Bien le bonsoir, je viens répondre à un autre questionnaire (et quelques commentaires) !
Entretien avec une écrivaine- As-tu un/des projet/s d'écriture en cours ? (Peux-tu nous en dire quelques mots ?)
Eh bien, je n'ai "qu'un" projet d'écriture à vrai dire, d'écriture totale. Il me prend littéralement la vie (et ma vie aussi), qui est ma première source d'inspiration. C'est une histoire très longue, qui vaut pour monde, et que j'ai sobrement intitulé "Historia". Car le mot histoire signifie enquête en grec, et j'ai l'impression littérale de "retrouver" cette histoire ("mon" histoire, au sens où elle vient par moi, dont elle porte la patte comme on pourrait dire). Pour moi, écrire signifie (re)trouver des évidences. Trouver des histoires, des trajectoires nouvelles, qui sont en fait des retrouvailles : il faut retrouver le ton juste, le fait, la vie, l'émotion, la motivation qui justifie ceci ou cela (l'action ou la réaction d'un personnage, comme le pli d'une culture, le tournant d'un événement historique)...
Ecrire cette longue Histoire me fait sentir l'Histoire, et fondamentalement l'écriture, comme une sorte de science. A ceci près que la littérature est créative, quand la science (peut certes être créative, mais) et l'histoire s'attachent à retrouver les causes, les faits exacts qui expliquent, qui donnent sens à tel fait ou cause.
Par exemple, la force de gravité est le premier catalyseur si ce n'est le plus grand. Et dans les relations humaines, personnelles ou impersonnelles, dans notre monde, les événements grands et petits s'enchaînent du fait de forces, tragiques. Cela va d'un serment d'honneur, à un engagement, à au contraire l'attachement à une force (ou la bousculade par elle) plus vivace, irréfléchie mais qui tient au corps (l'Amûûûr, ou encore le mal, une réaction là aussi à d'autres sentiments, d'autres événements). Mais une fringale subite qui détourne quelqu'un de son chemin pour le précipiter dans une boulangerie est un autre petit exemple de force !
Mais je m'emporte ; pour finir de répondre à la question, mon projet d'écriture est très long, je rédige des scènes et je suis toujours en train de broder, d'inventer, de rechercher l'amont et l'aval de mes histoires à l'intérieur de la Grande. Mon monde se dessine comme ça.
Pour la faire encore plus court, je n'ai pas "d'ambition", mais j'ai le voeu de faire du Tolkien à la française. Cela peut être lu comme pompeux, ou déplacé (copier quelqu'un, c'est une mauvaise idée) ; en réalité je ne veux pas faire comme lui, c'est plutôt que j'ai réalisé que j'avais "un prédécesseur". En plusieurs choses, mais notamment dans le rapport à la langue, et à l'écriture elle-même, où se mêle à la manière du sirop et de l'eau. Tolkien était chrétien et s'est rendu compte, au fil de ses années d'écriture, que sa foi "resplendissait" dans ce qu'il écrivait, pas seulement ses thèmes, mais sa "dialectique" pourrait-on dire. Il "contemplait" sa foi, sa religion aussi, c'est-à-dire qu'il se retrouvait à les voir d'un oeil nouveau dans ce que lui-même écrivait, sans s'en rendre compte.
J'aime aussi beaucoup ce qu'il a écrit sur "Le Conte de Fées", ou la faery, et comment ce n'est pas un genre naïf ni lâche, qu'on ne se réfugie pas dans un autre monde inexistant quand on écrit de la fiction.
Mon domaine d'études semi-professionnelles contribue activement à mon écriture et mon inspiration - je travaille dans l'agriculture - et, outre toutes mes lectures et mon rapport à l'existence, mon "projet" d'écriture consiste avant tout à... le trouver ! A en faire le tour, à le connaître. C'est une aventure, et une rencontre. Avec moult histoires, vies et trajectoires, je cherche à faire le tour de quelque chose... Non, je sais que je cherche à "ramasser" la vie, non pas à la "contenir" (autant vouloir mettre l'océan en bassines), mais à la rassembler, l'unir maladroitement, poétiquement, à garder en mémoire une certaine perception du vivant (la mienne), passés, présent.
C'est un peu comme chercher à faire le portrait d'une personne dont vous êtes en train de faire la rencontre, réellement, que vous regardez, pour à la fois vivre cette rencontre au temps présent tout en vous ménageant un souvenir. Mais ce n'est pas un souvenir banal, un objet, ce serait comme un viatique. Pour vivre de cette rencontre qui dure éternellement, et continuer de vivre de chaque secondes passées en sa compagnie, les garder éternelles. Que cette rencontre, cette Personne (ou toutes les personnes de ce monde) demeurent, persistent. Garder vivant le passé dans mieux qu'un souvenir.
J'ai déjà beaucoup écrit, mais je tiens à vous partager cette longue citation de Proust, qui me touche beaucoup. Je crois que la littérature s'attache à conjurer la mort - non pas la mort physique, la fin de tout, la permanence dans l'impermanence - mais la mort obscure, la perte. Où vous nos joies ? Que deviennent les bons souvenirs, quand seul on les porte, que d'autres les jettent, les oublient, les dédaignent, ou encore disparaissent, emportés par la vie elle-même ?
Des écrivains ont déjà écrit cela, et je le pense sincèrement, que la littérature fait revenir la vie dans le texte, qu'elle "sauve" la vie, la nôtre, celle que l'on connaît.
" La grandeur de l'art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas “ développés ”. Notre vie, et aussi la vie des autres ; car le style pour l'écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini et, bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial. "
J'aime bien aussi le fait qu'il ait l'intuition que, dans toute forme d'écriture, il y a un reflet de celui qui écrit. Le récit, dont fait partie le récit de soi (qu'on recollecte en soi-même, qu'on livre aux autres, et par exemple à un psy quand on sent que "ça coince" ou que ça se répète, dans notre histoire), donc par extension l'écriture, est le premier et le dernier langage des Hommes je crois. On synthétisait des histoires, des mystères ou des évènements bien avant d'avoir des livres (les fameux mythes), et quand il n'y aura plus de papier, nous n'aurons que la voix, et des souvenirs à transmettre,
- À quelle étape en es-tu ? (Brainstorming, premier jet, bêta-lecture, réécriture/correction,...)
Loiiiiin ! Et j'avance toujours plus. Donc, ça va bien. Ca va. Ca avance, petit à petit, pas à pas. Je réfléchis à la trame en même temps que je suis plongée dans l'écriture ; j'ai notamment deux serveurs discords pour cet univers que je brode.
Un "Codex" pour les bribes, les éléments socio-culturels, géographiques, les personnages, ainsi que les trouvailles en tous genres (images, costumes, articles de presse, passages de livres, poèmes, musiques, et j'en passe).
Et un serveur d'écriture, où je poste des choses plus abouties, disons "écrites". J'ai trois styles d'écritures pour la même Histoire, donc potentiellement pour chaque fait : de la poésie, du conte (un point de vue indirect sur les événements) et du "réel" où on est "dans le vif".
Pour le moment, je ne me pose pas la question de livres ou quoi que ce soit, j'espère seulement tout "retrouver", puis tout "écrire" (tout rédiger, mettre à plat, en forme), peu importe le style.
- Quelle est la chose que tu trouves la plus difficile dans l'écriture ?
... La gestion du temps ? Quand je me lance, je ne vois pas le temps passer. Je peux donc me coucher très tard, ou cela compromet ma journée.
Par conséquent, si je ne me sens pas disponible, j'ai peur de me mettre à l'écriture pour ne pas être tentée de glisser dans ce tunnel.
En bref, pour moi le plus difficile est de se ménager du temps. Je n'ai pas encore réussi à m'organiser pour baliser du temps (parce que, du coup, comme j'ai "peur" d'écrire, de m'emporter dedans, j'écris assez peu) sérieux pour l'écriture.
- Avec quoi es-tu le plus à l'aise dans l'écriture ?
Euh, je ne sais pas. Je suis sûrement à l'aise quelque part, mais d'un autre côté je me demande si ce n'est pas jusqu'à nouvel ordre justement. Avant la mise en échec par une situation précise. Je dirais que tout roule comme sur une bicyclette, sur un chemin de terre : ça avance, mais parfois ça secoue ou il faut pédaler un peu plus fort pour franchir une motte de terre plus grosse que les autres !
- As-tu déjà participé à un concours d'écriture ?
Si ma mémoire est bonne, il me semble que non.
- As-tu déjà participé à un Nanowrimo (ou un Camp Nano) ? L'as-tu réussi ? (Pas de culpabilité si c'est non ♥)
Jamais participé à ça, non. Pas le temps, mais un jour j'aimerais bien tenter l'expérience.
Spoiler (Cliquez pour afficher)
= Si tu devais donner un conseil à un•e écrivain qui se décourage, lequel serait-ce ?]Lire, lire beaucoup. Mais lire "vraiment", en se débarrassant de soi (pour éviter de se comparer, c'est-à-dire de rapporter les autres choses ou gens à soi, ou soi aux autres) et prendre un "bain" d'écriture, dans le style, les images, le "truc" des autres.
Ou sortir. Bricoler, bouger son corps, aller dans la nature. Sentir les autres, et se sentir soi, mais d'une manière nouvelle, l'autre vie en soi, celle des muscles endoloris, des instincts, de toutes ces choses que notre intellect ne peut pas sentir, toucher, raisonner.
Moody@Orazure : Je suis tellement fascinée par les personnes qui savent gérer la prose tel Rimbaud. Je dois dire que je suis assez fâchée avec ce genre, sûrement des traumas de cours de français /static/img/forum/smilies/lol.png Cependant, ma curiosité est piquée avec le genre "médiéval-fantasy", est-ce quelque chose qui se passe à l'époque médiévale avec l'idée de ce qu'on se faisait des sorcières ? (Les herboristes et autres médecins qui fabulaient) Je ne sais pas si tu saisis mon idée.
En vrai, la poésie ce n'est pas tant une forme d'écriture codée (nombre de vers, rimes...) qu'une "façon" de parler bien à soi. Pour ma part, je prends mes aises avec la syntaxes, et c'est une façon intime de ressentir les sons, choisir les mots pour leurs sonorités, seuls et ensemble. C'est à la fois "artistique" et "une tentative" (de dire quelque chose), au sens où la liberté que je prends avec le langage, sous une inspiration, est un choix arbitraire (je crois que j'aime autant choisir mes mots, que ce que je veux "dire", avec une phrase) et un "pourquoi pas". Ca vient comme ça vient, puis ça peut se lire, ça se retravaille. Ca peut ne plus être compris ("Mais comment j'ai écrit ça ?"), parfois j'ai aussi du mal à me relire, à me "retrouver" haha.
Pour faire simple, la poésie en prose ce serait un peu la forme longue d'un haïku. Ou un genre d'art abstrait, ou une danse de mots (ne serait-ce que l'à-coup discret d'une épaule qui accuse le rythme d'une chanson, un mouvement silencieux de la taille ou du cou, ou tout cela ensemble, juste pour nous). Ca vient spontanément, il y a une idée de mouvement à l'intérieur. Ou encore, un pinceau qu'on fait passer sur une feuille, sans savoir ce que l'on va faire "au final", en commençant par le plaisir de choisir une couleur et d'en user, puis de passer à une autre...
Mais je me perds (et je te perds peut-être) !
AH voilà, le mot !
Instinctif, c'est cela. Avant de s'écrire, je crois que la poésie commence par des mots, des bribes, des choses orales qu'on se surprend à prononcer à voix haute avant d'être devant un stylo, dans notre journée.
Ca m'arrive d'avoir des "bouts" de phrases, sur des histoires, en pleine journée de boulot (un grand soleil, une quiétude...).
Et par "medieval fantasy", j'entends par là une "low fantasy" (un gars a classé les styles de fantasy, selon le degré de magie ou de surnaturel dedans) dont le caractère médiéval se distingue par l'existence grosso modo d'un système féodal, de chevalerie, ce genre de choses. Ou un stade technologique à peu près précis (pas ou peu d'imprimerie par exemple, ni d'expansion coloniale comme à la Renaissance), un ensemble de codes esthétiques aussi (des zépées et des canassons !).
Mais le côté Eglise, non, on peut très bien exfiltrer la religion [christianisme], et faire avec d'autres, adapter. Comme GRR Martin dans GoT par exemple, où la magie prend peu de place, hormis des événements très localisés (dragons), "exceptionnels".
Pardon, ce n'était absolument pas une réponse synthétique, j'espère que ça n'aura pas été rébarbatif :MDR: Et merci de ton attention si tu es venue à bout de tout ça huhu