S e s c h e v e u x s o n t p l u s n o i r s q u e l a p l u s n o i r e d e s n u i t s ,
E t s e s y e u x d e l a g l a c e o n t l e r e f l e t b l e u t é .
Koja Oretsev
Perché sur les dernières branches encore capables de supporter son poids, Koja s'étire le plus possible, jusqu'à parvenir, du bout des doigts, à se saisir du dernier fruit de la Lune Rouge. Précautionneusement, il le glisse dans sa besace bien remplie avant d’entamer la descente de l'arbre dans lequel il est grimpé. Prenant grand soin de ne pas abîmer ses précieuses denrées, le jeune chat se laisse pendre de branche en branche, sa queue en balancier, jusqu'à atteindre la terre ferme. Une fois en bas, il retrouve le sentier qui serpente dans la forêt et prend la direction du village.
Lorsque les premières tuiles bariolées sont visibles entre les arbres, Koja presse le pas, heureux d'être de retour. De gros nuages noirs s'amoncellent au dessus de sa tête et il a craint d'être pris par l'orage qui s'annonce. Alors qu'il s'apprête à rentrer dans son atelier, une voix l'interpelle :
- Oretsev, enfin tu es de retour ! Où étais-tu passé, je t'ai cherché partout ?
- Hé bien dame Mérésis, je vous ai tant manqué que ça ? s'exclame-t-il un sourire aux lèvres.
- Ne raconte pas de bêtises, jeune sot, maugrée la lycanthrope. J'ai des nouvelles pour toi, que je t'aurais transmises ce matin si tu n'étais pas parti vagabonder avant le lever du soleil.
- Je ne vagabondais pas, rétorque le Brownie tout en pénétrant dans son atelier, la doyenne sur ses talons, je récoltais des fruits de la Lune Rouge qui ont mûrit durant la pleine lune hier soir. Vous savez aussi bien que moi que ma mère m'en aurait voulu pendant des semaines si je n'avais pas profité de l'occasion, alors que les lunes rousses sont si rares.
- Oui, oui, d'accord, s'impatiente-t-elle tandis qu'il pose les fruits sur la table de l'officine, mais écoute plutôt ça : la Garde d'Eel a bien reçu ma missive, et ils nous envoient deux émissaires qui devraient arriver bientôt. Peut-être même aujourd'hui, vu le temps qu'à mis mon pauvre Draflayel à rentrer de la Cité...
- Aujourd'hui ! Enfin Mérésis, pourquoi ne me l'avez vous pas dit plus tôt ?
- Comment ?! C'est un peu fort jeune homme, tempête la vieille femme, d'oser me dire ça alors que-
- Je plaisante, je plaisante ! rigole Koja en levant les mains, comme un voleur pris sur le fait. Merci de m'avoir prévenu. Vous devriez rentrer chez vous maintenant, avant que l'orage n'éclate.
- Tsss ! Je ne suis pas en sucre.
- Peut-être, mais vous savez comme moi que je suis le seul guérisseur actuellement disponible et ma formation est bien loin d'être terminée, alors si vous pouviez éviter de tomber malade, j'en serai ravi.
La vieille louve-garou lève les yeux au ciel :
- Tes âneries auront ma peau bien avant un rhume, Oretsev ! Mais soit, puisque tu me mets à la porte... Une dernière chose, ajoute-t-elle avant de sortir, si jamais les émissaires arrivent ce soir, conduis-les à l'auberge, j'ai fait préparer des chambres pour eux.
- Je n'y manquerais pas. Bonne soirée à vous, dame Mérésis.
Une fois la doyenne sortie, il retourne à son plan de travail, et s'attelle à mettre en stock les fruits de la Lune Rouge.
A peine quinze minutes plus tard, l'orage éclate et des trombes d'eau s'abattent sur le village.
⬪
Koja finit de nettoyer la table tandis que dehors, la pluie ne s'est pas calmée.Il pousse un soupir en jetant un regard par la fenêtre ; malgré la faible distance séparant l'atelier de la maison, où l'attend son frère Nelio, il aura largement le temps d'être trempé jusqu'au os et la perspective ne le réjouis pas. Sans autre alternative, il attrape une pèlerine et en rabat la capuche, se préparant à braver les éléments. Mais alors qu'il ouvre la porte, il discerne un bruit couvert par le déluge, que seule son ouïe féline lui permet de capter : un martellement de pattes sur le sentier boueux.
La Garde d'Eel !
Le Brownie se précipite dehors et court à la rencontre des deux silhouettes encapuchonnées, juchées sur des Shau'kobows, qui se dessinent à l'entrée du village.
- Suivez-moi ! crie-t-il pour que sa voix couvre la tempête, et il presse le pas en direction de l'auberge, les émissaires sur ses talons.
L'étable sommaire accolée à l'auberge, où les guide Koja, leur offre enfin un peu de répit. Dans la pénombre, les deux gardiens descendent de leurs volatiles et le jeune homme les aide à attacher les longes.
- Venez vous mettre au chaud, on vous a fait préparer des chambres, offre-t-il en ouvrant une petite porte de l'étable, donnant directement sur la salle commune.
- Merci beaucoup, lui répond une voix féminine, je rêve d'un repas chaud !
- Et moi d'une nuit dans un vrai lit, renchérit la deuxième personne, une gardienne elle aussi. Il ne distingue pas leur visage, toujours enfouis sous une capuche, mais la première voix lui semble vaguement familière, sans qu'il ne puisse mettre le doigt dessus. Il secoue la tête, chassant cet étrange sentiment de "déjà-entendu", et entre dans l'auberge à la suite des deux femmes.
Une fois à l'abri, Koja dégrafe sa cape, tandis que les deux gardiennes rabattent leur capuchon. Il les observe, dos à lui tandis qu'elles contemplent l'aménagement de la salle : la plus grande, celle à la voix familière, révèle une chevelure noire tandis que sa camarade semble plus brune. Toutes deux ont les cheveux plaqués par la pluie qui laissent entrevoir des oreilles pointues. Tout en accrochant son vêtement au porte-manteau, il leur lance :
- Si vous avez faim, je peux aller chercher la tenancière, elle doit être dans sa cuisine.
- J'aimerais beaucoup, si cela ne vous dérange pas, lui répond la femme aux cheveux noirs en se tournant vers lui.
Mais alors qu'il la dévisage, ses yeux verts, ses tâches de rousseur et son sourire chaleureux, Koja blêmit :
- Syln ?
L e p o u v o i r d e l a n e i g e a u c r e u x d e s a m a i n l u i t ,
E t l e s f l o c o n s s ’ é l o i g n e n t p a r l a m a g i e c h a s s é s .
Dernière modification par Syln (Le 19-10-2021 à 23h16)