Bien le bonjour collègues Nevr’appâts !
Avant toute chose, je tiens à remercier Ahekida pour avoir partagé son œuvre. Mamamia ! Ce vampire est à croquer.
L’épisode 15 est également sorti et je n’ai même pas pris la peine d’en parler ! Honte à moi.
C’est un brin plus positif que les avis précédents
Moui, comme l’indique le titre de ce spoil, j’ai été un peu plus ravie de cet épisode. Depuis le temps que l’on attendait un quelque chose sur Nevra. Ça fait beaucoup de bien. Quel dommage, pourtant, que ça n’arrive qu’à l’épisode 15 sur les 20 de prévu. Et puis, avec du recul, il est vrai qu’il est intéressant de se demander la raison pour laquelle nous avons passé ce premier épisode à déblatérer avec un fou. Les dialogues ont été intenses et dynamique, oui, mais encore une fois, ça a été beaucoup de blabla pour pas grand-chose. Si, à la rigueur, on avait pu douter de la réussite de la mission, mais tout est, comme d’habitude, prévisible. Mais bon, je souffre peut-être d’un accès de George R.R. Martin. Lui, pour le coup, il est imprévisible.
J’ai trouvé intéressant aussi que Nevra remette en question la légitimité de la garde. Enfin un moment où le personnage est doué d’une véritable réflexion. Reste à savoir s’il s’agissait uniquement d’un dialogue bouche-trou ou s’il va véritablement amené à une problématique intéressante. Pour le savoir, bien sûr, il faut continuer. Donc on se retrouve au prochain épisode pour une chronique fouillie de Cayline xD.
Ensuite, à l’occasion de notre bonne vieille fête d’Halloween, j’ai décidé d’écrire une petite histoire en quatre partie avec notre vampire adorée
et mon OC.Je ne vais peut-être pas publié les quatre partie d’un coup. Déjà parce qu’à l’heure actuelle la quatrième partie n’est même pas encore rédigée. Je vais plutôt vous partager ça sur les quatre jours qui vont suivre (oui, ça va faire de la lecture et alors ?!!) Voici donc la première partie.
Edit du 25/10:Bon, finalement, cette histoire se fera en cinq parties. Bonne lecture les loulous!
01- L’ouverture des portes
D’un pas pressé, le vampire traversa le couloir et la salle des portes. L’air frais de l’automne, lui caressa le visage aussitôt qu’il passa la porte. Le marché s’endormait petit à petit. Les derniers autochtones prenaient la direction de leur demeure. Tous, sans exception, étaient gagnés par la tourmente. Et à raison.
Comme chaque année, en cette période, un autre monde s’ouvrait sur les terres d’Eldarya. Une terre sans soleil, emplit de créatures majoritairement dangereuses pour n’importe quel novice. Un territoire uniquement arpenté par les gardiens les plus émérites ou les plus courageux.
À en juger par la hauteur de l’astre lunaire, le vampire put, sans mal, deviner qu’il serait en avance. Il avait donné rendez-vous à l’écurie à son unique recrue. Si aussi peu de nouveaux membres de l’ombre s’étaient portés volontaire, la faute revenait à leur chef. Il avait, peut-être, exagéré légèrement les traits de la contrée d’Halloween. Une manière de juger du courage de ses nouvelles recrues.
Une personne sur douze. C’était bien trop peu pour cette première excursion. Les portes de la contrée se refermeraient dans une quinzaine de jour. D’ici là, les pleutres devront s’y rendre ou partir. Il était hors de question que les nouvelles Ombres soient dépourvues de vaillance. Mais pour le moment, il se contenterait de son unique volontaire.
Une faible lumière était visible par la fenêtre des écuries, laissant danser quelques ombres des montures qui s’y trouvaient. Mais parmi ses silhouettes, se détachaient celle d’un être bipède féminin, à en juger par les atouts projetés par la lumière. Le doute s’immisça dans l’esprit du vampire. Était-il finalement en retard ? En poussant la porte de l’étable, ses doutes s’intensifièrent. La jeune femme avait déjà harnaché sa monture. Un impressionnant équidé à la robe corbeau et aux yeux azur. Son arrière patte gauche atrophiée n’enlevait rien de sa superbe. Au contraire, cela le rendait plus impressionnant encore. Achille – car tel était le nom de ce familier – était un Morvac’h propre à Aeruisce et la fierté de sa propriétaire qui flattait son museau et lui murmurait des mots doux.
L’arrivée du vampire l’interrompit. Elle posa son doux regard ambré vers son chef de garde et afficha un petit sourire en coin.
-Vous êtes en retard, chef.
-Ou bien, tu es en avance, répliqua le jeune homme de sa voix légère. J’avais donné rendez-vous à minuit.
-Je voulais préparer Achille à notre excursion avant notre départ, justifia la jeune femme en se tournant à nouveau vers sa monture.
Nevra ne trouva rien à redire et s’attela à harnacher son Shau’kobow. Contrairement à Achille, son familier était beaucoup moins impressionnant. À vrai dire, n’importe quel familier faisait pâle figure à côté d’un Morvac’h. Ils étaient aux nombres de trois, depuis l’arrivée de Cayline et de ses deux compères. Et depuis, ils avaient jetés comme une sorte d’ombre sur les autres. Même les rares Rawist qu’une petite poignée avait réussi à dompter. Mais les Shau’kobow étaient des montures rapides et indéfectibles.
Pourtant, le sien se montrait récalcitrant. Il ne cessait de bouger chaque fois que le vampire tentait de lui attacher sa selle et cherchait à le mordre dès qu’il lui présentait les rênes. Son coup de grâce fut lorsque que Shaïtan – la black gallytrot du vampire – se glissa dans les écuries. Comme surpris par l’arrivée soudaine du canidé, le Shau’kobow s’était tout simplement cabré, manquant de peu le visage du vampire agacé tombant sur la paille. Cet esclandre provoqua un vent de panique dans les box avoisinant. Les montures hennirent, blatérèrent, piaillèrent, jusqu’à ce qu’un hennissement plus sonore se fit entendre par-dessus ce capharnaüm. Dans son langage propre, Achille venait de demander le calme et le silence. Il fut obéit.
Nevra se releva, dépoussiérant ses habits tandis que Shaïtan venait à ses pieds pour se frotter contre ses jambes. Le vampire poussa un soupir irrité. Sa monture s’était réfugiée au fond du box, assise, déterminée à ne pas coopérer. Le plus agaçant dans tout cela, c’était que sa recrue était témoin de son incapacité. De son unique œil valide, il jeta un regard en coin. La jeune femme s’approchait, non sans cacher son rire moqueur et cristallin. Nevra se sentit rougir de honte.
-Visiblement, il n’y a pas que les autres recrues qui refusent de partir en excursion ce soir, dit-elle.
-Je n’ai pas anticipé le fait que cette nuit serait particulièrement difficile également pour nos montures. Les portes de la contrée d’Halloween ne sont pas au goût des Shau’kobow.
-Je crois qu’elles ne le seront pas, également, pour Achille, mais je l’ai préparé. Si vous le souhaitez, nous pouvons faire le voyage ensemble.
La proposition étonna le brun. Il n’était pas tout à fait certain de comprendre ce que Cayline lui proposait, mais le regard de la jeune femme lui confirma ses craintes. Elle lui proposait de monter avec elle sur son Morvac’h.
-Non, ça ira, je vais y arriver, répondit-il en feignant un sourire bien trop confiant. Ce n’est pas un Shau’kobow qui va commander, tout de même.
Pour toute réponse, la monture poussa un piaillement sec à l’image de sa détermination. Elle refusait de partir. Et pour ne laisser aucun doute, elle se leva pour tourner le dos au vampire, avant de se rallonger dans sa paille. Nevra soupira. Shaïtan, à ses pieds, poussa un couinement plaintif. Les oreilles en arrière, le regard tourné vers son maître, elle semblait lui supplier d’accepter l’offre de l’olympienne. La Black Gallytrot était l’une des rares de son espèce à apprécier la contrée d’Halloween. Chaque fois qu’il partait, Nevra l’emmenait pour la laisser gambader à travers la forêt, les ronces et les champs de citrouilles. Elle menait son excursion seule, mais revenait toujours vers son maître quand celui-ci partait, la gueule remplit de cadeaux. Elle était impatiente de passer les portes de la contrée, bien trop en tout cas, pour attendre que Nevra daigne convaincre un Shau’kobow entêté.
Le vampire prit un temps pour examiner la situation, à la recherche d’une solution de secours. Mais il ne trouva rien qui pouvait le sortir de là. Il ne pouvait pas prendre une autre monture sans demander l’autorisation aux propriétaires et la plupart dormaient déjà. De plus, la lune continuait son ascension. Ils devaient se hâter, s’ils ne voulaient pas manquer l’ouverture des portes. C’était un événement impressionnant qui pouvait également s’avérer dangereux si jamais des créatures de la contrée s’y trouvaient juste derrière. C’était pour cette raison que Nevra avait été envoyé. Il pouvait, sans mal, accomplir cette mission, seul. Il avait simplement décidé de réquisitionner ses nouvelles recrues pour un petit stage sur les terres d’Halloween. Explorer, sécuriser et déceler le moindre danger au cours des quinze jours à venir. Tel était le but de cet apprentissage à ses côtés. Du moins, il fallait encore réussir à convaincre les onze autres de venir à la prochaine exploration. Pour l’heure, il devrait se contenter de Cayline et de sa monture.
Un dernier couinement de son familier le décida à se ranger à cette uniquement solution. Il laissa échapper un soupir avant de signifier, d’un geste de main, qu’il suivait la cavalière. Cette dernière sourit et demanda au Morvac’h de la rejoindre. Elle lui attrapa les rênes et sortit des écuries, précédée du vampire et de son Black Gallytrot. À l’air libre, Shaïtan se montra plus impatiente encore, tournant autour d’Achille et des deux jeunes gens qui s’apprêtait à le monter. Cayline n’eut pas le moindre mal à se hisser sur son dos. Elle ne lui avait pas mis de selle. Nevra comprit que pour ce voyage, il faudrait monter à cru. Il attrapa la main que lui tendait l’olympienne et se hissa derrière elle, tandis qu’elle ajustait correctement ses rênes.
-Tu es sûre que ton Morvac’h pourrait tenir avec deux personnes sur son dos ?
-Achille a déjà porté bien plus lourd. Et puis vous avez dit qu’il n’y avait pas beaucoup de distance entre la cité et les portes. Il pourra tenir.
En guise de réponse, l’équidé secoua sa longue crinière nocturne et tapa du sabot. Lui aussi s’impatientait. Bien assise à côté de lui, Shaïtan attendait que le Morvac’h se mette en route, sa queue volatile laissant une trace légère dans l’herbe. Cayline ordonna à Achille de se mettre en route. D’un pas tranquille, il transporta les deux cavaliers jusqu’aux portes qui s’ouvrirent. Une fois dans la plaine, Cayline ralentit un peu son pas et tourna sa tête pour s’adresser à son supérieur.
-Vous devriez vous accrocher.
Jusqu’ici, Nevra se tenait à peine. La force dans ses jambes lui suffisait largement. Il n’eut pas d’autre choix que de s’accrocher à la taille de sa recrue lorsque cette dernière, sans attendre de réponse, commanda à Achille de se mettre au galop. L’accélération avait été rapide, pour le plus grand plaisir de la black Gallytrot qui aboya de plaisir sans laisser la monture la devancer.
D’abord, mal à l’aise, la nature séductrice du vampire reprit bien vite le dessus. Il était rarement celui que l’on conduisait, mais il commençait à en prendre goût. Tandis que la cavalière menait le chemin, le vampire avait tout le loisir de humer l’odeur de ses cheveux et de sa peau. Ses mains pouvaient caresser ses hanches sans que cela ne soit indécent – il ne faisait que s’accrocher, pour ne pas tomber – et lui chuchoter quelques mots de sa voix douceâtre. Des instructions sur le trajet, évidemment, mais chaque fois qu’il se rapprochait de son oreille, Nevra pouvait sentir Cayline frissonner de plaisir. Son dos se cambrait, sa respiration se faisait plus profonde.
Si, dans un premier temps, l’olympienne s’était amusée de la situation, elle commençait gentiment à regretter son offre. Le vampire lui faisait de l’effet, à n’en point douter et elle n’arrivait pas à le lui dissimuler. Son bas-ventre la brûlait tandis que les mains agiles du vampire caressaient subtilement ses hanches, descendant parfois un peu trop, sous couvert d’un mouvement de rein trop prononcé. Elle devait rester concentrée.
La cadence d’Achille se fit plus lente. La forêt devenait plus dense, plus escarpée.
-Prends le chemin de droite.
Difficile de taire le frisson qui lui parcourut l’échine. Sans le voir, Cayline pouvait entendre son supérieur sourire. Elle ne voulut user d’aucun mot, préférant feindre l’ignorance. À la place, elle s’exécuta, obéissant passivement au vampire. Ils débouchèrent sur une clairière éclairée par la pleine lune. Dans les jours à venir, cette dernière rougirait, déposant un voile de plus en plus inquiétant sur l’herbe silencieuse, rendant le chant des feuilles des arbres aux alentours bien plus effrayant qu’il ne l’était.
Ils arrivèrent juste à temps. D’un bruit assourdissant, des portes se dessinèrent au milieu de la clairière. Elles étaient gravées de silhouettes inquiétantes à travers lesquels des cris plaintifs semblaient provenir à mesure que les battants s’ouvraient.
Le jeu du vampire cessa rapidement. Il laissa Cayline sur son Morvac’h, encore magnétisée par ses caresses. La fraîcheur qu’il laissa subitement dans son dos réveilla l’olympienne de son état second. Déjà, Nevra l’attendait devant la trouée qui se dessinait, un sourire malin aux lèvres, fier de l’état dans lequel il avait mis la jeune femme. Elle papillonna des yeux, se réveillant entièrement puis descendit de sa monture, lui ordonnant de ne pas bouger d’ici. D’après les informations du chef des Ombres, ils seraient revenus avant le lever du jour. D’ici là, Achille était libre de se repaître, de se reposer, de gambader, du moment qu’il serait présent au moment de leur retour. L’équidé s’allongea dans l’herbe, préférant prendre, d’abord un peu de repos. En guise de remerciement pour ce moment ensemble, Shaïtan vint lui apposer un petit coup de truffe sur son museau avant partir au pied de son maître.
En se tournant vers Nevra, Cayline afficha un regard sévère. Pas question de le laisser continuer à jouer de la sorte avec elle. Il ne l’aurait plus. Elle se dirigea vers lui. Le message était entendu, mais il ne serait peut-être pas respecté. Du moins, le vampire ne pouvait pas le garantir. Il tendit sa main dans la direction de la jeune femme, l’invitant à la saisir.
-Tu es prête ?
Cayline hésita. Elle l’était, bien sûr, mais était-il raisonnable de saisir la main de son supérieur après son silencieux message ? Son corps tout entier mourrait d’envie de le sentir encore, même si ce n’était qu’à travers sa main. Elle se mordit la lèvre et regarda Nevra. Il laissa passer un bout de sa langue sur ses lèvres avant de sourire avec malice.
-Je te parle bien sûr d’explorer la contrée, rien de plus.
Menteur, pensa l’olympienne.
Cependant, elle céda à la tentation et glissa sa main dans la paume du vampire. Elle se laissa guider à travers la trouée, resserrant un peu plus leur étreinte manuelle lorsque son corps tout entier passa de l’autre côté.
02-Le village des Damnés
Il n’y avait pas l’ombre d’une vie dans le village. Les maisons, toutes faites de bois, étaient éventrées ici et là. Des volets tenaient aux fenêtres par un mécanisme trop fragile qui laissait le vent s’amuser avec les panneaux de bois. Certains d’entre eux manquaient de tomber, mais ils semblaient récalcitrants à couper le silence pesant qui environnait le lieu.
-Étrange, prononça le vampire tandis qu’il passait devant le gibet situé au centre du village.
Cayline, qui le suivait, regardait tout autour d’elle à la recherche d’un quelque chose. Un signe, une vie, un bruit. Mais rien ne subsistait hormis la douce mélodie ventée qui résonnait à travers les ruelles étroites et noires.
-Où sommes-nous ?, hasarda-t-elle de questionner à voix basse.
-C’est le village des damnés, répondit le vampire sans un regard à sa recrue. C’est habituellement un lieu légèrement plus vivant. Enfin, si on peut dire ça. Les damnés sont des êtres morts encore dotés de mouvements. C’est un peu la réserve du laborantin.
L’olympienne voulut demander qui était ce nouveau personnage, mais le visage soucieux du vampire l’en dissuada. Elle reprit alors son examen oculaire, sans jamais trop s’éloigner de son chef de garde. Un bruit fortuit et prompt de bois cassant se fit entendre. D’un geste rapide et agile, Nevra se plaça devant l’olympienne, prête à la protéger, dagues en mains. Elle aussi, avait dégainé ses armes. Deux kriss qu’on lui avait forgés, à la demande de Jamon. Les lames sinueuses étaient entourées de filons d’or tandis que les poignées en bois d’ébène brut étaient légèrement gravées d’ornement végétal. Des armes gracieusement létales que Cayline peinait encore à bien manipuler. Elle espérait qu’avec l’adrénaline de l’action, elle saurait contrer les coups et toucher ses adversaires. Après tout, l’ogre lui avait pris quelques bottes basiques du combat.
Un nouveau bruit se fit entendre, à l’opposé. Cette fois, Cayline tourna le dos à son chef. Collés ainsi, dos à dos, les deux jeunes gens couvraient l’entièreté du village. Sans s’être concerté, il avançait de concert. L’un faisait un pas à droite, l’autre à gauche pour continuer à le suivre. Les bruits se rapprochaient de plus en plus, lentement. Bientôt, des râles plaintifs déchirèrent le voile silencieux du village. Enfin, des silhouettes se dessinaient dans l’ombre des ruelles. Elles avançaient lentement, d’un pas lourd et laborieux, manquant de tomber chaque fois que leur pied rencontrer à nouveau le sol.
-Les damnés, informa le vampire en chuchotant.
Cayline les regarda plus attentivement. Leurs orbites étaient vidées de leurs yeux, leurs bouches constamment ouvertes laissaient entrevoir des dentitions pourries pour ne pas dire manquante. De leurs bouches, il ne sortait que ce son continu et inquiétant d’une plainte infinie. Ils semblaient supplier. Mais quoi ? Voulaient-ils de l’eau, à manger, la fin de leurs vies ?
-Que nous veulent-ils, demanda enfin l’olympienne.
-Je n’en sais rien, mais ils se dirigent tous vers nous. Prépare-toi à te défendre.
-Sont-ils habituellement hostiles ?
-Non, pas vraiment. En temps normal, ils se déplacent sans prêter attention aux visiteurs. Raison pour laquelle ils sont une pièce de choix pour le laborantin. Mais là, quelque chose ne va pas.
-J’aime beaucoup vos éclaircissements, merci, ironisa Cayline tandis qu’un damné s’apprêtait à frôler son arme.
Nevra voulut répliquer, mais un sifflement strident le força à se boucher les oreilles. Un geste que sa recrue imita tandis que les damnés cessaient leur parcours. Figés sur place, ils continuaient, pourtant, leur balancement perpétuel. Leurs bouches ouvertes sortaient, désormais, un son plus minime mais toujours continuel. La foule de morts-vivants se sépara devant Cayline, laissant la place à un homme de haute stature et à la silhouette longiligne. Il était vêtu d’une chemise longue et blanche maculée de tâches diverses – majoritairement brune et rouge que l’olympienne identifia comme des tâches de sang. Ses yeux étaient couverts par des lunettes aux verres teintés de noir. Ses mains étaient couvertes de gants en latex vert délavés et de hautes bottes noires recouvraient l’intégralité de ses jambes. Autour de son cou, était accroché un petit sifflet violet qui se balançait encore. Le bruit strident venait bien de lui.
-Je me doutais bien que les gardiens de l’autre côté finiraient par pointer le bout de leur nez. Nous approchons donc du Samhain, n’est-ce pas ?
Cayline garda le silence, doutant sérieusement de pouvoir répondre. Elle sentit Nevra se détacher de son dos et passer, habilement, à nouveau devant elle. Dague en main, il baissa, malgré tout sa garde, invitant silencieusement l’olympienne à en faire de même.
-Salut Victor, dit-il.
-Nevra ! Comme on se retrouve. Tu es venu en charmante compagnie cette fois.
Pas de doute, le laborantin n’avait pas cessé de regarder la recrue depuis son arrivée. À vrai dire, Nevra le soupçonnait de s’être volontairement montré face à elle en premier. Si le scientifique semblait, au premier abord, plutôt sympathique et docile, il pouvait être tout l’inverse. Pousser par l’ivresse de pouvoir, il cherchait, sous couvert de recherche purement scientifique, un moyen d’asservir et de contrôler. D’abord les êtres de sa contrée puis, peut-être plus tard, Eldarya tout entière. Sa récente démonstration avec les villageois n’ajoutait qu’un peu plus d’inquiétude dans l’esprit de Nevra. Il avait visiblement réussi pour eux tous. En était-il de même pour le reste de la contrée ? Pire encore, la présence Cayline semblait l’obnubiler et, par expérience, Nevra savait qu’il était particulièrement dangereux de devenir la nouvelle obsession de Victor. Une cicatrice en bas de son ventre pouvait en attester. Un coup de scalpel surprise qui avait valu, au laborantin, quelques jours de repos forcés et une jambe cassée. Le vampire, une fois son ennemi mis à terre, était repartit à Eel pour revenir quelques jours plus tard, la veille de la fermeture des portes, afin d’avertir Victor de ne plus recommencer au risque de voir son manoir détruit au prochain Halloween. Fou d’inquiétude, le laborantin avait obtempéré, promettant qu’il ne toucherait plus jamais Nevra. Mais seulement Nevra.
Tel un loup protégeant ses siens, Nevra faisait rempart entre Victor et Cayline, empêchant le scientifique d’approcher de plus prêt. L’olympienne ignorante resta, cependant, bien pacifiquement derrière son chef, ressentant sans le moindre effort une certaine tension.
-Et bien, tu ne nous présentes pas ?, demanda le laborantin en affichant un sourire charmant.
-Cayline, voici le laborantin, Victor. Victor, Cayline, une nouvelle recrue.
Le scientifique salua l’olympienne dans une gracieuse révérence, une main sur son cœur. Le nom de la jeune femme lui plut plus encore que son physique. Il pressentait, décidément, qu’elle était une personne charmante. Pris dans un élan d’enthousiasme, il fit un pas de plus. Un pas de trop au goût du vampire qui tendit vers lui sa dague pour le maintenir à distance.
-Détend-toi, joli vampire. Je ne compte rien faire de mal à ta conquête.
En temps normal, Cayline aurait répliqué qu’elle n’était pas liée par un quelconque sentiment amoureux avec son supérieur, mais le fait que ce fou y croyait avait quelque chose de rassurant. Oui, le laisser croire que Nevra l’avait prise sous son aile, la cajolait, la protégeait. Ici, cela ne lui déplaisait pas. Inconsciemment, son corps, même, se rapprocha du vampire. Un rapide coup d’œil de ce dernier la conforta dans son choix. Il valait mieux le laisser croire.
-Je préfère être prudent avec toi, mon ami. Je te rappelle que tu m’avais promis aussi de ne rien me faire avant de m’attaquer.
-C’était il y a cinq ans, enfin !
Victor feignit très mal l’outrage. Il agissait avec exagération, joignant de grands gestes à ses mots. Mais, après tout, il était atteint par la folie, non ? Derrière ce mauvais simulacre d’acteur, il existait peut-être une part de sincérité. Finissant d’arguer sur sa culpabilité et le pardon que lui devait le vampire, Victor conclut par une invitation peu subtile envers les deux visiteurs.
-Je ne reçois jamais que ses villageois et quelques gnomes récalcitrants du château du phœnix. C’est d’un ennui mortel, je vous jure. Ils n’ont pas de conversation ou alors, très peu éclairée. Je serais ravie de partager un petit moment, ne serait-ce que deux minutes, avec des êtres dotés d’une meilleure intelligence et d’une plus grande beauté que ces êtres de la contrée.
La flatterie sembla apaiser le vampire. Ce dernier rangea définitivement ses dagues et se redressa, plus détendu, plus belliqueux. Toujours dans l’incompréhension, Cayline se contenta de suivre son supérieur. Une fois ses kriss rangés, elle sentit la main du vampire se glisser dans la sienne. Devaient-ils tenir le rôle du couple pour sa sécurité ?
-Comme vous êtes mignon, intervint à nouveau Victor, je suppose que vous acceptez mon invitation.
- Pas plus de trente minutes. Nous avons à faire.
-Oui, oui, je sais. Le tour annuel des gardiens d’Eel pour voir si tout va bien dans la contrée. Mais comme tu peux le voir, il n’y a pas de soucis à se faire. J’ai réussi à contrôler ses crétins de villageois. Bientôt, ce sera au tour des sorcières de la forêt désenchantée, puis des fantômes du bateau pirate, des rats du labyrinthe, des momies de la pyramide et je finirais bien sûr par le château du phœnix. Pas sûr qu’il soit d’accord, mais après tout, il ne verra rien. Il ne voit jamais rien du haut de sa montagne, ce grand dadais.
Le laborantin continuait à partager ses plans, sans vraiment prêter attention à ses deux invités plus en arrière. Ils avaient traversé la foule des villageois qui avait repris leur errance sitôt que Victor avait passé les murs des dernières maisons. Toujours plein de méfiance, Nevra avait mené Cayline sur le chemin du fou, sans lui prêter un regard. Il n’y avait rien de sensuel ou de ludique dans le lien de leur main. C’était purement protecteur, factice. Sans trop vouloir comprendre, Cayline en ressentit une sorte de déception. Elle se surprit à vouloir un peu de véracité dans ce toucher.
Ils traversèrent un champ de citrouille où ils croisèrent Shaïtan occupée à chasser un familier étrange que l’olympienne ne réussit pas à identifier. Elle s’était brièvement arrêtée pour regarder son maître et sa recrue passée, précédés par le laborantin à qui elle montra aussitôt les crocs.
-Tien, tu as toujours ton black gallytrot ! Je ne pensais pas qu’il resterait près de toi aussi longtemps ! Enfin, faut dire que tu as sacrifié un œil pour lui, c’est la moindre des choses, non ? T’es sûr que tu ne veux pas essayer une de mes potions ? Tu retrouverais peut-être ton œil et tu pourrais enfin voir ta donzelle aussi bien que je la voie. Ce doit être agaçant de tout voir de moitié, non ?
-Je te l’ai déjà dit, je vois très bien avec mon œil valide et je vois tout en entier, répliqua Nevra sans masquer son agacement.
-Et puis, je le trouve très bien comme ça. Ça lui donne un je-ne-sais-quoi de plus charmant encore, intervint Cayline en feignant un sourire.
L’intervention soudaine de l’olympienne lui permit de gagner une œillade de son supérieur. D’abord étonné, il se détendit ensuite, le naturel reprenant le dessus, pour l’affubler d’un charmant sourire. Cette fois, ils s’étaient définitivement mis d’accord pour jouer le jeu du parfait petit couple.
-Borf, comme tu veux ma belle Cayline. Mais si jamais un jour, tu as envie qu’on te regarde avec deux yeux bien valide, saches que je suis tout entier à ton service. Enfin, le temps que les portes soient ouvertes. Mais après si tu souhaites rester auprès de moi, tu sais, ça ne me poserait pas de problème. Un peu de chaleur ne serait pas de refus, si tu vois ce que je veux dire.
-La ferme Victor et avance, intervint Nevra plus irrité encore.
Sous le joug de l’illusion, Cayline ressentit dans ses mots une sincérité déstabilisante. Visiblement, le vampire refusait d’entendre de pareils propos à l’encontre de sa fausse petite amie. Le laborantin haussa les épaules et repartit sur un nouveau sujet, déblatérant un monologue sans fin, tandis qu’il se faufilait sans peine parmi les ronces. Nevra était également assez agile parmi les plantes crochues. Mais l’olympienne, elle, était encore novice dans cette contrée. Elle voulut suivre la cadence de son chef, mais bientôt, ses doigts commencèrent à lâcher la main de ce dernier. Ses cheveux se prenaient dans les ronces, son pantalon commençait à être sérieusement déchiré et de sa chair dévêtue du sang commençait à couler.
Ressentant la détresse de sa recrue, Nevra ralentit la cadence. Il laissa le laborantin continuer sa route. De toute manière, il connaissait le chemin et il y avait fort à parier que Victor se moquait bien que ses invités tardent. Ils finiraient bien par venir ou alors, il les recroiserait à l’occasion. Profitant un peu de cette solitude retrouvée, le vampire se détendit, alors qu’il décrochait une mèche de cheveux indigo des ronces.
-Je suis désolé. Victor est un original qui peut être sympathique, mais qui m’irrite assez particulièrement.
-Ce n’est rien, rassura Cayline. Au moins, nous sommes en vie.
-Ça ne te dérange pas, au fait, que l’on soit en couple dans cette histoire ?, demanda le vampire en aidant l’olympienne à enjamber une branche au milieu du chemin.
-C’est purement professionnel, après tout. Si ça peut calmer les ardeurs de Victor, ça me convient, confessa la jeune femme tandis qu’elle se laisser aller dans les bras de son chef. Il a l’air assez marrant, mais je le trouve terrifiant.
- Attends de voir son laboratoire. Tu pourras constater à loisir jusqu’où va sa folie.
Cayline ne répliqua pas, préférant se concentrer sur le chemin. Grâce à l’aide du vampire, le trajet était beaucoup moins difficile. Il prenait le temps d’écarter les ronces récalcitrantes, sans jamais se blesser. Il se montra gentilhomme et attentionnée tout le reste du chemin. Lorsqu’ils passèrent la dernière branche de ronce, la jeune femme ne se retint pas pour souffler de soulagement. Elle prit également le temps de constater les dégâts de ce périple. Ses bras brûlaient à cause des égratignures, ses habits étaient soit déchiré, soit souillé de son sang. Ses cheveux étaient en bataille et de nombreux crochets de ronces étaient encore coincés dans sa chevelure. Elle devait faire peine à voir. Elle interrogea son supérieur du regard et pour toute réponse, Nevra se rapprocha d’elle et dégagea d’entre ses mèches un des morceaux de ronce qui y subsistait.
-Tout à l’heure, j’en connus une qui va prendre beaucoup de temps dans les douches communes.
-Et à l’infirmerie, rajouta la jeune femme en montrant l’une de ses nombreuses égratignures. Et je suis bonne aussi pour racheter des habits à Purriry. Elle va être ravie.
Nevra émit un rire bref mais sincère. Il attrapa à nouveau la main de la jeune femme. Victor était un peu plus devant et quelques brides de son monologue leur parvenaient. Pourtant, il était suffisamment éloigné pour que les deux jeunes gens cessent de feindre, un instant, leur lien amoureux. Alors, pourquoi Nevra continuait-il leur manège ? Une question troublante pour Cayline qui préféra ne rien dire, trouvant un quelque chose de rassurant à tenir la main de son supérieur.
-Alors comme ça, j’ai un je-ne-sais-quoi de charmant, reprit le chef de l’Ombre tandis que Victor avait passé les portes de son manoir qu’il avait laissé ouverte.
-Il fallait bien que je joue un peu la comédie. Si nous devions nous contenter uniquement de vos interventions, il aurait fini par se douter de quelque chose, non ?
-Si tu le dis.
Il était difficile de se tromper. Ce compliment avait touché avec sincérité le vampire souriant. Avait-il décelé une vérité à travers ces mots ? Sous couvert de la comédie, Cayline avait peut-être glissé, véritablement, une part de vérité. Elle ne pouvait pas nier que le vampire était charmant. D’ailleurs, personne ne le pouvait. Cependant, il y avait autre chose. Une chose plus profonde et d’effrayante, quoique jubilatoire. Nevra plaisait véritablement à la jeune femme. Il faisait naître en elle un désir nouveau bien plus profond que le simple échange charnel. Non, quand elle le voyait, elle désirait plus. C’était certain.
Cependant, ils étaient en mission et non en rendez-vous galant. Leur couple n’était qu’une façade, le temps de leur visite. Dès qu’ils seraient rentrés à Eel, ils devraient reprendre leur rôle initial. Ceux de la recrue et du chef de garde. Une ombre passa dans les yeux ambrés de l’olympienne, alors qu’ils franchissaient le seuil du manoir. Elle tentait de se raisonner. Mais son cœur semblait ne vouloir qu’en faire à sa tête.
03-Le manoir du laborantin
-Tu es sûr que tu ne veux pas de mes onguents, ma jolie Cayline ? Ils sont sûrs, crois-moi. Plus efficace, je parie, que ceux de la garde. Ils sont faits à base de poudre de plume du phœnix. Ses sbires m’en ramènent à l’occasion. Uniquement des plumes tombées lors de sa mue annuelle ! Il est dangereux de lui arracher celle qu’il a encore sur lui. Un idiot de gnome avait tenté une fois – à ma demande, bien sûr – et ses compères m’ont rapporté que le grand oiseau l’avait grillé sur place en guise de punition. Forcément, il a fallu que je renonce rapidement à cette possibilité. Même si je suis certain que les plumes toutes fraîches du phœnix sont plus efficaces que celle tombée par terre.
Il semblait impossible de ne pas devoir couper la parole à Victor. Chaque fois qu’il posait une question, il partait ensuite dans un long monologue qu’il ne finissait uniquement que lorsqu’on lui disait de se taire. Assis autour d’une petite table de fortune, Cayline et Nevra n’avait eu de cesse de lui dire de se taire quand il digressait.
-Je vous assure que ça ira, Victor, je vous remercie, répondit Cayline avec un sourire poli.
-« Je vous remercie » ! Tu entends ça, joli vampire ? Ta donzelle me vouvoie. Mais enfin ma jolie dame, il ne faut pas. Tutoie-moi, voyons ! Une si jolie frimousse n’a pas à se plier sous la politesse pour moi. D’ailleurs, c’est une nouvelle coiffure que tu as l’as, non ? C’est original, ça te va bien. Tu as fait ça quand ?
La jeune femme échangea un regard lassé avec son supérieur. Victor était épuisant. Devait-elle rebondir sur sa supposée nouvelle coiffure ou bien changer de sujet afin de le dévier de sa personne ? Nevra agit à sa place et d’un revers de main attira l’attention du laborantin fou.
-Je vois que tu as rangé depuis l’année dernière.
-T’as vu un peu. C’est bien fait hein ? Mais heureusement, ce n’est pas moi qui fais ça. Ça me ferait perdre trop de temps pour mes expériences. C’est le travail de Bernard, mon nouveau majordome. Attendez, je vais vous le présenter. Bernard ! Viens saluer nos invités !
Il eut quelques instants de silence avant que les fioles rangées proprement sur les étagères ne se mettent à vibrer sous le lourd pas d’une créature supposément imposante. La théorie se confirmait à mesure que les pas se rapprochaient. Un instant, Cayline eut peur que l’entièreté des étagères ne cède, mais elles étaient visiblement accrochées avec solidité et aucune fiole ne se fracassa au sol lorsque la porte s’ouvrit avec une incroyable délicatesse. La poignée de celle-ci était entourée par deux doigts imposants reliés à une main tout aussi énorme. Le propriétaire de ce membre était un être tout aussi imposant, composé d’une peau cousue aux teintes différentes après chaque couture apparente. Avec effroi, Cayline constata la folie de son hôte. Bernard n’était pas un homme, mais un puzzle de plusieurs cadavres cousus les uns aux autres. Une œillade en direction de Nevra lui confirma que le vampire était tout aussi surpris qu’elle. Il regarda l’immense créature passer avec difficulté le pas de la porte.
Le plus étonnant fut également la gentillesse qui brillait dans le regard de la créature. Il n’était visiblement pas doté de paroles, mais il salua les deux jeunes gens d’un petit geste de la main et d’un sourire accompagné d’un râle joyeux.
-Impressionnant, n’est-ce pas ?, intervint de nouveau Victor, il est le fruit de plusieurs années de recherches, ou plusieurs mois. Ou bien était-ce des jours ? Ben, peu importe. Je ne vois pas le temps passé quand je travaille. J’ai eu l’idée de fabriquer Bernard un jour que je passais dans le cimetière. Je m’étais dit que c’était quand même dommage de laisser des gens pourrir sous terre comme ça. Il y avait forcément matière à faire quelque chose. Alors j’ai déterré un premier cadavre. Il n’avait qu’un pied de parfaitement potable. Je lui ai pris puis je suis passé à la tombe suivante et comme ça, jusqu’à amonceler assez de morceaux pour faire une créature digne de Victor Frankenstein. Après tout, je suis un homme de talent, non ? J’ai utilisé quelques petites potions pour ajuster la taille de tout ça et pouf ! J’ai construit Bernard. Il est très gentil et très serviable.
Nevra et Cayline n’écoutaient que d’une oreille, obnubilés par la créature qui se tenait devant eux. Combien de cadavres Victor avait-il déterré ? Bernard avait beau être sympathique, il n’en restait pas moins le fruit de profanations. Bien entendu, ce n’était à lui qu’il fallait s’en prendre, mais plus à Victor gagné par une folie innocente. Il souffrait visiblement de solitude et n’avait rien fait de mal si ce n’est à ces cadavres oubliés. Pris entre l’horreur et la fascination, les deux gardiens cessèrent, en concert, de regarder la créature non sans l’avoir affublé, malgré tout, d’un sourire poli en réponse à ses salutations.
-Allez, tu peux repartir Bernard. Retourne faire le ménage ailleurs.
Comme un bon petit familier obéissant, le puzzle de cadavre fit demi-tour avec une précaution étonnante avant de repasser le pas de la porte. Victor resta étrangement silencieux quelques instants. Suffisamment longtemps, en tout cas, pour susciter l’inquiétude chez le vampire. Il se tourna à temps pour tirer Cayline vers lui et empêcher le laborantin d’arracher une de ses mèches.
Surprises, l’olympienne ne sut comment réagir et se laissa mener par Nevra comme une vulgaire poupée de chiffon. Très vite, elle se retrouva sur ses genoux, protégée par une dague.
-Bats les pattes, Victor !
-Franchement, t’es pas drôle Nevra. Tu pourrais partager un peu. Je voulais juste une mèche de cheveux ou alors un de ses yeux. Tu as des jolis yeux ma jolie, tu sais. Ça serait parfait pour ma créature à venir, tu ne trouves pas ? Au moins, j’aurais un souvenir de toi.
D’un geste prompt, le laborantin arracha de son visage sa paire de lunettes teintée et laissa à Cayline le loisir de lire la folie qui le gagnait dans ses yeux bleutés. Un scalpel en main, il s’approchait doucement des deux gardiens d’Eel, prêt à plonger vers Cayline ou à se battre contre le vampire. Doucement, Nevra se leva en concert avec l’olympienne et se positionna à nouveau devant lui.
-Calmes-toi Victor. Ne m’oblige pas à te redonner une leçon.
-Ma leçon annuelle, après tout. À chaque fois, tu te laisses berner, bordel ! Tu sais bien que c’est dangereux de venir jusque chez moi ! C’est plus fort que moi, j’ai envie de faire des expériences et ta petite amie est beaucoup trop attirante pour ne pas faire les frais de mes expériences. Regarde, elle est déjà abîmée. C’est pas bien grave si je le scalpe un peu plus non ?
Il lança le premier assaut. Adroitement, Nevra esquiva le coup emportant Cayline dans son geste. Il attrapa ensuite le bras du scientifique et le tordit. Victor cria de douleur tandis que son scalpel touchait le sol. Aussitôt, d’un coup de pied, le vampire éloigna l’arme de son ennemi et le mit à genoux.
-Allez, Victor, ça suffit maintenant. Je n’ai pas envie de te casser à nouveau quelque chose.
-Tu remarqueras que chaque année, je m’en remets. Je crois que tu n’as pas encore brisé ce bras justement. Ah ! Et oublie pas ma jambe aussi. Sinon, je risque de continuer.
-Pourquoi est-ce qu’on doit toujours en arriver là ?
-Parce que je suis fou, joli vampire ! Et ma folie est insatiable.
Alliant les mots aux gestes, il chercha à mordre la main de son adverse, mais c’était sans compter sur la rapidité du vampire. Victor eut à peine ouvert la bouche que le poing du chef des ombres s’écrasa sur son visage. Un craquement écœurant résonna dans la pièce. Le vampire venait de lui briser le nez.
-Ah ! Ça aussi, tu ne l’avais pas encore fait. Ça fait mal, bordel !, réussit à prononcer le scientifique après avoir craché une gerbe de sang. Cayline, ma jolie, tu voudrais pas prendre part au massacre. Avec un peu de chance, je pourrais attraper un petit quelque chose de toi. Qu’est-ce que tu en penses ?
-Je t’interdis de l’approcher, répliqua aussitôt Nevra tandis qu’il apposait son pied sur le genou de son adversaire.
De toute manière, Cayline ne serait pas intervenue, bien trop choquée par la soudaine tournure des événements. Elle regarda son supérieur briser le genou de Victor. Le cri du laborantin fut bien vite suivi par le retour de son majordome. Ce dernier s’engouffra avec fracas à travers la porte, contrastant véritablement avec sa délicatesse précédente. Il n’y avait plus rien de sa bonhomie, uniquement de la colère, tandis que Nevra laissait le scientifique s’écroulait à terre. Il s’apprêtait à en découdre avec le vampire visiblement paré, mais cette fois, ce fut l’olympienne qui intervint, s’immisçant entre les deux adversaires.
-Ton maître a eu un accès de folie, s’empressa-t-elle de justifier. Nevra n’a pas eu le choix.
La colère disparut aussitôt dans le regard du puzzle humain. Étonnamment, Cayline y vit même de la compréhension. Bernard, avait-il déjà été témoin des crises de folies de son maître ?
-Il est encore en vie, si c’est ça qui t’inquiète, intervint Nevra à son tour. Il se réveillera bientôt et calmé. Maintenant que tu es là, il pourra peut-être mieux se remettre de ses blessures.
Bernard opina et ramassa délicatement son créateur pour le poser sur une table d’opération. Sans le moindre effort, il remit son épaule en place puis sa jambe, faisant craquer les os. Cayline, peu habituée à ce genre de bruit, sentit la nausée l’envahir. Elle se sentait faible, soudainement. Elle eut envie de s’asseoir, mais de rester également debout. Voyant sa recrue commencer à chavirer, Nevra s’était rapproché d’elle pour la soutenir, glissant son bras atour de sa taille.
Lorsque Bernard eut fini de remettre en place les os de son maître, il se tourna vers les deux invités et prononça avec difficulté deux mots – ou bien un – dans un râle guttural.
-Cime terre.
Afin d’imager ses propos, la créature de ses grosses mains délicates attrapa une barquette carrée et y posa quelques objets à la verticale avant de tendre le tour vers les deux gardiens.
-Cime terre.
-Le cimetière ?, hasarda Cayline.
L’olympienne eut juste, car Bernard émit un grognement satisfait avant de reprendre le fil de ses propos. Il posa ce qu’il tenait dans sa main sur la table autour de laquelle Nevra et la jeune femme s’était assis pour prendre un rafraîchissement, finalement renversée. Puis, il fit tomber en pagailles les objets qu’il avait pris, pourtant, le soin de bien placé. Cette fois, ce fut Cayline qui ne comprit pas, à l’inverse du vampire qui partagea sa supposition.
-Il est en pagaille depuis le passage de Victor, c’est ça ?
De nouveau, Bernard opina avant de montrer les deux gardiens du doigt et remit de l’ordre dans la barquette.
-Tu voudrais que nous allions le remettre en état.
-Pour âme, confirma la créature de sa voix caverneuse et gutturale.
-Très bien. Nous allons nous y rendre et voir ce qu’on faire, décida le vampire avant de se tourner vers sa recrue. Il faudrait peut-être plusieurs jours. Nous allons tout de suite constater les dégâts puis nous rentrerons à Eel pour un premier rapport. J’ai bien peur, pour tes camarades, qu’ils n’auront pas d’autres choix que de participer.
-Dites plutôt que ça vous arrange, répondit l’olympienne en affichant un sourire en coin.
-Elle est trop drôle ta donzelle, joli vampire, même toi, elle te vouvoie, chuchota soudain Victor dans un bref instant de lucidité.
Il replongea aussitôt dans les bras de Morphée, bien trop sonné par la douleur de ses blessures. C’était un miracle qu’il ne soit pas mort. Mais peut-être était-ce là toute la magie de la contrée ? Quoiqu’il en soit, cette intervention décida les deux gardiens à partir avec les encouragements de Bernard. Avait-il compris la tromperie bien mieux que son maître ? Ce puzzle humain semblait doté d’une certaine intelligence en plus d’un grand cœur. Il raccompagna les invités jusqu’au seuil de la porte d’entrée. Nevra prit le chemin du cimetière sans se retourner, mais Cayline ne put s’empêcher, elle, de jeter un dernier regard sur l’imposante créature. Il les regardait s’éloigner, les saluant d’un discret signe de la main, sans doute convaincu qu’il n’obtiendrait pas de réponse. C’était sans compter sur l’olympienne qui le salua d’un grand geste.
-Au revoir Bernard et merci encore !
Sa voix brisa le silence alentour et surprit tout aussi bien la créature que le vampire. Ce dernier rebroussa son chemin pour attraper hâtivement la main de l’ombre novice et la forcer à avancer, sans se préoccuper du majordome étrange qui la saluait à son tour en un grand signe de bras.
-Ce n’est vraiment pas le moment. Dépêche-toi avant que les fomoires se décident à sortir.
-Pardon d’avoir un peu de considération pour cet être, bougonna l’olympienne.
Nevra soupira. C’était bien beau les bons sentiments, mais les cris de Victor avaient, très certainement, éveillé la curiosité de certaines créatures peu recommandable, dont les fomoires. Cayline ignorait, bien entendu, ce que c’était et son supérieur dû le lui expliquer en cours de route. Il s’agissait d’êtres aux physiques multiples, de la taille d’un homme, avec un ou deux pieds, mais surtout avec un œil unique, toujours ouvert, à la recherche de proie pour leurs bouches aux dents acérées. Seuls, ils étaient des adversaires faciles. C’était pour cela qu’ils se déplaçaient généralement en groupe. Le vampire rajouta qu’ils étaient dotés d’une intelligence assez déconcertante pour des créatures si hideuses, dotées de paroles également et dotées d’une hiérarchie stricte. S’il connaissait tout cela, c’était, malheureusement, parce qu’il avait déjà croisé la route de ces créatures aux cours de l’une de ses excursions. Shaïtan étaient intervenue à temps, surprenant les adversaires effrayés. Il refusait, en toute honnêteté, de recroiser leur chemin.
Tout au long de la route qui menait jusqu’au cimetière, Nevra n’avait pas lâché Cayline une seule. Bien au contraire, il continuait à maintenir la main de la jeune femme dans la sienne. Pour s’assurer qu’elle le suive, peut-être ? En réalité, l’olympienne ne trouva aucune justification valable pour ce fait. Mais elle constata qu’elle n’y voyait aucun inconvénient, bien au contraire. Il y avait quelque chose de rassurant à marcher avec le vampire, main dans la main.
Ils arrivèrent enfin devant le cimetière et se stoppèrent net. Les pierres tombales étaient à terre, tandis que des trous énormes avaient été creusés à leur pied, laissant des cercueils à l’air libre, lorsque ce n’était pas complètement des cadavres. Sans lâcher l’olympienne, Nevra contracta sa main libre. Victor, dans sa folie, était allé trop loin. Cayline constata également les dégâts et cru, à nouveau, défaillir à la vue des cadavres en putréfaction. La plupart ressemblait presque plus à des squelettes. Une question, pourtant, lui vint à l’esprit. Elle hésita longuement à la poser et se décida finalement lorsque le vampire la regarda, patientant. Il avait senti qu’elle se questionnait.
-D’où viennent tous ces morts, Nevra ?
Un silence. Le temps pour le vampire de trouver les bons mots, les bonnes tournures de phrases. Il inspira enfin et chuchota sa réponse, refusant de déranger plus encore les morts.
-La contrée d’Halloween est un autre monde pour n’importe quelle âme ayant quitté les vivants. On y retrouve des âmes de différents mondes. Les âmes d’Eldarya bien sûr, mais aussi les âmes du monde humains et des nombreuses autres dimensions constituant nos univers. Même les âmes des Enfers d’Hadès peuvent s’y rendre si tel est leur choix. La contrée est ouverte à tous. Mais, pendant un temps, pour la garde en tout cas, c’était également un lieu de mise à l’épreuve principalement destinée aux nouvelles recrues.
Il se tut, un court instant, afin de laisser l’olympienne assimiler parfaitement cette information et le questionner à nouveau si elle en sentait le besoin. Elle n’eut pas besoin de prononcer le moindre mot. Ses yeux parlaient à la place de ses lèvres fermées.
-Les recrues de toutes les gardes confondues étaient envoyées quinze jours dans la contrée avec le strict nécessaire. Au cours de ces quinze jours, chaque recrue devait survivre, mourir ou rester prisonnier de la contrée. Une fois les portes refermées, on ne peut pas retourner dans notre monde. Victor en est le parfait exemple, à la différence qu’il n’était pas une recrue, mais un chef de la garde absynthe, il y a bien des années de cela. Les rapports à ce sujet disent qu’il serait entré dans la contrée afin de sauver une de ses recrues. Son jeune frère qui s’était empêtré dans la forêt de ronce. Lorsque nous les avons traversées, elles étaient encore endormies, mais le dernier jour, il est fortement déconseillé d’y pénétrer. Les ronces sont fugaces.
« Quoiqu’il en soit, Victor voulut sauver son frère. Il réussit, mais la porte se referma sur lui alors qu’il poussait son frère vers la sortie. L’année suivante, il a été retrouvé dans ce manoir, plongé dans la folie, amnésique. Il était persuadé d’avoir toujours vécu dans cette contrée, d’en être le maître incontesté qui devait libérer les habitants du joug du roi phœnix qui y réside. Personne n’a jamais réussi à le raisonner et d’un côté, ce n’est pas plus mal. Que pourrions-nous faire si Victor se rappelait de sa vie passée ? D’abord, son arrivée ici date maintenant d’une bonne centaine d’année, or, il n’a pas pris la moindre ride. Mais son frère est mort et les descendants de ce dernier relèguent Victor au rang de légende, de conte pour enfant. Et puis nous ne pourrions pas le sortir de la contrée. Les règles sont claires. Sitôt les portes fermées, aucune âme de peut plus jamais en ressortir. Je pense qu’il est plus sage de le laisser dans l’ignorance. Même si… Bernard était le nom de son frère. Inconsciemment, il lui a redonné vie…
Le vampire se plongea dans une inquiétude réflexion. Non, cela ne se pouvait. Ou alors, il s’agissait d’un simple sursaut de lucidité bref et rapide qui avait poussé le laborantin à nommer sa créature de la même manière que son frère. Cayline continuait à le regarder, silencieuse, prenant part également à de sérieuses réflexions. Les mots du vampire résonnaient en boucle dans son esprit. Contrée d’Halloween. Mise à l’épreuve des recrues. La coïncidence avec Bernard et le défunt frère de Victor l’avait également préoccupé, mais bien moins que ces premières informations. Elle laissa un peu de temps à son supérieur avant de le sortir de ses pensées pour le questionner à nouveau.
-Est-ce pour cela que vous voulez que vos recrues explorent la contrée ? C’est une mise à l’épreuve, là aussi ?
-On peut dire ça, oui, répondit franchement le vampire. Mais rien n’à voir avec les épreuves passées. D’abord, je ne demande que la participation de mes recrues, sur la base, principalement du volontariat. Et puis ces explorations ne durent qu’une seule nuit avec ma présence. Je ne laisserais pas de novice seul dans cette contrée. Je souhaite simplement déterminer du courage de mes nouvelles ombres et de leur investissement. La contrée d’Halloween est dangereuse mais riche d’apprentissage. C’est un lieu où il est fortement conseillé de faire preuve de subtilité, d’agilité et de rapidité lorsque l’on se trouve face à des ennemis. Mais lorsque l’on sait se faire discret, c’est un peu comme une balade de santé à quelques exceptions près, tu ne trouves pas ?
Pour toute réponse, Cayline dessina un bref sourire avant de se tourner à nouveau vers le cimetière délabré. La vue des cadavres et des squelettes commençaient à moins l’indisposer, même si le paysage restait, en tout point de vue, extrêmement morbide. Elle sentit alors une caressa dans ses cheveux en bataille. Un geste doux, emplit de chaleur et de sincérité.
-Ne t’inquiète pas, je ne laisserais pas la contrée t’emprisonner. Je suis là pour te protéger.
Elle se tourna vers le vampire et posa sur lui un regard attendri. Elle le croyait, sincèrement. Plus détendu, elle se reconcentra, malgré tout sur la nécropole désossée. Combien de tombes le laborantin avait-il profané ?
-Je pense que ce sera l’objet de notre prochaine mission. Pour l’heure, il serait plus sage de rentrer et de nous reposer. Je vais faire un rapport à Miiko dès notre retour et je mettrais en place une première expédition avec des gardes confirmés et certains de tes camarades. Ça te convient ?
-C’est vous le chef, répondit l’olympienne d’une voix légère.
La chose entendue, le vampire invita l’olympienne à le suivre sans jamais lui lâcher la main. À vrai dire, il ne l’avait jamais fait, même au cours de ses explications. Et jamais la jeune femme n’en avait été gênée. Ce contact physique était consenti des deux côtés, mais aucun des deux n’avait eu la volonté de l’exprimer à voix haute. L’heure et le lieu n’étaient pas aux aveux de sentiment. La contrée restait un lieu dangereux, mais aussi une terre de recueillement. En chemin, Shaïtan avait rejoint les deux gardiens, la gueule pleine de ses habituels butins. Sa queue dansait de droite à gauche, et son pas était fier. Elle était heureuse de ses trouvailles et de cette première exploration au sein de la contrée. Elle avait vécu, de son côté, des aventures qu’elle garderait secrète comme chaque année. Pourtant, lorsqu’ils repassèrent tous les trois les portes pour rejoindre Achille qui les attendait, la black Gallytrot semblait disposer à partager ses secrets avec l’équidé. Elle posa à ses pieds ses trouvailles et il fallut quelques minutes avant qu’elle et le Morvac’h acceptent de raccompagner leurs maîtres jusqu’à Eel.
Le chemin du retour fut plus calme et Nevra se fit plus sage bien que ses mains avaient subtilement continué à caresser les hanches de l’olympienne. Lorsqu’il le pouvait, il s’amusait également à retirer les ronces qui s’étaient emmêlées dans ses cheveux, la recoiffant du mieux qu’il pouvait. Un jeu amusant que Cayline accepta.
Aussitôt, les portes d’Eel franchies, la fatigue s’empara de l’olympienne. Le soleil commençait à se lever et il n’était pas dans les habitudes de la jeune femme de veiller si tard. Nevra l’aida à défaire les rênes d’Achille pour le remettre dans son box. Un garçon d’écurie viendrait en prendre soin d’ici quelques heures. Mais le Morvac’h semblait bien se moquer de ne pas être pomponné. Sitôt dans son box, il s’allongea pour mieux se reposer.
Nevra, raccompagna ensuite sa recrue jusqu’à sa chambre. Elle ne s’était rendu compte de rien au cours de son voyage, mais ses jambes toutes entières réclamaient une accalmie. Le vampire lui octroya un baiser sur le front qu’elle accueillit avec plaisir et auquel elle répondit par un subtil baiser aux coins des lèvres de son supérieur. Un dernier sourire échangé, un énième aveu silencieux et ils se séparèrent pour s’endormir chacun de leur côté.
04-Le cimetière abandonné
Le cimetière était presque entièrement réhabilité. Il avait fallu quatorze jours pour remettre de l’ordre dans le bazar de Victor, compter les tombes profanées, retrouver les cadavres correspondants, les remettre en terre de la manière la plus descente possible. Les cinq premiers jours, les nouvelles recrues de l’ombre n’avaient fait que cela. Creuser et enterrer les morts, le tout dans une atmosphère morbide et effrayante perturbée par les cris plaintifs de créatures inconnues et inquiétantes. Ils avaient, malgré tout, fini par s’y faire. Leur supérieur ne semblait pas le moins du monde inquiété même lorsque les dites créatures se dessinaient à l’entrée du cimetière. La plupart ressemblaient à des ombres mouvantes, intriguées par le bal des recrues. Elles finissaient par reprendre leur chemin comme si de rien n’était.
Le sixième jour, le groupe fut scindé en deux. Nevra avait demandé l’aide de sa sœur pour superviser les travaux du cimetière tandis qu’il allait explorer la contrée en compagnie d’une petite compagnie. Après tout, c’était initialement pour cette raison que le vampire avait demandé à ses recrues de le suivre. Il fallut attendre quelques jours avant que l’olympienne soit désignée, à nouveau, pour l’accompagner. Une proposition qui arrivait à point, car Cayline commençait à en avoir assez de sentir le cadavre à chaque fois qu’elle rentrait. Elle s’était accommodée à manipuler les trépassés, mais pas à leur odeur. Plusieurs fois, elle avait maudit Victor Frankenstein pour son accès de folie.
Contrairement à leur première excursion, Cayline et Nevra n’étaient plus seuls. Une déception pour la jeune femme qui n’avait plus eu l’occasion de partager des moments privilégiés avec son supérieur. C’était préférable, bien sûr. Il ne fallait pas outrepasser la hiérarchie. Pourtant, la jeune femme désirait ardemment retrouver cette complicité – factice ou non – de leur premier voyage. En compagnie des autres recrues, le vampire se montrait beaucoup moins avenant et moins séducteur même s’il lui persistait dans une envie irrépressible de charmer. C’était dans son caractère après tout. Et ses accès de charme s’adressaient à toute la gente féminine.
Cette deuxième excursion avait, d’ailleurs, été beaucoup moins agréable pour l’olympienne. Une nymphe avait fait également partie de son groupe et Nevra s’était laissé aller à la taquiner, la séduire, lui sourire. Il n’avait pas ignoré Cayline, mais cette dernière avait répondu à ses avances de la manière la plus froide possible, irritée et emplie d’une jalousie nouvelle. Elle avait été si acerbe, même, que le vampire avait fini par la laisser tranquille, ne rajoutant que de l’huile sur le feu en continuant son jeu de séduction avec la nymphe. Lorsqu’ils étaient rentrés, elle n’avait pas pris son temps pour tenter un moment seul avec le vampire. Elle s’était même empressée de monter sur Achille dès qu’elle avait repassé la porte de la contrée, obligeant ce dernier à ignorer la pauvre Shaïtan qui avait pris l’habitude de lui faire part de ses butins et de ses aventures.
Nevra n’avait pas pu ignorer l’humeur de la jeune femme. Mais elle ignorait si cela l’avait touché et s’il s’en moquait. Quoiqu’il en soit, la quatorzième excursion s’achevait sans que les deux jeunes gens ne se soient parlé. Occupée à remettre en terre, un énième cercueil, Cayline fut interrompue par Karenn. Quelqu’un l’attendait devant le cimetière. Elle n’en sut pas plus, mais elle laissa, volontiers, sa pelle pour aller à la rencontre de cette personne.
Il ne lui fallut pas bien longtemps pour deviner son identité. Devant la porte, se tenait une grande et massive silhouette dont la peau était composée de cicatrices et de différente teinte à l’image des cadavres qui le composait. Cayline se surprit à sourire, gagner par une douce euphorie de revoir un ami. Pourtant, elle ne connaissait rien de Bernard, hormis qu’il était le majordome de Victor et sa création. Elle l’appela, ignorant les regards surpris de ses camarades qui avaient vu la créature d’un œil inquiet.
-Vous voilà, Cayline, répondit-il d’une voix correcte et claire.
L’olympienne ne cacha pas sa surprise. La dernière fois qu’elle avait vu Bernard, ce dernier ne s’exprimait que par râle et difficilement par des mots-clefs. Sa voix n’était rien de ce que l’on pouvait imaginer de sa stature. Elle était douce, légèrement suave et parfaitement correcte. Devinant qu’il avait dérouté la jeune femme, le majordome sourit, laissant entrevoir sa dentition imparfaite puis se justifia en montrant un cercueil qu’une recrue de l’ombre s’apprêtait à remettre en terre.
-Victor est revenu, une fois, après l’un de vos départs pour me donner une langue en cadeau. Il a pris soin de se contenter uniquement des corps qui restaient encore à la surface pour ne pas que vous aillez à tout recommencer. Par la suite, je pense que vous devez vous douter qu’en compagnie de mon maître, il n’est pas très compliqué d’apprendre à parler.
Cayline l’admit d’un mouvement de tête. Victor était un être bavard qu’il était parfois difficile à suivre lorsqu’il se plongeait dans ses interminables tirades.
-Que faites-vous ici ?, demanda-t-elle ensuite de sa voix douce.
-Je voulais voir où vous en étiez. Et Victor aussi, à vrai dire. Il s’est rapidement remis des blessures infligées par votre ami, mais il n’ose plus se montrer, pour cette année en tout cas. Il n’a pas envie de replonger dans ses sombres frénésies. Depuis le temps qu’il est ici, il a perdu l’habitude de se socialiser avec des êtres doués de raison et ses étranges excès de recherches reprennent rapidement le dessus sur sa raison.
-Vous semblez bien le connaître pour une créature récemment créée, constata l’olympienne d’un ton léger.
-Victor est un livre ouvert et avant que je ne sois douée de parole, je passais beaucoup de temps à lire. Le manoir est pourvu d’une riche bibliothèque pleine de collection de livres de toutes les dimensions. Je ne comprends pas la plupart des mots ou symboles que j’y trouve, mais les journaux de mon maître me suffisent.
Cayline s’apprêtait à rebondir lorsque la silhouette de Nevra se profila à l’horizon. Derrière lui, se tenait cinq recrues dont l’une était légèrement blessée. Il s’agissait de la nymphe de sa dernière excursion. Elle s’était, visiblement, foulée la cheville et marchait grâce au soutien de deux galants. Il était étonnant que Nevra n’en fasse pas partie. Le visage de l’olympienne commença à s’assombrir, mue par sa jalousie, mais la présence de Bernard à ses côtés la dissuada de plonger tout entièrement dans ses travers. D’un discret raclement de gorge, elle regagna un faciès plus neutre, qu’elle perdit bien vite lorsque la voix de son supérieur lui parvint. Elle ne sut contenir son exaspération tandis que ce dernier s’étonner de la présence de la créature qui se tenait à côté d’elle.
-Bien le bonjour, monsieur Nevra, répondit Bernard avec bonhomie.
Comme Cayline, le vampire fut surpris du soudain don de parole du majordome. À nouveau, en des termes plus courts, ce dernier dut se justifier. Nevra avait été ravie d’apprendre que Victor s’était remis de ses blessures, mais il se désola lorsqu’il apprit que le laborantin avait, encore, profaner un corps.
-Loin de moi l’idée de vous vexer, Bernard, bien sûr. C’est juste que…
-Je suis une abnégation, un être qui n’aurait jamais dû être créé. Je sais, maître vampire. J’en suis tout à fait conscient. Même si je remercie mon maître de m’avoir donné la vie, je ne peux m’empêcher de penser à ces pauvres entités qui ont été contraintes de renoncer à certaines parties d’elles-mêmes. J’ose espérer, cependant, que votre travail pour réhabiliter le cimetière aura aidé ces trépassés à retrouver le repos.
Le vampire se tut tandis que Cayline apposé une main compatissante sur le bras du majordome. Stupéfié par cet élan de compassion, Bernard avait plongé son regard surpris dans les yeux dorés de l’olympienne.
-Je suis certaine que c’est le cas.
-Vous êtes une belle âme, Cayline mais le doute, je pense, sera mon fardeau éternel. Je suis composé de leur chair et de leur viscère. Ils ont perdu une partie d’eux-mêmes par la force et la folie de maître Victor. J’espère que tous comprendront que sous cet accès de folie, se cacher une véritable volonté à retrouver un peu de compagnie. Un simulacre de son frère disparu.
À nouveau, le vampire fut étonné des propos du majordome. Il répéta les derniers mots sans rien cacher de sa surprise. Qu’entendait-il par son frère disparu ?
-Comme je le disais à Cayline avant votre arrivée, mon maître a écrit de nombreux journaux depuis son exil dans la contrée. C’est un être aussi bavard dans la parole que dans l’écriture, bien qu’il le fût beaucoup moins sur ses premières pages. Le poids de la solitude le poussa à s’exprimer un peu plus, je pense.
-Mais, alors il se souvient…
-De tout, oui, coupa Bernard. Mais il a jugé plus simple de jouer le fou amnésique plutôt que de laisser son entourage s’apitoyer sur sa disparition. C’était aussi plus simple pour lui, plus supportable. Mais les années sont bien longues lorsque l’on devient éternel malgré soi. D’où sa soudaine envie de me créer et de me baptiser du nom de son frère. Je ne fais que contribuer à l’illusion qu’il se fait subir consciemment à lui-même. Sous couvert du hasard, mon maître espère retrouver un peu de chaleur fraternel avec moi et j’espère pouvoir accomplir cette tâche avec brio, même s’il ne l’avouera jamais tout à fait.
-Tu veux dire que toutes ses folies, ses étrangetés, ses démences, tout cela, c’est au fait le fruit d’une illusion consciente, un simple jeu d’acteur que Victor tient depuis presque cent ans.
-Vous avez eu le mot juste, Nevra. Un jeu. C’est exactement ça. Le docteur Frankenstein joue le fou depuis la première réouverture des portes de la contrée qui a suivi son exil. Il s’y est si bien plongé qu’il est, maintenant, difficile pour lui d’en sortir. Il n’y a que grâce à ça qu’il a réussi à tenir. Et ses expériences, bien sûr. Sous couvert de vouloir asservir la contrée toute entière, Victor espère contribuer, à sa manière, au maintien de la paix entre les différentes dimensions qui se croisent dans la contrée durant ces quinze jours. Les desseins mystérieux du phœnix ont fait de lui son ennemi premier, également, mais il ne partagera jamais ce que je suis en train de vous avouer. Parce qu’il estime que c’est inutile et parce qu’il a pris l’habitude d’agir seul. Enfin, je me targue de croire que ma création est peut-être l’annonce d’une nouvelle ère et que ma présence, désormais, le poussera à sortir de son rôle de savant fou pour redevenir, aux yeux de tous, un être raisonné et plus seulement dans les pages de ses journaux. Je devrais peut-être vous en rapporter un l’année prochaine pour que vous puissiez constater de l’intelligence de mon maître.
Il se tut, laissant Cayline et Nevra assimiler ce qu’il venait de leur confier. Le vampire n’en revenait pas. Son regard ne cessait d’aller et de venir de la créature jusqu’au manoir qu’il était possible d’apercevoir à l’horizon. Il avait toujours cru que Victor avait oublié son passé.
-Ne vous n'en voulez pas de n’avoir rien vu, monsieur. Au fil du temps, mon maître a acquis une certaine expérience dans l’art de jouer un rôle. Il est difficile de déceler la vérité sous presque cent ans de comédie grotesque.
-Pauvre Victor, prononça Cayline d’une voix distraite tandis que son regard se posait sur son manoir.
-Je vous conseille de ne jamais faire part de votre compassion. Le docteur n’en veut pas. Ça le blesse bien trop dans son ego.
Cayline n’eut d’autre choix que d’accepter ces termes. Une dernière fois, Bernard leur pria de garder la confidence. Il s’était confié afin qu’ils comprennent toute la complexité du personnage qu’était son maître, mais certainement pas dans le but de lui porter un quelconque secours inutile. Victor se savait condamner à l’exil éternel. Seule la mort pouvait l’en délivrer, mais cette dernière refusait de venir à lui. Alors, pour l’heure, il devait continuer à masquer les apparences, jouer son rôle sans jamais faillir.
-Nevra, nous sommes prêts pour le départ.
La voix de Karenn résonna un peu plus loin. Autour d’elle, les recrues se tenaient prêtes pour partir. Leur temps dans la contrée était écoulé et ils devaient partir maintenant s’ils voulaient assister à la fermeture des portes.
-Je vous laisse, les vôtres vous attendent, formula le majordome. Je vous remercie encore pour ce que vous avez fait. Je vais de suite avertir mon maître que vous avez réhabilité le cimetière. Il en sera ravi, j’en suis sûr.
-Pourriez-vous le saluer de notre part ?, demanda l’olympienne alors que Bernard commençait à prendre le chemin du retour.
-Je n’y manquerai pas, répondit-il en souriant une dernière fois à l’olympienne.
Il reprit son chemin, sans un regard en arrière. Son pas était toujours aussi lourd et difficile, mais le majordome semblait s’y être accommodé.
-Nous y allons, nous aussi ?, intervint Nevra.
Il s’était rapproché de l’olympienne. Bien trop à son goût, elle qui était en colère. Sans s’épuiser à répliquer, elle se détourna du majordome puis de son supérieur pour rejoindre la troupe de ses camarades sans un regard pour le vampire.
05- La fermeture des portes
Nevra était resté dans sa chambre après s’être attardé au marché. Ses achats reposaient sur son lit. Il hésitait. Depuis qu’il était rentré, il n’avait pas réussi à trouver le sommeil. Son esprit ne cessait de penser à son olympienne et à la froideur dont elle avait fait preuve à son égard. Il pensait en connaître la cause et s’étonna de se sentir coupable. C’était dans son caractère de se montrer charmant et séducteur avec la gente féminine. Alors pourquoi la réaction de Cayline le tracassait autant ? Il avait dans l’idée de l’inviter à venir avec lui, ce soir, jusqu’aux portes de la contrée. Bien sûr, elle s’y rendrait avec ou sans son invitation, mais il tenait à l’avoir personnellement à ses côtés. Et pour sa demande, il avait pensé à lui offrir une tenue de circonstance.
Cependant, maintenant qu’il avait acheté une tenue, Nevra ignorait comment s’y prendre. L’olympienne devait, comme toutes les autres recrues, se reposer dans sa nouvelle chambre. C’était assez risqué de venir la déranger dans son sommeil. Il ignorait ce qu’il pouvait advenir si jamais il l’arrachait des bras de Morphée. Il était hors de question qu’il s’attire plus encore de son courroux. Son œil unique se posa sur le paquet dans lequel se trouvait la tenue. D’abord, il devait la remettre. Et correctement. Puis, il avisa un morceau de parchemin posé sur son bureau. Oui, voilà. Il griffonnerait une note qu’il joindrait au paquet, toquerait à la porte de sa recrue et repartirait. Simple, non ?
Le bruit soudain du bois tapé de sa porte réveilla définitivement la gardienne plongée dans un demi-sommeil. Elle repensait à son dernier échange avec Bernard, mais aussi à Nevra. Elle était en colère et n’arrivait pas à se raisonner. Elle était une parmi tant d’autres. Pourquoi avait-elle cru être différente des autres ? À cause de cette excursion en tête-à-tête, bien sûr. Le vampire lui avait fait tourner la tête. Mais à combien d’autres femmes cela était-il arrivé ?
D’un geste difficile, elle s’extirpa de son lit, ses membres ankylosés par les efforts des jours derniers. Quand elle ouvrit la porte, elle fut surprise de ne voir personne derrière. Elle s’apprêtait à refermer tout en maudissant le plaisantin qui l’avait importuné lorsque ses yeux se posèrent sur un paquet accompagné d’une lettre. Un regard de part et d’autre du seuil lui confirma que le postier était déjà parti. Alors, elle se pencha et se saisit de la boîte qu’elle déposa sur son lit. Avant de l’ouvrir, elle décacheta l’enveloppe où rien n’était marqué.
Ma belle olympienne,
Je t’invite ce soir à m’accompagner jusqu’à la clairière, assister à la fermeture de la contrée à mes côtés. Pour que soyons, à nouveau, les premiers témoins de ce qui a été.
Nevra
Cette fois, c’était trop. Une vive colère envahit l’esprit de Cayline. Elle chiffonna le parchemin, attrapa le paquet qu’elle ne prit pas la peine d’ouvrir et se dirigea vers la chambre de son supérieur. Il était hors de question qu’elle se fasse avoir à nouveau. Elle ne voulait pas qu’il joue avec elle. Sèchement, elle toqua à la porte du vampire. Il lui ouvrit rapidement. D’abord souriant, il afficha bien vite une mine sérieuse lorsqu’il constata que sa visiteuse ne partageait pas le même entrain que lui.
-Tenez, je vous rends ça, déclara-t-elle sèchement en lui tendant la boîte. Je vous remercie de votre charmante attention, mais je refuse votre invitation.
-Cayline…
-Ne jouez pas avec moi, coupa-t-elle en criant presque. Ne me faites pas croire que je suis quelqu’un à vos yeux alors que toutes mes camarades ont reçu les mêmes attentions. Ne me faites pas croire que vous êtes triste ou déçue de ne pas m’avoir à vos côtés. Je suis certaine que vous retrouverez du réconfort auprès des autres. Si cela leur plaît d’être votre jouet, c’est leur choix, mais moi, je ne le tolérais pas.
Elle força le vampire à reprendre son présent avant de repartir en courant dans sa chambre. Les larmes s’étaient mises à monter tandis que la rage la gagnait. Elle refusait qu’il le voie ainsi. Elle s’engouffra dans sa chambre et retrouva un peu de son calme dans la quiétude de ses appartements. Malheureusement, elle avait acquis tellement de colère, de jalousie, de rage, que son corps n’en pouvait plus. Il fallait que ça sorte par le biais de ses larmes. Elle glissa le long de sa porte, tint ses genoux près de son buste et plongea la tête entre ses membres, pleurant en silence. Cependant, elle était tellement assourdie par sa tristesse qu’elle fut surprise d’entendre la voix de son supérieur de l’autre côté. Sa voix semblait brisée, profondément désolée. De l’autre côté du panneau, le vampire suppliait l’olympienne de lui ouvrir. Il voulait lui sincèrement lui parler, mais ce qu’il avait à dire ne pouvait pas être confié dans un couloir.
Elle prit quelques minutes pour répondre. Le temps pour le vampire de s’asseoir le long de la porte, de l’autre côté. Il semblait déterminé à attendre qu’elle lui ouvre. Une part d’elle le refusait, mais une autre était curieuse d’entendre ce qu’il avait à dire. L’olympienne se releva et doucement, ouvrit sa porte, passa sa tête dans l’entrebâillement et regarda le vampire se relever pour lui faire face.
-Oh, Cayline…
Il voulut essuyer une larme qui coulait encore sur le visage de la jeune femme, mais cette dernière recula et ouvrit complètement la porte pour le laisser entrer, bien malgré tout. Il tenait encore dans ses mains le paquet qu’il avait voulu lui offrir. Délicatement, il le posa sur la coiffeuse de la jeune femme avant de l’inviter à le suivre jusqu’au lit où ils s’assirent.
-Je suis désolé, Cayline. Je ne voulais pas te faire du mal.
Il laissa un petit moment de silence, espérant peut-être une réponse de la jeune femme qui ne vint pas. Alors, il reprit.
-Je ne t’apprends rien en disant que j’aime particulièrement séduire et charmer la gente féminine. C’est plus fort que moi. J’apprécie qu’une femme me désire, me trouve à son goût.
Il avait voulu prendre la main de sa recrue, mais ses mots la mirent encore plus en colère. Elle retira sa main de son étreinte, récriminant contre un nouvel accès de rage.
-Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre, mais laisse-moi finir, je t’en prie. Écoute-moi jusqu’au bout. Lors de notre première excursion, j’ai véritablement aimé faire croire que tu étais ma petite amie. Je me suis pris au jeu avec plaisir et, étonnamment, avec sincérité. C’était étrange pour moi, nouveau. J’ai rarement senti ce genre de chose. Pour ne pas dire jamais. J’ai beaucoup de respect pour les femmes qui ont partagé ma couche, mais ça a toujours été des histoires sans lendemain, sans prise de tête, sans sentiment. J’ai cru que cela passerait, qu’en reprenant mon habituel manège de vampire séducteur, les choses s’amoindriraient. Mais chaque fois que je te voyais en colère, irritée, froide, je ne pouvais m’empêcher de me sentir blessé. Encore maintenant, j’ignore pourquoi, mais je suis certains d’une chose. Je ne veux pas que tu sois en colère après moi. Après tout, toi aussi, tu connais les histoires d’un soir. Nous sommes tous les deux des êtres de séduction. Alors pourquoi m’en vouloir ? Pourquoi est-ce que je me sens coupable de te mettre dans cet état ? Je veux sincèrement que tu m’accompagnes ce soir à la clairière. Nous y serons tous, évidemment, mais c’est toi plus particulièrement que je veux avoir à mes côtés. Tu pourras demander à tes camarades si tu veux, aucune d’entre elles n’a reçu de paquet si bien emballé, de ma part.
À mesure qu’il parlait, Cayline sentait sa colère s’estomper pour faire place à un sentiment plus doux. Elle avait fini par plonger son regard dans l’œil violet du vampire. Il était sincère et désolé. Tout était nouveau aussi pour la jeune femme. Bien que ses frasques charnelles aient été majoritairement partagées avec son ami Belruil, elle n’avait jamais connu de sentiments comparables à ceux qu’elle avait ressentis au cours de ses derniers jours. Elle désirait ardemment son supérieur, mais pas uniquement pour son physique. Elle le voulait près d’elle, partager avec lui quelques instants même infimes, retrouver cette complicité feinte durant leur premier voyage dans la contrée. Une chose inédite qui lui donnait le tournis. Elle ne sentait plus maîtresse d’elle-même, chaque fois qu’elle voyait le vampire s’approcher d’une autre et lui susurrer quelques compliments au creux de son oreille. Elle haïssait entendre ses femmes rires comme des dindes alors qu’il leur souriait avec charme.
La situation était nouvelle pour l’un et l’autre. Lorsque le vampire se tut, se fut au tour de l’olympienne de se confier. Il la rassura sur tous les points et l’invita encore une fois à venir avec lui. Elle réfléchit encore un peu pour, finalement, accepter pour le plus grand plaisir de son supérieur.
-Mais vous n’avez pas peur qu’on voit tout ça d’un mauvais œil ? , interrogea encore Cayline.
-Je suis un chef de garde, non ? Je fais bien ce que je veux, du moment que cela n’interfère pas dans mon travail.
-Justement.
-Crois-moi Cayline, tout ira bien. Ignore les qu’en dira-t-on.
L’olympienne approuva. Elle laissa le vampire gérer la situation. Les choses ayant été remises à plat, le chef des ombres décida qu’il était temps pour lui de se retirer. Il espérait encore profiter du temps qu’il lui restait pour dormir un peu. Et suggéra à Cayline d’en faire de même.
-Je te laisse découvrir le contenu du paquet plus tard.
La jeune femme l’avait raccompagné jusqu’à la porte. Elle sourit. Ses larmes avaient disparu et son visage avait retrouvé de cet éclat charmant qu’appréciait tant le vampire. En guise de salutation, il déposa à nouveau un baiser sur le front de la jeune femme. Il rêvait pourtant d’apposer ses lèvres aux siennes, mais il jugea bon de ne pas le faire maintenant. Il crut, cependant, céder à la tentation lorsqu’à nouveau, Cayline en réponse à ce baiser, vint frôler la commissure des lèvres du vampire. Lorsqu’elle s’éloigna, le chef des ombres dut se mordre les lèvres. Il ne devait pas céder. Pas maintenant, pas dans ces circonstances.
-Dormez-bien, lui souhaita l’olympienne avant de doucement refermer la porte.
Et c’est ce qu’il fit. Durant les trois heures qui suivirent, Nevra dormit bien mieux qu’il ne l’avait espéré. Ses songes avaient été occupés à des choses légères en compagnie de sa recrue. À son réveil, le doute le prit, un bref instant. Son entrevue avec Cayline avait-il été aussi un rêve ? Les secondes qui suivirent lui rappelèrent que non. Ils s’étaient réconciliés sans pour autant scellé définitivement leur sentiment par un premier baiser. Celui-ci viendrait à temps. Il était inutile de précipiter les choses.
Pour le moment, il devait se préparer. Le soleil s’était déjà couché et la lueur rougeâtre de la lune rousse se faisait bien plus intense que les jours précédents. D’ici quelques heures, la contrée serait fermée.
Il se dirigea vers les écuries pour préparer la monture qu’il souhaitait chevaucher au cours de cette soirée. Son idée était parfaite. Maintenant que Cayline l’accompagnait, il fallait qu’il l’impressionne, la subjugue. Mais rien n’était gagné, encore. Il fallait que cette monture accepte cette proposition. C’était la raison pour laquelle il avait demandé à Shaïtan de l’accompagner. Elle et Achille s’entendaient bien. Avec un peu de chance, elle réussirait à le convaincre.
Comme il s’y était attendu, le Morvac’h se montra peu coopératif, dans un premier temps. Shaïtan avait jugé de ne pas intervenir tout de suite, laissant son maître essayer. Mais l’idée de se faire conduire par le vampire paraissait saugrenue aux yeux de l’équidé. Seule sa maîtresse pouvait le mener. Question de principe et de loyauté. Alors Shaïtan intervint et Achille coopéra, mais pour cette fois, seulement.
Nevra ignorait comment il savait tout ça. Son lien avec la black Gallytrot, peut-être. Quoiqu’il en soit, il n’eut aucun mal à se faire comprendre par Achille, mit dans la confidence. Quelques longues minutes plus tard, sa maîtresse arriva, vêtue d’habits sombres très différents de ce qu’elle portait habituellement. Sa jupe voilée et légère tendait vers un noir verdissant qui rappelait la couleur de ses manches bouffantes. Son haut bleu nuit, ceinturé d’un ruban vert bleuté offrait une vue de choix sur ses atouts féminins. Enfin, un voile bleuté lui faisait office de traîne. Seuls ses bijoux d’or ne dérogeaient pas à ses habitudes. Ses yeux, fardés de noirs, semblaient plus intenses encore. Sa venue fit de l’effet. Quelques-unes des recrues de l’ombre s’étaient déjà préparées pour le départ à venir. Les hommes la regardaient avec envie, tandis que les femmes préféraient se taire ou chuchoter quelques moqueries. Comment comptait-elle chevaucher avec une tenue pareille ?
Une question que la jeune femme s’était également posée lorsqu’elle avait enfilé sa tenue. Elle fut, alors, surprise lorsqu’elle vit Nevra tenir les rênes d’Achille. Son Morvac’h se laissait manipuler par une autre personne qu’elle. Même s’il s’agissait de Nevra, elle ne put s’empêcher de se sentir légèrement trahie par son familier chéri.
-Cette fois, c’est moi qui mène les brides, déclara le vampire en venant à sa rencontre.
-Je crois comprendre, oui, répondit l’olympienne en apposant à sa monture un petit regard réprobateur.
-Ne t’inquiète pas, c’est pour cette fois, uniquement. Je t’aide à monter ?
Il tendit sa main en guise d’invitation. Tout autour, les commentaires allaient bon train. Les mots du chef de garde revinrent alors à l’esprit de la jeune femme. Elle devait se moquer de ce qui allait se dire. Après tout, elle souhaitait ardemment ce rendez-vous, quand bien même il avait lieu à la vue de tous. Le rang hiérarchique de Nevra posait problème, certainement, mais que ce soit avec elle ou une autre, les choses auraient été les mêmes. Et elle avait très envie que cela se passe avec elle et non une autre. Elle saisit la main du vampire et le laissa la monter en amazone sur sa monture. Elle fut bien vite entourée par les bras du vampire qui la cala contre lui. Ils passèrent devant les regards réprobateurs ou envieux des autres membres qui, à l’image de leur supérieur, commençaient à monter en selle pour prendre le chemin vers la clairière.
Le chemin jusqu’aux portes avait été calme. Personne n’osait parler, du moins à voix haute, de ce qui se passait sur le dos de l’équidé. Cayline s’était laissé aller contre le corps musclé de son supérieur tandis que ce dernier profitait avec délice de l’instant en humant le parfum floral de ses cheveux indigo. Bien qu’accompagner, les deux jeunes gens était seuls, enfermé dans leur bulle romantique.
Lorsqu’ils arrivèrent dans la clairière, l’intensité de la lune approchait de son paroxysme. Tout était teint de rouge, même les arbres les plus verts. Au milieu de l’étendue, les portes de la contrée étaient parfaitement visibles. Les figures qui la composaient semblaient animées par l’atmosphère carmin. Encore quelques minutes puis les portes se fermeraient. De l’autre côté, deux silhouettes assistaient également au spectacle. Nevra n’eut aucun mal à les reconnaître. Victor et Bernard avaient fait le déplacement. Le vampire descendit de sa monture et aida l’olympienne à en faire de même. Se liant par la main, ils avancèrent au-devant de la trouée et saluèrent les deux compères.
-Tiens ! Salut, vous deux. Ça faisait longtemps, déclara Victor avec joie. Dis donc Cayline, tu t’es mis sur ton trente-et-un. C’est pour moi, c’est ça ? Tu as décidé de venir me rejoindre et le joli vampire a eu la gentillesse de t’emmener jusque moi, c’est ça ? C’est un cadeau pour le Samhain. Vraiment, fallait pas.
-Je suis navrée, Victor, mais je reste ici, répondit Cayline avec tendresse.
-Bah ! C’est tout, ça sera pour l’année prochaine peut-être.
-Je pense, monsieur, qu’il est assez vain d’espérer, intervint Bernard en se penchant à l’oreille de son maître.
-Ça va, je le sais ! Mais c’est toujours beau d’espérer, non ?
-N’espère pas trop non plus, Frankenstein, conseilla Nevra.
-Calme-toi, Nevra. Je plaisantais. Je suis fou mais pas idiot, mais tu sais. On aura encore bien rigolé cette année, dis-moi. Et grâce à Bernard, je me suis rapidement remis de mes fractures ! L’année prochaine, tu pourras me casser l’autre bras du coup.
-J’espère ne rien avoir à te casser du tout, la prochaine fois.
-Je ferais en sorte que mon maître se tienne correctement, monsieur, confia la créature en ignorant la protestation du laborantin.
Les portes commençaient à se fermer. La lune rousse avait atteint son paroxysme. Nevra, Cayline, Bernard et Victor s’éloignèrent tous d’un pas, laissant les battants mener leur chemin. Ils se saluèrent encore, Victor échangeant quelques plaisanteries ou promesses étranges jusqu’à ce que les portes se closent définitivement. Elles provoquèrent un bruit sourd, vibrant dans le sol et jusqu’au ciel. Les volatiles nocturnes fuirent leurs perchoirs, les montures alentours exprimèrent leurs inquiétudes de toutes les manières possibles jusqu’à ce que le calme revienne. Déjà, le carmin de la lune s’estompait. Dans les jours à venir, l’astre reprendrait son cycle habituel, se cachant pour mieux revenir. C’était fini. Presque trop court pour certains, mais il était inutile de rester plus longtemps dans la clairière. Beaucoup reprirent le chemin du retour jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’olympienne et le vampire.
-Alors, voilà, c’est terminé, constata Cayline en se rapprochant d’Achille.
-Les portes de la contrée sont fermées, oui, mais je n’en ai pas terminé avec toi, belle olympienne.
Nevra s’était interposé devant la jeune femme, la déviant de sa monture. Il l’attrapa par la taille pour l’amener tout contre lui. Sous le rouge de la lune, il trouvait sa recrue plus belle encore. Si près d’elle, il remit une mèche de ses cheveux indigo à sa place pour mieux caresser les courbes de son visage jusqu’à atteindre son menton qu’il releva vers son visage.
Cayline se laissait aller paisiblement, profitant de l’instant présent. Lorsque ses yeux plongèrent dans le regard de son supérieur, elle sentit son pouls s’accélérer. Lui, luttait pour ne pas regarder ses lèvres. Pourtant, elle était fin prête à recevoir ses baisers et l’attente devenait bien trop insoutenable pour ne pas craquer. Achille s’impatientait également et s’exprima d’un coup de sabot dans le sol. Cayline voulut le voir, mais alors qu’elle déviait son visage de celui du vampire, ce dernier la retint et déposa enfin ce baiser si désiré.
Bonne lecture à vous.
Edit 28/10/2022: Et voilà! Ma petite histoire est terminée. J'espère qu'elle vous aura plus. La bise!