture penchée, courbe et tranchante où il expose la situation à Leiftan, clamant qu’ils se sont fait abuser par la fée Candice qui leur promettait des objectifs communs. Il souligne sa trahison et le meurtre sauvage d’une des leurs et met en avant que Sira Milliget est sous leur garde et qu’ils seraient prêts à le lui remettre moyennant une bonne contrepartie, à savoir la libération de Titan et la cessation des primes sur leurs têtes. Si Fawkes choisit de s’adresser à lui et non à Miiko Yamamura, c’est parce qu’il sait qu’il sera capable de venir à bout de Candice avec les bons outils. Fawkes n’a même pas à mentir pour écrire ces mots, c’est une accablante vérité.
La missive n’est pas très longue, mais elle mentionne le principal sans l’enjoliver. Les termes d’un contrat qui, il l’espère, intéressera le Docteur Bec. Il récupère la mèche et la glisse dans la lettre pliée avant de la remettre à Sexta.
« Tu dois bien disposer de quelques contacts capables de faire parvenir cette lettre à bon port, non ?
— Tu as un superbe centre de relais, au quatrième sous-sol, tenu par les purrekos. Débrouille-toi, Fawkes et fais un effort. Si tu te perds, tu n'as qu'à donner la main à Ryan. Elle te montrera le chemin. »
Sexta se souvient d'ailleurs de ce pauvre Nelladel qui avait vomit ses tripes face à une arachnée en train d'extraire le venin de chead, pour Ryan. En tout cas, si Fawkes obtient une réponse à sa lettre d'amour, elle le saura. En attendant, elle va veiller sur Sira. Elle le sortira de son état catatonique pour qu'il puisse manger, dormir, faire ses besoins et se laver. De temps en temps, elle l'autorisera à jouer.
Première mission pour les dava de Candice Milliget
Helouri n'a pas envie de lui parler. Quand il y pense, son cœur devient lourd et sa poitrine se comprime. Il se demande comment ça a pu arriver, comment un beau jour il a pu ressentir l'envie de ne pas parler à sa grande sœur, ni même de la voir, lui qui lui disait tout. Comment elle peut ne pas lui manquer alors que le jour où elle s'était installée avec sa famille, il a remercié la providence de lui avoir envoyé ce qu'il a toujours souhaité : une grande sœur.
Pourtant, là, assis sur le fauteuil de leur foyer à Albacore, comme le dernier soir où il l'a attendue, Helouri vit cet instant comme une corvée. Il voudrait être loin, mais il est là. Il est là parce que Candice lui a ordonné d'aller chercher June avant de le rejoindre, tous les deux, à l'entrée du village.
Helouri a allumé les lampes à huile afin d'apporter un petit peu de lumière et de chaleur à cette maison lugubre. Son père est passé en coup de vent. Tout ce qu'il lui a dit, c'est qu'il a l'accord du Chef Batatume pour réunir des gardiens à emmener à Odrialc'h. Là-bas, ils travailleront tous avec la police afin de mettre la main sur le cartel et retrouver Cristal. Seulement, on critique beaucoup Joseph de mettre tous ces moyens en œuvre pour son épouse, quand les citoyens d'Eel traversent des temps sombres. La Garde de l'Ombre a refusé de l'aider, d'ailleurs.
Helouri ramène ses genoux contre sa poitrine. L'attente est longue, mais June finira par rentrer.
Il doit patienter un petit peu, mais elle finit par revenir. Les cheveux rendus humides par la neige, June pousse la porte de la maison et tape ses semelles contre la pierre pour en chasser la couverture boueuse qui les recouvre. Elle enlève son épais manteau, puis jette un regard morne dans la pièce. Elle ne salue pas son frère, se contente simplement d’arquer un sourcil mauvais, comme pour le défier de lui adresser la parole. La dernière fois, ça ne s’est pas bien passé et elle est trop fatiguée pour se disputer encore, surtout que le sujet sera le même. La jeune femme se débarasse des couches de vêtements accumulées pour faire barrage au froid, puis elle se dirige vers la cuisine, sans plus se préoccuper du morgan.
« Tu vas devoir te rhabiller, lui lance-t-il d'un ton monocorde, nous sommes attendus à l'entrée du village. »
Il marque une pause, puis lève les yeux vers June en haussant les épaules, puis ajoute :
« Ou alors on peut attendre que Candice vienne nous chercher ici. Mais personnellement, je préfère la première option. »
June s’arrête un instant, puis elle hausse les épaules. Elle change de destination pour grimper les escaliers, et entre dans sa chambre. Là, elle change rapidement de vêtements, car les siens ne sont pas adaptés à Candice et les ordres qu’il pourrait lui donner. D’après ce qu’elle a expérimenté, il a tendance à envoyer ses esclaves dans des situations nécessitant de courir ou de se battre…
Quelques minutes lui suffisent, et quand elle redescend, c’est en tressant ses longues mèches cendrées, qu’elle attache ensuite avec un ruban de cuir. June attrape la cape de son uniforme hivernal, plus pratique que son gros manteau, avant de jeter un nouveau regard morne à son frère. Je ne vais pas t’attendre, semble-t-elle dire. D’ailleurs, elle ouvre déjà la porte pour prendre la direction de son rendez-vous impromptu.
Le jeune morgan se lève, enfile un manteau épais d'un gris terne, des bottes, puis lui emboîte le pas. Lorsqu'il quitte la maison, elle est déjà loin. Tant pis. L'entrée du village se trouve après la place centrale, où se dressent les statuts des familiers, puis la mairie. Bien entendu, Candice ne se trouvera certainement pas à les attendre gentiment sur le seuil du village, non. Helouri et June devront sans doute le chercher… Le jeune morgan pousse un soupir, serrant les pans de son manteau autour de sa silhouette frêle. La neige s'accumule sur ses cheveux nacrés, trempant petit à petit ses longues boucles. Il marche de manière machinale, sans prêter attention au décor, ses pensées le tourmentant comme une âme en peine. Le visage de sa mère apparaît à plusieurs reprises et la gorge de Helouri se serre.
Enfin, l'entrée d'Albacore se dessine, avec la silhouette de June. Elle a peut-être voulu sortir pour rejoindre Candice, mais elle n'a pas pu. Se dressant face à elle, parfaitement immobiles, leurs longs voiles hivernales recouvrant leur corps en laissant apparaître le bas de leurs robes rouge sang, trois fées les fixent sans rien dire. Helouri s'approche, perplexe, les sourcils froncés, le cœur battant. Il jette un coup d'œil machinal à June avant de se détourner. Un silence pesant s'installe et enfin, l'une des trois fées lance d'un ton sec, en faisant rouler le R :
« Duroshi kalimo.
— Si vous le dites. » marmonne June.
Elle lève les yeux pour essayer de voir les leurs, puis croise les bras sur sa poitrine, en songeant que Candice pourrait peut-être convenir d’un lieu de rendez-vous accessible.
« Je ne parle pas votre langue, lâche-t-elle d’une voix lasse. Ou du moins, le peu que j’en connais n’a pas sa place dans une conversation civilisée. Peut-être que tu veux te rendre utile ? »
Cette fois, elle s’adresse à Helouri, même si elle ne l’a pas regardé. Mais ce dernier ne connaît pas assez la langue des fées pour comprendre ce qui est dit. De toute manière, il n'en a pas besoin, car une voix traînante, pleine de fiel, leur indique qu'il est agréable de voir des dava être à l'heure. Ainsi, ils ne perdront pas de temps.
Lorsqu'il s'avance vers l'entrée d'Albacore, Candice impose un froid mordant qui se mêle à celui des trois fées en robe rouge. Il a d'ailleurs récupéré la sienne, d'un bleu saphir, tout comme il arbore de nouveau son long voile gelé. Candice aboie quelque chose à Helouri, qui sursaute violemment et enfin, il remarque les autres fées.
« Ah, Shahamina Musca, grince-t-il.
— Duroshi kalimo. » répète l'une d'entre elles, sans bouger.
Candice se fige. D'un geste brusque, il intime aux fées de se pousser, mais elles restent stoïques. Là, il lève une main pour se désigner en crachant un temeb ? avant de fondre dangereusement sur elles.
« Hotsah, siffle-t-il en serrant les poings.
— Hakhalma Delta Milliget alia ottoroh shinn num no volok. » répond calmement la fée du milieu.
June s’est un peu écartée. Si Candice veut se battre avec les trois autres fées, elle ne se mêlera pas de leurs affaires. Elle ne comprend pas un mot de leur conversation, mais elle saisit le nom de Delta Milliget, et la fée qu’elle a croisée, juste avant que Nelladel n’essaie de l’enlever, lui revient en mémoire. Visiblement, les velléités de royauté de Candice ne sont pas partagées par tous…
« Duroshi kalimo, Qenndys ! s'exclame la fée du milieu.
— Zouzalshe, miyina !
— Hum, egahaleh. Hakhalma Delta Milliget kellera.»
Avec des gestes lents, la fée soulève son voile hivernal. Elle dévoile sa longue robe rouge sang, identique à celle de Candice, puis sa peau d'albâtre ainsi que ses cheveux d'un blond si clair qu'il se confond avec le blanc de la neige. La fée les a tressés en une natte unique, si serrée qu'elle ressemble à une flèche de glace. Elle rive ses yeux bleus dans ceux de Candice, puis lui intime d'une voix forte, se préparant à l'assaut :
« Galama ! »
Candice pousse un hurlement strident, se disloquant la mâchoire, mais à peine a-t-il esquissé un mouvement que son adversaire lui coupe la respiration d'un coup sur le plexus, puis d'un autre dans le ventre avant de faucher ses jambes pour le faire ployer.
Adossée à un muret, June observe son nouveau maître subir les assauts des fées vêtues de rouge. Elle se contente de regarder, sans intervenir, parce que Candice ne lui en a pas donné l’ordre, parce qu’elle n’aurait aucune chance, et surtout, parce qu’elle estime que ça fera du bien à l’arrogante fée de se prendre une raclée. Un léger soupir lui échappe.
« Super, il va être de bonne humeur, maintenant. » marmonne-t-elle pour elle-même.
Ils auraient mieux fait de l’attendre à la maison. Un retard leur aurait valu une punition, mais Candice leur fera payer d’avoir assisté à sa défaite. Néanmoins, l'humiliation rend la fée Milliget particulièrement belliqueuse. Après s'être remise debout, elle saisit sa congénère par la gorge afin de la plaquer à terre mais d'un mouvement habile, elle se dérobe à sa poigne et lui attrape le bras. Candice se débat, mais les deux autres fées interviennent, usant de leur force impressionnante pour l'immobiliser.
Chaque bras est entre leurs mains alors que celle du milieu, avec laquelle il s'est battue, le relâche pour s'approcher de June et Helouri. Ce dernier se recule, une main sur la bouche, ses grands yeux d'argent fixant le visage de la fée en robe rouge.
Candice, lui, tâche de se débattre, mais l'évidence est là : ses congénères sont plus fortes que lui. Immobiles comme deux statues de glaces, elles le maintiennent comme s'il était aussi faible qu'un enfant.
La fée les observe, silencieuse. Enfin, élevant la voix, elle leur demande :
« Vous dava de lui ?
— Oui… souffle Helouri en hochant fébrilement la tête.
— Ouvre ta grande gueule et tu peux oublier ta mère ! » le menace Candice.
La fée en robe rouge se retourne pour le regarder, levant une main pour lui intimer de se taire, mais tout ce qu'elle récolte, c'est un regard meurtrier. Enfin, elle reprend :
« Lui, promis quoi à vous ? »
June regarde son frère, qui semble sur le point de s’évanouir. Elle espère simplement que l’arrogance de Candice ne va pas leur attirer d’ennuis, car elle n’a aucune envie d’aggraver sa propre situation. La jeune femme hausse les épaules en secouant sa tresse, avant de jeter un regard neutre à la fée en robe rouge.
« Rien, répond-elle. J’étais chargée de le nourrir quand il était en prison, je venais simplement prendre de ses nouvelles. Vous devez savoir qu’Eel n’a pas été très tendre, j’imagine. On discutait un peu quand il était en cellule, c’est tout. »
Peut-être que cette rencontre permettra à Helouri de comprendre qu’il n’est pas fait pour cette vie-là. Promettre de la soutenir et de rester avec elle, c’est beau quand on n’est pas confronté au danger et à la peur. June sait qu’il ne va pas tarder à regretter ses belles paroles. Peut-être même qu’il veut déjà s’enfuir, mais que son corps refuse de lui obéir.
Le jeune morgan essaye de retrouver une respiration normale, mais c'est difficile. Il fait appel à toute sa concentration, tout le contrôle de son esprit pour refluer la panique au fond de ses entrailles. Il est lâche. Il n'est pas courageux et dans cette situation, tout ce qu'il peut faire, c'est essayer de comprendre ce qu'on lui demande et parler. D'observer, aussi.
De voir que la fée en robe rouge n'a pas saisi tout ce que June lui a dit. Il fronce les sourcils, se reprend, sent une vague de panique le traverser, se concentre, puis tente :
« Im… Im… Jawoboh… Ravadoh…
— Shinn ravadoh ?
— Ma…Maloh… Mifikam… »
Helouri tourne la tête vers June, puis la désigne d'un geste de la main en la qualifiant de horass. La fée en robe rouge l'observe, puis lui demande avec intérêt :
« Toi avoir été gardienne de lui, au prison ? »
June hoche la tête. Elle n’apprécie pas de ne rien comprendre, mais elle n’a pas le choix. Le langage bégayant d’Helouri est son seul moyen de communiquer avec la fée en rouge, à moins d’utiliser des mots simples, ce qu’elle s’emploie à faire pour répondre.
« Je devais lui donner à manger, fait-elle en mimant le geste. Je n’étais pas toute seule. Balam, l’autre… Il le surveillait. Moi, je donnais juste à manger. »
Elle a essayé d’articuler comme il faut, et elle a parlé lentement, en faisant des gestes pour être sûre d’être comprise. June jette un regard à Candice, qui n’a pas encore moufté. Elle estime donc que ce qu’elle dit est autorisé, à moins qu’il n’ose pas s’opposer aux fées en rouge. Ces dernières communiquent dans leur langues et parfois, Candice les interrompt avec fiel pour dire quelque chose. Deux noms reviennent souvent. Balam et Rose.
Lorsqu'une fée en rouge prononce le premier, Candice crache à ses pieds et quand le second est évoqué, la fée Milliget se met à hurler des insultes dans sa langue, se débattant avec force, si bien que ses congénères commencent à peiner dans leur tâche. Soudain, Candice se libère. Il se retourne pour attraper l'une des fées par le cou et lui administrer un violent coup de pied dans le ventre, la faisant chuter.
« No im otok all hasoh akk, Qenndys, le prévient sa comparse.
— LIA SHINN LEVALOK MAK HAZEL ?
— Kachettok nil. »
La fée en rouge lui indique la mairie et Candice lui lance un regard assassin. Ensuite, elle et ses congénères se reculent pour bloquer l'entrée du village, redevenant silencieuses. Candice jure dans sa langue, passe une main colérique dans ses longs cheveux châtains et enfin, quand il semble se souvenir de la présence de June et Helouri, il s'emporte et choisi de passer ses nerfs sur eux :
« Qu'est-ce que vous foutez encore là ? leur hurle-t-il, Dégagez ! Rentrez chez vous ! Vos sales gueules ne me servent à rien, ici, alors dégagez hors de ma vue ! »
C’était bien la peine de leur faire traverser le village dans la neige… June retient un soupir agacé. Elle se contente de hocher la tête pour le saluer, fait de même avec les fées en rouge, puis tourne les talons. Quand Candice sera de meilleure humeur, il viendra les chercher de lui-même… En attendant, mieux vaut ne pas rester dans les parages. Les lubies de la fée sont suffisamment difficiles à satisfaire, autant ne pas en rajouter en risquant de subir sa colère.
« Bon, Monsieur Lefaucheur, c'est mieux, même s'il faudra du temps…
— Un, deux, trois, quatre…
— Je suis navré, répond Balam d'un ton contrit, mais je ne ressens que très peu de différence.
— ... Cinq, six, sept…
— C'est normal, le rassure le soignant, vous avez été très éprouvé. Vous avez beaucoup de chance, alors ne désespérez pas, vous allez vous remettre.
— ... Huit, neuf, et dix ! »
Près de l'infirmier et du lit de Balam Lefaucheur, elle arbore un sourire victorieux. Un sourire terrifiant, hérissé de dents pointues. Rose fait tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas la regarder, mais elle si fascinante et effrayante à la fois, que ses yeux rechignent à la quitter. Les mains agrippées sur le drap de son lit, il détaille ce que la vérité lui apporte, depuis qu'il sait. Il l'ignorait, avant, mais l'hôpital d'Albacore grouille d'âmes en peine, cherchant des proches ou bien une sortie qui ne semble pas exister pour elles. Au début, les écouter était un véritable calvaire, si bien que Rose avait cru perdre la raison à plusieurs reprises. Puis Valkyon lui a appris comment faire le tri, afin de se créer sa propre frontière entre la mort et la vie.
Ne vous laissez pas happer par leurs plaintes, Rose. Restez ancré dans le monde des vivants. Gardez vos oreilles et votre esprit pour le monde des vivants.
C'était facile à expliquer, mais beaucoup moins à mettre en place. Quand ces créatures à l'aspect répugnant fixent le lit de Rose de leurs yeux vides, quand elles s'aperçoivent qu'il est capable de les voir, quand elles hantent des endroits intimes comme la salle d'eau ou bien les latrines… il est compliqué de réussir à occulter leur présence envahissante. Ce matin, c'est celle d'une enfant. Une petite elfe, à première vue. Sa peau abimée colle à son petit corps décharné, alors qu'une masse épaisse de cheveux blancs, sales et emmêlés, forment un nid de nœuds sur son crâne. Elle se tient en haillons, près du lit de Balam et s'amuse à compter les rouleaux de bandages, rangés sur le chariot de l'infirmier. Parfois, elle fixe le visage de l'elfe noir de ses grands yeux sombres, riant quand elle le voit frissonner sans comprendre, à cause de sa présence. Puis, son regard croise celui de Rose.
Aussitôt, le jeune vampire se tourne, sa joue contre l'oreiller, priant pour qu'elle n'ait pas réalisé qu'il était capable de la voir. Mais sa prière n'est jamais exaucée. Bonjour !
De son expérience personnelle, depuis le soir où Valkyon lui a appris la vérité concernant le monde d'Eldarya, il a la forte impression que les âmes vivent dans un tout autre monde. Une réalité bien à elles qu'elles se seraient bâties et qu'un regard sur leur personne serait comme un phare au beau milieu d'une mer sombre. T'peux m'voir ? Pour de vrai ? C'parce que t'es malade et qu'tu vas bientôt mourir ?
Elles se raccrochent à la lumière et elles la fuient. Elles défient la passerelle entre la mort et la vie depuis que la frontière s'est effacée et enfin, elles peuvent goûter à cette chair qui leur manque tant. T'es chaud. T'es tout chaud.
Rose se replie sur lui-même quand des doigts squelettiques s'accrochent à son poignet laissé à découvert, alors que la voix de l'enfant devient de plus en plus désincarnée, se plaignant qu'elle a froid, qu'elle a toujours froid et qu'elle aimerait pouvoir retrouver sa peau, comme avant…
— Monsieur Clarimonde ?
Rose ouvre violemment les yeux, si bien qu'il papillonne des paupières quand la lumière du jour se fait agressive. Enfin, la silhouette d'Ewelein Osgiliath se reconstitue, avec son air grave et sa tunique d'un bleu noble. Rose se redresse, le cœur battant, puis sonde le regard bleu de la médecin en cheffe. Elle n'a pas besoin d'en dire beaucoup. De plus, non loin d'eux, l'infirmier est en train d'aider Balam à se lever.
— Vous vous souvenez de la salle où vous vous êtes entretenu avec Sadako Nakata et moi-même ?
Oui, Rose s'en souvient. C'était pour son interrogatoire concernant la catastrophe de la cité d'Eel ainsi que sa possible implication avec la venue de Candice Milliget. Il se rappelle également que c'est dans ce lieu, qu'il a demandé à Ewelein de mourir, mais aussi dans ce lieu qu'il a pu dire au revoir à Nevra. Il hoche la tête, puis Ewelein poursuit :
— De hautes personnalités sont en train d'attendre. Elles vous réclament et elles réclament Balam Lefaucheur. Maintenant.
— Qui est-ce ? demande Rose dans un souffle, bien qu'il se doute de la réponse.
— La reine Delta Milliget, son fils, Shelma Milliget et la Princesse des goules, Algol Abigor.
Le jeune vampire ouvre de grands yeux. Il s'attendait à devoir confronter la reine Delta Milliget, ainsi que la Princesse des goules, mais il n'imaginait pas que Shelma Milliget se serait rendu à Albacore. Il ignore, pour le moment, s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose et il verra bien. De toute manière, Balam et lui sont attendus, alors il faut y aller. Rose annonce à Ewelein qu'il est prêt. Il est encore incapable de se rendre à la salle par ses propres moyens, car la distance est trop longue, mais il compte tout de même se présenter assis sur une chaise et non pas un fauteuil à roulettes. Balam, lui, est installé dans l'un d'entre eux, avec mille précautions. Sa blessure mettra du temps à guérir et la raison pour laquelle il est convoqué le rend soucieux. Rose le comprend. Il doit imaginer que la reine Delta Milliget tient à ce que des comptes lui soient rendus, concernant la façon dont Candice a été traité en prison. Il est soucieux, mais il n'est pas surpris, alors Rose parit que Valkyon avait dû l'informer.
— S'il vous plaît, demande la jeune vampire à Ewelein, j'aimerais pouvoir marcher jusqu'à une chaise, une fois dans la salle.
La médecin en cheffe lui adresse un regard surpris, avant de reprendre son sérieux habituel. Elle lui répond que malheureusement, ce ne sera pas à elle d'en décider et que cela dépendra du bon vouloir des fées qui gardent la porte. Les vassaux des Milliget. Rose acquiesce. Lorsqu'il s'installe sur le fauteuil à roulettes, ses mains deviennent moites et sa respiration veut s'emballer, mais il se reprend. Ce face à face avec la reine des fées, il l'a attendu. Il l'a attendu dès l'instant où il a trouvé assez de courage pour s'entailler la cuisse en invoquant le traité de Polaris avec un ciseau en mithril, pour que Nevra puisse retrouver sa liberté. Si Rose s'exprime correctement, Nevra sera libre. Si Delta Milliget accepte de l'écouter, Nevra sera libre et c'est tout ce qui compte.
Pendant le trajet jusqu'à la salle, le jeune vampire se plonge dans ses pensées. Là, il aligne mentalement toutes ses idées, les sujets qu'il tient à aborder avec la reine des fées, comme celui de la Chair des Roses, de la vérité concernant la détention des anciens et des enfants du peuple des fées à Odrialc'h et selon la volonté de la reine, une demande de protection. Pour lui-même, sa mère, Nevra et Valkyon. En tant qu'invocateur de traité de Polaris, Rose aura le droit à la parole, c'est chose sûre, mais ses mots seront précieux, alors il devra faire attention. Il inspire profondément. Il se sent prêt.
La grande salle approche tout de même bien trop vite à son goût. Rose se sent proche de sa destination avant de la voir, à cause du froid intense qui a pris possession du couloir. Lorsqu'il relève la tête, il réalise que les larges portes sont gardées par trois fées à la silhouette recouverte par un voile hivernal. Pourtant, le jeune vampire distingue très clairement le bas de leur robe d'un rouge vif et il comprend qu'il se trouve face aux Dames Musca, les vassaux des Milliget.
— Duroshi kalimo ! s'exclame l'une d'entre elles, en les voyant arriver.
— Ewelein Osgiliath, médecin en cheffe, se présente cette dernière, mon collègue et moi-même accompagnons Rose Clarimonde et Balam Lefaucheur, à la demande de votre reine.
Derrière son long voile, la fée qui a parlé détaille Rose et Balam avec une attention particulière et quand elle les trouve bien assez faibles à son goût, elle intime à Ewelein et l'infirmier qu'ils ne sont pas autorisés à entrer. Rose remarque que contrairement à Candice et Sira, les Dames Musca peinent à s'exprimer correctement dans la langue commune et oublient quelques mots. Pour le jeune vampire qui souhaitait marcher jusqu'à sa chaise, il pense qu'il serait plus sage de ne pas exprimer une telle demande, alors il renonce.
Balam et lui sont conduits jusqu'aux portes et ensuite, les fées prennent le relais. Lorsque s'ouvrent les battants, le froid est intolérable, mais moins que la puissance des Terres Gelées du Grand Nord qui plane comme un couperet, au-dessus de leurs têtes. Rose songe que si la force de Candice avait les relents d'une rage brûlante, celle de Delta et Shelma Milliget est teintée d'une noblesse impériale qui les rend dignes, même avec le visage masqué.
Ils ont beau se tenir assis sur des chaises, elles deviennent des trônes portant leurs silhouettes longilignes, droites et gelées, alors que les bas de leurs robes d'un bleu saphir s'échouent à leurs pieds comme des flaques précieuses. Au sein de la grande salle, la reine et son fils ont aboli le temps pour instaurer un hiver dont ils décideront la fin. Puis, la Princesse des goules, elle, apporte son lot de ténèbres.
Pendant que les Dames Musca font entrer Rose et Balam, un sifflement curieux vient briser le silence de la pièce. Rose observe Algol Abigor, puis découvre la petite créature juchée sur ses genoux, ses mains décharnées s'agrippant aux écailles métalliques recouvrant la longue robe de sa maîtresse. D'ailleurs et contrairement à Delta et Shelma, la Princesse des goules se montre à visage découvert et Rose sent un frisson courir le long de son dos, alors qu'un froid glacial s'empare de ses entrailles. Algol Abigor ressemble à un spectre confiné dans un grand vêtement de guerre, aux pièces d'armure si tranchantes qu'elles ont l'air de la blesser, tout comme sa sombre couronne. Des lames tordues filant vers le ciel, sur un crâne olivâtre et dégarni. La coiffe métallique a l'air peser lourd sur sa tête, là où le temps a laissé ses marques sous forme de taches brunes que seules quelques touffes de cheveux gris parviennent à recouvrir. Pourtant, une énergie sans pareille brille dans au fond d'orbites à l'allure de crevasse, abritant deux perles blanches luisant d'une étincelle amusée. La Princesse gratifie Rose d'un sourire torve, effilée, aux gencives noirâtres, au sein d'une bouche semblable à une déchirure. Sur ses genoux, son sgarkellogy plisse ses yeux laiteux, penchant sa tête d'un côté et de l'autre en faisant cliqueter les perles grises de son petit diadème, avant de siffler d'un air perplexe. Ses deux cornes sombres, striées, sont enroulées sur elles-même et Rose remarque que sa peau de nuit est flétrie, témoignant de son grand âge, de même que ses petites ailes atrophiées, pendouillant de part et d'autre de son bassin comme d'étranges excroissances.
Lorsque Balam bloque le frein de son fauteuil à roulette, le bruit à l'air de résonner dans la pièce et Rose sursaute, abandonnant l'observation d'Algol et de son familier pour se concentrer sur les deux fées, restées silencieuses. Les Dames Musca sont retournées à leur poste et à présent, tous les regards sont rivés sur le dava de Candice Milliget ainsi que son ancien geôlier. Deux chaises avaient été préparées pour eux et les yeux opalins de Rose se posent dessus. Alors, avec des gestes mesurés, le jeune vampire s'extirpe de son fauteuil pour rejoindre l'une d'entre elles. C'est peut-être idiot, mais le simple fait d'être assis sur une chaise lui donne l'impression d'être moins blessé et un petit peu plus digne, alors ça lui va.
Le silence plane dans la grande salle et enfin, Delta Milliget prend la parole d'une voix honorable :
— Molasha, dava teb Qenndys.
— Molasha, Hakhalma Delta Milliget.
Rose sent le regard appuyé de Balam lui brûler la joue, mais il rechigne à tourner la tête. Ses paroles auront le pouvoir de dissiper tous les doutes que l'ancien guetteur pouvaient avoir à son encontre mais de toute manière, ici, Rose en a terminé avec les mensonges. En le saluant de cette façon, Delta voulait avoir la confirmation qu'elle faisait bel et bien face au dava de Candice et elle a obtenu la vérité.
— Mes salutations à l'ancien geôlier de mon fils, s'adresse ensuite la reine des fées à l'attention de Balam.
— Mes respects, reine Delta Milliget, répond ce dernier.
Rose le sent fébrile. Ses mains pâles se crispent sur les accoudoirs de sa chaise pendant que son esprit s'affole. Si les fées veulent venger le traitement qui a été fait à Candice pendant son incarcération, il sera difficile pour le jeune vampire de protéger Balam.
Soudain, de concert, la reine des fées et Shelma Milliget lèvent leurs mains afin de faire glisser leurs longs voiles et révéler leurs visages. Delta est une fée de craie aux yeux d'un gris très doux comme de la brume. Elle porte fièrement la couronne que Candice convoite sur son chignon de cheveux saphir, tel un soleil figé dans le froid le plus extrême et malgré la sagesse d'un long règne la drapant toute entière, sa puissance dort sous sa peau. Elle n'est plus la fée horrifiée qui cherchait à rejoindre son fils parmi les flammes d'une Eel rouge, elle est la reine Delta Milliget qui sait pourquoi elle est venue et ce qu'elle va accomplir. Rose n'est qu'une pièce de son plan et pour le moment, elle ignore s'il serait assez utile de s'en servir. Le jeune vampire l'a compris rien qu'en la regardant : on ne fait pas changer d'avis la reine des fées, on peut seulement la faire réfléchir et regarder les choses sous un autre angle.
Shelma Milliget, lui, est une force tranquille. Son visage volontaire au front haut est auréolé d'une masse de cheveux irisés qui coulent autour de sa silhouette grêle comme une aurore boréale et ses lèvres carmines ressemblent à une entaille sanglante sur sa peau de porcelaine. Son regard sage observe Rose et Balam avec une bonté que le jeune vampire n'est pas certain de lire sur ses traits. Pourtant, lorsque Shelma découvre son visage, le froid environnant se montre moins oppressif et même Rose sent ses épaules s'alléger. Shelma reste une fée, une créature prédatrice à la force impressionnante capable du pire, mais si Candice est le feu, Shelma est l'eau. Il apaise les brûlures.
— Hazel, lance la fée Milliget à l'attention de sa mère, je vous laisse commencer. Ensuite, je m'adresserai au geôlier.
Sa voix profonde résonne dans la pièce. Lorsque Rose regarde à sa gauche, Balam a ses yeux blancs rivés sur le visage de Shelma. La peur ne se lit pas sur ses traits à vrai dire, il semble résigné et Rose sait que même s'il s'attire les foudres de la fée, Balam restera égal à lui-même : un homme loyal qui répugne à user du mensonge.
— Dava teb Qenndys l'interpelle la reine Delta, montrez-moi. Montrez-moi le traité de Polaris.
Rose hoche la tête et s'apprête à lever les pans de son vêtement d'hôpital pour dévoiler les symboles qu'il a gravé dans sa chair, mais avant cela, il révèle à la reine des fées qu'il n’est plus le dava de personne, à présent. Perplexe, Delta échange un regard confus avec son fils, puis secoue la tête en répliquant :
— Il est impossible de cesser d'être un dava. Aucune fée n'aurait permis cela. Mon enfant Qenndys, encore moins.
— Je l'ai pourtant fait, Reine Delta Milliget. J'ai gravé le trait de Polaris dans ma chair pour me libérer, moi, libérer mon frère et le libérer, lui. Mais quand il est venu me chercher, j'ai refusé de le suivre.
— Pourquoi ?
— Parce que…
Il voulait embrasser la guerre, Rose n'aspirait qu'à la sécurité des personnes qui lui étaient chères. Il voulait se venger, Rose voulait la paix. Il avait promis de lui offrir sa protection en échange de sa soumission, il n'a jamais tenu parole.
— Il voulait la guerre, pour faire libérer son peuple… souffle Rose.
— Il voulait la guerre, pour faire libérer son peuple, répète Shelma.
Le jeune vampire le voit fermer les yeux en poussant un soupir discret. Ses doigts se mettent à pianoter sur l'accoudoir de sa chaise, jouant manifestement une mélodie qui ne lui plaît pas. Enfin, la fée Milliget reprend la parole :
— Tu as appelé cette guerre et il est fortement déplaisant de voir qu'un pouvoir si grand a pu être remis entre les mains d'un dava. Tu t'attends à être récompensé ?
— Tu as la bouche acide, mon petit, intervient Algol, tu parles beaucoup alors que ton frère à agis. Il a fait tomber une cité en une seule nuit. Est-ce que tu peux te vanter de cela ?
— Il n'y a rien à vanter, réplique Shelma.
La Princesse des goules n'est pas de cet avis. Un sourire suffisant étire sa bouche effilée et pendant qu'elle couve la fée Milliget avec un air chafouin, elle gratte le crâne de son son familier.
— Candice a confié la magie du traité de Polaris à son dava pour une raison. Le dava l'a utilisé pour une autre. Chacun veut y trouver son intérêt, mais je sais que tu ne mèneras aucune guerre, Delta. Tu es puissante, mais il te manque le feu de ton père.
— Et où est-ce que ça l'a mené ? répond la reine des fées avec sagesse, une guerre ne nous servirait à rien.
Algol laisse échapper une exclamation amusée, mais Delta repète son affirmation. Une guerre ne nous servirait à rien. Dans ses yeux de brume, Rose lit une conviction sans pareille, alors qu'elle lui demande, une nouvelle fois, de lui montrer les symboles du traité. Le jeune vampire se lève de sa chaise, les jambes tremblantes, et s'exécute.
— Bien, constate-t-elle, satisfaite, tu as invoqué le traité de Polaris et ensuite, tu as arrêté d'être un dava. C'est ce que tu penses. Mais quoi que tu ais décidé, tu restes un dava. Tu devras seulement trouver un nouveau maître.
La sentence tombe. Rose pensait être libre, mais le peuple des fées ne le laissera pas s'en aller. Tant pis. Puisqu'il lui faut trouver un nouveau maître alors cette fois, qu'il se soumette à quelqu'un qui souhaite la paix. Quelqu'un qui voit et entend, puis désire ramener le monde à la vie, s'il est possible de le faire.
— Qu'est-ce que t'avais promis Qenndys ? reprend Delta.
— La guérison de ma mère, répond Rose, et ma protection, mais…
— Qu'est-ce que tu faisais pour lui ? le coupe la reine des fées.
— Il voulait entrer dans le palais d'Odrialc'h pour y chercher les enfants et les anciens de son peuple.
Delta Milliget pince les lèvres. Elle fixe Rose comme pour déceler le mensonge, puis finit par abandonner son visage pour se plonger quelques secondes dans une réflexion. Enfin, elle reprend la parole et lui demande de quel mal souffre sa mère. Le jeune vampire hésite, jette un coup d'œil à la Princesse des goules, déglutit, puis avoue qu'il s'agit d'une addiction au tap.
Algol laisse échapper un chuintement qui lève l'estomac de Rose, mais Delta reste imperturbable. Joignant les mains sur ses genoux, elle affirme d'une voix plus douce :
— Il n'existe aucun remède à ce jour contre ce mal. Soumets-toi à mon fils, Shelma, et il t'offrira sa protection. Ta mère sera également placée sous la protection des fées jusqu'à son dernier souffle. C'est tout ce que le peuple des fées peut offrir à un dava qui a invoqué la guerre pour se sauver.
— Non.
Rose a les mains moites. Sous sa poitrine, son cœur commence à cogner contre ses côtes alors que la situation lui échappe, mais il se reprend. Il est hors de question qu'il se soumette à Shelma Milliget et que les choses finissent ainsi ! Le jeune vampire secoue la tête, se redresse quelque peu, puis rive son regard opalin sur le visage de la reine des fées. Il doit dire ce qu'il a à dire. Il doit aligner les mots sur sa langue et parler à Delta Milliget comme il s'est vu le faire, durant ces derniers jours, dans son esprit.
— Je voudrais… amorce Rose, la gorge sèche, je ne veux pas… Je ne veux pas devenir le dava de votre fils.
— Ce n'est pas à toi d'en décider, intervient Shelma.
— C'est à moi d'en juger, persiste le jeune vampire, la voix tremblante, avec mon frère, nous avons choisi de faire des sacrifices pour le peuple des fées dans l'espoir d'un monde meilleur. Nous avons payé pour cela. Invoquer la guerre pour nous libérer était un acte de désespoir, c'est vrai. Mais si je dois me soumettre encore une fois, alors je veux ma protection et celle des personnes qui me sont chères.
Rose et Shelma se jaugent et même si la peur lui broie les entrailles, le jeune vampire tient bon. Contrairement à Candice, la reine des fées et son fils semblent justes et il sait qu'il a raison quand ce dernier lui demande ce qu'il aurait à offrir, contre de telles exigences.
Rose se rassoit sur son siège. Là, il plonge son regard opalin dans les yeux gris de Delta Milliget et dans ceux, plus clairs, de Shelma. Il embrasse la grande salle, à la recherche de ce qu'il sait et il peut constater que depuis le début de leur conversation, quelques âmes vont et viennent, mais ne s'attardent pas.
— Je vois… J'entends…
La reine des fées se lève de son siège, la peur tordant ses traits délicats et Shelma se décompose. Rose, lui, secoue la tête, prononce le nom de Balam pour attirer son attention, puis lui présente ses excuses avec peine.
— Qu'est-ce que vous voulez dire ? lui demande l'ancien guetteur, une main sur son ventre, à l'endroit de sa blessure.
— Le monde est l'Oracle, récite Rose, l'Oracle est le monde.
— L'Ora…
— L'Oracle est morte, tranche le jeune vampire.
Le monde est l'Oracle. L'Oracle est le monde. L'Oracle est morte. Balam est intelligent et Rose sait qu'il fera bientôt le rapprochement. Le cœur battant, il poursuit sa tirade, il récite ce que Valkyon lui a dit, le soir où il lui a révélé la vérité sur la Chair des Roses… Le sol, ses pieds, le ciel, son dos, ses ailes, les nuages, ses poumons, le vent… Ses yeux, la vie et la mort. Mais ses yeux sont fermés, alors…
Balam se recule brusquement sur son fauteuil à roulettes en poussant un cri, quand quelque chose d'affreux se dresse au coin de la pièce, un sourire sinistre sur les lèvres. La reine Delta, elle, a écarquillé ses yeux gris, permettant à la stupeur de gagner ses traits durant quelques secondes, avant de reprendre contenance. Sa poitrine se soulève, ses lèvres se tordent en une moue contrariée et quand elle se redresse, c'est pour marcher d'un pas tranquille jusqu'aux portes battantes et s'assurer que seules ses vassaux se tiennent dans le couloir.
— Rose… l'appelle Balam, le visage livide.
— Ne les regardez pas, lui souffle le jeune vampire, Je suis désolé… Je suis vraiment désolé…
Si je dois mourir avant mon réveil, alors je prie l'Oracle de garder mon âme. Est-ce qu'elle l'a ? Est-ce que tu l'as ?... Balam se redresse sur son siège, mais la douleur de sa blessure le fait violemment basculer contre le dossier. Rose voit la peur et la raison se bousculer dans son regard opaque pendant qu'une goutte de sueur coule le long de sa mâchoire avant de se perdre dans le col de sa tunique.
— La chimère a fini par parler, constate Delta d'une voix agacée.
— Elle a bien réfléchi, fait remarquer Algol, elle a révélé la vérité à l'invocateur du traité de Polaris. C'est judicieux.
— Reine Delta Milliget, est-ce que votre fils vous a révélé l'identité de la chimère ? demande Rose.
La reine des fées se retourne pour le fixer. Près de Rose, Balam peine à croire qu'une chimère puisse se trouver à Albacore, dissimulée parmi les survivants et les gardiens. Il clôt les paupières quand la créature répugnante cherche à capter son regard et Rose se sent navré. Mais il n'avait pas le choix.
— Mon fils ne l'a pas fait. Les fées et les chimères ne sont pas ennemies. Mais si la chimère veut œuvrer contre nous, alors mon fils révèlera son identité et la punira.
— Il la tuera sur le champ de bataille. C'est ce qu'il a dit.
— S'il y a un champ de bataille… murmure Delta pour elle-même.
La reine des fées retourne s'asseoir sur sa chaise, résolue. Rose pensait que la révélation de la Chair des Roses la prendrait au dépourvu pourtant, Delta à simplement l'air de repenser son plan, comme un tableau dont elle mélangerait les couleurs pour former un nouveau paysage. Le jeune vampire sent aussi qu'elle a une dignité à garder face à la Princesse des goules qui semble regretter le règne de Polaris.
— Shelma, décide la reine des fées, interroge le guetteur.
— Kol, hazel.
Sur sa chaise, Rose se tend alors que Balam, lui, essaye de rester digne. Ce qui s'est dévoilé dans l'ombre, quand il a su la vérité sur la Chair des Roses, l'a éprouvé pourtant, l'ancien guetteur fait face à la fée. Il est froid, froid comme moi. Mais j'aime ses ailes.
Shelma Milliget s'est approché, fixant Balam de toute sa hauteur en ignorant la chose qui s'est mise à tourner autour d'eux.
— Regardez-moi dans les yeux, exige-t-il.
Balam s'exécute, essoufflé. Focaliser son attention sur le visage de Shelma lui permet d'occulter la puissance terrifiante en train de flotter derrière la fée comme un nuage de ténèbres. Rose ressent un élan de culpabilité l'envahir tout entier, quand il voit l'ancien guetteur, si doux et si pacifiste, se faner comme une fleur au sein d'un hiver. Depuis qu'il a été gravement blessé par Candice, Balam n'a plus été le même homme, comme si une part de sa bonne âme s'était endormie, après avoir été désabusée. Ici, il n'est qu'un ancien geôlier qui a commis des erreurs et qui attend sa sentence.
— Balam Lefaucheur, ancien guetteur de la cité d'Eel, récite Shelma Milliget, tu es devenu geôlier après que ta cité soit tombée. Pourquoi ?
Parce qu'il s'est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Rose s'en souvient. Après être devenu membre de la Garde Étincelante, Balam s'était rendu au chevet de Valkyon, encore endormi, pour lui raconter qu'empêcher le Conseiller Tuarran de torturer Candice Milliget lui avait coûté cher. Balam pousse un profond soupir. Une main sur son ventre, il s'empêche de grimacer et quand il secoue la tête, répandant ses boucles sombres sur ses épaules, Rose a l'impression qu'il veut simplement en finir et accepter sa punition, si c'est ce que Shelma veut lui donner.
— Pourquoi l'a-t-il fait ?
— Qu'est-ce que vous dites ? demande la fée Milliget.
— Pourquoi est-ce qu'il a détruit une cité toute entière, pour tuer un seul homme ?
L'ancien guetteur lève la tête avec peine. Cette question, elle est importante pour lui. Quand il était venu quérir Rose lors d'un entretien, pour lui demander de lui raconter sa version des faits, Balam s'était déjà persuadé que les actes de Candice avaient été motivés par autre chose qu'une simple haine pour ceux qui ne lui ressemblaient pas.
— J'ai été un piètre geôlier, reprend Balam d'une voix fatiguée, je pensais pouvoir traiter votre frère de la meilleure des façons jusqu'à ce qu'il justifie ses actes, mais je n'ai pas su le faire. J'ai pu empêcher qu'on lui coupe les ailes, mais je l'ai laissé vivre dans la crasse comme moins qu'un familier. J'espérais qu'il puisse répondre à ma question, mais je n'ai pas pu communiquer avec lui.
— C'est ce qu'à dit la Capitaine. C'est ce qu'à dit Miiko Yamamura, aussi. Pourtant, quand j'ai interrogé les lampades, ils m'ont dit autre chose.
Le portrait du docteur Le Preux se dessine dans l'esprit de Rose. Le jeune vampire ne connaît pas grand-chose aux lampades venus d'Odrialc'h pour s'occuper du prisonnier, mais il sait que Balam doit la vie à Camille Le Preux.
— Vous avez persévéré, reprend Shelma, vous vouliez obtenir la réponse à votre question à tout prix. Qu'est-ce que vous cherchez ?
— Sacrifier une ville pour une vie, c'est cher payé, répond Balam, le souffle court, il aurait fait ça pour les siens. Parce qu'une partie de son peuple serait détenue à Odrialc'h. Est-ce que c'est vrai ?
Shelma plisse les yeux. La fée observe Balam comme s'il s'agissait d'une espèce particulièrement intéressante et quand il demande d'une voix trop calme si c'est Candice lui-même qui lui a dit cela, l'ancien guetteur tourne la tête vers Rose. Le jeune vampire prend une grande inspiration, puis hoche la sienne.
— Il a dit cela à son dava... Hazel, adresse-t-il à l'attention de sa mère, tu devrais les soumettre. Puisqu'ils voient et entendent, ils ne peuvent pas sortir d'ici sans maître.
— Vous nous voulez en tant qu'esclaves, mais ni moi, ni Rose ne voulons servir votre guerre.
— Tu es vivant, Balam Lefaucheur. Tu as de la chance, d'être vivant, après avoir fait face à mon frère. Si tu veux rester en vie, tu devrais te soumettre à ma mère. C'est le seul moyen pour toi d'empêcher Qenndys de te tuer.
Face au regard perplexe de l'ancien guetteur, Shelma lui répond un visage impassible et retourne s'asseoir auprès de la reine des fées. Delta, si digne, observe Rose et Balam comme deux nouvelles propriétés qu'elle s'apprête à acquérir et elle est sûre d'elle. Si sûre. Parce qu'ils ne veulent pas la guerre.
— Rose Clarimonde, l'invocateur du traité de Polaris, si tu te soumets à moi, je te place sous ma protection. J’y placerai aussi les personnes qui te sont chères, comme ton frère et ta mère. Balam Lefaucheur, si tu te soumets à moi, ta vie sera préservée. Mon fils, Qenndys, ne pourra plus lever la main sur toi et quand tu pourras marcher de nouveau, tu reprendras ton ancien rôle.
— Pourquoi la reine des fées aurait-elle besoin d'un guetteur ? lui demande Balam, interdit.
— Je n'ai pas besoin d'un guetteur, j'ai besoin d'un geôlier.
Un geôlier capable de survivre au pire des courroux et un dava qui voit, entend et répugne la guerre dont les prémices sont en train de gronder. Rose a un sursaut quand le sgarkellogy de la Princesse des goules se met à siffler, ses oreilles captant des sons lugubres provenant du couloir. Des choses sont en train de glisser, plaignantes et errantes. Celle qui tourmentait Balam, plus tôt, a fini par s'intéresser au familier.
Rose triture le tissu de son vêtement d'hôpital, puis ose demander à la reine :
— Reine Delta Milliget, est-ce vrai que les anciens et les enfants de votre peuple sont retenus à Odrialc'h ?
Delta le toise pendant qu'Algol ricane. Enfin, la reine des fées se lève, les mains derrière le dos, puis jette un regard lointain vers les portes de la grande salle, comme si elle voulait observer les âmes en peine. Rose pense qu'elle ne lui révélera rien pourtant, elle finit par confier d'un ton solennelle :
— Personne n'est retenu à Odrialc'h, dava. Qenndys a vu ce qu'il a vu et il croit ce qu'il croit.
Rose ouvre la bouche, confus, mais la reine ne lui dira rien d'autre. Elle ferme les yeux pour écouter les plaintes se transformer en hurlements, comme si l'Oracle criait sa propre mort à travers celle des âmes prisonnières de son cadavre.Chants Mortuaires
June et Helouri, quelques jours plus tard
June dort. Elle dort pendant que Helouri se trouve dans le salon, au creux d'un fauteuil qui tente de l'avaler, les genoux repliés contre sa poitrine. Quand il sera sûr et certain que sa grande sœur se sera plongée dans un sommeil profond, il montera se coucher. Cela évitera les silences trop lourds où chacun sait que l'autre est réveillé. Pourtant, ce soir, cette scène lugubre ne se jouera pas. Ce soir, un froid mordant et colérique est venu jusqu'à la bâtisse habitée par les Ael Diskaret et après l'humiliation cuisante qu'il a subi, deux jours plutôt, Helouri sait qu'il ne vaut mieux pas le contrarier. Il lui a grondé de se dépêcher d'aller réveiller June, alors le jeune morgan s'exécute. Il grimpe les escaliers à pas pressé, manquant de trébucher, puis atteint la chambre du premier étage. Là, il lève un poing, incertain, puis finit par toquer à la porte. Il attend quelques secondes et lance d'une voix fébrile :
« Candice est là. Descends. »
Elle ne dort pas vraiment. June sort de sa couverture, passe une main lasse sur son visage et hoche la tête. Elle se lève, enfile une tunique propre, tresse rapidement ses cheveux puis descend l’escalier pour ne pas faire attendre la fée, dont elle imagine l’humeur massacrante. Quand elle arrive dans le salon, June croise les bras, incline la tête et salue Candice d’une voix morne.
« Hekhelem. »
Aucune trace de moquerie dans son ton. Elle n’est plus dans la prison, hors de question d'appeler Candice petit roi, elle n’est pas idiote à ce point. La jeune femme se contente de regarder droit devant elle, en attendant que l’orage déverse sa colère sur eux. Planté au beau milieu du salon, son voile recouvrant sa silhouette, il dégage la rage et le froid. Sa défaite contre ses comparses en robe rouge n'a pas dû quitter son esprit pourtant, plutôt que la vengeance, Candice semble dans l'urgence.
« Ma mère a fait de Rose et de Balam ses dava. Je ne sais pas ce qu'elle a en tête. Tout ce qui compte, c'est que nous devons partir d'ici et atteindre Odrialc'h avant elle.
— O… Odrialc'h… » demande Helouri.
La chaise qui s'éclate contre le mur opposé lui a frôlé le haut du crâne. Helouri blêmit, les larmes aux yeux, puis rive immédiatement son regard sur ses pieds quand il sent celui de Candice sur lui.
« Ferme ta gueule quand je parle, dava ! Si tu crois pouvoir expliquer le plan mieux que moi, alors vas-y ! Je t'écoute ! »
Mais Helouri ne dit rien. Lorsque le silence lui répond, Candice se radoucit quelque peu, puis reprend :
« Ma mère va récupérer mon frère, mais nous devons le faire avant elle. Toi ! »
La fée Milliget fond sur June, puis lui crache :
« Pendant que je vais essayer de faire quelque chose du miyina qui te sert de frère, tu vas devoir entrer à la caserne d'Odrialc'h et intégrer le groupe sous le commandement de la Capitaine. Je n'ai pas le temps d'attendre des années, alors pour y arriver, tu dois simplement prouver ta valeur. Alors tu vas le faire. Tu vas descendre avec moi aux Abysses et tu ramèneras Sexta à la Capitaine. Morte ou vive, je m'en fous. Fais ça, et ta mère sortira des Abysses avec mon frère. »
Le regard de June se pare d’une étincelle de joie malsaine. Elle hoche la tête, un léger sourire sur les lèvres. Celui qui a soif de sang, celui qui montre le degré de sa rage envers la vampire.
« Morte, c’est mieux, répond-elle. Quand est-ce qu’on part ? »
Seule, elle ne peut rien contre Sexta. Mais en compagnie de Candice, dont la colère équivaut à la sienne, elle sait que la reine des Abysses, ou peu importe le surnom qu’elle se donne, peut tomber et se noyer dans la fange. Et a moins que Candice ne souhaite se trouver d’autres dava pour assurer son plan, June est certaine qu’il fera en sorte qu’elle remonte à la surface. À elle de faire en sorte de rester entière. Ça ne sera pas le plus difficile.
« Ton père va envoyer des gardiens de l'Obsidienne à Odrialc'h, grogne Candice, tout ce que tu as à faire, c'est obtenir l'autorisation de la Capitaine pour te joindre à eux, puisque tu es sa soldate. C'est ta mère qui a été capturée, alors ça ne sera pas difficile à obtenir. Tu emmèneras ton abruti de frère, j'ai besoin qu'il soit là-bas. Il va commencer à apprendre. »
Un frisson grimpe sur le dos de Helouri alors que ses lèvres se serrent jusqu'à devenir une ligne mince. Il continue de fixer le sol, mais la fée Milliget ne l'a pas oublié. Quand elle grince un dava, il ferme brièvement les yeux, mais relève la tête pour fixer son visage derrière le voile.
« Tu es un déchet, raille Candice en s'approchant de lui d'un air menaçant, tu es moins que rien, moins que ce que je traîne sous mes chaussures, en marchant dans votre putain de village, mais tu vas apprendre. Tu vas devenir quelqu'un et tu vas entrer dans le grand palais d'Odrialc'h. Tu es malléable alors tout ce que j'ai à faire, c'est de te briser pour te reconstruire. »
Helouri retient un gémissement. Il ne peut pas empêcher ses mains de trembler alors pour se donner du courage, il pense à sa mère. Il peint son visage dans sa tête et il s'imagine le calvaire qu'elle doit être en train de vivre.
« Moi, je vous rejoindrais à Odrialc'h, reprend Candice en s'adressant à June, et quand je serai là, tu le sauras. Tu descendras aux Abysses avec moi et tu te débrouilleras pour protéger ta vie. Quand tu auras réussi, ne revient pas à Eel. Fais en sorte de rester à Odrialc'h avec ta famille et demande une place dans l'armée, sous le commandement de la Capitaine. Tu as tout compris ?
— Je ne suis pas Nelladel, répond June. Je sais comment exécuter un plan, et ne pas faire de choses stupides. J’ai promis de devenir ta chose en échange des vies de Sexta et cette garce de sirène, je ferais ma part, Hekhelem. »
Le reste, ça ne la concerne pas. Quant à Helouri, il a choisi de se mettre au service de Candice sans qu’on ne lui demande rien, à lui d’assumer pour prouver qu’il est l’homme qu’il souhaite être pour les autres.
Rose Clarimonde et Balam Lefaucheur sont devenus es dava de Delta Milliget. Ils voient, ils entendent, ils connaissent la vérité concernant la Chair des Roses, alors il leur était impossible de quitter la grande pièce sans nouveau maître. Grâce à cela, Rose, sa mère et Nevra et Balam sont placés sous la protection de Delta. Selon la volonté de cette dernière, l'ancien guetteur doit redevenir geôlier.
La guerre se profile, mais Delta semble avoir autre chose en tête et voir le monde d'une autre manière.
Le second arc d'Apotheosis s'achève ici et le troisième ouvrira les yeux avec le chant de la guerre et l'odeur du sang. Avec qui souhaitez-vous traverser cette rouge tempête ?Rose Clarimonde, par LethosRose Clarimonde, votre narrateur de ce second arc. Devenu dava de Delta Milliget, la reine des fées, il est parvenu à placer Nevra et sa mère sous sa protection et il s'apprête à servir Delta afin d'empêcher la guerre contre Eel et Odrialc'h. Il se pourrait que les secrets de la reine des fées puisse lui montrer le monde comme il ne l'a jamais vu, avec des vérités qu'il aurait peut-être préféré ignorer.
Rose voit et entend.Balam Lefaucheur, par Chesis GriffithBalam Lefaucheur, l'ancien guetteur de la cité d'Eel et ancien geôlier de Candice Milliget. Balam a frôlé la mort, face à ce dernier et perdu une partie de sa belle âme dans la recherche de la réponse à sa question. Intelligent et sage, Balam a réalisé son rôle de geôlier du mieux qu'il le pouvait, en y laissant une petite partie de lui-même. À présent éprouvé par sa blessure et ces dernières semaines vécues dans la prison d'Albacore, Balam est devenu le dava de Delta Milliget, la reine des fées, qui lui demande de reprendre son rôle de geôlier. Balam ignore encore pourquoi et pour qui, mais il semblerait que la protection de Delta Milliget lui soit indispensable, pour protéger sa vie contre Candice qui est de nouveau libre…
Balam voit et entendHelouri Ael Diskaret, par Chesis Griffith
Helouri Ael Diskaret, le fils de Joseph Ael Diskaret et vainqueur des sélections, mais aussi le nouveau dava de Candice, qui veut l'envoyer dans le grand palais d'Odrialc'h. Fragile et lâche, Helouri accuse la disparition de sa mère par Sexta Stoker et accuse sa sœur d'en être en partie responsable. Il va devoir s'affirmer s'il veut subir le terrible enseignement de Candice, destiné à faire de lui le candidat parfait pour les sélections du nouveau serviteur personnel de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul. Une fois à l'intérieur du grand palais, Helouri devra secourir Sheraz Alfirin, mais aussi tâcher de retrouver les anciens et les enfants du peuple des fées. June sera avec lui, mais au sein du corps armée d'Odrialc'h.[/center]Nelladel Sequoïa, par Chesis GriffithNelladel Sequoïa, le fidèle dava de Candice et ancien brigadier du Ragnarok. Il est revenu sur Eldarya dans l'espoir de sauver son frère, Ezarel, bien que ce dernier refuse de lui pardonner sa disparition. Nelladel est très éprouvé par son séjour en prison et à l'hôpital et bien que la justice d'Eel tienne à le récupérer, Candice ne la laissera pas faire.
Nelladel est toujours en convalescence, mais son maître a une tâche importante pour lui : quand il sera de nouveau capable de marcher, il doit entraîner June Albalefko afin qu'elle soit prête à intégrer le bataillon d'Odrialc'h, directement sous le commandement de la Capitaine Shakalogat Gra Ysul. Néanmoins et depuis qu'il est allité, Nelladel ressent le besoin de retrouver sa liberté, bien qu'il ne puisse plus se détacher de la laisse que son maître lui a passé autour du cou…Vous n'avez pas récupéré Titan au cours de cet arc, donc elle ne peut pas revenir en tant que narratrice.Pas de choix RP pour nos invités ! Il faudra attendre après le premier chapitre de l'arc 3 !
Chapitre 1 - Graine de Perfection
Sa faute. Tout est de sa faute. Maman l'a aimée comme si elle l'avait portée dans son ventre, et voilà ce qu'elle est obligée de vivre à cause d'elle. Parce qu'elle a été égoïste, parce qu'elle a voulu se prouver quelque chose, parce qu'elle a été satisfaire une curiosité malsaine… Et maintenant, comment veut-elle rattraper ça ? Peu importe ce qu'elle fera, je vais essayer.
Elle pense peut-être qu'il n'y arrivera pas. Il est beaucoup trop faible, trop lâche, avec une constitution si fragile que son coeur s'emballe dans des situations complexes, alors en devenant le dava de Candice Milliget, il ne fera que se tuer. Il est en train de l'attendre, d'ailleurs. La fée lui a ordonné de le faire, jusqu'à ce qu'elle vienne le chercher, alors Helouri s'exécute. Tant que Candice ne peut rien lui reprocher, cela lui permet d'éviter ses foudres, bien que ces moments-là soient trop rares. Alors, les épaules lâches, le dos courbé et son esprit hors de la réalité, Helouri l'attend au centre-ville, assis sur un banc. Il pense à sa mère, il pense à sa sœur - June - à son père qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour secourir son épouse et s'enfoncer dans les Abysses d'Odrialc'h. Il pense à sa famille qui a éclaté et à lui, que le vide est en train de ronger.
Je la déteste. Tout est de sa faute. Je voulais vraiment essayer de faire quelque chose pour elle, mais elle a sacrifié maman pour jouer aux héroïnes.
Cristal n'est pas sa mère. June n'est pas la fille de Cristal et Joseph. June n'est pas la sœur d'Helouri. C'est une pièce rapportée qu'ils auraient mieux fait de laisser dehors, toute seule. Ainsi, elle n'aurait causé des ennuis à personne d'autre qu'elle-même ! Et maintenant…
Maintenant, elle est persuadée de faire ce qu'il y a de mieux pour réparer ce qu'elle a cassé en étant tellement certaine qu'il faillira à la difficile mission qu'il s'est choisie. Elle pense bien ce qu'elle veut. Elle qui est si sûre de sa réussite, peut-être qu'elle plongera dans les Abysses et n'en ressortira jamais.
Les doigts d'Helouri se crispent sur le tissu gris de son manteau fourré alors qu'il est en train de se mentir à lui-même. En attendant son Maître, il est en train de chercher des coupables pour sa famille éclatée qui a vécu une catastrophe, avec celle de l'Eel rouge et au fond, il ne peut en vouloir qu'à celui qu'il est en train de servir, puis au cartel des Typhons.
Si la cité n'était pas tombée, si Candice et la cheffe du cartel n'avaient pas été fait prisonniers, si les deux Typhons ne s'étaient pas enfermés avec la fée Milliget, si June n'avait pas été prise pour cible par Sexta, si Candice avait tué Sexta après avoir pris la vie de la sirène… C'est un cercle maudit qui a attrapé la famille d'Helouri pour la meurtrir.
Le jeune morgan fait abstraction du froid, du joug lugubre qui pèse sur le village d'Albacore et même de ses propres choix pour revoir des souvenirs heureux, au sein de la cité d'Eel, auprès de sa mère, de son père et de June. Joseph Ael Diskaret, si noble dans son uniforme de garde civil, Cristal Ael Diskaret en train de converser d'un ton jovial au marché d'Eel ou bien déterminée à démêler l'épaisse chevelure de June. Puis June en train d'accompagner Helouri aux abords de la forêt pendant qu'il faisait de la cueillette…
Mais la réalité le rattrape lorsque la neige trempe petit à petit ses boucles nacrées. Quand la peur se plante dans ses entrailles tel un crochet affûté, avec ce qu'il vivra, entre les griffes de son nouveau Maître. Oui, Helouri veut accomplir cela pour le bien de sa mère, oui il veut réussir pour prouver à sa soeur - June - qu'elle se trompe et que même un lâche comme lui peut être capable du meilleur, quand il s'agit de la vie de sa propre mère. Et elle, et June…
Il n'y a rien à faire. Qu'est-ce que je pourrais faire ?. Il n'y a rien à dire. Elle ne m'écoutera pas, de toute façon… Elle n'a qu'à s'enfoncer jusqu'au cou dans son marasme. Comment je pourrais l'en sortir ? Elle ne veut plus voir personne. Elle ne veut plus me voir. Elle fera ce qu'elle voudra. Elle fera ce que Candice veut qu'elle fasse, comme moi.. C'est tout. Pardon, June. Je t'aime.
Une brise glacée secoue le corps d'Helouri qui frissonne. Son Maître se fait attendre, mais le jeune morgan sait déjà qu'il se moque bien de laisser son dava patienter dans le froid. Il arrivera quand il arrivera cependant, gare à Helouri s'il se permet, lui, d'être en retard.
Il lève ses yeux d'argent vers la statue d'un familier. Le bériflore semble porter le monde sur son dos fleuri, comme un messager de la nature elle-même, bien qu'elle soit si injuste avec le peuple faelien, puisqu'elle ne le nourrit pas. La poudreuse s'amoncelle sur sa silhouette puissante, puis le regard du jeune morgan dérive vers le becola, joueur, le minaloo, à l'affût, puis elle.
Elle est si différente de lui pourtant, elle est en train de faire la même chose, comme si cette place, avec les statues, avait le pouvoir de l'apaiser. Seulement, Helouri se demande si elle est capable de laisser les problèmes du monde l'atteindre, elle qui doit apparaître comme un socle invulnérable. Elle porte d'ailleurs son armure en orichalque, peut-être parce qu'elle se méfie des Milliget ou bien parce que ça la rend encore plus digne, pour défendre sa cité que l'on accuse de détenir une partie du peuple des fées. Helouri se demande si c'est vrai. Si elle, la Capitaine du corps armée d'Odrialc'h serait capable d'un tel crime en toute connaissance de cause. Quand il la regarde, il ne voit qu'une guerrière juste, digne, noble et capable de tout supporter. Une figure de justice qui n'a plus rien à prouver au peuple eldaryen depuis qu'elle a pu empêcher de nombreuses guerres d'éclater et remporter des plus virulentes. Non, il n'y croit pas. Il n'y croit pas parce que quand il la regarde, il a la sensation de puiser dans un réservoir de puissance éternel. Elle est comme un phare qui guide et qui réchauffe, comme un feu guerrier qui accueillerait volontiers les faibles, comme lui, pour fuir une vie qui ne leur réserve plus rien de bien. Sauf s'il y arrive.
Est-ce que Helouri peut s'imaginer remporter les difficiles sélections pour devenir son serviteur personnel ? Est-ce qu'il peut se visualiser triompher parmi des centaines, voire des milliers de concurrents pour entrer au grand palais d'Odrialc'h ? Lui qui n'a jamais réussi l'examen de la Garde Absynthe, il en doute fortement.
Quand elle quitte la place, elle fait claquer ses solerets sur les pavés. Elle l'aperçoit pendant quelques secondes, puis le salue d'un signe de tête. Elle ne l'a pas reconnu, Helouri en est certain. Elle ne voit en lui qu'un civil, pendant qu'elle reste une légende à ses yeux, mais ça n'a pas d'importance. Croiser son regard l'a rendu plus fort pendant un battement de cils, avant que la réalité ne lui rappelle la vérité.
Helouri fixe son dos alors qu'elle se dirige vers la mairie d'Albacore. Elle s'en retourne vers les complexes négociations avec les fées Milliget, les accusations envers sa cité, la reconstruction d'Eel et la paix fragile qu'elle essaye certainement de conserver. Shakalogat Gra Ysul est courageuse et Helouri ne cesse de l'admirer, même quand elle a disparu.
— Helouri ?
Le jeune morgan lève la tête à la hâte quand il reconnaît la voix de son père. Il ouvre de grands yeux d'argent, alors que celui qu'il pensait se trouver à la mairie est en réalité dehors. Son cœur commence à s'affoler quand il songe que Candice pourrait se montrer à tout moment. Il jubilerait devant Joseph Ael Diskaret en lui révélant qu'il a soumis son fils et qu'il ferait bien de l'imiter.
Face à son air interdit, son père lui adresse un sourire fatigué. De lourdes cernes soulignent ses yeux vitreux et une barbe de trois jours le vieillit de dix ans. Helouri sait qu'il ne parvient pas à trouver le sommeil. Qu'il dort dans les quartiers réservés aux obsidiens, dans une aile de la mairie d'Albacore et qu'il regrette de ne pas pouvoir se montrer plus fort pour ses enfants.
— Qu'est-ce que tu fais dehors ? lui demande Joseph.
Helouri hausse les épaules. Il se trouve assis sur un banc, sous la neige et la raison qui l'a conduite ici est le dernier souci de son père qui se laisse tomber près de lui. Joseph a réuni beaucoup de gardiens de l'Obsidienne ainsi qu'une poignée de soldats d'Odrialc'h, avec l'accord de la Capitaine. Bien que le sort de son épouse l'ait touchée, il sait qu'elle espère pouvoir arrêter et capturer quelques criminels de renom. Il y a une très belle récompense à la clé, mais Joseph s'en moque. Qu'elle la donne à ses soldats si cela lui chante, il n'aspire qu'à sauver sa femmes des griffes de Sexta Stoker.
Helouri jette un regard en biais à son père et son cœur se serre. Il glisse sur une pente dangereuse, les jours passant, vers un déclin qui le transforme petit à petit en ombre de lui-même. Et son fils ne sait pas quels mots utiliser pour le soutenir. Joseph est inconsolable. Il a perdu une part de lui-même quand Cristal a été enlevé et malgré l'amour inconditionnel qu'il porte à ses enfants, ils ne pourront jamais remplacer une épouse, alors tant qu'elle ne reviendra pas, il ne pourra jamais se remettre sur ses pieds.
— Est-ce que tu as mangé ? s'enquit Helouri avec embarras.
— Non, répond Joseph d'une voix lointaine, je mangerai plus tard.
Ou bien il oubliera et se contentera de grignoter un morceau de pain du bout des dents. Helouri souffle par le nez alors qu'une pierre tombe dans le gouffre de son ventre. Il n'est pas question de se demander comment on a bien pu en arriver là, mais de faire face, à présent. Si son père, si fort, ploie, que peut-il faire ? Pour le moment, il se lève et contourne le banc afin de se diriger vers le petit magasin d'herboriste. En ces temps troublés, il offre volontiers des tisanes pour réchauffer le corps et l'esprit puis cette fois, Helouri donne plus d'argent pour obtenir un petit pain aux graines. Il retourne s'asseoir sur le banc, puis tend la boisson et la nourriture à son père :
— Tu dois manger, lui indique-t-il, tout le monde a besoin de toi. Si je te perds, qu'est-ce qu'il me reste ?
— Toute la vie, mon fils.
Néanmoins, Joseph lui adresse un doux sourire, avant de boire une gorgée de sa tisane. Ensuite, il lève une main pour prendre Helouri par les épaules, puis l'attirer dans une étreinte. Il est désolé. Si désolé d'être moins présent, de ne pas pouvoir ramener sa mère aussi vite qu'il le voudrait et que la vie heureuse que tout le monde devait mener à Odrialc'h, soit réduite à néant. Il aurait tant voulu se rendre là-bas, en famille, pour chercher un local disponible afin que Cristal puisse vendre ses bijoux artisanaux. Un petit établissement près du port de Shamshara pendant que June entrerait dans le corps armée et que Helouri apprendrait la médecine à l'hôpital universitaire.
— C'est tout ce que je voulais pour vous, souffle Joseph.
— Tu as toujours tout fait pour nous, papa.
Helouri sent les larmes s'accumuler au bord de ses paupières. Si sa sœur - June - pouvait se tenir aux côtés de leur père plutôt que de ramper devant Candice pour ses idéaux de vengeance. Ramper devant une fée, Helouri peut très bien s'en occuper alors que June, elle, est une soldate d'Odrialc'h. Si elle était là pour épauler Joseph, peut-être que tout irait mieux.
— Tout ira bien, ajoute Helouri en fixant la statue du bériflore, droit devant lui.
Il va apprendre, il va réussir, il entrera dans le palais d'Odrialc'h et quand ce sera fait, sa mère sera revenue depuis bien longtemps. Candice l'aura extraite des Abysses, June aura accompli sa vengeance en tuant Sexta Stoker, Helouri accomplira sa part du travail et même si sa famille ne pourra jamais redevenir comme avant, elle se reconstruira.
— Est-ce que June va bien ? s'inquiète Joseph en grignotant son pain aux graines.
Helouri s'empêche de grimacer. Non, June ne va pas bien. Ou peut-être que si, peut-être qu'elle relativise en songeant que de toute façon, Cristal n'est pas sa mère. Il marmonne qu'elle va bien, puis Joseph acquiesce, soulagé :
— Tant mieux. Vous devez vous soutenir pendant cette période difficile. Prends soin de ta sœur, Helouri, comme elle a toujours pris soin de toi.
Certes, mais ça c'était avant qu'elle devienne une autre personne. Avant qu'ils cessent de se parler et qu'ils vivent tous les deux dans cette maison lugubre qu'ils évitent, juste pour ne pas se croiser. Comment Helouri peut-il prendre soin d'une personne comme elle ? De toute façon, peu importe ce qu'il fera, elle ne l'acceptera pas ou l'accusera de prendre la fuite avant même d'avoir essayé. Joseph ne se rend pas compte de ce qu'elle est devenue et de ce qu'elle a fait, elle…
Elle a toujours pris du temps pour l'encourager pendant ses études. Pour l'accompagner dans la forêt parce qu'il craignait de croiser un blackdog, de l'écouter s'épancher sur la sombre image qu'il avait de lui-même pour lui prouver, ensuite, qu'il avait tort. De lui crier dessus quand l'ancien Second Clarimonde l'avait arrêté pour possession de tap. En vérité, Helouri l'a vu sombrer bien avant que sa mère soit enlevée, mais il n'a tout simplement rien fait. Il a seulement essayé de la pousser à bout pour qu'elle explose et crache enfin ce qu'elle avait sur le coeur, mais il s'y est pris d'une façon si stupide que ça l'a juste fatiguée. Il serre les dents et prend une grande inspiration quand il sent ses lèvres trembler.
— Papa… souffle-t-il, comment je fais, si June ne va pas bien ?
Joseph reste quelques instants silencieux. En tant que père, il répugne à voir sa fille se renfermer sur elle-même avec des émotions noires et il souhaite pouvoir s'en apercevoir avant qu'il ne soit trop tard. Mais avec tout ce qu'il entreprend pour retrouver Cristal, il sait qu'il ne voit rien. Il est devenu un courant d'air, dans le foyer qui a été attribué à sa famille, puis un résident permanent à la mairie.
— Sois son frère, intime Joseph, et s'il y a quoi que ce soit, Helouri, venez me trouver. J'aurais toujours du temps et de la force pour vous.
— Tu ne peux pas être partout.
— Je dois pouvoir être partout. Pour vous et pour votre mère.
Le père et le fils restent un moment silencieux, à profiter de l'instant présent sur cette place aux statues de familiers. Joseph finit de manger, puis il se lève et indique à Helouri qu'il doit préparer les gardiens de l'Obsidienne volontaires à voguer vers Odrialc'h, puis s'enfoncer dans les Abysses. Par bonheur, ils ont pu obtenir quelques bribes d'informations sur leurs localisation et Joseph compte enquêter une fois sur place. De plus, le Conseiller Tuarran s'est joint à lui, touché par la disparition de sa femme. Joseph s'estime chanceux.
Helouri fronce les sourcils, perplexe face à cette information. Si le Conseiller s'intéresse aux Abysses, il sait qu'il doit en avertir Candice. Candice et June.
— Rentre Helouri, lui intime son père, ne prends pas froid. Je vais essayer d'être à la maison, ce soir, d'accord ?
Helouri hoche la tête en promettant de rentrer à la maison, puis souhaite bon courage à son père. Ce dernier paraît plus apaisé, mais le jeune morgan sait qu'il tient simplement à rester digne afin de ne pas inquiéter son fils. Lorsqu'il disparaît, le sourire d'Helouri s'efface alors qu'il se recroqueville sur son banc. Heureusement, Candice n'est pas venu pendant que Joseph était présent, mais il se fait toujours attendre. Helouri serre les pans de son manteau autour de sa silhouette grêle, puis observe les alentours. Il rêverait d'un bon feu de cheminé, d'un plat chaud, de la petite flamme vacillante de sa lampe à huile, dans le salon, mais s'il se lève, il ne doute pas une seule seconde que son nouveau maître viendra le chercher dans sa demeure et qu'il devra assumer une punition. Helouri ignore quelle genre de punition, mais il songe que Candice est bien assez virulent pour lui faire passer l'envie de désobéir.
Enfin, son attente prend fin. Il le sait quand il sent le froid environnant s'intensifier alors qu'à sa gauche, la silhouette maigre de la fée Milliget, dissimulée sous son voile hivernale, se profile. Helouri sent l'angoisse poindre au coeur de sa poitrine, mais tout en essayant de la refouler, il se lève d'un bond et empêche ses mains de trahir sa nervosité.
— Hekhelem, l'accueille Helouri d'une voix tremblante.
— Si c'est pour m'agresser les oreilles avec une prononciation si mauvaise, tu ferais mieux de fermer ta gueule, lui crache Candice.
Helouri blêmit, mais la fée Milliget se contente de lui faire répéter le mot jusqu'à ce que sa prononciation soit parfaite. Par bonheur, le jeune morgan y parvient sans trop de difficulté, s'évitant les foudres de Candice qui semble d'une humeur massacrante, comme toujours.
— Tu as bien appris ce que je t'ai demandé ? grogne la fée.
— Oui, affirme Helouri en serrant les poings pour s'empêcher de trembler.
— On va vérifier ça.
Chaque jour, Helouri doit ingurgiter une quantité titanesque de connaissances sur la langue des fées. En tant que dava, il se doit de la parler de manière parfaite. Aussi, Candice veut regarder comment il apprend et s'il est capable de mémoriser correctement ce qu'on lui demande. Il lui répète sans cesse que pour les sélections, il devra assimiler un savoir plus que conséquent et que seules les personnes intelligentes sont autorisées à entrer au grand palais d'Odrialc'h. Il y a plusieurs critères qui favorisent un candidat, à savoir son apparence, la rareté de son espèce, son savoir-être, ses connaissances, son élocution, la grâce de ses mouvements, sa pudeur, son caractère malléable et son érudition. D'après Candice, Helouri ne coche quasiment aucune case, mais tant pis. Il va le briser, puis le reconstruire afin qu'il soit capable de toutes les remplir.
Aujourd'hui, Helouri a dû apprendre quelques règles de grammaire concernant la langue des fées, ainsi qu'une grande quantité de vocabulaire. Il doit être capable de tenir la conversation que Candice a choisi sans quoi, la sentence tombe.
Quand la fée Milliget lui hurle dessus, Helouri sait qu'il a fait une erreur. Il doit recommencer sa phrase, rassemblant les informations qu'il a apprises à la va-vite en espérant ne pas se tromper, mais c'est chose compromise. Il sent Candice l'attraper par les cheveux pour le pousser hors de son chemin d'un geste rageur :
— J'ai bouffé des cerveaux plus remplis que le tiens, miyina ! Je n'ai pas de temps à perdre, mais si demain tu n'es pas foutu de cracher ce que je te demande d'apprendre, tu vas comprendre ce que c'est d'avoir peur !
S'il sait, tout se passera bien, s'il ne sait pas, il va apprendre à craindre. Il est faible, il est lâche, il a besoin d'être modelé en quelque chose qui mérite d'exister, Helouri l'a bien compris. Visiblement, Candice est pressé aujourd'hui et il se demande bien pourquoi, néanmoins, il a gagné un sursis. Le cœur battant, Helouri se remet sur ses pieds, puis regarde la silhouette de la fée s'éloigner en direction de la mairie, emportant avec elle toute la tension qu'elle a imposée sur cette place aux statues de familiers. Lorsqu'elle a disparu, la construction correcte de la phrase revient dans la mémoire du jeune morgan. Il sait. Bien sûr, qu'il sait.
Il pousse un soupir, puis songe à apprendre, encore et toujours, pour satisfaire le caractère volcanique de son nouveau Maître, puis entamer cette mission si délicate dont la réussite lui paraît si impossible.Les Choix
Helouri a attendu Candice, comme ce dernier le lui a demandé. Pourtant, lorsqu'il se montre, la fée Milliget semble pressée. Pour Helouri, c'est un sursis pour parfaire ce qu'il doit apprendre afin d'éviter de provoquer l'humeur massacrante de Candice cependant, c'est étrange que la fée Milliget se hâte ainsi vers la mairie, comme si elle était attendue.
Que devrait faire Helouri ?
➜ Rentrer à la maison et parfaire son apprentissage.
➜ Suivre discrètement Candice.
➜ Rester où il se trouve, il n'a pas envie de rentrer.
➜ Aller autre part ? ( À vous de décider !)
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
J'ai l'impression que ça fait une éternité que je n'ai pas rédigé de note d'auteure ou même posté de chapitre. Encore une fois, je suis navrée pour le temps d'attente, ça a été très chargé IRL de mon côté et mon temps d'écriture s'est vu réduit.
En tout cas, j'espère que la sortie du second chapitre de l'arc 3 vous ravi ! D'ailleurs pour ce chapitre et ce nouvel arc, nous accueillons un second personnage invité de MayaShiz ! Je vous présente Hélios, la servante personnelle de Sheraz Alfirin. Hélios vit donc au grand palais d'Odrialc'h avec de nombreux privilèges, mais vous allez voir qu'ils ont un prix. Comment se passe le quotidien des gens du grand palais ? Grâce au point de vue d'Hélios, vous allez pouvoir le découvrir et peut-être que cela va vous aider sur certains choix. Je vous souhaite une bonne lecture et vous laisse avec un dessin d'Hélios, réalisé par MayaShiz :
Chapitre 2 - L'Apprentissage de la Gloire
Il n'a pas envie de rentrer chez lui, dans la maison qui lui sert de foyer, à Albacore. Pourtant, Helouri sait à quel point il est vital pour lui d'étudier la langue des fées. S'il échoue de nouveau face à Candice, non seulement il s'attirera les foudres de l'impétueuse fée Milliget, mais en plus, cela pourrait condamner sa mère. Helouri s'est déjà demandé si Candice serait capable de lui ôter la vie s'il échouait à être modelé sur le schéma du parfait candidat aux sélections. S'il lui serait possible de former quelqu'un d'autre en un temps record et bien qu'Helouri en doute, il préfère ne pas tester les limites de la patience de Candice, qui n'en a que très peu. Alors, il resserre les pans de son manteau fourré autour de sa silhouette famélique, puis il brave le froid jusqu'à sa maison.
Helouri songe que June doit certainement repousser l'heure de rentrer, elle aussi. Personne ne veut se voir, chacun erre de son côté comme une âme en peine et même si Joseph semble alerte, le jeune morgan se dit qu'il existe des moments où son père se détache de la réalité pour s'enfermer dans son propre monde. Un endroit bien à lui où Cristal n'a pas été enlevée.
Quand Helouri pousse la porte de son foyer, la chaleur l'accueille à bras ouverts. Quelqu'un a fait ronfler un feu, dans la cheminée du salon et c'est une idée plus que bienvenue. Le jeune morgan se débarrasse de ses vêtements d'extérieur, enlève ses chaussures puis file se réfugier près de l'âtre. Là, il s'assoit à même le sol, sur le tapis fatigué, puis offre ses mains glacées aux flammes dansantes. Il fixe leurs reflets flamboyants sur sa peau bleue, puis se permet quelques instants dans sa bulle. C'est comme s'il remontait à la surface après des heures au fond de l'océan, à essayer de respirer sans y arriver. Dans sa tête, Helouri passe en revue toutes les connaissances qu'il doit à tout prix maîtriser s'il veut satisfaire Candice et passer à l'apprentissage des règles du grand palais d'Orialc'h. C'est ça, la prochaine étape.
Mais avant, la fée Milliget et June descendront aux Abysses dans le but de tuer Sexta et de sauver Cristal. La part d'Helouri, c'est de devenir quelque chose d'acceptable à envoyer aux sélections avec la certitude de les remporter et celle de June, c'est de rapporter une tête mise à prix d'or à la Capitaine Shakalogat Gra Ysul. Ainsi, lorsque Candice aura enfin placé ses pions où il le souhaite, il faudra s'élever. Pour ses dava, la fée volcanique leur promet un apprentissage vers la gloire. Un apprentissage dans la violence et le fiel, comme si parfaire les connaissances d'êtres qui ne valent rien, à ses yeux, était une répugnance nécessaire pour atteindre ses objectifs. Malgré la peur que Candice lui inspire, Helouri a voulu essayer de déterminer la façon dont il fonctionne, comme il l'a fait avec le Chef Sequoïa, afin d'être plus à l'aise à l'oral de ses examens. La raison pour laquelle ils parviennent tous les deux à avoir une emprise sur lui, c'est parce qu'ils sont des puits de savoir sans fond, avec une force de caractère et d'esprit. Seulement, le premier est une porte de prison glacée et le second, un volcan entré dans une éruption éternelle. Certes, mais ils savent. Ils connaissent la médecine comme Helouri le voudrait et ils sont si sûrs de ce qu'ils savent. Si Candice n'était pas une créature prédatrice emplie de violence, le jeune morgan pourrait même comprendre pourquoi certaines personnes peuvent admirer les fées. Mais celle qu'il s'est contraint de suivre n'a visiblement pas encore connu une âme assez forte pour la faire chuter de son piédestal. Helouri aurait été tenté de roder près de la mairie, juste pour voir comment les fées agissent entre elles, surtout avec la reine, mais il n'est pas assez fou pour risquer le pire s'il se fait surprendre.
Le jeune morgan s'étire jusqu'à s'en faire craquer les épaules, puis pousse un long soupir quand il songe qu'il est temps pour lui de s'atteler à l'étude de la langue des fées. Il doit réviser, répéter, apprendre, consolider ses connaissances et s'imaginer parler face à Candice sans quoi, il se retrouvera une nouvelle fois tétanisé et la sentence tombera.
Helouri se remet sur ses pieds, puis rejoint l'étage afin d'aller chercher ses notes ainsi qu'une plume et qu'un encrier. Là, il pénètre dans la chambre qu'il partage avec June et son cœur se serre quand il avise les deux matelas à même le sol. Il est facile de deviner quel lit est occupé par qui : l'un a ses couvertures roulées en boule ainsi que ses vêtements de nuit jetés près de l'oreiller, et l'autre est fait de manière ordonnée, avec une chemise de nuit proprement pliée sur une couverture couleur rouille.
June, franchement ! Regarde-moi ce fourbi ! Même un beriflore, n'y retrouverait pas ses petits !
Helouri serre la poignée de la porte quand la voix de sa mère retentit dans son esprit. Il repense à ces instants où June promettait de ranger dans un borborygme incompréhensible, pendant qu'elle se lavait les dents tout en essayant de coiffer ses épais cheveux cendrés. Elle finissait par ranger sa chambre, en effet, mais ses affaires ne restaient jamais en ordre très longtemps. Pourtant, Helouri se souvient des moments où il l'aidait à faire du tri ou même à plier son linge proprement, afin qu'il ne soit pas froissé. Il rougissait quand, parmi les vêtements de June, il retrouvait une chemise ou même des chaussettes appartenant à ses conquêtes d'une nuit et sa sœur éclatait de rire face à son embarras.
Ça faisait aussi partie des semaines où June et Helouri avaient la maison pour eux seuls, quand Cristal et Joseph partaient en amoureux vers les Îles du Qi, à l'endroit même de leur lune de miel.
Peut-être qu'à leur retour, ils ramèneront un petit frère ou une petite sœur… plaisantait June. Helouri, lui, se contentait de hausser les épaules en songeant ce que ça lui ferait, de devenir grand frère.
À présent, ce genre de souvenirs ne sont que des souvenirs. C'est comme s'ils avaient brûlé dans le feu de la cheminée et qu'il n'y avait plus de famille du tout. Helouri est fils unique et June est orpheline. La complicité entre eux a été rongée par une catastrophe, puis un drame et peu importe ce que dit Joseph, le jeune morgan doute qu'elle puisse exister de nouveau un jour. Une petite voix lui souffle que ça dépend de lui aussi et il sait qu'elle a raison.
Helouri attrape ses notes, puis rejoint le salon afin d'étudier près du feu. Il s'assied de nouveau à même le sol, puis commence à relire ce qu'il a écrit. À défaut de pouvoir ajouter des couleurs sur ses fiches, il s'est composé des tableaux :
La conjugaison de la langue des fées est difficile. L'apprendre par cœur reste chose aisée, mais la mettre en pratique est une autre paire de manches. La prononciation de la langue des fées étant bien différente de celle de la langue commune, Helouri a bien du mal à empêcher sa langue de fourcher et doit s'y prendre à plusieurs reprises afin de former une phrase assez fluide. Quand il se trompe, il passe une main agacée dans ses boucles nacrées et pense que son erreur lui aurait valu une bonne correction de la part de Candice. Helouri peut l'entendre déjà cracher qu'il est hors de question qu'ils passent toute la journée à appréhender la conjugaison et qu'il a plutôt intérêt à tout maîtriser sans quoi, il va apprendre à avoir peur…
Le jeune morgan déglutit, puis lance un regard fatigué à la longue liste de vocabulaire qu'il doit également connaître. Candice lui enseignera les règles du grand palais dans la langue des fées, parce que passer son temps à parler la langue commune le répugne, mais c'est surtout pour vérifier comment Helouri se débrouille dans l'apprentissage des connaissances. Le jeune morgan devrait également maîtriser la langue orc et il songe que s'il y arrive avec celle des fées, alors ça ne posera pas de problèmes.
Les prochaines heures s'enchaînent avec du vocabulaire écrit et répété. Avec des phrases construites, une élocution maladroite qui tend à gagner en harmonie à force d'être parlée mais vers la fin de la soirée, le jeune morgan pense qu'il sera fin prêt pour le lendemain. Candice trouvera forcément quelque chose à redire, mais il ne devrait pas avoir besoin de se mettre en colère. Enfin, il l'espère.
Helouri se fige quand il entend la porte d'entrée s'ouvrir. Il tourne machinalement la tête pour river de nouveau son regard argenté sur les flammes quand il reconnaît les cheveux cendrés de June.
Le jeune morgan cesse de gratter ses parchemins avec sa plume et se contente d'écouter le feu en train de crépiter. Derrière lui, il entend sa sœur éternuer, puis retirer ses chaussures ainsi que ses vêtements d'extérieur. Ensuite, elle se dirigera vers la cuisine pour aller grignoter quelque chose avant de monter à l'étage et y rester jusqu'au lendemain. Elle ne prononcera pas un seul mot et elle se lèvera à l'aube pour quitter de nouveau cette maison qui lui est devenue insupportable depuis que sa famille a éclaté.
Helouri finit par se retourner encore une fois pour la regarder. Comme si elle se préparait pour le plan que Candice avait prévu pour elle, June arbore déjà l'uniforme porté par tous les soldats d'Odrialc'h. Si elle parvient à tuer Sexta dans les Abysses et à en rapporter la preuve à la Capitaine, alors elle sera autorisée à entrer dans le bataillon directement sous son commandement. Une place idéale pour se rapprocher du grand palais et ses alentours.
D'ordinaire, Helouri se contente de l'ignorer. Il se plonge à corps perdu dans ses études et il attend qu'elle disparaisse dans le silence glaçant qui les lie tous les deux, à présent. June, elle, ne lui adresse ni mot ni regard, comme s'il n'existait pas et bien qu'ils partagent la même chambre, c'est dos à dos qu'ils s'endorment.
T'inquiète pas, Lou. C'est qu'une mauvaise passe, lui disait-elle avant, quand ils se regardaient dans les yeux et qu'elle lui prenait la main. Ils s'amusaient à imaginer leur vie à Odrialc'h, ce que ferait June dans le corps armée et où est-ce qu'elle pourrait voyager grâce à lui. Helouri, lui, étudierait à l'hôpital universitaire de la Grande Auréole, là où se forment les médecins avec un enseignement peut-être moins impitoyable que celui du Chef Sequoïa. Maintenant… Ina mivoh Helouri Ael Diskaret.... Maintenant, c'est terminé. Il n'y a plus de rêves, mais juste un devoir, pour l'un… Ina mivoh la dava teb Hekhelem Qenndys Milliget.... Un devoir envers sa mère qui se trouve en enfer et peut-être un moyen, pour l'autre, de se détacher d'un petit-frère et d'une famille qui n'est pas la sienne… Ina mivoh Helouri Ael Diskaret sheb ina mivoh ekko miyina sheb ekko yoditt.
Sheb, et. Ekko, un. Miyina, moins que rien. Yoditt, idiot. Helouri apprend très bien et ces mots-là. Ils sont souvent répétés, avec d'autres qui sont encore pires.
Hotsah, trouak, roura, ozna… Helouri n'a pas encore tout à fait compris le sens de ceux-là, mais il n'a qu'à mesurer le ton et les décibels dans la voix de Candice, ainsi qu'observer l'expression de son visage pour saisir qu'ils sont aussi acérés que lui.
Le jeune morgan pousse un soupir, puis son regard argenté se dirige vers la cuisine. Il peut entendre que June est en train de préparer son repas. Là, Helouri repense aux mots de son père et à l'implication de Leiftan Tuarran dans les recherches de Cristal. Le Conseiller peut dire que c'est parce qu'il se sent touché par sa disparition, Helouri n'en croit pas un mot. Il craint qu'il puisse soupçonner quelque chose quant au plan de Candice et c'est peut-être la raison pour laquelle ce dernier était si pressé, tout à l'heure. Si Leiftan se rend à Odrialc'h, s'il insiste pour chercher les Abysses et y descendre… Il se met sur ses pieds, puis se rend à la cuisine. Là, il s'arrête sur le pas de la porte, puis observe le dos de June, en train de s'affairer sur le plan de travail. Elle est en train de disposer deux tranches de pain, du fromage, un œuf dur ainsi que des légumes cuits de la veille. Peut-être qu'elle a senti la présence de son petit frère, mais qu'elle se contente de l'ignorer, comme à leur nouvelle habitude. Ce dernier, lui, ouvre la bouche pour dire quelque chose, puis abdique. Il réalise qu'il n'ose pas, qu'il ne sait plus comment faire pour lui parler et que quelque part, il a du mal à reconnaître sa grande sœur. Pardon, June. Je t'aime.
— June, l'appelle-t-il d'une voix éteinte.
Elle se fige quelques secondes, puis ses mains reprennent leur ballet. Elle avait peut-être prévu de s'asseoir à la petite table pour manger mais finalement, elle restera debout, accoudée au plan de travail. Sa longue natte épaisse de cheveux cendrés laisse échapper quelques mèches et tranche sa tenue en deux, jurant avec le bronze caractéristique d'Odrialc'h. June ne se retourne pas, puis se met à manger en ignorant royalement son petit frère. Tant pis. Helouri a un message à lui faire passer, alors il va s'exécuter et ensuite, il retournera étudier la langue des fées.
— J'ai vu papa, tout à l'heure. Il est épuisé, mais il essaiera d'être à la maison tout à l'heure. Il m'a dit qu'il avait vu le Conseiller Tuarran et d'après papa, il a été touché par la disparition de maman, alors il va se joindre aux recherches. Il sera là quand papa descendra aux Abysses, alors quand tu y seras avec Candice, fais attention.
Le Conseiller ne se joint certainement pas aux recherches par égard pour Cristal Ael Diskaret. Il a forcément une autre idée derrière la tête et Helouri n'aime pas ça. Avec sa force, Candice n'a rien à craindre pour sa sécurité, mais le jeune morgan songe qu'il ne se préoccupera peut-être pas de celle de June. À moins qu'il soit trop tard pour la remplacer pour son plan…
— Je le dirai à Candice demain. Bonne nuit, June.
Il se retourne pour se laisser tomber face à la cheminée et reprendre son apprentissage. Il y reste jusqu'à ce que la porte de leur foyer s'ouvre sur un Joseph éreinté, qui prend néanmoins le temps de se rendre dans la cuisine pour s'asseoir avec June et manger en sa compagnie. Helouri pourrait se joindre à eux et jouer la comédie, comme si tout allait bien avec sa grande sœur, mais il n'en a pas le courage et préfère prétexter être fatigué pour aller se coucher. Il a bien appris sa leçon maintenant, il devra la recracher correctement face à Candice, le lendemain.***
Le lieu de rendez-vous est toujours le même. Candice Milliget profite de la forêt qui entoure Albacore pour voir ses dava car non seulement il peut y accéder facilement depuis la mairie, mais aussi parce que le lieu qu'il a choisi se trouve proche d'une rivière, dont le chant permets de couvrir sa voix quand la fée Milliget perd patience.
S'il n'associait pas cet endroit à la peur, au fiel et à la violence, Helouri aurait pu en faire un refuge en ces temps troublés, malgré le froid et la neige. C'est un morceau de forêt assez proche du village d'Albacore pour que l'on puisse entendre les bruits de la vie, mais assez éloigné pour que la nature offre un cocon pour celui qui vient quérir un petit peu de calme. D'ailleurs et en marchant le long de la rivière, Helouri est persuadé qu'elle se jette dans le fleuve d'Omble, vers le territoire des blackdogs. Il est dit que les promeneurs qui cheminent jusqu'aux bosquets de rozmarins, profitent de leur odeur entêtante repoussant ces terribles créatures, afin de pouvoir les observer de loin quand elles viennent flâner. Helouri et June ont déjà accompli cela à plusieurs reprises, quand ils accompagnaient leur mère au marché d'Albacore. Pendant que Cristal faisait ses emplettes, Helouri et June se rendaient près de la frontière dans l'espoir d'observer les blackdogs tout en restant en sécurité grâce au rozmarin. C'est d'ailleurs à cet endroit qu'Helouri a conduit sa sœur quand il la sentait éreintée par son travail à la prison d'Albacore, sans se douter une seule seconde qu'elle nourrissait la créature déterminée à lui apprendre les erreurs par la peur.
Helouri ferme brièvement les yeux, puis se laisse guider par le chant de la rivière. Il est venu en avance, comme d'habitude. Il sait que Candice déteste attendre et que s'il se voit contraint de le faire, Helouri en paiera les conséquences. Le jeune morgan réprime un soupir, puis se présente au lieu de rendez-vous en constatant qu'il n'y a personne, pour l'instant. Comme lorsqu'il devait attendre Candice sur la place centrale d'Albacore, il fait de même et observe la neige s'accumuler sur les branches. Quand elle devient trop lourde, l'arbre se débarasse de son chargement en venant fournir le tapis blanc sur le sol.
— Kreb, dava !
Helouri n'a même pas eu besoin d'attendre la voix acide de Candice pour savoir qu'il se trouvait là. Le froid s'est intensifié si vite qu'il a cru que ses poumons allaient se mettre à geler et quand il se met à genoux dans la neige, il a l'impression qu'un hiver meurtrier est en train de l'abattre. Le jeune morgan attend la permission de se remettre debout, les lèvres scellées, et il constate que son instinct à eu raison. En plus du froid mordant, le cœur de Helouri s'est accéléré comme pour l'avertir d'un danger imminent. Candice lui inspire la peur, c'est vrai, mais cette fois, quand il lève son regard argenté vers le visage de la fée qui a relevé son voile, il constate qu'une colère noire peint ses traits. Ses gestes trop tranquilles contrastent avec la rage en train de danser dans ses yeux gris et Helouri sait qu'aujourd'hui, plus encore, Candice ne tolèrera pas la moindre erreur.
La fée Milliget s'assied sur un rocher et souffle par le nez comme si elle tentait de maîtriser son feu intérieur. Enfin, quand elle se met à parler, c'est pour avertir Helouri d'un ton lourd de menace :
— Je vais vérifier si ton cerveau imbécile a enregistré tout ce que je t'avais demandé. Si c'est le cas, nous allons pouvoir progresser. Sans quoi, je vais devoir m'en prendre à ta sœur, dava.
Helouri écarquille les yeux, interdits. Il a l'impression qu'une pierre est en train de chuter dans ses entrailles et quand il ouvre la bouche pour dire quelque chose, Candice l'interrompt en haussant les sourcils :
— Pourquoi tu es si surpris ? Tu dois entrer au grand palais d'Odrialc'h, dava. Tu ne peux pas avoir de cicatrices sur le corps. Mais ta sœur est soldate. Elle a appris à encaisser la douleur et la Capitaine n'est pas regardante sur les stigmates qu'un corps peut porter. Alors on va jouer avec ces règles-là, dava, si ça peut te motiver à être moins idiot : dès que tu feras une erreur, c'est ta sœur qui en assumera les conséquences.
Face au visage décomposé d'Helouri, Candice esquisse un rictus dangereux. Finalement, ce jeu-là lui permet de déverser une partie de l'orage noir qu'il porte dans son être. Il ajoute que de toute façon, June n'est pas la sœur d'Helouri. Qu'ils ne sont pas de la même espèce et qu'il n'y a que chez les faeliens que l'on retrouve plusieurs ordures différentes en train de former une seule et même famille.
Le jeune morgan laisse le fiel couler et invoque le silence dans son esprit. Il voudrait fermer les yeux, mais il n'ose pas, comme si perdre Candice de vue le mettrait en danger. Mettrait June en danger.
Candice est une fée qui méprise les espèces faeliennes venues de la Terre. Candice aime inspirer la terreur chez les autres et soumettre ceux qu'il considère comme des déchets, mais Candice est une créature intelligente qui ne fait jamais rien par hasard. Si la fée Milliget a choisi ces règles particulières pour l'apprentissage d'Helouri, c'est pour une bonne raison.
— Il n'y a rien de plus important que la famille, dava, siffle Candice, alors si tu considères vraiment la faelienne comme ta sœur, tu dois tout faire pour la protéger.
À commencer par cracher ce qu'il a appris sans se tromper. Helouri maîtrise les tremblements de son corps, puis se force à faire le vide dans son esprit. Il balaye toutes les pensées parasites pour se concentrer sur la conversation que Candice a choisie pour le tester sur la langue des fées et répondre correctement. Il se revoit la veille, près du feu de la cheminée, avec ses notes, en train de revoir la conjugaison. Apprendre jusqu'à s'en faire vomir porte manifestement ses fruits, car Helouri ne commet aucune erreur. Ses poumons écrasés par l'angoisse rend son souffle court et le froid lui tire des larmes, mais il parvient à se concentrer sur une bonne prononciation afin de satisfaire Candice.
Lorsqu'ils ont terminé, la fée Milliget souffle par le nez, puis grogne d'une voix ennuyée :
— Finalement, tu peux peut-être devenir autre chose qu'un sac de viande. Il est possible de remplir ta tête, alors on va continuer à le faire.
Helouri se mord l'intérieur de la joue, soulagé qu'aucun acte fâcheux n'arrive par sa faute, mais il sait que ça n'est que partie remise. Néanmoins, il laissera ses nerfs piquer plus tard, car Candice est en train de lui donner ses explications sur les sélections du nouveau serviteur personnel de la Capitaine Gra Ysul. Elles commencent par des examens médicaux poussés des participants, car des critères physiques et esthétiques sont exigés.
— Une bonne santé et la rareté de l'espèce compte, explique Candice d'un ton acide, toi, tu es mal formé et tu n'es qu'un morgan. Tu commences très mal les sélections. En plus, il faudra s'assurer que tu es bien fertile, car les serviteurs du grand palais sont mariés jeunes et s'ils peuvent se reproduire, c'est mieux. J'espère que tu as plus de couilles dans tes sous-vêtements que tu n'en as dans la vie, dava.
Pour Candice, Helouri n'a rien et n'est rien. Son apprentissage sera long et difficile, mais il devra devenir quelque chose s'il veut survivre aux sélections. Elles ne sont pas impitoyables uniquement à cause de leurs difficultés, mais aussi à cause de la guerre que se livrent les participants.
— Tu vas devoir apprendre à mordre. Tu vas devoir écraser tes adversaires si tu veux t'en sortir. Les autres n'auront aucune pitié avec toi et ils auront raison. Quand on te voit, on a juste envie de te briser pour te regarder filer dans les jupes de ta mère. Il va falloir inspirer autre chose. Le jour où j'arrêterais de m'énerver en te regardant, je vais considérer que tu as grandi.
Candice ne manque pas d'ajouter, comme une évidence, que ce jour est encore bien loin. Ensuite, il explique à son dava qu'après les questions d'apparence et de caractère, il reste celle du talent. Un serviteur du grand palais doit faire preuve d'intelligence et d'érudition, c'est chose sûre. Il doit être capable de suivre n'importe quelle conversation et y répondre si on le sollicite. Il doit avoir de l'éloquence, mais aussi pouvoir se démarquer dans un domaine en particulier, comme tous les serviteurs résidant déjà au grand palais. Alors là aussi, Helouri va devoir choisir.
— Tu sais quoi, dava ? raille Candice, j'ai besoin de rire en ce moment. Alors fais-moi rire et dis-moi que tu veux devenir médecin.
Le jeune morgan fixe Candice, dont l'orage a fini par se transformer en un amusement perceptible, comme un maülix en train de jouer avec une musarose. Helouri ignore s'il s'agit d'une provocation qui coûtera cher à June s'il ose y répondre, ou bien d'une question sérieuse qui lui demande de l'audace, comme l'une des nombreuses qualités que Candice tient à lui enseigner pour qu'il puisse remporter les sélections.
Oui, Helouri veut devenir médecin. Oui, il a toujours voulu devenir médecin et ici, malgré la peur que Candice peut inspirer, il peut peut-être apprendre sous la tutelle d'un Maître de la Médecine. Le meilleur, à vrai dire, mais le plus terrible.
Mais Candice n'est pas patient. Il lui demande de choisir ici et maintenant.
Grand Palais d'Odrialc'h (RP)
Il l'a sentie venir. Toujours la même sensation à l'aube de son réveil, comme si un poids écrasait sa poitrine pour mieux lui couper la respiration. Lorsque cela arrive, Sheraz se prépare. Son corps s'engourdit, prisonnier d'un monde entre le sommeil et l'éveil, si bien que le jeune elfe use de tous ses efforts pour bouger quelque chose. Une main, un pied, une épaule, peu importe tant qu'il peut enfin ouvrir les yeux et se redresser. Au prix d'efforts intenses, il finit toujours par y arriver et quand il se tient assis sur son lit, il a l'impression d'être encore plus fatigué que la veille au soir, à l'heure du coucher.
Essoufflé, il sent le suc désagréable de la transpiration lui coller à la peau, trempant son vêtement de nuit et quand il lève son visage vers le grand miroir qui lui fait face, c'est pour se confronter à un fantôme.
Il est pâle, très pâle. Ses taches de sons jurent avec le teint de sa peau et ses longs cheveux châtains sont emmêlés sur sa chemise d'un blanc cassé comme deux rideaux ternes. Ses yeux noisettes ont l'air beaucoup trop grands pour sa figure, écarquillés par les vestiges d'un sommeil qui a voulu retenir Sheraz et quand il serre ses bras contre son torse étroit, il réalise qu'il est seul, dans cette chambre trop grande pour lui. Céleste s'est déjà levée.
Sheraz se masse le front quand l'immensité de la pièce a l'air de vouloir l'engloutir. Son lit est bien trop large, la multitude de couvertures brodées et de draps frais l'étouffent, les hautes fenêtres cintrées renvoient la clarté d'un jour timide et les tapisseries représentant des paysages de forêt le fatiguent. Sheraz n'aime pas la décoration de sa chambre qui lui fait penser à un cocon malsain, alors il finit par quitter son lit, ignorant la sensation de malaise qui l'assaille, pour filer s'asseoir sur son siège curule d'un bois sombre. Là, il ouvre la fenêtre et laisse l'air frais lui caresser le visage en soupirant d'aise. Il ne se sent pas mieux et il n'a pas très faim, mais son esprit commence à se vider de ses songes agités. Enfin, Sheraz s'enquit d'une voix fébrile :
— Helios ? Vous êtes là ?
C’est comme si elle avait attendu son appel. Lorsqu’elle pénètre dans la chambre, c’est comme si une délicieuse brise passait la porte, apportant avec elle un léger parfum de fleur. Hélios n’est pas très grande, pourtant, son sourire démesuré est capable d’illuminer n’importe quelle pièce. Sa robe légère souligne ses mouvements de danseuse, alors qu’elle s’approche de Sheraz en trottinant pour s’incliner une fois arrivée devant lui.
— Bonjour, jeune maître ! s’exclame-t-elle.
Lorsqu’elle se redresse, son impressionnante chevelure rousse vient auréoler son visage rond, et ses prunelles aux couleurs des feuillages pétillent. Hélios n’a jamais l’air de mauvaise humeur, pas plus que Sheraz ne l’a déjà vu être triste ou en colère. Parfois, ses jolis sourcils se froncent pour exprimer son mécontentement, mais c’est rare, et c’est seulement lorsqu’elle ne parvient pas à faire son travail correctement. Hélios est un petit soleil, et elle est persuadée que c’est cela qui lui a valu sa place au sein de la famille Alfirin. Sa beauté, son sourire et la joie qui rayonne à chacun de ses pas.
— Vous semblez fatigué, remarque-t-elle. Vous avez mal dormi ?
Encore est sous entendu, mais elle le garde pour elle, car il serait mal vu de s’en enquérir directement. Et si Hélios est d’une curiosité maladive, elle sait aussi où s’arrêtent ses privilèges…
Sheraz hoche la tête en soupirant. Il lui répète toujours la même histoire : ses faux réveils, le poids sur sa poitrine, son corps qui s'engourdit et le mal qu'il a à se réveiller, comme si le sommeil voulait le garder prisonnier.
— J'ai beau dormir, c'est comme si ça ne me servait à rien, soupire Sheraz.
C'est parce qu'il est fragile et qu'il a une mauvaise constitution, il le sait bien. Lorsqu'il aura pris son médicament, ça ira déjà mieux. Mais avant toute chose, il a besoin de son amie de toujours :
— Hélios, est-ce que vous avez vu Céleste ?
Lorsqu'elle se réveille tôt, Céleste a l'habitude de faire le tour du propriétaire et de s'arrêter aux appartements d'Helios pour avoir à manger. Les parents de Sheraz n'apprécient pas tellement qu'elle soit nourrie en plus de ses rations quotidiennes, mais Sheraz n'est pas si regardant.
Helios l’observe une seconde, à l'affût du moindre signe indiquant qu’il n’irait pas bien, mais Sheraz à l’air comme d’habitude : très seul, fatigué et malade. La jeune femme lui décoche un nouveau sourire en lui assurant qu’il dormira mieux la prochaine fois, puis elle file vers la porte pour l’ouvrir et passer la tête dans l’embrassure. Ses lèvres se tordent pour émettre un sifflement mélodieux, et lorsqu’il prend fin, elle s’écarte pour laisser entrer le familier dans la pièce.
— Elle a failli finir mon déjeuner, confit Hélios sur le ton du secret. Allez voir le jeune maître, jolie demoiselle !
Elle gratifie la ciralak d’une caresse sur le haut du crâne, puis entame une nouvelle mélodie et quelques pas gracieux pour refaire le lit. Céleste adresse un miaulement joyeux à Sheraz, ravi de la retrouver, puis saute sur ses genoux pour s'y pelotonner. Le jeune elfe se laisse bercer par ses ronronnements qui ont toujours le pouvoir de l'apaiser. Il gratte ses trois petits crânes, offre ses doigts fins à ses langues râpeuses et rien qu'en sa compagnie, il se sent déjà un petit peu mieux. Enfin il demande, soucieux :
— Helios, je n'ai toujours pas de courrier ?
La jeune femme replie le coin du draps pour le tirer. Une moue soucieuse ourle brièvement ses lèvres, tandis qu’elle termine sa tâche en secouant ses boucles.
— Pas à ma connaissance, jeune maître…
Elle se rapproche de lui pour s’asseoir sur le petit tabouret qui lui fait face, et lui adresse une mine plus réjouie.
— Mais je suis certaine que le jeune maître Milliget pense beaucoup à vous ! Il doit être occupé à découvrir de nouvelles choses, et il ne tardera pas à vous écrire.
Hélios prend un air conspirateur et désigne la pièce en écartant les bras, avec un clin d'œil.
— Voir de vous les raconter en personne. Je suis sûre qu’il est impatient de tout vous dire !
Certes, mais Sira lui manque. Depuis son dernier courrier, Sheraz n'a rien reçu de sa part et cela ne ressemble pas à son ami, si impatient de lui raconter ses découvertes les plus fantasques et de lui dire qu'il a hâte de le revoir. Sans compter les autres informations que Sheraz passe sous silence. Le jeune elfe retient un soupir. Sans les lettres de Sira, il n'a que peu de nouvelles du monde extérieur et il espère que Hélios apprendra quelque chose quand elle sortira du palais pour ses affaires personnelles.
Enfin, Sheraz dessine un frêle sourire sur ses lèvres, puis propose à Hélios de prendre le petit-déjeuner avec lui.
— Je crois me souvenir que Mère est en visite dans les appartements des Orécailles et Père en réunion pour affaires. J'aimerais beaucoup vous parler de quelque chose, Hélios.
En bonne amie et confidente, la jeune femme hoche la tête avec enthousiasme. Elle s’incline en remuant ses boucles rousses, puis file chercher le déjeuner de son jeune maître. Pour sa part, elle mange tôt, mais rien ne l’empêche de déguster un thé en sa compagnie, tout en veillant à ce que Sheraz mange ce qui a été préparé pour lui. Le plateau roulant qu’elle pousse fait trembler la porcelaine, mais Hélios est loin d’être maladroite : l’habitude lui permet d’esquisser quelques pas de danse quand elle dispose la confiture, le pain grillé, le thé, les fruits et tout ce qui constitue le premier repas de son jeune maître. Elle dépose deux tasses, ainsi qu’une assiette et des couverts, puis, à l’aide de pince, elle commence à servir Sheraz. Ce faisant, elle papote, lui raconte le temps qu’il fait dehors et ce qu’elle a vu au marché la veille.
Quand elle a terminé, elle s'assoit à son tour, l’encourage à commencer d’un signe de la main, et leur sert du thé.
— Je vous écoute, jeune maître, sourit-elle.
Sheraz jette un regard las à la nourriture qui lui est servie. Ses entrailles sont nouées et il n'a pas faim du tout, mais il va tout de même devoir se forcer à manger. Sa Mère demandera des comptes à Hélios et il répugne à la faire mentir alors, bon gré mal gré, il attrape une biscotte et commence à la beurrer.
— Comme vous le savez, les sélections pour recruter le nouveau serviteur de la Capitaine Gra Ysul approchent. Je sais qu'elle tient à ce que Dame Malda fasse personnellement le choix de la personne qui va la remplacer, mais elle aimerait également être entourée. Est-ce que vous souhaiteriez faire partie des conseillers de Dame Malda, Hélios ? Si ce rôle vous intéresse, je peux demander à Mère de vous recommander. Elle n'y verra aucun inconvénient, au contraire.
Hélios cache un sourire gourmand en buvant une gorgée de thé. A l’intérieur de son crâne, une petite voix hurle un oui ravi, mais elle reste de marbre et fait mine de réfléchir. C’est une proposition en or, car elle lui permettra d’être aux premières loges pour découvrir les candidats de la sélection. Et qui sait, peut-être qu’elle pourra passer une soirée ou deux en compagnie de certains, histoire, bien sûr, d’en apprendre plus sur leurs compétences et leurs motivations… La jeune femme repose sa tasse et croise délicatement les doigts sous son menton, pour arborer un air complice.
— Pourquoi pas ! répond-elle. C’est une occasion unique, on ne voit pas de sélection tous les jours. Et puis, comme ça, je pourrais vous raconter en direct ce qu’il s’y passe ! Pensez-vous y assister, jeune maître ? Peut-être que madame votre mère vous permettra de regarder, si vous allez un peu mieux ! Je suis sûre qu’il doit y avoir un balcon ici qui donnera sur le spectacle.
— Je ne sais pas si Mère m'autorisera à assister aux sélections, mais j'aimerais beaucoup. Je sais que Dame Malda a soigneusement préparé ses épreuves alors je dois vous avouer que j'ai hâte d'en savoir plus. En tout cas et puisque vous êtes d'accord, j'en parlerai à Mère cette après-midi, à l'heure du thé.
Céleste hume l'air de ses trois têtes et pendant que Sheraz grignote sa biscotte du bout des dents, elle s'applique à lécher le couteau à beurre. La conversation se poursuit lorsque soudain, Sheraz semble se rappeler de quelque chose :
— J'y pense : Stella, la servante des Orécaille était venue hier matin me demander l'autorisation de vous laisser déjeuner en sa compagnie, ce soir. Vous étiez sortis du palais. Si elle vous en touche un mot aujourd'hui, sachez que je n'y vois aucun inconvénient, Helios, comme toujours.
Il hausse les épaules, toujours aussi embarrassé de devoir donner son approbation concernant ce genre de chose, comme si Helios était une enfant incapable de décider pour elle-même. La jeune femme, elle, n’y accorde aucune importance : elle est au service de Sheraz, et l’étendue de ses privilèges nécessite quelques sacrifices qu’elle accorde volontiers aux Alfirin. Hélios esquisse un nouveau sourire et balaye l’air de sa main, pour signifier au jeune maître qu’il n’a pas à s’en faire, puis elle hoche la tête.
— Avec plaisir, je vous tiendrai au courant, dans ce cas, répond-elle. Et je serais rentrée à temps pour vous tenir compagnie ensuite ! Que diriez-vous de faire un jeu, avant de vous endormir ? Cela pourrait vous changer les idées, et vous distraire de ces mauvais songes qui viennent vous ennuyer. Je pourrais aller voir chez le marchand de jouets s’il a quelque chose de neuf ?
— Oui, pourquoi pas, sourit Sheraz.
Il a autant de mal à s'endormir qu'à se réveiller alors bien souvent, Helios lui tient compagnie en jouant à des jeux de sociétés. Au début, les parents de Sheraz craignaient que cela suscite de graves rumeurs qui pourraient nuire au statut des Alfirin. Néanmoins Helios avait su d'office les tuer dans l'œuf en laissant la porte de la chambre grande ouverte, pour mieux inviter les curieux à vérifier par eux-même qu'il ne s'y passait absolument rien d'indigne. Helios est la servante personnelle du fils Alfirin et elle joue aux jeux de société avec lui, le soir en espérant qu'il puisse mieux dormir, tout comme Wan Zi, le serviteur personnel du fils Fontaine, passe une grande partie de sa soirée à philosopher avec son jeune maître.
Au fil des années, les serviteurs personnels deviennent des amis et des confidents et c'est la raison pour laquelle ils sont si minutieusement choisis.
Mais Dame Malda, elle, la servante de la Capitaine qui prendra bientôt sa retraite, a eu l'honneur d'être la nourrice de cette dernière, avant de la servir. Elle deviendra une Dame importante de la cour, tout comme son mari, qui est au service du Gouverneur Suprême d'Odrialc'h. Tous les serviteurs ne peuvent qu'aspirer au même destin que Dame Malda.
Mais un tel destin nécessite des sacrifices…
— Helios, l'appelle doucement Sheraz, les sélections n'étaient pas le seul sujet que je voulais aborder avec vous. J'aimerais vous confier quelque chose qui vous concerne. Quelque chose dont j'ai entendu Père et Mère discuter.
Helios avait quatorze ans quand elle est entrée au Grand Palais. Ce ne sont pas les parents de Sheraz qui l'ont choisie et ni Sheraz lui-même. Le jeune elfe se souvient que ce jour-là, il se trouvait en compagnie de Sira Milliget qui avait été immédiatement charmé par les cheveux d'Helios et aussi parce qu'elle lui évoquait le soleil. Alors Sheraz avait fait confiance à son ami et il avait eu raison.
Mais Helios a grandit et comme tous les serviteurs du palais, la question du mariage finit par se poser, puisqu'elle permet aux grandes familles de nouer des alliances.
La jeune femme garde son sourire. Elle se doute du sujet qu’ont abordé ses maîtres, sujet sur lequel elle n’aura aucune influence. D’ailleurs, elle sait que du haut de ses vingt-et-un ans, elle n’a plus beaucoup de temps devant elle pour profiter du monde en tant que jeune célibataire. Ses doigts viennent machinalement jouer avec ses boucles, tandis que ses yeux se font songeurs. Hélios aime les belles choses et les belles personnes, elle aime la vie et les opportunités qu’elle lui apporte. Quand elle pense à son avenir le soir, seule ou dans les bras d’une compagnie qui saura se faire aussi discrète qu’elle, Hélios n’a qu’une seule demande : que son futur époux aime la regarder danser, car la danse regroupe l’essence de tout ce qu’elle apprécie dans la vie.
La jeune femme fixe ses yeux verts sur Sheraz, qui ne dit rien, et elle hoche la tête.
— Je vous écoute, sourit-elle doucement.
Elle n'est pas idiote et elle sait très bien de quoi il en retourne. Quand un serviteur du grand palais atteint l'âge de vingt ans, ses maîtres se hâtent de songer à une belle alliance qu'il peut leur apporter en se mariant. Concernant Hélios, les Alfirin songent à se rapprocher des Fontaine et pour cela, rien de plus simple que de la marier avec Wan Zi, le serviteur personnel de Faust Fontaine.
— J'ai entendu Père et Mère discuter d'un potentiel mariage avec Wan Zi lors de notre dernier repas familial, confie Sheraz.
La famille Fontaine possède de nombreuses richesses à Rhenia-Gaear, à commencer par d'importantes parts au sein de l'université qui forme les plus grands alchimistes. Mais au-delà de ça, elle est proche de Maximilien Ville de Fer, l'hôte principal des Milliget et Sheraz sait que malgré la détestation que ses parents vouent aux fées, les Fontaine seront un bon moyen d'obtenir de leurs nouvelles.
— J'ai donc soumis l'idée à mes parents d'attendre les sélections, reprend Sheraz, je leur ai dit que le futur vainqueur des sélections pourrait être une personne intéressante pour vous et pour eux. Contre toute attente, ils ont approuvé ma suggestion. Cela vous laisse au moins un sursis.
Hélios garde sa moue pour elle. A défaut d’être son genre Wan Zi appréciera peut-être de la voir danser. Elle n’est pas très adepte de la rigidité des gens de son peuple, mais après tout, elle n’a rien contre Wan Zi. Toutefois, elle adresse un sourire empreint de gratitude à Sheraz.
— C’est vrai qu’il ne faut fermer aucune porte, relève-t-elle. Je vous avoue que le mariage n’a jamais été une de mes priorités… Bien sûr, je m’y plierais comme n’importe qui, mais la liberté est une valeur chère à mes yeux. Wan Zi sera un bon parti pour vôtre famille, cependant, il est effectivement plus avisé d’attendre.
Hélios boit une gorgée de thé, songeuse.
— Je ne dis pas ça pour moi, évidemment, mes désirs en la matière sont néant, car je n’ai jamais pris le temps de réfléchir à la question sachant que je n’avais aucunement voix au chapitre, et aucune volonté de l’avoir, mais en tant que serviteur de famille comme la vôtre, j’ai tout autant à coeur votre avenir que le mien, et peut-être même plus. Le candidat des sélections est un parti à considérer !
Et peut-être sera-t-il plus intéressant que Wan Zi sur le plan personnel… Hélios sourit de nouveau à son maître. Il lui est agréable de savoir que Sheraz à ses intérêts à cœur, même si elle sait d’avance qu’il n’aura pas, lui non plus, une influence sur la décision de ses parents. Décision à laquelle elle se pliera, qu’elle lui plaise ou non. Alors elle se permet de quitter un instant sa fonction pour incliner la tête, telle l’amie qu’elle ne peut pas être pour ce jeune homme solitaire.
— Merci, Sheraz, murmure-t-elle doucement.Les Choix
La route pour les sélections est longue et semée d'embûches. Maintenant que Candice a pu constater qu'Helouri était capable de mémoriser énormément d'informations, il lui explique qu'il va devoir choisir un domaine dans lequel se démarquer parmi tous les autres participants. Bien entendu, Helouri a toujours voulu devenir médecin, mais est-ce qu'il doit choisir la médecine ? S'il ne la choisit pas, que devrait-il choisir ?
➜ Choisir la médecine et apprendre sous la tutelle de Candice.
➜ Choisir l'alchimie.
➜ Choisir la littérature terrienne et eldaryenne.
➜ Ne rien choisir et laisser Candice décider à sa place.
➜ Choisir autre chose (proposer un domaine !)
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June : Helouri a rapporté à June que Leiftan Tuarran veut se joindre aux recherches de Cristal. Leiftan accompagnera donc Joseph à Odrialc'h et descendra avec lui aux Abysses. Helouri lui a aussi rapporté qu'il en parlerait à Candice.
Que pense June de cette révélation ? Veut-elle entreprendre quelque chose en particulier ?
Helios : Sheraz a proposé à Helios de participer aux sélections auprès de Dame Malda, l'ancienne servante personnelle de Shakalogat Gra Ysul. Bien entendu, Sheraz doit tout d'abord proposer la candidature d'Helios à sa mère, afin que cette dernière fasse le nécessaire pour convaincre Dame Malda, mais aussi la mère de Shakalogat qui sera juge aux sélections. Cependant, Helios a toutes les chances d'être sélectionnée. En participant aux sélections, Helios peut entretenir de bonnes relations entre la famille Alfirin et la famille Gra Ysul. Cette position va également lui valoir des jalousies. Néanmoins, si Helios parvient à se distinguer, elle entre dans les faveurs des Gra Ysul et cela pourra lui permettre d'acquérir des privilèges et lui ouvrir des portes. Dans le cas contraire, Helios tombe en disgrâce et terni la réputation de la famille Alfirin.
C'est un jeu difficile auquel il t'est possible de jouer, MayaShiz, avec des petits RP d'Hélios à chaque chapitre. Participer à la préparation des sélections te permettra d'attraper des petits indices étranges et de mettre en lumière quelques bizarreries du grand palais pour tes camarades d'Apotheosis.
À toi de voir si tu veux tenter le coup !
UNIQUEMENT pour Waitikka
Sexta a reçu un message particulier et pour une raison que Fawkes ignore, elle tient à le partager à Fawkes et Ryan. Est-ce un piège ? Fawkes doit-il se rendre au rendez-vous ?
À toi de me le dire lorsque tu es prêt, Waitikka !
Aussi, accueillons Ian Trollkors pour cette aventure Apotheosis !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Voilà longtemps que nous ne nous sommes pas revus et j'en suis navrée. Comme je l'avais déjà mentionné dans mon dernier post, la période des fêtes à été très riche en productivité autre que ma fiction intéractive, mais également très épuisante et le début de l'année 2024 n'a pas été de tout repos non plus. J'ai donc pris un petit peu de temps pour moi mais rassurez-vous : la fiction n'est ni en pause, ni arrêtée ! En voici donc la suite avec un nouveau choix à la fin pour reprendre les bonnes vieilles habitudes et nous continuons notre histoire.
J'en profite aussi pour remercier les personnes qui ont pris contact avec moi par MP afin de savoir si tout allait bien, c'était adorable de votre part !
À présent, je vous souhaite une bonne année 2024 et sur cette fiction, écrivons la suite ensemble ! Bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 3 - Le Sentier de la Souffrance
Le Grand Palais d'Odrialc'h, convocation d'Helios par Cyriandil Alfirin
Assise dans un grand fauteuil aux broderies somptueuses, Cyriandil Alfirin ressemble à une reine sur son trône. Un roman terrien entre ses mains délicates, elle se délecte de la littérature humaine, si riche comparée aux auteurs eldaryens aux esprits si pauvres. Cyriandil tient l'ouvrage comme s'il était serti de pierres précieuses pendant que ses yeux céruléens balayent les lignes les unes après les autres.
L'enfer où tu seras, c'est mon paradis, ta vue est plus charmante que celle de Dieu ! conte le livre d'un être humain répondant au nom de Victor Hugo. Il écrit une cathédrale impressionnante telle une Dame de pierre et si elle est réelle, si elle a pu traverser les époques, Cyriandil aimerait la voir. Eldarya a-t-il fait mieux que cela ? Odrialc'h l'a-t-elle fait ?
L'elfe élégante pousse un soupir et interrompt sa lecture. Elle se redresse dans son fauteuil, si digne dans sa robe merveilleuse où des roses bleues courent pour fleurir avec des broderies d'or, mettant son regard en valeur ainsi que son chignon châtain piqué avec un peigne aux perles nacrées. Deux mèches bouclent autour de son visage ovale au teint pâle, que des lèvres maquillées d'un bois de rose viennent réhausser. Cyriandil se compose un air neutre et attend la venue d'Hélios pour leur entretien journalier, peu avant l'heure du thé, comme d'habitude.
Aussi ponctuelle qu’un coucou d’horloger, c’est d’un pas léger que l’atalante se présente à la porte, toquant trois fois et attendant qu’on lui demande d’entrer. Un sourire jovial et poli ourle ses lèvres, tandis qu’elle s’assure rapidement que sa tenue, sa coiffure et le léger maquillage qui illumine son teint sont tous irréprochables. C’est l’un des impératifs de son poste, et la jeune femme sait comment le respecter à la lettre.
Elle fait bien, car Cyriandil Alfirin ne manque pas de s'attarder sur son apparence afin d'aviser s'il y a quelque chose à redire. Mais il n'y a rien, Helios est aussi parfaite que d'ordinaire.
— Est-ce que Sheraz a bien dormi ? s'enquit Dame Alfirin d'un ton détaché sans saluer l'atalante.
Ensuite, elle lui demandera s'il a bien mangé, s'il a eu des propos étranges et s'il attend des nouvelles du Nord, de son cher ami ailé que Cyriandil n'apprécie pas. Si tout est en ordre, la Dame sera tranquille, si ça n'est pas le cas, alors elle donnera des consignes supplémentaires.
— Le jeune maître a eu une nuit difficile, répond Hélios. Il m’a fait savoir que dormir ne lui apportait pas le repos dont il a besoin, et que son sommeil n’est pas réparateur.
Elle décrit soigneusement les symptômes que lui a rapportés Sheraz, en précisant qu’il s’agit toujours des mêmes, et qu’ils ne se sont pas aggravés, mais pas améliorés non plus. Ensuite, Hélios continue son rapport en indiquant que son maître attend en effet des nouvelles de maître Sira, et qu’elle s’est assurée qu’il mange bien tout son petit déjeuner.
— Nous n’avons pas reçu de courrier de la part de maître Sira Milliget, continue-t-elle. Je l’ai signifié au jeune maître, et il n’a pas insisté à ce sujet.
Elle garde pour elle son inquiétude pour Sheraz, car elle n’a pas sa place dans l’entretien journalier. Elle sait que sa maîtresse trouverait ça malvenu, alors Hélios s’incline brièvement pour indiquer qu’elle a terminé son rapport, avant de se redresser gracieusement dans l’attente d’autres questions ou d’autres ordres.
Cyriandil hoche la tête. Il est difficile de savoir ce qu'elle pense mais quoi qu'il en soit, tout est comme d'habitude. La Dame se détend quelque peu et ordonne à Helios que lorsqu'elle sortira de l'entretien, elle devra prendre contact avec le médecin de Sheraz afin qu'il change son traitement pour dormir.
— Vous prendrez soin de lui donner ses médicaments à heures fixes, comme d'habitude, lui intime Cyriandil, j'espère qu'il finira par dormir convenablement… Sheraz ne pourra pas se montrer au grand public pendant les sélections s'il ressemble à un cadavre.
La Dame achève sa phrase avec une pointe de sarcasme. Elle finit par pousser un soupir et balayer de la main l'état de santé de son fils comme s'il n'était qu'une préoccupation mineure. Enfin, elle lève ses beaux yeux vers Hélios et lui adresse un sourire très doux, signe que l'atalante est digne d'intérêt pour les minutes qui vont suivre.
— Hier, lors du dîner, Sheraz a émit l'idée de vous recommander auprès de Dame Malda pour l'épauler dans la difficile organisation des sélections du nouveau serviteur personnel de notre bien-aimée Capitaine Gra Ysul. Après une discussion avec mon mari, il est vrai que cela pourrait permettre à notre famille d'apporter sa pierre à ce glorieux édifice. Je pense que vous avez beaucoup à apporter à Dame Malda, n'est-ce pas Hélios ? Vos talents d'alchimistes ne sont plus à prouver et votre sourire est salutaire pour ce palais. N'ai-je pas raison ?
L’atalante baisse la tête avec humilité, tandis que ses mains se croisent sagement sur ses genoux.
— Je ne fais que rendre aux Alfirins ce qu’ils me donnent, ma Dame, répond-elle. Servir votre famille est un honneur, et si mes talents peuvent être mis à votre disposition encore plus qu’ils ne le sont déjà, c’est avec plaisir que je les utiliserais.
Elle relève le menton pour sourire, d’un air doux et sage. Cyriandil a raison, elle le sait, mais se montrer vaniteux n’est ni bon, ni dans sa nature. Hélios est une alchimiste douée, et sa palette de sourires ainsi que sa bonne humeur apporte un vent de fraîcheur bienvenu dans un palais où les chuchotements sont la norme. Elle se sait appréciée de beaucoup, et elle ne doute pas qu’en effet, sa présence aux sélections donnera un poids certain aux Alfirins. Mais ce qu’elle ne dira jamais à Cyriandil, et sans doute jamais à Sheraz non plus, c’est que sa curiosité insatiable lui interdit de manquer une telle opportunité.
— Bien, alors c'est décidé, répond Cyriandil d'une voix tranquille, je vais m'entretenir auprès de Dame Malda pour soumettre votre candidature. Je suis certaine que vous aurez de bonnes idées pour la soutenir lors de cet évènement.
Puis, la Dame croise religieusement ses mains sur ses genoux, et ajoute d'une voix plus douce :
— Aussi, Hélios, tout comme vous et toutes les personnes du palais, je suis très curieuse de découvrir le grand gagnant ou bien la grande gagnante de ces sélections. Mais en attendant cet instant, je vous demanderai de vous montrer aimable avec Wan Zi. Je ne doute pas du contraire, mais ce serait préférable que vous vous appréciez.
Si le vainqueur des sélections est une femme, Hélios épousera Wan Zi, avec lequel elle peut-être compatible pour enfanter. Si le vainqueur des sélections est un homme, en revanche, alors Cyriandil et son mari changeront peut-être d'avis.
Hélios remercie sa maîtresse pour cette opportunité et cache sa déception avec brio. Wan Zi n’est certainement pas premier dans le classement de ceux avec qui elle voudrait partager sa vie, mais après tout, elle sait qu’elle n’a pas son mot à dire sur la question. Si c’est ce qu’ont décidé ses maîtres, alors elle épousera le faelien originaire de la cité de Ningjing, même si elle sait que cette union sera dépourvue de passion.
— Bien, ma Dame, répond-elle tranquillement. Puis-je participer à des activités officielles en sa compagnie, ou est-il préférable que j’attende ?
— Non, indique Cyriandil, montrez-vous en société avec lui dès que possible et si Wan Zi vous propose une invitation, vous avez mon autorisation. Inutile de demander celle de Sheraz.
Ensuite, la Dame Alfirin lui fait signe de disposer, mettant un terme à l'entretien. Après les salutations d'usage, l'atalante quitte la bibliothèque afin de regagner le couloir. À peine a-t-elle posé un pied dehors qu'elle entend miauler. En tournant la tête, Hélios remarque que Céleste l'attend au coin d'une intersection, visiblement alarmée. Ses trois paires d'yeux sont rivées sur elle et lorsque l'atalante s'approche, Céleste lui fait comprendre qu'il y a urgence. Agile, elle guide Hélios en trottinant à pas pressés, vérifiant de temps à autre que sa suiveuse se trouve toujours sur ses talons. Céleste la guide jusqu'à la chambre de Sheraz et quand Hélios ouvre la porte, elle entend d'affreux borborygmes, signe que le jeune maître n'a pas gardé son repas dans son estomac.
Immédiatement, Hélios referme le panneau de bois et elle se précipite dans la salle de bain pour trouver Sheraz, la tête dans un pot de chambre. La jeune femme file jusqu’à lui, se laisse tomber au sol et s’empresse d’attraper les longs cheveux de l’elfe pour les dégager de son visage. Adroite, elle s’empare également d’une petite serviette qu’elle trempe dans une bassine d’eau froide, puis elle l’appose sur le cou dégagé tout en se mordant la lèvre d’un air inquiet.
— Là, je suis là, tout va bien, souffle-t-elle avec douceur.
Elle caresse son dos pour le réconforter, et continue de murmurer des paroles rassurantes pour lui offrir l’appui dont il a besoin. Hélios grimace : elle compatit plus que de raison avec Sheraz, car elle-même a en sainte horreur la simple idée de vomir.
Lorsque le jeune elfe est enfin tranquille, il reste quelques secondes au-dessus du pot de chambre, le souffle court, les larmes aux yeux, puis se redresse enfin. Il attrape la serviette que Hélios lui tend afin de s'essuyer la bouche, puis clôt les paupières pour reprendre ses esprits. Enfin, il tourne la tête, puis réalise qu'Hélios est belle et bien présente.
Sheraz est pâle comme la Mort. Des lourdes cernes soulignent ses yeux, preuve que son sommeil n'est jamais réparateur et son regard noisette est terne. Sheraz se met à renifler pendant que Céleste vient se frotter contre lui en ronronnant, puis il se met à parler d'une voix hachée :
— Hélios… C'est… J'avais mal au ventre, et c'est arrivé. Je vais vider le baquet moi-même.
— Vous allez vous remettre au lit immédiatement et laisser ce baquet à sa place.
Hélios s’est redressée, les mains sur les hanches. Elle fronce les sourcils, le défiant de désobéir à son ordre. Sheraz ne va pas bien, pas bien du tout, mais avant de décider d’en avertir le médecin ou sa mère, elle va s’assurer que le jeune elfe est au chaud, et qu’il ne manque de rien.
— Allez, enjoint-elle en lui désignant la chambre.
Sheraz répugne à laisser Hélios réaliser une besogne comme celle-ci. D'habitude, si l'envie de rendre lui arrive en pleine nuit, il se débrouille pour évacuer ses propres rebuts lui-même. Mais il finit par abdiquer et part s'asseoir sur son lit. Sheraz a l'impression que tous les vêtements qu'il porte pèsent trop lourd sur ses épaules. Lorsque Hélios a terminé de vider le pot de chambre, elle vient l'aider à se déshabiller afin qu'il enfile une chemise de nuit, puis il s'allonge. Sheraz pousse un long soupir. Son ventre le fait toujours souffrir et l'affreux goût qu'il a dans la bouche le dégoûte, mais s'il boit, il craint même de rendre l'eau.
— Hélios, l'interpelle-t-il, est-ce que vous pouvez vous rendre chez mon médecin et lui demander le médicament le plus fort possible pour dormir, s'il vous plaît ? Je voudrais simplement dormir paisiblement et sans rêver.
Elle fait la moue en réarrangeant les draps. Au moins, cela coïncide avec les ordres de sa Dame… Hélios s'assoit sur le bord du lit, une petite éponge entre les doigts, pour la passer sur le front de Sheraz.
— Ne souhaitez-vous pas plutôt qu’il vienne pour s’assurer de votre état ? demande-t-elle avec douceur. Il pourrait peut-être vous prescrire quelque chose pour votre ventre, pour éviter de rendre vos repas… Vous êtes très pâle, Sheraz, j’ai peur qu’un médicament pour dormir ne suffise pas à vous remettre d’aplomb…
— Je sais, mais… J'en ai assez d'être ainsi.
Il a soufflé ces derniers mots et bien qu'il tâche de garder un semblant de dignité face à Hélios, ses yeux noisettes s'humidifient. Lorsque Céleste saute sur le lit, elle se roule en boule sur son bras, ses trois têtes reposant sur son épaule. Puis, Sheraz hésite, mais finit tout de même pas demander :
— Pendant votre entretien avec Mère, est-ce qu'elle a eu un mot gentil à mon égard ?
Il sait qu'elle n'a sûrement rien dit, mais peut-être qu'elle s'inquiète quand même et qu'elle lui rendra visite plus tard.
Hélios soupire. Parfois, elle est effarée de voir l’état dans lequel se trouve Sheraz, et que personne ne s’en inquiète. Elle lui adresse toutefois un sourire gentil en passant son éponge sur ses joues.
— Ma Dame s’inquiète pour vous, jeune maître, ment-elle avec aplomb. Elle s’est enquis de votre sommeil, de la qualité de votre petit-déjeuner et aussi de votre correspondance avec Maître Sira. Je suis certaine qu’elle va essayer de se renseigner pour savoir pourquoi il ne vous a pas répondu, d’ailleurs.
Puis son sourire se fait plus soucieux, alors qu’elle fixe ses cernes et son teint blafard.
— Voulez-vous que je reste près de vous, jeune maître ? demande-t-elle. Je peux aller chercher le médecin et revenir vous tenir compagnie. Ma grande sœur me chantait souvent des comptines quand j’étais malade, et je crois avoir laissé ma lyre quelque part par ici. Qu’en dites-vous ?
Sheraz hoche la tête. Il est rassuré d'entendre que sa mère s'inquiète au moins un petit peu et même si le médecin réajuste simplement son traitement, il n'a pas le cœur à rester seul, alors il accepte. Mais il aimerait entendre une chanson en particulier.
— Hélios, vous vous souvenez ? Quand vous êtes arrivée au grand palais, Sira nous a appris une chanson dans sa langue. Une fois que le médecin sera parti et qu'il n'y aura plus que moi pour écouter, pourrez-vous me la chanter ?
Vishe, omirah, vishe, Imzah li yiliatt, Mak kosshioli omirah.... Chantes, rossignol, chantes, dans la nuit, mon doux rossignol… Sira chantait souvent cette chanson et quand ils étaient tous les trois, Sheraz et Hélios chantaient avec lui. L'atalante se mettait même à danser.
Aujourd'hui, Sira n'est plus là, mais si Sheraz peut au moins entendre la langue des fées, alors il se sentira un petit peu mieux.
Hélios acquiesce. Bien sûr qu’elle peut lui chanter cette chanson, et des dizaines d’autres s’il le souhaite. Sa loyauté va aux Alfirins, mais plus encore à ce jeune maître malade reclu dans une chambre bien trop grande. Elle caresse les têtes de Céleste en lui faisant promettre de rester auprès de Sheraz, puis assure qu’elle revient aussi vite que possible, avec sa lyre et le médecin. Elle chantera jusqu’à ce qu’il s’endorme et même encore après, et quand il s’éveillera, elle sera là aussi, pour qu’il sache qu’il n’est pas tout seul.
Je veux être médecin.
Aussi loin qu'Helouri s'en souvienne, c'est ce qu'il a toujours voulu devenir. Pour guérir ses branchies atrophiées et enfin pouvoir goûter aux joies de la métamorphose de son espèce, ainsi qu'à la beauté de l'océan.
Si les armes et le combat n'ont jamais été faits pour lui, Helouri sait qu'il peut tirer son épingle du jeu avec le savoir. Il a la tête bien remplie, il est capable d'absorber des connaissances comme une éponge alors en effet, une discipline aussi retorse que la médecine lui siée à merveille. Il veut apprendre à guérir, il veut tout savoir sur cette science qui peut sauver des vies, il veut comprendre le fonctionnement de son propre corps et celui des autres espèces, alors il peut l'affirmer même si c'est difficile. Encore plus difficile quand celui qui peut lui enseigner la médecine est la créature la plus terrifiante qu'il n'ait jamais rencontrée. Pourtant, Helouri va devoir donner sa réponse car il le sait : Candice n'est pas patient.
Le jeune morgan se souvient de ses cinq échecs à l'examen d'entrée pour la Garde Absynthe. L'épreuve écrite ne lui posait aucun problème, mais l'oral ainsi que la simulation étaient responsables de sa défaite, tant il perdait ses moyens face à Ezarel Sequoïa. Le Chef ne manquait pas d'idées pour le tester et lui mettre une pression intolérable sur ses épaules, si bien que tout se mélangeait dans l'esprit d'Helouri. Il ne savait plus rien, comme s'il n'avait jamais étudié ses livres et ses notes, comme s'il n'avait jamais approché la médecine et appris religieusement le nom des plantes nécessaires à la fabrication de médicaments importants. Il redevenait ignorant, pire qu'un enfant qui n'a pas encore appris à parler.
C'est ça, mon problème, et il le sait déjà.
Bien sûr, que Candice le sait. Il sait toujours tout et si Helouri a le malheur de le faire rire, comme il le lui a demandé, en clamant haut et fort qu'il veut apprendre la médecine, alors c'est un véritable calvaire qui va l'attendre. Candice Milliget n'est pas comme Ezarel Sequoïa. Candice Milliget est bien pire que le Chef de l'Absynthe. Il a analysé Helouri et il a déjà déterminé qu'il ne valait pas grand-chose tel qu'il est, mais il n'est pas impossible qu'il puisse devenir une meilleure version de lui-même. C'est ce que souhaite Helouri aussi.
Le jeune morgan frissonne malgré le manteau fourré qu'il a enfilé. L'hiver des fées Milliget ne pardonne pas, comme celle qui lui fait face, plissant ses yeux d'orage alors qu'elle commence à s'impatienter bien plus que d'habitude.
— Sesheyess, dava !
Helouri a un sursaut. Il cligne des paupières à plusieurs reprises, puis se décide enfin. C'est tout réfléchit et c'est tellement évident que l'hésitation s'efface petit à petit pour lui laisser un esprit aussi limpide qu'un lac d'eau claire. Le jeune morgan lève ses yeux d'argent vers Candice, dont le feu intérieur est si fort qu'Helouri sent la peur lui serrer la poitrine et quand enfin il se met à parler, il tâche de ne pas bégayer, comme si sa vie en dépendait.
— Je veux apprendre la médecine… souffle-t-il.
— Quoi ?
La fée Milliget a très bien compris, mais elle veut qu'il le répète d'une voix plus forte. Elle arque un sourcil, faisant mine d'être surprise alors qu'en réalité, elle est comme un prédateur avide en train de regarder une proie se condamner elle-même.
Helouri déglutit. Finalement, il songe que c'est peut-être mieux lorsque Candice est en colère et aussi irascible que d'habitude car sa joie est terrifiante. Lorsque le jeune morgan réitère son affirmation d'apprendre la médecine, il voit le visage de Candice s'éclairer et son sourire devenir bien trop grand et trop effilé. Ses yeux se mettent à luire d'une étincelle malsaine, comme si son esprit tordu lui montrait mille façons de punir Helouri et June pour chaque erreur commise par le premier. Quand il se met à rire, Helouri aimerait disparaître dans le sol.
Il en est parfaitement certain à présent : il déteste la bonne humeur de Candice, parce qu'elle est bien plus ignoble que sa colère habituelle. Son rire est désagréable, moqueur, grinçant comme une porte dont les gonds ne sont plus huilés depuis longtemps et Helouri le fixe avec horreur.
Soudain, Candice redevient sérieux. Son regard se fait venimeux, comme si son dava avait osé lui manquer de respect, puis il se met à aboyer quelque chose dans la langue des fées. Helouri fait un pas en arrière, le cœur battant. Son cerveau analyse chaque mot, lui soufflant qu'il les connaît seulement, quand il veut faire la lumière sur la phrase toute entière, il n'y parvient pas. Candice continue de railler dans la langue des fées, haussant la voix, se levant pour s'approcher du jeune morgan d'un pas menaçant et c'est terminé. Helouri oublie tout ce qu'il a appris jusqu'à son propre nom, tant la panique se lève dans ses entrailles pour le submerger. Elle lève une vague noire qui s'abat contre son cœur afin d'en accélérer douloureusement la cadence, puis monte jusqu'à son cerveau pour le frapper en lui retirant tout ce qu'il a accumulé et enfin, elle le fait trébucher dans la poudreuse, comme la plus misérable de toutes les créatures. À présent, Helouri n'est plus qu'une proie incapable de traduire les paroles de celui qui va certainement le faire souffrir.
— Tu vois, lance Candice d'une voix traînante, c'est ça que tu es et c'est ça qu'il faut changer.
Le visage de la fée se pare d'arrogance et alors qu'elle s'accroupit avec lenteur, elle fixe Helouri comme si elle cherchait ce qu'elle allait briser en premier. Le jeune morgan décrète qu'il déteste ce regard. Candice le toise tel un déchet dont l'existence lui tire un dégoût bien trop agaçant. Il n'y aucune considération dans ces yeux gris, aucune reconnaissance pour l'être faelien, le morgan famélique qui a autant de valeur qu'un flocon de neige fondu parmi les siens, puis écrasé par les pieds d'une fée. C'est ici et maintenant qu'Helouri réalise que leurs différences les éloigne aussi certainement que deux univers.
— Lorsque j'arrêterai de m'énerver en te regardant, décrète Candice d'une voix beaucoup trop calme, alors tu auras grandi. Est-ce que tu as compris ?
Helouri hoche la tête mais cela ne suffit pas à satisfaire l'impétueuse fée Milliget. Il faut qu'il le dise, il faut qu'il lui réponde, et vite. Très vite. Oui, il a compris. Il ouvre la bouche pour l'évoquer mais tout ce qui en sort, c'est une soupe de sons servie par la terreur.
Candice se met à siffler d'une colère contenue, comme si le hurlement strident et rageur de son espèce était en train de se former dans sa gorge sans pouvoir éclater. Enfin, la fée pousse un soupir agacé, puis jette un regard las à son dava. Il pourrait paraître impassible et résigné si les lieux blanchis par la poudreuse des Milliget ne succombaient pas sous une tension intolérable.
— Réponds, ordonne Candice, réponds immédiatement en essayant de ressembler à autre chose qu'une merde.
— O-ou…
Une seconde et Helouri se retrouve plaqué au sol, le souffle coupé, avec un poids dangereux sur son abdomen menaçant de l'éclater. Il a l'impression que la neige est en train de l'avaler, que les flocons qui s'accumulent sur sa peau, ses paupières, ses boucles nacrées et ses vêtements deviendront sa dernière demeure et quand ses esprits reconstituent l'image de la réalité, Helouri lui jette un regard épouvanté.
Candice s'est redressé. Il le toise de toute sa hauteur, un pied sur le ventre de son dava et s'il ne maîtrisait pas sa force impressionnante, il le tuerait. Sa longue robe bleue dévoile le métal froid et souple d'un soleret aux griffes acérées, aussi stylisé que sauvage, à l'image de la fée impétueuse qui le chausse. Helouri remarque que le talon n'est qu'un bloc qui peut lui perforer le ventre si Candice décide que sa vie ne vaut plus grand-chose.
— À ton avis, dava, si je décide de t'écraser, comment je peux abimer ton abdomen ? Qu'est-ce que je peux faire comme dégâts ? Est-ce que je dois vraiment te donner les réponses dans la douleur ?
Il ne le fera pas. Il ne peut pas me donner de cicatrices s'il tient tant à me faire entrer au grand palais d'Odrialc'h. Mais avec Candice, Helouri ne peut rien affirmer. Encore moins maintenant, alors qu'il a l'impression de mourir. Son cœur s'affole, son souffle se fait plus rare et il n'arrive pas à contenir les larmes qui viennent humidifier ses yeux. Oui, il connaît les dommages que Candice peut lui causer, il a déjà étudié cela quand il travaillait dur pour l'examen d'entrée pour la Garde Absynthe, sauf que les mots restent englués dans la peur qui lui serre la gorge.
— Tu veux que j'aille voir ta sœur ? menace Candice d'une voix mielleuse.
Non ! Helouri se concentre. La terreur lui construit une muselière dont il tente de se débarrasser de toutes ses forces. Il doit cracher une réponse. C'est ce que veut son maître. S'il parvient à dire quelque chose sans bégayer, alors peut-être qu'il sera capable de se sortir de cette situation sans que June n'ait à faire les frais de sa faiblesse. Helouri réunit toutes ses facultés afin de les empêcher de vriller. Il hurle à sa gorge de se défaire de son étau, à sa salive d'humidifier sa bouche et au non ! d'en sortir même s'il doit le vomir.
Candice appuie un peu plus sur son ventre et Helouri ouvre de grands yeux d'argent, étouffant un cri de douleur quand il a la sensation que ses organes vont éclater, quand son cerveau se libère soudainement de ses chaînes pour souffler le vent de la connaissance et lui apporter des réponses.
Organes. Péritoine. Rupture d'un organe plein. Hémopéritoine. Lésions pénétrantes. Hémorragie externe.
Il doit dire tout cela. Il doit au moins l'évoquer s'il ne veut pas que la sentence tombe, mais Candice n'est pas patient, alors il roule des yeux, puis commence à cracher :
— Bien. Alors je vais devoir…
— Je… Ne veux pas que… souffle Helouri d'une voix hachée, que June…
— QU'EST-CE QUE TU NE VEUX PAS ?
Quand Helouri se sent happé hors du sol, il a l'impression que la peau de son crâne va se détacher sous la poigne de Candice. Une main rageuse tient fermement ses boucles nacrées, hissant un visage terrorisé à la hauteur du sien et c'est durant cette seconde, puis toute les autres, que Helouri maudit la quinzaine de centimètres qui marque leur différence de taille, puisqu'elle est insupportable. Ses pieds s'agitent par réflexe, demandant à retrouver la terre ferme pendant que ses mains veulent agripper celle de Candice, mais la fée Milliget s'emporte :
— C'est toi qui t'es mis dans cette situation, dava, alors ne viens pas chialer maintenant ! Comment je dois te faire parler ? Je dois moi-même t'ouvrir la bouche jusqu'à t'en faire péter la mâchoire ?
C'est pour ça qu'il est tout bonnement incapable de se présenter aux sélections pour le moment. Si des personnes de hautes lignées s'adressent à lui, il se contentera de les fixer comme un pimpel face aux roues d'un carrosse et il sera si pathétique qu'on ne voudrait même pas de lui pour récurer des latrines. Non, Candice ne peut pas marquer le corps d'Helouri avec des cicatrices, mais il aura d'autres moyens de le punir sans le frapper.
June l'avait prévenu. Ce serait très difficile de supporter l'enseignement de son nouveau maître et que quelqu'un comme Helouri en serait incapable. Ce dernier est forcé d'admettre qu'elle a raison quand il la terreur pousse son cœur au bord des lèvres et que toute pensée rationnelle déserte son cerveau pour le mettre en témoin de lui-même, véritable poupée de chiffon soulevée par les cheveux.
Lorsque Candice finit par se lasser, il jette Helouri qui atterrit violemment dans la neige, roulant sur lui-même, le souffle coupé, persuadé que ses côtes se sont brisées sous le choc. Son sang bat contre ses tempes pendant que son instinct de survie lui hurle de se relever pour chercher Candice, mais il n'en a pas besoin car la fée Milliget s'est approchée. Helouri l'entend pousser un profond soupir, puis sent son pied donner des à-coups contre sa cuisse comme si elle vérifiait qu'il était bel et bien vivant.
— Tu es incapable d'aligner deux mots, mais tu te sens assez important pour vouloir sauver ta mère. Il y a une différence entre ce que tu penses pouvoir faire et ce dont tu es réellement capable. Tu n'es pas un guerrier, tu n'es même pas quelqu'un qui en vaut la peine, tu es seulement ce que je vais faire de toi. Retiens bien ça, dava !
Helouri ferme les yeux dans l'attente d'un coup, mais quand il embrasse enfin quelques secondes de plénitude, il finit par réaliser que Candice est parti. Le jeune morgan se redresse enfin, ses vêtements rendus humides par la poudreuse et sent sa poitrine se défaire du nœud de la peur. Il reste assis là quelques instants, jetant un regard épouvanté sur les arbres face à lui tout en essayant de reprendre le contrôle de lui-même. Helouri passe une main tremblante dans ses boucles nacrées, grimace quand il sent son crâne rendu sensible par la poigne de la fée Milliget et réalise que tout ceci n'est que le prélude de l'enfer qui l'attend.
Il s'est choisi un chemin tortueux dans l'espoir que sa mère puisse être sauvée du calvaire de Sexta Stoker seulement, l'avenir qui l'attend en tant que dava de Candice Milliget et futur participant aux sélections est peut-être impossible pour lui.
Si je n'y arrive pas, maman ne sera pas sauvée. Si je n'y arrive pas, c'est June qui en paiera les conséquences. Si je n'y arrive pas, Candice trouvera forcément d'autres moyens de me punir sans me frapper.
Alors il n'a pas le choix : il doit y arriver.
Soudain, Helouri se souvient qu'il n'a pas averti Candice de la participation de Leiftan Tuarran au sauvetage de Cristal Ael Diskaret. Le jeune morgan se dépêche de se mettre debout, puis se hâte sur le chemin qui mène à Albacore. Les émotions ont transformé ses jambes en coton pourtant, Helouri tâche de se reprendre pendant que ses yeux affolés cherchent la robe bleue de Candice. Si la fée Milliget a déjà regagné la mairie, alors il devra attendre un long moment. Soufflant par le nez, le jeune morgan continue de remonter le sentier en ayant la désagréable sensation de perdre ses orteils à chaque pas, puis plisse les yeux quand des flocons viennent se ficher sur ses cils. Son regard se perd à travers les arbres et enfin, il attrape du bleu saphir. Helouri s'arrête, perplexe.
Candice n'a pas encore rejoint Albacore. Là, à travers les bois qui subissent l'hiver des Milliget, la fée a décidé de marcher vers les abords de l'hôpital, non loin de la grande baie vitrée qui donne sur l'extérieur. Helouri se demande ce qu'il a bien pu aller faire là-bas et s'il s'apprête à rejoindre Candice, il s'arrête et blêmit.
La fée Milliget n'est pas seule. Parmi les arbres, elle se trouve debout, les poings serrés, menaçante, en train d'assassiner du regard la personne qui se trouve assise dans un fauteuil roulant. Helouri plaque une main contre sa bouche quand il reconnaît la peau anthracite ainsi que les cheveux noirs de Balam Lefaucheur. Il se demande ce que l'ancien guetteur peut bien faire seul dehors, à l'orée du morceau de forêt qui sépare le sentier de la cour arrière de l'hôpital et surtout en présence de celui qui a failli le tuer. Helouri sent ses entrailles se nouer.
Il a la sensation que toute la rage contenue dans le corps famélique de la fée Milliget recouvre les lieux d'un voile et que l'instant où elle décidera de supprimer ce faelien onnis, est imminent. Pourtant, Balam reste égal à lui-même. Bien que la lassitude marque ses traits, il reste aussi sage que d'ordinaire, vêtu d'un vêtement d'hôpital et une couverture épaisse protégeant son corps qui n'a pas encore guéri. Peut-être qu'il s'est résigné.
— Bonjour, Candice, le salut Balam d'une voix fatiguée.
Helouri entend la fée Milliget émettre un sifflement dédaigneux et quand son regard gris se porte alentour, le jeune morgan se dissimule derrière un arbre. Son instinct lui souffle de s'en aller car il se doute que Candice serait fortement contrarié de le trouver là, mais son corps ne bouge pas.
— Je n'arrive pas encore à déterminer, commence Candice d'un ton trop calme, si ton esprit faelien est réellement limité ou si tu as vraiment de l'air entre les oreilles.
— J'imagine que ce n'est pas pour me parler de mon esprit que tu as marché jusqu'ici, remarque Balam.
— C'est une déduction assez sensée pour quelqu'un comme toi.
Les mains derrière le dos, la fée Milliget s'approche dangereusement, toise l'ancien guetteur de toute sa hauteur, puis reprend d'un ton lourd de menaces :
— Il n'y a plus de barreaux entre toi et moi, Guetteur, alors si j'étais à ta place, j'en profiterais pour apprendre à fermer ma gueule. Il y a d'autres organes dans ton corps qui pourraient être détruits.
— C'est vrai, répond Balam, mais tu ne vas pas me faire ça, Candice.
De là où se trouve, Helouri retient son souffle. Balam a tort, si la Candice l'a déjà grièvement blessé, au point d'avoir failli le tuer, alors il peut recommencer. Il en a la force et il en a l'envie, cela se lit sur sa son visage, mais aussi via le feu intérieur en train de consumer sa silhouette prédatrice. Et s'il attaque, Balam ne pourra rien faire du tout à part subir. Le jeune morgan a un sursaut lorsque Candice pose un pied sur l'accoudoir du fauteuil à roulettes.
— Tu te crois tout-puissant parce que tu t'es accroché à la robe de ma mère comme l'autre saloperie de vampire ? s'emporte la fée Milliget, mais ça ne te sauvera pas ! Tu finiras avec un trou dans la tête ! Ou bien dans le ventre ! Quand je l'aurais décidé !
— Très bien, alors puisque tu as l'air si sûr de toi, pourquoi pas maintenant ?
Balam a dit ces mots d'une voix sereine, comme si toute la rage de son interlocuteur ne parvenait pas à l'atteindre. Pourtant, ce n'est pas la même sérénité que d'habitude. Elle est éteinte, épuisée, comme si l'ancien guetteur était las de tout cela. Le faelien charmant et affable qui aimait son travail est resté avec les ruines de la cité d'Eel et ici, il n'y a qu'un ancien geôlier qui a détesté ce qu'il a fait de la première seconde à la dernière.
— De toute façon, reprend Balam sur le même ton, même si tu me tuais, je ne disparaîtrai pas complètement, n'est-ce pas ?
Le visage de Candice se fend d'une surprise qui en devient effrayante, tant Helouri est habitué à son air sombre. Le jeune morgan le voit faire un pas de recul, puis observer les alentours comme s'il craignait plus que tout d'être entendu.
— Comment…
— J'aurais préféré ne pas avoir à m'accrocher à la robe de ta mère. Ça m'aurait évité de devoir vivre avec eux. Ici, ils sont moins nombreux.
Helouri fronce les sourcils. Il n'a aucune idée de ce dont Balam est en train de parler, mais ça a le pouvoir de rendre Candice aussi rageur qu'un prédateur face à une proie qu'il ne peut pas attaquer. Le jeune morgan le voit serrer les poings, sa figure déformée par la colère.
— C'est bien Guetteur, siffle Candice, tu peux voir, mais tu n'y comprends rien. À quoi ça a servi de confier ce genre de savoir à une sous-merde comme toi ?
— Et toi, qu'est-ce que tu y vois ?
— Une raison de plus pour t'apprendre à fermer ta gueule.
Balam laisse glisser la virulence de la fée sur sa silhouette et se contente de poser ses yeux blancs sur le décor, là où il n'y a que des arbres et des buissons. Helouri se demande ce qu'il peut y avoir de si intéressant et s'il est réellement bon pour l'ancien guetteur d'ignorer Candice.
— Bien, dit Balam, si tu n'as rien de plus à ajouter, Candice, je vais retourner à l'hôpital. Un soignant viendra bientôt me chercher.
— Va crever avec ton soignant, miyina ! s'écrie la fée Milliget, qu'est-ce qu'elle t'a demandé de faire, ma mère, pour que tu en oublies où est ta place ?
Balam ferme brièvement les yeux et quand il lève le visage vers Candice, il secoue la tête comme s'il faisait face à un enfant dont on passerait tous les caprices. Il répond qu'il n'en sait rien, que la reine Delta Milliget ne lui a confié aucune tâche et que si Candice tient tant à savoir, il n'a qu'à le lui demander. Peut-être l'a-t-il déjà fait et que Delta a refusé de lui répondre.
— Alors à quoi tu sers si tu ne fais rien pour ma mère ! s'époumone Candice d'un ton acerbe.
— Je ne sais pas, Candice. J'imagine que ta mère me confiera du travail en temps et en heure. Un autre travail que celui d'une vénération permanente pour quelqu'un qui n'a rien d'autre à offrir hormis la terreur, je pense.
À peine a-t-il fini sa phrase que Balam sent quelque chose d'humide s'écraser contre sa joue. Interdit, Helouri le voit y porter une main pour récolter la substance poisseuse d'un crachat, avant de lever les yeux vers le coupable.
— Vénères ça, lui lance la fée Milliget avant de se détourner pour marcher vers le sentier.
À son passage, Helouri se plaque contre l'arbre, quitte à faire corps avec lui et se met à prier pour que Candice ne le remarque pas sans quoi, il ose à peine imaginer ce dont il serait capable s'il le trouvait là. Le cœur battant, le jeune morgan attend patiemment que la voie soit libre, puis sort de sa cachette. Balam est toujours là, l'air épuisé par son entrevue avec Candice et Helouri a de la peine pour lui. Néanmoins, la conversation le laisse perplexe.
Balam serait-il devenu le dava de Delta ? Et Rose ? Candice a mentionné un vampire et Helouri se souvient parfaitement que lorsqu'il a fait face aux vassaux des Milliget, quelques jours plus tôt, les noms de Rose et Balam ont été évoqué aussi, bien que Helouri n'ait pas compris le reste de la confrontation, en langue des fées. Cependant, s'il a raison, alors cela signifie que Delta Milliget n'est pas totalement transparente envers Candice, surtout si ce dernier a été jusqu'à essayer d'extorquer des informations à Balam.
Le jeune morgan reste planté là, à observer l'ancien guetteur. Le soignant n'est pas encore arrivé, mais il hésite. Il a sa mission, certes, une mission difficile et délicate qui va lui laisser des stigmates et le changer à jamais. Mais est-il bon de savoir ce que même son maître semble ignorer ?
Sur le bateau vers Odrialc'h
Sa tresse pend dans son dos comme un serpent de cendre, alors qu’elle se dirige d’un pas vif vers l’embarcadère. Les ordres de Candice ont été clairs, et June n’a eu aucun mal à obéir à son nouveau maître. Rends toi immédiatement à Odrialc’h, le bateau partira ce soir. L’ancien port d’Eel est calme : les soldats qui l’attendent ont déjà embarqué, et elle a obtenu facilement les autorisations nécessaires à son départ.
June accélère. Candice était d’une humeur massacrante, comme d'habitude seulement, elle ignore si Helouri l'a mis au courant de la participation de Leiftan Tuarra à la mission de sauvetage. La jeune femme esquisse une grimace : la fée a été infecte avec elle, même si ses remarques lui passent désormais loin au-dessus de la tête, la colère de Candice s’ajoute à la rage qui bouillonne déjà en elle et l’atmosphère saturée d’agressivité de leurs discussions finit toujours par lui donner mal à la tête. D’autant qu’elle doit prendre sur elle pour ne pas insulter son maître : il n’est plus en cage, il serait idiot de mourir avant d’avoir exterminé Sexta et son joli petit cartel.
La détermination de la soldate flanche l’espace d’une seconde lorsque ses pieds rencontrent l’embarcadère. June ne sait pas nager, si le bateau coule, elle sera bonne pour nourrir les poissons. Elle souffle, inspire puis se force à reprendre son chemin. C’est le seul moyen pour atteindre la cité. Candice lui a dit qu’Helouri viendrait aussi, mais qu’il l’emmènerait avec lui, et qu’elle partirait devant. Pas en ces termes, évidemment, les mots idiot, poisson et quelques insultes avaient été prononcés. June avait répondu d’un vague haussement d’épaule. Qu’il fasse bien ce qu’il voulait d’Helouri, elle s’en fichait complètement. S’il voulait risquer sa vie pour prouver au monde qu’il n’était pas un incapable, grand bien lui fasse.
Elle atteint le pont supérieur d’un bond léger, resserre son manteau autour de ses épaules et jette un regard morne autour d’elle. Dans le bateau, quelqu’un est supposé l’attendre pour la préparer au combat, pour les Abysses et pour plus tard, mais elle ne sait pas de qui voulait parler Candice. Non pas que ça lui importe, elle aimerait juste commencer au plus vite, et elle n’a pas envie de faire la conversation aux inconnus. D’ailleurs, quand elle aperçoit l’un des soldats mentionné par la fée, elle se contente d’un hochement de tête glacial.
— Évite de sourire, tu vas attraper des rides.
Lorsque June se retourne, elle a l'impression de voir double. Ici, il se permet de découvrir son visage car le Chef de la Garde Absynthe se trouve à Albacore, alors tant que l'on ne s'est pas encore aperçu de sa disparition, Nelladel ne risque rien. N'empêche que Candice doit sacrément être ennuyé pour sortir un dava estropié de l'hôpital…
Nelladel adresse un clin d'œil à June avec un signe de la main. Puis il tapote le sol près de lui en ajoutant :
— Aller, chère Dame. Notre bien-aimé Maître tout puissant est d'une humeur de blackdog, alors j'aimerais commencer le plus tôt possible, histoire de pouvoir garder mon autre jambe.
L'elfe lance un regard à celle qui est déjà blessée et qui guérit trop lentement à son goût. Pour le voyage, on lui a posé une attelle, mais ça reste tout de même gênant.
— Evite de te jeter sur sa trompe, alors, ironise-t-elle en croisant les bras. C’est toi, mon professeur ?
Elle lui jette un regard méprisant : jusqu’ici, l’elfe n’a pas prouvé grand-chose en dehors d’une capacité impressionnante à se jeter dans les ennuis et à prendre des décisions douteuses. D’autant plus qu’elle doute qu’un estropié puisse lui apprendre à se battre contre Sexta. Contre Fawkes, peut-être, quoiqu’elle n’est pas certaine d’avoir besoin de lui pour ça. À moins qu’il ne veuille lui montrer comment prendre l’avantage sur quelqu’un qui ne peut utiliser qu’une seule jambe ? Candice doit être vraiment désespéré si ses options se résument à Nelladel, Helouri et elle.
— Ne jamais se fier à ce que l'on voit, conseille Nelladel en levant un doigt.
Il peut comprendre qu'un pauvre estropié victime d'un plan idiot ne fasse pas rêver, mais l'elfe reste un brigadier et d'après Candice, son savoir servira à quelque chose. Si ça peut lui faire plaisir…
— Avant de me retrouver en prison, j'étais brigadier au Ragnarok. Tu sais, les gens qui vivent en enfer pour que vous autres, ici, vous puissiez manger. Alors peut-être que devant l'autre abruti de Clarimonde tu as pu me maîtriser, très chère, mais même avec une seule jambe, je paris que tu n'arriveras pas à me faire tomber.
Cette fois, Nelladel n'est ni en prison, ni à l'hôpital. Il n'est plus désespéré ni en colère, simplement résigné. Comme dans le Ragnarok, avant une ruée vers un portail. Il est plus reposé et il a pu manger autre choses que les rations que les soignants lui donnaient, alors il se sent plus en forme.
— Arrête, tu vas me faire chialer, grogne June. On commence ou tu comptes me raconter ta vie d’ici à ce qu’on arrive ? Parce que pour l’instant, tu te débrouilles bien à bavasser, mais j’ai pas vu grand-chose d’autre.
Elle enlève son manteau et le pose sur une caisse, avant de lui adresser un haussement de sourcil peu amène. Nelladel pousse un soupir à fendre l'âme, comme en proie à un profond ennui, puis attrape quelque chose avant de tenter de se mettre debout. June peut voir qu'il s'agit d'une grande béquille en bois, sur laquelle il s'appuie et d'un point de vue extérieur, Nelladel ressemble à un grand-père. Loin de lui, l'image du fier combattant censé enseigner quelque chose.
— Qu'est-ce que ça me lance… grogne-t-il.
Puis, sans crier gare, il appuie tout son poids sur sa jambe valide et se sert de sa béquille comme d'une arme pour frapper trois coups : une fois dans les mollets pour provoquer un déséquilibre, une autre dans le plexus pour couper la respiration et le dernier, c'est une main qui vient agripper le cou de June. Il la repousse avec violence, puis indique :
— Enchaînement de base contre les patients du département hospitalier. Tout bon brigadier à tout intérêt à éviter d'être touché. Vas-y. À toi, c'est facile.
Elle esquisse un sourire amusé en crachant un peu de salive sur le pont. Nelladel est un peu plus prometteur que prévu, et au moins, la douleur l’empêchera de penser. June observe l’elfe avec attention. Elle est plus petite que lui, plus agile parce qu’elle a ses deux jambes, c’est donc à qui se fatiguera en premier. Elle s’avance en prenant un air appliqué, les yeux dirigés vers les jambes de Nelladel, comme il vient de lui montrer. Mollet, plexus, cou, c’est l’enchaînement qu’il veut qu’elle fasse, alors June joue la parfaite élève.
Sa jambe se plie, comme pour donner le premier coup. Ils sont bien au nombre de trois, mais c’est son coude qui vise la mâchoire, son pied la béquille et son genou le bas-ventre.
— On n'abîme pas les dents de son professeur, soupire l'elfe.
Il cogne le pied de June avec sa béquille, frappe l'arrière de son genoux et dévie son coude de justesse en prenant une expression effarée. Ensuite, il se place derrière elle, se servant de son appui afin d'y basculer tout son poids, puis porte un coup aux omoplates.
— Ça c'est ce qu'on appelle un coup bien placé ! Pratique contre des entités qu'il vaut mieux éviter de regarder.
Ensuite, Nelladel revient se placer dans le champ de vision de June, puis lui adresse un sourire mutin. Il lui a montré un enchaînement, puis une feinte, alors maintenant c'est à son tour :
— Tu sais te battre, c'est sûr et certain. Alors vas-y, recommence. T'as qu'à imaginer quelqu'un que tu détestes à ma place. Tiens… Fais avaler sa trompe à notre Maître adoré, ça te fera du bien !
— Qu’est-ce qui te fait croire que je t’apprécie ? ricane June en essuyant sa lèvre supérieure.
Après tout, on pourrait dire que c’est à cause de lui qu’elle se retrouve sur ce bateau. Mais elle n’a pas besoin d’imaginer Candice, la seule personne qui occupe ses pensées, c’est Sexta, et son cartel.
Elle recommence, ses gestes en tout point identique à sa première attaque. D’abord le mollet, mais cette fois en regardant directement la mâchoire. Son coude part, et au dernier moment, elle se baisse pour balayer le sol de sa jambe droite, en direction du genou sain de Nelladel. Puis elle se sert de son élan pour basculer et s’éloigner hors de portée de l’elfe. Ce dernier chancelle, mais récupère vite son équilibre. Adressant un sourire chafouin à son adversaire, il réplique :
— Il paraît que je suis adorable !
Puis il fond sur June pour recommencer l'enchaînement, beaucoup plus vite cette fois. Ce n'est pas difficile, c'est toujours le même, toujours la même feinte mais puisque la jeune faelienne est petite, il lui suffit d'être rapide pour gagner.
— Quand tu m'auras fait tomber, on fera un autre exercice, ajoute-t-il en l'invitant à attaquer.
Elle ne lui fait pas l’aumône d’une réponse. Sans perdre une seconde, June s’adapte à l’enchaînement de Nelladel pour se concentrer sur sa jambe valide. Elle esquive en tâchant de se mettre hors de portée, et cherche la moindre occasion pour racler le genou sain de l’elfe, afin de le forcer à s’appuyer sur l’autre, plus fragile. Ses jambes balayent le sol, ses coudes fusent, avec des cibles précises en tête : mâchoire, bas-ventre, genou, plexus. Les coups qu’elle prend en retour la font à peine ralentir, elle traite la douleur comme une information inutile, peu importe ce que ça lui coûtera au réveil demain matin. Elle a presque réussi à faire tomber Nelladel en donnant un coup dans sa béquille et l'elfe a juste eu le temps de se rattraper de justesse. Un léger sourire en coin, il bloque un coup de coude et en encaisse un autre au plexus. Nelladel se met à tousser, puis protège sa jambe valide de justesse en arguant que June apprend vite. Ils continuent de combattre, l'une tâchant de faire tomber l'autre qui a beaucoup trop d'équilibre à son goût pour un estropié, lorsque soudain, Nelladel demande :
— Quand Sexta sera morte, tu feras quoi ?
— Je tuerais le reste du cartel, en commençant par le renard, halète June. Qu’est-ce que ça peut bien te faire ?
Elle tape, esquive, met en œuvre tout ce qu’elle sait pour atteindre son objectif. Nelladel tombera, même si ça doit lui prendre toute la nuit. La béquille devient une cible elle aussi, tandis qu’elle s’efforce d’échapper à l’elfe pour le fatiguer.
— Et la licorne, Ryan, tu veux la tuer aussi ? Une maman qui a deux filles ?
Nelladel alterne entre son pied et sa béquille pour garder son équilibre. June se débrouille bien, elle peut devenir forte, plus qu’un brigadier si elle suit les enseignements de la Capitaine.
— Et quand il n’y aura plus de cartel, tu feras quoi ?
— Elle connaît les risques, et je m’en tape de ses gamines, un orphelin de plus ou de moins, ça changera pas la face du monde.
Elle accélère encore, jetant toutes ses forces dans le combat. Nelladel est fort, mais il se fatiguera, ils finissent toujours par fatiguer. Surtout s’ils doivent jongler avec une béquille. June accentue les points stratégiques, ceux qui font mal. Certains de ses coups sont peu conventionnels : gifle à la tempe, talon dans l’aine, parade approximative avec son avant-bras pour mieux viser la gorge ensuite… Elle attend l’opportunité pour foncer sur l’elfe et le jeter à terre de tout son poids. Quand il n’y aura plus de cartel…
— Après, je m’en fous, halète-t-elle.
Elle ne sert Candice que parce qu’il lui a promis la tête de Sexta. Si son maître ne lui fournit pas un autre but, elle en changera, c’est aussi simple que ça.
Un autre coup, plus fort que les autres et Nelladel finit par chanceler, puis chuter en arrière. Il atterrit douloureusement sur les fesses et sa béquille tombe sur sa jambe blessée en lui arrachant un cri de douleur.
Le souffle court, Nelladel lève une main pour essuyer son front en sueur, ébouriffant ses cheveux trempés. L’exercice a puisé son énergie et sans l’adrénaline du Ragnarok, elle mettra plus de temps à revenir. Mais il redresse le buste et lève la tête vers June en laissant échapper un petit rire. La, il passe la main sur son visage et lance d’un ton badin :
— Attention, soldate, tu vas finir par ressembler à notre Maître adoré. En fait c’est bien parti…
Nelladel se saisit de sa béquille et s’appuie dessus afin de se remettre debout. Il souffle un grand coup, puis file s’adosser au bastingage. June le rejoint pour offrir son visage au vent et savourer un répit bienvenu. Elle ferme les yeux. La mer lui fait peur, mais l’air salin est agréable, même si elle rêve de prendre un bon bain pour se débarrasser de la transpiration. Les piques de l’elfe ne l’atteignent pas. Candice est un imbécile insolent bourré d’égo, mais il est fort, et c’est tout ce dont elle a besoin.
— Candice s’accorde beaucoup trop d’importance pour que je lui ressemble, réplique-t-elle d’une voix sourde. Jusqu’ici, c’est de la Capitaine dont je m’inspirais, et ça ne m’a mené nulle part. Mais si tu as un autre modèle à me proposer, n’hésite pas, Nelladel.
Elle rouvre les yeux et se tourne vers lui, les bras posés sur le bois du bateau.
— Qui est-ce qui t’inspire, brigadier ? À qui est-ce que tu ressembles ? Mentalement, du moins, parce que pour ce qui est du physique, j’ai vu ton frère de suffisamment près pour ne pas avoir besoin de poser la question.
Nelladel lui sourit. La nostalgie s'est emparée de son esprit et quand June lui pose cette question, un seul visage s'impose à lui. Il est de retour au Ragnarok, parmi les horreurs changeantes qui régissent cet endroit qui est nulle part et partout à la fois, mais surtout auprès de l'homme le plus noble et le plus digne qu'il n'ait jamais rencontré.
— Quand j'étais encore dans le Ragnarok, raconte l'elfe, j'ai connu deux chefs. Le premier est sûrement le faelien le plus digne que je n'ai jamais connu, la seconde était pire que les entités.
Nelladel lui parle de Lance Batatume. Le nom de famille dit forcément quelque chose à June, puisqu'il n'est nul autre que le frère du Chef de l'Obsidienne, Valkyon Batatume. Les raisons pour lesquelles Lance est devenu brigadier, Nelladel ne les a jamais connues, mais contrairement à lui, ça n'était pas par pure bêtise ni égoïsme. Lance aimait sa famille et à chaque fois qu'il parlait de son frère, c'était pour confier à quel point il était fier de lui et comment il aurait aimé le voir devenir Chef de l'Obsidienne.
— Le Ragnarok est un endroit changeant, explique Nelladel, qui peut devenir n'importe quoi. La seule façon de survivre, c'est de savoir sur quoi on va tomber et comment le combattre ou s'en échapper. La plupart des chefs lâchent leurs brigadiers comme on jette de la viande en pâture à des blackdogs. Les plus forts atteindront les portails et réussiront leurs ruées, les plus faibles mourront. Mais Lance n'était pas comme ça. Il a passé ses dix années au Ragnarok a écrire des règles de survie comme des comptines. Il était un explorateur et même s'il avait peur, il faisait ça pour notre bien. Les trois coups que je t'ai montrés tout à l'heure, ce sont ceux qu'il m'a appris quand je suis arrivé dans le Ragnarok.
Nelladel se souvient de chaque règle écrite par Lance et il s'en rappellera jusqu'à sa mort. Il se souvient aussi du visage volontaire de ce faelien qui savait porter la terreur de ses brigadiers sur ses épaules et leur répéter qu'après dix années d'enfer, la Terre leur apportera le paradis. D'ailleurs, Lance vit en ce moment dans ce paradis et il le mérite.
— À côté de Lance, grogne Nelladel, Candice n'est qu'une entité pourrie du Ragnarok. La pire de toutes.
— Tu dois sacrément tenir à ton frère pour échanger un paradis contre Candice, murmure June. Il a bien de la chance.
Nelladel aussi a eu de la chance d’avoir un mentor comme Lance. Elle n’a eu que Joseph, dont la bonté et la gentillesse ne l’ont pas préparé à affronter la cruauté du monde. Elle n’a eu que Cristal, dont la douceur et la sensibilité lui ont fait croire qu’elle avait sa place quelque part. Elle n’a eu qu’Helouri, dont la faiblesse était un poids qu’elle est soulagée de ne plus porter. Valkyon était un Chef, mais il n’a jamais su lui offrir cette vénération que Nelladel octroie à Lance. Rose était un traître, Sexta aussi sauvage que Candice… Et quand le monde s’est retourné contre elle, June n’a plus compté pour personne, elle a été abandonnée par cette famille qui avait juré de l’accueillir, et aujourd’hui, si elle est en route vers la mort sous la houlette d’un maître qui se fiche de sa vie, c’est parce que personne ne s’est soucié d’elle comme Lance se souciait de ses brigadiers.
— C'est ma conscience qui m'a ramené vers Eldarya, souffle Nelladel, je ne sais pas si elle a bien fait, mais c'est trop tard.
Il ignore s'il regrette ou s'il se sent soulagé. Il aimerait penser qu'il s'en fiche, mais il est incapable de se mentir à lui-même, alors il verra bien.Les Choix
Après une entrevue violente avec Candice, Helouri réalise qu'il ne l'a toujours pas averti à propos de la présence de Leiftan Tuarran pour la mission de sauvetage de Cristal Ael Diskaret. Alors que Helouri tente de rattraper Candice, il surprend ce dernier non loin de la cour extérieur de l'hôpital d'Albacore, en compagnie de Balam. Candice cherchait visiblement à lui extorquer des informations et il en a appris une qui l'a visiblement très contrarié.
De ce que Helouri a compris, Balam et Rose sont les nouveaux dava de Delta Milliget, la reine des fées et il semblerait que bien qu'elle soit la mère de Candice, cette dernière ne lui dit pas tout. Helouri a sa mission, mais devrait-il chercher à en savoir plus ? Si oui, que devrait-il faire ?
➜ Aller parler à Balam avant l'arrivée du soignant. (Helouri ira prévenir Candice pour la présence de Leiftan juste après sa conversation).
➜ Ne rien faire du tout et rentrer étudier à la maison (Candice ne sera pas prévenu pour la présence de Leiftan).
➜ Aller parler à Rose Clarimonde. (Helouri n'aura pas le temps de prévenir Candice après sa conversation).
➜ Ne rien faire et attendre Candice sur la place centrale d'Albacore afin de le prévenir de la présence de Leiftan pour la mission aux Abysses.
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous ! (^_^)/
Avec du retard, certes ! La vie IRL a été assez chargée ces derniers temps donc fatalement, la bonne organisation d'Apotheosis en prend un coup. Comme je vous l'avais promis, le chapitre est plus long et vous avez toujours un aperçu du grand palais d'Odrialc'h grâce à Hélios, le personnage de MayaShiz. D'ailleurs, de nouveaux personnages invités vont faire leur apparition et ce, dès le prochain chapitre !
Bonne lecture à vous ! (^_^)/
Chapitre 4 - Mère et Fils
Réminiscences
Parmi les centaines de candidats, sa mère n'en a retenu que sept. Les espèces les plus rares, les personnes les plus belles et les esprits les plus intelligents. Sheraz est un elfe malade, faible et famélique, mais il porte le nom d'Alfirin, alors il mérite un serviteur personnel à la hauteur de son patronyme. Le choix est le sien et les sept finalistes d'exigeantes sélections l'attendent dans un petit salon, à l'entrée du grand palais. D'ordinaire, c'est ici que les nobles gens reçoivent leurs invités venus de l'extérieur. Cette pièce est symbolique : vous êtes assez importants pour vous tenir ici, mais pas assez pour avoir le privilège de voir l'intérieur du palais.. Sheraz pousse un soupir. Il a la sensation que son long gilet pèse trop lourd sur ses épaules et il se sent fatigué. Du haut de ses quinze ans, il ne s'imagine pas donner des ordres à qui que ce soit, mais ses parents ont été très clairs sur la nécessité d'avoir un serviteur personnel. De toute façon, Cylia, la servante de sa mère, finira par en avoir assez de s'occuper de lui. Il a été prévenu.
Fort heureusement, Sheraz peut compter sur quelqu'un. Il a été convenu de le rencontrer dans le couloir, non loin des grandes portes, lorsqu'il pourra échapper à la surveillance de son frère. C'est difficile et il se fera sévèrement réprimander, mais Sira n'en a que faire. Quand il apparaît enfin, son long voile hivernal sur ses épaules comme un châle, drapé de sa robe bleue et ses boucles d'un rose pastel lâchées sur sa silhouette, Sheraz se sent beaucoup mieux. Sira se hâte, trottinant à petits pas et quand il arrive à sa hauteur, il souffle un grand coup, comme s'il avait couru une longue distance. La fée Milliget est plus grande d'une tête, alors Sheraz doit lever la sienne pour la regarder, mais il a l'impression que la fatigue est déjà loin.
— Pardon, Sheraz ! s'excuse Sira d'une petite voix, ça n'a pas été facile. Shelma a voulu que je lise un petit peu.
— Ce n'est pas grave, sourit l'elfe.
Sira est venu avec lui et c'est tout ce qui compte. Peu importe que la mère de Sheraz ou l'un des frères de Sira, le plus impétueux, n'apprécient pas leur relation, ça ne leur importe pas. Le visage de la fée Milliget retrouve de sa lumière et elle lève un doigt pâle pour venir toucher le front de son ami, puis le glisser afin de dessiner l'arrête de son nez. Sira le trouve joli. Il dit que tout est joli chez Sheraz, et ce dernier pense la même chose de cette fée qui a le pouvoir de transformer son cœur en tambour. Quand ils sont tous les deux, Sira se sent moins idiot et Sheraz, moins malade.
— Allons-y, intime l'elfe d'une voix douce.
Son ami hoche la tête, puis ils se dirigent tous les deux vers la pièce où attendent les sept finalistes. Sheraz et Sira mêlent leurs doigts jusqu'à la porte. C'est un instant que personne ne peut leur voler et quand ils s'approchent du grand panneau de bois sculpté et verni, ils se séparent à regrets. Là, Sheraz prend une grande inspiration. Il refuse de porter le masque de la noblesse qui va faire son petit marché parmi des êtres faeliens. Il ignore encore comment il va choisir, mais il en a l'obligation.
L'elfe Alfirin ouvre la porte. Là, sept silhouettes l'attendent, dignes, le dos droit, merveilleusement apprêtées et maquillées. Mère lui a dit qu'il y avait un fils de Charybde et Scylla, une espèce antique, un phoenix, une atalante, un kitsune à neuf queues, une sylphe, un ifrit et une amarok. Mère a bien choisi, comme toujours. Ces sept personnes ressemblent à des gravures, à des êtres tout droit sortis d'un tableau et Sheraz se sent même si petit à côté d'eux. La présence glacée et rassurante de Sira l'aide à ne pas se tasser sur lui-même, alors que ses yeux noisette observent les sept finalistes l'un après l'autre.
Si beaucoup baissent les yeux en signe de respect, deux prunelles vertes croisent les siennes, pétillant de joie et de malice. Elles appartiennent à une fille de son âge, dont les boucles rousses soigneusement coiffées forment une auréole autour de son visage mutin. Elle le toise, souriante, comme si elle aussi cherchait à le juger.
Son regard passe sur l’elfe qui semble se perdre dans son gilet trop lourd, sur ses traits fins, ses longs cheveux et son teint trop pâle. Il accroche la fée qui l’accompagne, et la curiosité vient se loger dans son sourire. Mais ce n’est pas là le maître qu’on lui demande de servir, et si Hélios est prête à dédier sa vie au grand palais pour se plonger dans le luxe, elle ne souhaite pas pour autant la donner à n’importe qui.
Sheraz se sent perdu. Comment choisir un serviteur parmi toutes ces personnes ? Que doit-il regarder ? Doit-il leur adresser la parole ? Il n'en sait rien du tout. Il ferme brièvement les yeux, empêchant la détresse de s'y loger, puis se met à marcher d'un pas tranquille en faisant mine d'observer les finalistes. Là, son regard noisette accroche celui de l'atalante, mais aussi à son sourire. Sheraz avise ses cheveux flamboyants, puis passe en revue les autres faeliens. Il remarque qu'ils évitent tous de le regarder, mais aussi de regarder Sira dont la présence glaciale a l'air gêner certains d'entre eux. La fée Milliget quant à elle, ne semble pas le remarquer. Sa curiosité candide la pousse à s'intéresser aux queues fournies du kistune, aux oreilles d'albâtre de l'amarok ou bien à la peau rouge de l'ifrit. Il a appris que les enfants de Charybde et Scylla possédaient une seconde mâchoire cachée dans leur ventre, alors il demande à celui qui est présent s'il peut la lui montrer et ce dernier lance un coup d'œil perplexe à Sheraz. L'elfe Alfirin secoue la tête et si Sira semble déçu, ses yeux bruns pétillent face à la crinière impressionnante de l'atalante.
— Ozoh mivshe phah… souffle-t-il.
Un large sourire étire ses lèvres, puis hésitant, Sira s'approche de l'atalante et lui chuchote, comme s'il craignait de la déranger, s'il peut toucher ses cheveux.
Hélios lui adresse un joli sourire. Il fait froid, aux alentours de la fée, et elle trouve ça désagréable, elle qui a besoin du soleil pour vivre. Pourtant, la candeur de Sira lui rappelle celle des enfants avec qui elle aime jouer quand elle a un peu de temps, alors elle secoue ses boucles pour les faire bouffer, tout en penchant la tête vers Sira.
— Bien sûr, chuchote-t-elle d’un air complice. Mais n’en dites rien à monsieur, ce sera notre petit secret.
Elle jette un regard amusé à Sheraz, qui ne peut rien perdre de cet échange. Il lui fait l’effet d’un adulte dans une enveloppe trop grande. Il essaie de se montrer digne, mais son malaise est palpable, et Hélios se fait la réflexion qu’il a dû grandir dans un cocon rigide, qui ne lui laisse pas la place pour déployer ses ailes. Pour elle qui vénère la liberté, c’est étrange, et excitant aussi.
La fée Milliget tape dans ses mains, ravie, puis fait glisser les mèches rousses entre ses doigts fins. Sheraz les observe, l'air attendri. Son ami a été conquis par l'enthousiasme pétillant de l'atalante, mais aussi par sa douceur presque maternelle. Elle est moins rigide que les autres finalistes, moins repoussée par la présence de Sira, malgré le froid qui se dégage de sa personne. Il a beau être naïf, innocent, avec une âme d'enfant qu'il a gardé en lui à cause de sa maladie de l'esprit, paraît-il, Sira a toujours été attiré par les gens qui sont vrais et ici, par le côté solaire de l'atalante.
Je ne sais pas choisir mon serviteur personnel, mais je choisis de faire confiance à Sira.. Finalement, tout est simple. Alors Sheraz s'approche, presque embarrassé et quand il rive ses yeux noisettes dans ceux de l'atalante, il tente de rester digne sans y arriver. Il joint les mains sur son ventre, puis lui demande d'un ton qu'il veut solennel :
— Je suis Sheraz Alfirin et ces sélections ont eu lieu pour moi. Au nom de la famille Alfirin, je souhaite que vous deveniez ma servante personnelle.
Hélios le juge un instant supplémentaire. A-t-elle envie de dédier sa vie à ce garçon trop petit pour ses responsabilités ? Son regard passe de Sira à Sheraz, puis son sourire se fait doux. Pourquoi pas. Mieux vaut un maître dépassé qu’un maître désagréable. Alors, gracieusement, l’atalante s’incline en faisant tinter ses bijoux.
— Je me nomme Hélios, jeune maître. C’est un honneur d’entrer au service de votre famille, et de me tenir à vos côtés pour le restant de mes jours.
Elle se redresse et plonge ses yeux verts dans ceux de Sheraz. Il l’a choisie, mais mieux encore, elle l’a choisi pour être son maître, et elle lui sera désormais loyale.
Elle a pu entrer dans ses appartements l'après-midi même et commencer son apprentissage auprès de Dame Cylia. Cette dernière était rigide et parfois dure avec elle, mais la gentillesse et la douceur de son nouveau maître ne lui ont jamais fait regretter son choix.
À l'heure du thé, le grand palais d'Odrialc'h
Toute la jeune noblesse du grand palais s'est réunie dans le petit salon près des jardins. La grande porte-fenêtre laisse entrer la lumière naturelle et offre une vue imprenable sur le paysage magnifique, modelé par les meilleurs jardiniers d'Eldarya. Bien souvent, après le thé, beaucoup de jeunes gens apprécient de s'y promener ou bien de jouer à un jeu bien singulier où il est question de faire passer une balle à travers des anneaux, à l'aide d'un maillet.
Comme tous les autres nobles, Sheraz est convié à l'heure du thé. Qu'il se sente fébrile ou non, il doit faire bonne figure et acte de présence au nom de la famille Alfirin. Ce genre de moment, bien que convivial, est surtout un moyen de mesurer la grandeur d'une famille et de montrer ses atouts. Sheraz a toujours la hantise de faillir devant autrui. Il doit rester du début à la fin car il est mal avisé de s'éclipser en plein milieu du goûter. D'ailleurs, il devra manger et tout garder jusqu'à la fin.
Lorsqu'ils arrivent sur les lieux, avec Hélios, Sheraz avise que ses camarades sont déjà présents. Il y a là Faust Fontaine, accompagné de Liu Wan Zi, son serviteur personnel. Faust est connu pour s'intéresser aux pseudo-sciences de l'esprit ainsi qu'à la philosophie. Pour satisfaire ses conversations complexes, il lui fallait un serviteur doté d'un esprit érudit comme le sien et c'est Wan Zi qui a remporté les sélections. Pourtant, à les voir, ils ressemblent à des antonymes. Wan Zi arbore toujours des tenues rouge et or rappelant les Côtes de Jade ainsi que Ningjing, sa cité d'origine. Il rassemble ses très longs cheveux sombres en une natte épaisse dans laquelle il mêle accessoires et fils d'or. Son visage exprime toujours une grande patience et une sérénité sans pareille et quand il s'exprime, c'est toujours d'une voix très posée.
Faust Fontaine, lui, est la somme de l'éducation sévère de ses parents. Il est un elfe noir à la longue chevelure de jais, rassemblée en une queue de cheval basse et il porte des tenus très classiques. Il aspire à travailler pour le pôle judiciaire d'Odrialc'h et il a toutes les chances d'y arriver puisque de tous les jeunes nobles rassemblés en ces lieux, Faust est de loin le meilleur élève. Cela fait toujours grimacer Ekaterina Orécaille, de l'illustre famille de brodeurs Orécaille.
Ekaterina se présente en compagnie de sa grande sœur, Olga. Les deux sirènes aux cheveux d'or et aux robes vaporeuses ressemblent à de magnifiques poupées. De ce que sait Sheraz, leurs parents discutent beaucoup d'un potentiel mariage entre Ekaterina et Faust, mais la première s'y oppose fermement, n'hésitant pas à caractériser Faust comme quelqu'un d'insipide et d'ennuyeux.
De toute façon, l'heure du thé est surtout l'heure des faux semblants et Sheraz est fort heureux que les serviteurs puissent accompagner leurs maîtres. D’ailleurs, Hélios s’avance, tout en grâce et en délicatesse, pour l’annoncer d’une voix claire. Ses yeux verts parcourent l’assistance, gardant pour eux ce qu’elle pense des jeunes nobles et de leurs serviteurs. Elle se fend toutefois d’une révérence pour les premiers, et d’un sourire pour Wan Zi, comme le lui a demandé sa maîtresse.
Pourtant, Hélios n’en pense pas moins. Les Orécaille sont belles, mais elle n’a jamais réussi à leur faire confiance. Si on lui avait demandé de les servir, Hélios aurait refusé. Personne ne sait ce qu’il se passe derrière leurs visages de poupée, et elle doute que les deux sœurs soient aussi gentilles que Sheraz. Quant à Faust, il est effectivement insipide, comme se plaît à le rappeler Ekaterina. Hélios l’aime bien, parce qu’il est amusant de le taquiner. Bien sûr, elle ne s’y risque pas frontalement. Elle le fait quand elle danse pour le plaisir des nobles, car il suffit d’un regard un peu plus appuyé ou d’une pirouette particulièrement audacieuse pour faire rougir l’elfe noir.
L’atalante s’écarte pour laisser Sheraz entrer. Elle veille discrètement sur lui, car elle sait que l’heure du thé est toujours difficile. Hélios jette un oeil aux pâtisseries disposées sur la table, repérant les moins lourdes, les plus faciles à digérer, réfléchissant déjà à la meilleure façon de les présenter à son maître pour qu’il puisse manger en petites quantités, sans éveiller les soupçons des autres nobles quant à sa santé connue pour être fragile.
— Ah ! Sheraz Alfirin ! s'exclame Ekaterina en tapant dans ses mains, je suis vraiment contente de vous voir !
La sirène lui adresse un sourire resplendissant mais à en aviser la moue déçue que sa grande sœur tente de masquer à tout prix, la présence de Sheraz a dû être le sujet d'un paris. Faust Fontaine le salue d'un ton poli, de même pour les autres jeunes de plus petite noblesse et le goûter peut enfin commencer. Sheraz s'installe près de Faust, comme le souhaite ses parents. Il a appris la décision de sa mère concernant Hélios et bien qu'il s'y attendait, il ne peut pas s'empêcher d'être mal à l'aise pour cette dernière. D'ailleurs, Wan Zi a dû également recevoir des consignes très claires de la part de ses propres maîtres car lorsque Hélios commence à vouloir servir le thé, il s'empresse de lui apporter de l'aide. Le ballet n'échappe pas aux Orécaille, bien entendu.
— Nos parents ont rapporté du thé aux épices, avec de la coriandre, du curcuma, de la réglisse et des clous de girofles. Voudriez-vous y goûter ? propose Olga.
Sheraz s'empresse de grimacer. Il déteste ce thé qui lui donne mal au ventre. C'est comme la dernière fois où on a absolument voulu lui faire goûter du café. Il n'a pas pu garder ce qu'il avait mangé, tant son estomac exécrait cette boisson amère et grasse.
— Merci, Olga, mais je pense me laisser tenter par un thé à la lavande et à la bergamotte.
— Si je peux me permettre, intervient Faust, cela vous siéra bien mieux. Je doute que les épices soient adaptées à vos soucis de santé.
Le constat tombe comme un couperet et Sheraz lutte pour ne pas se décomposer. Il respire avec discrétion, puis se hâte de remercier son voisin de table pour sa sollicitude avant de lui assurer qu'il va bien.
— Hum, songe Ekaterina, pourtant nous nous sommes inquiétés ces derniers jours. Vous avez été très malade, paraît-il. D'ailleurs, il suffit de regarder Hélios pour voir qu'elle ne dort pas très bien ! Voyez son teint !
L’atalante ne perd rien de sa grâce quand elle se penche pour servir une petite tartelette aux fruits sucrés à Sheraz, s’assurant au passage qu’il n’y a ni crème, ni acide, puis elle se tourne vers Ekaterina en s’inclinant joyeusement.
— Votre sollicitude me touche énormément, ma Dame, répond-elle. Je crains toutefois de devoir vous contredire : mon teint ne dépend en rien de la qualité de mon sommeil, excellente au demeurant. Voyez-vous, les atalantes ont naturellement une carnation qui rappelle celles des plantes.
Elle se place derrière Sheraz et en profite pour tourner sa main vers les rayons du soleil qui percent la vitre. Sa peau prend de légers reflets verts, qui lui tire un sourire tout juste assez suffisant pour ne pas être perçu comme insolent.
— Le temps était couvert ces derniers jours, fait-elle semblant de déplorer. Telle une fleur dépérissant sans sa douce lumière, il m’est difficile de paraître à mon avantage lorsque sire soleil se montre timide.
Puis elle baisse la voix, prenant un ton complice comme si la conversation était anodine.
— En réalité, ma Dame, mon jeune maître et moi-même avons entendu dire que la coriandre pouvait justement assombrir le teint lorsqu’on la consommait en trop grande quantité. Ce ne sont peut-être que de simples suppositions, mais mon jeune maître préfère prévenir que guérir, il sera dommage de gâcher sa délicate carnation avec cette épice…
— Eh bien, Sheraz, vous avez une servante si intelligente ! commente Ekaterina avec une admiration exagérée, je comprends pourquoi elle est si jolie, c'est une vraie plante !
Mais son regard bleu trahit l'humiliation cuisante qu'elle doit digérer. Sheraz, quant à lui, se sent satisfait d'aviser qu'Hélios s'est défendue. Néanmoins, il sait qu'Ekaterina n'en restera pas là. D'ailleurs, elle choisi de changer de cible :
— Au fait, Faust, est-ce que Wan Zi doit porter du rouge en permanence ? Sa garde-robe est-elle si pauvre ?
— Ne vous préoccupez pas de mon serviteur, je vous prie, réplique Faust pendant que Wan Zi lui sert une part de fondant au chocolat, ce n'est pas pour sa garde-robe que je l'ai choisi.
— Tsss, vous êtes si froid…
La sirène grimace en fusillant Faust du regard. Ce dernier, loin de s'en formaliser, intime à son serviteur de se servir à son tour et conformément aux instructions qu'il a reçu, Wan Zi s'applique à servir Hélios en premier.
— D'ailleurs, songe Olga Orécaille, vous avez entendu parler des derniers évènements qui ont eu lieu au Beryx ? La cité d'Eel qui a été complètement détruite par une fée ! Notre bien-aimée Capitaine a été obligée de se rendre sur place pour réparer les pots cassés ! Si ce n'est pas malheureux !
— Eel est une cité amie. C'est normal qu'elle s'y déplace, fait remarquer Faust.
— C'est aux Milliget de réparer ça ! siffle Ekaterina, je ne comprends pas pourquoi on laisse encore du pouvoir à ces choses volantes ! Après la catastrophe d'Eel, on devrait le leur retirer. Que font nos parents ? Pourquoi ne votent-ils pas ?
La cuillère de Sheraz s'enfonce avec rudesse dans sa tartelette aux fruits. Lorsque Olga a évoqué Eel, il savait très bien que la conversation se dirigerait vers les fées. Parce que les familles de ces riches jeunes gens ont du pouvoir, elles possèdent aussi celui de le retirer à autrui si elles le jugent trop gênant et ce, par le biais d'un vote. Mais peu importe ce que pensent les Orécaille et les Fontaine, personne n'osera s'attaquer aux Milliget. Et ils le savent tous. Seulement, Olga et Ekaterina veulent aborder un sujet en particulier, parce qu'elles comptent toujours obtenir une information qu'elles n'ont jamais eu. Une information que seule Hélios connaît, parce que c'est un secret que Sheraz lui a confié. Alors il lui lance un regard navré, quand personne ne prête attention à eux, car elle deviendra bientôt le centre de l'attention. Mais pour Sheraz, c'est une victoire. Il délaisse sa cuillère, puis confie d'une voix sereine :
— Plutôt que d'évoquer des malheurs, j'aimerais vous partager une bonne nouvelle. Dame Malda a sélectionné la candidature d'Hélios pour les prochaines sélections.
Les figures des sœurs Orécaille valent leur pesant d'or et Sheraz doit avouer qu'il s'en délecte un petit peu. La jalousie pique une pointe dans leurs cœurs alors qu'elles se forcent à féliciter l'atalante avec un sourire trop grand.
— Mes plus sincères félicitations à vous Hélios, ainsi qu'à la famille Alfirin, adresse Faust d'un ton neutre.
Les sélections ne l'ont jamais intéressées et il n'a pas tenu à ce que Wan Zi y participe, alors il s'en moque. Hélios arbore un air humble. Elle n’en veut absolument pas à son jeune maître de faire d’elle le centre de l’attention : contrairement à lui, elle n’est pas dérangée par les regards des autres, et elle préfère que les langues la piquent elle, qui sait quoi dire pour s’en protéger, que lui qui n’est que douceur et gentillesse. Occupée à discuter courtoisement avec Wan Zi, elle se détourne poliment de la conversation pour hocher doucement la tête, les mains sagement croisées sur ses jupons.
— C’est un honneur de servir la famille Alfirin et de la représenter pour cet évènement, répond-elle. Le choix du serviteur personnel de la Capitaine ne sera pas facile.
Hélios picore délicatement sa tartelette, savourant autant son goût acidulé que la jalousie des sœurs Orécaille. Elle en discutera plus tard avec Sheraz, ce sera l’occasion de redonner le sourire à son maître en plaisantant.
— J’ai hâte de voir les candidats, confie-t-elle sur un ton complice. Bien sûr, il est vain d’espérer deviner qui sera fait pour cette tâche, mais je ne peux m’empêcher d’essayer de l’imaginer. Après tout, nous serons tous amené à côtoyer ce nouveau serviteur, alors il n’est pas idiot d’espérer qu’il nous soit sympathique, n’est-ce pas ?
— Je l'espère aussi, appuie Wan Zi, nous menons une entente cordiale entre serviteurs, il serait dommage qu'elle prenne fin à cause d'un élément perturbateur. Mais je fais confiance à Dame Malda pour être bonne juge.
— S'il est si gênant, la Capitaine refusera de la garder et le répudiera. Je ne vois pas pourquoi tout le monde s'inquiète, fait remarquer Faust.
Ekaterina pousse un long soupir en levant les yeux au ciel. Elle marmonne qu'il est vraiment pénible à se sentir obligé de gâcher les conversations avec son pragmatisme… Piquante, elle change de discussion d'un geste de la main, comme si la participation d'Hélios aux sélections ne l'intéressait plus du tout.
— Nous n'avons pas de nouvelles des petits bourgeois. La Capitaine avait emmené les Le Preux avec elle pour s'occuper de la fée qui a fait chuter Eel. J'imagine qu'ils sont toujours coincés là-bas.
Ekaterina se désintéresse de son thé ainsi que de sa pâtisserie pour faire mine de réfléchir, puis elle interpelle Sheraz en tapant dans ses mains comme si elle venait de se rappeler de quelque chose :
— Ah, mais j'y pense ! Sheraz, vous avez des nouvelles de votre ami, Milliget ? Ce n'est pas lui qui a fait tomber, Eel, non ? Je me trompe, ce doit être un autre. Mais puisque vous étiez intime avec l'une des fées Milliget, vous avez peut-être des nouvelles sur ce qu'il se passe ?
— Je suis navré de vous décevoir, répond Sheraz d'un ton calme, mais je n'ai pas de nouvelles de Sira.
— Sira, c'est cela…
Ekaterina et Olga échangent un regard de connivence. Sheraz s'est assombri, alors sa petite joie avec le partage de sa bonne nouvelle a été douchée. Les soeurs Orécaille retournent à leur dégustation, satisfaites et face à Sheraz qui s'est immobilisé, Ekaterina s'enquiert :
— Vous ne mangez pas ? Vous ne vous sentez pas bien ?
L'elfe Alfirin lui lance un bref regard, puis retourne à sa tartelette qu'il mange du bout des dents. Hélios se retient de grincer des dents. Vraiment, entre Faust et les deux vipères, son maître n’est pas aidé. Elle se note mentalement quelques moyens de venger les piques lancées par les sœurs Orécaille. Il existe bien des voies pour celui qui sait chercher, et elle est passée maîtresse dans ce domaine. Les affronts à la famille Alfirin, et encore plus ceux fait à son maître, ne sont pas tolérables.
— Oh, mais suis-je bête ! s’exclame l’atalante en plaquant une main sur son front. Je vous avais promis un récital, jeune maître !
Elle se lève, époussette ses jupes et adresse un sourire resplendissant aux autres participants.
— Ces derniers temps, le jeune maître s’est découvert une passion pour le violon. Il adore l’écouter en mangeant, et je le comprends tout à fait. On savoure bien mieux son repas avec une musique délicate qu’en écoutant les dernières nouveautés du grand palais.
Hélios s’incline et fait quelques pas pour s’emparer d’un instrument, en continuant sur le ton de la conversation.
— Puis-je, jeune maître ?
Sheraz retrouve vite de sa lumière et acquiesce avec joie. La musique d'Hélios a toujours le pouvoir de chasser ses pensées moroses, mais aussi de lui rappeler de bons souvenirs. De plus, il sait que pendant qu'Hélios danse, Faust Fontaine, aussi froid et guindé soit-il, ne peut pas s'empêcher de la regarder, parce que l'atalante est une fleur qui s'épanouit avec le soleil et la musique. Ça a aussi le don de froisser les sœurs Orécaille car même si elles n'apprécient pas le fils Fontaine, si ennuyeux, elles aiment être regardées et quand Hélios danse, elle capte toute l'attention.
— S'il vous plaît, Hélios, lui demande Sheraz avec un sourire plus enthousiaste, pouvez-vous nous jouer le morceau que vous avez composé ? Je ne crois pas que ces messieurs-dames aient eu le loisir de l'écouter. Vous savez, celui que vous avez baptisé La Danse des Soleils Crachés ?
L’atalante s’exécute de bonne grâce. Les premières notes s’élèvent, et avec elle, la danse qu’elle a composé pour la chanson. Tant que son maître sourit, Hélios est satisfaite. Et si elle doit jouer tout l’après-midi pour qu’il continue de le faire, alors elle maniera son archer sans reprendre son souffle.
Il hésite quelques secondes, mais son corps se met à agir de lui-même. Le regard d'Helouri reste rivé sur la silhouette fatiguée de Balam et bien que son manque de courage le pousse à tout ignorer, la raison lui souffle le contraire. Il a besoin de savoir. Il a besoin, aussi, de raconter sa propre mission à autrui dans l'espoir qu'une personne le pousse un petit peu vers le haut.
Helouri est faible et lâche. Les évènements précédents le lui ont prouvé, alors s'il n'est qu'une éponge pleine de couardise qui craint même le savoir, quand il est suspendu à des enjeux, qu'est-ce qu'il peut devenir entre les mains de Candice ? Helouri déglutit, puis s'approche de Balam. Un bref regard vers la cour extérieure de l'hôpital lui montre que le soignant n'est pas encore en route. Il a encore un petit peu de temps. Pourtant, comme face à Candice tout à l'heure, les mots se bloquent dans sa gorge. Le jeune morgan fixe Balam. L'épuisement flotte autour de sa personne comme une aura, mais marque aussi sa figure anthracite. Ses yeux opaques, d'ordinaire si chaleureux et pétillants, luisent d'un éclat terni et fixent un point invisible parmi les abords de la forêt. Le vêtement d'hôpital le rend encore plus faible et même ses cheveux sombres, qui bouclent sur ses épaules, pendent tristement autour de son visage. Le cœur de Helouri se serre. Lui qui a toujours apprécié Balam pour sa bonté et sa grande faculté de regarder au-delà des masques que tout le monde revêt pour cacher sa faiblesse d'esprit, se retrouve face à l'ombre de lui-même.
Laisse-moi devenir, l'ombre de ton ombre, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien.
Un triste sourire ourle ses lèvres. Helouri se souvient de tous ces poèmes et de toutes ces chansons logés dans la mémoire de Balam. L'ancien guetteur aimait partager quelques citations de ses lectures quand il se trouvait un auditoire intéressé et pour celle dont Helouri se souvient, il songe qu'il n'a jamais su ce qu'était un chien. Balam ne le savait pas non plus.
— Bonjour… le salut le jeune morgan d'un ton mal assuré.
Tiré de ses pensées, Balam cligne des paupières, tourne la tête, puis cille quand il reconnaît Helouri. Un frêle sourire étire ses lèvres alors qu'il le salue à son tour et sa fatigue est si flagrante que le jeune morgan se sent presque coupable d'aller le déranger. Machinalement, il tord ses longs doigts fins. Helouri et Balam se fixent, puis l'ancien guetteur lui demande d'une voix très douce ce qu'il fait ici, par un froid pareil. Il a peut-être envie de savoir s'il va bien, d'être compatissant vis-à-vis de la disparition de sa mère qui n'est un secret pour personne ou même des actes de June. Mais Balam ne dit rien de tout cela, alors Helouri prend une grande inspiration, puis répond d'une petite voix :
— J'étais avec Candice Milliget. Je devais le voir, aujourd'hui, parce que… Parce que…
Il s'interrompt. Il n'a pas besoin d'ajouter quoi que ce soit, car le regard navré de Balam indique qu'il a compris. Helouri l'entend pousser un soupir et il songe que dans quelques années, peut-être, l'ancien guetteur fera partie des personnes qui vomiront les fées pour tous les dommages qu'elles apportent et tous les murs, les personnes et les foyers qu'elles détruisent.
Helouri se met à trembler. Il sent les larmes lui monter aux yeux et bien qu'il essaye de les refouler, elles commencent à couler le long de ses joues. L'humiliation quotidienne que Candice lui fait subir couplé à sa propre faiblesse se transforment en tempête qui demande à sortir, alors le jeune morgan cesse de lutter, bien qu'il se sent particulièrement stupide devant Balam. Il aurait aimé posséder cette sagesse et cette sérénité qui lui ont permis de rester de marbre face à la virulence de Candice.
— Tu t'es choisis un maître bien véhément, Helouri, constate Balam d'une voix tranquille.
Ses yeux blancs trahissent sa confusion. Il ne comprend pas les raisons qui ont pu pousser le fils si fragile de Joseph Ael Diskaret à se soumettre à quelqu'un comme Candice, si ce n'est l'absence du libre arbitre.
— C'est… C'est pour maman… bégaie Helouri, … I-il n'y a pas d'autres solutions…
— Je pense qu'il y avait une autre alternative, corrige doucement Balam, ton père aurait retourné le monde pour retrouver son épouse, quitte à se mettre de grandes instances à dos.
Helouri hoche la tête. Oui, Balam a raison, mais c'est Sexta Stoker qui a enlevé sa mère, alors il craint que quand son père trouvera enfin l'entrée des Abysses, il soit beaucoup trop tard. Il paraît que Joseph a supplié la Capitaine de faire cracher cette information à l'ancienne cheffe du cartel des Typhons et Helouri ne sait pas s'il a eu gain de cause. Il imagine que Shakalogat Gra Ysul n'a aucune raison de lui refuser cela, mais il y a peu de chance que la prisonnière d'Odrialc'h se mette à parler si facilement.
— Mais vous, Balam… chevrote Helouri, pourquoi…
Le jeune morgan secoue la tête. Comment l'ancien guetteur, qui a failli mourir de la main d'une fée à pu devenir un dava ? Candice l'a accusé de se cacher dans la robe de sa mère, tout comme Rose, et Helouri ne peut pas croire que quelqu'un comme Balam ait pu se soumettre.
— Je ne l'ai pas voulu, confie ce dernier, mais il semblerait que les choses arrivent et finissent par nous échapper.
— Pourquoi avoir accepté ?
— Pourquoi, toi, tu as accepté alors que tu avais le choix ? Il y a une différence entre se faire mordre par la gueule du black dog et s'y jeter de son plein gré. Tu ne l'as pas fait que pour ta mère, n'est-ce pas, Helouri ?
Helouri ouvre de grands yeux. Là, face aux prunelles opaques de Balam, il a l'impression que l'ancien guetteur est capable de lire dans sa psychée et ses désirs les plus profonds. Il peut naviguer entre les façades, les jardins secrets et les zones d'ombres de chaque être faeliens. Helouri fuit son regard. Il fixe un point invisible sur l'écorce d'un arbre pendant que le lâche se livre un combat avec la vérité. Le premier veut nier. Il s'est soumis pour que Candice puisse sauver sa mère et rien d'autre, mais au fond… Au fond…
Le visage de June se dessine dans son esprit, avec ses yeux améthystes qui sont emplis de dédains pour le frêle morgan qu'il est. Elle le croit incapable de supporter l'intraitable enseignement de Candice, elle pense qu'il n'a aucune chance de participer aux sélections, puis de les remporter, mais Helouri lui prouvera le contraire. Il remplira sa tête d'informations, il apprendra à s'affirmer et il absorbera toutes les règles pointilleuses du grand palais. Il deviendra le page de cette femme qu'il ne peut que rêver de toucher car dans ses rêves les plus enfouis, il est beaucoup plus courageux. Et même s'il n'est rien d'autre qu'un serviteur pour la Capitaine Shakalogat Gra Ysul, cela ne fait rien. Il aura réussi à accomplir l'impossible, sa mère sera sauvée et il sera devenu quelqu'un de beaucoup plus respectable qu'une soldate comme June. La voilà, la vérité et si le regard perçant de Balam a pu en dévoiler une partie, le reste est aussitôt refoulé par Helouri, parce qu'il en a honte.
— Tu sais comment fonctionnent des sélections pour devenir le serviteur personnel d'une noble personne du grand palais ? reprend Balam.
— Comment vous savez que Candice veut m'envoyer au grand palais ?
— Tu viens de me le confirmer.
L'ancien guetteur se met à sourire. Il est parvenu à piéger Helouri, mais ce dernier ne lui en veut pas. De toute manière, il devait déjà avoir une partie des informations, que ce soit par Rose Clarimonde ou bien la reine Delta Milliget elle-même. Balam se redresse quelque peu dans son fauteuil à roulettes. Il porte une main à la position hypothétique de sa blessure, par-dessus la couverture, en grimaçant, puis demande des nouvelles de June :
— Qu'est-ce qu'elle a à y gagner, dans cette histoire ? C'est pour votre mère, aussi ?
Helouri hausse les épaules. Oui, sans doute, mais peut-être que June a d'autres motivations qu'elle n'a jamais évoquées. De toute façon, elle a changé et le jeune morgan se demande s'il peut y faire quelque chose. Elle deviendra une soldate d'Odrialc'h qui se trouvera sous le commandement direct de la Capitaine, conformément aux souhaits de Candice et ensuite, elle passera à la phase suivante du plan. Les anciens et les enfants du peuple des fées.
— J'ai de la peine pour vous, souffle Balam.
— Vous ne devriez pas, répond Helouri d'un ton monocorde, vous aussi, vous êtes dans notre situation.
— C'est différent, sourit l'ancien guetteur.
Helouri se demande bien en quoi c'est différent. Être le dava de Candice ou bien le dava de la reine des fées, c'est la même chose. On devient des minaloo prêts à aboyer dès qu'un ordre est donné seulement, Candice est peut-être beaucoup plus irascible que sa mère.
— Tu vas certainement bientôt partir pour Odrialc'h.
Helouri jette un coup d'œil perplexe à l'ancien guetteur. Dans son for intérieur, une petite voix lui souffle que Balam semble en savoir beaucoup plus qu'il n'y paraît. Peut-être a-t-il même menti à Candice quand il disait tout ignorer de la mission que Delta Milliget projette pour lui.
— Peut-être… répond le jeune morgan, incertain.
Candice a prévu le départ pour bientôt. De toute façon, il ne tardera pas à aller retourner les Abysses pour sauver son frère des griffes de Sexta Stoker. Ensuite, viendra le long apprentissage de la médecine et la préparation des sélections.
— Helouri, l'interpelle Balam.
Il lui fait signe d'approcher. Il aimerait lui dire quelque chose et le temps leur est compté, puisqu'un soignant viendra bientôt le chercher. Le jeune morgan craint ce qu'il va entendre pourtant, malgré sa faiblesse et sa fatigue, Balam lui apparaît plutôt comme une ancre qu'une menace, alors Helouri s'exécute. Il s'approche à petit pas, puis l'ancien guetteur tire doucement sur son bras afin qu'il se penche. Là, il lui murmure quelque chose à l'oreille et bien que cela s'apparente à une corde, le jeune morgan ne sait pas encore s'il doit s'y accrocher.***
La main crispée sur la poignée de son sac, Helouri a la désagréable sensation d'avoir vécu hors de son corps, ces derniers jours. Les heures ont filées aussi certainement qu'une bourrasque et quand Helouri fixe ses chaussures, fichées dans le sable de la baie Cobalt, en contrebas de la cité d'Eel, sa gorge se serre. Il lève ses yeux d'argent vers le bateau sur lequel il embarquera bientôt et cette fois, c'est la peur qui lui prend les tripes.
Helouri ferme les yeux. Dans sa tête, il peut entendre la voix désagréable de Candice, fulminer après Leiftan Tuarran qui se montrera lors de la mission délicate, aux Abysses. Il peut aussi entendre la voix pleine d'espoir de son père, qui s'est empressé de lui porter une bonne nouvelle : l'ancienne cheffe du cartel des Typhons a fini par cracher l'emplacement des Abysses. Joseph ignore comment la Capitaine s'y est prise, mais les premiers soldats d'Odrialc'h et quelques membres de la Garde Obsidienne sont partis. June a quitté Albacore avec eux et Helouri ne l'a pas revue, même avant son départ. De toute façon, les silences trop lourds de leur foyer n'étaient plus vivables, alors c'est mieux comme ça. Ensuite, Candice a décrété qu'il partirait bientôt pour Odriacl'h, lui aussi et a exigé que Helouri le suive, peu importe l'excuse qu'il trouvera auprès de son père. Bien entendu, celle de sa mère a été la meilleure et le voilà sur la plage, face à un énorme bateau sombre qui ressemble à un monstre.
Livide, Helouri observe l'embarcation macabre qui appartient au peuple des goules. Pour le sauvetage de Sira a Odrialc'h, Candice ne subtiliserait pas le navire de sa famille et de toute façon, il a craché que quelqu'un comme Helouri ne pouvait décemment pas y mettre les pieds. Pour cela, il faudrait au moins qu'il soit une ordure acceptable comme Clarimonde l'était. Mais pour voyager dans un bateau de métal noir, dont la coque est hérissée de pointes et l'intérieur peu accueillant, ça ira. La passerelle est déjà baissée et Helouri n'a plus qu'à l'emprunter, mais il reste figé, ses mains serrant tant la poignée de son sac de voyage qu'elles menacent de l'écraser.
Je ne vais pas le supporter. Le jeune morgan se sent incapable de voyager avec Candice et un équipage uniquement composé de goules. Son père lui a bien entendu proposé de voyager avec lui, au sein du second bateau qui partait vers Odrialc'h, deux jours plus tôt, mais Helouri a été contraint de refuser, lui assurant qu'il le rejoindrait plus tard. Candice tient à commencer l'enseignement des règles du grand palais pendant la traversée et quand son maître dit quelque chose, le dava doit obéir.
J'irai à Amzer et je prendrai un navire touristique, avait dit Helouri à son père, comme ça, je passerai voir la maison de papi et mamie et je ne dérangerai personne.
Joseph avait compris qu'il voulait se recueillir dans la demeure de ses grands-parents et n'avait pas insisté. Helouri avait l'impression de prendre son père pour un idiot mais il savait qu'en vérité, Joseph aurait l'esprit plus tranquille en voyageant sans lui. Il pourrait pleinement se concentrer sur le plan pour descendre aux Abysses sans avoir son fils famélique dans les pattes et bien que cela n'était pas avouable pour un père, Helouri le comprenait.
Lorsqu'il entend un sifflement aigüe, le jeune morgan a un sursaut. Ouvrant grand les yeux, il les rive sur le décor sans rien voir d'étrange, puis baisse subitement la tête pour se trouver face à face à une figure ronde aux grands yeux blancs. Helouri se fige alors que la créature rachitique, tassée sur elle-même, sa queue reptilienne fouettant l'air, semble lui porter un grand intérêt. Le jeune morgan avise sa peau noire comme un morceau de charbon, ses cornes striées, filant de chaque côté de son crâne dans des arcs de cercles gracieux. Il remarque sa petite paire d'ailes suspendue à ses hanches, puis ses griffes rougeoyantes. La créature se remet à siffler, impatiente, jusqu'à ce que quelqu'un lui réponde de la même façon. Helouri aurait pu se sentir soulagé d'être ainsi sauvé, si cela ne provenait pas d'une goule.
Un long frisson lui grimpe le long de la colonne alors que ses entrailles se liquéfient. Là, accoudée au bastingage du navire effrayant, la créature appelle son familier en sifflant et le sgarkellogy file la rejoindre. Helouri la regarde s'accrocher à sa taille avant de grimper sur ses épaules, manifestement ravie de se trouver là. Sa compagne, elle, ne lâche pas le jeune morgan du regard :
— Regarde donc ce qu'on a là… susurre-t-elle à son familier.
Ce dernier siffle de plus belle, comme pour manifester son accord et Helouri se tasse sur lui-même. Grande et élancée, la goule est aussi repoussante que ses congénères. Son crâne a une forme assez singulière, si bien que sa mâchoire est poussée vers l'avant comme si elle possédait un bec de chair. Lorsqu'elle sourit, les commissures de ses lèvres minces s'étirent d'une manière trop étrange et déforme son visage de plus bel. Son nez aux ailes si fines qu'elles pourraient se déchirer à tout moment est enfoncé et ses yeux sont étirés tels deux ailes gravées avec maladresse. Helouri avise la longue robe sombre portée par la goule, jurant avec sa peau cadavérique et dont les pièces d'armure finement ciselées ont l'air si tranchantes que la créature pourrait se blesser rien qu'en les portant. Ses cheveux, rassemblés en une queue de cheval haute, sont fins et clairsemés par endroits.
Elle lève un doigt squelettique, puis récite :
— Peau bleue, cheveux nacrés, maigrichon et l'air ahuri. Si ça, ce n'est pas le nouveau petit esclave de Candice, je ne vois pas ce que c'est.
Helouri pique un fard face à ce portrait peu flatteur. De la part de Candice, il ne pouvait pas s'attendre à quelque chose de différent, mais cela n'annonce pas un paisible voyage.
— Monte ! lui indique la goule, ton maître ne va pas tarder à se montrer et ce bateau ne risque pas de s'envoler.
Elle ponctue sa phrase d'un rire si désagréable qu'il ressemble à au cri d'un lapy ashmatique et le jeune morgan déglutit. Hésitant, il finit par mettre un pied devant l'autre, puis à s'engager sur la passerelle sous le regard chafouin de la goule et celui de son familier. Elle lève une main pour le gratter entre les cornes et lorsque Helouri se tient enfin sur le bateau, elle le toise de toute sa hauteur. Il serre tant les lèvres qu'elles forment une ligne mince. Les mains crispées sur son sac, Helouri ravale la peur dans sa gorge trop sèche.
— Si tu te mets à pleurer, je vais te manger. Candice sera sûrement d'accord pour partager.
Le jeune morgan pâlit, ses yeux d'argent écarquillés, mais la goule rit de nouveau en lui flattant le crâne. Enfin, elle ajoute que les fées et les goules n'ont pas le même régime alimentaire.
— Vu que nos deux peuples sont voisins, au moins, on ne se fait pas la guerre pour la nourriture. Rassemble-toi, petite chose ! Commence par me donner ton nom.
Helouri retient une grimace. La voix de la goule est rauque, comme toutes ses congénères si bien que les intonations les plus graves deviennent rocailleuses. Il ouvre la bouche, prêt à former les trois syllabes de son prénom mais ni ses poumons, ni ses cordes vocales n'ont envie de travailler. Tout ce qu'il a à apporter, c'est une pauvre respiration sifflante.
— Bon, soupire la goule, laisse tomber. Tu vas aller te mettre près de ta cabine et tu vas attendre sagement ton maître.
Elle lui indique la descente, dont un escalier permet l'accès aux entrailles du navire et si Helouri parvient à la fixer du regard, ses jambes refusent de bouger. Il réalise que ses muscles sont si tendus qu'ils lui font mal pendant que son esprit lui présente les différents scénarios capables de se manifester dans les prochaines secondes : si Helouri se rend près de sa cabine, il est susceptible de croiser d'autres goules, peut-être moins avenantes que celle qui lui fait face. Si Helouri ne bouge pas, son interlocutrice finira par en avoir assez et perdra sans doute patience. Si Candice le trouve ainsi, complètement figé, il s'agacera de plus belle avant même que le bateau n'ait quitté la baie Cobalt. Finalement, il est préférable pour le jeune morgan d'obéir avec docilité et de se rendre près de sa cabine.
Ses pieds finissent par bouger et aussi raide qu'un morceau de bois, Helouri trottine jusqu'à l'escalier, la tête basse, le cœur au bord des lèvres, puis il s'arrête sur le seuil des escaliers.
Misérable. Je suis misérable. Je ne peux pas supporter la vue d'une goule. Je n'arrive pas à lui dire un seul mot. Quand Candice va arriver, elle lui dira sûrement que son dava n'est qu'un idiot.
Il doit au moins être capable de lui donner son nom. Helouri se retourne. La goule s'est adossée au bastingage et s'applique à nourrir son sgarkellogy, qui s'y est perché, en lui lançant des morceaux de viande séchée. Ravie, la petite créature lui adresse un sifflement joyeux à chaque réception. Helouri se demande de quelle façon il doit interpeller la goule et avant qu'il n'ait pu se fixer sur une idée particulière, sa bouche laisse sortir une soupe de sons sans son autorisation.
Lorsque la goule lui lance un regard confus, le jeune morgan se sent bien idiot, mais il rassemble ses esprits, puis se concentre sur les mots qu'il tient à prononcer :
— Mon nom c'est… Je… Et vous ?
La goule se retient de rire pendant que les commissures de ses lèvres forment un sourire sinistre. Puis elle se désigne d'un doigt sur la poitrine et se présente à son tour :
— Doubinemassarac Nemiressem. Mais tu peux m'apeller Doubine.
Le jeune morgan déglutit, mais se force à sourire avant de disparaître à l'intérieur du navire. Il pâlit lorsqu'il tombe sur d'autres goules en train de s'affairer, dont certaines à la carrure impressionnante arborent moult cicatrices, mais aucune d'entre elles ne prêtent attention à lui. Cependant, Helouri remarque qu'elles sont toutes accompagnées d'un sgarkellogy perché sur leurs épaules ou bien en train de les aider à porter des affaires.
Quand il trouve enfin les cabines, le jeune morgan songe qu'elles ressemblent à des cellules de prison alignées les unes à côté des autres. Seulement, plutôt que des barreaux, elles présentent des portes aussi noires que l'obscurité. Helouri lève la tête, puis marche le long des cabines afin de trouver la sienne, mais rien ne l'indique. Il se mord la lèvre en songeant que Doubine ne lui a donné aucun indice à ce sujet, et pousse un soupir en traînant les pieds vers l'escalier. Le jeune morgan traverse de nouveau le ballet des goules en train de s'affairer, ses oreilles membraneuses captant les sifflements des sgarkellogy et quand il parvient enfin aux pieds de l'escalier, c'est la voix de Candice qui se fait entendre. Helouri fronce les sourcils et tend l'oreille.
Candice s'exprime dans la langue des fées mais à en juger le ton qu'il emploie, il est en train de se disputer avec quelqu'un. Les syllabes sont sifflées, tranchées, claquantes comme un coup de fouet et si Helouri pensait tout d'abord que Candice s'accrochait avec Doubine, il a pu constater qu'il avait tort.
Tout d'abord, un bruit de pas dans l'escalier lui fait lever la tête. Doubine est en train de descendre, un soupire las sur les lèvres pendant qu'à l'extérieur, une autre voix réplique vertement aux propos de Candice. Elle est claire, digne et malgré la colère qui ressort dans son ton, la langue des fées reste éloquente, dans sa bouche.
— Retourne à ta cabine, petite chose, lui glisse Doubine, ton maître a un accrochage avec sa chère maman et tu ne seras pas le bienvenue.
Helouri cille. La reine Delta Milliget est venue jusqu'au bateau ? N'était-elle pas au courant du voyage prévu par Candice ? Le jeune morgan regarde la goule s'éloigner et si en premier lieu, il veut lui emboîter le pas, il finit par s'abstenir, parce que ses oreilles captent des mots qu'il parvient à traduire. Helouri se tourne de nouveau vers l'ouverture de la structure, en haut de l'escalier, qui laisse entrer la lumière du jour. Delta et Candice élèvent assez la voix pour que leur dispute soient claire et bien que le jeune morgan ne puisse pas tout saisir, il comprend quelques mots :
— Détruis une cité… Détruis des familles… Pourquoi…
— Moi… J'agis… Toi… Rien !
Visiblement, Delta Milliget n'a jamais envoyé Candice détruire Eel et n'était pas au courant de ses agissements. Cela peut expliquer pourquoi l'impétueuse fée Milliget a passé autant de temps en prison sans que personne de sa famille ne vienne l'en sortir.
— À cause de toi… Sira enlevé… As failli… En tant que mère… En tant que reine…
— … Ne serait jamais arrivé… Si tu étais resté… Aurais abandonné ma couronne… Pour toi.
Helouri entend Candice éclater d'un rire jaune avant de se mettre à siffler sur sa mère. Que Delta ait été prête à abandonner sa couronne pour le suivre en prison ne compte pas. Là n'est pas le problème et elle le sait bien. Comment peut-elle rester inerte face à l'injustice qu'Odrialc'h a osé commettre envers le peuple des fées ?
— Quelqu'un doit bien le faire !
— Je te l'ai interdit… Défier ta mère ? Défier ta reine ? … Choses… Ne sont pas…
— ... Dis rien… Tu me prends pour… Shelma, lui…
Le ton s'élève encore et à présent, Candice et sa mère sont en train de se crier dessus. Peu importe ce qu'il va se produire, la fée Milliget ira jusqu'au bout de son entreprise et la reine, elle, n'aura qu'à l'en empêcher si elle tient temps à ce qu'il s'arrête. Helouri peine à comprendre. Pourquoi Delta Milliget voudrait empêcher l'un de ses enfants d'aller libérer une partie de leur peuple détenu en otage ? Odrialc'h l'a-t-elle menacée d'une façon que Candice ignore ?
— Ne m'oblige pas… employer les moyens… Te laisserais pas te mettre en danger…
— ... Fais ce que tu veux… Mon rôle, et puis… Pas satisfaite, tu n'avais… Dévorer quand…
Silence. Soudain, Helouri se couvre la bouche quand il entend le bruit distinct d'une gifle en train de claquer avec violence. Delta crie à son fils de répéter ce qu'il vient de dire mais cette fois, Candice reste muet. Sa mère est certainement la seule personne au monde à pouvoir le gifler sans subir de conséquences, mais aussi celle qui brûle plus fort que lui quand elle se met en colère. Enfin, elle s'adoucit quelque peu, puis reprend la parole, mais Helouri décide de quitter les lieux. Il imagine sans mal que Candice sera d'une humeur massacrante quand il se montrera après cet échange houleux et que de toutes les personnes présentes sur ce bateau, c'est lui qui en fera les frais. À moins que Delta empêche ce voyage, mais le jeune morgan en doute fortement.
Quand il rejoint les cabines, Doubine se trouve à proximité, en train d'échanger avec d'autres membres de l'équipage dans la langue des goules. D'un geste de la main, elle lui désigne la troisième cabine en partant de la droite et Helouri se dépêche d'y entrer. Il n'aime pas ce qu'il entend. La langue du peuple des goules est si tranchante qu'il a l'impression que Doubine et ses congénères sont en train de broyer leurs paroles d'une manière aussi sinistre que leur apparence.
Lorsqu'il referme la porte derrière lui, Helouri s'y adosse. Sa chambre pour le voyage jusqu'à Odrialc'h est si petite qu'il peut toucher les deux murs rien qu'en tendant les bras et il n'y a qu'un lit. Helouri ferme les yeux. Le cœur battant, il tâche d'oublier les goules, le navire, Candice et ce voyage qu'il exerce déjà alors que le bateau est encore à quai. Il ignore la peur qui le pousse à courir hors de la cabine pour quitter les lieux et rejoindre la plage. Là, seul avec lui-même, il repense aux paroles de Balam et à ce qu'il fera quand le moment se présentera.Les Choix
Juste après le départ de Candice, Helouri a choisi d'aller discuter avec Balam. Leur conversation a permis au jeune morgan de vider un petit peu son sac et avant de partir, Balam lui a fait signe d'approcher afin de lui glisser quelque chose à l'oreille.
Comme Helouri s'en doutait, l'ancien guetteur a menti à Candice et en sait plus sur la mission que Delta lui a donnée, qu'il n'y paraît.
Balam a expliqué à Helouri que dans peu de temps, Delta Milliget va envoyer plusieurs de ses dava à Odrialc'h. Helouri a le choix de prendre contact avec l'un d'entre eux pour le tenir informé des agissements de Candice en échange d'aide et de soutien si les choses deviennent trop compliquées.
Que devrait faire Helouri ?
➜ Accepter l'aide qui lui est proposée sans trahir Candice (Helouri a le choix du contact entre : Balam, Rose ou Nevra)
➜ Refuser l'aide qui lui est proposée.
➜ Refuser l'aide qui lui est proposée et tout dire à Candice en trahissant Balam.
➜ Accepter l'aide qui lui est proposée et trahir Candice (Helouri a le choix du contact entre : Balam, Rose ou Nevra)
UNIQUEMENT pour MayaShiz et Waitikka : il est grand temps de descendre aux Abysses ! Assurez-vous de venir bien préparés car ce RP sera sans doute votre pire cauchemar !
Note de l'Auteure
Bien le bonsoir à vous (^_^)/
J'espère que tout le monde va bien ! Pour ce cinquième chapitre du troisième arc, nous continuons de voyager avec Helouri, mais nous accueillons aussi un nouveau personnage : Shinku Umibozu. Ce personnage appartient à Klana qui fait désormais partie de l'aventure Apotheosis. Souhaitons-lui plein de courage pour ses futures choix ! Voyez déjà son beau personnage réalisé par Sini et sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 5 - Histoires d'Ozlomoth
Grand Palais d'Odrialc'h, entretien avec Dame Malda
Il a été levé tôt, ce matin et bien qu'il ait eu du mal à se réveiller, Sheraz a tenu à faire un effort. Il a grignoté une tartine de pain du bout des dents, il a pris son bain, été baigné dans différentes lotions aux arômes floraux, laissé Hélios choisir sa tenue et coiffer ses longs cheveux châtains. Pendant qu'il avait l'impression de se laisser engloutir par sa tunique et son gilet, Hélios usait de ses talents afin de faire disparaître son teint cadavérique sous des onguents et du maquillage. Ensuite, tout en chantant, elle tresse ses cheveux et y accroche des parures. Ainsi, Sheraz est irréprochable. Les mains crispées sur le tissu brodé de son gilet, il a l'impression que c'est lui qui sera passé en revu par Dame Malda concernant les sélections alors que celle qui sera testée, c'est Hélios. Sheraz lui lance un regard en biais. À première vue, sa servante personnelle n'a l'air aucunement touchée par une angoisse quelconque et si c'est le cas, il se demande comment elle fait pour la gérer. Cyriandil Alfirin sera présente et ne tolérera aucun écart et encore moins d'avoir honte face à Dame Malda et Sheraz craint que Hélios se fasse réprimander. Alors, pendant qu'elle s'affaire à terminer sa coiffure, il lui demande, soucieux :
— Est-ce que tout va bien pour vous, Hélios ?
L’atalante interrompt sa mélodie pour lui jeter un regard interrogateur. Comme son maître, elle s’est préparée avec soin aujourd’hui. Sa magnifique crinière est parée de fleurs délicates, formant une couronne disciplinée autour de son visage maquillé avec légèreté. Elle a passé une belle robe, qui la met en valeur sans trop en faire : elle est à son avantage, mais jamais plus jolie que sa maîtresse, et encore moins mieux habillée que son maître. Elle n’est pas là pour leur faire de l’ombre, mais pour représenter la famille Alfirin, et ne pas leur faire honte. D’ailleurs, à son cou, elle porte un collier offert par son jeune maître à l’occasion de son anniversaire, qui montre à la fois sa fidélité aux Alfirin et la gratitude qu’elle leur exprime.
La jeune femme esquisse un sourire doux, en terminant d’accrocher une parure en argent dans les cheveux de Sheraz.
— Le soleil brille, le ciel est dépourvu de nuages, pourquoi serais-je malheureuse ? s’amusa-t-elle.
Elle croise son regard dans le miroir et hausse un sourcil faussement interrogateur.
— Vous craignez que j’échoue ?
— Non, loin de moi une telle pensée. Mais je pensais simplement que cela pourrait vous peser.
Aujourd'hui, Hélios porte l'honneur de la famille Alfirin sur ses épaules. Dame Malda a accepté sa candidature mais ce n'est pas pour autant qu'elle la juge apte à s'occuper des sélections avec elle. Les simples questions qu'elle lui posera sur le ton de la conversation seront des tests et si Hélios ne se montre pas à la hauteur, elle deviendra la risée du palais. À sa place, Sheraz n'en serait pas capable.
L'elfe se penche quelque peu pour ouvrir un tiroir de sa coiffeuse et en sortir une petite boîte en bois vernie. À l'intérieur, il y a un diadème elfique réalisé par les meilleurs joailliers qui travaillent pour les Alfirin. Il est discret, il a un petit tournesol délicatement ciselé avec de l'or ainsi qu'un saphir en son centre, pour rappeler le ciel d'été. Sheraz le tend à Hélios en ajoutant :
— C'est pour vous. J'ai demandé aux ateliers de joailleries de réaliser un diadème avec un tournesol parce que j'aime beaucoup ces fleurs qui se tournent toujours vers le soleil. Depuis que vous êtes à mon service, j'ai moi-même l'impression d'être un tournesol qui devient morose quand le soleil n'est pas là.
Hélios écarquille ses yeux verts en saisissant délicatement le diadème. Avec dextérité, elle le place dans sa chevelure, et adresse un sourire ravi à son maître.
— Il est magnifique, Sheraz. Merci, murmure-t-elle. Aujourd’hui est un jour particulier, pour vous comme pour moi, mais je ne décevrais pas votre mère, ni ne jetterais la honte sur votre famille.
Elle se penche afin que leurs visages se trouvent à la même hauteur, et son sourire se fait encore plus grand, tandis qu’elle baisse la voix pour chuchoter, comme une promesse.
— Je réussirais les tests de Dame Malda, pour faire honneur à cette chance que l’on m’accorde, mais surtout car l’échec signifie risquer de ne plus me tenir à vos côtés, et ça, c’est hors de question, Sheraz.
Elle ne le dira jamais, parce que c’est inconvenant, mais l’elfe est bien plus que son maître. A ses yeux, il est un frère fragile dont elle a juré de prendre soin. Le laisser seul au milieu de la jungle du palais est inenvisageable. Sans elle, Sheraz se laisserait mourir, et personne ne prendrait le temps de s’en soucier.
L'elfe Alfirin lui adresse un sourire très doux. Il ne peut pas imaginer son quotidien si Hélios n'était plus là, tout comme il lui serait impossible de choisir quelqu'un pour la remplacer. Sheraz ne peut pas se mentir à lui-même : bien qu'il aime sa mère comme tous les enfants aiment leurs parents, c'est en Hélios qu'il a trouvé l'amour maternel que Cyriandil Alfirin peine à lui donner et bien que ce soit inconvenant pour un jeune maître, tant que cela n'est pas évoqué, tout va bien.
Lorsque Hélios termine de le coiffer, Sheraz est fin prêt. Il quitte sa chambre avec Hélios et tous deux sont parfaitement à l'heure pour le rendez-vous avec Dame Malda et d'ailleurs, Cyriandil Alfirin les attend de pied ferme sur le seuil de l'escalier qui sépare les appartements des Alfirin du reste du palais. La Dame est d'une grande beauté et merveilleusement apprêtée comme toujours. Ses cheveux sont relevés en un chignon pourvu de tresses et de perles blanches et sa robe quant à elle, est brodée avec des dorures ainsi que des fleurs orientales.
— Ah, Hélios, lance-t-elle en l'apercevant, vous êtes à l'heure. Parfait. Vous…
Elle s'interrompt quand elle remarque Sheraz, cille, puis se rengorge. Les mains croisées sur son ventre, elle adresse un sourire froid à son fils unique, puis lui demande d'un ton cynique :
— Bonjour, Sheraz. Je suis surprise de vous voir ici. Qu'est-ce qui a pu vous faire penser que vous pouviez assister à cette invitation ?
— Bonjour, Mère, répond l'elfe Alfirin, en tant que maître d'Hélios, je pense qu'il est convenable de répondre, moi aussi, à cette invitation.
— Je vois, mais vous ne pensez pas de la bonne façon.
Cyriandil lui jette un regard hautain puis poursuit sur le même ton :
— Nous allons tous porter l'honneur des Alfirin, aujourd'hui. Que faire si vous perdez connaissance durant le thé ? Ou bien si vous devenez subitement aussi pâle qu'un mort ? Je ne veux pas avoir honte, Sheraz, surtout pas aujourd'hui. Hélios ne peut pas avoir honte non plus. Retournez dans votre chambre et dormez. Si vous avez besoin de quelque chose pendant l'absence d'Hélios, appelez Cylia mais n'abusez pas de son temps, elle a ses propres tâches.
Sur ces paroles, Cyriandil se détourne en intimant à Hélios de la suivre. Cette dernière se compose un sourire servil, avant de s’incliner gracieusement.
— Ma Dame, pardonnez mon impertinence, mais ne serait-il pas opportun de montrer à Dame Malda que le jeune maître est entre de bonnes mains ?
Elle se redresse sagement et croise les mains devant elle, gardant les yeux baissés sur le tapis en arborant une moue attentive.
— Dame Malda ne risque-t-elle pas de s’inquiéter de mon aptitude à prendre soin de monsieur s’il n’est pas présent ? Le jeune maître à bien dormi cette nuit, et il a mangé tout son plateau ce matin. J’ai tout à fait conscience que cet entretien ne vise pas à juger de mes compétences en tant que servante personnelle du jeune maître, mais ne risque-t-on pas de me reprocher son absence en jetant ainsi l'opprobre sur votre famille ?
— L'état de santé de Sheraz n'est pas un fait qui peut vous être reproché, Hélios et Dame Malda le sait déjà puisqu'elle ne l'a pas invité. Le matin est difficile pour Sheraz, tout comme l'après-midi et même la soirée. Comment pourrez-vous vous concentrer convenablement si vous devez vous souciez de votre maître ?
Cyriandil lui lance un regard d'avertissement avant de faire de même avec Sheraz. Ce dernier serre le tissu de son gilet pendant que ses joues se parent de la couleur de l'humiliation mais, impuissant face à sa mère, il finit par baisser la tête et d'intimer à Hélios :
— Madame ma Mère a raison, Hélios. Vous serez plus tranquille d'esprit si je ne suis pas là pour assister à vos échanges avec Dame Malda. Je vais retourner me reposer.
Sheraz tâche de faire bonne figure mais tout ce qu'il souhaite, c'est s'enfermer dans sa chambre afin d'échapper au regard de sa mère et de retrouver la compagnie de Céleste qui saura apaiser son chagrin.
Hélios garde son masque de politesse servile, mais intérieurement, elle meurt d’envie de dire à Cyriandil ses quatre vérités. Pourtant, elle sait qu’elle ne peut rien ajouter, alors elle acquiesce d’une voix douce.
— Il sera fait selon vos désirs, ma Dame.
Elle se tourne vers Sheraz pour s’incliner, et en profite pour lui adresser un sourire penaud.
— J’ai fait amener plusieurs livres qui devraient vous plaire. J’ai également pris la liberté de demander à ce que du thé vous soit préparé, il devrait vous être apporté d’ici peu. Je viendrais vous trouver une fois notre entretien terminé afin de vous donner vos médicaments du soir, jeune maître.
Elle espère qu’il comprend que, sous sa déférence, elle aurait préféré qu’il soit à ses côtés lors de cette épreuve, et qu’elle s’assurera de venir le trouver dès que possible pour le réconforter, car elle ne doute pas un instant qu’il est blessé par l’attitude de sa mère. Hélios se redresse, puis rejoint Cyriandil d’une démarche aérienne, et attend ses prochaines instructions.
La Dame Alfirin prend le chemin des quartiers de Dame Malda et son mari. Celle qui est devenue une personnalité particulière de la cour du grand palais a décidé de prendre le thé dans son salon. Lorsque Cyriandil Alfirin et Hélios arrivent sur les lieux, elles peuvent constater que Dame Malda ne s'encombre pas de fioritures et aime particulièrement la sobriété. La longue table en bois sombre n'est certainement pas de toute première jeunesse mais a été bien entretenue, tout comme le revêtement en cuir des fauteuils. Dame Malda a fait accrocher des tableaux sur les murs et quand on les observe avec attention, on remarque qu'il s'agit de paysages terriens. Eldarya ne connaît pas d'endroits aussi chaleureux que celui qui se tient sous un soleil d'été, avec une fontaine sur la grande place, puis des maisons avec des volets épais fermés en espagnolettes. Il se dégage une torpeur paisible de cette peinture ainsi qu'une beauté qui ne peut que laisser présager le genre de vie que la Terre peut apporter. Un autre tableau montre des baigneuses humaines dans une rivière, sous le même soleil chaud puis un autre, des femmes en train de danser dans de grandes robes colorées.
Enfin, Dame Malda vient saluer ses invitées. Il s'agit d'une elfe de quatre-vingt-six ans aussi digne et noble qu'une jeune femme de trente ans. Malgré les marques du temps sur son visage, ce dernier exprime la chaleur et la joie d'une vie bien remplie, à la hauteur de ses souhaits. Dame Malda ne porte peut-être pas une robe aussi somptueuse que celle de Cyriandil Alfirin, mais sa sobriété, même dans son apparence, ne parvient pas à ternir son statut de grande Dame de la cour. Imgwaloth Malda incarne le modèle que chaque servant du grand palais de ne peut que rêver d'égaler. Ses longs cheveux gris sont rassemblés en une demie-queue de cheval, loin des coiffures sophistiquées des jeunes nobles, mais cela suffit à la rendre élégante.
— Dame Cyriandil Alfirin, Mademoiselle Hélios Soarre, les salut-elles d'une voix très douce.
D'un geste de la main, Dame Malda les invite à prendre place sur les fauteuils avant de les imiter. À peine sont-elles assises que des serviteurs de bas rang s'empressent de dresser la table pour le thé.
— Ma Dame, l'interroge Cyriandil en arquant un sourcil, n'avez-vous pas de servant personnel ? Des sélections n'ont-elles pas été organisées pour vous ?
— Voyons, Cyriandil, mon mari et moi-même sommes bien trop âgés pour que de jeunes âmes viennent nous servir. Ce serait une perte de temps et d'énergie, pour eux comme pour nous.
Dame Malda remercie ses serviteurs avec la gentillesse de celle qui a connu leur labeur durant de longues années, bien que sa position ait été plus enviable. Tout le monde sait qu'elle était la servante personnelle d'Ysul Gra Bolumbash, actuellement à la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h, mais aussi la mère de Shakalogat Gra Ysul. Imgwaloth Malda a ensuite été la nourrice de cette dernière, jusqu'à ce que Shakalogath entre dans le corps armée d'Odrialc'h et monte les échelons jusqu'au poste de Capitaine. Voilà seulement une année que Dame Malda a pu prendre sa retraite, gracieusement offerte par Ysul Gra Bolumbash, avec le titre de noblesse de grande Dame de la cour. Un véritable honneur. Imgwaloth Malda a eu une belle vie. Même son mariage arrangé avec son mari, autrefois serviteur personnel de Vrataan Gro Gharzam, l'actuel Gouverneur Suprême de la cité d'Odrialc'h, était parfaitement arrangé, puisque les deux jeunes gens se sont aimés bien avant que leur maître respectif choisissent de les marier.
— Votre mari a pris la mer pour les Côtes de Jade, reprend Dame Malda.
— Gorthol doit inspecter les pierres précieuses qui ont été récoltées dans les mines de Tian Long, répond Cyriandil en attrapant sa tasse. Il m'a fait savoir, avant de partir, qu'il était navré de ne pas pouvoir répondre à votre invitation.
— Je comprends, sourit Imgwaloth, qu'en est-il de votre fils ? Sheraz n'a-t-il pas voulu prendre le thé avec nous ? Tous les Alfirin étaient invités, après tout.
Cyriandil redresse le buste alors que son visage exprime une moue navrée. Elle confie à Dame Malda que Sheraz se sentait nauséeux, comme toujours et qu'il avait préféré rester se reposer dans sa chambre plutôt que d'apparaître malade.
Imgwaloth pince les lèvres et hoche la tête, visiblement déçue. Elle intime que c'est dommage, car elle est certaine que ce jeune maître aurait aimé participer à cette conversation, puisque c'est sa servante qui va soumettre ses idées pour les sélections.
— Je comprends, soupire Dame Malda, il est vraiment dommage qu'un si jeune homme soit en proie à la maladie alors qu'il a toute la vie devant lui. C'est pourquoi il est important de prendre soin de lui, n'est-ce pas, Mademoiselle ?
Imgwaloth adresse une expression bienveillante à Hélios en l'invitant à se saisir de sa tasse de thé. Elle s’exécute avec grâce, et adresse un sourire poli à la Dame.
— Le bien-être de mon jeune maître est ma priorité, ma Dame, répond-elle d’un ton doux. Je m’efforce de répondre à tous ses besoins et de rendre sa vie un peu plus agréable. Il m’a d’ailleurs chargé de vous transmettre tous ses respects, et espère qu’il aura l’occasion de rattraper son absence.
À ses côtés, Cyriandil ne relève pas les propos d'Hélios et se contente de boire une gorgée de son thé. Dame Malda, quant à elle, semble satisfaite et espère qu'elle pourra bientôt saluer Sheraz.
— D'ailleurs il me semble que c'est lui qui vous a personnellement recommandée pour participer à l'organisation des sélections en ma compagnie, sourit Imgwaloth, c'est un bon petit qui fait le bien pour sa servante.
Ensuite, Dame Malda pose sa tasse, puis se tient bien droite dans son fauteuil. Elle réfléchie quelques instants puis finit par songer :
— J'ai commencé à y penser, à ces sélections. Ma Dame Gra Bolumbash place sa confiance en moi, alors il me faut choisir le candidat parfait. Mademoiselle Hélios Soarre, pensez-vous que ce candidat au service de notre bien-aimée Capitaine doit me ressembler ?
Hélios croise les mains sur ses jambes, et prend le temps de formuler sa réponse. Elle a vu bien des serviteurs personnels au sein du palais, et s’ils partagent tous certaines caractéristiques qu’elle juge peu pertinentes, ils sont tous différents.
— Notre bien-aimée Capitaine n’est pas la Dame Gra Bolumbash, commence Hélios. Le candidat à son service devra convenir aux standards du palais, car il lui incombera de servir l’une de ses plus illustres figures, mais un serviteur personnel diffère d’un serviteur en cette spécificité qu’il est, justement, personnel. Vous avez été la nourrice de notre bien-aimée Capitaine, vous la connaissez donc mieux que personne, mais vous étiez avant tout la servante personnelle de notre Dame Gra Bolumbash, sa mère. Selon moi, le candidat au service de la Capitaine Gra Ysul devra avant tout lui correspondre. Il apparaîtra peut-être qu’il vous ressemble, mais cela ne devra en aucun cas être un critère de sélection, comme cela ne devra pas non plus être un critère de refus.
Dame Malda est ravie par cette réponse et Cyriandil esquisse même un sourire trop doux. Imgwaloth approuve la réflexion d'Hélios en ajoutant que tous les serviteurs personnels du grand palais d'Odrialc'h ont tendance à idéaliser ses années de service et bien qu'elle soit flattée d'être prise pour modèle, il ne faut pas oublier ses devoirs.
— La Capitaine Gra Ysul a des exigences différentes de sa mère et c'est pourquoi il lui faudra avant tout un serviteur qui saura identifier et satisfaire ces dernières. Vous, Mademoiselle Hélios, vous êtes une alchimiste de renom et vos connaissances vous permettent de comprendre les traitements que vous donnez à votre jeune maître.
Dame Malda ajoute que les règles strictes du grand palais qui exigent la beauté ont beaucoup évoluées depuis toutes ces années. Elle préfère laisser de jeunes gens comme Helios être juges de cette facette des sélections.
— Je me demande d’ailleurs, Mademoiselle, vous qui avez remporté des sélections, quel genre de beauté avez-vous remarquer chez vos concurrents ? Quant à la votre, comment vous pourriez la qualifier ? Une vieille femme comme moi à la beauté fanée à bien des lacunes dans ce domaine, à présent.
— Si je puis me permettre, nombreuses sont les fleurs qui rêvent de faner à votre image, remarque Hélios.
Elle y compris, posséder le charme de Dame Malda à son âge serait merveilleux. Hélios réfléchit aux serviteurs qu’elle côtoie régulièrement, puis esquisse une moue songeuse.
— Me concernant, j’userais de l’adjectif solaire. C’est une chose que mon jeune maître aime souligner, et en ma qualité d’atalante, c’est également quelque chose qui me correspond. La beauté réside dans bien des aspects : des traits agréables, une personnalité douce, un sourire rayonnant, des capacités qui sortent de l’ordinaire…
Elle prend une gorgée de thé puis esquisse un sourire, en continuant de dérouler sa pensée.
— Lors de mes propres sélections, mes concurrents partageaient tous une plastique agréable à l’œil. Sur ce point, j’estime que le degré de plaisance dépend du maître que l’on veut servir. Il convient de rester à l’image du palais, mais on découvre parfois que des guenilles correctement retouchées sont en fait parfaitement taillées. Nous étions également jeunes, mais à nouveau, cela dépend du maître que l’on souhaite servir : certains préféreront l’expérience aux traits juvéniles que confère l’adolescence, tandis que pour d’autres, comme mon jeune maitre, il était important d’avoir à ses côtés quelqu’un de son âge. On dit aussi que la rareté d’une espèce ou d’un peuple en fait la beauté. Je crois surtout que cette rareté amène de la curiosité, et permet d’élargir l’esprit en le confrontant à des coutumes qui lui sont étrangères, car peu répandues. Enfin, plus que le physique, l’espèce ou l’âge, j’estime que les serviteurs personnels représentent toute la beauté du grand palais par deux critères très importants : l’éducation, car il est laid d’être impoli et de n’avoir aucune manière, et la confiance en soi, car il est impossible de servir un maître et de rayonner pour lui si l’on ne s’estime pas capable de le faire.
Imgwaloth Malda hoche la tête, attentive aux explications d'Hélios. Lorsque l'atalante a terminé, elle soupire d'aise et ajoute qu'elle se sent soulagée de pouvoir compter sur une jeunesse si intelligente pour la complexe organisation des sélections. Un regard vers Cyriandil et elle ajoute :
— Vous avez été bonne juge durant les sélections pour votre fils, Dame Alfirin. Un bijou comme cette Mademoiselle ne se repère qu'avec de bons yeux et un bon esprit.
— Hélios a toujours été exemplaire, se vante la Dame, c'est pourquoi il a été tout naturel de vous soumettre sa candidature. Elle a l'esprit vif et elle est créative. Je sais que son potentiel pourra être exploité.
— Eh bien je vous propose de regarder cela maintenant.
Dame Malda croise les bras sur ses genoux, puis demande à Hélios comment elle imaginerait la première épreuve pour ces nouvelles sélections. Imgwaloth se souvient qu'en général, les candidats sont amenés à se vendre. Ils se présentent et expliquent quelles qualités pourraient convenir au maître qu'ils aspirent à servir, mais Dame Malda trouve cela démodé.
— Je pense que cette méthode est désuète pour faire du tri, qu'en pensez-vous ? J'aimerais beaucoup repenser cette épreuve. Beaucoup de candidats avec un beau potentiel ne sont pas à l'aise et gâchent leur première impression. J'aimerais les observer au naturel. Que pourriez-vous imaginer comme première épreuve, Mademoiselle Hélios ?
La jeune femme plisse ses yeux verts en réfléchissant. Quel est le meilleur moyen d’observer les gens au naturel ? L’idée est bien sûr de découvrir le caractère véritable des candidats. Personne ne voudrait d’un serviteur mesquin, désagréable ou pire encore, avec une si haute estime de lui-même qu’il pourrait mettre la réputation de son maître en péril.
— Il faudrait proposer un temps durant lequel ils ne se pensent pas observé, songe-t-elle. J’ai lu un livre dans lequel se présentait une situation quelque peu similaire. Deux prisonniers se trouvaient dans des cachots. Leurs geôliers se montrent et leur indiquent que pour sortir, ils devront tuer une pauvre servante, venue amener de l’eau. Ils les laissent ensuite en sa compagnie, et s’en vont. Les deux hommes discutent, se disputent, car l’un d’eux souhaite obéir, quand l’autre estime que la servante est innocente et que c’est barbare d’obéir à cette injonction. Lorsque les geôliers reviennent, on apprend que la servante est en réalité leur cheffe, et qu’elle en a profité pour observer les deux prisonniers, afin de savoir lequel d’entre eux méritait d’être gracié.
Hélios boit une gorgée de thé puis esquisse un sourire doux, avant de reprendre, concentrée.
— Bien évidemment, l’idée ne serait pas de mettre les candidats dans une geôle, mais il serait possible par exemple de leur proposer de prendre le thé. Votre visage est bien connu ici, aussi ne pourriez vous pas être présente, autrement cela enlèverait l’intérêt de cette épreuve, mais il existe peut-être une salle, avec l’un de ces miroirs qui permettent de voir sans être vu, depuis lequel pour pourriez observer les candidats. Cela permettrait de juger leurs manières, mais également d’avoir un premier aperçu de leur caractère : quels sont ceux qui ne savent pas réagir à l’imprévu ? Quels sont ceux qui se montrent d’emblée désagréables, voire mesquins avec leurs concurrents ? Quels sont ceux qui s’impatientent, qui critiquent le grand palais et son organisation ? On apprend beaucoup de quelqu’un qui ne pense pas être observé. Vous pourriez également poster une personne à l’intérieur, qui sera inconnue des candidats, et qui se fera passer pour l’un d’eux. En jugeant l’atmosphère, elle pourra jouer la comédie et vous observer les réactions des candidats en fonction.
Hélios n’ajoute pas qu’elle se fera une joie d’être cette personne si sa candidature est acceptée, mais elle n’en pense pas moins.
— Bien sûr, réfléchit Dame Malda, les réunir dans une pièce et les observer sans être vue. Je pourrais beaucoup apprendre de leur conversation et votre idée d'une personne qui se fait passer pour un candidat est excellente ! Je pourrais me rassurer en étant absolument certaine de ne pas sélectionner une personne sournoise qui sera répudiée par la Capitaine.
Imgwaloth est absolument ravie. Elle confirme à Dame Alfirin ainsi qu'à Hélios qu'elle se sent soulagée de travailler avec une servante si intelligente et qu'elle accepte son aide avec joie.
Les trois femmes continuent de bavarder autour d'une tasse de thé et lorsque s'amorce le début de la soirée, Cyriandil et Hélios prennent congé. La Dame Alfirin attend de regagner ses quartiers avant d'arrêter Hélios, l'air ravie :
— Hélios, avant que nous nous rendions à l'invitation de Dame Malda, j'avais déjà pris la liberté de faire livrer des présents dans votre chambre. Je savais que vous feriez honneur à la famille Alfirin et je suis heureuse de ne pas avoir à récupérer ce que je vous ai donné. Profitez bien de vos nouvelles acquisitions.
Satisfaite, Cyriandil s'apprête à regagner ses appartements, lorsqu'elle s'arrête, puis se retourne afin d'ajouter :
— Ah, et entre nous, Hélios : pendant les sélections, tâchez de vous trouver un meilleur parti que Wan Zi. Je fais confiance en votre bon sens. Dites-vous bien que si vous choisissez avec le plus grand soin, vous pourrez espérer un destin similaire à celui de Dame Malda.
Hélios s’incline en la remerciant de sa générosité. Elle répond qu’elle tâchera de trouver quelqu’un à la hauteur des Alfirin, et de la chance qui ne cesse de lui être offerte.
Lorsque sa maîtresse disparaît, l’atalante se redresse, un sourire victorieux aux lèvres. Wan Zi ne l’intéresse pas, alors elle se fera un plaisir de scruter les candidats aux sélections pour trouver quelqu’un de plus convenable. Mais les sélections viendront plus tard. Elle doit s’empresser de retrouver Sheraz, qui, elle n’en doute pas, n’aura touché ni au thé, ni au goûter qu’elle lui a fait préparer, et encore moins aux livres qu’elle a choisi pour lui. Hélios presse le pas en soupirant discrètement. Parfois, elle songe que ce sont les maîtres que l’on devrait soumettre aux sélections, car Cyriandil Alfirin ne répond à aucun des critères qu’elle se fait d’une mère idéale pour Sheraz…
Lorsqu'elle arrive devant la chambre de son jeune maître, Hélios toque à la porte avant d'entrer. Comme elle l'avait deviné, il n'a touché à rien et s'est contenté de se reposer sur son lit en compagnie de Céleste. Lorsqu'il l'entend, Sheraz se redresse et bien que son visage exprime un profond chagrin, il tâche de faire bonne figure en lui demande comment cela s'est passé, avec Dame Malda.
Hélios n’est pas dupe. Elle referme la porte et se force à lui adresser un sourire étincelant. La jeune femme débarasse la table d’un pas léger, tout en s’inclinant exagérément en espérant tirer un sourire à Sheraz.
— Dame Malda a été très satisfaite de mes réponses, jeune maître. Elle a également déploré votre absence et espère pouvoir renouveler son invitation, lui dit-elle. Je ne doute pas que puisque je suis officiellement sélectionnée pour l’aider dans le choix du prochain serviteur personnel de notre bien-aimée Capitaine, nous ne manqueront pas d’occasions ! Puis-je vous faire monter un bouillon, afin de tout vous raconter en détail pendant que vous dînez ? Je pourrais ensuite jouer un morceau, et si vous le souhaitez, je resterai jusqu’à ce que vous vous endormiez.
— Je voudrais que Sira soit là, souffle Sheraz.
Il aurait surtout voulu pouvoir garder son chagrin en lui sans éclabousser Hélios avec ses états d'âme, mais il n'y arrive pas. Sira lui manque. Hélios est là comme un soleil pétillant et heureusement qu'elle est auprès de Sheraz, mais c'est dans les yeux de Sira que l'elfe Alfirin ressemble à quelqu'un plutôt que quelque chose.
L’atalante perd son sourire. Elle aussi, elle aimerait bien que le jeune maître Milliget soit la, car elle voudrait que la tristesse quitte les yeux de Sheraz. Hélios vient s’asseoir sur le lit de l’elfe, quittant l’espace d’un instant son rôle de servante personnelle.
— Je vais tâcher de me renseigner, murmure-t-elle. Sans que votre mère n’en soit informée, ne vous en faites pas. Je vais m’arranger pour trouver des informations à son sujet, je vous le promets.
Savoir que Sira est sain et sauf rassurera déjà Sheraz, à défaut de l’avoir près de lui. Hélios le pousse doucement pour qu’il se rallonge, elle rabat la couverture sur lui, puis pose une main fraîche sur son front.
— Dormez, Sheraz, souffle-t-elle. Je reste pour veiller sur vous, alors n’ayez crainte.
Hélios se met à fredonner une berceuse, et elle adresse une prière à l’Oracle pour que son jeune maître puisse enfin trouver le sommeil.
Assis dans un coin de sa cabine, Helouri presse ses paumes contre ses yeux. Il imagine que ça a le pouvoir de refouler les larmes qui lui montent aux yeux et qu'ainsi, il ne se mettra pas à pleurer. Il ne peut pas pleurer. Il ne doit pas pleurer. Ici, personne ne le consolera et tout le monde se moquera.
Helouri prend une grande inspiration. Il gonfle son ventre, ses poumons, puis imagine que toute l'angoisse s'échappe de son corps par son souffle. Il imagine même qu'une fumée noire, témoin de toutes ses peurs les plus profondes, quitte sa bouche pour aller se perdre dans le bateau des goules. De cette manière, le jeune morgan parvient à reprendre le contrôle de lui-même.
Il se lève, puis regarde l'océan à travers le hublot. La vitre est sale et quelques crustacés s'y sont logés, mais Helouri peut voir que le petit matin est clément. Sa première journée de voyage a été rythmée par l'humeur massacrante de Candice. Comme il s'y attendait, l'impétueuse fée Milliget avait préféré rejeter toute la colère accumulée lors de la dispute avec sa mère sur son dava plutôt que sur les goules. D'ailleurs, Helouri avait remarqué que Candice était plutôt aimable avec ces dernières.
Hier, le jeune morgan avait dû étudier l'ostéologie des différentes espèces eldaryennes. Bien entendu, ils étaient variables car les structures ne se ressemblaient pas d'une espèce à une autre mais pour être un bon médecin, il fallait toutes les connaître. Helouri avait donc rempli son cerveau avec des squelettes axiaux et appendiculaires. Des ceintures pectorales et pelviennes, puis des os courts, longs, plats et irréguliers. Ensuite, Candice l'avait testé sur ce sujet, mais le jeune morgan avait perdu tous ses moyens, puis finit par essuyer la terrible colère de la fée Milliget. Elle pensait que ce pourrait être une bonne idée de briser tous les os d'Helouri afin qu'il apprenne à les connaître de la pire des façon et si ça ne suffisait pas, il briserait ceux de June. Alors le jeune morgan avait passé une bonne partie de la nuit à apprendre, puis à s'imaginer répondre correctement face à Candice. Il savait, bien sûr, qu'il savait mais devant son maître, il ne savait plus rien.
Helouri pousse un long soupir. Regarder l'océan l'apaise et son ventre lui fait un petit peu moins mal. Dans deux jours, le bateau des goules accostera au port de Tantale, un petit village non loin de la forêt de Galène. Pendant que Candice ira rejoindre June afin de descendre aux Abysses, Helouri se rendra à l'auberge où séjourne son père ainsi que les soldats de l'Obsidenne et d'Odrialc'h, afin de le retenir autant qu'il le peut.
Tu n'as qu'à chialer, dava. Tu n'es bon qu'à ça, de toute façon.
Oui, il va sans doute pleurer. Helouri a peur pour sa mère, il a peur pour June qui va se trouver au cœur du danger et quand ce sera au tour de son père de descendre aux Abysses, il aura peur pour lui. Ensuite, quand cette épreuve sera derrière eux, il devra suer sang et eau pour les sélections. Il apprendra encore et toujours jusqu'à atteindre l'excellence d'un candidat lambda. Helouri presse son front contre le hublot. S'il ne parvient pas à remporter les sélections, Candice n'aura aucune raison de le garder en vie. À moins qu'il lui fasse payer le sauvetage de sa mère d'une autre façon… Quand il pense au pire, le cœur d'Helouri s'emballe. Là, il a l'impression de vivre l'échec avant même de l'approcher et quand il voit tout ce qu'il lui reste à accomplir, il souhaiterait ne plus jamais quitter sa cabine. Mais il devra y arriver. Quoi qu'il en coûte, il devra participer et remporter les élections, pour le plan de son maître et pour lui-même.
Helouri sursaute quand quelqu'un frappe à la porte de sa cabine.
— Sors de là, petite chose. Sinon ton maître va te traîner par les pieds et personne n'a envie de voir ça, lui intime la voix de Doubine.
Le jeune morgan pousse un soupir. En effet, il va devoir sortir, aller manger quelque chose et ensuite, viendra une journée éreintante avec la révision de l'ostéologie et peut-être même l'apprentissage de la myologie… Helouri est persuadé qu'il va finir par rêver de squelettes vivants et d'écorchés. Néanmoins, il rajuste sa tunique couleur lavande ainsi que son pantalon ample, puis quitte sa cabine.
Les bruits des conversations viennent éclater sa petite bulle de sérénité. Il y a aussi les sifflements des sgarkellogy en train de manger auprès des goules et Helouri se sent déjà fébrile rien qu'à l'idée de regarder tout ce petit monde prendre son repas. Doubine avait raison quand elle disait que les fées et les goules ne partagent pas le même régime alimentaire. Le jeune morgan aurait finalement préféré que ce soit le cas, bien qu'il n'ait pas envie de regarder Candice manger. D'ailleurs, il ne se mêle jamais aux autres quand c'est le cas et préfère se nourrir dans sa propre cabine.
— Ah, le petit poisson de la fée ! Viens donc !
Assise auprès de ses congénères, Doubine lui fait un signe de la main. En dehors des cabines alignées telles des portes de prison, les goules ont aménagé un grand espace, non loin des salles de stockage, afin de se réunir lors des repas. Il y a également des hamacs pour les siestes et surtout de petits paniers confortables pour les sgarkellogy. Quant à la salle à manger, ce sont des caisses en guise de tables, puis les goules prennent place sur des coussins. Helouri n'a pas retenu tous les noms. De plus et comme pour le cas de Doubine, la plupart des goules usent de leurs surnoms et parfois des deux, alors c'est assez compliqué de s'y retrouver. Néanmoins, il sait que le géant assis à la droite de Doubine se fait appeler Possi.
Il est une goule massive qui, debout, dépasse largement les deux mètres de hauteur, si bien qu'il est obligé de se baisser pour éviter de se cogner au plafond. Avec ses bras épais et ses larges épaules, il est fait pour le combat et la manutention et c'est exactement son rôle, sur le bateau. Tout comme les membres de son espèce, il a une peau livide ainsi qu'un visage peu avenant, avec un crâne grossier tel une pierre mal taillée, des yeux trop grands et globuleux, puis une bouche si large qu'elle fait penser à celle des libleunettes. Quelques touffes de cheveux sombres sont rassemblées en tresses fines et quand il parle dans sa langue, Helouri a l'impression d'écouter un tremblement de terre. Près de lui, une petite femelle sgarkellogy est en train de déguster de bons morceaux de viande. Ses cornes sont si enroulées sur elles-même qu'elles forment comme deux chignons sur sa tête ronde et autour de son cou, Possi a noué un joli foulard rouge.
Helouri s'installe à la gauche de Doubine en essayant de se faire tout petit. Il se sait la cible des regards, tout comme il sait que la plupart des goules trouvent les coups de colère de Candice à son égard particulièrement amusants. Ça et le fait que Helouri mange la nourriture pour les sgarkellogy.
Lorsque le jeune morgan se met à fixer les mets sur les caisses malgré lui, il retient un haut le cœur. Dans de petits bols, des insectes ainsi que des larves vivantes en côtoient d'autres, cuits. Helouri n'a jamais vu ce genre de spécimens, pas même en familier mais rien qu'à les regarder frétiller, cela suffit à lui nouer l'estomac et c'est pourquoi il préfère grignoter la viande séchée des skargellogy, ainsi que les quelques vivres qu'il a emportées avec lui. Comment les goules peuvent-elles manger des horreurs pareilles…
— Alors, est-ce que tu as réussi à faire rentrer les os dans ton cerveau ?
La question de Doubine déclenche quelques rires et Helouri pique un fard. De toute façon, Candice criait si fort qu'il n'est pas étonnant que tout le monde ait pu avoir connaissance du sujet d'étude actuel. Le jeune morgan se sert un petit peu d'eau dans un verre en bois, puis attrape un morceau de viande séchée sans grande conviction. Il laisse échapper un cri quand quelque chose bondit sur ses épaules avant d'atterrir sur celles de Doubine et quand il lève les yeux, son skargellogy lui siffle dessus. Ensuite, il s'intéresse à sa congénère, près de Possi et les deux familiers commencent un dialogue assez singulier.
Helouri les observe avec intérêt. Il s'est toujours demandé pourquoi chaque goule était accompagnée d'un sgarkellogy et il a toujours pensé qu'il s'agissait d'une sorte de tradition.
— Tu n'en avais jamais vu ? demande Doubine en surprenant son regard.
Helouri secoue la tête. Il n'a jamais été un grand connaisseur en matière de familiers et ceux qu'il a toujours connus vivaient à Eel ou bien faisait partie de l'élevage du purreko et d'Alajéa Edam, au marché.
— Les sgarkellogy sont très intelligents, reprend Doubine, leurs esprits n'a rien à envier aux nôtres. Ils peuvent devenir aussi savants que toi, moi ou même une fée comme Candice.
Le jeune morgan ouvre de grands yeux. Il peine à croire qu'un familier puisse apprendre et comprendre autant de choses qu'un faelien érudit pourtant, en observant la sgarkellogy de Possi, en train de manger à table comme son ami goule, il songe que cela est peut-être possible. Alors il prend une inspiration, puis pose enfin sa question :
— Pourquoi chaque goule est accompagnée d'un sgarkellogy ?
Il doute que quelqu'un l'ait entendu puisqu'il a parlé à voix basse pourtant Doubine s'est mise à rire à sa question. Pas un rire moqueur, non, un rire ravi. Helouri grimace quand il la regarde engloutir une espèce de serpent avec mille pattes, enroulant sa longue langue noire et serpentine autour de sa proie. Il n'a finalement plus faim.
— Tiens, Possi, l'interpelle-t-elle, réponds-lui ! Toi, tu racontes mieux.
Le dénommé hausse les épaules, visiblement peu enclin à parler, mais se redresse et souffle par le nez. Puis, quand il parle le commun, sa voix paraît moins brutale.
— Est-ce qu'il connaît déjà Inari, le poisson de la fée ?
— Oui… répond Helouri d'une petite voix, c'est la cité des kitsune.
— Non, ce n'est pas ça. C'est la cité que les kitsunes ont prise quand ils sont arrivés avec le Grand Exil, mais avant, elle appartenait aux yamambas.
Helouri ne sait pas ce que sont les yamambas, alors Possi lui explique qu'il s'agit de créatures des neiges formant un peuple uniquement composé de femmes. Leur aspect est si hideux que pour se reproduire, elles prennent l'apparence de ravissantes jeunes femmes et séduisent des partenaires masculins d'autres espèces. Quand les Kitsune sont arrivés à Inari, ils ont été si terrorisés par les yamambas qu'ils les ont chassées. Ces dernières ont pu trouver refuge dans le royaume des fées et en échange de leur hospitalité et de leur protection, elles tissent les voiles hivernaux qui leur permettent de réguler leur température interne quand elles voyagent.
— Avant le Grand Exil, explique Possi, les yamambas se reproduisaient beaucoup avec les chimères qui vivaient à Ningjing. Elles vivaient sous les traits de phoenix et quand les yamambas avaient besoin d'un partenaire, elles se rendaient à la cascade aux perles, un lieu entre Inari et Ningjing et attendaient que les chimères viennent les retrouver. Maintenant qu'elles vivent chez les fées, les yamambas ne peuvent plus se reproduire et leur espèce est vouée à s'éteindre.
— Et les fées… amorce Helouri.
— Les fées ne peuvent pas engendrer la vie dans le ventre des yamambas, le coupe Possi, et les goules non plus.
— Tu t'adresses à quelqu'un qui a déjà essayé, rit Doubine.
Son congénère ne relève pas la remarque et continue son histoire. Il explique que parmi les peuples originaux d'Eldarya, ceux comme les yamambas, possédant un processus de reproduction particulier, sont assez courants. Les chimères quant à elles pouvaient s'accoupler avec n'importe quelle espèce et permettaient la sauvegarde de nombreux peuples.
Mais quel rapport avec les sgarkellogy ?
— Nous, les goules, nous avons connu le même sort que les yamambas, reprend Possi, nous vivions à l'endroit où nous nous rendons actuellement, petit poisson de la fée.
— À Odrialc'h ? souffle Helouri en ouvrant de grands yeux.
— Dans les montagnes derrière la cité, à vrai dire, précise Doubine.
Là où le peuple d'Odrialc'h a bâti son immense forge, donc. Mais en arrivant sur le continent du Gabil, l'apparence des goules a terrifié les premiers orcs qui les ont chassées comme des monstres, si bien qu'elles ont dû quitter les lieux en abandonnant Ozlomoth, leur cité à l'intérieur des montagnes. Mais plutôt que d'aller quérir les fées, les goules ont préféré se tourner vers les daemons.
— Contrairement aux yamambas, nous ne pouvions pas survivre sous les températures extrêmes du royaume des fées, raconte Possi, alors nous nous sommes tournées vers leurs voisins qui, à l'époque, régnaient sur les océans.
En effet, derrière la frontière des Milliget, il existe des montagnes noires bordées par la mer du givre. Quand Odrialc'h a voulu conquérir le royaume des fées en exploitant les voies maritimes, elle a dû faire face aux vassaux des daemons : les enfants de Charybde et Scylla.
— Ça, les orcs n'auraient jamais pu imaginer qu'une autre espèce que les lorialet se seraient choisi un souverain, sourit Doubine, c'est pourtant ce qu'il s'est passé. Les enfants de Charybde et Scylla sont belliqueux et dangereux, mais les daemons leur ont tout de suite appris à filer droit.
D'après la goule, les enfants de Charybde et Scylla sont des espèces aquatiques qui naissent avec une mâchoire dans le ventre. Puissante et capable de broyer un faelien entier, elle est en réalité un puits sans fond qui n'appelle que la faim, la chasse et le sang. Comme l'une des divinités qui les ont engendrés, les enfants de Charybde et Scylla régurgitent d'énormes quantités d'eau dans un vacarme qui dissuade nombre de curieux d'approcher. Alors en échange d'un endroit où habiter, ils ont accepté de garder les frontières maritimes.
— Quant à nous, explique Possi, c'est à l'intérieur des montagnes noires des daemons que nous avons trouvé refuge. Seulement, c'était aussi le territoire des sgarkellogy. Alors les daemons de l'époque nous ont dit que si les sgarkellogy nous acceptaient, nous pouvions rester. Sans quoi, nous devrions aller ailleurs.
Les montagnes noires étaient idéales pour un peuple comme celui des goules. Si à l'extérieur elles subissaient le froid terrible issu du royaume des fées, à l'intérieur, elles offraient une chaleur bienvenue grâce aux rivières de lave dans leurs profondeurs.
— Au départ, nos ancêtres racontent que les sgarkellogy se sont méfiés, indique Doubine, mais à force de cohabitation, ils ont vu que les goules n'étaient pas une menace et ensemble, ils ont commencé à bâtir une petite cité. Ça n'avait pas la splendeur d'Ozlomoth. C'était, disons, une petite Ozlomoth.
Depuis, pour symboliser l'accueil des goules sur le territoire des sgarkellogy, les deux espèces vivent ensemble. Lorsqu'une goule vient au monde, ses parents s'occupent d'un œuf de sgarkelloy. Ainsi, quand naît le familier, lui et la goule grandissent ensemble et forment une famille jusqu'à la fin de leur vie. D'ailleurs, Doubine dit que dans un couple nouvellement formé, si les deux sgarkellogy ne peuvent pas s'entendre, les goules préfèrent se séparer.
Ce sont de tristes et intéressantes histoires. Helouri essaye de s'imaginer Eldarya avant le Grand Exil, avec les goules dans leur authentique cité d'Ozlomoth, les Yamambas à Inari, les fées souveraines originelles du royaume et les chimères, vivant là où on avait besoin d'elles. Et les daemons ? Que sont-ils devenus ?
Helouri n'obtiendra pas la réponse aujourd'hui, parce qu'il entendu la porte d'une cabine s'ouvrir et qu'un grand froid s'est subitement abattu dans la pièce. Le jeune morgan a un frisson quand il sent la présence glaciale de Candice dans son dos. Ses entrailles se nouent et subitement, son esprit se désintéresse de la conversation.
— J'entends ta voix depuis ma cabine, dava, donc si tu as le temps de papoter, j'imagine que c'est parce que tu es irréprochable en ostéologie.
— Ah, ne commence pas à l'engueuler, lance Doubine, c'est bien qu'il pose des questions. C'est qu'il s'intéresse. Une tête vide ne ferait pas ça.
— C'est ça, raille Candice, on va voir si sa tête est si bien remplie, alors.
La goule souffle par le nez en secouant la tête. La fée Milliget grogne à Helouri de se lever et si ce dernier croit tout d'abord qu'il va étudier de longues heures dans sa cabine, sous la tutelle de Candice, il remarque qu'il se trompe quand il le voit s'asseoir sur les marches de l'escalier qui mène vers le pont. Helouri jete un coup d'oeil aux goules qui les observent, perplexe, mais il fait appelle à toute sa concentration quand la première question tombe d'une voix impatiente :
— C'est quoi, un os ?
— Un tissu rigide et vivant. Le composant principal du squelette chez tous les vertébrés vivants.
Le jeune morgan réalise qu'il a à peine respiré. Il reprend son souffle alors que Candice enchaîne la deuxième question :
— Les extrémités d'un os long ?
— L'épiphyse.
— Le nombre d'os axiaux chez le faelien moyen, type brownie.
— Quatre-vingt huit en tout, dont quatre-vingt os articulés.
— Chez un brownie type félin, combien d'os en tout ?
— Deux cent cinquante avec des clavicules rudimentaires.
— Et chez un abruti comme toi ?
— Deux cent dix. Les espèces aquatiques possèdent des os operculaires, au nombre de quatre, qui protègent les branchies. Ils sont beaucoup plus fins que les familiers aquatiques et… n'existent pas chez moi.
Candice hausse les sourcils, surpris. Il n'a commis aucune erreur et la fée Milliget a même l'air de se détendre quelque peu. Elle argue qu'elle ne sait pas ce que les goules ont mis dans son petit-déjeuner mais visiblement, ça a l'air de fonctionner.
— On a rien fait du tout, ne commence pas ! grogne Doubine.
— Bouffe tes mille-pattes et fous-moi la paix.
Ensuite, Candice interroge Helouri sur les os du crâne, sur les vertèbres, sur les os corticaux et spongieux, puis commence à lui parler des différents muscles. Il n'a pas besoin de se mettre en colère et Helouri doit admettre qu'il se sent plus à l'aise avec la présence de Doubine, non loin de lui, qui n'hésite pas à lancer une petite remarque de temps à autre. La goule qui lui faisait si peur a pourtant le pouvoir de le rassurer. Le jeune morgan se demande si Candice a observé son comportement durant le petit-déjeuner, pour décider de faire sa leçon ailleurs que dans la cabine d'Helouri. Quand une question vient à l'esprit du jeune morgan, il se mord la lèvre sans oser la poser. Si Candice la juge idiote, il est bon pour passer un sale quart d'heure.
— Si tu as quelque chose à dire, fais-le ! s'agace ce dernier qui a remarqué son hésitation, qu'est-ce que tu veux ?
— Rien, je… Je me demandais simplement pourquoi les espèce aquatiques n'ont pas leurs branchies contenues dans l'ouïe, comme… Comme les familiers.
Le jeune morgan sent l'angoisse l'étreindre quand il voit le visage de Candice s'assombrir. Profondément ennuyé, il croise les bras sur son ventre, il raille :
— Tu ne sais même pas comment tu fonctionnes et tu veux te guérir ? Heureusement que les branchies des espèces aquatiques ne sont pas contenues dans l'ouïe, dava, sinon tu serais capable de te rendre sourd en voulant soigner tes branchies.
Candice dit que c'est pourtant simple. Que les branchies des espèces aquatiques sont logées sur les muscles sterno-cléido-mastoidïens, tendu entre le sternum et la clavicule, en bas, puis des os du crâne, la mastoïde de l'os temporal et l'os occipital, en haut.
— Si tes branchies fonctionnaient, elles seraient vascularisées par l'artère occipitale, qui naît depuis la carotide externe. Pour que des espèces comme la tienne puissent respirer sous l'eau, les branchies doivent être à la taille de la bestiole et une ouïe comme la tienne ne peut pas les contenir. Elle ne peut pas non plus contenir de fente operculaire, ce qui te permet quand même de sortir l'eau qui rentre dans ta bouche, en pleine immersion sous-marine. Enfin ça, c'est si tu fonctionnais normalement.
Helouri encaisse la remarque sans rien dire, mais il pense avoir mieux compris l'anatomie des espèces aquatiques.
Candice décrète qu'il est temps d'aller lui remplir le cerveau et le jeune morgan sait qu'il va s'enfermer dans sa cabine, avec lui, avec des schéma sous les yeux et des noms d'os, puis de muscles à placer. La prochaine étape, ce sera bien entendu le système vasculaire car Helouri doit comprendre comment toute cette incroyable charpente faelienne est irriguée en permanence. Quand il aura compris comment il est fait, comment les différentes espèces sont faites, il apprendra à devenir un bon médecin. Il en est encore loin mais depuis qu'il se trouve sur le bateau des goules, Helouri commence doucement à s'accrocher aux branches qui lui sont offertes. Pour le moment, il y a Doubine et quand il se trouvera à Odrialc'h, sur les conseils de Balam, le jeune morgan sait d'ores et déjà qu'il se choisira l'aide de Nevra Mircalla.
Je suis un petit moins idiot qu'hier. J'ai un petit peu moins peur qu'hier.
Mais le chemin est encore long et aux yeux de Candice, il n'a pas grandi, il est toujours une neige souillée qui mérite d'être piétiné et bien qu'il soit capable, aujourd'hui, de lui réciter une leçon sur les os et les muscles, il a encore le cerveau d'un pot en terre.
Cependant, aujourd'hui, Helouri a contenu les larmes dans ses yeux pour les verser quand personne ne le regardait, alors il a au moins fait un pas vers le tortueux chemin des sélections.Les Choix
Helouri se trouve sur le bateau des goules en direction d'Odrialc'h. Durant son second jour de voyage, il a été capable d'avoir une conversation avec les goules et d'en apprendre plus sur leur peuple, mais également sur l'Eldarya originelle.
La fin du voyage se dessinera à l'issue du troisième jour et Helouri ira retrouver son père afin qu'il puisse le retenir assez longtemps pour permettre à Candice et June d'œuvrer dans les Abysses.
Mais avant sa délicate mission, que devrait faire Helouri vis-à-vis des goules et en particulier, de Doubine ?
➜ Helouri devrait garder contact avec Doubine.
➜ Helouri ne devrait pas garder contact avec Doubine.
(Information : Garder contact avec Doubine fait entrer Helouri dans une relation épistolaire avec elle. Selon l'évolution de Helouri, Doubine pourra devenir une amie proche ou bien une ennemie. Helouri pourra rompre le contact a tout instant.)
UNIQUEMENT pour Klana : Depuis Inari, Shinku a entendu parler d'une procession de bateaux de goules en provenance des frontières maritimes du royaume des fées. Beaucoup pensent qu'il ne vaut mieux pas se mêler de leurs affaires. Mais que devrait faire Shinku ?
➜ Se renseigner sur cette procession.
➜ Ignorer la procession.
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
Je vous remercie pour votre patience dans l'attente de ce chapitre quiest enfin posté. Comme je vous l'avais dit, il est assez dense et à travers lui, vous allez pouvoir rencontrer Kijan Trollkors, le nouveau personnage de Waitikka, mais également prendre connaissance d'un événement charnier de l'histoire.
Sur ce, je vous montre le visage de Kijan Trollkors, réalisé grâce à un screenshot de Final Fantasy XIV, par Waitikka et je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 6 - Le Sommet du Monde
Rhenia-Gaear, salle d'isolement de la milice, il y a six ans (RP)
— Je pense que ce serait une bonne chose que tu le prennes avec toi.
Jizel en rirait si elle était de bonne humeur. Du point de vue de la hiérarchie, c'est toujours mieux quand les fortes têtes apprennent la discipline avec elle. Ensuite, lorsqu'elles s'assagissent, les chefs les reprennent pour les affecter ailleurs et le cycle recommence. On la remercie pour sa patience, pour sa main de fer dans un gant de velours, pour son enseignement dont les racines sont profondément plantées dans la culture selkie et ensuite, on lui donne de nouveau un minaloo enragé. Jizel est fatiguée.
Elle est une selkie de trente-quatre ans originaire d'Aurora. Là-bas, pour gagner sa place au sein du village, il faut prouver sa valeur. Au sein du froid le plus terrible des Terres Gelées du Grand Nord, les selkies sont les gardiens des aurorcas; une noble tâche confiée par les fées qui devraient régner en ce moment, si les temps étaient normaux. Jizel a prouvé sa valeur plusieurs fois et à présent, elle s'occupe de ce que le Grand Exil a apporté.
La selkie est grande. Des muscles puissants roulent sous sa peau mate et elle a la large carrure de celle qui manie l'arc depuis longtemps. Comme beaucoup de guerrières de son peuple, elle a rasé une partie de ses cheveux bruns et a rassemblé le reste en une queue de cheval haute afin de dégager sa figure carrée. Comme le reste de la milice de Rhenia-Gaear, la branche du corps armée qui protège ses citoyens, elle s'emmitoufle dans de longs manteaux épais même si elle ne craint pas le froid.
Elle se lève et s'étire jusqu'à en faire craquer son dos. Elle ne répond pas, mais le chef sait déjà ce qu'elle a derrière la tête, alors il s'empresse de dissiper ses doutes :
— Celui-là, tu le gardera avec toi. Il est impossible d'en faire quelque chose. Même toi, tu auras du mal.
— Il n'y a pas de pot cassé que je n'ai pas réparé, André.
Dresser un faelien, c'est comme dresser un xylvra. Il faut s'intéresser à son histoire. Il faut savoir si c'est un petit que sa mère a mis de côté parce qu'il était trop faible, malade ou simplement idiot. Si c'est le résultat d'une éducation ratée par des imbéciles qui voulaient en faire un familier de compagnie. Quand on a compris ça, c'est facile de savoir ce qu'il faut faire. Alors Jizel verra bien. Le minaloo enragé est dans la salle d'isolement, comme d'habitude. Il est temps d'aller voir à quoi il ressemble et ce qu'il deviendra.
Jizel salue son chef, puis emprunte le couloir jusqu'à la petite porte du fond. Elle ressemble à une porte de prison, avec un rectangle pour regarder ce qui s'y passe, mais elle est plus jolie tout de même. Jizel a la clé et quand elle déverrouille la serrure, comme elle l'a déjà fait à mainte reprise, elle se sent fatiguée. Elle ne dressera pas les minaloos jusqu'à la retraite, elle en est certaine. Elle s'arrêtera avant et s'en ira couler des jours tranquilles dans son village en regardant les aurorcas nager.
La selkie ouvre enfin la porte et quand elle y voit un brownie aux longues oreilles, elle se fait la réflexion qu'elle n'est pourtant pas venue cuisiner du civet.
Assis dans un coin, les bras autour de ses jambes relevées contre son buste, le brownie enferme son visage dans une pénombre qu’il espère reposante. Kijan attend sa punition, parce qu’il sait qu’elle finira par venir. Depuis qu’il s’est engagé dans la milice de Rhenia Gaear, il y a quelques mois, il n’a fait que tendre le bâton pour se faire battre. C’est inconscient, involontaire, mais il ne peut pas s’en empêcher. Il ne supporte pas ces abrutis de binômes qu’on lui refile. Le premier était un poids mort, si bien que le brownie a réussi à le larguer en pleine intervention, manquant de le laisser clamser dans un coin. Le second, il l’a envoyé se faire voir à l’infirmerie avec un nez cassé. Une petite nature, selon Kijan, mais il ne cessait de vouloir lui enseigner la vie à sa façon, ce que le brownie exècre. Le troisième, c’était la goutte de trop.
Le voilà maintenant enfermé. On l’a fiché ici depuis des heures, sans un mot. Kijan aurait encore préféré qu’on le frappe ou qu’on lui hurle dessus. Pourtant il aime le silence. Celui qui se trouve loin de la ville, près de la maison de son enfance, au bord du lac qui est gelé les trois quart de l’année. Il aime pouvoir entendre la neige tomber et l’écorce des arbres geindre sous son poids. Il aime plus encore s'allonger sur la glace épaisse du lac et fermer les yeux, face vers le ciel, parce qu’il perçoit la mélodie de la glace qui craque. C’est l’idée qu’il se fait du chant des aurorcas. Kijan aime le silence, mais pas celui qui règne en maître dans sa petite cellule. C’est un silence froid qui ne lui laisse percevoir rien d’autre que son pouls et sa respiration. Et il déteste ça.
Puis des pas approchent dans le couloir. Ça brise le silence et ça rappelle à Kijan que le temps ne s’est pas immobilisé. En premier lieu, il imagine la carrure longiligne et agile d’un elfe, mais les pas ne sont pas aussi aériens. Il ne sait pas, mais le garde approche avec cette lenteur qu'ont ceux qui savent où ils vont. Le brownie aux longues oreilles soupire quand il entend la clée cliqueter dans la serrure de la porte. Le gardien est son bourreau.
Pourtant, aucun ordre ne lui est craché, aucune semonce. Alors Kijan relève la tête, un tout petit peu pour voir par-dessus ses genoux. Il fronce les sourcils quand il remarque des jambes épaisses. Les yeux bruns du garçon suivent la courbe d’un corps sculpté dans la glace, jusqu’à croiser un regard. Le teint de Kijan est aussi blanc que celui de cette femme est tanné et elle est aussi carré que lui est fin. Il est à peu près sûr qu’elle pourrait presque briser tous les os de sa cage thoracique en le serrant dans ses bras. Et c’est sans doute pour une raison similaire à celle-ci qu’elle est là.
— T’es là pour me cogner ? Surtout, cache pas ta joie… persifle le brownie.
Le mur est froid quand Kijan y appose la main pour se relever. Il balaye la mèche de cheveux blancs qui barre son front et reste droit, le menton haut. Il ne pourra pas y échapper alors autant y faire face sans négociation.
— Dépêche-toi, qu’on en parle plus, intime-t-il.
— Tu as besoin d'être dressé, mais pas avec le poing. File.
Elle lui indique la porte puis, sans rien ajouter de plus, disparaît en la laissant grande ouverte. Jizel va l'attendre sur les remparts, plus loin, comme elle l'a fait à plusieurs reprises avec les autres fortes têtes. Elle va croiser les bras, s'appuyer sur les pierres froides en observant Rhenia-Gaear et quand il sera enfin là, elle pourra le jauger. Le brownie n’arrive pas tout de suite, parce qu’il est resté perplexe face à la réaction de la grande dame. Et s’il ne cherche pas ce qu’elle a voulu dire, il trouve plus que suspect qu’on le laisse partir sans aucune remontrance. Ça pue le piège à plein nez. Quand il arrive au bout du seul couloir et qu’il pousse la porte, Kijan s’attend à ce qu’une paire de mains l’attrape pour le coller au sol. Il est prêt à réagir et quand son museau se fait fouetter, c’est par le vent froid du dehors et pas par une main gantée. Il ne comprend pas.
Là, adossée au rempart, la dame l’attend. Kijan fronce ses sourcils blancs et son visage s’assombrit. Il jette un coup d'œil à sa droite, puis à sa gauche. Ses longues oreilles, mobiles, pivotent sur sa tête. Ils sont seuls. Elle n’a donc pas de collègues planqués en embuscade. Avec une moue résignée, le brownie hausse une épaule. Décidément, il ne comprendra jamais les façons de faire de la milice. Ignorant complètement celle qui est venue le libérer, il s’en va en longeant le haut mur de pierre, pour retrouver les rues de la ville. Seulement, une poigne de fer l'attrape par la nuque et le tire en arrière. La dame n'a pas pour objectif de le cuisiner seulement, elle le plante devant les remparts, à ses côtés, sans le lâcher.
— Un vrai xylvra dans un magasin de porcelaine. Je ne sais pas si je dois rire ou si je dois pleurer.
Ensuite, d'un geste de la main, elle désigne la ville et lui demande ce que c'est, selon lui. Le brownie s’est crispé dès lors qu’il a senti la main se refermer sur sa nuque. Se faire agripper de la sorte, c’est pas comme se prendre un coup, c’est plus intrusif, l’empreinte est presque permanente. Même si la dame l’a relâché, il sent encore ses doigts sur sa peau et s’il a envie de frotter pour retirer cette sensation, il ne bouge pas. Les épaules relevées malgré lui pour y planquer sa tête renfrognée, il regarde sans voir cette ville qui l’a vu grandir. La question posée est bête, selon lui. Ce que c’est ? C’est Rhenia Gaear et même si la maison de Kijan se situait à l'extérieur de la ville, au-delà du petit bois, il passait beaucoup de temps ici. C’est l’endroit où il rencontrait ses rares amis, où il traînait avec sa petite sœur et où il avait été à l’école pendant une année, à sa demande. Sa sœur et lui étaient éduqués à la maison mais Kijan avait dû demander et insister pour être scolarisé normalement. Ça n'avait fonctionné qu’une année. Rhenia Gaear, c’était pour Kijan un bol de liberté loin de ses parents et de leur éducation stricte. Mais depuis qu'il est parti de chez lui, il y a plusieurs mois, ses rues sont devenues son foyer, certains étals son lieu de chapardage. Des amis, il n’en a plus, puisqu’il s’est assuré de les excéder. Cette ville, c’était sa liberté, c’est devenu son purgatoire. Pourtant, il l’aime toujours, parce qu’elle le porte et il la trouve belle à côté de lui, qui est laid. Seulement, il ne dira rien de tout ça. Ça ne regarde que lui, la façon dont il voit Rhenia Gaear.
— C’est… Rhenia Gaear. Le port du Grand Nord et des terres gelées. On doit la défendre et la protéger, répond-il.
Les oreilles braquées en arrière du brownie montrent sa méfiance. Il attend de voir si sa réponse convient à la dame. Peut-être ainsi pourra-t-il partir et avoir la paix.
Jizel hoche la tête. Oui, il a raison. Il a regardé de la bonne façon. C'est Rhenia-Gaear et c'est son travail de protéger la cité avec toute la milice. Mais la selkie ajoute que c'est la cité du courage.
— Tu sais pourquoi elle est encore debout, le p'tit ? C'est parce que les créatures qui vivent derrière la grande porte, tout au nord, le veulent bien. Sinon, elles laisseraient leur frontière ouverte et attendraient que l'on meurt sous le froid extrême de leur royaume. Il ne faut pas oublier ça. Regarde là-bas.
Jizel lui indique l'horizon. Tout au bout, il y a le grand désert blanc, celui que l'on peut arpenter en quittant Rhenia-Gaear par la grande porte Nord. Boréas, le village des hommes de givres, n'y est qu'à quelques minutes. Ensuite, c'est une étendue d'albâtre jusqu'à la frontière du royaume des fées. Une porte haute comme une falaise avec deux sculptures représentant des fées aux visages de miroirs. Jizel demande à Kijan ce qu'il en pense.
— J’ai voulu aller les voir une fois, avec ma petite sœur. Je crois que j’ai jamais été autant puni de toute ma vie, se fait-il la remarque avant de se rendre compte qu’il l’a formulée à voix haute.
Il se mure dans le silence un instant, en espérant que la dame ne relève pas. Alors pour s’en assurer, il réfléchit à la question.
— Elles font froid dans le dos. Mais je suis très curieux d’aller voir au-delà…
Jizel hoche la tête. Il le pourra s'il le mérite. Les habitants de Rhenia-Gaear peuvent s'approcher non loin de la frontière sans dépasser une certaine limite, juste pour admirer les sculptures de la grande porte. La selkie ne regarde pas son compagnon d'infortune. Son regard d'ambre reste rivé sur la ville quand enfin, elle lui demande ce qu'il a de plus précieux.
Un silence s’installe. Un silence de ceux que Kijan apprécie. Le vent froid leur siffle aux oreilles et la rumeur de la ville ose parvenir jusqu’à eux. Le brownie fronce ses sourcils. Ce qu’il a de plus précieux, ça ne la regarde pas.
— Je suis obligé de répondre ?
Il sait que non, alors à moins qu’elle lui mette un couteau sous la gorge, elle ne le saura pas. Plus rien ne lui est vraiment précieux aujourd’hui. Kijan a appris que les choses matérielles ne sont rien à côté des choses que l’on perd sans jamais pouvoir les retrouver. Il a peu de biens, peu de choses qu’on peut lui ravir. Il n’a donc presque rien à perdre, ce qui en fait un élément efficace dans la milice, si on ne considère pas ses réticences à travailler en équipe.
Jizel se retourne. Elle s'adosse contre les remparts et braque ses yeux noirs sur Kijan. Elle le jauge pendant qu'un vent glacé malmène ses cheveux bruns. La selkie croise les bras sur son buste massif, puis finit par répondre :
— Ce serait mieux. Comme ça, ce que tu as de plus précieux, je te l'enlèverai et je ne te le rendrai que lorsque tu l'auras mérité. Puisque tu refuses de répondre, alors je vais t'enlever ta dignité. Si ça te pose un problème, viens la récupérer mais pour ça, tu vas devoir prouver ta valeur. Là, quand je te regarde, je ne vois qu'un minaloo. Si tu n'es pas un minaloo, prouve-moi le contraire.
Elle ponctue ses paroles d'une pichenette sur le front de Kijan et se met à rire. Le brownie sursaute et se renfrogne aussitôt. Il allait lui ricaner qu’on ne pouvait pas lui retirer sa dignité mais il s’avère qu'il a tort. Les yeux bruns du garçon se parent d’éclairs et ses dents se serrent.
— Je n’ai rien à te prouver. Ni à toi, ni à qui que ce soit, grogne-t-il. Je consacre mon temps et mon énergie à la protection de Rhenia Gaear, qu’est-ce qu'il te faut de plus ?
Le brownie se redresse, ses jambes se déliant comme des ressorts tendus depuis trop longtemps.
— Pourquoi je devrais t’écouter, d’ailleurs ?!
Et alors que la queue du brownie frétille d’agacement dans son dos, il décrète que cette femme est hideuse, avec ses épaules carrées, sa figure épaisse et sa peau brunie. Elle lui fait mal au cou à devoir lever la tête pour la regarder.
— Parce que tu viens de perdre ta dignité dans la seconde où tu as commencé à aboyer, le p'tit.
Jizel enfonce les mains dans les poches de son long manteau fourré, puis redevient sérieuse. Désormais, le brownie va tout mettre en œuvre pour la faire tomber. Ce sera son simple objectif durant quelques temps et ensuite, il passera à autre chose. Il récupérera ce qu'il a perdu et il regardera Rhenia-Gaear différemment. Peut-être trouvera-t-il des amis dans ses rues.
— Terrain d'entrainement. Demain matin. On va voir ce que tu as dans le ventre. Si tu n'es pas là, j'irai te chercher moi-même dans ton lit et tu ne veux pas que ça arrive.
Avant de se retourner pour quitter les remparts, elle lève une grande main pour faire une pichenette, puis ajoute :
— Viens récupérer ça.
Kijan fulmine quand il regarde cette grande dame s’éloigner. Elle l’énerve à lui donner des ordres et à lui dicter sa conduite. Alors, dès qu’elle disparaît de sa vue, le brownie file de l’autre côté. Il connaît un des gars à la planification des missions. Le type fourre son nez partout comme une vraie fouine alors il saura renseigner Kijan sur cette tortionnaire.***
Le lendemain matin, l’aube fait à peine rosir le ciel quand Kijan sort du bâtiment. Tandis qu'il fourre les mains dans ses poches, il songe à ce que lui a appris le pecore de la planification, la veille au soir. La grande dame qui l’a sorti de cellule et qui lui a cassé les pieds est une selkie. On raconte que pour prouver leur valeur, les membres de ce peuple doivent retrouver leur peau, cachée quelque part dans le monde. C'est une pratique particulière mais Kijan respecte les traditions de chaque peuple tant que ça lui est possible. Ce qu'il a particulièrement retenu, c’est que dorénavant, elle est sa binôme mais il songe que ça ne durera pas longtemps. Si elle sait l’endurer, ça ne durera qu’un temps avant qu’elle lâche l’affaire. Comme tous les autres. Ce qu'il a eu le plus de mal à retenir en revanche, c’est son prénom. Kijan ne retient pas les prénoms parce que ça ne lui est pas nécessaire en général. Le jeune homme relève les yeux vers le ciel blanc et inspire. Après la nuit qu’il a passée à maudir la hiérarchie, l’air frais lui fait du bien et chasse la mauvaise humeur.
Ses pas crissent dans la neige fraîche depuis tout à l’heure. Le manteau blanc est tombé cette nuit, pour lisser à nouveau le sol piétiné et le brownie adore avoir la première trace dans la neige. Sans regarder où il va, le jeune homme tire de ses poches des feuilles séchées qu'il va rouler dans une petite tranche de papier. Puis il porte le tout à ses lèvres et l’allume avec une flamme. La bouffée polluée qu’il prend le calme et il sait qu’il en aura besoin.
Le terrain d'entraînement n’est pas loin. Kijan s’y rend parce qu'il a conscience qu'il n’y échappera pas. Aussi, il entend se plier aux ordres le temps qu'il faudra. Quand les chefs auront décrété que la leçon est retenue, ils lui ficheront la paix. Quand il aborde sa destination, Kijan avise la silhouette massive qui s’y tient. La selkie est déjà là mais à en juger le nuage que dégage son haleine, elle vient juste d’arriver. Leurs regards se croisent, pourtant Kijan s’adosse au mur à côté de lui pour terminer le cône de feuilles séchées. Il n’a pas l’intention de le gaspiller vu la fortune que ça lui coûte et il se sait légèrement en avance. Suffisamment. Quand il ne reste plus rien à fumer, le brownie éteint le reste incandescent contre les pierres froides et s’avance enfin. S’il ne dit rien, son regard s’accroche à celui de celle qui devra supporter son caractère pour les jours à venir, voir les semaines si elle est tenace.
— Laisse ton arme, lui indique Jizel en guise de bonjour.
Pour cette matinée, la selkie a délaissé son manteau épais pour un simple pourpoint ainsi qu'un pantalon en peau. Elle a également enfilé une paire de gants en cuir, puis elle intime à Kijan de se mettre en garde :
— En cette belle matinée avec une nouvelle neige, rien ne vaut un combat à mains nues. Fais voir comment tu te débrouilles, petit gabarit.
Délaisser son arme ne dérange pas Kijan. Depuis ses treize ans, son père l’a entraîné à faire de son corps une arme. Sa lame n’est qu’une extension de lui, un outil qui lui permet de trancher plus fort. Aussi, le jeune milicien tend la main vers son buste pour défaire la boucle de son harnais de cuir. Sa lame à crosse trouve sa place contre le muret qui entoure le terrain d’entraînement, rapidement rejoint par le long manteau qui se révèlera gênant pour un affrontement. Le froid lui attrape rapidement le corps. Contrairement aux selkies, les brownies ne sont pas immunisés aux basses températures. Bien qu’ayant toujours vécu dans cette partie du monde, Kijan a besoin d’une épaisse couche de vêtements pour conserver sa température corporelle. Ainsi, sous son pourpoint en cuir renforcé, il porte un vêtement sombre qui coupe le vent et le froid. Ses jambes sont protégées par un sur-pantalon alors que ses pieds ne sentent pas la froidure de la neige, bien au chaud dans ses bottes rembourrées. En revanche, les mains du brownie sont nues. Sa peau rougira dès lors qu’elle restera trop longtemps au contact du froid mais il préfère cela plutôt que porter des gants épais qui lui volent toute son aisance.
Face à la grande dame, Kijan roule des épaules et souffle par le nez. C’est vrai qu’il est tout petit à côté d’elle. Mais il n’a que dix-sept ans, il a encore le temps de grandir et de gagner en carrure. Enfin, il s’exécute. S’il ne ferme pas les poings, le jeune homme lève ses bras, en garde, une jambe devant l'autre, fléchies, prêt à parer.
La dame frappe fort. Très fort. Sa musculature impressionante a été forgée dans un froid impétueux ainsi que dans des règles tribales aussi tranchantes que l'acier. Quand il était venu le moment de retrouver sa peau, Gizel accomplit cette mission avec brio en l'arrachant aux griffes de prédateurs mortels et en s'aventurant dans des endroits dangereux. Alors pour un adolescent bouillonnant de colère, Jizel est un rempart infranchissable. Il peut cracher ses nerfs s'il le souhaite, il peut s'acharner jusqu'à l'épuisement mais à l'issue de ce combat, il comprendra que sa nouvelle binôme est une dame de fer.
Le premier impact de leurs corps est dur. Les pieds de Kijan dérapent dans la neige, alors que ses bras s'érigent en une barrière pour encaisser la force de la selkie. La première pensée du jeune homme est qu’il va finir en morceaux s’il la laisse le frapper. Alors il s'évertue à parer, à contrer. Et si son regard guette la moindre ouverture et étudie les mouvements de la grande dame, son corps n’a pas un instant de répit pour tenter une riposte. Dès lors qu’il tente de contre-attaquer, il en a eu le souffle coupé, d’un coup venu de nulle part, trop bien placé dans ses côtes. Quand il parvient à la toucher, c’est comme cogner dans un mur. Il se bousille la main, mais le mur ne flanche pas.
Kijan ne sait pas combien de temps dure cette rixe. Il ne songe pas au temps qui passe mais compte mentalement, le nombre de fois où il est parvenu à toucher la guerrière. Quatre fois. Et sur ces quatre fois, elle n’a pas bronché. Soit elle ne ressent aucune douleur, soit elle est forgée dans un acier plus solide encore que les lames de la milice. Pourtant, lui, il la ressent la douleur qu’elle lui inflige à chaque revers et s’il ne laisse rien paraître, il sait qu’il maudira les poings de la dame de fer, ce soir et dans la nuit.
C’est seulement quand il est à bout de souffle et se retrouve à terre, les mains rougies par la neige et les articulations abîmées d’avoir trop essayé de la faire flancher, que l’humiliation prend fin. Il reste le visage vers le sol. Même si c’était perdu d’avance, il s’est donné à fond pour faire ravaler son petit air supérieur à celle qui sera sa binôme pendant quelque temps. Il avait espéré au moins la mettre à genoux. Ça lui fout les nerfs de la voir là, toujours aussi fièrement campée sur ses pieds. Sans doute qu’elle se confirme qu’il n’est qu’un minaloo qui ne fait que grogner. Qu’elle aille se faire voir dans le désert du Geb, cette mégère.
— Satisfaite ? Je courbe l’échine. Mais compte pas sur moi pour aboyer.
— J'ai les oreilles sensibles, alors je te demanderai d'éviter.
Au moins, le petit pimpel a pu se défouler et c'est une bonne chose. Il est jeune, il a le sang qui bout, il a beaucoup à apprendre mais ce n'est pas une cause perdue. Peut-être qu'il évoluera, Jizel verra bien. Elle lui donnera sa chance comme aux autres et ce sera à lui de l'utiliser à bon escient.
Rhenia-Gaear, les remparts, instant présent
Un long soupir quitte ses lèvres. Si elle avait envie de plaisanter, Jizel dirait que la quarantaine ne lui réussit pas et qu'il serait peut-être temps de songer à la retraite. Néanmoins, elle garde la tête froide comme toujours et range son petit souci dans un coin de son esprit.
Aujourd'hui, un ancien de la tribu des selkies est venu la quérir parce que l'une des aspirants n'est toujours pas revenue avec sa peau. Le temps presse et si elle échoue, elle sera exilée, ce sont les règles. Seulement, il s'agit de la cadette du chef actuel, alors c'est plus gênant. Jizel est priée de se rendre à Aurora dès que possible afin de discuter du cas de Nikol Reagan, mais elle verra ça plus tard. Pour le moment, elle profite de la vue, comme toujours. Rhenia-Gaear n'a pas connu de grand froid depuis un moment, alors c'est que les portes du royaume des fées restent closes. Jizel, comme toute la population de Rhenia-Gaear et d'Aurora, a eu vent de la catastrophe qui a eu lieu à Eel et de ce village, non loin de feu la cité blanche, qui se trouve sous le joug des fées. Il est évident que les Milliget finiraient par tenter de reprendre leur souveraineté originelle, mais qu'elles le fassent de cette manière est étrange. Enfin, tant que Rhenia-Gaear reste debout, c'est tout ce qui compte.
Une silhouette longiligne se hisse sur les créneaux du rempart à côté de Jizel, avant de poser un postérieur qui se veut princier dans la neige qui recouvre la pierre. Kijan est emmitouflé dans l’épais manteau de la milice et la fourrure chatouille sa nuque, pourtant ses mains sont nues, comme bien souvent. Le silence plane entre les deux miliciens, mais il n’est pas gênant. Ils ont appris tous les deux à l’apprécier sans qu’il ne soit synonyme de non-dits. Le brownie porte à ses lèvres son habituel cône de papier à l’odeur de plantes séchées. La fumée est immonde pour qui n’y est pas coutumier mais pour lui, elle est apaisante. Jizel n’est pas une grande bavarde, comme lui, et ça l’arrange bien. Au moins, avec cette binôme qui a su lui survivre et le supporter au fil des années, il n’a pas besoin de se tartiner des conversations aussi inutiles que futiles. Pourtant, Kijan peut se targuer de savoir lire le comportement de la selkie. Au moins un petit peu. Et en ce moment, à travers son silence et son regard verrouillé sur la ville de Rhenia Gaear, il décèle quelque chose qui lui fait plisser les paupières.
— Qu’est-ce qui te travaille ? T’as l’air toute coincée, c’est le froid qui te grippe ? suppose-t-il avant de prendre une nouvelle bouffée d’herbes séchées.
Et même s’il sait qu’elle refusera, parce qu’elle refuse toujours, Kijan tend le petit cône fumant. Il lui a déjà suggéré plusieurs fois de s’y mettre parce qu’il la trouve tendue, parfois.
Jizel lève une main en secouant la tête. Elle n'a jamais fumé et ce n'est pas à quarante ans qu'elle s'y mettra.
— Des histoires d'Aurora, répond-t-elle d'une voix lointaine, tu sais bien comment sont les selkies.
En six ans, Kijan a pu en apprendre un petit peu sur eux. Jizel ne s'est pas beaucoup épanchée sur son espèce, mais les quelques visites des membres de son peuple ont été suffisantes pour lui montrer comment grandissent les selkies. Ils sont belliqueux, fiers, ne jurent que par la force et attendent volontiers qu'un roi qui leur ressemble monte enfin sur le trône des fées.
Quand quelque chose arrive à Aurora, Jizel est consultée, mais Kijan n'en sait pas plus.
— J'étais en train de penser, reprend Jizel en changeant de sujet, que la porte des fées n'a pas été rouverte. Elles ne sont pas rentrées.
Quand les fées entrent ou sortent de leur royaume, elles libèrent le froid extrême de leur royaume durant quelques secondes qui changent Rhenia-Gaear en cité glaciale. Tout le monde le ressent et c'est de cette façon que Kijan et Jizel ont été réveillés à l'aube deux mois plus tôt. Les fées sont sorties et il y a eu la chute d'Eel. Ensuite, la porte s'est ouverte une seconde fois et Jizel pensait qu'elles étaient rentrées mais en vérité, la reine s'est déplacée jusqu'à un petit village non loin de l'ancienne cité blanche. Depuis, elles ne sont pas revenues.
Kijan souffle par le nez en grondant d’approbation. Il a remarqué aussi que ça fait un temps certain qu’aucune vague de froid à briser les os ne les a pas fauchés. Ce qu’il en dit, lui, c’est que tant que les fées sont occupées à Eel ou ailleurs, tout conflit qu’il puisse y avoir n’est pas à leurs portes. Et ça lui suffit. Ce qu’il se passe ailleurs dans le monde, il s’en fiche pas mal, tant que Rhenia-Gaear demeure debout.
— Ce qui se passe à Aurora a un lien avec l’absence des fées ? demande le brownie en prenant appui sur ses mains pour se pencher en avant et voir le vide sous le rempart.
Kijan n’a pas le vertige et voir ses pieds remuer à une telle hauteur de l’inquiète pas. Ce qu’il se demande véritablement, c’est surtout ce que va impliquer l’absence des fées pour tout le monde ici, si elle perdure.
— Non, affirme Jizel, ce n'est rien d'autre qu'une histoire de selkies qui concerne les selkies.
Elle se redresse et souffle par le nez. Ce sera réglé comme il se doit et Jizel se fera juge neutre, comme d'habitude. Tant pis si Nikol Raegan ne retrouve pas sa peau. Les règles sont les règles.
— Au fait, se souvient Jizel, je ne sais pas si tu as entendu les chefs en parler, mais les Fontaine parlent de marier leur fils. Avec une idiote, il paraît. N'empêche que si ça arrive bientôt, on sera de corvée de mariage. Entraîne-toi à être irréprochable.
Kijan en a entendu parler, en effet. Il s’est même moqué d’être débarrassé de ce genre de convention. Après avoir quitté sa famille, il n’a plus eu à s’inquiéter de devoir subir un mariage arrangé pour former quelqu’alliance que ce soit avec une autre famille de chasseurs. Le jeune brownie râle et jette son reste de fumette en bas des remparts.
— Ahhh… on est obligé de se coltiner ça ?
La bienséance, les jolis atours, les courbettes et les mots hypocrites, Kijan en a sa claque malgré son éducation qui l’y a habitué dans une moindre mesure. Pourtant, il ronchonne à un autre niveau.
— Figure-toi que je sais être irréprochable. Je peux même être très élégant, si je veux.
Il grognasse, mais Kijan sait que si ce sont les ordres, alors il s’y pliera, non sans essayer de négocier une autre affectation. Il réfléchit déjà à ce qu’il pourra marchander avec les chefs pour ne pas avoir à être de garde au mariage des Fontaine, mais quand il tourne la tête vers Jizel, c’est pour la voir s’éloigner. Leur binôme n’avait pas d’ordre de mission particulière aujourd’hui, alors Kijan suppose qu’elle va s’occuper de son histoire de selkies. En un bond et quelques enjambées, le brownie rattrape la grande dame, passe devant pour lui couper la route et croise ses bras sur son torse. Sourcils froncés, il réprimande :
— Et où est-ce que tu vas comme ça ?
— Histoires de selkies, je t'ai dit. À quoi ça sert d'avoir de grandes oreilles si tu n'écoutes pas ?
Jizel compte se rendre à Aurora pendant le changement de garde. Ainsi, le chef aura son point de vue, comme il le souhaite et ils pourront se pencher sur un premier jugement pour Nikol. En traînant la patte à retrouver sa peau, elle déshonore son peuple qui ne peut pas s'encombrer des faibles.
— Tu n'es pas le bienvenue, petit pimpel, poursuit Jizel en le repoussant d'une main sur l'épaule, alors pendant que je suis là-bas, tu n'as qu'à profiter d'un peu de répit. Il prendra fin quand je reviendrai, compte là-dessus.
Les épaules du brownies retombent. Il avait espéré pouvoir l’accompagner, mais apparemment Jizel l’a vu venir. Et même si la selkie ne peut pas le voir, la contrariété s’est peinte sur le visage de Kijan. Il sait qu’il est vain de discuter avec Jizel. Ce n’est pas faute d’avoir essayé encore et encore durant des années, mais la dame de fer est intraitable. Pourtant, il tente toujours, de temps en temps, de repousser des limites qu’il connaît par cœur.
— Et si je reste en dehors du village ? Je me mêlerai pas de vos histoires, promit-il.
— Alors reste ici, c'est mieux.
Jizel agite un doigt, le défendant de la suivre. Il avait essayé plusieurs fois, mais il n'atteignait jamais Aurora. La première fois, il faisait le bruit d'un xylvra enragé et bien qu'il se soit amélioré avec le temps, Jizel parvient toujours à le repérer.
On peut entrer à Aurora lorsque l'on est l'ami des selkies. lui avait déjà expliqué Jizel.
Mais Kijan n'est pas l'ami des selkies. Il n'est même pas l'ami de lui-même alors ce n'est pas demain la veille qu'il mettra un orteil à Aurora et encore moins assister au ballet des aurorcas.
Le ton de Jizel n’est pas dur, mais il est catégorique. Kijan sait qu’il n’ira pas à Aurora aujourd’hui, ni même peut-être jamais. C’est sur cette pensée qu’il regarde sa binôme s’éloigner. Un feu de vexation brûle dans son ventre et il mue peu à peu en rage en remontant le long de son torse et c’est avec tous les efforts du monde que Kijan retient sa voix de hurler à Jizel. Ça ne servirait à rien si ce n’est retarder plus encore ce jour où il verra les aurorcas.
— Harpie ! grogne-t-il dans la fourrure de son manteau.
Une journée de répit. C’est vite dit. L’humeur massacrante qui lui colle dorénavant à la peau fera de cette journée une calamité pour tous ceux qui vont devoir côtoyer Kijan. Il a besoin de fumer, mais ça ne suffira pas, alors il se rendra peut-être au terrain d'entraînement en espérant trouver quelqu’un sur qui se défouler.
Muscle grand dorsal. Muscle dentelé antérieur. Muscle oblique externe.
Helouri a religieusement écrit leur nom sur l'un des parchemins dédié à la myologie avant de les apprendre. Dans quelques heures, le bateau des goules atteindra le port de Tantale, sur le continent du Gabil. Pendant que Candice Milliget et June se rejoindront afin de descendre dans les Abysses, Helouri devra retrouver son père à Odrialc'h.
Tout ce que tu as à faire, c'est le retenir suffisamment longtemps pour que l'on puisse détruire Sexta et les Abysses, dava. On aura beaucoup d'avance, mais plus ton père reste à l'écart, mieux c'est.
Quant à la question de Leiftan Tuarran… Helouri retient un soupir. Il n'avait pas mis Candice au courant tout de suite, parce que le voyage vers le Gabil s'était organisé très rapidement. La fée Milliget avait refusé de laisser Joseph Ael Diskaret, les gardiens de l'Obsidienne et les quelques soldats d'Odrialc'h trouver les Abysses en premier, alors les goules avaient été mises à contribution. Aussi, l'embarquement avait été marqué par la dispute entre Candice et sa mère, puis la gifle que cette dernière lui avait mise. Helouri faisait déjà les frais de l'humeur massacrante de la fée Milliget lors du premier jour de voyage, alors hors de question de l'accentuer avec l'information concernant Leiftan. Le jeune morgan avait donc choisi le deuxième jour, peu de temps après la leçon sur les os pour avertir Candice.
Il peut revoir le teint de la fée virer au blanc pendant qu'il fusillait Helouri du regard. Puis il avait simplement souri en ajoutant d'un ton tranchant que c'était finalement une bonne chose car après avoir abattu Sexta, il massacrerait Leiftan. Mais Candice n'était pas idiot et Helouri se doutait qu'à défaut de ne pas vouloir perdre de sa superbe face à un dava, il retournerait l'information dans tous les sens jusqu'à la comprendre. Leiftan ne prendrait jamais le risque de descendre aux Abysses et se mettre en danger sans une bonne raison.
— Tiens, ma beauté.
Helouri se redresse quand il entend la voix profonde de Possi. Il masse sa nuque raidit, à force de constamment se pencher sur son travail. Lorsque ses yeux se posent sur la goule massive, il la voit en train de donner des morceaux de viande séchée à sa sgarkellogy. Cette dernière lui adresse un sifflement ravi, puis se met à manger de bon cœur. Ensuite, elle fera certainement sa sieste, couchée en écharpe sur les larges épaules de Possi.
Depuis qu'il se sent plus à l'aise en la présence des goules, Helouri préfère étudier dans la grande pièce dédiée aux repas plutôt que seul, dans sa cabine. Les bruits de conversation ne le dérangent pas, tout comme les sgarkellogy qui furètent et parfois, s'approchent de lui pour lire ce qu'il écrit. Au début, le jeune morgan avait du mal à le croire, mais Doubine avait raison : les sgarkellogy possèdent un esprit similaire à celui du faelien moyen et quand leurs yeux opaques se posent sur une feuille de parchemin, ils lisent vraiment.
Helouri reprend l'apprentissage de sa leçon. Les muscles de la parois abdominale du faelien classique se succèdent telle une liste qu'il assimile assez facilement, mais quand il doit les placer sur un schéma réalisé à main levée, cela se complique. Il grimace. Il y arrivait bien, tout à l'heure, pourtant… Helouri se tourne vers les escaliers qui mènent sur le pont du bateau. La lumière du jour avec son soleil bien haut dans le ciel est un véritable appel pour celui qui a passé plusieurs heures à étudier. Le jeune morgan songe qu'il serait temps de s'aérer l'esprit pourtant, dès qu'il veut se lever, il songe immédiatement à Candice. Il est certain que la fée Milliget lui ferait regretter de le voir flâner comme un touriste et s'empressera de vérifier ses connaissances sur la myologie pour le punir à la moindre erreur. Helouri réprime un frisson, puis attrape sa pile de parchemins. S'il est en train d'étudier dehors, Candice ne pourra pas le lui reprocher, du moins il l'espère.
Le jeune morgan se redresse en faisant craquer ses articulations. Il est déjà plus confortable d'être debout après de longues heures à se tenir recroquevillé sur une caisse en bois en guise de table. L'extérieur et le vent salin seront salutaires, alors il s'empresse de trottiner vers les escaliers, puis de les monter petit à petit jusqu'à sentir une brise sur son visage bleu.
— Et ensuite ?
Helouri se fige. La voix de Doubine lui parvient et quand il entend un soupir agacé lui répondre, son corps s'affaisse quand il constate que contrairement à ce qu'il pensait, Candice ne se trouve pas dans sa cabine. Le jeune morgan se dresse sur la pointe des pieds pour apercevoir la silhouette de Doubine puis celle, entièrement couverte de son voile hivernal, de Candice. Accoudée au bastingage, la fée Milliget semble excédée. Doubine, elle, la fixe, les bras croisés sur la poitrine.
— Est-ce que tu sais l'effet que ça eu sur notre peuple quand on a entendu le traité de Polaris ? reprend la goule, enfin, c'est ce que tout le monde à pensé. Notre Princesse avait hâte de rejoindre Albacore et au final, pour trouver quoi ? Ta mère en train de négocier jusqu'à plus soif.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? s'agace Candice, j'avais préparé le terrain, je tenais le village dans mes mains après avoir été mis en cage comme une bête ! Ma mère n'avait qu'à déclarer la guerre à Eel avec votre Princesse. Mais ma mère n'est pas comme ça.
Non, bien sûr. Delta Milliget n'est pas comme son père, Polaris Milliget, le regretté Polaris. Quand il régnait sur le royaume des fées, son influence s'étendait sur tout Eldarya comme une ombre et il mettait à genoux les contrées les plus lointaines. Il était une main tranchante dans un gant de velours. Juste, mais brutal quand on avait le malheur de s'attirer son courroux. Seulement, Polaris était déjà très âgé lorsque le Grand Exil a eu lieu, alors quand les goules ont été chassées d'Ozlomoth, il a voulu repousser l'envahisseur, mais ça a causé sa perte. Odrialc'h a pu profiter de sa faiblesse et de son grand âge pour venir le chercher, puis emporter avec lui, tous les anciens et les enfants du peuple des fées.
— Il nous manque, déplore Doubine, notre Princesse à l'impression de le trahir en restant assise pendant qu'il est prisonnier.
— Si grand-père lui a demandé de ne pas intervenir, alors c'est mieux pour elle et pour vous. Odrialc'h ne tombera pas aussi facilement qu'Eel, averti Candice.
— Odrialc'h finira par être pourrie par le tap jusqu'à l'os, raille Doubine.
Helouri déglutit. La plus grande cité d'Eldarya qui a volé Ozlomoth aux goules est un ennemi clairement défini pour ce peuple, ainsi que les fées. mais le jeune morgan doute qu'elle puisse tomber. Le tap a fait des ravages partout, c'est chose sûre, mais il n'atteindra jamais les hautes sphères. Helouri ferme brièvement les yeux quand le souvenir de son achat malencontreux qui lui avait coûté une arrestation lui revient en mémoire. Il remercie l'ancien Second Clarimonde de l'avoir menotté avant qu'il ne fasse la bêtise de toucher au tap…
— Après l'appel du traité de Polaris, reprend Doubine, que pense le peuple des fées ?
— Je suis certain que Mère a dû essayer de calmer les esprits, comme d'habitude, mais c'est peine perdu. Les fées ne veulent plus d'une reine qui négocie, mais de quelqu'un qui sache régner comme grand-père. Lui, il savait porter la colère de son peuple sur ses épaules. Il inspirait la peur, même aux plus puissants et c'est bien pour ça que quand il a été affaibli, Odrialc'h en a profité !
Candice abat son poing sur le bastingage. Les faeliens issus du Grand Exil ont beau être des sous-espèces pour lui, mais en attendant, les dirigeants d'Odrialc'h ont été assez intelligents pour priver le royaume des fées de leur figure de proue. Sans Polaris, les fées ne sont plus grand chose.
— Il serait temps que la couronne change de tête, non ? soupire Doubine, Tu seras le prochain reproducteur avec Shelma, alors tu es en droit de la réclamer. Tu sais déjà que tu as le soutien des goules et de notre Princesse.
Doubine pensait que l'appel du traité de Polaris était un coup d'état déguisé dans le but de destituer Delta Milliget, mais elle a été déçue. Même si Candice veut la couronne, il ne ferait jamais une chose pareille.
— Pourquoi ? s'enquit Doubine.
— Parce que c'est ma mère.
La fée Milliget se détourne puis se dirige d'un pas agacé vers l'escalier. Helouri n'a que le temps de le descendre en vitesse, sa pile de parchemins serrée contre sa poitrine. Quand il arrive, Candice le trouve planté au beau milieu de la pièce, l'air hébété. Helouri ne peut pas voir son visage, mais il prie dans son for intérieur pour que la fée Milliget ne le soupçonne pas d'avoir écouté sa conversation avec Doubine.
— Qu'est-ce que tu fous là, dava, s'emporte Candice, si tu crois que tu peux te promener sur ce bateau, c'est que tu connais toutes tes leçons par cœur ? On va vérifier ça.
Candice lui aboie de regagner sa cabine en décrétant qu'il n'en sortira qu'une fois qu'il aura répondu juste à toutes les questions. Bien entendu, Helouri n'a jamais pu remplir ses exigences et c'est la raison pour lequel il est resté confiné, à étudier d'arrache-pieds, jusqu'à l'arrivée du bateau au continent du Gabil.***
Quand Helouri retrouve l'extérieur, il pousse un soupir d'aise. Peu de temps avant que le bateau des goules n'ait accosté au port de Tantale, il avait l'impression que sa tête était si remplie qu'il n'était plus possible d'y caser de nouvelles informations. Le jeune morgan a récupéré ses affaires, puis a suivi le mouvement en empruntant la passerelle afin de rejoindre la terre ferme.
Le petit village de Tantale ressemble à une alcôve sereine en périphérie de la plus grande cité d'eldarya. Il suffit de regarder les masures en bois, avec leurs toits de chaumes, pour comprendre que les gens d'ici vivent principalement de l'herboristerie ainsi que de la production de lait de lamulin. Helouri sait qu'il est particulièrement apprécié car même s'il ne contient aucun élément nutritif, sa saveur sucrée est idéale pour réhausser les pâtisseries terriennes, assez dures et sèches.
Lorsque le jeune morgan aperçoit Doubine et Candice remettre deux belles bourses de pièces d'or à ce qui semble être le maire du village, il comprend que Tantale a tout intérêt à garder le silence concernant l'accostage du bateau. Il sera ensuite mené vers une baie à l'abri des regards indiscrets et si les Abysses n'existent plus d'ici la fin de la journée, Doubine et ses congénères quitteront immédiatement les lieux en empruntant les voies maritimes du tap.
— J'enverrai un rapport à notre Princesse, glisse Doubine à Candice, elle connaît déjà ton plan et elle t'aidera.
— J'aimerais qu'elle se renseigne sur ce que ma mère a prévu avec ses nouveaux dava, grogne la fée Milliget, et qu'elle la retienne à Albacore. Ma mère finira par se fatiguer à négocier.
Ensuite, Candice pense qu'elle rentrera au royaume des fées et qu'il sera bien tranquille, à Odrialc'h, pour exécuter la suite de son plan. La première phase étant tout d'abord les Abysses.
— Il y a encore des goules qui se trouvent aux Abysses, reprend Doubine, ce serait bien qu'elles puissent en sortir avant que tu fasses tout sauter.
— Les purrekos feront évacuer les lieux avant que je ne fasse quoi que ce soit.
La fée Milliget lui jette un regard entendu par-dessous son voile irisé et Doubine hoche la tête. Candice ne perdra pas de temps. La matinée est déjà bien avancée et les forces armées en provenance d'Albacore entreront en jeu dans quelques heures, alors il doit se hâter, puis plonger dans les Abysses. June sera là aussi, bien entendu. Quand Helouri pense à elle, son cœur se serre. Il ne la verra pas avant sa mission et il doute de la revoir après, si l'entreprise est un succès. Il n'aura rien à faire dans les quartiers du corps armée d'Odrialc'h tout comme elle ne viendra jamais dans les pièces où il sera confiné, à apprendre encore et toujours. Qu'est-ce qu'ils se diraient, de toute manière ? Tout ce que Helouri souhaite et la raison pour laquelle il est devenu un dava, c'est pour que sa mère soit sauvée. Pas pour June.
Menteur. Tu veux te prouver à toi et tu veux prouver à ta soeur que tu n'es pas un raté.
Non. Sa mère avant tout. Et maintenant que Candice le laissera un petit peu tranquille, Helouri va pouvoir mettre son apprentissage de côté pour redevenir le frêle morgan qui pleure la disparition de sa mère, parce qu'il a honte de ne pas avoir su devenir un fils sur qui compter, pour son père. Parce qu'il a peur de faire face aux stigmates du calvaire que Sexta aura fait subir à Cristal. Parce qu'il ne saura pas comment faire, quoi dire ni comment être utile, une fois de plus.
— Qu'est-ce que c'est que ces yeux de poisson mort ? l'agresse subitement Candice.
Helouri revient à lui pour réaliser qu'il n'a pas quitté le ponton, que ses affaires sont toujours à ses pieds et que la fée Milliget se trouve devant lui. Il n'a pas besoin de voir le visage de Candice pour deviner le mépris qui doit marquer ses traits.
— Ta mère sera sauvée aujourd'hui, alors sois fort et n'oublie pas tes dettes, dava. N'oublie pas ta mission et souviens-toi que si tu fais le moindre écart, je saurai te rappeler qui est ton maître. Tu as compris ?
Le jeune morgan hoche la tête, mais quand il reçoit un coup au tibia, il grimace et finit par répondre un oui chevrotant.
— C'est mieux, grogne Candice, dépêches-toi d'aller retrouver ton père, fais ton travail et attends les instructions.
Helouri répond de nouveau et lorsque la fée Milliget se détourne, il en profite pour masser son tibia douloureux. Puis, le jeune morgan se redresse et jette un regard vers l'horizon. Par-delà la forêt qui sépare Tantale de la cité, Odrialc'h se détache en surplombant le continent tout entier. Les quartiers, empilés les uns sur les autres, forment une véritable ascension vers un sommet qui n'est qu'un songe que beaucoup rêvent d'effleurer du bout des doigts. Helouri le fixe, le cœur battant. C'est là-haut que se trouve son objectif, cette nouvelle place qu'il devra occuper en tant que serviteur personnel de la Capitaine et pour y arriver, il devra se battre avec des milliers de candidats. Helouri soupire. C'est comme un autre monde, à ses yeux, un autre monde qui n'accepte pas les gens comme lui.
— Bon, le petit poisson de la fée, tu as décidé de prendre racine sur le ponton ?
Lorsque la voix de Doubine l'interpelle, Helouri lui adresse un pauvre sourire et s'empresse d'attraper ses affaires et de commencer à marcher. Il a une mission et il vaudrait mieux qu'il s'y attelle au plus vite au risque de subir les foudres de Candice. Si Joseph Ael Diskaret a décidé de prendre de l'avance sur sa mission périlleuse, Helouri doit malheureusement le freiner.
Pourvu que maman soit sauvée, songe le jeune morgan, Pourvu qu'elle puisse se reconstruire.
Helouri se plante devant Doubine. Il ne sait pas comment dire au revoir à une goule, ni si cette dernière en a quelque chose à faire mais à son grand étonnement, Doubine le prend par l'épaule et commence à marcher avec lui. En traversant Tantale, Helouri comprend que derrière ses airs de village paisible en phase avec la nature, ce n'est qu'une immense vitrine et que Tantale est bien plus riche qu'il n'y paraît. Les habitants ne se préoccupent que très peu de ce qu'il se passe, si bien qu'il est évident que ce n'est pas la première fois que des goules et même une fée marchent dans leur village. Helouri fronce les sourcils alors qu'une idée se met à germer dans une esprit. Il jette un bref coup d'œil à Doubine, croise son regard ainsi que son sourire énigmatique, puis se concentre sur ses pieds. Mais il est certain d'avoir raison : le village de Tantale est un endroit-clé pour l'immense trafic du tap.
Quand ils empruntent le sentier et pénètrent dans la forêt qui sépare Tantale d'Odrialc'h, le silence les enveloppe. Le sgarkellogy de Doubine semble ravi de cette promenade et bien qu'il ne quitte pas les épaules de la goule, il ne cesse de scruter et de siffler avec curiosité. Helouri songe que les paysages de nature ne sont certainement pas légions du côté de la petite Ozlomoth et il se demande aussi ce que doivent ressentir les goules quand elles se tiennent si près de leur ancienne patrie.
Le jeune morgan doit admettre qu'après trois jours passés sur un navire, retrouver la terre ferme ainsi que la verdure lui fait du bien. Les arômes de résine, de la fraîcheur de l'air, de l'humus, des plantes et du chemin couvert d'aiguilles forment un bouquet apaisant. Helouri sent les muscles de son corps se détendre et même si l'angoisse concernant sa mère le prend au tripes, il a les idées plus claires.
— Tu ne t'es jamais présenté, lance soudainement Doubine.
Helouri cligne des paupières à plusieurs reprises et lève vers elle un visage perplexe. Quand il passe ces trois derniers jours en revue, il n'y a que de l'ostéologie ainsi que de la myologie. Il y a aussi cette histoire contée par Possi sur l'Eldarya d'antan, mais il réalise que Doubine ne connait pas son nom.
— Helouri, marmone le jeune morgan.
— C'est le diminutif de quoi ? demande la goule.
— De… Rien. C'est simplement mon nom.
— Tu n'as pas de diminutif ?
— Je… Si, Lou.
— Silou ?
— Non. Juste Lou.
Doubine laisse échapper une exclamation amusée qui ressemble à un chuintement. Son sgarkellogy pousse un sifflement joyeux et roucoule quand il se fait gratter entre les cornes. Helouri, lui, rentre la tête dans les épaules comme s'il avait dit une énormité, mais Doubine se contente de changer de sujet :
— Ne te mêle pas des histoires des fées, Lou, l'averti-t-elle d'un ton plus sérieux, ne te mêle pas non plus des histoires des goules. Tu as une mission, alors contente-toi de la mener à bien et après, fais profil bas.
Helouri sent une boule se former dans son ventre. Ce que dit Doubine, il l'avait déjà compris. Les histoires de l'Eldarya d'antan sont trop compliquées pour qu'il veuille y mettre son nez et puis, le Grand Exil a créé encore plus de nœuds, dont certains sont devenus des nerfs de guerre. Il n'est qu'un morgan qui veut sauver sa mère des griffes de Sexta et qui paiera sa dette pour ça, aussi ardue soit-elle. Le reste, ça ne le regarde pas.
— Mais… se risque-t-il, on arrête jamais d'être un dava, n'est-ce pas ? Je veux dire… Si j'arrive à accomplir ce que veut Candice, après, il demandera sûrement autre chose.
— C'est Maître Candice pour les dava, corrige Doubine en lui tapotant la tête, mais évite de le dire devant lui, on a besoin que sa tête reste à la bonne taille pour la couronne.
— Vous…
Il est évident que les goules souhaitent la destitution de Delta Milliget pour asseoir Candice sur le trône du royaume des fées pourtant, Helouri n'imagine pas une seule seconde que la fée Milliget devienne un bon roi. Si cela arrive, ce sera le chaos car il est certain que Candice se vengera du mal qui a été fait à son peuple, et sûrement à celui des goules, quitte à tout détruire pour traduire la colère des siens. Si un dava doit rester un dava à tout jamais, alors il se refuse de servir une fée impétueuse transformée en monstre juste pour la satisfaction d'écraser les moins que rien. Doubine et ses congénères doivent assez bien connaître Candice pour savoir que le mettre sur le trône, c'est de la folie.
— Regarde.
Helouri lève ses yeux d'argent. Doubine s'est arrêtée puis, le bras levé, elle pointe du doigt le sommet d'Odrialc'h. Comme un joyau sur une couronne, le grand palais, entièrement bâti en orichalque, renvoie des reflets précieux sous le soleil de plomb du continent du Gabil. Bien qu'elle soit si petite vu d'en bas, l'édifice semble immense puis confiné derrière ses murs, les hautes sphères et les secrets d'Eldarya.
— Tu vois ça, Lou, c'est le sommet du monde. Quand Candice sera roi, ça deviendra le sol des enfers.
Helouri ne répond pas. Son regard ne quitte pas le grand palais et bien qu'il comprenne le désir de vengeance d'une espèce à qui on a tout pris, il pense en son for intérieur qu'il y a tout de même des personnes, au sommet du monde, qui ne méritent pas de finir en enfer.
La Descente aux Abysses (RP)
De là où il se trouve, il peut entendre les bruits lointains de la cité d'Odrialc'h. Pour se tenir exactement à cet endroit, Candice a dû laisser le bateau des Milliget derrière lui afin de voyager dans un autre vaisseau, terrifiant, amarré par la Princesse des goules. Il sait qu'il ne doit rien à la bonté d'Algol Abigor, mais que son affection pour le règne de Polaris Milliget ainsi que son intérêt pour des Abysses qui peuvent tomber l'ont conduite à miser sur l'entreprise de Candice.
Quand je te regarde, mon cher petit, je retrouve le feu de ton grand-père. Il a eu un bon règne et s'il était toujours là, son peuple n'aurait jamais ployé.
Algol a raison. Polaris n'aurait jamais permis que les fées soient traînées dans la boue. Sous son voile hivernal, Candice ferme brièvement les yeux. Il ne peut pas y penser maintenant, car il a une mission importante.
La fée Milliget se tient aux abords de la plus grande cité d'Eldarya, dans la forêt de Galène. Dans peu de temps, June Albalefko le rejoindra et ils descendront tous les deux dans les Abysses juste avant que Joseph Ael Diskaret ne lance l'offensive. Ils auront du temps, bien assez de temps pour récupérer Sira et Cristal Ael Diskaret, tout en ôtant la vie de Sexta. Ensuite, Candice s'occupera de Leiftan Tuarran…
S'il réussit, il sera vainqueur et là, il pourra s'atteler à la libération de son peuple, s'il échoue, alors… Une bouffée de rage embrase son ventre. Il n'échouera pas. Que peut faire Sexta contre la force d'une fée ? Candice la tuera, puis June n'aura plus qu'à récupérer sa tête pour l'apporter à la Capitaine et la suite du plan se déroulera sans encombres. Quand les enfants et les anciens du peuple des fées seront retrouvés, Candice s'assurera de mettre le grand palais d'Odrialc'h à feu et à sang, juste pour que les faeliens n'oublient jamais qui sont les véritables souverains d'Eldarya. Après, il fera ce qui est juste.
Pour le moment il est là, profitant du froid extrême de son long voile juste avant la mission. Il espère que June Albalefko aura bien appris auprès de Nelladel, bien que ce dava soit moins efficace en étant estropié et qu'elle n'aura éveillé aucun soupçon. Conformément aux ordres que Candice lui a donné, elle loge à l'auberge où se trouve son père, des soldats d'Odrialc'h et des gardiens de l'Obsidienne. Quelques volontaires de l'Ombre sont aussi présents et bien entendu, Leiftan Tuarran est ici.
Lorsque Candice pense à la cité d'Eel qui est tombée, à comment il a manqué de prendre la vie du lorialet qu'il était venu tuer et à l'enfer qu'il a vécu en prison, il songe que plutôt qu'une mort rapide, il se fera un plaisir de neutraliser Leiftan, puis de le dévorer vivant. À cette pensée, il jubile qu'il n'aura pas de meilleur repas mais avant cela, il va détruire l'Impératrice des Abysses.
C’est comme ça que June le trouve. Silencieuse, morose, elle a quitté le masque poli qu’elle arbore en présence des soldats d’Odrialc’h pour reprendre son vrai visage, celui qu’elle a montré à Nelladel durant leurs entraînements. Elle est impatiente de voir mourir Sexta, elle se fiche de comment l’histoire se terminera tant que la vampire meurt à la fin. Ses entraînements auprès de l’elfe estropié lui ont permis de s’améliorer, et elle sait que de toute façon, sa détermination lui permettra d’accomplir son objectif. Quant aux autres… la jeune femme se fiche de leur sort.
Elle s’approche de Candice et s’incline, en répétant la formule de politesse adéquate d’un ton morne. Elle est ponctuelle et c'est tant mieux, car il est mal avisé de contrarier la fée Milliget, aujourd'hui plus que les autres jours.
Candice croise les bras sur son torse, puis se met à énoncer d'une voix tranchante :
— Écoute bien, je ne me répéterai pas. Tu as eu les bonnes informations, alors nous avons une grande longueur d'avance avant l'offensive de Joseph Ael Diskaret. Dans quelques minutes, Ryan et Fawkes, du cartel des Typhons, se montreront pour nous conduire aux Abysses. J'ai promis la vie sauve à la licorne contre sa soumission, alors ne la touche pas. Le renard je m'en fiche. Si tu veux apporter son corps à la Capitaine, en plus de la tête de Sexta Stoker, fais-le. Elle, je vais la tuer. Dès que ce sera fait, tu devras quitter les lieux la première avec sa tête car avant de partir, je vais faire exploser les Abysses. Nous allons être séparés un moment et tu devras négocier ta place dans l'escouade de la Capitaine toi-même. Avec ce que tu vas lui apporter, ça ne sera pas difficile. Ensuite, je te recontacterai. Est-ce que tu as compris, dava ?
— Shaw, Hekhelem, répond tranquillement June.
Le plan est clair. Elle ne tuera donc pas Ryan, mais Fawkes n’est pas placé sous la protection de Candice, alors elle n’aura qu’à attendre un faux pas de sa part. Sexta est sa priorité, mais le renard aussi paiera sa position dans le cartel. Quant au reste, négocier sa place sera une partie de plaisir après ce qui l’attend aux Abysses.
— Tu as plus de matière grise que le poisson, grogne Candice.
Mais au moins, les choses sont claires et la fée Milliget doute fortement que Sexta puisse anticiper ce qui l'attend. Une fois les Abysses réduites en cendres, Algol Abigor pourra se bâtir un empire dédié au tap si elle le souhaite. Quant à Titan, si elle parvient à être libérée un jour, alors elle pourra choisir de ne plus vivre dans l'ombre en prenant la vie de ceux qui veulent la sienne en tant que faelienne, ou bien laisser cette tâche à Candice en tant que dava. Le choix sera le sien.***
Le vieux bois se fendille et éclate sous la pointe du couteau que tient Fawkes. Vautré sur une chaise du QG, il est perdu dans ses songes et ses mains s’activent comme toujours, pour tromper sans anxiété. Si la question de savoir comment ils en sont arrivés là continue de tourner en boucle au fond de son esprit, elle est devenue si répétitive qu’il ne l’entend presque plus. A présent, ses instincts primaires reprennent le dessus. Il envisage tout ce qui pourra se produire dans les heures qui vont suivre et tâche d’anticiper le chemin qui le conduira vers sa survie. Autant dire que c’est plutôt compromis. Où qu’il regarde, les voies qui s’offrent à lui échouent dans une impasse dont les murs sont tapissés de son sang. Pourtant, il entend survivre à la fin de cette journée. Il aimerait pouvoir assurer la même chose pour Ryan, mais il n’est pas sûr d’en être capable. Il fera de son mieux, comme toujours, même si ça ne suffit pas.
Il entend du mouvement à l’étage. Le bruit des pas de Ryan le sort de ses pensées et le renard lève machinalement le regard vers le plafond. C’est l’heure d’aller accueillir Candice dans la forêt de Galène et d’entamer la descente aux Abysses.
Quand Fawkes et Ryan quittent la planque du cartel des Typhons, la licorne pince les lèvres. Son cœur s'accélère alors que ses mains deviennent moites et si par malheur, ses pensées s'envolent vers ses deux filles, alors c'est comme si elle était en train de mourir. Ryan veut vivre. Elle refuse d'abandonner Alyssa et Samantha donc tout ce qu'elle souhaite, c'est que Candice Milliget tienne parole. Elle se soumettra, elle deviendra une adoratrice des fées, une esclave tant qu'elle peut protéger sa famille et tant pis si son expertise en matière de poison se retrouve entre d'autres mains. Mais Sexta ?
Ryan ne peut pas empêcher la peur de sillonner ses veines. Sexta n'est pas idiote. L'Impératrice des Abysses n'a pas volé son titre et elle s'attend déjà à la venue de Candice. Elle sait que l'impétueuse fée Milliget viendra chercher son frère quoi qu'il en coûte, alors elle a certainement déjà un plan. De plus, Fawkes et Ryan n'ont pas manqué l'arrivée du bateau en provenance d'Albacore, avec les gardiens d'Eel, les soldats d'Odrialc'h, le mari de Cristal Ael Diskaret ainsi que le Conseiller Tuarran à son bord. Au moins, Leiftan a certainement dû recevoir le message de Fawkes alors peut-être que si l'échange est réalisé avec les Strashilka, il y a moyen d'éviter un carnage. Du moins, Ryan l'espère…
Candice a contacté le cartel de la même façon qu'avec Nelladel : en passant par le relais du quatrième sous-sol. Son message a été clair. Il attendrait aux abords d'Odrialc'h, dans la forêt de Galène et si Ryan choisissait de se raviser, alors il trouverait les Abysses lui-même et gare à elle et à Fawkes quand il leur mettra la main dessus. Alors, une fois que la licorne et le renard ont atteint la surface, ils se dirigent vers le lieu du rendez-vous.
Traverser une partie de la cité leur a pris un moment pourtant, Ryan a l'impression qu'elle se tenait encore dans la planque dix minutes plus tôt. Lorsque la forêt de Galène se présente, elle accueille volontiers l'abri des arbres ainsi que les odeurs de terre, de feuillage et de plantes. La licorne a la sensation de respirer pourtant, quand un froid intense se manifeste, tel un hiver en train de marcher vers elle, elle s'arrête. Ryan pâlit. Ses yeux s'agrandissent et elle jette un regard effaré droit devant elle, comme si elle cherchait une paire d'ailes ou bien attendrait, fébrile, l'arrivée d'un hurlement strident. Si elle abandonne et fuit comme une lâche, Candice Milliget la retrouvera et le lui fera payer pourtant, si elle le mène aux Abysses comme prévu, qui sait ce qui se passera, au douzième sous-sol ?
Ryan ferme les yeux et prend le temps de respirer. Les battements de son coeur forment une véritable cacophonie alors que la peur plante ses griffes dans ses entrailles et enfin, aussi claire que de l'eau, l'horreur se forme dans son esprit pour se manifester dans sa gorge, puis prendre corps sur sa langue :
— Fawkes… souffle Ryan, et si c'est la dernière fois que nous sommes vivants ?
Le renard marche à ses côtés sans un mot. Ses pas suivent le même rythme que ceux de Ryan, pourtant, il a l’impression de progresser dans de la glaise. Laborieusement, lourdement. Le froid lui mord la peau et son instinct de survie lui ordonne de fuir. Sa démarche n’est pas assurée et rendue claudiquante à cause de son attelle et malgré celà, il sait effacer la douleur de ses traits. Il la tait, l’assourdit et ne la garde que pour lui. Alors quand Ryan souffle son prénom, il n’est même pas certain que ce soit réel. Il songe un instant qu’il a seulement imaginé ce son, mais elle l’interroge. Cette question, le goupil se la pose en boucle depuis un moment déjà. Il se sent sur une pente très glissante sans aucune prise pour se rattraper. Et Ryan la rend plus concrète encore. Il n’aime pas ça.
— Alors faisons en sorte de ne pas précipiter la fin de l’histoire… tente Fawkes.
Mais ça sonne faux. Même lui n’y croit pas. Tout peut se passer très vite et échapper à leur contrôle. Il est même certain que ça arrivera. Alors le renard tend la main vers celle de Ryan et lui effleure la peau avec ses doigts. Quand il capture son regard, il est catégorique.
— Si nous sommes perdus, fuis. Ne te retourne pas pour moi. Fuis retrouver tes filles, Ryan. Promets-le moi.
Ryan abrite une peur sourde au fond de ses entrailles, Fawkes peut en sentir la fragrance et c’est bien normal. Il faudrait être fou pour ne pas avoir peur de ce qui les attend. Pourtant, il se sentira peut-être un peu plus serein de savoir que Ryan est prête à s’enfuir si elle n’a pas d’autre choix. Un frisson lui agrippe la nuque et fait trembler toute sa colonne, jusqu’au bout de sa queue. Le renard braque les oreilles en arrière, ses yeux noisettes fixent entre les arbres une silhouette qui ne tardera pas à se montrer.
— Il est là.
Oui, il est là. Quand Fawkes et Ryan progressent un peu plus dans la forêt de Galène, le voile irisé de Candice Milliget se détache du décor. Près de lui, il y a June Albalefko, dont le visage fermé traduit la complexité de la mission qu'elle a dû recevoir. Le cœur de Ryan rate un battement quand elle se demande combien de personnes la terrible fée Milliget a pu soumettre depuis la catastrophe qui a pris la vie de Fuya. Sa gorge se noue, son souffle se fait plus rare et le froid lui coupe la respiration. La licorne attrape les doigts de Fawkes et les serre. Il lui a demandé de fuir pour ses filles, si les choses devenaient trop dangereuses et si Ryan n'a pas répondu, elle sait déjà qu'elle le fera. Elle n'est pas une combattante alors elle ne pourra sauver personne et ses filles ont besoin de leur mère. Seulement, pourra-t-elle vivre avec celui qu'elle laissera derrière elle ? Elle ferme brièvement les yeux. Non, bien sûr. Elle s'en voudra toute sa vie.
Quand Ryan et Fawkes se trouvent enfin face à Candice, la licorne n'ose pas regarder à l'endroit hypothétique de son visage. Elle entend la fée siffler de mépris et ses muscles se raidissent.
— Tiens parole avant de chialer ! lui crache Candice, en guise de salutations.
Il a assez attendu, alors que cette licorne se bouge si elle ne veut pas souffrir ! Il va réduire les Abysses à néant et s'il a été fait le moindre mal à Sira, alors ce qui reste du cartel le paiera aussi, avec Sexta.
— Est-ce que l'un de vous deux a pu voir mon frère, aux Abysses ?
Ryan a la gorge trop nouée pour parler de Sira, dans sa chambre froide et de l'état où il se trouve. Fawkes sait tout autant que le moindre mot déplaisant pourrait leur être fatal à tous les deux. Pourtant, Candice a posé une question et le renard est assez lucide que la fée se mettra en colère s’il n’obtient pas une réponse. Mentir pour adoucir la réalité n’est pas envisageable. Dès l’instant où il se rendra compte de l’état de Sira, il sera furieux.
— Nous l’avons vu. Sexta ne lui a fait aucun mal. Mais elle a…
Il cherche ses mots pour décrire les choses sans les aggraver.
— Elle a dompté son esprit. Il n’a pas eu l’air d’en souffrir quand nous l’avons vu.
Dans sa main, les doigts de Ryan se crispent et Fawkes ne peut faire autrement que les serrer.
— Dompté son esprit ? siffle la fée Milliget.
Comment Sexta Stoker a rendu son frère ? Qu'est-ce que le renard entend par dompter son esprit. S'il est arrivé quelque chose à Sira, si Candice a perdu trop de temps avec la réalisation de son plan et que son frère a beaucoup trop subi… Il ignore le doute qui s'insinue en lui comme un poison et se contente d'aboyer à Fawkes et Ryan de le conduire aux Abysses. La licorne se presse tant qu'elle chancelle et se rattrape de justesse au renard. Pendant ce temps, Candice grogne à June de le suivre et ils marchent en direction des Abysses.
Ryan suit le chemin d'une façon machinale. Elle le connaît par cœur, elle l'a si souvent emprunté en compagnie de Sexta ou bien de Titan afin d'aller acheter les ingrédients nécessaires à ses poisons, au quatrième sous-sol. À présent, tout comme pour sa propre vie, la licorne a la sensation que cet endroit va disparaître. C'est fini. Si une fée aussi puissante que Candice Milliget a pu détruire une cité en une seule nuit, elle doute fortement que qui que ce soit aux Abysses, même les Strashilka, puissent lui tenir tête.
— C'est… C'est là… bégaye Ryan d'une voix blanche, en désignant la vieille mine abandonnée.
— Tu es sûre de toi ? lui demande Candice d'un ton mielleux.
Ryan hoche fébrilement la tête, alors la fée Milliget la pousse en avant afin qu'elle continue de lui montrer la voie. Entrer dans la mine est une chose, trouver les Abysses parmi le dédale des galeries en est une autre. Le souffle court, la licorne mêle ses doigts à ceux de Fawkes tout en marchant à pas pressés. Elle a peur. Elle craint pour les autres faeliens qui vont attendre d'emprunter l'ascenseur, pour Chaucha, la petite kobold, pour Cassandre au quatrième sous-sol, pour tout le monde… Enfin, Ryan aperçoit le dos d'un orc et ses yeux s'emplissent de larmes quand elle réalise qu'elle a mené Candice là où il le voulait. Face à elle, une petite file d'attente se présente et plus loin, elle entend la voix enthousiaste de Chaucha. Ryan s'arrête, lance un regard épouvanté à Fawkes, puis un autre à la fée Milliget qui la dépasse d'un pas trop tranquille afin d'observer l'endroit.
— C'est ici ? demande-t-elle.
— Oui, s'empresse Ryan, il faut… Il faut attendre et emprunter l'ascenseur pour descendre…
— Il faut attendre, raille Candice.
La licorne l'entend pousser une exclamation amusée, puis son cœur s'accélère quand elle le voit soulever son long voile. De toute façon, tous les malfrats et membres de petits cartels ont senti la présence de Candice avant de le voir, puisque la température des lieux a drastiquement baissé. Ryan regarde, impuissante, des yeux s'écarquiller sous la vision d'une fée et des corps faire un pas de recul lorsque cette dernière se disloque la mâchoire afin de se mettre à hurler. Ryan plaque les mains sur ses oreilles, blême, et quand Candice hurle aux personnes présentes de se pousser si elles veulent vivre, un troll massif vient le défier.
Candice arque un sourcil avant de le regarder de haut en bas, puis se met à grincer :
— J'imagine qu'il faut toujours un exemple pour que les déchets connaissent leur place.
— Je crois que la tienne se trouve dans les bordels du douzième sous-sol, petite midinette.
Le troll, que Ryan connaît pour être un rabatteur desdits bordels, déclenche quelques rires qui redonnent un peu de courage à ceux qui s'étaient écartés. Néanmoins, il n'aura pas le loisir de poursuivre sa joute verbale car, agile, Candice le saisit par le col de sa veste pour le jeter contre la parois de la galerie avec tant de violence que sa nuque craque sous le choc, avec d'autres os. Il le regarde glisser au sol, impassible, invoquant un silence religieux avec sa démonstration de force. Enfin, la fée Milliget se tourne vers June et lui intime :
— Plante ton épée là-dedans, dava. Ça te sera toujours utile pour la suite du plan.
Aussi stoïque que son maître, June s’avance jusqu’au troll. Son épée n’émet qu’un léger chuintement quand elle la tire de son fourreau, et quand elle la pose sur l’œil du troll, elle contracte ses muscles pour peser de tout son poid contre le manche. Il faut de la force pour briser des os, plus que ses bras ne peuvent fournir. Mais elle a appris à se servir de ses faiblesses, et la lame s’enfonce dans la chair pour venir buter contre le mur. June s’écarte, essuie l’épée sur la chemise du troll, puis jette un regard froid à Fawkes et Ryan. Attention, vous pourriez être les prochains, semble-t-elle dire.
Si Ryan tremble à l’intérieur, Fawkes ne cille pas en analysant le comportement de June. Elle est froide et semble parfaitement insensible à ce qu’elle fait et à la personne qu’elle suit. Elle a changé depuis qu’ils se sont vus pour la dernière fois et il trouve que c’est un beau gâchis. Mais il n’en a que faire et a bien plus important à penser que la gamine. Il ne sait pas en quoi constitue le plan de Candice ni même en quoi planter son épée dans la tête d’un troll peut le servir. Encore un détail qui lui rappelle que peu importe ce qu’ils ont prévu avec Ryan, ça finira par mal tourner.
Il a froid et ses doigts serrent ceux de la licorne. Comme deux âmes gelées, ils se raccrochent l’un à l’autre parce qu’en ce moment, ils n’ont que l’un et l’autre sur qui véritablement compter. Fawkes tire un peu sur la main de son acolyte pour l’emmener avec lui, dans le sillage de Candice. La fée n’est pas de ces personnes qui font la queue et qui attendent sagement leur tour, non. Candice prend la place qu’il désire et tant pis si ça dérange qui que ce soit. Le renard se dit que l’information de leur arrivée circulera moins vite si Candice ne fait pas davantage d’esclandre ici, pourtant, il ne pipe pas mot. Selon lui, Candice n’est pas non plus de ceux qui se laissent dicter le comportement à avoir. Il compte un minimum sur le bon sens de Candice pour ne pas bousculer Chaucha. Pour peu qu’il en ait encore. Sinon les purrekos et les différents étages du gouffre que sont les Abysses auront vite fait de savoir qu’une fée marche sur eux.
— Votre place est assurée, à présent, constate tout de même Fawkes.
Il a raison car cette fois, personne ne fait la bêtise de se dresser sur le chemin de la fée Milliget. Candice marche d'un pas trop tranquille jusqu'au petit comptoir de Chaucha qui le fixe, livide, les yeux écarquillés d'épouvante. Elle jette un regard de détresse aux deux purrekos en train de patrouiller et ces derniers, confus de voir une fée aux Abysses, se hâtent pour lui barrer la route.
— Je ne ferais pas ça, si j'étais vous, les avertit Candice.
— Tu es en territoire neutre ici, réplique l'un des purrekos, les purrekos et les fées n'ont jamais été ennemis. Mais si tu détruis notre empire, ça pourrait bien changer…
— Votre empire détient l'un de mes frères captifs ! s'emporte la fée Milliget, mais j'imagine que vous le savez, et que vous savez aussi quel genre de saloperie a osé poser la main sur lui dans votre putain d'empire !
Les purrekos serrent les dents et échangent un regard entendu. Bien sûr qu'ils le savent. Un beau jour, Sexta Stoker est revenue avec une fée qu'elle détient prisonnière au douzième sous-sol seulement, les affaires de Sexta Stoker ne regardent qu'elle et si elle a voulu s'en prendre aux fées, c'est elle qui en paiera le prix.
— Va chercher Purrobald, intime l'un des purrekos à son congénère.
Ce dernier s'exécute pendant que l'autre beugle aux malfrats de déguerpir des lieux, ce qu'une partie d'entre eux avait déjà fait après le passage de Candice. Quant à toutes ces personnes qui se trouvent dans les différents sous-sol, le purreko espère que lui et les siens auront bien assez de temps pour pouvoir les évacuer. En attendant, il ne quitte pas la fée des yeux, son poil se dressant sous le froid que dégage sa silhouette quand enfin, la voix de Purrobald se fait entendre.
— Ça ira, ça ira… Vous allez commencer à faire évacuer les lieux. Je vais m'occuper des négociations. Ça devait arriver de toute façon.
Au terme négociations, Candice arque un sourcil. Il lance un regard mauvais au vieux purreko qui vient d'apparaître, avec sa robe grise et sa queue cassée. Ce dernier prend un instant pour l'observer, levant la tête tout en réfléchissant à voix haute :
— À qui ai-je l'honneur ? Je connais vos noms, mais je n'ai pas toujours eu l'occasion de voir vos visages…
— Tu te souviendras du mien, purreko, je peux te le garantir. Et du nom de Milliget aussi.
— Ah, Milliget…
Purrobald hoche la tête, comme s'il venait de comprendre quelque chose, puis il pousse un long soupir et intime à ses congénères, d'un geste de la patte, d'emmener Chaucha avec eux et de commencer l'évacuation.
— Parce que tu crois que tu auras le temps de sauver la vie de tous tes adorables vauriens ?
— Tu te trouves en terrain neutre, ici, fée Milliget. Je sais pourquoi tu es venue, mais tes affaires avec Sexta Stoker ne regardent que toi et elle. Si tu détruis les Abysses, tu devras réparations aux purrekos et Sexta aussi.
— Tu sais pourquoi tu as encore ta tête sur les épaules ?
Menaçant, Candice fait quelques pas vers Purrobald, les mains derrière le dos, puis il se penche pour lui siffler que le purreko ne doit sa survie qu'à son espèce. Tout comme les fées, les goules, les yamambas, les kobolds ou bien les arachnées, les purrekos sont des espèces originelles d'Eldarya.
— Contrairement aux déchets qui viennent ici, ça m'ennuierait beaucoup de m'en prendre aux espèces originelles.
— Alors parlons entre espèces originelles, rétorque Purrobald, tu es en terrain neutre, ici. Je te l'ai dit. Les Abysses sont l'empire des purrekos alors si tu casses quelque chose, tu nous devras réparation.
Si ce n'est pas lui, alors Purrobald et les autres lignées de purrekos s'arrangeront avec la reine des fées, ou pourquoi pas la Princesse des goules ? Ils ne sont pas sans savoir que les fées et les goules partagent des liens étroits. D'ailleurs, il y en a aux Abysses en ce moment même, des goules, et Purrobald n'est pas certain que la Princesse soit satisfaite qu'elles puissent perdre la vie à cause d'une fée Milliget.
— Ce que je te propose est simple, achève Purrobald, tu règles tes problèmes avec Sexta Stoker au douzième sous-sol. Je te laisse même le détruire si tu en as envie, mais le reste, tu n'y touche pas. Dès que tu auras fini ce que tu es venu faire, tu quittes les lieux.
— Je crois que tu as déjà oublié mon nom et mon espèce, purreko. Sinon tu ne parlerais pas comme ça.
Pour une fée, rien n'est plus important que la famille et que ses semblables. Sexta s'en est prise à Sira, alors elle paiera. Les purrekos ont tenu à rester neutres face à cet outrage envers la famille Milliget et le peuple des fées, alors ils perdront leur empire. C'est aussi simple que ça.
— Tu vas évacuer ce qu'il y a à évacuer pendant que je vais descendre régler mon problème avec Sexta Stoker. Après ça, les Abysses n'appartiendront plus aux purrekos. J'en ferai ce que je veux et je les donnerai à qui je veux. Si tu n'es pas d'accord avec ça, alors prépare-toi à en payer les conséquences !
Purrobald laisse la menace glisser sur son petit corps, non sans quitter Candice des yeux. Il est vieux, il s'est déjà trouvé dans des situations bien pires que celles-ci et s'il est sûr de quelque chose, c'est que perdre la vie par fierté est bien stupide. Alors il souffle par le nez, puis il abdique :
— Bien. Tu feras ce que tu voudras. À présent, tu m'excuses, fée Milliget, mais je vais faire évacuer les lieux.
Alors il marche à reculons vers l'endroit d'où il est venu, puis il va donner ses propres ordres afin de vider les Abysses avant le coup de folie d'une fée. Dès lors que le mot évacuation a été prononcé, les craintes de Fawkes se sont confirmées. Les sourcils bas, il jette un coup d'œil à Ryan, les chances que les Abysses deviennent leur tombeau grandissent à chaque minute passée auprès de Candice.
Le renard attend tout de même qu’ils se trouvent dans l’ascenseur qui descend lentement vers les profondeurs pour ouvrir la bouche. Il pèse ses mots, mais c’est résigné qu’il rappelle :
— Garde la tête froide, Candice, et rappelle-toi où vont les intérêts de ta famille. Détruire les Abysses ne sera pas à votre avantage quand tout ça sera terminé.
Si un regard pouvait tuer, Fawkes ne serait déjà plus de ce monde. Candice trouve qu'il parle beaucoup pour un renard qui a perdu sa cheffe et dont le cartel est éclaté. Il garde le silence quelques instants, puis réplique d'un ton cinglant :
— Je ne pense pas que ta petite tête de renard soit bien au courant des intérêts de ma famille. Je ne pense pas non plus que ton petit cerveau puisse se vanter de connaître beaucoup de choses, d'ailleurs.
Il lève une main glacée, puis saisit June par la nuque en poursuivant :
— Tu devrais faire comme cette dava-là. C'est-à-dire : fermer ta gueule. Regarde, elle est exemplaire. Elle ne parle pas pour ne rien dire et c'est parfait.
— Pense ce qui te plait, je sais qu'il est dans l’intérêt de n’importe qui d’avoir les purrekos de son côté. Et ils sauront se souvenir que tu auras fait preuve de clémence si tu épargne leur empire.
Cette fée commence sérieusement à agacer Fawkes. Il est comme ces enfants de riches et de bonnes familles qui font des comédies pour des choses que lui ou les enfants des rues n’ont jamais eu. Peut-être que le renard n’a pas eu de grande éducation, peut-être n’a-t-il pas le cerveau bien rempli comme Candice, mais il a néanmoins un recul et un contrôle de son égo qui ne l’envoie pas détruire tout sur son passage parce qu’on lui a volé quelque chose.
— Un bon roi ne gouverne pas par la crainte, rappelle Fawkes en croisant les bras sur son torse. Alors gouverne, Candice, si tu tiens tant au trône que tu revendiques.
Le problème avec cette fée, c’est que Fawkes ne peut pas lui mettre une tape à l’arrière de la tête pour le gronder et lui faire comprendre que les gamineries ne le mèneront nulle part. Il prend déjà des risques de raccourcir sa vie déjà bien réduite, en lui parlant ainsi. Mais qu’importe. Si tous se taisent par peur, ce ne sera pas son cas. Il entend la fée Milliget souffler par le nez et s'il s'attend à ce qu'elle lui hurle dessus, c'est pourtant d'une voix beaucoup trop calme qu'elle lui indique :
— Tu vois, c'est exactement pour ça que le cartel n'a jamais pu se relever après la capture de votre cheffe.
— Ça, je le sais bien… gromelle Fawkes.
Puis les portes de l'ascenseur s'ouvrent afin de leur dévoiler le douzième sous-sol. L'air est étouffant. Il l'a toujours été en ces lieux qui réunissent ce qu'il y a de pire dans le cœur des faeliens et si les lanternes rouges brillent toujours aux enseignes des maisons closes, le néant est devenu Maître de cet endroit qui retient son souffle. Candice sent un frisson désagréable courir le long de sa colonne. Ses instincts sont complètement éveillés et alors qu'il fait un pas au beau milieu des bâtisses, il a l'affreuse sensation d'être observé. Il lève la tête vers les fenêtres, mais les pièces qu'elles abritent sont plongées dans l'obscurité, si bien qu'il ne peut rien distinguer. Son cœur s'accélère, la chaleur des lieux pèse sur ses épaules, mais il la supporte sans un mot car pour les trois personnes qui le suivent comme des minaloos derrière leur maître, il est hors de question de perdre la face.
Plus il s'enfonce dans le cœur du douzième sous-sol, plus il a l'impression que les ténèbres et l'horreur des lieux lui collent à la peau. Il y a des immeubles, ici, qui s'élèvent comme des pierres tombales et les rares maisons clairsemées çà et là s'allongent comme des vers perforés par le rouge des lanternes. Candice imagine sans mal les atrocités qui ont dû se dérouler derrière ces murs. Si une partie de son esprit veut lui souffler que Sira a peut-être subi le quart de ces abominations, une autre en vient à espérer le contraire. Sa faute. Ce sera de sa faute et il devra réparer l'un des rares êtres au monde qu'il n'aurait jamais voulu détruire. Et si c'est vrai, si Sexta Stoker n'a plus rien à perdre au point d'avoir fait commettre le pire sur Sira, alors ce ne sont pas les compétences en chirurgie de Candice qui pourront le guérir…
Soudain, une plainte résonne. Elle se porte en écho entre les bâtisses et lorsque Candice reconnaît la voix de son frère, il file dans sa direction en s'aidant de ses ailes pour se donner de l'élan. La rue s'étend comme un ruban noir, elle est bien trop longue et l'ombre qui se profil plus loin lui fait penser à un monstre, un monstre qui a l'allure d'un palais et c'est alors qu'il comprend que ses pieds vont bientôt se trouver sur le seuil de l'empire de l'Impératrice des Abysses.
— Qenndys ?
Candice cligne des paupières à plusieurs reprises. Il croit tout d'abord à une hallucination, mais la réalité ne lui ment pas quant à cette silhouette solitaire, vêtue d'une robe grotesque, aussi rose que ses longs cheveux impeccablement coiffés. Sira n'est pas certain de ce qu'il voit non plus. Il est là, perdu dans l'obscurité, en train de tâtonner le sol de ses pieds nu, sa figure ronde fendue de stupeur. Puis ses grands yeux bruns s'emplissent de larmes. Il articule silencieusement le prénom de son frère et quand il réalise enfin qu'il est bel et bien réel, Sira se précipite vers lui pour se jeter dans ses bras.
Candice reste figé. Avec lenteur, il lui rend son étreinte, si soulagé de le retrouver, mais si dubitatif de cette mise en scène qui en est forcément une.
— Elle a toujours dit que tu viendrais me chercher, alors j'ai attendu. Je ne voulais pas m'éloigner, mais je ne voulais pas rester ici non plus. Je suis fatigué. Je ne comprends pas ce qui se passe. Pardon, Candice. Je t'aime.
Le débit de Sira est rapide et Candice doit se concentrer sur ses paroles pour tâcher de saisir un indice sur ce qu'il aurait subi, mais il semblerait que Sexta Stoker se soit contenté de le garder captif. Alors pourquoi cette robe ? Elle est un problème. Sira a été exposé et un affreux doute se met à poindre dans la poitrine de Candice. Il repousse son frère avec douceur et commence un examen rapide. Sira le regarde sans comprendre, en geignant qu'il veut partir pendant que Candice avise qu'il ne porte aucun stigmates. Son visage, ses bras, ses épaules ne sont pas blessés et lorsque la fée Milliget attrape le tissu de la robe pour regarder ses jambes, elles sont intactes.
— Fini de jouer.
Il n'a eu que le temps de rattraper Sira avant qu'il chute au sol. Candice a écarquillé ses yeux gris quand ceux de son frère se sont voilés, quand sa figure ronde est devenue inexpressive et que son corps a cessé de le porter comme si Sira s'était transformé en poupée de chiffon.
— Sira !
Candice l'appelle, le secoue, observe ses pupilles, vérifie son pouls. Sira est en vie, Sira va bien seulement, il n'est devenu qu'un légume vivant incapable d'actes et de paroles. Et celle qui lui a fait cela avait tout prévu.
Elle lui a fait croire qu'il était libre, elle lui a même accordé quelques minutes pour retrouver son frère et lui dire ce qu'il avait à lui dire depuis un long moment, paraît-il. Sira a toujours été persuadé que Candice avait besoin de l'entendre. Mais quand elle a jugé que c'était suffisant, Sexta lui a retiré la vie pour le laisser dans un état pire que la mort. Debout non loin de son empire, l'Impératrice des Abysses se montre enfin à la lumière. Ses pas sont bruyants. Trop bruyants pour quelqu'un habitué à vivre dans l'ombre et même ses mouvements claquent et étincellent.
Aujourd'hui, Sexta Stoker arbore une armure d'orichalque. Celle que portent les soldats d'Odrialc'h du corps armée dirigé par cette chère Capitaine.
Derrière son maître, June lance un regard brûlant de haine à la vampire. Sira était une créature innocente, mais Sira est le problème de Candice. Elle ne pense qu’à Cristal et à ce qu’elle a subi à cause de Sexta. La vampire mérite la mort, il est temps que quelqu’un la lui offre.
Fawkes donnerait tout pour être ailleurs qu’ici, alors que ces deux êtres se font face. Il y aura des dégâts collatéraux, c’est inévitable et Sexta s’est assurée d’éveiller plus encore la rage de Candice.
— Garde ton sang froid… grince Fawkes entre ses dents.
Ryan, elle, éclate en sanglots. La tension imposée par Sexta et Candice est si intolérable qu'elle a l'impression que l'air va prendre feu. La vampire a religieusement attendu que le frère de Sira, tout-puissant, vienne le récupérer et maintenant, peu importe ce qui va se passer, elle gardera les rênes en main. Sexta rive ses yeux noirs dans ceux de Candice. Elle y lit la rage avec délectation puis, son casque sous le bras, elle lance d'une voix traînante :
— Tu m'as pris une fille. Tu ne croyais tout de même pas que j'allais te rendre ton frère en parfaite santé, non ?
— Qu'est-ce que tu lui fait ? gronde Candice en serrant le poing.
— Quelque chose que toutes tes jolies connaissances en médecine ne pourront jamais réparer, trésor. C'est ennuyeux, non ? Je connais la réponse à ton problème, mais il va falloir me laisser en vie pour que je puisse te la donner.
Non. Je vais te l'arracher. Candice redresse Sira dans ses bras, puis interpelle June d'une voix tranchante :
— Dava, tu vas protéger mon frère. Je vais lui faire cracher le moyen de le réveiller et ensuite, elle crachera aussi l'endroit où elle a mis ta mère.
June tire son épée sans attendre, avant de filer vers Sira et passer un bras sous ses épaules. Il est plus léger que Nelladel, c’est plus facile de le déplacer, même s’il ne bouge pas. La jeune femme recule pour laisser à Candice le loisir de se déchaîner, se délectant par avance des souffrances qu’il va infliger à Sexta. Elle jette un regard menaçant aux deux autres membres du cartel, puis adosse Sira contre un mur, avant de se placer entre lui et toute menace qui tenterait de juger ses compétences à l’épée.
Le renard souffle par le nez et ses os grincent sous sa peau. Candice n’est pas quelqu’un qu’on peut raisonner. Pas alors qu’il est déjà dans une telle rage. Sexta le sait et elle s’évertue à l’enflammer toujours plus. Fawkes songe que Candice peut être particulièrement redoutable, encore faut-il qu’il garde toute sa lucidité. Le membre du cartel fait fit du regard plein de venin de June et passe un bras autour des épaules de Ryan pour la maintenir debout. Il n’est pas certain qu’elle soit en mesure de fuir, quand bien même ce serait la seule chose à faire pour sauver sa peau. Pourtant la licorne n’aura pas le choix.
La main de Fawkes glisse le long de sa jambe et elle récupère la lame que Chaucha n’a pas eu l’occasion de lui confisquer. Ce n’est peut-être pas une épée, mais elle lui a sauvé la peau plus d’une fois. Les sens aux aguets, il force Ryan à reculer pour s’éloigner de Candice et Sexta. Maintenant que la fée a été conduite au douzième sous-sol et à Sira, leur mission est accomplie et ils ne se sont pas engagés à assister Candice dans son combat alors ils n’y prendront certainement pas part.
— Où tu vas comme ça, Fawkes ? l'interpelle Sexta d'une voix mielleuse.
Elle darde son regard onyx vers le renard et la licorne, comme si la menace de Candice glissait sur sa peau et son sourire est bien trop doux pour une vampire qui s'apprête à connaître le pire. Petit renard… Petite licorne…
— J'imagine que si notre vénérable fée ici présente me faire cracher ce qu'elle ne sait pas, c'est que vous avez gardé vos bouches fermées.
Elle voit les yeux de Ryan s'écarquiller, mais c'est trop tard. La connaissance, c'était leur salut. Ils auraient pu tout dire, ils auraient pu se sauver en donnant à Candice la phrase qui lui permettait de réveiller son frère. Est-ce que tu veux jouer ?, mais ils ne l'ont pas fait. Alors Sexta va rester en vie. Elle ferme brièvement les yeux pendant que des silhouettes s'agitent dans l'ombre. Vives, elles savent ce qu'elles ont à faire. Elles connaissent leur mission et quand l'ordre claquera, les Strashilka agiront.
Le marché ne tient plus quand l'un des négociateur va mourir dans les secondes qui suivent.
— Sexta… l'appelle Ryan d'une voix blanche.
— Ne me regarde pas comme ça, Ryan. C'était ton devoir de protéger tes filles. Tu aurais dû quitter les Typhons. Sans Titan, tu ne pouvais plus survivre dans les ténèbres. Quant à toi, Fawkes…
Les yeux de Sexta se plissent et elle lui sourit. Un sourire lumineux et sinistre dévoilant toutes ses dents.
— Le paradis est un endroit qui te convient. Aller !
Les silhouettes quittent le néant et Ryan se met à hurler quand Serapion l'arrache à Fawkes pour l'attraper par la corne et lui briser la nuque. Le renard, lui, la regarde mourir pendant que le souffle d'un vent meurtrier trace un collier sanguinolent sur sa gorge. Une odeur florale l'enveloppe comme un linceul et il ne peut attraper que les cheveux roux de Vova ainsi que son rire trop doux pendant que le bröwnie fait danser son couteau dans l'une de ses mains habiles.
Sexta les regarde s'éteindre. Les derniers Typhons. Titan lui en voudra, Titan demandera réparation, mais Titan est en prison. À présent, c'est elle et Candice.
— Maintenant je suis la seule personne vivante qui sache comment réveiller ton frère. Dommage, trésor. Je vais devoir rester en vie.
— Non ! gronde June entre ses dents.
Son regard quitte les corps sans vie des Typhons dont elle se délecte de la mort, pour vriller sur Candice. Il a donné sa parole, Sexta mourra.
L'Impératrice des Abysses s'entoure de sa petite cour. La mort de ses anciens compagnons est déjà oubliée, mais son corps peut se détendre. Sa vie est préservée car elle sait que Candice Milliget est impuissant face à l'état de son frère.
— Ozna, siffle-t-il, il y a milles façon de te faire parler sans te tuer, tu crois que la mort de tes camarades est suffisante pour te protéger ?
— Le temps va vite te manquer, susurre la vampire, l'œil brillant.
En plein état de rage, Candice se jette sur elle, poussant un cri de fureur en se disloquant la mâchoire, mais Serapion et Silas Strashilka lui font barrage. Sexta, elle, porte les doigts à sa bouche et se met à siffler, provoquant l'explosion du douzième sous-sol avec une véritable marée faelienne. Tous les malfrats les plus terribles se sont rassemblés sous un seul et même étendard. L'Impératrice des Abysses leur a promis beaucoup, à condition qu'ils se liguent contre la fée toute-puissante. Bientôt, les Abysses s'emplissent de cris de guerre, d'os brisés et d'organes détruits. Candice s'acharne, mais bien qu'il empile les cadavres, le nombre peine à diminuer. Il jette un œil derrière lui, à June qui se tient toujours auprès de Sira, puis s'époumone de plus bel lorsque Vova Strashilka s'approche de June d'une démarche féline. Un mouchoire délicat dans la main, il essuie la lame de son couteau, puis darde ses yeux bleus sur la fée endormie, puis sur sa gardienne.
— Tu m'excuses, affreuse demoiselle, mais cette fée est à moi. C'est ma récompense pour avoir préservé la vie de notre bien-aimée impératrice, j'imagine. Alors tu vas gentiment te pousser, ou bien j'ai peur de devoir jeter ton corps près de celui du renard.
Elle ne lui fait pas l’aumône d’une réponse. June laisse son corps prendre le dessus. Elle file vers Vova, pivote au dernier moment et tandis que son pied vise le bas-ventre du brownie, son épée vole en direction de son visage, et son coude vers le plexus. Ses mouvements sont précis, sa rage explose pour se faire le moteur d’une carcasse qui n’a plus rien à perdre, tant que son souhait le plus cher est exaucé. Vova évite de justesse d'avoir la gorge tranchée, tel le renard qu'il a assassiné plus tôt. Mais le combat est un jeu auquel il s'adonne volontiers. Sexta lui a promis la fée comme présent pour son plaisir personnel s'il réussissait à l'arracher aux mains de son frère. Mais en fin de compte, c'est cette affreuse soldate qu'il va devoir vaincre. Le coup de pied lui coupe la respiration, mais il riposte en lui attrapant le bras, tout en visant ses jambes pour la déséquilibrer. Pendant ce temps, Candice tâche de ne pas se laisser déborder, mais les faeliens des Abysses sont nombreux et la chaleur pèse lourd.
June vacille, mais se sert de la prise de Vova pour l’attirer à elle. De sa main libre, elle saisit un petit poignard à sa hanche pour viser la cuisse, et donne un violent coup de tête vers le nez de son adversaire. Elle entend un craquement, signe qu'elle a atteint sa cible et si Vova enrage de s'être fait casser le nez par une soldate et larbin d'une fée, sa colère ne fait que s'attiser quand June parvient à le blesser.
— Dépêches-toi d'en finir avec ça, dava et viens m'aider à repousser toute cette plèbe ! lui hurle Candice.
La fée Milliget redouble d'ardeur, décidée à arracher à Sexta le moyen de réveiller son frère.
June se retient de l’insulter, parce que ça ne servirait à rien et qu’elle risquerait de se déconcentrer. A la place, elle aussi se fait plus vive, pour ne laisser aucun répit à Vova. Elle recule, abat son épée pour tailler le ventre musclé, virevolte pour esquiver et se sert de son poignard pour parer les coups de son adversaire. Elle cherche une ouverture, et quand elle la trouve, June n’hésite pas une seconde. Son poignard trace vers la gorge, son épée vers le cœur, son esprit fixé sur Sexta et non pas sur le bröwnie qui n’est qu’un obstacle.
Vova s'effondre et June peut tailler la chair de tous les faeliens à la botte de Sexta, qui veulent lui barrer la route. La vampire cherche à les épuiser, elle et son maître, jusqu'au bon moment et ils sont incapables de prédire ce que c'est. Pendant que June lutte contre deux elfes, Serapion s'est attaqué à Candice. Enragée, la fée Milliget l'attrape par le cou, puis lui déchire le visage avec sa trompe, non sans jeter sa dépouille sur un groupe de loups-garous. Compter sur la fatigue de celui qui avait fait tomber la cité d'Eel est une grossière erreur pourtant, Sexta reste de marbre à observer le massacre. Son regard d'onyx croise celui de June, puis elle lui sourit.
— Viens jusqu'à moi, trésor et peut-être que tu retrouveras ta mère.
La vampire lève un doigt puis mime le tic-tac d'une horloge. L'heure tourne et bientôt, ce qu'elle a prévu va se produire. Mais si June est en colère, elle n’est pas stupide. Tuer Sexta serait un exploit, et même si elle en meurt d’envie, elle préfère se concentrer sur le menu fretin pour laisser le champ libre à Candice. Enragée, elle s’efforce de lui libérer une voie, d’empêcher les pions de Sexta de l’entraver pour qu’il puisse atteindre la vampire et lui faire payer son sourire arrogant. La fée Milliget à compris et se fraye un chemin en envoyant les assaillants vers sa dava. Il fait craquer des nuques et perfore des figures afin qu'elle ne finisse pas débordée. Sa mâchoire disloquée laisse filer des hurlements stridents qui se portent en écho. Il ne quitte pas Sexta des yeux, son feu prédateur attisé par son air amusé et si les quelques mètres qui le séparent d'elle lui donnent envie de déchirer les corps qui lui font barrage, il sent la situation lui échapper quand elle enfile son casque.
— Ici ! beugle une voix profonde, escouade A sur le flanc gauche, escouade C sur le flanc droit et escouade B, avec moi !
Quelques secondes et en plus des malfrats, le douzième sous-sol est envahi par des soldats d'Odriacl'h. Leurs armures et leurs casques sont exactement similaires à ceux de Sexta et Candice écarquille ses yeux gris quand il comprend que la vampire compte lui filer entre les doigts.
— Désolée, ma jolie fée, susurre la vampire, il semblerait que quelqu'un ait prévenu les autorités…
— OZNA !
Quand Sexta s'élance pour se perdre dans la foule, Candice ne la quitte pas des yeux. Il plonge vers elle, fait vrombir ses ailes pour prendre son envol mais moult mains le retiennent.
June se retourne en entendant Candice hurler, et quand elle avise la situation, sa colère augmente encore d’un cran. Si Sexta échappe à la fée, alors tout ça n’aura servi à rien. Son épée plonge encore et encore dans les corps de ses adversaires, tandis qu’elle laisse ses réflexes prendre le dessus. Il est hors de question qu’elle meurt, surtout si la vampire disparaît. Alors elle continue de tuer pour ne pas mourir, pour essayer de libérer son maître et surtout, pour évacuer la rage qui menace de la faire exploser.
Quand enfin Candice parvient à prendre son envol, il attrape June par le col de sa tunique afin de l'entraîner avec lui. Comme il s'y attendait, beaucoup trop de faeliens des Abysses et de soldats d'Odrialc'h s'intéressent à Sira, alors il file dans sa direction afin de protéger son frère. Là, il lâche June sur le sol, puis lui ordonne d'une voix rapide :
— Prends l'ascenseur et bloque l'entrée ! Tue tous ceux qui voudront sortir ! S'il y a une autre sortie, je la trouverai ! Elle ne s'échappera pas !
La fée Milliget ne confiera pas son frère à sa dava. Cependant, il lui lance une petite sphère rouge et lui indique que c'est un explosif à faible intensité. Si June intercepte Sexta, elle a pour ordre de la neutraliser et de prévenir son maître en faisant exploser l'ascenseur.
Elle apprécie moyennement la petite balade dans les airs, alors il lui faut une seconde pour reprendre pied. June en profite pour repérer la tête de Fawkes, et le corps de Vova. Deux trophées qui lui serviront pour le reste de sa mission. La jeune femme esquive un coup, roule vers le corps du bröwnie, lui tranche une oreille qu’elle fourre dans sa poche, puis elle attrape les restes du renard par les cheveux, et file en direction de l’ascenseur. Là, elle dépose son sinistre paquet bien en évidence, et, dos à la sortie, défie quiconque de venir croiser le fer avec elle.
L'ascenseur s'anime encore et encore. Personne ne quitte les Abysses, mais des soldats d'Odrialc'h viennent enfin conquérir cet endroit qu'ils cherchaient tant mais qu'ils n'avaient jamais réussi à trouver. Lorsque certains d'eux aperçoivent June, un bref regard sur les couleurs de son uniforme de soldate et les gradés lui donnent des ordres qu'elle fait semblant de suivre. Elle est des leurs. Elle a tué l'actuel chef du cartel des Typhons et elle sera récompensée. June continue de guetter pendant que Candice se bat. Il tonne aux soldats que s'ils osent lever la main sur un Milliget, ils en paieront les conséquences et ces derniers ne sont pas assez fous pour cela. Les faeliens des Abysses finiront par périr sous les assauts de Candice et le nombre du corps armée de la plus grande cité d'Eldarya. Puis l'ascenseur se met une nouvelle fois en branle.
— Eh bien, c'est un sacré carnage, soldate Albalefko.
Elle savait qu'ils finiraient par arriver, mais la voix de Leiftan Tuarran, doucereuse, bien trop sereine pour le chaos qui règne alentour, lui donne la chair de poule. Elle devine son sourire trop tendre avant de le voir, ainsi que les lueurs dans ses yeux émeraude alors qu'il semble ravi d'être là.
— June ! s'exclame la voix de Joseph.
Le grand morgan se précipite vers sa fille adoptive pour la serrer brièvement dans ses bras et aviser ses blessures. Il ouvre de grands yeux quand il remarque ses trophées macabres et s'enquit dans un souffle :
— Tu as tué le reste du cartel ? Est-ce que tu as trouvé Sexta Stoker et ta mère ?
— J'imagine que l'Impératrice des Abysses ne se laissera pas capturer si facilement, Joseph Ael Diskaret. Sinon, notre chère fée Milliget ne serait pas en train de réduire cet endroit en miettes. N'est-ce pas, June ?
Une œillade chafouine et le Conseiller attend sa réponse, pour pouvoir s'en délecter. June s’incline, comme si sa présence ici n’avait rien d’anormal.
— En effet, conseiller Tuarran. La licorne Ryan est morte elle aussi, lui apprend-elle. Malheureusement, Sexta Stoker a revêtu une armure de soldat d’Odrialc’h, il est donc difficile de la différencier des autres. On m’a demandé de rester ici au cas où elle tenterait de sortir, mais je doute qu’elle prenne ce chemin, d’autant qu’elle semble être partie dans cette direction.
Entre Leiftan et Candice, si Sexta s’en sort, c’est que l’Oracle n’est pas de son côté. Le regard de June se fait si sombre, l’espace d’une seconde, que l’améthyste paraît devenir aussi rouge que le sang qui macule ses vêtements.
Le Conseiller semble retenir un sifflement admiratif, par pure politesse. Visiblement, Sexta Stoker et sa manière de filer entre les doigts des autorités et ceux de Candice Milliget le fascine, alors il finit par donner ses ordres :
— Joseph, prenez une escouade et fouillez donc les bâtiments à la recherche de votre femme. June, venez avec moi, nous allons retrouver Sexta Stoker. Nous nous occuperons de la fée plus tard, de tout façon j'imagine qu'elle est venue chercher ce qui lui appartient.
Il lance un regard brillant vers Sira, toujours inconscient de ce qui se passe alentour, que Candice protège de toutes ses forces. June lui emboîte le pas sans hésiter. De toute façon, Candice préfèrera sûrement qu’elle accompagne le Conseiller. D’après ce qu’elle a entendu des échanges entre la vampire et la fée, la première détient quelque chose qui permettra à Sira de redevenir autre chose que cette poupée de chiffon. Aux mains de Leiftan Tuarran, Sexta va mourir, et sûrement sans confier ce secret. Elle pourra donc essayer de soutirer l’information à la vampire, et si elle n’y parvient pas, alors elle dira qu’elle n’y est pour rien.
— Bien, Conseiller, répond-elle docilement.
Les équipes formées se dispersent et si Joseph part perquisitionner toutes les bâtisses du douzième sous-sol, Leiftan fend la foule à la recherche de l'Impératrice des Abysses. Elle a bien monté son coup, le Conseiller le reconnaît. Se procurer une armure de soldat, puis prévenir les autorités en leur dévoilant l'emplacement des Abysses pour devenir invisible et s'échapper, c'était du génie. Parmi toute cette agitation, comment regarder sous chaque casque ? C'est tout simplement impossible.
Leiftan cherche avec ardeur, quitte à ôter tous les casques qu'il voit en divulguant l'information concernant la cachette de Sexta Stoker. Les rues ont beau être pleines, le Conseiller garde toujours un œil sur sa binôme, afin qu'ils ne soient pas séparés et quand ils ont enfin traversé une bonne partie du douzième sous-sol, là où il y a moins de monde, ils peuvent chercher avec plus d'assiduité. Leiftan s'immobilise, plissant son regard émeraude, puis il lève le visage pour humer l'air. Il fronce le nez, puis fait remarquer à June qu'il y a une odeur rance, vieillit, comme quelque chose qui aurait brûlé il y a un moment. Pendant que June fait quelques pas pour humer l'air à son tour, le Conseiller l'observe. Soudain, d'un geste vif, il l'attrape par le cou et la plaque contre le mur d'une bâtisse. Le vert de ses prunelles devient fou, ses yeux s'agrandissent, puis il chuchote d'un ton mielleux :
— Tu peux tromper ton père, mais tu serais bien arrogante de penser que tu peux me tromper, moi. Je peux toujours te condamner pour avoir fait libérer la fée Milliget avec la complicité d'un autre prisonnier, qui a mystérieusement disparu. Sauf si tu décides d'être gentille et de me dire tout ce que tu sais.
— Pour ça, il va falloir me lâcher, gargouille June avec une grimace. Tuez-moi si ça vous chante, mais sachez d’abord que je n’éprouve aucune loyauté pour cette fée qui se prétend être un roi, et que mon seul désir est de tuer Sexta. Le reste, je m’en fiche, alors si vous voulez tout savoir, pas de problème, Conseiller, permettez-moi juste de respirer parce que ça risque d’être un peu long.
Leiftan la sonde du regard, puis finit par la relâcher. Pendant qu'elle se masse le cou, il croise religieusement les bras sur son torse, puis penche quelque peu la tête comme un black dog en train d'observer sa proie.
— Voilà qui est intéressant, songe le Conseiller, je tiens aussi à retrouver Sexta Stoker, même si je pense que nos raisons divergent. Je suis certain que la petite graine de roi t'as fait son numéro d'une partie de son peuple emprisonnée dans le grand palais d'Odrialc'h, n'est-ce pas ? Aller, je t'écoute.
— Dans les grandes lignes, marmonne June.
Elle tousse, puis s’adosse au mur pour reprendre l’histoire depuis le début. Elle ne néglige aucun détail : sa capture par Nelladel pendant la catastrophe, l’infiltration de la prison pour parler avec l’elfe et comprendre ce qu’il se passait, ses discussions avec Rose Clarimonde, le rôle qu’à joué ce dernier dans la catastrophe, les menaces du cartel des Typhons, qui cherchait à libérer Titan, ce qu’elle a fait pour s’attirer les bonnes grâces de Candice quand il était enfermé, la libération de Nelladel, les ordres de son nouveau maître…
— Il a demandé à Helouri de se préparer pour les sélections, ajoute-t-elle d’un ton détaché. Il veut qu’il devienne le serviteur personnel de la Capitaine, et que j’intègre son bataillon, pour rechercher son peuple. Nelladel m’a parlé du Ragnarok, de la conquête terrienne et des humains qu’il devait capturer, aussi.
Elle parle de l’entraînement de Candice, ainsi que de sa promesse de tuer Sexta si elle rejoignait sa cause. June expose tout, sans une once de remords. Elle évoque rapidement la raison pour laquelle Nelladel a lui aussi rejoint la fée, à savoir la tentative d’assassinat sur son frère.
— Franchement, si vous devez n’en garder qu’un, ne sacrifiez pas le plus intelligent des deux, lâche-t-elle au passage. Si Ezarel est capable d’élaborer un remède, que la terre soit empoisonnée ou que ce soit simplement une invention, sauvez le lui. Nelladel a trouvé très malin de se jeter dans la cage de son maître, je ne vous fais pas de dessin… Candice m’a dit aussi que c’était à cause de vous que son peuple était emprisonné, mais si vous voulez tout savoir, ça m’intéresse à peu près autant que la couleur des sous-vêtements d’un soldat.
Elle croise les bras et le regarde, l’air neutre. Maintenant, il peut bien la tuer, elle s’en fiche. Sa seule raison de vivre, c’est la mort de Sexta. Mais à sa grande surprise, Leiftan se contente simplement de rire. Un rire très doux, perfide, qui lui illumine le visage et lui tire une joie presque attendrissante. Il se contente de secouer la tête en poussant un long soupire, puis rive ses prunelles sur June :
— Ah, quel bazar, n'est-ce pas ? Et qui va devoir tout ranger…
Il écarte les bras, l'air navré, puis les croise de nouveau sur son torse en poursuivant avec un sourire tendre :
— Tu t'es mise dans de beaux draps, June Albalefko. Maintenant que tu as choisi d'être une dava, tu ne peux plus faire marche arrière. Clarimonde a bien essayé, il a faillit se faire tuer et maintenant, il a simplement choisi de jeter la robe de Candice pour se réfugier dans celle de la reine des fées.
Le Conseiller fait quelques pas, puis dévisage June comme s'il était en train de songer à ce qu'il allait faire d'elle. Elle n'est pas une victime en train d'implorer sa pitié, ni une ennemie en train de le défier. C'est une soldate pleine de rancune qui ne veut que la tête de l'Impératrice des Abysses.
— Tu t'es choisie une proie très difficile à tuer. Mais essaie si tu le peux. Tu peux même continuer d'amuser la fée en exécutant son plan, ça me rendrait service, pour être honnête. Qu'est-ce que tu veux tirer de la mort de Sexta, June ?
— Rien.
Elle triture sa tresse, malmenée par ses combats. Songeuse, June fait la moue.
— Rien, en dehors du plaisir de la savoir tombée de son piédestal, corrige-t-elle. Elle a détruit ce que j’avais, elle paiera pour ça, c’est tout. Une vie pour une autre. En plus, je lui ai promis de la tuer. J’avais promis de tuer sa précieuse petite sirène, et elle est morte, ce serait dommage de m’arrêter en si bon chemin.
Elle n’a pas besoin qu’on donne un sens à sa vie. Avant de rencontrer les Ael Diskaret, June vivait au jour le jour, elle peut recommencer. Ça ne la dérange pas non plus de tuer ou de s’avilir pour atteindre ses objectifs. De toute façon, elle n’a plus rien à perdre et elle ne tient pas spécialement à son avenir. Quant au plan de Candice, elle n’avait de toute façon rien d’autre à faire, alors si le Conseiller lui donne sa bénédiction… Un rictus torve ourle ses lèvres. Peut-être qu’à la fin de tout ça, elle verra Candice chuter lui aussi.
Elle lève les yeux quand un doigt tapote contre son front. Visiblement, sa réponse amuse beaucoup le Conseiller dont le visage arbore une joie beaucoup trop grande pour les évènements qui sont en train de se dérouler. Il est près, beaucoup trop près, mais peu importe, car en cet instant, il lui chuchote qu'ils vont jouer à un jeu. Si June gagne, Sexta meurt, si elle perd, c'est elle qui mourra.
— Tu t'es plutôt bien débrouillée jusqu'ici, poursuit Leiftan en se reculant, alors je ne vais pas t'arrêter en si bon chemin. J'ai tendance à m'ennuyer assez rapidement, alors jouons. Tu veux tuer Sexta ? Fais-le. Si tu y arrives, la récompense sera grande. Tu pourrais même récupérer ce que tu as perdu. Mais si tu perds, tu mourras. C'est dans la nature des choses, non ? Alors, June, tu vas jouer ?
— Pourquoi pas, répond-elle. Quitte à amuser la fée, autant que ça serve à quelque chose de vraiment utile. A moins que vous ne souhaitiez que je joue à autre chose ici aussi.
Leiftan secoue la tête. Sexta Stoker est déjà loin et pour cause : l'odeur qu'il sentait tout à l'heure, elle venait de l'énorme incinérateur. Le douzième sous-sol devait connaitre beaucoup de cadavres, dont la plupart étaient brûlés ici avant que les cendres ne soient évacuées par une trappe qui doit mener à un dédale. Sexta s'est servie de cette trappe pour s'enfuir.
— Elle a même pris soin de poser son casque, constate Leiftan en y donnant un coup de pied, parce qu'elle nous prend pour des incapables. Tu n'es pas vexée, June ? Moi, je me sens vexé.
Leiftan laisse échapper un petit rire, puis ajoute que la chasse continue. Il se tourne vers June, puis lui intime qu'ils vont tous les deux rejoindre Joseph en espérant qu'il ait pu retrouver sa femme. Ensuite, ils quitteront les lieux.
— Tu pourras continuer le plan de Candice et entrer dans le bataillon sous la supervision de la Capitaine. Je m'en fiche. Tiens l'attention de cette fée sur le grand palais et continue de chasser, June. Je viendrais voir de temps en temps comment tu t'en sors et si j'estime que tu te débrouilles bien, peut-être que je t'aiderais un petit peu.
— À votre convenance.
Finalement, cela revenait à passer d’un maître incapable à un maître fou, il n’y avait pas grande différence. June se décolle de son mur pour le suivre, en haussant les épaules. La traque peut donc commencer. Elle se servira de tous ses atouts pour retrouver Sexta. Ses pensées se tournent vers Nelladel. L’elfe peut-il l’aider dans cette tâche ? Dans ce cas, il faudra peut-être se montrer un peu plus gentille avec lui. Elle peint un léger sourire sur ses lèvres. L’avenir s’annonçait peut-être plus amusant que prévu.Les Choix
Après la catastrophe des Abysses, Helouri est mort d'inquiétude. Attendant sagement à l'auberge dans laquelle séjourne son père, les gardiens et les soldats d'Odrialc'h, il prie pour que tout le monde rentre sain et sauf. Cependant, il est devient incapable de rester sur place, alors il décide de sortir.
Qui croisera-t-il sur sa route ?
➜ Son père, Joseph Ael Diskaret, portant le corps inconscient de sa mère, Cristal.
➜ Candice portant Sira.
➜ June accompagnée de Leiftan Tuarran.
➜ Personne, il a finalement décidé de retourner à l'auberge.
UNIQUEMENT pour Klana : En cherchant à obtenir des informations, Shinku a été mis au courant qu'une longue procession de bateaux de goules a quitté les montagnes noires. Ces montagnes sont connues pour être gardées par des fils de Charybde et Scylla dont la réputation de monstres à deux mâchoires n'est plus à faire.
On a conseillé à Shinku de ne pas se mêler des affaires des goules et encore moins de leurs proches amies, les fées.
Shinku doit-il arrêter de s'informer ?
➜ Oui (sa trame prendra une autre direction plus facile)
➜ Non (sa trame se poursuit dans la direction la plus complexe)
Note de l'Auteure
Bonjour à vous ! (^_^)/
J'espère que tout le monde va bien ! Bon, après le chapitre de la catastrophe, on pourrait peut-être retrouver un petit peu de calme. Enfin tout est relatif et ce sera à vous de juger ! Pour ce chapitre et les suivants, vous aurez un choix bonus en rapport avec la correspondance épistolaire avec Doubine. Tout est détaillé au niveau des choix, alors je vais vous laisser consulter tout ça.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture et rappelez-vous qu'à partir de maintenant, vous avez dix jours pour voter ! (^_^)/
Chapitre 7 - Frère et Soeur
Lorsque l'explosion avait secoué Odrialc'h, Helouri s'était plaqué contre le mur de sa chambre d'auberge, le cœur au bord des lèvres. Ses yeux hagards tournés vers l'hypothétique position des Abysses, il avait su que si Candice Milliget avait voulu attaquer la cité toute entière, ce ne serait certainement pas le bois et la pierre d'une vaine auberge qui l'arrêterait. Mais en cet instant, tout ce qui comptait, c'était que Candice avait réussi son plan, que son frère était sauvé et que Sexta était morte. Du moins, c'était ce que Helouri avait cru. Il avait cru pouvoir retrouver sa mère, aussi, mais en quittant sa chambre sécuritaire, la réalité l'avait giflé en le dépouillant encore un petit peu plus.
Chère Doubine,
Il rature sa feuille de parchemin.
La foule devient étouffante. Elle aurait pu se transformer en bouclier si Helouri avait voulu devenir invisible parmi d'autres corps, mais c'est peine perdu. Il est là, il remonte le flot de ceux qui fuient l'explosion car tout ce qu'il souhaite, c'est savoir. Le souffle court, Helouri est obligé de jouer des coudes et parfois, de se hausser sur la pointe des pieds en espérant que l'horizon lui offre un indice. Il ne voit rien. L'angoisse commence à piquer une pointe de sel dans sa poitrine, mais il l'ignore. Il ignore aussi la fatalité en train de peindre de sombres desseins dans son esprit, parce qu'il sait que son père est fort et que rien de terrible ne peut lui arriver. Il reviendra avec sa mère, c'est chose sûre.
Enfin, après avoir ahané quelques minutes, Helouri aperçoit les armures en orichalque des soldats d'Odrialc'h. Leur présence semble rassurer les habitants qui viennent s'enquérir de la situation et parce que les soldats sont obligés de crier pour se faire comprendre, le jeune morgan apprend que le cartel des Typhons a été décimé et que les Abysses ont été entièrement détruites. Quelqu'un a semé des bombes artisanales au fond du douzième sous-sol avant de déclencher une série d'explosions en chaîne. Helouri a un frisson. Il l'a fait. Il était évident que Candice ferait une chose pareille, car il l'avait dit, mais tout ce que le jeune morgan espère, c'est qu'il n'a pas fait de victimes innocentes.
Il avait promis de sauver maman…
Par bonheur, les soldats d'Odrialc'h demandent aux civils de laisser passer les braves combattants qui remontent des Abysses, alors Helouri se presse, par habitude et aussi parce que son cœur n'a pas encore compris qu'elle n'existe plus en tant que grande sœur. Il s'arrête immédiatement quand son regard d'argent croise les prunelles améthystes de June, puis l'émeraude empoisonnée du Conseiller Tuarran. Une silhouette touchée par la grâce de ses actions valeureuse et l'autre, figure emblématique d'Eel et d'Odrialc'h. Elle a été vaillante, June, au douzième sous-sol des Abysses. Elle a fait face à de dangereuses familles d'assassins, mais elle a combattu avec courage. Elle était déterminée à retrouver sa mère adoptive alors peu importe la présence de la fée Milliget, elle est restée. Elle est épuisée, mais soulagée, cela se lit sur son visage. Helouri, lui, peut voir dans ses yeux à quel point elle est fausse. June est rongée par un poison qu'il n'arrive pas encore à identifier. Cela lui noue l'estomac. C'est comme une soif de sang que n'importe quelle vengeance n'arriverait pas à étancher et bien avant qu'il ne le sache, Helouri s'est douté que Sexta Stoker n'avait pas été tuée. June lui adresse un sourire. Une façade insipide, le masque de la grande sœur parfaite soulagée de revoir son petit frère afin de le rassurer mais au fond, il n'est plus rien et tant qu'il ne se dresse pas sur sa route, tout va bien.
— Comment allez-vous, Helouri ?
Le jeune morgan se tourne vers le Conseiller Tuarran. Aussi serein que d'habitude, son beau costume blanc a tout de même fait les frais du monde souterrain des Abysses qui y a laissé sa marque. Mais la poussière ne le dérange pas le moins du monde. Leiftan tente de se montrer aimable pourtant, les étincelles qui animent son regard trahissent son euphorie. Helouri ne lui répond pas. Leiftan le prend par l'épaule et le jeune morgan réprime une grimace tant il exècre son contact.
— Ne vous inquiétez pas, votre famille est saine et sauve. Votre mère a été retrouvée. Remerciez votre père et June.
Cette dernière couvre son petit frère d'un regard emplit d'une tendresse contrefaite avant de lever la main pour venir ébouriffer ses boucles nacrées. June a l'air si douce, comme d'habitude, comme quand elle se dressait entre Helouri, si fragile, puis le reste du monde. Il y a tellement de gens qui regardent, en ce moment, que ce serait mal avisé de lui faire comprendre qu'il serait salutaire, pour lui, de rester inutile.
— Tout va bien, petit frère, maman est là. Elle est vivante. Tu la verras bientôt.
— Où… Où ça, June ? souffle Helouri.
Il cille. Il a horreur quand sa bouche se met à parler sans son autorisation. Il se sent ridicule, il a l'impression d'avoir perdu le peu de force mentale qu'il a pu acquérir depuis qu'il se trouve sous la tutelle de Candice Milliget pour ne redevenir que le petit morgan qui ne peut pas faire un pas dehors si June n'est pas là. Et elle s'en délecte. Il est faible, elle devient de plus en plus forte, peu importe les moyens ou les personnes qu'elle doit servir et plus rien n'a d'importance. Son regard est vil, celui de Leiftan est fou et Helouri sait que depuis le début, les Ael Diskaret avaient accueilli un monstre endormi qui aurait préféré le rester, mais que la cruauté de Sexta Stoker a réveillé pour de bon.
Est-ce que je peux encore te sauver, June ? Est-ce que j'en suis capable ou est-ce que tu vas me faire tant de mal que je vais vouloir te voir mourir ?
June pointe la grande rue d'un doigt, non loin de l'entrée ouest d'Odrialc'h et en cet instant, Helouri sait que c'est la douleur, qui vient attiser les flammes malsaines de June.***Il n'y a rien de tel que tu n'ais jamais regretté, il n'y a rien de pire qui ne soit jamais évoqué pourtant, tu devrais faire tes excuses car toi aussi, tu es fautif.
C'est la note que Sexta Stoker a laissé dans la main de Cristal Ael Diskaret, quand elle a été retrouvée. La terrible Impératrice des Abysses avait tout planifié et pour sa fille qui a été assassinée, elle a prévu sa vengeance. June a décidé de s'acharner, alors ça ne s'arrêtera pas tant que l'une des deux ne sera pas tombée.
Au sein de l'hôpital universitaire de la Grande Auréole, Cristal a été placée dans une chambre individuelle. Lorsqu'elle a été secourue aux Abysses, elle portait une robe outrageuse, d'un rouge sang, avec un tissu si fin qu'il dévoilait ses formes, mais aussi les vestiges des sévices qu'elle avait reçus. Quand il est revenu avec elle, Joseph avait délicatement emmitouflé son épouse dans une couverture dénichée sur les lieux et maintenant qu'elle est soignée et en sécurité, il tente de ramener son esprit. Cristal est plongée dans un état apathique. Les yeux ouverts, elle voit sans voir, elle est incapable de se mouvoir par elle-même et tout ce qui lui reste, ce sont les instincts. Ses repas sont mixés car elle n'a pas le réflexe de mâcher sa nourriture, seulement de l'avaler. Plusieurs fois par jour, des soignants font travailler ses muscles afin de les garder en forme, mais aussi pour éviter les escarres. Joseph tâche de rester fort pour ses enfants, surtout pour Helouri qui est plus fragile et heureusement qu'il a June. Il répète souvent qu'il peut s'appuyer sur sa fille adoptive.
Assis face à sa mère, Helouri lui prend la main. L'état de Cristal dévaste son être, le remue tout entier au point qu'il en perd le sommeil, mais il doit se reprendre. Il doit continuer son apprentissage et entrer au grand palais. Même s'il est faible, Helouri n'est pas idiot. Il se rend bien compte que sa famille a éclatée et qu'elle risque d'être complètement détruite s'il n'est pas là pour ramasser les morceaux. Il doit résoudre l'énigme laissée par Sexta Stoker afin de ramener sa mère dans le monde des vivants et entrer au grand palais afin d'acquérir quelque chose qu'il n'a jamais eu : le pouvoir. En devenant le serviteur personnel de la Capitaine, Helouri obtiendra un statut privilégié dont il pourra se servir contre June si elle tente de nuire à sa famille.
— Est-ce que tu penses qu'elle a toujours été comme ça, maman ? Tu l'aurais remarqué, non ?
Cristal lui répond un regard vide. Helouri lui sourit en replaçant une mèche de cheveux turquoise derrière son oreille. Sa mère a toujours eu bon cœur. Quand Joseph raconte la façon dont il l'a rencontrée, il la décrit comme un petit soleil venu s'échouer au bord de l'océan. La fille du prêtre a toujours été très belle et nombreux étaient ses prétendants, mais Cristal, la fille du pêcheur de perles, avait conquis le cœur du futur garde civil de l'Obsidienne. Cristal rêvait de visiter les Îles du Qi et la cité de Ningjing, alors Joseph avait économisé l'argent nécessaire pour l'y emmener après leur mariage. Il ne faisait pas encore partie de la Garde d'Eel, alors il avait dû travailler sur les chantiers navals et construire des bateaux, même si la météo n'était pas clémente. Mais l'anecdote qu'il raconte tout le temps, c'est qu'au moment de dévoiler la surprise, Cristal avait également préparé la sienne : elle avait pêché et vendu beaucoup de perles afin de pouvoir offrir à son futur mari, un voyage à la Triade d'Ohm, comme il en rêvait. Ils avaient alors pris de très longues vacances pour visiter ces beaux endroits et Helouri a été conçu dans l'un d'entre eux.
Cristal est un soleil, Cristal a toujours aimé son mari et ses enfants, elle a aimé June comme si elle l'avait portée dans son ventre, elle devait vivre une belle vie et non pas subir des atrocités aux Abysses.
Helouri fond en larmes. Quand il quittera cette chambre, il devra enfouir son chagrin afin de conserver ses capacités intellectuelles. Il n'a pas fini d'apprendre et Candice n'a pas fini d'enseigner, peu importe que son frère, Sira, se trouve dans le même état de Cristal. Seulement, Candice ne possède aucun indice pour le faire revenir.
— Pardon, maman.
S'il avait été plus fort, beaucoup plus fort, il aurait pu épauler sa mère, son père et June. Peut-être que le monstre dans le cœur de sa grande sœur serait resté endormi et que personne n'aurait eu à vivre de tragédie. Helouri se lève, puis serre sa mère dans ses bras. Il peut sentir ses côtes saillantes sous son vêtement d'hôpital, ainsi que les pansements réalisés par les soignants. Il a entendu le calvaire de Cristal de leur bouche. Il a écouté même si cela lui donnait envie de vomir car en tant que fils, c'est l'un de ses devoirs. Il doit savoir, même si ça fait mal, alors il s'excuse mainte et mainte fois d'être si faible et lui promet que quand il sera au grand palais, il lui offrira une belle vie. Elle n'aura plus rien à craindre, pas même le poison vicieux qui s'appelle June.
— Monsieur Ael Diskaret ?
Helouri se redresse pour faire face à une agent de l'hôpital, avec un plateau dans les mains. Quand il jette un œil à la nourriture, il songe qu'elle n'a pas l'air d'être délicieuse, réduite ainsi en bouillie.
— C'est l'heure du repas pour votre maman, est-ce que vous voulez lui donner ?
Helouri hoche la tête. Il se lève pour aller chercher la table roulante afin que l'agent puisse poser son plateau. Il comporte quelques tomates en entrée, une purée de pommes de terre avec des œufs, puis une compote en dessert. Le tout mixé pour éviter les fausses routes. Alors Helouri attrape une cuillère, puis commence à faire manger sa mère en la contraignant à ouvrir la bouche, en appuyant sur son menton avec douceur, comme le lui a montré un membre de l'équipe soignante. Cristal mange religieusement ce qu'on lui donne, sourde au monologue de son propre fils et prisonnière d'un monde dont la porte de sortie n'a pas encore été trouvée.
Quand il quitte l'hôpital à regrets, Helouri décide de regagner sa chambre à l'auberge de la Mine d'Or. Plus tard dans la journée, il va devoir retrouver Candice pour poursuivre son apprentissage seulement, il ne doit pas venir trop tôt. Helouri l'a appris à ses dépends.
La famille Milliget possède des parts importantes dans la Grande Auréole, ce qui a le dont d'ennuyer les grandes instances de ce monde. Cela permet néanmoins à Candice de pouvoir loger dans une résidence destinée aux médecins et à leurs familles et bien que cela ne plaisent ni aux étudiants, ni aux docteurs, personne n'ose lui demander de partir. Helouri a d'ailleurs été très surpris que Candice ne cherche pas à se cacher et plus encore lorsque la fée Milliget a dit qu'elle affronterait la justice d'Odrialc'h concernant ce qu'elle a commis aux Abysses.
Tu verras, dava, ça va te servir à toi aussi.
Helouri ne sait pas encore ce qu'il a en tête, mais il s'attend toujours au pire. D'ailleurs, ses allées et venues à la résidence de Candice ne sont pas passées inaperçues, mais personne ne lui a posé de questions pour l'instant et c'est tant mieux, car Helouri n'aurait pas su mentir.
La première fois que le jeune morgan a voulu rejoindre son maître, il s'est contenté de frapper à la porte grâce au heurtoir en laiton. Personne n'a répondu, alors Helouri a fait le tour du propriétaire pour voir si Candice se trouvait bel et bien à l'intérieur. La bâtisse, qui a la taille d'un immense manoir, comporte également un jardin superbement entretenu, avec un petit étang près duquel vivent quelques libleunettes. De hautes fenêtres cintrées permettent de regarder à l'intérieur de la masure, lorsque les lourds rideaux ne sont pas tirés et c'est ce que Helouri a fait. C'est là qu'il a pris connaissance de l'état de Sira Milliget.
Depuis les jardins, une fenêtre donne sur une bibliothèque. Un seul coup d'œil et il est évident que le manoir est habité par un Maître de la Médecine tant les schémas anatomiques parsèment les murs et s'étalent sur de longues tables. De nombreux volumes aux reliures de cuir s'alignent sur des étagères en bois. Elles sont si hautes qu'il faudrait une échelle pour n'importe quelle faelien, mais il n'y en a aucune dans cette pièce.
Sira Milliget est installé dans un fauteuil confortable, son long voile hivernal sur ses ailes et ses épaules. Il arbore le même regard vide que Cristal, à fixer les paysages et les gens sans les voir. Face à lui, Candice a souillé une petite table vernie avec de nombreux morceaux sanguinolents. Des bras, des jambes, des pièces de viande faelienne taillées dans des flancs. Tenant une large coupe dans ses maigres mains, Candice mâche la nourriture avant de la cracher, puis de la donner à son frère à l'aide d'une cuillère. Parfois, il pompe le sang d'un grand morceau à l'aide de sa trompe, puis il le fait boire à Sira.
Quand il a vu ce spectacle, Helouri est resté figé. Interdit, il n'a pas pu détacher ses yeux d'argent. Il ignore combien de temps il est resté là, à regarder Candice nourrir son frère qui, comme Cristal, n'a que le réflexe d'avaler les aliments. Helouri a clairement pu voir la douleur fulgurante sur le visage de son maître. Combien il s'en veut de ne pas être venu plus tôt, combien il en veut à sa mère d'avoir été si faible face à Sexta Stoker et combien il essaye de sortir Sira de son état sans aucun indice. Parfois, il claque des doigts face au visage de son frère en espérant avoir une réaction. Il fait aller son index de la droite vers la gauche pour suivre le mouvement des prunelles, mais elles restent inertes, à fixer droit devant elles. Sira se contente de cligner des yeux et de respirer. Helouri a regardé Candice se lever, une fois le repas terminé, et faire les cents pas dans la bibliothèque, passant de temps à autre une main agacée dans ses longs cheveux châtains pour finir par passer sa colère sur une chaise qui n'avait rien demandée. Puis, quand il a jeté un bref regard vers la fenêtre, Helouri s'est empressé de filer, mais c'était trop tard : Candice l'a rattrapé pour le traîner à l'intérieur du manoir et lui hurler dessus. Désormais, le jeune morgan se contente simplement d'attendre devant la porte d'entrée, après avoir frappé, même si Candice met un long moment à lui ouvrir.
Quand il étudie au manoir, Helouri et la fée Milliget doivent appliquer la même consigne : ils oublient leur situation le temps d'étudier et d'enseigner. Le jeune morgan travaille dans une petite pièce, proche des jardins. Il a l'interdiction formelle de s'approcher de la bibliothèque et les livres dont il a besoin lui sont prêtés lorsque Candice le juge nécessaire. Bien entendu, Helouri a souvent eu du mal à se concentrer, mais il a été rapidement rappelé à l'ordre. À maintes reprises, il a eu envie d'avertir la fée Milliget de se méfier de June, mais il n'a aucune preuve et c'est sa parole contre la sienne. Pour Candice, June a su jouer son rôle aux Abysses et même si Sexta est encore en vie, elle a appliqué les ordres sans sourciller. C'est ce genre de dava que la fée Milliget apprécie : un minaloo qui aboie quand on le lui demande. Tant pis. Helouri se contentera d'accomplir son rôle, lui aussi, tant qu'il peut protéger sa famille.
Le jeune morgan regarde le soleil dans le ciel d'Odrialc'h. Il est haut et l'après-midi est à peine entamée. Candice Milliget doit être en train de faire manger Sira à cette heure-ci, alors Helouri se rendra au manoir dans une petite heure. En attendant, il sait déjà ce qu'il va faire et à cette pensée, son cœur est plus léger. Quand il a quitté Albacore, Helouri n'aurait jamais cru que le simple fait d'écrire à Doubine et de recevoir ses réponses deviendrait une véritable bouffée d'oxygène dans sa situation compliquée. Quand ils se sont quittés à l'entrée d'Odrialc'h, Doubine a souhaité bonne chance au jeune morgan, en espérant qu'il saurait s'appuyer sur les bonnes personnes. Helouri n'a jamais su ce qui l'a poussé à parler à ce moment-là, mais Doubine a posé une main compatissante sur son épaule en ajoutant que s'il ressentait le besoin de parler à quelqu'un, alors il n'avait qu'à adresser ses lettres à un certain Suliag, qui saurait jouer le messager pour Doubine. Helouri ne savait pas qui était Suliag, mais quand il a reçu la réponse à sa première lettre, Doubine a pu éclairer sa lanterne :
Je suis bien rentrée à Petite Ozlomoth. Le bateau a passé la frontière sans problèmes et j'ai averti Suliag pour tes lettres. Il me les remettra. Tu te souviens des enfants de Charybde et Scylla ? Suliag en est un. Il est l'aîné d'une fratrie de trois frères et ils gardent les frontières des Montagnes Noires à eux-seuls. Même si la Capitaine voudrait entrer, ils lui donneraient beaucoup de fil à retordre, mais je dois t'avouer que je serais curieuse de voir ça. Enfin, je suppose que Suliag et ses frères - Yeltaz et Artus - le prendraient mal.
Bref, j'espère que ça a été aux Abysses, aussi bien que ça puisse aller avec Candice. Je n'ai pas eu d'informations de sa part et si Suliag avait appris quelque chose, il me l'aurait dit. Fais attention à toi, petit poisson.
Doubine
Helouri rejoint l'auberge de la Mine d'Or et file dans sa chambre. Par bonheur, June n'est pas dans la salle commune et son père s'entretient avec la Capitaine. Helouri sait qu'il va plaider la cause de June afin qu'elle puisse entrer sous le commandement direct de Shakalogat Gra Ysul, conformément au plan de Candice. Apparemment, June s'est si bien battue qu'elle le mérite.
Une fois dans sa chambre, le jeune morgan se défait de son long gilet d'un vert d'eau, brodés de deux majestueux corkos, puis s'attable à son bureau. Il a pris soin de cacher les lettres de Doubine entre les pages d'un manuel de médecine et avant de quitter les lieux, il change de livre.
Le jeune morgan attrape une feuille de parchemin, une plume et un encrier, puis commence à rédiger :
Chère Doubine,
Je suis contente de savoir que tu es bien rentrée à Petite Ozlomoth. Je ne sais pas si l'information de la catastrophe des Abysses à fini par circuler jusqu'aux Montagnes Noires, mais Candice Milliget a presque réussi son plan. Les lieux sont détruits, le cartel des Typhons a été anéanti, mais Sexta Stoker est toujours en vie. Elle s'est protégée d'une horrible façon et je pense que même les compétences médicales de Candice n'y pourront rien. Je ne sais pas comment elle a fait, mais ma mère et Sira Milliget sont plongés dans un état catatonique. Ils sont vivants, mais comme morts. Tout ce qui leur reste, ce sont des réflexes : celui de respirer, d'avaler, de dormir… Je ne sais pas comment on peut les sortir de cet état. Quand elle a été trouvée, ma mère avait un papier dans la main, avec une énigme. Est-ce que tu crois qu'un mot ou qu'une simple phrase peut être la clé ? Je vais continuer à chercher. Je continue d'apprendre sous la tutelle de Candice et quand je vois les sombres jours qui se préparent, je pense qu'il est plus que salutaire que j'entre au grand palais. Il est difficile de laisser ses soucis dehors quand il est l'heure d'apprendre, mais j'arrive à le faire de mieux en mieux. J'espère que je deviendrai plus fort.
Est-ce que tu penses que tu pourrais me parler des Montagnes Noires ? J'aimais beaucoup écouter tes histoires et celles de Possi quand j'étais sur le bateau. Je lui passe le bonjour également.
Merci pour ta lettre et prends soin de toi,
Helouri
Helouri range sa plume dans son encrier et se dépêche d'enrouler le parchemin avant de le sceller avec une cordelette. Ensuite, il devra se rendre dans le village de Tantale afin qu'il soit envoyé à Suliag. Helouri ira après avoir travaillé au manoir, sous la tutelle de Candice. Il doit avouer qu'il est curieux d'avoir le point de vue de Doubine sur l'état de sa mère et celui de Sira. Peut-être que la goule a déjà vu cela.
En attendant, le jeune morgan se fait discret, même si le dîner à venir en compagnie de son père et surtout de June, lui donne la nausée. Il devra faire bonne figure, car June sera irréprochable dans son comportement de grande sœur idéale. Tous deux n'ont pas échangé en tête à tête, depuis la catastrophe des Abysses, mais cela ne saurait tarder. Helouri a des doutes qu'il doit confirmer et lorsque ce sera chose faite, il sait que cela pourra l'aider à donner toute son énergie pour entrer au grand palais.
Alors, quand on toque à sa porte, un petit quart d'heure plus tard, il soupire et se résigne à sortir. Là, Joseph est debout, les traits tirés, mais toujours aussi fort qu'un socle inébranlable. Il veut manger avec ses enfants et June est ravie. Helouri croise son regard améthyste et elle lui sourit.
— Ça va, Lou ? Je ne t'ai pas vu, ce matin. Tu as été voir maman ?
Et toi, où tu étais ? En train de comploter avec Leiftan ?
Mais il tient bon, dessine à son tour, un léger sourire sur son visage, puis lui répond :
— Ça va, June. J'étais à l'hôpital. Maman a bien mangé aujourd'hui. Tu as pu te reposer ?
— J'ai dormi comme un bébé.
C'est faux, tout est faux, mais pour Joseph, c'est tout ce qui lui reste et c'est une bénédiction, que son fils et sa fille adoptive puissent se tenir la main en ces temps difficiles.
De Doubine à Helouri - Lettre Numéro 2
Petit poisson,
Je vois que les choses sont pires que je l'imaginais. Des nouvelles sont arrivées sur la Montagne Noire et j'ai appris que Candice avait presque réussi. L'effondrement des Abysses a fait parler de lui jusqu'à Inari et même jusqu'à Rhenia-Gaear. De notre côté, on va tenir les kitsune d'Inari en laisse pour éviter que les curieux viennent mettre leur museau du côté d'Odrialc'h et du côté de Rhenia-Gaear, les selkies sont fidèles à Polaris, mais aussi à Candice. Ils se chargeront de tenir la cité à l'écart.
Mais fais attention, petit poisson. Si jamais la reine des fées intervient et que ça devient une affaire de famille, tiens-toi loin de tout ça. Même si tu prends le parti de Candice, tu ne seras jamais gagnant. N'oublie pas comment fonctionnent les fées.
Je crois comprendre que c'est très compliqué de ton côté. Je ne vois pas vraiment en quoi entrer au grand palais t'apporteras ce dont tu as besoin pour ta maman et le reste de ta famille. Il n'y a pas de meilleurs médecins que les fées et si Candice ne peut rien pour son frère, le grand palais ne pourra rien pour ta mère. En dehors de la mission qui t'a été confiée, qu'est-ce que tu veux aller chercher là-bas ? Le pouvoir ? Tu sais, petit poisson, quand on met un pied chez les hautes instances, le plus difficile, ce n'est pas d'obtenir du pouvoir. Tu en auras. C'est d'éviter de ressembler aux monstres qui t'entourent. Rester soi-même quand on peut détruire quelqu'un d'un claquement de doigts, c'est d'autant plus difficile que c'est tentant. Si tu te perds, tu es fichu. Je te l'ai dit : appuie-toi sur les bonnes personnes, n'accorde pas ta confiance à n'importe qui et reste bon.
Tu voulais des histoires. C'est dommage qu'on ne soit pas ensemble avec Possi, il raconte bien. Il te passe aussi le bonjour. Il se souvient de toi, mais il a une excellente mémoire, car il est père de sept enfants. Il avait hâte de rentrer pour les retrouver, d'ailleurs, car ils sont encore tout petits.
Alors voilà : les Montagnes Noires sont une frontière naturelle, proche du royaume des fées, pour protéger la région de Gehenne du reste du monde. Tu as compris, c'est là que vivent les daemons, qui sont une espèce originelle. Comme je te l'ai raconté, lors du Grand Exil, les enfants de Charybde et Scylla ont voulu conquérir la Gehenne, mais les daemons leur ont appris à filer droit. Maintenant, ils gardent les frontières.
Au cœur de la Gehenne, il y a la cité de Metatron, dirigée par Barbatos, le daemon Recteur. Il a deux fils, les seigneurs Brangwen et Barbara. Quant à leur mère, elle a quitté la Gehenne a leur naissance. Le Recteur dit que quand elle a vu l'état du monde, elle est partie en jurant qu'elle ne reviendrait qu'une fois qu'elle aurait trouvé le moyen de régler le problème.
Voilà pour aujourd'hui, petit poisson. Fais attention à toi.
Doubine
Cérémonie d'intégration dans le corps armée d'Odrialc'hIl n'y a rien de tel que tu n'ais jamais regretté, il n'y a rien de pire qui ne soit jamais évoqué pourtant, tu devrais faire tes excuses car toi aussi, tu es fautif.
Cette phrase tourne en boucle dans sa tête depuis quelques jours. Candice lui a pourtant dit d'oublier le temps des études pendant que lui aussi, il oublie lorsqu'il revêt le masque de l'enseignant. Seulement, Helouri en est incapable. Son dos lui fait mal, ses genoux fatiguent à force de tenir la posture accroupie, mais le jeune morgan refuse de lui lâcher la main. Elle est froide. Il a de la peine, beaucoup de peine.
Un battement de cil et le visage de sa mère reste de marbre. Cristal Ael Diskaret est une poupée qui a été secourue au douzième sous-sol des Abysses, avant qu'elles ne soient détruites par Candice. Sexta avait religieusement préparé la pièce avant son sauvetage, avec cette énigme inscrite sur un morceau de parchemin, enfermé dans la main gauche de la morgan. Sexta a toujours eu l'intention de rendre Cristal, mais avec des dommages proportionnels à sa vengeance envers June.
Lorsque sa mère a été soigneusement examinée par des médecins de la Grande Auréole, à Odrialc'h, Helouri a entendu son père hurler. Il n'oubliera jamais sa voix brisée, comme un black dog à l'agonie et il sait que la culpabilité de Joseph lui pèsera toute sa vie pour ne pas avoir su protéger son épouse de la terrible Impératrice des Abysses.
Ce n'est pas de ta faute, papa. C'est June. C'est à cause de June.
Quand il pense à sa grande sœur, Helouri sent sa poitrine s'embraser sous la rage. Il se demande comment Candice peut vivre tous les jours avec ça qui le ronge. Aujourd'hui, Helouri a particulièrement mal parce que June va entrer sous le commandement de la Capitaine. Lors d'une cérémonie qui a été organisée pour lui rendre des honneurs qui, en réalité, ne sont que l'œuvre de Candice Milliget. C'est forcément lui qui a permis à June d'anéantir ce qui restait du cartel des Typhons sans quoi, elle n'aurait pas pu le faire.
Moi, quand je vais entrer au grand palais, ce sera grâce à mes propres capacités.
C'est faux. Il en sera capable parce que Candice lui aura enseigné. En réalité, June et Helouri ne sont que la somme de ce que la fée Milliget veut bien faire d'eux. À part pour June, peut-être, qui n'est que ce qu'elle est vraiment…
Helouri plonge son regard argenté dans les yeux de sa mère. Cristal le regarde sans le voir. Ses longs cheveux turquoise ont été brossés et reposent dans son dos comme une cape de soie. Elle porte la tunique des patients de l'hôpital de la Grande Auréole, d'une couleur bleu pastel, jurant avec sa peau d'albâtre. Elle est assez longue pour couvrir ses poignets ainsi que ses jambes jusqu'aux chevilles et les soignants disent que c'est nécessaire.
— Pardon, maman, souffle Helouri.
Il ne sait pas vraiment pourquoi il s'excuse, mais il doit le faire. Il va apprendre, il va étudier l'énigme, la résoudre et la sortir de son état. Il deviendra utile, il entrera au grand palais et il s'assurera que sa mère aura une belle vie pour le restant de ses jours. Il va réparer ce que June à causé.
Le jeune morgan se relève, serre sa mère dans ses bras durant de longues minutes, puis quitte l'hôpital. La cérémonie pour June aura bientôt lieu mais avant qu'elle commence, Helouri tient à aller voir celle qui était sa grande sœur.
L'auberge de la Mine d'Or est proche de l'hôpital. Helouri et son père s'y rendent régulièrement, l'un et l'autre tenant à aider Cristal à manger, elle qui reste inerte et qui n'a que le réflexe d'avaler la nourriture. Ils passent également de longues heures à lui parler en espérant qu'un souvenir réveille son esprit mais peu importe ce que Sexta lui a fait, c'est terriblement efficace. Helouri souffle par le nez. Il pense aux mots de son père, si dévasté par le sort de sa femme, mais essayant de toutes ses forces de rester debout pour ses enfants. Ses enfants. Joseph l'ignore, mais il n'a plus de fille. Seulement un fils. Celui qui a grandi dans le ventre de Cristal et non pas la faelienne rapportée qui est devenue un poison. Elle doit être en train de se préparer, d'ailleurs, dans la chambre qu'elle occupe après avoir servi Candice et l'avoir trahi en s'alliant avec le Conseiller. Il n'y a aucune preuve, bien sûr, mais Helouri fait assez confiance à son instinct après avoir vu June et Leiftan Tuarran revenir ensemble des Abysses.
Helouri entre dans l'auberge et balaye la salle des yeux. Des gardiens de l'Obsidienne et des soldats d'Odrialc'h sont lancés dans une conversation animée sur leur dernière mission, mais aucune trace de son père, ni de June. Le jeune morgan grimpe à l'étage, le cœur battant. Le feu est encore là. Il s'est transformé en un lac de lave et il est prêt à remplacer son sang. Il veut voir June, il aimerait voir sa grande soeur, il veut lui parler, il aimerait se tromper, il voudrait que ce soit lui qui ait changé, que le poison soit le sien et qu'il réalise que tout ce qui arrive, tout ce qu'il voit n'est que le résultat de la colère dans ses yeux. Mais il sait que ses espoirs sont vains. Là, devant la porte de la chambre de June, il hésite. Il lève un poing pour frapper, mais le garde en l'air comme un idiot.
Pour faire quoi ? Pour dire quoi ? Il n'y a plus rien.
Tant pis. Même s'il n'y a plus rien, autant le dire, le constater et s'éloigner avant de se faire du mal - Pourrait-elle me faire du mal ? - alors il finit par toquer à la porte et entre.
Elle est en train de tresser ses cheveux, et quand elle constate que c’est lui, June laisse tomber le masque affable qu’elle arborait. Pour les autres, elle continue d’être la fille de Joseph et Cristal, mais pour lui, ce n’est plus la peine de jouer le jeu. Ses prunelles améthystes sondent le morgan, avant de se reporter sur sa natte, qu’elle s’applique à garder régulière. Comme celle de la Capitaine, pourrait-on dire. Tant mieux, qu’ils pensent qu’elle voue toujours une admiration sans borne à cette femme qui s’est révélée incapable de protéger sa cité, et la famille qu’elle avait cru s’être trouvée.
— C’est Candice qui t’envoie ? s’enquiert-elle d’une voix morne.
— Tu n'es pas obligée d'attendre que papa aille à l'hôpital pour aller voir maman, répond Helouri en ignorant sa question, mais je suppose que tu t'en fiche puisqu'elle n'est pas ta mère.
Les autres ne voient qu'en June la fille adoptive de Joseph Ael Diskaret qui a pris autant de risques que lui pour sauver sa mère, mais Helouri n'est pas dupe. Elle est fausse. Il se demande si elle a toujours été fausse.
— Profite bien de ta cérémonie avant que tout ne finisse mal, reprend le jeune morgan.
June arque un sourcil méprisant, qu’elle assortit d’un sourire supérieur.
— Mais c’est qu’il mordrait, se moque-t-elle. Candice a fini par réussir à faire quelque chose de toi, ou bien tu prends de l’assurance parce que tu penses que je ne te ferais rien, Lou ?
Elle termine sa tresse, puis s’approche vivement de lui pour attraper une mèche nacrée qu’elle fait glisser entre ses doigts.
— Mords, petit Lou, murmure-t-elle. Mords tant que j’ai besoin de toi, mais fais attention à mieux choisir tes adversaires. Quant à ta chère maman, c’est dommage que Sexta nous ait filée entre les doigts, mais si tu fais marcher tes méninges, peut-être que tu réussiras à la sauver. Enfin, pour ça il faudrait que tu puisses réfléchir par toi-même, et ce n’est pas gagné.
La voilà, June avec son vrai visage. Il le savait, il l'avait vu, il l'avait senti mais de constater que celle qu'il a aimée comme une sœur se pourissait elle-même d'un poison qui était déjà présent fait mal au cœur. Pourquoi ou comment ne sont plus importants. June est ainsi, peut-être qu'elle l'a toujours été et que Sexta n'a fait que réveiller son côté sombre.
Helouri soutient son regard améthyste. June se trompe, il ne mordra pas.
— Mordre pour devenir comme toi, très peu pour moi. Tu as raison, June, je dois devenir quelqu'un pour protéger les gens que j'aime. C'est dommage que tu n'en fasses plus partie.
— Attention, petit Lou, je vais finir par verser quelques larmes, ironise la jeune femme. Est-ce que ça te rend triste, d’avoir perdu ta grande sœur ?
Elle s’écarte en haussant les épaules, fataliste.
— Tu ne peux t’en prendre qu’à toi même : c’est pour toi que j’ai pris tous ces risques, parce que tu n’étais pas capable de te défendre tout seul. En vérité, j’ai simplement perdu mon temps. Tu sais, si tu étais mort pendant la catastrophe d’Eel, ou que Sexta s’était débarrassée de toi, peut-être que les choses auraient tourné autrement. Qu’est-ce que tu en dis, petit Lou ?
June esquisse un sourire torve, avant de mettre les mains derrière son dos et d’arborer une expression joyeuse, reflet parfait de celle qui ne la quittait jamais auparavant.
— Papa et maman auraient-ils été plus tristes de te perdre toi, ou soulagés que tu ne sois plus un fardeau ? Je me le demande… Tu sais, peut-être que si j’arrive à réveiller maman, papa et elle se rendront compte que de nous deux, c’est moi qu’ils aiment le plus fort !
Elle se penche en avant, complice, et baisse la voix sur le ton de la confidence.
— Qu’est-ce que tu en dis, petit Lou ? Tu veux qu’on s’amuse un peu ? Tu veux voir si je suis capable de voler tes parents, de réveiller ta maman chérie, pendant que toi tu te démènes pour essayer de plaire à ton petit roi ?
Helouri se fige. Toute chaleur quitte son corps et si sa peau n'était pas aussi bleue que la glace, il aurait pu devenir pâle comme un spectre. Il ouvre de grands yeux d'argent. Il dévisage le monstre qui a pris l'apparence de June avant de vouloir lui prendre tout ce qu'il a et il se demande si ce monstre-là dormait dans les entrailles de June pendant tout ce temps. Est-ce qu'il n'a rien vu ? Est-ce que ses parents n'ont rien vu ? Est-ce que c'est June ou bien est-ce que c'est un poison dont June a besoin d'être sauvée ? Il sent les larmes lui monter aux yeux et en cet instant, avec l'amour fraternel qui vit toujours dans son cœur pour cette personne qui a disparu, empoisonnée par elle-même, il ressent le besoin de faire quelque chose afin de ne pas perdre la raison à cause du chagrin. Elle est proche, alors il lui prend la main. Il l'a déjà fait, quand ils étaient encore une famille. June lui tenait toujours la main pour qu'il devienne plus fort, mais il est resté faible.
Il regarde cette main, constellée de fines cicatrices, vestiges d'entraînements au sein de l'Obsidienne, puis de tâches de sons. Un frêle sourire ourle ses lèvres, puis Helouri lève son visage pour regarder June dans les yeux.
— Tu es morte, souffle-t-il.
Son coeur s'accélère, sa gorge se dilate sous la nausée, mais il continue :
— Tu es morte aujourd'hui, reprend Helouri, je viens de perdre ma grande-sœur et je vais devoir faire mon deuil.
Ça fait mal, il y a l'espoir qui lui souffle que ce n'est pas vrai. Que tout peut redevenir comme avant, que ce n'est pas June qui se tient face à lui, mais une autre personne. Mais June est morte.
— Ma grande sœur est morte. Toi, tu n'existes pas. Je ne t'adresserai plus jamais la parole.
Même sous la contrainte, même si c'est Candice qui le lui ordonne, c'est terminé. La personne qui se trouve dans cette chambre n'existe plus. Alors Helouri lâche cette main, puis quitte la pièce sans se retourner. En sortant, il peut entendre le soupir désabusé de June, avant qu’elle ne retourne faire face à son miroir.
— Ce que tu peux être dramatique, s’amuse-t-elle à mi-voix. J’ai hâte de te voir t’empêtrer dans tes propres erreurs, petit Lou. Ça risque d’être très amusant.
Et quand il tournera ses grands yeux suppliants autour de lui pour obtenir de l’aide, perdu dans une machination bien trop grande pour lui, elle s’assurera qu’il ne trouve aucune main, aucun sourire, aucun regard compatissant. C’est le prix qu’il paiera pour l’avoir tuée, car si elle est morte, comme il se plaît à l’imaginer, alors c’est lui qui a creusé sa tombe de ses frêles petites mains.
La Cérémonie
À une seule marche, à un seul quartier, le grand palais se dresse, splendide, magnifique, avec ses murs ciselés par des scènes de gloire et de bataille. Il renferme les hautes sphères d'Eldarya, le sang le plus pur, l'héritage charnel qui choisit le prestige à la place de l'amour et pour célébrer une autre forme de gloire, la Capitaine Shakalogat gra Ysul a sélectionné la place de Lorag. Cela signifie la gloire en langue orc. C'est aussi beaucoup de fioritures pour un petit événement, mais la population d'Odrialc'h adore cela. Aussi, après la chute des Abysses, il faut bien distribuer les honneurs et c'est la raison pour laquelle Shakalogat a dû rentrer dans sa cité natale.
Il y a une soldate, qu'elle a nommée elle-même à Eel, avec le geôlier de la fée Milliget, qui a su trancher les têtes restantes du cartel des Typhons. Le nouveau chef et une licorne experte en poisons, selon les trouvailles des soldats et gardiens. Elle s'est aussi défendue face aux Strashilka, de dangereux tueurs à gage et elle a abattu l'un d'entre eux. Au grand palais, on a donc fortement recommandé à Shakalogat Gra Ysul de la prendre sous son commandement direct.
Sur la place Lorag, la foule s'est rassemblée. Au premier rang, il y a les gardiens d'Eel ainsi que les soldats d'Odrialc'h descendus aux Abysses. Il y a Joseph Ael Diskaret, puis le Conseiller Leiftan Tuarran. Au centre de cette place, se tient Shakalogat Gra Ysul, vêtue de son armure de Capitaine en orichalque. Sa longue natte se balance au rythme de ses mouvements et comme le veut son statut, elle reste digne, ses yeux d'onyx rivés sur celle qui rejoindra bientôt son escouade, sous son commandement. C'est un spectacle que la foule apprécie et il est certain que les gens biens-nés, au grand palais, ne doivent pas en manquer une miette depuis leur fenêtre.
— J'appelle la soldate June Albalefko, lance Shakalogat.
Elle prend une inspiration rapide, comme si l’angoisse envahissait sa poitrine. Elle est mal à l’aise devant tous ces regards, mal à l’aise devant ce déploiement d’honneurs pour elle, petite gardienne, petite soldate, dont le seul mérite a été de se trouver au bon endroit au bon moment ! June se lève, le dos droit, et marche d’un pas un peu raide en direction de la Capitaine. Qu’elle est impressionnante ! Qu’elle est belle ! Féroce, magnifique, héroïque ! L’admiration brille au sein de l’améthyste, chasse la gêne, puis disparaît quand elle s’arrête à l’endroit indiqué, avant de s’incliner, malgré elle, parce que c’est un honneur, parce que c’est un rêve qui se réalise, parce qu’elle n’en espérait pas tant.
Une comédie bien rodée, car au fond, June est vide. Elle se fiche de la Capitaine, des honneurs, du regard de Leiftan Tuarran, de celui de la foule. Ils pourraient être morts que ça lui ferait le même effet. Mais devant eux, elle arbore son masque, son joli, parfait, rayonnant petit masque, qui lui permettra d’obtenir ce qu’elle veut. Elle est douée à ce petit jeu.
Sous le regard de la Capitaine, elle n'est qu'une petite soldate qui avait accompli beaucoup pour Eel et Odrialc'h. Elle est aussi un modèle pour tous ceux qui ne sont personne et nourrissent l'espoir de devenir quelqu'un au sein du corps armée. Cela ravit beaucoup Ysul Gra Bolumbash, à la tête du pôle judiciaire et bien que sa fille unique déteste ce genre de mascarade, elle veut bien donner sa chance à une petite faelienne. Shakalogat la regarde.
June Albalefko est petite. Elle n'a pas la carrure pour porter une armure d'orichalque et elle ne maniera jamais d'armes lourdes. Même sous son commandement, elle restera un soutien pour ses camarades plus massifs mais peu importe, tant qu'elle reste loyale à Odrialc'h et qu'elle apprend religieusement le code d'honneur.
— Vous avez beaucoup accompli depuis notre dernière rencontre lors des sélections, June Albalefko, lui adresse Shakalogat, pour sauver votre mère, vous êtes descendue dans un endroit dangereux qui n'avait encore jamais été trouvé et vous avez pris des risques.
Ce qui fait trembler le grand palais d'une honte cuisante, c'est le fait que les Abysses aient été trouvées par une fée avant le corps armée. L'information est arrivée trop tard et la manière dont elle a existée reste étrange. En fin de compte, Odrialc'h a obéit à la volonté de Sexta Stoker et tout le monde le sait même si personne ne veut se l'avouer.
— Vous avez anéanti un dangereux cartel, reprend la Capitaine, et vos efforts méritent d'être récompensés.
June rougit, les bras serrés le long du corps, comme écrasée par les regards. Elle hoche timidement la tête, puis bredouille d’une petite voix où l’étonnement se mêle à la gratitude.
— C’est à vous et à Odrialc’h que je le dois, Capitaine. C’est parce que vous m’avez autorisée à participer à cette opération. J’ai encore beaucoup à apprendre.
Elle incline la tête, serre les poings, excitée, humble, soulagée. Elle espère aussi que cette cérémonie sera vite terminée, car il est épuisant de jouer la soldate intimidée et fière de cette ville dans laquelle elle ne se reconnaît pas.
Au premier rang de cette foule qui s'est agglutinée sur la place Lorag, Joseph Ael Diskaret couvre June d'un regard fier pendant que Leiftan Tuarran, à ses côtés, fait semblant de s'intéresser à ce qui se passe. Il songe que Candice Milliget doit se réjouir de voir que la mission de sa dava se déroule exactement comme il le souhaitait. Tout ce qu'il a fait aux Abysses étaient conformes à ses désirs, sauf Sexta et les dommages qu'elle a causés à Sira, bien entendu.
— Pour les services rendus à la cité d'Odrialc'h, je vous invite à apprendre sous mon commandement, annonce Shakalogat, vous avez une voie toute tracée au sein du corps armée d'Odrialc'h et je suis certaine que vous accomplirez de grandes choses.
— Ce serait un honneur, répond June en s’inclinant une nouvelle fois.
Sa voix tremble sous le coup de l’émotion. C’est un rêve qui se réalise, un rêve qu’elle a cultivé toute sa vie. Un sourire ébahi nait sur ses lèvres, qu’elle ne réprime qu’à moitié, incapable de croire que la chance puisse lui sourire à ce point. June se redresse et jette un regard bref à Joseph, un regard humide de larmes de joie. Je l’ai fait, papa. Tu peux être fier de moi, maintenant. J’ai rendu honneur à notre famille.
Au fond, elle rit en songeant tout autre chose. Oui, elle a rendu honneur aux Ael Diskaret, elle. Elle n’est pas une incapable, elle. Il faudra qu’elle pense à demander à Joseph de l’accompagner voir Cristal. Après tout, il ne faudrait pas manquer de dire à sa maman chérie ce qu’elle manque depuis son lit d’hôpital.
Mais elle se doit de rester sérieuse, alors elle revient à la Capitaine, en se grandissant malgré elle. Il faut être digne de l’honneur qu’on lui accorde, après tout.
La foule applaudit, des clameurs s'élèvent et peu importe que l'on connaisse June ou non, on la félicite et on lui souhaite le meilleur. Quelqu'un applaudit d'ailleurs plus fort que les autres. Quelqu'un qui a fendu la foule en se moquant qu'on le reconnaisse, peu importe l'avertissement soufflé par celui qui se tient près de lui, les mains agrippées sur les poignées d'un fauteuil à roulettes.
Une joie exagérée transcende son beau visage et son énergie décoiffe un petit peu plus ses cheveux noirs, fraîchement coupés. Pour l'occasion, il a revêtu son habit d'apparat. Le même qu'il portait lorsque la Capitaine est venue à Eel pour les premières sélections. Il fait fi des expressions interdites qui se peignent sur les visages des gardiens de l'Obsidienne, de Joseph Ael Diskaret ou de Leiftan. Nevra Mircalla a quitté sa prison, a affronté sa famille, a piétiné la honte et se tient aujourd'hui debout, libre, prêt à éclaircir quelques zones d'ombre.
— Bravo ! scande-t-il.
À ses côtés, Rose Clarimonde pâlit en secouant la tête, bien à l'abri sous le capuchon de sa cape de voyage. Quant à Balam, sur son fauteuil à roulettes, il préfère se faire discret. Il lève une main pour serrer brièvement le poignet de Rose et ce dernier comprend. Il se recule afin de se mettre à l'abri derrière la foule, loin d'eux.
Alors que tous les regards sont fixés sur Nevra Mircalla, celui de June se fait glacial. Pas assez pour que la foule le remarque, mais elle se doute que le vampire n’est pas là pour la féliciter. Après tout, lui aussi a été le dava d’une fée, lui aussi s’est parjuré pour Candice afin d’essayer de tuer Leiftan Tuarran. Un échec cuisant, qui a mené à ce que l’on nomme désormais l’Eel Rouge. Il veut jouer, lui aussi. Il veut sans doute rendre honneur à sa maîtresse, obéir bien sagement pour obtenir une protection nécessaire à sa survie. Son maître à elle sera ravi d’apprendre que le vampire est à Odrialc’h. Elle devine qu’il n’est pas seul, car en parcourant la foule, elle capture deux silhouettes timides, dont la stature étrange lui rappelle celle des blessés d’Eel. Nevra a-t-il emmené son fidèle chien à la personnalité effacée ? June darde une pointe de langue entre ses lèvres, puis peint un air étonné sur son visage. Elle se tourne vers la Capitaine, puis vers son père, les yeux écarquillés. Après tout, ne dit-on pas que l’ancien capitaine de l’Ombre est un traître ? Pourquoi est-il ici, libre de toute entrave ? N’est-ce pas de sa faute si Candice Milliget a ravagé la cité blanche, et si Cristal Ael Diskaret a été capturée par Sexta ?
Shakalogat Gra Ysul jette à peine un regard à Nevra. La place est sécurisée alors s'il veut qu'on le remarque, grand bien lui fasse, mais il ne blessera personne. Peu importe, le vampire Mircalla n'est pas venu pour cela. Il adresse une moue arrogante à Leiftan Tuarran, les mains sur les hanches et semble profiter de la cérémonie comme si elle avait été organisée pour lui.
— Reculez, lui ordonne un soldat d'Odrialc'h.
— Où donc, mon brave ? lui répond Nevra d'un ton jovial, vers ces dames ou vers celles-ci ? Odrialc'h est certes une belle ville, mais j'aimerais bien pouvoir assister au couronnement de cette soldate.
— Reculez ! réitère le soldat.
Nevra pousse un soupir à fendre l'âme, puis après avoir adressé un signe de la main à Leiftan, puis un clin d'oeil à June, se fend d'une révérence ridicule et se met à reculer en ajoutant qu'il a bon coeur, d'exaucer ainsi le souhait de ce soldat.
Dans son mouvement, il heurte sans le vouloir la hanche d’une jeune femme aux cheveux d’un roux flamboyant. Elle pousse un petit cri surpris, avant de s’écarter avec la grâce et l’élégance que l’on attend des gens de son rang. Ses yeux verts se posent sur le vampire, sans trahir une seule seconde ce qu’elle pense du spectacle qu’il donne. Ceux qui la connaissent assez, en revanche, savent qu’en dépit du ridicule de la situation, elle le trouve agréable à regarder, et que dans un autre contexte, elle aurait sans doute rit de ses plaisanteries. Pour autant, au milieu de la foule, Hélios Soare reste de marbre, se contentant d’attarder ses yeux joliment maquillés une seconde supplémentaire, avant de les baisser en affichant une moue parfaitement maîtrisée. Lorsque Nevra la remarque, il s'incline avec élégance, s'excusant pour sa maladresse.
— Si vos pas croisent de nouveau les miens, chère demoiselle, sachez que je saurai m'excuser en bonne et dûe forme. Peut-être que des fleurs ou une promenade sur le port feront l'affaire…
Cette fois, l’atalante roule des yeux en camouflant un sourire. Allons bon, il ne manque pas d’air, ce vampire. La jeune femme s’incline à son tour, dans une révérence gracieuse qui fait tinter le tournesol de son diadème.
— Même si cela m’intéressait, et rien ne vous dit que c’est le cas, c’est à mon maître que vous devriez adresser ce genre de proposition, cher monsieur, répond-elle d’une voix suave. Il m’est donc impossible de vous répondre, d’autant que cela me permet ainsi de ménager ma dignité et la votre.
Nevra laisse échapper un petit rire. La demoiselle est une servante du grand palais et cela ne l'étonne que très peu. Elle est magnifique et ce genre de beauté est une fleur rare dans un monde tel qu'Eldarya. Elle est forcément promise à quelqu'un mais tant que son maître ne l'a pas encore mariée, alors il lui reste un petit peu de liberté.
— Votre considération pour ma dignité me touche, chère amie. Néanmoins, si la liberté vous attire autant que moi, sachez que la porte de la résidence Mircalla dans le beau quartier de Lucet vous est ouverte. Là-bas, il n'y a ni dieu, ni maître puisque j'y vis. C'est l'avantage.
Nevra lui adresse une révérence plus gracieuse et un clin d'œil avant de disparaître. Quand il rejoint Rose, ce dernier lui lance un regard fatigué, mais Nevra s'excuse bien vite d'une main sur l'épaule puis, avec Balam, ils disparaissent. Hélios ne l’a pas regardé partir, elle est restée de marbre, mais dans son esprit, elle a noté le nom des Mircalla. Peut-être qu’elle s’y intéresserait sur son temps libre. Mais ici, en public, l’invitation du vampire est tombée dans l’oreille d’une sourde.
Après la cérémonie d'intégration de June Albalefko
Le calme du petit salon tranche avec l’agitation de la cérémonie qu’elle vient de quitter. Gracieusement affalée dans un canapé, Hélios lisse ses boucles rousses en laissant ses yeux se perdre sur la baie vitrée. La vue est superbe, mais l’atalante ne détaille pas vraiment les toits qui s’étalent jusqu’à l’horizon. Elle pense à la cérémonie, se demande si Sheraz a pu la regarder, même discrètement. Elle ne manquera pas d’en faire un rapport détaillé à son jeune maître, de toute façon. Elle lui parlera de la Capitaine, si majestueuse et tranquille, de la soldate et de ses yeux emplit de fierté, et du vampire ridicule au milieu de la foule. Un léger sourire ourle ses lèvres à ce souvenir, et de son invitation osée. Il n’est pas le premier à tenter, et ne sera pas non plus le dernier. Hélios est belle, elle le sait pertinemment, et ses charmes font tourner bien des têtes.
La jeune femme étouffe un bâillement, tout en jouant avec une des perles de son collier. Un cadeau de la Dame Alfirin, qu’elle a accordé avec le diadème de Sheraz, qui revêt une importance bien plus grande à ses yeux. Elle est un peu fatiguée, mais sa journée est loin d’être terminée.
Seulement, sa tranquillité est bien vite troublée par les portes du petit salon qui s'ouvrent pour laisser passer une âme plaintive. Hélios pourrait la reconnaître entre mille, avec ses cheveux blancs savamment coiffés en un chignon de tresses compliquées ainsi que ses robes colorées qu'elle ne doit jamais porter deux fois dans le même mois afin de satisfaire ses maîtresses si capricieuse. Stella, la gracieuse lampade et servante personnelle des soeurs Orécaille, jusqu'à ce que des sélections soient organisées pour Ekaterina, la plus jeune, laisse échapper un gémissement de minaloo battu avant de s'affaler sur le tapis puis de poser sa tête sur les genoux d'Hélios.
— Hélios, l'appelle-t-elle d'une voix plaintive, te revoilà ! Où étais-tu passée ? Je suis sûre que tu as eu le temps d'assister à la cérémonie, toi. Ton maître est vraiment bon.
Puis elle enchaîne avec ses maîtresses, à elles, qui lui demandent beaucoup de travail. Sur le temps qu'elle doit passer à inventer de nouvelles coiffures, à écouter les peines de Mademoiselle Ekaterina, à nourrir les fantasmes de Mademoiselle Olga sur le petit bourgeois Le Preux. Madame la mère d'Olga Orécaille refuserait un tel mariage, bien sûr, car le lampade n'est pas assez bien en plus d'être sourd, mais Olga se demande tout de même si elle ne devrait pas tenter une liaison avec lui. Bien entendu, Stella confie tout cela à Hélios parce qu'elle sait qu'elle ne répètera jamais rien. Hélios est parfaite en plus d'être très belle, Stella peut tout lui dire. Heureusement que l'atalante existe au sein du grand palais sans quoi, Stella ne n'en sortirait pas.
Hélios l’écoute raconter ses malheurs d’une oreille attentive, tout en caressant doucement ses cheveux. Elle prend soin de ne pas déranger sa coiffure complexe, car elle se doute que Stella y a passé beaucoup de temps. Elle apprécie la confiance que la lampade place en elle, car cela lui permet d’assouvir son insatiable curiosité. Hélios esquisse un sourire penaud en répondant à sa question initiale.
— Je suis allée à la cérémonie, oui. Je me suis doutée que tu étais occupée en ne t’y voyant pas…
Elle est bien contente de ne pas servir les deux sœurs Orécaille, deux véritables pestes qui mériteraient que quelqu’un s’occupe de leur cas… Stella est bien trop douce pour deux personnalités comme les leurs. Lorsqu'elle finit par se calmer, la lampade se redresse en poussant un profond soupir. Comme toutes les femmes de son espèce, elle souligne ses yeux de rouge, afin d'harmoniser son visage avec la couleur naturelle de ses lèvres. Les sœurs Orécaille ont déjà voulu lui faire changer cela, mais c'est un détail sur lequel Stella n'a jamais cédé. Elle lance un regard ravi à Hélios et dans ses yeux entièrement noir, des lueurs semblables à des constellations s'y bousculent.
— Ça va mieux, confie-t-elle, de toute façon il le faut bien ! La journée n'est pas encore terminée.
Puis, elle se mord la lèvre. Stella n'est pas venue trouver Hélios dans le seul et unique but de vider son sac. Tout comme sa collègue, au sein du grand palais, Stella est d'une curiosité maladive et quand il s'agit de saisir la moindre information, elle se montre particulièrement douée à ce petit jeu. La lampade se redresse et vient s'asseoir près d'Hélios, non sans s'assurer que personne ne les écoute.
— Dis-moi, Hélios, est-ce que Madame Alfirin veut encore te marier à Wan Zi ? Tu sais… Lorsque je suis sortie du palais, la dernière fois, je l'ai aperçu. Il se donne des airs gentils avec son maître, mais c'est un pervers ! Il fréquente des prostitués des bas-quartiers, des femmes vraiment affreuses ! J'étais très choquée. Tu devrais essayer de convaincre Madame Alfirin de te marier à quelqu'un d'autre, si tu veux mon avis…
L’atalante ouvre de grands yeux choqués. Wan Zi, le faelien timide et aussi intéressant que son maître ? Hélios peine à le croire, mais les informations de Stella sont très souvent de première qualité, et elle ne voit pas pourquoi son amie inventerait de telles rumeurs.
— Beurk, grimace-t-elle. Dire que j’ai pris le thé en sa compagnie… Il est hors de question que je le touche, il risquerait de me donner de vilaines maladies !
Elle frissonne en songeant aux prostituées qui se retrouvaient parfois défigurées tant les infections étaient légions dans ce genre d’activités. Il ne manquerait plus qu’elle perde un morceau de nez parce que son futur époux fréquentait des femmes de mauvaise vie ! Hélios fronce la pointe dudit appendice, puis s’assure à son tour de ne pas être entendue, avant de se pencher vers Stella.
— En réalité, Madame Alfirin m’a dit que si le vainqueur des sélections était un homme, il se pourrait bien qu’elle change d’avis au sujet de Wan Zi. Mais avec ces nouvelles informations, je vais essayer de faire en sorte que même s’il s’agit d’une femme, elle trouve quelqu’un d’autre !
— Tu fais bien ! approuve Stella, vraiment si tu avais vu ce que j'ai vu, je pense que même un serviteur de bas rang serait un meilleur parti ! D'ailleurs, je pense que tu pourrais même suggérer à Madame Alfirin de te marier avec Camille Le Preux, si le vainqueur des sélections est une vainqueure. Tu as une excellente réputation au sein du palais, Hélios, alors je pense que tu pourrais prétendre à un petit membre de la bourgeoisie, bien qu'il ne soit pas un serviteur personnel.
Ravie de ce bon moment et puisque aucune des deux servantes n'ont d'obligation pour l'instant, Stella suggère à Hélios de prendre le thé. Elle convoque donc deux serviteurs de bas rang et leur demande de préparer un petit goûter. En attendant, Stella pousse un soupir, puis reprend :
— Ah… Je viens d'y penser… Même si c'est vilain, je ne peux rien te cacher. Je tiens à m'excuser, ma pauvre Hélios, mes maîtresses ont encore dit des choses affreuses sur ton jeune maître. C'était si vicieux que j'ai eu du mal à en dormir la nuit.
Cette fois, les yeux d’Hélios se plissent de mécontentement. Si ça ne tenait qu’à elle, les bouches des soeurs Orécaille seraient lavées au savon noir tous les matins. Elle croise sagement les mains sur ses cuisses en esquissant un sourire trop doux, avant de faire signe à Stella de continuer. Elle ne veut rien rater de ce qu’il se dit dans le palais, et encore moins lorsque cela concerne son maître. De plus, si sa douce amie en à perdu le sommeil, c’est probablement que la discussion pourrait même porter préjudice à l’honneur des Alfirin.
Stella fait la moue, mais poursuit. Comme elle l'avait dit, c'est affreux ! Les soeurs Orécaille ont persifflé que si Sheraz est marié un jour, non seulement il sera chanceux mais de plus, il sera parfaitement incapable d'être un bon mari. Lui qui est si fragile, il ne pourra même pas honorer sa propre femme au lit car son sang est bien trop pauvre pour pouvoir nourrir correctement toutes les parties de son corps. Finalement, peut-être qu'il arrivera un moment où ce sera à sa servante personnelle d'assouvir ses besoins les plus primaires. Ou bien Sheraz finira par être complètement alité et deviendra un poids pour ses parents, ainsi que pour le grand palais… Ou alors peut-être, encore, que le remède à son mal serait un homme. Sheraz pourrait profiter de la virilité d'un mari à défaut d'avoir la sienne.
Quand elle termine, Stella baisse la tête, honteuse et embarrassée de devoir confier de tels propos.
Hélios se force à inspirer calmement, pour ne pas attirer l’attention sur elles. Évidemment, elle ne répétera rien de tout cela à Sheraz, afin de ne pas donner la satisfaction aux sœurs Orécaille d’avoir réussi à détruire le peu de confiance qu’il avait encore en lui. Son visage se pare d’une expression inhabituelle, une colère froide qui fait briller l’émeraude de ses yeux, alors qu’elle pose une main rassurante sur celles de Stella.
— Merci de m’avoir dit cela, ma douce amie, soupire-t-elle. Tes maîtresses ont beaucoup de temps libre pour se soucier à ce point de l’intimité de mon maître. Je plains les malheureux qui devront les épouser, car même s’ils parviennent à les honorer, ils auraient bien de la peine à supporter leurs langues de vipère…
Elle se fera un plaisir de remettre les deux sœurs à leur place la prochaine fois qu’elle les rencontrera, car nul ne peut impunément se moquer ainsi de son maître. Elle doit défendre l’honneur des Alfirin, mais plus encore, elle doit protéger Sheraz de la sournoiserie du grand palais.
— Mon maître est bien plus robuste qu’il n’en a l’air, continue Hélios. Il est évident qu’il obtiendra une union heureuse et sincère, et qu’il fera rayonner la réputation des Alfirin. Ces accusations fallacieuses ne sont pas dignes de leur rang, et je te plains sincèrement d’avoir à écouter de telles inepties. C’est d’une vulgarité sans nom, ma pauvre Stella…
Hélios lui sourit et passe une main légère devant les yeux de la lampade, en retrouvant son air doux.
— Chasse donc ces horribles médisances de ton esprit, ma douce amie, il ne mérite pas d’être empli de telles horreurs.
— Je le sais bien, soupire Stella, mais je suis une lampade, Hélios. Je suis sensible au cœur des gens, alors quand il est mauvais, qu'est-ce que ça fait mal…
C'est le mauvais côté de son espèce mais au moins, auprès de quelqu'un comme Hélios, Stella peut se ressourcer. Le thé leur est servi et la lampade accueille volontiers ses arômes fruités. Ses maîtresses assistent à leur cours de peinture sur porcelaine, alors cela lui laisse un petit peu de répit. De plus, elle a accompli toutes ses tâches.
— Mais entre nous, Hélios, songe Stella en fronçant ses sourcils blancs, est-ce que c'est vrai que ton jeune maître entretient une relation intime avec une fée ?
Hélios arque un sourcil, surprise par la question. Elle boit une gorgée de thé puis soupire, en secouant ses boucles rousses.
— Est-ce là encore une invention de tes maîtresses ? Elles pourraient tout de même ragoter après quelqu’un d’autre, ou du moins se montrer plus crédibles.
Hélios croque dans une pâtisserie, avec l’air de ceux qui se désolent des mensonges de leurs paires.
— Mon maître est ami avec maître Sira Milliget, c’est vrai, et il ne s’en cache pas. Après tout, avant que son aîné n’attaque la cité d’Eel, les Milliget étaient une famille respectable. Bien sûr, il se trouve toujours des pommes pourries dans le panier, mais maître Sira Milliget ne m’a jamais semblé aussi vindicatif que son frère.
Elle soupire, et ses pensées s’en vont vers la jeune fée, dont personne n’a de nouvelles. Il y a eu des rumeurs, mais Hélios refuse de les croire, et encore moins de les rapporter à Sheraz.
— Rassure-toi, ma douce amie, lui sourit-elle avec douceur. Mon maître et le maître Sira entretiennent une relation tout ce qu’il y a de plus respectable. Et je doute qu’il fréquente d’autres fées sans que je ne sois au courant.
Elle esquisse une moue songeuse, en actrice parfaite, puis secoue à nouveau la tête, car c’est en effet tout à fait improbable. Stella hausse les sourcils, dubitative, mais s'empresse de s'excuser pour sa curiosité. Ses maîtresses racontent tellement de choses que c'est difficile de démêler le vrai du faux… Soudain, la porte du petit salon est poussée et Stella tourne machinalement la tête. Mais elle s'empourpre et plonge son nez dans sa tasse de thé quand elle reconnaît le visage serein ainsi que la tenue rouge de Liu Wan Zi. Égale à lui-même, le jeune faelien originaire de Ningjing s'anime avec le calme religieux des gens de sa cité. Il salue Hélios et Stella avec politesse, puis s'excuse de déranger leur conversation en ajoutant qu'il ne vient que pour se préparer sa tisane favorite à la camomille.
Hélios lui répond avec son élégance habituelle, avant d’incliner délicatement la tête.
— Étiez-vous également en ville pour passer un bon moment ? demande-t-elle innocemment. La cérémonie était superbe, j’étais justement en train d’en discuter avec mademoiselle Stella.
Elle adresse à la lampade un regard complice. Lorsque Wan Zi quittera la pièce, nul doute qu’elles glousseront, le nez dans leurs tasses, en imaginant ce qu’il a bien pu faire de son après-midi.
— Vraiment ? s'enquiert Wan Zi avec un doux sourire, eh bien vous avez de la chance d'avoir pu y assister. Je n'ai malheureusement pas pu m'y rendre. Mon jeune maître avait besoin de moi pour travailler sur sa thèse. J'ai donc été enfermé dans la bibliothèque une bonne partie de la journée.
Wan Zi n'ajoute pas si cela l'a ennuyé ou non. Il met sa camomille à infuser et se contente de s'installer dans un petit fauteuil pour savourer quelques minutes de répit. Stella, quant à elle, jette une œillade à Hélios en secouant la tête. Il ment. Hélios retient un sourire amusé. De timide et insipide, Wan Zi vient de devenir répugnant et abject. Décidément, il est hors de question qu’elle épouse un homme comme lui…
— Quel dommage, se désole-t-elle. Enfin, avec les sélections qui approchent, nous ne manqueront pas de divertissements, et nos maîtres respectifs ne seront pas toujours occupés ! Nous aurons bien l’occasion de prendre du bon temps. Je suis curieuse de savoir quel genre de candidats se présenteront.
Wan Zi hausse les épaules en une réplique parfaite de son jeune maître. Il n'en sait rien et faire des suppositions n'a pas grande utilité puisqu'il est impossible de prédire l'avenir. Alors ils n'ont qu'à attendre et ils verront bien. De toute façon, il faut faire confiance à la Capitaine pour choisir avec soin, puis à Dame Malda pour sélectionner les meilleurs candidats.
Hélios soupire en silence à l’attention de Stella. En plus d’être répugnant, Wan Zi est vraiment d’un ennui… Elle termine son thé puis se lève, rectifiant ses robes et sa coiffure pour s’incliner en une révérence parfaite.
— Bien. Ce fut très agréable. Je dois à présent rejoindre mon maître, si vous voulez bien m’excuser.
Elle adresse un regard discret à Stella. Fuis toi aussi !. Hélios sort de la pièce d’un pas léger, et remonte les couloirs jusqu’à la chambre de Sheraz en saluant ceux qu’elle croise d’un sourire rayonnant. Une fois devant la porte, elle esquisse une moue inquiète, qu’elle gomme en toquant trois fois avant de pousser le battant.
— Je suis rentrée, jeune maître, annonce-t-elle d’une voix mélodieuse.
Si elle s'attendait à ce que Sheraz soit allongé dans son lit ou bien assis sur son siège, le regard perdu vers la fenêtre, c'est pourtant à pas précipités que le jeune elfe Alfirin vient à la rencontre d'Hélios. Lorsqu'elle se trouve face à lui, elle peut constater qu'il est blanc comme un linge. Il est toujours aussi fragile que d'ordinaire, certes, mais il a surtout l'air terriblement inquiet. Une fois que sa servante personnelle se trouve à l'intérieur de sa chambre, Sheraz s'empresse de refermer la porte, puis de la conduire loin du panneau de bois, mais aussi des oreilles indiscrètes. Sheraz a attendu le retour d'Hélios comme un familier en train de tourner dans sa cage. Il s'est interdit d'aller à sa recherche car cela éveillerait les soupçons or, pour ce qu'il a à demander, il est primordial que personne ne soit au courant.
— Hélios, s'enquit Sheraz, je vous attendais, je…
Sheraz prend une grande inspiration et tente de calmer les battements de son cœur affolé. Il reprend le cours de ses pensées, puis s'empresse :
— J'ai entendu des gardes royaux discuter de la cérémonie. Ils parlaient de ce qu'il s'est passé quand les Abysses ont explosées. Tout le monde sait que c'est à cause d'une fée, comme pour la cité d'Eel. C'est un Milliget, c'est Candice. Vous vous souvenez de lui ? Mais…
Les yeux de Sheraz s'emplissent de larmes alors qu'il poursuit d'une voix hachée :
— Il y a eu des blessés, puis deux otages qui ont été secourus. Les gardes ont dit qu'ils étaient vivants mais comme morts. Parmi les deux otages, l'un d'entre eux est une fée et je… Je… Hélios, est-ce que vous pourriez vous renseigner ?
L’atalante camoufle son soupir avec brio. Elle prend les mains de son maître, l’entraîne vers son fauteuil et le force à s’asseoir, avant de s’accroupir en face de lui.
— Calmez-vous, Sheraz, je suis là, souffle-t-elle. J’ai entendu ce qu’il s’est passé, en effet, je reviens justement de la cérémonie. Je me suis arrêtée prendre le thé, mais j’aurais dû revenir plus tôt, j’en suis navrée.
Elle presse les doigts de Sheraz et lui adresse un sourire rassurant, bien loin de la confiance qu’elle ressent actuellement.
— Ne vous en faites pas, je me renseigne déjà en écoutant les rumeurs qui courent au grand palais. Malheureusement, elles ne m’ont rien appris de concluant, alors je vais mener mon enquête pour vous, Sheraz, promet-elle. Mais je suis certaine que tout va pour le mieux.
Sheraz hoche la tête. Avec le terrible souvenir qu'il a du frère de Sira, il sait qu'il aurait été capable de faire sauter les Abysses ou même n'importe quoi pour n'importe quelle fée, juste pour en faire un exemple. Mais si l'un des otages qui a été retrouvé est vraiment Sira…
— Je peux vivre ici en sachant qu'il va bien, souffle Sheraz à l'atalante, mais s'il est comme mort, alors je préférerai être comme mort, moi aussi.
Hélios se redresse vivement pour attraper son visage entre ses mains fraîches, et le rapprocher du sien.
— Ne dites jamais une telle chose ! s’exclame-t-elle d’une voix sévère. Cela lui ferait beaucoup de peine de vous entendre parler ainsi. Je ne suis qu’une servante, Sheraz, mais si vous disparaissez, je vous jure que plus jamais je ne sourirais à quiconque. Je veux vous voir bien vivant, je veux vous entendre rire, et je veux que vous puissiez passer le reste de votre existence avec l’être que vous avez choisi d’aimer. Alors ne dites plus ces vilains mots, et soyez assuré que je ferai tout pour apaiser vos craintes.
Elle s’assurera que son maître retrouve le sourire, aussi fragile qu’il puisse être, et elle fera taire les mauvaises pensées dans sa tête en lui rapportant une bonne nouvelle, elle s’en fait le serment.Les Choix
Helouri et June sont ennemis. Le jeune morgan a très peur de sa grande sœur, qui est devenue un monstre et craint que ses parents fassent les frais du désir de vengeance de June. Pour les protéger, Helouri veut entrer au grand palais à tout prix afin de les mettre à l'abri, mais aussi obtenir du pouvoir qu'il pourra utiliser contre June, si la situation l'exige. Il doit donc se préparer de plus belle aux sélections. Que devrait-il faire ?
➜ Étudier la médecine sans relâche et ne rien faire d'autre.
➜ Travailler sur sa réputation, car les relations sont une chose importante pour les sélections.
➜ Tenter de se rapprocher de la Capitaine.
➜ Demander conseil à Candice.Les lettres de Doubine
Puisque vous avez fait le choix de correspondre avec Doubine, Helouri recevra une lettre à chaque chapitre. Cela vous donne alors la possibilité d'un choix bonus, à savoir choisir le sujet que vous voudrez aborder avec Doubine, ce qui, bien entendu, influencera les réponses de cette dernière dans sa prochaine lettre. Ce choix est facultatif. Il n'existe que pour vous permettre d'obtenir des informations sur le lore d'Apotheosis ou bien avoir le point de vue de Doubine sur une question en particulier.
Si aucun choix n'a été fait, le contenu de la prochaine lettre de Doubine sera choisi au hasard avec un générateur.
Vous avez reçu la lettre de Doubine numéro 2. Quel sujet avez-vous envie d'aborder (deux réponses maximum) ?
➜ La situation dangereuse entre June et Helouri.
➜ La Gehenne et la cité de Metatron.
➜ Le Recteur Barbatos et ses deux fils.
➜ L'épouse de Barbatos qui a quitté la Gehenne.
➜ Possi et sa famille.
➜ Poser des questions sur la vie de Doubine.
UNIQUEMENT pour Waitikka : La vie continue à Rhenia-Gaear seulement, Kijan remarque que Jizel a un comportement étrange. Veut-il essayer de savoir ce qu'il se passe dans la tête de la dame de fer ? Quand tu seras prêt et si tu le souhaites, Waitikka, viens me contacter en MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June se trouve sous le commandement direct de Shakalogat Gra Ysul, grâce aux actes accomplis durant la destruction des Abysses, à savoir la destruction du reste du cartel des Typhons. Aujourd'hui, est son premier jour au sein du corps armée et elle s'apprête à rencontrer le peloton qui a l'honneur de servir directement la Capitaine.
Hélios a appris des informations croustillante grâce à Stella, la servante des sœurs Orécaille. Elle a également appris qu'après la catastrophe des Abysses, détruites par une fée, une autre fée dans un état catatonique aurait été trouvée. Sheraz est terriblement inquiet qu'il s'agisse de Sira et a demandé à Hélios de se renseigner. L'enquête peut commencer.
Petite Note : Tu as le choix de ne faire qu'un seul des deux RP, ou bien les deux si le cœur t'en dit.)
UNIQUEMENT pour Klana : Shinku sait que quelque chose de terrible s'est produit à Odrialc'h. Néanmoins et depuis quelques temps, les informations ont du mal à circuler à Inari. Au sein du palais impérial, les hautes instances ne s'inquiètent pas plus que de raison ainsi, le peuple est apaisé. Néanmoins, Shinku a un mauvais pressentiment. Une question se pose : devrait-il voguer vers Ningjing afin d'aller chercher les informations qui peinent à arriver à Inari ?
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
On se retrouve avec un petit chapitre un petit peu plus calme qui, je le pense, vous apprendra pas mal de choses. B)
Un grand merci à ma bêta pour son super travail et à présent je vous laisse avec le contenu du chapitre, ainsi que les différents RP. Bonne lecture !
Chapitre 8 - La première Marche
Rhenia-Gaear, salle de restauration de la milice
Jizel a toujours mangé en silence. Pendant ses repas, elle apprécie de plonger dans ses pensées sans être interrompue, même si depuis ces dernières années, elle a dû composer avec son turbulent binôme. Face à son assiette de viande et de légumes, Jizel mange par petites bouchées, reposant ses couverts de temps à autre. Son binôme peut remarquer un tic de la lèvre qu'il connaît par cœur, parce qu'il est synonyme de contrariété. Bien souvent, c'est lui qui contrarie Jizel par ses actes de provocation ou bien un relâchement de cette discipline qu'elle tente de lui inculquer depuis six ans. Mais cette fois-ci, il n'a rien fait. Il ignore pourquoi il écope d'un silence glacial depuis l'aube et surtout, pourquoi Jizel ne lui dit rien. Si c'était de sa faute, il le saurait mais ici, il y a autre chose. Alors il repose son couvert et termine de mâcher sa bouchée. Kijan ne mange pas beaucoup. Il grignote en vérité et il se force parce que Jizel lui a interdit de sauter les repas. Il a besoin de force et d’énergie pour affronter les journées qu’elle lui inflige. Force lui est de reconnaître qu’elle n’a pas tout à fait tort. Pour l’heure, il estime qu’il a suffisamment mangé, alors il pousse un peu son assiette et croise ses bras sur la table, devant lui, afin de se pencher vers sa binôme. Et comme elle ne semble pas comprendre le message de son attitude, Kijan fronce les sourcils et souffle par le nez. Ses oreilles sont hautes sur sa tête quand celles de la plupart des miliciens s’étirent sur les côtés.
— Tu vas finir par cracher le morceau ou pas ? ronchonne-t-il sans hausser le ton.
— Fini ton assiette, Kijan, répond Jizel d'un ton laconique.
S'il ne mange pas, il ressemblera à un sac vide et un sac vide, ça ne tient pas debout. Leur entraînement est intensif parce que malgré son gabarit, Kijan a beaucoup d'énergie et d'émotions à mettre dehors, alors il doit se nourrir correctement et ne pas se relâcher.
— J’en ai pas besoin, si t’es absente dans ta tête lors de notre entraînement. C’est à propos de ce qu’il s’est passé à Aurora ? demande-t-il, sur le ton de la discrétion.
En effet, Jizel est rentrée la veille de son expédition dans son village natal, mais elle n’en a rien dit et Kijan a appris à ne pas poser de question. Il n’obtiendrait pas réponse. Pourtant, la situation est différente. Quoi qu’était la raison de son départ, ça continue de travailler la selkie et si Kijan ne doute pas de ses capacités, il refuse d’être en binôme avec quelqu’un qui n’est pas apte à se concentrer. Cela fait six ans qu’il travaille en étroite collaboration avec Jizel. Plus qu’une binôme, c’est son équipière. Celle à qui il doit être prêt à confier sa vie si la situation l’exige. Et c’est ce qu’il fait, il lui confie sa vie. C’est pourquoi il veut savoir. Il estime qu’il en a bien le droit.
— Dis-moi… Jizel.
La grande dame reste silencieuse. Elle finit par se redresser contre le dossier de sa chaise, puis sonde son binôme de ses yeux noirs. Depuis qu'on lui a confié Kijan telle une cause perdue, le brownie a maintes et maintes fois tenté de la suivre jusqu'à Aurora sans jamais y parvenir. Ensuite, il lui a posé de nombreuses questions dont il n'a jamais obtenu les réponses car les affaires des selkies ne concernent que les selkies. Le peuple d'Aurora fait confiance à Jizel pour sa discrétion. Mais cette fois, les affaires des selkies auront peut-être un impact sur autrui si Jizel ne trouve pas de solution. La grande dame croise les bras sur les tables, puis un léger sourire ourle ses lèvres.
— Puisque tu fais le petit museau, je vais te raconter une histoire, consent-elle, et après ça, tu essaieras de faire fonctionner tes neurones.
L'histoire est simple comme un conte pour enfant pourtant, elle peut ressembler à une énigme, même pour une selkie habituée à la politique de son village.
— Un chef très puissant et son épouse donnent naissance à une fille unique. Ils n'ont jamais pu avoir d'autres enfants parce que l'épouse a eu un problème et sa fertilité en a été affectée. La fille unique est faible, contrairement à son père, mais elle reste la fille d'un chef. Elle a été promise en mariage au fils aîné d'un seigneur qui vit derrière des montagnes aussi noires que la nuit, dans un royaume où le roi se fait appeler le Recteur. La fille unique du chef ne veut pas de ce mariage, mais elle n'a pas le choix. Avant de se marier, elle doit prouver sa valeur en accomplissant un rite de passage mais visiblement, elle est si faible qu'elle est en train d'échouer. Si elle ne revient pas, le mariage n'aura pas lieu et elle mettra son peuple en danger. Si elle revient malgré son échec, alors elle sera abattue par ses propres parents car c'est le prix à payer quand on est aussi faible et ce sera aussi un dédommagement envers le Recteur et son fils aîné, pour l'annulation du mariage.
Jizel achève son récit, puis demande à Kijan ce qu'il en pense. le brownie réfléchit. Ses paupières s’affaissent alors que sous ses cheveux blancs comme la neige, son imagination s’active pour créer des images qui collent aux mots de Jizel. Le bois de la table de la cantine semble receler de bien des indices tant les yeux sombres du garçon la scrutent avec intensité entre les fentes frangées de longs cils. Ses lèvres se tordent d’un côté, puis d’un autre et quand enfin il ouvre la bouche, il secoue la tête par la négative.
— Les promesses qui ne peuvent être tenues sont les pires, parce que leurs conséquences ne sont enviables pour personne. C’est pour ça que je ne fais jamais de promesse.
Offrir son enfant faiblard en gage à un autre peuple au travers d’un mariage, ça ne fonctionne que sur le papier. Kijan a su éviter le mariage jusque là, et c’est tant mieux. Même sans enjeu politique, il trouve que le mariage est aussi dangereux que de plonger dans la tanière d’un xylvra affamé. Alors quand il faut que cet enfant trop faible accomplisse un exploit pour tenir la promesse de ses parents, c’est peine perdue.
— Le chef très puissant et son épouse sont dans une impasse. Si la fille ne revient pas, ils devront assumer les conséquences de cette promesse non tenue. D’autant que la désertion n’est pas écartée, si elle ne voulait pas de ce mariage.
Kijan se demande si une selkie aurait si peu de considération pour sa famille et son peuple pour faire cela mais quand il regarde Jizel, il n’en est pas certain. Après tout, il ne connait qu’elle et il a appris qu’un individu ne peut pas être représentatif de tout un peuple, surtout considérant que Jizel ne vit plus parmi eux depuis longtemps.
— Si contre toute attente, la fille revient avec son échec, le chef est face à un dilemme. S’il ne peut se résoudre à verser le sang de son enfant unique, non seulement il s’attire les foudres des daemons, mais il portera la honte de sa fille sur ses épaules. Sans doute se fera-t-il destituer de son rang de chef, peut-être même bannir et cela n’empêchera pas le Recteur de réclamer dédommagement. S’il reste conforme à l’accord scellé pour ce mariage, il tue son enfant unique. Un des siens.
« Le plus précieux », songe Kijan, mais son regard se perd dans ses souvenirs, l’espace d’un instant. Il ne peut empêcher son esprit de transposer cette situation. Et si son père s’était retrouvé dans la situation du chef ? Il n’aurait pas hésité une seule seconde sur la décision à prendre. Jamais il n’aurait porté la honte de son fils avec lui. Le brownie fronce son nez brun et relève les yeux vers sa binôme.
— Et on te demande, à toi, de trancher dans ce tas de mélasse pour trouver la meilleure solution pour ton peuple ? Ils ne manquent pas de toupet, grince-t-il.
Pourtant, c’est un souffle bref qui fait sonner un rire jaune dans sa gorge.
— J’imagine que tricher et aider la fille en secret n’entre même pas dans les possibilités ?
Pour Kijan, tricher n’est pas un problème, mais il exècre la faiblesse, alors tricher pour faire passer un faible pour un fort, ça le répugne. Dans le nord et son froid glacial, on se bat ou on meurt, c’est aussi simple que ça. Et si malgré sa position privilégiée, la fille du chef n’est pas fichue d’accomplir son rite, il ne donne pas cher de sa peau. Littéralement.
— Qu’as-tu répondu, à ce chef très puissant qui se retrouve coincé par sa promesse ?
— Je n'ai jamais dit que c'était une histoire de selkies, corrige Jizel d'un air chafouin, j'ai simplement dit que c'était une histoire.
— Ahh, admettons, alors, sourit Kijan tandis qu’il hausse une épaule.
Mais aider la fille du chef, selon elle, ce n'est pas pensable. On prouve sa valeur et si on ne peut pas, alors on meurt. Jizel souffle par le nez, puis reprend d'une voix lointaine en plissant ses yeux noirs :
— Le fils aîné du Recteur, lui, a abattu un chiromagnus quand il avait seulement douze ans. À dix-sept ans, il a massacré les Okusai, un clan de guerriers venus d'Inari qui voulait envahir les Montagnes Noires. Quand il s'entraîne au combat, il le fait avec des enfants de Charybde et Scylla connus pour être particulièrement belliqueux. Le fils aîné du Recteur n'est pas quelqu'un que l'on peut flouer sans conséquences.
Ce n'est pas non plus quelqu'un qui voudra d'une faible selkie comme épouse. Bien qu'il n'ait jamais rencontré Nikol Reagan, la fille du chef des selkies, tout ce qui lui importe, c'est son honneur et celui des daemons. Si Nikol revient bredouille, elle devra être abattue. Si Nikol ne revient pas, alors quelqu'un devra aller la chercher et devra être…
— … Sa mère, énumère Jizel, son futur époux ou bien moi.
La selkie hausse les épaules. Si elle choisit la dernière option, elle devra se transformer en juge et ça aura des conséquences aussi bien pour Nikol que pour elle.
— Pourquoi toi ? Et son père ? Le chef ne peut-il pas quitter le village ?
À nouveau le brownie soupire.
— Dans tous les cas, ce mariage amène déjà une ombre néfaste sur Aurora, qu’importe la décision qui sera prise. Je peux comprendre que la situation du village te tienne à cœur, mais pour quelle raison dois-tu prendre part à la traque de la fille, si elle ne revient pas ? Pourquoi doivent-ils t’impliquer ?
— Parce qu'elle est ma nièce, souffle Jizel.
Son père ne peut pas quitter le village et laisser le peuple des selkies sans chef, alors c'est à sa petite sœur de le faire. En vérité, Jizel devrait se plier aux lois d'Aurora, mais elle pense aussi au bien-être du village. Le mariage de Nikol Raegan et de Barbara, le fils aîné du Recteur, aurait dû faire souffler un vent de puissance sur Aurora, mais la faiblesse de Nikol ternit tout. Alors il faudrait faire ce qui est juste seulement, Jizel ne sait pas encore ce que c'est.
Un silence s’invite à table et comme l’hiver, il recouvre tout. Les épaules du brownie se sont légèrement affaissées. Son nez se fronce, il tique.
— Ah… c’est problématique. Et je suppose que tu ne conçois pas de lui infliger le châtiment qui lui est réservé.
Ce que Kijan comprend tout à fait. S’il lui était demandé d’être le bourreau de n’importe qui, ça lui ferait ni chaud ni froid, mais d’un membre de sa famille, d’un cadet qui plus est, il remettrait tout en question. Jizel est dans une posture très étroite, trop pour elle.
— Et… Si quelqu’un de tout à fait extérieur à cette histoire qui n’est pas une histoire de selkies, croisait par inadvertance la route de cette fille. Quelqu’un qui aurait ses propres affaires à régler dans la même région que cette fille… Ça ferait quoi ?
Ça devient compliqué, Kijan est bien plus franc en temps normal et ne s’embête pas de tournures imagées. D’ailleurs, il n’en revient pas de chercher une solution alambiquée pour aider sa binôme. Elle l’a bien dit, les histoires de selkies ne regardent que les selkies. Mais il en est là. Elle a été là pour lui, pendant toutes ces années, même sans s’en rendre compte, alors s’il faut se mouiller pour que sa binôme ne perde pas un bout de son âme, il le fera.
— Eh bien, réfléchit Jizel, si Nikol meurt pendant son rite, c'est son problème. En vérité, ce serait mieux pour le village. Mais ce serait indigne de ma part. C'est à moi de le faire. C'est à moi de la ramener.
Une fois le problème de Nikol résolu, quelqu'un viendra défier le chef actuel d'Aurora pour prendre sa place et engendrer une descendance puissante. Jizel sait que son frère est déjà en train de s'y préparer et qu'il voudra respecter les traditions selkies jusqu'au bout. Et s'il ne trouve aucun adversaire à sa hauteur, alors il désignera lui-même son successeur puis ira s'exiler.
Jizel ferme brièvement les yeux. En revenant d'Aurora la veille au soir, elle n'imaginait pas que les problèmes des selkies viendraient de nouveau l'affecter, elle qui a suffisamment fait ses preuves pour gagner un petit peu de liberté. À présent, Jizel va devoir accomplir une mission difficile pour le peuple selkie et pour sa propre famille.
— Tu sais ce que ça signifie ? demande-t-elle à Kijan.
Le brownie a pu suivre l’avalanche de pensées à travers les yeux de Jizel, même si elle ne les exprime pas à voix haute. Pourtant, il respecte une partie de son silence, parce qu’elle lui a déjà beaucoup dit. Bien plus que ce qu’elle n’aurait probablement dû. Cela n’empêche pas le jeune homme de froncer son nez et pincer les lèvres. Il croise les bras en se laissant tomber dans le dossier de sa chaise et alors il détourne le regard vers le reste de la salle qui ne l’intéresse pas le moins du monde, Kijan ronfle et ronchonne.
— Ouais… Tu vas devoir t’absenter et je vais rester planté ici comme un arbre.
— J'aurais bien aimé, mais personne ne veut faire équipe avec toi. J'étais ta dernière chance.
Après le problème de Nikol, le problème de Kijan. Jizel y a beaucoup pensé et elle savait pertinemment qu'il était inutile de confier le jeune brownie à un autre équipier. Personne ne voulait s'encombrer de ce souci qui a bien trop fait parler de lui et s'était quelque peu calmé depuis qu'il se retrouvait sous la tutelle de Jizel. Alors elle approche le buste, puis propose à Kijan :
— Je vais quitter la milice dans quatre jours. C'est le temps que tu as pour réfléchir. Tu peux venir chercher Nikol avec moi ou bien rester ici. Seulement, si tu m'accompagnes, les problèmes des selkies deviendront les tiens, mais une fois ma mission accomplie, tu seras autorisé à entrer à Aurora. Le choix est tiens, Kijan. Réfléchis-bien.
Ses longues oreilles tiquent et ressortent de la tignasse blanche où elles s’étaient plaquées. A-t-il seulement bien entendu ? Les yeux de Kijan s’écarquillent alors qu’il lit la sincérité dans le regard de Jizel. Elle ne se fiche pas de lui, là ? Un sourire hésitant tente de passer les lèvres du garçon, mais il se contient. Jizel quitte la milice. Pour qu’elle en parle de cette façon, c’est d’une manière qui se veut définitive. Alors s’il la suit, il n’y aura pas de retour en arrière possible. Mais elle a souligné un détail qu’il connaît et qu’elle lui a permis d'outrepasser pendant six ans. Personne ne le supporterait en tant qu’équipier ici. Alors si Jizel part, Kijan sera probablement remercié dans peu de temps et il n’aura plus aucun but, plus aucun moyen, plus rien si ce n’est le froid de l’hiver comme seul manteau.
— Quatre jours, hein ? C’est tout vu, je t’accompagne. T’es la seule personne qui a sû me survivre, tu vaux bien que j’épouse tes problèmes.
Mais lorsqu’il prononce ces mots à voix haute, ça sonne différemment de ce qu’il avait en tête. Alors il tente de se rattraper et bafouille.
— Enfin, j’veux dire, je… c’est d'accord, pour que les problèmes de selkie soient aussi les miens, tu vois, pas que… enfin… hnnn, tu vois, quoi, marmonne-t-il avant de se murer dans le silence, embarrassé, alors que ses oreilles retombent mollement dans ses cheveux.
— C'est pire quand tu essaie de te justifier, raille Jizel, mais Kijan, fais-moi plaisir…
La grande dame redevient sérieuse. Elle dévisage son binôme, comme une mère qui s'apprête à houspiller son enfant, mais Jizel ne compte pas hausser la voix. Elle veut simplement que Kijan l'écoute avec attention :
— La mission, c'est une chose, mais pendant qu'on ira chercher Nikol, je veux que tu fasses quelque chose de ta vie. Je veux que tu trouves un métier que tu aimes, un endroit où tu voudras habiter et même une femme ou un homme à marier, peu importe. Cherche qui tu es et donne un sens à ta vie.
Si Kijan s’attendait à se faire fâcher, il n’en est rien et c’est étrange le regard que Jizel porte sur lui. Ça a quelque chose de familier, pourtant, il ne l’a jamais vu dans les yeux de la selkie. Les mots qu’elle utilise, la requête qu’elle lui formule lui font bien plus peur que la perspective de faire face aux problèmes de tout un peuple qui n’est pas le sien.
— Trouver un sens à ma vie… autre que celui qu’on m’a attitré à ma naissance, hein.
Kijan n’a jamais eu le choix de son “métier”, de sa vocation. On l’a décidé pour lui avant même qu’il ne vienne au monde. Un Trollkors nait pour protéger et même quand Kijan s’est révolté contre son père, il n’a pas eu l’impression d’avoir le choix.
— Je verrai ce qui se présente à moi, dans ce cas, suppose-t-il en haussant une épaule. J’ai terminé mon repas, je vais préparer mes affaires !
Déjà, Kijan sent la chaleur courir sous sa peau. Il va quitter Rhenia-Gaear. Il aime sa cité, mais l’idée de découvrir le reste du monde l’emballe plus que ça ne devrait.
Enquête d'Hélios pour Sheraz
Elle regarde son jeune maître, allongé dans ce lit qui semble trop grand. Sheraz a besoin de se reposer, et elle va en profiter pour démarrer son enquête. Hélios ne sait pas ce qu’elle va trouver au bout. L’atalante referme délicatement la porte de la chambre, puis s’adosse au panneau de bois. Elle craint d’apporter de mauvaises nouvelles à son maître. En fait, elle ne sait pas si elle lui dira ce qu’elle va trouver. Sheraz est fragile, pas autant que sa mère le pense, mais il y a certaines choses qu’il ne peut pas supporter dans son état actuel. La jeune femme pousse un léger soupir. Elle a peur, pas pour elle, mais pour la santé mentale de son jeune maître, déjà précaire. Mais elle lui a promis d’enquêter, et cela fait déjà quelques jours qu’elle furète un peu partout sans avoir d’informations concrètes. Aujourd’hui, elle va sérieusement s’y mettre, et pour ça, elle va commencer par explorer un peu les couloirs du palais.
Le quartier des Alfirin est situé au sixième étage, loin de l'agitation. Ainsi, la noble famille n'a pas à souffrir des allers et venus du rez-de-chaussée, ni des éclats de voix des gardes royaux ou même des prestigieux étudiants de l'école militaire venus visiter les lieux. Les Alfirin savourent leur sérénité, depuis le sixième étage et ils ont même le privilège de vivre non loin des appartements de Dame Malda. Les Alfirin sont enviés, surtout par la famille Orécaille et bien que la cordialité soit de rigueur lorsque Cyriandil Alfirin et Anastasia Orécaille se rencontrent, les deux mères de famille aiment se lancer de petites joutes verbales bien ciselées. La renommée de l'une fait la jalousie de l'autre et c'est la raison pour laquelle Dame Orécaille tient tant à marier sa fille cadette à Faust Fontaine.
Les appartements des Alfirin font partie des plus luxueux. Les sols sont couverts de somptueuses moucades en laine et en coton et quant aux murs, ils arborent des tapisseries sur le thème de la nature ainsi que l'Histoire de Lotheg, le village natal de Gorthol. Sur certaines d'entre elles, Cyriandil a exigé que des roses, sa fleur préférée, y soient brodées. Aussi, la vanité de la Dame est telle qu'elle a même commandé des tableaux inspirés de productions humaines la mettant en scène avec son mari. Au grand palais, tout le monde sait que la Dame est fascinée par la Terre et qu'elle s'imagine volontiers vivre une autre vie auprès de l'homme qu'elle aime, parmi des paysages plus beaux.
Gorthol est revenu des Côtes de Jade il y a quelques jours de cela. Incapable d'attendre son retour, son épouse lui a envoyé une missive relatant les derniers évènements d'Odrialc'h et puisque les fées sont encore mises à l'honneur, Gorthol ne tarit pas de propos désobligeants à leur égard depuis qu'il est de rentré au grand palais.
Alors qu'Hélios continue de marcher dans les couloirs en réfléchissant, elle se fige quand la voix de Monsieur Alfirin se fait entendre :
— …. Avons déjà discuté, mon amour. Tu sais pourquoi.
— Peut-être, mais regarde autour de toi ! Cela va vite devenir ingérable ! On ne peut plus permettre à ces choses volantes de régner, il faut les faire tomber en disgrâce.
Gorthol pousse un soupir. Hélios s'approche d'un pas silencieux et glisse sa main fine sur l'angle du mur pour jeter un œil. Madame Alfirin est toujours aussi sublime avec ses robes fleuries et ses chignons sophistiqués. Quant à son mari, Gorthol, il est digne et noble. Originaire de Lotheg, ses traits sont délicats et la nature a fait son nid dans ses cheveux pour leur donner la couleur d'un vert d'eau. Contrairement aux elfes de son village natal, Gorthol préfère porter ses cheveux courts et les coiffer de manière élégante et disciplinée.
Quant à ses tenues habituelles, bien qu'elles soient plus sobres que celles de Cyriandil, elles sont garantes de son rang. Aujourd'hui, Gorthol arbore un pourpoint blanc et vert de jade avec des liserés d'or, une culotte écrue, des hauts-de-chausses opalins ains que des souliers alezan surmontés d'une rose blanche. La plupart des hommes bien-nés de la génération de Gorthol aiment se promener avec une canne, mais ce n'est pas le cas de Monsieur Alfirin.
— J'en toucherai tout de même un mot au Gouverneur Suprême.
— Très bien, soupire Cyriandil, et moi, à la Capitaine. Il est légitime que nous soyons inquiets.
Lorsqu'elle est seule avec son mari, Cyriandil est bien plus douce. L'amour et la tendresse du couple sont évidents. Quand ils se montrent en société, ils forment un modèle envié et jalousé par bien des membres de la noblesse. Cyriandil a mêlé ses doigts fins à ceux de son époux et si elle fait un pas pour continuer à marcher, Gorthol reste immobile.
— Il m'a été rapporté qu'Hélios avait été retenue par Dame Malda afin de l'aider à organiser les sélections.
— En effet, répond Cyriandil en l'interrogeant du regard, c'est une bonne chose pour notre famille. Qu'est-ce qui te préoccupe ?
— Il m'a été également rapporté que tu avais été méchante.
La Dame souffle par le nez. Elle lâche la main de son mari, puis se met à lisser l'une de ses mèches châtains qui encadrent son visage.
— Tu pourrais t'adoucir un petit peu, suggère Gorthol.
— Pourquoi faire ? réplique son épouse, les choses sont très bien ainsi. Est-ce que tu tiens tant à ce que mon quotidien devienne encore plus difficile ?
— Ce n'est pas ce que j'ai dit, mais tout de même mon amour…
— C'est facile pour toi. Tu es toujours en voyage d'affaires.
Le couple se jauge du regard, puis le silence retombe.
Derrière le mur, Hélios détourne les yeux. Elle assiste à une scène privée, mais dont elle connaît déjà la teneur. Cyriandil Alfirin n’est pas une mère exemplaire, et parfois, Hélios songe qu’elle ne mérite même pas de se désigner comme telle. Mais les relations entre les Alfirin ne relèvent pas de ses obligations, alors elle doit se contenter de voir son maître subir. Toutefois, elle est surprise de la véhémence de la Dame Alfirin face aux fées. Cyriandil ne l’a pas dit clairement, mais de tels propos, tombés dans les oreilles de mauvaises personnes, pourraient faire songer à un complot contre les fées Milliget. Hélios se plaque contre le mur, songeuse. Elle n’a jamais réfléchi à tout ça. Hélios vit au grand palais, et tant que son existence n’est pas impactée par les conflits entre les puissants, elle se fiche bien de savoir quelles relations ils entretiennent. Les frasques d’une des fées aux Abysses ont bien sûr fait parler, mais pour elle, ça reste très lointain. La seule chose par laquelle elle se sent concernée, c’est cette fée blessée, et uniquement car Sheraz lui a demandé de se renseigner.
— Cyriandil, l'appelle tendrement Gorthol, et si tu m'accompagnais lors de mon prochain voyage à Ningjing ?
Hélios passe de nouveau la tête pour voir la Dame adresser un léger sourire à son mari. Elle en a envie, de ce voyage à Ningjing, cela se lit sur son visage, mais elle ignore si ce serait bien convenable :
— Qui peut reprocher à un couple marié de vouloir se retrouver ? reprend Gorthol, nous pourrions donner un petit congé à Cylia et je suis certain qu'Hélios sera tout à fait capable de s'occuper de Sheraz en notre absence.
— Tu me contes un rêve, mon amour, mais tu sais aussi bien que moi qu'il est dangereux de s'absenter trop longtemps. En l'absence des maülix, les musaroses tentent de devenir des prédateurs.
— Certes, mais les musaroses n'ont pas de crocs assez affûtés. Et en plus de notre voyage, je pensais encore à cela.
Les derniers mots de Gorthol jettent un froid. Hélios peut voir Cyriandil regarder à droite et à gauche afin d'être parfaitement certaine que personne ne les écoute, puis elle secoue la tête en ouvrant de grands yeux.
— Parlons-en plus tard, lui souffle Gorthol en lui caressant la joue, mais penses-y tout de même.
— Tu sais que j'en ai envie, affirme Cyriandil, mais si cela se retourne contre nous ?
— Non, mon amour, pas ça. Jamais ça.
Mais Cyriandil ne semble pas convaincue. Elle maugré que ce pourrait être un véritable bonheur, ou bien la pire des perditions car au final, l'instinct du plus fort est toujours de protéger le plus faible.
La curiosité d’Hélios est si furieuse qu’elle en a mal à la tête. Toute servante personnelle qu’elle est, la jeune femme reste une atalante, et elle a bien du mal à ne pas piailler de frustration. Que de secrets ! Elle voudrait que la conversation continue, que les demi mots deviennent des discours et qu’elle comprenne de quoi il retourne. Pas pour comploter ou s’en servir contre sa maîtresse, mais simplement pour faire taire cette agaçante compagne qui rongera son esprit tant qu’elle n’aura pas résolu l’histoire. Hélios soupire en silence. Au moins, si Cyriandil s’en va avec son mari, Sheraz aura un peu plus de tranquillité.
Elle se tend quand les pas de ses maîtres se rapprochent, mais le couple Alfirin ne semble pas pressé de quitter les lieux. Parce qu'ils sont seuls et parce que c'est un couloir peu fréquenté, Cyriandil et Gorthol peuvent se permettre quelques démonstrations d'affection qu'il serait inconvenant de montrer en public, comme des baisers.
— Est-ce que tu as pu avoir des nouvelles des Montagnes Noires ? demande Gorthol.
— Oh… marmonne Cyriandil en pinçant les lèvres, après les choses volantes, les choses à deux mâchoires… Fallait-il que tu me poses la question maintenant ?
— Tu avais pourtant choisi l'une de ces choses pendant les sélections pour Sheraz, fait remarquer son mari.
— Je m'en serai servi pour obtenir des informations sur les Montagnes Noires. Mais Hélios est un bien meilleur choix. C'est une bénédiction que Sheraz ait pu faire fonctionner ses méninges ce jour-là…
Cyriandil achève sa phrase par un rire perfide. Gorthol, lui, ne relève pas le venin dans les paroles de sa femme et continue de songer à ces fameuses Montagnes Noires. Selon lui, ce serait une bonne chose de reprendre contact.
— Ils nous haïssent, Gorthol, fait remarquer la Dame Alfirin d'un ton sec.
— Ils te font peur, réplique son époux, mais tous les schémas ne se répètent pas. Si nous pouvions étendre notre influence, là-bas, je suis certain que ça te ferait réfléchir.
— Pourquoi faire ? Nous irions là-bas ? Ils viendraient ici ? Gorthol, Sheraz a déjà failli commettre un outrage avec une chose volante ! Et tu voudrais en faire venir d'autres… Monstres, choses, appelle-les comme tu veux !
Hélios grimace. Elle n’aime pas beaucoup les termes employés par Cyriandil… Si la Dame Alfirin est parfaite en société, c’est loin d’être le cas une fois qu’elle se croit seule. Un coup d’œil rapide lui confirme que le couple se dirige lentement vers elle. Hélios soupire. Curiosité ou pas, si elle se fait surprendre ici, elle risque plus que son poste. L’atalante manque de trépigner, mais elle note consciencieusement tout ce qu’elle a entendu dans son esprit. Elle se renseignera discrètement en furetant pour en apprendre plus. Que veulent les Alfirin aux Montagnes Noires ? Et surtout, quels sont ses liens avec les enfants de Charybde et Scylla ? Hélios saisit une de ses boucles pour la malmener. Si seulement elle avait pu se transformer en musarose… À contrecœur, elle s’esquive discrètement, avant que ses maîtres ne tombent nez à nez avec elle et que la suite ne soit qu’un enchaînement de propos gênés. Elle file aussi vite que le vent, puis, une fois en sécurité, se permet d’affaisser ses épaules et de traîner des pieds sur quelques pas, désespérée de n’avoir que des questions et si peu de réponses. Perdue dans ses pensées, elle quitte les étages et c'est le léger brouhaha du rez-de-chaussée qui la ramène à la réalité.
En bas, les gardes royaux font leur ronde, les serviteurs de bas rang s'activent et la petite bourgeoisie travaille sans relâche en espérant s'élever. D'ailleurs, les Le Preux sont revenus d'Eel. En tant que cité amie, Odrialc'h a déployé les moyens matériels et financiers pour aider l'hôpital d'Albacore, mais aussi la reconstruction de la cité blanche.
— Ah… Est-ce que je dois vraiment y aller ?
Parmi tout ce monde, Hélios perçoit une voix embarassée. Lorsqu'elle tourne la tête, elle remarque un servant de bas-rang, reconnaissable à sa robe blanche et bleue, en train d'échanger avec Wan Zi. Ce dernier semble ennuyé par sa demande, mais il n'a visiblement pas le choix :
— Je suis navré de vous demander cela, mais mon jeune maître a besoin de ce livre. Je me serais bien rendu moi-même à la Grande Auréole, mais j'ai d'autres tâches.
— Je ne peux pas désobéir à un ordre venant des Fontaine, soupire le servant, mais monsieur, vous savez… Il y a une fée là-bas… Même les médecins sont mal à l'aise…
Immédiatement, ses oreilles se dressent comme celles des brownies. Ça, c’est exactement ce qu’elle cherche. Hélios remet de l’ordre dans sa tenue, puis s’approche gracieusement de Wan Zi pour le saluer d’une révérence aérienne. Ici, il serait difficile de les espionner sans passer pour une commère.
— Bonjour à vous, Wan Zi, sourit-elle avant d’adresser un léger signe de tête au serviteur de bas rang. Quelle belle surprise de vous croiser ici ! Comment se porte votre maître ?
Surpris d'être interpellé, Wan Zi se retourne et salue poliment Hélios. Le servant de bas rang quant à lui, effectue une révérence, puis fait un pas en arrière afin de les laisser converser sans les déranger :
— Bonjour Hélios, sourit Wan Zi, je ne m'attendais pas à vous voir. Mon maître se porte à merveille, merci de le demander. Qu'en est-il du vôtre ?
— Il se repose, répond-elle. Je suis navrée, je n’ai pu m’empêcher d’entendre votre conversation.
Elle se penche en avant et baisse légèrement la voix, prenant un air soucieux. Wan Zi est peut-être un pervers, mais pour le moment, elle est supposée l’épouser, tant que le futur serviteur de la Capitaine n’est pas choisi. Elle veut donc l’inciter à croire qu’elle lui fait confiance, même si les confidences de Stella à son sujet l’ont beaucoup refroidi.
— Concernant l’hôpital. Je vous ai entendu discuter de la fée qui s’y trouve, et je me demandais si vous aviez des informations concernant la présence des frères et sœurs Le Preux ? Mon maître s’est inquiété de leur santé lorsqu’il a su qu'ils s’étaient trouvé à Eel durant la catastrophe, et j’aimerais le rassurer à ce sujet.
De la même manière que son maître, il est difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de Wan Zi. Ce dernier se contente de garder une expression polie en croisant sereinement les mains sur son ventre comme le font les nobles gens de Ningjing.
— Il y a beaucoup de rumeurs à ce sujet, mais peu de gens vont vérifier les faits, ce qui est dommage. Je me suis moi-même rendu à la Grande Auréole il y a peu et j'ai pu, en effet, constater de mes propres yeux que les Le Preux sont bel et bien de retour. Mademoiselle Odette et son frère ont participé au transfert de nombreux blessés afin d'alléger l'hôpital d'Albacore. Quant à la fée…
Wan Zi s'interrompt un instant comme s'il triait les informations afin d'être certain de ne pas se tromper. Il secoue la tête, puis reprend :
— Elle occupe actuellement un manoir mis à disposition pour les médecins et leurs familles. Je sais que beaucoup de monde s'inquiète, mais elle n'est que rarement vue. De toute manière, après l'évènement des Abysses, elle fera face à la justice d'Odrialc'h. Voilà ce que je sais, Hélios, si cela peut rassurer votre maître.
Elle se fend d’un sourire soulagé, et s’incline gracieusement en secouant ses boucles rousses.
— Je vous remercie, Wan Zi. Mon maître sera ravi que les Le Preux aillent bien. Il apprécie tout particulièrement de discuter avec mademoiselle Odette, et je le comprends, car elle a toujours quelque chose d’intéressant à lui apprendre. Je dirais également à Stella qu’elle peut rassurer ses maîtresses, qui se faisaient beaucoup de soucis pour monsieur Camille, elles seront ravies de savoir qu’il se porte à merveille.
Elle se doute que Wan Zi n’est pas adepte de ragots, mais elle compte bien faire payer aux sœurs Orécaille leurs médisances à propos de Sheraz. Autant glisser leur intérêt pour le lampade au détour d’une conversation, jusqu’à ce que cela tombe dans les bonnes oreilles et qu’elles récupèrent la monnaie de leur pièce. Hélios fait comme si les informations concernant la fée lui étaient égales. Elle ne la mentionne pas, et sourit à Wan Zi en le saluant d’un signe de tête.
— C’était très agréable de discuter avec vous, continue-t-elle. Je m’en voudrais de vous retenir plus longtemps. Auriez-vous l’amabilité de saluer votre maître de la part du mien ?
Elle n’a aucune information concrète, mais au moins, elle sait qu’il y a bel et bien une fée dans un manoir non loin de l’hôpital, et que c’est là que va la mener la suite de son enquête.
Premier Jour au sein du Corps Armée
Le quartier du Grand Espadon ou le quartier du bastion. C'est ici que vivent les recrues et vétérans du corps armée d'Odrialc'h. Et bien entendu, honorés et vaillants sont celles et ceux qui peuvent apprendre directement sous le commandement de la sainte Capitaine.
Quand il observe les magnifiques bâtiments, au loin, Nelladel a envie de rire. Les soldats vont et viennent, si fiers dans leurs armures d'orichalque étincelantes et les plus gradés exhibent leurs capes. L'elfe songe surtout que Candice doit être ravi que son plan se déroule à peu près comme il le souhaite. Bien entendu, l'état de Sira est une sacré tâche sur ses espérances, tout comme le fait que Sexta soit encore en vie. Mais on ne peut pas tout avoir et visiblement, c'est difficile à comprendre pour sa majesté…
Nelladel s'adosse contre le mur. Sa jambe va beaucoup mieux, même si elle est encore raide. Il peut se promener plus librement à condition de rester caché et il doit tout de même surveiller June afin que Candice ait l'esprit plus tranquille. Si June manque des choses, Nelladel sera une paire d'yeux supplémentaires. Il pousse un soupir. C'est d'un ennui, mais puisque sa propre mission a échoué, c'est tout ce qu'il peut faire.
Le soleil est clément aujourd'hui et l'elfe lui offre volontiers la peau de ses bras. Ainsi vêtu de sa chemise de chanvre et d'une capeline, il ressemble à un vagabond mais même à Odrialc'h, il est de bon ton de cacher son visage, car à travers lui on ne voit qu'Ezarel.
Perdant son regard vers le bastion, il songe que le reflet du soleil sur ses murs le transforme en cité d'or. C'est agréable à regarder et ce doit être agréable d'évoluer dans un tel endroit. D'ailleurs, la soldate qui va y passer son premier jour apparaît enfin, prête dans sa belle armure. Elle a le visage de celle qui se sent nerveuse, mais Nelladel n'est pas dupe. Les Abysses ont changé June. Les Abysses, Candice et Sexta.
Nelladel quitte sa cachette pour se poster sur son chemin, puis lui adresser de grands signes de la main en plissant ses yeux aigue-marine en une expression amusée.
June réprime un soupir, puis s’avance vers l’elfe. Difficile d’être discrète dans cette armure rutilante qu’elle déteste déjà. Elle supporte bien la chaleur, d’ordinaire, mais là, elle a quand même trop chaud. Elle n’a pas pris la peine d’admirer la beauté du quartier. Avant, elle aurait trépigné de joie à l’idée d’en fouler les pavés. Aujourd’hui, elle ne souhaite qu’une seule chose : apprendre auprès de la Capitaine, non pas pour le prestige de sa présence, mais afin d'affûter ses compétences pour devenir plus forte. Dans sa tête, elle pense à Helouri, ce pauvre petit morgan qui s’empêtre dans une tâche trop grande pour lui. S’il est sage, elle le regardera se noyer sans rien faire. S’il l'ennuie, elle précipitera sa chute. Elle pense à Cristal, endormie par la vampire. Elle mérite un repos éternel, la jolie morgan. D’ailleurs, June songe à en discuter avec Joseph, à l'amener en douceur, juste pour voir. Elle pense à Candice, qui lui porte sur les nerfs. Elle pense à Nevra Mircalla, aussi. Un léger sourire ourle ses lèvres. Elle espère que ses compagnons sont bien cachés, car elle doute que Leiftan Tuarran laissera passer l’occasion de tourmenter son cher Rose Clarimonde. Bien sûr, elle n’a aucune preuve qu’il soit là lui aussi, mais elle a vu deux silhouettes tassées dans la foule, et elle a émis ses hypothèses. Son sourire reste, léger, poli, quand elle atteint l’elfe dans ses vêtements de vagabond. Elle détaille son accoutrement, puis croise les bras en inspirant longuement.
— Au moins, tu n’as pas mis de perruque, ironise-t-elle.
— Je pense que je n'en aurais plus besoin.
Nelladel hausse les épaules en faisant mine de regretter. Il ajoute que sa perruque lui allait pourtant bien et lui donnait fière allure. Puis il croise les bras sur son torse et désigne l'armure de June d'un geste du menton :
— Ça y est, tu as réussi ta mission. J'ai su ce qu'il s'est passé aux Abysses et c'est à moi de me salir les mains en traquant Sexta. Toi en attendant, sois une bonne soldate et essaye de regarder ce qu'il y a dans ce grand palais.
Puis, l'elfe enfonce les mains dans les poches de son pantalon et ajoute que même sans tout ça, même sans Candice et sans le plan, ce doit être bien d'être une soldate sous le commandement de la Capitaine. C'est son père qui doit être fier.
— Je ne savais pas que j’avais changé de maître, susurre June avec un sourire moqueur.
Elle apprécie moyennement que Nelladel lui donne des ordres comme s’il lui était supérieur. La jeune femme triture sa tresse, qu’elle observe avec nonchalance en haussant les épaules.
— Il est très fier, oui. Mais il a d’autres choses à penser, alors on en n’a pas trop discuté.
Elle joue avec une mèche qui a l’audace de dépasser de sa coiffure, et entreprend de la remettre à sa place.
— La Capitaine est une soldate émérite. Elle sait se battre, sous ses ordres, je vais sûrement beaucoup progresser, avance-t-elle en faisant la moue. Le reste n’a pas d’importance. À vrai dire, l’armure est un calvaire à porter.
— Je n'en aurais pas voulu non plus, approuve Nelladel, de toute façon, ça ne va pas avec mon style de combat. En parlant de ça, j'imagine que je n'ai plus rien à t'apprendre.
Nelladel est peut-être un excellent combattant qui a survécu dans le Ragnarok, mais face à la Capitaine, il ne vaut plus grand chose. Il est certain que June va énormément progresser avec elle, mais hors de question pour l'elfe de rester rouillé. Il tapote la cuisse de sa jambe blessée.
— Ça va beaucoup mieux de ce côté-là. Finalement, un coup de trompe, ce n'est pas grand-chose, plaisante-t-il, ne crois pas que je vais me laisser abattre, ma petite demoiselle ! J'espère bien qu'on continuera de combattre à l'amiable !
— Pourquoi pas, répond June.
Elle s’étire, puis se rappelle que l’armure limite ses mouvements. La jeune femme grimace en laissant retomber ses bras, qu’elle croise derrière son dos.
— Tes conseils m’ont servi, aux Abysses, et puis il faut varier ses adversaires. Tant que je peux enlever cette chose… soupire-t-elle en désignant l’armure.
Nelladel rit en arguant que si elle passe par sa planque, elle pourra enlever tout ce qu'elle voudra, puis il redevient sérieux.
— Fais quand même attention. De toute façon, quoi qu'il arrive, je ne serais jamais loin. C'est ma mission.
— La dernière fois que ta mission, c’était moi, ça ne s’est bien terminé pour aucun de nous, plaisante June. Je vais finir par croire que tu y prends goût, cela dit.
Elle balance sa tresse dans son dos et désigne sa jambe d’un geste du menton.
— Sois prudent toi aussi, chevalier. Ce serait dommage de perdre un adversaire aussi compétent.
— La jambe et le reste vont tenir le choc, chère dame. Je vous en prie, allez donc quérir les honneurs qui vous attendent.
Nelladel exécute une révérence ridicule, puis se recule dans la ruelle par laquelle il est venu. Candice lui a demandé de surveiller June pour ses raisons mégalomanes, Nelladel va exécuter sa mission parce qu'il sait jusqu'où les plans de la fée Milliget peuvent mener.
— Aller, à plus tard, princesse.
Elle pouffe puis s’incline à son tour, plus difficilement à cause de l’armure. Une fois qu’elle lui tourne le dos, cependant, June prend une moue ennuyée. Il est mignon, l’elfe. Il ne sera pas aussi dupe que Joseph, mais pas aussi scrutateur qu’Helouri. Il faudra faire attention en sa présence, faire en sorte de ne pas éveiller ses soupçons. Plaisanter, charmer, rire… Un rôle qu’elle va s’amuser à jouer, d’autant qu’il traquera Sexta à sa place. Décidément, ce chevalier sera bien utile. La jeune femme continue son chemin vers la caserne, un doux sourire aux lèvres. Voilà qui promet d’être intéressant.
Mais il faut presser le pas. Il s’agirait de ne pas arriver en retard pour son premier jour. Là bas aussi, elle devra être parfaite dans son rôle. Mais là bas, personne ne la connaît, alors elle pourra se permettre d’être moins enjouée qu’aux côtés de Joseph.
Lorsqu'elle se présente au bastion, elle est tout de suite reconnue. On l'attendait, on l'accueille avec joie parce qu'on est heureux d'avoir une nouvelle recrue talentueuse pour incarner le peloton de la Capitaine. On lui fait visiter les lieux et June fait semblant d'être émerveillée par tous ces bâtiments chargés d'Histoire. Ici, on lui enseigne la gloire d'Odrialc'h. Rien n'est plus important que cette gloire.
Le bastion comporte des appartements mis à la disposition des vétérans et de leur famille. On explique à June que lorsque son père entrera au grand palais pour intégrer la protection personnelle d'Ysul Gra Bolumbash, lui, son épouse, son fils et June pourront vivre dans un logement encore plus prestigieux. Ensuite, il y a des colisés pour l'entraînement. Puisque le corps armée est au service du peuple, ils sont ouverts à tous ceux qui veulent y assister. Puis on enseigne également le code d'honneur, l'Histoire, l'art de la guerre et d'autres savoirs au sein d'une école militaire. June, elle, pourra directement apprendre sous la tutelle de la Capitaine.
— Vous êtes une douzaine dans son peloton, explique l'orc chargé de sa visite, tous triés sur le volet. Le plus jeune a dix-neuf ans. c'est lui qui va t'accueillir. Tiens, le voilà…
En effet, sur le seuil de l'école militaire se tient un brownie avec de longues oreilles. Ses cheveux auburn encadrent un visage rond constellé de taches de sons. Son regard d'ambre pétille d'une étincelle joviale, tout comme son expression chaleureuse ainsi que les petites rides autour de ses yeux, témoins que ce jeune brownie doit rire souvent. L'orc le présente comme Isaac Burrini, la plus jeune recrue de la Capitaine.Isaac Burrini via Final Fantasy XIV (screenshot par Waitikka)
— June Albalefko, je te laisse avec Isaac. Bienvenue dans le corps armée d'Odrialc'h.
L'orc la gratifie d'un salut militaire que June lui rend et quand il s'en va, Isaac reprend la parole avec une présentation maladroite :
— Bon… Isaac Burrini du peloton dirigé par la Capitaine. Tu es June Albalefko, j'ai vu la cérémonie ! C'est toujours aussi beau. Il faudra que tu me racontes comment ça s'est passé aux Abysses. Tu te doutes bien que tout le monde en parle.
June esquisse un sourire gêné. Elle se fait une idée immédiate d’Isaac : le gentil soldat de service, prêt à l’aider au moindre problème. Un atout si elle parvient à le mettre dans sa poche. La jeune femme toussote, baisse les yeux et triture sa tresse, tandis que ses joues se parent de rouge.
— Enchantée, Isaac Burrini, répond-elle. Franchement, ils ont beaucoup exagéré les choses. J’ai surtout eu l’impression d’être au bon endroit au bon moment, et d’avoir eu la chance de survivre. Et puis les légions sont arrivées très vite ! Sans elles, je ne serais pas là, et ma mère non plus.
Elle lève le nez vers les bâtiments et leur adresse un sourire béat.
— Même si j’aurais préféré que ce soit dans d’autres circonstances, je réalise à peine que je me tiens ici. Jamais je n’aurais pensé avoir la chance d’intégrer le peloton de la Capitaine elle-même ! Je n’en reviens toujours pas.
— Je comprends, sourit Isaac, ça fait toujours cet effet-là. Mais si tu es ici, c'est que tu le mérites ! La Capitaine ne fait jamais rien au hasard.
Isaac se veut rassurant car au début, le bastion peut vraiment se montrer impressionnant. Lui-même quand il y est entré à l'âge de dix-sept ans, il avait l'impression de ne pas être à sa place.
Isaac explique à June qu'il a été missionné pour lui faire visiter l'école militaire et lui expliquer le déroulement de son futur emploi du temps. June va le récupérer auprès du service administratif ensuite, elle pourra constater que la matinée est réservée à l'entraînement et que les après-midi, quant à elles, sont destinées aux cours.
— Ça peut paraître surprenant, mais les cours sont importants, explique Isaac, surtout les nôtres. Tu sais, quand on se trouve sous le commandement direct de la Capitaine, ça veut dire que l'on peut postuler pour des postes à la garde royale, au grand palais. Les gardes royaux protègent les hautes personnalités du grand palais, évidemment, mais pas seulement ! Ils protègent aussi les serviteurs personnels. Ils sont très importants car ils obtiennent leur place au bout de sélections très difficiles. Ce sont un petit peu des vedettes, ici.
Isaac lui parle quelque peu desdites personnalités. Il y a Hélios Soarre, servante personnelle de Sheraz Alfirin, de la joaillerie Alfirin. Elle est connue pour sa beauté solaire et pour ses talents en alchimie. Ensuite, il y a Stella Malherbe, au service des sœurs Olga et Ekaterina Orécaille, des broderies Orécaille. Elle est une lampade très douée dans les arts du chant et de la confection textile. Ses talents sur les habits des sœurs Orécaille ne sont plus à prouver. Puis il y a Liu Wan Zi, le serviteur personnel de Faust Fontaine, dont la famille possède de très importantes parts à l'université de Rhenia-Gaear. Liu Wan Zi est connu pour son intelligence et son érudition remarquable.
— Tout le monde se demande qui remportera les sélections pour devenir le serviteur personnel de la Capitaine, tu penses. Mais déjà, quand tu vas apercevoir les autres serviteurs, tu te rendras vite compte du niveau. Bref, je t'ennuie beaucoup avec ce sujet, désolé. Mais puisque que tu vas beaucoup en entendre parler, il vaut mieux que tu sois au courant.
— Tu ne m’ennuies pas du tout ! nie June. Au contraire, je suis contente d’être tombée sur toi. C’est toujours impressionnant d’arriver quelque part sans rien savoir. Et puis, je sais que je peux être du genre à foncer sans rien retenir parce que je suis contente de faire quelque chose, alors avec quelqu’un comme toi, c’est une aubaine.
Elle éclate de rire. Oui, sans doute qu’avant, elle aurait fait comme ça. Aujourd’hui, June note scrupuleusement chaque détail, chaque bâtiment, chaque nom. Hélios, Stella, Wan Zi. Des gens importants, qu’elle devrait essayer de rencontrer, car qui mieux qu’eux pour lui montrer le grand palais ? Mais pas trop vite. D’abord, prendre ses marques. D’abord, devenir la soldate enjouée, agréable et appréciée du peloton. D’abord apprendre, comprendre, observer. Se faire des alliés, des pions qu’elle pourra déplacer quand le besoin s’en fera sentir.
Elle sourit à Isaac, puis prend un air décidé.
— Je dois faire honneur à la chance que l’on m’accorde, décrète-t-elle. Je veux faire les choses bien, et rendre Odrialc’h ainsi que la Capitaine fiers ! Et puis, j’avoue que j’ai déjà entendu parler des sélections, et que si celles organisées à Eel étaient seulement à moitié aussi exceptionnelles que celles-ci, alors j’ai hâte de voir ce que ça donnera !
Il doit être comme ça, Isaac. Du genre à gober la propagande, à regarder les plus grands avec des étoiles dans les yeux. Du genre à avaler sans réfléchir son admiration pour la ville, pour la Capitaine, pour le grand palais et tout ce qu’ils représentent.
Isaac l'apprécie déjà, elle peut le voir. Il apprécie son enthousiasme qui trouve écho avec le sien et il se sent soulagé que la nouvelle recrue soit aussi chaleureuse. Avec elle, c'est certain qu'il y aura une bonne ambiance au sein du peloton ! D'ailleurs, Isaac va lui présenter le reste de la troupe. L'après-midi est à peine entamée, alors ils sont encore en salle de pause. Après, June assistera à son premier cours d'Histoire politique avec tout le monde.
— Je sais que tu n'as pas d'affaires mais ne t'inquiète, on va tout te donner sur place, la rassure Isaac, tu as aussi ton propre casier et si tu veux travailler tard, tu peux dormir dans les chambres d'internat mises à dispositions.
Isaac la guide dans les couloirs de l'école militaire, somptueusement décorés avec des tapis et des tapisseries. Enfin, il arrive à une grande pièce gardée par une porte à double-battants. Quand il les pousse, June peut constater à quel point faire partie du corps armée d'Odrialc'h, sous le commandement direct de la Capitaine, peut rendre la vie confortable : la salle de pause est en réalité une véritable salle de réception. Il y a des tapis doux sous les pieds, de longs fauteuils confortables, des tables pour travailler, puis de quoi manger et de quoi boire. La plupart des recrues discutent, révisent leurs cours et remplissent leurs estomacs. Enfin, le peloton de Shakalogat Gra Ysul a quelques privilèges, comme celui d'une table spéciale avec des mets délicieux. Ils se sont distingués avec des honneurs, alors c'est normal.
Autour de cette table, il y a cinq personnes qu'Isaac s'empresse de présenter à June : un faelien à la peau pâle, aux longs cheveux d'argent et en robe de mage qui lui donne un air élégant. Il se nomme Lothric Frère des Cendres. Il est un véritable adepte de la sorcellerie et un véritable soutien pour ses frères et sœurs d'armes. Ensuite, il y a un kitsune à quatre queue, aux cheveux châtains et à la fine musculature, manieur de sabre oriental du nom de Negishi Itano. Magdalène Boréale est une elfe noire à l'air pincé avec une musculature impressionante, Ycalla Lily est une troll avenante amoureuse du combat à la hache et enfin, Narangerel Orgodol est une gorgone à la stature si frêle qu'elle semble maladive, mais dont l'oeil d'un vert de jade brille d'intelligence.
Tout le monde à son rôle ici. On a besoin d'un sorcier comme Lothric, d'un combattant leste, rapide et précis comme Negishi, d'un véritable socle manieur de glaive comme Magdalène, d'une force de la nature embrasée comme Ycalla ainsi que d'une fine tacticienne telle que Narangerel.
La gorgone peut impressionner avec ses écailles noires comme l'onyx qui parsèment sa peau pâle, ses pupilles oblongues ainsi que sa langue bifide, mais elle se montre tout à fait adorable. Ses longs cheveux d'un vert d'eau sont scindées en deux couettes basses et ainsi vêtue de l'uniforme de l'école militaire très scolaire, on se demande ce qu'elle peut bien faire là. Mais Isaac ne tarie pas de louanges quant à son intelligence.
— Il exagère, intervient Narangerel d'une voix claire, bienvenue au bastion du Grand Espadon, June. Isaac t'as mis au courant du concours qui aura bientôt lieu pour choisir les recrues qui s'occuperont de la protection aux sélections ? Tout le monde veut gagner, alors ça va être animé, ici.
Elle leur adresse un sourire enjoué et timide. Elle répond qu’Isaac s’est fait guide, et qu’il a pris son rôle très à cœur. Elle sautille d’un pied sur l’autre puis cesse brusquement, comme si elle se rappelait soudain du sérieux de sa fonction mais qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de frétiller à l’idée de se trouver là. Elle est intimidée par le faste des lieux, et par ses nouveaux camarades qui ont tous l’air très forts.
À l’intérieur, June les juge. Lesquels pourra-t-elle abattre si le besoin s’en fait sentir ? Lesquels seront utiles ? À qui montrer la même facette qu’Isaac, devant qui être plus sérieuse ? Elle continue de noter, emplacement, nom, disposition des pièces. Elle observe la nourriture, sur laquelle elle se serait autrefois jetée. Mais la nourriture ne l’intéresse plus. Elle aura beau être préparée par les meilleurs cuisiniers du monde, elle aura un goût amer dans sa bouche. Un goût de sang et de cendre, qui ne la quitte plus depuis Eel.
— J’ai hâte de voir ça ! continue-t-elle.
Bien sûr, June aimerait aussi être sélectionnée, mais elle n’en espère pas tant. Après tout, elle est toute nouvelle ici, et elle n’a pas encore le niveau. Elle se contentera de sa chance, et d’observer ses camarades, ainsi que la Capitaine, pour apprendre d’eux et avec eux. C’est ce qu’elle leur dit avec un nouveau sourire ravi, en rougissant un peu. Elle est intimidée par tout ça, mais elle a hâte de faire un peu mieux connaissance avec tout le monde.
— En tout cas, les sélections font parler, continue-t-elle. Cela dit, je comprends. C’était déjà un événement à Eel, alors ici…
— D'ailleurs le vainqueur des sélections d'Eel, c'est ton père, non ? s'enquit Magdalène en lui jetant un regard perçant, et toi, tu te retrouves ici. Tel père, telle fille. Tout le monde a hâte de t'entendre raconter ce qui s'est passé aux Abysses, en passant.
— Magdalène…
— Et dépêchez-vous, le cours d'Histoire politique va bientôt commencer.
Tout le monde soupire mais tout le monde s'active. Lorsque l'elfe noire est loin, Isaac s'empresse de souffler à June de ne pas s'en faire. Magdalène est comme ça. Elle est sévère, mais c'est quelqu'un de bon avec ses camarades et elle se soucie des autres. Lorsque Narangerel est arrivée, Magdalène a eu des doutes. Il a fallu que la gorgone fasse ses preuves pour gagner sa confiance, alors ce sera pareil avec June.
— Ce serait naïf de passer au-dessus, mais les relations sont un point à ne pas négliger dans ton apprentissage. Nous sommes camarades ici, au Grand Espadon, mais aussi dehors et dans l'avenir. Alors il est important de bien s'entendre car dans une équipe, la réussite de l'un d'entre nous peut entraîner les autres. Il faut faire attention à soi, à son image et à ses camarades.
Isaac adresse un sourire rassurant à June. C'est son premier jour, alors ça fait beaucoup d'informations, mais elle prendra vite ses marques, c'est chose sûre. Devant eux, Ycalla emboîte le pas de Magdalène, suivie de Lothric et Narangerel. Entre le sorcier et la tacticienne, le geste est bref, mais leurs doigts se sont accrochés et leurs visages se sont peints d'une tendresse évidente.
— Ah… souffle Isaac à June, et quand on tombe amoureux, il faut éviter d'afficher sa relation au sein de l'école. Ça fait partie du règlement.
Lothric et Narangerel s'en souviennent car ils se séparent bien vite et bientôt, le peloton de la Capitaine prend la direction d'une salle de cours. June acquiesce à tout ce qu’il dit avec intérêt. Elle a noté le geste de ses deux camarades, et les informations s’engrangent dans son esprit. Pour l’instant, elle ne peut pas en faire grand chose, mais qui sait. Peut-être que si le besoin s’en fait sentir, la souffrance de l’être aimé sera la clé à la coopération de certains. Quand à l’elfe noir, elle s’en méfiera. De tous, c’est celle qui lui paraît la plus dangereuse. Elle esquisse un sourire timide à Isaac, et baisse la voix.
— En fait, je t’avoue que j’ai peur qu’on pense que je suis ici grâce à mon père. C’est pour ça que j’ai hâte d’apprendre et de montrer que moi aussi, je peux défendre Odrialc’h et le grand palais. Vous êtes comme une grande famille, et… En ce moment, la mienne ne va pas fort, mais avant tout ça, on était un vrai soleil. J’aimerais retrouver ça ici. Un endroit agréable, chaleureux et où tout le monde se pousse à devenir la meilleure version de lui-même.
June se montrera donc une élève exemplaire. Elle écoutera en cours, et même si la lecture lui pose problème, elle prendra des notes en symboles, parce que c’est plus facile. Elle s’est entraînée dans ce but. Elle restera s’entraîner et travailler tard, et elle en profitera pour explorer les lieux. Elle se liera à Isaac et aux autres pour apprendre plein de choses, et entre deux, elle ira rendre des comptes à son maître, et elle discutera de ses découvertes avec Nelladel. Deux avis valent mieux qu’un, après tout. Oui, elle sera la recrue parfaite, et elle est certaine qu’Isaac est déjà tombé dans le panneau.Il n'y a rien de tel que tu n'ais jamais regretté, il n'y a rien de pire qui ne soit jamais évoqué pourtant, tu devrais faire tes excuses car toi aussi, tu es fautif.
Helouri jette un regard morne à sa feuille de parchemin. Ses yeux lisent et relisent la même phrase depuis un long moment sans qu'il ne s'en aperçoive et quand c'est le cas, il se laisse aller contre le dossier de sa chaise en poussant un soupir. Ici, dans cette pièce du manoir où Candice réside avec Sira, Helouri étudie de longue heures attablé à un bureau près d'une grande fenêtre cintrée. Lorsqu'il a de la peine, il lui suffit de jeter un regard vers le jardin pour vider son esprit et se sentir mieux. Près du petit étang, des libleunettes croassent pour communiquer entre elles, puis sautent à tour de rôle avec un plouf sonore. Helouri trouve leur manège adorable et apaisant.
Depuis que June est entrée à l'école militaire, cette pièce où il apprend la médecine est devenue un refuge malgré elle. Ici, Helouri n'a pas à mentir ni à jouer de rôle. Il n'a pas à faire semblant non plus et encore moins s'inquiéter du moment où June en aura assez de lui. Il n'a pas besoin de constater à quel point sa grande sœur est partie. Son cœur se serre quand il pense au petit-déjeuner, ce matin. Du point de vue de Joseph Ael Diskaret, tout à été parfait, pour Helouri, tout a été écoeurant et pour June, ça a dû être amusant. Cette dernière a raconté ses merveilleuses journées au sein de l'école militaire en compagnie d'Isaac Burrini, son nouvel ami qui veille à ce qu'elle s'intègre le mieux possible. Pendant son récit, Helouri a dû faire semblant de s'extasier, de rire à ses anecdotes et de se montrer fier de sa grande sœur qu'il a toujours mise sur un piédestal. Joseph, lui, l'a été plus encore parce que malgré le drame que vit leur famille, ses enfants tiennent bon. Tout a été parfait. Mais Helouri se souvient des yeux de June. Lorsque leurs regards se sont croisés, il y a décelé ces étincelles de rancœur, de dégoût, de mépris… C'est de ta faute si je suis devenue comme ça ont-elles dit.
— Il n'y a rien de tel que tu n'ais jamais regretté, il n'y a rien de pire qui ne soit jamais évoqué pourtant, tu devrais faire tes excuses car toi aussi, tu es fautif, souffle le jeune morgan pour lui-même.
Helouri y pense, à cette énigme. Il s'est toujours demandé à qui Sexta Stoker pouvait bien s'adresser par son biais. Est-ce que l'Impératrice des Abysses a fait cracher quelque chose à Cristal ou bien est-ce que la réponse se trouve ailleurs ? Joseph est persuadé que le message s'adresse à lui, mais Helouri a un doute, parce que c'est trop évident. Sexta est insaisissable. Il lui est facile d'obtenir n'importe quelle information, alors le jeune morgan imagine sans mal que la clé de l'énigme n'est pas une simple histoire de famille ou même les vestiges d'une vieille dispute de couple. De toute façon, Cristal et Joseph se disputaient rarement. Ils avaient des désaccords, comme tous les époux, mais tous deux disaient toujours que ce n'était pas sain de se crier dessus ou bien d'échanger des mots durs. La réponse ne peut pas être ici et pendant que Joseph ressasse toutes les erreurs qu'il a pu commettre en tant que mari, Helouri cherche ailleurs.
Le jeune morgan passe une main sur son visage, puis se concentre de nouveau sur sa leçon du jour. Il jette un regard fatigué à la pile de parchemins qu'il devra réviser avant que Candice revienne car comme toujours, la fée Milliget se montrera intraitable à la moindre erreur. Chaque journée a sa part de nouveauté en matière d'études, mais la médecine est dense, alors il faut tout revoir : l'ostéologie, la myologie, les systèmes sanguin, cardiovasculaire, digestif, respiratoire… Candice l'avait prévenu. Helouri va devoir assimiler une énorme quantité de connaissances pour les sélections et il devra le faire rapidement. Le jeune morgan ferme brièvement les yeux, puis se remet au travail.
La leçon du jour est sur le pancréas ainsi que son inflammation, la pancréatite aiguë, le plus souvent déclenchée par l'obstruction du canal de Wezen, par un calcul. Cela empêche les enzymes digestives de circuler et ces dernières s'accumulent alors dans le pancréas, puis commencent à digérer le tissu pancréatique, ce qui conduit à une nécrose tissulaire de gravité variable. Le jeune morgan doit aussi apprendre qui est Wezen, la fée Milliget et anatomiste à l'origine de la découverte de ce canal, ainsi que du système excréteur.
Helouri a méticuleusement dessiné le schéma d'un pancréas sur un parchemin afin de mieux visualiser l'organe ainsi que les différents canaux, mais aussi sa place parmi le système digestif. Comme lorsqu'il étudiait avec assiduité à Eel, Helouri est capable d'absorber tout ce savoir dans son cerveau seulement, ce sont dans les moments d'urgence qu'il perd ses moyens et fini par échouer. Il doit admettre que le caractère impitoyable de Candice le force à devoir tenir bon quand il doit enchaîner les questions rapides de la fée Milliget. Mais sur le terrain ? Helouri le redoute, le terrain, et il sait qu'il a encore besoin de grandir. Il a vingt-et-un ans, mais il n'est encore qu'un enfant. Il a peur, il est lâche, il réagit mal, il surréagit, il est fautif…
La porte du bureau s'ouvre d'une main agacée et le jeune morgan à un sursaut. Il jette un regard hébété sur la haute silhouette de Candice alors qu'il songe, alarmé, qu'il lui restait normalement plus de temps pour apprendre. La fée Milliget rive ses prunelles acérées sur Helouri, comme si elle s'apprêtait à le dévorer, puis se dirige vers le fauteuil en velours d'un vert bouteille pour s'y asseoir. Il laisse un silence pesant s'installer et enfin, il désigne la pile de parchemins du menton, puis demande d'une voix lasse :
— Tu as tout revu ?
— Presque… répond Helouri d'un ton malhabile, je suis en train d'étudier le schéma du pancréas, j'ai pratiquement terminé.
— Très bien, on va vérifier ça. J'espère que ce sera mieux qu'hier car le temps t'est compté, dava et je suis toujours en train de m'énerver quand je te regarde.
Helouri déglutit. Les sélections sont encore loin, mais il y a tant à faire qu'il n'est pas certain d'être fin prêt le moment venu. D'ailleurs, l'étude de la médecine n'est pas le seul aspect qu'il doit travailler et c'est de cela que Candice veut lui parler. Accumuler les connaissances, c'est une chose, mais un bon candidat aux sélections se distingue aussi parce que l'on sait de lui.
— Depuis que tu es là, j'imagine que tu n'as pas encore visité la cité, même en compagnie de ton cher papa. Si tu l'avais fait, tu aurais vite compris que les futurs participants aux sélections commencent à faire parler d'eux.
Une pierre tombe dans les entrailles d'Helouri. Candice à vu juste : depuis qu'il est arrivé à Odrialc'h, il se contente d'allers et retours entre le manoir et l'auberge, quand il ne se rend pas à Tantale pour porter une lettre pour Doubine. Il ne s'est pas rendu au centre-ville d'Odrialc'h et il n'a même pas visité les beaux quartiers. Les sélections sont dans quelques mois pourtant, Candice dit que de futurs candidats commencent déjà à faire parler d'eux ?
— Arrête avec tes yeux de poisson mort ! s'agace la fée Milliget, ne pense même pas à flancher ! Ta mère a été sauvée et tu as ta dette à payer, alors écoute bien.
Parmi les futurs candidats aux sélections, certains membres de la petite bourgeoisie espèrent s'élever en entrant au grand palais. La plupart d'entre eux commencent à se faire un nom au sein de la population d'Odrialc'h grâce à leurs talents et ce sont ces mêmes talents qu'ils mettront en œuvre pendant les sélections.
— Le savoir ne suffit pas, poursuit Candice, tu dois aussi avoir une bonne réputation. Les serviteurs personnels du grand palais sont de véritables célébrités connues et appréciées de la population d'Odrialc'h. Son avis est important car même si c'est l'ancienne servante de la Capitaine qui choisira, elle s'appuiera beaucoup sur ce que pense le peuple.
Helouri ne sait pas s'il doit rire ou s'il doit pleurer. Lui qui concentrait toutes ses facultés sur l'apprentissage de la médecine réalise qu'il est déjà en train de se faire doubler par d'autres futurs candidats qui connaissent les rouages de ce genre d'événement. Ce sont sûrement des personnes qui savent comment plaire aux autres et qui ne vont pas se gêner pour en user afin de s'élever le plus haut possible pendant les sélections. Candice avait raison quand il disait que ce serait une rude bataille qu'un frêle morgan ne pourrait pas remporter. Helouri ouvre la bouche pour dire quelque chose mais à nouveau, son esprit se vide pour le laisser seul et idiot.
— Oui, tu ferais bien de parler, raille Candice, et très vite car je suis en train de m'énerver. Tu vas réfléchir à la façon dont tu peux obtenir une bonne réputation en mettant les connaissances que tu as apprises en oeuvre. Tu ne quitteras pas cette pièce tant que tu n'auras pas trouvé et tant pis pour toi si ton petit papa te cherche partout. Fais vite, dava !
Candice se laisse aller contre le dossier du fauteuil tout en croisant les bras. Helouri remarque qu'il tapote l'un de ses coudes d'un geste agacé du doigt et si le jeune morgan ne trouve pas une idée dans les minutes qui viennent, il est bon pour une remarque cinglante qui le déstabilisera de plus bel. Alors il se met à réfléchir. Il tente d'oublier le regard tranchant de Candice, puis évalue sa propre situation. Il veut participer et remporter les sélections mais pour le moment, tout ce qu'il a, c'est son début de savoir dans le domaine de la médecine. Il n'a pas de nom ni de titre de noblesse, il n'est pas une espèce connue pour sa rareté et il ne possède pas une personnalité assez joviale et extravertie pour tisser facilement des liens avec autrui. Comment peut-il se forger une réputation ?
— Tu vas vraiment me faire perdre mon temps ? persifle la fée Milliget.
Helouri sent ses muscles se raidir, mais il s'accroche au fil de ses pensées. Il y a forcément une solution qui viendra éclore à l'issue de sa réflexion, alors il ne peut pas perdre son embryon d'idée. Il sait qu'il ne peut pas se rendre au centre-ville d'Odrialc'h ni même dans les beaux quartiers afin de se donner en spectacle car ça ne lui va pas. Il ne peut pas non plus tenter de se rapprocher de la Capitaine car elle verrait clair dans son jeu et ce serait une erreur qui le ferait tomber en disgrâce. Helouri doute fortement que les autres candidats s'amusent à faire les beaux auprès de Shakalogat Gra Ysul. Non, décidément, tout ce qu'il a, ce sont ses connaissances, mais il ne peut pas exercer…
— Je te jure que même si on me filait ton cerveau à bouffer, dava, je m'abstiendrais. j'aurais peur de devenir abruti.
— L'hôpital, souffle Helouri.
Candice arque un sourcil et lui grogne de développer. Le jeune morgan s'exécute en s'imaginant parler pour lui-même afin de ne pas s'emmêler :
— Pour étudier la médecine à l'université, il faut commencer par une année de sélection ou alors, il faut avoir quelques années d'expérience en tant qu'infirmier et ensuite, entrer directement en seconde année de médecine. Mais moi, je n'ai pas le temps de passer par là.
— Non, tu n'as pas le temps et moi non plus. Alors ?
— Je pense que je peux entrer à l'hôpital de la Grande Auréole en tant qu'aide-soignant et là-bas, sur le terrain, je pourrai essayer de me démarquer avec mes connaissances.
Helouri se prépare à encaisser l'explosion et les mots durs. Candice va certainement trouver son idée idiote. Un aide-soignant n'est ni un infirmier et encore moins un médecin. Il n'est pas là pour effectuer de diagnostics ni prescrire des traitements, certes, mais en travaillant avec des patients, Helouri est persuadé qu'il peut tout de même mettre ses connaissances à l'épreuve. De plus, l'université de médecine se situe juste à côté de l'hôpital, alors le jeune morgan sera amené à côtoyer des étudiants en plus du personnel hospitalier et bien entendu, des médecins. La seule ombre au tableau, c'est que tout ce petit monde l'a déjà vu faire des allers et retours au manoir où réside une fée Milliget.
— Tu veux travailler à l'hôpital de la Grande Auréole en tant qu'aide-soignant et faire le beau avec tes connaissances pour être repéré par des médecins ? récapitule Candice d'une voix moqueuse, et ensuite, tu leur diras que tu comptes participer aux sélections ? Et tu crois que ça vaudra autant que ce que font les autres candidats en ce moment-même ?
Helouri ne répond pas, dépité. Il se doutait que son idée ne plairait pas à Candice, pire encore puisqu'il ignore ce que font les autres candidats, mais c'est tout ce qu'il a. Le jeune morgan pense qu'il ne peut pas briller, il doit gravir les échelons petit à petit et l'hôpital de la Grande Auréole, c'est le seul moyen de prouver sa valeur.
— Tu vas suivre ton idée, dava. Tu vas faire ça et tu as intérêt à réussir.
Helouri lève les yeux. Le cœur battant, il reçoit l'avertissement comme une épée au-dessus de son cou, mais aussi comme une approbation. Candice s'est moqué, mais il n'a pas dit non. Il n'a pas crié, il n'a pas tempêté contre son dava incapable de tout. Il a dit que Helouri devait suivre son idée et réussir.
— Ne croit pas que ton idée est parfaite, crache Candice, elle est tout juste acceptable. Mais là où tu as raison, c'est qu'il est préférable de te tailler une réputation dans le domaine que tu es en train d'apprendre. Alors fais-le. Postule en tant qu'aide-soignant dès que tu sortiras d'ici et applique ce que tu as appris sur le terrain.
Le jeune morgan hoche la tête. De tout façon, c'est ce qu'il veut. Il continuera d'apprendre la médecine, que ce soit à l'hôpital ou bien au manoir car il est évident que malgré son travail, il ne coupera pas court à l'enseignement de la fée Milliget. Mais en étant confronté à de véritables patients et non pas des schémas, ce sera peut-être plus simple de comprendre ce qu'il apprend.
Puis Candice se penche en avant, puis ajoute en plissant ses yeux d'acier :
— Si tu réussis à obtenir une très bonne réputation pour les sélections, je t'apprendrais un savoir unique qui fera de toi un candidat de choix.
Le sourire froid qui suit sa déclaration arrache un frisson à Helouri, mais la curiosité le pousse à demander ce que peut bien être ce savoir. Candice ne lui répond pas. Selon lui, ça ne sert à rien de révéler quoi que ce soit à un poisson qui va peut-être se vautrer dans la honte et l'échec. Mais bien entendu, si Candice était lui, il éviterait car il a sa dette à rembourser.
— Utilise bien ton temps, dava. Les sélections vont venir plus vite que tu ne le penses. Mon procès aussi, il se tiendra juste après. Si tu te trouves au grand palais à ce moment-là, ça te fera une raison supplémentaire d'adorer ton maître.
Helouri se crispe, mais garde le silence. Candice doit se douter que le jeune morgan n'a jamais vénéré les fées comme Rose Clarimonde a pu le faire, alors malgré ce que son procès pourra apporter à Helouri, il y a peu de chance que ça puisse le pousser à adorer la fée Milliget. Cependant, il songe surtout que ce conflit avec la justice d'Odrialc'h va peut-être causer une nouvelle querelle familiale et si c'est le cas, Helouri suivra le conseil de Doubine et s'en tiendra loin.***
Après leur conversation, le jeune morgan a passé le reste de l'après-midi à étudier, puis réciter ses leçons. Comme d'habitude, la redite de ses acquis avec Candice a été tortueuse mais à la fin, Helouri a su répondre à ses questions. Il est encore loin de pouvoir parler calmement sans s'emmêler les pinceaux, mais il peut tout de même constater qu'avec le temps, il fait des efforts.
Une fois sorti du manoir, Helouri s'est empressé de se rendre à l'hôpital universitaire de la Grande Auréole pour postuler en tant qu'aide-soignant. Le jeune morgan a dû remplir un formulaire demandant son lieu de résidence ainsi que son expérience. Lorsqu'est venu le moment de lister ses études, Helouri a eu une hésitation. Il a inscrit ses présentations à l'examen de la Garde Absynthe, quand Eel était encore debout, mais il songe que révéler qu'il apprend la médecine directement sous la tutelle d'une fée n'est pas une bonne idée. Pourtant et malgré ce qu'il a fait, Candice Milliget reste un Maître de la Médecine et les allers et retours d'Helouri au manoir ne sont un secret pour personne, à la Grande Auréole. Il est vu de tous et Candice le sait. Le jeune morgan soupçonne même que tout cela soit voulu. Finalement, Helouri n'a rien inscrit à ce sujet et a rendu son formulaire à l'accueil. L'hôtesse l'a informé qu'il recevrait une missive avec la date et l'heure de son entretien.
Avant de quitter les lieux, Helouri en a profité pour rendre visite à sa mère et lui raconter sa journée. Cristal l'a entendu en fixant son visage sans le voir puis, lorsque le jeune morgan a achevé son récit, il a tiré une feuille de parchemin avec un encrier et s'est mis à écrire sa lettre à Doubine.
Chère Doubine,
J'espère que tu vas bien.
Je me trouve actuellement à l'hôpital, avec ma mère. Son état n'a pas changé et je réfléchis toujours au sens de l'énigme. J'ai peut-être un début d'idée, mais je ne suis sûr de rien et je vais continuer de chercher.
Les sélections sont encore loin, mais j'ai encore beaucoup de travail si je veux me montrer à la hauteur. Je vais travailler à l'hôpital et appliquer les connaissances que j'apprends avec Candice. D'autres candidats aux sélections ont commencé à faire parler d'eux, alors il faut que je puisse les imiter à ma façon.
Dans ta dernière lettre, tu as parlé des daemons qui vivent à Metatron, dans la Gehenne. Le mythe de l'épouse du Recteur Barbatos est intéressant, est-ce que tu pourrais m'en dire plus ? Je me demande aussi quel genre de vie tu peux avoir à la petite Ozlomoth. Je ne connais rien des goules, alors je m'excuse d'avance si ma question est indiscrète.
J'espère que tout va bien de ton côté.
Amicalement,
Helouri
Helouri roule sa feuille de parchemin, le scelle avec une cordelette, puis embrasse sa mère avant de quitter l'hôpital pour le village de Tantale.
Si auparavant il détestait traverser la forêt, le jeune morgan a fini par apprécier ce trajet qui a pris une place dans ses habitudes. Laisser Odrialc'h et le bruit de la cité derrière lui, gagner le calme de la nature, écouter le vent faire bruisser les branches et les feuilles… Dans ces instants-là, Helouri a l'impression que ses soucis s'envolent, même s'ils l'attendront sagement à son retour. Il sait que plus loin, une ancienne mine de mithril devenu un passage pour les Abysses n'est plus. De temps à autre, quand il va porter sa lettre pour Doubine, Helouri voit quelques curieux se rendre sur les lieux de l'explosion pour en aviser les vestiges. Beaucoup voudraient descendre à leurs risques et périls, mais les soldats d'Odrialc'h veillent au grain.
Le jeune morgan souffle un grand coup. Il songe que même pendant ses longues journées d'études pour l'examen de la Garde Absynthe, son quotidien n'a jamais été aussi rempli et sous pression. Maintes fois, ses propres limites l'attendent au tournant et le poussent à craquer, mais Helouri fait de son mieux pour tenir bon.
Soudain, une main l'agrippe fermement par le col de sa tunique pendant qu'une autre le bâillonne. Helouri pousse un cri étranglé. La panique grimpe en flèche dans sa poitrine, une bouffée d'adrénaline prend possession de son corps et le jeune morgan commence à se débattre mais c'est inutile, car une poigne de fer le maintient. Impuissant, il se sent traîner vers les bas-côtés, il voit le sentier où il marchait plus tôt disparaître alors qu'on l'emmène parmi les arbres. Les yeux humides, le jeune morgan se demande qui peut vouloir l'enlever ainsi et la réponse à sa question muette lui est dévoilée très vite quand il voit Rose Clarimonde apparaître dans son champ de vision.
— Calmez-vous. Vous serez bientôt relâché. Ne criez pas, lui indique l'ancien Second de l'Ombre d'un ton rigide.
— Sinon ? s'enquit une voix badine.
Vif, Rose dégaine une dague qu'il pointe vers le visage d'Helouri qui a l'impression de défaillir. Le jeune morgan se raccroche au décor afin de ne pas céder à l'affolement. Il réalise qu'il se trouve dans une clairière cernée par des pins et des bouleaux. Le sol est tapissé de feuilles et d'aiguilles, puis les arômes de nature emplissent l'air environnant. C'est exactement la même sérénité qui a enveloppé Helouri lorsqu'il a mis un pied dans la forêt et la situation actuelle ne peut pas la détruire. Helouri ne doit pas se laisser happer par la panique. Quand on le relâche enfin, il prend le temps de respirer. Son instinct primaire veut le faire crier à l'aide mais la menace de Rose rend le jeune morgan muet. Derrière lui, quelqu'un pousse un long soupir de fatigue, puis Nevra Mircalla apparaît enfin en se massant les avants-bras. Une étincelle amusée brille dans son oeil gris, puis il lance d'une voix assurée :
— D'habitude, on utilise des somnifères. C'est plus efficace et moins fatiguant. Mais il y a des opportunités que l'on ne peut pas laisser filer.
L'ancien Chef et l'ancien Second de l'Ombre. Ni l'un ni l'autre ne revêtent les uniformes qu'ils avaient l'habitude de porter quand ils occupaient leurs postes. Helouri peut remarquer que la prison n'a pas terni le charisme de Nevra : le vampire est toujours aussi conquérant et même sa tenue faite pour se mouvoir avec facilité parvient à garder un brin d'élégance. Plus sophistiquée que celle de Rose, aussi noire que ses cheveux, elle se compose d'une chemise de lin d'un blanc cassé, d'un veston bleu marine avec le pantalon assorti, puis d'une paire de bottes. Le jeune morgan se souvient des tenues colorées de la famille Mircalla lors de grandes occasions, telle que l'arrivée de la Capitaine à Eel et aujourd'hui, Nevra s'en trouve bien loin. Rose quant à lui, pourrait se fondre dans la nuit. Helouri les observe l'un et l'autre, fébrile. Depuis que Nevra Mircalla s'était donné en spectacle durant la cérémonie de June, il n'avait pas fait parler de lui.
— Pas de panique, reprend le vampire en levant les deux mains, nous voulons juste discuter entre dava. On ne sert pas le même camp, mais la même famille, après tout.
— Où est Balam ? demande Helouri dans un souffle.
— Il est venu avec nous, répond Rose, il se repose au manoir Mircalla. Il pourra bientôt marcher.
Le jeune morgan hoche la tête. Il se serait senti beaucoup plus rassuré si Balam était ici. C'est ce dernier qui lui avait confié qu'une fois à Odrialc'h, il serait bon de se rapprocher des dava de la reine Delta Milliget. Rose Clarimonde, Nevra Mircalla ou bien Balam lui-même. Visiblement, les dava de Delta ont été plus rapides.
— Tu devrais être plus prudent, Helouri, l'averti Rose, tes déplacements sont simples à repérer.
— Qui serait intéressé par mes déplacements ? demande le jeune morgan d'une voix malhabile.
— Nous, énumère Nevra, ta sœur dans ses mauvais jours, peut-être, et Candice s'il décide de se méfier.
À l'évocation de June, Helouri sent sa gorge se serrer. Faire son deuil est une chose difficile. Les souvenirs de sa sœur joviale et chaleureuse, d'une June qui n'est pas rongée par le désir de vengeance et qui lui en veut d'être un poids sont vivaces. Il faudrait qu'elle le tienne en joue avec son épée pour que le jeune morgan puisse enfin croire qu'elle serait vraiment capable de s'en prendre à lui.
— On sait que Candice veut te faire entrer au grand palais, reprend le vampire Mircalla en se mettant à marcher d'un pas tranquille, et il se trouve que la reine Delta a besoin de faire sortir quelqu'un.
— Quelqu'un ? Le peuple des fées ? souffle Helouri.
— Quelqu'un, appuie Nevra avec un sourire énigmatique.
Helouri n'en saura pas plus. La forêt a été l'endroit idéal pour une première prise de contact, mais s'il tient à en savoir plus, alors le manoir Mircalla pourra le recevoir.
— Fais attention à tes déplacements, l'avertit Rose, et ne dis rien à ton maître.
Ne dis rien à ton maître.
Quand le jeune morgan se retrouve seul dans la clairière, il met un certain temps à revenir à lui. Son esprit se remet de la conversation avec Rose et Nevra, mais aussi de tout ce qui est en jeu. Il y a le peuple des fées, le plan de Candice, le plan de Delta Milliget, ce quelqu'un évoqué par Nevra Mircalla et tous ces dava qui font offices de pions. Helouri doit faire attention à tout et tout le monde. Le jeune morgan a un frisson. Ses pieds retrouvent machinalement le sentier et c'est dans un état second qu'il va porter sa lettre pour Doubine. Cette dernière l'a averti de ne pas se mêler des querelles familiales des fées, mais il semblerait qu'elles soient partout.
De Doubine à Helouri - Lettre Numéro 3
Petit poisson,
Suliag a mis un peu plus de temps à me rapporter ta lettre. Il était parti récupérer quelques informations près de la frontière, mais il a finalement pu jouer les messagers.
Je suis désolée pour ta mère. Je ne connais pas du tout le mal dont elle est victime et j'ai assez de peine à croire qu'une simple phrase puisse la faire revenir, mais le cerveau est un mystère, même pour les fées. À force de chercher, tu finiras par trouver.
Tu vas donc travailler à l'hôpital ? C'est une bonne chose, mais ne t'amuse pas à vouloir provoquer ta bonne réputation, Lou. C'est quelque chose qui se fait naturellement. Les gens qui agissent par intérêt se font vite démasquer et je ne pense pas que ce genre de personne puisse remporter les sélections. Tu aimes la médecine, non ? Alors soit droit dans tes bottes et assidue à ton travail, ça finira par payer. Tu peux t'intéresser aux recherches des jeunes médecins, ou même aux actes peu conventionnels. Je me souviens qu'il y un jeune médecin du nom de Le Preux qui travaille à Odrialc'h. Il est même venu à Eel pour Candice. Je me rappelle de son nom car apparemment, c'est à cause de lui qu'un pauvre hère que Candice déteste a survécu. Enfin bref, beaucoup de monde est revenu à Odrialc'h, alors peut-être que Le Preux aussi, tu devrais te renseigner.
Ta question ne me dérange pas. Peu de gens s'intéressent aux goules, tu sais. Je suis cartographe. Quand je ne voyage pas pour les fées, je cartographie le monde et c'est comme ça que je note ses changements. Mes travaux sont utiles pour la Princesse, le Recteur Barbatos et la reine Delta Milliget, car ça leur permet de suivre les catastrophes qui touchent Eldarya, mais aussi le déclin du monde. Quand je voyage en bateau, on refait les routes maritimes avec les navigateurs, ça nous permet de nous déplacer sans trop de soucis. Il ne faudrait pas que mes cartes finissent entre de mauvaises mains.
À petite Ozlomoth, je vis dans une petite maison avec Rumba, mon sgarkellogy. Je n'ai pas encore trouvé de goule à marier. C'est assez compliqué quand on voyage beaucoup, mais ça viendra.
Tu me demandais plus de précisions sur l'histoire de l'épouse de Barbatos. Je ne sais pas grand-chose, à vrai dire car il y a beaucoup de rumeurs à son sujet. Les daemons gardent jalousement le secret et si certains racontent des choses, ça ressemble surtout à des mensonges. On dit que Barbatos est fou amoureux de sa femme. Beaucoup pensent qu'elle est une selkie, car les selkies sont un peuple aux traditions meurtrières. Seuls les plus forts sont autorisés à vivre et bien souvent, les femmes selkies sont des épouses de choix pour les daemons, voire même pour les enfants de Charybde et Scylla (d'ailleurs je crois que Suliag me raconte n'importe quoi, avec son histoire de pêche aux informations. Je le soupçonne d'aller faire la cour à une selkie). Mais je ne pense pas que l'épouse de Barbatos en soit une. Il suffit de regarder ses deux fils pour s'apercevoir qu'il n'y pas de selkie dans leur héritage de la chair et du sang.
Comme tu peux le voir, Lou, c'est un vrai mythe. Dans tous les cas, le peuple daemons garde jalousement le secret, donc je pense que l'épouse de Barbatos a un nom ou un visage qui doit être connu de beaucoup de monde.
Prends soin de toi, petit poisson.
DoubineLes Choix
Alors qu'il portait sa lettre pour Doubine, Helouri s'est fait appréhender par Rose Clarimonde et Nevra Mircalla. Ces derniers lui ont révélé un indice sur la mission que leur a confiée Delta Milliget : elle voudrait faire sortir quelqu'un du grand palais. Rose et Nevra n'en ont pas dit plus. Si Helouri veut savoir, il doit se rendre au manoir Mircalla sans en avertir Candice. Cette entreprise pourrait lui apporter des réponses, mais aussi des ennuis… Que devrait-il faire ?
➜ Se rendre au manoir Mircalla sans en avertir Candice.
➜ Ignorer Rose et Nevra et ne pas se rendre au manoir Mircalla.
➜ Se rendre au manoir Mircalla avec l'intention d'utiliser les informations apprises contre Rose, Nevra et Balam.
➜ Trahir Rose, Nevra et Balam en les livrant à Candice.Les lettres de Doubine
Puisque vous avez fait le choix de correspondre avec Doubine, Helouri recevra une lettre à chaque chapitre. Cela vous donne alors la possibilité d'un choix bonus, à savoir choisir le sujet que vous voudrez aborder avec Doubine, ce qui, bien entendu, influencera les réponses de cette dernière dans sa prochaine lettre. Ce choix est facultatif. Il n'existe que pour vous permettre d'obtenir des informations sur le lore d'Apotheosis ou bien avoir le point de vue de Doubine sur une question en particulier.
Si aucun choix n'a été fait, le contenu de la prochaine lettre de Doubine sera choisi au hasard avec un générateur.
Vous avez reçu la lettre de Doubine numéro 3. Quel sujet avez-vous envie d'aborder (deux réponses maximum) ?
➜ Suliag, le fils de Charybde et Scylla qui transmet les lettres de Helouri à Doubine.
➜ Le peuple des selkies.
➜ Les deux fils de Barbatos et de sa mystérieuse épouse.
➜ Les cartes de Doubine et l'état du monde.
➜ Aborder le sujet de June.
➜ Le lien entre le peuple des fées et celui des goules.
UNIQUEMENT pour Waitikka : Kijan a choisi de partir avec Jizel afin de retrouver Nikol Reagan, sa nièce qui est en train d'échouer son rite d'initiation. À présent, les problèmes des selkies deviennent ceux de Kijan. Le début de son voyage commence et avec lui, moult péripéties ! Lorsque tu seras prêt pour RP, Waitikka, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour MayaShiz : June continue son cursus à l'école militaire. Aujourd'hui, il s'agit du premier entraînement sous la tutelle de la Capitaine.
Concernant Hélios, elle poursuit son enquête pour Sheraz. Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte moi par MP ! (Tu peux choisir de ne faire qu'un seul des deux RP ou bien les deux).
UNIQUEMENT pour Klana : Continuation du RP précédent.
Dernière modification par Aespenn (Le 12-05-2024 à 18h47)
Hors ligne
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
J'espère que vous passez un bon dimanche ! Navrée pour ce retard, mais je suis très occupée IRL en ce moment et mes sessions d'écritures durent moins longtemps. Néanmoins, je suis toujours aussi ravie de vous partager cette histoire, surtout ce chapitre que j'avais hâte de publier !
Je vous souhaites une bonne lecture et j'espère que l'attente aura valu le coup ! B)
Chapitre 9 - La Racine et La Sève
Premier entraînement sous la tutelle de Shakalogat Gra Ysul
Helouri n'a jamais été un lève-tard. Bien au contraire. Quand la cité d'Eel était encore debout, il avait surtout tendance à imiter l'aube et commencer les révisions très tôt. Ça ne lui avait jamais beaucoup servi, puisque de toute manière il échouait toujours l'oral de l'examen d'entrée pour la Garde Absynthe, mais peu importe.
Helouri n'a jamais été un lève-tard. Pourtant, aujourd'hui, il rechigne à quitter son lit parce que le petit-déjeuner familial lui donne la nausée. June joue parfaitement son rôle, son père est aveugle et lui, le petit frère si fragile, il essaye de naviguer en eaux sombres.
Helouri pousse un soupir et repousse les couvertures. Il doit continuer cette mascarade. Il n'a pas le choix, de toute façon, alors il finit par se lever et file se préparer. Il remplit un baquet avec de l'eau fraîche pour faire sa toilette et ensuite, il enfile un ensemble couleur parme. Un haut en cache-cœur avec de larges manches ainsi qu'un pantalon fuseau qui met le galbe de ses jambes en avant. Ce n'est pas grand-chose et Helouri se fiche bien de son apparence pourtant, plus les mois qui le séparent des sélections passeront, plus ça deviendra important.
Et du point de vue de son père, c'est une preuve que son fils ne se laisse pas aller malgré la situation. Enfin, il pense surtout que c'est grâce à June, parce que Helouri ne peut pas survivre sans son socle, bien entendu…
Quand il quitte sa chambre, le brouhaha de l'auberge l'enveloppe. Helouri prend soin de verrouiller sa porte, comme d'ordinaire. Il n'est pas assez idiot pour laisser quoi que ce soit de compromettant, comme les lettres de Doubine qui ont fini dans le manoir de Candice, parce que le jeune morgan a bien trop peur que June vienne fouiller dans ses affaires.
Helouri pousse un soupir et se constitue un masque aimable. De là où il se trouve, il peut voir une partie de la salle principale en contrebas, avec la clientèle qui prend son petit-déjeuner. Parmi les bruits de conversation, la voix enthousiaste de June se détache. C'est le grand jour : après sa période d'intégration, elle va enfin suivre son premier entraînement sous la tutelle direct de Shakalogat Gra Ysul et Joseph est si fier…
Une vague de jalousie s'élève dans les entrailles d'Helouri, mais il la repousse immédiatement, parce que c'est idiot, parce que ce sont les enfants qui réagissent ainsi et parce que June est assez clairvoyante pour aviser que le béguin stupide de son petit frère pour la Capitaine, n'a pas disparu.
Helouri descend les escaliers et repère la table où sont assis June et son père. C'est toujours la même, éloignée du comptoir et du large banc où se réunissent parfois les gardiens d'Eel et les soldats d'Odrialc'h. Quand Joseph l'aperçoit, un air très doux se peint sur son visage et une fois que Helouri s'approche, il le gratifie d'une étreinte ainsi que d'un baiser sur la tempe. Il agit ainsi avec June, aussi, comme un père qui fait de son mieux. Le grand morgan a les traits tirés parce qu'il passe la plupart de ses nuits à l'hôpital, près de son épouse et il revient tôt dans la matiné pour prendre le petit-déjeuner avec ses enfants :
— Tu as bien dormi ? s'enquit Joseph.
— Ça va, répond Helouri, et toi ? Et toi… June ?
Helouri se retient de grimacer quand il s'adresse à sa sœur. Il lève son regard argenté vers elle et tâche de lui offrir un sourire aussi tendre que d'habitude.
La jeune femme se lève pour le serrer contre elle, puis elle rectifie quelques mèches autour de son visage, ajuste son cache-cœur et lui sourit gentiment.
— J’ai rêvé qu’on était tous ensemble à la maison, et que les médecins avaient trouvé un moyen de guérir maman, confie-t-elle. J’ai vraiment hâte qu’ils nous annoncent une bonne nouvelle ! Elle me manque beaucoup.
Elle prend un air attristé, puis change rapidement d’expression, comme si elle se forçait à garder la tête haute, car la perte de sa mère la dévaste mais qu’elle doit rester forte pour son père. June prend le bras d’Helouri et l’accompagne jusqu’au banc, où elle s’asseoit à ses côtés. Ils font face à Joseph, et elle joue avec une boucle nacrée en terminant son petit-déjeuner.
— Tu es très beau, aujourd’hui ! s’enthousiasme-t-elle. Ça tombe bien que tu sois là, Lou, j’avais quelque chose à te proposer. Je me disais que ça pourrait être bien que tu m’accompagne pour ce premier entraînement avec la Capitaine…
June lâche la boucle et triture son assiette, rougissant doucement.
— J’ai un peu le trac, j’avoue. J’aurais bien aimé que papa soit là aussi, mais si j’ai au moins l’un de vous, ça ira mieux, je crois. Qu’est-ce que tu en dis, Lou ?
Joseph ne peut pas le voir, mais quand elle se tourne vers Helouri pour lui sourire, ses yeux brillent d’une étincelle moqueuse. Elle peut lire la honte dans son regard et elle peut même deviner toutes les images qui lui passent par la tête. Il sait qu'elle ne propose pas cela par pure gentillesse. C'est peut-être pour impressionner leur père ou alors - et Helouri penche pour cette hypothèse - c'est pour qu'il puisse constater de ses propres yeux à quel point il est incapable de remporter les sélections pour devenir le page d'une femme qui n'a rien à voir avec le fragile et ridicule petit morgan qu'il est.
Mais c'est June qui le lui demande et face à son père, Helouri doit être heureux. Il n'aurait aucune raison de refuser car il n'existe pas d'excuses qui pourrait le justifier. C'est une occasion en or, une occasion unique et beaucoup de monde se presse dans les gradins pour assister aux entraînements des recrues de la Capitaine. Helouri ouvre la bouche pour dire quelque chose. Il n'a pas d'échappatoire. Peut-être qu'il vivra une humiliation, peut-être que June va trouver un moyen de le rendre misérable devant ses nouveaux camarades mais aujourd'hui, Helouri va devoir le supporter.
— Bien sûr, June, finit-il par répondre, je ne serais pas très utile dans les gradins, mais je vais t'encourager. Tout ira bien.
Non, il n'a pas envie d'y aller, non il ne veut pas voir la Capitaine et encore moins rencontrer les camarades de June. Pourtant, il fait de son mieux pour que son visage garde sa lumière factice. Qu'il ait l'air si heureux d'assister à cet entraînement et d'encourager sa grande sœur.
— J'aurais aimé venir, ma fille, se désole Joseph, mais je dois rencontrer le médecin de votre mère. Tu n'as pas à t'en faire, June, tu es forte. Une vraie force de la nature.
— C’est grâce à vous, sourit June. C’est vous qui me donnez ma force !
Elle entoure l’épaule d’Helouri d’un bras ravi. Ils vont passer un excellent moment, et avec lui dans les gradins, elle sera rassurée ! Ils lui raconteront tout en rentrant, promet-elle. Ses doigts jouent avec l’encolure d’Helouri, subtil rappel qu’en effet, ils vont passer un excellent moment. Du moins, elle va beaucoup s’amuser.***
Le trajet jusqu'à l'école militaire a été beaucoup trop rapide à son goût. Helouri a vu les bâtisses se rapprocher, magnifiques, et il aurait aimé en profiter s'il ne se sentait pas sous tension. Pendant la route, June s'est comportée comme la grande sœur qu'elle a toujours été : elle lui a pris le bras, lui a parlé du temps, du marché d'Odrialc'h qu'elle a visité et adoré, de ses nouveaux amis… Helouri lui a répondu par monosyllabes et a démenti quand elle lui a demandé ce qui n'allait pas. Tout va pour le mieux, mais le jeune morgan se demande bien quand la foudre se décidera de frapper.
Une fois devant les portes de l'école militaire, June montre ses papiers d'identité et présente Helouri comme son invité à l'entraînement. Les garde les laissent entrer et avant de se diriger vers le colisé, June désigne une autre porte, au loin, où quelques personnes font la queue :
— Tu vois, là-bas, c'est l'entrée des visiteurs. Mais toi, tu es un invité spécial. C'est génial, non ?
Elle le gratifie d'un air narquois, qui disparaît aussi vite qu'il est apparu et avant que Helouri n'ait le temps de répondre quelque chose, elle se met à marcher d'un pas rapide. Le jeune morgan la suit à regrets, essayant de profiter de l'architecture des lieux pour chasser l'angoisse. Il doit admettre que l'école militaire est une ode à l'Histoire d'Odrialc'h. Elle se retrouve dans les statues des fondateurs et grands combattants, dans les fresques que l'on peut admirer et bien entendu, dans l'orichalque omniprésent. Les différents colisés pour les entraînements n'y échappent pas et celui qui a été choisi par la Capitaine, plus que les autres.
Près de l'entrée, il y a une petite dizaine d'étudiants en train d'attendre. Quand l'un d'entre eux aperçoit June, il lui adresse de grands signes de la main, sourire aux lèvres et Helouri doit admettre que son énergie est communicative. Il détaille le bröwnie aux longues oreilles et aux cheveux auburn, qu'il a attaché en chignon afin de ne pas être gêné. Son visage rond, constellé de taches de sons, rayonne d'un enthousiasme intarissable et le jeune morgan est satisfait qu'une personne comme lui se trouve ici.
— June ! Ça va ? Pas trop nerveuse ? Tu verras, ça va aller ! … C'est ton frère ?
— Bonjour Isaac, bonjour tout le monde ! salue June.
Elle lisse sa tresse d’une main un peu trop lourde, figurant son anxiété à l’idée d’effectuer ce premier entraînement.
— La dernière fois que j’ai rencontré la Capitaine dans une arène, c’était pour les sélections, avoue-t-elle. Je crois avoir un peu progressé depuis, mais quand même, je n’aurais jamais imaginé me tenir ici…
Puis elle se tourne vers Helouri et serre son bras, un grand sourire aux lèvres.
— C’est mon petit frère, oui. Lou, je te présente mes nouveaux camarades !
Elle les nomme un à un, puis elle baisse la voix pour confier à Isaac qu’Helouri a beaucoup insisté pour venir. Tout le monde peut l’entendre, et Helouri sait qu’elle le fait exprès.
— Il en pince pour la Capitaine depuis tout petit, mais j’essaie de me convaincre que c’est pour m’encourager qu’il est venu, plaisante June d’un air complice.
Sans voix, Helouri écarquille les yeux. Il fixe June comme si elle venait de lui arracher ses vêtements devant tout le monde et alors que son cœur s'emballe, Helouri se sent rougir, impuissant. Son esprit lui somme de s'enfuir, mais ce serait complètement ridicule. Planté là, il encaisse l'humiliation sans rien dire et prie de toutes ses forces contre les larmes qui veulent lui monter aux yeux. Il ne peut pas pleurer comme un enfant. S'il pleure comme un enfant, comment peut-il espérer participer et remporter les sélections ?
Il ouvre la bouche pour dire quelque chose, pour se justifier, mais sa gorge sèche menace de lui faire débiter des idioties. Helouri peut voir qu'Isaac ne sait pas comment réagir quand ce dernier se gratte le front en toussotant, puis une grande elfe noir s'approche pour lancer d'un air sévère :
— On s'en fiche. Tenez-vous prêts, la Capitaine va arriver.
Les autres semblent lui obéir. Helouri les observe. Il attrape un jeune homme famélique en robe de mage qui lui lance une œillade moqueuse, mais il est rapidement repris par une gorgone qui semble être sa petite amie. Helouri le voit lever les yeux au ciel, puis il sursaute quand un bras musculeux le prend par les épaules. Il tourne subitement la tête pour faire face à une troll au large sourire qui se présente comme Ycalla :
— C'est toi le petit frère de June, donc ! Tu ressembles pas vraiment à ton père.
Puis elle lui glisse comme une confidence :
— T'en fais pas pour la plaisanterie de ta sœur, va. C'est normal d'aimer les grandes dames musclées, elles font toujours de l'effet !
Ycalla lui adresse un clin d'œil et Helouri s'empourpre. Il a vraiment l'impression que l'entraînement va être long… June a retrouvé son sérieux, et elle suit ses compagnons, bien droite. Elle les observe attentivement, sous ses airs de débutante anxieuse, et prend bien garde à ne pas attirer l’attention de Magdalène. Cette dernière est très sérieuse, et c’est, selon June, la plus dangereuse du lot, car la plus susceptible de la percer à jour si elle se relâche. June plaque donc un léger sourire sur ses lèvres, celui que l’on arbore quand l’un de ses rêves se réalise, mais qu’on essaie aussi de ne pas se faire paralyser par l’inquiétude. La jeune femme se rapproche d’Isaac et en profite pour jeter un regard timide à Negishi : d’après ce qu’elle sait, il manie le sabre et ferait un très bon adversaire pour elle qui utilise des armes de courte portée.
— J’espère que je vais faire honneur à Odrialc’h, murmure-t-elle à l'intention du bröwnie. Et à mon père, aussi.
— Bien sûr que oui ! la rassure Isaac.
Il comprend sa nervosité et il lui assure qu'il était pareil lors de son premier entraînement, mais la Capitaine ne lui demandera jamais l'impossible.
Magdalène intime à ses camarades de se mettre en ligne d'un geste de la main. Pendant ce temps, Helouri part s'installer dans les gradins, une sensation désagréable dans les entrailles. L'humiliation, plus tôt, laisse un goût amer dans sa bouche et il redoute l'arrivée de la Capitaine car quand elle sera là, il aura bien du mal à maîtriser son regard. Il sera admiratif, couplé de moult émotions qui vont s'entrechoquer. Il y a peu de chances que Shakalogat Gra Ysul lui adresse la parole et fort heureusement, car il se mettra à bégayer.
Il observe June et ses camarades se placer, le regard tourné vers l'entrée du colisé. Parmi eux, un kitsune vêtu d'une tenue de combat blanche et maniant un sabre se penche vers le jeune homme en robe de mage pour lui murmurer quelque chose. Ce dernier esquisse un sourire plus franc, puis rend un coup de coude à son camarade. Enfin, le silence tombe quand un bruit de pas se fait entendre.
La haute silhouette de la Capitaine apparaît, vêtue d'une tenue de combat. Loin d'elle l'armure d'orichalque étincelante qu'elle arbore lors des cérémonies. Son gilet doublé en cuir laisse ses bras musculeux à découvert, son pantalon renforcé, quant à lui, suit le galbe de ses jambes puissantes et ses bottes aux semelles épaisses soulèvent un léger nuage de poussière. Sa longue natte de cheveux auburn se balance au rythme de ses mouvements et pour cette session d'entraînement, elle a choisi une épée assez légère pour s'adapter à ses élèves.
Quand il la regarde, Helouri a l'impression de lutter, en vain, contre le feu. Il veut s'en protéger parce qu'il refuse que le contenu de sa poitrine se lise sur son visage. Pourtant, quand Shakalogat Gra Ysul se dirige d'un pas noble vers son escouade, Helouri la suit des yeux sans pouvoir s'en empêcher. Son béguin est ridicule et il le sait, mais il est là et il ne peut rien y faire.
— Oh… Dis donc, June, ton frère est une vraie petite midinette, souffle Lothric à son attention.
— Arrête, le prévient sa petite amie.
June hausse discrètement les épaules avec fatalité, en adressant un léger sourire qui signifie je vous l’avais bien dit à Lothric. Néanmoins, au fond, elle savoure la gêne d’Helouri et son admiration pathétique pour la belle Capitaine. C’est amusant, et surtout, c’est très utile. La jeune femme se reconcentre, pour faire bonne impression. Elle redresse la tête, serre nerveusement les doigts, et jette un regard rapide vers Isaac, comme pour chercher son soutien. Elle en profite pour observer les gradins. Avec Candice, on n’est jamais sûr de rien, et s’il a envoyé quelqu’un pour la surveiller, autant le repérer maintenant. Mais il n'y a que des civils qui s'installent tranquillement, ravis d'être là. Il y a énormément de monde et si Helouri se retrouve vite auprès de faeliens enjoués, sa tenue parme jure avec les autres.
Enfin, la Capitaine prend la parole :
— Bonjour à vous. Avant de commencer la session d'entraînement, j'aimerai vous adresser un mot à propos de votre nouvelle camarade qui a rejoint l'école militaire il y a une semaine. June Albalefko ? Est-ce que vous souhaiteriez dire quelques mots ?
June s’empresse de rougir, puis elle avance d’un pas pour s’incliner, et saluer la Capitaine, ainsi que ses camarades, selon la coutume d’Odrialc’h. Elle a retenu la leçon des sélections, après tout.
— Je vous remercie de m’accueillir parmi vous, et je donnerais tout pour être à la hauteur de cet honneur, promet-elle.
Puis elle se redresse et regagne le rang. Pas besoin de s’étendre, elle doit juste montrer à quel point elle est honorée d’être ici, à quel point étudier sous l’égide de la Capitaine la ravie, et cela se voit sur son visage. Elle fera tous les efforts qu’il faut, elle sera une parfaite petite soldate. L’admiration qui brille dans ses yeux suffit à le montrer, même si seul Helouri est capable de dire qu’elle est feinte.
Ses camarades applaudissent et Isaac lève le pouce pour lui indiquer qu'elle a bien fait, puis la Capitaine explique l'entraînement du jour :
— Aujourd'hui, nous allons travailler vos aptitudes avec des combats improvisés. Vous vous battrez tous les uns contre les autres, mais aussi avec moi. Cela va permettre à June d'apprendre à mieux vous connaître et ensuite, nous ferons une petite compétition. À présent, je vais former les premiers binômes.
Isaac se retrouve contre Magdalène, Lothric contre sa petite amie, Ycalla contre la Capitaine et June, elle, contre Negishi. Quand il s'approche d'elle, le kitsune s'incline, puis lui adresse d'un ton badin :
— Tu vas tâter de mon sabre, la petite nouvelle ! Mais je suis quand même plus sympa que Lothric.
— Va crever, lui indique ce dernier avant que sa petite amie le tire par la capuche de sa robe.
June réprime un rire, et s’incline à son tour en souriant.
— Ne me ménage pas parce que je suis nouvelle, réplique-t-elle. Je veux progresser au mieux pour vous rattraper !
Elle lisse distraitement sa tresse, puis se met en garde. Dans les gradins, Helouri a sûrement remarqué sa moue charmée et le tic qu’elle utilise lorsqu’elle apprécie ce qu’elle voit, mais June sait trop bien comment user de son charme pour que ça soit flagrant quand on ne la connaît pas. Negishi a l’air abordable, et contrairement à Isaac, naïf et prêt à croire le premier venu clamant la grandeur d’Odrialc’h, il présente un défi plus intéressant. Petit à petit, June va se faire apprécier, créer son petit nid, et son frère n’y pourra absolument rien.
Il a réussi. Il a sué sang et eau, il s'est plié à tous les ordres de Candice et il est devenu savant dans le domaine de la médecine. Il a appris par cœur les règles du grand palais d'Odrialc'h, il a observé les serviteurs personnels jusqu'à atteindre leur excellence et il sait même se mettre en valeur, comme eux. Là, le dos bien droit, le regard rivé sur la porte à double-battants qui laissera bientôt apparaître la Capitaine, Helouri attend d'être choisi. Il est beau. Pour la première fois depuis longtemps, il se trouve beau. Ses longs cheveux nacrés sont noués en un chignon complexe dans lequel il a piqué des perles d'or ainsi que des accessoires en forme de coquillage. C'est aussi somptueux que discret, ça met le bleu glacé de sa peau en valeur. Sa nouvelle peau, à vrai dire, dont Helouri sait prendre soin parce que c'est important. Il ne peut pas avoir de boutons, de rougeurs, de pores dilatés et il doit prévenir les signes de la vieillesse. C'est ce que font tous les serviteurs personnels des hautes sphères d'Odrialc'h, peu importe que leur routine leur prenne du temps le matin, la journée et le soir.
Le regard d'Helouri est fier, ses longs cils blancs, ses lèvres pleines et sa silhouette qu'il a toujours vu comme famélique lui confère une beauté particulière dont il n'a pris conscience qu'il y a quelques mois. Il n'a plus honte d'être ce qu'il est à côté d'hommes forts et sculpturaux parce que lui, il a appris sa propre valeur.
Les mains croisées sur son ventre, il ressemble à un bijoux. Helouri ne voit pas ses concurrents qui se sont hissés à la finale des sélections, comme lui. À ses côtés, ils ne sont que des ombres qui mourront quand la Capitaine aura fait son choix. Elle viendra, elle entrera et ses yeux d'onyx se poseront sur le morgan paré d'or et de jade. Helouri a choisi sa tenue avec le plus grand soin car là aussi, il a appris à porter ce qui lui sied le mieux. Le tissu vaporeux épouse sa silhouette avec une délicatesse précieuse et les liserés couleur or rappellent les accessoires qui ornent ses cheveux nacrés. Les boucles domptées ne sont peut-être pas aussi belles, ni aussi impressionnantes que celles de la merveilleuse Hélios Soarre, mais Helouri y travaille encore. Même au sein du grand palais, son ascension n'est pas terminée car il devra devenir un serviteur digne de son rang. Il fera tout son possible, comme toujours. Pour exécuter la mission de Candice Milliget à bien, et puis… Pour elle. Il veut être mieux que lui-même pour elle.
La porte s'ouvre et Helouri se tend. Il est bon élève, il laisse ses émotions s'affoler dans son for intérieur sans se trahir, sans écarquiller ses yeux d'argent comme un imbécile ni laisser ses joues glacées se colorer d'un rouge stupide. Ce n'est pas de sa faute. Son béguin est un chestok qui s'envole dès qu'elle se trouve dans son champ de vision et il craint qu'il ne disparaisse jamais parce que quand il sera choisi, elle rythmera ses journées.
Elle deviendra plus que cette figure noble aux traits anguleux arborant un sérieux sans pareil, plus que ces yeux noirs en train de parcourir les finalistes avec attention, que cette natte auburn qui suit ses mouvements ou même que ce corps musculeux qu'il devine sous l'armure d'orichalque.
Helouri a honte. Face à Shakalogat Gra Ysul, toutes ses émotions, ses pensées et ses songes lui explosent au visage, comme les fautes d'un faeliens exposées à un jugement et sa honte grandit de plus belle. Mais Helouri n'est plus le morgan famélique que June a subtilement humilié lors de son premier entraînement sous la tutelle de la Capitaine, alors les yeux rivés droit devant lui, il décide d'assumer. Il est attiré par celle qui est comme l'océan pour un morgan aux branchies atrophiées : inaccessible. Il ne peut que la caresser du regard, s'échouer sur son rivage en songes, juste pour l'égaler un petit peu et imaginer le sel de sa peau contre ses lèvres. Il n'est pas celui qui pourra plonger dans ses abysses pour en découvrir tous ses secrets car il n'est pas un homme assez bien pour unir son cœur si faible avec le sien. Il restera sur la terre ferme pendant qu'un autre plongera à sa place et Helouri ignore encore si cette pensée le détruira un peu plus quand il partagera le quotidien de Shakalogat Gra Ysul en tant que serviteur personnel. C'est lui, non ? Elle va le choisir, n'est-ce pas ?
Peut-être qu'en réalité, sous le mythe de sa personne, elle est détestable. Helouri espère qu'elle l'est, même un petit peu, ainsi, le béguin s'en ira et il ne chutera pas au point où les émotions deviendront des sentiments.
Helouri retient son souffle quand elle le regarde. Il se transforme en statue imparfaite, parcourue par des frissons pendant que deux prunelles d'un noir d'encre s'attardent sur sa silhouette. La Capitaine prend son temps. Elle détaille son visage, sa mâchoire étroite, ses yeux frangés de longs cils blanc, ses lèvres pleines, puis ses cheveux. Elle passe son allure en revue et pour Helouri, c'est comme si elle l'effleurait sans même le toucher. Il espère de toutes ses forces qu'en cet instant, elle prenne la bonne décision. Elle doit penser qu'elle a besoin de lui. Que Helouri Ael Diskaret est le candidat parfait pour devenir son serviteur personnel et que la somme de tout son travail se trouve ici, dans des yeux qu'il adore et qu'il apprécie de voir de si près.
Derrière les crocs saillants, les lèvres minces de Shakalogat Gra Ysul s'animent, s'étirent, puis se tordent en un rictus méprisant pendant que son regard s'illumine d'une étincelle moqueuse.
— C'est ça, la carte maîtresse de Candice Milliget ?
Helouri laisse échapper une hoquet de stupeur. Il dévisage la Capitaine comme si elle venait de se transformer en fée, puis rive ses prunelles incomprises dans les siennes. Shakalogat Gra Ysul lève une grande main vers son menton, qu'elle caresse d'un air pensif sans lâcher Helouri du regard. Enfin, elle se penche vers lui, faisant cliqueter les pièces de son armure, puis elle lui murmure :
— Je crois que tu as oublié d'arranger ta tenue, petit Lou. Et tes cheveux.
Au bord de la nausée, le jeune morgan lève une main tremblante vers ses boucles nacrées qu'il trouve en désordre, puis une plainte quitte ses lèvres quand il sent ses vêtements devenir si lourds qu'ils se détachent de son corps. Helouri tombe à genoux. Paniqué, il attrape les étoffes, puis les rapporte vers lui afin de se cacher à la vue de tous.
La Capitaine, elle, s'accroupit avec lenteur, amusée par ce spectacle lamentable. Ses bras musculeux posés sur ses genoux, elle cherche les yeux d'Helouri, puis lui demande d'un ton goguenard :
— Il paraît que tu as le béguin pour moi ?
— Je vous l'avais bien dit, siffle la voix de June.
Le jeune morgan lance un regard effaré à sa gauche pour découvrir sa sœur, debout, le dos bien droit, vêtue de l'uniforme de l'école militaire. June le toise de toute sa hauteur, un rictus sur les lèvres alors qu'elle a un petit rire perfide.
— J'aurais mieux fait de te saigner… crache Candice Milliget.
Apparue à sa droite, la fée lui lance un regard si acéré que Helouri courbe machinalement l'échine comme si elle allait se jeter sur lui pour le dévorer.
— Je ne veux même pas savoir de quelles manières j'occupe tes pensées, petit Lou, lui souffle Shakalogat Gra Ysul.
Le jeune morgan écarquille les yeux. Son visage est si près que leurs nez se touchent presque, puis Helouri se met à crier quand la Capitaine l'attrape violemment par le cou.
Il se redresse brusquement, les mains moites et la panique marquant son visage blême. Le jeune morgan met quelques secondes à calmer sa respiration pendant que les vestiges de son cauchemar s'estompent pour lui montrer le décor d'une chambre d'hôpital. Helouri cligne des paupières à plusieurs reprises, puis pousse un long soupir. Son dos raidit lui rappelle que la dernière partie de sa nuit, assis au chevet de sa mère, a été inconfortable. Inconfortable, mais toujours mieux que sa chambre à coucher, dans l'auberge.
Le jeune morgan observe sa mère. Allongée dans son lit d'hôpital, Cristal Ael Diskaret semble dormir d'un sommeil paisible et personne ne pourrait prédire qu'en ouvrant les yeux, elle redeviendrait aussi inerte qu'une poupée de chiffon. Helouri attrape une mèche de ses cheveux turquoise et la fait glisser entre ses doigts fins. Il préfère cent fois être ici, auprès de sa mère, plutôt qu'à table avec son père et June qui ne manquerait pas de lui proposer de l'accompagner à son entraînement. L'humiliation cuisante de la première fois a marqué Helouri qui ne tient pas à revoir ses camarades de l'école militaire, ni la Capitaine.
Le jeune morgan se met debout. Il fait craquer son dos, puis étire ses membres engourdis. Plus tard dans la journée, il doit passer à l'entretien à l'hôpital pour un poste d'aide-soignant et il tient à le réussir haut la main. Chaque journée le rapproche un petit peu plus des sélections et pour rattraper son retard vis-à-vis des autres candidats, Helouri va devoir se démarquer dans le domaine qu'il chérit le plus. Mais avant cela, le jeune morgan va porter sa lettre à Doubine, puis…
C'est une mauvaise idée, lui souffle sa conscience, s'il l'apprend, il ne fera pas que te hurler dessus, cette fois. Tu te souviens de ce qu'il a dit, à Albacore.
Helouri ferme brièvement les yeux. Oui, il le sait. Il a longtemps pensé à Nevra Mircalla et Rose Clarimonde qui l'avaient approché sur le trajet jusqu'à Tantale et l'idée d'aller les retrouver sans en aviser Candice avait tout de suite été écartée. La fée Milliget l'a bien prévenu : lui, Helouri, futur candidat aux sélections, ne peut pas avoir de marques sur le corps, mais June le peut. Et si June se fait punir à cause de son cher petit frère, elle se vengera.
Helouri frissonne. Il ne veut pas imaginer ce que June lui ferait afin de lui faire payer une punition par Candice et c'est pourquoi se rendre au manoir Mircalla est la pire des idées. Mais Balam lui a dit qu'il serait bon d'avoir des alliés.
Les pensées d'Helouri vogue vers l'ancien guetteur. Il se souvient de lui, assis dans son fauteuil à roulettes après avoir tenu tête à Candice, l'air épuisé. La neige éternelle des Milliget le rendait si misérable, tout comme les événements qui l'ont tiré vers le bas jusqu'à le mener vers des choix qui n'en étaient pas. Selon Candice, Balam s'est accroché à la robe de Delta Milliget pour protéger sa vie, mais Helouri est persuadé que si son maître veut vraiment se venger, ça ne suffira pas. Le jeune morgan se mord la lèvre, indécis. Que veut-il vraiment ? La réponse est simple : il aimerait revoir Balam et entendre ce que Nevra Mircalla et Rose Clarimonde ont à lui dire. Il sait que Doubine lui a fortement déconseillé de se mêler des histoires des fées, surtout quand elles finissent en querelles familiales et Helouri n'a pas envie de se retrouver entre Candice et sa mère. Il devrait agir en bon dava et éviter de provoquer la colère de son maître qui verrait sa visite au manoir Mircalla comme une incartade à sa loyauté.
Helouri a retourné ce problème dans tous les sens. Il l'a fait pendant que les aides-soignants sont venus lever sa mère, donner sa douche et l'habiller. Il l'a fait aussi pendant qu'il a pris son petit-déjeuner tout en faisant manger Cristal, aussi apathique que d'habitude et il l'a fait pendant qu'il a écrit sa lettre à Doubine. Les rouages de sa faculté intellectuelles se sont activés afin de transformer cet important problème en solution, mais beaucoup d'ombres ne cessent de se dresser pour brouiller sa réflexion. Helouri a beaucoup hésité. Doubine est une connaissance avec laquelle il entretient une correspondance, mais elle n'est pas ce qu'il pourrait appeler une amie. Pas encore. Pourtant, sa plume à la main, ses yeux d'argent rivés sur sa feuille de parchemin, il a fini par écrire le mal qui le ronge, bien qu'il ait tenté de faire son deuil :
Chère Doubine,
J'espère que tu te portes bien et que les choses suivent leur cours à la petite Ozlomoth.
De mon côté, je dois admettre que mes journées sont assez difficiles. J'apprends la médecine, je m'occupe de ma mère, j'essaye de devenir un candidat parfait pour les sélections mais j'ai surtout l'impression de me noyer dans l'étang du manoir Milliget.
Avant, quand j'avais le cœur lourd, je pouvais me raccrocher à ma grande sœur mais à présent, elle n'est plus là, même si je la vois tous les jours. Je ne crois pas t'avoir déjà parlé de June.
J'ai rencontré June quand j'avais dix-sept ans. Elle venait d'arriver à la cité d'Eel et elle avait remporté son examen d'entrée pour la Garde Obsidienne quand moi, j'échouais le mien pour la Garde Absynthe. June n'avait pas de famille et quand nous nous sommes rencontrés, elle m'a rapidement pris sous son aile. Elle a toujours été mon exact opposé. J'ai toujours voulu être comme elle car les choses lui semblaient toujours si faciles. Elle ne s'inquiétait pas de grand-chose, elle vivait tout simplement et j'aurais aimé avoir sa force, son optimisme et son insouciance. Elle était gentille, elle avait beaucoup d'amis et personne n'aurait pu soupçonner qu'un monstre dormait en elle, surtout pas moi.
June a commencé à vivre à la maison peu de temps après son entrée à la Garde Obsidienne. Mes parents faisaient partie des gens qui proposaient une chambre à louer pour les nouveaux gardiens, en attendant que la Garde d'Eel leur attribue un logement. Finalement, June n'est jamais partie. Quand elle était là, c'était comme si elle avait toujours vécu avec nous et au fil des mois, puis des années, l'amour parental de papa et maman, puis le mien, en tant que petit frère, sont devenus évidents. Quand papa a remporté les sélections, maman et lui ont décidé d'adopter June de manière officielle avant notre départ pour Odrialc'h. Ensuite, il y a eu la catastrophe de l'Eel rouge et le monstre s'est réveillé.
Quand j'ai vu June changer, je me suis demandé si elle avait toujours été comme ça ou bien si elle l'est devenue à cause de ce qui s'est passé. Ou alors, à cause de moi. De ma faiblesse. Ce devait sûrement être trop éprouvant de devoir supporter Sexta, supporter Candice, l'enlèvement de maman, la descente aux enfers de papa, puis de me supporter, moi, qui continuait de m'accrocher à elle.
Aujourd'hui, elle a perdu son étincelle de vie. En y réfléchissant, je me dis qu'elle est presque dans le même état que maman, à la différence que c'est comme si tous les sentiments positifs l'avaient quittée pour ne lui laisser que la vengeance. Si je me dresse sur son chemin, elle s'en prendra à moi et je ne la pensais pas capable de ça. Je n'ai pas peur de ma sœur. Je l'ai perdue et j'ai décidé de faire mon deuil comme si elle était réellement morte car je pense qu'elle ne reviendra pas. Elle est partie trop profondément sur un chemin qui ne l'emmène qu'en enfer et puisqu'elle me déteste, à présent - je crois qu'elle me déteste - je ne peux rien faire.
Je ne sais pas pourquoi je te parle de tout ceci, Doubine. Si ça te dérange, alors tu peux faire comme si tu n'avais rien lu. Au moment où je t'écris, j'avais simplement besoin de tout raconter et j'en suis désolé.
Je ne sais pas si je peux me le permettre, mais pourrais-tu transmettre mes salutations à Suliag ? C'est lui qui te porte mes lettres, alors il serait impoli de ne pas au moins lui adresser un bonjour.
Navré pour cette lettre qui est assez brouillonne.
Amicalement,
Helouri
Il se sent plus léger. Raconter l'histoire de June, celle que le jeune morgan a connue avant qu'elle change, raconter comment Candice a tout détruit en plus des murs de feu la cité blanche et comment lui, Helouri, a pu apporter sa fragile petite pierre à l'édifice du monstre de June. Son deuil lui fait mal. En roulant son parchemin avant de le sceller avec une cordelette, le jeune morgan a l'impression que ça ne sert plus à rien parce que quoi qu'il puisse penser, June est vivante. L'amour fraternel qu'il lui voue depuis toutes ces années est bel et bien là, intact, impossible à écraser par la force de la volonté.
Sur le chemin jusqu'à Tantale, Helouri s'est de nouveau concentré sur le problème de Balam, Rose et Nevra. Écrire à Doubine lui a rappelé à quel point il est seul et que sans alliés, les choses deviendront de plus en plus difficiles. Helouri a conscience que Candice est une véritable prison. La fée Milliget lui demande un dévouement entier pour la complexe mission qu'elle lui a confiée et tout ce que le jeune morgan doit faire, c'est obéir. Que penserait Candice s'il apprenait que son dava est allé à la rencontre de Rose, Nevra et Balam ? Peut-être que Helouri devrait simplement aviser son maître de la première prise de contact et lui demander l'autorisation de se rendre au manoir Mircalla. Les informations qu'il peut apprendre là-bas sont susceptibles d'intéresser Candice, après tout. Surtout si Delta manigance quelque chose contre son fils, même si Helouri en doute. Il n'y a rien de plus important que la famille et le peuple, chez les fées.
Quand il quitte Tantale pour regagner Odrialc'h, le jeune morgan malmène tant ses boucles nacrées qu'elles sont en désordre. L'hésitation lui tord les entrailles. Il a l'impression d'être un familier dans une cage ouverte, craintif de mettre une patte dehors de peur que son geôlier lui tombe dessus. Helouri se fige. Il peut voler hors de sa cage tant qu'il y retourne de son plein gré, n'est-ce pas ? S'il ne cache rien à Candice, alors tout ira bien. Tout ira bien, tant qu'il reste un bon petit dava soumis à son maître.
Helouri ferme les yeux en essayant de son convaincre qu'il a raison puis, avant de changer d'avis et de laisser la peur l'envahir, il prend la direction du manoir Mircalla.***
L'éminente famille des Mircalla fait partie des élus qui ont le droit de posséder une résidence secondaire dans le quartier de Dazavenn, entre Meskem, la ville-basse, puis le grand palais. Les gens de bonnes familles se situent au milieu de la pyramide d'Odrialc'h et peuvent donc en contempler le sommet juste en levant la tête et c'est que fait Helouri.
Les pieds bien campés au sol, il admire la merveilleuse silhouette du grand palais d'Odrialc'h en essayant de ne pas regretter sa décision. L'orichalque, l'or et l'architecture de la bâtisse captivent son regard et le jeune morgan se surprend à imaginer la vie des gens bien-nés et de leurs serviteurs personnels, à l'intérieur. Cela l'empêche de penser à quel point il est trop tard pour lui qui se trouve désormais devant le manoir des Mircalla. Si Candice l'a fait suivre, alors il le sait déjà et Helouri n'aura plus qu'à s'expliquer en priant pour que l'impétueuse fée Milliget ne punisse pas June. Il souffle par le nez. Le manoir se dresse comme une ombre trop précieuse, une demeure de charme que toute une vie de labeur ne suffirait à payer tant que le prix que peut coûter un domaine comme celui-là est exorbitant.
En montant les marches du perron, Helouri réalise qu'il entend quelques bruits de nature. Le manoir doit certainement comporter un jardin, voire même un petit parc dans la cour arrière et il est certain que les Mircalla ont dû le faire entretenir. Helouri passe la bâtisse en revue.
Ses murs couleur crème soutiennent un toit de tuiles bistres. D'immenses fenêtres cintrées protègent l'intimité des occupants qui ont tiré de lourds rideaux cramoisis en velours. À première vue, la demeure a l'air charmante, comme celle des Milliget mais Helouri est bien placé pour savoir que ça ne veut rien dire. Il déglutit, lève une main pour se saisir du heurtoir en forme de sersea, mais avant qu'il n'ait pu l'attraper, la porte s'ouvre.
Helouri a à peine le temps de reconnaître l'air chafouin du visage de Nevra Mircalla que ce dernier l'attrape par le bras pour le traîner à l'intérieur. Le jeune morgan n'a pas le temps de comprendre qu'il se retrouve dans l'entrée, face à un immense salon. Ses pieds s'enfoncent dans un tapis moelleux, couleur sable et blanc cassé sur lequel des ornak se livrent une danse. Les murs arborent des tapisseries d'or et d'albâtres puis, plus loin, des élégants fauteuils en toile sont disposés autour d'une petite table en bois verni.
— Balam ! s'enquit Helouri quand il reconnaît l'ancien guetteur.
Assis sur l'un des fauteuils, Balam Lefaucheur lui adresse un sourire fatigué. Ses longs cheveux d'encre sont rassemblés en un catogan lâche et ses pupilles opaques sont éteintes. L'elfe noir est vêtu d'une chemise d'un gris terne, puis d'un triste pantalon brun. Helouri regrette l'uniforme azur des guetteurs qui lui allaient si bien, tout comme son sourire aimable d'antan.
— Bonjour, Helouri, le salut Balam, est-ce que ton maître sait que tu es là ?
Le jeune morgan secoue la tête. Pas encore. Il sent une pierre couler dans ses entrailles à la pensée qu'il livrera Balam à Candice. Non. Il se reprend : il ne livrera pas Balam, il livrera des informations. Seulement des informations.
— Je n'espère pas, argue Nevra Mircalla d'une voix forte, mes parents ont vendu quatre de leurs chers voiliers pour s'acheter ce manoir. Cela les chagrinerait de savoir qu'il a été détruit par le pire des Milliget.
Le vampire a achevé la fin de sa phrase d'une voix basse, comme s'il craignait d'être entendu. Helouri lui répond un regard effaré, mais Nevra se contente d'un clin d'œil avant de le pousser gentiment vers le salon. En entrant dans la pièce, le jeune morgan remarque Rose, debout près d'une fenêtre, à jeter des regards vers la cour arrière comme s'il craignait que Candice s'y soit caché.
— Laisse tomber, mon ami, lui indique Nevra, si menace il y a, elle ne passera pas par la fenêtre et encore moins par la porte, mais plutôt par le plafond.
Rose réprime une grimace, jete un regard méfiant à Helouri, puis rejoint le vampire Mircalla en se postant à côté de lui. Tous deux se tiennent derrière Balam, comme s'ils s'occupaient de sa protection face à la moindre menace. Comme Rose l'avait dit lors de leur rencontre près de Tantale, Balam se porte mieux, mais il n'est plus que l'ombre de lui-même.
Helouri se tasse sur lui-même face à ces trois visages. Il se bat contre la honte de ses intentions, quand il sortira d'ici, la satisfaction de les voir, puis la curiosité de ce qu'il va apprendre.
— Helouri, l'interpelle Balam d'une voix très douce, est-ce que Candice t'as donné une autre mission que celle de remporter les sélections pour entrer au grand palais ?
— Non, répond immédiatement le jeune morgan, rien d'autre.
Balam hoche la tête. Helouri tente de lire dans ses yeux blancs, mais il n'y a rien. Il tord ses longs doigts fins, perplexe, puis embarrassé du silence qui s'est abattu, il finit par demander :
— Vous aviez dit que la reine Delta Milliget voulait faire sortir quelqu'un du grand palais.
— Nous l'avons dit, en effet, sourit Nevra.
— Alors…
Le vampire Mircalla l'interrompt d'un doigt sur les lèvres. Helouri peine à comprendre puis, quand un grand froid s'abat sur la pièce, il réalise enfin que depuis le début, Nevra, Rose et Balam ont attendu quelqu'un. Helouri serre son maigre torse de ses bras alors que la température chute drastiquement et que l'air devient glacial. Derrière lui, un haute silhouette drapée d'un voile hivernal a lentement refermé la porte de la grande cuisine pour rejoindre les dava de sa mère en silence, puis aviser celui de son frère.
Helouri se retourne d'un geste vif pour le regarder, écarquillant les yeux. Même s'il ne peut pas voir son visage, il se sait observé, non pas comme si la fée cherchait une faille, chez lui, comme peut le faire Candice, mais comme si elle cherchait à expliquer le choix de son frère. Pourquoi un morgan tel que Helouri pour remporter les sélections ? La réponse est simple : parce qu'il est malléable. Si malléable que Candice n'a qu'à le briser pour le reconstruire à sa guise.
La fée Milliget pose une petite fiole remplie d'un liquide bleuté sur la table en bois. Balam s'empresse de la remercier avant d'ôter le bouchon, puis d'en avaler le contenu.
Un analgésique, songe Helouri.
— Toi qui doit entrer au grand palais sur ordre de mon frère, est-ce qu'il t'as expliqué pourquoi ?
Le jeune morgan sursaute quand une voix grave s'adresse à lui. La fée Milliget s'est assise dans un fauteuil. Avec des gestes mesurés, elle lève les mains, saisit le tissu fin de son voile, puis tire dessus afin de révéler son visage.
Ses traits sont nobles, son regard est du même gris que Candice mais plutôt que l'acier acéré, il ressemble à une brume emplit de sagesse. Son front est haut, son nez, droit et ses lèvres carmins jurent avec le blanc immaculé de sa peau, puis ses boucles irisées qui drapent sa maigre silhouette comme une cape boréale. Si Candice inspire la peur, son frère impose un respect beaucoup plus juste, aussi juste qu'il puisse être pour ceux qui ne font pas partie de son peuple. Quand il pose une question, Helouri se dépêche de lui répondre parce qu'il ne craint pas une punition, mais juste de passer pour une vermine.
— Pour localiser les enfants et les anciens de votre peuple, répond immédiatement le jeune morgan.
— Rien d'autre ?
— Rien d'autre.
Helouri sent ses membres se mettre à trembler. Il y a le froid, mais il y a l'aura, la présence de la fée aussi paisible et mordante que l'hiver. Le jeune morgan a l'impression de s'être rendu au sein d'un tribunal afin d'être jugé.
Le silence s'abat. Nevra, Rose et Balam attendent, leurs yeux rivés sur la fée Milliget qui s'est plongée dans ses réflexions sans lâcher Helouri du regard. Enfin, elle reprend :
— Mon frère, ton maître, a certains projets concernant la situation actuelle de notre monde. Ma mère, la reine et moi-même, Shelma Milliget, en avons d'autres. Nos attentes sont similaires mais nos buts sont différents.
Le jeune morgan ne répond pas. Dans son for intérieur, il se demande comment Delta, Shelma et Candice Milliget peuvent partager des attentes sans embrasser le même but. Pour lui, cela n'a pas de sens mais il préfère se taire.
— Est-ce que tu vois quelque chose dans cette pièce, dava teb Qenndys ?
La question le surprend. Helouri hausse les sourcils, balaye machinalement le grand salon du regard, puis secoue la tête. Ici, il n'y a que lui, la fée, Rose, Nevra et Balam. Rien d'autre.
— Alors c'est bien ainsi, conclut Shelma.
— Qu'est-ce que j'aurais dû voir ? ose Helouri.
Mais la fée Milliget ne lui répond pas. À la place, elle aborde le sujet du grand palais, puis ce que Delta Milliget aimerait en sortir. Une personne, à vrai dire.
— Une racine, précise Nevra Mircalla en levant un doigt.
— Une racine ?
Face à l'air perplexe d'Helouri, le vampire contourne le fauteuil et se met à marcher, les mains derrière le dos. Il explique que contrairement à Delta et Shelma Milliget, Candice préfère garder ses dava dans l'ignorance car à ses yeux, ils ne sont que des outils bons à lui servir. Leurs cerveaux ne méritent pas la connaissance des fées et Helouri peut juste s'estimer heureux d'apprendre la médecine sous sa tutelle.
— Tu dois entrer au grand palais pour localiser les anciens et les enfants du peuple des fées, poursuit Nevra, mais il serait bon que tu profites de ta position pour faire sortir une racine. Candice… - Shelma lui jette un regard d'avertissement - Maître Candice avait prévu de s'en occuper après avoir affronté la justice d'Odrialc'h mais il vaut mieux que la racine se trouve hors du palais à ce moment-là.
— Excusez-moi, mais qu'est-ce qu'une racine ? demande de nouveau Helouri.
C'est Shelma Milliget qui lui répond. Une racine, c'est le résultat du savoir des fées ainsi que de l'avidité des gens bien-nés. C'est le sort réservé à ceux qui versent leur sang afin d'ouvrir un portail vers la Terre mais qui pourrissent le monde d'Eldarya pendant plusieurs années, jusqu'à ce qu'ils soient sacrifiés.
— Les sols d'Eldarya sont actuellement gangrénés par des cristaux qui les empoisonnent, explique Shelma, ces mêmes cristaux ne sont que des catalyseurs qui réagissent aux racines. Ces dernières portent en elles le poison sous sa forme la plus pure grâce à une racine qui a été implanté dans leur organisme quand elles étaient enfant. C'est pourquoi elles sont appelées ainsi.
Et quand elles sont sacrifiées pour l'ouverture d'un portail, les racines sont extraites de leurs dépouilles, puis immédiatement greffées à d'autres. C'est un cycle qui ne trouvera sa fin uniquement quand les hautes sphères d'Eldarya auront toutes migrées sur la Terre.
— Notre grand-père et ancien roi, Polaris Milliget, a développé la racine, reprend Shelma, mais il avait également commencé à réfléchir à un contre-poison. La sève.
Contrairement à la racine, la sève coule dans le sang de leurs hôtes. Les cristaux enfoncés dans les sols d'Elarya devraient réagir à son contact, puis s'éteindre. Ainsi, les racines cesseront de diffuser leur poison.
— Si je comprends bien, réfléchit prudemment Helouri, votre grand-père n'a pas eu le temps d'achever son travail ?
— En effet, mais mon frère Candice l'a fait. La sève a déjà été implantée dans quatre hôtes et ses effets seront testés après le jugement. C'est pourquoi il est important que la racine qui se trouve au grand palais soit dehors.
Helouri hoche la tête. Il se demande tout de même qui a bien pu vouloir servir de cobaye à Candice, tout comme il songe à l'identité de la racine elle-même. Est-elle un serviteur ou bien un membre de la noblesse ?
— Dava teb Qenndys, l'interpelle Shelma.
Le jeune morgan lève les yeux vers lui, prêt à écouter. La fée Milliget lui demande de retenir des noms. Quatre noms. C'est extrêmement important car ils lui seront utiles lorsque son maître passera en jugement. Ils lui seront encore plus utiles s'il réussit à mener sa mission bien et si la racine se trouve en dehors du grand palais, lorsque Candice abattra l'une de ses cartes face à la justice d'Odrialc'h.
Les quatre hôtes de la sève se réveilleront et Eldarya connaîtra de nouveaux tourments pour la longue et pénible réparation de son monde. Et pour le haut et terrible mur que Candice compte dresser entre Odrialc'h et la conquête terrienne.
Shelma présente sa paume et plie le pouce. Quatre doigts pour quatre noms.
Les sujets humains Yeva, Erika, Lysandre et Castiel.
De Doubine à Helouri - Lettre Numéro 4
Petit Poisson,
J'espère que tu te portes mieux. Je suis désolée de te répondre bien tard, mais je dois admettre que je ne savais pas vraiment quoi t'écrire. Ta lettre m'a laissée pensive et je ne voulais pas te répondre à la hâte. Tu vis de sales journées, Lou et j'ai pris le temps de réfléchir à ce que je pouvais te conseiller. Je ne connais pas ta situation familiale. Je n'ai pas de frères et sœurs et même si ma mère peut être pénible, elle n'est pas un monstre. Elle n'en est pas un, mais je ne dis pas qu'elle n'en a pas. Je pense d'ailleurs qu'on en a tous un et que ce sont de terribles évènements qui peuvent le réveiller, comme pour ta sœur. C'est triste qu'une histoire si belle se finisse ainsi. La vengeance ne lui apportera rien, c'est une évidence et l'ennemie qu'elle s'est choisie de traquer est grande.
Puisque tu m'as écrit avec sincérité, je vais te répondre de la façon la plus honnête aussi : je crois que tu as été lâche de faire ton deuil. On ne fait pas le deuil d'une personne vivante, Lou, et en faisant cela, c'est comme si tu abandonnais ta sœur. Puisque tu t'es accroché à elle quand elle était bien portante, il serait naturel qu'elle puisse faire de même avec toi. C'est trop facile de profiter de nos proches quand ils vont bien pour s'enfuir quand ils vont mal. Je n'ai pas besoin de te dire que ta sœur est au plus bas et qu'elle est en train de s'enterrer en enfer. Tu es capable de faire des efforts pour Candice parce qu'il te fait peur mais pas pour ta sœur ?
Plutôt que de l'abandonner, soit un frère et reste auprès d'elle. Fais ton maximum, élargit tes épaules pour la porter avec ta mère et peu importe combien elle est méchante, passe du temps avec elle. Si elle tient à se perdre, elle se perdra mais toi, fais tout ce qui est en ton pouvoir pour que cela n'arrive pas. Deviens plus fort si c'est ce qu'il faut faire, deviens beaucoup plus fiable et soit simplement présent. Affronte ta sœur pour son bien et pour le tiens, mais ne l'enterre pas alors qu'elle respire encore. Quel genre de frère ferait ça ? Est-ce que j'aurais dû enterrer ma mère quand elle m'a mise à la porte pour avoir fréquenté une goule qu'elle n'aimait pas ? Bien sûr que non. Tout n'est pas tout noir ni tout blanc, petit poisson et le faelien est un être complexe. Tu as ton rôle à jouer dans ta famille alors joues-le.
Suliag te passe le bonjour, enfin je crois. Il est persuadé que nous sommes amants mais ne t'en fais pas, j'ai clarifié la situation. Ne lui en veut pas, il n'est pas le couteau le plus affûté du tiroir et je crois qu'il fait une obsession sur les relations amoureuses depuis qu'il essaye de courtiser sa selkie. C'est ça, les enfants de Charybde et Scylla quand ils sont en âge de se reproduire. Suliag défend les frontières des montagnes noires avec ses deux frères, Yeltaz et Artus. Comme tous les membres de leur espèce, ils ont une énorme mâchoire dans le ventre qu'ils doivent nourrir aussi souvent que possible pour éviter de ressentir une faim dévorante. Ils peuvent faire peur, mais ils sont avant tout des personnes comme toi et moi, alors évite de les voir comme des monstres. Je pense que tu t'entendrais bien avec Suliag, il a le sang belliqueux de son espèce, mais il est calme et taciturne.
Je m'arrête ici, petit poisson. Essaye de réfléchir à ce que j'ai dit, d'accord ?
Amicalement,
Doubine
Il y a quatre ans
Les jardins du grand palais s'embrasent sous un soleil magnifique. Les fleurs exhibent des couleurs merveilleuses, le vert des pelouses est un appel aux promenades et nombreux sont les membres de la noblesse à profiter de la belle saison. Depuis sa chambre à coucher, Sheraz les observe, un pincement au cœur. Aujourd'hui aurait dû être une journée particulière. Il avait promis à Sira une promenade pour aller voir les fleurs et peut-être aussi des lovigis. Sheraz lui a raconté que si on a la chance de trouver une plume de lovigis, alors il faut faire un vœu et il se réalisera. Il n'en a pas fallu plus pour que la fée Milliget veuille à tout prix sortir dans les jardins. Mais Sheraz est tombé malade, encore. Il n'a pas l'énergie pour une promenade et Hélios sait qu'il a pourtant fait des efforts parce que cette sortie, c'était pour lui une véritable bouffée d'oxygène.
— Là ! s'exclame une voix enjouée.
Sira bondit hors de son fauteuil pour se précipiter vers la fenêtre. Il est persuadé d'avoir vu un lovigis. Sheraz se penche pour observer, puis secoue la tête, un doux sourire aux lèvres :
— Ce n'est pas un lovigis, Sira. C'est un beckett.
— Ah…
Déçue, la fée Milliget se rassoit. Puisque Sheraz est trop fatigué pour sortir, alors Sira est venu passer la journée avec lui. Ce n'est pas grave s'ils restent tous les deux dans la chambre et s'ils doivent chercher les lovigis derrière un carreau. Sheraz a craint que son ami ne soit déçu et finisse par s'ennuyer, mais Sira ne s'ennuie jamais. L'heure du goûter approche, d'ailleurs et Hélios ne va pas tarder à leur apporter le thé et des petits gâteaux.
Avec la présence de Sira, la température de la chambre a drastiquement baissée, mais ce n'est pas important. Sheraz a fini par apprécier le froid plus que la chaleur, de toute manière et il préfère mille fois la proximité de son ami plutôt que le soleil d'été.
— Après le goûter, reprend Sheraz, Shelma sera sûrement d'accord pour t'accompagner dans les jardins, si tu veux.
Sira secoue la tête. Il n'a pas prévu de partir, après le goûter, sauf si Sheraz veut se reposer. Mais Sheraz ne veut pas qu'il parte non plus. Le jeune elfe Alfirin se laisse aller contre le dossier de son fauteuil, le regard tourné vers l'extérieur. Sira cherche toujours les lovigis. Même s'il a chaud, il a préféré délaisser son grand voile hivernal, qui repose en boule près de la petite table. À plusieurs reprises, leurs mains se frôlent et Sheraz finit par saisir celle de Sira.
— Tu vas avoir très froid, fait remarquer la fée Milliget.
— Ça ne me dérange pas.
Leurs doigts s'entremêlent et Sheraz a un frisson quand le froid court le long de son bras. Tenir la main d'une fée, c'est comme sauter à pieds joints dans une baignoire de glace. Mais pour Sheraz, c'est un beau moment dans une belle journée.
— Merci d'être resté avec moi, Sira.
— Pourquoi tu dis merci ? Je préfère être ici, avec toi, que dans les jardins, sans toi.
Sheraz sent son estomac faire un bond. Il sait que l'esprit de Sira n'est guidé que par la logique. Depuis qu'il le connaît, il a appris à comprendre les fées. La famille et le peuple sont au centre de tout, même de leur amour. Il n'y a pas de place pour des partenaires de vie et elles n'en ont pas besoin, alors l'affection que Sheraz peut lire chez Sira, il sait qu'elle n'est menée que par une belle amitié. Mais parfois, tout à l'air différent.
— Je dis merci parce que tu voulais tellement profiter des jardins tant que tu es là. Il n'y en a pas de tels, chez toi.
— On s'en fiche, répond Sira en haussant les épaules, je voulais surtout trouver une plume de lovigis pour faire un vœu…
La fée Milliget le déplore et Sheraz lui demande avec un sourire ce qu'elle aurait souhaité. Il observe son ami se plonger dans une longue réflexion, les lèvres pincées, ses sourcils d'un rose pâle froncés au-dessus de ses yeux bruns et enfin, Sira avoue qu'il ne sait pas comment il pourrait réunir tous ses souhaits en un seul.
— Comment ça ? s'intéresse Sheraz.
— Eh bien… songe la fée Milliget, ils prennent le même chemin, mais doivent passer une étape importante pour y arriver. C'est compliqué. Je ne sais pas comment expliquer ça. Ou plutôt…
Le visage de Sira s'éclaire. Il lève un doigt, ravi, puis décrète que de toute façon, tout ce qu'il aurait à demander, c'est d'être courageux. Avec le courage, on peut faire plein de choses. On arrive à surpasser la peur et l'incertitude et on est moins idiot. Sira pense que son esprit imbécile est ainsi, en partie à cause d'un manque de courage.
— Tu n'es pas idiot, lui affirme Sheraz, tu es très savant, Sira. Tu m'apprends de nouvelles choses chaque jour et pour moi, tu es la personne qui pose le regard le plus pur sur le monde.
— Oui, mais…
Sheraz sent la main de Sira se crisper. La fée Milliget s'est désintéressée des jardins. La tête basse, ses yeux bruns fixés sur le tissu bleu de sa robe, elle est en proie à une hésitation profonde. La culpabilité pique une aiguille dans la poitrine du jeune elfe Alfirin, qui songe qu'il a peut-être été trop indiscret, avec sa question.
— Si tu veux garder ça pour toi, tout va bien, le rassure Sheraz, tu n'es pas obligé de tout me dire.
— Non, avoue Sira, de toute façon, c'est trop grand et j'en ai assez. Ça prend trop de place. J'aimerais bien que tu puisses porter une partie de mon vœu avec moi, mais je ne sais pas si tu vas être d'accord.
Il y a peu de chances que Sheraz ne soit pas d'accord. Sira a dit qu'il aimerait être courageux et le jeune elfe Alfirin pense que c'est peut-être pour s'imposer un peu plus dans sa famille, pour apprendre la médecine à son tour, pour se dérober à l'autorité de Candice… Mais Sira lui fait face. Son autre main prend la sienne et Sheraz le regarde. Son cœur s'accélère. Il ne sent plus le froid. Il a l'impression qu'il y a un levier qui s'est abaissé pour faire changer quelque chose et d'un autre côté, il est persuadé que ce qui est en train de naître va vite être douché. Face à lui, Sira fait appelle à toute sa concentration, chasse les pensées parasites qui veulent jouer avec lui et se plonge dans l'instant présent parce que ce qu'il s'apprête à dire est très important. Quand il se met à parler, il baisse quelque peu la voix, parce qu'il n'est pas courageux et qu'il craint ce que Sheraz va penser.
— Je voudrais être courageux pour aller voir maman, Shelma et Candice et leur dire que je suis capable de faire quelque chose par moi-même. Je voudrais être assez courageux pour leur dire que je veux… Que je veux aller voir tes parents… Pour leur demander ta main. Comme ça, en te mariant avec moi, j'aurais le droit de te sortir du grand palais pour t'emmener au royaume des fées. Là-bas, tu seras sauvé et en faisant partie de ma famille, même Candice sera obligé de te défendre.
C'est ça, non ? C'est de l'amour quand on veut se lier à quelqu'un ? C'est ça qui prend tant de place ? Est-ce que tu peux le porter avec moi ?
Sira a l'impression qu'une main invisible est venue le libérer d'un poids, mais tout son être est frappé par une peur immense quand il voit les yeux de Sheraz se remplir de larmes. Il regrette de lui avoir dit… C'est terrible… Sheraz va le détester, à présent et Sira ne sait pas ce qu'il devra faire pour être pardonné. Mais toutes ses craintes s'envolent quand Sheraz penche son visage vers le sien pour ravir ses lèvres. Celles de Sira sont trop froides, celles de Sheraz sont trop chaudes et ça n'a pas d'importance.
La porte s’ouvre alors pour laisser passer Helios, qui apporte le thé avec sa bonne humeur habituelle. La jeune femme n’a pas toqué, parce qu’elle a les mains pleines, et son sourire se fige légèrement alors que son salut joyeux s’éteint. Elle écarquille ses jolis yeux, s’empresse de poser son plateau et ferme vivement la porte, en s’assurant que personne ne traîne dans le couloir. La jeune femme s’incline ensuite gracieusement, en secouant ses boucles rousses.
— Toutes mes excuses, maître Sheraz, maître Milliget. J’apporte le thé, souhaitez-vous que je revienne plus tard ?
Elle se redresse et hausse un sourcil pour arborer une moue tendre en fixant leurs mains, qui se sont brusquement quittées.
— Puis-je… commence-t-elle prudemment. Vous suggérez de vous assurer la tranquillité, en fermant la porte à clé ou bien en y indiquant que vous ne souhaitez pas être dérangés ?
Sheraz a un sursaut et se recule comme s'il venait de se brûler. Il écarquille ses yeux noisettes en remarquant la présence d'Hélios. Face à lui, Sira s'est figé, l'air hagard après son envolée d'émotions et il réalise qu'une troisième personne se tient dans la pièce, à son tour.
— Hélios… s'empresse Sheraz d'une voix hachée, Vous…
Perdu, le jeune elfe Alfirin jette un regard effrayé vers la porte, comme s'il s'attendait à ce qu'elle soit enfoncée par Candice Milliget qui lui ferait payer le baiser qu'il a échangé avec son frère. Il secoue la tête, puis reprend d'un ton rapide :
— Hélios, est-ce que vous pourrez garder…
— Ne dit rien à personne, s'il te plaît, intervient la petite voix de Sira, les autres ne doivent pas savoir, parce que je suis une fée et parce que c'est moi.
Sira adresse un regard bienveillant à Hélios. Il sait qu'il peut compter sur elle parce qu'à la fin des sélections, il est celui qui l'a choisie pour Sheraz malgré lui.
Hélios prend un air étonné, tout en récupérant le plateau. La jeune femme s’avance pour servir le thé, puis esquisse un sourire complice.
— Dire quoi donc, jeunes maîtres ? demande-t-elle. Et surtout à qui ? Je ne vois que ce qui vous sert, et je suis aveugle à ce qui pourrait vous causer du tort, vous le savez bien.
Elle dispose les petits gâteaux et les tasses, avant de jeter un nouveau regard prudent vers la porte. Son expression se fait sévère, alors qu’elle pose les mains sur ses hanches. Elle se fiche bien du sexe de la personne qui ravira le cœur de Sheraz, mais son ouverture d’esprit n’est pas partagée par tous.
— Vous devez être plus prudents, à l’avenir, tous les deux, leur dit-elle. Vous pouvez me faire confiance, mais vous savez qu’ici, les choses ne sont jamais aussi simples. Je sers maître Sheraz, c’est donc à lui que je rends des comptes, mais imaginez que quelqu’un d’autre soit entré ? Promettez-moi que vous ferez attention.
Elle sera d’autant plus vigilante maintenant, mais deux précautions valent mieux qu’une.
Par MayaShiz
Abords de l'hôpital de la Grande Auréole, instant présent
L'hôpital universitaire de la Grande Auréole s'élève comme un véritable monument. Il est le cœur du quartier de Meskem, le plus animé, là où les marchands se rencontrent et où les pêcheurs viennent vendre les familiers marins qu'ils ont attrapés. Le Gouverneur Suprême a tenu à ce que l'hôpital soit accessible à tout le monde, peu importe les moyens financiers et c'est la raison pour laquelle il l'a fait construire dans le quartier de Meskem.
Impressionnante, la bâtisse se hisse sur une dizaine d'étages, puis s'étend vers un campus où se retrouvent les étudiants en médecine. Aussi, le Gouverneur Suprême a pris soin de faire construire un lotissement de beaux manoirs pour les médecins et leurs familles. Selon Liu Wan Zi et les rumeurs, ce serait ici que la fée qui a détruit les Abysses vivrait en attendant son jugement.
Hélios observe le flux des faeliens. Beaucoup vont et viennent pour des consultations, pour acheter des médicaments, sans compter les étudiants. Les portes de l'hôpital sont grandes ouvertes et en pénétrant dans le hall, il est possible d'atteindre les différents services via les étages ou bien de se rendre sur le campus et dans le lotissement. Véritable plaque tournante, elle apporte aussi son lot de conversations.
— Mara, donne-moi l'ordonnance de ta mère, s'il te plaît.
— … Savais bien que j'allais me vautrer.
— Tu m'enlèveras pas de la tête que c'est pas un grain de beauté, ça !
— Quatrième étage, deuxième salle d'attente à droite. Le docteur Korash va vous recevoir.
— Le petit morgan avec un truc pareil ? Arrête, je vais vomir. C'est peut-être juste un messager du pôle judiciaire.
— … Un petit souci… Vous voyez… Non ? Bon. Je peux consulter un urologue, s'il vous plaît ?
— … Gardes civils gardent le morgan sous surveillance. Franchement, je n'aime pas ça. Je ne comprends même pas pourquoi on laisse la fée recevoir des visites. Je te mettrais tout ça en prison, ce serait vite fait !
Hélios observe toute cette agitation d’un œil curieux. La mention de la fée, ainsi que d’un morgan qui lui rendrait visite, attire plus particulièrement son attention, mais elle n’est pas idiote au point d’aller directement demander aux intéressés. Il serait étrange pour une servante personnelle comme elle de se rendre à l’hôpital pour poser ce genre de question. La jeune femme plaque un joli sourire sur ses lèvres, puis elle s’approche de la banque d’acceuil pour saluer la personne en face d’elle.
— Le soleil vous éclaire. Pardonnez-moi de vous déranger, on m’a dit que le docteur Le Preux se trouvait ici. Est-il disponible ?
Tout en parlant, elle en profite pour capturer le moindre détail du hall d’entrée, à la recherche de la peau caractéristique des morgans. Peut-être pourra-t-il la renseigner si elle s’y prend bien.
Son interlocutrice, une sirène en blouse rose, s'incline respectueusement. Les serviteurs personnels du grand palais sont de vrais vedettes, à l'extérieur et quand Hélios se trouve quelque part, elle ne passe jamais inaperçue.
— Mes respects, Mademoiselle Soarre. Le docteur Le Preux est rentré il y a une semaine, en effet. Il consulte aujourd'hui, souhaitez-vous que je le fasse appeler ?
Parmi la foule qui se presse dans le hall, Hélios attrape la peau lavande d'une morgan en blouse en train de pousser un patient en chaise roulante, une autre, d'un vert de jade, d'un morgan aux cheveux brun coupé courts, en train d'étouffer un bâillement pendant que l'un de ses amis lui vante les mérites d'une bonne sieste après les cours. Puis, une petite silhouette à la peau bleue glacée émerge d'un couloir. Ses boucles nacrées sont rassemblées en une queue de cheval haute et il porte une tunique grise sous un long gilet vert, avec de petits becolas brodés. L'air fatigué de son visage indique de longues journées et quand il apparaît, quelques regards méfiants lui sont jetés.
Son intuition se trompe rarement, et elle lui souffle que le morgan gardé sous surveillance, c’est celui-ci. Elle sourit à la sirène, puis lui tend une lettre soigneusement rédigée.
— Mon maître en sera soulagé, répond Hélios. Je ne vais pas le déranger, serait-il possible de lui transmettre ceci ?
— Bien sûr, Mademoiselle.
Le sceau des Alfirin est gravé sur la cire. C’est une invitation à prendre le thé de la part de Sheraz, pour Camille et sa sœur. Elle ne manquera pas de savourer le petit visage déconfit des sœurs Orecaille lorsqu’elles verront les Le Preux en compagnie de Sheraz, et cela permettra également de faire taire leurs commérages au sujet de son maître. Hélios adresse un nouveau sourire à la sirène, sans perdre le morgan des yeux. Une missive à la main, ce dernier lève les yeux vers les étages comme s'il cherchait un service. Après avoir vérifié ses informations à plusieurs reprises, le morgan range son courrier, puis quitte l'hôpital. Une fois dehors, il prend la direction du lotissement et il n'en faut pas plus pour que les gardes civils chargés de la protection de la Grand Auréole lui emboîtent le pas afin de le tenir à l'œil.
Hélios plisse les siens. C’est ennuyeux, car elle n’a aucune raison de se rendre au lotissement. Néanmoins, elle a gravé le visage du morgan dans son esprit, et elle va se renseigner à son sujet. La jeune femme ressort de l’hôpital d’un pas léger, puis elle se laisse gracieusement tomber sur un banc, où elle tend son visage au soleil. Elle va attendre un peu, voir si le morgan ressort. S’il met trop de temps, elle ira fouiner ailleurs. La jeune femme passe une main dans ses boucles, en réfléchissant. Un morgan… Ça la fait tiquer, car elle a l’impression d’avoir le doigt sur quelque chose. N’a-t-elle pas croisé un morgan récemment ? Pas au grand palais, c’est certain, mais alors pourquoi est-elle persuadée que ça a un rapport ? Sa main triture les boucles, alors que son regard se perd sur les passants sans les voir.
Les minutes s'étiolent et le morgan ne réapparaît pas. Néanmoins, une ombre vient vite cacher le soleil et avec elle, une odeur florale avec un léger soupçon boisé. Un parfum délicat. Quand elle lève la tête, Hélios reconnaît le vampire qui s'est donné en spectacle lors de la cérémonie pour la nouvelle recrue de la Capitaine. Le visage volontaire, un oeil gris hypnotique avec une lueur malicieuse, puis des cheveux noir retombant élégement sur son front et ses joues. Un sourire charmeur étire ses lèvres charnus alors qu'il la salut :
— Mes hommages, ravissante Mademoiselle. Il faut croire que le soleil attire les belles plantes et il m'est agréable de revoir la plus belle de ce jardin bruyant.
Hélios arque un sourcil amusé. Elle ne sait pas si ce genre de technique fonctionne à Eel, mais trouve le vampire lourdaud, ce qui contraste avec son apparence. Un homme comme lui devrait être habitué à séduire les femmes avec plus de raffinement. L’atalante penche la tête pour saisir un rayon, et lui offre une moue faussement ennuyée.
— Il est bien dommage que vous en cachiez l’éclat, mon cher, car privée de sa lumière, je fane, répond-elle. Je ne crois pas que vous vous soyez présenté…
Elle sait pertinemment qui il est, mais Hélios sait aussi cultiver la distance qui fait son charme. Loin de s'en offusquer, le vampire fait un pas de côté, lui apportant son rayon de soleil, puis prend un air dramatique :
— Ah, quelle tristesse que le nom de Mircalla soit si vite oublié… Mais j'imagine que votre esprit doit être occupé par les tâches à accomplir pour votre maître.
Nevra exécute une révérence assez ridicule, puis se présente en bonne et dûe forme : Nevra Mircalla, le digne enfant de Narcisse et Iris Mircalla. Ce qu'il ne dit pas, en revanche, c'est qu'il a été répudié et qu'il ne touchera pas une seule pièce d'or de la fortune de ses parents. Peu importe. La demoiselle devrait être au courant. Peut-être. Tout dépend du maître qu'elle sert.
Hélios lui sourit, amusée par ce petit oubli qui n’en est pas un. Bien sûr qu’elle sait qui est l’enfant indigne des Mircalla, l’ancien Chef de la Garde de l’Ombre, dont on dit qu’il s’est allié à une fée. La jeune femme lisse les plis de sa jupe, puis incline modestement la tête. Il lui a donné son nom, il n’est que pure politesse de se présenter à son tour.
— Hélios Soarre, dit-elle en inclinant gracieusement la tête. Inutile de vous nommer mes parents, vous ne les connaissez pas, monsieur Mircalla. Toutes mes condoléances, pour ce drame qui a frappé votre belle cité. Je ne suis jamais allée à Eel, mais on raconte qu’elle était magnifique avant d’être détruite.
— Enchanté, Mademoiselle Soarre.
Nevra s'incline quelque peu, puis déplore la cité d'Eel qui n'est devenue qu'un tas de ruines. Loué soit la Capitaine, bien entendu et louée soit la cité d'Odrialc'h qui apporte une aide vitale pour la reconstruction de celle que l'on surnommera à jamais la cité rouge ou l'Eel rouge.
En vérité, Nevra sait que la Capitaine a seulement joué le rôle de médiatrice entre Miiko Yamamura, Delta Milliget et la Princesse des goules. De plus, elle est venue récupérer la cheffe du cartel des Typhons - Nevra songe toujours avec amusement qu'il a failli finir dans la même prison - et qu'Odrialc'h aurait bien voulu mettre la main sur Candice Milliget quand Leiftan Tuarran rêvait de le faire exécuter, non sans lui faire vivre l'enfer avant.
Les mains sur les hanches, il vante les nombreux mérites d'Eel en encensant le manoir ainsi que le jardin des Mircalla et bien évidemment la vue sur la mer.
— Mais je devine que tout ceci n'est que bien peu de choses quand on vit dans le joyau de la couronne d'Odrialc'h, songe-t-il en mettant les mains derrière le dos, et d'ailleurs, si vous me le permettez, je me demande bien quel maître à su choisir une si jolie perle pour l'ajouter à la splendeur du grand palais ?
— Vous êtes bien curieux, monsieur Mircalla, s’amuse Hélios. Quant à moi, je me demande bien ce que le fils d’une famille aussi digne que la vôtre pourrait bien faire d’un tel renseignement.
Elle fait jouer ses boucles rousses, où se trouve le tournesol offert par Sheraz. Sous ses airs charmeurs, le vampire cache bien son jeu. Elle n’est pas dupe de ses doléances à propos d’Eel : n’est-ce pas en partie de sa faute si la cité a été détruite ? Et soudain, Hélios écarquille ses jolis yeux. Ça y est, elle vient de se souvenir où elle avait entendu parler d’un morgan. C’est la mention de la Capitaine, et le rappel de sa première rencontre avec Nevra Mircalla qui ont ravivé le souvenir. Il y a un morgan qui est venu d’Eel, avec sa fille, acceptée dans l’élite de l’armée. Il avait un fils, aussi, qui était présent ce jour-là. Pourrait-il être le morgan qu’elle a vu se diriger vers le lotissement ? Hélios sourit à Nevra, en arborant une moue charmeuse à son tour.
— Vous n’êtes pas le seul à être venu d’Eel dans notre belle cité, je crois, songe-t-elle. Était-ce des gardiens sous votre responsabilité qui se sont distingués, lors de la cérémonie ? La jeune femme et son père, le morgan ?
— Ah, oui en effet !
Les mains dans les poches, Nevra se penche en avant comme s'il venait d'avoir une révélation. Il exagère et il le sait, mais Mademoiselle est bien trop perspicace à son goût. Finalement, la réputation des serviteurs personnels n'est pas une fable : ils sont intelligents et vivre dans l'opulence ne leur a pas retiré leur esprit. Un sourire chafouin se dessine sur les lèvres du vampire Mircalla et quand il plonge son œil gris dans les beaux yeux d'Hélios, il sent qu'elle tâche de lire dans son jeu.
— Joseph Ael Diskaret qui a remporté les sélections d'Eel, récapitule Nevra, sa fille adoptive, June Albalefko et son fils cadet, Helouri Ael Diskaret.
Le vampire pousse un soupir et redresse le chef. Une lueur amusée dans le regard, il ajoute avec une pointe de sérieux qu'il y avait également des gardiens de l'Ombre présents à la cérémonie, certes, mais ce ne sont plus les siens, puisqu'il n'est plus Chef.
— J'imagine que vous le saviez déjà, n'est-ce pas ? Où devrais-je dire : un esprit si solaire que le vôtre, belle plante, n'aurait su évincer une telle information puisque dans votre illustre palais, tout le monde le sait.
— Je sais beaucoup de choses, Monsieur Mircalla, susurre Hélios. Mais je les garde pour moi, à moins qu’elles ne puissent servir les intérêts de mon maître.
La jeune femme se lève gracieusement, et s’incline en faisant cliqueter ses bijoux. Lorsqu’elle se redresse, ses yeux parcourent le vampire des pieds à la tête, et elle lui adresse un sourire amusé.
— Jouer les imbéciles ne vous sied guère, lui confie-t-elle comme un secret. Mais je salue l’idée, j’imagine que ce n’est pas aisé de naviguer ici au vu de votre… situation.
Elle lui fait un clin d’œil, puis croise sagement les mains sur sa jupe. Le soleil réchauffe agréablement sa peau, et maintenant qu’elle a un nom, elle peut creuser pour voir si ce Helouri est bel et bien le morgan qu’elle recherche.
— Soyons bons joueurs, reprend l’atalante. Vous m’avez donné un nom, il n’est que justice de vous en donner un à mon tour. Je travaille pour l’illustre famille Alfirin, et je suis la servante personnelle du jeune maître Sheraz Alfirin. Mais un homme tel que vous aurait facilement découvert cette information seul, je n’en doute pas, monsieur Mircalla. Si vous le permettez, je vais prendre congé.
Nevra Mircalla s'incline avec respect en dissimulant un petit rire. Voilà une Mademoiselle aussi belle qu'intelligente. Il espère que son maître en a conscience et la traite convenablement. Mais puisqu'il a son nom, à présent, il est certain que c'est le cas.
Le vampire Mircalla se redresse, rajuste son veston et croise sagement les mains derrière le dos.
— Oh, vous savez, les gens d'Odrialc'h sont moins bavards avec moi depuis que je ne porte plus l'uniforme et encore bien moins l'honneur de ma famille. Néanmoins, je vous remercie pour cette agréable conversation, Mademoiselle Soarre et pour votre compagnie.
Il jette un coup d'oeil derrière son épaule, puis hausse les sourcils en glissant à Hélios :
— Je vais moi-même prendre congé, car le garde civil derrière moi pourrait me tuer d'un regard et ne va pas tarder à venir vous demander si tout va bien. Je sors de prison et bien loin de moi l'idée d'y retourner. Sur ce…
Nevra s'incline une nouvelle fois de manière exagérée, puis s'éloigne en exécutant quelques petits pas de danse, saluant le garde civil sur son passage. Il disparaît dans la foule, satisfait d'avoir enfin pu obtenir l'information qu'il a tant cherché. Il va pouvoir la confirmer à Shelma Milliget, puis bien entendu, à la reine Delta Milliget.
Peu de temps après son départ, le garde civil se permet d'aborder Hélios pour s'assurer que Nevra n'a eu aucun propos déplacé à son égard. L'atalante lui confirme que ça n'a pas été le cas et qu'elle a simplement eu à faire à un séducteur ridicule, ce qui a l'air de rassurer le soldat. Alors qu'Hélios s'apprêtait à rentrer au grand palais, des éclats de voix attirent son attention. Elle tourne la tête, puis distingue la robe règlementaire des serviteurs de bas rang.
Près de l'hôpital, une servante d'une quinzaine d'années a attrapé un petit garçon par la main. Hélios détaille l'air inquiet sur le visage de l'adolescente, mais aussi sa peau de pêche, ses yeux d'un gris foncé et ses cheveux châtains rassemblés au chignon haut que portent toutes les servantes. Sa robe blanche et bleue fait ressortir les grains de beauté sur ses bras.
— Arrête tes bêtises, somme-t-elle au petit garçon d'une voix anxieuse.
— Lâche-moi ! Tu fais foirer mes affaires !
Hélios identifie l'enfant comme un morgan qui n'aurait pas plus de dix ans. Néanmoins, sa peau est d'un bleu plus foncé que celui qu'elle a vu entrer dans le lotissement ses cheveux sont d'un noir profond. À en aviser ses guenilles, le petit garçon est un enfant des rues qui doit accomplir de basses besognes pour des gens peu recommandables.
— Tu n'es pas allé t'acheter à manger avec l'argent que je t'ai donné ? reprend la servante en s'accroupissant devant lui.
— Si, je l'ai fait, râle l'enfant, mais tu comprends pas ! Je fais des affaires dans le tourisme ! Avec ce que je vais gagner, je vais te rembourser et je vais même pouvoir payer l'auberge ! Faudra juste que tu m'accompagnes… S'il te plaît… Allez, Grenade, laisse-moi faire…
Le garçon lui adresse un regard suppliant, gémissant comme un chien battu et la servante secoue la tête.
— Qu'est-ce que tu feras si te fait prendre dans le lotissement par les gardes civils ? Ou pire… Par le maître du manoir ! Tu ne sais pas ce que c'est. C'est dangereux, Alaric. Viens avec moi.
Elle lui tend la main, mais Alaric la rejette en ronchonnant. C'est facile, pour elle, elle travaille au grand palais ! Elle a à manger tous les jours. Lui, c'est différent et ce n'est pas avec ce qu'elle lui donne qu'il peut avoir trois repas et un lit.
Hélios hésite, puis elle s’assure que le garde est bien parti avant de s’approcher d’eux d’un pas aérien. L’atalante sait que la jeune servante va immédiatement la reconnaître, mais si elle a obtenu un nom, ce n’est pas encore celui qu’elle cherche, et il y a moins de risque qu’ils parlent à des gens importants. Et puis, ce ne serait pas la première fois qu’on la verrait discuter avec des enfants dans le besoin. Elle plaque un joli sourire sur son visage et les interpelle d’une voix douce.
— Pardonnez-moi, je n’ai pu m’empêcher de surprendre votre conversation. J’ai vu l’un de mes amis entrer dans ce lotissement, et je ne savais pas ce qu’il pouvait bien y faire. Je me demande s’il ne travaille pas pour ce maître que vous venez de mentionner. Auriez-vous des informations à son sujet ?
Grenade écarquille les yeux, puis s'empresse de s'incliner face à Hélios. Alaric, lui, a l'air fasciné de rencontrer une servante personnelle du grand palais en chair et en os. Ses yeux couleur lavande s'ouvrent grande alors qu'il laisse échapper une exclamation admirative.
Grenade fait un pas en arrière, les mains jointes sur son ventre, puis se dépêche de répondre à Hélios d'un ton formel :
— Mes respects, Mademoiselle. Je suis navrée mais je ne sais rien à ce sujet. Je tentais simplement de raisonner cet enfant afin qu'il n'aille pas troubler le calme du lotissement et de ses occupants.
— Moi, je sais ! Moi, je sais ! s'exclame Alaric d'un ton fier, sauf que c'est pas gratuit ! Mais je sais tout ce qui se passe dans le lotissement ! J'y suis déjà allé et je me suis jamais fait prendre !
Outrée, Grenade plaque une main sur sa bouche et s'incline une nouvelle fois en excusant les paroles choquantes de l'enfant envers Hélios, même si ce dernier se défend de n'avoir rien dit de mal. Hélios s’esclaffe en secouant ses boucles rousses, puis elle plonge la main dans sa poche pour en sortir sa bourse. Elle attrape cinq pièces d’or, qu’elle fait habilement jouer entre ses doigts, avant de les tendre au petit garçon.
— Tu m’as l’air d’avoir faim, dit-elle avec un clin d’œil. Il serait dommage qu’un garçon aussi intelligent que toi ne puisse pas manger correctement.
— Je mange bien, se rengorge Alaric, parce que Grenade, elle m'aide. Sauf que le poisson et la viande, ça coûte cher et j'aime bien manger.
Il jete un regard aux cinq pièces, se mord la lèvre, puis ajoute :
— Si tu veux que je te dise un truc, c'est dix pièces. T'es très belle et t'as de beaux bijoux. Je pense que tu peux faire un petit effort, quand même.
Grenade le prend par les épaules en lui faisant les gros yeux, mais Alaric ne se laisse pas démonter. Les gens riches ont tendance à prendre les pauvres pour des imbéciles mais lui, il connaît la valeur de l'argent. Hélios plisse les yeux, puis pioche cinq autres pièces, qu’elle lui montre avant de refermer les doigts dessus.
— D’accord, mais tu auras les cinq autres une fois que tu m’auras dit ce que tu sais, s’amuse-t-elle. Mais attention.
Hélios prend un air sérieux, et baisse la voix comme pour lui confier un secret.
— Ce n’est pas parce que je suis jolie que tu réussiras à m’arnaquer. Je suis aussi maligne que toi, et les gens malins se font des amis malins.
Hélios lui fait un clin d’œil, lui tend les cinq premières pièces puis garde les cinq autres, suffisamment près pour qu’il les voit, et assez loin pour ne pas qu’il les prenne si l’idée lui venait. Alaric lui jette un regard suspicieux.
— T'es dure en affaires, mais c'est d'accord.
L'enfant met ses pouces dans les poches de son pantalon sale, puis se lance dans un discours des plus sérieux :
— Dans le lotissement, t'as un manoir avec deux fées ! C'est vrai, parce que je les ai vues par la fenêtre et je me suis pas fait prendre. C'est le manoir où quand tu passes devant, t'entends les libleunettes cracher…
— Croasser, corrige Grenade d'une petite voix.
— Oui, voilà. Mais j'ai vu les deux fées avec la robe bleue. T'en as une qui a les cheveux comme Grenade et l'autre, des cheveux tout rose. Sauf que elle, elle est bizarre. Elle bouge pas du tout, comme si elle était morte. Elle fait que manger quand t'as l'autre fée qui lui donne et c'est tout.
D'ailleurs à l'évocation de la nourriture, Alaric grimace en dévoilant ses dents jaunes et effilées. Mais il reprend en agitant les mains :
— Puis dans le manoir avec les fées, t'as Dava ! C'est un morgan comme moi ! Il travaille près de la fenêtre mais il me voit jamais, il voit que les libleunettes. Il apprend pleins de choses pour la fée qui est vivante et quand il se trompe, elle lui crie dessus. Mais il s'appelle Dava, la fée le dit tout le temps : Dava Dava Dava. Elle appelle Ozna aussi, parfois, mais je sais pas qui c'est, il y a personne d'autres dans le manoir. Je le jure parce que je suis allé voir plusieurs fois. Voilà !
Hélios reste de marbre, et songe que la dentition du jeune homme mériterait un bon brossage. Elle ne veut pas montrer que la mention des deux fées, et plus particulièrement de la fée aux cheveux roses, lui inspire l’horreur. Pas parce qu’elle en a peur, mais parce qu’elle ne connaît qu’une seule fée avec des cheveux roses, et qu’elle se doute de l’identité de la seconde. Quant à Dava, il doit s’agir d’Helouri Ael Diskaret. Les pièces du puzzle se mettent en place doucement, et elle n’aime pas l’image qu’il forme. Avec un sourire un peu figé, elle tend les cinq pièces restantes à Alaric.
— Alors ça, j’ai bien fait de me faire un ami aussi malin que toi, dit-elle d’un air impressionné. Ce sont des informations de premier choix ! Je n’ai pas besoin de te dire que si la fée te surprend là-bas, elle sera très en colère contre toi, car je suis sûre que tu es suffisamment intelligent pour rester très prudent.
Hélios jette un œil à Grenade, puis fait mine de réfléchir.
— Surtout que ton amie serait triste s’il venait a t’arriver quelque chose.
L’atalante s’incline gracieusement : elle doit désormais rentrer et décider de ce qu’elle dira à Sheraz. Mais une chose est sûre : Alaric sait énormément de choses, et elle est contente d’avoir gravé son visage dans son esprit.
— Si tu as d’autres informations de ce type, je serais ravie de les écouter, confie Hélios sur le ton du secret. Moyennant rémunération, qu’elle soit en pièce ou directement en viande et poisson. Je connais de très bons marchands. N’hésite pas, si tu me vois en ville, maître espion.
Alaric se met au garde à vous et lui indique qu'il est très fort et qu'il peut tout trouver. En plus, la Mademoiselle paie bien alors avec ce qu'elle lui donne, il pourra bien manger !
— Je fais attention, je le jure !
— Permets-moi d'en douter… lui indique Grenade en lui faisant les gros yeux.
Ravi de ses dix pièces d'or, il s'exclame qu'il va pouvoir s'acheter de la bonne viande, parce qu'il a tout le temps faim et d'ailleurs, une odeur de sel commence à envahir l'atmosphère.Les Choix
Helouri a choisi de se rendre au manoir des Mircalla pour rencontrer Rose, Nevra et Balam. En sortant, il a l'intention de rapporter sa visite à Candice, avec les informations qu'il aura apprises.
Au sein du manoir, Helouri rencontre Shelma Milliget, l'un des frères de Candice. Shelma semble du côté de sa mère et confie à Helouri que même si les Milliget partagent les mêmes attentes, ils n'ont pas le même but. Tout en accomplissant la mission pour Candice, Shelma demande à Helouri de faire sortir une racine du grand palais. Il doit le faire avant que Candice passe en jugement.
Au sein du manoir, Helouri peut encore apprendre une information avant de partir faire son rapport à Candice et passer l'entretien à l'hôpital de la Grande Auréole. Mais laquelle ?
➜ L'identité de la racine au sein du grand palais.
➜ Les quatre hôtes humains.
➜ Le poison de la racine et son antidote au sein de la sève.
➜ Le plan de Candice devant la justice d'Odrialc'h.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Autre journée à l'école militaire pour June ! L'un de ses camarades lui propose une visite de la cité, mais lequel ?
Après l'information que Hélios a apprise, elle se demande si elle doit la rapporter à son maître. Devrait-elle arrêter son enquête ou bien l'approfondir ?
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
UNIQUEMENT pour Waitikka : report du RP précédent.
UNIQUEMENT pour Klana : report du RP précédent.
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous en ce mois de juin pluvieux ! (^_^)/
Bon, bon, bon… Ça y est, ça devait arriver, donc nous voilà aux premiers choix qui guideront Helouri sur le chemin des sélections. Vous allez me demander si ce n'était pas déjà le cas avant : eh bien oui et non. À présent, vous allez vite vous rendre compte que ce choix-ci et les prochains permettront à Helouri de montrer le meilleur de lui-même, ou bien le pire. Donc haut les coeurs et faites en sorte que notre petit poisson puisse entrer au grand palais et devenir le serviteur personnel de la belle Capitaine !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 10 - Les Lois de la Peur
Grand Palais d'Odrialc'h, chambre de Sheraz Alfirin
Il est dans les jardins avec Sira. Cette fois, son corps l’a laissé tranquille et Sheraz a pu profiter d’une belle mâtiné avec une météo clémente. Les images sont floues, il y a le froid mordant du contact de la peau de Sira, des baisers volés derrière des rosiers, puis la chute de Sira. Sheraz entend son rire qui se répercute en échos avant qu’il s’éteigne, dévoré par une colère noire. Le jardin disparaît, le ciel se voile d’un gris d’orage et les rosiers s’embrasent. Une fée se dresse, immense et menaçante, son regard d’acier lançant des poignards et Sheraz plaque une main contre son cœur pendant que les pleurs de Sira s’élèvent comme une mélodie funeste.
L’elfe Alfirin se redresse sur son lit, le corps en sueur. Il rive ses yeux hagards sur la glace, face à son lit trop grand, puis prend peur quand il voit son reflet se détacher dans la pénombre. Son vêtement de nuit colle à sa peau moite, ses cheveux pendent tristement autour de son visage et Sheraz ouvre la bouche comme un familier marin hors de l’eau. Il veut de l’air. Il a besoin d’air. Il plaque deux mains contre ses oreilles quand un sifflement aigu semble se manifester à l’intérieur de sa tête, puis force ses poumons à se gonfler en respirant péniblement. Les larmes aux yeux, il s’affaisse en avant, pose son front contre les couvertures puis se maudit lui-même.
Laisse-moi tranquille, intime-t-il à son corps, Je veux dormir, je veux que ça s’arrête… Mais même son cœur n’est pas d’accord, puisqu’il se met à battre furieusement en un rythme effréné que Sheraz ne connaît que trop bien. Il plaque une main contre sa poitrine puis tâche de se calmer. Il doit respirer, il doit réussir à respirer calmement même si en cet instant, il a envie de paniquer. S’il panique, son corps va le jeter dans la tourmente et c’est encore une sombre nuit qui va emporter Sheraz.
C’est déjà le cas, remarque-t-il alors que des larmes roulent sur ses joues. Le sifflement dans ses oreilles ne veut pas s’arrêter. L’elfe Alfirin remarque du mouvement à ses côtés, signe que Céleste s’est réveillée à son tour. Sheraz l’entend ronronner, puis sent ses trois têtes se frotter contre son bras. Il attrape sa ciralak, puis la serre contre son cœur en priant pour qu’elle puisse en maîtriser la cadence. La présence de Céleste le rassure. Le nez enfouit dans son pelage, Sheraz se concentre sur ses ronronnements et petit à petit, la crise finit par passer en le laissant pantelant.
Il ignore si ce sont des heures ou des minutes qui se sont étiolées pendant qu’il est resté là, assis sur son lit à se calmer, Céleste dans les bras. Sheraz s’en moque. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il veut sentir de l’air frais sur sa peau. Il a beaucoup trop chaud et la sensation de la sueur en train de couler le long de son dos le répugne. Sheraz jette un regard machinal vers sa fenêtre, mais sa chambre l’étouffe. Il veut prendre l’air, certes, mais il veut aussi voir les jardins, ceux du grand palais, ceux de son rêve, ceux dans lesquels il s’est promené avec Sira, main dans la main et le cœur amoureux.
Sheraz repousse les couvertures et quitte son lit. Céleste sur ses talons, il s’aventure dans les couloirs du grand palais avec prudence. En se retournant vers sa ciralak, il met un doigt contre ses lèvres. Il ne veut pas réveiller Helios, ni qui que ce soit. Sheraz sait déjà que sa petite escapade dans les couloirs serait mal perçue, mais surtout sujette à des rumeurs plus extravagantes les unes que les autres. Elles pourraient porter atteinte à la réputation des Alfirin et cela, sa mère ne le lui pardonnerait pas.
Pieds nus sur la douce moquette des couloirs, Sheraz se dirige vers la grande salle qui connaît l’heure du thé pour toute la noblesse du grand palais. Là-bas, d'immenses portes-fenêtres garantissent l’accès vers les jardins. Sheraz ne compte pas s’y promener, mais seulement s'assoir sur le seuil, juste pour sentir le vent sur sa peau et dans ses cheveux. De plus, le grand palais lui semble moins hostile en pleine nuit. Il n’y a personne pour lui faire remarquer son teint trop pâle, personne pour s’inquiéter de sa mauvaise santé puis en jubiler derrière son dos et personne pour lui faire comprendre que sa présence est embarrassante durant des événements précieux pour la réputation des Alfirin.
Sheraz atteint enfin la grande salle. Face à lui, les jardins se dévoilent, prometteurs de quiétude et de parfums. Avec prudence et en prenant soin de ne pas faire de bruit, l’elfe Alfirin s’approche des poignées et les fait tourner en des gestes lents. Quand une porte-fenêtre bascule sur ses gonds, il se délecte du vent. La brise lui arrache un soupir salvateur. Sheraz pourrait même croire qu’elle souffle la maladie hors de lui et que dans quelques secondes, une bourrasque va l’emporter vers le royaume des fées, là où Sira le mariera pour devenir sa vraie famille. Sheraz s’assit à même le sol, une grimace sur le visage quand son cœur vient de nouveau l’ennuyer. Sa respiration s’accélère et la nausée le menace, mais l’elfe Alfirin fait tout son possible pour focaliser son attention sur les jardins. Les bras serrés autour de son buste, il essaye de faire taire le sang dans ses tempes puis toutes ses pensées qui s’affolent.
Près de lui, Céleste se frotte contre son dos en espérant calmer la nouvelle crise, mais quand elle voit Sheraz s’écrouler sur le flanc, elle fait demi-tour et se hâte vers la chambre d’Helios. Elle sait que Sheraz n’aurait pas voulu la réveiller, mais Céleste préfère que ce soit elle qui vienne le trouver ainsi dans les jardins, plutôt que quelqu’un d’autre. La ciralak se précipite vers la haute porte en bois, puis se met à gratter jusqu’à ce qu’elle s’entrouvre. Helios ne la ferme jamais complètement, juste au cas où. Mais Helios a une vie privée, un sommeil réparateur que Sheraz se refuse d’envahir à cause de ses soucis de santé. Il va s’en vouloir d’avoir tiré Helios hors de son lit, mais Celeste est intelligente et elle se sait aussi bonne juge d’une situation.
Alors, quand elle entre dans la chambre, elle se dépêche de sauter sur le lit d’Helios d’un geste souple, puis frotte ses trois têtes contre son visage, en ronronnant.
L’atalante émet un vague marmonnement. Fleur éclatante en plein soleil, lorsqu’il est remplacé par la lune, Hélios perd l’éclat qu’il lui confère. Il lui faut une longue, très longue minute pour émerger de son rêve, dans lequel elle poursuit un enfant de Charybde et Scylla pour lui donner de la viande fraîche. Ses doigts viennent machinalement caresser la tête droite de Céleste, puis alors qu’elle ouvre ses yeux, qui semblent avoir perdu leur couleur, elle fronce les sourcils.
— Quelle heure est-il ? baragouine-t-elle.
Et puis soudain, elle prend conscience de la nuit qui l’entoure. Son sang ne fait qu’un tour, et elle bondit de son lit, manque de trébucher, attrape une robe de chambre en soie brune et file dans le couloir. Hélios essaie d’être aussi silencieuse que possible, fait demi tour après trois pas pour refermer sa porte à clé, puis court à la suite de Céleste. Elle ne voit presque rien, elle tombe deux fois à cause des plis du tapis et maudit la lune qui lui joue des tours, et quand enfin elle pénètre dans le salon, c’est pour trouver Sheraz en proie à ses démons. Hélios tombe à genoux à ses côtés et s’empresse de soulever son buste gracile pour l’entourer de ses bras, lui offrant une étreinte maternelle dont elle sait que le moindre témoin lui vaudra un renvoi immédiat.
— Je suis là, Sheraz, respirez, tout va bien, chuchote-t-elle. La, la… Regardez le ciel ! On y voit les étoiles. Vous savez, ma mère me racontait qu’Atalante y courait toutes les nuits, pour chasser la lune et faire revenir le soleil. Regardez, c’est elle, la.
Elle désigne une constellation, et caresse les cheveux de son maître sans cesser de le baigner d’un flot de paroles apaisant. Mais Sheraz a du mal à reprendre le contrôle de sa respiration. Il regarde les étoiles sans prendre conscience que Helios est près de lui et le sifflement qui revient dans sa tête fait vriller son cerveau. Sheraz plaque de nouveau les mains contre ses oreilles, les yeux humides. C’est si strident qu’il a l’impression que son crâne va s’ouvrir en deux et la terreur qu’il ne cesse jamais le submerge. Sheraz s’agite, il lance des regards épouvantés de tous les côtés et quand il croise enfin celui d’Helios, il a l’impression de rêver. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais un goût métallique se répand sur sa langue alors que du sang s’écoule de ses narines.
L’atalante pousse un sifflement, l’équivalent des jurons dans sa langue. Elle passe ses bras sous les aisselles de Sheraz et use de toutes ses forces pour le redresser. Avec un grognement d’effort, Helios le soulève et titube dans les jardins, afin de l’adosser au mur. Du coin de l’œil, elle surveille la salle. Ici, ils sont cachés des regards indiscrets, plongés dans l’ombre de la nuit, et à moins que quelqu’un sorte pour se promener, personne ne les verra. La jeune femme caresse les joues de son maître en continuant de chuchoter une berceuse, et elle arrache un morceau de sa chemise de nuit pour lui pincer doucement le nez afin de faire cesser le saignement.
— Céleste, appelle-t-elle. Viens ici !
Elle laisse de la place à la petite Ciralak, puis elle enlève sa robe de chambre pour y enrouler son maître. L’air froid lui arrache un frisson, qu’elle sent à peine. Il ne doit pas attraper froid.
— Sheraz, tout va bien, c’était un cauchemar, promet-elle. Réveillez-vous, regardez-moi. Allez… C’est moi… c’est Hélios…
Elle reste ainsi avec son jeune maître, jusqu’à ce qu’il cesse de trembler, que son cœur ralentisse jusqu’à retrouver un rythme décent et jusqu’à ce que son corps le laisse enfin en paix. Sheraz fini par se calmer, son regard noisette rivé dans celui d’Helios. Il met de longues secondes à embrasser la réalité, puis quand il prend pleinement conscience de la présence d’Helios, il ouvre de grands yeux.
Sa poitrine lui fait mal, sa tête bourdonne et quand Sheraz réalise que Helios a été réveillée en pleine nuit à cause de lui, il fond en larmes. Il se sent minable, fragile, un véritable poids pour sa servante personnelle et tout ce qu’il peut faire en cet instant, c’est s’excuser auprès d’elle encore et encore, comme une litanie infinie.
Un sourire très triste ourle les lèvres de l’atalante. Elle fait fi de leur position sociale, et attire Sheraz contre elle dans une étreinte maternelle, en murmurant que ce n’est rien, qu’elle n’est pas fâchée et qu’elle est soulagée qu’il n’ait rien. Hélios caresse doucement ses cheveux, rassurée qu’il respire correctement.
— Ne pleurez plus, souffle-t-elle. Je me fiche bien d’être réveillée, si c’est parce que vous en avez besoin.
Hélios s’écarte et prend son visage en coupe pour lui adresser un sourire plus doux, qui rend un peu de couleur à ses yeux.
— Voyons, Sheraz, je serais bien plus inquiète si vous ne m’appeliez pas dans ce genre de cas, continue-t-elle. Votre santé et votre bonheur sont ce qui m’importe le plus en ce monde, et ce n’est pas parce que je suis payée pour être à votre service. Vous êtes ma famille, et vous resterez ma famille jusqu’à ce que je quitte cette terre. Sachez que dévouer ma vie à votre existence ne m’a jamais dérangé, mais que dès l’instant où j’ai appris à vous connaître, j’ai su que ce travail n’en serait pas un. Vous faites partie de mon monde, désormais, et un monde privé de mon cher maître m’apparaîtrait bien sombre. Alors ne pleurez plus, je vous en prie. Vous n’êtes pas un fardeau, Sheraz. Vous ne le serez jamais, à mes yeux.
— Je…
Mais les mots meurent sur les lèvres de Sheraz. Il ne peut pas quitter les yeux d’Helios. Il en est incapable. Quand son esprit a entendu ses paroles, elles sont entrées en résonance avec lui. C’est comme Sira mais c’est aussi différent. Ce n’est pas la même forme d’amour.
Sheraz retrouve sa quiétude. Lui aussi, dans ces jardins, il fait fi de leur position sociale parce que même si Helios doit s’en douter, il a envie de le lui dire :
— Je vous aimes, lui souffle-t-il, Helios, vous êtes ma mère, ma sœur, ma famille, mon sang. Cet endroit est un enfer, mais vous êtes le printemps. Vous êtes le soleil de toutes mes journées et tout ce que je veux, c’est que vous viviez dans un monde qui vous traitera comme le paradis. Merci d’être là, merci…
Sheraz la serre dans ses bras comme un noyé à sa bouée parce qu’il sait que sans Helios, il se serait laissé mourir depuis longtemps. L’atalante le tient contre elle jusqu'à ce qu’il s’apaise. Au milieu de l’enfer du grand palais, ils savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre, et c’est un soulagement pour eux deux. Puis, quand ils commencent tous les deux à grelotter, elle s’écarte et lui sourit tendrement.
— Voulez-vous que je reste près de vous cette nuit ? Je peux jouer une berceuse le temps que vous vous rendormiez, et rester là jusqu’à l’aurore. A moins que vous ne souhaitiez parler de votre cauchemar pour le faire disparaître ?
L’elfe Alfirin s’apprête à lui répondre qu’il est plus prudent qu’il regagne sa chambre avant que quelqu’un les surprenne ensemble en pleine nuit, lorsque des éclats de voix retentissent depuis les appartements des Fontaine. Sheraz lance un regard perplexe à Helios et quand cette dernière se redresse, il tache de se mettre debout à son tour. Ses jambes tremblent un moment, mais Sheraz finit par retrouver son équilibre. Helios et lui se font discrets sur la moquette des couloirs, guettant la moindre silhouette qui pourrait se dessiner à un angle. Quand enfin ils atteignent les appartements des Fontaine, la voix se fait beaucoup plus claire. Sheraz et Helios se dissimulent avec précaution près d’une tapisserie et quand ils passent la tête pour regarder, ils reconnaissent le jeune Faust Fontaine face a sa mère, Joséphine Fontaine.
Elle se tient debout au milieu du couloir, ses longs cheveux blancs noués en longue natte, qui se perd sur la couleur crème de sa chemise de nuit. Derrière elle, deux serviteurs de bas rangs sont silencieux, la tête baissée, puis devant une grande porte qui semble être la chambre de Faust, deux gardes :
— Dormir ? S’écrit Joséphine Fontaine, avec le score imparfait que vous avez eu à vos derniers examens, vous pensez que vous pouvez dormir ?
— Mère, plaide Faust, il est plus de trois heures du matin, je vous en prie…
— Et alors ! Il y a du travail qui vous attend à la bibliothèque ! Achevez-le et vous dormirez ! Dormir est un luxe, Faust, et avec les résultats de vos examens et votre pathétique labeur de cette journée, vous ne méritez pas ce luxe !
Joséphine décrète que la chambre de Faust sera gardée cette nuit tant qu’il n’aura pas achevé son travail à la bibliothèque. Il lui reste des révisions à faire ainsi que des exercices qui devront être parfaits, si Faust veut aller se coucher.
Hélios écarquille les yeux. Y’a-t-il un seul parent compétent dans cet immense palais ? Elle n’apprécie pas beaucoup Faust, qu’elle trouve ennuyeux, comme tout le monde, mais elle ressent soudain une grande sympathie à son égard. En fait, s’il est ennuyeux, c’est peut-être simplement parce qu’on l’empêche de dormir… Si ça avait été Sheraz, elle aurait tiré un trait sur sa carrière de servante personnelle pour dire ses quatre vérités à Joséphine Fontaine. Néanmoins, elle ne peut pas se révolter pour Faust, elle doit choisir ses combats, alors elle se contente d’adresser un regard empreint de furie à Sheraz pour partager son dégoût face à un tel traitement. L’elfe Alfirin secoue la tête. Visiblement, le grand palais est un enfer pour tout le monde. Il ne peut qu’observer Faust Fontaine planté là, au beau milieu du couloir, en train de regarder sa mère regagner ses appartements pour s’abandonner à un sommeil salvateur qu’il rêve de caresser.
Faust s’affaisse comme si le poids du monde s’écroulait sur ses épaules. Les gardes, devant la porte de sa chambre, ne bougent pas. Faust secoue la tête, recule, puis se détourne, le visage brisé par un épuisement sans borne pour se hâter dans le couloir avant de s’arrêter brusquement, puis de se laisser tomber à genoux contre le mur. Sheraz a le cœur en miette quand il regarde Faust perdre son masque impassible pour fondre en larmes. Il y note du désespoir, de la colère, de la fatigue et de l’abandon. Sheraz réalise qu’il n’est pas le seul à souffrir d’un manque d’amour mais lui au moins, il a la chance d’avoir Helios.
Soudain, une porte s’ouvre avec mille précautions. Faust s’est effondré près d’une chambre et Sheraz a cru, tout d’abord, que ça n’était qu’une coïncidence. Mais en réalité, Faust savait pertinemment où il allait.
Bientôt, la haute silhouette de Wan Zi se découpe dans la pénombre du couloir. Ses cheveux d’encre, lâchés, forment une cape de soie sur son vêtement de nuit couleur ocre, qui laisse une partie de ses jambes nues. Wan Zi jette un regard emplit de chagrin à son jeune maître puis, avec toute la délicatesse et la sérénité qui émanent de sa personne, il vient s’accroupir près de lui. Là, il efface les larmes sur le visage de Faust avec ses pouces et ce dernier s’accroche à Wan Zi comme Sheraz l’a fait avec Helios, plus tôt.
— Wan Zi, je vous en prie ! supplie Faust avec la détresse dans sa voix, laissez-moi passer la nuit avec vous ! Je ne vous toucherai pas. Je veux seulement que tout le monde le croit pour que je puisse être renié ! Je ne veux plus être le fils de mes parents ! Je vous promets que je vous aiderais même quand vous serez répudié !
Wan Zi ne répond pas. Choqué par les propos de Faust, Sheraz se couvre la bouche avec ses deux mains, puis lui jette un regard à la dérobée. Dans quel état de désespoir se trouve-t-il pour ainsi supplier son serviteur de commettre un tel outrage ?
Wan Zi se contente d’attendre en caressant les cheveux de son jeune maître. Enfin, quand Faust fini par s'apaiser, il déclare d’un ton très calme :
— Cela aussi passera, Faust. Ne pleurez plus. Votre mère est ainsi parce qu’elle est écrasée par son devoir, mais vous savez qu’elle vous aime.
— Être son fils est un véritable enfer !
— Tout va bien, Faust. Je suis en enfer avec vous. Vous allez dormir sur le canapé de la bibliothèque pendant que je vais terminer vos exercices. Je vais préparer des fiches pour vos révisions et vous vous en sortirez. Demain, vous passerez une excellente nuit réparatrice, parce que votre mère sera ravie par la perfection de votre travail.
Faust réplique que Wan Zi ne peut pas continuer comme ça, à le soutenir ainsi pour qu’il ait des notes parfaites, mais ce dernier l’intime d’aller dormir sur le canapé. Faust refuse une nouvelle fois mais, la fatigue ayant raison de lui, il finit par se relever, puis file à la bibliothèque. Wan Zi le suit des yeux, une grimace inquiète venant perturber ses traits d’ordinaire sereins, puis il semble se préparer pour la longue nuit qui l’attend, lui aussi.
Hélios échange un regard effaré avec Sheraz. Il doit être vraiment désespéré… Elle pousse un soupir discret : voilà ce que signifie devenir un serviteur personnel. Il n’y a pas seulement la beauté, le charisme, les tâches à accomplir. Il faut être un soutien sans faille pour son maître, afin qu’il puisse vaciller sans craindre de tomber. Hélios presse la main de Sheraz dans la sienne : comme Wan Zi, elle est prête à sacrifier son sommeil pour aider son jeune maître. Néanmoins, elle ne parvient pas à éprouver de l’empathie pour son collègue. Les ragots de Stella tournent toujours dans son esprit, et elle n’a pas pu les vérifier.
À peine a-t-elle une pensée pour la lampade que sa silhouette se dessine dans l’obscurité du couloir. Tout comme Helios et Sheraz, elle a été attirée par les éclats de voix de Joséphine Fontaine. Helios se dissimule un peu plus derrière la tapisserie et Sheraz l’imite. Ils peuvent tous deux voir Stella s’arrêter, passer une main dans ses longs cheveux blancs et aviser de sa chemise de nuit dont le tissu vaporeux laisse deviner ses courbes.
Quand Wan Zi l’aperçoit, il se constitue un air aimable, puis la salut :
— Bonsoir, mademoiselle Stella. Je suppose que le bruit vous a importuné et je vous prie d’accepter mes excuses.
— Bonsoir Wan Zi ! S’enquit Stella, ça n’a pas d’importance ! J’ai entendu du bruit, en effet, et j’ai voulu m’assurer que tout allait bien ! Vous avez une mine épuisée, si je peux vous apporter de l’aide, dites-le moi !
Stella s’est approchée de Wan Zi, une moue inquiète sur ses traits, pour glisser une main amicale sur son bras. Cette fois, Helios fronce les sourcils. Stella lui avait pourtant dit que Wan Zi la dégoûtait… Elle conçoit qu’il faille garder les apparences, mais elle n’est pas obligée d’aller jusque là ! Elle tortille une mèche de cheveux, un peu perdue. En plus, si son amie est surprise par quelqu’un, dans cette tenue et aussi proche…
Wan Zi repousse Stella avec douceur en lui répondant que tout va bien et qu’elle n’a pas besoin de sacrifier quelques heures de sommeil pour l’aider.
— Ne vous inquiétez pas, il est naturel que nous nous entraidions entre serviteurs personnels, sourit Stella, et il est également naturel que je me soucie du bien-être de mes collègues…
— Je vous remercie, mademoiselle Stella, mais je pense que vous devriez aller vous recoucher. Je dois m’occuper de mon jeune maître, à présent. Excusez-moi.
Stella répond qu’elle le comprend tout à fait mais qu’il doit faire attention à sa santé. Elle prend congé de Wan Zi mais plutôt que de faire demi-tour, elle s’engage vers les appartements de la famille Fontaine. Là, Wan Zi esquisse un geste pour la prévenir qu’elle se trompe de direction et Stella le heurte malencontreusement de plein fouet. Elle ouvre de grands yeux noir, papillonne des paupières, puis ses joues rosissent quand elle réalise que ses deux mains se trouvent sur le torse de Wan Zi.
— Quelle idiote ! s’exclame-t-elle en se reculant, excusez-moi, Wan Zi, je dois être ensommeillée !
— Je vous en prie. Bonne nuit, mademoiselle Stella.
Wan Zi la contourne pour se dépêcher d’aller à la bibliothèque et Sheraz est persuadé de l’avoir vu lever les yeux au ciel. Hélios, elle, hésite entre le dégoût, l’exaspération et l’affliction. Est-il seulement possible d’être aussi lourd ? Elle manque d’imiter Wan Zi. Si Stella n’est pas dérangée par les déviances du serviteur, grand bien lui fasse, néanmoins elle devrait revoir sa façon d’essayer de le séduire, car ça ne va pas du tout. Elle lui prodiguera quelques conseils en passant, discrètement, il en va de sa réputation.
Hélios adresse un regard amusé à Sheraz. Que ne donnerait-elle pas pour surgir du couloir à l’instant et surprendre l’air horrifié de son amie, dont elle vient de découvrir le secret ! Mais ça ne serait pas très gentil, ni pour elle, ni pour Sheraz qui risquerait d’être très gêné, alors elle s’abstient.
Hélios et Sheraz finissent par laisser les appartements des Fontaine pour regagner ceux des Alfirin. Sur le chemin du retour, ils prennent garde aux âmes qui pourraient errer dans les couloirs et se méprendre sur leur présence. L'elfe Alfirin doit avouer qu'il se sent beaucoup mieux. Même si son corps le fait souffrir, comme toujours, cette nuit lui a été bien plus salvatrice qu'il ne l'a imaginé car même s'il a toujours su à quel point Hélios lui est précieux, il a pu constater, une fois de plus, la chance qu'il a de l'avoir près de lui.
C'est sur cette pensée que Sheraz se recouche. Bien entendu, sa servante personnelle et fidèle amie a pris soin d'aérer la pièce afin de chasser les cauchemars, puis de veiller sur lui quelques instants avant de regagner sa chambre. L'elfe Alfirin fixe le plafond, l'esprit serein. Le grand palais est un enfer, c'est vrai mais les serviteurs personnels le rendent beaucoup plus vivable. Que serait Sheraz sans Hélios ? Que serait Faust sans Wan Zi ? Peut-être que le fils Fontaine considère ce dernier comme le frère qu'il n'a jamais eu et le lui a déjà fait savoir. Après tout, à chaque fois que les sœurs Orecaille s'attaquent à Wan Zi, Faust est toujours là pour le défendre. Ce pourrait être pour sauver les apparences, c'est vrai, mais après ce qu'il a vu plus tôt, Sheraz en doute. Il a une pensée pour Wan Zi qui travaille en ce moment-même à la bibliothèque et il songe, avant de s'endormir, que ce pourrait être une bonne idée d'inviter Faust et son serviteur personnel à un goûter.
Trois jours plus tard
Sheraz a bien dormi. Cela fait si longtemps que ça ne lui est pas arrivé qu'il est particulièrement de bonne humeur et qu'un sourire ravi illumine son visage. Même si son corps lui rappelle sans cesse qu'il est malade à cause de douleurs dans le ventre ou bien de quelques faiblesses passagères, l'elfe Alfirin arrive à les ignorer. Là, fixant son reflet dans le miroir de sa coiffeuse, il a tout de même l'impression qu'il reprend des couleurs. Derrière lui, Hélios fredonne une chanson de son invention tout en brossant ses longs cheveux châtains. Sheraz essaye de chanter avec elle, mais il est évident qu'il n'a pas son talent. Ses fausses notes ont au moins le mérite de les faire rire tous les deux. Cette après-midi, quand viendra l'heure du goûter, Sheraz n'aura pas à redouter les autres, pour une fois et il est certain que sa bonne humeur fera parler d'elle.
Soudain, on toque à la porte de sa chambre. Hélios invite la personne à entrer et une servante de bas-rang passe la tête :
— Jeune Maître Sheraz Alfirin, Mademoiselle Hélios Soarre, les salut-elle, veuillez pardonner mon intrusion, mais Monsieur Wan Zi Liu demande à s'entretenir avec vous, Mademoiselle Soarre.
Hélios la remercie d’un sourire et lui fait signe d’attendre dehors. Elle termine la coiffure de Sheraz, puis lui adresse un regard étonné.
— Je me demande bien ce dont il veut discuter, songe-t-elle. Puis-je vous quitter quelques instants le temps de le découvrir ? J’avoue que je voudrais également m’enquérir discrètement de l’état de monsieur Faust…
— Bien sûr, Hélios, sourit Sheraz, d'ailleurs…
L'elfe Alfirin souffle par le nez et hésite quelques instants. On lui a toujours appris qu'au grand palais, il fallait une bonne raison pour faire quelque chose. Il faut aussi sauver les apparences et ne pas se laisser porter par de la sympathie, de l'empathie ou de la pitié. Pourtant, Sheraz a envie de braver ces règles et d'écouter son instinct :
— D'ailleurs, je dois avouer que j'ai pensé à l'inviter à un goûter, mais je crains que tout le monde trouve cela étrange. On pourrait aussi penser que c'est à cause du mariage arrangé entre vous et Wan Zi, même si mère est en train de changer d'avis. Néanmoins j'ai vraiment envie de faire cela par sympathie envers Faust. Qu'est-ce que vous en pensez, Hélios ?
Elle s’arrête en plein mouvement, surprise de cette initiative. Un sourire éclatant se peint sur son visage, qui a retrouvé ses couleurs puisque le soleil brille, et elle hoche la tête en faisant danser ses boucles.
— C’est une excellente idée, répond-elle. Il n’est pas étrange que deux jeunes gens issus de familles comme les vôtres sympathisent. Et puis, je suis certaine que sous ses airs de bibliothèque sur pied, monsieur Fontaine a beaucoup de conversation. Voulez-vous que je me charge de lui passer votre invitation ?
— Oui, s'il vous plaît. Est-ce que vous pourriez la transmettre à Wan Zi ?
Sheraz ignore ce que son initiative pourra bien déclencher comme rumeurs, mais il s'en moque. Il a réellement envie de passer du temps avec Faust Fontaine et il espère que ce dernier ne prendra pas son invitation comme une contrainte. Sheraz glisse à Hélios qu'il peut l'attendre pendant qu'elle s'entretient avec Wan Zi. Tout ce qu'il espère, c'est que la famille Fontaine ne vienne pas remettre la question du mariage sur le tapis…
Hélios promet à son maître de transmettre le message, puis elle vérifie sa tenue, rectifie une mèche rebelle et sort de la pièce pour rejoindre la servante.
— Auriez-vous l’amabilité de me guider ? formule-t-elle avec un sourire poli.
La servante s'incline avec respect puis, les mains croisées sur son ventre. Elle mène Hélios à travers les couloirs du grand palais et cette dernière peut remarquer que toutes deux se dirigent vers les appartements des Fontaine. Cependant, Wan Zi n'aurait jamais eu l'impolitesse de demander à rencontrer Hélios dans un endroit aussi privé que sa propre chambre. Bien au contraire, la servante passe devant la porte sans s'y arrêter et guide Hélios jusqu'à la bibliothèque. Là, elle se fige, se retourne, puis s'incline une nouvelle fois en informant Hélios que Wan Zi y travaille en ce moment-même. Ensuite, la servante prend congé.
Hélios prend le soin de toquer trois fois contre le grand panneau de bois avant d'entrer. Elle sait que la bibliothèque juxtaposée avec les appartements des Fontaine est l'une des plus fournies du grand palais, pour la simple et bonne raison que cette noble famille accorde une très grande importance au savoir, en témoigne l'éducation très sévère et poussée de leur fils unique. Bien des rumeurs circulent à propos des Fontaine qui font beaucoup parler d'eux par leur ambition. On dit qu'ils n'ont pas souhaité avoir d'autres enfants parce qu'ils veulent concentrer tous leurs efforts sur un seul et unique fils, afin qu'il soit parfait. De plus, les sélections organisées pour Faust ont été les plus originales, puisqu'elles se sont toutes concentrées sur le savoir. Les candidats ont dû passer des examens issus de grandes universités et seuls ceux qui ont réussi à avoir des scores parfaits ont été sélectionnés. Ils se sont comptés sur les doigts d'une seule main. Ensuite, Faust a été libre de choisir son serviteur personnel parmi les quatre finalistes et c'est Wan Zi qui l'a emporté. Beaucoup de monde au sein du grand palais dit qu'il est toujours très compliqué de suivre une conversation entre Faust Fontaine et son serviteur personnel.
Quand Hélios pénètre dans la bibliothèque, une odeur de parchemins neufs, de vieux livres et de bois verni lui monte aux narines. La pièce, immense, dégage une atmosphère sereine, presque somnolente, comme si beaucoup d'ouvrages entreposés ici avaient de vieilles histoires à raconter. Hélios ne doute pas une seconde que les Fontaine ont pris soin d'accumuler beaucoup de savoir utiles aux futures générations et que cet endroit est certainement la seconde maison du jeune maître Faust. Les étagères se succèdent, alignées de façon régulière. Ensuite, de longues tables en bois vernies côtoient des fauteuils en toile ainsi qu'un canapé en velour d'un jaune foncé, sans doute celui sur lequel Faust a pu passer une partie de sa nuit, après les évènements récents.
La silhouette de Wan Zi, vêtue de ses éternels habits rouge, ne passe pas inaperçue. Seul au sein de cette pièce, il s'est débarrassé de son long gilet traditionnel de Ningjing et n'arbore qu'une tunique à col mao qui laisse ses bras nus. Son regard clair, frangés de longs cils noir, balayent les lignes d'un ouvrage épais pendant qu'il prend des notes de manière si rapide que Hélios se demande comment il peut bien faire pour écrire aussi vite, jusqu'à ce qu'elle remarque, en s'approchant, que des symboles et des contractions de mots sont tracés. Sa longue natte épaisse repose dans son dos et trace une flèche d'encre jusqu'à sa chute de rein, dégageant son visage si paisible où même la fatigue ne parvient pas à peindre ses traits. Personne n'a jamais vu Wan Zi en colère, affligé, triste ou bien ennuyé si bien que tout le monde l'a assimilé à Faust Fontaine : des faeliens impassibles comme l'orichalque, que rien ne peut atteindre.
— Bonjour, Mademoiselle Hélios, la salut Wan Zi en remarquant sa présence, je vous remercie d'être venue jusqu'ici et je vous prie de m'excuser pour cette entrevue incongrue. J'espère que je ne vous retarde pas dans vos tâches.
Hélios secoue ses boucles avec un sourire poli. Elle prend place sur le fauteuil qu’il lui indique, et elle rajuste ses jupes d’un geste fluide.
— Bonjour, Wan Zi, répond-elle. Ne vous en faites pas, nous n’aurions pas obtenu notre poste si une entrevue impromptue chamboulait tout notre emploi du temps.
C’est en effet une qualité indispensable pour devenir serviteur personnel que de savoir s’adapter. Leur prochain collègue devra d’ailleurs en être capable lui aussi, d’autant que si la Capitaine aime avoir des journées programmées, ses fonctions impliquent beaucoup d’imprévus.
Hélios sourit de plus belle, puis elle désigne la pile de parchemins devant Wan Zi.
— Vous semblez également très occupé, remarque-t-elle. Que puis-je faire pour vous, Wan Zi ?
Le jeune faelien se saisit d'une enveloppe épaisse, cachetée du sceau des Fontaine - une coupe avec une goutte - puis la remet à Hélios en expliquant qu'il s'agit-là d'une commande de joaillerie.
— Mon jeune maître a tenu à me récompenser pour mon travail récent, sourit Wan Zi, alors j'ai souhaité un pendentif des joailleries Alfirin. Cette enveloppe contient les détails de ma commande ainsi qu'une lettre de mon jeune maître. Vous serait-il possible de la remettre à Monsieur Gorthol Alfirin ?
Hélios attrape l'enveloppe, mais Wan Zi la tient fermement quelques secondes sans la lâcher du regard. Enfin, il l'abandonne, puis croise religieusement les mains derrière le dos. Sans se départir de son air serein, il reprend d'une voix tranquille :
— Je vous remercie, Mademoiselle Hélios. Cependant, si j'ai eu l'audace de vous demander de venir jusqu'ici, vous imaginez bien que ce n'est pas simplement pour vous remettre une enveloppe contenant une commande. J'aurais souhaité aborder avec vous le sujet d'une rumeur qui a couru très peu de temps avant d'être étouffée dans l'œuf. Une rumeur dont je sais que vous avez eu connaissance et qui raconte que je fréquenterais des prostituées de bas-quartiers.
Sa curiosité maladive est heureusement venue de paire avec la capacité de rester de marbre, afin de ne pas trahir ce qu’elle savait déjà. La jeune femme affiche donc un air serein en rangeant l’enveloppe dans l’une de ses poches, puis elle croise sagement les mains sur ses cuisses.
— Et si j’avais effectivement eu vent d’une telle rumeur, devrais-je penser qu’il ne s’agit que de racontars ? s’enquiert-elle poliment. Il s’agirait alors d’accusations sérieuses, l’auteur de ces affirmations devrait être très sûr de lui en les répandant, car autrement, cela pourrait se retourner contre lui.
— Si vous aviez eu vent d'une telle rumeur, la meilleure chose à faire serait d'en avertir la personne concernée. Nous sommes des personnalités publiques, Mademoiselle Hélios et malheureusement, les rumeurs de bas étage à notre égard sont légions. Mais je les trouve personnellement très graves quand elles sont lancées par une collègue.
Stella Malherbe a eu la très mauvaise idée de répéter ses mensonges à quelqu'un qui connait beaucoup trop bien Wan Zi pour croire à ce genre de fable. Quelqu'un qui sait par-dessus tout que Wan Zi ne la trompera jamais, même dans le cadre d'un mariage arrangé.
— Ce genre de calomnie pourrait me faire répudier, reprend Wan Zi, et ainsi m'éloigner de mon jeune maître. J'ai pris la liberté de ne pas le mettre au courant afin d'éviter un conflit entre la famille Fontaine et la famille Orécaille. Je ne vous parle pas de tout cela pour vous accuser de quoi que ce soit mais simplement pour vous avertir que même entre collègues, il convient de faire attention à tout ce que l'on entend. Il est évident que je ne fréquente aucune prostituée, Mademoiselle Hélios. Je n'ai pas une telle conduite et je ne dis pas cela pour me justifier auprès de vous dans le cadre du mariage arrangé que l'on veut établir entre nous, puisque quoi qu'il arrive, je ne compte pas vous épouser.
Cette fois, Hélios ne cache pas son étonnement. En tant que serviteur personnel, Wan Zi est tenu de faire ce qu’on lui demande, et refuser ainsi un mariage, même si elle n’en n’a pas très envie non plus… L’atalante pose son menton sur ses mains croisées, et elle esquisse un sourire curieux.
— Voilà qui n’est pas courant, songe-t-elle à haute voix. J’ai non seulement l’impression qu’on me fait la leçon, mais également que vous entendez vous opposer à la décision de nos maîtres. Non pas que je souhaite vous raisonner, Wan Zi, soyons d’accord là-dessus, votre vie ne me regarde pas.
Hélios hausse les sourcils d’un air faussement surpris, puis elle reprend avec innocence.
— Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est bon de se tenir au courant des on-dit, surtout au grand palais. Néanmoins, sachez que ce que je sais, je ne le répète pas avant d’être certaine de la véracité de la chose, et seulement si cela m’est demandé. Ce que vous faites de vos soirées ne me regarde pas non plus, et qui vous fréquentez ou non, c’est votre affaire. J’ai confiance en vous pour ne pas déshonorer la famille Fontaine de la sorte. Notez d’ailleurs que si j’avais eu vent d’une telle rumeur, j’aurais refusé de me tenir seule en face de vous.
En réalité, la scène à laquelle elle a assisté avec Sheraz lui a fait se poser quelques questions. Stella a sans doute entendu cette rumeur de quelqu’un de malveillant, et elle s’est empressée de la lui répéter pour éviter un mariage arrangé. A moins… Hélios fronce son joli nez, puis balaye l’hypothèse qui vient de poindre. Elle y repensera plus tard, pour le moment, elle esquisse une moue souriante à l'attention de Wan Zi.
— Ceci étant, je vous remercie d’avoir pris la peine de m’aviser de ces mensonges, continue Hélios. J’ai pu constater l’affection que vous portez à maître Faust, et je sais que vous êtes un serviteur personnel aussi dévoué que je le suis a l’égard de maître Sheraz. Sachez que je ne m’opposerais pas à notre mariage arrangé, si mes maîtres me l’ordonnent, mais que je ne vous empêcherais pas de le faire annuler, si l’envie vous en prenait. Évidemment, tant que cela ne porte préjudice ni à ma personne, ni à la famille Alfirin.
Wan Zi lui adresse un sourire aimable. Il sait qu'en tant que serviteur personnel, il n'a pas voix au chapitre puisque la décision revient à Monsieur et Madame Fontaine mais par bonheur, Faust est de son côté et tient à lui éviter un mariage sans amour. Peut-être que Sheraz Alfirin fait la même chose pour sa servante personnel :
— Nulle intention de vous faire la leçon, Mademoiselle, Hélios. Je ne me le permettrais pas. Seulement et puisque nous sommes tous les deux concernés par la question du mariage, je tenais à vous parler en toute franchise. Nous ferons chacun de notre mieux pour nous-même et l'honneur de nos familles, mais il y a toujours une porte de sortie pour celui qui sait chercher. Je ne vous retiens pas plus longtemps.
Wan Zi s'incline avec respect, puis s'apprête à retourner à son travail, quand il semble se souvenir de quelque chose. L'air grave, il ajoute :
— Au fait, Mademoiselle Hélios, j'ai eu des nouvelles d'une source sûre, à l'hôpital de la Grande Auréole. Des représentants du pôle judiciaire sont actuellement en train de travailler sur un dossier d'enquête concernant la fée Milliget qui a détruit les Abysses. Il est question, pour eux, d'entrer en contact avec toutes les personnes qui connaissent les fées de près ou de loin et vos noms, à vous et votre jeune maître, ont été évoqués. Je tenais à vous prévenir.
Le cœur d'Hélios accélère, mais elle garde l’air calme et affiche une moue pensive.
— Il est vrai que mon jeune maître apprécie beaucoup de discuter avec maître Sira, je pense que c’est pour cela qu’ils ont pensé à nous, réfléchit-elle à haute voix. Merci, Wan Zi. Avant de nous quitter, je souhaitais vous faire part d’une requête de mon maître.
Hélios se lève et sourit gentiment, en inclinant ses boucles.
— Maître Sheraz serait honoré si maître Faust acceptait de prendre le goûter en sa compagnie. Auriez-vous l’amabilité de transmettre cette invitation à votre maître, et de nous faire parvenir sa réponse ? Vous êtes bien entendu convié également, et pendant que nos maîtres feront la conversation, je pourrais jouer ou chanter. Seriez-vous assez aimable de demander à maître Faust s’il aime un morceau en particulier ? Mon répertoire est assez varié, et je pense pouvoir satisfaire tous les goûts.
Tout d'abord surpris par l'invitation, Wan Zi l'accepte avec un plaisir non dissimulé. Il est certain que pour son jeune maître, prendre le goûter avec Sheraz Alfirin, loin des sœurs Orécaille, lui fera passer un bon moment.
— Je transmets l'invitation tout de suite, Mademoiselle Hélios et je peux affirmer sans me tromper que mon jeune Maître sera ravi et qu'il vous rendra réponse dans les plus brefs délais. Quant à ses goûts musicaux, eh bien en ce moment il serait enchanté par tout ce qui peut lui évoquer la nature et le grand air, pour lui qui n'a que très peu d'occasions de se promener dans les jardins. Et il apprécie également d'écouter de la harpe.
Hélios répond que c’est parfait, et que dans ce cas, elle jouera pour leur plaisir à tous. Puis elle prend congé, les paroles de Wan Zi tournant en boucle dans sa tête. Il lui faudra également discuter avec Stella, qui doit être mortifiée de s’être trompée sur la rumeur à propos de leur collègue…
Le profil de Nevra Mircalla se découpe à la lumière du jour. Posté derrière une grande fenêtre du manoir de ses parents, il laisse son œil gris s'égarer sur un horizon qu'il doit connaître par cœur. Peut-être que la paix qui règne au sein du parc parvient à l'éloigner de sa propre situation à moins que, Nevra Mircalla ne s'inquiète ni de maintenant, ni de demain, comme l'indique son sourire paisible. Helouri observe les reflets sur ses cheveux ainsi que son profil noble. L'ancien Chef de la Garde de l'Ombre a toujours été séduisant et les rumeurs sur son quotidien sulfureux ont animées le quotidien du Quartier Général d'Eel. Helouri n'y a jamais prêté la moindre attention. Pour lui, Nevra Mircalla a été le plus enthousiaste, énergique et taquin des trois Chefs de Garde. Il le voyait de temps à autre, à l'extérieur, rire de lui-même ou bien raconter une plaisanterie qui le rendait hilare jusqu'aux larmes. Pourtant, malgré son attitude insouciante, il savait gérer sa Garde et dépenser l'argent des Mircalla à bon escient. Peut-être que Nevra savait trouver un petit peu de chaleur faelienne là où sa famille n'y était pas et faire parler de lui de sorte à ce que ses propres parents le sermonnent pour sa conduite. Au moins, ils lui disaient quelque chose. Helouri n'a jamais pensé à tout cela, mais depuis qu'il côtoie les fées et qu'il se prépare pour les sélections, le monde des gens aisés lui apparaît comme une jungle hostile où seules les apparences peuvent tout sauver. Il a entendu dire que les mariages d'amour n'ont jamais été légion et quand il sait que même les serviteurs personnels sont soumis aux unions arrangées, ça ne l'étonne guère.
Le jeune morgan se met ensuite à observer Rose Clarimonde. La complicité qu'il y a entre lui et Nevra est évidente. Aussi évidente que l'était celle entre Helouri et June. Même si les deux vampires sont comme le jour et la nuit, ils se complètent à merveille. Rose est capable de deviner à quoi Nevra est en train de penser, le regard perdu vers le parc, derrière la fenêtre. Quant au vampire Mircalla, il connaît sûrement les peurs les plus profondes de Rose Clarimonde ainsi que ses blessures de vie. Tous deux se sont retrouvés emportés par la tempête des fées Milliget, sans pouvoir s'en sortir, de la même manière que Helouri en cet instant. Les voilà à devoir réfléchir, puis se préparer, à affronter une histoire de poison et de remède, de racines et de sèves. Candice veut que Helouri entre au grand palais afin de retrouver une partie de son peuple quand Delta et Shelma Milliget, eux, veulent en faire sortir quelqu'un. La racine. Le jeune morgan serre les pans de sa tunique entre ses doigts. Il a l'impression que plus les sélections se rapprochent, plus on lui demande l'impossible. Il sent le regard de Shelma Milliget sur sa personne et il craint un instant qu'il puisse douter de ce que Helouri fera, en quittant le manoir. Qu'est-ce que Candice dira des racines et des sèves ? Des quatre sujets humains dont il a lui-même injecté, dans leur sang, l'antidote au poison le plus pur ? Qu'est-ce qu'il dira de la présence de Nevra Mircalla, de Rose Clarimonde, de son frère, Shelma, puis de Balam Le faucheur ? Helouri lui jette un regard et pince les lèvres. Il se rassure en songeant que l'ancien guetteur est un dava de la reine, à présent. Candice ne peut rien lui faire, sauf que la haine de la fée Milliget envers Balam est si grande qu'il serait tout de même capable de provoquer un accident…
Le jeune morgan retient un soupir. Il s'en veut. Il sait que ce qu'il fera pourrait coûter très cher à tous les individus de cette pièce qui ne sont pas des fées, mais quand il s'agit de Candice, il vaut mieux montrer pattes blanches. D'ailleurs, Helouri se demande ce que son maître fera face à la justice d'Odrialc'h. Il est étonnant qu'il coopère de bonne grâce en restant bien tranquille au sein du lotissement, près de l'hôpital. Peut-être qu'il s'amuse des hautes instances en train d'avoir l'impression qu'une bombe pourrait exploser à tout instant, au sein de la cité.
— Euh…
Les joues d'Helouri rosissent quand tous les regards se tournent vers lui. Nevra, tiré de ses pensées, lui adresse un coup d'œil bienveillant et Balam l'encourage à poser sa question. Helouri se reprend, puis s'adresse directement à Shelma Milliget :
— Excusez-moi, mais est-ce que vous connaissez le projet de votre frère, face à la justice d'Odrialc'h ? Qu'est-ce qu'il compte faire ?
Candice lui a dit que lorsque ce moment viendrait, alors Helouri adorerait son maître. Lui qui se tiendrait au grand palais en tant que serviteur personnel de Shakalogat Gra Ysul, pourrait tirer parti des actes de Candice, en plus du savoir unique que ce dernier lui aura appris, parce que le jeune morgan aura réussi à remporter les sélections. Est-ce que ce savoir aurait un rapport avec la racine et la sève ? C'est ce que pense Helouri. À moins que Candice ne veuille lui enseigner quelque chose sur l'espèce humaine elle-même…
— Ce n'est pas ainsi que tu devrais réfléchir, dava teb Qenndys, lui suggère Shelma d'un ton très calme, mais c'est aussi la raison pour laquelle aucun faelien n'est parvenu à prendre le dessus sur notre peuple.
— Sauf les hautes instances d'Odrialc'h qui ont fait un coup d'éclat… fait remarquer Nevra.
— Justement, Nevra, intervient Rose d'une petite voix, elles pensent avoir fait un coup d'éclat.
Shelma lui lance un regard satisfait et hoche la tête. Helouri, lui, a l'impression de devoir résoudre une équation incomplète. Perplexe, il attend que Rose se mette à expliquer ses propos :
— Quand j'étais au service de Maître Candice, il ne cessait de penser à la façon dont il mettrait Odrialc'h à genoux. Mais avant cela, il devait prendre la vie de Leiftan Tuarran parce qu'il était le geôlier des anciens et des enfants du peuple des fées. Maître Candice ne le soupçonnait pas, il en était convaincu. Mais d'après vous, Maître Shelma, il a commis la même erreur que les faeliens.
— C'est exact. Il a oublié que notre grand-père, les anciens et les enfants de notre peuple sont des fées. Et il a également oublié que notre grand-père est la fée qui lui ressemble le plus.
Helouri fronce les sourcils, attentif. Il commence à comprendre. S'il suit ce qu'il sait du peuple de Candice, alors l'espèce elle-même et la famille sont encore une fois au centre de tout et si Shelma Milliget précise que Candice et son grand-père se ressemblent beaucoup, alors…
— Détourner l'attention, souffle le jeune morgan pour lui-même.
De par son règne, Polaris Milliget a dû assister à beaucoup de choses et accumuler un grand nombre de connaissances, lorsque Odrialc'h a voulu étendre son pouvoir jusqu'aux Terres Gelées du Grand Nord. Les prémices de la conquête terrienne se dessinaient et Helouri doute fortement que Polaris n'ait pas voulu les utiliser à son avantage pour protéger son peuple. Il s'est incliné face à Odrialc'h, il a empoisonné les sols d'Eldarya sans broncher et maintenant, il est prisonnier. Si Polaris Milliget et Candice se ressemblent réellement en tous points, alors Polaris aurait dû réduire Odrialc'h à feu et à sang.
— Et si votre grand-père, reprend Helouri face à l'expression inquisitrice de Shelma, s'était fait prendre avec les anciens et les enfants de votre peuple pour détourner l'attention ? D'après ce que vous dites, lui et Maître Candice sont très similaires. Si Maître Candice se laissait capturer par des ennemis, ce serait pour une bonne raison. Peut-être que lui aussi a décidé de faire face à la justice d'Odrialc'h pour détourner l'attention des hautes instances ?
Quoique… Helouri ne parvient pas à déterminer pourquoi Candice a attaqué Eel tout seul et s'est laissé mettre en cage comme un familier. Prendre la vie de Leiftan Tuarran au prix de la sienne ou se laisser traiter comme une bête pour protéger son peuple, certes. Mais selon le jeune morgan, Candice aurait dû aller plus loin dans ses machinations et l'Eel Rouge ressemble beaucoup trop à un coup de folie qu'à un plan soigneusement ficelé.
— Tu as un cerveau qui fonctionne, dava teb Qenndys. Préserve-le. Suis ta logique et peut-être que tu découvriras ce que ton maître tient tant à cacher derrière son procès, là où les yeux du monde seront rivés.
— Vous voulez que je le découvre ?
— Oh, qu'il est mignon et qu'il est malin ! s'exclame Nevra.
Le vampire se retourne puis, avec des gestes théâtraux, s'incline face à Helouri. Quand il se redresse, il se met à faire les cent pas, les mains derrière le dos, puis ajoute :
— Il semblerait que notre cher Maître Candice cache quelque chose à sa famille et ce serait merveilleux si nous pouvions savoir ce que c'est ! Puisque Rose a démissionné - Nevra lui adresse un clin d'œil - C'est toi qui est à présent le mieux placé pour savoir ce qui se trame.
— Mais je pensais que les fées d'une même famille n'avaient pas de secrets entre elles ? Que sa Majesté Delta Milliget ainsi que vous, Maître Shelma, soyez en désaccord avec Maître Candice s'entend. Mais je ne pensais pas que vous puissiez vous cacher des choses.
Helouri a tout de suite regretté ses paroles après les avoir prononcées. Un silence glacial a enveloppé le salon du manoir. Balam s'est plongé dans la contemplation de la fiole vide qui a contenu son analgésique pendant que Rose semble soudain avoir pris dix ans de plus. Dans l'esprit d'Helouri, la voix de Doubine lui chuchote de s'éloigner des querelles familiales des fées et il songe qu'elle a raison. Même si la colère n'a pas tordu les traits de Shelma, le jeune morgan sent la fée Milliget dresser un rempart entre lui et le reste du monde et quelque part, c'est agaçant. C'est d'autant plus agaçant quand on est un dava et que les miettes de savoir tombent quand les Maîtres le veulent et que la curiosité se punit par le froid ou par les sarcasmes. Dans tous les cas, Helouri reste persuadé qu'il n'est pas le seul que Candice tient dans l'ignorance.
— Préserve ton cerveau, mais attention à ne pas te prendre pour ce que tu n'es pas.
Le jeune morgan ne répond pas. Visiblement, même Shelma Milliget n'apprécie pas les dava trop curieux et plus Helouri cherche à creuser, plus les mots de Doubine concernant les querelles familiales prennent leur sens. Bien, il ne va pas s'en mêler. De toute manière, il n'est pas assez idiot pour provoquer la colère de Shelma.
— Une dernière chose avant que tu partes : mon frère, Sira, se trouve avec Candice, dans le manoir de notre famille. Je m'y rendrai plus tard mais en attendant ce moment, je voudrais que tu me donnes régulièrement de ses nouvelles. Sira se trouve dans le même état que ta mère, dava teb Qenndys, je le sais, et même si la médecine ne peut pas encore expliquer ce qui leur arrive, elle finira par le faire.
Helouri ne doute pas que Candice travaille d'arrache-pieds pour essayer de réveiller Sira. Seulement, comment Sexta Stoker, qui n'est pas médecin, a pu faire pour enfermer un esprit de la sorte ? Ce n'est même pas explicable. Toute la belle logique des Milliget ne peut rien contre ça et de là où elle se trouve, l'Impératrice des Abysses doit bien rire.***
Quand il quitte le manoir des Mircalla, Helouri a l'impression de se trouver face à une pelote de fils emmêlés les uns aux autres. S'il pouvait prendre le temps de se plonger dans ses réflexions, il tâcherait de noter ses pensées, quitte à devenir l'auteur d'une histoire qui parle de racines et de sève. De fées, aussi et d'un monde en train de sombrer. Il a bien retenu les prénoms des quatres cobayes humains, tout comme il n'a pas oublié la limite qu'il a franchie lorsque Shelma Milliget lui a fait comprendre qu'il ne doit pas se prendre pour ce qu'il n'est pas. De toute façon, Helouri a déjà saisi que même dans une famille de fées, des secrets subsistent.
En regagnant le quartier de Meskem, le jeune morgan décide de faire un détour avant de se rendre au lotissement, près de l'hôpital. Peut-être que Shelma Milliget le fera suivre juste après leur entrevue pour s'assurer de son silence, alors Helouri préfère rester prudent. Il peut imaginer Rose et Nevra sur ses talons pendant que Balam resterait enfermé à l'intérieur du manoir. Quand il pense à lui, le jeune morgan a de la peine. Il aurait aimé pouvoir lui parler plus longuement, profiter de sa sagesse, même éreintée, car Balam a toujours quelque chose à lui apprendre. Comment aurait-il fait face à June ? Comment se serait-il comporté sur le bateau des goules pendant le trajet et enfin, si Balam avait dû être un dava de Candice, comment l'aurait-il supporté ? Helouri grimace. En vérité, c'est l'ancien guetteur qui aurait fait un candidat parfait pour les sélections. Il est raisonnable, intelligent, vertueux et réfléchit. Il sait toujours quoi faire même dans les pires moments et il ne manque pas de courage. Avant la catastrophe qui a touché la cité d'Eel, Balam savait même briller par sa simplicité. Helouri se sent navré qu'il ait perdu une grande partie de lui-même mais au fond, peut-être que Balam s'est simplement endormi d'une autre manière que Cristal et Sira, et qu'il finira par se réveiller.
Helouri s'arrête à l'auberge de la Mine d'Or. À cette heure-ci, June est à l'école militaire et son père, en train d'enquêter avec les gardiens d'Eel et les soldats d'Odrialc'h, alors le jeune morgan sera tranquille. Il gagne sa chambre, décide de se laver puis de se changer pour son futur entretien à l'hôpital, puis se laisse tomber sur la chaise qui fait face à son bureau. Il songe tout d'abord à répondre à la lettre de Doubine mais en vérité, il ne sait pas quoi en penser. Une partie de lui persifle que Doubine ne peut pas comprendre. Elle n'est pas dans sa situation et June n'a rien à voir avec une petite amie que Joseph et Cristal n'apprécieraient pas du tout, au point de flanquer leur fils à la porte. D'ailleurs, ils n'auraient jamais fait cela. Puis, une autre partie de lui murmure que ça ne serait pas un mal qu'Helouri réfléchissent aux mots de Doubine. Parfois, regarder la situation sous un autre angle suffit pour trouver des solutions ou au moins l'affronter. June ne redeviendra jamais comme avant et si le jeune morgan suit son idée stupide de faire le deuil d'une personne vivante, la réalité, elle, ne changera pas pour le satisfaire. June sera toujours là. Elle continuera son petit jeu, poursuivra son but, agira comme bon lui semble et lui, Helouri, a le choix entre l'ignorer tout en la craignant ou bien l'affronter. Mais l'affronter, c'est endosser la responsabilité de ce qu'ils sont tous les deux. De ce qu'ils ont été et de ce qu'ils sont devenus dès lors qu'Eel est tombée et que Cristal a été capturée. Après la catastrophe, quand Sexta est apparue, June s'est inclinée pour sauver Helouri, il s'en souvient. Elle lui a évité d'être vendu à des pervers qui auraient apprécié ses jolies petites bouclettes nacrées. Celles du haut et celles du bas. Helouri réprime un haut-le-cœur quand la voix de la terrible vampire résonne dans son esprit. Oui, il aurait pu mal finir, il aurait pu subir ce que sa mère a enduré et ça aurait pu être lui, dans une chambre d'hôpital, à être réduit à l'état de corps vivant, avec l'âme morte. Alors affronter June, c'est grandir, se souvenir, regarder sans se mentir, reconnaître que sa sœur est en vie et que la tuer alors qu'elle respire, c'est indigne de ce qu'il veut devenir.
Helouri a été incapable d'écrire sa lettre pour Doubine. Juste avant de quitter l'auberge pour le manoir des Milliget, il a essayé de se projeter pour son futur entretien à l'hôpital mais là encore, ses idées se sont emmêlées et ça n'a rien donné. Helouri sent une pointe de sel se planter dans sa poitrine alors qu'il se trouve sur le perron, prêt à saisir le heurtoir en forme de croissant de lune. Là, il redevient le petit morgan prêt à courir se cacher dans les jupes de June ou de sa mère. Il n'est pas un serviteur personnel digne de ce nom, si sûr de lui, si capable d'assumer moult tâches à la fois et aussi infaillible qu'une colonne d'orichalque. La route est longue, tortueuse, complexe et si Helouri n'est pas encore prêt, d'autres le sont déjà.
La porte s'ouvre avec brusquerie et le jeune morgan se confronte au regard assassin de Candice, tapi dans l'ombre de l'entrée. Helouri déglutit, puis met un pied dans le manoir. Derrière lui, Candice prend soin de refermer la porte sans se montrer. Il se dérobe toujours aux regards des curieux qui vivent dans les belles demeures alentour et savent qu'une fée qui sera jugée par Odrialc'h se tient là, juste à côté d'eux. Le jeune morgan s'est toujours demandé pourquoi la fée Milliget n'use pas de son arrogance habituelle, elle qui apprécie d'ordinaire remettre les espèces inférieures à leur place.
— J'espère que tu es prêt pour ton entretien, tout à l'heure, dava, lui lance Candice d'une voix aigre en guise de salutations.
— Je… oui, répond Helouri, mais j'ai quelque chose à vous dire.
Le jeune morgan sent une pierre tomber dans ses entrailles. Si son maître est déjà au courant de son escapade dans le quartier de Davazenn, alors peut-être qu'il ne se mettra pas beaucoup en colère, face à la loyauté de son dava. Sinon, Helouri n'a plus qu'à affronter une tempête. Son regard d'argent s'égare sur la porte fermée du grand salon, là où Sira se repose dans un fauteuil pendant la journée. C'est aussi la pièce dans laquelle Candice travaille sans relâche pour essayer de réveiller son frère et percer le maléfice de Sexta Stoker. Helouri n'a pas le droit d'y entrer. Il a à peine le droit d'y toquer et seulement si c'est pour un bonne raison. Plus loin, un couloir forme un grand L dont l'angle présente une porte qui mène vers le bureau où Helouri étudie et c'est là tout ce qu'il connaît du manoir des Milliget. Il n'est jamais allé à l'étage, il n'a jamais utilisé les commodités et ne sait pas à quoi peut bien ressembler la cuisine. Candice ne l'autorise pas à aller ailleurs que dans ce petit bureau dont la fenêtre donne sur l'étang aux libleunettes.
— Qu'est-ce que tu veux ? demande brusquement la fée Milliget.
Helouri se retourne pour croiser son regard acéré. Il faut faire vite, parce qu'il n'a pas le temps. Il n'a jamais le temps. Pendant que son petit dava nourrit son cerveau de connaissances, Candice doit mettre les siennes à l'épreuve et les affûter pour réveiller son frère. Alors pendant qu'il parle, Helouri le suit du regard. Il n'a jamais eu autant l'impression d'être un rongeur guetté par un rapace en vol. Ses maigres mains derrière son dos, Candice l'écoute sans rien dire, s'animant avec un calme beaucoup trop salutaire pour finalement marcher d'un pas tranquille et s'adosser contre la porte qui donne sur le salon. Là, il fixe Helouri comme s'il se demandait quelle punition serait la plus adéquate, puis il récapitule de sa voix traînante, sans crier :
— Tu as été approché par la saloperie de vampire qui m'a servi et son abruti de maître-minaloo et tu t'es dit que ce serait une bonne idée d'aller les voir dans le manoir Mircalla, juste pour savoir ce qu'ils te voulaient. Il t'est venu à l'esprit de m'en parler, bien sûr, puisqu'il est tout à fait logique, en tant que mon dava, que quand des… Gens qui ont tendance à vouloir agir contre moi souhaitent s'entretenir avec toi dans mon dos, de me le faire savoir. Et toi, tu t'es dit que ce serait utile d'y aller, d'apprendre des informations, puis de me les rapporter.
Candice a dit tout cela comme s'il résumait le contenu d'un livre particulièrement ennuyeux. Néanmoins et pendant son discours, l'un de ses sourcils s'est haussé et Helouri ne sait pas encore s'il trouve son initiative assez stupide pour la lui faire payer ou bien pour s'en amuser.
La fée Milliget le fixe encore quelques instants quand soudain, elle agite sa main gauche, puis lui somme d'un ton las :
— Viens là.
Helouri sent une sueur glacée couler le long de sa colonne. Sa gorge devient sèche et ses yeux s'agrandissent tant qu'il doit ressembler à un crowmero pris dans les faisceaux prédateurs d'un xylvra affamé. Une petite voix lui rappelle que Candice ne peut pas le frapper. Helouri est un candidat pour les sélections, alors il ne peut pas avoir de marques sur le corps. Mais Helouri se souvient aussi que c'est June qui paiera pour toutes ses erreurs, alors quitte à choisir, il préfère être frappé. Le cœur au bord des lèvres, il finit par s'avancer, ses jambes tremblantes répugnant à s'approcher de Candice tout en sachant que l'impatienter n'est pas une solution plus enviable. Enfin, quand il se trouve à portée de bras, Helouri sent la main gelée de la fée Milliget s'abattre sur sa tête tel un chead hivernal particulièrement répugnant. Ensuite, Candice se met à lui flatter le crâne comme un maître récompenserait son minaloo d'avoir si bien appris ses ordres et le jeune morgan encaisse l'humiliation sans rien dire :
— Là, raille la fée Milliget sans cacher son amusement, tu es un bon petit minaloo fidèle à son maître. Je vais te donner un os et si tu roules sur le dos, tu auras même le droit à un jouet.
Candice continue son petit manège quelques instants puis, une fois qu'il en a assez, sa main s'immobilise, plonge dans les boucles nacrées, puis en attrape une poignée. Helouri se fige, le coeur battant, sans oser lever ses yeux glacés, mais il n'en a pas besoin puisque Candice se penche afin de mettre son visage à hauteur du sien, puis sa voix se met à trancher :
— De toute façon, tu sais bien que tu n'es pas assez futé, ni assez puissant pour espérer me tromper. Si j'avais dû apprendre ta petite escapade par quelqu'un d'autre que toi, je ne me serais pas contenté de te hurler dessus. Mais tu vois, dava, ça…
Candice le repousse avec violence et Helouri doit se tenir au mur pour ne pas tomber. Il se tend, de peur que la fée Milliget puisse fondre sur lui pour le malmener, mais Candice se contente de rester adossé à la porte du salon, le visage crispé :
— Ça, c'est ce qui fait de toi une vermine ! s'emporte-t-il, tu ne m'es loyal que parce que je te fais peur, et si je te fais si peur que ça, c'est parce que j'en ai le pouvoir ! Tu sais quelles différences il y a entre nous - Oh, oui bien sûr, il y en a des millions - Mais celle que tu dois t'enfoncer dans le crâne, dava, c'est la conviction ! Pourquoi.
Pourquoi Helouri fait les choses ? Pourquoi s'est-il soumis à Candice ? Pourquoi accepte-t-il de devenir son outil ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi… Il doit être sûr en tout lieu, en tout temps. Il doit être sûr que lui sans jamais faillir, parce que c'est ainsi que sont les serviteurs personnels. Le doute ne fait pas partie de leur profession, en apparence, et quand il s'impose à eux, alors c'est dans le secret de leurs crânes mais jamais trahi par leurs visages ni leurs voix.
— Aller, dis-moi dava, le presse Candice, pourquoi tu as rendu visite aux deux abrutis de vampires à leur manoir ?
— Parce que… Parce…
— Plus vite que ça ! Tu sais pourquoi tu l'as fait ! Dis-le moi tout de suite !
— … Vous m'auriez puni, de toute façon…
— Bien sûr que je t'aurais puni. Ta soeur aurait payé pour toi. Mais encore ? Il y a autre chose qui t'a mené là-bas, à moins que tu ne sois qu'une saloperie de poisson uniquement guidé par la peur et dans ce cas, je me débarrasse de toi maintenant et je vais chercher un autre candidat !
— Je voulais juste voir…
— VOIR QUOI ?
— BALAM !
Il a l'impression d'avoir vomi le prénom de l'ancien guetteur. Qu'il l'a arraché du fond de sa gorge pour le sortir, avec toutes ses émotions affolées en train de courir dans tous les sens au sein de son esprit. Alarmé, Helouri se ramasse sur lui-même, réalisant qu'il a crié. Qu'il a crié face à Candice et sur Candice. Il a crié… Son souffle lui manque. Ses muscles tendus à l'extrême lui font mal et sa main collée au mur est moite, recouverte d'une pellicule de sueur âcre, comme le reste de son corps. Il ouvre la bouche comme un poisson hors de l'eau et lève ses yeux larmoyants vers Candice, prête à lire une colère noire sur son visage. Mais sa peur s'essouffle quand il avise de la stupeur. La fée Milliget se reprend bien vite et se recompose une expression hautaine, une arrogance presque exagérée tant il ne s'attendait pas à ce que le nom de son ancien geôlier se retrouve sur le tapis du manoir de sa famille.
— Balam ? Ça ? Jusqu'ici ?
La figure de la fée Milliget s'illumine comme si le fait de savoir que l'ancien guetteur se trouve à Odrialc'h la remplissait de joie. Un large sourire étire ses lèvres, dévoilant ses dents pointues, alors que toute la haine tournée vers Balam Lefaucheur l'agite. Candice se décolle de la porte du salon, puis commence à faire les cent pas, les bras derrière le dos, puis croisés sur sa poitrine, et enfin le long de son corps maigre.
— Alors comme ça, ça s'est sorti de l'hôpital, ça s'est remis à marcher et en plus, ça s'est traîné jusqu'ici… gronde Candice pour lui-même, comme si être le dava de ma mère, ça va le sauver, il croit vraiment que…
Mais Helouri ne saura jamais ce que Balam est supposé croire, parce que Candice rive ses yeux métalliques dans les siens. Cette fois, l'étincelle de colère n'est pas feinte. Si le jeune morgan avait avoué que c'était Rose qu'il voulait rencontrer, ou même Nevra, Candice ne l'aurait pas aussi mal accueilli.
— Tiens, parler de ça, me ramène à quelque chose qui pourrait t'apprendre le respect de tes convictions, dava. Tant que tu obéiras aux lois de la peur, tu n'iras nulle part. Tu dois toujours te souvenir de qui est ton maître, c'est évident, mais tu dois aussi garder à l'esprit ce pourquoi tu rampes à mes pieds aujourd'hui.
Tu dois être sûr de tout, tout le temps. Tous les jours. Pourquoi ? Qu'est-ce qui te portes ? Qu'est-ce que tu veux protéger ? Pourquoi tu entrerais au grand palais ? Pourquoi tu entrerais au grand palais…
— Toi, tu ne m'as jamais vu comme ça, mais l'autre ozna et ta chère sœur en ont été témoins. Moi, dans une cage, sale et affamé. Je venais de faire tomber une cité pourtant, je n'ai pas pu m'extraire moi-même d'une prison. Pourquoi, à ton avis ?
Il aurait pu manger. On lui a donné l'opportunité de manger, mais il ne l'a pas fait. Il a préféré se plier, se soumettre à des êtres qu'il répugne et tout ça pour quoi ? Helouri s'en doute et c'est ton laconique qu'il répond :
— Le peuple et la famille.
— Oui, c'est ça, siffle Candice, parce qu'à ce moment-là, si j'avais mangé pour tuer, alors les enfants et les anciens de mon peuple auraient souffert. Pour les sauver, il fallait me taire et m'incliner, peu importe combien ça me donnait l'impression de me prostituer à l'ennemi. Et le pire, dava, le pire, c'était ton Balam qui a cru pouvoir m'apprivoiser comme un mignon petit maülix…
La fée Milliget laisse échapper un râle tel un tonnerre en train de gronder, au loin. Elle n'oubliera jamais son ancien geôlier et Helouri craint que dans les jours à venir, il arrive un terrible accident à Balam comme une effrayante coïncidence.
Mais il a compris ce que Candice veut lui enseigner, ce qu'il appelle la conviction et qui ressemble plutôt au sacrifice de soi. Il sursaute violemment quand la fée Milliget frappe la porte du salon du plat de sa main. La pièce où Sira se repose dans son fauteuil.
— C'EST ÇA LE DON DE SOI, DAVA ! C'EST POUR ÇA ET UNIQUEMENT POUR ÇA ! TU T'EN FOUS QU'ON TE LAPIDE OU QU'ON T'ÉCRASE TANT QU'À LA FIN TU VIS POUR ÇA !
Helouri le fixe avec de grands yeux. Le visage de sa mère se dessine immédiatement dans son esprit, suivi de celui de son père et de celui de June. Il a l'impression que son cœur vient d'être mis à nu. Que ses désirs, ses souhaits, ses ambitions et son idéal s'échappent pour quitter cette enveloppe lâche qui les maintient prisonniers. Helouri veut être une ancre pour sa famille et non plus un boulet à leurs chevilles. Il veut muer, laisser son enveloppe pathétique derrière lui et pouvoir tout endurer tant qu'à la fin, son père se reconstruise, sa mère sorte de son sommeil effrayant et que le monstre à l'intérieur de June s'endorme de nouveau. Il veut, il veut, il veut… Nager même s'il en suffoque, au sein d'océans dangereux, vers des rivages qui se moquent de lui et des plages couvertes d'or, bordant un palais qui n'accueillera qu'une seule âme, cette année. Helouri veut être cette âme-là, ce morgan-là, cet homme-là.
— C-c'est pour… balbutie Helouri.
Il ferme les yeux, se reprend, puis essaye de toutes ses forces de maîtriser sa voix :
— C'est pour ma famille, que je rampe devant vous, mais aussi pour moi.
— Pour toi ? raille Candice avec un sourire mauvais.
— Oui. Parce que j'ai l'impression d'être un poisson mort qui attend d'être ramassé, alors que je voudrais nager, même si je dois me noyer.
Candice le toise de toute sa hauteur. Il s'approche d'Helouri à pas lents, se penche vers lui, ses longs cheveux châtains glissant sur son épaule, puis lui souffle :
— Kol.
Bien. Un lourd silence s'abat sur l'entrée du manoir des Milliget. Helouri a l'impression d'avoir été vidé de ses forces pourtant, il sait qu'il a tout intérêt à se rassembler car dans peu de temps, il va devoir passer son entretien à l'hôpital. D'ailleurs, Candice ne l'a pas oublié. D'une voix tranchante, il donne ses ordres, comme si la conversation qu'ils ont eu, plus tôt, était déjà loin :
— Après ton entretien à l'hôpital, tu te rendras au marché, dava. Il y a des tentes pourpres qui n'accueillent qu'une clientèle recommandée par de hautes personnalités. Tu y donneras un courrier de ma part et tu commanderas une chandelle d'agonie. Ensuite, tu iras acheter de la glace éternelle. Rapporte-moi ça immédiatement.
— Shaw.
Pendant que Candice retourne s'enfermer dans le salon, Helouri quitte le manoir. Avant son entretien, il a le temps de se rafraîchir aux commodités de l'hôpital, puis de faire le vide dans son esprit. Mais il est sûr. Il n'a jamais été aussi sûr.
Visite d'Odrialc'h avec Negishi Itano
Après le dernier cours d'Histoire de la cité, l'escouade sous la tutelle de la Capitaine a quartier libre. Les entraînements se sont succédés et tout le monde a pu apprendre à connaître June Albalefko, la petite nouvelle, grâce à des combats amicaux.
Isaac Burrini adore sa camarade dans laquelle il se retrouve. Il a l'impression de se revoir à ses débuts, alors il tâche d'être un bon guide. Ycalla Lily aime sa bonne humeur et n'est jamais avare de plaisanteries. June est bon public alors quand elles se retrouvent en binôme, les deux femmes passent de bons moments. Lothric Frère des Cendres quant à lui, s'est trouvé une oreille attentive pour toutes les rumeurs qui circulent au sein de l'école militaire. June est patiente, peu importe qu'il râle sur les autres, elle l'écoute et bien souvent, ils finissent par plaisanter un peu durement sur le fameux béguin d'Helouri pour la Capitaine, qui n'est jamais tombé aux oubliettes depuis le premier entraînement. À vrai dire, seules Narangerel et Magdalène n'ont aucun intérêt particulier pour la jeune femme. Elle est une camarade de leur escouade et elles sont bien trop sérieuses, toutes les deux, pour chercher à s'en faire une amie ou bien à participer à son intégration. De toute façon, Isaac, Ycalla et Negishi s'en chargent bien eux-même. D'ailleurs, aujourd'hui, le kitsune lui propose une promenade dans la cité :
— Tu as pu y faire un petit tour ? s'intéresse Negishi, j'imagine qu'avec les derniers évènements, tu n'as peut-être pas eu le temps. Odrialc'h peut paraître impressionnante quand on ne la connaît pas comme sa poche. Et puis honnêtement, je suis un guide exceptionnel alors je vais te montrer pas mal de trucs intéressants !
— J'espère que tu ne parles pas de toi, se moque Lothric de sa voix traînante, sinon elle va être déçue, la pauvre.
Le sorcier lui adresse un sourire narquois dont il a le secret et Negishi réplique que si ses souvenirs sont bons, leur toutes premières balades au sein de la ville en tant que camarades s'étaient résumées à l'intérêt particulier de Lothric envers Narangerel.
— Oh, Narangerel, chantonne Negishi en exécutant une danse ridicule, ma douce Narangerel, tu as planté tes crochets dans mon cœur !
— Pauvre type ! réplique vertement Lothric, Blobby du fond des marais, va !
Negishi éclate de rire, rejoint par un Isaac qui vient de quitter la salle de classe. Heureusement pour la pauvre Narangerel, elle n'a rien entendu de tout cela puisqu'elle est encore en grande conversation avec Magdalène concernant le futur évènement à venir, qui n'est nulle autre qu'une grande compétition pour déterminer les assignés à la sécurité des sélections.
— Bon, June, reprend Negishi, une petite visite avec le guide idéal ?
— Avec plaisir ! s’exclame la jeune femme en riant. Tu as raison, je n’ai pas encore eu le temps d’en faire le tour, et j’imagine que c’est comme partout, quand on arrive, on a vite fait de rater les meilleurs endroits !
Elle rajuste une mèche de cheveux derrière son oreille et son sourire se fait plus nostalgique, quand elle leur évoque Eel et tous ces coins secrets qu’elle avait fait sien, et où elle aimait se rendre sur son temps libre.
— Derrière un des bâtiments administratifs, il y avait une petite ruelle presque invisible, raconte-t-elle en agitant ses mains. Elle donnait sur un escalier abandonné, et de là, on pouvait aller sur les toits et regarder les étoiles, c’était vraiment joli.
June tourne la tête vers le plafond, comme si elle se remémorait lesdites étoiles, avant de jouer avec sa tresse en esquissant un sourire éclatant.
— On loge encore à l’auberge avec papa et Lou, mais j’espère qu’une fois que les choses seront revenues à la normale, on pourra trouver une maison d’où on pourra regarder les étoiles, avoua-t-elle. Mais en attendant, j’ai hâte de découvrir la ville, Negishi !
Le kitsune lui répond un sourire ravi. Il compatit quant à la perte de la cité d'Eel. C'est un drame épouvantable et il ne comprend pas pourquoi la justice d'Odrialc'h permet à la fée de séjourner dans son manoir plutôt qu'en prison. La noblesse a toujours un traitement de faveur ! Mais pour cet après-midi, Negishi va tâcher de chasser la morosité et de faire découvrir Odrialc'h à June.
Il l'entraîne tout d'abord vers le quartier le plus populaire de la cité, à savoir le quartier de Meskem. Ici, les gens vivent avec peu de moyens, certes, mais ont accès à des logements très corrects dont une partie du loyer est payée par le gouvernement. Le Gouverneur Suprême a toujours refusé que la pauvreté gangrène Odrialc'h et que des gens vivent dans des conditions atroces, alors c'est la raison pour laquelle il a développé ce système de logement qui a été repris par d'autres cités que feu Eel. Contrairement à ce que l'on peut penser, Meskem est un endroit bien fréquenté, rien à voir avec les quartiers rongés par le tap, comme Abenadur.
— Franchement, June, ne t'aventure jamais par là, lui indique Neigishi en lui montrant un petit escalier menant vers le quartier d'Abenadur, déjà parce que tu vas tomber sur des rabatteurs qui voudront te proposer les services de prostitués et ensuite, parce que tu porte l'uniforme de l'école militaire. Ce quartier-là est très sensible et fait l'objet d'un dossier particulier. On ne sait pas encore comment lutter contre la délinquance et c'est un sujet qui va revenir souvent sur le tapis, à l'école. Tu verras. En attendant, évite d'aller là-bas.
Les traits de June se durcissent, alors qu’elle hoche la tête. Intérieurement, elle note le nom du quartier et son accès : s’il est bon de connaître les beaux endroits, il est tout aussi intéressant de savoir où se trouvent les mauvais. Surtout quand on cherche une vampire adepte de ce genre de choses. Peut-être que quelqu’un, là-bas, possède des renseignements sur Sexta. Un as du déguisement comme Nelladel lui sera alors utile pour interroger les mécréants décrits par Negishi. Quant à Helouri, s’il lui porte trop sur le système, il sera facile de l’ennuyer un peu en prétendant l’y avoir croisé. Avec ses antécédents, les accusations n’en seront que plus crédibles.
— C’est noté ! promet-elle.
Negishi la conduit ensuite vers l'hôpital de la Grande Auréole. L'endroit étant connu, June en a forcément entendu parler car il est renommé pour ses docteurs, mais aussi l'enseignement dispensé aux étudiants en médecine. De plus, le lotissement juxtaposé permet aux médecins de pouvoir y vivre avec leurs familles.
— Le Gouverneur Suprême a pensé que ce serait beaucoup plus simple et les prix des manoirs étaient attractifs. Certains médecins qui aiment couper avec leurs métiers quand ils ne sont pas à l'hôpital ont choisi de vivre ailleurs, mais la plupart d'entre eux sont ici. Par contre, je te déconseille d'y faire un tour, car…
Negishi prend soin de vérifier si des oreilles indiscrètes écoutent leur conversation, puis baisse la voix :
— Il y a la fée qui a fait exploser les Abysses. Enfin, toi, tu l'as déjà vue puisque tu étais sur place. Elle vit là-bas en attendant son jugement, donc tiens-toi loin d'ici.
June écarquille les yeux en feignant la surprise, puis à son tour, elle baisse la voix.
— Ici ? Pas en prison ? Mais ils n’ont pas peur qu’elle s’échappe ? Ou que.. Je veux dire, c’est cette fée qui a détruit Eel !
Elle jette un regard à la ronde, car sa voix a un peu déraillée. June lisse sa tresse, la colère et le ressentiment se lisant dans ses yeux améthystes.
— Je n’arrive pas à croire qu’elle ne pourrisse pas en prison, crache-t-elle à mi-voix. En plus, Lou veut étudier à la Grande Auréole… Rien qu’à l’idée qu’il soit si proche de cette fée…
Elle frissonne et resserre ses bras contre son buste, révoltée.
— Je sais ! approuve Negishi, et je suis complètement d'accord avec toi, mais les familles de la haute noblesse ont un traitement différent. De plus…
Le kitsune se rapproche de June pour lui chuchoter :
— Je sais que le pôle militaire craint que la fée détruise l'hôpital et s'en prenne à des innocents si la justice tente quoi que ce soit pour la mettre en prison. En fait, je pense que la fée sait très bien ce qu'elle fait et qu'elle prend la population en otage. Ça met le pôle judiciaire dans un situation très délicate et même si ça ne nous regarde pas, puisque nous sommes encore à l'école, je pense qu'il est important qu'on y réfléchisse. Après tout, nous serons garants de la sécurité d'Odrialc'h une fois diplômés, alors qu'on le veuille ou non, ça nous concerne. Je ne sais pas ce que tu penses, puis…
Negishi se gratte l'arrière de la nuque, puis demande :
— Tu as vu la fée quand tu étais aux Abysses. Elle est si forte que ça ?
June souffle qu’elle est d’accord avec lui, puis son regard se fait lointain. Elle n’a pas besoin de mentir pour dire que Candice est fort. La jeune femme se mord doucement la lèvre, puis elle hoche la tête.
— Aux Abysses, elle s’est battue contre des dizaines de malfrats, murmure-t-elle. Sans une égratignure. Et à Eel, elle a mis le feu d’un claquement de doigt. Elle avait… cette trompe… elle embrochait les gens avec comme s’ils étaient fait de parchemin.
June serre les poings, comme pour se remémorer un affreux souvenir. En réalité, elle repense à Candice qui enfonçait sa trompe dans les jambes de Fawkes et Nelladel. Si seulement il avait pu faire de même avec Sexta… Tuer le cartel pour de bon, afin que le monde soit débarrassé de leur pestilence… Néanmoins, ça aurait été moins satisfaisant que de le faire soi-même. June baisse la tête, puis elle la redresse pour fusiller l’hôpital des yeux.
— Noble ou pas, c’est un criminel, chuchote-t-elle furieusement. Odrialc’h ne devrait pas trembler devant cette fée, au risque de lui donner raison. Avec la Capitaine, toute puissante qu’elle soit, cette fée trouverait un adversaire à sa taille.
Un duel qu’il serait intéressant de voir. June ne sait pas si Candice pourrait tenir tête à la Capitaine, mais s’ils s’entre-tuaient, les choses pourraient devenir amusantes.
Negishi et June quittent l’hôpital pour s’aventurer plus loin dans le quartier de Meskem. Leur humeur sombre se dissipe quand ils arrivent à un endroit que Negishi apprécie particulièrement : la place des Échanges ou le grand marché d’Odrialc’h. Ici, June peut venir faire ses emplettes et trouver à peu près tout ce qu’elle veut ! Des marchands du monde entier viennent vendre leurs trouvailles et le fruit de leur labeur, alors que l’on veuille du tissu de Ningjing, du mithril du Beryx ou bien des potions de Rhenia-Gaear, on peut être assuré de les acheter ici !
— J’essaye de venir tous les jours, confie Negishi car certains articles rares partent très vite. Tu vois les étals avec des tentures pourpres ? Ils sont réservés aux collectionneurs. Tu peux regarder mais tu ne peux pas acheter si tu n’as pas été recommandée. En général, les articles sont surtout vendus aux serviteurs personnels… Ah !
Un large sourire étire les lèvres de Negishi alors que son visage s’illumine. Là-bas, près d’un étal aux tentures pourpres, une magnifique lampade est en train de regarder les différents articles avec attention. Sa coiffure complexe piquetée de perles rouge et or, son visage savamment maquillé ainsi que sa tenue ravissante ne laisse aucun doute quant à son identité. Beaucoup de passants l’ont également reconnue :
— C’est Stella Malherbe, la servante personnelle d’Olga et d’Ekaterina Orecaille, souffle Negishi dont les yeux brillent d’une étincelle admirative.
— Ce qu’elle est jolie ! s’émerveille June sur le même ton.
Ainsi, c’est donc à ce genre de personne qu’Helouri devra ressembler ? June ricane intérieurement. Le charisme délicat dégagé par la lampade n’a rien à voir avec le peu de présence de son frère. Il n’arrivera jamais à rivaliser avec elle, et si tous les candidats lui ressemblent, alors Candice a misé sur le mauvais cryslam.
— C'est vraiment un autre monde, les serviteurs personnels, hein ? sourit Negishi.
Il laisse son regard courir quelques secondes sur la belle lampade, puis décide de se promener quelque peu au marché avec June. Ensuite, il lui montrera les beaux quartiers ainsi que les dirigeables pour y accéder. Il est certain que June n’en a jamais emprunté un !
Soudain, deux silhouettes connues attirent son attention. Negishi donne un léger coup de coude à June, puis désigne d’un signe de tête, un couple en train de regarder des barrettes à cheveux orientales.
June peut facilement reconnaître Lothric Frère des Cendres en compagnie de sa petite amie, Narangerel Orgodol. Le jeune sorcier a troqué sa robe de mage contre une longue tunique ample d’un vert émeraude ainsi qu’un pantalon large. Narangel, elle, est vêtue d’une robe florale noire et verte qui lui sied à merveille.
— Le crowmero et sa lovigis… plaisante Negishi.
Puis il fait un clin d’œil à June en mettant un doigt sur ses lèvres, signe qu’il s’apprête à taquiner Lothric, et se faufile sans un bruit entre les étals. Enfin, quand il se trouve derrière son ami, Negishi lui administre une large tape sur le postérieur en se retenant de rire.
Outré, Lothric se retourne avec des gestes vifs et saisit l’importun par le col pendant que sa petite amie se couvre la bouche, amusée.
Les yeux exorbités, Lothric lève un doigt accusateur et Negishi, les deux mains en signe de paix :
— Ravi de te revoir, Frère des Cendres !
— Pauvre abruti fini à la bile ! Ça, tu vas le payer au prochain entraînement ! Fais-moi confiance !
June se rapproche d’eux en riant à son tour. Lothric s’énerve vite, et Negishi semble beaucoup aimer le titiller. Au fond, elle trouve ça ridicule, mais à une époque, elle aurait sans doute suivi Negishi dans ses bêtises.
— Doucement, Negishi, sourit-elle. Mon père dit toujours qu’il ne faut pas mettre les sorciers en colère, ils sont dangereux quand ils s’y mettent sérieusement !
Elle s’approche de l’étal et adresse un sourire amical à Narangel, avant de poser un regard amusé sur les deux garçons.
— June a raison, soupire Narangerel en glissant sa main dans celle de son petit ami, vous avez quel âge ?
Lothric grogne quelque chose d’inintelligible, mais la querelle est bien vite oubliée. Même s’il se dispute souvent avec Negishi, ça ne dure jamais longtemps et les deux faeliens sont de bons amis.
— Qu’est-ce que vous faisiez ? S’intéresse Negishi.
— Rien qui te regarde, réplique Lothric.
Mais Narangerel désigne une belle barrette ornée de fleurs d’un rose pâle qui se marie à merveille avec ses cheveux de jade. Un récent cadeau de son petit ami qu’elle adore. Alors, à son tour, elle cherchait quelque chose à lui offrir parce qu’elle tient à lui faire plaisir.
— Et vous ? demande amicalement la gorgone.
— Je faisais visiter la cité à June, s’enquit Negishi, elle n’a pas eu le temps de tout voir à cause de l’affaire des Abysses et tu sais comment ça peut être difficile de s’y retrouver.
Narangerel affirme que c’est une bonne idée. Ainsi, June s’intègrera plus facilement.
— Au fait, confie-t-elle à la jeune faelienne, je suis désolée pour ce qui est arrivé à la cité d’Eel. Ici, tout le monde a été très choqué. Eel est une cité amie alors son sort nous touche énormément.
— Merci, répond June en baissant la tête. J’espère que les responsables seront punis à la hauteur de leurs crimes. Pour tous ceux qui ont péri, et pour ma mère, aussi.
Elle esquisse un sourire triste, échange un regard de connivence avec Negishi, puis se recompose un air plus joyeux, comme si elle ne voulait pas laisser le ressentiment la gangrener.
— En tout cas, tu as très bon goût, Lothric, complimente-t-elle. Cette broche te va très bien, Narangerel, tu as de la chance d’avoir un petit ami aussi galant !
— Il sait être mignon quand il veut… se moque Negishi.
Narangerel couvre la bouche de son petit ami avant qu’il ne dise une parole malheureuse, puis remercie June pour le compliment. Elle lance un regard très doux à Lothric et secoue la tête en soupirant, bien trop habituée aux échanges houleux avec Negishi.
Soudain, le sorcier a l’air de remarquer quelque chose d’intéressant parmi la foule qui se presse au marché. Il plisse les yeux, puis un sourire narquois étire ses lèvres alors qu’il interroge :
— Dis donc, June, ce n’est pas ton frère, là-bas ?
La question n’en est pas une puisque Helouri est facilement reconnaissable. Sa peau glacée, ses cheveux nacrés et les tons beiges de sa tenue le font jurer parmi les autres faeliens. Le jeune morgan rôde auprès des étals aux tentures pourpres, visiblement intéressé par ce qu’elles présentent.
— Je crois me rappeler que la Capitaine s’entretient avec les douaniers, au port de Shamshara… raille Lothric en désignant la fin du quartier de Meskem, derrière le marché.
— Lothric ! s’insurge sa petite amie, ça suffit ! C’est mesquin ! On ne se moque pas de quelqu’un à cause de son béguin !
— Je ne me moque pas, s’explique faussement Lothric, je dis simplement que si le frère de June veut profiter de la vue de notre belle Capitaine, elle n’est pas loin. C’est tout.
Mais le sourire goguenard de Lothric affirme le contraire. June rit gentiment en arguant que ce n’est rien : Helouri est amoureux de la Capitaine depuis si longtemps qu’il est habitué à ce que les gens plaisantent à ce sujet. Au fond, elle se félicite de l’avoir mentionné : à Eel, personne n’était au courant de ce secret dont elle était la garante, mais si la rumeur se répand malencontreusement, c’est parfait.
— Tu sais, Narangerel, il a tout à fait conscience que c’est un amour à sens unique, sourit June. Moi, je le soutiens dans tout ce qu’il fait, mais c’est vrai qu’il faut savoir être réaliste. J’espère qu’il finira par trouver quelqu’un qui lui fera oublier ce béguin impossible…
Elle soupire, comme si Helouri était un cas désespéré, puis elle fait la moue en lissant sa tresse.
— Cela dit, je me demande bien ce qu’il fait ici, songe-t-elle à haute voix. En plus, ce sont les étals des collectionneurs, non ? Il ne va rien pouvoir y acheter.
— Il est en droit de regarder, explique Narangerel, comme tout le monde, mais en effet, il ne pourra rien acheter.
Pourtant, sous les yeux de la gorgone, Lothric, Negishi et June, Helouri se penche vers le marchand pour lui dire quelque chose. Il tire une feuille de parchemin pliée en trois, de sa poche, puis la présente à son interlocuteur qui la lit consciencieusement. Enfin, ce dernier prend une plume et appose sa signature avant de ranger le papier dans un petit coffret. Helouri remercie le marchand avec un sourire poli, puis quitte les lieux.
— Je rêve ou il vient de recevoir une autorisation ? s’emporte Lothric.
— Ce n’est pas possible, raisonne sa petite amie, il faut être recommandé par une haute personnalité. Et sans vouloir embarrasser ton frère, June, je doute qu’il connaisse une haute personnalité qui puisse lui donner accès à ces étals.
June reste bouche bée un instant, puis elle secoue la tête. Il est impossible que son frère ait reçu une telle autorisation !
— Je ne comprends pas, fait-elle en arquant les sourcils. Personne, chez nous, ne connaît quelqu’un de suffisamment haut placé pour donner ce genre d’autorisation… Il me l’aurait dit, non ?
Elle jette un regard faussement éperdu à ses compagnons, puis lisse sa tresse avec nervosité. June se mord la lèvre, triture ses vêtements, sans quitter le marchand des yeux.
— Il m’a dit qu’il devait passer un entretien pour travailler à l’hôpital… réfléchit-elle en essayant de se calmer. Vous croyez que ça pourrait être ça ? Quelqu’un à l’hôpital ? Oh, j’espère qu’il n’est pas en train de s’attirer des ennuis comme l’autre fois, avec le t…
Elle se mord la langue pour éviter d’en dire trop, se racle la gorge et rougit, comme si les mots lui avaient échappé.
— Il est si naïf… se reprend-elle.
— Avec le quoi ? s’empresse Negishi, les sourcils froncés.
Lothric et Narangerel échangent un regard choqué, mais restent muets. June rougit de plus belle, mortifiée. Elle inspire profondément, puis leur fait signe de la suivre un peu plus loin, là où personne ne peut les écouter.
— Mon frère est quelqu’un de fragile, chuchote-t-elle. Il a échoué plusieurs fois aux examens de la Garde Absynthe, en partie parce qu’il était trop angoissé quand le Chef Sequoia l’interrogeait. Je l’aidais du mieux que je pouvais, mais sans mentir, la chimie et la médecine, ce n’est pas mon point fort. Pourtant, je croyais que ce serait suffisant de le soutenir comme ça…
June lisse à nouveau sa tresse, un air triste se peignant sur son visage. Elle soupire, hausse les épaules et secoue la tête.
— J’aurais dû faire plus que ça… se désole-t-elle. J’étais prise par mon propre entraînement, puisque je voulais intégrer l’armée d’Odrialc’h, alors je ne l’ai pas vu venir, mais un peu avant la catastrophe, il a été arrêté par l’ex second Clarimonde pour possession de tap.
June leur adresse un regard empreint de déception. Elle argue que son petit frère s’est sans doute laissé embobiné, et qu’il a fait ça en croyant pouvoir réussir l’examen grâce à la drogue. Elle ajoute que leurs parents ont été dévastés, et qu’elle était extrêmement en colère contre lui.
— Je lui ai interdit de recommencer, et je ne lui ai plus adressé la parole pendant plusieurs jours, grimace-t-elle. Ça paraît peu comme ça, mais j’étais vraiment très remontée. Et puis je me suis dit que je devais lui donner une seconde chance, parce que c’est mon petit frère et que c’est aussi de ma faute, j’aurais dû redoubler d’ardeur pour continuer l’entraînement et l’aider à réviser. Ces derniers temps, il ne me parle plus autant qu’avant… je ne sais pas pourquoi, mais il se sent responsable de l’état de maman. Alors j’espère juste…
Elle serre les bras contre son buste, abattue, et ferme les yeux comme pour adresser une prière à l’Oracle.
— J’espère qu’il n’est pas encore en train de faire une bêtise… souffle-t-elle. Odriac’h est une seconde chance pour nous tous, papa… Papa serait détruit s’il recommençait…
Un lourd silence s'abat sur le groupe. Lothric jette un regard mauvais à Helouri puis retient un soupir, comme si le jeune morgan s'enfonçait de plus en plus vers un sous-sol pathétique à chaque nouvelle information qu'il apprend sur lui.
— Le tap… raille-t-il, c'est vraiment l'outil des faibles. Il faut se détester soi-même pour avoir recours à ça.
— Lothric, soupire sa petite amie, je te l'ai déjà dit, c’est plus compliqué que ça…
Le sorcier ne réplique pas et Narangerel mêle ses doigts aux siens en serrant plus fort sa main. Negishi quant à lui, fulmine :
— Dis-toi bien que personne ici ne te juge, June. Le tap, c'est une vraie vermine et beaucoup de monde cède à son appel pour diverses raisons. Puisque tu n'as jamais été une consommatrice, ça ira, mais tu dois déjà savoir qu'une enquête sera menée sur toi et ta famille, non ?
Une chose banale pour tout élève de l'école militaire afin de déterminer s'ils sont éligibles à un poste au grand palais. Mais selon Negishi, le pôle militaire d'Odrialc'h doit déjà avoir connaissance de l'incident d'Helouri avec le tap, puisque le poste de Joseph Ael Diskaret est toujours maintenu.
— June, l'interpelle Lothric, tu penses ce que tu veux, mais à ta place, j'arrêterais de m'occuper de ton frère. Il y a des cas désespérés qui font juste plonger les gens qui cherchent à les aider, avec eux.
June baisse la tête, tandis que les larmes lui montent aux yeux. Elle les essuie d’un geste vif et agrippe sa tresse comme une ancre au milieu de la tempête.
— J’aurais aimé que ça se passe différemment, avoue-t-elle. Je me sens mal à l’idée qu’il fasse n’importe quoi, et je suis en colère aussi, parce que c’est l’opportunité d’une vie qui s’offre à papa et moi. Mais je me sens mal de lui en vouloir, j’ai l’impression d’avoir échoué quelque part… Comme si j’avais raté le test, que je n’étais pas assez digne de cette famille là.
Elle soupire et adresse un pauvre sourire à ses compagnons.
— Je ne veux pas perdre ma place parmi vous, soupire-t-elle. C’est mon rêve, et j’aimerais vous dire sans ciller que je ferais tout pour le défendre, mais je sais bien que Lou est important pour moi. Je ne pourrais pas m’empêcher d’essayer de l’aider, parce que c’est mon petit frère. Je veux me dire que s’il finit par se tromper de chemin, c’est parce que j’aurais tout tenté pour l’en détourner et que rien n’aurait pu le faire changer d’avis. Mais je veux aussi rester ici, me faire ma place, alors je ferais attention à ce que ses actes ne rejaillissent pas sur moi. Je discuterai avec lui, c’est tout ce je peux faire pour ne pas mettre en danger ce qu’Odrialc’h nous offre.
— Et c'est tout à ton honneur, June, répondit Narangerel d'une voix douce, mais n'oublie pas que tu ne peux pas porter toute la misère du monde.
Les nouvelles recrues qui entrent à l'école militaire ont tendance à croire qu'elles peuvent changer le monde alors qu'il n'en est rien et bien souvent, elles l'apprennent à leurs dépends. Être sélectionné par la Capitaine ne signifie pas que l'on va devenir un héros, mais juste que l'on a fait un pas de plus vers le sommet.
Narangerel assure à June que personne ne la juge, ici et que personne ne juge aussi son petit frère, même si un reniflement dédaigneux de Lothric se fait entendre à ce propos. Le tap est une malédiction dont personne n'est à l'abri, malheureusement.
Peu de temps après cette conversation, Negishi et June quittent le couple qui retourne à ses emplettes au marché. Plutôt que de se diriger vers la Grande Auréole ou bien se rendre sur le port de Shamshara, le kitsune préfère montrer un endroit plus intéressant à sa nouvelle camarade : le quartier de Dazavenn.
— C'est le milieu de la pyramide, explique Negishi d'un ton jovial, un quartier très huppé d'où tu peux voir le grand palais ! Il y a aussi de belles maisons et si on est chanceux, on verra peut-être un serviteur personnel !
En quittant le quartier de Meskem, June et Negishi se lancent dans une ascension vers des plateformes circulaires. Ils ne sont pas les seuls car bon nombre de civils et soldats d'Odrialc'h empruntent également les larges escaliers pour s'attrouper vers les hauteurs. On aurait pu croire qu'il s'agit-là d'un simple remblais destiné aux promenades mais il n'en est rien, car les plateformes sont en réalité des quais. Des quais sur lesquels quelques ingénieurs en uniforme couleurs taupes, outils à la main, s'affairent.
— Pour aller plus haut, tu peux toujours prendre les escaliers, sourit Negishi, mais les aeronefs sont vachement plus pratiques !
Et pour joindre le geste à la parole, il pointe un doigt vers le ciel. Un immense dirigeable de la taille d'un panalor atterrit tranquillement au centre de la plateforme, guidé par les ingénieurs et une fois au sol, ces derniers s'appliquent à déplier de petits ponceaux afin de permettre aux passagers de descendre. Pendant ce temps, d'autres ingénieurs s'appliquent à de petites vérifications.
L'engin est impressionnant. L'enveloppe de l'aeronef abrite des ballonnets avants et arrières, mais surtout du gaz inflammable. Des soupapes sont présentes sur ses flancs, le faisant ressembler au ventre énorme d'une femelle monchon prête à mettre bas mais le plus impressionnant, c'est la structure métallique en forme d'éventail. L'énorme ballon a l'air de couver la cabine en bois, si petite, dans laquelle les passagers se pressent pour le prochain décollage.
— Ne t'en fait pas, adresse Negishi à June, c'est sans danger et les ingénieurs savent ce qu'ils font.
Une bombe dévastatrice, songe la jeune femme en imaginant les dégâts que pourrait faire un tel engin s’il explosait sur le grand palais. Candice pourrait les utiliser pour récupérer ce peuple qu’il essaie tant de retrouver. Il n’a qu’à envoyer les ballons vers le palais, claquer des doigts et souffler Odrialc’h en quelques secondes. Elle adresse un regard brillant à Negishi, et sautille d’un pied sur l’autre, la bouche légèrement ouverte.
— Est-ce qu’on va monter dedans ? s’émerveille-t-elle. La ville doit être magnifique vue du ciel !
— Évidemment qu’on va monter dedans ! Rit Negishi, c’est ton baptême d’aéronef !
June et le kitsune se pressent derrière les autres passagers. Quand ils entrent dans la cabine, ils peuvent constater que certains faeliens, sûrement des habitués, sont assis sur des bancs de bois, en train de lire ou de discuter. D’autres sont accoudés au bastingage afin de ne rien manquer du décollage. June et Negishi font partie de ceux-là. Comme l’a fait remarquer la jeune femme, la ville doit être magnifique vue du ciel et c’est le cas.
L’aéronef décolle enfin. Le sol s’éloigne et l’ingénieur chargé de piloter son dirigeable annonce que le prochain arrêt est à Dazavenn.
— Tu sais, Isaac est malade en aéronef, souffle Negishi, quand il est arrivé, c’est Lothric qui a été chargé de lui faire la visite guidée. Isaac a pris ce même aéronef avec lui pour la toute première fois et il a vomi sur les chaussures de Lothric.
— Sérieux ? pouffe June. Je parie que ni l’un ni l’autre n’est fier de cette histoire !
Elle éclate d’un rire franc et lâche le bastingage pour repousser une mèche de cheveux rebelle. Lorsque l’aéronef est victime d’une secousse, June perd l’équilibre et se rattrape à son compagnon, avant d’écarquiller les yeux.
— Désolée, s’excuse-t-elle. Ça secoue ! Mais promis, je garde mon déjeuner où il est !
— Ne t’en fais pas, ce n’est pas moi qui irait te lancer un maléfice pour te brûler le derrière.
Ça, c’était le sort que ce pauvre Isaac a dû subir de la part d’un sorcier furieux. Aujourd’hui, le brownie est capable d’en rire mais sur le moment, il n’a pas fait le fier.
Le trajet jusqu’à Dazavenn ne dure que très peu de temps. Bientôt, l’aéronef rejoint une plateforme beaucoup plus stylisée, signe que l’on se trouve enfin dans les quartiers très chics d’Odrialc’h.
Bientôt, une végétation entretenue accueille les passagers du dirigeable, ainsi que les hautes statures de manoirs sublimes se dressant fièrement parmi des rues pavées. Negishi explique à June que de nombreuses familles fortunées possèdent une demeure dans ce quartier et que leurs parcs privés sont de temps en temps ouverts au public. Et bien entendu, de Dazavenn, on peut voir le grand palais.
— Regarde ! S’exclame Negishi.
Le joyau sur la montagne d’Odrialc’h. Une splendeur sans nom qui attrape les reflets du soleil pour en parer ses hauts murs, mais aussi les scènes de gloire et de batailles qui y ont été gravées. Le grand palais se dresse sur de nombreux étages, fier, avec une architecture unique qui le transforme en trésor plus précieux que le monde lui-même.
En pensée, June ricane sur la rutilance dudit joyau. Il est ridicule à se dresser ainsi comme le sommet du monde, écrasant la misère et l’horreur qui règne dans les quartiers les plus pauvres. Il est facile de fermer les yeux quand on se tient aussi haut, et que la populace n’est qu’une poussière dans le panorama. Néanmoins, elle ouvre de grands yeux impressionnés, comme une enfant découvrant la mer pour la première fois.
— C’est tellement beau… souffle-t-elle.
Puis elle secoue la tête, comme si elle n’en revenait pas de se trouver ici.
— Habiter ici, ça doit faire perdre la tête, sourit-elle avec indulgence. C’est si magnifique qu’on doit en oublier que le reste du monde n’est pas façonné ainsi. Et le Grand Palais… Si l’intérieur est ne serait-ce qu’aussi beau que l’extérieur… Tu imagines, vivre dans une œuvre d’art ? Si je vivais ici, j’y resterais pour toujours, pour regarder le ciel et m’imaginer habiter les nuages !
— Je pense que les gens qui vivent ici oublient à quoi ressemble le monde réel, oui, songe Negishi, enfin les membres de la noblesse surtout.
Les petits bourgeois, quant à eux, vivent en périphérie de Dazavenn et ne peuvent que souhaiter obtenir un appartement au sein du grand palais. Seulement, la fine fleur de la noblesse ne compte pas laisser leur territoire aux premiers venus.
— Là-haut, reprend Negishi, il y a les Alfirin, les Orecaille, les Fontaine, la famille de la Capitaine, celle du Gouverneur Suprême, les Haut Juges… Que du beau monde, à vrai dire. Nous, si on veut voler avec eux, il faut entrer dans la garde royale, mais tu te doutes bien que les places sont chères. Comme pour les serviteurs personnels. C’est pour ça que ton père a vraiment de la chance, enfin… Du talent, surtout.
June hoche la tête, les yeux brillant de fierté. Ah ça, son père, elle pourrait en parler des heures. C’est son modèle, son idole ! Bien sûr, la Capitaine aussi fait partie des gens auxquels elle voudrait ressembler, et elle l’impressionne tant, mais Joseph… Joseph, il est un cran au-dessus du reste. Il est doux, bon, gentil, tellement fort qu’il pourrait porter le monde à bout de bras si ça pouvait permettre à sa famille de sourire.
Elle ne le dira pas à Negishi, mais au milieu du marasme qu’est devenu le monde a ses yeux, au milieu des incapables, des faibles, des pauvres imbéciles sans importance, de tous ceux qui peuvent mourir sans qu’elle ne cille, Joseph sort du lot. Il est certe idiot de ne pas voir ce qui se joue sous ses yeux, trop bon pour ce monde qui l’avalera tout entier, elle admire sa résilience et sa volonté de rester droit dans ses bottes. Ça le perdra bien sûr, et quand elle devra le sacrifier sur l’autel de sa propre vengeance, elle n’hésitera pas, mais contrairement à Helouri, Cristal, Nelladel et même Negishi qui lui sourit si gentiment, June aura un léger soupir, car Joseph reste un excellent combattant. Quoique… Elle esquisse une moue tendre, qui passera aisément pour la fierté d’une fille à l’égard de son père. Ne serait-il pas amusant de transformer Joseph en soldat pour sa vengeance ? Une fois sa femme et son fils morts, que lui restera-t-il sinon sa fille adoptive, qui essayera envers et contre tous de garder le sourire à travers ses larmes ? Elle songe à Leiftan Tuarran, et manque de ricaner. Sans doute que le Conseiller trouverait ça drôle, lui aussi. June sourit à Negishi, puis se tourne vers le paysage pour l’embrasser d’un regard amusé. Quel que soit son destin, Joseph finira brisé. Reste à savoir par qui et comment.
— Regarde ! S’exclame soudain Negishi.
Là-haut, sur les larges escaliers du grand palais, une silhouette vêtue de rouge descend les marches d’un pas tranquille. Les dorures de sa tenue s’harmonisent à merveille avec le teint mat de sa peau, mais également ses cheveux sombres, épais, rassemblés dans son dos en une natte unique. L’apparition respire la gentillesse et la sérénité. Elle fixe l’horizon avec une paix si religieuse qu’elle donne l’impression que tout ira bien, peu importe ce qui arrive. Des fils d’or s’entrelacent avec quelques mèches de ses cheveux comme le font les gens privilégiés de la cité de Ningjing.
— C’est Liu Wan Zi, s’enthousiasme Negishi, le serviteur personnel de Faust Fontaine. Tu en auras vu deux aujourd’hui, c’est signe de chance, June !
Elle rit avant de dire à son compagnon que les gens du palais ont vraiment de la chance.
— Ils sont tous si beaux, rêvasse-t-elle. Bon, celui-ci n’est pas mon style, mais il n’empêche qu’il doit avoir son petit succès.
Et qu’Helouri va devoir travailler mille fois plus pour atteindre ne serait-ce que la cheville de ses rivaux. Entre Stella et Liu Wan Zi, rien ne laisse imaginer qu’il sera à la hauteur. Candice a vraiment de l’espoir. June se tiendra près d’eux pour admirer l’expression de haine qui tordra le visage de la fée quand son frère échouera.***
Il souffle par le nez. La, dans sa ruelle, ombre parmi les ombres, Nelladel a l’impression d’être un pervers qui attend les midinettes à la sortie de l’école militaire. L'elfe a rabattu une capuche sur son visage, dissimulant ses cheveux bleus mais aussi les traits de sa figure, identiques à ceux d’Ezarel Sequoia. Nelladel s’adosse contre le mur. Il déteste sa nouvelle mission. C’était bien mieux quand le cartel était encore réunie, au moins pour Titan. Il doit avouer que Titan lui manque.
Ici, Candice lui a demandé de s’assurer que June remplit bien sa propre mission et puis… Nelladel se mord la lèvre inférieure. Il ferme brièvement les yeux, pèse le pour et le contre, puis se dit qu’il verra bien. Il attend. Il attend encore un long moment et le soleil décline peu à peu dans le ciel d’Odrialc’h. Quand enfin, il aperçoit la silhouette de celle qu’il attend, il a un sourire en coin puis lance :
— Tu passes une bonne journée ?
— Meilleure que la tienne, je dirais, mais elle sera encore mieux quand j’aurais retiré cette armure, ironise June.
La jeune femme lui adresse un sourire moqueur, puis elle tire sur la capuche de l’elfe d’un geste malicieux.
— Par contre, tu feras attention, chevalier, dans cet accoutrement les gens vont croire que tu essaies encore de m’enlever, susurre-t-elle.
— Peut-être que je leur rendrais service… ironise Nelladel en haussant les épaules.
Il hausse les sourcils d’une façon exagérée, puis redevient sérieux :
— Tu as deux minutes ? C’est important.
June hausse les épaules. Elle n’a pas grand chose à faire de sa soirée, en dehors de rentrer torturer Helouri, et ça peut bien attendre. Il veut sans doute la cuisiner sur sa journée, ou lui donner des instructions. Rien de bien passionnant en somme, mais elle doit bien jouer le jeu.
— Si tu veux, répond-elle d’un air vaguement intrigué.
Elle lui emboîte le pas et Nelladel la guide à travers un dédale de ruelles. Les derniers événements l’ont laissé seul à jouer les espions de l’ombre, mais il a tout de même demandé à son maître adoré de le loger de manière décente. Candice lui a alors accordé une maison dans le quartier de Meskem, en bordure d’une grande rue. Les bars y sont omniprésents et Nelladel peut se tenir au courant de tout. Parfois, il fait même une escale à Abenadur pour se tenir au courant des mouvements de malfrats après la chute des Abysses. Ce qu’il a appris pour l’instant, c’est que les purrekos ne comptent pas en rester là et vont demander réparations à Delta Milliget…
— Ma nouvelle maison est plus sympa que l’ancienne, plaisante l’elfe, Candice m’a accordé une promotion.
Mais malgré le ton qu’il emploie, Nelladel a un goût amer. Il déverrouille la porte de sa demeure, puis entre avec June. L’intérieur est assez sommaire car Nelladel ne s’est pas occupé de la décoration : un canapé, une table basse et une cuisine peu encombrée. Il est évident que l’elfe ne passe pas ses journées enfermé chez lui.
Nelladel se laisse tomber dans son canapé avec un long soupir. Il lève son regard aigue-marine vers June et la jauge comme s’il cherchait à lire en elle. Enfin, il amorce :
— Candice m’a donné une nouvelle mission. Tu n’es pas sans savoir que je dois m’assurer que tu mènes bien la tienne de ton côté, en plus d’aller chercher d’autres informations, mais…
Nelladel lève les deux mains, tente de poursuivre son monologue, mais sans succès. Il ferme brièvement les yeux, se pince l’arrête du nez, puis avoue comme s’il n’y croyait pas lui-même :
— Candice m’a demandé de séduire ton frère.
June le fixe quelques secondes, interdite, puis elle éclate de rire. Obligée de se tenir le ventre, elle finit par se laisser glisser au sol, et son hilarité redouble à chaque fois qu’elle regarde l’elfe dont le dépit semble irradier de tous les pores de sa peau. Les larmes ruissellent sur ses joues, et pour la première fois depuis des semaines, elle est totalement franche quand elle emplit la maison de son fou rire. Ses muscles finissent par lui faire mal, et elle s’arrête doucement, à bout de souffle. La jeune femme secoue la tête d’un air médusé, avant de se débarrasser rapidement des pièces métalliques de son armure, qui cliquettent à chaque pas. Elle se lève avec agilité, puis s'assoit à côté de Nelladel pour lui administrer une tape compréhensive sur l’épaule. Le sourire aux lèvres, June glousse une dernière fois en imaginant l’elfe séduire son frère. Ça, c’est quelque chose qu’elle paierait cher pour voir.
— Et alors ? s’enquiert-elle d’un ton badin. Tu viens me demander des conseils ou bien te plaindre parce qu’il n’est pas ton type ? Navrée de t’ajouter une difficulté, mais je dois t’avouer que tu n’es pas le sien non plus. Il préfère les orcs, celles qui ont une tresse et de jolies armures.
June s’avachit dans le canapé, un bras sur le dossier. Qu’est-il donc passé par la tête de Candice pour demander une telle chose à Nelladel ? Elle formule sa question à voix haute, d’une voix qui ne cache pas son étonnement.
— Pourquoi toi ? Je veux dire, évidemment qu’il n’allait pas me le demander, mais qu’est-ce qu’il espère obtenir ? En plus, ça risque de lui porter préjudice s’il est vu avec toi, non ? Les serviteurs sont censés pouvoir épouser d’autres serviteurs, je crois ?
Nelladel lui jette un regard las. Il laisse planer quelques secondes puis, ses yeux se plissent d’amusement et il se met à rire à son tour.
— Je rigole, avoue-t-il en donnant un coup de coude à June, c’est faux. Candice ne m’a pas demandé ça, ce serait complètement stupide. Mais au moins, ça t’a fait rire.
Il pousse la plaisanterie en lui demandant si elle l’imagine avec son frère et Nelladel rit de plus belle en décrivant une scène rocambolesque de lui-même en train de faire la cour à un Helouri qui le dévisagerait comme s’il perdait la raison.
— Heureusement que Candice ne me demande pas des choses comme ça, reprend Nelladel en secouant la tête. De toute façon les fées ne comprennent rien à ces choses-là, donc il n’en verrait pas l’utilité.
— Candice arrive à être surprenant, ironise June. Il aurait pu te demander ça en espérant, j’en sais rien, un meilleur contrôle sur son dava, ou un moyen de pression supplémentaire…
June laisse un sourire innocent fleurir sur ses lèvres. Elle joue avec sa tresse, lissant les petites mèches qui ont osé s’en échapper, puis elle adresse un regard en coin à Nelladel. Elle doute que son sujet important ait été une plaisanterie à propos d’un ordre de Candice. Alors elle laisse la candeur prendre possession de sa voix, et elle se tourne vers lui sans cesser de sourire, comme s’il était un complice dont elle ne pouvait pas douter de la duplicité. Un confident solide, en qui elle pouvait avoir confiance.
— Ça ne m’aurait pas étonnée qu’il pense pouvoir torturer mon frère comme ça, reprend-elle. Mettons qu’Helouri soit tombé amoureux de toi, ce qui, soit dit en passant, me fait toujours autant rire, alors il aurait eu quelqu’un à qui se confier, quelqu’un à qui vouer une confiance sans borne. Quelqu’un a qui avouer tous ses secrets, s’il en avait, et quelqu’un pour le manipuler plus subtilement que Candice. Parce qu’à part menacer de tuer quelqu’un, Candice n’est pas très doué pour la manipulation.
Puis June baisse la tête, son sourire se tordant doucement de mélancolie.
— Ce n’est pas moi qui irait rapporter à Candice les secrets d’Helouri, plaisante-t-elle. De toute façon, il refuse de m’adresser la parole, il pense que je suis responsable de l’état de maman et que tuer Sexta ne fera qu’aggraver les choses. Il… il m’a dit que j’étais morte, à ses yeux.
June s’esclaffe en haussant les épaules, comme si elle tentait de masquer sa souffrance.
— J’ai fait des erreurs, mais personne n’est parfait, et je voulais juste le protéger, murmure-t-elle. On est fautifs tous les deux, parce que lui il n’a jamais rien fait du tout, mais il refuse de l’entendre.
Puis elle semble prendre conscience de la présence de Nelladel, et elle se redresse en se forçant à sourire, en ravalant les larmes qui font briller ses yeux.
— Enfin tout ça pour dire que ça ne m’aurait pas paru si bête que ça que Candice te demande de séduire mon frère, conclut-elle avec un rire gêné.
— Ça reste stupide et ça reste cruel, songe Nelladel, j’ai beau penser que ton frère est un incapable et je ne comprends pas pourquoi Candice veut l’envoyer au grand palais. C'est voué à l’échec. Mais de là à le manipuler de cette façon …
Nelladel secoue la tête. Il a ses limites et ce genre de choses, c’est hors de question. Il souffle par le nez, puis adresse une moue navrée à June :
— Ton frère est un gamin qui ne sait pas réfléchir. Plutôt que de te… tuer - bon sang c’est aberrant - il aurait dû t’épauler. Ça devrait marcher comme ça une famille, non ? Enfin je ne suis pas le mieux placé… Bref je suis désolé, June et je sais ce que ça fait de se faire assassiner par son frère quand on respire encore.
L’elfe reste silencieux. D’une atmosphère plus chaleureuse qui les a entendus rire, l’ambiance s’est refroidie alors que le fléau de la famille pèse sur leurs épaules. Nelladel a le regard dans le vague et June aussi. L’elfe lui jette un coup d’œil et il pense que Candice les détruit vraiment à petit feu. Pour sa famille, son peuple ou sa propre vanité, peu importe mais ils font tout de même de beaux pions, tous les deux. Nelladel sourit en imaginant June, épée à la main, sur un échiquier géant. Elle redresse la tête aussi en se sentant observée et il se laisse absorber quelques secondes par ses prunelles améthystes. Nelladel doit lui parler d’une information importante, mais il ne sait plus vraiment de quoi il s’agit. Ça a un rapport avec la venue de Rose et Nevra, mais… Il ne sait pas pourquoi, il ne sait pas ce qui lui prend mais après les yeux de June, ce sont ses lèvres qui l’attirent et Nelladel se penche doucement vers elles. La jeune femme le laisse faire, en songeant que c’était facile. Elle répond à son baiser, doucement, timidement, puis avec un peu plus de confiance, alors que sa main vient frôler la joue de son compagnon pour s’égarer dans ses cheveux. Le baiser s’approfondit, Nelladel vient découvrir la silhouette de June : ses épaules, sa taille, le creux de ses reins… Elle lui apporte une tendresse qu’il n’a pas connue depuis longtemps, un réconfort dont son esprit en loques a besoin et il a la sensation qu’ils sont deux naufragés qui se sont retrouvés sur une île déserte. Pourtant, quand Nelladel sent les braises du désir attiser son être, il interrompt le baiser, se recule et interroge June d’un regard. Est-ce qu'elle aussi en a envie ? Elle lui donne sa réponse en se penchant à nouveau vers lui. June quitte sa place pour grimper sur les genoux de son compagnon, toute timidité envolée. Ses doigts se glissent doucement dans le col de sa tunique, alors qu’un plaisir purement physique vient réveiller son âme anesthésiée.
Nelladel boit le souffle de June pendant qu’elle malmène ses cheveux bleus, détachant son chignon pour les faire cascader le long de son dos. June est belle, June est douce et Nelladel s’abandonne volontiers dans une étreinte qui lui fait tout oublier. Peut-être que June, que son frère a assassinée alors qu’elle respire et soupire encore, s’abandonne volontiers avec lui dans une bulle délicieuse dont la seule et unique mission est celle du plaisir. Pas de soldate ni d’espion, mais juste June et Nelladel.
Départ de Jizel et Kijan
Jizel attend Kijan aux portes de la cité de Rhenia-Gaear. La selkie s'est levée à l'aube afin de vérifier une dernière fois ses affaires, puis de se préparer mentalement. Pour elle qui a toujours pris soin de planifier l'avenir, elle redoute d'avancer dans le flou le plus total. Elle connaît sa mission, elle sait qu'elle doit retrouver Nikol mais lorsque ce sera fait, comment devra-t-elle agir ? Les lois des selkies l'autorisent à prendre la vie de sa nièce sur-le-champ ou bien de la ramener à Aurora afin que son propre père puisse la châtier lui-même, mais… Jizel ferme brièvement les yeux. Un soupir las quitte ses lèvres pour se perdre dans le froid en volutes et au fond d'elle, elle sait. Son esprit lui peint le visage de Nikol : le hâle de sa peau, la douceur inscrite dans ses traits, sa figure ronde, ses grands yeux bruns et ses lèvres charnues. Ses longs cheveux sombres, ondulés, formant des vagues sur son manteau fourré d'un bleu glacé. Oui, Jizel la voit. Elle voit aussi la terreur ronger le visage de sa nièce quand elle la trouvera enfin et c'est tout ce qu'elle ne voulait pas.
Là, devant les portes de la cité, Jizel déambule en perdant son regard vers l'horizon. La Dame de Fer est un socle qui ne trahit aucune nervosité, qui n'a que faire de l'atmosphère qui devient lourde, parce que d'autres prédateurs rôdent et attendent. Ils savent déjà que Jizel a un compagnon de voyage, un compagnon qui a accepté de porter les problèmes des selkies sur ses épaules avec elle, et ils ont hâte de le rencontrer pour le mettre à l'épreuve.
Pourtant, c’est loin de ces pensées que se trouve Kijan actuellement. Le jeune brownie a très peu dormi de la nuit. Il a voulu dormir pour être en forme parce qu’il sait que Jizel ne l’attendra pas, mais le sommeil a été mis de côté par des milliers de questions sans réponse qui ont tourné encore et encore sous le crâne de Kijan. Il n’est jamais parti loin de Rhenia Gaear. Il n’a jamais quitté le grand nord et quelque part, ça lui fait un peu peur, peur de ce qu’il pourrait trouver au-delà des frontières qu’il connaît par cœur. Les questions se sont transformées en heures qui refusaient de ralentir alors que l’aube approchait et quand la luminosité de la petite chambre a laissé entendre que le soleil se réveillait, Kijan a rejeté sa couverture pour descendre à l’armurerie et préparer son paquetage. Le brownie n’a que très peu d’affaires, il n’est pas très matériel. Il peut emporter sa vie avec lui, sans se sentir chargé comme un sabali. Certains diraient que c’est triste. Lui, il trouve ça pratique.
La neige craque sous ses pas quand il sort et approche de Jizel. Elle ne l’a pas encore vu et il en profite pour allumer un petit cône de papier bourré d’herbe séchée et le porter à ses lèvres. Kijan porte son long manteau fourré, parce que contrairement à la selkie, il souffrira du froid durant leur voyage. Son harnais de cuir lui permet de maintenir son épaisse lame dans son étui car c’est là son bien le plus précieux, et les intempéries ne doivent pas l’user plus que nécessaire.
Sur son épaule, le jeune milicien porte un sac en cuir usé où il a glissé quelques vêtements et puis, un étui, plus modeste, plus abimé pend à côté. Dedans la vieille guitare basse qu’il chérit tant. Il serait inconcevable pour lui de partir en la laissant derrière.
La fatigue se lit sur ses traits quand Jizel le regarde, Kijan le sait. Mais il inspire et gonfle ses poumons et se promet qu’il ne sera pas un frein pour sa binôme. Quand il ouvre la bouche, son haleine chaude condense très vite.
— Je suis prêt, souffle-t-il simplement en hochant la tête en guise de bonjour.
— On ne part pas en vacances, Kijan, fait remarquer Jizel quand elle voit toutes ses affaires.
Les siennes tiennent dans un sac sommaire. Il y a quelques vêtements de rechange, une simple carte d'Eldarya, puis du papier, une plume et un encrier. Jizel a déjà déterminé un itinéraire de voyage. Elle sait où s'arrêter pour manger, se laver et dormir. Elle sait où se renseigner et elle sait aussi que les langues se délient assez facilement face aux selkies.
Jizel s'approche de Kijan, alors qu’il marmonne qu’il ne laissera jamais son instrument aux mains des rustres de la milice. Elle plonge ses yeux noirs dans les siens, puis lui demande dans un souffle s'il est sûr de sa décision. C'est la dernière fois qu'elle le lui demandera, parce que vers les arbres gelés alentour, ça s'agite et Kijan doit certainement le sentir.
Jizel se penche vers lui. Elle glisse une main derrière sa nuque, puis lui murmure à l'oreille :
— C'est ton premier rite.
À peine a-t-elle soufflé son dernier mot que deux bêtes se précipitent vers le brownie. Deux bêtes humanoïdes qui filent à s'en déchirer les muscles et dont le sang boue si fort qu'il leur insuffle la rage selkie. Leur peau mat prend la couleur de l'or sous l'aube timide du grand nord, leurs cheveux de jais, tressés, ornés de petits os ainsi que d'autres trophés de chasse, se laissent emporter par leur cavalcade et leurs corps sont couvert par du cuir et de la fourrure. Elles sont plus élancées que la Dame de Fer, plus petites aussi, mais elles sont toutes aussi meurtrières. L'une se jette sur Kijan pour abattre tout son poids sur son corps puis le clouer au sol, quand l'autre plaque une main dangereuse sur son cou.
Kijan a seulement eu le temps de jeter son sac et l’étui de son instrument au sol pour ne pas être gêné. Il sentait des présences, camouflées, mais il ne pensait pas qu’on se jetterait sur lui. Pas déjà. Son oreille a frémi quand le murmure de Jizel a soufflé sa fourrure. Mais ce sont les sens des mots qui ont tendu ses nerfs et électrisé sa peau.
Alors qu’il allait s’emparer de l’accroche de son étui pour libérer l’arme meurtrière, Kijan est plaqué au sol. Le choc a été dur et brutal. Ce sont des petits gabarits, comme lui, mais ils fusent et percutent comme des harpons. Le brownie gronde et serre les dents. Son regard accroche une lueur bestiale à son niveau et quand il sent des doigts gelés lui griffer la peau du cou, il rue. La contraction de tous ses muscles soulève ses jambes lestes et il les pivote fort pour vriller sur lui-même. Déjà, il s’empare d’un vêtement en fourrure et tire dessus de tout son poids pour déséquilibrer la selkie et se hisser sur elle.
Jizel, elle, se contente de regarder. C’est ainsi, ce sont les règles de son peuple et Kijan doit s’y plier, à présent. Les deux guerrières en train de lui faire passer son premier rite vont s’acharner sur lui jusqu’à ce qu’il les repousse.
L’une d’entre elles récupère son équilibre et vise le plexus de Kijan pendant que l’autre se faufile dans son dos pour faucher ses jambes. Le garçon croise ses bras devant lui pour contrer l’attaque au torse et quand il entend le feulement de l’air derrière lui, il a juste le temps de retourner ses mains pour empoigner la selkie qui lui fait face.
Ses jambes sont fauchées mais ce n’est pas grave, parce que déjà, il prend appuie sur l’autre. Son poids l'entraîne vers le sol mais il sait se réceptionner. Chuter correctement pour profiter de l’élan, c’est une des premières choses qu’il a appris étant enfant.
Le brownie roule et quand il ne se trouve plus entre les deux selkies, mais face à elles deux, il repousse la première du plat de la main contre son plexus solaire. Si elle voulait lui couper le souffle, ce sera elle qui prendra ce coup. Kijan ne pense pas à son arme. Elle n’a pas lieu d’être utilisée ici. Sur sa tête, ses longues oreilles sont très mobiles, il écoute, épie, guette. Le jeune homme n’écarte pas la possibilité qu’un troisième adversaire attende l’opportunité de lui sauter dessus. Les mains tendues devant lui, paumes ouvertes vers le sol, souple, le brownie n’attaque pas parce qu’elles sont supposées être avec Jizel, et donc avec lui. Sans détourner son regard de ses opposantes, Kijan questionne sa binôme :
— Amies ou ennemies ?
Cette question, il l’a déjà posée plusieurs fois à Jizel, alors qu’ils étaient en mission. C’est sa façon à lui de demander s’il peut cogner fort ou s’il doit ménager ses coups.
— Ça dépend de toi, petit pimpel, lui répond l’une des selkies d’une voix doucereuse.
— Est-ce que tu remettrais mon jugement en question, Klara ? Intervient Jizel.
La dénommée Klara se retourne pour lui jeter un regard assassin. Des deux selkies qui s’en sont prise à Kijan, elle se démarque par son nez qui a visiblement été cassé plusieurs fois puis l’auréole folle de ses cheveux qui y tour de sa figure en diamant.
— Ce n’est pas ton jugement que nous remettons en question, s’exclame l’autre selkies, mais le sien !
Elle désigne Kijan d’un doigt et raille qu’elle doute fortement qu’il puisse se mêler des problèmes de selkies. Trop jeune, trop chérif et trop brownie.
— Alors tu ne le regardes pas comme il faut, Korin, fait remarquer Jizel.
Korin lui répond un feulement, puis se précipite sur Kijan pour l’attraper par le col de son manteau. Elle rapproche dangereusement son visage du sien, puis lui crache :
— Montre-moi à quel point tu mords, petit pimpel !
Cette selkie se tient bien trop près de lui et si la lèvre de Kijan se réhausse, c’est en un rictus mauvais qu’il n’adresse plus depuis longtemps à Jizel.
— Recule, ton haleine m’indispose.
La selkie n’a pas le temps de répondre que déjà, une vive douleur la lance dans le bras. Le pimpel mord. Fort. Kijan a planté ses crocs dans le bras qui tenait son col et malgré le goût ferreux qui imprègne sa bouche, il n’entend pas la lâcher avant de lui tirer un son d’inconfort.
— C'est un minaloo que tu emmènes avec toi, Jizel ? se moque Klara.
Mais sa comparse, Korin, elle, ne rit pas. Elle fait un bond en arrière et constate la plaie de son bras d'un air mauvais. Agile, elle tire un petit couteau de chasse d'un étui suspendue à sa taille, sous sa tunique fourrée, puis le braque sous la gorge de Kijan en prenant soin de le blesser un petit peu.
— Tu as le sang chaud, lui susurre-t-elle, mais est-il assez chaud pour que tu puisses porter les problèmes de Jizel avec elle ?
Kijan a eu un mouvement de recul mais la lame lui a coupé la peau. Sa vie n’est pas menacée, seulement la selkie veut montrer que si elle veut lui faire mal, alors elle le peut. Les sourcils blancs du brownie forment deux escarpements neigeux sur deux pierres d’onyx qui pourtant brûlent fort en se posant sur cette femme au visage sauvage.
— Elle a été la seule à croire en moi quand personne ne l'aurait fait, pas même moi, verbalise Kijan. Elle m’a porté tout entier à bout de bras. Je porterai ses problèmes comme s’ils étaient les miens.
Dans son torse, sous ses côtes, bien enfoui sous son manteau de fourrure, le cœur du jeune homme bat la chamade. C’est la toute première fois qu'il formule ce qui se rapproche le plus d’une forme de reconnaissance envers Jizel, lui qui se satisfait de son habituelle ingratitude. Ça lui coûte de s’exposer ainsi devant la principale concernée, mais ça lui coûterait plus encore de laisser cette selkie sous entendre qu’il ferait défaut à sa binôme. Kijan est peut-être ingrat, détestable et il se sert des autres comme appât ou bouclier humain. Mais Jizel a su gagner sa confiance, et son admiration parce qu’elle a su lui survivre et se faire respecter sans jamais le diminuer ou l’humilier. Pour Kijan, c’est l’équation parfaite et ce qui en résulte, c’est sa loyauté.
— Il faudra bien plus qu’une lame sous ma gorge pour que je lui tourne le dos.
— Ça, c'est un joli familier de compagnie, minaude Korin.
Mais elle se recule avec un sourire suffisant pendant que sa comparse vienne se placer à ses côtés, les bras croisés sur sa poitrine. Kijan doit prendre sur lui et retenir ses nerfs de s’électriser, parce qu’il a très envie de la provoquer pour lui montrer qu’il n’est pas qu’un familier. Il sait qu’il est jaugé et il refuse de faire honte à Jizel, elle qui lui a déjà tant donné.
— Il a fait couler le sang d'une selkie pendant un combat déloyal, intervient Jizel en s'approchant, il a réussi le rite.
— Tu fais des miracles avec la plèbe, Jizel, lance Klara, mais je dois reconnaître que ton pimpel t'est fidèle et qu'il sait dans quoi s'embarque.
— Mon pimpel est un brownie et s'appelle Kijan, rectifie la selkie en jetant un regard dur vers ses camarades.
Klara et Korin ne répondent pas. Elles dardent un regard mauvais sur le brownie, puis abdiquent. Klara s'approche la première, puis Jizel indique à Kijan d'accepter la fin du rite. Le jeune homme se fait violence pour détendre ses muscles et baisser la garde de ses mains. Ses épaules s’affaissent un peu puisqu’elles étaient encore haussées pour se protéger des coups. Et si ses sourcils sont toujours froncés, elles apprendront que c’est une constante pour le brownie aux longues oreilles.
Le garçon hoche le menton, légèrement. L’affrontement est terminé. Il en profite pour essuyer le coin de sa lèvre où stagne un peu de sang. Le sien et peut-être celui de la selkie qu’il a mordu. D’ailleurs, il ne se prive pas d’afficher un rictus moqueur et lâche :
— T’as un goût de blobby !
Un coup de pied dans le tibia en guise de réponse, l’affrontement aurait pu reprendre si Jizel n’avait pas adressé un sifflement menaçant à ses camarades. Kijan peut voir que son autorité n’est pas bafouée et que Klara et Korin ont dû apprendre à leurs dépends qu’il est mal avisé, de se frotter à Jizel.
Korin s’approche de Kijan. Elle attrape ses deux mains, mêle ses doigts aux siens et vient coller son front contre le sien. Ensuite, elle s’éloigne comme si elle s’était brûlée, puis Klara prend sa place pour répéter les mêmes gestes. Puis c’est au tour de Jizel.
Plus lente que ses semblables, elle rend la fin du rire solennel. Quand elle vient coller son front contre celui de Kijan, elle lui murmure :
— N'embrasse pas mes problèmes, Kijan. Trouve ta voie pendant ce pèlerinage. Tu en vaux la peine. Tu es une bonne personne. Donnes-toi de la valeur, c’est la seule chose que je ne peux pas faire à ta place.
Si Kijan a eu une réaction de recul quand la selkie au goût de blobby s’est approchée de lui, il est resté stoïque quand c’est sa comparse qui a répété ce geste étrange. Le brownie n’est pas mécontent quand elles le lâchent. Pourtant, quand c’est au tour de Jizel de s’approprier sa main et d’apposer son front au sien, le jeune homme se sent beaucoup moins agressé. Même s’il aime faire tourner Jizel en bourrique et défier constamment son autorité, il lui est impossible de cacher la lueur de respect qui fait briller son œil sombre, alors qu’elle se tient si près de lui. Il se sent important quand elle s’adresse à lui et même s’il ne peut faire aucune promesse quant à son avenir, il peut néanmoins affirmer :
— Je ferai de mon mieux, mais en attendant que je trouve ma valeur, je veux être un appui sur lequel tu peux compter.
Il sert un peu les doigts de Jizel, en espérant intérieurement que les deux affreuses n’en voient rien et quand il sent leurs regards sur lui et qu’il entend encore murmurer à propos d’un “pimpel”, les sourcils blancs frémissent. Il délie doucement ses doigts de ceux de Jizel et détourne le regard. La neige est superbe ce matin et elle reflète merveilleusement le soleil.
— On y va ou on gèle sur place ? ronchonne-t-il.
— On va y aller, Kijan, mais j'espère que tu es prêt à te salir les mains.
Jizel est incapable de retracer le parcours de Nikol, mais à sa place, si elle voulait se cacher, ce serait le plus loin possible des Terres Gelées du Grand Nord. Elle sait aussi que s'ils voguent vers les Côtes de Jade, les kitsune d'Inari et le peuple de Ningjing rechigneront à leur donner la moindre information. Alors pour l'instant, il est préférable de se rendre sur le continent du Beryx, qui a besoin d'aide en cette sombre période.
— Nous allons voyager jusqu'à Eel et leur prêter main forte pour la reconstruction de leur cité.
— Je savais que tu ferais ça ! s'exclame Korin, les Milliget et leur vassaux sont aussi sur place. Tu pourrais apprendre beaucoup de choses !
— Nikol reste la priorité, corrige Jizel, mais en effet, là où tu as raison, Korin, c'est que le monde change. Et il est bon pour le peuple des selkies de savoir comment.
Klara et Korin approuvent. Elles s'approchent de Jizel pour lui dire au revoir, front contre front. Enfin, la selkie fait signe à Kijan de le suivre pour leur pèlerinage vers la cité d'Eel, rebaptisée l'Eel rouge. Kijan regarde à tour de rôle les deux selkies, puis Jizel, avant de faire crisser la neige sous ses pieds pour ramasser ses affaires encore éparpillées. Puis, il suit Jizel, vers cette fameuse Eel rouge. On en a tellement parlé dans la milice qu’il a déjà une image assez figée dans sa tête. Une cité détruite, ravagée dont les murs sont tapissés de sang et d’entrailles. Il se dit qu’il exagère peut-être un peu, mais son expérience lui dit qu’il est peut-être loin de la réalité.
— Tu ne dois pas te rendre à Aurora d’abord, alors ? Moi qui avait espoir d’apercevoir un aurorca… fit-il d’un air badin pour ne pas aborder de suite un sujet épineux.
Ensuite, il demandera en quoi se rendre à l’Eel rouge pourra les guider sur la piste de Nikol. La selkie ne lui répond pas. Elle se contente de lui jeter un coup d'œil énigmatique avant de sourire. Pas d'aurorca pour aujourd'hui. Peut-être au retour. En attendant, elle doit atteindre Eel, mais pas pour les raisons que Jizel a évoqué à ses comparses. Non. Là-bas, il y a un vieil ami qui est de très bon conseil et qui saurait éclairer sa lanterne. Jizel espère qu'il n'a pas eu de soucis avec les fées, même si elle en doute fortement car, après tout, les fées ne tuent pas les chimères.Les Choix
Helouri s'apprête à passer son entretien à l'hôpital de la Grande Auréole afin d'y travailler comme aide-soignant. Durant cet entretien, Helouri va devoir mettre ses compétences en lumière afin de convaincre son recruteur et ainsi poursuivre son propre chemin qui le mènera aux sélections.
Mais quel point Helouri devrait-il mettre en avant ?
➜ Il est un étudiant qui apprend la médecine sous la tutelle d'une fée Milliget
➜ Il a déjà été candidat à l'examen de la Garde Absynthe, à la cité d'Eel.
➜ Il est désireux d'apprendre et il a déjà de l'expérience au sein de l'hôpital universitaire de la cité d'Eel. Il a déjà travaillé pour Ewelein Osgiliath.
➜ Il veut profiter de ce travail afin de pouvoir parfaire ses connaissances médicales et ainsi accumuler de l'expérience sur le terrain.Les lettres de Doubine
Helouri a relu la dernière lettre de Doubine à plusieurs reprises, mais il ne lui a pas encore répondu. Que pense-t-il de cette lettre ?
➜ Il n'est pas d'accord avec Doubine et n'apprécie pas son point de vue.
➜ Il pense que ce serait une bonne chose de réfléchir au point de vue de Doubine.
➜ Il pense que Doubine ne comprend rien à la situation et raconte n'importe quoi.
➜ Il n'est pas d'accord avec le point de vue de Doubine, mais il apprécie son honnêteté.Les lettres de Shelma Milliget
Au cours de ce chapitre, Shelma Milliget a demandé à Helouri de lui donner régulièrement des nouvelles de son frère, Sira. Shelma ne peut pas se déplacer en personne pour le moment, au manoir des Milliget, à cause de la situation dans laquelle se trouve Candice.
Est-ce que Helouri devrait accepter la demande de Shelma ?
➜ Oui
➜ Non
Attention ! Si vous acceptez la demande de Shelma, sachez que Helouri ne pourra pas correspondre avec lui dans le dos de Candice. Candice sera au courant du contenu de toutes les lettres qui seront écrites et pourra même le dicter et donner son avis sur celui-ci. Il exigera aussi de lire les réponses de Shelma.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Joseph propose à June de rendre visite à Cristal à l'hôpital. June devrait-elle rendre visite à sa mère ou bien a-t-elle autre chose à faire au sein de l'école militaire ?
Quant à Hélios, après ce qu'elle a appris, veut-elle en informer son maître ou bien avoir une petite conversation avec Stella Malherbe ?
UNIQUEMENT pour Waitikka : Le pèlerinage de Jizel et Kijan se poursuit. Là, sur le bateau qui quitte Rhenia-Gaear, loin du peuple des selkies et des elfes noirs, peut-être que Kijan peut poser ses questions.
Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous ! (^_^)/
Je suis ravie de vous retrouver en ce début de semaine ! Eh bien comme je l'avais annoncé, je m'étais laissée du temps pour écrire le chapitre et ainsi pouvoir vous le livrer aujourd'hui (un grand merci à MayaShiz, ma bêta-lectrice, qui est toujours aussi efficace !).
Ne vous inquiétez pas, pour une reprise, on commence doucement, donc pas de choix tordu, c'est promis ! Concernant la clôture des votes, je vous laisse dix jours comme d'habitude mais si bien entendu c'est trop court, n'hésitez pas à me contacter !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 11 - Sur le Port de Shamshara
Dans le bateau vers la cité d'Eel
L’horizon n’en est pas encore un pour le moment. C’est plutôt une ligne discontinue qui sépare terre et ciel. Tout est blanc, alors cette ligne, Kijan la devine, plus qu’il ne la voit. Il perçoit d’un côté les escarpements des montagnes, loin à l’ouest. Il sait ce qu’il y a derrière, un froid glacial qui mordrait la peau de tout être vivant jusqu’à l’os. De tous, sauf des fées. Le brownie fronce son nez sombre en tournant la tête, vers l’est. Le soleil est encore bas et il le restera toute la journée. C’est comme ça, près des pôles. Les plaines enneigées sont vaporeuses et Kijan les devine s’étendre jusqu’à Aurora, que finalement il n’aura pas pu voir.
Un soupir las s’écroule sur la balustrade en bois à laquelle il est accoudé. Il se dit que le chant des aurorca, ce sera pour la prochaine fois. Au lieu de ça, il songe à Eel. À l’Eel Rouge. Kijan n’est jamais parti du Grand Nord, jamais. Pourtant, il a appris les autres continents, mais seulement à travers les livres et il sait comme les récits des géographes ne sont jamais à la hauteur de la réalité.
— Tu es déjà allée à Eel ? interroge Kijan quand il reconnaît la démarche de Jizel qui arrive près de lui.
Mais il se rend compte aussitôt que sa question est stupide et il en connait déjà la réponse. Alors il secoue la tête. Ses longues oreilles sont malmenées par le vent marin, c’est différent du vent hivernal, quand on est un peu plus loin des côtes. Et tandis que la ligne de terre s’éloigne de plus en plus et que Rhenia-Gaear rétrécit un peu plus à chaque minute, il reformule :
— C’était comment, Eel, avant qu’elle soit ravagée ? Est-ce que c’est plus joli que Rhenia Gaear ?
— C'est plus accueillant, répond Jizel en s'accoudant à son tour, mais Eel avait déjà ses problèmes, comme toutes les cités, enfin…
La selkie réfléchit quelques instants. Le bateau sur lequel voyagent Kijan et Jizel ira accoster à Amzer, un village de morgans, puisque Eel n'a plus de port et qu'Albacore a tendance à attirer beaucoup de curieux, depuis la catastrophe. Les morgans, eux, ont le mérite de ne pas poser trop de questions et d'apprécier les étrangers.
— Tu vas vite te rendre compte que contrairement à Rhenia-Gaear, Eel obéit à Odrialc'h. Elle la considère comme une cité amie et se sent obligée de lui rendre des comptes. Alors que chez nous, la proximité avec le royaume des fées rend nos dirigeants plus courageux et plus intelligents, aussi. Vivre à Rhenia-Gaear en étant loyal à Odrialc'h, Kijan, c'est comme être un poisson qui voudrait apprendre à voler. C'est un manque flagrant de logique et de connaissances en géopolitique. Et la géopolitique, ça a beau être ennuyeux, c'est quand même une boussole intéressante.
Kijan observe Jizel du coin de l'œil alors qu’elle lui raconte Eel. Il ne sait pas grand-chose sur la cité d'albâtre si ce n’est ce qui s’est raconté dernièrement. Il n’a cependant jamais connu la ville avant le drame de l’Eel Rouge et ne la connaîtra jamais plus qu’à travers les mots de sa binôme. Alors il lui accorde toute son attention, même s’il n’en donne pas l’air. Odrialc’h, par contre, est une cité qui est plus présente dans la bibliothèque de ses connaissances personnelles.
Depuis aussi loin qu’il s’en souvienne, le brownie ressent de l’aversion pour cette ville. Même quand la situation avec Rhenia-Gaear et les Terres Gelées du Grand Nord ne s’étaient pas particulièrement dégradées, il n’aimait pas tout ce qui tournait autour d’Odrialc’h. Le climat chaud, le soleil écrasant, la foule de monde qui grouillait dans cette géante fourmilière… Rien que d’y repenser, le poil de Kijan se hérisse et ses épaules s’ébrouent légèrement. Non, il n’a jamais aimé cette ville. Il se souvient encore comme son père était remonté, peu avant que le jeune homme ne parte de chez lui. Il s’était passé quelque chose de grave, quelque chose qui impactait tout le monde dans le Grand Nord, même indirectement. Jujan Trollkors ne cessait de répéter que les temps à venir seraient durs, qu’il fallait se préparer. Kijan avait émis dans un coin de son esprit, du haut de ses seize ans, que les Trollkors s’entrainaient pour la bataille dans ce but précis, comme si tout avait été écrit à l’avance. Il s’est avéré qu’il se trompait, mais pas complètement. Les Trollkors s’entrainaient pour ce genre d’évènement, mais celui qui avait secoué le père de Kijan n’avait jamais été attendu. Le paternel a eu raison sur un point malgré tout. Les temps à venir ont été durs pour Kijan. Jeté dehors à la fin de l’hiver, il a dû vivre de larcins pour ne pas dépérir. Et quand il a songé à accepter les pires offres pour accéder à un minimum de confort, la milice l’a trouvé.
— C’est pas ennuyeux, corrige Kijan. C’est aussi important que l’instinct de survie. Il faut savoir où on met les pieds, tu ne penses pas ? Si Eel est alliée à Odrialc’h, alors je serai sur mes gardes en permanence.
Déjà, au loin, Rhenia-Gaear n’est plus qu’une ligne difforme. Kijan a beau plisser les paupières, il ne discerne même plus les contours de la ville. Pourtant, il sait comme les innombrables créneaux et meurtrières sont d’autant d’yeux qui le regardent s’éloigner. Peut-être pour ne jamais revenir… Cette pensée lui file un nouveau frisson et il se laisse choir sur la balustrade. Jizel reste à ses côtés et de cette façon, Kijan se sent moins seul, loin de tout ce qui a pu être “chez lui”.
Le bateau sur lequel ils se tiennent est imposant et le rouli de sa coque épaisse sur les vagues a quelque chose d’apaisant. Ça berce le jeune brownie et le reflux de l’eau, ses gerbes qui explosent sur les lattes de bois sont hypnotiques. Kijan tend le bras même s’il sait qu’il ne pourra rien atteindre de là. Il tourne la tête, appuyée sur son épaule, pour regarder Jizel.
— Dis-moi…Ppourquoi on va à Eel, pour de vrai ? On y va pas pour les rafistoler, n’est-ce pas ?
Non, en effet. Même si Jizel et Kijan vont tout de même se présenter en tant qu'ouvriers pour participer à la reconstruction d'Eel, le véritable but n'est pas ici.
— J'ai besoin de la sagesse d'une chimère qui a vécu assez longtemps pour me prodiguer de bons conseils. Maintenant que nous sommes loin de chez nous, Kijan, je peux te le dire : je n'ai l'intention de retrouver ma nièce uniquement pour mieux la cacher des nôtres. Je pense même qu'il serait mieux que je mette sa propre mort en scène, mais il faut que je le fasse d'une façon intelligente car tu as bien vu, tout à l'heure, à quel point mon peuple est belliqueux.
Le brownie se redresse, ses oreilles relevées et ses yeux grands ouverts. S’il s’attendait à ça !
— Es-tu bien sûre de ça ? Elle devra alors rester cachée et vivre en secret.
Le garçon pince les lèvres et se fait la remarque que c’est toujours mieux que de mourir des mains de son père.
— Et toi ? Tu seras une traîtresse ? Tu pourras vivre avec ça ?
— C'est à toi que tu devrais penser, Kijan. Toi aussi, tu devras rester loin des Terres Gelées du Grand Nord.
Jizel lui adresse un sourire fade. Elle sait dans quoi elle embarque son jeune binôme, mais qu'aurait-il fait, seul, à Rhenia-Gaear ? Des bêtises, sans doute, et tout ce bon travail réalisé ces dernières années n'aura servi à rien. Même s’il s’en doutait, la verbalisation fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre du garçon et l’estomaque.
— Je vais être honnête avec toi, reprend Jizel, moi je peux vivre en tant que traîtresse pour que ma nièce, elle, puisse vivre comme elle l'entend. Même si ça signifie que je vais devoir rester cachée. C'est peut-être le moment pour moi de me libérer définitivement de mon peuple. Quant à toi, Kijan, prends ce pèlerinage comme une façon de trouver ta voie et même si tu ne mettras jamais les pieds à Aurora, je te promets que tu pourras quand même voir des aurorcas.
Il relève les yeux vers sa binôme, celle qui a tant fait pour lui, et sur le visage du brownie, elle peut y lire tout le poids de sa peine. Il s’est redressé de la rambarde, pourtant, il a l’air plus abattu encore que lorsqu’il y était affalé. Ses épaules basses et son regard éteint le privent de mots. C’est comme ça et il n’y peut rien.
— J’me fiche d’Aurora, grommelle-t-il.
Dans le fond, c’est vrai. Ce qu’il voulait, c’était voir et entendre les aurorcas, qu’ils soient chez les selkies ou ailleurs, ce n’est qu’un détail et il préfère se focaliser sur ça, plutôt que sur le fait qu’il n’a plus aucun “chez lui”, maintenant. C’est à nouveau le même poids qui pèse sur lui, que lorsque son père l’a jeté à la porte de leur maison familiale. Ça fait mal et pourtant, il doit bien admettre qu’il le savait, dans le fond. Quand il a accepté de suivre Jizel, il savait qu’il ne reviendrait probablement jamais. Ses paupières s’affaissent, alors qu’il détourne le regard à nouveau vers l’horizon qui n’est plus qu’une simple ligne. On y devine même pas les Terres Gelées du Grand Nord. C’est comme si elles n’étaient déjà plus là. Kijan soupire.
— D’abord on trouve Nikol. On la protège du courroux de ton peuple et on s’assure qu’elle soit en sécurité, assure Kijan en verrouillant ses prunelles sombres dans les yeux de Jizel. Ensuite… On avisera pour nous.
Son nez se fronce et quand il ouvre la bouche, ses lèvres découvrent les petits crocs d’ivoire qui ont percé la peau dure d’une selkie.
— J’arrive pas à croire que tu connaisses une chimère ! s’exclame Kijan, la voix contrôlée, sur le ton du secret. C’est dingue, je les pensais disparues ! Comment elle est ? À quoi elle ressemble ? Ma mère m’en parlait beaucoup mais, même elle, n’a jamais sû me dire à quoi elles ressemblaient. “Changeantes”, c’est le mot qu’elle a utilisé pour les décrire !
Le sourire de Jizel devient nostalgique. Là, pendant ces quelques instants de silence, la selkie se rappelle de son propre pèlerinage pour retrouver sa peau, il y a vingt-quatre ans.
À l'époque, elle savait qu'elle remporterait cette épreuve haut la main. Elle faisait partie des selkies les plus dangereux de sa génération. Elle devait devenir la prochaine cheffe d'Aurora, mais elle savait que si elle embrassait ce destin, elle serait privée de sa liberté. Alors Jizel a été rusée.
— J'étais la plus puissante, raconte-t-elle à Kijan, alors en revenant de mon pèlerinage, je devais prendre la relève du chef actuel en gagnant ma place lors d'un combat à mort. Ensuite, je devais me choisir un mari parmi les hommes les plus forts et engendrer une descendance. Mais ça… C'était tout ce que je ne voulais pas.
Quand elle était partie chercher sa peau, son sentiment d'emprisonnement s'est intensifié. Jizel se rendait compte qu'en dehors de sa force belliqueuse, elle ne possédait pas grand-chose. Plus elle parcourait Eldarya, plus elle apprenait et plus elle sentait les chaînes d'Aurora et du peuple des selkies s'enfoncer dans sa chair.
— Quand j'ai réalisé que je ne voulais pas rentrer chez moi, c'était comme si tout s'effondrait. J'avais l'impression de me trahir, moi, et de trahir mon peuple. À cette époque, je me trouvais à Ningjing et la cité fêtait la naissance du premier fils du treizième prince de la famille royale Liu. Moi, j'avais fuit le bruit pour aller à un lieu que j'aimais beaucoup, avec une cascade. C'est là-bas que j'ai rencontré Kaliya.
Il y a vingt-quatre ans, la chimère arborait les traits d'un triton d'une cinquantaine d'années. Bien entendu, Jizel n'avait aucun moyen de savoir qu'elle conversait avec un membre d'une espèce considérée comme disparue mais au fil du temps, plusieurs éléments ont fini par la faire douter :
— Kaliya a toujours été très érudit, mais plus je discutais avec lui, plus je me demandais comment quelqu'un pouvait accumuler autant de connaissances dans beaucoup de domaines. Il me parlait aussi d'époques révolues comme s'il les avait vécues mais le plus étrange, c'était les moments où il parlait tout seul.
— Ça arrive à tout le monde de parler tout seul, fait remarquer Kijan en haussant une épaule. Tu le fais jamais, toi ?
— Si, bien sûr, mais…
Jizel secoue la tête. Elle a toujours été persuadée que Kaliya voyait des choses et elle ne serait pas étonnée que ce soit le cas de toutes les chimères.
— Tu comprendras quand tu le verras. De toute façon, Kaliya a changé son apparence depuis la dernière fois que je l'ai vu. Il n'a rien voulu écrire dans sa dernière lettre donc tout ce que je sais, c'est que c'est lui qui viendra nous retrouver quand on se rendra à Albacore. Il faudra être prudent, Kijan, les adorateurs des fées ne sont pas les bienvenus et il est hors de question de causer du tort à Kaliya en le démasquant.
Le brownie hoche la tête et dans sa gorge, il émet un léger ronflement.
— Hmm, entendu. Avons-nous une couverture particulière ? On ne pourra peut-être pas cacher qu’on vient du Grand Nord ?
— Non, en effet. Mais ça n'a pas d'importance. Il faudra simplement faire profil bas et enquêter sur Nikol avec discrétion. De toute façon tu passeras plus inaperçu que moi.
— Tu parles ! Un brownie qui halète de chaud, les badauds vont se demander ce qui me prend…
Cependant, Kijan se promet qu’il fera de son mieux pour supporter la chaleur. S’il apprécie le froid de la neige depuis sa naissance, il suppose que là où les températures ne permettent pas la neige, il doit faire une chaleur étouffante. Il se voit déjà retirer de nombreuses couches de vêtements mais s'assurera de ne pas être indécent. Certaines problématiques tout à fait futiles deviennent soudainement primordiales pour le jeune homme.
— Il fait si chaud dans le sud ? J’espère qu’on retrouvera vite Nikol…
— Il fait toujours moins chaud qu'à Odrialc'h, fait remarquer Jizel en haussant les épaules.
Par bonheur, tous deux pourront profiter de la fraicheur d'Amzer quand ils arriveront au village des morgans, avant de monter vers Albacore. Jizel compte commencer son enquête à Amzer, d'ailleurs, car les morgans côtoient beaucoup d'étrangers et ne sont jamais avares d'une bonne conversation. Kijan devra faire un effort pour rester focalisé sur sa mission, parce qu’il sera dans un environnement qu’il ne connaît pas du tout, avec des personnes à l’apparence nouvelle pour lui, et la curiosité pourrait le dissiper. Cependant, il sait rester sérieux et puis, si ce voyage n’a pas de retour, alors il aura tout le temps pour découvrir Amzer et les autres endroits qu’Eldarya recèle. Pour l’heure, il préfère ne pas trop penser au fait que les Terres Gelées du Grand Nord vont lui manquer. Il se leurre, il le sait, mais ce n’est pas grave.
Alors il tourne le dos à l’horizon et ramasse l’étui qui l’accompagne toujours. Il a bien fait de l’emmener, tout compte fait. Kijan s’en serait voulu d’abandonner son instrument. C’est un petit bout de lui-même et il se serait senti amputé en un certain sens.
Quand il a sorti l’instrument à corde de son étui et qu’il en a passé la sangle dans son dos, il ferme les yeux et inspire longuement. Puis, ses doigts caressent enfin les filins de nylon. C’est une matière dure qui, tressée correctement, est douce au toucher. Le son qui s’échappe est rond, presque étouffé, et c’est à peine un murmure par dessus la rumeur des vagues. Le brownie ne réfléchit pas, il ne compose pas. Simplement, il laisse ses émotions couler jusque dans ses doigts pour résonner dans la jolie boîte en bois. C’est un vieil instrument qu’il chérit très fort. Et comme l’air est vital à son corps, la musique l’est pour son esprit.
Sheraz et Sira, il y a quatre ans
Les jardins s'embrasent sous un soleil magnifique. Un soleil dont Sheraz peut profiter, cette fois. Son corps lui laisse une paix relative, avec des douleurs de temps à autre, mais rien qui puisse freiner sa conviction. Il veut profiter de cet après-midi avec Sira plus que tout. Tant que les autres membres de la noblesse préfèrent la fraîcheur des petits salons, tant que les fées n'ont pas encore décidé de rentrer chez elles et tant que les rosiers et autres spécimens des jardins peuvent les cacher aux yeux d'autrui.
Lorsque Sheraz est arrivé en compagnie d'Hélios, Sira est déjà là. La fée Milliget, motivée à observer la flore exotique, s'est drapée de son long voile hivernale et trottine d'un buisson à l'autre pour humer les parfums floraux. Sheraz songe que sans son voile, Sira va mourir de chaud pourtant, quand ce dernier l'aperçoit, il le relève pour lui montrer son visage radieux.
— Sheraz ! s'exclame la fée Milliget, tu vas bien ?
Sheraz lui affirme que tout va bien. Son cœur s'accélère mais cette fois, ça n'a rien à voir avec l'une de ses crises quotidiennes. C'est beaucoup plus doux et ça s'écoule dans son corps à la manière d'un merveilleux remède capable de museler la maladie. Comme d'ordinaire, Sira s'amuse à faire glisser un doigt gelé sur le front de Sheraz, redessine l'arrête de son nez qu'il trouve si joli, puis tous deux s'enfoncent dans les jardins.
L'elfe Alfirin sait qu'Hélios compte leur laisser un petit peu d'intimité. Elle va elle-même profiter du soleil qui lui est si cher et si son maître à besoin d'elle, il saura l'appeler.
Quand ils sont hors de vue, Sira vient mêler ses doigts à ceux de Sheraz et ce dernier ne peut s'empêcher de frissonner. La chaleur des lieux et le froid intense de la fée Milliget forment une sensation désagréable qui le fait grimacer. Sheraz lance un regard inquiet à Sira, puis une pierre tombe dans ses entrailles quand il avise que la fée l'a remarqué. Mais loin de s'en formaliser, Sira les arrête près d'une immense fontaine représentant des orcs en armure, en train de soutenir une lourde sphère. Là, il tire une petite fiole des replis de sa robe, puis la tend à Sheraz :
— Tiens, bois ça ! Je l'ai prise dans les affaires de Shelma. Tu ne sentiras plus le froid, après.
Perplexe, l'elfe Alfirin rive ses yeux noisette sur le liquide d'un blanc laiteux. Il sait que sur l'île Zéro, les détenus de la prison possédée par les Milliget doivent ingurgiter cette potion tous les jours pour résister au froid.
— C'est pour… amorce Sheraz.
— Me toucher.
L'elfe se met à sourire et Sira le lui rend. La fée Milliget sait déjà que même si Sheraz doit souffrir du froid pour lui tenir la main, il veut bien le supporter. Parce que c'est sa main, tout comme Sira accepte d'avoir beaucoup trop chaud juste pour nicher son visage dans le cou de celui qu'il aime. Mais avec cette potion, ce sera bien plus agréable.
Sheraz ôte le bouchon et avale le contenu de la fiole. Il a l'impression que de l'eau boueuse s'écoule dans sa gorge et ne rechignerait pas à un jus de fruit pour faire passer le goût. Puis il attend et enfin, quand Sira lève une main pour toucher sa joue, la morsure du froid est absente.
— C'est mieux ?
— Oui…
La peau de Sira est douce, à présent. Sheraz à l'impression de la redécouvrir, loin des tumultes gelés de son espèce. Leurs doigts se mêlent de nouveau en un contact aussi tendre que leurs émotions qui fleurissent puis, Sheraz finit par se glisser dans l'étreinte de Sira.
Si on les voyait, ça réduirait la réputation des Alfirin à néant et ça provoquerait sans aucun doute la colère des Milliget. Jamais quelqu'un de sensé se choisirait une fée pour compagne et jamais une fée n'a eu besoin d'un partenaire de vie. Personne ne comprendrait, mais Sheraz s'en moque parce que c'est ici qu'est sa place.
Sira est plus grand que lui, alors l'elfe Alfirin peut appuyer son front contre son épaule et redessiner la base de ses ailes, sa colonne vertébrale, saillante sous sa peau et enfin, les boucles soyeuses de ses cheveux. Les autres peuvent dire ce qu'ils veulent, il a la plus belle créature que l'Oracle ait créée, dans ses bras et s'il y restait toute sa vie, c'est Sira qui finirait par vaincre sa maladie.
— J'ai très bien fait d'apporter la potion, souffle la fée en refermant ses bras sur le corps de Sheraz.
Ils restent ainsi quelques minutes et quand ils se séparent à regret, c'est pour s'échanger un baiser.
— C'est drôle, quand même, que vous ayez besoin de faire ça, s'amuse Sira.
— Est-ce que c'est quelque chose qui te dérange ? s'inquiète Sheraz.
La fée secoue la tête. Oui, ce genre de baiser est étranger aux fées mais non, ça ne la dérange pas. Au contraire, c'est agréable, comme tout ce qu'elle ressent en ce moment, auprès de Sheraz. Sira s'est demandé pourquoi, à maintes reprises, lui qui, en tant que fée, n'aurait besoin de personne hormis sa famille et ses semblables. Si c'est sa maladie de l'esprit qui le rend ainsi, alors il la remercie.
Sheraz se met à tousser, puis porte la main à sa gorge. Le goût affreux de la potion ne passe pas, alors il se retourne et appelle Hélios dans les jardins. L’atalante, qui leur laisse l’instant, ne tarde pourtant pas à apparaître. Elle s’approche avec légèreté en saluant Sira, puis son pas se fait plus rapide quand elle constate que Sheraz semble en difficulté. Immédiatement, Hélios se compose un air bienveillant, pour ne pas laisser l’inquiétude se lire sur ses traits.
— Souhaitez-vous que je vous apporte de quoi vous désaltérer ? s’enquiert-elle comme si de rien n’était. Ainsi que quelques douceurs ?
— Oui, s'il vous plaît, Hélios. Pourriez-vous faire préparer du jus de carotte et d'orange ? Avec beaucoup de glaçons, pour Sira. Et avec ceci, des gâteaux à la pâte d'amandes. Prenez-vous aussi quelque chose, Hélios.
L'atalante s'incline, puis s'en va chercher les rafraîchissements. Sheraz sait qu'elle ne sera pas absente longtemps, car Hélios craint toujours un instant de faiblesse ou bien une nouvelle crise.
Pendant qu'elle se hâte, Sheraz et Sira reprennent leur promenade près de la fontaine. La fée Milliget n'a pas oublié l'histoire des lovigis, alors elle se met en quête d'en chercher en espérant mettre la main sur une plume. Attendrit, Sheraz la regarde s'agiter, guettant tous les oiseaux dans l'espoir de trouver celui qu'elle cherche mais malheureusement pour elle, les lovigis sont aux abonnés absents.
— Ça, c'est parce qu'ils doivent sentir le froid… songe Sira.
— Je ne pense pas, sourit Sheraz, c'est notre présence à tous les deux. Les lovigis sont des familiers timides, tu sais.
Sira hausse les épaules, puis ils reprennent leur promenade. Soudain, il se souvient de quelque chose :
— Ah ! Maintenant que tu as pris la potion, on pourrait danser ! Avant, c'était gênant parce que tu avais vite très froid, mais maintenant, on peut faire la… La valse ?
L'air songeur, la fée Milliget écarte les bras et commence à esquisser des mouvements très peu gracieux. Sheraz ne peut pas s'empêcher de rire. Sira lui a déjà raconté que les fées dansent très peu, sauf pendant le couronnement de la nouvelle reine ou du nouveau roi.
C'est une danse de guerre. La fée la plus forte après le roi ou la reine se met à danser la première, pour que le peuple se souvienne qu'elle est la seconde reproductrice et qu'elle aussi, elle donnera une descendance très forte.
Ce doit être impressionnant à regarder et Sira à hâte d'assister au couronnement d'un de ses frères. Ce sera forcément Shelma ou Candice le prochain roi mais quoi qu'il arrive, tous les deux devront exécuter une danse de guerre.
— Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais je suis un piètre danseur, se désole Sheraz, je t'avais même marché sur les pieds.
— Peut-être… J'ai des souliers très résistants, alors je n'avais rien senti.
Sira tient vraiment à danser la valse, alors Sheraz s'exécute. Bien qu'il soit plus petit que lui, il va essayer de conduire la danse comme il le peut. Il prend sa main droite, glisse l'autre main sur sa taille, puis esquisse quelques mouvements. Comme il s'y attendait, c'est déplorable mais cela à le mérite de les faire rire tous les deux et en effet, ils peuvent danser longtemps maintenant que le froid n'est plus une barrière.
C'est sur ce spectacle assez comique que Hélios les retrouve. L’atalante se permet un sourire attendri, car jamais elle ne se permettrait de rire de son maître ou d’une fée, et encore moins pour se moquer. Elle les trouve beaux, tous les deux, et elle aime voir le bonheur dans les prunelles de Sheraz. C’est une chose bien trop rare, alors elle en profite tant qu’elle le peut. Discrètement, elle installe les pâtisseries ainsi que les jus de fruits, s’assure de mettre beaucoup de glaçons dans le verre de Sira et seulement un seul dans celui de Sheraz, puis elle sort un petit instrument de musique, celui qu’elle porte constamment sur elle, car on ne sait jamais quand on aura besoin de jouer. Hélios l’amène à ses lèvres et une douce mélodie en sort. Elle la cale sur les pas des deux amoureux, afin qu’ils vivent une belle danse, digne des bals dans lesquels Sheraz ne peut jamais danser.
L'elfe vit une merveilleuse journée. Il arrive à oublier son état de faiblesse permanent et même les quolibets qui circulent sur son compte au sein du grand palais. Il n'y a que l'instant présent, Sira et lui, leurs mouvements, leurs rires, la musique d'Hélios, les parfums des jardins et le temps magnifique. Il espère que les minutes seront lentes, que les heures vont se figer afin qu'il puisse encore profiter de cet instant magique. Il ne veut pas penser au moment où les Milliget rentreront chez eux car le départ de Sira sera comme une lame chauffée à blanc dans son coeur.
Soudain, la fée Milliget laisse échapper un cri de surprise. Elle trébuche sur le pied de Sheraz, essaye de se rattraper à lui, mais finit par basculer en arrière avant d'atterrir sur les fesses, puis de rouler sur le côté. L'elfe Alfirin ouvre de grands yeux en plaquant ses mains sur sa bouche pendant que Sira se redresse. Ses cheveux rose sont en désordre et le bas de sa robe vaporeuse s'est relevée jusqu'à dévoiler ses jambes ainsi que ses pieds chaussés d'une espèce de solerets en acier léger. Les bretelles du haut de sa robe ont glissées, révélant ainsi son torse maigre, plat et imberbe, aux côtes saillantes. Des stries légers, comme de fines cicatrices régulières, barrent la naissance de son abdomen pendant que des spirales se dessinent sur son thorax, à l'endroit où se trouvent habituellement les alvéoles foncées des mamelons.
Sira cligne des paupières à plusieurs reprises, le temps de retrouver ses esprits, puis éclate de rire, indifférent de se trouver ainsi débraillé face à Sheraz et Hélios. L'elfe Alfirin est rassuré qu'il ne se soit pas fait mal, puis secoue la tête face à la maladresse de son bel ami.
Hélios a poliment détourné les yeux. Elle termine sa mélodie d’une note guillerette, puis elle indique le goûter d’un geste gracieux.
— Souhaitez-vous que je vous apporte autre chose ? demande-t-elle.
Si cela avait été Sheraz, elle se serait permise de rectifier sa coiffure et sa tenue, mais elle ne s’approchera pas de Sira sans en avoir reçu l’ordre, car elle ne sait pas comment sera perçu son geste. Toutefois, discrètement, Hélios extirpe un petit peigne de son réticule pour le poser à côté du verre de Sira, puis elle s’écarte afin de sourire aux deux jeunes hommes, dans l’attente de leurs prochaines demandes.
Sheraz s'empresse de tendre la main pour aider Sira, lorsqu'une voix tranchante retentit dans les jardins. L'elfe Alfirin sent une boule se former dans son ventre et Sira, lui, perd son sourire. La voix l'appelle et son propriétaire le cherche, visiblement mécontent de devoir arpenter une bonne partie du palais pour le retrouver. Avec des gestes fébriles, Sira se dépêche de remettre sa robe en ordre, mais s'empêtre de plus bel dans ses mouvements. Sheraz esquisse un geste pour l'aider, mais se fait repousser et il sait pourquoi. S'il le voit si proche de son frère, ce sera pire.
— Sira ! appelle de nouveau la voix, agacée.
Elle se rapproche. Sira ne répond pas, en espérant que son frère tournera un petit moment dans les jardins avant de le trouver, juste le temps de tout remettre en ordre, mais sa prière n'est pas entendue.
— Te voilà ! s'emporte Candice Milliget en arrachant son long voile, depuis quand tu peux disparaître sans rien dire à personne ? Ça fait une éternité que je te cherche ! Qu'est-ce que…
Sheraz se recule quand il voit le visage de Candice blêmir face à la scène. Son regard acéré s'attarde sur son frère qui vient de se relever à la hâte, sa robe de travers, ses cheveux emmêlés et le haut de son vêtement en train de bailler sur son torse.
— Je suis tombé, se justifie immédiatement Sira.
— Tu es tombé ? répète Candice en arquant un sourcil, et comment as-tu fait ?
— J'ai trébuché.
Mais Candice ne le croit pas. Ses yeux métalliques s'attardent sur son frère, puis se rivent sur Sheraz Alfirin, qui n'a pas bougé.
— Qu'est-ce que tu faisais ici, avec lui, Sira ? siffle la fée
— Rien, on se promenait et je suis tombé.
Candice lui lance un regard d'avertissement, signe qu'il ne plaisante pas et que lui mentir serait une très mauvaise idée. Sira ne change pas sa version des faits : il se promenait avec Sheraz, il a trébuché et il est tombé. Agacé, Candice se dirige d'un pas rageur vers Sheraz, puis lui crache :
— Tu as fait quelque chose à mon frère ? Tu l'as poussé ? Tu as posé tes mains sur lui ?
— Non… répond Sheraz d'une voix hachée, je ne lui ai rien fait du tout, je vous assure. Nous avons marché et il a trébuché. Je ne l'ai pas touché…
— Maître Milliget, intervient Hélios en s’inclinant.
Elle a rejoint Sheraz et dans son mouvement, s’est placée entre la fée et son maître, afin de recevoir la fureur de l’être du froid si elle venait à s’abattre. Hélios se redresse, un sourire contrit sur les lèvres, et elle prend soin de ne pas regarder Candice dans les yeux.
— Je suis vraiment navrée, maître Milliget, reprend-elle. J’ai cru qu’il serait bon pour mon maître de prendre l’air dans les jardins, et je me suis permise de proposer au jeune maître Milliget ainsi qu’au jeune maître Sheraz de goûter près de la fontaine. J’aurais dû m’assurer en amont qu’ils pourraient s’y déplacer sans crainte, et qu’ils auraient de quoi s’installer confortablement. Je vous présente, ainsi qu’au jeune maître Milliget, toutes mes excuses pour cette erreur qui est tout à fait indigne de la famille que je sers.
— Qui t'as permis de prendre la parole, dava ? Ce n'est pas à toi, que je m'adresse. Bouge de là !
— Ne parlez pas à ma servante sur ce ton.
Son cœur cogne contre ses côtes. Sheraz a peur pour Hélios, alors il soutient le regard de Candice et réitère ce qu'il vient de dire :
— Ne parlez pas ainsi à ma servante. Elle n'a absolument rien fait. C'est moi qui ait invité votre frère dans les jardins.
— Alors tiens ta servante en laisse ! réplique Candice en agitant un doigt accusateur, et évidemment que c'est toi ! C'est toujours toi qui tourne autour de mon frère ! Tu crois que je ne le vois pas ?
Voyant que le ton est en train de monter, Sheraz pose une main sur le bras d'Hélios et lui demande de s'écarter. C’est un réflexe purement maternel qui la pousse à désobéir. Hélios ne bouge pas d’un pouce, et c’est bien la première fois qu’elle agit de cette façon. Toutefois, il lui est impossible de laisser Sheraz affronter la colère de Candice, et ça n’a rien à voir avec le fait qu’un serviteur personnel doit être entièrement dévoué à son maître. Elle craint le caractère impétueux de la fée Milliget, et elle ne veut surtout pas que Sheraz en soit victime. Elle préfère mille fois prendre un mauvais coup et subir les foudres de la fée plutôt que la peau de Sheraz soit marquée par sa colère. Alors, les yeux baissés, elle reste immobile et elle se force à garder les mains sagement croisées sur ses jupes, car elle ne veut pas que Sheraz voit à quel point elle est terrifiée.
— Ta dava n'est pas très bien dressée, raille Candice, mais peu importe, retiens bien ce que je vais te dire, Alfirin : mon frère n'est pas ton jouet…
— Il est mon ami.
— Ne me coupe pas la parole quand je parle !
Candice lève la main pour attraper Sheraz par le col de sa tunique. Ce dernier, persuadé qu'il va frapper Hélios pour passer sa colère sur elle, se dépêche de l'écarter de sa trajectoire. La main de Candice percute le visage de Sheraz qui a l'impression de recevoir une masse en pleine figure. Sonné, il se sent basculer en arrière et rencontre le sol dur en une fraction de seconde, avec un goût métallique dans la bouche et une douleur à la mâchoire.
Hélios pousse un cri d’horreur et elle se précipite vers son maître en faisant fi de Candice. Elle se jette sur Sheraz pour le protéger d’un autre coup, et s’empresse de sortir un mouchoir de son réticule pour le presser contre la lèvre fendue de l’elfe. Elle s’assure également qu’il ne se relève pas, car sa tête a tapé contre l’herbe et elle veut d’abord s’assurer qu’il n’a pas de blessures plus sérieuses. En retenant ses larmes, l’atalante s’efforce de prendre un ton calme et respectueux en se tournant vers Candice.
— Je vous supplie d’excuser mon attitude et celle de mon jeune maître, maître Milliget, articule-t-elle. Permettez-moi de le ramener dans sa chambre, je prendrais la responsabilité de sa blessure, afin que les bonnes relations entre Alfirin et Milliget ne soient pas impactées.
— Kitafalshe, Qenndys ! s'écrie Sira.
Il se précipite entre son frère et Hélios, le souffle court, des larmes traçant des sillons sur ses joues, puis rive son regard brun dans les yeux de son frère. Ce dernier, imperturbable, lui ordonne d'un signe de tête :
— Zouzalshe.
— Noll. s'obstine Sira en secouant la tête, Kitafalshe !
— Ata noik kellevshe yaba, Sira, ata mivshe tama sheb ina yavoh oka sottah, louk hazma !
— Kitafalshe, Qenndys, ata meto hasah zigmara.
Candice se fige. Face à lui, Sira se répète en continuant de pleurer, mais son frère se contente de pousser un soupir agacé, avant de répliquer vertement quelque chose dans la langue des fées. Sira se met à trembler, il jette un regard terrifié à Sheraz, allongé sur le sol. Il attrape ses cheveux rose d'un geste paniqué, ses ailes s'agitent et quand la voix de Candice s'élève encore, il ne réfléchit plus : sa bouche s'ouvre grand, sa mâchoire se disloque en un craquement écoeurant, puis il laisse échapper un cri strident alors qu'une trompe hérissé de pointes quitte son fourreau.
Immédiatement, Hélios oublie les recommandations des médecins en cas de traumatisme crânien. Elle saisit Sheraz par les épaules et presse son maître contre elle pour le soustraire à l’horreur qui se déroule dans les jardins. Ses mains entourent le visage de l’elfe pour qu’il n’entende pas, ses boucles l’empêchent de voir et elle, elle prie. Les larmes roulent en silence sur ses joues, mais elle se fiche d’être indigne de son rôle. Seule compte la sécurité de Sheraz, et la souffrance qu’il ressentira indubitablement une fois de retour dans ses appartements. De ça, elle ne peut pas le protéger, alors elle fait de son mieux, sur l’instant, pour qu’il ne lui arrive rien de plus.
Sheraz s'agripe à Hélios en ignorant sa machoire qui le lance. D'un mouvement fébrile, il écarte son rideau de cheveux flamboyant pour assister à la scène, horrifié que Candice puisse faire payer Sira. Mais là, en cet instant, Candice est figé face à l'audace de son frère. Il se reprend bien vite et se met à gronder, défiant Sira de se dérober une autre fois à son autorité.
Il lui siffle quelque chose dans la langue des fées et Sira lui répond un énième cri strident. Furieux, son frère s'approche d'un pas décidé, mais deux mains tremblantes le repoussent :
— Ata no zej hasivett teb zigmara !
Sa voix déchire le cœur de Sheraz. Les larmes lui montent aux yeux et il se met à les verser avec lui, son bel ami qui défit la hiérarchie de sa famille pour empêcher son frère de leur faire du mal. Il voit Candice tenter de lui attraper le poignet, mais Sira l'évite, le bouscule et fuit les jardins.
— Sira !
Candice jette un regard assassin à Sheraz et Hélios, puis se lance à la poursuite de son frère. L'elfe Alfirin le suit des yeux, alors qu'une boule chauffée à blanc pulse dans sa poitrine. Il se sait paisible et déteste peu de monde, même ceux qui lui en veulent d'être ce qu'il est pourtant, Sheraz est certain qu'il n'a jamais haï quelqu'un aussi profondément que Candice Milliget.
— Hélios, l'interpelle-t-il avec tristesse, s'il vous plaît, nous nous sommes promenés dans ces jardins, je suis tombé et je me suis fendu la lèvre. Sira n'était pas avec nous et nous n'avons jamais vu Candice Milliget.
L’atalante hoche la tête, les larmes roulant toujours sur ses joues. Elle renifle en brisant le masque de beauté irréprochable qui la caractérise, et après de longues secondes, elle lâche Sheraz. En s’écartant, Hélios occulte sa terreur pour rectifier la coiffure et la tenue de son jeune maître, applique son mouchoir contre la lèvre de l’elfe Alfirin, dans un silence buté qui vise à cacher son agitation. Quand elle s’estime satisfaite, elle l’aide à se relever, puis va chercher un peu d’eau pour le nettoyer, avant de le faire asseoir sur la petite fontaine, de lui servir un verre de jus et de s’assurer qu’il n’a pas d’autres blessures. Une fois cela fait, Hélios rajuste ses propres jupes, essuie son visage rougi puis se recompose un air serein, avant de plonger son regard dans celui de Sheraz.
— J’ai eu très peur pour vous, dit-elle. Rentrons, Sheraz, avant que quelqu'un ne vienne s’enquérir de votre chute.
L'elfe Alfirin hoche la tête, sans rien dire. Il peine à croire que quelques minutes plus tôt, il se trouvait dans un paradis que rien n'aurait dû gâcher et maintenant, il doit se préparer à encaisser une énième rumeur ridicule. Sheraz est si malade qu'il ne peut plus se promener sans chuter et se fendre la lèvre. Mais Sheraz préfère que tout le monde pense cela plutôt que de livrer Sira aux mauvaises langues du grand palais.
Penser à Sira lui serre le cœur. Il ne sait pas quand est-ce qu'il aura de ses nouvelles et il ignore ce que ça peut lui coûter, de s'être dressé face à Candice.
Quand Hélios se lève pour le raccompagner jusqu'à sa chambre, Sheraz se trouve dans un état second. C'est comme si on lui avait retiré la fonction, dans son corps, qui lui permet de ressentir des émotions positives. Il a mangé peu au dîner du soir et la compagnie de ses parents a été plus difficile à supporter. Sa mère s'est contentée de marmonner une remarque sur le ridicule de la situation et son père, quant à lui, n'a rien ajouté.
Une fois de retour dans sa chambre, Hélios lui a joué une berceuse. Elle a été interrompue par quelqu'un qui a toqué à la porte pour apporter un puissant onguent cicatrisant. Le serviteur de bas rang a dit qu'il a été livré par erreur dans leur salle de travail, mais qu'il est bien destiné à Sheraz Alfirin.
Les jours suivants, la lèvre de Sheraz a guéri, mais son coeur s'est mis à saigner durant de longues journées quand il a appris que les Milliget sont rentrés dans leur royaume, alors qu'il a attendu Sira tout ce temps et qu'il n'est jamais réapparu.
Instant présent, salle de pause des serviteurs personnels
Stella souffle par le nez afin de chasser la mauvaise humeur de ses maîtresses qui a déteint sur elle. Depuis qu'Olga et Ekaterina ont appris que Sheraz Alfirin et Faust Fontaine prendraient leur goûter en privé, elles n'ont pas cessé de faire plusieurs spéculations quant à cet évènement soudain. Bien entendu, la question d'un potentiel mariage entre Hélios et Wan Zi est revenue sur le tapis…
Stella rajuste sa coiffure complexe et s'applique à se préparer sa boisson favorite : un chocolat chaud au lait végétal, dans lequel elle ajoute un soupçon de cannelle. De quoi lui remonter le moral jusqu'à la fin de la journée.
Là, au sein de la salle de pause des serviteurs personnels, elle se permet un instant de quiétude, même si ses pensées tournent en boucle. Stella pince les lèvres. De tous les serviteurs personnels de grandes familles, Stella est celle qui a le moins de talent. Les parents d'Olga et d'Ekaterinna savent que s'occuper de leurs deux filles ne lui permet pas de s'épanouir comme Hélios peut le faire dans les arts de la danse et de la musique, ou bien comme Wan Zi qui ne cesse de se cultiver pour accompagner son jeune maître durant ses études. Les parents Orécaille auraient souhaité pouvoir organiser des sélections pour Olga mais malheureusement, ce serait un outrage de le faire alors que celles pour la Capitaine approchent. Stella fait la moue. Ce n'est pas demain la veille qu'elle pourra se réconcilier avec ses anciens talents. La broderie en fait partie, bien évidemment et elle avait déjà émit le souhait de lancer sa propre ligne de vêtement, ce qui avait enchanté Madame Orécaille, mais elle n'en a pas le temps. Aussi, elle aurait voulu apprendre la maroquinerie ainsi que l'art de la danse… Tant pis. Pour le moment, elle s'occupe de ses deux maîtresses et quand enfin Olga aura sa servante personnelle, Stella pourra peut-être s'épanouir.
Tout à ses pensées, Stella ne voit pas entrer Hélios. Dès que l’atalante repère son amie, elle pince les lèvres en repensant à sa conversation avec Wan Zi. Il est temps d’avoir une explication de la bouche de la principale intéressée, et de comprendre pourquoi elle a fait tourner une telle rumeur, qui aurait pû avoir de graves conséquences sur leur réputation à tous les deux. D’ailleurs, Stella a bien de la chance que Wan Zi n’ait pas décidé de révéler l’affaire au public… Hélios s’avance jusqu’à son amie et pose une main délicate sur son épaule, un sourire franc sur les lèvres.
— Bonjour, Stella, dit-elle gentiment. Aurais-tu un peu de temps à m’accorder ?
— Bonjour Hélios ! sursaute la lampade, bien sûr, je t'en prie !
Stella l'invite à s'asseoir sur le fauteuil près du sien, ravie d'avoir de la compagnie. Peut-être que Hélios va lui en dire plus sur ce fameux goûter privé entre Monsieur Sheraz et Monsieur Fontaine et les oreilles de Stella ne sont jamais à court de ragots…
Elles échangent quelques banalités, puis Hélios décide de ne pas tourner autour du pot trop longtemps. Elle perd son sourire pour arborer une moue plus neutre, et inspire longuement.
— Stella, je souhaitais te parler car je voulais entendre ta version de l’histoire plutôt que de me faire des idées. J’ai discuté avec Wan Zi, et je crois que tu as eu de mauvais échos à son propos… Tu vois ce dont je parle ?
Stella ouvre de grands yeux surpris, comme si Hélios venait de lui annoncer qu'elle entrait dans le corps armée d'Odrialc'h. Sa tasse fumante à la main, la lampade ne laisse pas l'embarras se peindre sur son visage et répond d'une voix intriguée :
— De mauvais échos ? Tu veux dire qu'il est vraiment venu se justifier auprès de toi ? Enfin, Hélios, je suis certaine qu'il tient à sauver son mariage… Franchement !
Stella boit une gorgée de son chocolat, puis reprend avec énergie :
— De toute façon, tu as dit que tu ferais tout pour ne pas l'épouser et c'est mérité !
Hélios soupire, telle une sœur aînée réprimandant sa cadette. Elle secoue légèrement ses boucles et pose une main bienveillante sur celle de Stella.
— Il arrive parfois de se tromper, Stella, et quoiqu’il arrive, nous resterons amies, assure-t-elle. Je ne cherche pas à te mettre dans l’embarras, mais je souhaite simplement avoir une conversation à cœur ouvert, car il m’est difficile de t’imaginer nuire sciemment à qui que ce soit. Or, au cours de notre discussion, c’est ce que suggérait Wan Zi, et si tel est réellement le cas, je suis certaine que tu n’avais pas de mauvaises intentions. Crains-tu tant que cela que j’épouse Wan Zi, Stella ?
La lampade fixe sa collègue pendant que son teint prend la couleur de ses cheveux blanc. Elle jette un regard inquiet vers la porte, comme si Wan Zi pouvait la franchir à tout moment, puis ses longs doigts fins se crispent autour de sa tasse. Ses jolis sourcils se froncent et manifestement, elle est en train de se demander à quel moment son mensonge a pu fuiter.
Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais aucun son n'en sort. Stella fixe sa boisson comme si elle avait beaucoup plus d'intérêt qu'Hélios mais en réalité, elle ne supporte pas de regarder son amie dans les yeux. Elle sait que par bonheur, Hélios ne lui en voudra pas, qu'elle comprendra car tel est son cœur. Mais c'est cette gentillesse et cette chaleur des plus sincères qui rendent Stella si honteuse de ce qu'elle a fait. Elle avoue à demi-mots, puis elle finit par parler plus fort :
— Je ne me suis pas trompée, confie-t-elle, honteuse, j'ai menti. Je suis vraiment désolée, Hélios, ce… C'est tout ce que j'ai trouvé sur le moment. Ce devait être assez écoeurant pour que tu refuses d'épouser Wan Zi ou même de l'approcher ! J'ai fait courir la rumeur à l'hôpital, aussi, puisque je sais qu'il y va pour discuter avec elle… La sœur du Docteur Le Preux. Je vois bien comment il la regarde, mais de toute façon, ce sont ses maîtres qui vont décider. Et j'ai espéré que tu puisses être mariée à un autre pour que ce soit moi.
Stella se sent si mal. Elle savait que cette histoire dont elle est l'auteure allait lui retomber dessus, mais pas de cette manière. Ce n'est pas de sa faute, elle ne se comprend pas elle-même… Wan Zi est aussi ennuyeux que son maître, non ?
— Il n'a pas toujours été ainsi, confie Stella, quand je suis arrivée au grand palais, il a été vraiment gentil avec moi. Il a même couvert certaines de mes erreurs et j'avais l'impression que quelqu'un veillait sur moi. Puis les choses ont changé. Monsieur Faust devait étudier sans relâche pour réussir ses examens et Wan Zi était moins disponible. Je me suis dit qu'une fois que Monsieur Faust serait diplômé, alors tout redeviendrait comme avant, mais en réalité, c'est à cause d'elle. La sœur du Docteur Le Preux. C'est avec elle qu'il passe son temps libre. Je les ai entendus discuter et à l'évidence, je ne comprends pas la moitié de leur conversation… Mais tant pis. Et puis j'ai appris que tes maîtres voulaient te marier à Wan Zi et je me suis sentie si triste, parce que je voulais être à ta place. Si je deviens sa femme, il redeviendra comme avant avec moi, n'est-ce pas ? Il sera gentil et il me traitera bien. J'aurais enfin quelqu'un sur qui m'appuyer…
— Oh, Stella… soupire Hélios.
Elle passe une main autour des épaules de son amie, en comprenant soudain ce qu’il lui est passé par la tête. Elle avait raison, bien sûr, Stella n’avait jamais pensé à mal. Elle comprend également un peu mieux la scène à laquelle elle a assisté, et surtout, les paroles de Wan Zi lui reviennent très précisément. C’est donc la sœur du Docteur Le Preux qu’il veut épouser, et pour qui il est prêt à renier les ordres de ses maîtres.
— Je comprends mieux, continue Hélios. Si j’avais sû ce que tu éprouvais à son égard, j’aurais fait en sorte de chercher immédiatement quelqu’un d’autre à proposer à mes maîtres, tu sais ? Un parti tout aussi prestigieux que lui, mais qui n’heurterait pas tes sentiments. Tu sais, Stella, tu es quelqu’un de formidable, et tu n’as pas besoin de devenir ce que tu n’es pas pour plaire et attirer l’attention. De plus, nous savons tous à quel point tu es méritante : alors que nous n’avons qu’un seul maître à servir, tu dois t’occuper des deux demoiselles Orécaille, et tu t’en sors avec brio, d’autant plus qu’elles ne sont pas faciles à vivre.
Hélios lui sourit gentiment. Elle voudrait aussi amener que ce n’est pas en rentrant accidentellement dans Wan Zi en nuisette qu’elle risque de s’attirer ses faveurs, mais cela reviendrait à avouer qu’elle était dans le couloir cette nuit-là.
— Je suis vraiment désolée que tu te sois sentie obligée d’en arriver là, reprend-elle donc. Tu sais, Stella, si tu as besoin de conseils ou simplement de te livrer, tu peux me parler sans crainte, je n’irais révéler tes secrets à personne. Évidemment, j’aime connaître ceux des autres, mais j’aime les connaître, c’est tout, pas les répéter, car c’est dans ma nature d’être curieuse. Mais les tiens, je peux les accueillir comme un journal intime, et t’apporter ce soutien dont tu penses manquer.
Ces paroles suffisent pour que Stella fonde en larmes. Elle se gifle mentalement, parce que cela va abîmer son maquillage et qu'elle devra cacher son état à ses maîtresses. Aussi mauvaises soient-elles avec autrui, Olga et Ekaterina ne lui en voudraient pas d'avoir pleuré, mais elles tiendraient à savoir pourquoi. Stella ne veut rien leur confier.
— Je suis une idiote, sanglote-t-elle, de toute façon, il sait que c'est moi qui suis à l'origine de la rumeur, alors il va me détester. Ça ne servira à rien… C'est avec elle qu'il est heureux et c'est normal, elle est incroyable. Elle est intelligente, elle rayonne, elle est bienveillante, alors que moi, je ne peux exceller dans rien du tout… Je n'ai pas le temps…
Hélios est adorée au sein du grand palais, elle chante à merveille, elle joue beaucoup d'instruments, elle est une alchimiste de renom, elle danse et de plus, elle a été choisie pour assister Dame Malda aux sélections pour la Capitaine. Wan Zi, lui, fait la fierté des Fontaine. C'est un génie qui pourra faire carrière dans le domaine qu'il souhaite une fois que Faust sera diplômé et quand Wan Zi donnera naissance à ses enfants, ils pourront bénéficier de la grande et merveilleuse bibliothèque de la famille Fontaine. De plus, Liu Wan Zi est le premier fils du treizième prince de la cité de Ningjing et en plus de la fierté des Fontaine, il fait également celle de la noblesse orientale… Mais elle, Stella Malherbe, qui est-elle ?
— Fille de notaires, petite sœur d'un grand avocat, instruite, jolie, gentille… Je pensais que la vie de servante personnelle me permettrait d'accomplir mes rêves et Madame Orécaille m'encourage, mais quand est-ce que ça arrivera ? Mes maîtresses ne sont pas détestables avec moi, mais j'ai hâte que Mademoiselle Olga ait sa propre servante personnelle. Enfin…
Stella relève la tête et rive ses yeux noirs dans ceux d'Hélios. Elle lui demande à quel point elles sont amies parce que si elle a bien appris une chose au sein du grand palais, c'est que la sincérité est une denrée rare. Hélios lui prend les mains et lui assure qu’elle gardera ses confidences pour elle.
— Stella, nous pouvons avoir confiance en si peu de gens ici, regrette Hélios. Tu es une amie très chère, et cela me peine de te voir te dénigrer ainsi. Toi aussi, tu es merveilleuse ! Quand je suis arrivée ici, j’ai pu compter sur ta gentillesse, moi aussi, et sans cela, je me serais sentie affreusement perdue. Odrialc’h est si différente de la forêt où j’ai grandi, j’étais perdue et j’avais peur, même si j’ai tout fait pour ne pas le montrer. Et tu m’as grandement aidée, Stella. Je sais que c’est peu, et que ça ne t’assurera pas un grand avenir de m’avoir permis de m’en sortir au grand palais, mais cela signifie énormément pour moi. Je ne te trahirais pas, et si je peux faire quelque chose pour t’aider, tu dois croire que je ferai tout mon possible.
— Je dois bien ça à Wan Zi, puisque j'ai calomnié à son sujet, répond Stella avec un frêle sourire.
Elle lui raconte que ses parents, deux notaires de Davazenn, ne jurent que par l'excellence. Mais son frère, lui, n'est pas ainsi. En tant qu'avocat, il n'a jamais été insensible face à la misère, alors quand il a été diplômé, il a voulu aider ceux dans le besoin.
— Plutôt que d'ouvrir son propre cabinet, il a préféré fonder un centre d'action social au sein de Meskem, raconte Stella, mes parents ont pris cela comme un acte de rébellion envers eux. Tu te rends compte ? Mon frère défendait de riches personnes, mais une partie de ses honoraires servait à aider les plus nécessiteux qui n'avaient pas les moyens de se payer un avocat. Je l'accompagnais souvent quand il se rendait à Abenadur. Il disait qu'il ne voulait pas que je devienne avide et hautaine, comme la plupart des jeunes filles des hautes sphères. Alors j'ai vu la misère de près, c'est vrai, et ce n'est pas Wan Zi qui est allé à la rencontre des prostitués, Hélios, c'est moi. Avec mon frère, je les aide à trouver des logements accessibles, je leur fournit du matériel de première nécessité et je les accompagne pour qu'elles puissent se mettre à l'abri de mauvais traitement et refaire leur vie. Si ça se savait ici…
Stella grimace et a un frisson. Oui, si ça se savait ici, elle serait répudiée, mais elle n'a pas honte.
— Je me dis que mon statut ne devrait pas uniquement être utilisé pour servir les rêves des autres. Il pourrait servir ceux de ces personnes-là, qui souffrent à Abenadur, tu ne crois pas ?
Hélios ouvre de grands yeux. Et dire qu’elle se sent généreuse quand elle donne quelques pièces aux enfants sans le sou, ou quand elle achète un morceau de pain pour un mendiant !
— Stella… murmure-t-elle.
Elle savait son amie gentille, mais pas au point de mettre sa réputation en péril pour aider ceux qui en avaient le plus besoin. Hélios lui lance un regard brillant d’admiration. Décidément, son amie est pleine de surprises.
— Je ne dirais rien, promet-elle. Et si tu as besoin d’aide, tu peux compter sur moi. Ce que tu fais est admirable, Stella, ne laisse personne te dire le contraire. Tes rêves méritent d’être réalisés, même si c’est dangereux pour toi et que ça prendra du temps.
Puis Hélios se fait sérieuse, et elle presse les doigts de Stella entre les siens.
— Par contre, tu dois être plus prudente. Il y a des gens qui comptent sur toi, et si tu venais à te faire répudier, ils perdraient quelqu’un de très précieux. Sans compter qu’il me serait insupportable de te voir partir. Alors Stella, tu dois me promettre de ne plus agir de façon irréfléchie. Je vais être franche avec toi à mon tour : Wan Zi ne m’épousera pas non plus, quel que soit le résultat des sélections, et j’en suis soulagée, car il est peut-être gentil, mais il m’ennuie et même si je dois obéir à mes maîtres, je n’ai aucune envie de me marier avec lui. Si tu l’aimes vraiment, alors nous essayerons, ensemble, de lui faire prendre conscience de ta valeur, mais si tu l’aimes parce qu’il s’est montré gentil avec toi, laisse le partir et nous trouverons quelqu’un qui ne verra que toi, et personne d’autre. Je suis sûre que cette personne existe déjà, d’ailleurs, et si tu veux mon avis, tu auras l’embarras du choix. Un choix qui ravira les Orécaille, et qui te rendra aussi heureuse que tu mérites de l’être.
Stella n'est pas vraiment surprise. Wan Zi doit être déterminé à épouser Odette Le Preux et cette dernière va faire tout son possible pour qu'ils puissent se marier aussi. Stella ne serait même pas surprise que Wan Zi reçoive l'aide de son jeune maître qui tient beaucoup à lui.
Elle secoue la tête :
— Merci d'être mon amie, Hélios. C'est inutile, je préfère laisser Wan Zi partir plutôt que de m'obstiner. Je ne sais pas qui mes maîtres me choisiront pour mon mariage, mais j'espère que ce sera quelqu'un de bien… Sûrement pas notre futur collègue, puisque Madame Alfirin voudra que tu l'épouse, ni Monsieur Le Preux, mais quelqu'un de bien.
Elle n'aura pas voix au chapitre, mais peut-être un petit peu. Ekaterina sera soucieuse de son bonheur, malgré toute l'amertume dont elle peut faire preuve envers autrui. Enfin… Tant qu'Ekaterina ne sait pas ce que Stella fait de son temps libre, à Abenadur, bien sûr.
Stella laisse sa tête reposer sur l'épaule d'Hélios. Encore une fois, elle lui dit merci et elle lui promet d'être présente à son tour quand Hélios en aura besoin :
— Je me sens beaucoup mieux d'avoir confié mon secret à quelqu'un, sourit-elle, et j'ai été bête de ne pas voir que j'avais déjà une merveilleuse amie près de moi.
L'heure du goûter en compagnie de Faust Fontaine
Les minutes sont longues mais quelque part, Sheraz les bénie. Là, assis dans un fauteuil en velours où quelques fleurs ont été savamment brodées, il attend l'arrivée de Faust Fontaine ainsi que de son serviteur personnel. Sheraz se surprend encore de son audace qui a, bien entendu, fait parler d'elle dans le grand palais. Le fils Alfirin et le fils Fontaine prenant le goûter en privé, il y a de quoi médire, surtout pour des personnes comme les sœurs Orécaille. La question du mariage entre Hélios et Wan Zi est bien entendu revenue sur la table et Sheraz le déplore.
Tordant nerveusement ses doigts, il attend. Il s'empêche de grimacer alors que le doute est en train de l'assaillir. Il s'est levé de bonne heure afin de se préparer et comme d'habitude, il a pris son bain, été baigné dans plusieurs huiles florales, puis soigneusement habillé et coiffé par Hélios. Elle a dissimulé son teint trop pâle sous du maquillage et elle a choisi les couleurs de sa tenue avec soin, afin de lui donner bonne mine.
Sheraz craint d'avoir invité Faust de manière irréfléchie. Pire : il a peur d'avoir pitié de lui et que cela se lise dans ses yeux. Pourtant, une partie de lui-même songe qu'il a bien agi et que cela lui serait bénéfique d'avoir un ami parmi la noble jeunesse du grand palais. L'elfe Alfirin inspire profondément. Il regarde Hélios en train de préparer la table en chantonnant puis, d'une voix nerveuse, il l'interpelle :
— Hélios, j'ai beau réfléchir, je ne trouve rien de pertinent… Quels sujets de conversation devrais-je aborder avec Faust, selon vous ? J'ai bien pensé l'inviter à parler de sa thèse mais après ce à quoi nous avons assisté, je m'en voudrais. De plus…
Sheraz hausse les épaules et esquisse une moue embarrassé :
— Je crains de somnoler d'ennui et ce serait très impoli…
Hélios réprime un sourire attendri. Pour ces nobles qui n’ont que trop peu l’occasion d’interactions sincères, l’autre est une énigme bien trop difficile à résoudre. La jeune femme cesse son activité pour venir s’asseoir près de son maître et prend ses mains entre les siennes.
— Quels sujets de conversations avez-vous abordé avec moi lorsque nous nous sommes rencontrés ? dit-elle gentiment. Monsieur Faust n’est en rien différent, Sheraz. Il est très probablement aussi anxieux que vous. Commencez par des sujets classiques, des choses communes pour lesquelles vous avez des chances d’avoir des points communs. Les livres que vous aimez, vos tableaux préférés, ou bien les sélections qui arrivent.
Hélios presse les doigts de Sheraz, puis elle se penche comme pour lui confier un secret.
— Il paraît que monsieur Faust aime beaucoup la harpe… Si j’étais vous, je mentionnerais également les jardins du Grand Palais, car monsieur Faust n’a pas beaucoup l’occasion de sortir, et il sera sans doute enchanté d’évoquer la nature et le grand air.
Hélios assure à son maître qu’il s’en sortira à merveille, et qu’il n’aura qu’un signe à faire s’il a besoin d’aide.
— Je suis cependant certaine que je n’aurais pas besoin de venir à votre secours. Ayez confiance en vous, Sheraz, dit-elle doucement. Vous savez comment vous faire des amis. Regardez-moi : je ne m’ennuie jamais, avec vous, et vous n’avez pas besoin de vous forcer pour ça.
Sheraz lui répond un sourire sincère. Les mots d'Hélios sont rassurants et les pistes qu'elle lui a données lui font réaliser que Faust Fontaine ne doit pas avoir souvent le loisir de se promener dans les jardins ou bien d'écouter de la belle musique. Même les livres qu'il lit lui sont certainement imposés alors en fin de compte, avec ce goûter, Sheraz peut lui offrir une évasion.
— Vous ne vous ennuyez vraiment jamais ? demande-t-il à Hélios, soucieux, pourtant, je dors beaucoup…
Mais ses réflexions sont coupées par l'arrivée de Liu Wan Zi annonçant celle de son maître. Comme Sheraz s'y est attendu, Faust est ponctuel. L'elfe Alfirin se tend, Hélios se lève pour reprendre sa place et bientôt, le fils Fontaine et son serviteur personnel font leur entrée.
Wan Zi est égal à lui-même, ses cheveux sombres rassemblés en une longue natte et vêtu de ses éternelles tenues rouge et or. Un calme religieux flotte autour de sa silhouette, en parfait contraste avec un Faust rigide qui peine manifestement à comprendre le sens de cette invitation. Pourtant, Sheraz note qu'il a fait un effort vestimentaire à en juger par son costume lie-de-vin, sa cravate couleur crème ainsi que sa canne sophistiquée. Faust ne l'utilise d'ailleurs que pour les grandes occasions. Quant à ses cheveux sombres, ils ont été soigneusement brossés par Wan Zi, puis élégamment attachés en une queue de cheval basse à l'aide d'un ruban de satin.
Sheraz doit admettre qu'il se sent intimidé. Le Faust implorant son serviteur personnel de commettre un outrage afin d'être renié par sa famille, puis celui qui se tient devant lui, aussi sérieux que d'ordinaire, ont l'air d'être deux personnes différentes. Sheraz se retient de lancer un regard alarmé à Hélios, puis se lève afin d'accueillir dignement son invité :
— Bonjour, Faust, merci d'avoir répondu à cette invitation. Je suis ravi de prendre le thé et de manger le goûter en votre compagnie.
— Je vous en prie, répond Faust d'un ton poli, Wan Zi, est-ce que vous pourriez remettre ce que nous avons apporté à Mademoiselle Hélios, s'il vous plaît ?
Ce dernier s'exécute et tend un petit objet enveloppé dans un tissu noble et brodé. Conformément à son rôle, Wan Zi indique qu'il s'agit d'encens de bois d'Agar. À Ningjing, il est surnommé le Bois des Dieux car il a de fortes vertues contre les maux de ventre et les maladies cardiovasculaires. Il favorise aussi l'apaisement et l'endormissement alors en le faisant brûler dans sa chambre, Sheraz trouvera plus facilement le sommeil.
Hélios reçoit le présent des Fontaine en s’inclinant, puis, conformément à son rôle également, elle remercie la famille Fontaine pour ce prestigieux cadeau, avant de s’incliner gracieusement en désignant la table dressée pour le goûter.
— Mon maître a jugé qu’il serait agréable de prendre le thé devant les grandes fenêtres donnant sur les jardins, indique-t-elle. Si cela vous sied, vous pouvez prendre place ici, maître Faust, le thé va être servi. Maître Sheraz aime goûter en musique, cependant, veuillez ne pas hésiter à m’indiquer si l’ambiance sonore vous dérange, ou si vous préférez que je joue un autre morceau.
Elle s’incline à nouveau, et attend que Faust prenne place. Il y a également un siège pour Wan Zi, qui pourra ainsi s’occuper de satisfaire leurs papilles pendant qu’elle joue.
Pendant qu'ils s'installent, Sheraz surprend le regard de Faust vers les jardins. Hélios lui a rapporté qu'il n'avait pas l'occasion de s'y promener comme il aimerait le faire, à cause de ses études et de l'excellence qu'il doit fournir auprès de ses parents. Il passe ses journées confiné dans la bibliothèque des Fontaine et les rares moments où il apparaît en société, c'est pendant l'heure du goûter ou bien pendant les événements donnés au grand palais, comme les bals.
Soudain, un familier prend son envol et fend la canopée de beaux arbres.
— Un lovigis, si je ne m'abuse, dit Faust.
— Non, corrige Sheraz, c'est un beckett. Les lovigis n'ont pas une traîne scindée en deux et leurs plumes sont plus colorées. De plus, ils volent toujours à deux. Les couples sont inséparables.
— Vous semblez avoir beaucoup de connaissances dans le domaine des familiers.
Sheraz acquiesce en s'installant. Il se rend souvent dans les jardins, alors il a l'habitude d'observer la faune locale, sans compter Céleste, sa fidèle ciralak qui l'accompagne partout où il va. Les ciralak sont réputés pour ne pas accorder leur confiance à n'importe qui, alors être choisi par l'une d'entre eux est assez incroyable.
— Si vous me le permettez, Faust, j'aimerais nous rapprocher d'autant plus des jardins avec un morceau qu'Hélios a créé en s'inspirant d'eux. Les Jardins de la Reine.
— Faites comme vous le souhaitez.
Sheraz s'empêche de grimacer face au ton neutre de Faust. Même si la conversation sur les familiers a été agréable, le fils Fontaine reste égal à lui-même et Sheraz peut noter que pour le moment, Wan Zi n'intervient pas et se contente de préparer le thé. Tant pis. L'elfe Alfirin se tourne vers Hélios et lui demande avec enthousiasme si elle peut jouer Les Jardins de la Reine, qui est un morceau assez énergique à la harpe.
Elle l’encourage d’un regard discret, puis s’installe en réorganisant ses jupes pour qu’elles viennent élégamment couler le long de son siège. Ses doigts pincent les cordes délicatement, pour faire s’élever la mélodie qui emplit la pièce d’un fond sonore agréable. Hélios sait jouer ce morceau par cœur, alors elle se permet de surveiller son maître du coin de l'œil, afin de lui apporter son soutien dans l’exercice difficile auquel il s’adonne.
Comme l'espérait Sheraz, le son de la harpe à le pouvoir de détendre Faust dont les muscles s'affaissent au fil du morceau. C'est comme s'il retrouvait la lumière du jour après de longues semaines passées sous l'œil de la nuit, le nez plongé dans les livres et même s'il ne se montre pas un interlocuteur passionné, Sheraz est satisfait de son invitation.
Le thé et les petits gâteaux leur sont servis. L'elfe Alfirin choisit soigneusement les moins acides et les moins gras pour son ventre fragile pendant que Faust sélectionne ceux au chocolat. Sheraz note que ce doit être son péché mignon car même pendant les goûters en compagnie des autres jeunes gens de la noblesse, il se laisse toujours tenter par le chocolat.
— Vous semblez apprécier le chocolat, fait remarquer Sheraz.
Faust lui jette un regard en biais et l'elfe Alfirin commence à regretter ses paroles. C'est le moment que choisit Wan Zi pour venir servir le thé, comme s'il s'attendait à rattraper la bourde de Sheraz et à choisir les mots qui pourraient apaiser son maître. Mais il n'en est rien, Faust se contente de hausser les épaules, puis de répondre :
— C'est un remède contre les tracas quotidiens. Je n'en mangeais pas avant que Wan Zi entre à mon service, mais après chaque exercice ou examen réussi, il m'en donne en me disant que ça m'aidera à m'apaiser et c'est vrai.
Wan Zi se met à sourire et Faust semble plus détendu. Sheraz choisit de lui poser des questions sur ses études et il semble avoir fait le bon choix puisque son interlocuteur se met à parler avec sérieux.
Dans son coin, Hélios est ravie. Elle se sent comme une mère surveillant son petit qui fait ses premiers pas dans le monde. Mis à l’écart pendant des années, il est normal que Sheraz soit anxieux en présence d’autrui, mais elle voudrait qu’il prenne conscience que lui aussi est une belle personne. L’atalante se concentre sur un passage complexe du morceau, puis elle revient au goûter, en cherchant discrètement le regard de Wan Zi. Elle ne lui a pas posé la question frontalement, mais d’après ce qu’elle a vu et entendu, elle se doute que lui aussi souhaite le meilleur pour son maître, et qu’avoir un ami au sein du Grand Palais est ce qu’il peut espérer de meilleur pour Faust. De ses yeux verts, elle l’interroge subtilement pour savoir si tout se déroule aussi bien pour Faust que pour Sheraz. Son sourire serein la rassure et la conversation se poursuit :
— Et vous, Sheraz ?
— Moi ?
L'elfe Alfirin interroge Faust du regard et ce dernier arque un sourcil. Il boit une gorgée de son thé et lui demande s'il fait des études et ce qu'il compte exercer comme métier. Sheraz reste silencieux. Il fixe sa tasse, pensif, puis il réalise que son avenir est vide. Il a été à l'école, comme tous les enfants mais ensuite, avec sa maladie qui a pris le dessus, il est resté cloisonné au grand palais. Rien d'autre.
— Je… amorce-t-il la gorge soudainement sèche, Je… Ne sais pas…
— Vous ne savez pas ? s'étonne Faust, vous avez pourtant dû échanger avec vos parents sur votre avenir, n'est-ce pas ? Les Alfirin sont des joailliers, ne devez-vous pas reprendre les affaires de votre père ?
— Non…
Sheraz fixe Faust, l'air hagard comme un parfait idiot. Il n'a jamais pensé à cela. Il n'a jamais échangé avec ses parents concernant des études ou bien son avenir et il n'a jamais été question qu'il reprenne l'entreprise de sa famille. En vérité, après l'école classique pour tous les enfants, la question des études ne s'est pas imposée.
Réaliser cela face à Faust Fontaine le plonge dans une angoisse qu'il ne parvient pas à expliquer et il jette un coup d'œil alarmé à Hélios. Elle grimace intérieurement, mais ne laisse rien paraître de son inquiétude. Faust a touché un sujet sensible, et si elle aimerait que Sheraz ait des plans pour l’avenir, elle s’estime chanceuse lorsqu’il se lève le matin et qu’elle arrive à lui tirer un sourire… Par chance, son morceau se termine, alors, avec fluidité, Hélios enchaîne sur un autre morceau, qu’elle joue souvent pour l’apaiser, et surtout, qui évoque les grands espaces et les voyages autour du monde. Sheraz, coincé dans sa tour d’ivoire depuis son enfance, a tout à fait le droit de rêver à explorer d’autres endroits, en attendant d’approfondir cette discussion plus tard, quand il pourra se montrer vacillant devant Hélios et elle seule. Elle ne le quitte pas de ses yeux verts, dans l’attente de savoir s’il parvient à se ressaisir, tout en lui promettant que si ce n’est pas le cas, elle sera là pour l’y aider.
Un lourd silence tombe entre les fils Fontaine et Alfirin, puis Faust finit par reprendre la parole sur un ton d'excuse :
— Vous ne devriez pas vous tracasser, Sheraz. En réalité, vous avez de la chance. Vous avez le temps de réfléchir, de choisir et même de changer d'avis.
Puis il déguste un morceau de sa tartelette au chocolat comme si de rien n'était et Sheraz le remercie en silence. Son avenir, il n'a pas envie d'en parler. En réalité, Sheraz n'a jamais songé à des études ou un métier. Tout ce qu'il souhaite, c'est pouvoir quitter le grand palais et rejoindre Sira au royaume des fées afin de devenir son mari. Beaucoup de membres de la noblesse critiqueraient son choix, mais c'est tout ce qu'il veut. Pour changer de sujet, l'elfe Alfirin choisit d'aborder la cité de Rhenia-Gaear, dont la famille Fontaine est originaire, ainsi que sa prestigieuse université d'alchimie.
— C'est là-bas que le Chef actuel de la Garde Absynthe, à Eel, a été formé, explique Faust, l'université de Rhenia-Gaear ne se contente pas d'enseigner l'alchimie, elle profite aussi de la proximité du royaume des fées pour éduquer ses étudiants sur les bases de la médecine. Tous les ans, ce choix est critiqué mais à mon sens, peu importe d'où vient l'enseignement tant qu'il est pertinent et dispensé par des maîtres en la matière.
— En effet, répond Sheraz d'une petite voix.
Cela lui fait penser à toutes ces fois où on le montrait du doigt à cause de son amitié avec Sira. Selon les jeunes gens de la noblesse et même les sœurs Orécaille, il fallait être lui pour accepter de se lier à une créature aussi horrible qu'une fée. En réalité, elles avaient peur de Candice et quand elles voyaient une fée recouverte d'un voile, quand elles étaient invitées au grand palais, elles se dépêchaient de fuir juste au cas où ce serait lui. Sheraz fait la moue, puis revient à lui quand il sent le regard de Faust sur sa personne. Ce dernier à terminé sa tartelette, puis posé sa cuillère près de son assiette à dessert. Il semble hésiter à dire quelque chose, alors Sheraz patiente et l'invite à parler d'un sourire poli. Enfin, Faust se décide :
— Vous savez, amorce-t-il, lors de ma dernière visite à Rhenia-Gaear, juste avant la chute d'Eel, mes parents et moi-même avons été invités au manoir du marquis Maximilien Ville de Fer. Nous devions dîner avec le marquis et lui-même, avant notre arrivée, nous a averti que les fées Milliget étaient présentes au dernier étage, en train de régler quelques affaires en rapport avec l'établisssement pénitentiaire dont elles sont propriétaires, mais qu'elles ne descendraient pas nous déranger.
Le visage de Sheraz se fend de surprise. Jamais il ne se serait attendu à ce que Faust vienne lui parler des fées. Suspendu à ses lèvres, il attend la suite de son récit :
— Ma mère les déteste, reprend Faust, mais par devoir pour son statut social et celui de notre famille, elle veut bien les supporter. Mon père n'en pense pas grand-chose et je suis plutôt de son avis. Je n'ai rien à leur reprocher mais je n'ai pas matière à les admirer non plus. D'ailleurs et pour être honnête avec vous, Sheraz, j'ai toujours pensé que votre amitié avec Sira Milliget était à sens unique car en tant que fée, Sira n'était pas en capacité de comprendre votre lien. Il vous suivait peut-être par intérêt de moeurs et comportements étrangers à ceux de son espèce mais en réalité, ce dîner au manoir du marquis m'a appris que j'avais eu tort.
Là-bas, Faust raconte qu'il a quitté la table pour assouvir un petit besoin. En sortant des latrines, il a entendu du bruit à l'étage. D'ordinaire, Faust est raisonnable et préfère ne pas se mêler de ce qui ne le regarde pas, mais la conversation qui se déroulait à table l'ennuyait profondément. Prudent, il a commencé à monter les marches, quand il a pu entendre distinctement une voix enthousiaste raconter des moments heureux avec ses amis. Il s'est tordu le cou pour observer ce qu'il se passait en haut et il a distinctement vu une fée en robe bleu, à la peau grise et aux cheveux saphir.
Mirak, a songé Sheraz. Ensuite, Faust a décrit comment elle s'agitait, visiblement ravie par son récit.
— Elle parlait la langue commune, raconte-t-il et je crois qu'elle parlait à un serviteur du marquis, elle a cité plusieurs noms, probablement ceux de ses amis. Je me souviens de Yeva, Castiel et Erika. Comment elle brossait leur cheveux, comment elle adorait leur parler, étudier avec eux et s'occuper de leur santé. J'ignore si ses amis étaient malades mais en tout cas, je dois admettre que j'étais surpris d'entendre une fée se soucier d'autrui.
Hélios réprime un sourire. Elle aussi, au début, partageait l’opinion de Faust, mais à force de voir Sira partager des bons moments avec Sheraz, elle aussi a changé d’avis. Bien sûr, elle n’apprécie pas Candice Milliget, et elle n’a eu que très peu de contacts avec les autres, voir de simples échos, mais elle sait que les fées sont bien plus que de simples gardiens de prison ou médecin de génie. Ses yeux se font tristes un instant quand elle pense à ce qu’elle sait à propos de Sira. Elle n’a toujours pas informé Sheraz de ses découvertes, car elle craint de rompre son équilibre déjà trop fragile, mais elle sait qu’elle devra le faire bientôt, car le lui cacher pourrait s’avérer bien pire.
— Je vous remercie d'avoir changé votre point de vue sur les fées, sourit Sheraz, en tant qu'ami de Sira, cela me réjouit et traduit aussi votre honnêteté.
— Accepter de s'être trompé et revoir son jugement font partie des clés pour grandir et gagner en intelligence. Je n'ai fait qu'obéir à mes principes et je dois admettre que cela me plaît de m'être trompé sur le compte des fées.
Leur conversation se poursuit et lorsque la dernière goutte de thé est avalée, Sheraz propose à Faust de se promener dans les jardins. Ce dernier accepte à condition que la ballade ne soit pas trop longue puisqu'il doit retourner étudier, mais Wan Zi le rassure en lui affirmant que de nouvelles fiches de révisions ont été préparées afin qu'il puisse profiter de son invitation au goûter. Rassuré, le fils Fontaine prend le temps d'admirer un paysage qui lui manque beaucoup.
— Pourquoi n'étudiez-vous pas dans les jardins ? lui demande Sheraz.
Surpris, Faust hausse les sourcils. Il réfléchit quelques secondes, puis finit par murmurer par lui-même qu'en effet, ce pourrait être une idée à considérer.
Après la promenade, Sheraz raccompagne Faust jusqu'aux appartements des Fontaine. Sur le chemin, ils croisent les sœurs Orécaille ainsi que d'autres jeunes gens de la noblesse qui leur jettent des regards tantôt curieux, tantôt suspicieux ou bien emplis de reproches. Sheraz savait que son invitation ferait parler d'elle mais si cela peut arracher une grimace aux sœurs Orécaille, il en est satisfait.
Une fois arrivés sur place, Faust doit retourner étudier. Les mains crispées sur sa canne, il prend congé :
— Je vous remercie pour votre invitation, Sheraz. Ce sera donc à mon tour de vous inviter la prochaine fois. Si l'encens d'Agar vous apaise, faites-le moi savoir et je pourrais vous en procurer d'autres.
— Je vous en prie, j'ai été ravi de passer l'après-midi avec vous, sourit Sheraz, je serais ravi de goûter et de prendre le thé de nouveau en votre compagnie. Merci pour l'encens et soyez assuré que je vous ferai mes retours.
Les deux jeunes gens se saluent et lorsque Faust disparaît dans les appartements de sa famille, Sheraz se retourne vers Hélios, l'air ravi :
— Tout s'est bien passé !
L’atalante arque un sourcil amusé, puis se penche vers Sheraz d’un air complice.
— Il n’y a bien que vous qui en doutiez, Sheraz, sourit-elle. Vous voyez, vous êtes capable de vous faire des amis sans mon aide !
La jeune femme presse une main sur son front et prend un ton exagérément dramatique.
— Bientôt vous volerez de vos propres ailes et vous n’aurez même plus besoin de votre vieille Hélios…
— Oh non, j'en doute fortement, s'empresse Sheraz avec un air navré, cette invitation n'aurait pas été possible sans vous. Mais vous savez Hélios, j'ai encore beaucoup à apprendre de vous, afin de pouvoir m'envoler un jour, car vous n'allez pas passer votre vie à vous occuper d'une personne malade.
Sheraz dit cela sans tristesse. Il espère vraiment pouvoir quitter le grand palais, un jour, pour vivre sa propre vie et pour qu'Hélios puisse construire la sienne pour elle-même. L’atalante se retint de pouffer devant le manque de discernement de son maître. Gentiment, elle tapote le bout de son nez en arguant qu’elle plaisantait, et que le jour où il n’aurait plus besoin d’elle serait le plus triste de sa vie.
— En attendant, nous avons encore du chemin à faire ensemble, et aujourd’hui, vous venez de faire un grand pas en avant, conclut-elle avec douceur.
Un doigt sur le grand panneau placardé à une colonne, dans le hall, Helouri liste les différents services. Une boule d'angoisse s'est logée dans sa gorge alors qu'il cherche le bureau des ressources faeliennes. Dans sa tête, il se raconte des histoires. C'était ce que disait Cristal, quand elle n'était pas encore réduite à l'état de poupée sans âme : Tu t'angoisses tellement que tu te racontes des histoires, mon Loulou !.
Helouri ferme les yeux, prend une grande inspiration, puis se dirige vers les escaliers pour accéder au quatrième étage. Autour de lui, l'hôpital de la Grande Auréole baigne dans son brouhaha quotidien. La maladie côtoie la guérison, le chagrin, l'espoir, le deuil et certains miracles qui veulent bien faire leur apparition de temps à autre. Les faeliennes postées aux différents accueils ont des sourires bienveillants peints sur leurs visages, tout comme les aide-soignants et les médecins qu'il est possible de croiser dans les couloirs. Mais Helouri sait que derrière cette amabilité presque sereine se cache une grande charge de travail qu'il connaîtra bientôt. S'il est pris. Helouri réprime une grimace, puis continue son chemin.
Le rez-de-chaussée abrite les urgences ainsi que les consultations externes alors que le premier étage, quant à lui, est celui des soins palliatifs. L'orthopédie, la stomatologie et l'ORL se trouvent au deuxième étage, le troisième étant celui de la gynécologie, de la maternité et de la pédiatrie. Quant au quatrième étage, en plus d'abriter le bureau des ressources faeliennes, il est également celui des maladies de l'esprit. Cristal y est logée à la chambre deux-cent-trente-deux.
Helouri doit faire quelques pauses pour reprendre son souffle. Gravir les escaliers affole son cœur malmené par la tachycardie et faire un malaise quelques minutes avant un entretien serait franchement misérable. Helouri se reprend. Une fois calmé, il rajuste son long gilet brodé sur ses épaules. D'un joli beige vanille aux liserés couleur brique, il arbore des seryphons en train de prendre leur envol. Le jeune morgan espère que cette première étape, à la Grande Auréole, lui permettra de prendre le sien avec l'assurance des familiers volants qui savent où ils veulent bâtir leurs nids.
Quand Helouri parvient enfin au quatrième étage, le service est animé. Même si la médecine n'a pas encore réussi à percer le secret des maladies de l'esprit, les soignants font de leur mieux pour accompagner les patients au quotidien. Là, devant la porte d'une chambre, deux internes écoutent patiemment un jeune faelien en pyjama d'hôpital, passionné par son récit. Elles se ressemblent tant que Helouri serait bien incapable de les différencier. Un sourire serein sur leurs visages, elles hochent la tête quand leur patient leur parle de la direction du vent. Il venait du nord, ce matin, puis il a changé pour filer vers l'ouest et ce serait une bonne chose. Helouri leur adresse un regard perplexe, intrigué par la scène, si bien qu'il manque de percuter un jeune homme absorbé par la lecture d'un livre si épais qu'il est obligé de le tenir à deux mains. Balbutiant des excuses, Helouri se hâte vers le bureau des ressources faeliennes.
Là, plusieurs pièces s'alignent le long du couloir. Depuis les portes laissées ouvertes, des conversations s'échappent, tantôt sur des courriers à envoyer en urgence, tantôt sur des services en manque cruel d'effectif ou bien sur des budgets à faire valider. Une grimace tordant ses lèvres pleines, Helouri hésite à manifester sa présence en allant toquer. Pourtant, il se reprend, songe qu'attendre bêtement dans le couloir le ferait passer pour un imbécile en plus d'invalider son entretien, puis se dirige vers le premier bureau sur sa droite. Se plantant sur le seuil, il passe timidement la tête pour balayer la pièce du regard et cille.
Face à lui, une ravissante lampade est en grande conversation avec un vampire loufoque, juché sur un bureau. Helouri reconnaît sans mal Odette Le Preux, qu'il avait déjà aperçue à l'hôpital d'Albacore, quand il travaillait en tant qu'agent d'entretien. Ses longs cheveux blanc sont élégamment noués en deux nattes épaisses, tressées avec des fils d'or. Sa peau de porcelaine jure avec ses lèvres rouge ainsi que ses yeux entièrement noir, soulignés par deux traits de rubis. Vêtue d'une blouse blanche ainsi que d'un pantalon réglementaire, elle porte une paire de sandales dont les motifs écarlates laissent penser aux contrées orientales.
Son interlocuteur, quant à lui, est des plus étranges. Helouri serait bien incapable de lui donner un âge, tant ses traits sont lisses et l'étincelle malicieuse dans ses yeux bleu, brille d'un éclat enfantin. Grand, avachi sur son bureau, le vampire se ferait volontiers passer pour le père ou le frère de Rose Clarimonde avec sa frange épaisse qui lui mange la moitié du visage, à la différence que ses cheveux sont d'un blond paille et coupés au niveau de la mâchoire. Quand Helouri avise sa tenue, elle n'a rien de celles que peuvent porter les bureaucrates. À vrai dire, il a l'impression que le vampire a pris les premiers vêtements qui lui sont tombés sous la main pour se composer une tenue bariolée qui brûlerait la rétine d'un aveugle.
— Je vous remercie, Asphodèle, lui sourit Odette, avec votre appui, le conseil devrait accepter ma proposition et mon frère pourra enfin compter sur des collègues capables de le comprendre et de communiquer avec lui.
— Ces scribouillards sont des amoureux des statistiques - et aussi des balais, plus particulièrement ceux qui siègent dans leurs tréfonds - mais avec de la persévérance, il est possible de leur faire comprendre les choses. Il suffit simplement de parler leur langage.
Asphodèle rit de sa propre plaisanterie pendant qu'Odette secoue la tête en pouffant, mais elle admet qu'il a raison. Enfin, se sentant observés, ils tournent tous deux la tête pour trouver un Helouri hagard, le poing en l'air, prêt à toquer. Se sentant pris entre les faisceaux de leurs yeux, le jeune morgan se met à rougir jusqu'à la racine de ses cheveux.
— Eh bien, voilà qu'un jeune galopin se permet d'écouter aux portes sans vergogne. Que pouvons-nous pour vous, cher ami ?
Helouri rentre la tête dans les épaules. Le regard d'Asphodèle est si vif qu'il a l'impression que son âme est mise à nue. Loin d'être en colère de le voir sur le seuil de son bureau, le vampire le fixe comme s'il avait découvert une espèce de faelien particulièrement intéressante. Décontenancé, le jeune morgan s'accroche au visage avenant d'Odette, puis répond d'une voix malhabile :
— Bonjour, j'ai rendez-vous pour un entretien. Ici. Enfin, je ne sais pas si c'est ici… Oui ! C'est ici, mais peut-être pas dans ce bureau… Je, je…
Helouri ordonne à sa bouche de se taire avant de débiter une autre énormité. Odette hausse les sourcils, ses lèvres figées en une moue attendrie, pendant qu'Asphodèle éclate d'un rire franc en lui faisant signe d'approcher.
— Monsieur Ael Diskaret, nous vous attendions. Vous êtes ponctuel et j'apprécie les gens qui ne gaspillent pas le temps d'autrui. Fermez la porte derrière vous.
Le cœur battant, Helouri s'exécute. Il sent sa gorge se serrer, loin d'imaginer que les personnes qui doivent lui faire passer l'entretien devaient être Madame Odette Le Preux et quelqu'un d'original comme cet Asphodèle. Ce dernier saute d'ailleurs de son bureau et se redresse comme s'il dépliait sa silhouette élancée. Le jeune morgan remarque qu'il est particulièrement grand comme vampire, et que ses membres semblent trop longs. Loin de s'offusquer d'être ainsi observé, Asphodèle lui adresse un coup d'œil brillant, puis contourne son bureau afin de s'affaler sur un siège en cuir. C'est là que Helouri remarque le joyeux désordre de parchemins, dossiers, plumes, encriers et matériel pour prendre des mesures, sans compter les babioles en tout genre dont il est incapable de connaître l'utilité.
Intimidé, Helouri prend place sur la chaise qu'on lui désigne pendant qu'Odette s'installe aux côtés d'Asphodèle, un sourire avenant sur son joli visage.
— Bonjour, Monsieur Ael Diskaret. Je me présente : je suis Mademoiselle Odette Le Preux, médecin généraliste et assistante du docteur Camille Le Preux, chirurgien spécialisé dans les malformations et extractions de corps étrangers. Je vais vous faire passer cet entretien en collaboration avec…
— Monsieur Asphodèle Sara, directeur de la Grande Auréole, complète ce dernier.
Face à l'air effaré de Helouri, Asphodèle indique d'un doigt que c'est écrit sur la jolie plaque dorée, accrochée à la porte de son bureau et le jeune morgan se gifle mentalement. Bien évidemment, il a fallu qu'il se présente au premier endroit venu sans regarder…
— Votre nom de famille est bien long, cher ami, vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que je vous appelle par votre prénom ?
— Eh bien…
— Parfait ! conclut Asphodèle en tapant dans ses mains, ceci étant réglé, je vous écoute ! Pourquoi je vous laisserais travailler dans mon modeste hôpital ?
Le directeur se laisse aller contre le dossier de son siège et croise les bras sur sa poitrine, un air amusé sur le visage. Helouri ne répond pas tout de suite, l'air hébété, son esprit alarmé en train d'assimiler l'idée que Monsieur Sara est réellement le directeur de la Grande Auréole. Il cherche du soutien dans le regard sombre d'Odette, mais cette dernière se contente de lui sourire d'un air poli. Helouri prend le temps de respirer. Dans son esprit, Candice le menace de se dépêcher de parler s'il ne veut pas que sa langue fasse partie de son prochain dîner, et que ce ne sera pas demain la veille qu'il fera un serviteur personnel acceptable.
Il a raison. Quand il y pense, un visage en particulier se dessine dans son esprit. Il maugré que ce serait peut-être beaucoup plus facile, s'il pouvait s'asseoir dans une autre pièce pour lui dire directement, à elle, ce qu'il veut entreprendre pour marcher jusqu'à sa tour d'ivoire. À moins que là aussi, il soit incapable de lui dire un seul mot. Non. Il l'a bien fait, à Albacore, même si l'air lui manquait rien qu'en la regardant.
Helouri relève la tête. Le personnage fantasque de Monsieur Sara, sur son siège, s'efface petit à petit pour laisser place à une légende. Helouri imagine que ce bureau se trouve aux pieds du grand palais d'Odrialc'h et que la pièce est plus élégante. Sur la surface plane en bois, tout est parfaitement ordonné, chaque chose est à sa place et rien d'inutile ne vient encombrer cet espace de travail. Puis, assise bien droite sur son siège, elle rive ses yeux d'onyx sur sa silhouette famélique et Helouri sent son rythme cardiaque s'emballer. Elle aussi, elle est capable de lire en lui, mais c'est différent de Monsieur Sara, parce que même si elle sait tout, Helouri se sent en sécurité. Elle l'impressione sans l'écraser et il imagine, croisé religieusement sur son bureau, ses bras musculeux laissés à découvert par ses atours de cuir. Les mêmes qu'elle portait quand elle entraînait June et les autres élèves de l'école militaire. Sa longue natte de cheveux auburn repose dans son dos et sa figure volontaire, sculptée par l'Oracle, est un phare dans ce nid d'angoisse.
— Pourquoi je vous laisserais travailler à l'hôpital, Helouri ? lui demande-t-elle de sa voix gutturale.
Le jeune morgan sent des frissons courir sur sa peau mais dans son esprit, les mots se placent plus facilement. À elle, il peut lui raconter la façon dont il aime la médecine et dont il se bat tous les jours pour assimiler son savoir complexe. Il a toujours voulu devenir médecin. Au départ, c'était pour une raison égoïste, mais le temps et les épreuves lui apprennent le véritable altruisme. L'amour de sa famille, l'amour des gens puis le sacrifice de soi. Il faut douze ans pour former un apprenti médecin, puis autant d'années, voire plus, pour devenir un médecin accompli. Personne ne se lancerait dans des études si cruelles par égoïsme, à moins de s'en mordre les doigts après plusieurs échecs. Alors en attendant de devenir médecin, Helouri veut bien prendre soin des autres, les accompagner dans les actes de la vie quotidienne et lui aussi, peindre un sourire bienveillant sur son visage, peu importe la charge de travail qui l'attend.
— J'ai déjà travaillé à l'hôpital universitaire de la cité d'Eel, avec la docteure en cheffe Ewelein Osgiliath. C'était un travail saisonnier, mais je passais certains week-end à faire des remplacements au service gériatrique et parfois, en orthopédie pour aider les patients pendant leur rééducation.
— Je vois, donc vous avez déjà été confronté à la nudité, à la maladie et parfois à la mort ? s'enquit Odette.
Helouri hoche la tête. Il a eu beaucoup de mal au début, mais il a fini par s'y faire. Il se sent toujours un petit peu gêné, surtout pendant les toilettes, mais d'anciennes collègues aide-soignantes, à Eel, lui ont montré comment préserver la pudeur du patient pendant ce genre d'acte. Le jeune morgan a aussi vu des corps rongés, parfois déformés par la maladie et un matin, en apportant le petit déjeuner à un vieux vampire, il l'a trouvé endormi pour toujours dans son lit. Ça l'avait tellement chamboulé qu'il avait dû se réfugier dans une chambre vide, le temps de se calmer avant d'aller chercher une infirmière. Helouri ne s'est jamais forgé de carapace pour lui permettre de supporter cette facette du métier sans perdre son empathie. Il est encore une éponge à émotions qui ne s'essore que très peu, mais c'est un travail qu'il doit accomplir pendant son cheminement.
— Est-ce que vous avez travaillé pour l'hôpital d'Albacore, après la catastrophe ? lui demande Odette.
— Oui, en tant qu'agent d'entretien, mais il m'arrivait d'aider les infirmières, surtout pour manipuler les patients et faire certaines toilettes.
— Comment avez-vous vécu la catastrophe, Helouri ?
Une ombre passe sur son visage. Le jeune morgan mêle ses doigts pendant que des images désagréables lui font revivre la manière douloureuse dont sa famille s'est effondrée avec l'Eel rouge. Il ne baisse pas la tête, non. Il s'accroche à ces prunelles d'onyx qui lui intiment que peu importe ce qui arrivera, tout ira bien. Il se tient sur la première marche d'un escalier qui peut le mener jusqu'à elle, alors il prend un instant pour laisser le chagrin l'envahir et confier combien cela a été difficile :
— La catastrophe m'a presque tout enlevé. C'était comme si le jour n'allait plus jamais se lever et en vivant à Albacore avec les autres survivants, j'ai cru que plus personne n'allait jamais rire ni sourire. J'ai pensé que moi aussi, j'allais sombrer, mais je ne peux pas m'effondrer.
— Pourquoi ? lui demande sa voix profonde d'un ton très calme.
— Pour ma famille. Mon père, ma sœur, ma mère qui se réveillera un jour. Si je m'effondre, c'est comme si je les abandonnais.
— N'avez-vous jamais pensé que vous vous étiez peut-être déjà effondré ?
Helouri écarquille ses yeux d'argent. La porte qui garde tous ses doutes et toutes ses angoisses se brise comme si elle en avait forcé l'entrée. Il se sent trembler et quand le souffle du lâche lui murmure de prendre la fuite, il enfonce ses ongles dans la paume de ses mains et ordonne à ses larmes de rester cachées. Non, c'est faux ! Il ne s'est pas effondré ! Il ne peut pas s'effondrer. Encore moins devant elle, pour qui il doit devenir un socle… Mais son image s'efface et les yeux luisants de Monsieur Sara reprennent leur place dans la réalité. Un sourire énigmatique sur ses lèvres minces, il attend la réponse de Helouri avec l'avidité d'un black dog face à sa proie.
— Monsieur Ael Diskaret, l'interpelle Odette de sa voix paisible, ce que Monsieur Sara veut savoir, tout comme moi, ce sont vos intentions. Votre histoire, comme celle de votre père, ne nous est pas inconnue, vous vous en doutez. Eel s'est effondrée à cause d'une fée, votre mère a été enlevée par Sexta Stoker, puis séquestrée aux Abysses, avant que votre père et votre sœur aînée la retrouve enfin, puis la délivrent. Ensuite, les Abysses ont été détruites par cette même fée. Votre mère aurait pu se trouver sous les décombres. Alors ce que Monsieur Sara et moi-même tenons à savoir, c'est la raison pour laquelle vous vous rendez au manoir de cette fée.
Il le savait. Candice le savait. Cette question lui serait posée à un moment ou à un autre alors maintenant, ses entrailles ne doivent pas se liquéfier. Helouri doit répondre sans passer pour un adorateur des fées. De toute manière, ses motivations ne sont pas un secret : bientôt, il deviendra un candidat pour les sélections et maintenant, il est un élève qui apprend la médecine.
— Il m'enseigne la médecine, souffle Helouri comme un aveu.
Sa voix tremble un petit peu et ses mains se sont crispées car quelque part, il a honte. Face à Odette Le Preux et le directeur de l'hôpital, il doit apparaître comme la vermine qui rampe aux pieds de la fée qui lui a presque tout pris, en plus de sa dignité. Oui, Helouri rampe aux pieds de Candice, c'est vrai mais à la fin, c'est pour finir par se redresser et marcher par ses propres moyens, sans que personne ne lui tienne la main.
— Il vous enseigne la médecine… répète le directeur.
Le temps d'une seconde, il a l'air ailleurs, comme s'il était en train de résoudre une équation particulièrement complexe. Puis il se met à glousser, amusé par la situation, en arguant telle une évidence que les fées n'enseignent pas la médecine :
— Leur savoir pour leur gloire ! lance Monsieur Sara en écartant les bras, voilà le prix à payer pour que nos médecins soient formés par leur divin enseignement ! Les recherches qui leur sont envoyées reviennent avec du mépris dans leurs commentaires, quand il ne s'agit pas de rappeler que nous leur devons le miracle de la médecine !
— C'est vrai, mais je n'aurais pas de meilleur professeur qu'un Maître de la Médecine. Et Maître Milliget n'aura pas d'autre lien que moi avec le monde extérieur, en attendant son jugement.
Helouri maudit sa bouche d'avoir parlé sans son accord. Ce qu'il dit est vrai car s'il le pouvait, Candice circulerait dans Odrialc'h sans se préoccuper de terroriser la population. Pourtant, il ne le fait pas et c'est Helouri qui doit lui rapporter ce qu'il demande, comme cette fameuse chandelle d'agonie dont il s'occupera plus tard ou bien de la glace éternelle. Par bonheur, il ne doit pas livrer de la nourriture, donc il imagine sans mal que Candice a son propre réseau pour cette besogne mais quoi qu'il en soit, la fée Milliget reste cloîtrée dans son manoir avec Sira.
— Peu importe d'où vient l'enseignement tant qu'il vous apporte l'excellence, raisonne Odette.
Dans ses yeux noir où des lueurs semblables à des constellations stellaires se bousculent, il n'y a aucune once de jugement. La lampade l'écoute avec intérêt, tout en lui demandant ce que Helouri peut rapporter à la fée, de l'extérieur.
— De la glace éternelle, des nouvelles d'Eel quand je peux en avoir, des ingrédients pour des remèdes alchimiques et des objets particuliers.
— Comme ? s'enquit Monsieur Sara.
— Une chandelle d'agonie.
Helouri sent un froid intense souffler dans son ventre, comme si Candice lui avait attrapé les entrailles. Une voix dans son esprit lui chuchote que la fée Milliget n'a donné aucune consigne vis-à-vis de l'entretien et que de ce fait, il n'y a pas à inventer d'histoires. Monsieur Sara et Odette Le Preux n'ont pas besoin de savoir que Candice enseigne la médecine à Helouri dans le but de le faire entrer au grand palais. Néanmoins, un marché passé entre un jeune morgan désireux d'apprendre et une fée cloisonnée chez elle, c'est ce qu'il y a de mieux à servir dans le bureau du directeur de l'hôpital et c'est proche de la vérité.
— J'ignorais que les fées pouvaient s'intéresser à la magie noire, remarque Monsieur Sara.
Helouri ne répond pas. Il ne sait pas ce que Candice veut faire d'une chandelle d'agonie et il ne sait pas à quoi ça peut bien servir mais lui aussi, il imagine mal la fée Milliget s'intéresser à tout ce qui touche de près ou de loin à l'occulte.
— Est-ce que votre Maître Milliget vous demande des nouvelles de l'enquête sur les Abysses ?
— Non, il n'aborde jamais le sujet.
Monsieur Sara plisse les yeux, peu convaincu mais Helouri ne ment pas. Candice se fiche bien de l'enquête sur les Abysses. Il veut retrouver Sexta et pour cela, il a missionné June et Nelladel.
Le directeur échange un regard avec Odette, puis finit par lui demander ce qu'elle en pense. Durant l'entretien, la lampade n'a pas cessé de fixer Helouri, comme à l'affût du moindre geste ou de la moindre expression du visage qui trahirait une adoration sans borne envers son Maître. Odette sourit gentiment, puis lui demande de manière soudaine :
— Pouvez-vous m'expliquer combien d'os un être de l'eau, tel que vous, peut posséder ?
Tout d'abord surpris par la question, Helouri se reprend en songeant qu'il s'agit d'un test. Il répond religieusement, récitant sa leçon comme il le fait avec Candice. Les espèces aquatiques possèdent deux cent dix os dans le corps, dont quatre os operculaires qui protègent les branchies. Ils sont beaucoup plus fins que ceux des familiers aquatiques.
— Bien, répond Odette, et chez un individu faelien tel que Monsieur Sara et moi-même ?
— Deux cent six.
— Comment se nomme l'héritage de la chair et du sang, chez les vampires ?
— La porphyrie congénitale.
— Comment se nomme la reproduction chez les sirènes et les tritons qui choisissent de vivre sous l'océan ? Comment se déroule-t-elle ?
— Elle s'appelle le frai, répond Helouri d'une voix rapide, la sirène libère des ovules qu'elle dépose dans une frayère et ensuite, le triton vient les féconder. Après, l'œuf s'hydrate et se gonfle au contact de l'eau, puis le micropyle se referme.
— Qu'est-ce que le micropyle ?
— L'ouverture dans la membrane cellulaire des ovules et donc, l'orifice de pénétration des spermatozoïdes.
Le jeune morgan a l'impression qu'il n'a pas eu le droit de respirer pendant son interrogatoire. Ses mains sont moites et son gilet semble s'être transformé en manteau fourré. Il regrette de ne pas avoir attaché ses cheveux, car la sensation de transpiration en train de couler le long de sa nuque est très désagréable. Néanmoins, Odette Le Preux arbore une expression satisfaite. Elle croise ses longues jambes, puis explique d'un ton aimable :
— Ce que je vous ai demandé, ce sont des notions vues en première année de médecine, que ce soit à l'université de la Grande Auréole ou bien au sein de la Garde Absynthe. Visiblement, votre Maître vous transmet un bon enseignement. Cependant, vous devez savoir une chose, Monsieur Ael Diskaret…
— Vous êtes sous surveillance, complète Monsieur Sara, je vous tiens à l'œil et le bon.
Le directeur joint les mains sur son bureau, puis y appuie nonchalamment sa mâchoire, tout en fixant Helouri de son regard perçant.
— Vous voyez, reprend-t-il comme s'il racontait une anecdote, j'ai des responsabilités envers mon personnel et les patients. Alors quand une canaille encore plus fêlée que moi vit paisiblement dans le lotissement juste à côté de l'hôpital, je dois prendre des dispositions. De plus, j'ai le pôle judiciaire aux fesses comme si c'était moi qui avait fait exploser les Abysses mais voyez-vous, peu importe le mal qui a été fait, être un Milliget autorise des passes-droits. Vous êtes l'un de ces passes-droits, Helouri.
Vous êtes comme lui. Vous êtes peut-être même pire que lui, parce que vous l'avez choisi.
Le jeune morgan soutien le regard du directeur, mais il est incapable de cacher la honte qui peint sa couleur sur son visage bleu. Asphodèle Sara a raison et à la seconde où Helouri lit la déception et l'incompréhension dans ses prunelles d'azur, il réalise qu'à aucun moment il n'a le droit de se perdre sous l'enseignement de Candice. Il ne doit pas devenir comme lui. Il doit rester Helouri, Lou, et utiliser les connaissances de la fée Milliget comme un outil pour avancer, mais jamais devenir les abîmes qui lui transmettent la médecine.
— Bien, sourit Monsieur Sara, Odette va vous faire visiter le service où vous travaillerez et vous viendrez chercher votre emploi du temps et signer votre contrat demain matin. Vous commencez dès talez prochain. Si je dois douter de vous, ne serait-ce qu'une seule fois, vous sautez et je me débarrasse de ces sagouins de grattes-papiers du pôle judiciaire en vous confiant à leurs bons soins. Vous verrez, ils sont aussi agréables que ma belle-mère.
Asphodèle lui adresse un sourire éclatant et Helouri déglutit. Le directeur a beau être un original, il ne plaisante pas. Le jeune morgan hoche la tête, le cœur battant et s'il ouvre la bouche pour lui assurer que tout ira bien, il se ravise. Monsieur Sara se fiche de ce qu'il pourra dire, il avisera. Helouri le remercie pour le poste et quand Odette se lève, il l'imite puis la suit docilement à travers les couloirs de l'hôpital. Sans surprise, il est affilié au service de gériatrie, mais il fera également quelques remplacements en psychiatrie. Si Monsieur Sara décide de prolonger son contrat, il pourra travailler dans d'autres services.
Visite de June et Joseph à l'hôpital
Aujourd'hui, Joseph a délaissé son armure pour des vêtements plus confortables. Malgré le drame qu'il traverse, Joseph Ael Diskaret tâche de garder la tête hors de l'eau. Ysul Gra Bolumbash, dirigeante du pôle judiciaire d'Odrialc'h a eu la bienveillance de ne pas revenir sur sa victoire des sélections, à feu la cité d'Eel, ce qui permet à Joseph de conserver son futur poste au grand palais. Au moins, lorsque Cristal sortira de son état, elle pourra vivre la vie dont elle rêvait. Elle pourra s'acheter un local afin d'ouvrir, enfin, son magasin de bijoux fabriqués avec des matières venues de l'océan, puis tisser des liens avec une clientèle qui vanterait son talent. Oui, Cristal a toujours voulu vivre au sein de la plus grande cité d'Eldarya, dans une ville qui ne dort jamais et qui donnerait corps à l'énergie naturelle de la belle morgan. Joseph le raconte tout le temps à Helouri : À Amzer, tous les hommes n'avaient d'yeux que pour la fille du prêtre. Moi, je n'avais d'yeux que pour ta mère, parce qu'elle ressemblait à un petit soleil. Elle n'a pas changée.
Mais aujourd'hui, le soleil s'est éteint et Joseph n'a pas encore trouvé la solution.Il n'y a rien de tel que tu n'ais jamais regretté, il n'y a rien de pire qui ne soit jamais évoqué pourtant, tu devrais faire tes excuses car toi aussi, tu es fautif.
Quelles sont ses erreurs en tant que mari ? Il y a souvent pensé. Joseph n'est pas de ces brutes qui sont dures envers leurs femmes et qui se considèrent comme des hommes alors qu'ils ne sont que des bêtes. Il n'est pas non plus de ces goujats qui osent tromper leur épouse et il n'a jamais eu une parole ignoble qui a pu blesser Cristal. Non. Ou peut-être lui a-t-il fait du mal sans le savoir ? Quand il se plonge dans ce genre de réflexions, Joseph en deviendrait fou.
Face à June et Helouri, il fait bonne figure. Il le doit. Cela fait partie de ses devoirs en tant que père et il tient à ce que ses deux enfants puissent vivre leur quotidien de la meilleure façon possible. Il ne peut pas leur promettre qu'il fera revenir leur mère, mais il fera tout ce qui est en son pouvoir pour la ramener. Joseph souffle par le nez.
Là, dans la salle de bain de sa chambre, à l'auberge de la Mine d'Or, le grand morgan a l'impression que sa vie à Eel n'était qu'un songe qui a éclaté. Son reflet lui renvoie le visage d'un être qui a été anéanti. Une créature qui vit même si l'un des phares de son existence a disparu, et qui se réfugie dans des souvenirs quand le présent est aussi fade qu'un tas de cendres. Il se souvient de Cristal quand elle était encore bien portante et pleine de vie et cette image lui réchauffe le cœur.
Cristal qui sourit, Cristal qui berce Helouri, alors seulement âgé de quelques semaines, dans ses bras en lui fredonnant une berceuse sur l'océan, Cristal qui grimace face à ses vergetures alors que Joseph la trouve toujours aussi belle… Tout ce qui a régi la vie d'un grand morgan qui quitte sa chambre avant de fondre en larmes.
Il rejoint la salle principale et dessine un sourire sur son visage quand il trouve June, assise près de la cheminée. Joseph s'approche d'elle et la gratifie d'un baiser sur les cheveux :
— Ça va, ma fille ?
Le grand morgan s'assied sur la banquette, face à elle, puis lui demande comment s'est passée sa journée. Ensuite, il lui propose de l'accompagner à l'hôpital afin d'aller voir Cristal :
— En plus, peut-être qu'on verra Helouri. C'est son troisième jour en tant qu'aide-soignant. J'espère que tout se passe bien pour lui…
Joseph achève sa dernière phrase d'une voix lasse. Il aime énormément son fils, bien entendu, mais il sait à quel point il a du mal à grandir. June lui adresse un sourire enjoué, en lui assurant qu’Helouri va s’en sortir comme un chef.
— Je suis sûre qu’on s’inquiète pour rien ! rit-elle. Il a toujours voulu travailler à l’hôpital, il réalise son rêve, même s’il commence en bas de l’échelle.
June se lève pour venir entourer les épaules de son père adoptif, afin de lui communiquer un peu de chaleur. Il essaie de ne pas s’effondrer, le grand morgan, mais combien de temps tiendra-t-il ? Si l’un de ses enfants le déçoit, et que l’autre est une ancre à laquelle s’accrocher, quel choix fera-t-il ?
— Allons-y, continue-t-elle. J’ai hâte de raconter ma journée à maman. Tu sais, j’ai vu de très jolis épingles au marché, avec mes camarades de l’école, et je me disais qu’en économisant un peu, je pourrais lui en acheter une. Pour quand elle se réveillera…
June prend un air mélancolique, puis fait mine de se reprendre et sourit de plus belle avant de lisser sa tresse en témoignant son empressement à aller voir sa mère. Joseph semble aller mieux. L'enthousiasme de sa fille adoptive lui met du baume au cœur et il trouve l'énergie de se lever pour se rendre à l'hôpital. La conversation avec June dévie sur les épingles à cheveux et le grand morgan pense qu'en effet, ça ferait plaisir à Cristal. Il ira sans doute faire un tour au marché lui-même afin de les regarder.
Quand ils arrivent à la Grande Auréole, l'endroit est toujours très fréquenté. Les guichets d'accueil ne désemplissent pas et beaucoup de gens vont et viennent dans les étages. June et Joseph croisent des étudiants en médecine très concentrés qui prennent des notes tout en écoutant les explications de médecins plus âgés, des patients qui cherchent un service ou bien une chambre, des aides-soignants affairés, vêtus de leur blouse bleu foncé et de leur pantalon noir, mais aussi des agents de nettoyage en train de placer des panneaux pour signaler que le sol est mouillé. En réalité et pour un œil observateur, l'hôpital est un ballet sans fin où tout le monde a ses propres tâches.
Cristal est installée dans la chambre numéro deux-cent-trente-deux du service des maladies de l'esprit, au quatrième étage. Puisque son corps va bien, les médecins se penchent sur les ravages qui ont été faits à sa psychée dont on ne connaît pas encore les secrets. Bien entendu, la meilleure expertise que Cristal pourrait avoir, ce serait celle d'un Maître de la Médecine, mais c'est impossible, surtout avec la situation particulière d'un des Milliget depuis l'explosion des Abysses.
Ne vous inquiétez pas, Monsieur Ael Diskaret, l'a rassuré un médecin, les meilleurs médecins travaillent déjà sur le cas de votre femme.
Mais les meilleurs médecins ne pourront pas trouver la réponse à l'énigme et Joseph n'est pas si optimiste.
Quand ils arrivent à la chambre, le grand morgan aperçoit une aide-soignante en train de se dépêcher de jeter du linge sale dans un sac rouge, suspendu à un petit chariot roulant. Joseph a cru apercevoir une serviette de toilette souillée et une partie de son esprit songe que Cristal a été douchée, mais une autre préfère croire qu'il s'agit d'un autre patient. Un patient qui n'est pas sa femme et qui ne peut pas se souiller comme si elle était une personne âgée grabataire. Ce n'est pas possible. Cristal n'est pas comme les autres et même dans son état, elle reste… Joseph toque trois fois à la porte et quand elle s'ouvre, les effluves d'un savon parfumé l'accueillent. Cristal a été douchée et ses cheveux, soigneusement coiffés, reposent sur sur sa robe d'un joli parme. L'aide-soignante l'a assise dans un fauteuil confortable, face à la fenêtre qui donne sur un petit parc où les patients et leurs familles aiment se promener. Elle a aussi pris soin de baisser le store afin que Cristal n'ait pas le soleil dans les yeux et dans quelques heures, l'aide-soignante reviendra pour la mettre sur les toilettes. Cela, Joseph se refuse d'y penser ni même de l'imaginer parce que sa femme ne peut pas se faire aider pour une telle besogne du quotidien, comme une grabataire d'un âge avancé. Mais sa femme ne le regarde pas. Ni lui, ni June et c'est comme si elle ne les avait pas entendu entrer.
— Bonjour, mon amour, lui souffle Joseph en s'approchant pour lui embrasser le front, comment tu te sens, aujourd'hui ?
Mais seul un silence indifférent lui répond. June observe un instant son père se perdre dans l’illusion qu’un jour, tout redeviendra comme avant. Le corps sans âme de Cristal la dégoûte, et à la place de Joseph, elle aurait fermé ses yeux pour de bon afin de ne plus traîner un tel fardeau. C’est comme une poupée de chiffon à laquelle on aurait donné un coeur, qui bat sans but et qui ne fait qu’animer un réseau de vaisseaux incapable de vivre par eux-mêmes. Comme il serait amusant de pousser Joseph à se rendre à l’évidence… A moins que ce ne soit Helouri, le pauvre, gentil et si fragile Helouri, qui ne lui rende service. June prend un air jovial et s’approche de ses parents, sa tresse se balançant dans son dos comme un ornak.
— Bonjour maman ! s’exclame-t-elle en l’étreignant doucement. Tu as l’air en forme, aujourd’hui. Tu as quelques couleurs !
Elle s’agenouille devant elle et croise les bras sur les cuisses de Cristal, pour y poser sa tête. Avant, quand elle était encore en vie, Cristal venait caresser ses cheveux tandis qu’elle lui racontait sa journée. Elle sentait le soleil, le sucre et le sable. Aujourd’hui, elle sent le savon, la lessive de l’hôpital et quelque chose d’autre, quelque chose d’un peu rance, de discret, mais perceptible à ceux qui s’approchent trop près. Elle sent la maladie, la belle morgan.
— Il faudra que je te présente Negishi, s’enthousiasme June. Il m’a montré la ville, on a pris un dirigeable. J’ai eu quelques entraînements avec la Capitaine, aussi ! Tu te rends compte ? Bon, j’avoue que je suis toujours un peu mal à l’aise dans mon armure, je préférais celle d’Eel, parce qu’elle était moins lourde, mais j’apprends plein de choses et je progresse vite. J’ai vraiment hâte de te la montrer ! Oh, je sais ! Je n’ai pas le droit de l'emmener dans l’hôpital, mais je te ferai un dessin. Regarde, comme je t’avais promis, j’en ai fait autre !
Elle plonge la main dans sa poche et en sort un croquis, réalisé à la va-vite mais qui a réussi à saisir le sourire de Cristal, l’air timide d’Helouri et la présence rassurante de Joseph. June avance qu’elle n’aime pas trop se dessiner elle-même, alors elle n’est pas sur celui-ci, mais le prochain, elle fera un effort. Il vient s’ajouter à une petite pile, faite de morceaux récupérés par-ci par-là, qui représentent des moments de vie, Odrialc’h, Eel ou bien la famille Ael Diskaret au complet. Comme ça, elle nous a toujours avec nous, avance June à chaque fois qu’elle réalise un nouveau dessin et qu’elle le montre à son père.
Joseph les regarde avec tendresse. Au fond de lui, il y a toujours l'espoir que ses visites régulières, celles de June, de Helouri, les dessins et les souvenirs évoqués appellent sa femme à se réveiller. Parfois, il se demande si elle peut les entendre, les comprendre et si elle est prisonnière d'elle-même à ne pas pouvoir s'exprimer. Ce serait pire que tout. Si elle souffre comme cela, Joseph préfère qu'elle se soit perdue dans un beau rêve en attendant de revenir vers la réalité. Le grand morgan lui prend la main et mêle ses doigts aux siens. Il frissonne à leur contact. Il y a de l'amour, comme toujours. Beaucoup d'amour qui lui rappelle les milliers de fois où ils se sont tous les deux tenus la main pendant leurs conversations, leurs promenades, leurs vacances et beaucoup d'autres instants. Puis il y a autre chose. Une sensation de chair inerte, sans vie, chaude mais morte, molle qui lui serre la gorge.
Quand Joseph observe le profil de sa femme, il espère toujours qu'elle va tourner son visage vers lui pour lui sourire, mais elle se contente de fixer la fenêtre avec ses yeux éteints.
— Je réfléchis tous les jours à l'énigme qu'a laissé le monstre qui t'a fait ça, mon amour, lui confie Joseph, et je te promets que je vais la résoudre pour que tu puisses revenir parmi nous. Tu nous manques. Tout le monde t'attend.
June acquiesce. Elle aussi, elle y réfléchit, mais elle n’est pas très forte, alors elle fait de son mieux, promet-elle. Elle aime surtout regarder Helouri et Joseph se torturer les méninges à ce sujet, mais ça, elle ne le dit pas à Cristal. Parfois, quand elle est seule avec sa mère, elle serre ses doigts un peu trop fort, brosse ses cheveux un peu trop vigoureusement, juste pour voir si ça lui tire une réaction. Cristal ne cille jamais, pas même quand quelques mèches restent sur la brosse malmenée. C’est fascinant, et quelque part, elle admire Sexta d’avoir réussi pareil tour.
— Je me demande toujours comment elle a pu faire, songe Joseph comme s'il lisait dans les pensées de June, comment elle a pu lui retirer la vie de cette manière. C'est comme si elle se trouvait à la lisière entre la vie et la mort.
Cristal est partie, mais pas complètement. Il y a un espoir, il y a un moyen de la ramener et tout ceci se trouve entre les mains de Joseph et de Helouri. Helouri aussi fait de son mieux pour résoudre l'énigme et le grand morgan a confiance en l'intelligence de son fils.
On toque à la porte et Joseph se retourne pour la voir s'ouvrir sur Helouri, alors vêtu de sa blouse et de son pantalon d'aide-soignant. Le jeune morgan a relevé ses cheveux nacrés en un chignon serré qui dégage son visage, il a rangé un carnet de notes dans la poche avant de sa blouse bleue foncé et son prénom est écrit sur un badge épinglé à sa poitrine.
— Bonjour, mon fils, lui adresse Joseph dont le visage retrouve un petit peu de sa lumière, comment se passe cette sixième journée ?
— Très bien, lui répond Helour avec un léger sourire - son regard s'est brièvement posé sur June - je passe voir maman pendant ma coupure. J'ai encore deux heures devant moi. Et vous, ça va ?
Oui, ça va. Joseph a passé la matinée avec les gardiens d'Eel et les forces armées d'Odrialc'h au sujet de l'enquête des Abysses. Bien entendu, la situation est délicate puisque le coupable est un Milliget qui a déjà l'Eel rouge sur les mains, mais le pôle judiciaire d'Odrialc'h va s'en occuper. Aucune trace de Sexta, mais les recherches continuent. Helouri hoche la tête. Il vient s'asseoir près de sa mère et lui prend l'autre main.
— Et toi June ? demande-t-il sans la regarder, l'école militaire ?
— J’étais justement en train de dire à maman à quel point c’est incroyable, sourit June. Tes cheveux sont jolis, comme ça.
Elle tend la main et aplati une petite bosse, puis rectifie la blouse de son petit frère en prenant son temps, en s’assurant de frôler son cou gracile suffisamment longtemps pour lui tirer un regard de dégoût, qu’il sera forcé de cacher en présence de son père.
— On est allé au marché, l’autre jour, confie-t-elle à son petit frère sur le ton du secret. Avec Negishi, Narangerel et Lothric. Tu sais, près de ces tentes que seuls les gens munis d’un laissez-passer peuvent approcher. D’ailleurs, on s’est fait la réflexion que finalement, n’importe qui pouvait en avoir un, de laissez-passer, parce qu’on a vu un jeune homme qui n’avait pas l’air dans son élément.
On t’a vu, toi, petit Lou, et maintenant, il te faudra justifier ceci, parce que moi, j’ai dit à mes camarades que je ne savais pas ce que tu faisais là-bas. Elle sait qu’il comprendra l’implicite, mais devant Joseph, encore une fois, Helouri ne peut rien dire. Elle, elle sourit gentiment, tendrement, comme avant, et elle sait que ça lui est insupportable.
— Ah oui, je vois, répond Helouri d'une voix qui trahit sa fatigue, les tentes pourpres… Il est possible d'y voir les serviteurs personnels si on a de la chance. Mais c'est vrai que pour acheter quelque chose là-bas, il faut un laissez-passer accordé par une personnalité importante et tout le monde ne peut pas en obtenir.
Le jeune morgan lève les yeux vers June pour lui adresser un sourire très doux et quand son père l'interpelle pour lui demander plus de détails sur le service dans lequel il travaille et ses collègues, Helouri lui répond volontiers. June fait mine de les écouter, tout en étreignant Cristal. Elle observe Helouri, joue avec la robe de sa mère, et patiente. Le petit morgan ne se comporte pas comme d’habitude. Il est moins mal à l’aise, et il ne cherche pas à tout prix à s’éloigner discrètement, comme il peut le faire d’ordinaire. Il est calme, posé. Un petit sourire se dessine sur les lèvres de la jeune femme. Elle patiente, comme un maülix devant sa proie.
La discussion se poursuit encore quelque temps quand enfin, Joseph doit partir s'occuper d'impératifs. Avant de quitter l'hôpital, il embrasse son fils, serre sa fille dans ses bras et les remercie de tenir compagnie à leur mère :
— Maman va bientôt être changée pour le dîner de toute façon, sourit Helouri, j'ai demandé à l'équipe de la MDE si elle pouvait manger avec les autres patients au premier repas. Ça lui fera du bien de voir du monde, tu ne penses pas ?
— … En effet, répond Joseph après une hésitation, mais tu es sûr que ça ne va pas déranger les familles des autres patients ?
— Non, papa, tu sais il y a beaucoup de pathologies de l'esprit qui sont encore un mystère pour les médecins d'ici. Mais ce qui est certain, c'est que couper maman du monde n'est pas une bonne solution.
Joseph finit par acquiescer après réflexion. Helouri lui assure qu'après son propre service, il ira s'occuper de sa mère et la mettre au lit, puis il se tourne vers June et lui demande :
— Je ne reprends que dans une heure et quart. Tu viens boire quelque chose avec moi, à la cafétéria ?
— Pourquoi pas, sourit June en lui prenant le bras. Au revoir maman, je reviens très vite !
Elle se penche pour embrasser Cristal, salue son père et attend qu’Helouri la suive. Ils accompagnent leur père jusqu'au grand hall et ensuite, ils se dirigent vers la cafétéria. L'endroit, immense, présente de petites tables rondes avec des sièges confortables d'une couleur taupe, ainsi qu'un bar et un présentoir à pâtisseries. Aussi, puisque le soir approche, les employés des cuisines commencent à s'affairer pour que certains patients puissent dîner avec leur famille. Un odeur de bouillie de froment, de potage et de tartines grillées flottent doucement dans les airs pendant que Helouri s'empresse d'aller chercher des boissons chaudes ainsi que des viennoiseries. C'est onéreux, bien sûr, comme tout ce qui vient de la Terre et le jeune morgan ne comprend pas vraiment comment les humains peuvent manger des choses si sèches. À moins qu'elles soient détériorées par le voyage, comme beaucoup d'autres aliments…
Enfin, Helouri s'installe à une petite table, face à June, puis lui remet un gobelet fumant.
— C'est une infusion de fleurs flammes. C'est épicé, mais ça a le mérite d'être énergisant.
— C’est empoisonné ? s’amuse June.
Dans ses yeux améthystes, aucune trace de rire, pourtant. Elle fixe Helouri d’un air glacial, puis pose son menton sur ses mains sans toucher à son verre.
— Je plaisante, reprend-elle d’un ton qui ne plaisante pas du tout. Qu’est-ce qui me vaut ce plaisir, petit frère ? Est-ce que tu considères ce petit encas comme une visite au cimetière, au fait ? Tu préfères que je me taise, peut-être ? Comme si tu parlais à ma pierre tombale…
Cette fois, elle esquisse un sourire cynique. Elle a autre chose à faire, elle espère que c’est important. Elle est curieuse, aussi. Qu’est-ce qui pousse le petit morgan à affronter ses peurs ainsi, lui qui n’a pas hésité à lui dire qu’elle était morte, à ses yeux ?
Helouri, lui, se force à calmer sa respiration ainsi que les battements de son cœur. Soutenir le regard de June est un exercice difficile pour lui qui a appris les lois de la peur il y a peu, mais il refuse de fuir, cette fois. Il doit s'y soumettre parce que comme le lui a dit Doubine, il ne peut pas tuer sa sœur alors qu'elle respire encore. Il n'y a que les lâches qui agissent ainsi et il est hors de question qu'il reste à l'état de lâche.
Dans sa tête, il entend Candice lui crier qu'il ne lui est loyal uniquement par la peur qu'il inspire. Que cette même peur est un venin dont il se nourrit, qu'il redoute et qu'il accepte volontiers parce qu'il lui offre une protection nécessaire pour le petit morgan qu'il est, mais qu'il n'a qu'à s'en affranchir s'il ne veut plus s'en abreuver. Helouri a besoin de courage. Il ne peut pas supporter les sélections sans courage et plutôt que de vouloir se débarrasser de toutes ses peurs pour ressembler à Candice, il préfère les garder près de lui et cheminer avec. C'est ça, le véritable courage.
— Même si je l'ai voulu, amorce Helouri en essayant de contrôler sa voix, tu ne peux pas mourir, June. On ne peut pas faire le deuil d'une personne qui vit encore, c'est évident. Mais plus encore, on ne peut pas tuer des sentiments et j'ai beau avoir essayé, je n'ai pas réussi. Je trouve que c'est une bonne chose, d'ailleurs.
Il s'interrompt quelques secondes, juste pour tenir les rennes de cette peur du lâche qui vient affluer en lui, puis il désigne le gobelet de June d'un signe du menton :
— Il n'est pas empoisonné. Mais si tu préfères, tu n'as qu'à prendre mon propre gobelet, je n'ai pas encore bu dedans.
— Lou, Lou, Lou… soupire-t-elle. Petit, fragile, délicat et gentil Lou. Qu’est-ce que tu espères, petit frère ? Qu’une infusion me fera oublier le passé ? Que nous redeviendrons une famille unie ? Oh, non, je sais !
Elle trempe son doigt dans le gobelet de son frère pour faire tourner le breuvage, sans le quitter des yeux. Il n’y a pas de haine, dans les siens. Pas devant lui, qui sait ce qu’elle est devenue. Il n’y a qu’un vide glacial, une étincelle malsaine et doucereuse qui lui promet le pire.
— Tu veux être protégé, susurre-t-elle. Tu veux que je t’aide à faire face au vilain Candice, tu as compris qu’être son jouet n’était pas aussi facile que prévu. Tu as peur, petit Lou. Tu trembles, tu pleures, tu te dis que jamais tu n’arriveras à gagner les sélections. Est-ce que tu en fais des cauchemars ? Est-ce que tu rêves de toi, essayant d’arriver à la cheville des serviteurs personnels, revêtu de beaux vêtements, coiffé et paré de bijoux, faisant face à la Capitaine ? Est-ce que tu te réveilles en pleurant, le corps tordu par l’angoisse, quand elle te rit au nez parce que tu ne vaudras jamais plus que ce que tu es ?
June sourit et pose son doigt sur ses lèvres, fait mine de le lécher puis se ravise. Elle enroule sa tresse autour de sa paume et l’agite, presque attendrie par la candeur de son frère.
— Est-ce que dans ces moments-là, tu voudrais venir trouver ta grande sœur chérie, celle d’avant, celle qui n’est pas morte ? ronronne-t-elle. Tu voudrais un câlin, qu’elle te caresse les cheveux et qu’elle te raconte que tout ira bien ? Est-ce que tu crois qu’elle te mentait, ta sœur d’avant, petit Lou ? Qu’elle disait ça sans le penser, parce que c’était le seul moyen pour que tu arrêtes de te sentir misérable ? Est-ce que parfois tu te dis que tu aurais mieux fait de sauter à l’eau, ce jour-là ? Que si la Capitaine ne t’avait pas trouvé, rien de tout cela ne serait arrivé ? Ou est-ce que tu préfères blâmer ta sœur d’avant, celle qui n’est pas morte et qui a essayé de te protéger jusqu’au bout, au dépend de sa santé mentale ? Tu crois que je suis devenue folle, petit Lou ?
Elle se rapproche et baisse la voix, comme pour lui confier un secret.
— Tu crois que j’ai cédé à un monstre, qu’il a toujours été là, enfoui, caché, et que maintenant, il a pris le dessus ? Tu te trompes, petit Lou. C’est moi, ta grande sœur d’avant. Ça a toujours été moi. Pendant des années, tu t’es noyé et moi, je t’ai aidé à garder la tête hors de l’eau, mais lorsque je suis moi-même tombée, que j’ai tendu la main pour te supplier de m’aider, tu as détourné les yeux. Oh, je ne t’en veux pas, petit Lou. Tu es faible, j’aurais dû le savoir. Je t’ai abandonné tout ce que j’avais, et tu ne m’as rien rendu en retour. Je ne suis pas folle. Je ne suis pas morte. J’ai simplement appris mes leçons. Mais ne t’inquiète pas, petit Lou. Je vais rester près de toi jusqu’au bout, comme je l’ai toujours fait. Je vais rester là, et quand tu vas te noyer, parce que tu te noieras, je te tendrais la main. Mais tu ne pourras pas la saisir, petit Lou. Parce qu’à ce moment-là, tu auras compris que tout est de ta faute, et que c’est ta propre faiblesse qui a tué ta mère, qui t’a pris ta grande sœur et qui détruit ton père à petit feu.
Helouri l'écoute sans l'interrompre. June lui dit qu'elle a appris sa leçon, lui, il apprend les siennes. Celles enseignées par Doubine, celles enseignées par Candice et même celles que ses parents lui ont enseignées sans rien lui dire. Il tressaille quand il repense à la fée Milliget, la main plaquée sur la porte de la pièce où Sira attend d'être réveillé.
C'EST ÇA LE DON DE SOI, DAVA ! C'EST POUR ÇA ET UNIQUEMENT POUR ÇA ! TU T'EN FOUS QU'ON TE LAPIDE OU QU'ON T'ÉCRASE TANT QU'À LA FIN TU VIS POUR ÇA !
Ça. Le don ou le sacrifice de soi pour ce qui mérite d'être protégé chez les fées. Candice lui a appris et lui apprend, de la façon la plus virulente qui soit, que l'on ne peut pas protéger sa propre famille lorsque l'on est uniquement guidé par la peur. On ne peut pas se transformer en quelque chose d'acceptable pour les sélections non plus parce qu'un serviteur personnel doit être sûr, tout le temps, de ce qu'il dit et de ce qu'il fait. Il n'y a pas de place pour le doute et quand Cristal est éteinte ou que June lui parle ainsi, c'est la même chose.
— Tu sais pourquoi papa et maman n'ont jamais eu d'autre enfant, June ? J'imagine que tu t'en doute. C'est parce qu'ils ont eu peur qu'il soit mal formé, comme moi. Alors ils se sont abstenus et puis tu vois, finalement, leurs souhaits ont été exaucés puisque tu es arrivée.
June a été la fille parfaite. Enjouée, énergique, souriante, des rêves plein la tête et puis une complicité évidente entre elle et Helouri. June n'avait pas de problème, elle n'était pas mal formée non plus alors il n'y avait pas besoin de la surprotéger. Helouri n'est pas idiot. Même si ses parents ne le lui ont jamais dit, il sait qu'ils regrettent de l'avoir couvé car c'est ce qui l'a rendu si faible et si honteux de ses branchies atrophiées. C'est ce qui l'a poussé vers une voie tortueuse pour un objectif égoïste qui ne le fera même pas se sentir mieux et plus confiant.
— Maman et papa t'aiment comme si tu avais le même sang. Comme si tu étais une morgan, mais je sais aussi qu'ils t'ont légué ma propre responsabilité sans le vouloir. Comme maintenant. Papa est fatigué, mais il fait bonne figure et il sait que si jamais je tombe, tu es là pour me rattraper.
Helouri boit une gorgé de l'infusion dans laquelle sa soeur a trempé son doigt, puis poursuit :
— Je vois bien que c'est toi, June. Ça aurait été plus facile que tu cèdes à un monstre comme ça, je n'avais plus qu'à espérer que ma grande sœur revienne. Mais je vois bien que c'est toi. Et je ne veux pas me noyer. Je préfère essayer d'apprendre à nager car même si mes branchies sont atrophiées, je reste un morgan et l'océan fait partie de moi. Comme ça, je pourrais aller plus loin, autant que je le peux et si jamais c'est toi qui perds pied, ce serait bien qu'il y ait quelqu'un qui t'empêche de couler.
— Et tu crois pouvoir être ce quelqu’un, petit frère ?
June recule et lisse sa tresse d’un air distrait. Elle préférait quand Helouri avait peur, finalement, car maintenant qu’il dégouline de bons sentiments, il en devient ennuyeux. Il essaie de faire bonne figure, tant bien que mal, il veut se montrer courageux, il veut être à la hauteur. Rien ne sert de torturer quelqu’un qui se torture tout seul. Elle soupire et hausse les épaules.
— Très bien, répond-elle. Si ça t’amuse, fais donc. Essaie de m’aimer, petit frère. Essaie de me… sauver. Barbotte, coule et remonte tout seul, si le cœur t’en dit, tant que tu restes loin de mes affaires.
Elle lui adresse un nouveau sourire, et celui-là est empreint d’une menace calme.
— Ne te mets pas en travers de mon chemin, Helouri, même pour prétendre me sauver afin de te sentir mieux. Car c’est uniquement de cela qu’il s’agit. Tu ne fais pas ça pour moi, ou pour tes parents, tu fais ça pour te prouver que tu es capable de réussir quelque chose. Soit. Si j’étais toi, j’essayerais déjà de réussir les sélections, parce que je serais étonnée de te voir au grand palais. Mais tu sais quoi ? Faisons un pari. Si tu parviens à devenir le serviteur personnel de la Capitaine, je te laisserais tuer le monstre. Essayer, du moins. Mais si tu tentes de m’arrêter, si j’apprends que même involontairement tu t’es dressé devant moi, je tuerais ta maman chérie. Le moindre petit écart, et elle disparaîtra pour de bon. Tu as compris, petite chose ? Je t’ai suffisamment traîné comme un boulet, et ça m’a bien trop coûté. Désormais, ta mère paiera pour chacun de mes échecs. On verra combien de temps ta petite résolution tiendra, et si tu sera toujours aussi altruiste une fois qu’elle aura périt sous les coups de ton incompétence.
— Elle est aussi ta mère, ce serait bien que tu le gardes à l’esprit puisque tu as signé les papiers d’adoption quand Eel était encore debout.
Tout lui paraît limpide, beaucoup trop limpide. Le monstre qui veut se calquer sur le visage de June, la méchanceté qui prend place dans ses yeux améthystes et les menaces qui font hurler les entrailles de Helouri.
C’est l’épreuve la plus complexe qui lui est demandée, la, en cet instant. Garder le masque alors que le lâche veut rentrer dans sa tanière parce qu’il a peur de June. Candice hurle de plus belle dans son esprit. Qu'on lapide Helouri, qu’on l’écrase tant qu’à la fin, il vit pour ça. Pour sa mère pour laquelle il est devenu dava, pour son père qui perd pieds et même pour une sœur en train de le menacer.
— Pourquoi je voudrais t’empêcher de te venger Sexta Stoker ou peu importe ce que tu veux lui faire, June ? Je m’en fiche. Je dois me préparer pour les sélections et comme tu t’en doutes, c’est énormément de travail. D’ailleurs, j’accepte ton pari. Faisons ça : si j’entre au grand palais, alors tu devras saisir la main que je te tends.
— Vendu, susurre-t-elle.
Elle lui tend la main pour sceller leur accord, l’amusement brûlant dans ses yeux. Vas-y, semble-t-elle dire. Jouons. Voyons jusqu’où tu es prêts à aller pour sauver ta petite famille adorée.
Helouri et June se serrent la main. Ensuite, le jeune morgan reprend le travail jusqu’au soir et reste auprès de sa mère. Il n’a rien dit face à June, mais dans la chambre de Cristal, avec l’odeur parfumée du savon, de la lessive d’hôpital et de la maladie, il y a celle de sueurs froides.
Le courage, c’est de faire face même avec la peur. Helouri a fait face à June. Il a pu voir qu’il n’y a pas de monstre mais juste une personne qui est devenue le pire d’elle-même et devant elle, Helouri a simplement essayé. Il n’est pas Candice, il n’est pas Doubine non plus, il est lui-même et la somme de tout ce qu’il apprend pendant le cheminement difficile jusqu’aux sélections. Maintenant, il a une raison supplémentaire de les remporter, mais il en est loin. Il est toujours en train de se noyer, sauf que c’est devenu un petit peu moins douloureux.
Helouri est en train de border sa mère et passe une main délicate dans ses cheveux turquoise. Il va redoubler de vigilance. Les menaces de June lui ont retourné l’estomac et il a cru qu’il perdrait pieds tant il a peur pour sa mère…
Il ferme les yeux. Il doit être sûr, il doit porter ses responsabilités, il doit tenir sa parole et ne jamais oublier pourquoi il est devenu dava. Il doit être un socle infaillible qui doit passer les portes du grand palais afin que son statut puisse garantir la protection de ses parents et une main tendue pour June.
Helouri étouffe un bâillement alors qu'il déverrouille son casier. Il a l'impression que l'odeur du savon de l'hôpital s'est imprégnée sur sa peau avec d'autres, plus écoeurantes, de selles et d'urines. Par bonheur, des salles d'eau et douches communes sont mises à disposition pour le personnel, alors Helouri abandonne sa blouse et son pantalon réglementaires, puis file se laver.
En tant que remplaçant, il a bien entendu écopé des horaires les plus pénibles, comme les coupures ou bien les après-midi, jusqu'à vingt-et-une-heure trente, ce qui rend ses journées particulièrement harassantes. Il doit également poursuivre l'apprentissage de la médecine sous la tutelle Candice et la bonne nouvelle dans tout cela, c'est que Helouri ne rentre à l'auberge de la Mine d'Or uniquement pour y manger le matin et y dormir. Il a raconté à son père que l'hôpital de la Grande Auréole le laisse disposer de sa bibliothèque universitaire et qu'il ne se gêne pas pour en profiter, quitte à manger sur place. Bien entendu, la perspective de laisser Joseph entre les griffes de June ne réjouit pas Helouri, mais il fait confiance au bon jugement de son père le temps qu'il prenne le rythme de son nouveau quotidien.
Le jeune morgan entreprend de se laver les cheveux pendant qu'il songe à ses premières journées. La rumeur de son lien avec la fée Milliget n'a pas mis longtemps à se propager pour éveiller la méfiance de certains de ses collègues, mais Helouri a préféré feindre l'ignorance. Tant que personne n'aborde le sujet de manière frontale avec lui, il n'en parle pas et exécute correctement son travail. Son caractère malléable et tranquille lui permet de se fondre parmi les différentes équipes et même s'il discute peu pendant les pauses, personne ne se plaint de lui pour le moment. Il est travailleur, les patients le trouvent agréable, bien que parfois maladroit. Les faeliennes âgées le remercient de ne pas les considérer comme de simples vieux corps à laver en un temps record. Helouri préfère prendre plus de temps, mais respecter leur pudeur en couvrant leur poitrine avec une serviette pendant qu'il s'attelle à leur laver le visage et les bras. Même si son travail exige de vérifier de potentielles rougeurs sous leurs seins, il leur demande s'il peut le faire parce qu'à leur place, il n'aimerait pas qu'un soignant le touche sans vergogne comme s'il n'était qu'un bout de viande.
Une fois propre, Helouri enfile ses vêtements, récupère ses sandales, puis quitte l'hôpital. Puisqu'il doit se changer pour travailler en blouse, le jeune morgan n'a opté que pour une tunique à manches courtes, d'un rose pâle, sur un pantalon serré aux cheville couleur lavande. Ses longues boucles humides trempent son habit, mais Helouri s'en moque car la brise extérieure lui tire un soupir d'aise. En regardant la voûte céleste, il constate que la nuit est en train de tomber et que les derniers vestiges du soleil tracent des sillons d'or et de feu. Odrialc'h est toujours aussi animée, même en soirée. Les rues ne désemplissent pas et les tavernes, vivantes comme un seul homme, laissent échapper des rires, des chants et des sons de luth et de flûtes. Beaucoup de promeneurs profitent des températures bienveillantes de ce début du mois de toulab et même les marchands de la place des Échanges laissent leurs étals ouverts plus longtemps. Helouri s'étire. Il a l'impression que ses bras et son dos se sont raidis tout au long de la journée et que du métal à remplacé ses jambes. La fatigue commence à lui peser, mais il doit bien admettre que la perspective de retrouver June à l'auberge ne l'enchante pas beaucoup. Il grimace et se fustige en songeant aux mots de Doubine, dont il n'a pas encore eu le temps de répondre à la lettre. Il sait que quelque part, elle a raison. Il veut bien l'écouter, saisir son point de vue entre ses mains, puis observer sa situation sous un autre angle. Il a su faire face à June, l'autre jour, mais ce soir, il s'avoue qu'il n'en a pas le courage.
Tu n'es pas obligé de rentrer tout de suite, lui souffle une petite voix dans son esprit. Il observe la rue en admettant qu'elle a raison. Il peut marcher vers la place des Échanges, s'il le souhaite, flâner entre les étals et même se rendre sur le port pour sentir le vent salin fouetter son visage. Quand il pense à l'océan, Helouri se réjouit, alors, tout d'abord d'un pas timide puis d'un autre, plus assuré, il remonte la rue du quartier de Meskem.
Il a l'impression d'être une musarose qui sort de sa tanière pour s'intéresser au monde extérieur. Ici, il n'y a pas de schémas anatomiques à aborder, de textes à apprendre et à comprendre, de patients à lever ou à coucher, de sondes urinaires à vider et d'un long chemin vers le grand palais à arpenter. Il n'y a que lui et les autres. Ce groupe d'étudiants désireux de faire la fête pendant une bonne partie de la nuit, des couples en train de marcher main dans la main, des amis qui se retrouvent autour d'une bonne assiette garnie et les gardes civils en train de patrouiller. Le brouhaha de la cité enveloppe Helouri comme un cocon, un cocon qu'il doit traverser pour retrouver l'océan. Le jeune morgan prend son temps. Il s'arrête parfois pour lire les menus sur les panneaux des tavernes, même s'il est certain de ne pas rester pour consommer, il regarde les étoffes vendues à l'entrée de la place des Échanges, puis observe les motifs brodés. Une longue veste dont les dessins, sur les manches, rappellent les ailes des chestoks attire son attention, tout comme une robe elfique avec des ruisseaux d'un bleu si vif que Helouri a l'impression que sa main sera mouillée s'il touche le tissu. Il songe qu'avec son prochain salaire, il pourrait s'offrir ces vêtements, alors il demande à la vendeuse s'il est possible de les lui mettre de côté et elle accepte à condition qu'un acompte soit versé. Helouri promet alors de venir le payer le lendemain.
Il songe qu'une telle promenade avec June, avant, aurait été un moment de bonheur. Bien sûr, sa grande sœur n'a jamais été de très bon conseil en matière de tenues vestimentaires, puisqu'elle a tendance à enfiler ce qui lui tombe sous la main, à l'image de Monsieur Sara, mais elle l'aurait aidé à parfaire son apparence en vue des sélections. Elle aurait aussi insisté pour des essayages et en aurait fait toute une aventure… Une vague de nostalgie afflue dans sa poitrine et Helouri poursuit son chemin après avoir salué la vendeuse. June aurait été fière de lui, avant. Elle aurait été fière qu'il s'arrête, qu'il regarde, qu'il discute et qu'il choisisse.
Plus loin dans la place des Échanges, le jeune morgan remarque que l'endroit est très animé. Là-bas, un petit attroupement de faeliens semble écouter, ou plutôt regarder quelqu'un en train de parler, juste à côté d'une grande bâtisse connue abriter les célèbres toilettes de Purriry. Là, quelqu'un, non loin de la rue qui mène vers le port, parle fort et d'une voix sensuelle. Helouri tourne la tête pour remarquer un faelien avec des oreilles et une queue féline, si peu vêtu que le jeune morgan en écarquille ses yeux d'argent. Visiblement heureux d'être le centre d'attention, le faelien parle avec de grands gestes, passe une main assurée dans sa longue crinière de cheveux noir et exhibe à qui veut la voir, sa peau d'or sous le peu de tissu bleu comme un ciel d'été. Son corps, mince et souple, s'agite comme des mouvements de danse pendant que ses yeux fardés comme à la mode des Sables du Zénith, lancent des regards aguicheurs. Ses parures dorées lui donnent l'air d'un prince et sa queue féline, ondulant avec des mouvements exagérés du bassin, traduisent un appétit de luxure que ce soir, le faelien n'aura aucun mal à satisfaire puisque bon nombre de prétendants répondent à son appel. Mais il est un véritable maülix qui feint l'ennui quand on lui donne trop d'attention et qui s'intéresse à ceux qui restent loin de lui. Quand il croise le regard de Helouri, le faelien lui fait un clin d'œil appuyé et le jeune morgan rougit avant de s'éloigner.
Le port de Shamshara l'accueille avec un calme salvateur. Helouri s'approche des quais jusqu'à ce que ses pieds soient proches du bord, puis rive son regard sur la masse sombre de l'océan. Le sel taquine ses narines, le vent du large porte ses boucles humides pour mieux les sécher et ici, la liberté lui ouvre les bras. Il est seul avec lui-même, avec cette entité géante que son peuple adore, mais qui l'a pourtant rejeté quand il est venu au monde. Il observe le ballet des vagues, coiffées par une écume blanche comme le ventre des melomanthas et il imagine à quoi peuvent ressembler les royaumes que ses parents ont déjà pu explorer sans lui. Ses muscles se détendent enfin et il laisse son cœur voguer sur l'océan à défaut de pouvoir y plonger.
— Bien. Reprenez vos rondes.
— À vos ordres !
Ses yeux s'ouvrent grand vers l'horizon pendant que son corps obéit à la voix. Ses mains s'agitent comme son esprit affolé et quand il se retourne, presque fébrile, il peut constater que ses oreilles ne l'ont pas trahi. Des gardes civils, chargés de patrouiller sur le port, reprennent leur poste pendant qu'elle, elle se dirige d'un pas conquérant vers le quartier de Meskem. Son armure d'orichalque renvoie des reflets moirés pour la transformer en guerrière de lumière avec sa longue natte telle une traîne de feu. Helouri la regarde passer comme un songe. Une crevasse chimérique s'ouvre entre elle et lui pour séparer leurs mondes et lui rappeler que s'il veut espérer se rapprocher de son image, il doit au moins briller comme son ombre.
Il sait que son visage traduit une adoration stupide, un béguin imbécile qu'elle a dû connaitre des milliers de fois parmi ceux qui la vénèrent, mais il n'y peut rien. Il ne peut pas empêcher ses joues de rougir d'une chaleur qui a remplacé le sang sous sa peau pour former une boule dans son ventre.
Quand elle l'aperçoit, il a l'impression que son propre cœur perd la raison. Pourtant, il sait qu'elle le regarde parce qu'il est là, parce qu'il se trouve près de son chemin et rien d'autre. Elle ne le remet pas, elle l'a déjà oublié, il était une énième victime à sauver sur le sentier de ses honneurs et elle ne se doute pas que si elle se voyait comme il la voit, elle ne pourrait même pas se regarder tant elle rayonne. Si elle était là, June se moquerait et ne perdrait pas une miette du spectacle, mais Helouri est seul, alors il suit la capitaine des yeux, jusqu'à ce qu'elle disparaisse vers le quartier de Meskem.
Helouri reste là, debout sur le port de Shamshara, mais son esprit est parti. Cristal lui a toujours dit qu'il se raconte des histoires et c'est vrai. Mais celle-ci, ce n'est pas la personnification d'une angoisse, non : elle l'emmène plus loin. Vers le monde du grand palais, là où les portes ne s'ouvrent que pour quelques élus et où la noblesse organise des bals. Il n'y a personne pour regarder à l'intérieur de sa tête, alors Helouri peut se voler quelques minutes pour rêver.Illustration personnalisée par FlorianneSur le Port de Shamshara
Les Choix
Helouri a réussi son entretien et travaille actuellement à l'hôpital de la Grande Auréole. À la fin de sa septième journée, il décide de se promener dans Odrialc'h plutôt que de rentrer à l'auberge. La cité est animée, même en soirée. Qu'est-ce que Helouri décide de faire ?
➜ Il veut rejoindre le petit attroupement de faeliens, près du grand magasin de toilettes de Purriry.
➜ Il veut s'approcher du faelien aguicheur qui lui a adressé un clin d'œil, plus tôt.
➜ Il veut rester sur le port de Shamshara.
➜ Finalement, il décide de rentrer.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
Hélios n'a toujours pas révélé à Sheraz ce qu'elle a découvert sur Sira. Veut-elle le faire maintenant ou bien préfère-t-elle réfléchir encore un petit peu ?
L'école militaire organise un évènement afin de sélectionner les élèves qui feront partie de la garde rapprochée, pendant les sélections. June veut-elle participer ?
Quand tu seras prête, MayaShiz, contactes-moi par MP ! (Comme d'habitude, tu es libre de ne choisir qu'un seul RP ou bien de faire les deux).
UNIQUEMENT pour Waitikka
Jizel et Kijan accostent à Amzer, le village des morgans. Ici, ils commencent à mener l'enquête concernant Nikol Raegan.
Lorsque tu seras prêt, Waitikka, contactes-moi par MP !
Dernière modification par Aespenn (Le 05-08-2024 à 15h42)
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Aespenn, ce fou a écrit :
même si vous faites de mauvais choix, ne prenez pas les choses trop à cœur. Ce n'est pas grave !
J'ai répéré des coquilles
Pas beaucoup et j'en ai peut-être loupé, mais...
- "ses lèvres se tordent en une grimace de douleurs." => douleur (sans S)
- "Là où se tient les riches quartiers ainsi que le grand palais." => Là où se tiennent (au pluriel)
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Coucou !
Je suis ravie de voir ton projet se concrétiser, et encore plus ravie de voir à quel point il est bien ficelé ! Les dessins sont trop bg big up Wounw le s, le bbcode aussi, et les textes on fleek. Que demande le peuple ?
Perso pas grand chose d'autre lol, c'est méga cool !
Bon je vais te demander d'être indulgent pour mon post et pour tous ceux à venir. C'est probablement mon premier commentaire dans cette section du forum, parce que je suis vraiment pas douée pour ça, j'aurai pas forcément grand-chose à dire donc désolée d'avance. Et puis je serais bien mal placée pour commenter ton style d'écriture x).
J'ai beaucoup aimé ce prologue ! Gros cdc sur le "duo" Sheraz/Yüljet. Duo entre guillemets vu qu'ils sont bien éloignés et qu'ils ne sont visiblement pas prêts de se rapprocher x), mais je trouve qu'ils vont bien en tant que protagonistes de l'histoire. C'est un peu compliqué à dire à ce stade de l'histoire évidemment, mais Sheraz dégage une douceur apportée par sa vulnérabilité qui contraste bien avec le côté bourru de Yüljet. J'ai hâte de voir ces deux-là en action. J'espère que malgré notre choix 1, on pourra quand même avoir des petits passages pour nous donner des nouvelles de Yüljet/Sheraz.
J'ai été un peu déboussolée sur le début du prologue, j'ai mis quelque temps à comprendre que c'était du brouhaha. L'effet "je suis perdue dans la foule" était au rendez-vous en tout cas x).
Le reste de la lecture était hyper fluide, l'écriture est au top. C'est très bien écrit et tu réussis à ne pas tomber dans le piège de l'écrit qui devient un peu trop lourd à force de vouloir bien faire, super agréable.
Conclusion: j'ai kiffé lol
Mon choix se porte vers Yüljet !
J'espère qu'on arrivera quand même à relever le défi, je compte sur la participation de tout un chacun lol. L'absence de liberté de Sheraz était rédhibitoire pour moi, hâte de voyager un peu avec Yüljet dont le tempérament me séduit totalement.
Le concept de fiction interactive est vraiment super en tout cas, c'est une chouette idée que tu as eu de faire ça sur eldarya. J'ai hâte de découvrir les prochains dilemmes et les choix de tout le monde. Je trouve ça cool que ce soit le même choix pour tout le monde et décidé à la majorité, ça donne un côté très convivial vu qu'on est tous dans le même bateau.
Cette fiction interactive s'annonce vraiment top, j'ai archi hâte de lire la suite. Bravo à toi!
Et bravo au passage à Wounw pour ses jolis dessins et à MayaShiz pour le bbcode qui est top !
Je pense que j'ai répété suffisamment de fois le fait que j'avais hâte et que c'était trop cool, donc je vais m'arrêter là.
Dernier truc juste, je ne sais pas trop à quoi correspond La Liste des Aventuriers d'Apotheosis; aux prévenus je suppose ? De mon temps on appelait ça comme ça, je suppose que c'est un dérivé x). Quoi qu'il en soit, je veux définitivement en faire partie.
Bonne soirée/journée à tous!
Dernière modification par Greenwich (Le 09-05-2021 à 02h06)
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Waïtikka
Eeeeeeeeeh poto ! Ahlala tu ne sais pas à quel point ton pavé m'a fait plaisir !
Et encore une fois, merci pour Wounw ! Tu as vu ce travail ? Ohlala franchement, je ne pouvais pas rêver mieux pour mon header, quoi ! C'est absolument superbe ! Les détails, les couleurs, les visages, la luminosité… tout est parfait et je n'arrêterai pas de le dire, mais qu'est-ce que j'en suis fier ! Wounw réalise des dessins de dingue et a juste un talent fou !
Ce header, c'est une véritable beauté et je ne me lasse jamais de le regarder !
Et tu as vu comment je suis entouré de gens talentueux ? Maua n'est pas en reste avec son BBcode, heureusement qu'elle est là, parce que tu aurais vu la tête du premier… mon dieu x) Non franchement, elle a su gérer et ça claque ! Pour ça hein, pour la présentation du topic, il faut dire merci à Wounw et à Maya, parce que moi je n'ai fait que les textes. XD
Et puis ouais hein, ohlala le quotidien est difficile pour Maya parce que mon dieu ! Il faut me supporter et ce n'est pas facile tous les jours ! B)
Bande de boutons de porte, va !
Merci pour la prière (en effet c'en est une ^^) et pour le périple de la petite ciralak ! Elle a vraiment une grosse mission sur ses épaules et on va dire que l'avenir dépend vraiment d'elle.
Je cherchais un résumé pertinent pour Apotheosis, mais tu me connais : je suis nul en résumé. Alors je me suis dit que j'allais simplement offrir le périple de Céleste et je pense que c'est suffisant pour intriguer les p'tits lecteurs.
D'ailleurs on reverra Céleste B)
Mais bien sûr que je t'emmène poto ! En plus, tu as accepté que ton petit renard puisse vivre Apotheosis alors tu es le bienvenue, évidemment ! Et je prendrai grand soin de ton personnage.
Par contre pour les choix, eh bien… tu me connais B) C'est tordu, il pour la plupart d'entre eux, il faudra vraiment réfléchir. Mais bon : si c'est trop simple, ce n'est pas drôle !
Beeeeeeeeeeeh toi même c'est celui qui le dit qui l'est (c'est très pertinent tu as vu ?). Non vraiment, je tenais absolument rendre hommage à des personnes qui me sont précieuses via cette fiction parce que si elle est là, c'est quand même grâce à vous. Je crois que sans mes rencontres sur Eldarya, je n'aurais jamais pu progresser à ce point dans l'écriture.
Si les histoires vivent, c'est grâce aux lecteurs, sinon il n'y a pas de vie ! Alors encore une fois : merci à toi et ne t'en fais pas, tes personnages sont entre de bonnes mains ! <3
… Ou pas. B)
Du coup ouais, merci pour la mise en page (fichue "center" ouvert x)) et pour les coquilles ! Aaaah j'ai horreur quand ça traîne, mais je vais d'ores et déjà prendre les dispositions nécessaires pour la suite : je me relirais bien entendu, mais soit je tenterais de trouver un ou une bêta, ou bien un logiciel adapté. Parce que bon… les coquilles, ce n'est pas possible. XD
BIEN VU ! Hahaha tu as l'œil ! Et oui tu as tout à fait raison : la maman de Sheraz est jeune et l'a eu tôt, à l'âge de seize ans. B) Et bien vu aussi pour Nelladel, héhéhé B)
Et franchement, merci pour mon style d'écriture ! Je suis un amoureux des figures de styles, alors je sais que j'ai tendance à en mettre, mais si le rendu final n'est pas trop lourd, c'est super cool ! La scène du prologue est statique mais fort heureusement, ce n'est pas tout le temps comme ça, maintenant que j'ai appris à écrire l'action (merci MayaShiz !) !
D'ailleurs, il ne faut pas hésiter à me faire des remarques, je suis là pour ça aussi parce que je suis loin d'être un pro. Je crois qu'on arrête jamais d'apprendre en tant qu'auteur B)
Donc vraiment, merci pour ton commentaire et bien entendu : je note ton choix !
Waïtikka, tu as choisi le point de vue de Yüljet. À voter B)
Kikidamours
J'ai vraiment été surpris de voir ton commentaire alors qu'effectivement, tu venais de me dire que tu lirais au calme haha ! Mais franchement ça fait plaisir !
Alors en effet, dans cette fiction, il n'y aura pas de faux choix. Les choix que les lecteurs feront auront un réel impact sur l'histoire et je tenais à le montrer dès le début avec le choix du narrateur, sachant que ben… il y a des infos dont vous n'aurez pas connaissance en choisissant Sheraz et inversement.
Donc le choix du narrateur n'est pas à prendre à la légère. B)
Alors oui en effet, il y eu ce souci de mise en page qui a été corrigé (fichue balise "center" ouverte x)) du coup tout est bon parce que effectivement, la partie de la cohue mise à gauche, ça ne rendait pas l'effet désiré.
Et alors en fait "Nell" n'est qu'une syllabe mais si tu regardes bien, tu peux trouver le nom complet en majuscule dans la partie de la cohue B) "del" en est la dernière sylllabe. ^^
Alors merci pour Titan ! C'est vraiment cool car tu as complètement capté l'image que je voulais transmettre de ce personnage, à travers le prologue et d'ailleurs, c'est vraiment impressionant que Sheraz t'ai conquis alors qu'il n'apparaît que très très peu !
Mais c'est super cool et oui c'est tout à fait, ça, tu as bien capté la scène : il est seul dans son carrosse et vraiment, ce petit papier confié à Céleste, eh bien il représente tous ses espoirs.
Alors tout ceci soulève beaucoup de questions et la plupart des réponses vous seront apportées plus tard dans l'histoire… si vous faites les bons choix ! B) Bon non j'arrête, en vérité, même si vous ne faites pas les bons choix, une partie des réponses capitales vous seront tout de même apportées.
Merci encore pour ton commentaire, c'est vraiment vraiment cool et j'enregistre bien ton vote !
Kikidamours, tu as choisi de vôter pour le point de vue de Sheraz. À voter ! B)
MayaShiz
Hey ! Ma faucheuse d'amour ! Avec ton superbe cosplay de Malphas B)
COMMENT ÇA TU ME DÉTESTES ? MDR
Oh ben tu me connais un petit peu quand même… moi et mes choix tordus. B)
Merci pour le header et pour l'artiste, Wounw a géré de ouf et c'est juste magnifique j'en suis trop trop fier et trop trop content !
Puis ce BBcode ahlala mais qu'aurais-je fait sans toi ? Franchement, ça n'aurait pas été aussi classe du tout, alors heureusement que tu m'as prêté main forte. j'ai du bol, d'être entouré de gens talentueux !
Merci beaucoup pour l'histoire est pour mon style d'écriture ! J'ai toujours peur que mes figures de style soient trop lourdes et un peu casse-pied à lire, mais franchement, si la situation est claire et qu'on ressent ce que j'ai voulu faire passer, c'est vraiment cool et ça me rassure !
Et puis si le prologue est accrocheur, c'est tout benef' ! Donc c'est super cool ! (et bien vu pour Nelladel B)).
Alors oui, j'ai tenu a faire un hommage à ma petite midinette partie trop tôt et on la reverra, c'est chose sûre ! Mais je suis super content de te compter parmi les invités (en même temps, comment ne pas accueillir June ? Un Helouri sans sa meilleure amie June, ce n'est pas possible !) donc j'espère que le cheminement de ton perso va te plaire et j'ai hâte de voir tes futurs choix héhéhé B)
Beeeeeeeh merci à ton prof ! Ey merci à ma flemme légendaire qui m'a conduit sur ce fameux topic du Bastion XD Sinon franchement, je serai passé à côté d'une trop belle amitié.
PTDR aller ça va bien se passer, ne t'inquiète pas B) Tout ira bien je te jure !... non x)
Non mais la couleur du manteau de Sheraz, et puis quoi encore ? Non non ! On commence fort hop hop hop ! Alors je note bien ton choix B) J'espère que l'univers étendu d'Elda va te plaire en tout cas !
Et puis bon, on verra bien comment ça va se passer, mais vers la fin, si les lecteurs sont hypés, je pourrais proposer de découvrir l'autre route. ^^
MayaShiz, tu as choisi le point de vue de Yüljet. À voter ! B)
Greenwich
Je suis content de te voir ici, et merci pour ton accueil ! C'est beaucoup trop cool et je suis toujours aussi content de voir que le header de Wounw tape dans l'oeil de tout le monde ! Il est beaucoup trop magnifique !
Alors vraiment aucun souci du tout, on est cool et chacun organise son commentaire comme il ou elle le veut B)
Merci beaucoup pour ton avis sur le prologue ! Je suis content que Sheraz et Yüljet t'aient conquis et ne t'en fais pas : même si tu fais le choix 1, on verra quand même Sheraz et vice versa B) En fait, tout dépend vraiiiment de vos choix ^^ Par contre si vous choisissez choix 1, ben vous aurez des infos que vous n'auriez pas eu en choisissant choix 2 et vice versa ^^
Je c pa si chui klair ^^'
Mais enfin voilà, en choisissant Yüljet, on verra quand même Sheraz, mais ce sera chaud
Merci beaucoup pour mon écriture et en effet, même si je suis un amoureux des figures de style, je fais toujours gaffe à ne pas rendre mon écriture trop lourde et désagréable pour les lecteurs x) Donc vraiment : merci pour tes retours ! <3
Et je t'ajoute à la liste des aventuriers de ce pas ! Merci encore pour ton commentaire et c'est vraiment super cool si le concept te plait ! Et c'est tout à fait ça : je tiens à ce que cette fic puisse devenir un endroit convivial où vous ferez vos choix tous ensembles. On est là pour s'amuser avant tout B) Donc vraiment c'est trop trop cool !
Je souhaite de tout coeur de pouvoir mener ce projet à bien et j'espère tenir les gens en haleine !
Greenwich, tu as choisi le point de vue de Yüljet. À voter !
Gail23
Bienvenue sur cette fanfiction interactive, je suis ravi que le concept t'ai intrigué !
Merci beaucoup pour la lecture du prologue et tant mieux si les personnages t'ont conquise C'est toujours super cool d'accueillir une nouvelle aventurière, haha
Et j'espère que l'Eldarya plus sombre te plaira, tout comme les choix suivants ainsi que la suite de l'histoire !
On reverra Céleste et je note bien ton choix ! Il y aura également d'autres mécaniques plus tard dans l'histoire, comme des interviews de personnages et d'autres choses de prévues B)
Je t'enregistre dans la liste des aventuriers de ce pas et au plaisir de te revoir sur cette fiction ! (^_^)/<3
Gail23, tu as choisi le point de vue de Sheraz. À voter ! B)
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Ouh les vilaines
"En exhibant des richesses que la population des bas-quartiers ne peuvent que rêver d'effleurer." => "ne peut" puisque c'est la population
"Ils savent qui elle est. Même les Alfirin le savent. Et un jour, sa tête tombera" => il manque un ".", le vilain est partit en vacances !
"Deux mots tracés à la va-vite avec des lettres qui ont bravées." => "bavées" plutôt j'imagine ? X)
"À présent, il est temps de faire votre premier choix, et pas des moindre ! En effet, ce dernier vous suivre durant toute la fiction et il vous sera impossible d'en changer.
Alors réfléchissez bien !" => "va vous suivre" ou "vous suivra" ^^
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Caprix a écrit :
Tu veux la vérité ? La vraie de vraie ? Je veux pas choisir. J'veux le beurre, l'argent du beurre et la crémière (aka le point de vue de tout le monde, un triple-bisou de Céleste et tous mes chouchous en vie).
... On est pas chez les bisounours. Je sais. T-T
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Dernière modification par Minahla (Le 10-05-2021 à 05h40)
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Caprix
Mais quelle bonne surprise de te trouver ici ! Et ohlala mais ton enthousiasme me va droit au coeur, franchement un énorme merci à ton commentaire ! <3
Vraiment, se lever le matin avant de bosser pour te lire, ça met de bonne humeur toute la journée !
Et t'inquiète, ton âme ne sera jamais vendu au diable héhéhé B)
Tu as vu comme il est beau, mon topic ? On dit un immense "merci" aux artistes ! À Wounw qui a superbement travaillé pour ce header et à Maya, sans qui ce BBcode serait une horreur. x) Non franchement, des gens talentueux m'ont vraiment aidé pour que cette fiction puisse être agréable aux yeux des lecteurs !
Bien vu ! Le poème est bel et bien une prière, et elle prendra son sens au fur et à mesure de la fiction ! B)
Alors un immense merci pour les coquilles ! Comme je l'ai dit à d'autres personnes qui ont eu la gentillesse de relever mes erreurs, je vais prendre mes dispositions en faisant appel à un ou une bêta, ou bien en me prenant un logiciel de correction. Parce que je refuse que les lecteurs puissent être ennuyés par des imperfections x) Surtout que celles que tu as relevées, je ne les ai pas capté, parce que "braver" au lieu de "baver" quoi XD
Du coup, merci beaucoup, je les ai corrigées ! <3
Pour le prologue, franchement s'il t'a plu je suis vraiment content ! Merci pour mon style d'écriture imagé, car c'est vrai que c'est un petit peu mon dada ^^ Bon, c'est cool maiiiiiiiiis point trop n'en fait sinon c'est lourd donc tout est une question de dosage B)
En effet, je glisse des indices, des infos qui pour le moment peuvent paraître anodins mais je pense que vous finirez par les percevoir au fur et à mesure de la lecture !
Quant à la suite beeen… ça dépend de vous !
Rt OMG OMG ton enthousiasme fait tellement plaisir à voir quoi ! Ça motive de ouf à écrire et je n'ai qu'une hâte : montrer le chapitre 1 !
Parce qu'en effet : il y a encore tellement de choses à découvrir ! B) Et ton pavé est nickel ! <3
Alors concernant les choix et pour te répondre : non, tout n'est pas écrit d'avance car c'est impossible ^^ Les lecteurs, aka vous, avez bien trop d'impact sur le récit pour que tout soit écrit d'avance, surtout que selon certains choix, certains dialogues / scènes / situations sont écrits au millimètre près. Du coup, toutes les routes sont prêtes bien au chaud dans un doc et selon ce que vous faites, ben j'ai juste à les suivre pour écrire la suite. ^^
C'est 4 ans de boulot, M'dame B)
Hahaha c'est bien vrai ! Mais avec ce prologue, je voulais vraiment montrer que non seulement ça ne rigole pas, mais qu'en plus je ne vous propose pas de faux choix B)
Ahalala Cap' t'es méchaaaaaaante !!! Tu fais une égalité B) Bon plus vraiment maintenant vu que deux personnes ont postées après toi mais quand même !
Mais mais mais : tu as choisi ! Aller, ça part à voter !
Ceci dit et encore une fois : ravi de te voir ici, ton post m'a grave touché et bien sûr que je t'ajoute à la liste des aventuriers ! <3
Caprix, tu as choisi le point de vue de Sheraz. C'est à voter !
Kioku
Bienvenue parmi nous, Kioku ! C'est vraiment super cool de voir une nouvelle tête sur ce topic !
merci beaucoup pour mon header, l'artiste Wounw a vraiment geré et les personnages sont super bien mis en valeur ! Elle a vraiment fait du beau boulot ! B)
Alors certes, il y a beaucoup à lire c'est vrai, mais je devais vraiment expliquer les mécaniques de cette fiction afin que tout le monde puisse prendre ses marques dès le début. ^^ Enfin, je suis vraiment content que le concept t'intéresse et j'espère que ça te tiendra en haleine durant toute l'histoire !
Et c'est exactement ça !
Alors, bien entendu, je ne me targue pas de faire du GoT, mais disons que le ton de la fiction est plus mature et que les choix qui seront à faire en fin de chapitres ne seront pas de faux choix : vous aurez vraiment le sort de certains personnages entre vos mains et le tournant que prendra l'histoire ne dépendra que de vous ! Des indices seront, bien entendu, cachés dans les chapitres. B)
Hahaha, alors tu es partante pour la cage dorée et les complots ? Pas de problème ! Je note ! Et je note la référence du jeu aussi, je ne connaissais pas du tout et j'irai jeter un oeil à la démo B) Ça m'a l'air bien bien cool !
Et bien entendu : je t'ajoute à la liste des aventuriers de ce pas !
En tout cas merci beaucoup pour ton soutiens et ton commentaire, c'est super cool et ça motive de ouf ! <3
Kioku, tu as choisi le point de vue de Sheraz. C'est à voter ! B)
Minahla
C'est super cool de te voir ici, haha ! Ton commentaire m'a vraiment fait plaisir !
Merci pour Wounw qui est une artiste super talentueuse. Son travail est vraiment superbe sur ce header et franchement, qu'est-ce que j'en suis fier ! Je ne regrette absolument pas de lui avoir passé commande !
C'était super important que les lecteurs puissent avoir un bon visuel des personnages qui seront désignés comme narrateur, je pense que ça les aide vraiment à se projeter dans l'histoire. Et et bonne remarque : le "tu" a été choisi pour les raison que tu cites, car dans cette fiction, eh bien l'univers existe grâce aux choix des lecteurs, donc ils sont juste super importants !
Et merci pour ma présentation de fiction qui a mis mille ans à être fait car j'avais beaucoup de choses à dire XD
Haha et tant mieux pour Karenn et Lance, dans ce cas ! Et pour les bonnes bases héhé… on verra bien B)
Alors vraiment, merci pour tout ce que tu as dit sur le prologue ! Je suis tellement content de tes retours sur mon écriture car je réféchie à chaque mot que j'utilise, à chaque figure de style et à chaque image que je veux montrer. Vraiment, j'essaye de peindre des images avec des mots et récemment, je suis vraiment content d'utiliser des petites mécaniques comme ce que j'ai fait avec la foule, et il y en aura d'autres. ^^ Aussi, je sème des indices à droite et à gauche et à force, je pense que vous finirez pas les repérer. B) Donc un immense merci à toi, ton post et les autres m'avez donné le sourire pour la journée et c'est juste super cool ! J'ai hâte de vous poster la suite ! <3
Et du coup, ton vote va vers le petit Sheraz Alfirin ? B) Ok, c'est noté haha ! Pour l'instant, il mène la danse, mais nous ne sommes pas encore rendu à jeudi B) Et bien entendu, je t'ajoute à la liste des aventuriers de ce pas !
Minahla, tu as choisi le point de vue de Sheraz. C'est à voter ! B)
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Salutations,
C'est mon premier commentaire sur cette section depuis... uh, depuis mon inscription initiale en 2015 alors ça risque un peu confus et brouillon. Et plein de fautes aussi, pardon pour vos petits yeux camarades. o/
De même, n'étant pas familier à ce coin du forum, ses habitants et ses traditions, je me permet de piocher un peu sur vos commentaires pour savoir comment m'y prendre. °u° Merci de votre indulgence.
Dernière modification par ZuzoHyo (Le 10-05-2021 à 21h25)
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Corn
CORNETTE ! <3 <3 <3
Ceci étant fait, je m'en vais te dire que c'est vraiment super cool de te voir ici et je suis ravi que le prologue t'ai plus. Et oui ! Une troll ! On ne les voit pas assez, ces créatures et je trouve qu'elles sont trop souvent sous-estimés, alors j'avais décidé de les remanier pour ma fiction.
Et je note la ref de She-Ra car tu en avais déjà parlé, c'est vrai. B)
Et je note bien ton vote haha !
Corn, tu as choisi le point de vue de Yüljet. À voter ! B)
ZuzoHyo
Bon bonjour cher ami ! C'est super de te voir ici ! Merci beaucoup pour ton commentaire qui fait vraiment plaisir !
Alors déjà, aucun souci pour les fautes, nous ne sommes pas là pour juger : tout le monde en fait. x)
Tout d'abord, merci pour la présentation, mais surtout pour les artistes qui ont contribué à cette beauté ! Wounw a vraiment geré avec le header et MayaShiz, avec le BBcode sans quoi, ce topic ce présentation ne serait pas ce qu'il est.
Et pour le côté interactif haha… eh bien c'est vrai que je tenais réellement à ce que les choix des lecteurs aient un gros impact sur l'histoire. Parce que sur les jeux du genre ou les RP du genre, ce que je reprochais un petit peu, c'était qu'au fond, les chemins que l'on choisissait avec les choix finissaient par se rejoindre alors je n'avais pas vraiment l'impression d'avoir un impact.
Ici, c'est vrai qu'il y aura de la difficulté, mais je veux tenter le concept, afin que les lecteurs puissent batir une histoire unique avec leurs choix. Voilà voilà ^^ Et tout faire planter eh bien… c'est le risque, c'est vrai ^^ Mais des indices seront disséminés à chaque chapitre et vous aurez le temps de lire et de relire.
Mais bienvenue sur ce projet, c'est vraiment super cool ! Et merci beaucoup pour mon prologue, franchement si les premières lignes et cette mise en bouche t'ont conquis, tu m'en vois ravi ! J'espère que la suite sera à la hauteur en tout cas, et que les autres personnages qui apparaitront te plairont (il y en a un, c'est déjà sûr à cent pour cent, cela dit B)).
Merci encore pour ton super commentaire et je note bien ton choix !
ZuzoHyo, tu as choisi le point de vue de Yüljet. À voter ! B)
Nøra
Eeeeeeeeeeeh c'est tellement cool de te voir ici ! Bienvenue bienvenue !
Franchement tes éloges me vont droit au coeur et c'est juste super motivant pour la suite ! Je m'applique à écrire et ici, pour ce concept, il s'agit de choisir ses mots avec grand soin pour faire passer les émotions voulues, mais surtout, vous orienter avec subtilité vers le bon choix.
Je sais que je suis un amoureux de la poésie et des figures de styles, mais je fais quand même attention à ne pas alourdir le texte. Mais franchement si ça t'as plu, tu m'en vois plus que ravi !
Et merci pour Wounw et son header parce que mon dieu mon dieu ! Son travail est magnifique et je ne pouvais pas souhaiter mieux pour illustrer Apotheosis !
Puis pareil, qu'aurait été la présentation du topic sans l'aide de MayaShiz et de son superbe BBcode ? Pas grand chose oulala XD
Et je te remercie pour le début de ma mise en page ! J'aime beaucoup ce genre de petite mécani
Mais sinon, aucun problème pour le prologue, le but de la manoeuvre, c'était surtout de poser une scène ainsi que la dualité entre Sheraz et Yüljet ^^ En fait, il est comme la double-page d'un livre d'images et il a surtout servi à vous laissez décider du narrateur, puisque c'est le choix qui est proposé à la fin. Les chapitres suivants seront plus dynamiques et plus aisé à suivre je pense. ^^ Là, c'est l'ambiance qui devait dominer.
Mais ne t'en fais pas va, je suis loin d'être un auteur pro alors je peux commettre des erreur et pas toujours être adroit, pour ça, les remarques sont les bienvenues.
Et par contre une chose de sûre : les chapitres seront faits pour être relus, car ça participe au concept héhéhé B)
Et je note bien ton choix bien entendu !
Nøra, tu as choisi le point de vue de Yüljet. À voter !
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J'éprouve de la difficulté à lire les chapitres, sont-ils accessibles et je suis nulle, ou ne sont-ils pas encore disponibles?
Je suis perdue, mais tellement intéressée par ce que ce beau projet semble promettre!
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Dernière modification par Aespenn (Le 14-05-2021 à 05h55)
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Fawkes hésitera. Il sera encore en pleine réflexion intérieure quand Yüljet requêtera son avis.
Il dira que de prime abord, il est plutôt d'accord avec Sexta. Que les histoires des riches appartiennent aux riches et qu'ils ne gagneront rien de bon à vouloir s'en mêler.
Mais... il soupirera et oscillera la tête pour admettre aussi et surtout qu'on ne choisi pas où on naît. Ils ne peuvent refuser un tel appel à l'aide. Qu'importe s'il s'agit d'une ruse pour les piéger. A eux d'être plus rusés encore, et ça, il SAIT que c'est dans les cordes de Cartel.
La Capitaine ne lui fait pas peur. Il ne diminue pas ce qu'elle est, loin de là. Mais s'ils devaient renoncer à toute entreprise parce qu'ils sont paralysés par la peur, alors autant démanteler le Cartel dès aujourd'hui.
Il tendra la main vers Céleste pour la laisser lui renifler les doigts et lui effleurer le menton (sans oser la caresser pour autant) et lui demandera "Tu veux qu'on fasse sortir ton maître de sa cage dorée, toi ?"
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