Participation événement juillet
Il y a des journées qu’on ne peut jamais oublier. Cette journée est l’une d’entre elles. A chaque fois que l’on se rapproche de mon anniversaire, je ne peux m’empêcher de me remémorer ce jour où j’ai cru perdre la raison, pour la première fois.
Je me rappelle… C’était à l’aube de mes 14 ans. Lorsque Verom et Nauplie étaient encore de ce monde, peu de temps avant leur assassinat par ces enfl… Du calme, Leiftan. Il faut que je me contrôle.
Tout avait commencé par une simple partie de faeryball.
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« LEIFTAN, attrape ! »
Kodan venait de me lancer la balle. Il était rapide, son tir était précis mais manquait de force, comme d’habitude. Je réceptionnai la balle et essayai de progresser vers le but, me faufilant entre nos terribles adversaires. Puis, deux assaillants se mirent en travers de mon chemin. Bloqué, je n’eus d’autre choix que de faire une passe à un autre coéquipier à ma droite. Malheureusement, celui-ci ne réussit pas à l’attraper, et les ennemis reprirent l’avantage. Ils coururent à une vitesse folle de l’autre côté du terrain, prêts à marquer contre nous. Mon équipe mettait toute son énergie pour leur barrer la route. Puis tout s’accéléra. Une passe. Un ennemi a la balle. Il s’avance. S’apprête à frapper. Kodan s’interpose. BAM ! Le corps de mon meilleur ami fut frappé de plein fouet et s’effrondra sur le sol.
« Merde, Kodan ! »
La partie s’arrêta et je m’empressai de rejoindre mon ami qui était tombé dans les vapes, suite au choc. A part quelques rires moqueurs, tous les autres adolescents étaient désemparés. Il fallait que j’agisse, je devais prendre soin de lui.
« S’il vous plaît, aidez-moi à le soulever, je vais le ramener chez ses parents. »
A l’aide de quelques coéquipiers, Kodan fut relevé.
« Ca va aller pour le porter, Leiftan ? Tu veux pas que je t’aide ? » Me demanda une copine, inquiète.
« Non ça va, t’inquiète pas, je connais bien le chemin. Merci quand même ! »
Je passai mon épaule sous son bras pour mieux le tenir, et commençai à m’éloigner lentement du terrain, en direction du village. Au bout de quelques minutes de marche, je jetai un coup d’œil derrière moi. J’étais à l’abris des regards. Enfin ! Il était temps d’arrêter de jouer la comédie.
Je positionnai Kodan, toujours inconscient, sur mes épaules. Je me mis à courir pour atteindre plus vite la maison de ses parents. Les loups garous avaient beau être réputés pour peser lourd, c’était un poids plume pour moi. J’avais toujours été doté d’une force extraordinaire, même pour un faelien. Cependant, je ne voulais la révéler à personne, pas même à mes parents adoptifs, Verom et Nauplie. Cette force grandissait d’années en années. J’étais anxieux à l’idée de ne plus la maîtriser, mais en même temps, à qui en parler ? Qui me comprendrait ? Tout ce que je savais, c’est que mes pouvoirs ne ressemblaient en rien à ceux des Lorialets. Je redoutais que les autres élèves de l’école comprennent que je n’étais pas le fils biologique de ma famille.
Enfin, j’arrivais devant la maison de Kodan. Alors qu’il ne me restait que quelques pas à faire, mon meilleur ami commença à revenir à lui. Il murmura quelque chose.
« Attend… non… la maison… pas… envie… »
« Non ? Tu veux pas rentrer à la maison ? »
« Non… »
Intrigué, je posai délicatement mon ami sur le sol, contre un arbre, puis m’assis à côté de lui. Nous étions à deux pas de sa maison. Le soleil régnait dans le ciel, nous faisant baigner dans sa lumière.
« Tu as eu un choc. Tu t’es pris la balle de plein fouet au match. Il faut qu’ils te soignent. »
Kodan eut un rire nerveux et grimaça. Il porta une main à sa tête, sûrement très douloureuse.
« Me soigner… bien sûr... »
Je ne comprenais pas. Il avait l’esprit embrouillé, mais visiblement ne souhaitait pas rentrer chez lui. Je me dis alors que je devrais peut-être lui administrer les premiers soins, comme on nous l’a appris à en classe de survie. Je saisis mon sac, resté dans mon dos jusqu’à présent, puis me mis à fouiller dedans. Je cherchais n’importe quoi qui servirait de matériel médical… Mais rien. Je ne connaissais aucun sort de soin non plus. Je n’avais que de l’eau et un goûter que m’avait préparé Verom. J’hésitai un instant, avant de les sortir du sac.
« Je pense qu’il faut que tu reprennes tes esprits. Tiens, j’ai de l’eau à la fraise pistachée et des crêpes au lait de Moogliz. » Dis-je en lui tendant le tout.
Il me fit un sourire crispé par la douleur et accepta de boire et de manger un peu. Il y eut un moment de silence, jusqu’à qu’il finisse sa crêpe et prenne la parole.
« Merci… Écoute, j’ai peur de… de rentrer chez moi. Ça va te paraître bête mais en fait, mes parents vont sûrement m’engueuler et je veux éviter ça. »
Ses mots m’étonnaient. Qu’est-ce que ses parents pourraient bien lui reprocher ?
« Ce n’est quand même pas de ta faute si tu t’es pris la balle lancée par quelqu’un d’autre ! Viens avec moi, je vais leur expliquer et tout ira bien ! »
Sur ces mots, je commençai à me lever, mais Kodan mis son bras devant moi pour me gêner et me faire me rassoir.
« Non ! Tu comprends pas. J’ai toujours évité de t’en parler. Je voulais que personne sache. »
C’est alors que mon meilleur ami commença à pleurer toutes les larmes de son corps. Toujours adossé contre son arbre, il se recroquevilla, serrant ses genoux contre son torse. J’étais si ému que je senti une chaleur familière grandir dans ma poitrine. J’avais l’impression de ressentir une partie de ses émotions. Alors, je décidai de le prendre dans mes bras.
« Raconte-moi, si tu veux, je t’écoute… »
Kodan reniflait bruyamment et essuyait maladroitement ses larmes avec les manches de sa chemise. Puis, lui qui était si pudique et toujours habillé de longs vêtements, commença à relever ses manches, comme pour me montrer quelque chose. C’est alors que j’aperçu des ecchymoses, comme s’il avait été saisi violemment. La flamme en moi commença à s’intensifier. Kodan ne s’arrêta pas là. Il ouvrit sa chemise et me montra des marques sur son ventre, sur sa poitrine. Des lieux choisis méticuleusement, faciles à cacher par des habits. Plus je comprenais qui étaient les coupables de telles blessures, plus mes émotions devinrent hors de contrôle. Ma poitrine me brûlait, et deux points commençaient à frémir dans mon dos.
« Je vais les faire payer… Comment peuvent-ils… »
Ma voix était tremblante mais effroyablement froide et déterminée. Je sentis Kodan frémir. Il n’avait sûrement pas l’habitude de me voir dans cet état. Je n’avais qu’une envie, rendre visite aux parents de Kodan pour leur exprimer mon dégoût, mon mépris et ma colère. Mes mains devinrent elles-aussi brûlantes tandis que je sentais mon t-shirt se déchirer dans mon dos.
« Leiftan… tu… des ailes ? Qu’est-ce que ? »
Tant pis si mon ami découvrait ce secret que je m’efforçais de cacher. Visiblement, lui aussi avait un secret, un secret bien plus grave. Je n’avais que 13 ans, mais j’étais fort, je le savais. A cet instant, j’étais persuadé de pouvoir punir toute personne faisant du mal à ceux que j’aime. Alors que je m’approchais d’un pas décidé vers la maison de Kodan, j’entendis des voix plus que familières.
« Leiftan ? Que se passe-t-il ? »
C’était Verom et Nauplie. Soudain, ma rage fit place à de l’effroi. Non, non, non, personne ne devait me voir comme ça ! Surtout pas eux ! Je jetai un coup d’œil à mon ami. Verom était penché au-dessus de lui pour l’aider et le soigner. Mais Nauplie, elle, posait son regard sur moi. Un regard infiniment doux, mais aussi rempli de chagrin. Je ne pouvais pas le supporter. De toute façon, mon ami était désormais en sécurité. Alors, je pris mes jambes à mon cou, comme un lâche.
Je couru jusqu’à me réfugier plus loin, au bord d’une falaise qui surplombait le village. Je m’effondrai contre un rocher, à bout de souffle, le regard perdu dans le vide. C’est en m’appuyant contre celui-ci que je pris pleinement conscience de mon état. J’étais encore métamorphosé.
« Aïe. »
Je m’étais étalé sur le dos, écrasant alors mes ailes. Elles étaient si grandes, personne n’avait pu les ignorer. Cela voulait dire que mes parents et mon meilleur ami étaient désormais au courant. Je n’étais même pas capable de me contrôler, c’était de pire en pire.
Alors que je m’abandonnais à mes idées noires, Nauplie me rejoignit. Je n’avais plus la force de lutter. De toute façon, c’était trop tard, elle savait tout. Elle s’assit en face de moi et me prit tendrement la main.
« Mon fils… N’aies pas peur… »
« Mais je suis un monstre, maman ! Tu ne devais pas le découvrir ! Jamais je n’ai vu de pareils pouvoirs, à part dans les livres qui parlent d’êtres maléfiques. Alors c’est ça, je suis un daemon ?? JE REFUSE !!! »
J’avais crié ces derniers mots, hors de moi. Alors, de ma main s’échappèrent des volutes noires, semblables à une brume épaisse. J’étais effrayé par ce que produisait mon corps, terrifié par mes émotions si violentes.
« Essaie de te calmer, mon fils. Je sais que tu en es capable. Tu n’es pas un monstre. Tu es Leiftan, un jeune homme unique, mon enfant adoré. Et ne t’inquiète pas, Verom et moi sommes au courant depuis bien longtemps pour ta véritable nature. »
Elle me fit un sourire si sincère que je su qu’elle disait la vérité. Comment avait-elle deviné ? Je n’en avais aucune idée. Mes pensées étaient si brouillées qu’il m’était impossible de réfléchir. Toutefois, je me senti soulagé. Seule ma chaleur intérieure continuait de me brûler et de m’étouffer. Je passai alors une main sur mes longues ailes qui reposaient de chaque côté de mon corps. J’aperçu des plumes noires qui parsemaient mon plumage, habituellement d’un blanc étincelant. C’était pire que ce que je pensais.
« Si, je suis un monstre… J’ai des plumes noires, comme dans les livres d’histoire… »
« N’écoute pas ces vieilles légendes perpétuées par les fenghuangs. Tu n’es pas un monstre. »
Face à ma mine perplexe, Nauplie continua.
« Ne t’inquiète pas, mon fils. Le bien et le mal résident en chacun de nous. Là où tu vois une plume noire dans un plumage blanc, je vois au contraire une infinité de nuances. »
Je n’arrivais plus à arrêter le flot de mes larmes. Tandis que la femme que j’aimais tant me serra dans ses bras, je me mis à pleurer de plus belle. Nauplie poursuivit alors son tendre monologue tout en caressant mes cheveux d’une main.
« Ne te fie pas à la simple couleur de tes plumes. Qu’elles soient noires ou blanches, elles ne changeront jamais qui tu es réellement. Tes émotions sont fortes, mais pas forcément mauvaises. Tu es capable de faire le bien, comme de faire le mal. Ce choix n’appartient qu’à toi. Tu es bien trop jeune pour te torturer l’esprit ainsi… A mes yeux, tu es et seras toujours mon plus précieux cadeau du ciel, mon petit ange. Verom et moi t’aimerons et te protégerons toujours. Nous ferons tout notre possible pour t’apprendre à maîtriser tes pouvoirs. Alors, je t’en prie, détache-toi des légendes que tu as pu lire, ne soit pas aussi dur avec toi-même. Laisse-nous t’aider. »
Suite à ces mots, je m’endormi peu à peu dans les bras de Nauplie, vidé de toute énergie et l’esprit saturé de questions.