Bonjour et bienvenue sur la quatrième édition du topic
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Avec votre clavier, contez-nous des histoires, imaginez celles de vos comparses et fervents habitants d'Eel !
Ce topic est là pour ça !
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Voile d'Os pour MayaShiz
Je viens d'aller consulter un médecin, car je ne pouvais plus dormir. Il m'a trouvé le pouls rapide, l'œil dilaté, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptôme alarmant. Je dois me soumettre aux douches et boire du bromure de potassium.
"Le Horla" - Guy de Maupassant
Il a apprécié cette phrase. Il aurait voulu poursuivre sa lecture, mais ses obligations l'ont rattrapé. Le voilà qui attend.
Le vent salin caresse son visage en malmenant ses longs cheveux d'ébène. Le silence est roi sur le port de la cité d'Eel et le lieu a même été interdit à la population. Juste le temps de recevoir ces si prestigieux invités.
Balam ne sait pas si le mot est adapté à la situation. Ce qu'il ressent, c'est l'anxiété croissante de ses compagnons d'infortune et l'impatience qui grimpe le long de leurs nerfs. Ils ont hâte d'en finir pourtant, ils aimeraient que les minutes s'étirent et que les fées restent derrière leur frontière. L'elfe noir quant à lui, hésite.
Il aurait troqué volontiers cette attente contre la suite de son livre. Contre la feuille de parchemin abîmée, pourvu de flèches noires encrées par Mery lors d'un instant perdu à l'école. Contre des pensées plus apaisantes et la perspective d'une journée banale, le lendemain.
Mais pas d'heures perdues dans la peau d'un diplomate. Tant pis pour lui, sans doute.
Face à ses yeux opaques, la mer est calme. Un voile obscure comme une couverture stellaire et l'elfe noir songe que c'est un paysage qui vaut largement la peine qu'on sy perde.
À ses côtés, Nevra Mircalla et son bras droit ressemblent à s'y méprendre à des statues. Leurs bras croisés sur leurs poitrines, ils fixent l'horizon comme s'ils craignaient de manquer la course du soleil. Balam se fait la réflexion que décidément, Chef et subordonné sont semblables, autant dans la posture que dans les traits de leurs visages arborant un sérieux sans pareil. Nevra a déteint sur Rose, à force de le côtoyer.
Et à la gauche de l'elfe noir, Joseph Ael Diskaret s'agite. Le morgan n'est pas à son aise, Balam peut le deviner et il le comprend : les fâcheuses rumeurs concernant les Milliget doivent tourner dans son esprit, avec l'inquiétude liée à Helouri. Cependant et si les fées de cette lignée sont considérées comme les Maîtres de la Médecine, alors peut-être que cette rencontre pourrait changer quelque chose.
L'elfe noir n'en sait rien. Il n'a pas d'enfants et il n'est pas certain d'en vouloir. Il peut d'ores et déjà imaginer sa petite vie paisible voler en éclats, avec l'apparition d'un bambin et l'horreur merveilleuse de ressentir un amour qui transcenderait sa propre chair.
Un amour qui croit sans jamais s'amoindrir, par exemple. Qui défie le temps. Ce serait effrayant.
— Les voilà. prévient soudain Nevra.
Balam plisse ses yeux blancs. En effet : au loin, la forme d'un bateau se dessine. Il glisse sur l'océan dans un silence religieux et au creux des poitrines qui se trouvent sur la terre ferme, les cœurs s'accélèrent. La lune ronde d'Eldarya projette ses rayons sur le vaisseau en approche.
— Qu'est-ce que… souffle Joseph, interdit.
Un cauchemar ou un monstre. Pas de voiles, ni de gouvernail. Pas de pont, de mât, de poupe ou de coque, mais un énorme morceau de glace. Balam sent un frisson courir le long de son dos, à la vue de ce spectacle aussi fascinant que sordide.
Il ignore s'il peut comparer ce qu'il a sous les yeux à un palais flottant, une sculpture de gel qui dresserait ses épines glaciales contre les malotrus voulant les aborder. Ce voilier du bout du monde semble tellement complexe dans son architecture que l'elfe noir est bien incapable d'en déterminer l'entrée ou même un simple hublot.
Pourtant, il se sent observé.
Comme tous ses compagnons, il se demande ce que peut bien abriter un tel édifice spectaculaire, hormis ses occupants ailés. Les fées Milliget qui ne quittent leur frontière que rarement, qu'ont-elles pu bien emporter avec elles ?
La créature de glace s'approche du port, imposant sa présence monstrueuse à une cité qui n'en a pas l'habitude. Balam se demande si les Milliget seront assez fous pour laisser un tel navire en présence de la population.
À la place de curieux, il pense qu'il ferait tout son possible pour approcher ce monument extraordinaire et y jeter son œil, car c'est là une opportunité qui ne se présentera qu'une seule fois dans une vie.
Soudain, l'elfe noir tressaille. Un contact froid sur son front le sort de sa contemplation et quand il reprend corps avec la réalité, il remarque qu'il s'est mis à neiger.
Stupéfait, il écarquille ses yeux opaques et ouvre ses mains anthracites à la poudreuse, d'un geste machinal. Voilà bien longtemps qu'il ne l'a pas vue.
Cependant et à Rhenia-Gaear, la neige s'étend partout, non pas sur quatre personnes en train d'attendre des invités de prestige. Aussi et une fois qu'ils règnent, les flocons blancs ne rebroussent jamais chemin.
Pourtant, aussi vite qu'elle est apparue, la poudreuse s'est arrêtée.
Un claquement sonore retentit depuis le navire de glace. Sur l'un de ses flancs, une porte fondue dans son décor de cristal à ouvert ses battants sur le port, pendant qu'un rebord s'allonge comme une langue gelée.
Enfin, quatre silhouettes s'avancent.
Maigres, filiformes, presque fantomatiques sous leurs longs voiles d'os liquide. Leurs ailes irisées, grandes, fines, fragiles comme celles des spadels, absorbent les reflets glacés de leur grand navire singulier.
Balam se tend. Il a la sensation que la Mort elle-même leur rend visite et que ses sous-fifres, sur leur langue froide, ne sont là que pour annoncer sa venue. Ils parviennent même à transformer l'odeur saline de la brise d'Eel en souffle d'effroi et la nuit noire pèse lourdement sur les épaules de ceux qui attendent les fées depuis un long moment.
Enfin, l'un des Milliget s'anime. Ses ailes se mettent à vrombir et sa silhouette lévite. Malgré le tissus blanc qui recouvre son visage, Balam se sait observé et il est certain que ses compagnons se sont fait la même réflexion.
Bientôt, les autres fées imitent leur congénère puis, quittant leur vaisseau extraordinaire, prennent leur envol jusqu'à leur comité d'accueil.
C'est le froid qui a frappé l'elfe noir en premier. Le froid dégagé par ces corps chétifs ou plutôt, par le vêtement qui masque leurs visages. Peut-être que le climat du Beryx est bien trop chaud pour les fées et qu'elles ont besoin des températures extrêmes de leurs contrées en permanence.
Balam ne pourrait pas le prédire.
À ses yeux, il n'y a que quatre répliques de Milliget parfaitement identiques, si ce n'est leur taille qui arrive à marquer la différence.
Ah, voilà. Il se trompe : leurs mains, aussi. Leurs doigts blafards, irisés, pâle ou de pêche.
— Bienvenues à la cité d'Eel, amorce Nevra en s'avançant quelque peu, la Garde d'Eel est honorée de vous recevoir et l'impératrice elle-même vous saluera en personne lorsque le jour se montrera.
— Est-ce que tout a été préparé selon notre demande ? tranche une voix modulée.
Mains Blafardes s'est exprimée. Elle s'est un petit peu plus avancée que ses pairs et l'elfe noir imagine qu'elle est à la tête de la hiérarchie. À ses côtés, l'une des fées s'agite. Sous son voile, elle semble observer le décor avec grand intérêt, avant de s'attarder sur les figures faeriennes nouvelles.
Celle-ci, c'est Mains Pâles.
— En effet, affirme le Chef Mircalla, tous les préparatifs sont terminés. Mon bras droit, Balam Lefaucheur et Joseph Ael Diskaret allons vous escorter jusqu'au Quartier Général. Ensuite, les Égides vous conduiront à vos appartements.
Tout en parlant, Nevra les a désignés à tour de rôle. Mains Pâles a suivi ses gestes avec application, sa tête ne quittant pas son bras de ses yeux cachés. Comparé aux autres fées, si stoïques, il y a quelque chose de plus candide chez lui. D'ailleurs, Balam peine à comprendre en quoi ses capacités diplomatiques peuvent être utiles, en cet instant.
Le Chef Mircalla a l'air d'avoir une parfaite maîtrise de la situation et pour le moment, les Milliget ne sont pas menaçants. Cependant, la réponse lui parvient assez rapidement.
Mains Blafardes s'adresse à Nevra et uniquement à Nevra, pendant que les autres fées capturent tout ce qui se trouve sous leurs yeux. Mains Pâles quant à lui, a choisi d'assouvir sa curiosité en s'approchant de Rose Clarimonde. Le voile blanc flotte autour de sa silhouette maigre et ses ailes s'agitent par soubressauts.
Il n'y a rien d'inquiétant dans son attitude. À vrai dire, Balam songe à un enfant qui verrait un vampire pour la première fois de sa vie. Sous le tissus blanc, il peut deviner son visage levé pour observer celui de Rose. Même si ce dernier reste impassible, ses yeux opalins fixant un point invisible sur le bateau des Milliget, l'elfe noir peut le deviner embarassé à ses soupirs discret, soufflés par le nez.
— Sira. appelle une voix rauque.
Balam tourne la tête. C'est Mains Irisées qui a parlé et même si la dissonance entre son ton et son apparence a quelque chose de troublant, elle exprime une bienveillance assez platonique.
Tout comme eux qui ont été placés au port d'Eel pour recevoir des invités de haut statut, les fées ont également une image à garder.
Pourtant, quand Sira revient vers Mains Irisées, l'elfe noir perçoit beaucoup de complicité. La fée si agitée laisse échapper un rire très léger, presque soufflé, imperceptible pour une oreille qui n'est pas attentive et parmi les étoffes de leurs longs voiles d'os, il attrape un geste d'affection.
Le Milliget à la voix rauque caresse doucement la main de Sira et pour Balam, ils évoquent l'image de la famille. C'est quelque chose d'assez étrange car les rumeurs, elles, les qualifient plutôt d'une meute ou d'un essaim, où les plus forts dominent les plus faibles.
D'ailleurs, la fée à la tête de cette famille si singulière prend la parole :
— Je suis Delta Milliget, se présente-t-elle, et je suis venue en compagnie de mes enfants Sira, Shelma et Candice.
Une mère et ses enfants, donc. Enfin : une partie de ses enfants. L'elfe noir devine que les autres sont restés sur le bateau pour des raisons qu'il ignore, et qu'il préfère ignorer. Il sait pertinemment que se mêler des affaires de grandes gens peut apporter son lot d'ennuis.
— Si vous me permettez cette question, reprend Nevra, le reste de votre famille n'est pas venu avec vous ?
— Pour les affaires que nous avons à traiter, ce n'est pas nécessaire. Pendant que nous séjournerons ici, le reste de mes enfants pourra poursuivre notre travail.
Balam ignore à quoi ce travail peut bien faire référence mais Joseph, quant à lui, se permet de poser la question. L'elfe noir sait que pour son camarade si frileux à confronter les fées, c'est un effort qui a pour motivation, le visage de son fils obsédé par la médecine :
— Pardonnez ma curiosité, mais est-ce que ça aurait un rapport avec la médecine ? On m'a vanté les recherches et l'intelligence de votre famille dans ce domaine.
— Ah… Un curieux qui veut gratter la surface d'un domaine dont il ignore tout, raille une voix traînante, et qui espère que nous répondrons religieusement à toutes ses questions.
Les regards se tournent vers la fée qui a ouvert la bouche. Celle qui était restée silencieuse depuis leur arrivée, croisant ses mains à la peau de pêche sur sa poitrine.
Sous son voile, elle fixe Joseph et ajoute d'un ton mielleux :
— Vous avez raison, après tout : l'espoir fait partie de notre travail.
— Candice… murmure Sira, incertain.
Les traits de Joseph se tendent et Balam plisse les yeux. Seul le silence répond à la fée Milliget, mais loin de se démonter, sa voix résonne à nouveau pour claquer comme un coup de tonnerre.
— Le voyage a été long, alors il serait appréciable que nous puissions voir la couleur des murs de votre Quartier Général.
Delta et Shelma le fixent sous leur voile, et Nevra Mircalla semble pris au dépourvu. Mais il se rattrape bien vite et arbore un sérieux sans pareil. Un sourire fallacieux aux lèvres, il rétorque :
— Ce serait un honneur. Votre impatience nous touche profondément, alors je vous conduis au Quartier Général avec joie.
Prenant la tête de l'escorte, Nevra se met à marcher vers le centre-ville. À sa suite, Balam commence à comprendre son véritable rôle, ici, et même s'il se tient en observateur, il a le sentiment qu'un mot malheureux peut faire dégénérer la situation.
Les Milliget se sont rendus à Eel par nécessité, il l'a bien compris. Ils n'ont aucune envie de prolonger leur séjour, alors plus l'affaire qu'ils ont à régler est close au plus vite, mieux c'est.
Cependant, l'elfe noir se sent navré pour Joseph. Il est celui qui lui a proposé l'idée de venir rencontrer les fées en personne, afin de se faire sa propre opinion, mais force est de constater qu'elle ne sera pas à leur avantage.
Le grand morgan leur engage le pas, puis Delta vient marcher à ses côtés. Ses mains blafardes dans le dos, elle reste silencieuse, puis interroge soudain Joseph :
— Quel est votre intérêt pour la médecine ?
Surpris, ce dernier tourne la tête pour la regarder. Enfin, il prend le temps d'organiser ses idées, et lui raconte :
— Mon intérêt pour la médecine, c'est surtout celui de mon fils.
— Votre fils veut devenir médecin ?
— Mon fils veut devenir médecin pour corriger une malformation qu'il a depuis sa naissance.
— Une malformation congénitale… dit Delta, songeuse.
Balam les écoute échanger. Joseph lui raconte l'état des branchies d'Helouri et à quel point cela régit sa vie. Comment il veut être médecin à tout prix, comment il veut trouver un moyen de se guérir et comment ses angoisses et ses multiples échecs ruinent sa santé.
Contrairement à son enfant, elle est à l'écoute et n'use d'aucun sarcasme vis-à-vis du morgan.
Elle, peut-être, pourrait souffler sur les rumeurs qui hantent l'esprit de Joseph.
L'elfe noir a presque un sursaut lorsqu'il remarque la présence de Sira à ses côtés. Silencieux, la fée se contente de le regarder avec la même curiosité que Rose a suscité chez lui. Balam croit l'entendre pouffer sous son voile et quelque part, Sira le fait penser à Mery.
Il s'agite par instants et alors que l'elfe noir se demande bien ce qu'il fabrique, la réponse lui arrache un sourire attendrit : la fée imite sa démarche.
— Vous êtes comme les elfes de Rhenia-Gaear, lui dit Sira de sa voix claire.
Balam hoche la tête. Certes, même s'il n'y a pas grandi, il est originaire des Terres Gelées du Grand Nord.
— Le froid ne vous manque pas ? lui demande la fée, surprise.
Caressant la corde de son arc d'un geste distrait, l'elfe noir hausse les épaules et lui explique, non sans entrer dans les détails :
— Je n'ai pas connu le froid puisque je n'ai pas grandi à Rhenia-Gaear. Je pense qu'au contraire, j'aurais bien du mal à lutter contre lui, le jour où je me rendrais dans cette cité.
— Vous voulez aller la voir ?
— Pourquoi pas ?
— Sira !
Le dénommé tressaille et lève la tête à la hâte, pour se confronter à la silhouette maigre de son frère. Plus loin, Candice s'est arrêté. Même s'il ne peut pas voir son visage, Balam a l'impression que la fée Milliget est en train de le cingler du regard et quand il tend la main vers Sira, ce dernier trottine vers lui pour la saisir.
Silencieux, il mêle ses doigts aux siens et appuie son front contre son bras.
— Tiens-toi tranquille, lui recommande Candice d'une voix plus douce.
Balam plisse ses yeux opaques. De ce qu'il comprend sur les Milliget, à présent, c'est que Delta est la mère et donc à la tête de la hiérarchie, mais que Sira semble être différent de ses frères et sœurs. Différent par sa façon de se comporter et de parler. L'elfe noir décèle quelque chose de maladroit dans le ton qu'il emploi, mais il ne saurait mettre de mots sur ses doutes.
Cependant, l'attitude protectrice de Candice et Shelma à son égard saute aux yeux.
Il pousse un soupir discret. Il entend les conversations de Joseph et Delta, puis de Shelma et Nevra.
Le Chef de la Garde de l'Ombre et la fée parlent affaires pendant que Rose marche avec eux, silencieux. De ce qu'il peut en dire pour le moment, Balam pense que les fées sont des êtres complexes, pudiques et méfiants. Il mesure l'importance de cette visite pour la cité d'Eel, qui craint certainement qu'un seul faux pas puisse engendrer de l'amertume chez les Milliget.
Il se met à réfléchir.
Accélérant la cadence, il vient marcher auprès de Candice et Sira. Il sent le regard méfiant de la fée sur sa joue puis, avec prudence, l'elfe noir demande d'une voix tranquille :
— Le garde civil qui marche derrière nous, celui qui est en pleine conversation avec votre mère, son fils souhaiterait devenir médecin.
Le silence lui répond. À vrai dire, il ne sait même pas si Candice l'écoute, mais tant pis. Il poursuit :
— Ce que je veux dire, c'est que je connais bien Joseph. Son intervention tout à l'heure n'avait pas pour but de vous offenser, ni d'assouvir une curiosité mal placée. Il tenait simplement à rencontrer ceux que les soignants appellent "les Maîtres de la Médecine" pour essayer de mieux comprendre les aspirations de son fils, qui sont énigmatiques pour lui.
Le Milliget ne lui répond toujours pas. Dans l'obscurité, Balam a un sourire bienveillant, presque compatissant. Il a la sensation de se retrouver avec un nouveau guetteur qui n'en ferait qu'à sa tête et ignorerait toutes ses consignes. Grand bien lui fasse.
— Tout ceci pour dire qu'il ne méritait pas le cynisme dont vous avez fait preuve tout à l'heure.
Cette fois, l'elfe noir fait mouche et Candice se fige. Il se tourne vers lui avec lenteur, son voile si froid mordant la chair de son interlocuteur malheureux et près de lui, Sira laisse échapper un soupir désenchanté.
— Quelle tâche vous a-t-on attribué pour notre venue à Eel ? gronde le Milliget.
— La diplomatie, répond Balam, bien que je sois guetteur. Et c'est ce que je m'applique à faire : maintenir la diplomatie entre vous, moi-même, et mes camarades. C'est pourquoi je tenais à aborder les mots que vous avez eu tout à l'heure, envers l'un d'entre eux.
L'elfe noir n'a pas haussé le ton. Il ne hausse jamais le ton. Il est connu pour cela, d'ailleurs, pour toute cette paix royale qui semble irradier de chaque pore de sa peau anthracite.
Mais il n'a pas apprécié que Joseph, qui œuvre pour le bien de sa famille, se fasse traiter comme un crylasm de poussière.
— Est-ce que vous exigez des excuses de ma part ? crache Candice, menaçant.
Balam secoue doucement la tête. Non. Ici et auprès de ces gens à grands statuts, il n'est personne et il n'exigera rien. C'est la raison pour laquelle il souhaite rester guetteur, après tout : pour ne pas ordonner, ni exiger et encore moins se faire obéir.
— Non. Je tenais simplement à exposer un petit incident que je pense blessant pour mon camarade et ses intentions. Peut-être que vous pourriez y penser ou bien peut-être que vous l'aurez oublié une fois que nous aurons atteint le Quartier Général. Moi, je voulais seulement vous en parler.
— Vous pensez que ma famille et moi-même avons fait ce voyage pour vous faire la conversation ?
L'elfe noir se contente de regarder ses camarades. En réalité, l'échange est bien moins houleux entre les autres fées et il peut constater avec satisfaction que Joseph semble ravi de sa discussion avec Delta.
De même pour Nevra et Shelma qui échangent avec politesse sur la cité d'Eel. D'ailleurs, si Candice n'a pas l'air d'apprécier cela, Sira virevolte entre toutes ces personnes avec joie.
Sa silhouette fine marche, trottine, sautille, son long voile ondulant avec ses gestes enfantin et l'elfe noir doit admettre qu'il apporte de la légèreté à cette mission qu'il redoutait un petit peu.
— Sira, fais attention s'il te plaît. lui intime Shelma en le poussant légèrement de la trajectoire du Chef Mircalla.
Sira hoche la tête et se met à reculer, évitant Rose, puis Joseph et Delta. Soudain, exaspéré, Candice lui attrape le poignet pour le tirer en arrière mais son frère se tend, surpris et perdu.
Il recule maladroitement, tentant de ne pas se prendre les pieds dans sa robe, pour finalement marcher sur le voile de Candice.
Balam le regarde glisser et s'échouer au sol.
L'elfe noir doit admettre qu'il n'imaginait pas les fées ainsi. Peut-être est-ce la faute des rumeurs qui les comparent à des familiers sauvages et sanguinaires, mais à ses yeux, elles sont loin de cela.
Candice l'est, du moins.
La couleur pêche de ses mains a peint son visage, aussi. Un visage presque humain, dépourvu d'oreilles pointues ou bien de détails qui pourraient lui apporter un petit peu du monstre dont on veut absolument l'affubler.
Son regard outré est aussi gris que l'acier des armes obsidiennes, quand ses longs cheveux châtains, ils coulent sur ses maigres épaules ainsi que sur sa robe vaporeuse, d'un bleu céruléen, ouverte sur sa poitrine comme une flèche de chair.
La surprise trahit la honte d'être ainsi mis à nu, dans ses prunelles métalliques, mais bien moins que sur ses lèvres pleines en train de se crisper de hargne.
Il est aussi fragile que menaçant et aussi délicat que dangereux. Tout cela, il le doit à cette rage qui semble ronfler dans son corps filiforme. Balam peut la ressentir.
Avec lenteur, l'elfe noir s'accroupit pour ramasser le voile d'os qui forme une flaque blanche, à ses pieds.
Quand sa main entre en contact avec lui, il a la sensation de plonger dans l'hiver. C'est glacial et cela lui mordrait presque la peau. Balam peut alors affirmer que ces grands tissus permettent aux fées de se rendre dans des contrées chaudes sans souffrir des températures élevées.
— Pardon, Candice… gémit Sira, embarassé.
Le dénommé ferme les yeux et souffle par le nez, visiblement déterminé à repousser son agacement. Quand il regarde son frère, ses traits se font plus doux et sa voix aussi.
— Ce n'est pas de ta faute.
Et Balam pense que c'est vrai. Si Sira n'avait pas été tiré en arrière, il ne se serait pas emmêlé dans ses mouvements et n'aurait pas marché, malencontreusement, sur le voile de son frère.
Il le lui tend avec un sourire compatissant :
— Ce n'est qu'un accident.
Le tissu glacé lui est arraché des mains avec force. Les yeux de Candice se plissent de mépris et quand il ouvre la bouche, il crache :
— Mes yeux l'ont vu, que c'était un accident. Je peux me passer de l'analyse d'un guetteur.
Mais tout ce qu'il récolte, c'est un regard amusé. Balam sait qu'il a honte de s'être montré ainsi à découvert face au diplomate pour lequel il n'a que du dédain. Il peut le voir à ses mains agitées qui veulent déplier le tissu, mais qui ne le froisse que d'avantage.
C'est d'une simplicité enfantine, pourtant.
— Bien. Pourtant, vos yeux peinent à voir les plis de votre propre voile.
Avec douceur, il attrape un petit bourrelet d'os. Un drapé qui s'est gonflé à cause de gestes malhabiles et quand il tire dessus, le voile glisse des mains de Candice jusqu'aux siennes.
Le froid le pique, les prunelles d'acier le fixent avec stupéfaction, comme s'il commettait un outrage.
Pourtant et pendant que Balam s'applique à libérer cette grande étoffe d'hiver avec un calme religieux, Candice ne dit plus rien. Sa boule de tissu froissée se transforme en grand carré blanc. Ce rideau qui le coupe de mondes qui ne sont pas les siens pour le laisser au coeur de la glace et quand enfin il se dresse entre lui et l'elfe noir, il embrasse la fraicheur bienvenue et enfonce la honte dans les treffonds de sa chair.
Le visage de nouveau couvert, il toise Balam sous sa carapace fragile.
Il émet une exclamation dédaigneuse et raille :
— Merci, je suppose. Balam Leguetteur.
Ce dernier laisse échapper un léger rire.
— C'est : Balam Lefaucheur.
Candice se rengorge, piqué au vif et se détourne dans un froissement d'étoffes, Sira sur ses talons.
— C'est la même chose, crache-t-il.
Pour une fée, peut-être.
Pourtant, Balam le guetteur est celui qui regarde l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie, et Balam LeFaucheur quant à lui, a lissé les plis d'une mer d'os.
Que dirait Guy de Maupassant ?
Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ? Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes, et par eux, sur nos idées, sur notre coeur lui-même, des effets rapides, surprenants et inexplicables ?
Le Horla - Guy de Maupassant