Dessin de Norya par @Minæ et Header réalisé par mes soins
Salutation très cher lecteur et très chère lectrice,
Entrez, prenez place. Nous sommes peu nombreux à avoir franchi lesportes du savoir.
Voulez-vous que je vous conte une histoire, une légende, ou peut-être un mythe ? La barrière est mince entre ce qui relève de l'Histoire et des croyances. Peut-être vous êtes-vous déjà posé ces questions : Qui retranscrit l'Histoire ? Qui colporte les légendes et alimente les rumeurs ? Comment un monde peut-il se construire sur ce qu'il n'a pas véritablement vécu ; sur ce qu'on lui raconte depuis des millénaires sans qu'il ne l'ait jamais réellement vu ?
Installez-vous. Aujourd'hui, vous saurez. Vous comprendrez. Mais attention, l'histoire que vous allez découvrir n'est peut-être pas celle qui s’est réellement passée. Prenez du recul, réfléchissez, il n'y a pas d'objectivité et à travers le seul regard d'un personnage, on est bien loin de connaître toute la vérité.
Alors n'oubliez pas, entre mythe et légende, Histoire et réalité, il y a toujours une raison de douter.
Avant de commencer, je tenais à vous prévenir que ce récit contient des passages dits « sensibles ». C’est un univers parsemé de guerre, de perte et où la tristesse, peut être, un passage inévitable.
Aussi mon héroïne principale est enceinte. Je sais que certain(e)s d’entre vous peuvent être sensible à ce sujet - je le suis également –. Nous pouvons, tous et toutes, avoir une conception différentes de la grossesse et également de l’éducation d’un enfant. Mon intention n’est pas de créer de polémique à ce sujet – bien que, je ne sois pas fermée à la discussion–. À savoir que mon récit n’est pas centré sur ce sujet, il en fait simplement partie.
N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire, en bien comme en mal, tout avis est bon à prendre et je serais toujours ravie de pouvoir échanger avec vous.
Si vous souhaitez faire partie de la liste des prévenus, vous pouvez m'en informer en commentaire ou par message privé, je me ferai un plaisir de vous avertir de la sortie de mes chapitres !
N’oubliez pas les règles du forum avant de poster un message :Liste des prévenus
Edmia
Leïa
Elehann
Eden
Corn
WaterLily
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Cette histoire est composée de vingt-et-un chapitres, d'un prologue et d'un épilogue.
Ce qui signifie qu'elle est déjà terminée. Il y a belle et bien un dénouement à cette histoire.
Prologue, post 1
Partie 1, Chapitre 1 à 6, post 1
Partie2, Chapitre 7 à 11, post 2, en cours de publication...
Partie 3, Chapitre 12 à 17, post 3, à venir...
Partie 4, Chapitre 18 à 21, post 4, à venir...
Épilogue, post 4, à venir...
Le monde d’Eldarya est vaste et regorge de territoire encore inexploré. Comme il est si facile de s’y perdre, il convient de se munir de son parchemin cartographié.
Carte d'Eldarya
Entendez-vous ses chants s’élever, ses tambours frappés et ses lurdes, tagalharpes résonnés. Un son accompagne chaque pas, chaque rencontre, exploit et combat. L’inspiration naît de ses notes qui nous font frémir et l’émotion se révèle aux bruissements des sons qui nous font vibrer.
Symphonies
Norse/Viking Music - Ladyofthe Dawn
Nordic/Viking music - Visions of the Völva
Nordic/Viking Music - Fólkvangr
Nordic/Viking Music - Völur
Nordic Music - Wildling
Nordic/Viking Music - Víðbláinn
Nordic/Viking Music - Seiðr
Norse/Viking Music - Idavöllr
Norse/Viking Music - Grògaldr
Heilung - Traust
Heilung - Norupo
Heilung - Krigsgaldr
Heilung - Svanrand
SKÁLD - Rún
SKÁLD - Flúga
SKÁLD - Ó Valhalla
SKÁLD - Ódinn
Danheim - Ivar's Revenge
Danheim - Tyr
Danheim - Berserkir
Danheim - Yggdrasil
Certains d’entre-vous ont souhaités laisser une trace de leur passage. Je les remercie infiniment de leur gratitude et espère que leur offrandes vous plairont tout autant qu’ils ont fait fondre mon cœur.
Offrandes
Tenues Norya réalisées par @Edmia
Tenues Sibyl et Irine réalisées par @Leïa
Aesthetic réalisé par @Leïa
Texte par @Edmia
Une brise légère souleva les cheveux de la jeune femme. Elle était là, assise sur un rocher, dans les plaines bordant le QG de la garde d'Eel. Elle s'amusait avec les brindilles d'herbe et les petites fleurs qui jonchaient le sol. Son regard était droit, braqué sur ce qu'il y avait devant elle. Elle admirait ce paysage somptueux, rempli des beautés que Mère Nature offrait.
Mais pour un certain homme, la magnificence de la nature n'était rien comparé à la douce silhouette de la charmante gardienne. Il pourrait passer des heures à la regarder. Mais ce qu'il voulait par-dessus tout, c'était sa présence. Il décida donc de s'approcher de l'objet de son bonheur, de celle qui faisait battre son cœur.
Il s'assit alors au côté de Norya, avant que celle-ci ne le regarde, de ses yeux remplis de bienveillance.
- Tu en as mis du temps avant de t'approcher. Tu as cru que j'allais te manger ?
Puis elle se mit à rire. Ce son mettait en alerte tous les sens de ce cher Leiftan. Elle représentait tous ses désirs, il ne voulait qu'une chose, que ce soit réciproque.Puis il lui sourit avant d'ajouter :
- C'est peut-être ce que je souhaiterai...
Elle braqua alors ses prunelles dans les billes vertes de l'étincelant, le rougeaux joues. Il l'avait déstabilisée et il regrettait immédiatement ses paroles.
Elle s'apprêtait à répondre, mais une nouvelle bourrasque était intervenue. Norya s'était mise à trembler de froid. Sans réfléchir, Leiftan retira sa veste pour la poser sur les épaules de la jeune femme. Celle-ci le remercia, avant de se blottir dans ses bras et ajouta d'une toute petite voix
- Peut-être bien...
Puis elle posa sa tête sur l'épaule du jeune homme. En cet instant, leurs âmes étaient en parfaite symbiose. C'était le début de quelque chose. Le destin avait réuni leurs routes, afin qu'ils puissent tous les deux connaître le vrai bonheur.Texte par @Edmia
Tandis que les feuilles des arbres se balançaient au rythme du vent, les étoiles scintillaient dans le ciel. D'un simple coup d'œil, on pouvait apercevoir l'immensité de la voute céleste s'étendre à l'infini.
Marchant à la lisière de la forêt, sous la protection de l'astre lunaire, Norya admirait ce spectacle que lui offrait Mère Nature. Chaque étoile, chaque constellation, rien n'était oublié. Elle admirait toute cette beauté dans les moindres détails.
Mais ce qu'elle appréciait le plus à ce moment-là, c'était la main de Leiftan qui recouvrait la sienne. Leurs doigt sétaient entremêlés, fermement accrochés. Comme si à n'importe quel moment, ils seraient arrachés à l'autre.
Ensemble, ils marchaient en silence tandis que leurs pas les guidaient jusqu'à une colline, surplombant la plaine. Ce n'était pas un de ces silences pesants qui s'était installé non, c'était un silence de bien-être. Le bonheur de se retrouver avec l'être aimé.
Norya admirait avec de grands yeux la vue qu'elle découvrait. Magnifique, c'était le seul mot qui lui venait à l'esprit. Un sentiment de bien-être fit également son apparition. Elle était là, avec la personne qui comptait le plus pour elle et dans un décors de rêve. Il ne manquait plus que Léana, son trésors pour parfaire le moment.
Le vent commençait à se lever, s'engouffrant dans sa chevelure et faisant disparaître les nuages qui obscurcissaient sa contemplation céleste. La brise fraiche qui venait caresser sa peau lui provoqua de légers frissons. Voyant sa bien-aimée frissonner, Leiftan se plaça derrière elle et l'entourade ses bras.
- C'est mieux là non ? lui chuchota-t-il
- Mmh, oui c'est plutôt bien comme ça. Mais il manque quelque chose, lui glissa-t-elle avec malice.
Elle dévia alors son visage afin de déposer un chaste baiser sur les lèvres de l'homme qui lui avait volé son cœur. Puis, leurs regards se croisèrent avec amour, avant que leurs bouches ne se scellent à nouveau. Pendant de longues minutes ils échangèrent d'avides baisers, sans s'apercevoir qu'une étoile filante réaliserait leur vœux d'être ensemble à tout jamais.
Curieuse et sensible, Norya était une jeune femme, de vingt-six ans, passionnée par son métier. Alors qu'elle traversait une nouvelle étape dans sa vie, la maternité, elle se retrouva transportée sur Eldarya.
Entre un monde emplis de mystères et son besoin perpétuel de compréhension, elle devra faire face à ses démons. Puis que rien ne lui sert de fuir la réalité dans laquelle elle fut projetée, sa quête de vérité l'amènera-t-elle à faire les bons choix ?
Cependant, l'heure n'est pas aux questionnements pour la Garde. Eldarya a perdu de sa grandeur depuis les guerres passées, la reconstruction et la protection des territoires font donc parties de leurs prérogatives prioritaires ; car l'accalmie d'antan ne semble pas vouloir perdurer.
Prologue : Une expédition à risque
L'atmosphère se faisait étouffante, les rayons du soleil brûlant ma peau. Perdu au beau milieu de ce désert aride, nous étions enfin parvenus à atteindre un oasis pour récolter du maanas. J'avais alors baissé ma garde. Pourquoi m'inquiéter, puisque j'étais avec eux…
Seulement, nous n'avions pas prévu qu'une bête des sables surgirait de nulle part pour venir nous engloutir. Malgré mes hurlements, il était déjà trop tard. Elle l'avait saisi par la taille pour l'emporter dans les airs, tandis qu’une nouvelle dune se formait autour de nous.
Suivant chacun des mouvements de ma monture, parti au galop en direction de la ville la plus proche, je m'accrochais fermement à ses hanches, tout en jetant des coups d'œil derrière moi pour m'assurer que mes compagnons soient toujours en vie. La colline se fit de plus en plus grande, alors qu’ils la survolaient du ciel. Quand, soudain, celle-ci se transforma en un ver immense. La bête, haute d’une centaine de mètre, était pourvu de dents acérés.
Ils ne s’en sortiraient jamais vivant contre une créature d'une telle envergure. Mais, je n’avais aucun moyen de leur venir en aide. Alors, nous partions... nous les abandonnions, tous les deux, à leur sort. Ils nous donnaient simplement du temps pour fuir.
J’observais mes deux compagnons, tenter de, en vain, de l'attaquer ; lorsqu’elle s’abattit violemment sur eux. Un nuage de sable vint alors brouiller ma vue. En une fraction de seconde, elle les avait fait disparaître dans le désert, les ensevelissant entièrement sous le sable. Une larme m'échappa, s'évaporant aussitôt dans l'air tant chaleur se faisait ardente. Je resserrais sa taille pour enfouir mon visage dans son dos. Ce vers venait de les avaler, d'effacer leur existence, sans que nous puissions réagir.
Soudain, il me donna les rênes, descendant vivement de notre monture, pendant que le sable se rassemblait à nouveau pour faire réapparaître la bête. Prise de court, je m’éloignais à vive allure, alors qu’il faisait désormais face à la créature. J’avais beau crier son nom pour lui demander de revenir, il ne m’écouta pas. Arme en main, il se rua dans sa direction.
Sûrement voulait-il me protéger ... Cependant, il n’y parviendrait jamais, ce ver n’était constitué que de sable !
En cet instant, j’eus le sentiment que le temps se ralentissait, les foulées régulières de ma monture ne m’écartant pas suffisamment du combat. La terre se mis alors à trembler sous ses sabots. Ainsi, quand la bête se reforma entièrement devant lui, ma monture s'arrêta nette. Sans prévenir, elle s’écrasa, une nouvelle fois, de toute sa longueur, enterrant mon dernier compagnon sous mes yeux.
Figée d’effroi, je n'eus pas le temps d'apercevoir la bourrasque de vent parvenir jusqu'à moi, me faisant ainsi tomber au sol, le sable me recouvrant peu à peu.
Désemparée, je ne pu que constater ma défaite. Ma vision se troubla, ma respiration s’atténuant à mesure que mon corps fut recouvert dans l’étendue du désert.
C’était ma faute … C’était moi qui avais décidé de les entraîner dans cette expédition. Nous n’en serions pas là, si j’avais daigné les écouter … Maintenant, c’était terminé.Personne ne viendrait nous chercher jusqu’ici.
Nous étions plus que de simples grains de sable perdus dans l’univers…
Chapitre 1 : Notre avenir ici ?
Le soleil brillait à son zénith, ses rayonnements parcourant les grandes étendues de champs et les différents enclos bordant ma route. En longeant le ruisseau afin d'emprunter le ponton menant aux plaines verdoyantes de ma campagne, je me mis à contempler le ciel. Les oiseaux gazouillaient gaiement, la flore naissant à l'annonce du début de cette saison printanière. J'inspirais alors profondément pour relâcher toute la pression de ces derniers jours. Et, enfin, cette sensation de liberté, tant attendu, m'envahit pleinement.
Tout en prenant soin de ne pas rencontrer d’obstacle susceptible d’entrainer ma chute, je repensais avec morosité à ce mois d’enfermement. Cela faisait des semaines que je n'avais pas pu sortir, jonglant entre mon domicile et l'hôpital. Cette balade en pleine air m'était donc vitale. Je voulais sentir le vent caresser ma nuque, voir mes longs cheveux auburn virevolter et, enfin laisser mes pensées vagabonder à chacun de mes pas. J’étais une grande rêveuse et si les randonnées n’étaient pas forcément mon fort, il faut avouer que j’en avais grandement besoin.
Depuis mon hospitalisation, mon conjoint, Jorik, surveillait le moindre de mes faits et gestes. Il n'avait alors pas pu s'empêcher de me réprimander avant mon départ de la maison. Mes parents prenaient également régulièrement de mes nouvelles et, bien que je ne sois pas quelqu’un de solitaire - je me qualifierais même de plutôt sociable – je ne supportais plus de me sentir épiée sans cesse. Il était donc hors de question, qu’ils me dictent mes envies une fois de plus. J’allais être vigilante pour nous deux, mais je désirais le faire seule.
Je voulais enfin me donner les moyens de connaître cette fille qui grandissait en moi ... Malgré toutes les difficultés qu'avait entraîné ma grossesse, il m'était nécessaire de prendre le temps de l’apprivoiser et surtout d'apprendre à l'aimer ... Car, si j'avais désiré cet enfant, les complications de ces derniers mois m’avaient empêchée d’imaginer son arrivée. À de nombreuses reprises, j'avais cru qu’elle ne verrait jamais le jour. Ainsi, après sept mois de grossesse, j’aspirais à un peu de sérénité loin de toutes ces personnes qui m’avait rabâché : « de faire attention », « de me ménager », « de penser à mon enfant ». Il fallait maintenant que je pense à nous et à personne d’autre.
J'avais souvent entendu dire que les pères ne réalisaient pas leur paternité avant l’accouchement. Cependant, Jorik s'était sentit père à la seconde même, où je lui avais annoncée. Tout de suite, il avait pris les choses en main avec la plus grande des attentions : la chambre, les cours de préparation à l’accouchement, les rendez-vous de suivi … Je ne pouvais pas lui en vouloir, bien au contraire, je devais même avouer que j’étais un peu jalouse de sa capacité d’anticipation. Il accueillait la nouvelle avec force et détermination. Je voyais déjà dans ses yeux bleu clair tout l’amour qu’il éprouvait envers sa future fille.
Quant à moi, du haut de mes vingt-six ans, je me sentais tellement seule avec mes angoisses. Nous l’avions voulu ... Mais, étais-je prête à endosser le rôle de mère ? Dans une autre situation j’aurais surement réussi à exprimer mes craintes à mon entourage.Malheureusement, comme à chaque fois qu’un événement traumatique se dressait sur mon chemin, je me renfermais, n’arrivant plus à savoir moi-même ce que je ressentais. Quel comble pour la psychologue que j’étais.
Avais-je peur ? Regrettais-je ? Je ne parvenais absolument pas à décrypter mes propres ressentis et à réfléchir à une solution adéquate pour soulager mon état d’anxiété. Puis, qui pourrait comprendre que la future mère que j’étais, n’arrivait pas à se lier avec son futur enfant. J’avais déjà pu échanger avec des collègues qui ne comprenaient pas les femmes ayant ce type de problématique. Alors, où trouver une oreille attentive autour d’un sujet qui fait tant débat auprès de mes confrères ?
Pourtant, je l’avais attendu cette grossesse. Durant un an, nous nous étions battus, Jorik et moi, pour concevoir cet enfant. Cette décision n'avait pas été prise sur un coup de tête, c’était la suite logique de la construction de notre couple. J’aimais Jorik, comme je n’avais jamais aimé personne auparavant. Alors, pourquoi, après ces sept mois et demi de grossesse, n’arrivais-je pas à me réjouir de l’arrivée de ma fille …
Rapidement la fatigue me gagna. Ainsi, après m'être, tant bien que mal, assise par terre, je pu enfin étendre mes jambes de tout leur long. J'entrepris ensuite de masser mes muscles endoloris, avant de perdre mes doigts dans les brins d'herbe réchauffé par la chaleur du soleil. Les oiseaux chantonnaient encore dans les rares arbres qui habillaient ces plaines de verdure et le bruit du vent traversait les champs pour venir oxygéner ces plantations. Afin de vivre ce moment d'évasion tant mérité, je fermais alors mes yeux noirs, tout en caressant mon petit ventre rebondi.
J’aurais voulu que ma fille me parle, qu’elle me dise que je n’aurais pas dû sortir, que j’avais fait une erreur, que j’avais été une mauvaise mère avant même qu’elle naisse, mais elle n’en fit rien. Elle ne pouvait pas parler et, quand bien même elle l’aurait pu : m’aurait-t-elle dit cela.
Quoi qu’il en soit, quand j’ouvris à nouveau les yeux, le décor autour de moi avait changé. Les plaines avaient disparu avec le chant des oiseaux. Le vent ne soufflait plus dans mes cheveux et le ciel que j’apercevais encore il y a quelques minutes avait été recouvert par de nombreux arbres aux feuilles sombres. Je n’étais plus dans ma campagne ouverte sur le monde, j’avais atterri au fin fond d’une forêt menaçante.
- Où suis-je … murmurai-je pour moi-même
Prise de panique, je tentais de me relever vivement malgré le handicap que me procurait ma situation. Où étais-je arrivé ? Je ne reconnaissais pas cet endroit. Puis, même si je l’avais reconnu, je n’y étais pas il y a quelques instants. Frénétiquement, je me mis à inspecter les lieux dans l'espoir d'y trouver un indice de ma venue. N'importe quoi pouvant expliquer que j’étais apparue ici. Finalement, ce qui me mit la puce à l’oreille fut le cercle de champignon proprement disposé autour de moi. Je ne comprenais pas ... Je n’avais pas le souvenir de m’être assise dans un tel cercle. Pour tout avouer, je n’avais même pas regardé où je m'étais assise tant la fatigue m’avait assaillie.
De toute façon, je n'étais pas dans cette forêt avant ! J'étais dans des plaines !
Soudain, à quelques mètres de moi, j’entendis une voix chantonnant dans une langue qui m’était inconnue. Par réflexe, je me cachais derrière le premier arbre à ma portée, dans l'idée de distinguer mon invité. Ce qui me frappa en premier lieu fut la longue crinière rousse de la jeune femme, sûrement parce que j’affectionnais particulièrement cette couleur de cheveux. Puis, en y regardant de plus près, je fus surprise par ses longues oreilles posées au sommet de son crâne.
Les journées passées à l’hôpital m’avaient-elles rendue folle ? Étais-je victime d’hallucination ? J’avais accompagné de nombreux sujets victimes d’hallucination auditive et visuelle. Ce métier avait-il eu raison de moi ? J’étais en train de passer de l’autre côté du bureau. Au vu mes angoisses actuelles liées à ma grossesse rien n’était impossible. J’étais peut- être en train de décompenser. Pourtant, tout me semblait si réel. En même temps c’était aussi ce que mes patients me disaient : « je vous assure que ce que je vois est réel ».
Je n’eus pas le temps de cogiter bien longtemps, puisque la jeune lapine se figea devant moi, écarquillant ses yeux bleus de surprise.
- Qu…Quuii êtes-vous ?? m’interrogea-t-elle
- J… Je m’appelle Norya … Je …
Elle me coupa rapidement en baissant son regard sur mon ventre.
- Mmaiiis … Que faites-vous dehors dans votre état ? D’où venez-vous ? Pourquoi êtes- vous ici ? Pourquoi n’êtes-vous pas avec Eweleïn à l’infirmerie ? Mais vous êtes humaine ? Comment est-ce possible ? Il faut que je voie Miiko … Elle ne va pas me croire ! Elle va me demander pourquoi je n’étais pas à mon poste … Mais je dois suivre le protocole … balbutia-t-elle
Terrorisée, je regardais la lapine se parler à elle-même. En profitant de sa panique, je me mis à reculer doucement vers la forêt profonde. Je souhaitais faire faux bond à cette jeune femme, avant qu’elle n'ait réglé ses démons intérieurs. Ce que je n’avais pas envisagé dans ma manœuvre, c’était que j’avais définitivement quitté les plaines et que la forêt était jonchée de grosses racines sortant de la terre.
Dans ma tentative de fuite, j’eus la malchance d’accrocher mon pied dans une racine. Sans que je ne puisse réagir, ma tête percuta le sol avec force et, instantanément, ma vue se brouilla pour laisser place à la pénombre de ma douleur.~***~
Progressivement, mon corps se détendit, mes muscles réagissant enfin aux ordres de mon cerveau. Toutefois, je n’eus pas la force, ou plutôt l’envie, d’ouvrir les yeux. Couchée dans un lit, l’odeur florale et aseptisée de la pièce me fit penser à mon ancienne chambre d’hôpital. Cependant, le son d’un cours d’eau suffit pour me faire douter de la véracité de mes pensées.
Je devais simplement regarder pour savoir où je me trouvais, mais l’angoisse grandissait, peu à peu, dans le creux de mon ventre. Si je m’apercevais à nouveau que je n’étais pas chez moi ; que la jeune lapine était bien réelle ; que j’avais été kidnappée ...
À cet instant précis, j'avais besoin de Jorik. Qu'il m'entoure de ses bras pour me rassurer, en me disant que tout irait pour le mieux. Je voulais l'entendre me dire qu'il tenait à moi, que j'étais quelqu'un de bien et que je le serais toujours à ses yeux ... Il me manquait déjà et je regrettais d'avoir refusée qu'il m'accompagne.
Finalement, je dû me résoudre à entrouvrir les yeux. Quelques rayons du soleil perçaient par la petite fenêtre de la pièce, se reflétant dans le point d'eau que j'avais entendu. Si je n’étais pas dans ma chambre à l’hôpital, les différents instruments et liquides disposés sur plusieurs commodes me laissaient néanmoins penser que le lieu avait un aspect médical. Aussi, les murs bleuté et rosé amenaient une touche de douceur à cet endroit qui m’était pourtant inconnu.
J’eus besoin de frotter mes yeux à de nombreuses reprises, avant de distinguer une ombre derrière les rideaux séparant mon lit du reste de la pièce. La silhouette approcha alors doucement vers moi. Elle dégageait une forme de bienveillance que je ne pus pas m’expliquer.
Quand elle apparut devant moi, je vis une grande femme élancée, d’une beauté envoûtante. Aucun signe particulier sur son physique ne pouvait m’indiquer que mes hallucinations me reprenaient. Cette femme avait tout d’humain au premier coup d’œil. Comme si tout cela semblait trop beau pour être vrai, je pu entrevoir ses fines oreilles pointues, au moment où elle replaça ses cheveux argentés, légèrement bleutés, derrière.
- Je suis désolé, je ne voulais pas vous réveiller. Comment vous sentez-vous ?
Plongée dans ses yeux bleu clair, qui laissaient apparaître quelques reflets grisés, j'y saisis toute la gentillesse provenant de ses propos. Probablement, qu'elle s’inquiétait sincèrement pour moi, mais je ne savais pas par quoi commencer. D'ailleurs, je n’eus pas le temps de formuler un mot qu’une autre femme entra sans ménagement dans la pièce. Celle-ci n’avait rien d’humain, ses oreilles et ses quatre queues de renarde me rendirent d’autant plus muette.
- Eweleïn ! J’attends ton rapport. Comment se porte l’humaine ! s’exclama la renarde sans même me regarder
- Bonjour, Miiko. Comme tu peux le voir, elle vient de se réveiller.
La renarde, dénommée Miiko, fit alors volte-face pour m'observer sévèrement. Puis, comme j’en avais pris l’habitude depuis ma grossesse, elle abaissa son regard sur mon abdomen. Bien évidemment, j’étais plus accoutumée à des répliques du style : « Comme tu es jolie », « C’est pour quand ? », « Vous devez être tellement heureux », « Tu n’es pas trop fatiguée ? » … Il n’en fut rien. Miiko releva subitement les yeux, ce qui fit voler ses longs cheveux noirs, pour s'adresser sèchement à l'infirmière.
- Je vais devoir réunir l’Étincelante afin de prendre une décision concernant ces ... choses. J'aurais d'ailleurs besoin de tes lumières vis-à-vis de son état de santé.
- Je procède à quelques examens complémentaires et je vous rejoindrai après en salle du cristal.
- Entendue.
La renarde sortit de la pièce comme elle était venue, me laissant ainsi seule avec Eweleïn.
- Alors, comment vous vous sentez ? me redemanda la belle infirmière
- Jje … Qu’allez-vous faire de moi ?
- Ne vous inquiétez pas. Je vais simplement vous examiner pour savoir si le choque n’a pas provoqué de conséquences. Puis, je vais faire quelques vérifications concernant votre bébé. Me le permettez-vous ?
J'hochais faiblement la tête en signe d'accord. Ainsi, pendant qu’elle m’auscultait, je me risquais à l’interroger sur cet endroit.
- Où sommes-nous ...
- À Eldarya. Et, plus précisément à la Garde d’Eel. Est-ce que tu peux relever ton haut ? me tutoya-t-elle soudainement
En m’exécutant, je poursuivis sur ma lancée, moins déterminée que lors de ma première prise de parole.
- Comment puis-je retourner chez moi ? Je vous promets que je ne sais pas pourquoi je suis ici … Je n’ai rien fait de mal …
- J’expliquerai à Miiko que tu es en bonne santé. Toi et ton bébé, vous n’avez aucune séquelle de cet incident. Nous savons que tu es une humaine. Ykhar t’a trouvée proche d’un cercle de champignons et probablement que celui-ci t’a amené dans notre monde. L’Étincelante doit maintenant prendre une décision quant à votre avenir ici. Ne t’inquiète pas, nous reviendrons vers toi le moment venu. Repose-toi, vous en avez besoin, termina-t-elle en s’adressant à moi et mon ventre
Calmement, elle quitta la pièce en me souriant tendrement. Je restais abasourdie face à ses propos : « cercle de champignons », « Étincelante », « humaine » … Rien ne collait dans cette histoire. Tout ce que je voulais, c’était rentrer chez moi. Je ne resterai pas une seconde de plus ici.
« Notre avenir ici » ... Jamais ! C'était hors de question ! Je n’étais pas dans mon monde et je voulais rentrer.
Je me redressais alors difficilement afin de poser mes pieds sur le carrelage froid. Tout en me relevant, je sentis un coup de pied de ma gentille petite fille, qui avait vraisemblablement bien choisi son moment. À pas feutrés, j’avançais jusqu’à la porte pour l’entrouvrir doucement.
En plaçant ma tête dans l’entrebâillement, je pus entrevoir une immense salle arrondie dont deux grosses colonnes semblaient soutenir le toit. De l’endroit où je me tenais, des escaliers permettaient l’accès à une partie de salle desservant quatre portes. Aussi, de mon étage, je distinguais trois autres issues possibles. La question qui resta en suspend fut : Où je vais maintenant ... ?
Après une courte réflexion, je décidais de sortir par la première porte d’en face qui semblait amener vers l’extérieur. La lumière du jour qui y filtrait, ne me laissait peu de doute. Alors que j'accélérais le pas pour rejoindre l’extérieur, je sentis une main agripper mon poignet.
- Où allez-vous comme ça ?
En me retournant, je fus transpercée de part en part par deux émeraudes intenses. Cet homme venait de me stopper dans ma fuite.
- Où comptiez-vous aller ?
- S’il-vous plait ... Je vous en supplie, laissez-moi. Je veux juste partir, je ne dirais rien. Je n’ai rien vu ... Je vous le jure ...
- Nous ne pouvons pas vous laisser. Venez avec moi, Miiko vient de réunir l’Etincelante vous concernant. Je pense que nous devons vous laisser le droit de vous expliquer sur votre venue parmi nous.
- Je n’ai rien à expliquer ... Je n’ai pas compris ce qui vient de se passer. Laissez- moi juste repartir. Je vous en prie, je ne veux pas que preniez de décision quant à mon avenir ici.
L’homme ne relâcha pas mon poignet. Son geste, bien que destiné à me maintenir captive, n’avait rien d'agressif. Déboussolée, je vis un sourire de compassion se dessiner sur les traits fins de son visage. Ses deux petites tresses blondes, descendant jusqu’au niveau de ses épaules, dansaient au gré du vent. En relevant mes yeux sur sa chevelure dorée, je pu voir que la mèche centrale, tombant sur son front, était colorée d’un noir profond. Puis, en me raccrochant ses émeraudes, je lui répétais à voix basse.
- Je vous en supplie …
- Comment vous appelez-vous ?
- Norya …
- Je me nomme Leiftan. Enchanté de vous rencontrer, Norya. Je peux comprendre votre incompréhension. Vous n’êtes pas chez vous et vous avez surement rencontré des personnes qui doivent vous apparaître comme déconnectées de votre réalité. Cependant, je vous demande de me faire confiance. Je ne vous veux aucun mal. Voulez-vous bien me suivre ?
Doucement, Leiftan lâcha mon poignet pour se placer derrière moi, posant une main à ma taille. Sûrement voulait-il s’assurer que je le suivrais bien dans l’enceinte du bâtiment. Poussée par cet homme, j’obtempérais sans sourciller. Avais-je quelque chose à y perdre de toute façon ?
Nous avançâmes alors en direction de l’une des portes menant sur un long couloir desservant plusieurs pièces. Un grand tapis rouge ornait le sol, nous indiquant le chemin à suivre. Gentiment, il m'invita à entrer par l’une des seules portes situées sur la gauche du corridor.
Subitement, une sensation étrange me pris à la poitrine, tandis que je commençais à monter les quelques marches me séparant de la salle. Comme si ma fille avait senti mon inconfort, elle me donna de nombreux coups dans le ventre. Finalement, plus je poursuivais mon ascension, plus mon malaise se réduisait. Cependant, quelque chose à l’intérieur de moi m’ordonnait de faire demi-tour. Sachant que cette option ne s’offrait pas à moi, j’arrivais, non sans mal, dans la grande salle.
D’immenses fenêtres entouraient l’ensemble de la pièce, accueillant la lumière du jour vers l’unique pupitre central, où un imposant cristal était positionné. Je ne pus décrocher mon regard de cette grande pierre bleutée, semblant renfermer un trésor infini d’espoir et de désespoir. Ma contemplation fut vite interrompue par une voix emplie de reproche.
- Leiftan ! Que fait-t-elle ici ?!
En me retournant, je croisais les iris sombre de la renarde qui me dévisageait d’un air hautain. Posément, Leiftan lui répondit alors.
- Je pense que nous devrions l'écouter. Cette jeune femme est en droit de pouvoir s'exprimer.
- En quel honneur, Leiftan ! C'est une humaine ! Nous avons toujours respecté les volontés de Markus quant au sort réservé à leur race.
- Miiko, admet que ses directives son obsolètes. Pouvons-nous décemment continuer à exécuter tout humain foulant nos terres ?
- Exé … Exécuter … lâchai-je avec effroi
Mon intervention – bien que ridiculement inutile pour ma défense – m’avait permis de me redonner vie aux yeux de Miiko. Elle m’observa alors sous toutes mes coutures avec dédain.
- Soit ! Qu’as-tu à nous dire sur ton arrivée parmi nous ?
Prise de court, je dus inspirer profondément pour me redonner un semblant de contenance. Ainsi, je pu leurs raconter ma sortie dans les plaines, ma méditation assise dans l’herbe et mon arrivée soudaine dans la forêt, avant d'être coupé par une intervention extérieure.
- Un cercle de champignon, rien de bien étonnant. C’est la principale porte d’entrée entre nos deux mondes. Quelle gourde es-tu pour ne pas vérifier où tu poses ton imposant arrière-train ? répliqua un homme que je n’avais pas aperçu à mon arrivée.
Dans un angle de la pièce, trois hommes que je n’avais pas vus en entrant, me scrutaient depuis le début. Cette voix sarcastique était alors sortie de la bouche de l'homme aux yeux bleu azur. En voyant son sourire malicieux, je ne pus m’empêcher de lui jeter un regard noir en signe de défi. Je n’avais jamais été une personne susceptible. Toutefois, ma situation actuelle ne me donna pas envie de rire de sa grossière attaque.
- Fais attention, Ez’. On dirait bien que la demoiselle pourrait mordre, lança en ricanant l’un des autres hommes
En déplaçant mon regard vers mon nouvel interlocuteur, je ne pus accrocher qu’un seul de ses yeux noirs l’autre étant habillé d’un cache œil.
- Les hormones sûrement, s’esclaffa à nouveau le fameux Ez’
- Ezarel ! Nevra ! Il suffit, souffla la renarde
- Au vu des arguments avancés par l’humaine elle ne présente aucune menace pour notre peuple. Toutefois, ne devrions-nous pas suivre les directives de Markus ? le troisième homme aux yeux dorés venait de prendre la parole sans même me regarder.
Vivement, je repris mes esprits afin de plaider ma cause. Ils n’avaient aucune raison de m’exécuter. Je voulais uniquement retourner dans mon monde.
- Je vous en prie, laissez-moi repartir.
- Nous ne pouvons pas. Les cercles de champignon ne fonctionnent qu’à sens unique. Il y a bien les port…
- Leiftan ! le coupa Miiko
- Nous n’avons pas vu d’humaine depuis des siècles. Qu’est-ce qui pourrais expliquer son apparition dans la forêt ? questionna l’homme aux yeux d’or
- Bien ! Au vu de l’ensemble des éléments recueillis, je me dois de contacter Markus afin de revoir nos accords. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre le Royaume de Phalael comme allié. La Garde se doit de protéger son peuple et c’est pour cette raison que nous devons l’enfermer pour le moment, enchaîna la renarde
- Qu…Quoi ! Non ! Vous n’avez pas le droit ! Je n’ai rien fait … paniquai-je
- Miiko, si tu me le permets, je me porte garant de cette jeune femme, en attendant les instructions de Markus.
- Entendue ! Leiftan surveillera l’humaine. Ezarel, Nevra, Valkyon je compte sur vous pour quadriller la forêt et m’informer de tout mouvement suspect, conclut Miiko
Les trois hommes prirent la direction de la sortie sous les ordres de la renarde. En passant la porte, l’homme aux yeux noirs, qui se nommait sans doute Nevra, me lança un regard aguicheur avant de disparaître. Leiftan se retourna alors vers moi un sourire aux lèvres pour me demander de le suivre.
Nous avions du, à nouveau, traverser la salle porte, soutenue par ces immenses colonnes faites de pierre blanche, pour nous diriger vers l’extérieur de la tours. Je m'étais contentée de suivre Leiftan sans poser de question. Ces dernières heures avaient été des plus éprouvantes et je sentis mon corps accuser le coup.
Pour résumer la situation, j’étais arrivée dans un monde magique - Eldarya - peuplé d’êtres étranges avec des oreilles de lapin ou pointue, des queues de renard et des yeux pour le moins inhabituels. C'était impensable ...
Mes yeux s’embrumèrent alors, mes membres tremblant de façon incontrôlable. C’était trop pour moi ... L’émotion devenait beaucoup trop forte pour que je puisse la retenir. Au même moment, je compris que Leiftan essayait de m’aider à m’asseoir sur le rebord d’une fontaine. Enfin assise, je pu prendre ma tête entre mes mains pour me cacher de son regard interrogateur.
Je pensais à Jorik, à mes parents, à mes amis ... Je n’avais pas simplement « envie » de les revoir. Cela m’était vital ! Je devais les voir avant de sombrer. Je me demandais quel sort allait me réserver Miiko et ce fameux Markus. Qu’ils m’exécutent ou qu’ils me laissent vivre, peu m’importait, je voulais quitter cet endroit !
Délicatement, Leiftan caressait mon dos. De toute façon, je n’avais pas assez de force pour refuser ce contact qui m’apparut libérateur sur l’instant. Quand les dernières larmes roulèrent sur mes joues, je me décidais enfin à lui adresser la parole.
- Je ne pourrai jamais rentrer ... quel que soit la décision de Miiko et Markus …
Ma question ressemblait plus à une affirmation. Néanmoins, Leiftan pris la peine d’y répondre.
- Le cercle de champignons que tu as emprunté ne fonctionne que de ton monde au notre. Cependant, comme a pu le souligner Valkyon, nous n’avons pas eu d’humain sur Eldarya depuis un siècle. Certainement, que ta venue parmi nous a une signification.
- Mais, je ne veux pas rester … Les personnes qui me sont chères m’attendent sur ma terre.
Leiftan ne répondit pas, m'observant simplement d’un œil triste. Sûrement pouvait-il comprendre ma détresse. Je n’en savais rien. Je connaissais cet homme que depuis quelques heures. Pourtant, sa douce présence avait suffi pour m’apaiser plusieurs fois depuis mon arrivé ici. Il avait été mon seul rempart face à Miiko pour que je ne sois pas enfermée.
En me redressant plus correctement pour lui faire face, je voulu en savoir plus sur ce monde qui m’entourait. Si je ne pouvais pas partir pour le moment, il fallait au moins que je comprenne ce qu'il m’attendait.
- Eweleïn m’a dit que nous étions à Eldarya et plus particulièrement à la Garde d’Eel. Qu’est-ce que ça signifie ?
- Eldarya est notre monde, comme l’est la planète Terre pour vous les humains. Quant à la Garde d’Eel, comme son nom l’indique, elle est destinée à protéger le peuple des Faéries et Faeliens.
- « Faéries et Faeliens » ...
- C’est exact. Nous sommes tous des Faéries ou Faeliens. Des êtres dotés de force « magique », comme vous dites dans vous monde. Cependant, ici, nous parlons plutôt d’énergie vitale : le maanas.
- Ce maanas ... Il vous donne donc des particularités physiques et des pouvoirs ? lui demandai-je dubitative
- Non. Le maanas est notre énergie vitale, de la même manière que l’oxygène remplit nos poumons et que le sang circule dans nos veines. Nous naissons avec. Il ne nous est pas donné en cadeau. Le maanas habite chaque être vivant ici, ainsi que les plantes, l’air, l’eau, le feu… Tout est maanas, m’exprima-t-il en perdant son regard dans l’immensité du ciel
- Alors ... qui suis-je, ici, si je n’en possède pas …
Je venais de murmurer ces mots plus pour moi-même. Dans mon monde, je m'étais souvent interrogée autour de cette question : « Qui suis-je ? », sans forcément y trouver de réponse satisfaisante. Cependant, j’avais pu me construire une vie, avoir des objectifs, une famille, des amis, un métier … Je me sentais devenir quelqu’un vis-à-vis des autres, mais également vis-à- vis de moi-même.
Aujourd'hui, tout ceci disparaissait en un éclair. Je m’imaginais forte, mais tout ici m’effrayait. Je me pensais rationnelle, mais rien n’avait de sens. Je croyais en ma capacité d’autodérision, mais il n'y avait rien d'amusant. Si rien de ma personnalité ne collait à ce monde ... Qui allais-je être ? Personne ...
Mes angoisses revirent alors de plus belle. Toutefois, Leiftan écourta mon introspection, me transperçant de ses yeux verts.
- Norya.
- Hein ... Quoi ?!
- Tu es Norya.
Évidemment, qu'elle question stupide je me posais, là ! Bien sûr que la réponse la plus facile était de me dire « Tu es Norya » … Ce n'était pas suffisant. Ça ne me suffisait pas !
- Nous devrions aller retrouver Miiko, maintenant. Elle a très certainement eu des nouvelles de Markus.
A nouveau, je dû le suivre jusqu'à la salle cristal, Miiko, Ezarel, Nevra et Valkyon nous y attendant déjà. Je tentais alors de me raccrocher aux émeraudes de Leiftan pour ne pas flancher. Seulement, la voix stridente de la renarde me ramena vite à la réalité. Ils allaient décider de mon sort ... et, manifestement, je n'avais plus mon mot à dire.
- Ykhar a pu transmettre nos inquiétudes à Markus sur les termes de notre accord concernant les humains. Les textes sont clairs, l’Homme n’est pas considéré comme appartenant au peuple des Faéries et Faeliens. L’humaine, ici présente, doit donc être exécutée selon les lois qui unissent nos terres, débuta solennellement Miiko
- Quoi ! Non … non … non, paniquais-je
- Je n’ai pas terminé !!! me commanda sèchement la renarde qui me semblait de plus en plus être la chef de cette garde
Mes yeux supplièrent Leiftan pour qu'il intervienne. Durant un instant, l'idée de mourir m'avait traversé l'esprit, car à quoi bon vivre dans ce monde qui n'était le mien. Pourtant, devant le fait accompli, je me mis à prier de toutes mes forces pour qu'ils m'épargnent. La mort m’effrayait, elle m'avait toujours terrorisé, au point même de ne jamais en parler. Je voulais vivre ... ici ou ailleurs, qu'importe.
Finalement, la renarde repris la parole sur un ton, tout autant solennelle que rude.
- Toutefois, Markus nous a rappelé que c’est texte fut écrit en temps de guerre, il y a de cela des siècles. Si nous ne pouvons pas oublier nos morts, nous devons honorer nos combattants.
Je restais suspendue à ses lèvres … Quand allait-elle enfin prononcer la sentence ?
- C’est pourquoi Markus a décidé d’être clément. L’humaine devra intégrer l’une des gardes pour prouver sa valeur. Aussi, dans un mois, Markus prendra sa décision définitive quant à son utilité au sein de la Garde d’Eel. Keroshane se chargera du test et lui indiquera sa chambre. Vous pouvez disposer, acheva-t-elle
Pétrifiée, j'assimilais la nouvelle avec peine. Intégrer une Garde et prouver ma valeur ... ces conditions me paraissaient tellement dénuée de sens.
Une question tournait alors inlassablement dans ma tête, supprimant toutes mes capacités de réflexion : Qu’allais-je devenir ... ?
Chapitre 2 : À l’essai
Keroshane, surnommé Kero, un homme licorne, m’avais escortée jusqu’à ma chambre à la fin de la réunion en salle du cristal. Markus avait donc décidé qu’un mois d’essai dans la Garde d’Eel devrait me permettre de faire mes preuves. Cependant, Eweleïn, l’infirmière, avait plaidé en ma faveur en demandant de me laisser trois jours de repos avant le test. Je l’en avais remerciée, puisque, si les heures après mon arrivée avaient été chargées en émotions, j’en avais presque oublié ma grossesse. Un temps de repos s’imposait.
Ma chambre n’avait rien du grand luxe, bien au contraire, elle avait plutôt l’allure d’un hôtel de seconde classe. Un lit, une table de nuit et une armoire habillaient les dix mètres carrés de surface, simplement éclairé par quelques bougies et d’une petite fenêtre. Pour ce qui était du mobilier de toilette, il était commun à l’ensemble de la garde. D'ailleurs, cela avait été l'une de mes seules occasions de sortir de ma chambre durant ces trois premiers jours.
J’avais décidé de m’enfermer seule afin de me centrer sur moi et ma fille. Ce n’était pas l’idée la plus brillante que j’avais eu pour ne pas ruminer. Toutefois, j’avais besoin de ce temps d’analyse personnelle.
Etonnamment, Leiftan était venu me voir pour s’assurer que j’étais bien installée. Nous n’avions pas échangé sur ce qui c’était passé à la suite à la décision de Markus et Miiko. En fait, nous n’avions échangé un mot. Cependant, sa présence silencieuse m’avait été bénéfique. Il avait eu la gentillesse de m’apporter mes repas. Repas pour le moins étrange en bouche, mais mangeable, c’était ce qui importait.
Finalement, Leiftan et Eweleïn avaient été les seules personnes à me rendre visite dans cette pièce, qui me donnait, de plus en plus, la sensation d'être une geôle. Même si, j'étais terrifiée par la perceptive d'en sortir, je commençais à étouffer. Le souvenir de mon hospitalisation, de ce mois de doute et de peur, me revenait sans cesse en mémoire. J'avais alors besoin de prendre l'air, d'affronter mes craintes pour mettre fin à ce sentiment d'emprisonnement.~***~
A l’aube, je fus réveillée par quelqu’un qui toquait à ma porte. En prenant soin d’enfiler l’unique vêtement en ma possession, j’allais lui ouvrir.
- Bonjour Norya, nous allons pouvoir procéder au test des gardes aujourd’hui. Je peux t’accompagner petit-déjeuner si tu le souhaites, me demanda Kero en me souriant chaleureusement
J’acquiesçai de la tête en me frottant énergiquement les yeux. Ce qui n’avait pas changé depuis que j’étais ici, c'était que je ne prononçais pas un mot le matin, tant que je n’aurais pas avalé quelque chose.
Kero m’amena donc jusqu’au réfectoire et alla commander pour nous deux en cuisine. Installée à une table éloignée des autres, je balayais la salle du regard encore embrumée par mon réveil. Tout ici me rappelais inlassablement que je n’étais pas chez moi : le cuisinier avec ses pattes de bouc, les recrues armées alors qu’ils venaient uniquement pour manger et malgré les brindes de conversation légère que je pouvais intercepter, je ne me sentais aucunement à ma place.
Heureusement, l’homme licorne revint les bras chargés de divers mets inidentifiables, avec un sourire aux lèvre, ce qui me rassura quelque peu. Toutefois, je ne me rappelais pas que Leiftan m’avait ramené de tels plats. Je ne pus pas m’empêcher de demander à Kero, mais il ne répondit pas, m'invitant simplement à y goûter.
Du bout des lèvres, je portais le mélange à ma bouche, comme si celui-ci pouvait me brûler. Les différentes saveurs chatouillant mes papilles ressemblaient vaguement à du chocolat en plus amer, plus épicé.
J’avais appris dans mon monde que le cacao était modifié par de nombreux procédés afin de fabriquer le chocolat tel que nous le connaissons. Auquel cas, sans transformation, celui-ci restait immangeable pour la majorité de la population. A Eldarya, il ne devait probablement pas connaitre ce type de recette. Quoi qu'il en soit, ma faim l’emporta sur le goût.
Ainsi, après de multiples grimaces de ma part je finis mon bol, avant de regarder enfin Keroshane. Il avait la particularité d’avoir une corne au milieu du crâne et deux longues oreilles pointues. Aussi, ses lunettes seyaient à merveille à son travail de bibliothécaire. Je dus l’observer trop longuement puisque je le vis brusquement relever la tête.
- J’ai quelque chose sur le visage ? m’interrogea-t-il d’un air inquiet
- Non … Non, mis à part une corne en plein milieu, rien de bien extravagant, ironisais-je
Ma remarque arracha un léger rire à l’homme licorne. Je m'étais surpris moi-même. Mon humour avait-il décidé de repointer le bout de son nez ? Très certainement, que ces trois jours de mutisme m’avaient coûté.
J'avais toujours eu besoin de contact humain ... Enfin, ici, les humains étaient inexistants. Malgré tout, il semblerait que j'étais parvenu à reprendre un peu de force. Je ne voulais pas me laisser abattre pour continuer à trouver un moyen de rentrer chez moi. Nous nous levâmes alors sur cette note, afin de débarrasser notre table avant de nous diriger vers la sortie.
Après être passée promptement par les douches communes, je rejoignis Kero dans le hall. Il me présenta la bibliothèque, où était installées de gigantesques étagères remplies de livres, de parchemins et de feuilles volantes.
Kero se mis à fouiller frénétiquement dans l’une d’entre elles pour en sortir un livre aux feuilles jaunies par le temps. Tout en m’invitant à m’installer sur un banc en bois, à l’apparence des vieux bancs d’école, il replaça ses lunettes pour entamer le test.
- Miiko t’a-elle expliqué le principe de la Garde au sein du Quartier Général ?
- À vrai dire, elle ne m’a pas beaucoup parlée, répondis-je avec une pointe d’agacement dans la voix
En effet, Miiko avait été des plus exécrables avec moi depuis mon arrivée au QG. Le peu de phrases qu’elle avait prononcée me concernant, ne m’était jamais directement adressée. Elle semblait complétement ignorer ma présence, comme si je n’existais pas.
J’avais fini par comprendre, par moi-même, le rôle qu’elle occupait dans la Garde, au vu des ordres qu’elle avait donné aux petits nombres de personnes que j’avais pu rencontrer. Cependant, je n’appréciais pas d’être prise de haut de la sorte. J’avais mon mot à dire quant à mon sort dans cette Garde.
- Je vais m’en charger alors. La Garde est découpée en quatre …
Il m’expliqua précisément le fonctionnement de la Garde d’Eel. La Garde Etincelante, dont Miiko en était la cheffe, dirigeait les trois autres. J’appris, par la même occasion, que Leiftan était considéré comme le bras droit de la renarde. Quant aux trois hommes que j’avais croisé dans la Salle du Cristal, ils commandaient chacun l’une des trois Gardes restantes.
Ezarel, l’elfe aux yeux bleu azur, était à la tête de la Garde Absynthe qui avait pour rôle la gestion du laboratoire d’alchimie et de l’infirmerie dont Eweleïn avait la charge.
Quant à Nevra, - dont Kero me conseilla de me méfier sans m’en donner la raison – il dirigeait la Garde de l’Ombre, son rôle, principalement d'espionnage, pouvait également servir sur le front.
Pour finir, Valkyon, l’homme aux yeux dorés, donnait ses ordres à la Garde Obsidienne qui était composée de fiers combattants protégeant le peuple des attaques ennemies.
- Tu as compris ?
- Oui. Alors, je dois choisir quelle Garde je veux rejoindre ?
- Haha non, il y a une sélection théorique et pratique. Miiko m’a demandé de te faire passer uniquement le test théorique. Il te suffira de répondre à une vingtaine de questions à choix multiple. Le résultat de ce test ne pourra pas être contesté. Tu es prête ?
Kero m’informa qu’il devait me lire le questionnaire à haute voix, celui-ci étant écrit dans leur ancien dialecte que je n’aurais pu comprendre.
- Allons-y, ça ne doit pas être bien compliqué, me motivais-je péniblement
- Quel familier doit être maitrisé rapidement en cas d’attaque ? Le Becola, le Black dog ou le Corko ?
- De quoi ? Tu te moque de moi ?
- Pardon … Je pense que la majorité des questions vont te sembler abstraites. La plupart concerne des spécificités de notre monde. Réponds uniquement en suivant ton instinct, je n’ai pas le droit de t’aider.
J’abdiquais sagement. Les questions s’enchainèrent alors. Les mots utilisés me renvoyèrent, de plus en plus, dans la réalité de ce monde : « Nemé », « Golem », « Sirènes », « Acragas », « Phénix » … Il n'y plus de doute possible : je n’étais pas sur ma très chère Terre.
La majorité de mes réponses en cas d’attaque se résumèrent à fuir ou se cacher et si j’avais eu la possibilité de répondre « faire la morte », je l’aurais fait. En arrivant, enfin, au bout du test, je retiens alors ma respiration. Je n'avais aucune envie d'intégrer une Garde. D'ailleurs, je ne voulais pas m'intégrer tout court ... Je le faisais simplement pour survivre.
- En comptant tes points tu fais donc partie de la Garde de …
Kero se stoppa net, le nez dans son bouquin, son doigt parcourant le long de la page fébrilement. Probablement, qu'il recomptait mes points.
- Je suis dans ... ? Quelle Garde, Keroshane ? Dis-moi, s'il te plaît …
- L’Ombre… Tu vas rejoindre la Garde de l’Ombre. Je te prie de m’excuser, compatit-il
- Et ? Kero, développe ! Je dois emmagasiner beaucoup d’informations depuis mon arrivée. En quoi consisterais mon rôle dans la Garde de l’Ombre ?
- Les missions et les entrainements des Ombres peuvent être périlleux. L’objectif étant d'en faire des armes invisibles pour l’espionnage, la défense et l’attaque.
- Je refuse ! crachai-je spontanément
Hors de question de prendre des risques inconsidérés pour cette Garde ! Je l’avais peut-être réalisée bien tard, mais je n’allais pas crapahuter dans les arbres ou apprendre à me battre pour faire mes preuves auprès de Markus.
Kero affichait une mine défaite, mais je ne pris même pas peine de discuter avec lui. J’avais été déboussolée, abattue et passive pendant trop longtemps. Ces trois jours m’avaient permis de me recentrer sur ma condition. J’attendais un enfant bon sang !
Sans vraiment réaliser où mes jambes me menaient, je repris conscience que dans la salle du cristal.
- Je ne nous mettrai pas en danger ! Je n’intégrerai pas l’Ombre ! Et, je refuse de me battre ! hurlai-je à bout de souffle aux personnes présentes dans la salle.
Mon esprit était enseveli sous une charge bien trop lourde à porter : je n'étais pas dans mon monde, je devais côtoyer des êtres étranges et leurs démontrer ma valeur pour continuer à vivre. C'était improbable ... Je voulais sortir de ce cauchemar. Peu à peu, je compris que l'ensemble des chefs de Garde me toisaient du regard.
- Oh ! C’est moi qui ai gagné la demoiselle ! se vanta Nevra
- Ne te réjouis pas trop vite, on dirait bien que « ta demoiselle » a peur de se casser un ongle.
Je n’avais encore une fois aucune envie de rire. Cet Ezarel commençais doucement à me taper sur le système.
- Mes ongles se portent à merveille ! Je tiens simplement à vous rappeler que je suis enceinte. L’auriez-vous oublié ? ripostai-je vivement
- Tentons de trouver une solution, s’interposa Leiftan
Effarée, je les avais regardés protester au sujet de ma requête. Aucun d’eux ne prit la peine de solliciter mon avis. Leiftan proposa que je sois assignée à des missions réalisables au vu de mon état de santé. Nevra refusa de laisser « sa nouvelle recrue » accomplir des missions dégradantes qui entacheraient la réputation de sa Garde.
Ezarel, fidèle à lui-même, se moqua de mes capacités physiques et intellectuelles qui selon lui m’empêcheraient d’occuper un poste au sein de sa Garde. Quant à Valkyon, impassible, il fit l’unique remarque que je n’aurai aucune utilité à l’Obsidienne.
D’un œil j’étudiais les réactions de leur cheffe. Cette dernière affichait une posture imperturbable. Elle semblait se délecter de ces échanges enflammés à mon sujet. Il était temps que j’intervienne pour clore le débat. Déterminée à me faire entendre, malgré mes craintes, je tentais d’exprimer le fond de ma pensée le plus clairement et calmement possible.
- J’ai bien saisi qu’il était exclu que je reste parmi vous sans intégrer une Garde. Toutefois, sachez que je reste déterminée à retourner dans mon monde et bien vivante. Vu qu’il est important pour vous de suivre les résultats de ce test, je veux bien me considérer comme une Ombre. Cependant, il est inenvisageable que je prenne des risques irréfléchis qui mettraient en péril la vie de ma fille. Alors, vous propose que j’occuperai un poste auprès d’Eweleïn à l’Absynthe, le temps de pouvoir rejoindre les rangs de l’Ombre.
Ma vision se brouilla à la fin de ma phrase, ma respiration se faisant saccadée, tant l’audace dont je venais de faire preuve m’avait couté. Ils m’observaient tous dubitatifs. Seule l’attitude de Miiko n’avait pas changé.
- Requête accordée, décida-t-elle en m’indiquant la sortie du coin de l’œil
En sortant de la salle le pas lourd, la tête serrée comme dans un étau, j’entendis vaguement quelques protestations sans y prêter attention. J’avais réussi ? Miiko m’avait réellement pris en considération ? Je ne parvenais pas à y croire ...
Ainsi, de retour dans ma chambre, je m’écroulais dans mon lit, épuisée. Je venais de prendre une décision en m'affirmant de la sorte ... celle de faire mes preuves dans ce monde qui n'était pas le mien. Sans aller jusqu'à m'y investir pleinement, je voulais essayer de savoir comment fonctionnait Eldarya afin de trouver un moyen de rentrer. Je n'avais plus vraiment le choix. Vivre ou mourir ... mon choix était vite fait.
Une nouvelle fois, j’avais passé le reste de ma journée enfermée dans ma chambre. De toute façon, Miiko devait sûrement se douter qu’il n’y avait rien à craindre de moi, étant donné que je passais le plus clair de mon temps, seule, entre ces quatre murs. Finalement, elle était parvenue à m’enfermer, comme elle l’aurait souhaité à mon arrivée, puisque je me retrouvais à le faire de moi-même.
En fin de journée, éreinté par mes émotions, je sentis mes yeux se fermer, mon corps rejoignant dans les bras de morphée.~***~
Tandis que le soleil commençait percer doucement dans le ciel, je réalisais enfin ce que j’avais dit la veille : « J’occuperai un poste auprès d’Eweleïn à l’Absynthe ». Mais, quelle idée j’avais eu ! Je n’avais jamais été intéressée par le domaine médical. Bien au contraire ! J’avais toujours fait en sorte d’éviter de travailler en milieu hospitalier. Certes, mon métier m’avait amené à travailler en étroite collaboration avec eux. Cependant, je n’avais aucune connaissance en la matière et je ne souhaitais pas en avoir.
Après avoir pris soin de me laver et de m’habiller, je me rendis au réfectoire la tête embrouillée par toute sorte de pensées. J’avais demandé à la Garde de me donner cette affectation ... Je ne pouvais décemment pas faire machine arrière après l’aplomb que j’avais manifesté. Il fallait que je trouve un moyen de travailler avec Eweleïn sans me mettre en difficulté.
Le nez plongé dans mon breuvage, j’aperçu soudain une main battant l’air juste devant mon visage.
- Et, oh ! Il y a quelqu’un là-dedans ?
- Ah ! Nevra … Bonjour …
- Je vois que ton chevalier servant t’a fait faux bond aujourd’hui. Puis-je avoir l’honneur de te tenir compagnie ?
Son sourire en coin laissa apparaitre une de ses canines aiguisées. Il tira alors une chaise pour prendre place en face de moi, en mettant fièrement ses mains sous son menton. Surprise, je n’eus pas le temps de répliquer qu’il enchaîna déjà.
- À quoi pensais-tu princesse ?
- « Princesse » ...
- Bien sûr. Qui dit chevalier servant, dit princesse.
- Suis-je bête, c’est évident ! le provoquai-je en levant les yeux au ciel
Il me sourira à pleine dent, son œil charbonneux cherchant à sonder mon esprit.
- Alors, à quoi pensais-tu belle Ombre ?
« Belle Ombre » ... Décidément, il semblait apprécier m'affubler de surnom ridicule. En soupirant, je pris toutefois la peine de lui réponse sérieusement.
- À mon poste à l’Absynthe.
- Oh ! Je suis vexé.
- Ne le sois pas. Je me demandais juste quelle mission j’allais faire avec Eweleïn n’ayant aucune connaissance dans le domaine.
- Je peux m’occuper de toi, si tu le souhaites. J'ai toujours rêvé de savoir quel goût avait une humaine, m’aguicha-t-il en clignant de l'œil
- Sans façon ! objectai-je me levant vivement
Précipitamment, je sortie de la cantine pour me rendre à l’infirmerie. J’en avais même oublié de débarrasser ma table tant ses propos m’offusquaient. Pour qui se prenait-il à essayer d’user de ses charmes avec moi ? Cet échange m’avait au moins permis de comprendre les mises en garde de Kero concernant Nevra. Il y avait quelque chose de malsain chez lui. Je n’étais peut- être pas mariée, mais j’avais une vie bien construire sur Terre et mon ventre rebondi ne témoignait pas du contraire !
J’ouvris la porte de l’infirmerie à la volée encore sous le coup de la colère.
- Norya ? Tout va bien ? s’inquiéta Eweleïn
- C’est quoi son problème à Nevra !?
En rentrant, je n’avais pas eu le temps de voir qu’Ezarel travaillait sur l’un des bureaux en bois disposé dans la pièce.
- Pauvre petite chose. Il en a deux pour le prix d’une. Il a bien le droit d’en profiter, s'amusa-t-il
Mais où avais-je atterri ? Entre le borgne séducteur et l’elfe moqueur, il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. Une fois de plus, Eweleïn dû prendre ma défense
- Ez’ ! Cesse tes blagues de mauvais goût, dit-t-elle sèchement
Elle se retourna ensuite en ma direction pour me répondre avec douceur.
- Je sais que c’est difficile à entendre pour toi, vu les circonstances, mais tu t’y habitueras. Ni prête pas attention et ne le prend surtout pas personnellement. Ces deux-là sont irrécupérables si tu veux mon avis.
Ezarel, sans doute vexé, quitta la pièce, en bougonnant. L'infirmière m’invita alors à prendre place sur l’un des lits, dont l’assise me donna la sensation de flotter sur un nuage. Elle m’ausculta ensuite soigneusement, pendant que je lui expliquais les raisons de ma venue.
- Je … Je dois effectuer des missions pour la Garde et ... j’ai décidé de les faire auprès de ton service.
- Quelles sont tes compétences ? me questionna-t-elle gentiment en relevant mon haut
- Aucune …
- As-tu envie d’apprendre ?
- O..Oui… mentis-je
Elle fronça les sourcils, un léger sourire venant se dessiner sur le coin de ses lèvres.
- Tu mens.
- Je devais rejoindre l’Ombre, argumentai-je
- Je comprends. Mais, ne me ment plus s’il te plait.
Les mots d’Eweleïn dégageaient une chaleur emplie de bienveillance. Sans nul doute, qu’elle était certainement de mon côté. Malgré tout, je préférais rester méfiante. Après tout, je la connaissais que depuis six jours.
- Qu’elles sont tes compétences ? Quel métier exerçais-tu dans ton monde ?
- J’étais … Enfin, je suis psychologue.
Brusquement, elle arrêta de m’ausculter. Les yeux écarquillés, un sourire satisfait s'inscrivit progressivement sur ses lèvres.
- En voilà une bonne nouvelle ! Que dirais-tu d’installer un bureau dans l’arrière-salle ? se réjouit-elle en me montrant une minuscule pièce au fond de l’infirmerie
- Quoi ?! Mais, je ne sais pas si j’aurai les capacités ... puis, aussi les moyens d’accompagner des personnes dans votre monde. Quelles sont les problématiques ? Les outils thérapeutiques ? Les dispositifs existants ? m’affolais-je
- Allons demander à Miiko. Quand dis-tu ?
Miiko … Toujours Miiko. Ils avaient, tous, que ce nom à la bouche. Sa sainteté Miiko avait déjà décidé de mon droit de vivre ou mourir et je devais maintenant la consulter pour qu’elle approuve le moindre de mes faits et gestes.
Dire que j’avais réussi à exercer en indépendance dans mon monde, étant donné que je ne supportais par les ordres de ma hiérarchie ... J’étais retombée bien bas en arrivant à Eldarya, où la gouvernance ressemblait, à n’en pas douter, à une monarchie.
J’avais fini par acquiescer, n'ayant pas vraiment d’autre choix. Ainsi, pour la quatrième fois depuis mon arrivée, je me retrouvais à nouveau dans la salle du cristal, en face des chefs de Garde avec Eweleïn à mes côtés. J’avais légèrement l’impression de tourner en rond ...
Puis, mon inconfort du premier jour persistait dès que je pénétrais dans cet endroit. J’avais d’abord mis ce malaise sur le compte de l’anxiété que me procuraient ces entrevues avec la renarde. Seulement, je sentais une douleur lancinante dans ma poitrine qui me commandait de quitter ses lieux. Une force inexplicable me rejetait avec véhémence de cette pièce.
- Bonjour Miiko. J’espère ne pas avoir interrompu une réunion capitale, s’excusa Eweleïn
- Des mouvements des loups de Týr ont été repérés le long des côtes de Locrouge. Kassandre sollicite le soutien de la Garde en cas d’attaque. Nous étions sur le point d’établir une stratégie, annonça Miiko
Sa déclaration me fit l’effet d’une douche froide. La cheffe de Garde ne m'avait pas habituée à une telle expression d'anxiété. Étaient-ils en guerre ... ?
- Que viens-tu faire avec l’humaine ? s’enquit-elle d'un ton sec
- Nous pouvons repasser, si tu le souhaites, reconnu ma charmante infirmière
- Nous sommes tous disposés à vous entendre. Maintenant, que vous êtes ici ... enchaîna la renarde avec impatience
- Nous souhaitons mettre en place un cabinet psychologique que Norya prendrait en charge. Cela vous semblerait-t-il pertinent ? expliqua Eweleïn
Je déglutis difficilement, quand Miiko m’examina avec une attitude de dédain.
- Faites comme bon vous semble. Tu as la charge de l’infirmerie Eweleïn, c’est à toi d’en juger.
Immédiatement, la renarde détourna son attention de nous pour reprendre sa réunion. Avant de partir, j’eu besoin d’accrocher le regard de Leiftan. Il me sourit alors, en m’informant que nous pouvions disposer. Rassurée par son attention, je passais la porte au côté d’Eweleïn afin de rejoindre le service médical.
Une fois de plus, je pris conscience des conséquences de mon choix. J'allais devoir côtoyer régulièrement des Faéries et des Faeliens. Je n'étais pas sûr d'être prête à assumer ce rôle ... Seulement, j'étais encore moins encline à intégrer l'Ombre. Dans ce cas, il fallait que je prenne sûr moi ou, du moins, que j'essayais, pour ne pas sombrer ...~***~
Nous eûmes besoin de trois jours pour installer correctement mon cabinet. Eweleïn m’avait ordonnée de ne porter que des charges légères et elle prenait le temps de m’examiner régulièrement. Aussi, malgré ses nombreux grognements, Ezarel avait fini par accepter de nous aider à transporter un bureau, une petite étagère et un divan, avec l’aide de Leiftan qui étonnamment restait toujours dans les parages.
À ma grande surprise, j’avais découvert que le matériel bureautique se limitait à des feuilles de parchemin et des plumes à l’encre. Je n’aurais donc pas mes habituels outils de travail : surligneur, tipexe, agrafeuse, pochette, classeur et surtout ordinateur et photocopieuse.
Dans mon bureau, la fenêtre en forme de hublot laissait entrer quelques brins de soleil afin d’illuminer la table posée au centre, tout en plongeant légèrement dans la pénombre le fauteuil que nous avions déposé dans un angle. Cette pièce avait alors pris l’allure des vieux cabinets de psychanalystes. Pourtant, je n’étais pas une adepte de ce type de courant. Cependant, ce retour aux sources me rassurait quelque peu.
J’avais également pu me rendre à la bibliothèque pour y trouver des ouvrages psychologiques écrit dans ma langue. Autant dire, qu’ils se comptaient au nombre de deux et que j’avais mis plusieurs heures pour les dénicher avec le soutien indéfectible de Keroshane. Ainsi, pour donner un semblant de professionnalisme à mon bureau, je les avais glissés dans l’étagère au côté de plusieurs bibelots faisant office de décoration. Je savais, par avance, que je ne les consulterais pas puisqu’ils développaient les théories freudiennes provenant de mon monde. Tout ce qui m’avait rebuté durant mon cursus ...
Curieusement, ce temps de préparation m’avait permis de me projeter dans cette nouvelle fonction. J’étais excitée à l’idée de découvrir mes premiers patients pour me décentrer de mes propres préoccupations. Accompagner des personnes avait toujours été l’une de mes passions. Puis, le fait de pouvoir me sentir utile dans ce monde me permettrait sûrement d’apaiser ma peine. J’allais trouver un moyen de partir, mais en attendant je devais m’occuper l’esprit. J’en avais grandement besoin ...
Pour saisir les attentes de ce monde, j’avais échangé avec Eweleïn. Elle m’avait alors expliqué que la majorité des recrues de la Garde avaient vécu des évènements traumatisants à la suite des attaques incessantes des fameux « loups de Týr », ainsi que des mercenaires. Je m’étais risquée à lui demander des précisions à propos de ces groupes, mais elle avait éludé mon interrogation pour se concentrer sur mes futures interventions. Nous nous étions accordées sur le fait que je devrais faire preuve d’écoute, de compréhension et respecter le secret. Jusqu’ici rien de bien extravagant.
Néanmoins, j’appréhendais de ne pas avoir les compétences nécessaires pour gérer de tels traumatismes dans un monde où les codes sociaux différaient radicalement des miens. Puis, ces personnes allaient-elles me faire confiance ? Je n’étais qu’une humaine fraichement débarquée. Depuis mon arrivée, je fuyais les regards des personnes que je croisais dans les couloirs, mes déplacements se limitant à quelques pièces du QG : chambre, douche, réfectoire, infirmerie. Je n’avais rien d'une psychologue bienveillante et ouverte d’esprit. Je ressemblais plutôt à un petit animal apeuré par ce qui l’entoure. Il fallait que je me reprenne en main et vite !
Quand nous eûmes enfin terminé, Eweleïn me proposa d’élargir ma garde-robe, mon unique tunique commençant en effet à devenir un haillon.
- Nous nous retrouverons au marché extérieur, tu n’auras qu’à longer le refuge. Je t’y rejoins quand j’aurai terminé mes consultations.
- Je ne suis pas sûr de trouver ... Puis ...
- Ne t'inquiète pas. Tant que tu es dans l'enceinte du QG, il ne t'arrivera rien. Je te le promets.
Résignée, je pris le temps de faire ma toilette et d’avaler quelques victuailles avant de quitter le bâtiment. Je n’étais pas sortie depuis plus d'une semaine. Mon enthousiasme se mêlait à mon angoisse, me faisant ainsi perdre tous mes moyens. Je n’avais toujours pas accepté ma vie ici et sortir signifiait s’exposer au monde, aux autres … Eweleïn, Ezarel, Kero et Leiftan étaient les seules personnes que j'avais pu régulièrement côtoyer. J'aurais aimé que l'un entre eux m'accompagne ...
Je dû prendre mon courage à deux mains en mettant enfin un pied dehors. L’air happa mon visage, le soleil se reflétant dans l’acajou de mes cheveux qui évoluaient au gré du vent. Finalement, cette sensation de liberté m'avait manqué. Je fermais alors les yeux pour ressentir ce moment de bien-être oublié.
En longeant le refuge, je pris plaisir à observer les maisonnettes en bois positionnées arbitrairement le long du chemin en terre, menant à la place du marché. Des enfants s’amusaient à grimper aux arbres, leurs rires et leurs cris réchauffant mon cœur. La saison printanière donnait naissance à plusieurs espèces de fleurs aux multiples couleurs qui embellissait l’endroit. Ce refuge avait tout d’un petit village de campagne où seuls les gazouillis des oiseaux pouvaient perturber le silence environnant.
Je fus vite arrivée devant la place du marché. Subitement, l’effervescence du lieu me sortit de ma méditation. Le contraste évident entre le refuge et cet endroit venait de l’immensité de la foule qui arpentait les ruelles pavées pour rejoindre les différents stands. Toutes ces créatures se bousculaient pour obtenir la meilleure promotion sur les vêtements, la nourriture ou la nouvelle recette d’alchimie : le « pousse rapide » pour les plantations. Des nains, des orcs, des centaures, des hydres et autres êtres fantastiques, que je ne n’avais vu que dans les livres, se mouvaient devant mes yeux ébahis.
J’étais perdue au milieu de ce flux constant de personnes négociant avec ferveur devant des étals remplis de divers objets colorés qui m’étaient inconnus. La panique s'empara alors rapidement de moi. Tétanisée au centre de la place, j'entourais mon ventre de mes bras, une boule se formant dans ma gorge. Peu à peu, les battements de mon cœur s'accélérèrent.
Des épaules cognèrent les miennes et mes pieds furent écrasés ... Puis, j'eus la sensation de me percevoir perdue dans l’immensité de ma foule. Mon esprit se déroba de mon enveloppe corporelle, cherchant un point d’appui sécurisant. Soudain, une main attrapa mon bras, mon corps pivotant vivement pour me retrouver face à mon interlocuteur.
- Norya ! Norya ! insista un homme à de nombreuses reprises
- Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta une femme qui nous avait rejoint
Je les entendais, sans parvenir à les voir. Mais, surtout je n’arrivais pas à leur demander de m’aider.
- Allons à la fontaine, ordonna la voix féminine en me voyant demeurer muette
Mon corps fut soulevé pour être déplacé, cependant je n’avais pas ressenti de contact sur ma peau. Je l’avais simplement compris. J’éprouvais des émotions sans les vivres physiquement. Qu’était-il en train de m’arriver ?
- Pose-la et va chercher Leiftan, commanda à nouveau la femme
L’aura de douceur d’Eweleïn planait dans l’air, je pouvais le deviner. Puis, je fus surprise de constater que celui de Nevra semblait s’éloigner. Je commençais à comprendre de plus en plus distinctement ce qui était en train de se passer. Pourtant, je ne voyais toujours rien !
Je ressentais simplement des sensations sans que celle-ci ne soit physique … Alors, où est que j’étais ? Je flottais hors de mon corps !
Après plusieurs minutes d’attente, Nevra revint accompagné de Leiftan. A peine, c’était-il approché que son aura m’appela, comme s’il pouvait être un point d’accroche. Transportée par une énergie nouvelle, ma conscience tenta d’entrer en harmonie avec le sienne. Je devais lui demander de l’aide … par n’importe quel moyen !
Mon esprit fut toutefois arrêté dans sa course par sa simple voix.
- Reviens ! m’interpella Leiftan
Son ton fu à la fois autoritaire et réconfortant. Comme si celui-ci avait provoqué une avalanche en moi, je fu projeté vers mon corps. Enfin, j’entendis le bruit de l’eau de la fontaine, je sentis l’air frais chatouiller ma peau, je voyais l’herbe danser sous pieds. J’étais là ! A nouveau …
- Leiftan … qu’est-ce que … bredouillai-je
- Qu’as-tu vu ?
- Rien … Absolument rien. J’étais nulle part … Je …
J’aurai voulu pouvoir rationnaliser. Me dire que tout ceci n’était qu’une dissociation de la pensée liée aux événements traumatiques que j’avais vécus depuis mon arrivée. Mais, rien n’était cohérent ici. Les larmes ruisselèrent alors sur mes joues. Je craquais encore …
Je pensais pourtant avoir réussi à reprendre confiance en moi. J’avais même eu envie de laisser une trace de mon passage à Eldarya en créant ce cabinet. Je n’avais jamais autant ressenti d’émotions contradictoires. C’était à en devenir folle.
- Nevra, Eweleïn pouvez-vous nous laisser seul ? demanda Leiftan
Immédiatement, Eweleïn tourna les talons en me souriant chaleureusement, tandis que Nevra s’agenouilla devant moi. La prunelle de son œil auparavant séductrice avait changé d’expression. Il me fixa longuement, son attitude trahissant son inquiétude.
- Viens dîner avec nous ce soir belle Ombre, murmura-t-il
Il n’attendit pas ma réponse pour repartir comme lui en avait commandé Leiftan. Cette simple invitation de sa part m’avait permis de sécher quelques-uns de mes sanglots. Probablement, qu’il essayait de se racheter et je lui en étais reconnaissante. Quand ils furent enfin partis, Leiftan se retourna alors dans ma direction.
- Si tu n’as rien vu, qu’as-tu senti ? reprit-il
- Rien … Enfin rien de physique. Je ne comprends pas, Leiftan. Que m’arrive-t-il … ?
Son visage angélique s’assombrit l’espace d’un instant, avant qu’il poursuive.
- Moi, je t’ai senti. Norya il faut que nous en …
Brusquement, je relevais la tête, les yeux secs, mettant fin à ses propos pour réclamer des explications.
- Tu m’as senti ? De quoi parles-tu, Leiftan ? Je n’étais pas là ! Je ne contrôlais absolument rien !
- Si Norya, tu contrôlais ton esprit, rectifia-t-il
Il était sincère … Malgré tout, je discernais dans ses iris tout le trouble qu’entrainaient ces mots. Il s’excusait presque de ce qu’il venait de m’avouer.
- Nous devons en parler avec Miiko.
- Non ! Je ne veux pas en parler avec elle, répondis-je sèchement
- Et que vas-tu faire avec tout ça ?
- Rien … Je … Leiftan … qu’as-tu senti ?
Il resta muet, semblant démêler ses pensées afin de m’apporter une explication des plus claires. J’avais besoin qu’il soit honnête … Il fallait que je sache, peu m’importait si ses révélations ne me convenaient pas. Je devais trouver un sens à ce que je venais de vivre.
- Norya … Je sais que le concept, même, d’énergie magique doit te paraitre absurde. Alors je vais essayer d’être concis. J’ai simplement senti ton esprit chercher le mien. Ce type d’aptitude peut se retrouver chez plusieurs races de Faérie. Mais, si ton esprit était parvenu jusqu’au mien : Qu’aurais-tu pu me faire ? Et ni toi, ni moi ne pouvons y répondre. Nous devrions en informer Miiko.
Mes pensées s’embrouillèrent, mes mains se faisant moites. Cela signifiait-il que j’étais une Faérie ? Que je faisais partie d’Eldarya … Je ne sus comment réagir à cette idée. Je ne comprenais absolument plus rien. Je cherchais du sens et sa réponse de m’en apportait pas. Mon esprit s’était extirpé de mon corps. J’avais eu le vague sentiment de percevoir leurs auras et de pouvoir pénétrer dans celui de Leiftan. Mais … pour quelles raisons ? Pour y faire quoi ?
- Je ne peux pas te donner d’explication plus explicite que celle que je viens de te transmettre. Je te demande alors de me faire confiance à nouveau.
J’obtempérai d’un signe de tête, mon esprit toujours embrumer par ses révélations. En arrivant dans la salle du cristal mon malaise ne fit que s’accentuer. Je ressentis cette force qui m’avait depuis le début incité à fuir. Celle-ci se faisait plus forte, plus intense, elle poignardait mon cœur comme pour le mettre en pièces. Mes jambes se dérobèrent alors sous le poids de ses avertissements.
Tombée à genoux devant l’immense pierre bleue, je vis une forme humanoïde s’y détacher. Elle était si belle lévitant au-dessus du pupitre, son aspect vaporeux transcendant l’espace. Cette femme, ou plutôt cet esprit, nue devant mes yeux, brillait d’une couleur rosée. Tel un nuage, ses cheveux en plume bougeaient en dehors du temps. Qui était-t-elle ?
Tout en me montrant du doigt, ses lèvres transparentes bougèrent. Elle essayait de me dire quelque chose, mais aucun son ne parvint à mon oreille. Puis, elle disparut, comme elle était venue. L’air se fit plus pur, mon cœur reprenant son rythme régulier. Comme sortie de transe, je repris petit à petit mes esprits et distinguais les deux silhouettes figées devant moi.
- L’Oracle … souffla Miiko
En tentant de me relever, je réussi à émettre quelques mots.
- Vous l’avez vue ?
Miiko et Leiftan m’observaient effarés. Il ne fallut pas longtemps à Miiko à reprendre sa posture suffisante.
- Bien sûr que nous l’avons vue ! C’est l’Oracle, l’esprit du cristal, la gardienne du monde, vociféra-t-elle
Elle s’adressa ensuite à Leiftan.
- Fais là sortir d’ici ! Trouve les chefs de Gardes ! Une assemblée s’impose.
Leiftan s’exécuta, commençant à me conduire vers la sortie. Seulement, c’était hors de question que j’en reste là ! Je fis alors volteface pour affronter Miiko, une bonne fois pour toute !
- Je veux être présente lors de l’assemblée. Vous n’avez pas le droit de me cacher des informations qui me concerne. Qui est l’Oracle ? Pourquoi m’est-elle apparue ? Qu’est-ce que c’est cette histoire d’énergie magique ? Pourquoi mon esprit semble y être réceptif ? Pourquoi ne cherchez-vous pas un moyen de me ramener chez moi …
J’avais réussi à formuler toute ces questions sans réfléchir, la dernière m’arracha néanmoins le cœur. Je voulais rentrer … Tous les évènements récents n’avaient fait que confirmer ce besoin. Toutes les interrogations qui s’imposaient à moi n’était rien à côté de mon besoin viscéral de rejoindre mon monde. De voir Jorik … Il me manquait terriblement.
Sans attendre la réponse de Miiko, je quittais précipitamment la pièce pour m’enfermer dans ma chambre. Ils pouvaient bien me prendre pour une égoïste écervelée, je n’en avais que faire. Je n’arrivais plus à comprendre ce que je voulais savoir ou pas. Jusqu’où mes questionnements pouvaient me mener. Avais-je réellement envie de m’impliquer dans cette Garde, dans ce monde ? N’était-ce pas le seul moyen d’obtenir leur faveur et d’ainsi retourner chez moi ?
Adossée contre ma porte, j’aperçue des vêtements étalés sur mon lit. En m’approchant je pu percevoir qu’une lettre était déposée sur les nombreuses tenues qui m’avaient été offertes. Je l’ouvris alors pour savoir qui en était le mystérieux auteur :
« Je ne pense pas m’être trompée de taille, mais n’hésites pas à m’avertir si certaines tuniques ne te vont pas. Prend le temps de te reposer et viens me voir en consultation dès que tu te sentiras mieux. Amitié, Eweleïn. »
Son mot me réchauffa immédiatement le cœur. Je pris alors soin de ranger dans mon armoire l’ensemble de ses présents avant de m’affaler dans mon lit.
En fermant les yeux, mes pensées dérivèrent instantanément vers Jorik. Je voyais encore son regard pétillant de tendresse, sa barbe légèrement rousse chatouillant mon visage quand il m’embrassait avec amour. Je me souvenais de ses mains rugueuses que j’enlaçais dans les miennes pour traverser les plaines afin de nous ressourcer près du ruisseau. Je me rappelais ses mots quand je lui avais annoncé ma grossesse : « On a réussi ! Mon ange nous allons être des parents merveilleux. Tu vas être superbe ! ». Tous ces souvenirs heureux qui me faisaient tant souffrir aujourd’hui.
Devais-je définitivement les oublier ? Y avait-t-il un espoir, même infime …
Après avoir somnolé quelques heures, j’entendis quelqu’un toquer ma porte. En me redressant sur mon lit, je ne pris pas la peine d’ouvrir pour demander :
- Qui est-ce ?
- Excuse-moi de te déranger. Peux-tu m’ouvrir s’il te plait …
Je compris à la voix que Leiftan se tenait derrière ma porte.
- Pourquoi faire ? Je n’ai envie de voir personne. Laisse-moi ! crachai-je
- Je t’en prie, Norya … Nous n’avons pas été honnêtes avec toi. Je voudrais pouvoir réparer cette erreur, me supplia-t-il
Je me levais pour ouvrir la porte sèchement. Toute la peur et la rancœur que j’avais ressenties ces derniers jours se changeaient en haine. La colère m’envahissait de toutes parts. Aucun d’eux n’avait envisagé me ramener chez moi ! De quel droit !
- Vous n’avez pas été honnêtes ?! A propos de quoi ?! Je ne comprends rien à ce qui se passe. Je suis retenue ici contre ma volonté. Que veux-tu ? Qui es-tu ? Pourquoi es-tu toujours dans les parages ? Pourquoi ne veux-tu pas tout simplement me laisser tranquille ? hurlai-je
Devant le pas de ma porte, la posture de Leiftan était restée droite, seul son regard qui s’était abaissé me laissait percevoir sa culpabilité.
- Je suis … Je suis désolé si ma présence t’incommode, mais …
- Elle ne m’incommode pas ! Elle me débecte ! Tous autant que vous êtes, je veux que vous sortiez de ma vie ! Rendez-moi mon monde !
- Norya s’il …
- Ne prononce pas mon nom ! grondais-je de plus belle
J’avais besoin de crier. D’hurler ma souffrance. De trouver un coupable à ma peine. Sans m’en rendre compte mes poings frappaient avec violence sur son torse, un liquide salé glissant de nouveau sur mes pommettes. J’avais tellement mal …
- Il y a un moyen de rentrer chez toi. Je voudrais que tu m’écoute calmement.
Ses mots eurent l’effet d’une bombe dans mon estomac. Mes poings endoloris cessèrent leurs mouvements. Sans pouvoir empêcher mes larmes de couler, j’immobilisais mes yeux noirs dans les siens.
- Il existe les portails. Laisse-moi juste entrer, je ne voudrais pas que quelqu’un puisse nous interrompre.
En quittant le pas de ma porte, je rejoignis mon lit pour m’y asseoir. Il entra à ma suite, refermant la porte derrière lui. Positionné au centre de ma chambre, il poursuivit alors.
- Les portails peuvent permettre un passage entre nos deux mondes et dans les deux sens.
- Mais … Il y a un « mais », n’est-ce pas ? lui dis-je sans même le regarder
- A l’époque de la guerre contre les humains, le maanas tout entier les rejetait. L’apparition de portails étaient alors colossale. Aujourd’hui, ils apparaissent et disparaissent selon les besoins de notre peuple et leurs localisations sont aléatoires. Et … même si un portail apparaissait, sache que le coût d’un passage entre les deux mondes relève du sacrifice.
- Quel type de sacrifice ? Une vie ? m’inquiétais-je en l’observant
- En quelque sorte. Un portail s’ouvre avec notre énergie vitale : le maanas. La quantité demandée pour un passage n’est pas équivalente à une seule vie, mais à plusieurs compte tenu la puissance que demande l’ouverture.
- Mais les humains de l’époque ont bien pu repartir. Comment ont-ils fait ?
- Comme je t’ai dit, Eldarya les rejetait. Leur passage était pour la majorité d’entre eux gratuit et uniquement pour un aller simple. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas dû faire des sacrifices pour obtenir l’apparition des portails. Écoute … Je ne veux pas te donner de faux espoirs. Je veux simplement que tu comprennes que nous ne te retenons pas contre ta volonté. Nous n’avons aucun moyen de te garantir un retour.
Il s’arrêta pour s’avancer vers moi, prenant place à mes côtés sur le lit. En posant délicatement une main sur ma jambe, il termina son discours.
- Repose-toi. Je dirai à Nevra que tu n’es pas disponible pour ce soir, il comprendra. Karuto, notre cuisinier, viendra déposer ton repas devant ta porte, si tu le souhaites.
Il se releva, ouvrit la porte et avant de sortir définitivement, il me confia.
- Ne t’enferme pas et n’abandonne pas ce que tu avais entrepris. Tu es plus forte que tout ça. Souviens-toi que je l’ai sentie.
Sur ses mots ma porte se referma. Mes espoirs et mes rêves venaient d’être balayés d’un revers de la main. Fatiguée de réfléchir, je cherchais à retourner dans les bras de morphée en caressant du bout de mes phalanges le seul être qui me raccrochait encore à ma vie d’avant : Ma fille …~***~
Je n’avais pas suivi les conseils de Leiftan et m’était isolée deux jours durant. Pendant cette période, Eweleïn avait été la seule personne à pénétrer dans ma chambre. Elle était plutôt convaincante quand elle avait décidé de suivre une de ses patientes.
À notre grand étonnement, je me portais à merveille sur le plan physique. Malgré toutes les difficultés que j’avais rencontrées par le passé lors de ma grossesse, force était de constater qu’ici tout allait pour le mieux. Eweleïn avait émis l’hypothèse que le maanas devait stabiliser la croissance de ma fille. Enfin … je n’avais pas tout compris. Puis, je ne lui avais pas demandé d’information complémentaire.
Ce temps m’avait permis de faire le point sur ma situation, ressassant sans cesse mes souvenirs du passé. Seulement, je devais admettre l’évidence, je ne pourrais pas rentrer. Cela ne m’empêchait pas de l’espérer de toutes mes forces. Toutefois, je devais me ressaisir et cela uniquement pour le bien de ma fille. Que deviendrait-t-elle, si je n’arrivais pas moi-même à vivre ?
Je pris alors le temps de me laver afin de me diriger vers le chemin de l’infirmerie. En arrivant, je fus chaleureusement accueillie par ma charmante infirmière.
- Comment te sens-tu ?
- Un peu mieux … J’ai toujours du mal à réaliser ce qui m’arrive, mais je n’ai pas d’autre choix que de l’accepter.
- Nous avons toujours le choix. Tu pourrais te laisser abattre. Pourtant, ta présence dans mon service doit-être la preuve du contraire.
Elle avait cette capacité d’embellir mes journées par de simples phrases rassurantes.
- Nevra est passé me voir hier pour me demander de tes nouvelles. Vous aviez prévu aller dîner avec les chefs de Gardes m’a-t-il dit.
- Oui … Je n’en n’avais pas la force. Je devrais peut-être aller m’en excuser.
- Oh ! Ne t’inquiète pas, il s’en remettra. Tu sais, Nevra n’est pas du genre à s’attacher, plaisanta-t-elle
Je n’avais pas relevé, ayant d’autres questions en tête bien plus importantes à régler. A commencer par le mois d’essai que m’avait accordé Markus. J’avais réalisé que son terme approchait et que je n’avais toujours rien prouvé. Me morfondre sur mon sort allait finir par me coûter la vie.
- Eweleïn, quand pourrai-je prendre mes fonctions de psychologue ?
- Demain. Aujourd’hui, j’aimerai que tu fasses quelque chose pour moi, si tu t’en sens capable.
- Que puis-je faire ?
Elle me tendit une liste que je saisis d’un œil interrogateur.
- Peux-tu te rendre au marché et me ramener ces ingrédients pour mes potions ? Purroy doit avoir été livré récemment, c’est un chat noir toujours un peu agité. Tu devrais reconnaitre sa boutique aisément.
Je n’avais pas gardé un agréable souvenir de mon passage au marché. Cependant, je savais qu’un refus de ma part ne m’aiderait pas à avancer. J’approuvais alors, anxieuse à l’idée de me retrouver de nouveau au milieu de cette foule d’étrangers.
- Je t’accompagnerais avec plaisir, mais je dois d’abord voir Eros en consultation. Cet énergumène a encore fait des siennes à l’entrainement, ajouta-t-elle gentiment
Je hochais faiblement la tête pour lui signifier mon accord et sortis.
Ainsi, en passant par le refuge, je pris la route du marché dans pas mal assuré. L’air extérieur était revigorant, étouffant quelque peu mes craintes qui grandissaient dans le creux de mon ventre. Hors de question d’être prise d’une nouvelle crise de panique ! Les balades m’avaient toujours été bénéfiques. J'aimais passer mon temps libre dans les marchés et diverses brocantes. Je devais simplement accepter d’être entourée de créatures fantastiques. « Rien de bien compliqué Norya. Fais un effort ! » me disais-je intérieurement.
Malheureusement, je m'étais déjà arrêté devant l'entrée de la place du marché sans m'en rendre compte. Je devais ressembler à une imbécile plantée là sans bouger ... Soudain, une voix féminine me sortit de ma tétanie.
- Oooh … Bonjour toi ! Tu es l’humaine c’est ça ? Norya je crois ? Tout le monde parle de toi à l’Ombre. Tu fais quoi ? Tu nous rejoindras quand ? Ça va ? Tu m’écoutes ? s’émerveilla la jeune femme
En face de moi, une magnifique chevelure flamboyante se mouvait au rythme des sautillements de sa propriétaire, semblant presque s’enflammer.
- Je suis Sibyl. Tu vas au marché ? Accompagne-moi, il faut que je trouve une robe.
Sans me laisser le temps de répondre, elle agrippa mon bras pour me tirer dans la foule. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous arrivâmes devant un stand rempli de tuniques. Des tissus fins et brodés ornés de perles, étaient étalés sur des tables en bois. Une chatte blanche, habillée d’une épaisse écharpe rose en poils, semblait vendre ses produits d’une main de fer.
- Comment tu la trouves ? Elle est jolie celle-là. Non ? m’appela Sibyl à l’autre bout du stand
Elle secouait au loin une robe courte - trop courte à mon goût - d’une couleur ardente qui seyait à ravir à sa longue chevelure de feu.
- Vendu, je la prends. Regarde, celle-ci t’irait si bien !
En m’approchant hésitante, je suivis du regard le bout de son index. Elle m’indiquait une superbe longue robe d’une couleur violine au dos échancré.
- Cadeau d’arrivée ! Je te la prends, se réjouit-elle
Elle paya ses achats à une vitesse déconcertante, sans me donner la moindre occasion de contester. Je repris mes esprits quand elle commença à nouveau à m’assaillir de questions.
- Alors, tu fais quoi ? Tu allais où ? Tu ...
- Sibyl … Je … Je dois acheter des ingrédients pour Eweleïn. Je n’ai pas le temps de discuter, soufflai-je exténuée par son enthousiasme envahissant.
- Oooh. Mais, je t’accompagne ! Purroy est juste à côté. Viens !
Vivement, elle me tendit la robe qu’elle venait de m’acheter. Puis, en me saisissant le bras, elle m’entraina jusqu’à l’emplacement suivant. L’avantage de cette rencontre était que ma peur avait entièrement disparue à la minute même où elle m’avait forcée à m’engouffrer dans la foule.
- Bonjour Purroy ! Tiens voici la liste des ingrédients pour Eweleïn.
Sibyl venait de m’arracher des mains le bout de papier que m’avait transmis l’infirmière pour le donner à un autre chat, noir cette fois, qui semblait trépigner sur place. L’emballement répété de Sibyl me déboussolait quelque peu.
- Tenez Messh’-demoiselle. Vous ferez passer la note à cette cha-charmante infi- infirmière, miaula Purroy
Elle le remercia rapidement, me trainant de nouveau par la main vers le refuge. Il fallait qu’elle arrête de me promener partout de cette manière. Je m’immobilisais net pour lui manifester mon désaccord posément.
- Écoute Sibyl, je te remercie pour ton aide et pour la robe. Simplement, j’aimerai retourner voir Eweleïn seule. Nous nous reverrons prochainement.
- J’ai hâte ! s’écria-t-elle les yeux brillants.
Je l’avais regardé s’éloigner en chantonnant. J’avais eu l’impression qu’un volcan en ébullition m’avait bousculée avec ardeur pour finalement me ramener à mon point de départ les bras chargés de produits en tout genre.
Je restais quelques secondes stupéfaites de cette rencontre éclair avant de me rendre à l’infirmerie. En arrivant au service médical, je fus directement interpellée par Eweleïn.
- Tu as pu tout trouver ? m’interrogea-t-elle rayonnante
- À vrai dire je n’en n’ai aucune idée. J’ai rencontré une certaine Sibyl en chemin qui a, disons, pris les choses en main, expliquai-je encore abasourdie par cette rencontre éclair
Un des rideaux s’ouvrit brusquement à la fin de ma phrase. J’aperçu Nevra allongé sur l’un des lits. Il se releva alors en vacillant légèrement.
- Sibyl !? Que faisait-elle dehors encore ? grogna-t-il
- Nevra reste couché, s’il te plait, lui commanda l’infirmière
Il céda à contre cœur. En m’avançant dans la pièce, pour déposer les produits sur l’une des commodes, j’examinais Nevra du coin de l’œil. Un bandage ornait son avant-bras, quelques gouttes de sang colorant la bande blanche.
- Tu es allée acheter une robe avec Sibyl. Je ne te pensais pas comme ça princesse, me fit-t-il remarquer en montrant la robe que je tenais entre mes mains.
- Elle me l’a offerte, me défendis-je
- Ça ne m’étonne pas. Une vraie petite chipie, cette sorcière.
Il se redressa sous l’œil désapprobateur d’Eweleïn qui rangeait les produits que je lui avais ramenés.
- Qu’est-il arrivé à ton bras ? m’enquis-je un peu inquiète
- Monsieur le vampire a certainement voulu épater ces gentes dames durant un énième entrainement, le provoqua gaiment Ezarel en rentrant
- Je n’ai pas voulu ! J’épate déjà « ces gentes dames », ironisa Nevra en me souriant à pleines dents.
- Tant que tu ne les dépêches pas dans ma Garde, cela m’importe peu, rétorqua Ezarel
Aussitôt, Eweleïn mis un terme à ces chamailleries pour me répondre plus honnêtement.
- Nevra a simplement défié Irine pour la troisième fois cette semaine, s’agaça-t-elle en regardant le vampire les sourcils froncés.
- Qu’est-ce que vous pouvez être rabat-joie vous les Absynthes. Mes Ombres sont définitivement plus intéressantes, répliqua-t-il en m’observant de son œil ravageur
- Nous sommes juste supérieures intellectuellement comparé à tes insolentes recrues, s’auto-congratula l’Elfe
Eweleïn levait les yeux au ciel face au spectacle que nous donnaient l’Elfe et le Vampire. Le sourire jusqu’aux oreilles, j’étouffais un rire. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vécu d’échanges aussi joyeux. L’amitié sincère qui émanait des deux hommes était contagieuse. Si bien que je regrettais d’avoir blâmé Sibyl quelques temps plus tôt. Elle était peut-être envahissante, mais sa joie de vivre pouvait être communicative.
Nevra me considérait d’un œil, depuis le début de ses échanges avec Ezarel, il s’adressa alors à moi.
- Ça tient toujours ce dîner belle Ombre ?
- « Belle Ombre » ! Depuis quand donnes-tu un petit nom pareil à tes recrues toi, se moqua l’elfe
- Tsss … siffla le vampire
- Je suis partante pour un dîner, mais uniquement si je suis autorisée à me moquer de l’elfe, blaguai-je
- Je vous l’avais bien dit que les Ombres étaient impertinentes, se vexa-t-il
- « Nous sommes juste supérieurs intellectuellement », répéta Nevra en imitant la voix de l’Elfe.
Nous rîmes de bon cœur, avant de nous séparer pour vaquer à nos occupations. Eweleïn m’avait ensuite aidée à placarder des affichettes à différents endroits du QG pour indiquer l’ouverture de mon cabinet. Je lui avais également rendu service à l’infirmerie en rangeant certains placards sous l’œil aiguisé d’Ezarel qui vérifiait la moindre de mes erreurs. Nevra, quant à lui, s’était vite remis de sa blessure et nous avait quittés en me rappelant l’heure de notre rendez- vous avec « Ez’ et Valk » selon ses dires.
Je n’avais pas revu Leiftan depuis notre discussion sur les portails. Mon sentiment vis-à-vis de lui oscillait entre confiance et méfiance. Il avait toujours été présent pour me rassurer dans mes moments difficiles et si je lui en étais reconnaissante, il n’en restait pas moins que sa position au sein de la Garde me questionnait. Il était le bras droit de Miiko. Cette même Miiko qui, depuis mon arrivée, maintenait une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Avait-t-il été missionné par la renarde pour me surveiller ou était-il véritablement avenant avec moi ? Pour l'heure, je n'avais pas de réponse à apporter à cette question.
Le soir venu, je rejoignis les chefs de Gardes au réfectoire. Nevra m’accueillit immédiatement en m’informant que nous allions dîner à la plage. Après avoir commandé nos plats, nous prîmes alors la direction du refuge pour longer la place du marché et sortir du QG. Étrangement, cette balade nocturne ne me provoquait aucune inquiétude. Sans nul doute que l’escorte rapprochée que m’apportait ces trois hommes y était pour quelque chose. Valkyon, le chef Obsidien, avait une carrure impressionnante sachant que ses deux acolytes avaient déjà une musculature finement taillée. La lueur de la lune scintillait dans les reflets argentés de ses cheveux lui tombant jusqu'au épaule. D'ailleurs, ne devais l’avoir détaillé trop longuement, puisqu’il fixa son regard doré dans le mien d’un air imperturbable. Intimidée, je détournais aussitôt les yeux. Ce chef n’était pas aussi loquace que ses collègues ...
Laissant la grande tour circulaire du QG dans notre dos, nous avions traversé une clairière avant d’atteindre un escalier en pierre qui donnait sur une plage de sable fin. Bordée de falaises rocheuses creusées par l'écume, cet endroit recelais de secret impénétrable. Tandis que nous avancions dans le sable, j'entendais d'une oreille les chefs se taquiner joyeusement.
Ainsi, après avoir avalé rapidement mon repas, je décidais de m’avancer, seule, vers l’étendue d’eau. Le silence régnait en ces lieux féeriques. Perdu devant l’immensité de l’océan, je me surpris à m’imaginer voguer sur les mers pour découvrir les terres d’Eldarya. Qu’est-ce qu’il pouvait y avoir au-delà de l’horizon ?
En enlevant mes bottines dans l'idée de mettre mes pieds dans l'eau, je regrettais d’avoir mis la longue robe que venait de m’offrir Sibyl. Comme enivrée par la douce lueur du soir et l’air marin qui effleurait mes narines, je ne pris pas la peine de relever ma robe pour immerger mes pieds. Quand l’eau atteignit mes mollets, j’écartais les bras, ce geste m’ayant permis à maintes reprises de relâcher la pression.
Quelques étoiles filantes traversaient le ciel, celui-ci brillant de ses multiples constellations. Ma robe flottait au gré des vagues qui happait mes cuisses. Un vent frais de liberté soufflait dans mes cheveux auburn, un moment de plénitude m’envahissait enfin … Je fermais alors les yeux, laissant mon esprit divaguer. Je vivais ! Je ressentais ! Je flottais de nouveau au-dessus de tout. Au-dessus de mon corps, de l’océan, de l’espace-temps …
Mais, j’étais là ! Partout dans l’immensité infinie de l’univers.
J’avais dû finir par me résoudre à rejoindre le sable pour retrouver les commandants de Garde. Curieusement, ma balade sur la plage avait dû durer un moment puisque seul Nevra était resté au rocher où je les avais laissés. Nevra m’interpella alors inquiet.
- Ça va princesse ?
- Euh … oui, oui. Où sont Ezarel et Valkyon ? bafouillais-je en me remettant de mes émotions.
- Je pense qu’après plusieurs heures d’attente, où tu nous as lâchement abandonnés, ils ont dû partir contrariés, ricana-t-il
- Je suis désolée … Je n’avais pas revu l’océan depuis des années, je …
- Respire belle Ombre.
Nous étions restés un long moment à regarder les étoiles, couchés sur le sable froid. En tournant la tête vers lui, je me décidais à réamorcer la conversation.
- Penses-tu que mes proches pourraient me rejoindre un jour ?
J’avais tellement espéré repartir de ce monde. Mais, maintenant que j’avais vécu cet instant d’épanouissement intense, je me demandais s’ils ne pouvaient pas me rejoindre. Je fixais alors la mèche noire de Nevra qui tombait sur son cache œil, celle-ci se mouvant inexorablement au gré des rafales marines.
Il entrouvrit la bouche, puis elle se referma instantanément. Il n’avait pas répondu ... Toutefois, je savais ce que son silence signifiait : Non ... Non, mes proches ne pourraient jamais venir ici et j'avais peu de chance de pouvoir rentrer ...
Si je voulais véritablement avancer, je devrais vivre avec leur souvenir et les oublier pour mon avenir. Une larme roulait le long de ma joue, mais un sourire se formait sur mes lèvres. Jamais je ne les oublierais et jamais je n'abandonnerais l’espoir de les revoir un jour.
Malgré tout, en cet instant, mon esprit lui disait une dernière fois : « Je t’aime » …~***~
Les semaines suivant ce dîner à la plage avaient été chargées. J’avais pu effectuer de nombreuses petites missions auprès des Purrekos : « les chats commerçants ». Je mettais tout d’abord fiée à leur magnifique pelage et leur frimousse attachante. Cependant, il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre que ces chats étaient de féroces prédateurs quand il s’agissait de vendre, commercer et surtout arnaquer.
En rangeant les étalages de vêtements ou de potions, je m’étais alors amusée à compter les points entre les négociations réussies par les clients ou les Purrekos. Sans surprise, les chats gagnaient haut la main. Ce jeu avait fini par intriguer les chats qui avaient décidé de tenir un tableau de scores pour comparer le commerce le plus en vogue du moment. Ils m’en avaient même remerciée, puisque cette astuce attirait un grand nombre de clients amusés. Avec le temps, le marché ne m'était plus sources d’angoisse. J'avais fini par apprécier l’émulation de la foule autour des stands colorés de cette grande place pavée.
Du côté de la Garde, j’avais enfin pris mes fonctions de psychologue en titre. J’avais donc pu recevoir en consultations mes premiers patients. Autant dire que ces accompagnements étaient des plus surprenants. Un lutin farceur de l’Ombre semblait plutôt vouloir se moquer de mon travail que de se confier sur ses problématiques de boisson. Probablement que son espièglerie était autant liée à sa race, qu’à ses soirées alcoolisées. Un matin, une sublime Nymphe était entrée dans mon bureau la mine embarrassée. J'avais alors rapidement saisi les raisons de son malaise, venant de ses problèmes des plus intimes … Puis, j’avais aussi rencontré une Valkyrie de l’Obsidienne qui malgré son besoin primordial de rester une digne et fière combattante, m’avait révélé toute sa peine à la suite du décès de l'une ses sœurs. Finalement, il avait été plutôt aisé de gérer mes premiers suivis, malgré le fait que mes patients évoquaient des créatures qui m’étaient inconnues ou qu’ils citaient des terres que je n’avais jamais vues.
Fidèle à elle-même, Eweleïn s'était assurée fréquemment de mon état de santé. Toutefois, à mon plus grand des malheur, Ezarel était également l’une des personnes que j’avais le plus croisé. Je commençais à m’habituer à ses piques incessantes et lui répondait maintenant sans ménagement. Au plus grand bonheur de Nevra qui participait gaiement à nos joutes verbales dès qu’il passait à l’infirmerie pour panser ses plaies.
Un jour, Leiftan était passé à mon cabinet pour m'avouer qu’il avait été dans l’obligation d’informer Miiko au sujet de mon « absence » au marché. Je ne lui en voulais pas. Mais ... peut-être, aurais-je espéré qu'il ne le fasse pas. J'avais alors été convoquée par cette dernière pour relater ce que j’avais vécu. Je m’étais bien gardé de lui expliquer ce que j’avais ressenti lors de notre excursion à la plage. Ce moment n’appartenait qu’à moi. Puis, je n’avais aucune une confiance en son jugement. Un débat autour de mes origines Faeliennes avait été lancé sans grand succès, puisqu’un test ne pouvait pas être effectué durant ma grossesse. De ce fait, Ykhar, la lapine rousse, avait été missionnée pour faire des recherches sur toutes les races de Faérie ayant des aptitudes liées à l’esprit. Finalement, nous n’avions pas abordé le sujet de l’apparition de l’Oracle, ce qui me convenait pour le moment.
Progressivement, j'évoluais en prenant mes marques au sein du QG. Puis, aussi surprenant que cela paraisse, ce moment hors du temps à la plage m'avait donné envie d’en savoir plus. J'avais le sentiment d'être dans un rêve éveillé mêlé à un cauchemar bien réel.
Ces dernières semaines, j'avais alors cessé de me poser des questions. Cependant, ce soir-là, alors que je me changeais pour aller me coucher, mes questionnements revirent m'assaillir. Je n'étais pas chez moi, c'était indéniable. Pourtant, mon être semblait réagir à ce monde comme si j'en faisais partie. C'était plus qu’improbable ... C’était même impossible ! Je ne voulais pas y croire, rejetant constamment cette éventualité.
De toute façon, mes interrogations furent interrompues par un bruit derrière ma porte. En ouvrant, je croisais aussitôt ses iris vertes. Je ne m'attendais pas à sa visite. D'ailleurs, je n'attendais aucune visite.
- Bonsoir, Norya. Je suis désolé de te déranger à cette heure tardive. J’avais une information à te transmettre.
Un silence gênant s'installa entre nous. Devant le pas de ma porte, nous nous dévisageâmes, tous deux, pendant un temps qui m'apparus bien long. Bêtement, je restais là sans savoir quoi faire. Devais-je l'inviter à entrer ?
Depuis mon arrivée sur Eldarya, j'avais pu apprendre à connaître certains membres de cette Garde. Ma charmante infirmière était une personne bienveillante que je n'aurais sûrement pas hésité à laisser entrer. À la différence de l'elfe moqueur, dont je méfiais encore, de toute façon je le voyais mal me rendre visite. Puis, il y avait également Nevra, dont le côté dragueur m'excédait de temps en temps. D'ailleurs, je lui aurais surement déjà claqué la porte au nez, s'il avait voulu pénétrer dans ma chambre.
Seulement, c'était Leiftan et ... je n'étais pas encore parvenu à savoir quoi penser de lui. Certes, il m'avait soutenu dès le début face à Miiko, mais il lui également transmis des informations que j'aurais souhaité garder pour moi. Il était un mystère que je n'arrivais pas à décrypter. Cet événement au marché m'avait fortement déboussolée. Ainsi, à chaque fois que je me retrouvais en sa présence, c'était comme si je pouvais encore saisir cette aura qui m'avait permis de reprendre possession de mon corps. Je ne comprenais absolument rien ...
- Ttu...tu veux entrer ... bafouillais-je enfin
- Ce ne sera pas utile. Je voulais simplement t'informer que Markus arrivera dès demain.
Lorsqu'il entama un mouvement pour partir, j'eus le réflexe de le retenir.
- Attend, Leiftan !
Il s'arrêta net, semblant attendre la fin de ma phrase. J’étais envahis d'interrogation sans réponse, cherchant inlassablement à y donner du sens. Mais, par quoi commencer, quand la formulation même de ces questions se révélaient être hors du commun. Jusqu'à présent, il avait été le seul à faire preuve d'honnêteté envers moi. Il m'avait parlé d'Eldarya, du maanas, des portails et ... qu'il avait senti mon esprit. Seulement, qu'est-ce que cela signifiait ?
Dépassée, je ne réussis pas à poursuivre dans mon élan.
- Rri...Rien... finis-je par bredouiller
- Tu devrais te reposer. Je viendrais te voir demain.
Sans prendre la peine de lui répondre, je refermais doucement ma porte, en me laissant glisser le long du mur pour cacher mon visage entre mes genoux. Si Markus venait demain, cela signifiait que j'étais ici depuis un mois. Un mois, loin de mes proches, des personnes que j'aimais et en même temps, au fond de moi, j’avais envie de savoir pourquoi j'avais atterri à Eldarya. « Qui suis-je » … me dis-je~***~
Le jour de la visite de Markus était donc arrivé plus rapidement que je ne l’avais prévu. Cette nuit-là, je n’avais pas pu fermer l’œil, regardant constamment le plafond en pierre de ma chambre, anxieuse à l’idée que sa décision ne me soit pas favorable. Je me levais alors à l’aube pour prendre des vêtements et me diriger vers les douches. En ouvrant ma porte, je compris que Leiftan s’apprêtait déjà à y toquer.
- Bonjour, Norya. Comment te sens-tu ?
- Comme une personne qui va enfin savoir si elle a le droit de vivre ou de mourir …
- Il n’y a aucune raison que Markus n’arbitre pas en ta faveur.
Le manque de sommeil se faisait sentir et mes angoisses liées à l’entrevue à venir ne diminuaient pas malgré les paroles rassurantes de Leiftan. Mes tergiversassions de la veille, s’ajoutait alors à ma peur de mourir. Même si, je commençais, tout juste, à vouloir comprendre pourquoi j’étais ici, mon sort n’était toujours pas entre mes mains. La perceptive d’être exécuter, dès maintenant, me paniqua …
Alors, comme pour retrouver l’aura réconfortante qui m’avait protégé au marché, je plongeais mes iris sombres dans les siennes, sans prendre compte ce qu’il allait se produire. Peu à peu, mon esprit se dissocia de mon corps, comme pour rejoindre le sien.
- Ne fait pas ça ! s’exclama Leiftan
- Qu…Quoi ? bredouillai-je en retrouvant mon corps
- N’essaie jamais de rentrer dans mon esprit, m’ordonna-t-il
Son ton ferme me décontenança, mais ce qui me frappa davantage était la lueur d'affolement que je pouvais lire dans ses yeux.
- Je suis désolée … articulais-je
- Oublions cela. Rejoins-nous quand tu …
- L’humaine possède donc des pouvoirs. Elle est finalement plus intéressante que je ne l’avais pensé, nous coupa un homme qui m’était inconnu.
Notre mystérieux interlocuteur affichait une posture des plus majestueuses. Ses cheveux châtains laissaient apparaitre des mèches poivre et sel et sa barbe fournie cachait une fine cicatrice se dessinant dans le coin de sa lèvre inférieure. Il avait tout de la carrure d’un roi de l’ancien temps. En nous étudiant l’un et l’autre, il poursuivit d’une voix solennelle.
- Mais je manque à tous mes devoirs, nous n’avons pas été présentés. Je me nomme Markus, souverain et commandant des armées de Phalael.
Markus … Je me retrouvais enfin en face de la personne qui allait décider de mon avenir et aucun son ne semblait vouloir sortir de ma bouche. Leiftan prit alors la parole pour briser le silence qui commençait à peser entre nous.
- Je n’ai pas été prévenu de votre arrivée Markus. Nous aurions dû être présents pour vous accueillir.
- Laissons de côté ces protocoles pompeux. C’est un plaisir de te revoir mon ami.
Markus s’approcha de Leiftan pour lui donner une accolade amicale. Puis, il se retourna à nouveau dans ma direction.
- Je suis enchanté de vous rencontrer Norya. Miiko ne m’avait pas informé à propos de vos nouvelles facultés. Il me tarde d’en apprendre plus à votre sujet. Pour l’heure, une assemblée doit se réunir. Nous nous reverrons sous peu.
Je restais ébahie devant son ton cérémonieux qui imposait le respect. Durant la nuit, j’avais spéculé sur toutes les différentes manières de plaider ma cause. Mais bon sang, je n’avais manifestement aucun courage devant le fait accompli. Pendant que je délibérais intérieurement afin de formuler la meilleure des réponses possibles, je me rendis compte que Markus avait déjà tourné les talons, Leiftan m’observant toujours avec bienveillance.
- Je dois te laisser. Ne t’inquiète pas, je reviendrai te chercher le moment venu.
Déconcertée par cette confrontation, je rejoignis les douches d’un pas incertain, sans même jeter un regard à Leiftan.
Dissimulée derrière quatre planches en bois, laissant mon visage et mes pieds dépasser de chacune d’entre-elles, l’eau chaude ruisselait le long de mes cheveux, glissant sur mon corps pour venir détendre mes muscles contractés. Allais-je réussir à dire à Markus que je voulais tout simplement vivre ?! Je coupais alors l’eau pour sécher ma peau blanche, en frottant doucement mon abdomen rebondi. À cette heure, les douches n’étaient pas encore occupées par les membres de la Garde. J’avais donc pris l’habitude de profiter de ces moments de solitude pour parler à ma fille. Puis, avec la venue de Markus à Eel, la majorité des recrues s’étaient déjà préparées depuis l’aube.
- Tu lui dirais quoi toi, à Markus ?
Je sentis trois petits coups dans mon ventre qui m’arracha un faible rire.
- Tu veux que je lui donne des coups de pied, c’est ça ?
Elle remua à de nombreuses reprises, comme si elle acquiesçait à ma question.
- Je t’aime … lui murmurai-je
À la suite de ma déclaration, je sentis ses mouvements s’arrêter progressivement. Elle s’installa alors dans son coin favori de mon ventre.
Je venais enfin de lui avouer. J’avais fini par réussir à formuler ces mots avec sincérité et conviction. Je l’aimais ! J’en étais persuadée, malgré toutes les peurs et tous les doutes que cela me procurait. Elle était tout ce qu’il me restait. Elle était une extension de moi-même. Elle me maintenait en vie …
J’étais restée assises sur l’un des bancs en pierre qui trônait au centre de la pièce en lui murmurant tout mon amour, lorsque je vis que mon ventre avait changé, moins rond, plus vers le bas.
Une douleur me traversa. Suivie d’une deuxième. Une contraction intense me foudroya alors.
Le temps était venu de l’accueillir …
Chapitre 3 : Qui suis-je ?
Non ! Pas maintenant ! Pas ici ! Pas comme ça ! Je n’étais pas prête.
La douleur se fit de plus en plus intense. Par intermittence, mon bassin se contractait, irradiant jusqu’à dans mes jambes et mon dos. J’étais effrayée à l’idée de faire ça seule. Les secondes et les minutes passèrent à une vitesse effrénée. Je criais ma détresse et ma souffrance dans l’espoir qu’une personne accourt à mon secours. Ils ne pouvaient pas me laisser seule ! Ils n’avaient pas le droit de m’abandonner ! Les contractions se rapprochaient, une douleur aiguë se propageant dans la moindre parcelle de mon bassin.
« Respire » me disais-je intérieurement.
Je voulais me détacher de mon enveloppe corporelle pour ne plus ressentir cette sensation atroce.
- Norya ! entendis-je enfin une personne crier
« Leiftan ! » compris-je
- Surtout ne te sépare pas de ton corps ! m’avertit-t-il soucieux
J’avais tellement mal. Je ne savais plus quelles étaient les étapes à suivre. Je me maudissais de n’avoir pas écouté lors des cours de préparation à la grossesse, jugeant ça : « inutile et déplaisant à faire en groupe ». Mes pensées s’embrouillèrent, ma vue se troublant. Puis, je sentis sa main saisir la mienne avec force. Vaguement, je distinguais les yeux verts de Leiftan qui me sommait de respirer.
- Je dois aller chercher Eweleïn …
- Ne pars pas … m’étranglais-je entre deux sanglots
Je resserrais avec fermeté mon étreinte autour de ses doigts, une contraction se diffusant de nouveau dans mes hanches.
- Je ne pars pas, je reviens Norya. Fais-moi confiance …
Je le sentis relâcher ma main. Il allait partir ?! Il allait vraiment me laisser là ?!
Les nombreuses heures qui avaient suivi était floues. Eweleïn était arrivée en courant suivit de près par Leiftan. Je me souvenais qu’il n’avait pas lâché ma main une seule seconde après son retour. J’entendais l’infirmière me commander de pousser à certains moments, tandis que je tentais de me concentrer les encouragements que m’offrait Leiftan. Je sentais mon corps se contracter de toute part. Puis, extrêmement brièvement, une sensation de déchirure m’avait traversée.
J’avais ensuite entendu son cri et aperçu sa minuscule tête. Elle était là ! Enfin …
Eweleïn l’avait posée sur ma poitrine quelques instants. Pour la première fois, mon regard accrocha alors ses petites billes bleu clair. Elle était magnifique. J’y voyais son père … Il était là, en face de moi, dans ses yeux …
Eweleïn avait dû écourter notre rencontre afin de lui prodiguer les premiers soins. Je n’avais rien perçu de la suite des évènements. Simplement, je savais qu’elle était entre de bonnes mains. Mes yeux s’étaient alors fermés contre ma volonté, me projetant en dehors du temps.~*****~
En me réveillant, je sentis une étrange sensation parcourir mon corps. Comme une source d’énergie qui traversa mes vaisseaux sanguins pour les irriguer avec soin, provoquant des picotements jusqu’au bout de mes phalanges. Puis, je pus rouvrir les yeux.
Je reconnus d’abord le plafond bleuté et nuageux du pôle médical. Péniblement, j’entrepris de me redresser pour m’apercevoir qu’une tête blonde était posée au pied de mon lit. Ses deux tresses suivaient les mouvements de ma couverture froissés. Leiftan s’était endormi la main posée sur l’une de mes jambes. En bougeant fébrilement la tête pour chercher du regard le berceau où devait être allongé ma fille, je le sentis se relever brusquement.
- Norya … Comment te sens-tu ? me demanda-t-il faiblement
Sa mine fatiguée et ses mèches blondes ébouriffées m’amenèrent un léger sourire. Je ne pouvais pas me l’expliquer, mais j’étais heureuse qu’il soit resté avec moi. En me ressaisissant, je l’interrogeais anxieuse.
- Où est ma fille ?
Il passa une main dans ses cheveux pour se recoiffer, avant de me répondre avec douceur.
- Eweleïn s’est occupé de ses soins. Tout va bien ne t’en fais pas. Veux-tu la voir ?
- Oui …
Il se leva pour se diriger vers un rideau fermé sur la gauche de mon lit. Je le suivis des yeux, l’esprit encore obscurci par tout ce qui venait de se passer. Quand il tira le voile blanc, je la vis enfin. Endormie dans un lit fait de branches et de feuilles tressées, des fleurs habillaient l’ensemble de sa couche. En cet instant, je m’émerveillais de ce monde féerique qui apportait tant de beauté à ce petit être qui était le mien.
Leiftan s’avança alors jusqu’au berceau pour prendre ma fille dans ses bras. Tout en l’observant saisir délicatement ses petits membres potelés, je vis un sourire angélique se dessiner sur ses lèvres. Il s’avança ensuite vers moi pour la déposer sur ma poitrine. Le souffle court, je me mis à caresser le haut de sa tête, quelques-unes de ses fines mèches blondes glissant entre mes doigts. Des larmes de joie inondaient mes pommettes rosies par l’effort.
- Comment s’appelle-t-elle ?
Il n’y avait jamais eu aucun doute. Cela avait toujours été une évidence pour Jorik et moi.
- Léana … murmurais-je
Je ne lâchais plus mon regard de ses yeux bleu clair. Nous avions appris à nous connaitre avec le temps. Elle avait pu vivre à mes côtés chacun de mes espoirs les plus insensés et chacune de mes peurs les plus terrifiantes. Je la chérissais de tout mon être. Lorsque je pris enfin l’initiative de lui donner le sein pour la première fois, le temps s’arrêta … Plus rien n’existait autour de nous. Il n’y avait, qu’elle et moi …
- Norya … s’excusa Leiftan
Soudainement, je relevais la tête vers lui, interrompue dans la contemplation de ma fille. Son attitude avait changé, son regard se faisant plus sérieux.
- Nous avons … Nous avons eu peur de vous perdre toutes les deux. Eweleïn a procédé à toutes sortes d’interventions médicales provenant de ton monde afin de vous maintenir en vie. Mais, vous … vous étiez sur le point de nous quitter. Nous avons dû tenter un transfert de maanas et … vous êtes revenus …
Chacun de ses phrases furent hésitante. Pourtant, il ne m’avait pas quittée du regard. Quant à moi, je l’avais écouté, muette, en cherchant à analyser chacun de ses mots.
- Un transfert de maanas ? répétais-je interdite
- C’est exact. Vous avez été toutes les deux réceptives à ce transfert. Norya … Au fond de toi, tu sais que ça signifie.
Oui … Oui, je savais ce que ça signifiait. Mon absence au marché, mon sentiment de plénitude devant l’océan, mon besoin d’atteindre l’esprit de Leiftan et cette sensation de source vitale qui m’avait parcouru à mon réveil. La conclusion était inévitable … Seulement, je ne parvenais aucunement à assimiler une telle information. J’étais incapable de l’admettre !
- Écoute, Norya. Votre capacité d’auto-guérissons est impressionnante. Ta faculté liée à l’esprit est un signe que …
- Arrête ! criais-je
Je voulais qu’il se taise ! Qu’il cesse de m’expliquer ce que je savais déjà. Quelque chose avait changé en moi depuis que j’étais ici. Je ressentais ce flux de maanas circuler dans chaque être vivant. Toutes ces créatures qui m’entouraient en était imprégnées. Puis, même si, je devais essayer de l’admettre pour moi-même. Comment pouvais-je l’accepter pour elle ? Ce n’était qu’un enfant … mon enfant …
- Il y a un problème, belle Ombre ?
Nevra se tenait face à nous, le regard sévèrement braqué en direction de Leiftan.
- Aucun, lui répondit-t-il froidement
En défroissant ses vêtements, Leiftan se releva pour se diriger vers la sortie. La main sur la poigné de la porte, il s’adressa à moi avant de partir.
- Appelle-moi en cas de besoin.
Après son départ, le vampire s’approcha de mon lit pour s’asseoir sur le fauteuil placé à mes côtés, d’un air amusé.
- Monsieur « le chevalier Lorialet » n’a pas l’air content de mon intrusion.
- Lorialet ?
- Un enfant de la lune, c’est une race de Faérie.
Nevra détourna rapidement la conversation, en me tendant un grand récipient en verre rempli d’une fine poudre blanchâtre.
- L’elfe m’a dit de te donner ça pour, je cite, « éviter les crevasses sur tes protubérances mammaires ». Je pense qu’il voulait parler de tes magnifiques seins, me dit-t-il en me faisant un clin d’œil
- Nevra … m’indignais-je faussement
Ce vampire avait quand même un don pour me faire rire, malgré son comportement de séducteur insistant.
- Il parait que c’est du lait en poudre selon une « recette Elfique », compléta Nevra
- Préparé par mes soins et je ne veux aucune remarque de votre part concernant son efficacité. Mon être ne pourrait pas échouer sur une recette aussi simple, se fit entendre une voix qui ne m’était pas inconnue
Ezarel nous observait, adossé contre un mur, semblant ne pas vouloir s’approcher de trop près. Il poursuivit alors avec une pointe de dégoût dans la voix.
- Comment as-tu nommé cette chose ? me demanda-t-il en pointant ma fille du doigt
- Léana … et ce n’est pas une chose !
Malgré sa remarque désobligeante, Ezarel avait pris le temps de se préoccuper de nous en préparant cette recette. Je ne pus pas m’empêcher de sourire sincèrement face aux tempéraments affirmés de ses deux chefs. Il était plaisant d’être en leurs compagnie.
Durant les heures suivantes, Eweleïn était venu nous examiner en chassant mes invités avec toutes la grâce qui la caractérisait. Tout allait pour le mieux concernant notre état de santé respectif. L’infirmière m’avait alors expliqué que le maanas et les baumes réparateurs qui nous avaient été prodigués avaient accéléré notre rétablissement. Aussi, la régénération dont je faisais preuve me permettrait de reprendre mes activités quotidiennes d’ici quelques jours. Elle avait également pris le temps, avec Leiftan, de me refaire toute une garde-robe pour moi et Léana.
Finalement, l’assemblée à mon sujet avait été réalisée sans ma participation. Par chance, Eweleïn et Leiftan y étaient présents. J’avais donc pu compter sur leur appui face à la renarde. Ainsi, Leiftan était revenu me voir pour me rapporter les conclusions positives qui en avaient découlées. Markus et Miiko avaient décidés, qu’au vu des facultés dont j’avais fait preuve, ils ne pouvaient pas me considérer comme étrangère à ce monde. Je faisais donc officiellement partie de la Garde d’Eel, dès aujourd’hui.
Seulement, ce verdict finissait d’achever ce que je tentais de rejeter depuis plusieurs jours. Je n’allais pas simplement devenir une recrue de la Garde, mais je faisais, selon eux, partie intégrante de ce monde … Ils me considéraient comme l’une des leur, comme une Faelienne ou une Faérie …
Mes souvenirs passés se bousculèrent alors. Je ne parvenais plus à savoir qui j’étais réellement. Qu’elles étaient mes origines ? Qui étaient mes véritables parents ? Mais, j’avais déjà des parents ! Ces chers parents que j’aimais de tout mon être. Ils m’avaient élevée tendrement en me transmettant leurs valeurs d’altruisme, d’ouverture sur le monde et de bienveillance. Dieu que je les aimais et qu’ils me manquaient en cet instant.
J’aurais voulu qu’ils soient présents à nos côtés. J’aurais souhaité pouvoir contempler leurs visages fascinés face à la petite bouille de bébé de Léana. J’aurais aimé entendre ma mère me dire à quel point elle était fière de moi, qu’elle n’avait jamais douté de ma force de caractère. Je désirais, plus que tout, entendre mon père m’avouer qu’il m’aimait, en me serrant affectueusement dans ses bras. Puis, surtout, j’aurais voulu voir, pour la première fois, des larmes couler sur les joues de Jorik. J’aurai dû partager ma joie avec les personnes qui avaient, il y a si peu de temps, fait partie de ma vie.
Ma charmante Eweleïn avait alors tenté de me rassurer à de nombreuses reprises, en vain. Je sentais mon cœur se briser en mille morceaux à la seule pensée que tout ce que j’avais vécu n’était peut-être qu’un tissu de mensonges.
Je n’avais jamais été humaine … Ils m’auraient alors menti … Mais qui ? Qui m’avait mentit …~*****~
À la suite de ces révélations, j’avais décidé de verrouiller dans un tiroir de mon cerveau les pensées néfastes menaçant de le faire exploser. Seulement, je n’étais pas au bout de mes peines … Quelques jours après mon accouchement, Leiftan était venu me rendre visite dans ma chambre. Sur le moment, j’avais hésité à le faire entrer, mais j’étais bien trop épuisée pour répliquer. Ainsi, penché au-dessus du berceau de Léana, il entama la conversation sur un ton sérieux qui me figea sur place.
- Markus sollicite le concours de la Garde pour déloger des mercenaires qui campent sur ces terres. Valkyon, Nevra, Ezarel et moi-même allons devoir l’accompagner à Phalael pour régler les derniers détails de notre stratégie. Nous partons dès demain.
Je déglutis difficilement en assimilant la nouvelle. Nevra et Ezarel allaient partir … Ils allaient véritablement me laisser seule dans un moment pareil. Pour la première fois, j’eus le sentiment que Markus m’arrachait les seules personnes dont j’aurais eu besoin en ce moment même. Puis, en accrochant ses émeraudes, je me rappelais sa présente rassurante lors de mon accouchement. Leiftan m’abandonnais également …
- Combien de temps … lui demandais-je anxieuse
- Un mois …
Je sentis une larme me monter. Emprise entre ma peine, mes doutes, mes angoisses et ma colère, je ne pus pas régir autrement. Viscéralement, je me relevais vivement de mon lit, pointant mon doigt en direction de la sortir, sans le lâcher du regard.
- Sort d’ici !
« Je ne pars pas, je reviens Norya. Fais-moi confiance … » me rappelais-je ces mots. Tout ceci, n’était que des balivernes. Dire qu’il était parvenu à faire tomber quelques-unes de mes barrières que je mettais efforcer à construire autour de moi. En ravalant mes larmes pour continuer à lui faire face, j’insistais lourdement.
- Va-t’en, Leiftan !
Je n’avais aucune raison de réagir comme cela. Cependant, j’étais envahis par toutes sortent d’émotion impossible à contenir. Je voulais qu’il disparaisse de ma vie ! Qu’ils disparaissent tous ! Que je me réveille enfin de ce cauchemar !
- Je viendrais te voir à notre retour.
- Sort, je t’ai dit !
Au vu de mon insistance, il sortit sans ajouter un mot de plus. Quand, la porte se referma sur son passage, je m’écroulais enfin sur mon lit, en pensant à ma future solitude au sein du QG. Je n’arrivais pas à y croire, mais … ils allaient me manquer … Un mois sans eux, c’était beaucoup trop long. Ce soir-là, je ne parviens pas à fermer l’œil. De toute façon, je dus passer une bonne partie de ma soirée à m’occuper de Léana.~*****~
Après leur départ, j’avais uniquement erré comme une âme en peine dans les couloirs du Quartier Général, prenant mécaniquement en charge mon rôle de mère : la nourrir, la laver, la changer, la faire dormir … Une boucle perpétuelle qui s’enchainait inexorablement. Les jours et les semaines défilaient et se ressemblaient, ne me laissant aucune place à un moment de répit.
Je n’avais donc pas vu le mois passer, n’ayant plus aucune notion du temps. J’avais simplement fui les interrogatoires d’Eweleïn concernant mon état psychologique. Quelle ironie ? La psychologue que j’étais, faisait une dépression ! Dans mon monde, j’aurais pu participer à une émission télévisée pour témoigner sur le sujet.
Alors, c’était ça être mère ? C’était ça la mère que j’avais voulu devenir ? Je n’avais aucun but à poursuivre et je n’arrivais plus à discerner le vrai du faux entre mon passé, mon présent et mon futur. « Qui suis-je ? » me rappelais-je … Il n’y avait pas de réponse à cette question.
Ce jour-là, j’étais sûr le point de rejoindre ma chambre, après avoir pris quelques secondes de répit pour me nourrir d’une simple tranche de pain, quand je vis ses deux émeraudes étincelantes. Ils étaient revenus … Adossé contre ma porte, il semblait m’y attendre.
En m’apercevant, il se redressa immédiatement. Par réflexe, j’avançais dans sa direction, la tête baissée dans l’idée d’esquiver, une fois de plus, un échange susceptible de briser ma carapace.
- Je voudrais que tu viennes avec moi, me commanda-t-il calmement
- Je ne peux pas. Je dois m’occuper de ma fille, rétorquai-je machinalement
J’entama un mouvement pour ouvrir ma porte, mais dû me résoudre à faire face à Leiftan qui retenais l’ouverture.
- Eweleïn viendra prendre soin de Léana. Elle doit lui faire passer des examens. Viens avec moi, s’il te plait.
Il venait de me parler avec tant de douceur que je sentis les tiroirs que j’avais verrouillés s’entrouvrir, laissant s’échapper quelques morceaux de la peine me rongeant de l’intérieure. Était-ce ça son objectif ? Il voulait me forcer à me laisser assaillir par toutes mes douloureuses pensées pour qu’enfin je revienne à la surface.
- Où allons-nous ? demandai-je dubitative
- Dans la forêt.
Je hochais la tête en lui faisant promettre qu’Eweleïn se rendrait bien à ma chambre durant notre absence. Lorsqu’il acquiesça, nous pûmes alors prendre le chemin de la forêt.
Il ne nous fallut pas longtemps pour atteindre l’orée de la forêt en sortant de cette tour d’ivoire. L’air happait enfin mes cheveux. Qu’il était bon de retrouver cette sensation de liberté. Ce vent que j’affectionnais tant, faisait tourbillonner les feuilles des arbres touffus.
Je voyais de nouveau des fleurs aux multiples couleurs qui bourgeonnaient pour atteindre la lueur de soleil. Un chemin de graviers beiges nous indiquait la route à suivre pour accéder la forêt profonde. Cette forêt qui m’avait accueillie, il y a maintenant deux mois.
Nous avancions côte à côte en passant devant plusieurs arbres de taille, de forme et de couleur diverse. Un chêne, un sapin, un hêtre, un laurier … La nature semblait faire naitre différentes espèces sans se soucier des règles des saisons. Quelques rayons de soleil perçaient les branchages pour venir illuminer les reflets acajou de mes cheveux. Les yeux verts du Lorialet se mariaient à merveille à cet environnement forestier.
Notre quiétude laissa alors place au bruissement des arbres et aux sons furtifs des animaux qui y vivaient. Cette forêt n’avait plus l’allure dangereuse qui m’avait effrayée à mon arrivée. Je décelais enfin qu’elle était chargée d’histoire et de légendes que seule elle pouvait connaitre. J’aurais aimé qu’elle puisse me délivrer toute la vérité. Pouvait-t-elle lire en moi et ainsi me révéler mon passé ? Depuis quand la nature me procurait une telle sensation d’apaisement …
Nous avions dû marcher pendant plusieurs heures, avant qu’il ne se décide à briser le silence.
- Je suis désolé d’être parti, murmura-t-il en regardant le sol
Sa phrase m’arracha instantanément les larmes que j’avais réussi à retenir ces dernières semaines. Oui … il était parti. Je ne savais pas pour quelle raison, mais je lui en voulais terriblement. Il m’avait laissé seule, à un moment où j’aurais eu le plus besoin de lui. Il m’avait abandonnée durant un mois, avec toutes mes nouvelles responsabilités, mes craintes et mes incertitudes. J’aurais eu besoin de son soutien pour pouvoir croire en ses paroles, quand il m’avait dit : « fais-moi confiance ». J’aurais eu envie qu’il me prouve que sa présence encourageante à mes côtés, lors de mon accouchement, n’était pas qu’un doux rêve.
Mais, il était parti …
Mon corps céda sous la pression. Agenouillée dans l’herbe, mes larmes ruisselèrent pour la énième fois depuis que j’étais apparu sur Eldarya. Je ne parvenais plus à respirer. Tout mon être rejetait ma souffrance avec violence. Leiftan s’approcha alors vers moi, fléchissant ses genoux pour se mettre à son niveau. Ses bras m’entourèrent avec force pour faire cesser les tremblements répétés de mes membres fatigués. Il était là ! A nouveau … Serré contre moi, je sentis les battements de son cœur et l’odeur fleurie de ses cheveux.
Il m’avait manqué …
- Je suis désolé … souffla-t-il de nouveau à mon oreille
De nombreuses minutes s’étaient écoulées, durant lesquels nous étions restés enlacés au beau milieu de la forêt. Comme coupée du monde, je compris que mon comportement de ces derniers mois avait été du plus paradoxal. J’avais pu passer des rires aux larmes en une fraction de seconde. Malgré tout ce que j’avais vécu, entre mon arrivée, la découverte de mon pouvoir mystérieux et la naissance de ma fille. Je ne voulais pas subir les événements à venir. Je ne devais plus compter sur le soutien de quelqu’un pour parvenir à me relever. Il fallait que je trouve le courage d’apprendre à me battre seule afin d’avoir enfin des réponses à mes questions.
- Je veux rejoindre l’Ombre et apprendre à contrôler mes pouvoirs ! affirmais-je soudain
Leiftan relâcha doucement son étreinte, en plaçant sa main sur la mienne qui était posée dans l’herbe. Je n’attendais pas d’approbation ou de soutien de sa part. J’avais pris ma décision !
- Nous trouverons quelqu’un pour t’aider avec Léana. Tu pourras ensuite commencer les entrainements.
Nous n’avions pas échangé plus à ce sujet. Nous étions simplement restés appuyés le dos contre un arbre, sans rompre le contact de nos doigts entremêlés. J’acceptais ses excuses et sa simple présence me suffisait pour le moment. Plusieurs fois, il avait su me réconforter et même si je sentais que nos rapports avaient évolués, je n’espérais pas plus de sa part. Je restais toujours terrifiée à l’idée de m’imaginer construire des relations dans ce monde.
Cependant, cette fois-ci, j’allais véritablement avancer. S’en était fini des questions sans réponse. J’étais déterminée à me faire entendre pour enfin comprendre qui j’étais et d’où je venais. Pour cela, je savais que je devais être en capacités d’affronter le monde qui m’entourait désormais. L’Ombre et le contrôle de mes pouvoirs seraient alors mes premiers objectifs.~*****~
Le lendemain, j’avais dû expliquer ma décision à Eweleïn. Celle-ci m’avait examinée minutieusement pour me confirmer que j’étais apte à commencer les entrainements. Je l’avais également rassurée quant au fait que je ne souhaitais pas abandonner mon cabinet de psychologie. L’Absynthe avait été ma première Garde d’accueil et je ne voulais en aucun cas la délaisser.
J’avais ensuite pu faire la connaissance de Lucina, une Fée du Logis que Leiftan m’avait recommandée en tant que nourrice. La petite dame rondelette m’avait immédiatement inspiré de la sympathie. Elle m’avait affirmé qu’elle aimait son travail et qu’elle savait l’exécuter à la perfection. Je n’avais aucun doute là-dessus. Ses sourires affectueux à ma fille ne témoignaient pas du contraire.
Je l’avais ensuite observée ranger ma chambre, en faisant léviter mes vêtements à coup de baguette magique. Son petit chignon impeccable bougeait à chacun de ses mouvements, quand elle chantonnait une berceuse Eldarienne à Léana. Elles avaient déjà l’air de s’apprécier. Même si mon cœur se serrait à l’idée de laisser ma fille, je sentais que ma décision nous serait bénéfique à toutes les deux.
Aussi, avant de rejoindre l’Ombre, je souhaitais m’entretenir avec Miiko afin de connaître l’avancement des recherches sur mes origines de Faérie. J’avais donc dû demander à Kero d’organiser cette réunion, la procédure m’obligeant à solliciter une audience par écrit à la renarde. Je m’étais exécutée sans faire de remarque désobligeante. J’avais fini par comprendre que la Garde avait des coutumes plutôt moyenâgeuses.
Ainsi, la cheffe accepta de me recevoir le jour suivant ma requête, accompagnée des trois chefs de Gardes, Ykhar et Leiftan. En me réveillant, je pris soin de me laver et de m’habiller proprement, avant d’avaler un repas des plus rapides. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pu prendre tout ce temps pour moi. Je remerciais alors Lucina d’avoir pu se libérer aux aurores pour s’occuper de Léana, avant de sortir de ma chambre pour rejoindre la salle du cristal avec appréhension.
La pièce n’avait pas changé. La pierre bleutée, plus scintillante que jamais, trônait toujours sur son pupitre. Ils m’attendaient tous autour de l’immense table en pierre ancrée un étage en dessous du cristal. L’énergie magique qui flottait dans l’air me prenait encore à la poitrine, toutefois je n’étais plus effrayée par cet esprit qui semblait détenir des réponses à mes interrogations. Je m’avançais donc d’un pas assuré dans leur direction.
- Prends place, me commanda abruptement Miiko
Elle m’indiquait d’un signe de tête, un siège en pierre qui, comme les autres, ressemblait en tout point à un trône. Sagement, j’obéis, me retrouvant en bout de table en face de la renarde. Nevra et le reste des chefs de Garde à ma droite et Leiftan et Ykhar à ma gauche.
- Bien commençons. Ykhar quelles sont les nouvelles ? débuta Miiko
- Je … Enfin, nous avons cherché des informations sur les races de Faérie correspondant aux descriptions du ressenti de Norya … Mais, je … Enfin, nous n’avons pas pu cibler nos recherches assez finement … Je … Nous avons besoin de plus de précisions …
Le teint blanchâtre de la lapine rousse virait limite au vert. Elle semblait angoissée de partager ses conclusions infructueuses.
- Respire, Ykhar. Nous trouverons un moyen de t’aider à affiner tes recherches.
A mon grand étonnement, ce fut la renarde qui prononça ces propos rassurants.
- Je veux bien me porter volontaire pour goûter ma belle Ombre. Je pourrais comparer son sang aux autres femmes que j’ai pu « côtoyer », me provoqua Nevra, les lèvres retroussées sur les canines
- Il en n’est pas question ! s’exclama aussitôt Leiftan
- Tout doux chevalier, j’ai juste dit goûter.
- Sinon, je peux la disséquer pour l’étudier au besoin, surenchérit Ezarel
La renarde sondait les échanges d’un air perplexe. Quant à Ykhar, elle semblait prête à tourner de l’œil. Seul, Valkyon observait la scène de son regard d’or, sans dire un mot. Je restais ébahie en me demandant s’ils étaient sincères ou s’ils se jouaient de moi. Ces deux chefs allaient finir par me déstabiliser avec leurs joutes verbales de mauvais goût.
Seulement, les revoir, tous les deux, me donna un peu de baume au cœur. Ainsi, la pression que me procurait cette rencontre mêlée à la désinvolture de leurs propos me provoqua un rire nerveux. Les regards de toutes les personnes présentes se tournèrent alors dans ma direction. Instantanément, je dû reprendre contenance pour couper court au débat.
- Je vous remercie de votre sollicitude, mais je me passerai de la morsure et de la dissection, me moquais-je en regardant successivement le vampire et l’elfe
Puis, je poursuivis plus sérieusement.
- J’aimerais avoir l’occasion d’apprendre à utiliser ce pouvoir. Cela vous permettra éventuellement d’avoir les précisions nécessaires pour découvrir mes origines.
- En effet, c’est une possibilité. Cependant, quelle garantie avons-nous que tu n’anéantiras pas certaines de nos recrues ?
La renarde me scrutait d’un air méfiant. Pourtant, je n’avais jamais envisagé une telle éventualité. L’énergie que je ressentais ne m’inclinait pas à penser que je pourrais « anéantir des recrues ». Ce n’était pas une option envisageable … Je ne voulais pas y penser !
- Je me porte volontaire. Je m’en chargerais lors des entrainements à l’Ombre.
Nevra affichait une posture autoritaire que je ne lui connaissais pas. Son regard ne quittait pas celui de Miiko, semblant attendre son approbation.
- Accordé. Mais, tu en prendras l’entière responsabilité, conclut la cheffe
L’assemblée semblait être arrivée à son terme. Néanmoins, la renarde continua sur un ton plus assuré.
- Nous devons aborder l’apparition de l’Oracle.
Un silence pesant s’installa entre nous et je pus presque entendre les vibrations du cristal au-dessus de nos têtes.
- Il semblerait que l’Oracle se soit, à nouveau, réveillé. Nous devons savoir quelles informations elle t’a transmise.
Je déglutis difficilement avant de répondre anxieuse.
- Je n’ai rien entendu …
- C’est fâcheux, siffla-t-elle avec suspicion
- Je vous assure que je n’ai rien entendu … bredouillai-je
Tout le monde m’étudiait du regard, semblant s’assurer de la véracité de mes propos. Je sentais l’énergie de la pierre gronder dans mon cœur. Je n’avais véritablement rien entendu. D’ailleurs, pourquoi m’était-elle apparue sans explication ? Puis, Valkyon prit finalement la parole, brisant ainsi les tensions.
- Lors de notre séjour à Phalael, Markus nous avait ordonné de la conduire prochainement sur ces terres …
- Nous n’avions pas réabordé ce sujet. Cette option reste dangereuse, le coupa Leiftan
- Une excursion hors des terres d’Eel pourrait toutefois lui être profitable afin de juger de l’étendue de ses pouvoirs, jugea Miiko
Quoi ?! Markus avait demandé ma venue à Phalael. J’aurais donc la possibilité de sortir du Quartier Général, d’explorer Eldarya, d’expérimenter mes facultés et de tenter de récolter des informations sur mon passé. Toutes ces perceptives m’exaltèrent de façon inattendue.
- Je suis d’accord, fis-je entendre fermement
Je n’avais pas suffisamment réfléchi à ce que pourrait entrainer ma décision. Pourtant, je sentis au fond de moi que je devais partir.
- Bien. Tes entrainements à l’Ombre commenceront demain. Nous règlerons ensuite les détails de ton départ pour Phalael, quand Nevra t’en jugera prête. Vous pouvez disposer, termina la cheffe en se levant de son siège
En prenant fébrilement la direction de la sortis, j’entendis Miiko rappeler Leiftan pour poursuivre leur entrevue. J’avais espéré pouvoir échanger avec lui, après toutes ces révélations, mais… j’avais aussi décidé de me prendre en main seule. Je devais m’y tenir !
Dans le corridor des Gardes, je pris conscience que j’allais enfin réaliser mes objectifs. S’en était fini d’être passive ! Même si j’appréhendais la suite des évènements, j’étais maintenant impatiente à l’idée de découvrir ce monde.
- À demain belle Ombre, me quitta Nevra sur le pas de ma porte
- Nevra, attends !
- Oh ! Tu veux que je te raccompagne dans ton lit ? me susurra-t-il
- Non … dis-je en levant les yeux au ciel
Il me restait cependant à l’esprit des zones d’ombres que j’avais besoin d’éclaircir.
- Pourquoi Miiko a-t-elle dit que l’Oracle s’était « réveillé » ?
- Depuis que le cristal a été brisé par Tibérius, il a des années, elle n’a plus eu la force d’apparaitre. Ce choc a provoqué une instabilité dans le maanas qui entraine de nombreuses catastrophes naturelles menaçant nos terres.
- C’est horrible … Qui est Tibérius ?
- Le chef des loups de Týr.
- Pourquoi a-t-il fait ça si ça menace votre monde ? le questionnai-je perplexe
- Les loups de Týr convoitent le cristal depuis bien longtemps. S’ils ne pouvaient pas l’avoir, ils pouvaient au moins le détruire.
- Mais, ça n’a pas de sens si c’est dangereux pour vous tous.
- Leur mouvement n’est pas là pour protéger notre monde, il s’est formé dans l’unique but de le détruire, cracha-t-il
- Mais … Pourquoi ?
- Tu te poses trop de questions belle Ombre, s’amusa Nevra en tournant les talons
Après cette réunion et ce court échange, j’avais passé le reste de ma journée avec Léana. Je ne comprenais pas l’intérêt que pouvait avoir ce groupe à détruire ce qu’ils convoitaient, ni à anéantir le monde dans lequel ils vivaient. Ça n’avait pas de sens … Puis, j’avais repensé aux mouvements terroristes de notre monde, ceux-ci n’ayant pas plus de sens que le groupe des loups de Týr.~*****~
Au réveil, j’embrassais affectueusement la petite tête de ma fille, avant de me préparer. J’allais passer ma première journée entière éloignée d'elle. Elle me manquait déjà …
- Allez ! Hop, hop, hop, à la douche Mademoiselle. Hors de question de vous voir trainer dans les parages, chantonna Lucina
- Je lui fais juste un dernier …
- Non, non, non, Mademoiselle. Vous allez finir par vous mettre en retard.
Lucina me poussa gentiment vers la sortis, tandis que je murmurais un dernier « je t’aime » à mes deux petites billes bleutées. Puis, après avoir remerciée Lucina, je sortis à contre cœur de ma chambre.
La veille, ma bonne fée m’avait raconté qu’elle avait élevé de nombreux enfants durant sa jeunesse avec son compagnon Tullius. Ce nain des montagnes était malheureusement décédé à la suite d'un effondrement dans les mines d'Elvina. L'instabilité dans le maanas, provoqué par le cristal brisé, avait entraîné une catastrophe dans ces mines. Un éclair s'y était abattu, les loups de Tyr ayant profité de cet éboulement pour attaquer les travailleurs. J’étais peinée d’apprendre qu’une femme avec tant de bonté ait pu perdre un être aussi cher à ses yeux. La tristesse pouvait se lire sur son visage abimé par le temps.
Elle m'avait alors expliqué que la majorité des recrues de la Garde étaient des personnes soit rejetées par leurs familles, soit des êtres solitaires sans attache, soit, comme elle, ils avaient perdu leurs proches. Je prenais, de plus en plus, conscience de l’atrocité qui pouvait régner à Eldarya. Finalement, j'avais eu de la chance d’être accueillie de la sorte sur les terres d’Eel. La Garde aurait pu m’exécuter dès mon arrivée, mais il n’en fut rien.
Après m'être lavée et avoir déjeuné, j’enfilais une tenue légère qui me permettrait une plus grande liberté de mouvements. Un simple pantalon ample en tissus fin et un haut rouge sans manches moulant ma taille. J’étais toujours étonnée de constater que mon corps n’avait gardé aucune séquelle de mon accouchement. J’avais repris ma taille svelte et seule ma poitrine témoignait de la naissance de ma fille. Etais-ce l’énergie vitale coulant dans mes veines qui avait permis cela ? Eweleïn m’avait fait cette réflexion un jour, mais je n’étais pas certaine d’avoir tout bien saisie.
Nevra m’avait donc demandé de le rejoindre directement au manoir des Ombres. Pour cela, je devais atteindre les sous-sols de la Garde, dont l'entrée se trouvait à la salle des portes. Je m’étais alors attelée à descendre les très nombreuses marches d’escalier circulaire qui menaient aux souterrains. Des torches installées à plusieurs mètres d’intervalles éclairaient faiblement mon passage. L’atmosphère y était lugubre et j’étais essoufflée avant même d’arriver.
Arrivée tout en bas des marches en pierre, je repris mon souffle avec difficulté. J’avais le sentiment d’avoir déjà passé l’étape de l’échauffement. Je repris alors mes esprits pour observer ce qui m’entourait. Le hall dans lequel je me trouvais était une vaste pièce illuminée par plusieurs flambeaux. Un petit étang, d’eau verte et vaseuse, avait réussi à élire domicile dans cette endroit plonger dans la pénombre. En m’y approchant doucement, j'y vis de petites bulles éclater à sa surface. Précipitamment, je reculais de crainte d’être confrontée à une créature monstrueuse.
Un unique couloir sombre permettait alors de sortir de ce hall. Pour parvenir au plus vite au manoir, je m’y engouffrais, d'un pas hésitant. Peu à peu, je sentis l’angoisse monter dans le creux de mon estomac. Ces souterrains n’avaient rien d’engageants. Leur plafond me semblait très bas et les murs trop proches. Aussi, les torches longeant ces galeries se faisait de moins en moins nombreuses.
Plus j’avançais, plus je constatais que plusieurs intersections s’offraient à moi. Nevra m’avait indiqué le chemin à suivre, à l’avance, pour ne pas me perdre dans ce labyrinthe de couloirs sans fin. J’inspirais alors profondément pour me donner le courage nécessaire.
« Allez ! Gauche, droite, gauche, gauche, tout droit, droite et tout droit » me rappelai-je
Après une très longue distance dans ces couloirs obscurs et étriqués, j’aperçu enfin l’entrée du manoir indiqué par deux runes inscrites dans la roche, en haut de l’ouverture.
En y pénétrant, je fus stupéfaite par la grandeur de cette vaste salle souterraine, la hauteur du plafond y étant impressionnante. Mille et une torches était fixées le long des murs pour apporter une lumière orangée à l’espace.
L’odeur de soufre mélangé à la sueur des combats, me provoqua un léger haut le cœur. Plusieurs recrues combattaient avec rage et agilité à coups d’épée, de dague et de couteau. Des obstacles et des pièges étaient placés à divers endroits pour ajouter de la difficulté à leurs luttes acharnées. J’entendais le bruit des fers qui s’entrechoquaient, les râles de douleurs des recrues qui se blessaient, les explosions de pièges et les cris d’encouragements des Ombres assises sur les estrades en pierre.
Deux immenses flambeaux placées de part et d’autre d’un trône de fer semblaient réchauffer l’endroit. Nevra était installé là, la posture droite et les bras placés sur deux accoudoirs en forme de marteau, jugeant ses Ombres d’un regard sévère. Il dégageait une aura charismatique et impitoyable qui me déconcerta. Pour la première fois, je voyais en lui le commandant qu’il était, stricte, imperturbable et redoutable. La ferveur émanant des membres de cette Garde me galvanisa instantanément.
J’y étais enfin … J’allais devenir une Ombre ! Alors que, je décidais d’avancer vers les diverses armes disposées sur une étal en bois, je fus arrêtée par des cris d’excitation, ne m’étant pas inconnus.
- Nooooryyyyaaaa !!!!
En détournant mon regard, j’aperçus une chevelure enflammé volant en ma direction. Sibyl courait les bras grands ouvert vers moi. Je n’eus le temps de réagir, qu’elle m’avait déjà sauté dessus, me serrant avec engouement. Puis, elle relâcha son étreinte pour sautiller avec emballement.
- Norya ! Tu es là ! Tu es venue ! C’est magnifique, s’excita-t-elle
Je ne pus m’interdire de rire face à sa joie exacerbée. J’avais regretté à l’époque d’avoir refusé sa compagnie. J’étais alors heureuse de la revoir.
- Comment vas-tu ? lui demandai-je sincèrement
- Exxxtrêmement bien !! Et toi ? Oh mais tu es belle ! Ta fille est née ? Léana c’est ça ?
- Oui, Léana est née. Depuis un mois et cinq jours exactement.
- Je parie que c’est Lucina qui s’en occupe. Elle est parfaite cette petite dame.
Elle ne cessait pas de faire des grands gestes et des sourires, tout en parlant. Son caractère enfantin pouvait surprendre face à son physique de jeune femme fatale. Elle était sublime en tout point, ses longs cheveux roux ondulés, ses yeux orange flammés et sa robe orangée lui donnait l’allure d’un volcan en ébullition. J’avais un sourire de plaisir figé sur mon visage, face au rayonnement qu’elle dégageait.
- Oui, c’est Lucina qui s’en occupe en ce moment. Tu voudras rencontrer ma fille ?
- Ooooh. Oui, oui, oui !!!
- Tu devrais éviter d’inviter la sorcière. Sinon, tu risques d’avoir des difficultés pour t’en débarrasser. Crois en mon expérience, se fit entendre une voix masculine.
Un jeune homme revêtu d’un long manteau noir se tenait face à nous, un sourire moqueur aux lèvres. Il regardait Sibyl avec insistance de ses iris sombres cachés derrière ses cheveux mi-longs, noir corbeau. J’entrevis également deux fentes dans le dos de son manteau, laissant apparaitre de magnifiques ailes noires.
- Je suis Eros, enchanté Norya. Si tu invites la sorcière, puis-je me joindre à vous ?
Je ne savais pas si la proposition d’Eros était destinée à déclencher une réaction chez la sorcière. Quoi qu’il en soit, elle prit une mine boudeuse, en lui tapant violemment l’arrière du crâne.
- Ça ne va pas, non !!! Laisse Norya tranquille.
- Calme toi sorcière. Je proposais juste une idée. Il n’y a pas que toi qui a le droit d’avoir de nouvelle amie.
- Juste une amie alors, siffla-t-elle en plissant les yeux
- Oui, juste une amie ... répéta-t-il en levant les yeux au ciel
J’avais suivi du regard chacun de leurs échanges et si je ne connaissais pas la réelle teneur de leurs relations, celles-ci me semblaient des plus ambiguës.
- Vous êtes ensemble ? demandais-je sans m’en rendre compte.
- Oui ! se réjouissait Sibyl
- Non ! grogna Eros
Je devais avoir mis le doigt sur un sujet épineux, puisqu’ils avaient pris la parole simultanément en tenant un discours contradictoire. Ne souhaitant pas m’immiscer dans leurs relations pour le moment, je détournais alors la conversation.
- C’est mon premier jour dans l’Ombre. Savez-vous ce que je dois faire ?
- Généralement, les nouvelles recrues ont déjà un minimum de connaissances de base sur les stratégies de combat. Elles intègrent donc rapidement les différents ateliers. Ce que je suppose n’être pas ton cas, m’expliqua Eros
- Effectivement, je ne me suis jamais battue …
Je doutais, de plus en plus, de mes capacités pour m’engager dans une telle Garde. N’avais-je pas été trop présomptueuse en me fixant cet objectif ?
« Ressaisis toi Norya ! Tu dois savoir te défendre pour te rendre à Phalael » me motivais-je
- Tu vas apprendre vite ! En plus, avec tes pouvoirs ça … commença Sibyl
- Mais ! Elle va la boucler la sorcière, gronda Eros
- Mes pouvoirs … Comment es-tu au courant ? répondis-je surprise
- Et, voilà ! Toi et Karenn, vous ne savez pas tenir vos langues d’Ornak.
- D’or … quoi ? Je ne comprends plus rien.
- L’Ornak, c’est un serpent. Il est trop mignon, minauda Sibyl
- Oui, c’est ça. Bon revenons à nos Crylasm, s’affligea Eros
« Crylasm » ? Bon, si je suivais leur logique, ça devait s’apparenter à un mouton.
- Si je comprends bien, vous savez déjà pour mon pouvoir.
- Oui, vu que Karenn est la sœur de Nevra, on sait toujours tout avant tout le monde, jubila la sorcière
- Nevra a une sœur ?! m’écriais-je
J’allais de surprise en surprise. Jamais, je n’aurais imaginé que Nevra pouvait avoir une famille au sein du QG. Ce qui était, par ailleurs, complètement stupide de ma part. J’avais tellement été centrée sur moi-même depuis plusieurs mois que j’en avais omis de m’intéresser aux personnes qui m’entouraient. Immédiatement, je me mis à penser à Leiftan. Avait-t-il une famille ? Probablement … Je n’avais même pas pris la peine de le lui demander. D’ailleurs, je n’avais pas non plus questionné Eweleïn à ce sujet …
Sibyl me sortit de mes pensées en répondant l’air enjouée.
- Oui, il a une petite sœur. Elle est en mission avec Chromounet pour le moment. Tu la verras certainement plus tard.
- Avec Chrome ! Chrome … pas Chromounet. Tu sais que tu vas finir par te faire arracher la langue si tu continues, se désespéra Eros
- Mais … c’est Karenn qui l’appel comme ça …
- Ça m’étonnerait fortement !
- Je te jure …
Je soupirais faussement devant leur joute verbale ininterrompue. Nevra avait raison sur un point : « les Ombres étaient intéressantes ».
- Oui donc, revenons à nos Crylasm, m’adaptais-je
- Je te conseille d’aller voir directement Nevra pour lui demander par quoi débuter, conclut Eros en se dirigeant vers un atelier de tir à l’arc
Mon regard se perdit en direction du chef des Ombres. Je ne saisissais pas pourquoi, mais Nevra m’impressionnait. Il n’était plus le vampire charmeur que je croyais connaître. Il était devenu mon commandant de Garde … Sibyl m’enlaça vivement avant de trottiner jusqu’au stand de tir où Eros s’était déjà installé.
Je ne pouvais plus reculer, maintenant … Il fallait que je fasse preuve de détermination. J’avança alors d’un pas décidé vers le trône de fer qui surplombait la grande salle. Sans lâcher le vampire du regard, je longeais les gradins, en évitant ainsi de passer par le centre de la pièce où était installés les différents ateliers.
Soudain, je sentis mon corps être brutalement projeté en direction du sol. Avant de percuter le terrain, j’eus le réflexe de mettre mes mains vers l’avant. Je m’écrasais de tout mon long dans les graviers qui jonchaient le sol. En relevant la tête pour jauger quel obstacle avait entrainé ma chute, je sentis une poigne agripper mon col pour me propulser à nouveau au sol.
- Casse-toi de mon chemin, vermine ! grogna férocement un orc
Il ressemblait à ces terrifiantes créatures que j’avais pu voir dans des films. Deux énormes dents sortaient de sa mâchoire inférieure remontant jusqu’à sa lèvre supérieure. Sa peau grisâtre et rugueuse était recouverte d’un simple vêtement de cuir. Entouré de ses congénères, ils ricanèrent en cœur, tout en m’observant prostré à terre. Ils devaient tous faire deux tailles de plus que moi. Je restais alors là, tremblante dans les graviers, en priant pour qu’ils se désintéressent de moi.
Malheureusement, ce ne fut pas le cas. L’orc s’approcha de moi, saisissant mon cou de son énorme main pour soulever mon corps avec une facilité déconcertante. Mes jambes ne touchèrent plus le sol et je sentis déjà l’oxygène me manquer. Ses petits yeux jaunes fixèrent les miens avec cruauté, tandis qu’il me crachait sa provocation au visage.
- Alors vermine ! On n’essaie pas de se défendre ?
La puanteur qui sortit de sa bouche devait ressembler à l’odeur d’un cadavre en putréfaction. Ma vue se troubla, les bruits s’amoindrissant à mesure que ma respiration s’affaiblissait. Je n’allais pas mourir comme ça, là, maintenant ? C’était hors de question !
Mon esprit commença alors à se séparer de mon corps. Je percevais son aura empli de haine, m’enforçant à progresser vers elle. Bravant ma peur, face toute l’agressivité qui émanait de cet être. J’entendis alors ses menaces parvenir jusqu’à moi : * Crève, vermine ! *
Non ! Je voulais vivre ! J’allais le faire relâcher sa prise, par tous les moyens. Cependant, je fus arrêtée dans mon élan, mon esprit rejoignant mon corps contre ma volonté.
- Lâche-la ! hurla une voix
Sur ces mots, l’orc fus projeté avec puissance dans les tribunes. Les os de son dos craquèrent, quand il atteignit la pierre taillée en escalier. Au même moment, mon corps retomba sur le parterre de caillou avec brutalité. La main sur mon cou, au bord de l’étouffement, je tentais vainement de reprendre mon souffle.
Je n’avais plus la moindre sensation dans les membres, seule une brulure lancinante avait gagné mes poumons. Péniblement, je voulu discerner mon sauveur entre les larmes qui brouillaient ma vue. Une personne s’avança vers moi, s’agenouillant à mon niveau pour me chuchoter à l’oreille.
- Je t’emmène à l’infirmerie, belle Ombre.
Instantanément, je compris que Nevra était venus me porter secours. Comme soulagée de le savoir à mes côtés, ma vue s’obscurcit peu à peu. En me laissant enveloppé de ses bras, je sentis mon corps être transporté hors du manoir.
Puis, ce fut le trou noir …~*****~
En ouvrant les yeux à l’infirmerie, j’entendis aussitôt les cris de Nevra et Leiftan, provenant de derrière le rideau.
- C’était dangereux !
- Ça va, j’étais là, on se calme !
- Tu as toujours les yeux braqués dans sa direction peut-être ! Combien de temps cela a-t-il duré ?
- Je n’en sais rien et je te prierais de ne pas t’occuper de mes Ombres !
Brusquement, je me redressais pour tirer le drap blanc nous séparant.
- Stop ! Arrêtez de me prendre pour une petite chose à protéger, hurlais-je
J’avais pris la décision de m’engager dans l’Ombre pour dépasser enfin cette période d’inertie. J’en avais assez d’être traitée comme l’humaine qui avait miraculeusement débarqué sur Eldarya. Ils m’observèrent, interloqués par ma réaction.
- J’y étais, Nevra ! J’y étais presque, pourquoi as-tu fait ça ? pestais-je
- Quoi ? m’interrogea-t-il dérouté
- J’allais l’atteindre ! Je voulais essayer.
- Tu étais en train de te faire étrangler, Norya … s’inquiéta Leiftan
- Je sais ! Mais, j’y étais !
Résolue, je reposais vigoureusement ma tête sur l’oreiller pour leur manifester mon agacement. Je voulais apprendre à contrôler ce pouvoir et jusqu’à maintenant, celui-ci n’était apparu que dans des situations d’angoisse. J’aurais pu voir, j’aurai pu ressentir, j’aurai pu comprendre ce que ça faisait de rejoindre l’aura d’un autre être, mais il m’en avait empêché.
- Leiftan a raison, c’était dangereux. Je ne pouvais pas te laisser essayer. Pas de cette façon…
- Et, quand !? Quand est-ce que je le pourrais alors ? Je ne ressens rien lorsque je suis hors de danger !
En y réfléchissant, j’avais eu ce sentiment de plénitude devant l’océan. Mais, que cherchait à atteindre mon esprit ? Je pensais qu’il s’était simplement perdu dans l’univers, mais j’avais aussi éprouvé un besoin irrépressible de rejoindre un point précis. Les souvenirs de ce moment me revirent par brides. J’avais ressenti quelque chose qui brillait dans cet endroit. Puis, soudain, je compris ! Je savais enfin ce que mon esprit avait trouvé sur cette plage.
- Le cristal ! m’écriai-je en me redressant
- Comment ? me demanda Leiftan perplexe
Intensément, je les observais, l’un et l’autre, avant leur révéler ce que je venais de saisir.
- J’ai ressenti le cristal.
- Quand ? Où ? s’exclama Nevra
- A la plage. Nevra tu te souviens que j’étais partie pour me rendre devant l’océan. C’était là ! Je pensais que mon esprit était parti hors du temps sans chercher de point culminant. Mais si ! Maintenant je me souviens … m’excitais-je
- Attends … Attends … Ce que tu as ressenti c’est uniquement l’énergie du cristal de la grande salle. Ce qui parait évident vu que l’Oracle t’est apparu, me coupa Leiftan
- Non, ce n’était pas ça. C’était une énergie semblable, mais elle était plus faible et plus proche.
Ils marquèrent une pause. Chacun de nous se jaugeait du regard en silence, semblant analyser mes propos. C’était ça ! J’en était persuadée.
- Nevra tu m’as bien dit que le cristal avait été brisé par Tibérius ?
- Tu lui as dit ça ! s’insurgea Leiftan
- Oui, le cristal a été brisé. Quel rapport ? me questionna Nevra dubitatif
- Que s’est-il passé le jour où il a été brisé ?
- Miiko et Markus nous ont expliqué que les morceaux se sont éparpillés sur les terres d’Eldarya, mais … Nevra s’arrêta au milieu de sa phrase
- Ce sont les morceaux du cristal que tu ressens … souffla Leiftan
Ils avaient compris … Je commençais alors à me relever de mon lit.
- Où tu vas comme ça ? paniqua Leiftan
- A la plage !
- Non, tu ne vas nulle part princesse.
- Si, je dois en être sûr. Je veux savoir !
Sans leur accord, je continuais à me lever. Puis, mon corps vacilla, Leiftan me saisissant avant ma chute.
- Repose-toi. Je t’accompagnerais ensuite, argumenta Leiftan
A contre cœur, j’obtempérais, tandis qu’il m’aidait à me recoucher. Leiftan me certifia alors qu’il viendrait me chercher et que Lucina resterait avec ma fille pour la nuit. Lorsqu’ils quittèrent l’infirmerie, mes yeux se fermèrent, mon corps me remerciant de ce repos bien mérité.~*****~
Au matin, Leiftan avait tenu sa promesse. Avant de partir, je souhaitais cependant repassés par ma chambre pour voir Léana. Adossé contre un mur de la pièce, il m'avait observé, le sourire aux lèvres, chanter et bercer ma fille dans mes bras.
Je m'en voulais d'avoir dû l'abandonner plus d'une journée entière. D'autant plus, que je devais continuer ... J'avais besoin de comprendre ce qu'il m'arrivait. Trop longtemps, j'avais rejeté la réalité. Mais, les faits étaient là. De près ou de loin, mon existence avait un lien avec ce monde. J'avais alors embrassé tendrement ma petit tête blonde, en lui promettant que je reviendrais au plus vite.
Nous avions ensuite pris le chemin de la plage en passant par la clairière. Plus nous progressions, plus j'appréhendais. Si je ne trouvais pas de morceaux de cristal ? Si je ne ressentais plus ce sentiment de plénitude dont j'avais le souvenir ?
Leiftan m'avait accompagnée en silence. Je voyais dans son regard tous les doutes qui l'habitaient. Lui qui s'était toujours montré serein et rassurant envers moi, semblait anxieux face à la situation. Pourtant, s'il y avait un moyen de retrouver tous les morceaux de cristal disséminés dans Eldarya, n'était-ce pas une excellente nouvelle ?
Arrivés sur la plage, Leiftan s'assit proche de la rive, tandis que je rejoignais l'océan pour y immerger mes pieds. Parvenue enfin devant l’étendue d'eau, je me mis à hésiter. Cet instant hors du temps, je ne l'avais pas contrôlée. Il m'était venu sans prévenir, à un tel point que je commençais à me demander si je ne l'avais pas rêvé. Je fis alors volte-face, m'adressant à lui avec anxiété.
- Si je ne trouve rien ? Si nous nous étions fourvoyés ? Je ne suis même pas sûr de ce que je cherche ...
- Que sens-tu dans la salle du cristal ?
- Je n'en sais rien, Leiftan ... Le maanas, l'énergie vitale, tous ces mots n'ont pas le moindre sens pour moi.
- Mais, tu le ressens. Tu sais faire la différence entre le maanas émanant d'un être vivant, de la nature ou du grand cristal.
- Je crois ...
- Alors, j'ai confiance en toi. Tu trouveras.
Il en était convaincu. Ainsi, malgré mon appréhension, j'avançais plus en profondeur dans l'océan. Le soleil frappait ma peau, le vent caressant mes cheveux et l'eau refroidissant mes membres. Apaisée, je fermais alors les yeux, laissant mon esprit se perdre dans un moment de médiation. Sans me concentrer sur mes sensations, j'humais simplement l'air marin pour ne faire qu'un avec l'environnement.
Puis, je ne sentis plus rien. Je vivais à nouveau cet instant en dehors du temps. Partout en même temps, à la recherche de mon point d'accroche. L'aura de Leiftan m'apparut fasciné par ce qui se déroulait sous ses yeux. J’avais également perçu une aura plus lointaine, sans y prêter plus d’attention.
Flottant au-dessus de la plage, ressentant l’aura de Leiftan qui me sembla palpable, mon esprit progressait dans cet endroit avec facilité, sans que je n'ai besoin de le voir. Puis, je la ressentis enfin, cette petite pierre bleue qui m'appelait. J’avais réussi à la localiser !
Rejoignant mon enveloppe corporelle à la hâte, je me retournais vivement vers le Lorialet.
- Je sais où elle est !
Mon excitation retomba instantanément en constatant son désarroi. Interdit, il s'était relevé pour m'observer de la rive.
- Tu... hésita-t-il
- Je ?
- Tu t'es enflammée ...
- Quoi !
En même temps qu'il parlait, je l'avais rejoint sur la plage, comme pour m'assurer qu'il disait vrai.
- Tu t'es enflammée, mais pas à la manière d'une sorcière de feu ou d'un dragon. C'était plus doux, plus lumineux …
- Qu'est-ce que ça signifie ? insistais-je
- Je ne sais pas ... Trouvons ce morceau de cristal, maintenant.
En défroissant ses vêtements, il venait de se relever trop brusquement à mon goût, comme s’il voulait détourner la conversation. Seulement, je n'étais pas dupe. Aussitôt, je le rattrapais alors par le bras, avant qu’il ne parte en direction de la falaise.
- Si, tu sais ! affirmais-je
D'un mouvement de l’épaule, il me força à relâcher ma prise. Il mentait ! Pour je ne sais quelles raisons, je le sentais. Pourquoi ne voulait-il pas m'expliquer ? Sans se retourner, il se dirigea vers le rocher, où j'avais dîné avec les chefs de Gardes. Quelques larmes d'incompréhension commencèrent à monter. Il n'avait pas le droit de me cacher une telle information ! Je devais savoir ... Secouant vivement la tête pour me ressaisir, je le suivis d'un pas assuré, tout en continuant l'interroger.
- Tu mens ! Tu le sais ! Dis-moi !
Soudain, il fit volte-face, ses tresses blondes tournoyant dans son mouvement. Son regard était sévèrement braqué dans le mien, son air angélique, que j’appréciais tant, se transforma alors en une mine attristé. Qu’était-t-il en train d’arriver ?
- Pourquoi attends-tu toujours de moi des révélations qui ne te satisferont pas.
- Qui suis-je ? Leiftan, je t’en supplie, dis-le-moi …
- Une Phénix …
Alors, c’était ça … Je savais enfin. Mais, je ne comprenais pas ce que ça signifiait. Un phénix ? Pourquoi ? Dans quel but ? Les questions fusèrent dans mon esprit, sans que je parvienne à en faire le tri. Ce que je cherchais tant à connaître venais de m'être révélé et pourtant ... Il avait raison, cette conclusion ne me satisfaisait pas. Je ne savais toujours pas pourquoi j’étais sur Eldarya, alors que j’avais vécu sur ma Terre.
Avais-je des parents ici ? Des frères, des sœurs ? M’avaient-ils abandonnée …
Je ne m’étais pas rendue compte que j’avançais encore dans sa direction. Quand mon corps bouscula le sien, j'en pris alors conscience. En relevant la tête, je me perdis dans ses émeraudes, ma main s'étant posée contre son torse. Malgré tout ce que j’essayais d’entreprendre, je me sentais désespérément seule. Sans famille … Sans point de repère, dans ce monde qui me paraissait tout autant hostile qu'accueillant.
- Tu n’es pas qu’une Phénix Norya … Tu es bien plus que ça, je t’assure, m’affirma-t-il avec douceur.
Pourquoi fallait-il toujours que je pleure en sa présence ? Pourquoi l’avais-je forcé à me dire ça ? Je finissais toujours par lui en vouloir. Je le savais ! Alors pourquoi sentais-je que j’avais besoin que ça soit lui qui me révèle mes origines.
- À mes yeux tu es bien plus que ça, m’avoua-t-il
Avec ma main posée sur son torse, je pu sentir les battements de son cœur s’accélérer sur ces mots. Il ne me lâchait plus du regard, une de ses mains recouvrant la mienne. Ses doigts séchèrent les quelques larmes qui roulèrent, contre ma volonté, sur mes pommettes.
Je n’étais pas prête ... je n'étais absolument pas préparée à de tel aveux. Pourquoi me disait-t-il ça maintenant ? Bien sûr que je tenais à lui. J'avais même besoin de lui ! Alors, je ne voulais pas être obligée de le repousser …
Seulement, j’avais déjà une vie. Des parents, des amis, une fille. J’avais Jorik … Jorik ... Il n’était plus là. Comme s’il n’avait jamais existé. Comme si je me l’étais inventé. Cet être aimant et fort que j’avais aimé. M’attendait-t-il ? Me cherchait-t-il ?
Et moi … l’attendais-je encore ?
L'instant se figea, mon cœur battant à tout rompre. Leiftan avait été un appui indéfectible lors de mon arrivée à Eldarya. Il avait su être honnête à maintes reprises, quand je l’avais poussé à me donner des réponses sur le monde qui m’entourait. Et surtout, il avait accueilli Léana à mes côtés. Ce moment avec lui étais gravé dans ma mémoire.
Depuis ce jour, quelque chose avait changé. Étais-ce mes nouvelles facultés ou ma raison me jouait-elle des tours ? Mais ... je sentais sa présence. Je parvenais à discerner son aura parmi les autres, comme lors de mon absence au marché.
Il était là ... toujours.
Dans un geste insensé, j’approchais alors mon visage du sien pour embrasser ses lèvres que j’avais le sentiment d’avoir tant attendues. Son bras se resserra autour de ma taille, sa main se posant avec tendresse sur ma nuque. Il répondait avec douceur à mon étreinte. Je pouvais ressentir son maanas circuler dans ses veines, son énergie puissante et rassurante.
A travers ce contact, nos maanas se rencontrèrent et se partagèrent l’un à l’autre nos ressentis. J’y voyais tous ses sentiments inavoués, toutes ses craintes, ses hésitations et ses peurs. Je comprenais enfin toute l’authenticité, intense et passionnée, de ses sentiments à mon égard.
Et lui … que voyait-t-il de moi ? Probablement … mes doutes.
Chapitre 4 : Pourquoi se battre ?
Les semaines suivant cette excursion sur la plage, j’avais repris mes fonctions de psychologue auprès de l’Absynthe et effectué de nombreuses missions chez les Purrekos. J’avais besoin de temps pour me remettre des évènements que j’avais vécus à l’Ombre. Même si, je voulais cesser d'être une petite chose fragile, j'avais fini par prendre conscience des risques que j'avais encouru. Pourtant, Nevra m’avait assuré que les recrues étaient désormais informées de ma venue. Aussi, l’Orc qui m’avait agressée avait été destitué de ses droits au sein de la Garde d’Eel. Si je lui en étais reconnaissante, je ne me sentais toujours pas prête pour débuter les entrainements. Miiko avait donc dû en informer Markus afin de repousser ma venue à Phalael.
J'avais profité de ce temps pour m’occuper de ma fille. Sibyl avait insisté plusieurs fois en me croisant au réfectoire ou dans les couloirs pour venir nous voir. J'avais fini par abdiquer face à son engouement et elle s’était émerveillée, comme à son habitude, devant ma petite bouille blonde. Karenn et Chrome était revenus à l’Ombre et elle m’avait supplié pour que je les rejoigne. Seulement, je n’en avais pas le courage… Ses passages éclair dans mon quotidien chargé avait au moins eu l’avantage d’être une bouffée d’air frais.
D'ailleurs, Lucina et moi formions une bonne équipe pour organiser mon planning. Elle avait eu la gentillesse de pouvoir se libérer à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Cela m’avait permis de mettre en place des permanences en soirée pour certaines créatures nocturnes.
Puis, j’avais aussi créé des groupes de paroles avec les habitants du refuge afin d’échanger autour de leurs difficultés liées aux catastrophes naturelles qui avaient ravagé leurs terres. Ils m’avaient alors confié que les territoires d’Acragas et de Locrouge étaient les plus touchés par cette instabilité dans le maanas. Les mines de Locrouge, qui avait été attaquées par les loups de Týr, s’étaient effondrées, foudroyées par un éclair. Puis, elle fut ensuite noyée par un orage indescriptible. À Acragas, c'était le village de Malac, comportant à l’époque le plus grand nombre de champs et de bétail, qui avait été également inondés par la rivière. Par ailleurs, le dirigeant d’Acragas n’avait plus aucune autorité sur ses habitants. Les nombreux groupes de mercenaires s'y étant installé, brûlaient les terres et vendaient les paysans pour les réduire en esclavage.
Ces groupes de parole m’avaient permis de réaliser à quel point le cristal avait une importance capitale pour Eldarya. J’avais les capacités nécessaires pour retrouver ses morceaux éparpillés, mais j’étais aussi terrifiée par ce qu’impliquait cette nouvelle responsabilité. Cela m’amènerait à partir en expédition durant des mois en laissant ma fille. Mon altercation avec cet Orc démontrait surtout que ces excursions signifieraient risquer ma vie ...
Eweleïn, fidèle à elle-même, avait tenté à maintes reprises de savoir pour quelle raison j’avais perdu mon enthousiasme habituel. En effet, après avoir trouvé le morceau de cristal dans un creux de la falaise, j’avais expressément demandé à Leiftan de ne pas révéler mon identité et ce nouveau pouvoir à Miiko. Nous avions alors décidé de dire que nous étions tombés sur ce cristal en chemin. Pour le moment, je préférerais garder cette information secrète. De plus, je n’avais aucune confiance en cette cheffe. Mes origines m’appartenaient et j’avais besoin de temps pour accepter ce que cela allait impliquer.
À mon plus grand étonnement, Nevra ne m’avait pas interrogée à ce sujet. Il n’avait même rien dit lors de l’assemblée où nous avions donné la pierre à Miiko. Pourtant, il savait que nous étions partis dans l’objectif que je retrouve ce morceau de cristal. Même si j’avais la certitude que ni Nevra, Eweleïn ou Lucina ne trahirait ma confiance, j’avais peur de découvrir leurs réactions. Alors, je continuais à conserver ces informations pour moi.
Finalement, je fuyais ces nouvelles responsabilités et je m’enfermais peu à peu dans une forme de mutisme auprès de mes seuls alliés. Je ne voulais pas prendre le risque de perdre ce que j’avais construit ici. Mon château de carte menaçait de s’écrouler, à chaque instant, face au secret que je détenais. Durant ces semaines, j'avais donc esquivé les questionnements d’Eweleïn, Lucina et même de Sibyl concernant mon changement d’attitude et, par la même occasion, j’évitais d’être en présence de Nevra.
Mais, surtout ... je fuyais Leiftan. Nous n’avions pas échangé à propos de notre baiser sur la plage, mais j’avais compris ses sentiments et il avait probablement saisi les miens. J’étais tout simplement effrayée à l’idée de m’attacher à lui et par ce que cela entraînerait. Je ne voulais pas le perdre … mais j’allais perdre mon monde en étant avec lui.~*****~
Alors que je rangeais mes comptes rendus d’entretien dans mon armoire, ma porte s’ouvrit à la volée.
- C’est ici le bureau des pleurs ?
En me retournant, je fus intimidée par la beauté obscure qui se tenait devant moi. Une grande jeune femme, aussi séduisante que terrifiante, braquait ses yeux sombres comme la nuit dans ma direction. Elle était vêtue d’une longue robe foncée au dos échancré pour faire passer ses deux ailes de chauve-souris, repliées sur ses omoplates. A la vue de ses longues griffes et de sa fine queue partant en pointe, j’eus un mouvement de recul.
- Si ce n’est pas ici, je m’en vais, cracha-t-elle
Elle se tourna violemment, ses fins cheveux noir tombant jusqu'au bas de ses reins volant dans son mouvement. Il fallait que je me ressaisisse. J’avais déjà côtoyé de nombreuses créatures surprenantes. Je ne pouvais décemment pas me laisser déstabilisée maintenant.
- Attendez ! C’est bien ici. Que puis-je faire pour vous ?
Ses yeux se plissèrent, un sourire provocateur se dessinant sur ses lèvres. J'eus froid dans le dos en la voyant jouer avec ses doigts aiguisés. Puis, elle m'observa brièvement de haut en bas, avant de s'asseoir nonchalamment sur le rebord de mon bureau.
- Rien. répondit-t-elle simplement
- Qu’est-ce qui vous amène ici ?
- Nevra.
- Savez-vous pour quelles raisons ?
- Non.
Je compris rapidement que nos échanges risqueraient de tourner en rond. Visiblement, elle était ici sous la contrainte.
- Alors pourquoi êtes-vous venue ?
- Il me l’a commandé.
D'un mouvement de tête hautain, elle sembla me demander de poursuivre mes questionnements inutiles.
- Si vous n’attendez rien de moi, que vous ne savez pas pourquoi vous êtes venue et vu que vous n’avez pas l’air disposée à me parler, je vous demanderais donc de bien vouloir sortir de mon bureau pour laisser la place à quelqu’un qui en aura réellement besoin.
Je lui indiquais la sortie du bout de mon doigt avec fermeté. Malgré tout, j'appréhendais sa réaction. Par chance, elle se releva simplement en me souriant.
- Je comprends mieux pourquoi notre chef t’aime bien.
Quoi ? Elle devait probablement parler de Nevra.
- Oui je parle de Nevra.
Elle lit dans mes pensées ?
- Vous êtes juste prévisibles, vous les femmes.
Il fallait qu’elle arrête de faire ça !
- Qui êtes-vous ? lui demandai-je sèchement
- Irine.
J’avais déjà entendu ce nom à l’infirmerie. Eweleïn m’en avait parlé quand Nevra s’était blessé.
- Bon, je retourne à l’entrainement. J’ai fait l’effort de me déplacer, ça devrait lui suffire.
Sans demander son reste, elle sortit, laissant un souffle glacial dans la pièce. Comment Nevra avait-il pu s'imaginer qu’une personne, comme elle, puisse se confier à moi ? Elle n’avait pas l’air enclin à me parler. Toutefois, l’attrait que me provoqua cette rencontre me poussa à rejoindre le manoir des Ombres à la hâte. Je savais qu’à cette heure, Nevra devait y entrainer ses troupes. Il me fallait des explications. Je pris alors la direction du labyrinthe au pas de course. La curiosité était un vilain défaut, mais je sentais que quelque chose se tramait dans mon dos.
En arrivant au manoir, Nevra n'était pas installé sur son trône de fer. Ses recrues s’entraînaient avec ardeur en s’échangeant de violents coups de poignard. Leurs cris résonnèrent dans mes oreilles, s’immisçant dans la moindre parcelle de mon corps. Puis, je sentis des mains se poser délicatement sur mes épaules.
- Je savais que tu reviendrais belle Ombre, susurra Nevra à mon oreille
Immédiatement, je fis volte-face pour m’arracher à son contact.
- Comment savais-tu que je viendrais ?!
- J’ai envoyé Irine en éclaireur. Je savais que ta curiosité t’amènerait à moi. Fais attention princesse cette qualité te perdra, se moqua-t-il
Furtivement, il toucha le bout de mon nez en riant, avant de poursuivre.
- Bon, étant donné que tu es là, que dirais-tu de t’entraîner un peu ?
J’approuvais aussitôt. Le manoir des Ombres déclenchait toujours en moi cette envie incontrôlable de combattre à leurs coté. Le maanas, fougueux et dynamique, qui provenait des recrues m’électrisait. Le vampire me poussa alors par la taille vers un mur de près de trois mètres de haut.
- Voyons voir ce que tu as dans le ventre, princesse. Saute ! me commanda Nevra
En étudiant l'obstacle, je compris que ce mur lisse, laissait comme unique option un saut maîtrisé en hauteur pour saisir le rebord et tracter mon corps à la seule force des bras. Le regard braqué sur mon objectif, je m'élançais sans me poser de question.
Fléchissant les genoux, prête à la détente, je levais mes bras au-dessus de ma tête. J’essayais de tendre mon corps au maximum pour avoir une chance, même infime, de frôler mon but. Dans mon élan, je me sentis percuter le mur sans parvenir à sa bordure. Mon corps glissa brusquement vers le sol, mes genoux rejoignant durement les graviers qui jonchaient le terrain.
- Recommence, m’ordonna mon chef
Frottant vigoureusement mes genoux égratignés, je me redirigeais vers mon commandant pour poursuivre ma tâche. Une course, une détente, un choc … À de nombreuses reprises mon corps s’écrasa sur l’obstacle, mes membres frappant le sol, accentuant ainsi mes écorchures. Nevra m’obligeait à continuer. Dans tous les cas, je voulais y arriver. J’allais y arriver ! Ce n’était qu’un misérable petit mur inoffensif.
- Arrête ! Tu réfléchis trop et tu te précipites. Tu ne dois pas visualiser l’obstacle, tu dois imaginer ce qu’il y a à atteindre derrière, exigea mon commandant
Prise d’une énergie nouvelle, je courais vers le mur en suivant ses conseils. Une course, une détente … et je saisis la bordure. Suspendue à la seule force de mes bras, je tentais de soulever mon corps épuisé par l’effort. « J’y suis presque » m’encourageais-je. Mon coude se issa difficilement sur le rebord me donnant l’appui nécessaire pour soulever le reste de mes membres. J’y étais ! Définitivement arrivée à mon objectif, je me redressais debout sur le mur, les bras relevés en signe de victoire.
- J’ai réussi ! m’écriais-je avec fierté
Je vis un léger sourire se dessiner sur le visage de Nevra. Puis, il s’effaça pour laisser place à un regard sérieux.
- Bien, recommence, m’imposa-t-il
J’avais dû répéter cette action de nombreuse fois, en échouant et en réussissant. Ma tête tournait et mes plaies était douloureuses, mais je n’abandonnais pas. L’effort faisait disparaitre tous les évènements de ces dernières semaines. Il me propulsait au-delà de ma simple personne, évacuant tous mes doutes et toutes mes peurs. Je sentais mon maanas se mobiliser et se concentrer sous la tension de mes muscles contractés. J’étais étonnée de cette énergie qui semblait grandir en moi. Tout ceci-ci ne confirmait-il pas que ma condition d’humaine était révolue ? Quoi qu'il soit, en cet instant, j’avais le sentiment de revivre.
Par la suite, Nevra me dirigea vers plusieurs murs de formes différentes : plus haut, plus abrupt, moins lisse avec des prises, des piques … Les uns après autres, je les devais gravir pour développer l’agilité et la rapidité nécessaire afin de pouvoir les enchainer. Puis, Nevra me demanda de m’entrainer à grimper aux cordes qui surplombait les obstacles pour me permettre de les traverser plus aisément. Je devais également apprendre à courir plus vite et plus longtemps. La souffrance que je ressentais n’était que le signe de ma persévérance. Je poursuivais enfin mon but, aussi infime soit-il.
Après plusieurs heures d’entrainement, je suffoquais, le corps penché et les mains sur les genoux, cherchant le reste d’oxygène qui alimentait mes poumons. Nevra vint alors ébouriffer mes cheveux trempés par ma sueur.
- C’est bien, mais sache qu’à l’avenir, ce n’était que l’échauffement. Repose-toi. À demain princesse, conclu Nevra en regagnant son trône
Avant d’envisager l’ascension des marches qui me feraient regagner mon lit, je dû trainer mon corps meurtri jusqu’aux gradins pour m’y asseoir La tête posée dans mes mains, je reprenais peu à peu mon souffle. Soudain, une tornade enflammée, agrippa mes épaules pour me secouer avec joie. Je ne l'avais pas vu arriver, cependant je reconnu aussitôt sa voix enjouée.
- Je suis troooop contente de te voir !! s’exclama Sibyl
- Moi aussi je suis contente de te revoir Sibyl. Mais peux-tu arrêter de me secouer ? Je suis éreintée ... réclamais-je gentiment
Elle cessa, s’installant joyeusement à mes côtés.
- Tu vas vraiment rester avec nous cette fois ? me supplia-t-elle la mine boudeuse
Sibyl était un vrai rayon de soleil dans ma vie. Je commençais réellement à l’apprécier.
- Oui, oui je vais rester. Tu t’ennuierais sans moi n’est-ce pas ? la taquinais-je
- Oooh oui ! Je vais te présenter à Karenn, puis à Chromounet et il faudrait aussi que tu revoies Eros ! Ça va être super d’être tous ensemble, s’excita-t-elle en sautillant
- Demain Sibyl … Il faut que je me repose avant.
En lui souriant sincèrement, j'entrepris de sortir du manoir, quand je sentis des regards se poser sur moi. Deux femmes, une sirène et une huldre, m’observaient du coin de l’œil en chuchotant probablement à mon sujet.
- Pourquoi me fixent-elles de cette façon ?
La sorcière regarda dans la direction que je lui avais indiqué d’un mouvement de tête.
- Elles, pfff … Alajéa et Esther. Je n’arriverais jamais à comprendre comment elles arrivent à s’entendre toutes les deux. Leurs seuls objectifs dans la vie sont de courir après notre commandant et de faire fuir les nouvelles recrues féminines. Il faut dire que Nevra cherche les ennuis en les côtoyant alternativement.
Ses sourcils étaient froncés, je n’avais jamais vu une telle expression sur le visage de Sibyl. Elle semblait ne pas les apprécier. Son regard s’illumina de nouveau, lorsqu'elle continua la conversation sur un ton provocateur.
- Il faut dire que tu fais de l’effet à notre chef.
- Quoi ? Non !
- Rooh, allez ! Il n’entraine pas personnellement ses Ombres, normalement.
- Je n’ai rien demandé moi.
- Justement ! C’est d’autant plus suspect. Aurais-tu le pouvoir d’ensorceler notre commandant ?
- Quoi ! Mais non … Je n’ai rien fait de la sorte.
Elle s’esclaffa de plus belle, les yeux brillants d’une étincelle taquine. Qu’était-t-elle en train de me dire ? J’avais cru comprendre que Nevra était une personne charmeuse qui ne s’attachait pas.
- Peu importe. Ne te préoccupe pas d’elles. Elles se lasserons. Puis, tu es avec nous maintenant, on va former une formidable équipe tous les cinq, se réjouit-t-elle
J’acquiesçais à sa remarque. Les Ombres allait devenir une nouvelle famille. Je ne devais pas me laisser abattre par quelques recrues qui se mettraient en travers de mon chemin. En tout cas, cet entrainement m’avait requinquée. Cette fois ci, ce ne serait le dernier !
Après avoir pris congé de la sorcière, je retrouvais ma chambre en traînant des pieds. J’étais exténuée, toutefois je pris le temps de changer ma fille et de la bercer tendrement en lui murmurant tout mon amour.
Puis, en repensant à cette énergie vitale qui m'avait traversé lors de l’entraînement, je compris qu'elle m'avait accompagnée dans chacun de mes mouvements, qu'elle nourrissait mes muscles et me donnais la force nécessaire pour avancer. L'humaine en moi disparaissait peu à peu, à mesure que j'acceptais d'accueillir le maanas parcourant mes veines. Cependant, je m’étais construite en tant qu’humaine et jamais je n’oublierais ces origines qui avait forgé le mental dont je pouvais faire preuve aujourd’hui … Finalement en rejoignant mon lit, je m’étais aussitôt endormie éreintée par cette journée.~***~
Le lendemain, j’avais dû expliquer à Lucina et Eweleïn que j’avais débuté mes entrainements à l’Ombre. Ma fée du Logis en était ravie et m’assura qu’elle prendrait soin de Léana durant mes absences.
Pour Eweleïn se fut une tout autre histoire ... Elle se retrouvait contrainte de nommer l'une de ses recrues pour gérer mes groupes de parole qui auraient lieu dans les prochains jours. Je m'en voulais d'abandonner ces groupes que j'avais initié. Seulement, j'avais besoin de donner un sens à ma vie ici et étonnamment l'Ombre m’y aidait. L’infirmière ne comprenait pas pourquoi je m’obstinais à vouloir être une Ombre, alors que j’avais un rôle primordial dans sa Garde. À demi-mot, c'était sa façon de me dire qu'elle s'inquiétait pour moi. D'ailleurs, Ezarel avait jubilé en m’entendant raconter à Eweleïn mes exploits de la veille. Il fallait bien avouer que mes prouesses étaient minces et que ma charmante infirmière avait dû panser plusieurs de mes blessures. Mais, je restais toujours déterminée à poursuivre sur cette voie !
De retour au manoir, je fus aussitôt accueillie par Nevra.
- Tu es prête, belle Ombre ?
Il m’accompagna sur différents obstacles pour « s’échauffer » me disait-t-il. J’avais surtout la sensation qu’il s’amusait à me malmener. Cependant, je ne voulais pas lui faire un tel plaisir. Je continuais alors à franchir les murs, agripper les cordes, tomber au sol et me relever encore et toujours. Comme une forme de danse incessante, j’exécutais les mouvements commandés par mon chef avec le maximum d’agilité à ma disposition. Ce ne fut pas toujours une réussite, bien au contraire, mais je ne lâchais rien.
- Échauffement terminé.
- Quoi ? Mais, ça fait à peine une heure.
- C’est bien d’apprendre à savoir décamper, princesse. Seulement, tu ne pourras pas continuellement fuir. Je veux que tu puisses te défendre.
- De quelles manières ?
- Viens avec moi.
Je le suivi jusqu’à l’étalage d’armes où étaient entreposés les couteaux, poignards, dagues, épées et les arcs.
- Les Ombres ne sont pas des combattants au corps à corps, comme le sont les Obsidiens. Nous utilisons des armes légères, maniables et dissimulables.
Il fit tournoyer une dague entre ses doigts avant de me la tendre par le manche.
- Je veux que tu puisses atteindre une cible avec ça.
Hésitante, je la saisis pour l’étudier du regard. Sa lame, de vingt centimètres à vue d’œil, était finement aiguisée en pointe, des gravures elfiques longeant l’acier forgé. Le manche, fait de bois foncé et d’argent sculptés, lui donnait un aspect élancé. Elle était en effet légère, sa garde épousant parfaitement le creux de ma main.
- Elle est à toi.
- Merci … répondis-je faiblement
J’avais une arme entre les mains et il me demandait de l’utiliser. Je savais ce que ça impliquait à l’avenir. Mais, si j’étais prête à m’entrainer avec, étais-je prête à m’en servir contre un être vivant ... ?
- Je veux juste que tu puisses sauver ta vie en cas de besoin.
En arrêtant la contemplation de ma dague, je vis que Nevra m’observait d’un air attristé. Je ne pus plus contenir cette question qui brûlait mes lèvres depuis plusieurs jours.
- Pourquoi tu n’as rien dit à Miiko ? Tu savais que nous mentions concernant le morceau cristal ...
- Je te devais bien ça.
- Tu ne me dois rien.
- Tu t’es fait étrangler sous mon commandement, s'agaça-t-il
- Mais, tu ne peux pas surveiller toutes tes recrues, l’excusais-je
Nous ne nous étions pas lâchés du regard. Il ne me devait rien, il avait déjà payé sa dette en excluant l’Orc.
- Que s’est-t-il passé à la plage ? m'interrogea-t-il sérieusement
- Rien … mentis-je
- On t’a déjà dit que tu mentais mal ? se moqua-t-il en souriant à pleine dent
- Oui, Eweleïn me l’a fait remarquer.
- Elle est perspicace cette Elfe.
Sans rien ajouter de plus, il me demanda de le suivre vers les cibles en paille. Nevra avait la délicatesse de comprendre que je n’étais pas encore prête pour aborder ce qui c’était passé devant l’océan. Certes, j'étais une phénix. Mais, j’avais surtout la capacité de reconstituer le cristal brisé. Je me doutais que cette faculté m'obligerait à partir en expédition sur les terres d'Eldarya. Cependant, je ne voulais pas être un pion que Miiko utiliserait à sa guise. Il fallait que je trouve un moyen de tourner cette révélation à mon avantage.
Surtout, il fallait que les évènements liés à cette information restent secrets. Nous avions, tous les deux, mentis et cela durait depuis bien trop longtemps ... Qu'arriverait-t-il à Leiftan si Miiko l’apprenait ? Si, elle savait qu’il lui avait caché la vérité dans l’unique but de me protéger ? Cela faisait des jours que je le fuyais dans les couloirs de la Garde, alors qu'il était capable de prendre ce risque pour moi. Qu'elle égoïste faisais-je ! Dire cas une époque, je lui en avais voulu de m'avoir laissé seule et aujourd'hui, je passais mon temps à l'éviter.
Perdu dans mes pensées, je fus interrompu dans mes atermoiements par Nevra qui agitait sa main devant mon visage.
- Alors, princesse ! Montre-moi comment tu lances cette jolie dague.
Je dû reprendre contenance afin de visualiser ma cible. Elle devait être placée à plus d’une dizaine de mètres de nous. Je me mis alors en face, pliant mon bras derrière mon crâne, en priant pour parvenir, au moins, à l'enfleurer. En le dépliant avec force, mon corps pivota et la lame s’écrasa au sol à plusieurs mètres de mon objectif. Des rires s’élevèrent alors derrière moi. Alajéa et Esther m’observaient des gradins, un sourire provocateur aux lèvres. Elles me donnèrent presque envie de les prendre pour cibles.
- Tu dois y mettre plus de forces. Ton corps ne doit pas bouger, c’est uniquement ta main qui donne un mouvement circulaire à ton poignet, d’un coup sec, me conseilla le vampire sans prêter attention aux jeunes femmes
Tout en parlant, il avait saisi mes hanches et replacé mes épaules, avant de m'ordonner de recommencer. J'avais beau me concentrer et suivre ses conseils, je manquais ma cible à chaque fois, ce qui accentua évidemment les moqueries des deux vipères qui tournaient autour de notre commandant. La dague en main, je serrais férocement les dents pour m'empêcher de pivoter dans leur direction. Pourtant, Nevra ne réagissait pas. Il continuait à m’encourager à poursuivre en repositionnant ma taille plusieurs fois.
« Tu ne dois pas visualiser la cible. Tu dois imaginer ce qu’il y a derrière » me rappelais-je
Plier, déplier, pivoter le poignet … Ma dague s’élança en effectuant de rapides rotations sur elle-même et percuta la cible avant de retomber dans les graviers. Des éclats de rire se firent de nouveau entendre dans mon dos. Agacée, j’avançais vers ma dague pour la ramasser. Puis, je me retournais vivement dans leur direction. Plier, déplier, pivoter … Ma lame s’arrêta net à leurs pieds.
- T’es folle ! s’écria la sirène
- Fichez le camp ! m’emportais-je
Les vipères prirent leurs jambes à leur cou, en marmonnant, pour aller s’installer sur un atelier de combat à l’épée.
- Tu aurais pu les blesser, me fit remarquer Nevra un sourire en coin
- De toute façon, je savais que je n’arriverais pas à les atteindre. Malheureusement ...
Nous rîmes de mon impertinence, avant de reprendre l’entrainement dans le calme. J’avais des difficultés à donner la force nécessaire à ma dague afin qu’elle s’enfonce dans la paille. Je dû m’y reprendre à maintes reprises pour réussir à la planter, une seule fois, dans la cible. Par la suite, Nevra me demanda de me reposer. En voyant, Sibyl me regarder des gradins, j'allais alors la rejoindre pour m'asseoir près d'elle en silence. Je fis simplement un signe de tête à Eros qui était installé derrière nous.
- Tu les as bien remises à leur place ces mégères, me fit-il remarquer
- Je me suis laissé submerger par mes émotions. Ça ne se reproduira pas.
- Dans tous les cas, tu ne les auras plus dans tes pattes maintenant. Ce sont deux grandes bouches, mais elles ne feraient pas de mal à une musarose.
Sibyl nous écoutait, la mine basse, ce qui m’inquiéta.
- Comment tu vas Sibyl ? On ne t’entend pas aujourd’hui …
- Elle boude, ricana Eros en ébouriffant les cheveux de la sorcière
Sur ces mots, elle se retourna brusquement pour donner des coups à Eros qui riait de plus belle.
- Tu m'as dit que j’étais une « sorcière de pacotille » ! Tu es constamment méchant avec moi, se plaignait-t-elle en le frappant
- Mais, c’est toi qui as commencé en me traitant de « corbeau de malheur ».
Nous nous esclaffâmes en cœur face à leurs pitreries. Même si, ces derniers mois avaient été difficile et que ce à venir risquaient l'être également, je me sentais bien à leur côté. J'avais le sentiment d'avoir trouvé ma place, dans la Garde de l'Ombre ...~*****~
Je n’avais pas vu la semaine s’écouler. Lucina s’occupait de ma fille à merveille et je passais mes soirées à la remercier, maintes et maintes fois, pour son aide. Léana grandissait à vue d’œil, des petites mèches blondes remplaçant peu à peu, son léger duvet. Je m'efforçais toujours de prendre le temps de la bercer, de l’embrasser et de lui raconter les évènements - banals - de ma journée, avant de m’écrouler dans mon lit exténué par mes entraînements.
Chaque matin avant mon départ au manoir, Eweleïn soignait mes plaies de la veille. Elle en profitait donc pour me réprimander gentiment concernant mes actions dans l’Ombre. L’infirmière, qu’elle était, n’appréciait pas que nos corps soit meurtris par l’effort. De plus, mon imprudence lui avait été rapportée par les vipères. Bien évidemment, elle n’approuvait pas mon geste et je ne pouvais pas lui donner tort. Toutefois, je n’avais pas souhaité, un seul instant, à les blesser. Certes, je m'étais sûrement emportée pour pas grand-chose et les remontrances d'Eweleïn m'avait encore plus fais regretter mon attitude.
Quoi qu'il en soit, mes entrainements à l’Ombre étaient de plus en plus intensifs. Nevra me commandait d’une main de fer. Heureusement, mon corps commençait doucement à s’habituer aux épreuves que je lui faisais subir. Je me sentais devenir plus rapide et plus souple lors des échauffements. Malgré cela, lorsque j’observais Nevra franchir les obstacles avec une facilité déconcertante, je devais bien avouer que je l’enviais.
Quant à mes capacités de tir ... elle restait médiocre. J’avais compris les mouvements à effectuer et parvenais parfois à atteindre les endroits que Nevra m’ordonnait de viser. Cependant, ma lame ne se plantait pas souvent dans la paille. Il fallait alors que je développe ma force de projection.
Forcément, j’avais aussi recroisé Sibyl et Eros qui, comme à l’accoutumée, se chamaillaient gaiement. Leur compagnie m’était devenu indispensable pour maintenir le cap. Étonnamment, je n’avais toujours pas rencontré Karenn et Chrome. La sorcière m’avait expliqué qu’il leur arrivait de s’entrainer en dehors du manoir et que la sœur de Nevra adorait « fouiner » dans les couloirs de la Garde plutôt que de parfaire ses techniques de combat.
Cette semaine m’avait alors permis d’oublier mes responsabilités. Je continuais toujours à leur cacher mon identité et mes pouvoirs, mais ils avaient également cessé de me questionner. Mon château de carte se stabilisait, néanmoins je savais que cela ne pourrait pas durer.
Je devais maintenant trouver une solution pour leur expliquer, sans leur avouer que nous avions mentis … Cette tâche n'allait pas être aisée, toutefois j'étais de plus en plus prête à franchir ce pas. Il ne me manquait plus qu'une seule chose pour y parvenir : Leiftan ...
Nevra m’avait informée qu’il avait été convoqué avec Valkyon, à Phalael. Cela m’avait fait réaliser qu'il me manquait ... Il hantait mes pensées jours et nuits, sans que je sache comment me délivrer de son emprise. J’avais construit un rempart infranchissable entre nous, qu'il n’avait pas tenté de gravir. Pourtant, au fond de moi, j'aurais eu envie qu’il le détruise.
Quelle hypocrisie ! J’avais moi-même bâti ce mur et j’attendais maintenant, de lui, qu’il vienne l’abattre. Je m’écœurais d’être aussi indécise. J’avais senti la sincérité de ses sentiments à mon égard. Et moi ... étais-je capable de lui donner autant qu’il semblait vouloir m’offrir ?~*****~
Ce jour-là, je m’entrainais comme à mon habitude à lancer ma dague, quand je fus interrompue par Sibyl qui se ruait vers moi.
- Ils sont revenus ! Ils sont revenus !
- Qui ça ?
- Je pense qu’elle parle de Leiftan et Valkyon, intervint mon chef
- Oui ! Oui ! Karenn a entendu dire que toi et Norya alliez être convoqués. Markus est là aussi, s’excita-t-elle
Nevra et moi, nous regardions inquiets, pendant que la sorcière gesticulait autour de nous. Pourquoi Markus était-il revenu ? Pourquoi étions-nous convoqués ? L’angoisse monta instantanément dans le creux de mon estomac, une boule se formant peu à peu, dans ma gorge. Une question traversa alors mon esprit : Leiftan m'avait-t-il trahi ... ?
- Bien, allons-y belle Ombre.
D'un pas mal assuré, je l'avais suivi dans le labyrinthe. Sibyl nous avait alors quittée joyeusement, pour rejoindre Eros, sans constater notre attitude troublée. J’étais terrifiée par ce qui pouvait ressortir de cette entrevue, tandis que Nevra marchait silencieusement à mes côtés. Nous savions tous les deux que j’avais caché la vérité. Toutefois, le vampire ne connaissait pas la teneur de mon mensonge. Finalement, ne l’avais-je pas moi-même trahi ? Cette pensée m’horrifia. J’avais alors trahi mon commandant, Eweleïn, Lucina, Sibyl et même Eros. J’avais caché la vérité trop longtemps … Comment pourrais-je leur reprocher de m’en vouloir ensuite ?!
Soudain, mon corps s'arrêta net en plein milieu d'une galerie. Mon cœur battait la chamade, le sol semblant tanguer. Sous l'effet de la panique, je me sentis vaciller. Nevra se précipita alors dans ma direction pour saisir me par les épaules.
- Hé, princesse ! Ça va ?
- Je ne veux pas y aller …
- Nous n’avons pas le choix. Il faut assumer maintenant ...
Assumer ? Mais, savait-t-il au moins ce que signifiait « assumer » dans mon cas ?
- Tu ne sais pas ! Tu n’étais même pas là ! Tu ne peux pas comprendre, crachais-je
- Alors, explique-moi, princesse ? Fais-le toute suite, avant qu’il ne soit trop tard.
- Non !
De toute façon, il était trop tard ! Je ne pouvais pas lui expliquer. J’avais déjà mis Leiftan dans cette situation, je ne voulais pas y inclure Nevra. Cette renarde m’effrayait ... je ne parvenais pas à savoir de quoi elle était capable pour faire régner l'ordre à Eel. Puis, j'avais de sérieux doutes quant à sa capacité à pardonner un tel mensonge. L’Oracle seul savait ce qu’il allait advenir de nous maintenant.
- Donne-moi une seule bonne raison de ne pas insister ?
- Tu en sais déjà trop … Je t’en prie Nevra. Quoi qu’il arrive, reste en dehors de ça …
Je savais que je n’étais pas dans mon droit en donnant un tel ordre à mon chef. Mais, je voulais l’épargner. Depuis des semaines, il avait été présent pour m’encourager. Alors, je ne voulais pas qu’il puisse lui arriver quoi que ce soit. Il obtempéra sans un mot et nous poursuivîmes notre route dans les souterrains. Il avait raison sur un point : je devais assumer ... seule.
En arrivant devant l’entrée de la salle du cristal, nous entendîmes aussitôt des hurlements parvenir jusqu’à nous.
- Comment ?! vociféra la renarde
- Un peu de tenue Miiko, lui demanda Markus
- Une phénix ! Vous vous moquez de moi ! aboya-t-elle
C’était sûr … Ils savaient. Désemparé, Nevra me lança un regard, avant de se ressaisir.
- Attends-moi ici.
- Non ! Maintenant que vous savez, je vous dois des explications ...
Sans attendre, je pris les devants pour gravir les quelques marches qui me séparaient de la salle du cristal, suivie de près par mon commandant. J'eus à peine temps d'entrer que Miiko m'interpella sèchement.
- Toi ! Depuis quand nous mens-tu ?!
- Elle n’a pas menti. J’ai …
- Tais-toi, Leiftan ! s’égosilla-t-elle
Leiftan ... J’avais l’impression de n’avoir pas revu ses émeraudes depuis si longtemps. M’avait-t-il vendue à Markus ? Que s’était-t-il passé exactement ? Pourtant, je voulais lui faire confiance ... il m’avait tellement manqué. Dans tous les cas, je n'avais plus rien à perdre. Il fallait que je montre déterminée maintenant.
- Un mois, répondis-je fermement
- Valkyon, Ezarel, Nevra ! Sortez ! ordonna-t-elle
Valkyon sortit sans un mot, suivi par Ezarel. En passant devant moi, l'elfe me chuchota qu’il aurait souhaité être là pour participer à la décision concernant ma sanction ... Définitivement, il pouvait être insupportable.
- Je ne sortirais pas Miiko. Je le savais, avoua Nevra
- Quoi ? Non ! Il ne savait rien du tout !
Mais, qu’est-ce qu’il faisait ? Je lui avais demandé de ne pas intervenir !
- Tu savais ! Comment ça tu savais ? cracha la renarde
- Calmons-nous, estima Markus
Debout au centre de la grand salle, la cheffe n'avais pas cesser de me toiser sévèrement du regard, alors que Markus m'était toujours insondable. Depuis le début de nos échanges, Nevra et moi n’avions pas bougé de l’entrée, comme si les approcher accentuerait les foudres de la renarde. Adossé sur l'une rambarde, proche de la table installée sous le cristal, Leiftan était seul. Quand je croisais enfin ses yeux verts, j'eus la sensation de l'entendre s’excuser.
- Reprenons. Cela fait un mois que tu as connaissance de ta race de Faérie. Certes, c’est fâcheux de nous l’avoir dissimulé. Mais, depuis quand sais-tu que tu as la capacité de retrouver des morceaux de cristal ? commença majestueusement Markus
- Comment ?! aboya une fois de plus Miiko
- Depuis un mois également, répondis-je honnêtement
- Je devrais t’exécuter sur le champ !
Nous y étions … Elle voulait m’exécuter, de nouveau. J’avais l’impression que la renarde n’attendait qu’un faux pas de ma part pour mettre à exécution cette sentence. Leiftan observait durement sa cheffe, je savais qu’il devait refréner son envie de répliquer. À ma gauche, Nevra semblait d'ailleurs faire de même.
- Toutefois, nous n’en ferons rien Miiko. Tu sais bien que nous avons besoin d’elle, me défendit Markus
- Bien. Nous allons monter des expéditions sur les terres d’Eldarya pour retrouver les fragments de cristal. Nous l’exécuterons ensuite, conclu Miiko
- Non ! m’écriais-je
- Tu n’es pas en position de marchander ! cracha la renarde
- Vous non plus ! Si, je ne pars pas en expédition, vous ne retrouverez jamais ces pierres. Je refuse de partir sans une garantie de votre part que vous ne me tuerez pas après.
Nevra serrait les poings pour se contenir, tandis que Leiftan se contraignait pour ne pas intervenir. Certes, j’avais menti, mais je savais aussi que mes facultés étaient indispensables pour la cheffe. J’avais donc les choses en main ! C'était ce que je croyais ...
- Nous pourrions aussi exécuter ta fille, me menaça Miiko
- Non ! hurlais-je
- Non ! lâcha Leiftan
À peine avais-je entamé un mouvement dans sa direction, dans l’intention de lui faire ravaler ses paroles, que je sentis la main de Nevra me retenir dans mon élan. L’immense bâton de la renarde s’illumina alors, laissant s'échapper des vapeurs bleutées semblables à l’énergie du cristal. Qui était-t-elle réellement ... ?
Calmement, Leiftan s'approcha de sa cheffe pour la raisonner.
- Écoute-moi Miiko, comment le peuple accueillerait la nouvelle si tu t’en prends à un enfant ?
Elle n’allait quand même pas faire ça ? Je n’avais aucune confiance en elle, mais jamais je n’aurais pu imaginer qu’elle proférerait de telle menace.
- Nous te garantissons de trouver un moyen de vous ramener dans ton monde, toi et ta fille. Ce marché te conviendrait-t-il ? concéda Markus
Retourner dans mon monde ? Cela faisait longtemps que je n’y croyais plus, mais après un tel échange la réponse ne faisait aucun doute.
- Marché conclu, décidais-je
Après cette assemblée imprévue, j’avais quitté la salle du cristal au pas de course. Je ne voulais pas entendre Miiko contester la proposition de Markus. Je m'étais alors enfermée à double tour dans ma chambre, récusant Lucina sans lui donner d’explication.
Mon mensonge avait mis ma vie en danger et pire encore, j’avais mis la vie de ma propre fille en danger. Quelle mère étais-je depuis sa naissance … Je l'avais alors enlacée tendrement en pleurant toutes les larmes de mon corps. J’avais tellement peur de la perdre ...
Miiko était-t-elle véritablement capable de tuer un enfant … mon enfant ?
Leiftan et Nevra étaient venus tour à tour frapper à ma porte, mais je n’avais pas pris la peine de leur ouvrir, ni même de leur répondre. Il me fallait du temps pour assimiler toutes ces nouvelles informations. J’allais partir en expédition … ce qui signifiait laisser ma fille en connaissant les menaces qu’avait proféré la renarde. Ce soir-là, j'endormie anéantie par toutes les émotions m'ayant assailli.~*****~
À l'aube, je fus réveillée par des bruits provenant de derrière ma porte. Sans avoir besoin de me lever, je savais déjà qui c’était …
- Va-t’en Leiftan !
- Norya, je t’en prie, écoute-moi. Je ne suis pas à l'origine de tout ceci.
Brusquement, je me redressais, la colère m'envahissant de toute part. En ouvrant ma porte, submergée par ma haine, je lui crachais ces mots en plein visage.
- Ce n’est pas toi ! Alors, c'est qui ? Qui savait à part nous ? Tu as décidé de mettre ma vie en danger et par la même occasion celle de Léana !
- Tu sais que je n’ai rien dit. Tu le sens.
Il avait raison … Je ne ressentais aucun mensonge venant de sa part, uniquement de la culpabilité et de la peine. Alors, qui ? Qui m’avait vendue ? J’avais besoin de trouver un coupable, une justification face aux évènements.
- Qui ?! demandais-je sèchement
- Laisse-moi entrer. Je vais tout t’expliquer.
Sans lui jeter un regard, je retournais vers le berceau de ma fille, comme pour m’assurer de sa présence. Elle était bien là ... et forte heureusement, mes cris ne l'avaient pas réveillée. Quelques rayons de soleil illuminaient ses petites mèches blondes. Ainsi endormie, elle semblait apaisée. Elle ne pouvait pas avoir conscience du danger qui l’entourait.
Leiftan était entré à ma suite, refermant la porte derrière lui. Il prit alors place sur le fauteuil que Lucina avait installé dans ma chambre. Dos à lui, j’attendais qu’il se décide à poursuivre.
- C’est Valkyon, lâcha-t-il
- Valkyon ?! Mais … mais il n’était pas là ...
Interloquée, je lui fis face, sondant ses émeraudes pour y trouver un sens. Puis, en y réfléchissant, je me souvenais avoir ressenti une aura plus lointaine sur la plage. Seulement, je m’étais concentrée sur la découverte du fragment sans chercher à savoir de qui elle pouvait provenir.
- Il était là. J’aurais dû prendre plus de précautions, je savais qu’il avait pour habitude de venir méditer devant l’océan, admit-il
Ce n'étais pas logique. Pourquoi Valkyon n’avait rien dit à Miiko pour finalement en parler à Markus.
- Je ne comprends pas …
- Je vais essayer de t'expliquer.
Leiftan m'apprit que Markus était un dragon ayant la faculté de discerner certain souvenir. Le Lorialet avait donc pris pour habitude de se confectionner des potions de « brouilleur de pensées », avant de se rendre à Phalael. Cette potion lui permettait de cibler un souvenir à camoufler en présence du dragon. J’étais abasourdie face à de telles révélations. Si, j’avais fini par m’accommoder aux différentes créatures peuplant Eldarya, je restais toujours effarée par les pouvoirs que détenaient certaines d’entre-elles.
- Valkyon n’a pas pris de potion … compris-je
- Vraisemblablement, non.
- Pourquoi n’avait-t-il rien dit à Miiko auparavant ? Pourtant, il n'a jamais manifesté un quelconque intérêt à mon égard. Ça n’a pas de sens ? m’embrouillais-je
- C’est à lui de te l'expliquer.
Alors Valkyon se trouvait là. Il avait tout vu des évènements qui s’étaient déroulés à la plage. Tous ?! Je fus prise d’un vif mouvement de recul. Nous avait-t-il vus ?! Moi et Leiftan ?!
- Leiftan … Il nous a vus … paniquais-je
- Je ne pense pas. Il devait être reparti. Je ne l’ai pas questionné à ce sujet et Markus ne semble pas avoir saisi.
Je repris mon souffle en cherchant à faire un tri dans mon esprit. Si Markus avait le pouvoir de percevoir mes souvenirs, que pouvait-il avoir vu ? Nous nous étions croisés qu’une seule fois et il avait toujours arbitré en ma faveur.
- Qu’est-il capable de voir ?
- Markus à la capacité de percevoir des souvenirs qui auraient un impact sur la pérennité de son royaume.
Ce monde m’était encore inconnu sur bon nombre d’aspects, cette révélation me renvoyant à mes propres facultés. Qu’étais-je capable de discerner moi ? Je ne parvenais toujours pas à comprendre ce que j’éprouvais en présence du maanas circulant dans ces êtres vivants. Je me rendais bien compte que je pouvais saisir certains ressentis chez ces créatures. Cela m’avait, d'ailleurs, aidée pour exercer mes fonctions de psychologue au sein de l'Absynthe. Seulement, je ne savais pas pourquoi.
- Leiftan … pourquoi j’arrive à saisir les sentiments des personnes qui m’entourent ?
- C’est l’une des facultés des phénix. Vous avez une empathie surdéveloppée en tant que créature de l’âme et de l’esprit.
- Quelles sont les différences entre les phénix et les dragons alors ?
- Cela va dépendre de sa race et si la personne a décidé ou non d’accroitre son pouvoir. Les phénix et les dragons sont des êtres omniscients par principe, mais à différents niveaux. Les dragons peuvent discerner des souvenirs, tandis que les phénix auront accès aux émotions. Puis, certains sages de l’île de Jade possède également ces capacités.
J’assimilais ces éléments avec difficulté. Leiftan avait vécu dans ce monde et en connaissait sûrement les moindres arcanes de son Histoire. Pour ma part, j’arrivais sans élément de compréhension en ma possession. J’avais beau essayer par tous les moyens d’y trouver un sens, mais manifestement rien de ce que j’avais vécu dans mon monde ne pouvait s’apparenter ou se transposer à celui-ci.
- Quand nous avons recherché des informations sur ta race de Faérie, nous savions uniquement que tu avais eu la capacité de séparer ton esprit de ton corps. Comme nous te l’avions signalé, plusieurs espèces peuvent faire cela et pour différents objectifs, poursuivit-il
- Quelles espèces ?
- Les phénix, les dragons, les daemons, les mages ou encore les sorcières. Cependant, encore un fois, cela va dépendre de sa race, de la personne et de son envie de développer son pouvoir.
- Markus a cette capacité ?
- Non. C’est un dragon des glaces, il a uniquement développé son omniscience.
- Et Sibyl ?
- C’est une sorcière de feu.
Progressivement, je commençais à saisir d’où provenaient mes ressentis : j’étais une phénix. Toutefois, une question brulait encore mes lèvres sans que je parvienne à trouver une formulation cohérente.
- Pourquoi ai-je l’impression de pouvoir lire en toi plus que dans n’importe qui d’autre ?
Leiftan me regardait intensément, je sentis qu’il cherchait ses mots pour éviter de divulguer certaines informations que je ne serais pas encore en capacité d’entendre.
- Je suis la première personne à t’avoir permis de reprendre possession de ton corps sur la place du marché. Mais, surtout, cela fait suite aux événements sur la plage, avoua-t-il succinctement
Nous prenions chacun nos précautions pour aborder ce sujet, comme si prononcer le mot « embrasser » rendrait la situation plus réelle.
- Et toi … Qu’as-tu éprouvé ?
J’avais formulé cette question à haute voix sans le vouloir. Je ne savais même pas si j’étais prête à entendre sa réponse.
- Tes doutes, tes peurs, tes envies et … hésita-t-il
- Et … ?
- Tu ne m’as pas rejeté Norya. Si j’ai toujours la possibilité de ressentir ton énergie, c’est que tu ne m’as pas repoussé. Je comprends tes doutes et si j’ai choisi de m’éloigner, c’était pour ne pas interférer dans ta décision.
Je m’en doutais. Il ne voulait tout simplement pas m’aider à démêler mes sentiments à ma place … et il avait raison. C’était donc ça que ressentaient les Faéries quand ils se liaient ? Ce sentiment de connexion intense et troublante, une forme de partage d’émotions mutuelles. Cela signifiait que je m’étais liée à lui. Je n’avais jamais éprouvé cela dans mon monde.
Mon monde … Je venais d’accepter la proposition de Markus. J’avais alors admis, indirectement, que je voulais quitter Leiftan ? Mes pensées s’embrouillèrent de nouveau. Qu’attendais-je de nous ? Y-avait-t-il véritablement un nous ?
Nous fûmes interrompus par des coups sur ma porte.
- Princesse, ouvre-moi …
Je jetais un rapide coup d’œil à Leiftan qui ne semblait pas ravi de l’intervention du vampire.
- Je me suis entretenu avec Miiko et Markus. Ouvre ! m’ordonna mon commandant
Avant que je ne puisse me relever, Leiftan avait déjà pris l’initiative d’aller ouvrir. Lorsque, Nevra tomba nez à nez avec le Lorialet, je sentis les esprits s’échauffer.
- Toi ! Qu’est-ce que tu fais là ? Ça ne t’a pas suffi de trahir sa confiance, gronda Nevra
- Tu ne devrais pas me parler de confiance Nevra. Dois-je te rappeler les évènements qui se sont produits sous ton commandement ?
- Arrêtez ! m’écriais-je
Saisissant le bras de Leiftan dans mon élan, je l’éloignais de l’entrée. Je voulais qu’ils arrêtent de se réprimander à mon sujet. J’avais besoin d’eux. Il faisait partie de mes seuls piliers au sein des chefs de Gardes. J’invitais alors Nevra à entrer, refermant ma porte après lui. D’un air provocateur, il s’installa sur mon lit, tout en m’invitant à prendre à ses côtés. Je regardais Leiftan avec insistance pour lui passer le message de ne pas intervenir, avant de rejoindre le vampire.
- Nous t’écoutons. Qu’as-tu dit à Miiko et Markus ? commença le Lorialet
- J’ai obtenu un accord pour que ma Garde prenne en charge les expéditions. Mes Ombres sont les recrues les plus qualifiées pour ce type de missions furtives.
L’Ombre allait m’accompagner, ma Garde … Malgré ma peur, cette nouvelle illumina mon cœur. Je savais que les Ombres excellaient dans les missions de discrétion et qu’elles étaient réputées pour progresser rapidement sur les terres.
- De qui serait composée mon escouade ?
- Tu n’en n’as pas la moindre idée, belle Ombre ? insinua mon chef
- J’aimerais surtout que tu me la confirmes.
- Bien évidement Sibyl, Eros et moi-même seront présents pour t’accompagner. L’unité sera également composée de Chrome et d’Irine. Karenn a insisté pour y participer … J’ai donc fini par céder à ses caprices.
- Merci … murmurais-je soulagée
Je connaissais ces recrues. J’avais pu partager des moments de bonheur inexplicable avec Sibyl et Eros. Quant à Chrome et Karenn, je savais qu’ils étaient proches de mes deux amis. Mon avis était plus mitigé concernant Irine. Cette femme dégageait une sombre aura que je n’arrivais pas à percer. Toutefois, Nevra semblait la porter en estime et j’avais entièrement confiance en son jugement.
Seulement, je pensais à Leiftan … allait-t-il pouvoir nous accompagner ? Je croisais son regard en tentant d’y percevoir ses envies. Serais-je plus rassurée de le savoir aux côtés de ma fille ou à mes côtés ? Il y avait aussi Lucina, je savais qu’elle ne laisserait jamais personne s’approcher de Léana en mon absence. Eweleïn était également une alliée de taille pour protéger mon enfant.
Finalement, je n’étais pas seule ... J’avais mis du temps pour en prendre conscience, mais en cet instant, je sentis entourée de nombreuses personnes ayant, possiblement, une influence sur les décisions de Miiko. Puis, une question me traversa l’esprit en repensant au bâton de Miiko.
- Qui est Miiko ? Quel lien entretient-elle avec le cristal ?
- C’est une Kitsune. Cette race de Faérie est, depuis le début de la création d’Eldarya, garante de la survie du cristal. Elle est capable de puiser dans l’énergie du cristal pour utiliser certains de ses pouvoirs, m’expliqua Leiftan
- La création d’Eldarya … ?
- Les terres d’Eldarya sont une création des Faéries datant de l’époque où ils ont dû quitter votre monde. Il y a maintenant quatre cents ans.
- Malheureusement, malgré leur migration, les conflits n’ont pas cessé entre les humains et les Faéries. Ils ont dû puiser dans l’énergie du cristal pour faire apparaitre des portails entre les deux mondes, continua Nevra
- Donc, c’est le cristal qui a fait apparaitre les portails à l’époque de la guerre ?
- En effet, je t’avais expliqué qu’Eldarya avait rejeté les humains en faisant apparaitre de nombreux portails. Les Kitsunes avaient alors dû puiser dans l’énergie du cristal et cela avait affaibli le maanas de la pierre, compléta le Lorialet
- Quand Markus m’a promis un retour dans mon monde, c’est qu’il pense utiliser les facultés de Miiko au risque d’épuiser l’énergie du cristal ? émis-je comme hypothèse
- Probablement, mais nous ne saurons pas où ce portail apparaitra et l’énergie demandée devra être extrêmement importante. Tu n’es pas humaine Norya … conclu Leiftan
Mon souffle était court et ma tête tournait, je venais d’apprendre de nombreux éléments de compréhension sur ce monde. Seulement, je peinais à les intégrer. Markus était un dragon des glaces qui pouvait percevoir certains de nos souvenirs ; Miiko une kitsune qui pouvait faire apparaitre des portails à l’aide du cristal ; j’étais un phénix ayant une capacité d’empathie surdéveloppée et certainement d’autres pouvoirs inexploités … et j’allais partir en mission pour retrouver les fragments de cristal dans l’objectif de « probablement » rejoindre ma terre. Dans mon monde, cette situation invraisemblable aurait pu m’arracher un rire. Mais, ma fille et moi, nous étions bien vivantes et tout ceci était devenue notre réalité.
- Est-ce que vous pouvez me laisser … soufflais-je faiblement.
La journée venait juste de commencer, pourtant j’étais exténuée. J’avais besoin de temps pour réfléchir seule. Je savais que je pouvais compter sur eux. Toutefois, ils ne pouvaient pas comprendre ce que je vivais en ce moment.
- Miiko et Markus souhaitent te voir demain, m’annonça Nevra
- « Souhaitent » ? ironisais-je
Je savais qu’ils ne « souhaitaient » pas, mais qu’ils m’ordonnaient.
- Ils te convoquent demain si tu préfères princesse, reformula-t-il en me faisant une révérence.
- Très bien, j’irais.
La situation ne prêtait pas à sourire, cependant la désinvolture du vampire m’arracha un léger rictus. Nevra sortit de ma chambre, suivi par Leiftan. Néanmoins, le Lorialet semblait ne pas avoir terminé de me parler.
- Souhaites-tu que je t’accompagne lors des expéditions ou que je reste auprès de Léana ?
- Je ne sais pas … soupirais-je
C’était vrai, je ne savais pas ce que j’espérais de lui … de nous. Evidement que je voulais qu’il m’accompagne, mais j’avais aussi fait le choix de trouver un moyen de partir d’Eldarya. La décision que j’avais prise auprès de Markus rendait la situation de plus en plus compliquée.
- J’attendrais ta décision.~*****~
À la suite de cette discussion, j’avais de nouveau verrouillé ma chambre. Je m’en voulais de ne pas avoir expliqué avec Lucina les raisons de mon silence, mais j’avais besoin d’être seule avec Léana. Je la voyais grandir beaucoup trop vite. Elle commençait déjà, à émettre quelques petits sons, comme des « a », des « ae » et des légers sourires. Je savais qu’elle entrait dans une période importante de son développement, où elle pouvait me reconnaitre. D'ailleurs, elle me suivait souvent du regard pour s’assurer de ma présence.
J’allais devoir l’abandonner … la laisser à un moment des plus essentiels pour l’évolution de notre relation. Je connaissais les ravages que pourraient entrainer un tel abandon. Mais, avais-je le choix ? Je me forçais à retenir mes larmes devant elle de peur qu'elle perçoive ma peine. Elle devait à tout prix garder son innocence.
Puis, peu à peu, elle s’attachait à Lucina, à Eweleïn et dans une moindre mesure à Leiftan. Alors, si je disparaissais de sa vie, m’oublierait-t-elle ? En même temps, ne valait-il pas mieux qu’elle m’oublie toute suite, au risque de me perdre ensuite ?
Leiftan était revenue en fin de journée pour me donner plusieurs potions de « brouilleur de pensées ». Il m’avait expliqué qu’il me suffisait de me concentrer sur un souvenir pour le camoufler. Au point où j’en étais, je me demandais si j’avais encore des choses à cacher.
Ma vie ici n’était plus entre mes mains. En fait, elle ne l’avait jamais été ...
Mon château de cartes s’était effondré, Miiko ayant pris soin d’en bruler toutes les cartes. J’avais été stupide de vouloir leur mentir. Mon besoin de « respect de la vie privée » était inenvisageable au sein de ces murs. Je me sentais de nouveau piégée dans cette prison ouverte.
J’avais beau chercher qui j’étais et d’où je venais le peu de réponse qui s’offraient à moi ne répondaient que partiellement à mes questionnements. Leiftan m’avait dit qu’il y avait surement une signification à mon arrivée sur Eldarya. Si cela était vraiment le cas, elle devait être bien cachée parce que je ne savais pas par quoi commencer. J'avais le sentiment d'être enfermée dans un ascenseur décidant de desservir quelques étages pour me faire partager des infimes morceaux de mon histoire.
Et Léana dans tout ça ... Qui était-elle, mis à part un dommage collatéral de mon pitoyable comportement. Je haïssais cette cheffe pour son air suffisant et hautain envers moi.
Mais, n’étais-je pas en train d’adopter la même attitude envers elle. J’avais menti, j’avais trahi leur confiance, je les avais menacés de laisser leur monde se mourir égoïstement pour protéger mon petit confort personnel …
S’ils attendaient de moi que je devienne la « miraculeuse héroïne phénix qui vient sauver le monde d’Eldarya », ils devaient déjà être déçus …~*****~
Le lendemain, je pris à peine le temps déjeuner et de me laver avant rejoindre la salle du cristal. Je n’avais pas eu le courage de me confronter à Lucina après la manière dont je l’avais rejetée. Leiftan avait alors accepté de s’occuper de ma fille le temps de ma réunion avec Miiko et Markus.
J’avais fini par boire l’une de ses potions en me concentrant pour dissimuler tous les évènements qui concernaient mes passages à la plage. Malgré la situation dans laquelle je me trouvais, je m’obstinais à cacher des informations personnelles. C'était lamentable ... Cependant, je n’avais plus que ça, c’était mon unique sentiment de contrôle sur ma vie. Je voulais continuer à croire que je pouvais véritablement faire mes propres choix.
En pénétrant dans la salle du cristal, je vis tout d’abord Miiko positionnée face à l’immense pierre bleue, semblant l’observer comme si celle-ci pouvait communiquer avec elle. Finalement, le cristal était comme son enfant, elle était garante de sa protection et j’étais un élément perturbateur à sa pérennité. La colère m'envahit malgré moi, cette renarde était aussi l’élément perturbateur menaçant la vie de ma fille. Heureusement, mon attention fut détournée par l’intervention de Markus qui était installé au centre de la pièce.
- Bonjour Norya. Je n’avais pas pris le temps de vous le dire, mais c’est un plaisir de vous revoir, me salua-t-il
Miiko ne lâchait pas le cristal du regard, se désintéressant complètement de mon arrivée. Bien ! De tout façon, je n’en avais que faire de son avis.
- Bonjour, le saluais-je à mon tour
Sans même m’en rendre compte, je l’avais salué en effectuant une légère révérence en signe de respect. Markus dégageait toujours cet aura majestueuse et mystérieuse. Il était souverain de Phalael et contrairement à la renarde, il devait probablement gouverner avec rigueur et bienveillance.
- Je souhaitais vous présenter des excuses pour les propos qu’a tenus la Kitsune. Nous n’avons nullement envisagé de nous en prendre à votre fille.
En dirigeant mes yeux vers la renarde, j'aurais aimé la voir réagir face aux excuses que Markus prononçait à sa place. Toutefois, elle ne bougea pas. Seules ses quatre queues battant l’air violemment m’indiquaient qu’elle était bien parmi nous. J'eus une envie irrépressible de pénétrer dans son esprit pour y découvrir ses secrets enfouis ; savoir qu’elles émotions elle cachait derrière cette posture suffisante.
Mais, je n’en fis rien. Avec le temps, j'avais fini par comprendre que les êtres pouvaient sentir mon esprit s’approcher du leur. Leiftan en avait fait plusieurs fois l’expérience. Puis, je ne souhaitais pas entrer en conflit avec Markus qui semblait vouloir faire table rase du passé. Néanmoins, je n’oubliais pas les menaces de la Kitsune.
- J’y suis sensible… Mais ce n’est pas vous qui avez proféré ces menaces, crachais-je sans lâcher Miiko du regard
Face à ma remarque, elle n'eut aucune réaction, ce qui accentua d'autant plus ma colère. J'étais arrivé à un point de non-retour, ne parvenant plus à contrôler ma rage, devant son attitude dédaigneuse. Depuis que j'avais atterrie à Eldarya, nous avions commencé à jouer à ce jeu dangereux. Il était hors de question de la laisser gagner, c’était plus fort que moi.
Pourtant, elle avait souvent un coup d’avance sur moi. Elle donnait le change en faisant croire qu’elle m’avait accordé une place dans sa Garde. Je n’y croyais plus ! Qui avait trahi la confiance de l’autre en premier ? Cela m’importait peu maintenant. Elle était allée trop loin en menaçant ma fille !
- Certes, mais je ne voudrais pas que nos rapports en pâtissent, poursuivit Markus sans se préoccuper de mon allusion envers la renarde.
Résignée en voyant l’ignorance de la renarde, je repris contenance pour me concentrer sur mes échanges avec le dragon. En y regardant de plus près, il n’avait aucune particularité physique qui aurait pu me faire imaginer qu’il avait de telle origine. Seule sa longue cape en glace me dévoilait maintenant l’évidence. Surement permettait-elle de dissimuler ses ailes ? En avait-il ?
- Ce ne sera pas le cas. Pour quelle raison souhaitiez-vous me rencontrer ?
- Miiko et moi-même, nous sommes mis d’accord pour vous accorder du temps de préparation avant votre départ. Combien vous en faudrait-t-il ?
Il me demandait mon avis ? À moi ? Réellement ? J’avais presque envie d’en rire tellement cette question me semblait improbable. Néanmoins, j'attendais ça depuis si longtemps. Immédiatement, je saisis l’occasion pour leur exposer mon point de vue.
- Mon escouade et moi-même aurions besoin de deux semaines pour nous préparer. Par ailleurs, je souhaite que Leiftan en fasse partie, réclamais-je.
J’avais pris ma décision sans le consulter au préalable. Mais, j’avais formulé cette demande comme une évidence.
- Mais, pour qui se prend-t-elle ! Nous n'accepterons jamais une telle requête. Leiftan ne … siffla la Kitsune en se retournant le regard sévère
- Accordé ! la coupa Markus
Je ne pus m’empêcher d’afficher un air satisfait en défiant la Kitsune du regard. Probablement, contrariée, elle reprit la contemplation de son cristal. Elle avait perdu sur ce coup-là. Seulement, je n’étais pas préparée à ce qui allait suivre.
- Écoutez Norya. Les Terres d’Eel seront votre premier objectif. Aussi, afin de m’assurer de la réussite de votre mission, je m’installerais dans mes appartements au sein de la Garde. Nevra, Leiftan et vous-même aurez à m’informer personnellement de votre avancement qui devrait, je vous le souhaite, être rapide. Je pourrais ensuite retourner dans mon domaine. En conséquence, je vous propose de m’accompagner à Phalael avec votre fille et d’y vivre jusqu’à votre retour dans votre monde. Votre escouade vous y rejoindra lors de vos différents départs en mission sur Eldarya.
Je fus abasourdie par sa proposition sans pouvoir ni lui répondre, ni y réfléchir. Mes épaules s’affaissèrent de stupéfaction, mes iris sombre s’écarquillant. J’avais perdu la posture affirmée que j’avais tenté de maintenir tout au long de cette réunion.
- Je vous laisse prendre le temps d’y réfléchir. Vous pouvez disposer, conclu Markus
J’étais retourné dans ma chambre, encore médusée par son offre, sans parvenir à prendre congé convenablement. Leiftan m'avait ouvert, en s’interrogant certainement sur le contenu de cette entrevue. Seulement, aucun mot ne sortis de ma bouche. J’avais simplement réussi à lui montrer que j’avais besoin d’être seule. De toute façon, la renarde se ferait probablement une joie de lui annoncer que je pourrais éventuellement partir de ses terres. Elle n'attendait que ça ... Partir avec Markus m’éloignerais au moins de cette renarde abjecte.
Mais … j’avais construit tellement de choses à la Garde. En cet instant, je revoyais le visage bienveillant d’Eweleïn qui tenait son service médical avec élégance et une détermination sans faille. Je me souvenais des interventions de mauvais goût d’Ezarel que j’avais appris à apprécier. J’entendais la voix de Lucina, fredonnant des comptines Eldariennes tout en rangeant ma chambre.
Je sentais l’énergie galvanisante de l’Ombre et la dévotion de ses membres que j’avais commencé à considérer comme ma famille. Sibyl et Eros … Même s’ils m’accompagneraient lors des expéditions, je ne partagerais plus leur quotidien. Il y avait aussi Nevra … il ne serait plus mon commandant et je ne serais plus « sa belle Ombre ». Je grandissais à ses côtés, lorsqu’il m’encourageait à faire preuve de persévérance, en me poussant constamment dans mes retranchements.
Et Leiftan … qui serais-je devenue sans sa présence ? Il était toujours là quand j’avais besoin de lui. Il m’écoutait avec tellement douceur. Il m’avait poussée à avoir confiance en moi, en lui ... J’avais appris tellement sur Eldarya, sur moi-même, en étant à ses côtés. Il avait vu naître ma fille et il la voyait grandir avec moi. Nous nous étions liés, et pourtant, je doutais encore …
Je voulais reprendre le contrôle de ma vie, mais je ne parvenais déjà pas à me positionner entre ces deux mondes. Certes, j’avais grandi sur Terre, seulement Eldarya m’avait accueilli, alors même que j’avais tenté repousser cette réalité de toutes mes forces.
Alors, voulais-je encore me battre pour retourner sur ma Terre ? Ou rester aux cotés de toutes ces personnes que je commençais à aimer ? Et, maintenant, Markus me demandait de partir des terres d’Eel pour vivre à Phalael. Même si, ce dragon avait toujours fait preuve de sollicitude à mon égard, je ne le connaissais que si peu.
En me dirigeant vers le lit de ma fille, je la vis remuer gaiement en essayant d’attraper ses petits pieds potelés. Je lui tendis un doigt, qu’elle agrippa rapidement, une légère grimace de bébé se dessinant sur son visage rond.
- Tu veux allez à Phalael, toi … murmurais-je
Cela aurait été tellement plus simple si elle avait pu me répondre. Je faisais des choix insensés pour sa sécurité et même si Markus m’avait garanti que la Kitsune ne voulait pas s’en prendre à ma fille, je n’y croyais toujours pas. En quoi croyais-je encore ?
Je croyais en eux … en Eweleïn, Lucina, Sibyl, Eros, Nevra … et Leiftan. Je voulais me battre pour eux, je ne voulais plus les trahir. Je les aimais … Oui … Je les aimais tous.
Chapitre 5 : Choisir, c’est aussi devoir renoncer
Le temps que nous avait accordé Markus était passé à une vitesse effrénée. J'avais alors arrêté de réfléchir à sa proposition concernant un potentiel départ à Phalael avec Léana. Par ailleurs, personne ne m'avait interrogée à ce sujet et j’avais tout simplement décidé de ne pas l’aborder. Finalement, je continuais de leur cacher des informations, mais je craignais que leurs réactions influencent mon choix. Je ne voulais pas les quitter, c'était une certitude. Cependant, je savais que je prenais le risque de m'attacher à eux, encore plus que je ne l'étais déjà. J’avais pris conscience que je les aimais sincèrement et que ce sentiment allait devenir problématique si je souhaitais, un jour, retourner dans mon monde.
Toutefois, j'étais allée m'excuser auprès de Lucina. J'avais eu peur que nos relations se soient détériorées suite à mon attitude. Heureusement, ma bonne fée était un être exceptionnel et absolument pas rancunière : c'était à peine si elle ne s’en souvenait. Par ailleurs, j’avais appris que nos excursions sur les terres d'Eel devaient nous permettre de rentrer à la nuit tombée. De ce fait, Lucina prendrait soin de ma fille en journée et je pourrais la retrouver le soir. J'étais rassurée de savoir que je pourrais être auprès de Léana et que Lucina continuerait à être présente. Aussi, je n'avais pas voulu angoisser ma fée en lui rapportant les propos tenus par la renarde. Cette Kitsune avait menacé la vie de ma fille et même si j'en étais offensée, je savais que Lucina serait peinée de l'apprendre.
Seul Nevra et Leiftan seraient alors au courant, il n’y avait aucune raison d’inquiéter plus de monde. Puis, Eweleïn avait déjà l'air anxieuse à l'idée que je sorte du Quartier Général. Durant ces deux semaines, nous avions dû organiser un relais pour mes groupes de parole et je sentais bien qu'elle m'en voulait que j'abandonne mon travail au sein de l'Absynthe. Cependant, elle savait aussi que je n'avais pas le choix …
Quant à Ezarel, il m’évitait. J'avais donc dû deviner par moi-même la raison de son éloignement. Evidemment, je compris assez aisément, qu’il m'en voulait de rendre sa charmante infirmière soucieuse. J’avais décidé de ne pas y prêter attention, il lui suffisait d'avouer son affection à Eweleïn pour pouvoir la rassurer, au lieu de s'en prendre à moi. Malheureusement, Ezarel n’était pas la personne la plus démonstrative au monde.
Avant mon départ, j'aurais surtout souhaité pouvoir échanger avec Valkyon concernant les événements de la plage. Je voulais comprendre pourquoi il n'en avait pas parlé à la renarde. Cependant quand j'avais réussi à le croiser, il m'avait ignoré. Pour une fois, je n’avais pas insisté. J’allais donc devoir attendre qu’il soit prêt à m’en parler de lui-même.
Je m’étais alors concentrée sur mes entraînements à l'Ombre. Pour le moment, Nevra n’avait pas accepté que j’utilise mes facultés. Selon lui, je devais d’abord apprendre à savoir me défendre avant de développer mes pouvoirs. Un tel commandement de sa part, sachant qu’il s’était porté volontaire pour m’aider à connaitre mes capacités, m’avait frustrée. Dans tous les cas, les entrainements avaient été intensifs et je n’avais pas eu le temps de m’obstiner. Ma condition de phénix m’offrait l’avantage de progresser plus rapidement. Malgré tous, mon corps d’humaine peinait à maintenir le rythme. J’avais encore des lacunes sur l’utilisation de l’arme blanche, mais cela m’importait peu, vu que j’espérais ne pas devoir en faire usage.
D’ailleurs, Sibyl avait sauté de joie en apprenant qu’elle allait pouvoir participer à nos excursions. J’étais également ravie de savoir qu’elle m’accompagnait avec Eros. Quant à lui, il disait vouloir garder un œil sur la sorcière pour « surveiller ses débordements ». Il avait beau dire ça, je savais qu’il était heureux d’être avec nous. J’avais aussi aperçu Irine, lorsqu’elle accueilli d’un air froid sa nomination dans l’escouade. Elle n’avait vraiment pas l’air enchantée à l’idée de devoir m’escorter et je n’étais pas plus qu’elle, à vrai dire. Toutefois, j’avais eu l’occasion de l’observer s’entrainer avec Nevra et elle n’avait rien à envier à notre chef. Son agilité et sa rapidité d’action étaient impressionnantes, ses ailes lui offrant un avantage non négligeable. Sibyl m’avait appris qu’Irine pouvait être amenée à seconder le vampire. Je n’étais pas surprise de cette révélation. Je me demandais surtout si elle allait finir par m’expliquer quel était son problème vis-à-vis de moi.
Depuis la réunion avec Miiko et Markus, je n’avais pas échangé avec Leiftan. J’avais demandé qu’il nous accompagne lors des expéditions, mais je n’avais même pas pris le temps de l’en informer de vive voix. J’appréhendais ses questionnements concernant mon entretien avec le dragon … Bien que, j’avais cessé d’y penser, il n’était pas difficile de savoir ce qu’impliquerais mon départ pour Phalael. Malgré tous, je ne parvenais toujours pas savoir ce que je voulais véritablement. J’avais alors proposé à Leiftan de venir me rejoindre dans ma chambre avant notre départ.~*****~
La veille de nos expéditions, j’avais décidé de prendre du temps pour ma fille. Ma petite tête blonde approchait bientôt de ses trois mois. Je n’étais surement pas très objective, mais elle était magnifique. Nous nous amusions alors gaiement à jouer avec nos doigts, quand je sentis que l’on s’apprêtait à toquer à ma porte.
- Entre.
J’arrivais maintenant à distinguer son aura parmi les autres. C’était troublant, mais je commençais à m’y accommoder. Sans détourner les yeux de ma fille, j’entendis ma porte s’ouvrir et se refermer.
- Tu sais que ça peut être terrifiant de se faire accueillir de cette façon, se moqua-t-il
Je n’avais pas pour habitude que Leiftan me taquine, toutefois je fus agréablement surprise.
- C’est toi qui me parles de chose terrifiante ? Tu es toujours en train de m’en annoncer, blaguais-je
- Cesse de me les demander alors, continua-t-il sur le même ton
En souriant, je m’étais retournée vers lui, constant qu’il s’était déjà approché pour se pencher au-dessus du berceau de Léana. Puis, en accrochant ses émeraudes, je fus happée par le souvenir de l’entrevue avec Markus, mon visage s’assombrissant aussitôt.
- Que s’est-t-il passé Norya ? me demanda-t-il soucieux
Nous y étions … La question que je redoutais le plus venais de tomber. J’aurais voulu que cette proposition n’ait jamais existé. Pourquoi fallait-t-il toujours que la situation se complique ? N’était-ce pas suffisant d’être apparue dans un autre monde et de m’attacher aux personnes qui y vivent ?
- Miiko n’a pas pris plaisir à te le dire, crachais-je
Définitivement, je ne pouvais pas à m’en empêcher. Il fallait systématiquement que ma colère prenne le dessus. Plus les évènements s’enchainaient et plus elle s’alimentait. Je la sentais grandir en moi. J’aurais voulu que Miiko regrette ses propos, qu’elle s’en excuse ! Pourtant, elle était restée, là, figée devant son caillou bleu. Ce satané cristal qui m’obligeait à crapahuter partout dans Eldarya en abandonnant ma fille.
- Elle ne m’a transmis aucune information concernant votre entrevue.
Elle ne lui avait rien dit … Rien ? Pourquoi … Je commençais à devenir paranoïaque à m’imaginer qu’elle userait de différents stratagèmes pour arriver à m’atteindre. Finalement, n’étais-je pas la seule à continuer cette guerre froide ?
- J’ai uniquement cru comprendre que j’avais été missionné pour vous accompagner.
- « Cru comprendre » ?
- Miiko a dû convoquer les chefs de Garde pour régler l’organisation de ces expéditions. En l’absence du chef de l’Ombre et de moi-même, Valkyon et Ezarel auront plus de responsabilités au sein du QG.
- Alors, elle ne t’a pas dit pourquoi tu avais été missionné ?
- Non, répondit-t-il en me regardant intensément
Je ne comprenais pas quel était son intérêt à ne pas le lui dire. Et, maintenant, il semblait attendre de ma part une explication. Finalement, n’était-ce pas ça son but … me forcer à l’en informer de moi-même. Il fallait vraiment que j’arrête de penser à cette renarde. J’alimentais toute seule ma rancœur envers elle, sans même qu’elle ait besoin de faire quoi que ce soit. C’était juste stupide …
- Je leur ai demandé, lâchais-je
Pour ne pas voir sa réaction, je ne lâchais pas ma fille du regard. Malgré tous, je sentis que mon annonce avait réchauffé son cœur. Nos mains jouaient avec les membres potelés de Léana. J’étais heureuse d’être simplement, là, avec lui. Le silence n’était pas pesant, au contraire, il laissait la place à nos auras pour s’échanger nos ressentis. Il devait encore y percevoir mes doutes, mais j’étais aussi épanouie par l’instant que nous vivions tous les trois.
Si je décidais de rentrer dans mon monde ressentirais-je toujours cela ? Ces âmes, ces auras, le maanas de chaque être … L’harmonie du monde quand mon esprit se dissocie de mon corps. Cela me manquerait terriblement …
Leiftan et moi n’avions pas plus échangé. Néanmoins, nous avions naturellement passé le reste de la journée ensemble. Le soir venu, il nous avait quittées en me rappelant que nous partirions à l’aube. Je m’étais alors endormie sans difficulté, apaisée par cette journée de sérénité.~*****~
À l’aurore, je déjeunais, me lavais et embrassais ma fille, à la hâte, avant de me diriger vers la sortie du Quartier Général. Je n’avais pas vu l’heure passer et j’allais finir par être en retard. Manifestement, je n’avais vraiment rien d’une « super héroïne ». A l’heure qu’il était, mon équipe devait déjà m’attendre à l’orée de la forêt.
Tout en courant à travers les plaines, je tentais, en vain, d’attacher mes longs cheveux auburn en queue de cheval remontée sur le haut de mon crâne. Forcément, tous les regards s’étaient tournés dans ma direction, lorsque j’arrivais essoufflée au point de rendez-vous.
Ça commençait bien … Essoufflée et finalement décoiffée … Magnifique !
- Bien, nous allons pouvoir commencer … débuta Nevra en m’observant sévèrement
Nevra était un chef réputé pour entrainer ses Ombres avec dureté et sérieux dans l’unique objectif d’en faire les meilleures recrues du QG. Je devais donc être un sacré cas pour lui …
Malgré mon manque de souffle, je fus toutefois heureuse de retrouver Sibyl et Eros. Ils étaient toujours côte à côte. Enfin, Sibyl était en permanence à côté d’Eros. Quant à Irine, elle m’avait lancé un regard de dédain à mon arrivée. Je ne pouvais pas lui en vouloir cette fois, étant donné que je n’avais pas été ponctuelle.
Aussi, pour la première fois, je pu découvrir Chrome et Karenn. Je ne fus pas étonnée de constater que la sœur de Nevra lui ressemblait par certains aspects physiques. Vu son âge, elle aurait également pu être ma petite sœur. La vampire avait attaché ses longs cheveux en deux couettes vers l’avant, laissant ainsi apparaitre plusieurs piercings sur ses longues oreilles pointues. La raie proprement faite au milieu de sa chevelure permettait de faire une séparation de couleur, un côté noir et un côté rose. Elle avait un physique pas banal, mais elle était plutôt mignonne dans son genre.
Quant à Chrome, j’avais toute suite remarqué sa queue et ses oreilles de loup. Je n’avais pas de grandes connaissances sur les différentes créatures d’Eldarya, cependant je me doutais qu’il s’agissait d’un lycanthrope. Il devait d’ailleurs avoir le même âge que Karenn.
En le voyant, jeter de rapides coups d’œil à la vampire, ce qui faisait valser sa tignasse noire ébouriffée, teintée de petites mèches rouges, je saisis immédiatement son intérêt pour la jeune femme. Un sourire béat aux lèvres, je continuais à examiner les deux jeunes Ombres, quand je fus interrompu dans mon observation par la voix de mon chef.
- Vous avez bien tout compris. Vous n’avez pas d’interrogation supplémentaire ?
Quoi ?! Je n’avais absolument rien écouté, bien trop captivée par la contemplation de mes nouveaux camarades. Pour résumer la situation, j’étais arrivée en retard et, en plus, je n’avais pas entendu le briefing de mon commandant. Pouvais-je, maintenant, me permettre de lui demander de répéter …
J’avais souvent pour habitude de rêvasser en observant le monde qui m’entourait, mais ce n’était vraiment pas le moment ! La pression et l’excitation provoquées par ces expéditions ne me montraient définitivement pas à mon avantage. En sentant une main se poser délicatement sur ma taille, je sortis aussitôt de ma torpeur pour croiser les iris de Leiftan.
- Tu es prête ?
Absolument pas … Mais quelle empotée je faisais …
- Je … Je n’ai pas écouté …
J’avais murmuré ma réponse en regardant le sol. Toutefois, le calme s’étant installé dans le groupe, fit que mon intervention n’était pas restée discrète. Karenn se mis alors à rire, accompagné de Sibyl, chacune se moquant ouvertement de mon absence lors du discours de notre chef. J’avais tellement honte de moi …
À ma grande surprise, je compris que Leiftan étouffait, lui aussi, un rire. Était-t-il en train de se moquer de moi ? Il faut bien avouer que je devais être drôle à voir. Seulement, contrairement aux autres membres de l’escouade, mon commandant ne semblait pas trouver mon manque d’attention amusant. Je devais être également affligeante à regarder …
- Pfff … Toi, tu restes juste au milieu et tu ne bouges pas, résuma rapidement mon chef
- Tr…Très bien, bafouillais-je
En relevant la tête, je vis que Nevra avait déjà pris les devants, la vampire et la sorcière le suivant à quelques mètres de distance. Eros et Chrome, quant à eux, avaient probablement reçu l’ordre de surveiller les côtés. Ainsi, Leiftan et Irine protègeraient mes arrières.
J’étais donc véritablement un fardeau à mener sur toutes les Terres d’Eldarya et mon manque de concentration du jour ne faisait que le confirmer.
Leiftan m’observait toujours avec un immense sourire aux lèvres. Il n’y avait pas de doute, il se moquait de moi …
- Ne te moque pas ! réclamais-je en fronçant les sourcils
Il reprit un visage angélique, saisissant mon menton du bout des doigts.
- Tu es simplement mignonne comme ça, murmura-t-il
Il lâcha mon menton et d’un geste de la tête, m’incita à avancer. Je pris alors le chemin de la forêt, en restant à bonne distance de Karenn et Sibyl. Nevra voulait certainement que nous nous enfoncions dans la forêt profonde, avant que je leur indique la direction à prendre pour trouver les fragments. J’avais beau ne pas avoir écouté, j’avais compris l’intérêt de sa stratégie. Néanmoins, je ne pensais pas arpenter les sentiers seule, au beau milieu de mon escouade. J’avais désiré être en leurs compagnie, non pas être escortée tel un poids …
Nous longeâmes une allée de cyprès pour accéder aux profondeurs de la forêt. Les arbres se firent de plus en plus nombreux, cachant peu à peu la lumière du jour. Notre marche silencieuse laissa alors la place aux bruissements des feuilles, aux craquements de nos pas et au gazouillis des oiseaux. Cette nature mystérieuse et ce vent qui m’effleurant la nuque, me plongea de nouveau dans un moment de méditation intérieure.
Seule au milieu de mon escouade, j’humais l’air pour recueillir ses effluves forestiers. J’aurais aimé pouvoir partager mes sensations avec mes amis ; savoir leur expliquer comment leurs maanas circulaient dans leurs veines et s’évaporaient dans l’air à chacun de leur pas. Je le percevais … Il passait dans leurs poumons, nourrissait leurs membres, alimentait leurs organes et sortait de leur bouche. Comme un circuit de lumière bleutée les habillant, il les protégeait et leur donnait leurs forces.
Je voulus alors me focaliser le maanas de Leiftan. Cependant, en tournant la tête, je le vis en pleine discussion avec … Irine ? Elle parlait ? Elle semblait même intéressée par ces échanges avec le Lorialet. D’ailleurs, Leiftan paraissait tellement concentré sur leur conversation que ne je pus capter ses émeraudes. À quoi jouait-t-il ?! Non … c’était plutôt à moi de me poser cette question. Pourquoi avais-je la sensation que mon cœur se serrait ? Qu’était-ce cet étrange sentiment qui m’habitait ?
En secouant vivement la tête, je me dirigeais à grandes enjambées vers Sibyl et Karenn. Il fallait que je cesse de penser ! Puis, j’étais fatiguée d’être seule depuis plus d’une heure.
- Salut toi, m’interpella Karenn
- Norya ! m’exclama Sibyl toute sourire
Je voulais faire plus ample connaissance avec Karenn. Mais, avant cela, j’avais besoin de rectifier ma gênante entrée en matière de ce matin.
- Je suis désolée pour ce matin … J’espère ne pas avoir déçu ton frère.
- Mon frère est un vrai tyran quand il s’agit de commander ses troupes. Moi, je t’ai trouvée plutôt drôle.
Bon … Elle n’avait pas l’air mécontente de mon arrivée. Du moins elle ne l’était pas encore avant l’intervention de Sibyl.
- Oui, Nevra ne pourrait jamais être fâché contre « sa belle Ombre ». Vous pouvez presque vous considérer comme belle-sœur finalement, se réjouit la sorcière
- De quoi !! s’écria Karenn en me fusillant du regard.
Si un regard pouvait tuer, je serais sûrement morte dans l’instant. Qu’était-t-il en train d’arriver ? Sibyl venait d’amplifier ma honte en une seule phrase … Je n’eus pas le temps de répliquer que la vampire avait déjà rejoint son frère en pressant le pas. Je sentais bien que la réflexion de la sorcière l’avait irritée, même si je ne savais pas pourquoi. Quoi qu’il en soit, j’étais surtout agacée par l’attitude de Sibyl, elle avait cruellement manqué de tact …
- Pourquoi, faut-il toujours que tu fasses des allusions sur ma relation avec Nevra !
Abasourdie, elle m’observa un court instant, avant de partir brusquement, vexée par ma remarque. Décidément, mon voyage démarrait à merveille ! Je me retrouvais de nouveau seule, après avoir froissé Sibyl et débuté ma relation avec Karenn sur une mauvaise base.
- Que se passe-t-il ?
J’avais senti Leiftan arriver derrière moi, mais n’y avait pas prêté attention. Puis, en constatant la présence d’Irine à ses côtés, j’eus cette réaction - stupide - de détourner la tête d’un air hautain en poursuivant mon chemin. Typiquement le genre de comportement que je pouvais adopter pour montrer à une personne que je lui reprochais son attitude, sans même que celle-ci puisse savoir ce que je lui reprochais exactement. J’aggravais mon cas toute seule …
Je n'eus pas à marcher bien longtemps, avant que Nevra nous ordonne de nous arrêter. De grands sapins nous entouraient, laissant un espace d'herbe au centre pour nous regrouper.
- Peux-tu localiser les cristaux d'ici ? me demanda Nevra
L'ensemble de l’escouade s'était réunie autour de moi, attendant visiblement que leur indique la route à suivre. Je n’avais jamais fait usage de ce pouvoir devant autant de monde. Je me souvenais encore de ce moment à la plage avec Leiftan, son aura s’était fascinée, puis j’avais ensuite perçu son trouble quand je m’étais « enflammée ». Acculée par leur regard impatient, je me sentis intimidée. Et si ça n’arrivait pas… si je ne voyais finalement plus rien ...
- Bon, elle a fini de tergiverser la phénix ! s'agaça Karenn
Définitivement, j'avais perdu tout intérêt à ses yeux, n'étant plus qu'un outil pour dénicher ces fragments. Seulement, je n'étais absolument pas à mon aise dans ces conditions.
- Est-ce que vous pouvez me laisser ... murmurais-je gênée
Immédiatement, Nevra fit un geste de la main pour congédier ses recrues.
- Je vois le genre ! Madame préfère la compagnie de mon frère !
Je n'eus pas envie d’observer la réaction de mon équipe suite à sa provocation. Karenn était alors partie en trombe, suivie de près par Chrome. Sibyl m’avait semblée plus hésitante, mais elle avait fini par s’en aller accompagnée d'Eros. Quant à Irine, je ne l’avais même pas vu s'éclipser. Seule avec Nevra et Leiftan, je me sentis plus sereine pour rechercher les cristaux. Toutefois, ils paraissaient tous deux confus face à l’attitude de Karenn.
En fermant les yeux, je pris une longue inspiration. Ainsi, en même temps que je vidais mes poumons de toute l'oxygène accumulée, je sentis mon esprit se dissocier. J'étais de nouveau partout, au-dessus des arbres, de mon corps, des leurs ... Je vivais, flottais et ressentais sans avoir besoin de voir. Tout était énergie, force et âmes.
Afin de me concentrer sur mon objectif, je fis abstraction des ressentiments des membres de mon unité. Puis, je les sentis enfin ! Les cristaux, eux même, m'indiquaient le chemin à prendre, des faisceaux lumineux me divulguant leurs localisations, ainsi que leurs nombres. L’énergie de certains s’avérant lointaine, je laissais mon esprit progresser entre les arbres pour trouver un point de repère me permettant de les situer dans l’espace. Aussi, plusieurs d’entre eux bougeaient dans la forêt, accompagné d’émanation de maanas venant de créatures qui n’était inconnues. Elles détenaient sûrement les fragments que nous cherchions.
- Tu peux revenir parmi nous ? m’interpella mon chef
Sous son commandement, je repris possession de mon corps. Mon enveloppe corporelle n’avait rien d’accueillante, au contraire, elle était fatiguée par l’effort et abimée par la marche. Cette sensation de lourdeur me fit alors vaciller.
- Tu étais magnifique princesse.
C’était exactement ce type de comportement qui avait provoqué un malentendu entre sa sœur et moi ! Affligée par sa réflexion, je lui lançais un regard noir. Qui plus est, je sentis que le compliment du vampire ne plut pas à Leiftan. En soupirant, je recentrais alors nos échanges.
- Il y a sept fragments dont trois qui semblent être en mouvement. Je ne pense pas connaitre ces créatures.
Précisément, j’indiquais à Nevra l’emplacement des pierres en tentant de me souvenir de ce que j’avais éprouvé en me dirigeant vers elles. Pendant qu’il prenait soin de les inscrire sur la carte, je me risquais alors à les questionner avec anxiété.
- Qu’est-ce qu’il y a dans cette forêt ?
- La forêt d’Eel est peuplée de Black dog et d’hamadryade. Les hamadryades sont des êtres pacifiques qui nous donneront les cristaux si elles en avaient en leur possession. Pour ce qui est des Blacks dog … commença Nevra
- Les Blacks dog chasse en meute et ne lâcherons jamais leur proie avant de l’avoir tuée. Norya, si nous rencontrons une de ces créatures, je t’ordonne de fuir. Nous ne combattrons pas, exigea Leiftan
- Je n’en avais nullement l’intention …
Je ne comptais pas me battre contre ces choses. J’étais même effrayée à l’idée d’en croiser. Cependant, je dus garder contenance pour continuer notre route. L’escouade nous avait rejoint, Nevra nous ordonnant de garder notre formation. J’avais donc poursuivi notre chemin, seule, au centre de mon unité. De toute façon, au vu des récents évènements, je ne voyais pas bien comment rétablir le dialogue avec Karen …
Pendant que nous avancions à la rechercher des cristaux, Eros m’avait finalement rejoint. Selon lui, Sibyl ne « boudait » jamais très longtemps. En connaissant, l’affection certaine qu’elle éprouvait envers lui, je me doutais, qu’en effet, elle ne devait pas sans éloigner bien longtemps. Pour ma part, j'espérais que mes sentiments à son égard étaient réciproques. Elle était devenue mon rayon de soleil, je regrettais déjà de l'avoir réprimandée.
- Allez ne t’en fait pas, ça va lui passer, me rassura Eros en voyant ma mine défaite
- Je m’en veux de l’avoir blâmée.
- En même temps, si elle s’occupait de ce qui la regarde, vous n’en seriez pas là. Elle fréquente beaucoup trop Karenn, si tu veux mon avis.
- Tu…Tu nous as entendu …
- Évidemment, j’étais à quelque mètre de vous. La voix stridente de Karenn résonnera toujours dans mes oreilles.
Confuse, je ne su pas si je devais rire de sa réflexion ou me sentir gênée qu’il ait tout entendus. Nous fûmes alors interrompus par l’intervention de Chrome qui jeta un regard défiant à Eros.
- La voix de Karenn n’est stridente ! grogna-t-il
- Tout doux, le loup, range tes crocs.
Tandis qu’ils échangèrent quelques brimades, je continuais à avancer en observant le sol. Ce n’étais pas de cette façon-là que j’avais imaginé ma première mission. Même si, j’en était en grande partie responsable, je ne savais plus comment me sortir de cette situation.
- Hé, la phénix. Tu devrais éviter de tourner autour de notre chef, si tu veux que Karenn devienne ton amie.
La remarque de Chromes me sortis aussitôt de mes tergiversations. Je ne comprenais pas cette obstination qu'ils avaient, tous, concernant ma relation avec le vampire. Il était mon commandant ! Je n'avais jamais envisagé, ne serait-ce qu’une seule seconde, de nouer une relation particulière avec lui. Puis, il y avait Leiftan ...
A cette pensée, je me mis à l'observer. Il était encore en pleine discussion avec Irine. Le fait d'admettre que je tenais à eux avait sûrement fais ressortir mes plus vilains défauts. Je me savais possessive et excessive quand il s'agissait des personnes auxquelles je tenais. Finalement, je m'en voulais de ne pas lui avoir expliqué ma réaction.
Soudain, son regard interrogatif se posa sur moi. Il devait sentir le trouble émanant de mon maanas, sans comprendre d’où il provenait. En y réfléchissant, je me demandais si mon comportement était courant à Eldarya. Leur arrivait-il d'éprouver de la jalousie … Jalousie ?! Je venais clairement d'identifier mon ressenti. Jusqu'au bout, j'avais eu une attitude déplorable envers lui. J'avais pris l'initiative de l'embrasser à la plage, pour finalement m'éloigner pendant plus d'un mois ... Et aujourd'hui, j'osais être jalouse d'une conversation banale entre lui et Irine. C’était navrant …
Submergée d’émotion contradiction, je pris mes distances avec Eros et de Chrome. J’avais besoin de réfléchir seule. Quelle ironie … je voulais être auprès d’eux et en même temps je les fuyais en permanence. Il fallait absolument que je parvienne à démêler mes envies pour cesser de tourner en rond. Seulement, il n’y avait rien de plus difficile que de choisir entre ces deux mondes …
Par la suite, nous avions trouvé aisément un fragment dans le creux d’un arbre, se trouvant non loin de la forêt profonde. Nevra et Leiftan se chargeaient alors de les ramasser et de les transporter dans une petite sacoche. J'aurais voulu qu’ils m’autorisent à en récupérer ne serait-ce qu'un seul. La force provenant de ces pierres était enivrante. Je la ressentais au-delà de la forêt, lorsque je laissais mon esprit s’y perdre. J’aurais donné n’importe quoi pour en toucher une et sentir enfin cette énergie qu’elles dégageaient. Mais, j'obéissais sagement, sachant que ces fragments avaient une importance bien plus capitale que ma curiosité.
Nous avions poursuivi notre chemin durant de longues heures. Mon corps peinait à suivre le rythme que mon commandant lui imposait. Nous avions dû longer le ruisseau pour accéder à la colline des galets, où nous avions trouvé le second morceau. Je ne regardais plus que mes pieds, priant pour que cette randonnée pédestre s’arrête. Mon origine de phénix n’avait pas encore développé toutes ses capacités et je savais que mes premières excursions seraient difficiles. Cependant, je ne pensais pas souffrir à ce point.
Le chemin de gravier tout tracé avait fait place à de nombreuses racines percutant mes pieds, des ronces griffant inlassablement mes jambes. Ils semblaient tous à l’aise dans cet environnement, alors qu’il m’arrivait de devoir trottiner derrière eux pour tenter, tant bien que mal, de rattraper mon retard. Les entraînements à l'Ombre m'avaient déjà semblé intensif, toutefois Nevra m'avait toujours laissé le temps de récupérer, au contraire de l'escouade qui marchait depuis l'aube. J'aurais aimé pouvoir demander une pause, mais mon retard de ce matin m'empêchait de formuler une telle demande.
Plus nous nous enfoncions, plus la forêt s’assombrissait. Les sapins avaient disparu, laissant place à d’immenses arbres aux feuillages noirs et des sureaux plus petits. Je ne parvenais plus à distinguer le ciel et le silence venant de s’installer dans notre groupe, ne me rassura nullement. Je n’entendais plus le vent, ni les oiseaux, ni les pas de mes compagnons.
Quand, enfin, nous arrivâmes à l’emplacement d’un troisième fragment : la plaine de la vacuité. Un espace vide perdu au milieu des végétaux obscurs.
- Où se trouve-t-il ? m’interrogea le vampire
Après la découverte des deux premiers cristaux, je m’étais accommodée de la présence de l’escouade, quand mon esprit quittait mon corps. Ainsi, je laissais ma conscience se perdre dans l’endroit, sans me préoccuper de mes camarades.
- Il y a quelqu’un ici … paniquais-je
J’avais repris possession de mes membres douloureux, à la hâte, en constatant qu’une âme se trouvait à proximité. Celle-ci ne me semblait pas menaçante, cependant l’endroit ne m’inspirait aucunement confiance. Aussitôt, l’escouade pris une position de défense en cas d’attaque. Leiftan m’avait rejoint, observant les alentours à l'affût du moindre mouvement. Le flot d’inquiétude traversant mon unité, me gagna alors.
- Où ! me demanda vivement Irine
Anxieuse, je lui montrais du doigt la direction à prendre.
- La pierre est aussi là-bas …
Elle prit alors les devants, progressant à pas feutrés, suivit par Nevra. D’un signe de la main, il nous ordonna de ne pas intervenir, tandis qu’ils s’avancèrent vers l’arbre que je venais d’indiquer. Puis, Irine s’arrêta net pour se retourner vers nous, la mine exaspérée.
- C’est juste une hamadryade …
Son « juste » m’était forcément destiné. Je venais d’alarmer tout le monde avec la présence d’une créature, se révélant être pacifique. Pourtant, je ne lui fis pas remarquer, me sachant déjà en mauvaise posture depuis le début de la journée. Ce n’étais pas la peine de m’enfoncer encore plus en provoquant Irine.
Nous attendîmes alors le retour du vampire et d’Irine qui échangeaient avec l’hamadryade. Assise avec Leiftan contre un arbre, j’observais simplement, Sibyl et Eros se disputer par rapport à une plaisanterie que Chrome avait lancée. Le lycanthrope venait de faire remarquer à la sorcière son insistance envers son ami. Celle-ci avait alors fini par s’en prendre, sans raison apparente, à Eros. Karenn était uniquement restée auprès d’eux pour arbitrer le débat.
- Je ne suis pas insistante !
- Épuisante, alors, surenchérit Karenn
- Je croyais que tu étais mon amie … Tu es méchante … s’apitoya la sorcière
- Rooooh, mais je plaisante.
- Vous n’êtes pas marrant. Eros ! Dit quelque chose, toi aussi !
- Laissez-moi, en dehors de vos enfantillages … s’indigna-t-il
Finalement, à la suite d’une longue négociation avec l’hamadryade, cette dernière nous avais remis le fragment. Aussi, après avoir récupéré ces trois cristaux, Nevra décida qu'il était temps de rentrer. La nuit commençait, en effet, à tomber et nous avions encore de la marche afin de rejoindre le QG.
Bien que mon corps soit épuisé par notre expédition du jour, j’avais hâte retrouver ma fille. Ce besoin maternel, qui me caractérisait maintenant, était impressionnant. Il avait été à l'origine d'un bon nombre de mes actions à la Garde et notamment de mon ressentiment envers la Kitsune.
Nous avions donc rebroussé chemin en gardant notre formation initiale. J’allais quitter mon escouade sur ces tensions, si je ne parvenais pas échanger avec eux. Par ailleurs, je sentais bien que Leiftan continuait à se questionner sur mon attitude distante. Seulement, je ne savais pas comment lui expliquer …
Lorsque nous attendions Nevra et Irine, j’aurais pourtant eu l’occasion d’aborder le sujet, mais pour lui dire quoi ! Que j’éprouvais de jalousie, sans aucune raison ; que je ne savais pas ce que je ressentais pour lui ; que je voulais toujours rentrer dans mon monde et en même temps resté ici ; que j’avais la possibilité d’aller vivre sur Phalael. Définitivement, j’étais perdue …
Je marchais alors silencieusement seule, ressassant inlassablement de mauvaise pensée. Mon comportement insensé allait finir par me rendre folle.
En arrivant devant les grandes portes du QG, nous avions prévu l'heure de rendez-vous pour le lendemain. Nevra l'avait répété plusieurs fois pour me faire promettre que je m'y tiendrais. Il pouvait en être rassuré, je ne comptais pas réitérer mon exploit de ce matin.
Malgré ma fatigue, j’avais le sentiment que cette journée était passé trop vite. J’étais resté bien trop longtemps muette et seule … Seulement, même si je voulais changer, je ne savais pas comment m’y prendre. En relevant les yeux, je m’aperçus que les Ombres avait déjà retrouvé leurs appartements. Seul Nevra et Leiftan étaient restés, me scrutant, tous deux, du regard.
- Tu comptes parler à un moment ou pas ? me sonda Nevra
Sa question me fit l’effet d’un électrochoc. Je leur avais menti, de nouveau, en ne les informant pas de la proposition de Markus. Il était temps que cela cesse, sinon je n’arriverais plus à avancer.
- Markus m’a proposé de partir à Phalael avec Léana … murmurais-je sans les regarder
- Quoi ! s’écria Nevra
- Comment … lâcha Leiftan
Mes larmes commencèrent à monter, une boule se formant dans ma gorge. Je ne voulais pas partir. Je ne pouvais pas les quitter, pas maintenant … J’avais réalisé tellement de choses à leurs côtés et j’avais encore tant à apprendre avec eux. Je les aimais …
- Ne pars pas … me supplia Leiftan
Les larmes que j'avais tenté de retenir roulèrent sur mes pommettes. Cette première journée d'excursion avait été éprouvante, tant physiquement que mentalement. J'étais de trop parmi eux, les ralentissant inévitablement dans leur quête.
Violemment, ma condition d'humaine m’éclata en plein visage. Je venais enfin de réaliser l’évidence : ils avaient, tous, noué des liens approfondis et construit une vie en ce monde. Alors, pourquoi me retenait-t-il ? Qu'avais-je de si particulier ? Puis, je m’en voulais de lui avoir reproché une simple conversation avec Irine. Leiftan avait toujours été présent … c’était moi qui l’avais repoussé.
Ils attendaient une réponse, mais je n'en n'avais pas. Je voulais m'éloigner de Miiko, j'avais envie d'être avec eux et, au fond, je devais rentrer dans mon monde ... Malheureusement, tous ces désirs n'étaient pas compatibles.
- Je ne sais pas ... finis-je par répondre
Après ma réponse, Nevra partit brusquement. Je l’avais déçu, lui qui se donnait tant de mal pour faire de moi une Ombre. Au contraire, Leiftan était resté, son cœur se serrant à mes mots. C'était atroce de pouvoir ressentir le mal que je procurais aux autres. De lui faire du mal à lui ... Néanmoins, ils devaient m'accorder du temps pour y réfléchir.
- Je ne te laisserais pas partir avec Markus !
Son ton se fit ferme et je pus percevoir toute l'agressivité émanant de sa phrase. Cependant, je ne saisissais pas d'où elle pouvait provenir. Le temps de relever mes yeux vers lui, il avait déjà tourné les talons.
Probablement, qu’il voulait me garder auprès de lui. Au fond, je le désirais aussi. Pourtant ... comme toujours, je doutais ou, du moins, j'avais peur de ce que signifiaient les sentiments que j'éprouvais pour lui.
La mine basse, j'avais rejoint ma chambre en remerciant rapidement Lucina pour son aide. Après avoir passé un peu de temps avec Léana, je m’étais alors écroulée dans un sommeil profond, verrouillant enfin toutes mes pensées. J'espérais que ma révélation n’aurait pas entaché mes relations avec Nevra et Leiftan. Je devais encore les côtoyer le lendemain et, cette fois ci, je ne comptais pas continuer à garder le silence.~*****~
À l'aube, je fus en avance au point de rendez-vous, seul Nevra étant arrivé à l'orée de la forêt. Je me demandais s’il m’en voulait encore, seulement en le voyant avec un sourire en coin, je compris vite que ce n’étais pas le cas.
- Bonjour, belle Ombre. Je te trouve bien ponctuelle aujourd'hui.
- Est-ce possible, de faire comme si cet événement n'était jamais arrivé ?
La première impression était souvent celle qui restait à l'esprit. Toutefois, Nevra me connaissait depuis plusieurs mois. Il n'y avait pas de raison qu'il continue à me voir comme une tête en l'air.
- À une seule condition, princesse.
- Laquelle ?
Je priais, de toute mes forces, pour qu'il ne relance pas notre discussion de la veille. Finalement, je fus surprise par sa question.
- Que s'est-t-il passé avec Karenn ?
- Euh ... Sibyl a émis l'hypothèse que nous pourrions être ... belles-sœurs …
Il étouffa un rire, en me souriant à pleine dents.
- Oh, mais, ça serait avec plaisir princesse, me susurra Nevra
- Tu me fatigues ! répliquais-je en levant les yeux au ciel
Les sautes d'humeur de mon chef étaient parfois incompréhensibles. Il semblait m'en vouloir hier et aujourd'hui il avait retrouvé son attitude de séducteur à toute épreuve. J'avais du mal à le suivre.
- Pas de panique, belle Ombre. Je sais pour toi et Leiftan.
- De quoi ! m'écriais-je spontanément
- Lui n'est pas discret, mais tu ne l’es pas moins.
Que savait-il exactement ? Pour la plage ? J'aurais voulu l'interroger, cependant il avait déjà détourné notre conversation.
- En qui concerne Karenn, ne t'inquiètes pas, j'irais lui parler. Ah ! Et, c'est terminé les expéditions loin de toi. Je m'en veux de t'avoir laissée seule princesse.
Il ébouriffa mes cheveux d'un air taquin. Puis, je sentis la présence de mes camarades arriver.
- Arrête de les toucher toutes comme ça ! s'énerva la vampire
Rapidement, je me dérobais de son contact, lorsque je ressentis l'aura contrarié de Leiftan. Je m'installais alors à ses côtés pour écouter les commandements de mon chef.
- Bon, aujourd'hui pas de formation particulière. Nous avons encore quatre cristaux à retrouver. Karenn, viens avec moi ouvrir la marche, j'ai à te parler.
Nous avions débuté notre route en longeant, à nouveau, l'allée aux cyprès afin de rejoindre les profondeurs de la forêt. J'avais pu localiser un cristal au-delà de la plaine de la vacuité. Nous allions donc devoir retraverser toute cette forêt.
Une énergie nouvelle animait le groupe. Probablement, la liberté que nous avait laissée Nevra plaisait à ses recrues. Eros et Chrome étaient d'ailleurs déjà en pleine discussion à l'arrière, tandis qu’Irine avait pris les devants seule, se tenant à bonne distance des deux vampires.
Leur discussion n’avait pas l'air de convenir à Karenn qui faisait une moue vexée à son frère. J'aurais bien aimé savoir ce qu'ils se disaient. J'avais confiance en Nevra, mais j'espérais qu'il ne parle pas de ma potentielle relation avec Leiftan pour me disculper.
De mon côté, j'avançais avec le Lorialet ne sachant comment improviser un échange plus léger qu'hier. J'aurais voulu pouvoir lui promettre que je ne partirais pas à Phalael. Toutefois, j’étais incapable de tenir des promesses dans ce monde. Les événements évoluaient tellement vite que j'avais besoin de temps pour faire un choix.
Sibyl nous accompagnait en sautillant, jetant de rapides coups d'œil dans ma direction. Puis, après une petite heure de marche, elle me sauta au cou.
- Tu m'as manquée, pleurnicha-t-elle
Moi qui me pensais émotive ... Elle l'était manifestement bien plus que moi. Néanmoins, sa démonstration d'affection ne me laissait pas de marbre.
- Toi aussi ... tu m'as manquée.
- Je suis désolée ... je ne le referais plus. Promis ! m'exclama-t-elle en me serrant fortement
- Tu es tout excusée, c'est moi qui suis désolée.
Leiftan nous observa, un léger sourire aux lèvres, pendant que, ma sorcière et moi, nous enlaçâmes un court instant, avant de reprendre notre route. J’étais heureuse de l’avoir retrouvée. Apaisée par ces réconciliations, je marchais maintenant d’un pas léger. Même si, je n’avais toujours pas eu le courage d’échanger avec Leiftan, je savais qu’il ne m’en tenait pas rigueur.
Sibyl avait alors fait la conversation pour nous deux. J’appris, qu’elle avait vécu à Locrouge dans la ville de Flogeros. Cette citée, dirigée par Kassandre, hébergeait des armées principalement de sorcières et de mages. Ainsi, Locrouge avait la particularité d’avoir des villes représentant les quatre éléments : le feu, l’eau, la terre et le vent. Ma sorcière semblait appréhender son retour sur ses terres, quand nous devrions nous y rendre pour les expéditions.
- Tu as de la famille là-bas ?
- Mes parents et une sœur … répondit-t-elle tristement
Immédiatement, je sentis que l’évocation de sa famille était un sujet, l’attristant. J’aimais cette sorcière pour la joie de vivre qui la caractérisait et ses coups de sang émotifs. Cependant, le souvenir de sa famille semblait aller au-delà d’une simple émotion passagère.
- Tu vas les voir parfois ? l’interrogeais-je doucement
- Non …
- Je suis désolée …
Je ne savais pas comment réagir face à sa peine inhabituelle. Sûrement, qu’elle m’en parlerait quand elle se sentirait prête.
- Nous ne sommes pas restés en bons termes ... Mais, ne t’inquiètes pas, je vais bien. La garde m’a accueillie et vous êtes ma famille. Eros, Chrome, Karenn et maintenant toi. Je vous aime, tous !
Après avoir formulée sa phrase, elle contempla les feuilles virevoltant au-dessus de nos têtes. Je lui enviais sa capacité à s’exprimer s’y aisément. Elle réussissait toujours à expliciter ses sentiments avec une telle simplicité qui la rendait adorable. Je n’arrivais pas à concevoir que sa famille ait pu abandonner.
- Oui, tu nous as maintenant … Et… Sibyl ! l’interpellais-je en la forçant à me regarder
- Oui ?
- Je ne t’abandonnerais pas …
Ce n’était peut-être qu’un doux mensonge, mais j’étais totalement sincère. Je ne souhaitais pas l’abandonner. J’avais toujours des difficultés pour leur expliquer ce qui animait mon conflit intérieur. Néanmoins, j’avais la certitude que je ne voulais en aucun cas les délaisser.
Nous avions mis la matinée pour arriver jusqu’à la plaine de la vacuité. Je n’aimais toujours pas passer par la forêt noire, nous permettant d’accéder à ces lieux. Aussi, l’espace vide de cette plaine me donnait le sentiment d’être à découvert au beau milieu de ces arbres menaçants.
- Princesse ! Tu peux nous redire où est le cristal à partir d’ici.
J’obtempérais, me plaçant au centre de la clairière, mon esprit s’échappant rapidement. Brusquement, je fus rappelée à mon corps par des hurlement de loups. Leiftan m’entoura les épaules pour nous cacher derrière un arbre, le reste du groupe ayant fait de même à différents endroits. Un doigt sur ses lèvres, le Lorialet pencha sa tête pour observer les alentours.
Sans un mot, je tirais sur sa manche pour l’informer de mon plan. Je pouvais localiser d’où provenaient ces cris, il me suffisait simplement d’amener mon esprit vers eux. Je pris le temps de respirer profondément, me dissociant à nouveau.
Flottant au-dessus des arbres, je sentis ces auras progresser à une vitesse déconcertante, celles-ci venant de la forêt profonde derrière nous. À trois ou quatre kilomètres de nous, ces âmes sombres se ruaient dans notre direction. Nous étions repérés, j’en était persuadée …
En silence, j’indiquais à Leiftan et Nevra, qui nous regardaient de loin, la distance à laquelle se trouvaient nos invités. J’avais également pu percevoir leur nombre, sept ou huit, tout au plus. Nevra fit un geste du bras pour ordonner à ses recrues de s’enfoncer plus profondément dans la forêt. Nous devions rester discrets et tenter de les semer. Si se séparer était un risque, cela permettrait toutefois de progresser furtivement.
Ainsi, Eros, Chrome et Karenn prirent les devants, suivis ensuite par Nevra, Irine et Sibyl. Chaque petit groupe avait pris un chemin différent afin de perdre les loups dans la forêt. Ainsi, quand les Blacks dogs arriveraient à la plaine, ils n’auraient pas d’autre choix que de suivre une seule piste.
Dans tous les cas, nous avions déjà un point de rendez-vous, l’assemblée des bouleaux étant l’emplacement du quatrième cristal. Leiftan et moi-même avions donc l’avantage de pouvoir nous diriger aisément à l’aide de mes pouvoirs. Finalement, je commençais à avoir le sentiment d’être utile à la sécurité de mon unité. Désormais, je n’avais plus qu’à croiser les doigts pour les retrouver sains et saufs à l’endroit prévu.
Leiftan m’attrapa par le bras pour traverser la forêt par la gauche. Nous avancions rapidement, tout en prenant soin de ne faire aucun bruit, la pression alimentant chacun de nos pas. Nous ne devions pas nous retourner, juste marcher à en perdre haleine. J’avais le sentiment que l’adrénaline poussait mon corps à redoubler d’efforts. Il était hors de question que l’un de mes amis meurt dans cette forêt !
Nous avions dû nous arrêter quelques fois pour que je relocalise le cristal. Je ne voulais plus être ce fardeau que j’avais été la veille. J’avais confiance en eux, et je voulais qu’ils puissent avoir confiance en moi.
Après avoir marché plusieurs heures, Leiftan et moi étions arrivé les premiers à l’assemblée des bouleaux. Ces immenses arbres à l’écorce blanche était d’un nombre impressionnant, si bien que leurs branches s’entremêlaient pour chercher à atteindre la lumière du jour. Je n’avais jamais vu autant d’arbres de cette espèce réunis au même endroit.
Avant l’arrivée du reste de l’escouade, j’avais cherché à savoir où était précisément le fragment. La pierre semblait s’être perchée en haut d’un bouleau. Leiftan me demanda alors attendre le groupe avant d’aller la récupérer. De toute façon, je ne comptais pas grimper tout en haut d’un tel arbre.
Malgré ma crainte de ne pas les voir arriver, je savais qu’ils avaient bien plus de ressources que moi pour faire face aux dangers. Malheureusement, plus les minutes passèrent, plus mon angoisse s’accentua. Où étaient-ils ? Pourtant, nous étions partis après eux … s’étaient-ils perdus ? Nous n’aurions jamais dû nous séparer ! Leiftan avait surement senti mon inquiétude, puisqu’il attrapa ma main avec douceur en me faisant un signe de tête rassurant. Ils allaient arriver … Ils ne pouvaient pas avoir été rattrapés, je ne voulais pas y croire.
Nous dûmes attendre un long moment avant d’apercevoir le groupe de Nevra. Immédiatement, je me mis à courir dans leur direction pour enlacer Sibyl. Elle répondit joyeusement à mon étreinte, Nevra dépeignant - encore une fois - mes cheveux.
- Ça va, respires belle Ombre. Nous sommes plus costauds que ça, plaisanta le vampire
Je le savais … Pourtant, cela ne m’avait pas empêché de m’inquiéter pour eux. Je n’osais imaginer la suite de notre voyage avec les nombreux dangers qui se dresseraient sur notre route. Peu de temps après, le reste de l’escouade arriva. J’étais également heureuse de les retrouver, malgré mon altercation avec Karenn. Par ailleurs, cette dernière sembla me regarder d’un œil différent.
- Norya a localisé le cristal en haut de ce bouleau. Eros tu y vas ? nous recentra Leiftan
- Bien sûr mon capitaine !
- Attends ! Tu ne vas pas trop haut le corbeau ! Nous ne devons pas être repérés, lui ordonna Nevra
- Oui … oui … bredouilla Eros
Son changement d’attitude, me dérouta. Eros semblait feindre d’être intimidé par le vampire, sans que je ne comprenne pour quelle raison. D’ailleurs, son comportement plutôt familier avec Leiftan, m’avait également interpellé. Finalement, lorsqu’il déploya ses grandes ailes de plumes noires pour se propulser dans les airs, je fus captivée par son envol. Je l’observais tournoyer autour du tronc arbre jusqu’à le perdre de vue.
Je me retournais alors vivement vers Sibyl une question brûlant mes lèvres.
- Un corbeau ? hoquetais-je
- Bah oui ! Eros est un corbeau d’Odin, me répondit-elle charmée par l’envol de son corbeau
- Un corbeau d’Odin ? Odin … Mais, c’est une légende ça.
- Une légende !? s’exclama Karenn
- Oui, dans mon monde c’est une légende ou, du moins, une ancienne religion viking.
- Odin n’est pas une légende ! Tu me dégoutes, l’humaine ! grimaça Chromes
Déroutée, j’observais alternativement Karenn, Chromes et Sibyl, sondant leur aura pour saisir leur propos. Ils étaient sérieux … réellement. Odin aurait-t-il existé ? Dans ce monde ?
Mon esprit fut obscurci par de nombreuses interrogations, m’empêchant ainsi d’y donner du sens. Jusqu’ici, je n’y avais pas pensée, mais ils m’avaient parlé d’une guerre entre les humains et leurs peuples. Aussi, dans mon monde, j’avais déjà entendu des légendes sur plusieurs créatures qui peuplaient Eldarya. Alors, à quel point nos deux mondes pouvaient-ils être liés ?
- Qui est Odin pour vous ?
- Un guerrier, souverain des Terres de Phalael, l’ancien roi des dragons, m’expliqua Leiftan
Cela ne collait absolument pas avec ce qui était dit dans nos légendes. Mis à part qu’il était un dieu de la guerre, il était surtout le dieu des dieux. Pourquoi les humains auraient-ils vénéré Odin en tant que dieux, alors qu’il existait en ce monde en tant que roi des dragons … ?
Puis, une autre question me traversa l’esprit.
- Les corbeaux d’Odin étaient deux. Eros n’a pas de frère ? Je pensais qu’ils étaient inséparables.
Les corbeaux d’Odin, Huginn et Muninn, étaient réputés dans la mythologie nordique pour voyager ensemble à travers les neuf mondes de l'arbre cosmique d’Yggdrasil. Je connaissais leurs légendes, mais je n’aurais jamais imaginé qu’ils avaient eu des descendants. Au même moment, Eros atterrissait à nos côtés pour transmettre la pierre à Nevra.
- Non, je n’ai pas de frère.
Son ton fut dur, malgré tous je sentis la peine qu’il renfermait au fond de lui. J’étais quasiment certaine, qu’il me cachait quelque chose. Soudain, une évidence vint à moi.
- Les loups de Týr ! m’exclamais-je
J’avais dû prendre un ton alarmant, puisque l’escouade pris aussitôt une position de combat.
- Non, non, non … Pardon. Je voulais juste savoir qui était Týr pour vous ? Est-ce que les loups de Týr sont des combattants à lui ? Ça n’a pas de sens, vu que le loup, Fenrir, avait arraché son bras … Je … m’embrouillais-je
Je n’arrivais pas à saisir à quel point nos deux mondes avaient été liés. Les dieux des légendes scandinave avaient bel et bien existé ici, mais ils n’occupaient pas forcément la place qu’ils avaient dans nos écrits.
- Týr était un résistant face au règne d’Odin, il voulait … commença Leiftan
- Un résistant ? Laisse-moi rire ! Týr était juste un opposant au pouvoir, cracha Nevra
- Je ne comprends pas, Týr est un dieu oublié dans mon monde. Mais, il était le dieu de la justice et de la sagesse au service d’Odin.
L’escouade me dévisageait, effarée par mes propos. Toutefois, je ne saisissais pas les enjeux de ce conflit. J’avais bien compris que les loups de Týr étaient une menace pour Eldarya. Seulement, nos histoires s’entremêlaient entre le faux et le vrai, la légende et le réel. Je cherchais simplement à comprendre, sans vouloir vexer personne.
- Fenrir n’a jamais arraché le bras de Týr ! Ils s’étaient même alliés, tous les deux, pour anéantir Odin ! s’insurgea Karenn
Encore une fois, ça ne concordait pas … Týr aurait donné sa vie pour Odin, il avait même offert son bras en sacrifice. Le loup, Fenrir, avait fini par tuer Odin, mais Týr était mort pour le venger.
- Ne redis jamais ça ! conclu sèchement Chrome
- Je suis désolée … J’essayais juste de comprendre.
- Je t’ai déjà dit d’arrêter de te poser des questions, me rappela mon chef
En voyant leur mine épouvantée, je réalisais que si j’ajoutais un mot de plus, j’allais finir par perdre toute crédibilité à leur yeux … Certes, les nombreuses attaques des loups de Týr, que m’avaient décrites les personnes du refuge, ne montraient pas un désir de justice et encore moins de sagesse.
Seulement, je m’étais construite autour de ces légendes, je les avais lues, je les avais comprises. Et, bien que ce ne soit que des mythes, tout ici remettait en question ce en quoi je croyais. Car, malgré tous, je m’étais attachée à ces divinités.
Je n’eus même pas le temps de m’excuser que des hurlements se firent entendre. Ils me semblèrent plus proches que dans les plaines. Finalement, je n’eus pas à réfléchir bien longtemps.
- Courez ! hurla Nevra
Plusieurs silhouettes d’énormes loups noirs vaporeux s’élancèrent déjà vers nous. Je ne pris pas le temps de les observer, courant immédiatement à la suite de mon escouade. Nevra était partir à devant avec Irine à une vitesse déconcertante pour grimper sur un bouleau facile d’accès. Chrome suivait alors Karenn pour lui indiquer un arbre sur lequel monter, tandis qu’Eros avait attrapé Sibyl par le bras pour l’amener avec lui.
Je suivais péniblement le mouvement afin de trouver un arbre sur lequel gravir. Mon escouade m’avait devancée, sans prendre le temps de s’assurer de ma présence. Je ne pouvais vraiment pas leur en vouloir, nous étions en fuite …
Mais … Où était Leiftan ? Je ne pus m’empêcher de regarder dans toutes les directions pour savoir où il se trouvait, les Blacks dog progressant dangereusement dans ma direction. Ainsi, malgré tous les risques qu’entrainait mon geste, je me risquais à jeter un coup d’œil par-dessus mon épaule.
Huit loups noirs me traquaient de leurs yeux vairons, un de leurs œil violet semblant s’enflammer. Leurs babines retroussées faisaient apparaitre leurs crocs acérés. Ils venaient de me prendre pour cible … Je détournais alors vivement la tête pour reprendre ma course effrénée de peur de me faire déchiqueter par ces bêtes affamées. Cependant, mon inattention entraina ma chute.
Je n’avais pas eu le temps d’observer les obstacles jonchant le sol, tout en continuant ma course. Brutalement mon corps fut projeté vers l’avant, mon pied se retrouvant prisonnier d’une racine jaillissant de terre. J’étais coincée !
Je tentais alors d’extraire mon pied piégé dans la racine, en tirant de toute mes forces, sans succès. Immobilisée au sol face aux loups cavalant dans ma direction, je fus prise de panique.
Mon escouade avait réussi à atteindre des arbres bien plus éloignés de l’endroit où je venais de tomber. Coincée là, je ne voyais plus aucune issue. Tétanisée par la peur, j’aurais voulu pouvoir hurler afin qu’ils me viennent en aide. J’aurais souhaité être capable de faire le vide dans mon esprit pour sortir de mon corps et trouver l’aura de Leiftan, mais tout était brouillé.
Je ne ressentais plus rien d’autre que les âmes meurtrières de ces loups, progressant dans une seule intention : me tuer …
- Norya !!! hurla une voix qui ne m’était pas inconnue
Seulement, je n’étais plus que centrée sur les hurlements des loups, m’empêchant ainsi de saisir à qui appartenait cette voix ayant crié mon nom. Malgré moi, mon esprit s’était focalisé sur ces auras emplis d’animosité.
Puis, en me sentant sortir de mon corps, une phrase tourna en boucle dans ma tête : « Je ne veux pas mourir ici … ». Lorsque, je fus happée par les propos de l’une de ces âmes monstrueuses, je perdis mes moyens : * Tuez là ! *
Soudain, un énorme éclair s’abattit devant la meute de Blacks dog. Leiftan venait d’accourir à mes côtés. Encore embrumée par les évènements, je perçue simplement sa haine et sa combattivité. Il venait de me sauver la vie … Tout s’était passé si vite. À la hâte, les loups décampèrent, tandis que l’escouade venait de nous rejoindre, sans que je m’en aperçoive.
- Leiftan ! Nous allons être pourchassés maintenant ! cria Nevra
- Tu avais une autre merveilleuse idée en tête peut-être !
Toujours coincée dans la racine, je ne parvenais pas à m'en extirper, seule.
- Taisez-vous, vous deux ! pesta Karenn
A ma grande surprise, se fu Karenn et Sibyl qui prirent la peine de m’aider. La vampire glissa une fine branche entre la racine et mon pied pour faire levier et m’en extraire. En reprenant enfin possession de mes mouvements, ma peur se changea rapidement en colère. Comme d’habitude se fus injustifiée, seulement j’avais besoin d’extérioriser.
Ainsi, en me redressant, je fonçais tête baissée vers Leiftan pour le pousser violemment à de nombreuses reprises.
- Toi ! Où étais-tu ! Tu m'as laissée seule !
- Je pensais que tu me suivais. Je me suis aperçu trop tard du contraire.
- Tu te fiches de moi !
Il m'avait abandonnée ! Les autres étaient tous partis en binôme, alors qu’il m’avait laissée m'enfuir seule. La peur avait brouillé mes sens de phénix. Je n'avais eu plus que la vue pour m'apercevoir qu'il n'était pas à mes côtés. Je ne cessais pas de le bousculer, en continuant à le blâmer.
- Hé ! Les lovigis ça vous irait de poursuivre votre querelle au QG ? Les meutes vont se réunir pour nous pourchasser.
En arrêtant mes mouvements, je me retournais vers Nevra pour lui indiquer, le bras fermement tendue, l'endroit où les Blacks dog étaient partis.
- Ces bêtes ont un cristal, peut-être même les trois ! Que ferons-nous quand nous devrons les récupérer !
- Si cela ne te dérange pas princesse, je préférerais en parler en lieu sûr, me répondis calmement mon chef
Quand j'avais ressenti ces âmes sur la plaine, elles semblaient imprégnées de l'énergie du cristal. Si elles n'en possédaient peut-être plus maintenant, elles en avaient forcément approché un récemment.
J'avais toutefois fini par obéir en prenant les devants de l'escouade. La sorcière et la vampire avaient trottiné pour me rejoindre. Je me doutais que le reste de l'unité nous suivait, mais je ne m’étais pas retournée pour m'en assurer. L'adrénaline activait à nouveau mes pas, me faisant rapidement avancer parmi les bouleaux pour sortir de cette satanée forêt. Leiftan était, pour le moment, impardonnable ! J'avais été tellement terrifiée à l'idée de mourir ici ...
Nous avions marché en silence jusqu'à la plaine de la vacuité, la meute semblant s'être désintéressée de nous, pour l'instant. J'avais bien saisi les mises en garde de mon chef, les loups allaient maintenant chercher à se réunir pour nous attaquer en plus grand nombre. Mais, combien … Combien de black dog y avaient-ils dans cette foret !?
- Pardonne-moi pour hier, lâcha Karenn en brisant le silence
Ses excuses firent immédiatement tomber toute ma peur et ma colère. Elle m'observait l'air coupable, ces mots lui ayant coûtés. Il n'était jamais facile d'avouer ses torts et je ne faisais pas exception à cette règle.
- Mon frère est toujours en train de courtiser différentes femmes. Je suis fatiguée de ses débordements ... et de ses échecs ... m'avoua la vampire
- Je suis désolée aussi de ne pas avoir cherché à venir te parler, finis-je par réussir à formuler
Sibyl nous dévisageait toute sourire, avant de me bousculer précipitamment pour se mettre entre Karenn et moi. En nous attrapant l'une et l'autre par les épaules, elle nous serra vigoureusement dans ses bras.
- Je suis trop contente ! J'avais peur que vous soyez toujours en froid !
Ce simple contact suffit pour réchauffer mon cœur, le nettoyant de tous ces sentiments néfastes. Eros et Chrome avaient alors eu le temps d'arriver jusqu'à nous pour se moquer de nos démonstrations d'affection. J'étais prête à parier qu'ils étaient juste envieux de notre relation et qu'ils auraient souhaité participer à notre étreinte. Tout en reprenant notre route tous les cinq, je ne pus m’empêcher de participer à leur pitrerie habituelle.
- Tu es jaloux Chromes ? le provoquais-je un sourire en coin
- Jaloux de … de quoi, de qui … bafouilla-t-il
Il n’avait pas besoin d’en rajouter, en voyant le visage satisfait d’Eros, je compris que j’avais visé juste. Le lycanthrope en pinçait pour la vampire, c’était une certitude maintenant. D’ailleurs, en constatant que son ami me soutenait dans ma remarque, il en profita pour l’attaquer à son tour.
- Toi, le corbeau, tu devrais plutôt t’occuper de ta sorcière.
- Oh ! Oui, oui, oui !
La sorcière s’élança alors à la poursuivre d’Eros qui l’esquivait tant bien que mal.
- Tu me le payeras sale bête ! râla le corbeau en se débattant pour que Sibyl le relâche
- Ne te fatigue pas trop. Je n’ai pas terminé mon interrogatoire, jubila soudain Karenn
- Combien de fois vais-je devoir te le dire ! Je n’y suis pour rien ! grogna Eros
Déroutée, j’observais Karenn enquêter auprès du corbeau. Elle ne semblait pas avoir la langue dans sa poche et être capable de tout pour obtenir une information. J'étais heureuse de pouvoir enfin découvrir le caractère fort et affirmé de la vampire. Fort heureusement, je n'étais pas sa cible actuelle.
Elle essayait de faire craquer Eros pour une sombre histoire de vol de pain intervenu dans la réserve de la cantine. Le corbeau s’était alors senti obligé de lui rabâcher plusieurs fois qu'il n'y était pour rien et qu'il ignorait l’auteur du larcin. Karenn nous avait ensuite interrogés les uns après les autres. Mais, manifestement, elle en avait surtout après le corbeau. Chrome se contentait de se moquer de son ami et Sibyl de prendre sa défense. Une vraie bande de joyeux farceurs ces quatre recrues.
En leur compagnie, j'avais fini par faire abstraction de la menace qui planait sur notre escouade. Nous avions donc avancé plus vite que je ne l'aurais cru. Ainsi, au coucher du soleil, nous étions enfin parvenus à l'orée de la forêt.
En arrivant devant la grande porte du QG, Nevra demanda à ses recrues de retourner dans leurs appartements en leur affirmant qu’ils seraient informés de la suite. En effet, Leiftan, Nevra et moi-même étions convoqués par Markus tous les deux jours. Compte tenu de l'attaque de ce jour, il me semblait pertinent de faire un point pour prévoir une stratégie.
Les blacks dog savaient forcément où étaient les cristaux, c'était une évidence pour moi. Cependant, j'appréhendais de devoir leur reprendre ces fragments. L'hamadryade avait déjà été difficile à convaincre, alors je n'osais imaginer comment ses loups nous recevraient.
Sans leur adresser un mot, j'avais suivi Nevra et Leiftan jusqu'à la salle de cristal. Le lorialet m'avait laissé seule et leur dispute incessante commençait à me peser. Je ne comprenais pas ce qui alimentait leur conflit, mais si c'était moi il fallait qu’ils arrêtent ! Je n'en pouvais plus de les réprimander à ce sujet. Ils étaient tous deux des chefs et leurs rôles étaient de nous diriger. S'ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord, nous n’arriverions à rien. Je n’étais peut-être pas la mieux placée pour leur faire de tels reproches, mais cela n'avait que trop duré.
Markus nous attendait, heureusement, seul au centre de la salle. Je sentis alors le cristal trônant sur le pupitre appeler les pierres que Nevra portait dans sa sacoche.
- Quelles sont les nouvelles, mes amis ? nous questionna le dragon
- Nous avons été repérés par les blacks dogs dans la plaine de la vacuité et poursuivis jusqu'à l'assemblée des bouleaux, commença le vampire
- Nous avons réussi à fuir. Toutefois, j'ai dû intervenir. Les blacks dog doivent donc en ce moment se rassembler, compléta Leiftan
- Combien de fragments avez-vous ?
Nevra donna sa sacoche à Markus en lui en indiquant le nombre.
- Quatre, mais Norya pense que les trois restants sont détenus par ces loups.
Le dragon se tourna alors vers moi. Jusqu’ici, je les avais écoutées en retrait, de peur de ce que je serais capable de dire s'il me sollicitait. Finalement, je m’étais moi-même retrouvée dans une situation de danger. J'avais blâmé Leiftan pour un événement que j’aurais pu éviter si j'étais plus entraînée.
- Que devons-nous faire d'après toi ? me demanda Markus
Il se moquait de moi ... Comment pouvait-il croire une seule seconde que j'avais un plan en tête ? J’avais juste senti que les loups avaient été en contact avec le cristal. Pour couper court à mon absence de réponse, Leiftan pris la parole.
- Si les loups possèdent ces fragments, ils sont forcément gardés par leur alpha. Nous allons donc devoir tenter de l’atteindre discrètement.
Sa stratégie m'éclaira immédiatement les idées.
- Moi, je peux l'atteindre ! lâchais-je instinctivement
- Non ! rétorqua Leiftan
- Et pourquoi faire ? Tu ne sais pas contrôler tes pouvoirs. Puis, tu ne sais même pas ce que tu peux en faire, m'arrêta mon chef
Le vampire raison. Pourtant, c'était la solution la plus discrète pour éviter de les mettre en danger.
- Alors, laissez-moi une semaine pour m'entraîner, argumentais-je
Markus m'observait en réfléchissant. Seulement, Nevra et Leiftan ne semblaient pas d'accord avec ma proposition. Je ne céderai pas ! Si j’avais les moyens de protéger mon escouade, j’allais au moins essayer.
- S’il te plait, Nevra. Ecoute-moi, si j’arrive à parvenir dans l’esprit de l’alpha vous n’auriez pas à vous battre. Comment veux-tu trouver une solution plus furtive que celle-ci ? Nous avancerons discrètement jusqu’à leur repère, mes pouvoirs nous aideront à y accéder. Vous n’aurez plus qu’à protéger mon corps d’une potentielle attaque des loups. Je m’occuperais de neutraliser leur chef. Laisse-moi essayer …
Je ne savais pas de quoi j’étais capable, mais je sentais que je pouvais y arriver. Il fallait que pour une fois, ils me laissent la chance de le prouver. Même si, j’étais toujours pétrifiée à l’idée de me retrouver en face de ces bêtes, je souhaitais me confronter à cette peur. Je devais le faire pour pouvoir continuer nos expéditions.
- Non ! C’est hors de question ! Tu ne devrais même pas venir avec nous. C’est dangereux ! s’énerva Nevra
À quoi jouait-il ? Il allait envoyer toutes ses recrues et pas moi …
- Pour ma part, j’estime que sa stratégie est appropriée compte-tenu des circonstances.
- Merci … soufflais-je
- Cependant ! Je veux vous entendre me promettre que Norya reviendra saine et sauve et cela, quel qu’en soit le prix à payer, ordonna Markus
Mais … Pourquoi ? Je ne saisissais pas ce que je représentais pour ce dragon. Il était souverain de Phalael, la cité la plus puissante d’Eldarya, et je n’étais qu’une humaine sortie de nulle part. Pourquoi prenait-t-il ma défense en permanence ? Il faudrait que je trouve un moment avec lui pour clarifier ce point.
- Nous n’aurons pas besoin de faire une telle promesse. J’ai confiance en mes Ombres.
- Et nous avons également confiance en Norya, ajouta Leiftan
J’allais vraiment le faire … Ils avaient enfin confiance en moi.
- Alors, je vous accorde une semaine pour lancer l’infiltration, conclu Markus
Après notre rapport auprès de Markus, j’avais rejoint ma chambre sans échanger avec Nevra ou Leiftan. Je ne voulais pas les entendre me reprocher mon plan. J’avais bien senti qu’ils n’étaient aucunement en accord avec ma décision. Je les avais juste mis au pied du mur. Le dragon avait tranché en ma faveur et ils ne pouvaient pas le contester.
Lucina m’avait accueilli troublée. En voyant ma mine défaite, elle avait immédiatement compris qu’il s’était passé quelque chose. Malgré tous, je ne voulais pas l’inquiéter en lui expliquant notre « rencontre » avec les Blacks dog. Pourtant, il y avait des raisons d’angoisser. Qu’est-ce qui m’avait pris de proposer une telle stratégie ?! Quoi qu’il en soit, je ne pouvais plus reculer maintenant. J’en était capable !
J’imaginais déjà l’expression d’Eweleïn quand j’allais devoir lui dire. Demeurant une semaine au QG, je n’aurais aucun moyen de fuir ses questionnements. Je ne l’avais pas vue pendant deux jours et pourtant sa douce aura me manquait déjà. Alors, si je partais pour Phalael … J’avais cessé d’y repenser, mais incontestablement il fallait toujours que cette idée me hante.
Les gazouillements de Léana me ramèrent aussitôt dans l’instant. Qu’il était beau d’avoir une âme d’enfant. Je sentais son innocence, son envie de vivre, de comprendre … son amour … Elle s’émerveillait de détails que nous ne remarquons même plus. Une feuille qui tombe de l’arbre en regardant par la fenêtre, un éternuement de Lucina, mes bâillements de fin de journée. Tout semblait retenir son attention. Elle était merveilleuse …
Je m’étais ensuite endormie rapidement, après être passée par les douches communes et avoir ramené des vivres dans ma chambre.~*****~
Le lendemain, je m’étais réveillée déterminée. Pour la première fois, j’allais pouvoir découvrir mes capacités. J’espérais que Nevra ne m’accueille pas au manoir avec de nombreuses remontrances en réserve. En me levant, j’embrassais tendrement le minois de ma fille, avant d’ouvrir à Lucina qui se trouvait déjà sur le pas de ma porte. Je les quittais alors pour me préparer et rejoindre les Ombres.
En sortant du réfectoire, après avoir mangé et m’être lavée, je tombais nez à nez sur Eweleïn qui plissait ses yeux bleu gris d’un air accusateur. Je savais déjà ce qu’elle comptait me dire …
- Tu es inconsciente !
- Eweleïn … je n’ai pas le choix …
- Je t’ai déjà dit que nous avions toujours le choix.
- Alors, dans ce cas, j’ai choisi.
- Je t’interdis de prendre des risques inconsidérés et … reviens c’est tout.
Elle s’engouffra dans le réfectoire sur ces mots. Même si elle venait de me faire ces reproches, je savais qu’elle tenait à moi. Cela me faisait plaisir de l’avoir revue.
Le manoir des Ombres n’avait pas changé, il était toujours habité par la témérité et l’ardeur de ses membres. Je ressentais de plus en plus leurs maanas parcourir dans cette espace clos. Il emplissait la salle d’une force incommensurable, chacune des recrues puisant dans leur énergie pour combattre, sauter, courir, tirer …
Leur souffle bleuté s’évaporait dans l’air, certains de leurs circuits lumineux communiquant entre eux, comme un partage de sentiments communs. Probablement que leurs liens d’amitié me devenaient visibles. Ils étaient devenus peu comme ma famille, cela me permettait sans doute de percevoir plus distinctement ce que cachais leurs âmes.
- Bonjour princesse.
Coupée dans ma concentration, je fis volte-face, surprise.
- Que vois-tu ?
- Leurs énergies vitales, leurs âmes … dévoilais-je en reprenant ma contemplation
Je perçu la perplexité de mon commandant. Il ne pouvait pas comprendre mes ressentis et surtout je n’arrivais pas moi-même à me les expliquer.
- Tu es prête, belle Ombre ?
Lorsque j’acquiesçais, il m’amena vers mon unité, nous attendant dans les gradins. Comme toujours la bande des quatre discutait joyeusement, pendant qu’Irine les observait dépitée. Je ne parvenais pas à cerner cette créature et j’aurais souhaitée pouvoir pénétrer son esprit pour y voir ses sentiments enfouis. Avec un peu de chance, elle se porterait volontaire … Enfin, je pouvais toujours espérer, ça m’étonnerait grandement … Étonnamment, en me focalisant sur elle, je sentis un lien entre son âme et celle d’Eros, sans en comprendre le sens. Elle avait l’air si solitaire, puis je ne les voyais guère échanger entre eux.
En arrivant, Sibyl m’accueillit joyeusement, comme à son habitude. Puis, d’un geste de la main Nevra fis évacuer les Ombres du manoir à une rapidité déconcertante. Je fus déstabilisée par le vide qu’entrainait leur départ. Bien plus qu’un silence, c’était l’énergie ayant disparue avec eux qui me fus incommodante.
- Je leur ai expliqué notre plan avant ton arrivée. Je ne veux pas prendre le risque que ton esprit se perde en dehors de son objectif. Et, ton objectif, c’est moi princesse.
Karenn leva les yeux au ciel, en se contraignant pour ne pas faire de remarque. Puis, mon commandant détailla l’objectif de mon entrainement du jour. L’escouade avait pour unique ordre de garder une position de défense autour de moi, cela me permettrait de m’accommoder à leur esprit le moment venu. Je n’avais aucun doute sur ce point, j’étais déjà suffisamment proche d’eux pour ne pas pénétrer leur conscience malgré moi. Je me demandais surtout pourquoi Leiftan n’était pas présent, sachant que c’était plus vers lui que mon esprit s’était dirigé plusieurs fois.
Nevra s’éloigna de nous pour simuler la distance que nous devrions tenir avec les loups. La différence, notable, que comportait cette mise en place était l’absence d’arbres. Même en dehors de mon corps, mon esprit parvenait à les sentir et, pour avancer vers une aura, je devrais d’ailleurs les éviter.
Chacun prit sa position, mon chef me commandant d’entamer ma course. Je fermais les yeux, me concentrant sur sa seule âme, tout en brouillant celle de mes camarades. En me dissociant, je sentis son esprit m’appeler, toutefois j’y percevais aussi ses doutes. Nous ne savions pas ce qui pouvait advenir. Je progressais alors lentement en tentant de discerner ses ressentis.
Il ne me rejetait pas, au contraire, il m’ordonnait de me presser.
Et, enfin ! J’entrais … J’étais là, consciente dans un autre corps. Je n’étais pas simplement à l’intérieur d’un esprit, je sentais ses membres, ses muscles, le sang qui coulait dans ses veines, l’air qui rentrait dans ses poumons. Je parvenais à ressentir sa fatigue et sa force.
Puis, je saisis plus distinctivement ses doutes face à la situation. C’est à ce moment que je compris l’étendue de mes capacités. Je pouvais commander ses mouvements … J’arrivais à provoquer des actions sur ses membres, le maanas qui y circulant m’aidant à effectuer ces déplacements. J’avais la capacité d’influer les battements de son cœur et l’ensemble du fonctionnement de ses organes.
Je possédais son être tout entier.
Son esprit et son corps étaient, tous deux, assujettis à ma propre volonté. Il tentait de résister à mon intrusion, mais il ne pouvait plus m’expulser. Je voulais en apprendre plus sur lui, connaitre ses sentiments inavoués. Derrière ses doutes se cachait sa peur et derrière sa désinvolture se cachait sa peine. * Arrête ça ! *
Je rejoignis mon corps, ordonnée par sa pensée. Le choc fut violent, je venais de perdre brusquement toutes les sensations de la puissance de son corps et de son esprit.
- Je … Je suis désolée …
- Je ne t’ai pas demandé d’inspecter mon âme !
L’unité nous regarda surpris cherchant à saisir la teneur de ses propos.
- Excuse-moi … Je … paniquais-je
Je m’étais centrée sur mes sensations sans prêter attention à son rejet. J’avais éprouvé ce qu’il ressentait, pourtant je n’avais pas eu la délicatesse de faire preuve de retenue. Je voulais tellement comprendre, que j’en avais oublié, que ce que je vivais, il le vivait également.
- Sortez ! ordonna le vampire
Sans poser de question, ils obéirent. J’accrochais au passage les iris orangées de Sibyl, s’excusant de devoir me quitter précipitamment. Dès qu’ils furent tous partis, Nevra s’avança vers moi pour attraper fermement les épaules.
- Qu’as-tu vu !
- Rien… rien… Je t’assure que je ne peux pas percevoir tes souvenirs.
Maintenant, j’avais peur qu’ils me fuient, tous, en pensant que je pouvais lire dans leurs pensées ou découvrir leurs souvenirs cachés. Je n'étais pas capable de faire ça ...
- Alors, qu’as-tu vu ! Dis-moi ! insista-t-il en resserrant mes épaules
- Je ne vois rien Nevra, je te le jure … Je ressens juste. J’ai perçu ta peur et … ta peine …
Hésitante, j’avais prononcé ses mots, en m’en voulant terriblement de lui avoir procurer ce sentiment de perte de contrôle. La tête baissée, il relâcha alors mes épaules. J’avais piégé sa conscience, en la forçant à abandonner toute la possession de son propre corps. Je l’avais persuadé de ne pas me rejeter et de me laisser entièrement prendre le contrôle de son corps.
- Je sentais que tu étais là, mais je ne pouvais plus rien faire …
- Je sais … Je suis tellement désolée … Nevra … Je t’en prie.
Les larmes me montèrent, en constatant qu’il n’osait même plus me regarder dans les yeux. Finalement, la peur que j’avais sentie ... elle m’était destinée. J'avais ressenti cette peur qu'il éprouvait envers moi. Pourtant, je l'avais ignorée pour rechercher ses sentiments plus enfouis. Puis, Nevra releva ses yeux, semblant reprendre contenance. Comment avais-je pu ignorer ses ressenties aussi égoïstement !?
- Peu importe. Nous savons maintenant que tu es capable de maîtriser leur alpha.
Ce jour-là, le vampire m'avait commandé de retourner dans mes appartements. Je n'avais pas insisté, n’étant pas en position de lui soutirer d’autres informations. Seulement, cela ne m’avait pas empêchée de me poser des questions. Si sa peur m'était destinée alors d'où provenait sa peine ... Que lui était-il arrivé ?~*****~
Les jours suivants, Nevra avait continué à m'entraîner. Lui et mon unité ne me tenaient pas pour responsable de ce qui c'était passé. Je me demandais d'ailleurs ce que mon chef avait pu leur dire sur l'incident qui s'était produit. Au vu de leurs comportements, je supposais qu'il ne leur avait pas tout expliqué. Toutefois, j'avais appréhendé la réaction de Karenn. Elle était sa sœur et compte tenu de son besoin constant de connaître la vérité, j'étais étonnée de constater qu'elle n'avait pas l'air de m'en tenir rigueur. Elle n'avait même pas l'air d’être au courant.
Quoi qu’il en soit, je me gardais bien de relancer ce sujet. Ce que j'avais vécu lors de ce premier entraînement m'avait, au moins, permis de réfréner mon besoin d'examiner l'âme de Nevra. Je me cantonnais alors au plan : essayer de contrôler son corps pour le forcer à me ramener différents objets dissimulés dans le manoir.
J'étais surprise de la facilité déconcertante avec laquelle je pouvais commander ses mouvements. Je vivais à l'intérieur de lui en pouvant induire des comportements sur son corps et dans son esprit. Je progressais rapidement, parvenant maintenant à le persuader de me ramener des objets que je n'avais même pas vus. J’arrivais à sentir quand il essayait de dissimuler une information. Certes, je ne voyais pas ses pensées ou ses souvenirs, mais je pouvais saisir ses ressentis dans l'instant présent pour y induire des réactions. Je changeais alors sa peur en confiance et ses résistances en obéissance. Ainsi, sans s’en rendre compte, il me menait de lui-même vers les objets que je recherchais.
Cette sensation de pouvoir sur l'autre en était presque inquiétante.
Les retours dans mon propre corps devenaient difficiles. Je ressentais de nouveau mon enveloppe corporelle incontrôlable, ne pouvant pas lui ordonner de ralentir les battements de mon cœur ou d'oxygéner mes poumons. Mon corps devenait, petit à petit, un poids hébergeant ma conscience. Il était frustrant de ne pas pouvoir m'auto-posséder.
Nous avions également évoqué mes capacités avec Leiftan. Le Lorialet m'avait alors expliqué que mes pouvoirs étaient surdéveloppés pour un phénix. Certains pouvaient, en effet, influencer quelques pensées ou comportements en les ciblant. Toutefois, la possession de corps et la manipulation mentale n'étaient jamais associés. Dans les nombreuses races de phénix qui avaient existé, la majorité d’entre-eux avaient des facultés liées au feu ou au ciel.
Par la même occasion, j’avais appris qu'Irine était une succube ayant la capacité d'envouter la gente masculine pour les immobiliser momentanément. Néanmoins, elle avait décidé de ne plus utiliser ce pouvoir. J'aurais aimé en connaître les raisons mais je m'étais abstenue. Irine n'était pas une personne proche et je ressentais sa défiance vis-à-vis de moi, d'autant plus depuis que l'escouade avait connaissance de mes facultés ; au contraire du reste de mes camarades qui avait accueilli la nouvelle avec joie.
Karenn m'avait déjà missionnée pour persuader Karuto de lui donner des portions supplémentaires à la cantine. Chrome voulait que je manipule Nevra pour qu'il cesse de le réprimander au sujet de ses retards en mission. Et Sibyl ... elle était venue me voir, gênée, pour que j'analyse les sentiments d'Eros. J'avais dû les arrêter en leur affirmant que je ne comptais pas faire usage de mes pouvoirs sur la Garde.
Il était hors de question que je me serve de ces capacités pour des futilités ou pour mon plaisir personnel. La réaction de Nevra avait été suffisamment déstabilisante pour que je ne veuille pas réitérer l'expérience. Aussi, ma manipulation mentale n'était effective qu'avec la possession du corps. Ainsi, mon hôte retrouvait tous ses moyens et ses ressentis quand je ressortais. Il avait déjà été difficile pour moi de le comprendre et il était encore plus compliqué de le leur expliquer.
Leiftan et Nevra tenaient régulièrement des assemblées avec Markus et Miiko pour les informer de notre avancement. J'aurais aimé y être présente, mais j'avais aussi refusé de voir la kitsune. Je n'avais donc pas pu échanger avec Markus. Pourtant, je voulais toujours savoir ce qu'il attendait de moi. Je sentais bien qu'il cherchait à me protéger ... mais quelle raison ?
Je ne savais pas comment aborder ce dragon sans que la renarde ou les chefs de Garde ne soient présents. Il fallait que je réfléchisse à un moyen, après notre infiltration chez les Blacks dog. Pour le moment, j’étais bien plus concentrée sur cette tâche.
Cette semaine m'avait aussi permis de m’occuper de ma fille et de reprendre mes fonctions pour l'Absynthe. J'avais aidé les recrues qui se chargeaient de mes groupes de paroles en leur transmettant une partie de mes connaissances en psychologie. Toutefois, j’évitais les termes techniques, sachant qu'ils manquaient de compétences dans ce domaine qui, pourtant, était indispensable pour soutenir la population du refuge.
Ces familles avaient toutes vécu des événements traumatisants qui allaient bien au-delà de ce que j'avais pu rencontrer dans mon monde. Heureusement, les membres de l'Absynthe étaient souvent des érudits ayant soif d'apprendre. Il était alors plaisant de converser avec eux.
Mon infirmière avait été heureuse de me revoir dans sa Garde. C’était moins le cas d'Ezarel qui continuait à me prendre pour une insignifiante petite chose malgré mon évolution dans des deux Gardes d’Eel. Je ne m'en formalisais plus, au fond je commençais même à m'attacher à cet Elfe.~*****~
Étonnamment, la veille de notre départ je sentis une aura différente s’apprêtant à toquer à ma porte. J’allais alors ouvrir et fus surprise de tomber face à Valkyon.
- Je venais m’excuser d’avoir provoqué ce conflit entre toi et Miiko, m’annonça-t-il abruptement
Les évènements s’étaient enchainés tellement vite que j’avais arrêté de chercher des explications de sa part. Même si, je n’en lui en voulais aucunement, j’avais encore besoin de comprendre pourquoi il n’avait pas parlé à Miiko.
- Il n’y a rien à pardonner. Tu n’y es pour rien, au contraire. Pourquoi n’avais-tu rien dit ?
- J’aurais certainement fait comme toi, si j’avais eu connaissance de mes origines.
- Tu … tu ne connais pas tes origines ?
- Non. Néanmoins, je suis né ici contrairement à toi, ce qui fait de moi un Faérie malgré tout. Je peux comprendre que ton identité t’appartienne et que tu ne souhaitais pas en informer notre cheffe. Toutefois, je tenais à m’excuser d’avoir manqué de prudence en me rendant à Phalael. Puis, je voulais surtout essayer d’apaiser la tension qui règne entre toi et la Kitsune. Elle n’est pas ce qu’elle laisse transparaitre, je peux te l’assurer.
- J’entends ce que tu me dis, mais elle est inexcusable …
- Je comprends, je voulais juste partager mon avis avec toi pour que tu y réfléchisses.
Sans me laisser la possibilité de lui répondre, il tourna les talons. Valkyon semblait porter de l’estime à sa cheffe, ce qui n’était pas mon cas. Elle ne m’avait jamais fait montre d’attitudes forçant le respect. J’acceptais les excuses de l’Obsidien, mais en aucun cas je ne voulais réfléchir sur l’opinion qu’il avait de la renarde. Ma confiance avait ses limites et je ne lui avais jamais accordé. Probablement que je m’entêtais, mais mon ressentiment n’avait été que trop alimenté par la Kitsune.
Elle en était unique responsable !~*****~
Le matin de notre infiltration, Lucina m'avait rejoint dans ma chambre. Les mains sur les hanches, elle me fusilla gentiment du regard. Je m’attendais déjà à des remontrances de sa part. Comme Eweleïn, elle n’était pas non plus enchantée l’idée de me savoir prendre de tels risques.
- Ma petite demoiselle. Vous avez l'interdiction formelle de vous mettre en danger.
- Oui ... Eweleïn me l'a déjà dit. Ne vous inquiétez pas.
- Alors, écoutez cette sage Elfe et ne restez pas dans mes pattes. Allez-vous préparer hop, hop, hop, m'ordonna Lucina en tapant dans ses mains.
J'obtempérais en riant ; elle venait quand même de me mettre à la porte de ma propre chambre. Lucina avait ce mélange de bienveillance et d'assurance qui faisait d'elle une personne merveilleuse.
J’étais alors allée déjeuner en compagnie de Sibyl et Karenn qui avaient hâte d'en finir avec cette forêt. Elles n'avaient pas tort, j'étais fatiguée de croiser les mêmes arbres sombres dans la forêt noire. J'avais envie de découvrir d'autres Terres d'Eldarya. Cependant, plus la fin de cette expédition approchait, plus je me rendais compte que je n'avais toujours pas de réponse à apporter à Markus. Avais-je envie de partir ou de rester … ?
Après avoir retrouvé Chrome et Eros dans les couloirs du QG, nous avions rejoint, tous les cinq, l'orée de la forêt. Notre commandant nous expliqua brièvement que nous devions nous rendre dans la forêt profonde pour que je localise les meutes. Nous avions alors un sacré bout de chemin à parcourir avant d’y parvenir.
Si je me sentais détendue en présence de mon unité, il n'en restait pas moins que les enjeux de notre mission m’angoissaient. Que ressentirais-je en possédant l’une de ces créatures ? J'étais perdue dans mes pensées en essayant d'envisager à l'avance ce que j'allais sentir dans cet esprit, pendant que nous avancions dans la forêt.
- Norya ... m'interpella Leiftan en me tirant doucement pour nous éloigner du groupe
Il avait cet air inquiet qui ne me rassurait pas. Il n'y avait aucune raison que notre stratégie ne fonctionne pas.
- As-tu pris ta décision ?
Pas ça ... pas là ... Il n’avait pas le droit de me demander ça aujourd'hui.
- Non … Leiftan s’il te plait, ne me force pas à te répondre maintenant …
- Je ressens tellement de doute en toi. Norya, si tu veux rentrer dans ton monde dis le moi. Mais … je t’en prie épargne moi et rejette-moi, m’implora-t-il
Il y avait toujours cette connexion particulière entre nous que je n’avais pas repoussée. Elle m’était indispensable pour continuer. Je sentais toujours son maanas rassurant et sécurisant. Cependant, j’étais égoïste de ne pas prendre en compte le fait que ce partage allait dans les dans les deux sens et qu’il devait sûrement en souffrir.
- Le père de Léana est là-bas … lâchais-je
Je n’avais pas oublié Jorik. Il représentait tellement de choses pour moi. Nous avions construit une vie ensemble … une vie de couple et sa vie à elle. Léana était sa fille. Si je restais, je lui enlevais le droit de la connaitre, de l’élever et de lui montrer tout l’amour qu’il éprouvait déjà pour elle. Et en même temps, il y avait ma vie ici. Aussi courte fut-elle, j’avais vécu énormément d’événements à leurs côtés durant ces quatre mois.
Comment choisir entre ces deux vies, entre ces deux mondes, entre ces deux personnes que j’aimais ? Choisir signifiait devoir renoncer ... renoncer à une partie de moi-même.
Leiftan me regardait intensément. Nous n’avions pas souvent évoqué le père de Léana ensemble. J’avais surtout échangé avec Lucina et Eweleïn à ce sujet. Cependant, Leiftan savait que Jorik était l’une des raisons principales qui provoquait mes doutes.
- Ma famille est là-bas … ajoutais-je tristement
Il souffrait à chacune des raisons que je lui évoquais… mais, je voulais qu’il sache, qu’il comprenne, ce que j’allais perdre en restant avec lui.
- Et tu as probablement ta famille ici …
Je ne l’avais jamais questionné à ce sujet de peur d’en connaitre la réponse. Il m’était arrivé d’envisager qu’il m’accompagne dans mon monde et si j’apprenais qu’il avait une famille ici, cela aurait emporté tous mes espoirs.
- Non, cela fait bien longtemps que je n’ai plus de famille ici.
Sur ces mots, il me quitta pour rejoindre Nevra et Irine à l’avant de l’escouade. Il me laissait là, avec cette unique information. Pourquoi ? Je sentis toute la peine et la détresse qui traversaient la moindre parcelle de son énergie vitale.
Au fond, je savais que je l’aimais ... Pour tout ce qu’il était, ce qu’il représentait et ce qu’il avait fait pour moi. J’aimais sa douceur, ses réflexions, sa combativité, son respect des autres. Mais, j’allais tout perdre. J’avais déjà tout perdu … puisque je l’aimais sincèrement …
J’enfermais alors ces pensées pour me concentrer sur notre objectif. Nevra m’avait sollicitée plusieurs fois pour que je localise les Blacks dog. J’étais maintenant sûre qu’ils possédaient les trois fragments restants. Plus nous nous approchions, plus je ressentais l’énergie des cristaux. Ils étaient tous là et nous allions leur prendre !
Nous avions mis la matinée pour arriver à proximité de l’emplacement où les Blacks dog s’étaient rassemblés. Nous étions alors restés à bonne distance de leurs tanières pour chercher un arbre où nous pourrions tous monter. Les loups avaient élu domicile à proximité d’un cours d’eau au milieu de grands chênes et de noyers. L’odeur de la chair pourrie flottait l’air. L’herbe auparavant verdoyante était abimée par les cadavres trainés au sol. L’endroit était empreint de la mort et des combats, perceptibles avec le sang séché qui revêtait ce terrain jauni. Il n’y avait plus que le bruit du ruisseau et le mouvement des arbres pour amener de la vie en ces lieux.
Nous avions réussi à repérer un grand chêne aux branches imposantes, nous permettant d’y accueillir l’ensemble de l’escouade. Irine et Eros y avaient déjà volé, tandis que Chrome, Sibyl et Karenn s’aidaient pour y grimper. Nevra et Leiftan étaient restés à mes côtés au sol en inspectant les lieux. Nous y étions … Ils ne comptaient plus que sur moi.
- Norya ?! m’interpela Leiftan
Il venait de monter sur la première branche, tendant son bras vers moi. En la saisissant, il souleva mon corps pour me hisser aisément de branche en branche. L’unité s’était installée en silence, Nevra montant doucement derrière nous, tout en continuant à observer les alentours. Pour le moment, nous n’avions pas été repérés.
Arrivé en haut, le groupe pris position autour de moi. C’était à mon tour maintenant …
En fermant les yeux, je n’avais toujours pas lâché la main de Leiftan, ce contact me permettant de faire le vide nécessaire pour m’extirper de mon enveloppe corporelle. J’altérais alors ma perception de leurs auras pour me rendre dans la tanière. Cependant, je ne pus m’empêcher de sentir la confiance et l’angoisse qu’éprouvaient le Lorialet. Je dus en faire abstraction pour continuer à progresser vers les loups.
Je ne voyais pas la tanière, mais je la sentais … Je ressentais ces âmes sombre, d’où émanaient leurs sentiments de haine et de vengeance. Leurs buts étaient de protéger leur alpha par tous les moyens. Derrière leur animosité, se cachait probablement un important respect des règles de la meute. Toutefois, ces règles étaient bafouées quand il s’agissait de s’attaquer à un oméga. L’aura des omégas était différente, m’inspirant une profonde tristesse. Ils étaient les boucs émissaires, les souffre douleurs pour apaiser la colère des autres loups de la meute.
En me concentrant sur la recherche des fragments, j’aperçu l’âme d’un chef. Son énergie m’apparue plus puissante, plus menaçante, plus autoritaire. Il était là ! C’était leur alpha !
Il ne devait pas me repérer, lorsque je progresserais dans sa direction. Je ne pris alors pas le temps de me poser des questions qui m’empêcherais d’agir ensuite. Immédiatement, je pénétrais dans son esprit, bloquant tous ses sens. Il savait que j’étais dans sa conscience. Seulement, il ne pouvait déjà plus alerter sa meute.
Je dû me concentrer davantage pour ne pas fuir de ce corps si repoussant. Tout ce que je sentis chez cet alpha me révulsait, le goût du sang dans sa bouche, ses multiples blessures infectées et l’aversion qu’il éprouvait envers moi. Cependant, derrière sa malveillance, il n’en restait pas moins une créature fatiguée par le temps.
* Sors ! * Va-t’en sorcière ! * Je vais te tuer ! * J’entendais uniquement ses pensées les plus véhémentes, celles voulant me chasser, refusant violement mon intrusion. Mais, je n’allais pas partir ! Il allait m’offrir ses fragments !
J’ordonnais alors à son corps de se mouvoir pour me mener aux cristaux. Ainsi, il fut forcé de les saisir et d’avancer au milieu de ses loups pour sortir de la tanière. La meute laissa passer leur chef sans s’interposer. Ils savaient ce qu’ils risquaient à lui désobéir. J’avais réussi à le persuader de relâcher les pierres proches de l’emplacement où nous nous trouvions, annihilant son odorat afin qu’il ne sente pas mon unité.
Ses muscles saillants s’activais sous mes commandements, chacun ses pas touchant le sol trempé de sang, chacune de ses sensations devant alors mienne … Je ne savais pas depuis combien de temps j’étais dans ce loup, mais il me devenait de plus en plus difficile de le manipuler, sa conscience me combattant pour me rejeter de son esprit.
* Tu vas mourir ! * Tu seras torturée par ma meute ! * Je ne devais pas éprouver de peur, sachant que celle-ci me ramènerait automatiquement dans mon corps. J’étais hors de danger dans sa conscience. « Tu ne peux pas m’atteindre » pensais-je intérieurement.
* Je t’entends salle garce ! * Il m’entendait … Mais, qu’entendait-t-il ? Soudain, je sentis l’aura d’Eros s’emparer des fragments dans la gueule du Black dog. Et, je fus projetée dans mon corps à la suite de ma panique.
- Il faut partir ! Maintenant ! leur commandais-je
Eros s’envola avec les cristaux, tout en me saisissant par la taille pour m’emporter avec lui. Que faisait-t-il ? Pourquoi m’emmenait-il ? Le reste de mon unité était restée au sol, courant entre les chênes, tandis que les blacks dog s’élancèrent à leur poursuite. Je les perdis de vue quand Eros m’entraina dans les hauteurs.
Je percevais la forêt du ciel, découpée de manière improbable entre la forêt noire, la tanière des loups, l’assemblée des bouleaux, les plaines de la vacuité … Aucun de ces lieux n’avait de liens entre eux, ils étaient comme séparés les uns des autres par leurs plantations distinctes.
Où était mon escouade !
- Lâche-moi Eros ! Il faut aller les aider !
- J’ai mes ordres Norya …
- Non ! Arrête ! Laisse-moi ! m’énervais-je en bougeant pour le contraindre à me lâcher
- Ne fais pas ça, s’il te plait ! Nous avons tous reçu cet ordre. Alors, arrête de résister.
Qui … Qui était cette personne qui m’avait obligé à abandonner mon escouade ! S'ils devaient combattre ces meutes, ils allaient forcément y rester. Mes yeux s'embrumèrent à cette pensée. Je m'étais pourtant promis de les protéger lors de cette mission.
Mais, j'avais eu peur … J'avais quitté son corps trop tôt, alors que j'aurais dû me servir de l'alpha pour éloigner les autres loups. Je n'avais pas respecté le plan jusqu'au bout et maintenant Eros me tenait au-dessus des arbres. Peu à peu, je ne sentis plus leurs auras, nous nous étions probablement déjà trop éloignés.
J'avais lamentablement échoué ...
Le corbeau me ramena rapidement à la grande porte du QG. Dès que mes pieds touchèrent le sol, je me retournais pour asséner de nombreux coups.
- Tu les as abandonnés là-bas ! Tu m'as forcée à partir ! Qui t'en a donné l'ordre ?
- Markus ... Il a contraint Leiftan et Nevra à mettre en place cette stratégie de repli pour te protéger.
Brusquement, je pris l'allée centrale en courant pour rejoindre la salle du cristal. Pourquoi Markus m’avait-t-il obligée à les laisser affronter ces bêtes seuls ! À peine arrivée, je fus surprise de constater que le dragon semblait m'y attendre.
- Pourquoi avez-vous décidé ça ! Vous n'aviez pas le droit de m'obliger à fuir ! criais-je entre deux sanglots
Je ne voulais pas les perdre ... et même si j'admettais mon erreur, il ne m'avait pas laissé la possibilité de me racheter. Je les imaginais déjà encerclés dans cette forêt, piégés de tous côtés par ces créatures infâmes.
- Je voulais garantir ta sécurité, répondit sereinement Markus
- Je ne vous avais rien demandé ! Arrêtez de faire comme si vous vous préoccupiez de moi !
Il prit une profonde inspiration avant de poursuivre. Seulement, sa réponse n’allait pas me plaire.
- Soyons honnêtes Norya. Tu as les moyens de retrouver les cristaux, ta protection est, de fait, une de mes prérogatives de souverain. Je ...
- Alors c'est ça ! C'est ça votre raison ! Vous ne valez donc pas mieux que Miiko !
Miiko comme Markus n’avaient jamais cessé de ne voir en moi qu’un outil. Je n'étais rien d'autre à leurs yeux qu'un objet pour sauver leur fameux cristal et ils considéraient mon escouade de la même façon. Ils étaient capables de mettre leurs vies en danger !
Alors, c'était ça « quel qu'en soit le prix à payer » me rappelais-je.
Je haïssais cette renarde et je maudissais maintenant ce dragon. Markus n'était pas le souverain juste que j'imaginais. Ma colère et ma peur avaient alors obscurci mes pensées, m’empêchant ainsi de réfléchir intelligemment. J’en venait même à demander si les loups de Tyr n’avaient pas de bonnes raisons de les combattre.
- Je te demande d’essayer de nous comprendre. Miiko et moi-même, nous nous devons de protéger notre peuple. Le cristal est l’essence d’Eldarya et sans sa force notre monde disparaitra. Je savais que ce plan ne te conviendrait pas. J’ai donc fais le choix de ne pas t’en informer en tant que souverain de Phalael. Mais, en tant que personne, je t’ai fais la proposition de venir sur mes terres afin de te démontrer ma considération, m’expliqua solennellement Markus
Plus le temps passait et moins j’arrivais à cerner ce dragon. Son âme m’était impénétrable, comme s’il usait de sortilège pour m’empêcher de percevoir ses réels sentiments. Ces mots semblèrent honnêtes, mais qu’était-t-il encore capable de me cacher ? Je lui avais aveuglement accordé ma confiance, seulement, était-t-il possible qu’il la trahisse à nouveau ?
- Comment puis-je vous croire ? Vous avez décidé de mettre la vie de mes amis en péril !
- Ayez confiance en eux, ils reviendront. Pour l’heure, nous devrions parler de votre départ à Phalael pour vos prochaines expéditions. As-tu pris ta décision quant à mon offre ?
Je ne savais plus quoi penser, l’évènement d’aujourd’hui remettant tout en question. Markus semblait vouloir me protéger pour sauver son peuple. N’étais-ce pas une noble raison ? Malgré tout, il était aussi capable de mettre en danger mon escouade pour arriver à ses fins. Cependant, contrairement à la Kitsune, il n’avait jamais menacé la vie de ma fille, ni ma propre vie. Avais-je envie de laisser Léana au QG auprès de cette renarde perfide ? J’allais dans tous les cas devoir partir à Phalael pour récupérer les fragments disséminés sur ses terres. J’allais d’ailleurs devoir explorer chacune des terres d’Eldarya avant de retourner définitivement au QG.
- Je partirais à Phalael avec mon escouade et j’espère pour vous qu’ils reviendront sains et saufs de cette forêt. Quant à Léana, elle m’accompagnera avec Lucina pour rester à mes côtés dans votre domaine. Cependant ! Je ne resterais pas avec vous. Je poursuivrais mes expéditions sur les terres d’Eldarya avec ma fille. Vous ne pourrez pas m’empêcher de l’emmener avec moi dans les domaines de Locrouge et d’Acragas.
Je n’abandonnerais pas Léana à la Garde, elle viendrait avec moi à chacune de mes expéditions et resterait en sécurité avec Lucina dans les domaines des dirigeants. Je n’avais confiance qu’en cette fée du logis pour la protéger et en mon escouade pour m’accompagner dans mon voyage. Markus n’était peut-être pas aussi malhonnête que Miiko et son choix était légitime, toutefois je ne lui laisserais jamais ma fille.
- Soit. Je comprends ta décision. Nous partirons donc dans une semaine pour mes terres.
Après cette entrevue, je m’étais aussitôt rendue à la grande porte sans même repasser par ma chambre. Eros était encore posté devant, attendant impatiemment notre unité. Nous dûmes patienter durant de longues des heures, le soleil se couchant déjà. Je pouvais sentir l’angoisse du corbeau que je partageais fatalement.
Nous n’échangions pas un mot, nos regards rivés sur la clairière lointaine menant à l’orée de la forêt. Mes craintes grandissaient de minute en minute. Ils ne pouvaient pas mourir … ils n’avaient pas le droit ! Cette pensée était plus qu’absurde …
Mais, s’ils mourraient maintenant … Je n’avais toujours pas réussi à leur dire à quel point je les aimais. J’avais promis à Sibyl que je ne l’abandonnerais jamais … Je venais tout juste de débuter une relation amicale avec Karenn. Chrome était un loup, certes arrogant, mais que je commençais à peine à connaitre. Aussi, malgré tous mes doutes concernant Irine, elle ne méritait pas d’être tuée là-bas.
Puis, Nevra … je respectais tellement ce vampire. Il était mon chef, mais il était surtout l’une des meilleures personnes que j’avais pu rencontrer depuis mon arrivée à Eldarya. Quant à Leiftan … je l’aimais tout simplement sans parvenir à lui exprimer et sans véritablement réussir à me l’avouer.
- Ils sont là ! s’écria Eros
Au loin, j’aperçus les silhouettes de ma sorcière et de ma vampire, courant aux cotés de Chrome en la direction de la grande porte. Spontanément, je me ruais vers eux, suivie de près par Eros. Quand nous fûmes parvenues au même niveau, Sibyl m’accueillit affectueusement les bras tendus. Elle me serra contre elle, forçant Karenn à se joindre à notre accolade.
- J’ai eu tellement peur pour vous … pleurais-je
Sibyl nous relâcha pour observer la mine sombre. Où étaient Leiftan, Nevra et Irine ? En regardant par-dessus son épaule, je les vis s’avancer vers nous avec plus de difficultés. Je ne pris pas le temps d’essayer de percevoir leurs émotions pour courir vers eux.
Mon attitude fut instinctive. En me jetant dans les bras de Leiftan, je ressentis immédiatement sa souffrance. Il lâcha un léger râle de douleur tout en plaçant l’une de ses mains autour de ma taille. Prise de panique, je desserrais mon étreinte pour l’examiner. Un bandage de fortune habillait ses hanches, laissant entrevoir le saignement s’écoulant de sa plaie. Il était blessé ! Affolée, je les scrutais tour à tour, cherchant à obtenir des réponses à mes questions muettes.
Il était en vie, mais que s’était-t-il passé ? Allait-t-il s’en sortir ?
- Je vais bien, ne t’en fais pas, me rassura Leiftan en serrant les dents
Depuis que j’avais retrouvé l’ensemble de mon escouade, mes larmes continuèrent de couler. Je ne parvenais pas à formuler une seule phrase, tentant, vainement, de communiquer par le regard. Malgré sa douleur, son maanas m’adressait toujours sa tendresse et son assurance. Nous avions alors marché doucement en direction du QG pour rejoindre l’infirmerie.
Nevra ne prononçait pas un mot, affichant une mine coupable. J’aurais aimé réussir à les interroger, mais je demeurais au côté de Leiftan en essayant par tous les moyens de lui transmettre un peu d’espoir malgré mes craintes.
En arrivant enfin à l’infirmerie, seuls Leiftan, Nevra et moi avions passé la porte. Eweleïn nous avait alors reçus l’air grave.
- Que s’est-t-il passé ? nous demanda-t-elle
Elle se précipita vers Leiftan, le contraignant à s’asseoir sur l’un des lits. En enlevant la bande entourant ses hanches, je pus constater l’étendue de sa blessure. Il avait été mordu …
Sa plaie saignait abondamment, mais je pouvais voir les crocs de cette bête qui se dessinaient dans sa chair. Il fallait agir vite pour arrêter l’hémorragie et éviter tout risque d’infection. Je ne connaissais pas les ravages qu’entrainaient une telle morsure de Black dog. Cependant, leur mâchoire était suffisamment large pour marquer une importante partie de sa taille.
- Nous avons été pourchassés par des Blacks dog. Nous étions parvenus à les semer dans les plaines de vacuités, mais l’alpha a réussi à nous suivre. Quand Irine s’est fait attraper, Leiftan s’est immédiatement interposé, expliqua brièvement Nevra
Il s’était blessé pour lui sauver la vie ? Je ne parvenais toujours pas à saisir quel lien il entretenait avec cette succube. Contrairement, à l’estime que lui accordait Nevra, en tant que chef de l’Ombre, je n’arrivais pas à discerner les attaches qui reliaient la succube à Leiftan et même à Eros. Tous deux semblaient lui porter de l’importance. Toutefois, je me recentrais immédiatement sur l’instant. Peu m’importait leurs relations, je devais simplement être présente pour Leiftan.
D’un geste de la main, Eweleïn nous commanda de sortir, tout en appelant ses recrues pour venir l’aider. Nevra s’exécuta aussitôt, tandis que j’hésitais encore. Les membres de l’Absynthe s’activèrent alors autour de Leiftan, pendant qu’Eweleïn commençait à désinfecter la plaie pour s’apprêter à la recoudre.
Je n’étais pas à ma place et je n’avais aucune envie de voir ça. Cependant, il était hors de question pour moi de fuir à nouveau. J’étais responsable de cet échec. Il était là uniquement par ma faute. Je voulais rester !
Leiftan retenait ses cris de douleur, les recrues se relayant pour fournir le matériel nécessaire à l’infirmière. Eweleïn ne m’avait pas redonné l’ordre de sortir. Ainsi, debout devant l’entrée, je partageais un peu de sa souffrance ; notre connexion m’aidant à discerner le moindre de ses ressentis. J’essayais alors de lui faire parvenir les miens.
J’étais là et je ne partirais pas ! Je ne l’abandonnerais pas !
Eweleïn acheva ses soins en lui donnant une fleur de maanas et en lui appliquant un baume réparateur. Puis, elle s’approcha de moi pour poser une main chaleureuse sur mon épaule, tout en ordonnant à ses recrues de partir.
Seule avec Leiftan, nous nous observions sans rien dire. Je n’avais pas bougé, mes larmes n’ayant vraiment jamais cessé. En cet instant, je pris conscience que nos expéditions risquaient de nous tuer … J’allais finir par le perdre …
- Ne reste pas là-bas … m’implora-t-il avec douceur
Fébrilement, je m’avançais pour m’asseoir à côtés de lui. Il tendit alors sa main que je saisis sans réfléchir.
- Je n’irais pas vivre à Phalael … Je ne partirais pas loin de toi … lâchais-je enfin
Il me sourit tendrement, me fixant de ses émeraudes que j’avais eu si peur de ne jamais revoir. Je ne lui avais pas encore dit tout ce que j’éprouvais pour lui, mais il savait maintenant que je ne l’abandonnerais pas.
Et peut-être qu’un jour, je parviendrais à lui avouer que je l’aimais …
Chapitre 6 : La haine est un poison qui alimente les doutes
Après le retour de l’escouade au QG, j’avais passé la nuit au chevait de Leiftan. Nos rôles s’étaient quelque peu inversés depuis mon accouchement et j’étais heureuse d’avoir le sentiment de pouvoir lui rendre l’appareil. Eweleïn était venue s’assurer régulièrement de son état afin de vérifier que le baume réparateur faisait son effet. Il cicatrisait doucement, mais les techniques médicales d’Eldarya étaient bien plus avancées que dans mon monde.
J’avais alors expliqué brièvement à Leiftan mon entrevue avec Markus. Par ailleurs, Nevra était passé pour m’informer que nous serions convoqués le lendemain. Nous avions ensuite fini par nous endormir, épuisés par cette journée. Ainsi, au matin je l’avais laissé à l’infirmerie pour regagner ma chambre.
Je n’avais pas informé Lucina de ma demande la concernant. Je m’en voulais déjà d’avoir pris cette décision sans la consulter. Mais, surtout, je l’avais laissé toute la nuit pour veiller sur ma fille sans lui en donner les raisons. Pourtant, elle avait accueilli avec le sourire et après lui avoir annoncer que je souhaitais qu’elle m’accompagne sur les terres d’Eldarya, elle s’était montrée enchantée à l’idée de voyager à nos côtés. Elle m’avait confié que Léana et moi étions devenues son unique famille. Je l’avais alors enlacé de toutes mes forces. Cette fée était un cadeau du ciel pour nous, j’espérais un jour pouvoir en faire autant pour elle.
L’assemblée concernant notre mission infiltration, s’était tenue rapidement. Leiftan n’avait pas pu être présent au vu de son état. Je m’étais alors retrouver seule avec Nevra, en face de la kitsune et du dragon, pour leurs narrer mon lamentable échec. D’ailleurs, la renarde semblait satisfaite de mon manque de compétence. Aussi, elle ne cacha pas sa joie à l’idée de me voir quitter le QG.
Quant à Markus, il avait pris la peine de s’excuser de nombreuse fois pour avoir commandé à l’unité de me protéger, malgré les risques encourus. Je n’arrivais toujours pas à savoir à quel point il était honnête, mais j’avais fini par accepter ses excuses. Sachant que nous allions nous rendre à Phalael dans une semaine, je ne comptais pas rester en froid avec le dragon. C’était moi qui avais failli et je ne pouvais pas l’en tenir pour responsable.
Durant cette semaine, j’avais organisé mon départ avec Lucina afin ne pas oublier d’affaire pour ma fille. J’avais alors appris que nous allions voyager à dos de Rawist, l’armée de Phalael ayant apprivoiser ce familier pour les expéditions et pour combattre sur le front. Cette monture noir et zébrés de blanc avaient la particularité, effrayante, d’avoir une tête en forme de crane de cheval. Néanmoins, elles étaient de fidèle destrier charismatique et efficace pour transporter des charges lourde.
J’avais également continué à m’entrainer au manoir sur les différentes techniques de fuite, de défense et de combat. Je m’améliorais de jour en jour, sentant que ma détermination accentuait mon évolution. Il était hors de question que je sois à nouveau protéger au détriment du groupe. Je me devais de pouvoir leurs porter secours lors de nos excursions.
Malgré tous, mon escouade ne m’en tenais pas rigueur. Ils avaient tous c’était impressionnantes capacité à juger leurs missions prioritaires à leur propre vie. Ce qui n’étais pas mon cas, je tenais à eux bien plus qu’en ce fichu cristal !
Aussi, j’avais expliqué en détail, à Nevra et Leiftan, ce qu’il s’était passé pendant que j’étais dans l’esprit de l’alpha. Mon chef avait fini par me dire qu’il avait pu entendre certaines de mes pensées quand nous nous étions entrainés. Après réflexion, nous pensions que mon pouvoir de persuasions devait être à l’origine de cet effet. L’alpha avait dues entendre les ordres que je lui donnais et notamment le fait que je m’adressais directement à sa conscience en disant qu’il ne pouvait pas m’atteindre. Je devrais faire plus attention à l’avenir pour ne pas me laisser surprendre par ce type de situation.
Entre mes entrainements et ma préparation au voyage, j’avais quand même pris le temps de rendre visite à Leiftan. Il avait repris ses forces rapidement pour pouvoir reprendre ses fonctions au sein de la Garde. Il avait alors enchainé les réunions avec Miiko pour prévoir son départ, celle-ci n’étant pas ravis de le savoir partir. Je n’en n’avais que faire de son avis ! Markus avait accepté ma requête et en aucun cas je ne partirais sans Leiftan ou l’ensemble de mon escouade. Elle pouvait toujours continuer à menacer la vie de ma fille, mais elle n’avait plus aucun pouvoir face à l’autorité qu’exerçait Markus et cela je l’avais bien compris.
Finalement, le plus difficile fus de programmer mon départ avec l’Absynthe. Cela signifiait que je ne verrais plus Eweleïn. J’aurais aimé pouvoir l’emmener avec nous. Cependant, l’infirmière était bien trop attachée à son poste au sein de la Garde pour vouloir nous accompagner.
Ma charmante infirmière ne m’avait toutefois pas blâmé cette fois ci. Elle avait bien compris que malgré ma décision, je regrettais de devoir la quitter. Mon poste de psychologue était ma première expérience dans ce monde. Il m’avait permis de me créer une place au QG, de rencontrer les familles du refuge et de garder un lien avec ma terre. Mais, je devais partir …~***~
Le matin de notre départ, j’allais voir Eweleïn une dernière fois pour m’assurer que nous avions pu régler tous les détails de mon absence prolongée. En entrant le cœur lourd, les premiers rayons du soleil illuminèrent les reflets bleutés argentés de sa longue chevelure. Sa douceur et son élégance avait véritablement été une bouffé d’air frais dans mon quotidien.
- Bonjour Norya, m’accueillit Eweleïn
- Bonjour … Je … Nous allons partir, je voulais te dire au revoir …
- Oh ! Prenez soin de vous et surtout n’oublie pas de demander aux infirmières des autres terres d’examiner régulièrement ta fille.
J’aurais souhaité pouvoir la serrer contre moi, mais je savais qu’elle n’était pas fervente des démonstrations affectives.
- Tu vas me manquer Eweleïn …
Un sourire empli de chaleur se dessina sur ses lèvres, mais ses yeux brillants me montrèrent son trouble. Malgré sa réserve, elle était affectée par notre départ. Elle me fit uniquement un signe de tête pour me demander de partir, en reprenant son activité. En jetant un dernier coup d’œil dans sa direction, je sortis avec un pincement au cœur. Cela lui coutait d’avouer ses sentiments, je n’allais donc pas insister.
Mon escouade devait m’attendre à l’orée de la forêt, Lucina s’étant occupé d’amener ma fille au point de rendez-vous avec Leiftan. Par ailleurs, nous avions convenu qu’elle se chargerait de Léana pendant la route. N’ayant pas l’habitude de chevaucher, je craignais de chuter avec elle. Certes, j’avais déjà fait des randonnées à cheval, cependant je ne savais pas gérer un galop.
J’oscillais entre excitation et tristesse, en laissant pour de bon la tour du QG derrière-moi. Etais-ce pour un simple au revoir ou un adieu … Même si, j’avais refusé de rester à Phalael, je n’avais toujours pas décidé de rester dans ce monde. Pourtant, j’admettais de plus en plus mon attachement pour les personnes qui y vivaient.
- Bonjour belle Ombre ! Il ne manquait plus que toi pour partir.
Je n’étais pas en retard, et quand bien même je l’eusse été, j’avais eu besoin de ce temps pour quitter Eweleïn. Majestueusement installé sur sa monture, Markus me fit un signe de tête pour m’accueillir. Lucina me souria alors, enjouée à l’idée du voyage ; ma fille confortablement allongée dans un berceau fixé sur l’avant de son Rawist.
Le dragon pris alors les devants pour nous indiquer la route à suivre, tandis que je tentais péniblement de grimper sur mon destrier. La route promettait déjà d’être compliquée …
Par chance, Eros m’aida à monter sous le regard accusateur de Sibyl. Elle me connaissait assez bien pour savoir que le corbeau n’était qu’un ami à mes yeux. Cependant, sa jalousie provenait de l’ambigüité de leur relation. Tant qu’ils ne la clarifieraient pas, la sorcière continueraient à inspecter le moindre des fait et geste du corbeau. Enfin, je n’allais pas faire de remarque sur ce point, étant donnée mon comportement vis-à-vis de Leiftan. J’avais moi-même jalousé Irine et encore maintenant je ne comprenais pas leur lien.
Nous devions traverser la forêt d’Eel pour atteindre la chaîne de montagnes qui nous séparait de Phalael. J’appréhendais de croiser les Blacks dog avec ma fille à nos côtés. Selon Markus, au vu de notre nombre et des montures, ils seraient plus réticents à nous attaquer. A mon sens, cela n’empêchait pas une attaque ! Heureusement, Eros et Irine avait reçus pour ordre de nous protéger moi et ma fille en cas de danger et cette fois ci, j’en était plutôt rassurée. Quoi qu’il en soit, j’espérais que notre ancienne infiltration les dissuaderait de s’en prendre à nous.
Cette forêt étouffante n’avait pas changé et je commençais à en connaitre le moindre des recoins. J’avais donc hâte d’en sortir pour découvrir les hauteurs des montagnes, l’air frais devant y régner. Sibyl était en pleine dispute avec Eros à la suite de l’aide qu’il m’avait apportée.
- Tu l’as aidé … se plaignit la sorcière
- Oui, effectivement. Elle avait besoin d’aide.
- Moi tu ne m’as pas aidé !
- Mais, tu n’en n’avais pas besoin, Sibyl … soupira Eros
J’esquivais alors mes deux compagnons pour ne pas être prise à partie, en dirigeant ma monture vers Chrome et Karenn.
- J’ai hâte de redécouvrir l’histoire de Phalael, il parait que leur armée sont à l’origine de bon nombre de victoires face aux loups de Tyr, s’excita Chrome en parlant à la vampire
- J’ai surtout envie de connaitre les secrets du dragon. Je suis sûre de pouvoir pénétrer dans ses appartements sans me faire remarquer.
J’étouffais un rire, en constant que Karenn était prête à tout pour dénicher une information, même si cela impliquait d’espionner les personnes les plus influentes d’Eldarya.
- J’ai bien peur que Markus connaisse tes plans à l’avance, malheureusement, me moquais-je
- Pfff, le pouvoir de ce dragon n’est pas drôle. Oh ! Mais, au fait Norya, dis-moi, il y a quoi entre Leiftan et toi ? me demanda Karenn les yeux brillants d’espièglerie
Moi qui avais échappé jusqu’ici à ses interrogatoires, je ne pouvais plus fuir. Je savais qu’elle ne me lâcherait pas avant d’avoir des informations convaincantes. D’ailleurs, Chrome semblait également impatient de connaitre ma réponse.
- Rien …
Je n’avais pas plus convaincant … Manifestement, j’étais plutôt minable quand il s’agissait de mentir. J’avais déjà tenté l’expérience en cachant mon origine et je me connaissais peu persuasive dans l’art du mensonge.
- Tu mens aussi mal que tu chevauches ton Rawist, me taquina Chrome en tirant la langue
- Je ne me contenterais pas de ce mensonge pour étayer mes soupçons, il me faut des preuves, compléta la vampire
Définitivement, j’étais devenue sa nouvelle cible. En fuyant leur compagnie, je rattrapais Nevra qui avançait, seul, non loin de nous. Il m’accueillit alors un grand sourire aux lèvres.
- Tu as dit quelque chose à ta sœur ?! le blâmais-je directement
- Ola doucement princesse. Je ne sais pas de quoi tu parles, dit-il interloqué
- Ta sœur, Karenn ! Tu lui as dit quelque chose me concernant ?
Je n’arrivais même pas à lui poser clairement ma question … Comment pouvait-il me comprendre ?
- Alors, oui je sais que ma sœur s’appelle Karenn. Mais, je ne comprends pas ce que tu tentes de me demander, belle Ombre.
- Oublies ma question, lâchais-je en m’éloignant
Je ne savais même pas pourquoi j’étais allée lui demander des explications. Peu importe ce qu’il avait dit à sa sœur, je me doutais que nous n’avions pas été discrets ces derniers jours. J’avais passé mon temps entre l’infirmerie et le manoir. Puis, Karenn m’avait vue l’enlacer, quand ils étaient revenus après notre mission. Je n’arrivais même plus à me mentir concernant mes sentiments. Seulement, Leiftan était en permanence accompagnée d’Irine lors de nos excursions, ce qui m’irritait fortement …
J’avais alors décidé de continuer ma route avec Lucina et Léana pour calmer ces émotions insensées. Ma bonne fée s’était déjà rendue à Phalael de nombreuses fois pour garder des enfants de l’armée de Markus. Elle m’expliqua alors que ce royaume avait été celui d’Odin et de ses dragons.
A l’époque, les dragons étaient ces fameuses créatures ailées que j’avais vu dans mes contes. Cependant, au fil des siècles, ils s’étaient adaptés aux conditions, mutant en une forme plus humaine. Il en était de même pour la majorité des races de Faéries. Puis, de nombreux croisements entre humains et Faéries avaient créé les Faeliens, mi-humain, mi-Faérie.
A mesure que nous progression dans la forêt, je me mis à repenser à mes échanges avec l’escouade, concernant Odin et Tyr. J’avais encore du mal à concevoir qu’ils aient existés dans ce monde. Mais, surtout, je n’arrivais pas accepter la réalité qui semblait être la leur. Confuse, j’observais le chignon de Lucina se mouvoir à chacun des pas de sa monture.
- Que s’est-il passé lors du conflit entre Odin et Tyr ? la questionnais-je alors, hésitante
Pour la première fois, je vis la lueur dans son regard changer. La lumière bienveillance éclairant ses iris marronés, refléta soudain sa rancœur.
- Pourquoi me demandez-vous cela, Mademoiselle ?
- Ce que vous avez vécus par le passé m’intéresse, me justifiais-je maladroitement
Sans me regarder, elle claqua sa langue dans sa bouche, visiblement énervée de devoir évoquer ce sujet. Pourtant, elle prit quand même la peine de me répondre.
Selon elle, Tyr avait persuadé le loup Fernir de tuer Odin afin de s’emparer du cristal. Il aurait même réussi à convaincre Garm, le loup qui gardait le monde des morts. Ainsi, Tyr avait tué Odin avant d’être exécuté par Thor pour trahison. Quant à Fenrir, il avait été abattu par Vidar.
J’étais toujours perdue entre la réalité de ce monde et les légendes du mien. Certains évènements semblaient concorder et d’autres non. Dans la mythologie scandinave, Vidar avait bien combattu Fenrir à mort. Mais, Tyr avait été tué par Garm quand il avait voulu venger Odin qui avait été assassiné par Fenrir.
Je ne comprenais absolument plus rien … Comment nos histoires pouvaient être aussi liées et en même temps si dissemblables ? Qui avait réellement tort ou raison … ?
- Finalement, après la mort de tous ces souverains. Miiko et Markus ont repris le pouvoir qu’ils détenaient. Puis-je savoir véritablement pour quelles raisons vous vous questionné à ce sujet, Mademoiselle ?
J’avais déjà provoqué mon escouade, sans m’en rendre compte, la dernière fois que nous avions parlé de ce conflit. Je n’avais donc pas envie de froisser Lucina à son tours … mais, je voulais encore lui poser une question, en tentant de restée la plus neutre possible.
- J’ai entendu parler des loups de Tyr à nombreuse reprise depuis que je suis ici, et … Lucina, dis-moi, quel est leur but en attaquant la population d’Eldarya ?
Comme pour ma première interrogation, son visage chaleureux fus empreint de haine.
- Ce sont des opposants, des créatures abjectes, croyant encore en la souveraineté de Tyr. Ils ont massacré mon époux, pillé et incendié des villages entier dans l’unique but de poursuivre sa cause. Selon eux, le dragon et la kitsune ne sont pas les souverains légitime d’Eldarya. Je suis inquiète, Mademoiselle … Je m’inquiète du jour où ils auront suffisamment de partisans pour déclencher une nouvelle guerre.
Je ne mesurais pas assez la teneur de leurs rivalités pour avoir une opinion arrêtée. J’étais toujours embrouillée par les légendes que je connaissais si bien, mais vraisemblablement ces loups de Tyr étaient une véritable menace pour mes amis.
- Mais, j’ai pleinement confiance en la Garde pour nous protéger. Miiko et Markus nous ont toujours protégés, insista ma bonne fée en me souriant
Elle en était persuadée. Lucina croyait en Miiko et Markus, malgré sa peur en envisageant une nouvelle attaque des loups de Tyr. Pour ma part, j’oscillais toujours entre ma méfiance à l’égard de la renarde et ma confiance vis-à-vis de mes compagnons de route. Finalement, leur histoire passée venait détruire tout ce en quoi j’avais cru ; tous ce qui me raccrochais en quelque sorte à ma Terre …
Ainsi, nous étions arrivés sans encombre aux chaines de montagne, nos montures nous ayant permis de progresser sans effort et à une vitesse certaine. Je m’étais même demandée pourquoi nous n’avions pas utilisé ces Rawist dans la forêt d’Eel lors de nos expéditions. Eros m’avait alors expliqué que nous n’aurions pas été discrets avec le bruit de leurs sabots résonnant fortement dans ces lieux.
Markus nous ordonna de nous presser pour atteindre Phalael avant la nuit, nous ne devions donc pas nous arrêter. Cependant, les montagnes escarpées qui s’offraient à nous me semblaient infranchissables. Dans mon monde, certaines espèces de chèvres des montagnes pouvaient gravir aisément ce type de terrain. Toutefois, nos montures ressemblaient plus à des chevaux de combat, incapables d’escalader un seul de ces blocs.
Je fus donc surprise de voir Markus commander à son Rawist de grimper sur la première roche. Celui-ci bondit alors, avec force et grâce, de pierre en pierre tel un animal des montagnes.
J’étais toute suite moins pressée à l’idée de le suivre … Si nous tombions, c’était la mort assurée. Puis, je manquais cruellement d’expérience pour être à l’aise sur ma monture. En plus de cela, nous étions à découvert sur ce tas de roches vierges, aucune plante ne semblant vouloir pousser sur ces monts abrupts au sommet en forme de pic. Je ne savais pas où le dragon voulait nous mener, mais je ne me voyais pas passer par le haut de ces chaines.
Pourtant, Lucina et une partie de mon escouade étaient déjà en train de monter derrière lui. Je fus rassurée de constater que ma bonne fée métrisait à merveille sa monture. Léana ne risquait visiblement rien avec elle. Pour ma part, je m’étais arrêtée au pied de la montagne, levant fébrilement la tête pour en étudier la progression.
Je n’avais absolument aucune envie de me lancer …
- Monte avec moi, ton Rawist suivra Markus, m’interpella Leiftan
Beaucoup trop concentrée sur mon inquiétude grandissante, j’eus un sursaut en prenant conscience de sa présence. Timidement, j’hochais la tête, tandis qu’il m’aida à monter derrière lui. Mon Rawist s’élança brusquement pour rejoindre le dragon. A une vitesse impressionnante, il avait grimper jusqu’à Markus. Ces animaux étaient vraiment dressés à la perfection.
- Tu es prête ?
Pour unique réponse, je m’accrochais fermement à sa taille pour éviter de tomber. Il commanda alors à sa monture de suivre le groupe. J’eus l’impression que le Rawist lévitait de pierre en pierre, provoquant quelques éboulements sur son passage. Plus nous nous hissions sur la montagne, plus je resserrais ma prise autour de Leiftan. Je n’étais pas sujette au vertige, mais la situation s’y prêtait.
- Ne t’inquiète pas. Si tu ne me lâche pas, il ne t’arrivera rien.
« Si » … Même si, son ton se voulait rassurant, sa phrase ne l’était nullement. Je fermais alors férocement les yeux pour tenter de me focaliser sur le vent effleurant ma nuque. L’air me faisait parvenir l’odeur fleurie des cheveux du Lorialet. Je me concentrais sur la douceur de sa peau et les battements réguliers de son cœur. Puis, je fus enfin apaisée d’être avec lui.
- Tu te sens mieux ?
- Oui … murmurais-je sans réouvrir mes yeux
Je me sentais même incroyablement bien collée contre son corps. Mon cœur s’accéléra alors. J’avais envie de plus … de pouvoir être constamment blottie dans ses bras, de passer ma main dans ses cheveux, d’être en contact avec ses lèvres …
- Tu es sûre que ça va ?
Subitement, je réouvris les yeux pour m’apercevoir que nous étions parvenus au sommet. Leiftan me regardait d’un air soucieux. Il avait sûrement perçu mon trouble, mais devait l’attribuer à ma peur du vide. Markus et l’escouade chevauchaient toujours à l’avant pour entamer la descente de l’autre versant. Seule Karenn nous observait au loin, un rictus aux lèvres. Elle devait bien se moquer de mon piètre mensonge de ce matin.
La sensation de vertige me reprit soudainement, je n’arrivais pas à distinguer le sol, perchés en haut de cette sorte de pic. Comprimant plus fortement son corps, je refermais les yeux. Je n’avais pourtant pas eu peur lors de mon envol avec Eros, ça n’avait pas de sens. Le fait, de savoir que mon escouade était poursuivie par les Blacks dog avait dû sûrement atténuer mon sentiment de malaise. Finalement, je compris que ma colère avait souvent été un moteur à ma détermination ...
- Norya ? insista-t-il doucement
- Descend vite, s’il te plait …
Les yeux fermés, j’eus la sensation de dégringoler de la montagne. Le vent frappait mon visage, mon corps tout entier semblant être propulsés vers l’avant. Cramponnée à Leiftan, je priais pour que cette descente s’achève au plus vite … et bien.
Malgré la hauteur de cette chaîne de montagnes, nos Rawists l'avaient franchie sans difficulté. Mon calvaire avait toutefois duré plusieurs heures et j'étais satisfaite de retrouver la terre ferme. Au loin, je vis que ma petite tête blonde n’avait même pas réouvert un œil. Manifestement, elle était bien plus courageuse que moi. Cette pensée me fit immédiatement sourire. J’étais fière d’elle …
En tout cas, nous étions enfin arrivés ! Les terres de Phalael était l'une des plus dotée en champs, après le village de Tourmos à Locrouge. Ainsi, les terres d'Eel étaient fournies par des paysans formés à traverser cette chaîne de montagne. Contrairement à la forêt, une allée de cyprès balisait proprement la route pavée, passant au milieu de ces étendues de champs. Du maïs, des tournesols, du blé, j'étais de nouveau chez moi, à une seule exception près que les paysans récoltaient et prenaient soin des champs à la main.
Ils relevèrent la tête de leur besogne, en nous apercevant. Qui aurait pu imaginer que derrière cette forêt mystérieuse d'Eel, se cachait un paysage aussi commun. Les travailleurs semblèrent intrigués par notre escouade. En les voyant les yeux rivés sur Lucina et Léana, je compris qu’ils ne devaient pas avoir l’habitude de voir un enfant franchir la montagne.
Nous avions ralenti l'allure pour atteindre le domaine de Markus, se trouvant tout au bout des cultures. Le calme s'était installé dans le groupe, tout le monde contemplant les alentours. Je n'entendais plus que le bruissement des champs caressés par le vent. Le soleil descendait doucement dans le ciel dégagé, ses derniers rayons venant réchauffer mes traits crispés.
Depuis la montagne, je n'avais pas lâché Leiftan, me sentant bien trop fatiguée pour reprendre en charge ma monture. Les Rawist étaient vraiment de fidèles destriers bien que têtus avec leurs nouveaux cavaliers.
Leiftan m'avait alors expliqué que le domaine de Markus était entouré de cultures, les villages plus lointains hébergeant les travailleurs. Selon lui, cette configuration avait été décidée pour permettre aux armées d'avoir une vue dégagée en cas d'attaque. Toutefois, le Lorialet déplorait les risques encourus pour les villageois et les champs qui étaient les premiers pillés et brûlés. J'étais horrifié à l'idée qu'ils soient finalement utilisés comme premier rempart contre les assaillants.
- C’est atroce de ce service d’eux comme bouclier ! m’insurgeais-je
- Markus aurait pu étendre ses murailles afin de protéger ses habitants. Seulement, le coût d'une telle construction était inenvisageable pour les dirigeants d'Eldarya.
- Alors, il laisse son peuple sans défense …
- Avec la contribution de la Garde, nous sommes parvenus à sécuriser certains villages. Des rondes régulières sont maintenues sur ces terres pour déloger les groupes de mercenaires s’y installant fréquemment.
- Miiko a véritablement ordonné cela … lâchais-je dubitative
- Nous lui avons soumis l’idée de déployer la Garde à Phalael après plusieurs attaques.
Cela ne m’étonnait pas que les chefs de Gardes aient dû intervenir pour insister Miiko à se préoccuper de la population. Finalement, je fus attendrie par son visage déterminé, lorsqu’il me parla de faire évoluer la vie du peuple. Je découvrais, de jour en jour, la personne respectueuse et combative qu'il était.
En continuant à observer les champs, je me mis à me demander à quoi pouvait ressembler le domaine du dragon. J'imaginais déjà un magnifique château de glaces, mais je devais sûrement me fourvoyer. Malgré sa posture charismatique, Markus n'avait pas l'air d'avoir la folie des grandeurs.
En parvenant au terme de l’allée, j’aperçus enfin l'imposantes murailles en pierre flanquées de nombreuses tours de guet, protégeant cette demeure cachée. L’immense porte, bâtie de bois et de métal, aurait pu laisser passer l’un des plus grands géants aidant dans les champs. Comment avait-il pu faire construire un mur d'une telle hauteur ?
D’un simple signe de la main, le dragon ordonna aux deux géants de pousser les portes pour nous ouvrir le passage. L’arène de l'armée de Phalael se trouvait au centre de la cours. Contrairement à la Garde qui accueillait de la population au refuge, Markus formait et hébergeait son armée entre ses murs. Ainsi, la cour était recouverte de sable fin et aménagée de plusieurs stands d'armes en tout genre.
La discipline paraissait de mise, les troupes s'entraînant et se relayant sur les tours de guet méthodiquement. Deux simples bâtiments en pierre, de part et d'autre de l'arène, servaient visiblement de forge et d'atelier de rangement d'un côté et de douche commune et de réfectoire de l'autre.
Je n'avais pas eu tort de penser que le dragon était une personne simple malgré sa posture majestueuse. Seul le grand bâtiment en pierre, placé face de l'entrée, avait une envergure impressionnante. Markus vivait avec ses troupes dans cette grande bâtisse rectangulaire dont deux tours lui donnaient l'aspect d'un château.
Il n'y avait pas un seul arbre, buisson ou fleur pour colorer ce lieu. En me voyant examiner tous les recoins de la cours, Leiftan m'interpella discrètement en m’expliquant que le dragon avait aménagé un jardin d’agrément avec toutes espèces de fleurs à l'arrière du château. J’en fus instantanément rassurée. En effet, depuis que les géants avaient refermé les portes, j’avais la sensation d’être enfermée dans cet endroit uniquement constitué de roche.
Markus nous fit attacher les Rawist dans une petite l'étable à l'entrée. Puis, nous traversâmes la cours pour entamer l’ascension des nombreuses marches donnant accès à la porte du château. Des soldats étaient venus nous prêter main forte pour transporter nos affaires, notamment celles de Léana. Toutefois, ce fut Leiftan qui se chargea du berceau avec ma fille. Je ne tenais pas à gravir toutes ces marches en la portant et ne souhaitais pas, non plus, qu'un inconnu s’en charge.
Arrivés dans le bâtiment, mes compagnons avaient été directement escortés par des gardes dans leurs appartements. Je n'avais même pas eu le temps d'échanger un mot avec eux. Leiftan m’avait alors laissée à contre cœur, en me rendant ma fille. Etonnamment, ils avaient dû reprendre des escaliers pour redescendre. Nous avions dû grimper d’interminable marche pour rentrer dans l’enceinte de la demeure et ils devaient maintenant redescendre pour atteindre leurs chambres. L'architecture n'avait aucun sens mis à part son esthétique ...
Le dragon me demanda alors de le suivre avec Léana, les soldats transportant nos bagages nous suivant de près. Il voulait me conduire dans un appartement situé à l’étage où j’aurais la possibilité d’apercevoir les jardins du balcon. J’étais enchantée par cette idée, même si je regrettais d’être éloignée de mes amis. L’intérieur du bâtiment était tout ce qu’il y avait de modeste, quelques tapisseries réchauffaient les murs, des armures étant disposées en décoration dans les couloirs.
Je n’avais qu’une hâte : rejoindre ma chambre et voir les jardins.
Mes appartements étaient somptueux, je me demandais même si ce n’était pas une astuce du dragon pour que je demeure à ses côtés. La pièce était équipée d’une salle d’eau privée, un lit rond étant habillé de draps en soie et de rideaux. Avec l’aide de Markus, je déposais le berceau de ma fille proche de ma couche.
Une porte proche de mon lit menait dans une pièce entièrement dédiée aux rangements des vêtements, de nombreuses robes étant déjà disposées dans des armoires en bois de chêne. Ma main enfleura, malgré moi, les tissus des tenues, tandis que Markus m’examinait du regard un léger sourire au coin des lèvres. En le voyant m’observer ainsi, j’eus besoins d’air. Avait-t-il prévu ma venue, ou cette chambre appartenait-t-elle déjà à quelqu’un ?
Je rejoins alors le balcon pour observer les jardins. Le soleil s’était couché, mais je pouvais discerner quelques arches de roses et des cerisiers en fleurs. Une fontaine au centre était encerclée de plusieurs massifs que je ne parvenais pas à distinguer dans la pénombre. La lueur de la lune naissante me donna le sentiment d'être dans un cadre idyllique, l'air frais du soir détendant enfin mes muscles contractée.
Markus m'avait suivie pour contempler le ciel étoilé. Puis, tout en regardant dans la même direction que lui, je me décidais enfin à briser ce silence pesant.
- Pourquoi m'avoir donné cette chambre ?
- Je pensais que tu y resterais.
- Non ... avouais-je, gênée
- Je l'ai bien compris, mais elle t’était destinée avant ta décision.
Dubitative, je soutiens alors son regard. Ces appartements devaient forcément être dédiés à une personne de haut rang. Pourquoi me les avait-il destinés ?
- À qui appartenait cette chambre ?
- Mon fils.
Il n'avait ni l'air triste, ni heureux, il avait simplement adopté une attitude neutre qui m'incommoda.
- Où est votre fils ?
- Úlfr est mort, emporté par la maladie, m'annonça gravement le dragon
- Je vous prie de m'excuser. Je n'aurais pas dû poser cette question, m'inquiétais-je
Markus était tellement mystérieux que je fus troublée par l’aveu de ce lourd fardeau semblant peser sur ses épaules.
- Úlfr n'était pas apprécié de tous. Il est vrai qu'il prenait parfois des décisions irréfléchies, mais ... commença Marks les yeux dans le vague
- Il était votre fils, finis-je sa phrase
- Oui ... et pour cela je l'aimais.
Par réflexe, je jetais un coup d'œil vers ma fille. Peu importe si elle n’était aimée de tous, moi je l'aimais et cela me suffisait amplement.
- Je comprends ... lâchais-je
Il regagna la pièce en silence, tout en m’informant que nous serions convoqués demain pour organiser nos expéditions. Quand, il sortit enfin, son départ me laissa une sensation de vide immense. Il avait perdu son fils ... Il n’y avait rien de pire que de perdre son enfant et je n'osais imaginer l'horreur que je ressentirais si la maladie m’enlevait ma fille.
Je la regardais alors pour imprimer dans ma mémoire son adorable visage rond. Je voulais me souvenir de chaque instant vécu ici avec elle. Quel que soit mon choix final, je n'oublierais jamais ces moments passé à Eldarya. Et … j’espérais, au fond de moi, qu'elle les conserverait dans sa conscience d’enfant. Avant de me coucher éreintée par ce voyage, je pris soins de m’occuper de ma fille, absorbant par la même occasion quelques vivres présent sur une commode à mon attention.~***~
En me réveillant à l'aube, je pensais à Lucina qui allait devoir gravir tous ces escaliers pour me rejoindre. Si je me sentais apaisée dans cette pièce illuminé par le soleil, passant à travers les baies vitrées, je culpabilisais de forcer ma bonne fée à faire tout ce chemin pour venir s'occuper de ma fille.
Après avoir pris le temps de me laver, je sortis enroulée dans une serviette. Du bout des doigts, je touchais à nouveau toutes les tenues entreposé dans les armoire, lorsque je fus interrompu dans ma contemplation par des bruits à ma porte. J'enfilais à la hâte la première robe courte, bleu nuit, qui me tombais sous la main.
- Princesse, je peux entrer ? me sollicita mon chef
Rapidement, j'ouvris ma porte, tombant ainsi nez à nez avec mon chef qui m’observais de haut en bas, l’œil charmeur.
- Tu es magnifique belle Ombre, mais tu devrais défroisser ta robe.
En baissant le regard, je constatais que j'avais enfilé ma tenues à moitié, celle-ci remontant jusqu'au haut des cuisses. Je fis de vive mouvement pour la faire retomber plus proprement, pendant que Nevra s'installait dans mon lit en face de ma fille.
- J'ai bien fait de t'appeler princesse. Dit moi quel charme as-tu utilisé auprès du dragon pour obtenir de tel privilège ? se moqua le vampire.
Je levais mes yeux ciel comme unique réponse en m'asseyant à ses côtés. Je ne l’avais même pas invité à entrer …
- Je veux bien te tenir compagnie dans ton lit le soir. Je ne voudrais pas que tu t'ennuies dans ton immense chambre.
- Nevra ... m'affligeais-je en lui tapant l'arrière du crâne
- Oh ! Pardon princesse. Néanmoins, je peux toujours inviter ton preux chevalier si tu le souhaite. Je sais que tu en meurs d'envie, rigola Nevra
Je n'arrivais pas à répliquer. Dans le fond, il avait visé juste … Mes sentiments grandissaient sans que je puisse les canaliser. J'en avait autant envie que j'en avais peur. Petit à petit, je détruisais tous mes espoirs de rentrer dans mon monde sans regrets ...
- Nevra ... Si je reste avec vous je dois abandonner ma famille. Si Karenn partait ne lui en voudrais-tu pas ?
Mon chef jouait avec Léana qui se trémoussait déjà dans son berceau. Je sentis la peine qu'il camouflait aux autres derrière ses attitudes désinvoltes. Seulement, il ne pouvait pas me mentir sur ses réelles sentiments. Je savais qu'il aimait sa sœur plus que n'importe qui.
- Princesse ... Karenn a bien plus souffert que moi à la mort de nos parents. Si elle décidait de partir, je sais qu'elle le ferait pour être enfin heureuse ... répondit tristement mon chef en continuant à chatouiller ma fille
Alors, ils avaient réellement tous perdu quelqu'un ... Une larme glissa au long de ma joue. J'aimais ce vampire, il était bien plus qu'un commandant à mes yeux. Il avait surtout un soutien indéfectible. Comment avait-il pu perdre ses parents ?
- Poses-moi ta question.
- Quoi ?!
- Je commence à te connaître belle Ombre. Je sais que tu veux savoir comment nous avons perdu nos parents. Ils sont morts en combattant.
- Les loups de Tyr ... soufflais-je
- En effet.
Il n'avait pas lâché Léana du regard, s'amusant joyeusement avec ses pieds potelés. Je ne savais pas quoi lui répondre. J'étais égoïstement centrée sur mon monde alors que chacun d'entre eux avait vécu l'horreur dans le leur. J'aurais voulu être présente pour les soutenir. J'aurais aimé ne jamais vivre sur ma terre pour être auprès d'eux ... Cela aurait été tellement plus simple que de devoir choisir.
Soudain, quelqu’un frappa à ma porte, ainsi tandis que j’allais ouvrir, Nevra continuait à jouer avec Léana.
- Bonjour Mademoiselle ! Qu'est-ce que ... s'arrêta Lucina en voyant le vampire
- Bonjour la fée. Un problème ? demanda Nevra
Alternativement, mes yeux passèrent de l’un à l’autre, tous deux semblant s’interroger mutuellement du regard.
- J'espère qu'il ne vous a pas ... m'interrogea ma bonne fée en inspectant mon cou sous toute ses coutures
- Je vois que la confiance règne, s'agaça gentiment mon chef
Je retirais les mains de Lucina de mon cou pour mettre rapidement la situation au clair.
- Non Lucina, il ne m'a pas mordue et non il n'a pas dormi ici, soupirais-je
- Mais oui, il aurait bien aimé, compléta Nevra
- Tu m'agaces, répliquais-je en me retournant brusquement vers lui
- Je sais que tu apprécies au fond, me taquina-t-il en se levant
Lucina nous jaugeait du regard d'un air désapprobateur. Certainement que la simple idée de m'imaginer avec le vampire ne lui convenait pas. Elle n'avait pas de souci à se faire sur ce point. Cependant ... Nevra avait raison, j'appréciais effectivement notre relation malgré toute l'ambiguïté qu'il y mettait. J'avais été offusquée au premier contact, mais aujourd'hui j’affectionnais ce lien que nous avions créé. Il était sincère et précieux... Je savais qu'il se jouait de moi en me faisant ses propositions aguicheuses. Nevra avait deviné mes sentiments et il les respectait.
- À tout de suite belle Ombre, termina Nevra en partant
Lucina le dévisagea sortir, les mains sur ses hanches. Son air mécontent, me fit sourire. Elle n’aurait jamais fait de mal à quelqu'un, malgré tous elle avait assez de tempérament pour me faire des réprimandes. Je décidais alors de m'éclipser pour ne pas faire les frais de ses remontrances.
- Je repasserais Lucina. Merci !
À la vitesse à laquelle j'avais fui, je retrouvais forcément Nevra qui s'esclaffa en me voyant dans le couloir. Nous étions comme deux enfants s’étant fait grondés par leur mère. Il y avait de quoi rire en effet.
- C’est qu’elle mordrait, la fée.
- C’est toi qui dis ça …
- Je rêverais de planter mes crocs dans ton cou, me provoqua-t-il en me montrant ses dents
- Jamais de la vie …
Sur cette énième plaisanterie, nous nous étions rendus ensemble à l'assemblée de Markus. Je n'avais même pas pris le temps de me revêtir d’une tenue plus habillée. Ma robe était tellement courte que j'espérais ne pas devoir aller dehors, un coup vent étant si vite arrivé ...
Nous avions dû redescendre dans le hall pour accéder à la salle du conseil, dont la porte se trouvait juste en face de l'entrée du château. En entrant, Markus et Leiftan nous y attendaient déjà. Cette salle en demi-cercle était éclairée par plusieurs hautes fenêtres laissant passer les rayons du soleil. Une table ronde en pierre prenait une place considérable dans cet espace. Elle permettait sûrement d'accueillir l'ensemble des dirigeants d'Eldarya.
Immédiatement, je fus intriguée par une tapisserie accrochée au mur. Celle-ci représentait un homme et un loup en plein combat. L'homme avait réussi à soumettre le loup, le maintenant avec des chaînes autour du cou.
- Odin et Fenrir ... murmurais-je
Instinctivement, je m’étais dirigée vers cette grande tapisserie, l'effleurant du bout des doigts avec fascination et respect. J'étais réellement passionnée par leurs légendes et tout ici me projetait dans cette époque que j'aurais tant aimé connaître. Pourtant, cette image n'avait encore aucun lien avec la mythologie de mon monde ... Markus m’avait rejoint fièrement pour observer l’œuvre à mes côtés.
- Le jours où Odin à capturé Fenrir, m'expliqua le dragon
- Les Ases ne l'avait pas enlevé à sa naissance ?
- Si, mais Fenrir avait brisé ses chaînes et était parvenu à fuir.
- Alors, il avait fini par réussir à s'échapper ! m'exclamais-je en me tournant vers lui
- Une seule fois. Il n'a jamais pu le refaire ensuite.
- Avec les chaînes Gleipnir ... murmurais-je
- C'est exact, ces chaînes ont permis d'éviter bien d'autres massacres.
Assis à table, Leiftan et Nevra nous écoutaient en silence. J'étais captivée par ce que j'apprenais de cette histoire. Même si certains éléments s’embrouillaient encore, ils avaient bel et bien existé. Ce n'était pas de simples légendes contées dans les livres.
Je voulais en savoir plus ... Comment Tyr avait convaincu le loup de se joindre à lui ? Comment Fernir avait brisé ses chaînes ? Pourquoi l'histoire dans mon monde ne concordait pas ? Mais ... pouvais-je me risquer à poser ces questions … Je touchais à un conflit guidé par leur histoire et si la mienne qualifiait Tyr de dieu de la justice, la leur semblait faire de lui un meurtrier.
- Odin était un guerrier de renom. Il dirigeait les dragons avec honneur et bravoure. Je ne cesserais jamais de croire en son œuvre, continua solennellement Markus
- Son œuvre ?
- Continuer de régner sur Eldarya en tant que son héritier dragon, en déléguant certains de mes pouvoirs aux dirigeants des autres terres.
Markus avait une façon surprenante de concevoir le partage du pouvoir. Il était un souverain et il ignorait certainement les évolutions démocratiques de mon monde. Je n'avais jamais fait de remarque sur ce sujet, mais je me questionnais, de plus en plus, sur leurs prises de décision. Lui et la kitsune semblaient détenir les pleins pouvoirs au détriment des autres dirigeants dont j'avais à peine entendu parler. Toutefois, je ne connaissais pas assez leur monde pour donner un avis sur son fonctionnement politique.
Markus repris alors sa place sur l'unique trône installé autour de la table. Puis, il me fit signe de m'asseoir en face de lui, entre le vampire et le Lorialet.
- Vous partirez demain en expédition. Mes terres sont vastes et vous n'aurez pas la possibilité de revenir dans ma demeure. Je tenais à vous informer que des mercenaires d'Acragas sont toujours sur Phalael. Nous essayons de les déloger sans violence. Toutefois, vous devrez être prudents et, si vous découvrez leur campement, je vous somme de fuir. Si un cristal s'y trouve, mes armées s'en chargeront. Est-ce clair ?
Leiftan et Nevra hochèrent simplement la tête. Quant moi, j'étais resté figée sur le fait que j'allais devoir laisser ma fille. Je me doutais que nos excursions m’obligeraient un jour à camper dans les terres, mais je ne pensais pas que cela arriverait de sitôt. J'allais partir c’était une certitude, mais allais-je revenir ... Perdue dans mes pensées, je n'avais pas vu qu'il ne restait déjà plus que Markus et moi. J'avais pourtant senti Leiftan partir sans y prêter vraiment d'attention. Brusquement, je levais alors pour sortir, quand le dragon m'interpella
- Norya, les loups de Tyr sont nos ennemis, ne l'oublie jamais.
J'étais restée dans l'embrasure de la porte sans bouger. Pourquoi me disait-il cela … ? Perdue dans ses yeux brun je le sondais, tentant de trouver une réponse à ma question muette, sans y parvenir. Certes mon histoire personnelle me faisait sans cesse douter, seulement j’avais bien compris, qu’ici, ils étaient considérés comme leurs ennemis.
Pour couper court à mes hésitations, je fis une légère inclinaison de tête pour lui montrer mon soutien, avant de me retirer.
Après avoir monté les marches deux à deux pour rejoindre mes appartements, je pu enfin chercher à enfiler un vêtement décent. Lucina chantonnait en lavant ma fille, pendant que j'inspectais les moindre recoins de mes armoires. Le dragon avait véritablement tout tenté pour me faire rester à ses côtés et je ne lui avais même pas demandé quelles en étaient ses raisons. Étant donné que j’avais déclinée sa proposition de demeurer sur ses terres, je sentais moins légitime à l'interroger.
- Mademoiselle ... comptez-vous mettre une de ses tenues ou uniquement les observer, me taquina Lucina
Ma bonne fée avait recouché ma fille, se tenant devant moi avec un regard attendri.
- Lucina ... Pourquoi Tyr a-t-il trahi Odin ? finis-je par réussir à formuler
Je me posais encore tellement de questions à ce sujet. Nos mondes étaient liés sur bien des aspects, mais leur histoire me paraissait si mystérieuse. Même dans mon monde, je m'interrogeais souvent sur l'impact que pouvait avoir l'histoire sur un pays. Elle permettait d'apprendre, d'évoluer et d'avancer pour ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Mais qui transmettait ces faits ? Comment être sûr de la véracité des propos des historiens ? Dans mon monde beaucoup de progrès technologiques nous apportaient des preuves, mais dans le leur ce n'était que de la transmission orale et écrite.
- Mademoiselle ... je vous ai déjà dit qu’il voulait posséder le cristal.
- Mais pourquoi ? Si Tyr était un partisan d'Odin au départ, il devait avoir de nombreuses responsabilités à Eldarya. Il avait forcément une raison de vouloir se saisir du cristal.
- Faites attention à ce que vous dites Mademoiselle. Vous commencez à parler comme eux ... s'attrista Lucina
J'eus un mouvement de recul. Comme eux ? Les loups de Tyr pensaient qu'ils avaient une raison de convoiter le cristal. Laquelle ?
- Ils se cachent derrière de bonnes volontés, uniquement pour camoufler leurs tueries. Il n'y a aucune raison qui justifie l'atrocité dont ils font preuve. Mon Tullius est mort à cause d'eux et jamais je ne pardonnerais un tel acte !
Pourquoi cherchais-je toujours à leur trouver une raison ? Finalement, j'étais toujours aveuglée par mes propres représentations et j'allais finir par me mettre à dos mes amis avec mes questionnements.
- Je suis désolée Lucina ... Je ne voulais pas remettre en cause ce que tu as vécu. J'aurais aimé pouvoir rencontrer ton époux, il devait être une personne emplie de bonté.
- Il l'était, mais c'était aussi un bougre de nain, s’esclaffa Lucina
Je souriais, touchée par l'amour qu'elle lui portait. Puis, je pris rapidement un vêtement plus adapté, pantalon et tunique des plus simples, pour pouvoir rejoindre l'arène. Tout en glissant ma dague à ma ceinture, je pris alors congé de ma fée.
L'arène était occupée par de nombreux soldats, la poussière de leurs combats troublant la vue. Des géants, des chevaliers et des elfes noirs, ainsi que des mages composaient la majorité de l'armée de Markus, chacun ayant des techniques d'attaques propres à leur race. Je me sentis tout d’un coup vulnérable en les regardants s'échanger de violents coups. Ils devaient s'entraîner comme des Obsidiens, à une exception près, qu’ils semblaient bien plus organisés que les membres de la Garde.
En effet, la Garde avait ce désavantage d'avoir des recrues peu disciplinées. D’ailleurs, c'était un plaisir d'avoir pu côtoyer des personnes ayant leurs propres façons de penser. Puis, je devais bien avouer que je jubilais aussi de voir Miiko s'arracher les cheveux pour les commander.
Sans me préoccuper des créatures m’entourant, je m'approchais alors d’un atelier d'armes. Contrairement à l'Ombre, ils les utilisaient pour l'offensive : hache, marteau, grande épée, lance et bouclier. Leurs armures étaient également plus épaisses pour les combats rapprochés, des cottes de maille et diverses protections pour le corps revêtaient ces soldats.
Je pris en main l’un des bouclier en bois rond, recouvert d'une toile peinte rouge et jaune, dont l'umbo en fer était fixé en son centre. Je savais que ce type de bouclier avait été généralement utilisé par les vikings. Probablement, qu’ils avaient gardé ce symbole historique pour honorer le règne d'Odin.
Pendant que j'inspectais le bouclier, je sentis Leiftan se poster derrière moi.
- Tu es arrivée avec Nevra pour l’assemblée. Il est venu te chercher dans ta chambre ... m'interrogea-t-il à demi-mot
- Et toi, tu es bien souvent avec Irine, répliquais-je instinctivement
Pourquoi avais-je dit cela ... ça n’avait aucun rapport avec sa demande … Pourtant, je m’étais promis de ne pas lui faire de remarque à ce sujet. Je n'étais absolument pas en position pour lui faire un tel reproche. Je n'étais pas claire avec lui, mais je voulais qu'il le soit avec moi. C’était encore une fois désolant de ma part … Il me regarda longuement, stupéfait par ma réponse. Il allait finir par me prendre pour une vrai godiche si je continuais sur cette voie.
- Pardonne-moi … Ça m’a échappé …
- Irine est une amie.
Instantanément, un poids s’ôta de mon cœur. J’étais soulagée de l’entendre me le dire, même s’il n’était pas obligé de se justifier. Seulement, il avait compris que cela m’importait. Le moment était probablement venu que je sois honnête à mon tour.
- Et, Nevra est un ami … le rassurais-je
- Plus si affinité, princesse, susurra Nevra à mon oreille
Je fis volte-face pour voir mon chef le sourire aux lèvres. Il était fier de sa provocation et surtout satisfait de réussir à contrarier Leiftan. Je lui assénais un coup dans l’abdomen avec le bouclier que je tenais toujours entre mes mains.
- Tu es le pire ami et le pire chef que je connaisse !
- Parce que tu avais beaucoup d’amis dans ton monde, belle Ombre, se moqua-t-il en parant mon coup
- Tu devrais arrêter de fréquenter Ezarel, il déteint sur toi, le provoquais-je en le frappant de plus belle
Notre chamaillerie se changea petit à petit en combat. Nevra évita aisément mes coups, mais je persistais à chercher à l’atteindre en suivant le moindre de ses mouvements. Le vampire tenta alors des attaques contrôlées pour que je puisse les parer. Naturellement, j’avais sorti ma dague tout en me servant du bouclier comme arme et défense.
Au fur et à mesure, nous avions rejoint le centre de l’arène. Je ne voyais plus que nous deux, je ne ressentais plus rien d’autre que l’énergie de nos attaques, je vivais ce moment d’une force nouvelle, prenant pour la première fois du plaisir à me battre.
Je n’arrivais pas à le toucher, le voyant passer continuellement au-dessus de moi pour me forcer à me retourner de nombreuses fois. Après un long moment d’attaques inutiles, je fus agacée par ce combat déséquilibré.
En me stoppant net, je parvins à atteindre son esprit en à peine une seconde, bloquant ainsi tous ses sens. « J’ai gagné ! » lui dis-je dans sa conscience. * Tu triches ! * Malgré sa remarque, je le sentis s’amuser de mon effronterie. Aussitôt, en reprenant possession de mon corps, je vis d’ailleurs qu’il affichait une mine faussement fâchée.
Puis, je compris qu’un silence de plomb venait de s’installer dans la cour. Les soldats avaient cessé de s’entrainer, nous examinant à chaque coin de l’arène. En fait, ils me dévisageaient, moi … Je n’avais même pas réalisé que je venais d’utiliser mes capacités devant l’armée de Markus.
Ils m’avaient sûrement vue m’enflammer et je ne savais pas moi-même quel effet cela produisait. Un étrange sentiment de malaise me parcouru. Un géant et un chevalier noir s’avancèrent alors dans ma direction, tandis que j’étais restée figée sur place. Par miracle, Sibyl et Karenn étaient arrivées en courant pour rompre le silence.
- Trop forte ! cria la sorcière
- Je savais que mon frère n’était pas si doué que ça, ria la vampire en regardant son frère
Heureusement, je ne fus plus seule avec Nevra au milieu de l’arène, l’ensemble de mon escouade ayant suivis mes deux amies. En surgissant à ma hauteur, Chrome m’avait tapé amicalement dans le dos, Eros me souriant fièrement les bras croisés. Leurs interventions avait alors permis de stopper l’avance des deux soldats, les guerriers reprenant, peu à peu, leurs activité.
- Tu n’es pas mauvaise l’humaine, me charia Chromes
- C’est une phénix, lui fis remarquer le corbeau
Nevra observa tours à tours ses recrues visiblement fière de les voir avec autant d’entrain. De mon côtés, j’avais simplement vu qu’Irine avait rejoint Leiftan, que j’avais, malgré moi, abandonné au stand des armes.
Leiftan m’observait toujours. Ainsi, en accrochant ses émeraudes emplies d’affection, j’avançais vers lui sans entendre les discussions de mes amis. Ils devaient probablement commenter notre combat, mais j’avais déjà autre chose en tête. Je n’avais pas terminé ma conservation avec le lorialet.
En arrivant devant lui, je l’attrapais fermement par la main pour l’emmener avec moi dans l’enceinte du domaine. Je manquais encore de souffle depuis la bataille que j’avais menée contre Nevra, me contentant alors de le tirer sans un mot. Il ne répliqua pas et je sentis l’aura confus d’Irine en partant. Il s’était passé tellement de chose depuis le début de cette journée et je ne parvenais plus à faire un tri dans mes pensées. Mais, une chose étais sûre, je venais de prendre les devants …
D’ailleurs, je m’en rendis d’autant plus compte quand nous avions enfin atteint ma chambre. En nous apercevant, Lucina avait les yeux écarquillés d’étonnement. La situation pouvait si prêter, je tenais Leiftan par la main en le trainant dans ma chambre, alors qu’elle avait vu Nevra sur mon lit ce matin. J’avais honte en envisageant ce qu’elle devait penser de moi …
Par chance, ce fut Leiftan qui pris la parole.
- Je te prie de nous excuser Lucina. Nous avions besoin d’échanger concernant notre prochaine expédition, expliqua le Lorialet
J’avais lâché sa main pour tenter de maintenir une posture affirmée. Si j’étais une piètre menteuse, lui semblait avoir l’habitude de gérer ce type de situation incommodante.
- Oh ! Je comprends, je vais disposer. Mademoiselle appelez-moi si vous souhaitez que je revienne, s’inclina Lucina en nous quittant
- Mer…Merci … bredouillais-je
Quand nous fûmes seuls, Leiftan s’avança jusqu’au balcon. Muette, je l’avais suivi, découvrant enfin la rosace de fleurs arc-en-ciel entourant la fontaine. J’étais ébahie face à la beauté de ces jardins. Le vent faisait planer les pétales de fleurs des cerisiers, certaines retombant dans l’eau pour donner un aspect rosé à cette source.
Devant ce paysages féerique, nous restâmes un long moment sans réussir à entamer la conversation. J’aimais ces moments de sérénité que je passais avec lui, mais il fallait que je parvienne à lui dire la vérité. Que j’arrive, pour une fois, à lui dire sincèrement ce que j’avais sur le cœur. Alors, sans même le regarder, je tentais de l’aborder, hésitante.
- Leiftan … Je … bafouillais-je
- Markus a véritablement tout tenter pour te garder auprès de lui, releva-t-il soudain
Pourquoi me parlait-il du dragon maintenant ? Je l’examinais du regard pour comprendre le sens de sa remarque. Il était peiné, mais je sentis une once de ressentiment traverser son maanas.
- Pourquoi me dis-tu ça ?
- Pardonne-moi, je ne devrais pas aborder ce sujet. Je sais que Markus a toujours été là pour toi …
- Mais … insistais-je
Il me cachait quelque chose et je n’avais pas besoin de mes pouvoirs pour le comprendre. Cependant, mes capacités et notre connexion me permirent de ressentir son immense tristesse. Il devait s’être perdu dans des souvenirs douloureux de son histoire, puisque mon cœur se comprima en le voyant vaguement observer le ciel. Il ne pleurait pas, mais mes joues venaient de s’humidifier pour lui. Je percevais sa souffrance intense, violente et ineffaçable … Je voulais avoir les moyens de le soutenir.
- Leiftan … raconte-moi, l’implorais-je en essuyant vivement mes joues
Lorsqu’il se tourna vers moi, le peu de larmes que j’étais parvenus à sécher venaient de resurgir. Il allait me le dire et cela lui coûtait …
- J’avais une famille … J’avais une femme … murmura-t-il
Sur ses mots, mon corps s’affaissa malgré moi. Agenouillée au sol, je cachais alors mon visage entre mes mains … C’était trop difficile, je n’arrivais pas à comprendre. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que toutes ces personnes que je chérissais aient perdu un être cher. Pourquoi ce monde avait-il été aussi impitoyable ? Je l’aimais … et je ressentais l’atroce souffrance qu’avait provoqué cette perte. Il avait aimé cette femme et probablement qu’il l’aimait toujours …
J’arrivais à percevoir la moindre de ses émotions. Ainsi, à ce moment précis, j’eus la sensation d’avoir vécu cette perte avec lui … Il s’abaissa pour se mettre à ma hauteur, caressant délicatement mes cheveux pour calmer mes sanglots. Je pensais avoir la capacité d’apaiser sa peine, mais je me retrouvais anéantie incapable de lui venir en aide.
Je détestais mes facultés ! Je méprisais mon origine de phénix qui me rendait si vulnérable en cet instant !
- Niria était l’une des combattantes les plus dévouées de Markus. Elle avait une force de caractère hors norme quand il s’agissait de défendre Phalael. Elle a protégé ces terres jusqu’à son dernier souffle … poursuivit doucement Leiftan
Tandis qu’il continuait à passer sa main dans mes cheveux, mes larmes cessèrent peu à peu.
- Comment … Comment cela est-il arrivé ?
- Markus l’avait envoyée combattre des mercenaires qui ravageaient les terres. Elle n’est jamais revenue et … je n’ai jamais pu retrouver son corps. Je l’aimais ... C’était une personne aimante et fidèle à ses opinions. Elle a donné sa vie pour les revendiquer.
- Pourquoi … ?
- Elle croyait en Markus. Et moi je croyais en elle, mais … s’attrista-t-il
En relevant brusquement mes yeux vers lui, je ressentis une sensation atroce parcourir mon énergie. Je n’étais pas sûr d’être prête à entendre ce qui allait suivre.
- Nous venions d’apprendre qu’elle attendait notre enfant …
Un silence immense s’installa sans que je ne puisse le lâcher ses yeux. Qu’avait-elle fait ? Pourquoi la laisser partir combattre ! Ma tristesse commença peu à peu à se transformer en une colère incontrôlable.
- Pourquoi Markus lui a-t-il commandé d’aller sur le front !? m’écriais-je
Je n’arrivais plus à cerner les émotions qui me traversaient. Elles se bousculaient de manière insensée : peine, désarroi, haine, incompréhension … Il me fallait un coupable, à tout prix pour ne pas sombrer. J’avais une fille … Je ne serais jamais partie me battre avec elle !
- Norya … Je t’en prie …
- Non ! Pourquoi ! Il n’avait pas le droit ! Jamais je n’aurais accepté un tel ordre !
Je vociférais face à Leiftan en faisant de grands gestes, alors que j’aurais dû me contenir pour le soutenir. Mais, je ne parvenais plus à me contrôler. C’était viscéral … Il me saisit les poignets fermement pour canaliser ma rage.
- Ecoute-moi, Norya. Niria savait ce qu’elle faisait. Elle n’aurait jamais refusé un ordre de Markus. Jamais … Quel qu’en soit le prix.
J’abhorrais cette phrase ! Pourquoi étaient-ils tous aussi fidèlement soumis à ce dragon et à cette kitsune ! J’inspirais fortement en tentant de reprendre mes esprits. Leiftan n’y était pour rien ... et je le forçais à gérer mes propres ressentiments. Je n’arrivais pas à être objective face à la situation. Mes émotions débordaient de plus en plus, depuis que j’avais découvert mes pouvoirs. Puis … je l’aimais.
- Leiftan, je suis désolée … pour tout.
J’étais désolée pour ce qu’il avait vécu, pour ce que je lui faisais vivre et pour mon incapacité à être là pour lui …
- J’ai haï Markus et surement que je le hais encore. Mais, vivre avec ce sentiment nous ronge de l’intérieur. C’est une pensée qui nous poursuit nuit et jour. Norya … je ne veux pas de ça pour toi.
La haine me pourrissait déjà de l’intérieur, elle s’était implantée en moi depuis que Miiko avait menacé ma fille. Aussi, plus j’entendais leur histoire, plus elle augmentait. Elle alimentait ma hargne de vaincre. Seulement, je ne trouvais aucune cause juste à défendre … Je voulais simplement les protéger eux. J’étais arrivée bien tard …
- Tu n’es pas Niria … Sache que tu ne l’as jamais été à mes yeux. Je veux être clair avec toi maintenant. Ni toi, ni Léana, vous ne remplacerez personne.
En prononçant ces mots, il m’observa intensément, comme pour me prouver qu’il disait vrai. Je n’avais même pas eu le temps de me poser cette question. De toute façon, je n’étais pas une combattante, je ne serais jamais dévouée à Phalael comme elle l’avait été et je n’étais vraisemblablement pas aussi forte qu’elle …
- Norya … tu es fidèle à toi-même, tu t’interroges constamment sur le monde qui t’entoure, tu remets les évènements en question pour les comprendre et tu protègeras uniquement les personnes que tu aimes sincèrement. Tu es toi … et …
Je n’avais pas besoin d’en savoir plus. J’étais convaincue de mes sentiments, peu importais ce que j’allais perdre … J’en étais persuadée … Cela pouvait paraitre irrationnel, mais je l’aimais. Il avait été présent à chaque instant, il avait attendu respectueusement face à mes doutes et… j’avais une confiance infinie en lui.
Je saisis alors son visage entre mes mains pour déposer mes lèvres sur les siennes. Nous nous étions relevés doucement pour sceller notre étreinte. Leiftan posa sa main sur ma taille pour me serrer contre lui, attrapant délicatement mes cheveux pour presser plus fortement mes lèvres contre les siennes. Nous nous étions attendus si longtemps. J’avais résisté contre mes propres envies et me délectais enfin de la saveur de ses lèvres, de son corps, de son odeur.
Nos maanas se retrouvèrent de nouveau plus énergiquement, plus ardemment. Je percevais notre amour partagé. Je pouvais enfin lui montrer ce que je ressentais, toutes mes peurs, mes doutes, mes hésitations, mais surtout tous mes sentiments grandissant pour lui.
Puis, je glissais ma main sur son torse pour suivre du bout des doigts le dessin de ses muscles. Je sondais ses émeraudes qui m’avait tant de fois rassurée et dans lesquelles j’aimais me plonger. J’y voyais ses désirs enfouis.
Il m’embrassa à nouveau, impatient de retrouver notre contact, tout en me portant jusqu’à mon lit. J’entourais fermement mes jambes autour de son torse, en sentant mon dos atteindre avec douceur les draps en soie. Nos baisers s’intensifièrent, me faisant peu à peu perdre pied à la réalité. Je resserrais alors mes jambes pour l’attirer contre mon corps. J’avais besoin de plus, de toujours un peu plus … Je voulais le connaitre entièrement …
- Norya … murmura-t-il
Il me regardait affectueusement, puis me fit un signe de tête pour m’inciter à regarder derrière moi. En me retournant, je compris rapidement sa gêne … Léana … J’étais vraiment une mère indigne … Je me redressais alors vivement en défroissant mes vêtements, la nuit tombant déjà.
- Leiftan … Je … bredouillais-je
- Je peux partir si tu le souhaite.
Il commençait à s’avancer vers la porte, mais je le retiens par le bras.
- Non ! Reste, je t’en prie …
Il m’embrassa délicatement la tempe comme unique réponse. Ainsi, avant de me coucher, je me dirigeais vers ma fille pour m’occuper d’elle. Puis, en la couchant, elle remua gentiment dans son berceau pour retrouver une position confortable et se rendormir. Leiftan s’installa alors dans mon dos pour m’enlacer, en jetant un coup d’œil vers lui, je vis qu’il observait Léana en souriant.
J’étais enfin blottie dans ses bras apaisée et heureuse d’être avec lui.~***~
À l’aurore, je fus seule dans mon lit. Avais-je rêvé ce qu’il s’était passé ? Pourtant, je pouvais encore sentir l’odeur de son corps sur le mien. Un frisson parcouru mon échine en repensant à la veille. J’avais décidé d’arrêter de douter, d’écouter ce que je ressentais. J’avais besoin de lui … de nous. Avais-je oublié mon monde ? Pas entièrement … Je voulais simplement cesser de me torturer.
Je me levais alors pour me préparer, nous partions aujourd’hui. En sortant de la douche, je séchais mes cheveux mouillés, tout en fredonnant des berceuses Eldariennes à Léana. Lucina m’en avait apprise quelques-unes et j’aimais leur air mélancolique. Je pris ensuite soin de la laver et de la changer, après l’avoir nourrie.
En attrapant mon sac à dos, j’y glissais plusieurs vêtements, ma gourde et les potions de brouilleur de pensées. Je ne les avais pas encore utilisées depuis mon arrivé à Phalael, mais j’en pris une ce matin-là pour camoufler les événements du soir. J’appréhendais la réaction de Markus, mais encore plus celle de la Kitsune. Leiftan était son bras droit … Et, j’avais peur de ce qu’elle serait capable de manigancer en apprenant notre relation. Si le dragon en avait connaissance, il en parlerait probablement à la renarde.
Penchée au-dessus de ma fille, je l’embrassais de nombreuses fois sur le front. Je ne savais pas combien de temps j’allais être en expéditions … et, j’étais triste à l’idée de partir.
- Je t’aime … murmurais-je
Lucina frappa déjà à ma porte. Il était l’heure … Je l’accueillis, morose à l’idée que cette fois-ci je n’allais pas revenir de sitôt.
- Je ne veux pas voir cette mine renfrognée s’afficher sur votre visage Demoiselle, me réprimanda ma bonne fée
Je souris à sa remarque. Elle aussi allait me manquer.
- Ne vous inquiétez pas. Léana est en sécurité dans cette demeure. Il n’y a pas meilleur poste de garde que le domaine de Markus.
- Je sais … Lucina. Merci … merci pour tout ce que tu fais pour nous.
- Allez, hop, hop, hop !
Elle me bouscula gentiment vers la sortie. Elle avait vraiment l’art et la manière pour me mettre à la porte de ma propre chambre. Au moins cela m’évitait de tergiverser.
Je redescendis alors dans le hall pour rejoindre mon escouade. Avec tout ce qu’il s’était passé la veille, je me demandais comment mes amis allaient me recevoir. Je les avais abandonnés au milieu de l’arène pour partir avec Leiftan … J’avais eu beau prendre cette potion, mes actions dissimulaient très mal mes émotions.
- Norya ! Tu es prête ! s’écria immédiatement ma sorcière en me secouant
Eros la scrutait en riant, il était forcément content qu’elle ait trouvée une autre cible à embêter. Puis, en croisant le regard inquisiteur de Karenn, je compris que je n’étais pas assez armée pour me défendre face à elle. La vampire m’avait percée à jour il y a bien longtemps. Finalement, Sibyl avait fini par me relâcher sans attendre ma réponse, sautillant à nouveau vers le corbeau qui soupirait d’avance ; je ne pus donc pas m’empêcher de me moquer de lui.
- Courage, lui dis-je en m’éloignant
Je rejoins Karenn qui conversait avec Chrome, pour attendre l’arrivée de Nevra et Leiftan qui échangeaient encore avec Markus en salle du conseil. J’espérais qu’ils ne prévoient pas d’autres plans de replis qui m’obligerais à les laisser sur place.
- Bonjour Karenn. Dis-moi tu sais de quoi ils doivent parler ce matin ?
- Non … Tu veux venir écouter à la porte avec moi ! s’exista-t-elle
Ma curiosité était piquée à vif. J’avais réellement envie d’acquiescer sans me poser plus de question. Mais, je n’étais pas sûre de nos capacités de discrétion à toutes deux. Cependant, Karenn m’avait déjà entrainée par le bras jusqu’à la porte.
En tendant l’oreille pour entendre des brides de discussion, je me mis immédiatement à regretter mon geste. Qu’étais-je en train de faire … La vampire m’avait embarquée dans une situation injustifiable si nous nous faisions surprendre. Heureusement qu’Irine ne nous avaient pas aperçues partir.
- Les mercenaires ont été repérés proche de Brinholl. Nous avons pu attraper l’un d’entre eux. Mes soldats l’interrogent en ce moment pour connaitre les raisons de leur intrusion sur mes terres, expliqua le dragon
- Avez-vous obtenu des informations ? demanda Leiftan
- Non, mais je suppose qu’ils ont eu connaissance de vos expéditions. Il ne gardera pas le silence bien longtemps.
- Pouvons-nous l’interroger avant de partir ? requerra le Lorialet
- Non, nous nous en chargeons. Sachez que la nouvelle de l’arrivée d’une phénix, se propage sur Eldarya, vous devrez être extrêmement prudents. Les loups de Tyr voudront la capturer, les avertit Markus
- Sommes-nous parvenus à localiser leurs campements ? l’interrogea Nevra
- Les sirènes nous ont informé qu’ils voguaient régulièrement proche de l’île des mers. Toutefois, le port d’Elvina n’est pas prêt pour désamarrer un grand nombre de bateaux, annonça le dragon
- Quand attaquerons-nous enfin ! s’agaça le vampire
- Patience, chef de l’Ombre. Nous les prendrons bientôt par surprise, répondit le dragon
J’eus un mouvement de recul incontrôlable, suivis d’une sensation de nausée. C’était infime, mais j’avais perçu le ton jubilatoire et sadique de Markus. Il se réjouissait à l’idée de tuer toutes ces personnes … Karenn me tira par le bras pour retourner dans l’entrée.
- Ça va ? me questionna-t-elle inquiète
Non ! Non, ça n’allait pas ! Les loups de Tyr m’avaient en ligne de mire et les mercenaires étaient également à ma recherche. Et … Markus semblait s’amuser à l’idée d’exécuter ces hommes …
- Norya ? me remua Sibyl qui nous avait rejoint
Il fallait que je prenne l’air, j’étouffais entre ces murs de pierre. Pour la première fois, l’aura du dragon m’avait révulsée. Je ne comprenais absolument pas ce que j’étais en train de m’arriver. Je ne parvenais plus à parler, entendant à peine la voix de mes deux amies qui m’intimaient de revenir parmi elles.
Puis, je sentis quelqu’un me saisir sur son épaule pour m’entrainer à l’extérieur du château. Après avoir traversée l’arène et franchie la grande porte, je ne sus toujours pas qui m’avait portée, ni si mon escouade nous avait suivi.
J’étais complétement prise de panique …
- Hé ! La phénix ! me gifla la personne
Je repris conscience sur la route pavée au milieu de l’allée des cyprès. L’air frais m’aida à retrouver mes sens afin de discerner peu à peu l’interlocuteur qui venait de me frapper : Irine !
- Tu sais que tes phases de sentimentalisme sont agaçantes ! me blâma la succube
- Excuse-moi … bredouillais-je incapable de répliquer
Elle me jaugea de haut en bas d’un air dédaigneux. Elle s’était toutefois préoccupée de moi en m’emportant rapidement dehors. J’avais perdu le contrôle. Que s’était-il passé ?
- Qu’est-ce que ça peut être ennuyant les phénix ! s’énerva-t-elle
- Ça va Irine, j’ai compris … soufflais-je
- Qu’est-ce que vous pouvez être sensibles ! continua-t-elle à me réprimander sans même me regarder
- Arrête ! hurlais-je en la giflant à mon tour
Ne si attendant nullement, Irine pris mon coup de plein fouet. Malgré tous, ma force restait franchement discutable et elle devait certainement avoir la sensation que mon coup n’était qu’un vague court d’air.
Je ne comprenais pas cette succube ! Elle venait de m’aider pour me le reprocher ensuite. Je savais que mes facultés n’étaient pas un cadeau et j’en étais la première concernée. Décidément, je ne pouvais plus canaliser mes émotions …
En sentant qu’un coup allait partir dans ma direction, je l’esquivais immédiatement. Irine avait pris une position de combat, cherchant à me provoquer. Remontée par ses propos, je fis de même. Elle vola alors au-dessus de moi pour frapper l’arrière de mon genou, me mettant ainsi à terre. En tentant de me redresser, j’agrippais sa queue pour la tirer vers moi. Au même moment, je saisis ma dague accrochée à ma ceinture, coupant l’air sans pouvoir atteindre la succube.
Elle m’assena plusieurs coups, plus ou moins contrôlés, sur les jambes et l’abdomen. Nous nous battions de façon totalement inégale. Mon corps tout entier souffrait de ses multiples assauts, mais je me relevais pour l’attaquer de nouveau. Encore et encore … Je mordais la poussière, sans cesse. Elle semblait n’avoir aucune envie de me ménager.
Il n’y avait aucune raison valable à un tel combat … J’extériorisais simplement ma panique … Finalement, elle m’arracha violement ma dague pour me menacer avec. Placée derrière moi, elle pointait ma lame sur mon cou. En cessant tous mouvement, je compris que je ne gagnerais pas avec la force brute. Ainsi, je commençais à me dissocier quand …
- À quoi vous jouez ! s’écria notre chef
L’escouade était arrivée à sa suite. Irine lâcha immédiatement ma dague qui s’écrasa au sol. Leiftan m’observa d’un air réprobateur, je sentais bien que notre discorde ne lui plaisait pas. J’étais demeurée à genoux à terre, pendant qu’Irine prenait place à côté de son commandant, satisfaite de sa victoire. Je devais avoir l’air stupide … Ma sorcière et ma vampire vinrent alors me redresser sous le regard sévère de Nevra.
- En route ! Et je m’en contre fiche si tu es déjà fatiguée, me reprocha mon chef
Pourquoi s’en prenait-il à moi ? Je n’étais pas toute seule dans cette histoire ! Nous étions deux à avoir entamé cette guerre. Je fusillais Irine du regard, ma mauvaise posture la réjouissant manifestement. Mon commandant passa devant moi sans même me jeter un coup d’œil, suivi de près par cette détestable succube. Heureusement, mes deux amies étaient restées à mes côtés, tentant de deviner mon état, mais j’observais uniquement ses émeraudes emplies de reproche … Il m’en voulait …
Je me retournais alors vivement pour reprendre la route en compagnie de mes amies. Nous allions devoir longer les champs pour nous enfoncer vers le village de Kelhin où vivaient les paysans. Ainsi, je localiserais les cristaux pendant que mon unité se fournirait en vivres.
Il fallait toujours que j’entame mes voyages sur une mauvaise note … Mais, surtout, j’avais déçu Leiftan … J’écrasais furtivement une larme voulant rouler sur ma pommette. Sibyl me regarda attristée, pendant que Karenn frottait doucement mon dos.
Heureusement, qu’elles étaient là …
Nous avions quitté la route pavée pour couper à travers champs. Le blé, jusqu’à ma taille, éraflait mes membres déjà épuisés. Je serrais les dents, me contraignant à continuer sans plainte, des ecchymoses commençant à marbrer mes jambes. Le soleil frappait férocement sur ma peau blanche, le vent venant s’immiscer dans les entailles provoquées par la succube. La nature, elle-même, semblait me condamner pour cette bataille.
Les champs s’étendaient à perte de vue, la terre étant tellement plate que je n’en voyais pas le bout. J’avais le sentiment d’être dans un désert de blé … Il n’y avait pas une seule colline à l’horizon, pas un seul nuage dans le ciel et aucun arbre pour donner du contraste au jaune environnant. J’avais voulu quitter la forêt d’Eel … Pourtant, aujourd’hui je regrettais la fraicheur qu’apportait l’ombre ses arbres.
Depuis plusieurs heures, nous progressions en silence, mon chef et Irine ouvrant la marche avec Eros. Quant au lycanthrope et Leiftan, ils étaient restés derrière nous. Son maanas continuait à m’envoyer sa déception, mais je discernais, de plus en plus, que son incompréhension primait.
Nous avions croisé quelques paysans travaillant aux champs, revêtus de simples haillons usés. Leurs visages crispés et fatigués m’avaient fortement peinée. Derrière le faible sourire qu’ils affichaient, je percevais leur épuisement et leurs tourments …
Sibyl et Karenn passaient devant eux, fières de pouvoir se présenter en tant que membres officiels de la Garde de l’Ombre. Notre chef se retournait d’ailleurs, de temps en temps, pour les observer l’air amusé. Nevra avait cette capacité à oublier un désaccord à une rapidité impressionnante. Ce trait de caractère m’avait désorientée de nombreuses fois, mais j’étais soulagée quand il me fit un clin d’œil taquin. Je ne pouvais plus me passer de ses attitudes provocantes, je l’appréciais réellement de cette façon.
En plissant les yeux, j’aperçu au loin le toit d’une maisonnette. Nous étions tout proche du hameau, une forêt montagneuse semblant enfin se dessiner derrière le village. Nevra s’arrêta lors pour se retourner vers nous.
- Tu restes là, belle Ombre. Je souhaiterais que tu repères les cristaux d’ici. Il vaut mieux éviter d’être vue par les villageois. Nous allons chercher des vivres en attendant, me commanda-t-il
- Je reste avec elle, annonça Leiftan
Mon chef hocha la tête, tout en demandant au reste de l’escouade de le suivre. Sibyl m’embrassa furtivement la joue avant de rejoindre Eros en courant. Lorsqu’elle lui sauta sur le dos, le corbeau fit basculer ses épaules sur le côté pour la faire tomber. Je ne pus m’empêcher de rire en la voyant atterrir au sol, sa robe entièrement relevée. Elle se redressa vivement, vraisemblablement, vexée. Je ne donnais pas cher de la peau d’Eros maintenant …
- Tu m’as fait mal !
- Alors, cesse de me coller !
- Non, toi, cesse de me rejeter !
Le son de leur dispute se fit de moins audible à mesure, qu’ils s’éloignaient. Ainsi, en retournant vers Leiftan, je saisis immédiatement qu’il avait envie de comprendre ce qu’il s’était passé ce matin. Seulement, je n’avais pas vraiment d’explication à lui donner. Je n’avais, moi-même, pas réellement tout compris.
- Tu sais qu’Irine est une amie, Norya … soupira-t-il
Ça n’avait absolument rien à voir … Enfin, mes doutes vis-à-vis de leurs relations m’avaient peut-être empêchée d’apprendre à la connaitre, mais nous ne nous étions pas battues pour cette raison. Il fallait vraiment que nous communiquions davantage, lui et moi, pour éviter ce type de malentendu. Mais, si je voulais faire preuve d’honnêteté dans cette histoire, il me fallait avouer que je les avais espionnés …
- Je sais Leiftan, mais ce n’est pas ça … Je vous ai entendus en salle du conseil.
- Comment !
- Je suis désolée … J’avais besoin de savoir. J’avais peur que vous prévoyiez un plan de repli pour me protéger.
- Qu’as-tu entendu ?
- Que les mercenaires étaient proches de Brinholl, qu’ils me recherchaient sûrement. Puis, que les loups de Tyr voulaient me capturer. Et que … Markus … Leiftan, je ne comprends pas. J’ai senti de la malveillance dans les propos du dragon. Quand il a parlé des loups de Tyr … C’était effrayant … Je … paniquais-je
Il effleura ma joue avec douceur pour calmer mes craintes. Il n’était déjà plus déçu.
- Personne ne s’en prendra à toi. Je t’assure, aucun de nous ne les laisseraient faire.
Je repris mon souffle, rassurée de l’avoir véritablement à mes côtés. En me hissant sur la pointe des pieds, j’embrassais alors délicatement ses lèvres, tandis que nous entremêlions nos doigts. Puis, sans lâcher sa main, je fermais mes yeux pour m’extirper de mon corps.
Je n’avais pas vécu cette sensation de plénitude depuis si longtemps. J’étais partout …
Je ne cherchais pas simplement un esprit, je voyais l’infinité de l’espace, seul des faisceaux lumineux me montrant l’emplacement des fragments. Zigzaguant entre les arbres, survolant les champs, je laissais enfin mon esprit parcourir ces terres. Le territoire de Phalael étaient grandioses ! L’énergie de certains cristaux m’étais d’ailleurs trop lointaine. Cependant, comme pour la forêt, je pus discerner leur nombre et leurs mouvements.
Je continuais à m’imprégner de leur force, tout en suivant la courbe de leurs maanas m’indiquant le chemin. J’aurais voulu pouvoir les toucher, que ces faisceaux bleutés me soient palpables pour me laisser envahir par leur ardente chaleur. Qu’ils s’infiltrent dans mon corps et dans mon esprit. Qu’ils me prêtent, rien qu’une fois, leur puissance.
J’étais avide de cette sensation d’épanouissement intense. Avide de ce sentiment de ne faire qu’un avec l’univers, d’être comme le vent qui souffle dans les arbres, de n’être rien et tout à la fois.
- Reviens ! Norya !
En entendant faiblement la voix de Leiftan, je rejoignis mon corps à contre cœur. Ainsi, en réouvrant les yeux, je constatais que la nuit était déjà tombée, mes amis m’examinant d’un air soucieux. Lorsque Sibyl se mussa dans mes bras et que Karenn me frappa l’arrière de la tête, je compris qu’il s’était passé quelque chose.
- Tu nous as fait peur ! s’énerva Karenn
Tour à tour, j’étudiais mes compagnons qui semblaient attendre une réponse de ma part. Mais, c’était plutôt moi qui avais une question à leur poser.
- Combien de temps suis-je restée en dehors de mon corps … m’inquiétais-je
- Trois heures, peut-être même quatre, m’informa Eros
Le corbeau caressait doucement les cheveux de sa sorcière qui sanglotait dans mes bras. En lançant un regard à Leiftan, celui-ci se leva brusquement pour partir avec Irine. Même si, je ne me formalisais plus de ses escapades avec la succube, je ne comprenais pas pourquoi il venait de me fuir. Puis, je sentis la peur traversé son maanas. Si je n’avais pas réussi à revenir par moi-même, il avait certainement dû tenter me rappeler plusieurs fois.
Ce retour à la réalité me fut extrêmement déroutant. J’avais pourtant le sentiment d’être partie il y a, à peine, quelques minutes. Seulement, je ressentais bien que la situation avait été bien plus inquiétante pour eux. Aurais-je pu rester perdue dans l’espace … ?
- Nous allons devoir demander l’hospitalité au villageois pour la nuit. Belle Ombre, tu viens avec moi, me commanda Nevra
J’obéis immédiatement, en desserrant lentement l’étreinte de ma sorcière. Puis, en me redressant, je lui embrassais la joue, avant de poser ma main sur l’épaule d’Eros.
- Tu restes avec elle … lui demandais-je
- Toujours, sourit le corbeau
- Merci …
Karenn me fusillait encore du regard. Comme moi, ses peurs pouvaient parfois se changer en colère, je n’allais donc pas la blâmer pour cela. Désemparé, Chrome s’était approché de moi, en grognant.
- Ne refais jamais ça saleté de phénix !
J’ébouriffais sa tignasse comme unique réponse. Chrome ressemblait à un petit frère arrogant et attachant qui n’arrivait tout simplement pas à exprimer ses sentiments. A mon sens, Karenn et lui allaient particulièrement bien ensemble. Toutefois, je me gardais bien de le leur faire remarquer. J’avais trop peur de recevoir les foudres de la vampire … Si elle aimait fouiner dans les affaires des autres, elle détestait être la cible de ragot.
Je suivis alors mon chef à travers champs, en tentant vainement d’attirer l’attention de Leiftan qui me tournait le dos. J’espérais donc que mes amis lui expliqueraient la raison de notre départ.
Des flammes de lumière parvenaient du village, tandis que nous progressions en silence dans sa direction. Je pensais me faire réprimander, mais Nevra demeura muet.
- Nevra s’il te plait … Dis quelques choses.
Soudain, il se retourna pour me presser fermement les épaules.
- Si tu refais ça, ne serait-ce qu’une seule fois ! Je … commença-t-il tendu
Nous nous étions arrêtés au milieu des blés, la lueur de la lune illuminait les reflets de ses cheveux, sa pupille brillante soutenant mes iris noirs.
- Je suis désolé … Je te jure que je ne le referais pas.
Je mentais encore une fois, ne sachant pas vraiment comment contrôler cette situation. Néanmoins, je ne voulais plus voir leurs yeux angoissés à l’idée que je me perde dans l’espace. Finalement, j’essayais aussi de me rassurer en lui disant ça. Il me lâcha aussitôt, continuant rapidement sa route, la mine basse. Je fus alors contrainte de trottiner derrière lui pour me remettre à sa hauteur.
Camouflé derrière le bruit des travailleurs qui célébraient probablement la fin de journée, j’entendis le clapotis d’une rivière et le crépitement d’un feu. Une douzaine de maisonnettes montées de paille et de bois étaient installées autour du ruisseau, des enclos étant également aménagés à l’arrière du village pour accueillir du bétail. Deux hommes gardaient l’entrée d’une grange barricadée par une simple barrière en bois.
Les paysans s’étaient rassemblés autour du feu, s’échangeant leurs maigres victuailles en discutant joyeusement. Contrairement aux hommes que j’avais rencontrés dans les champs, les villageois semblait détendus par ce repos bien mérité. Ils chantaient et dansaient autour des flammes. La majorité d’entre eux avait un physique tout à fait humain, mais j’aperçus aussi quelques lutins et gobelins.
Ainsi, nous fûmes immédiatement reçus par un vieux gobelin, progressant difficilement vers nous en s’aidant de sa canne en bois de frêne.
- Bonjour chers voyageurs, en quoi notre modeste village peut-il vous venir en aide ?
- Oleifr nous sommes déjà venus, il y a plusieurs heures, pour vous acheter des vivres. Je suis Nevra chef de l’Ombre de la Garde d’Eel. Nous vous demandons l’hospitalité pour la nuit, requerra mon chef
Le gobelin leva ses billes jaunes vers moi pour m’examiner d’un air suspicieux.
- Nous ne pouvons pas héberger la phénix. Ils nous tueront pour l’avoir fait.
- Comment savez-vous que …
Instantanément, Nevra m’attrapa le bras pour me faire taire.
- Qui vous a renseigné sur l’origine de ma recrue ? l’interrogea Nevra
- Les loups de Tyr mon cher ami.
- Ils vous ont menacés ? l’interrogeais-je, inquiète
- Non, les loups de Tyr ne nous menacent jamais. Ils nous préviennent juste du danger qui nous guettent.
- Si vous êtes en contact avec ces loups, vous serez déclaré ennemie de la Garde et devrez être pendu pour trahison, s’emporta Nevra
- Non ! le stoppais-je en me plaçant entre lui et le gobelin
- Ce sont les mercenaires qui menacent nos terres, cher vampire, conclu le vieil homme en partant
Nevra serra les canines, la situation l’irritant fortement. Il était prêt à bondir sur le gobelin, seulement je n’avais pas cessé de m’interposer.
- Nevra, partons, réclamais-je en le tirant par le bras
Nous allions trouver un autre endroit pour passer la nuit. Je ne voulais absolument pas être un danger pour ces paysans. Je ramenais alors mon chef contre sa volonté, vers l’escouade.
Alors, ce gobelin connaissait mon identité … Comment les loups de Tyr en avaient-ils eu connaissance ? En plus de savoir à quoi je ressemblais, ils propageaient même cette rumeur jusqu’au village. Cependant … ce vieil homme ne semblait pas s’en préoccuper, il nous alertait surtout concernant les mercenaires. C’étaient eux qui avaient menacé les villageois et eux qui me recherchaient en campant sur Phalael. J’avais beau ne plus vouloir me questionner à propos des loups de Tyr, leurs comportements envers moi m’intriguaient.
Sibyl et Eros, nous attendait impatiemment au même endroit où nous les avions laissés. La sorcière était toujours affectée par mon absence de tout à l’heure. J’étais touchée de la voir autant s’inquiéter pour moi, mais je m’en voulais de lui faire ressentir toutes ces craintes.
Soudain, je pris conscience que je n’avais toujours pas donné à mon chef la localisation des cristaux.
- Nevra ! Il y a un fragment au village ! réalisais-je en faisant demi-tour
- Tu vas où ! me retint le vampire
- Au village ! Il nous cache un cristal. Il y en a un à Kelhin, insistais-je
Leiftan venait de revenir vers nous, en nous interrogeant du regard. Avec les évènements récents, j’en presque oublié que j’avais repéré les fragments. Mais, maintenant, je m’en souvenais. Il y en avait un à Kelhin et, en plus, les villageois ne voulaient pas de moi dans leur village. Je voulais connaitre la vérité ! Qui étaient véritablement mes ennemis ? Pourquoi Oleifr semblait-il prendre la défense des loups ? Pourquoi nous cachait-il une pierre ?
D’un mouvement brusque, je retirais mon bras de l’emprise de mon commandant pour m’élancer en direction de Kelhin. Seulement, j’étais bien présomptueuse de penser que mes compagnons allaient me laisser faire impunément. Leiftan avait déjà accouru à ma suite pour m’agripper par le bras.
- Arrête ! Norya, s’il te plait.
- Ils ont refusé de nous accueillir, Leiftan. Ils savaient qui j’étais. Lâche-moi !
J’étais exténuée par cette journée et les coups que m’avait portés Irine faisait encore souffrir mes membres. Toutes ces histoires finissaient par m’embrouiller l’esprit … Mais, comme toujours, je devais comprendre. Maintenant !
- Demain. Trouvons d’abord où dormir, exigea le Lorialet
- C’est ta solution à tout, de me dire : demain ! Tu m’as déjà fait le même coup pour la plage, m’irritais-je
Il relâcha mon bras, en me dévisageant sévèrement.
- Vas-y alors. Montre-nous comment tu te débrouilles seule, cracha-t-il
L’ensemble de mon escouade me jugeait du regard. J’étais vraiment exécrable avec eux … Malgré l’attachement qu’ils me prouvaient tous, je finissais toujours par les décevoir. Bien évidemment, que je n’avais pas la capacité de me défendre seule … et cela, même si je désirais encore mon indépendance.
Après quelques minutes à nous jauger du regard, j’avais fini par cesser de contester. Leiftan et Nevra avait alors décidé d’explorer les alentours avec Irine et Chrome. Quant à moi, je m’étais simplement couchée entièrement dissimulée derrière les épis de blé, avec Sibyl, Karenn et Eros.
Nous avions pour ordre d’attendre leur retour et de ne surtout pas allumer de feu. Je n’étais pas stupide à ce point ! Mais, je me taisais … J’avais bien compris que je n’avais plus mon mot à dire. Aussi, afin de reposer mon corps meurtri, je fermais les yeux pour me laisser bercer par le bruit vent. Même si personne n’osait parler, je me doutais que le silence ne durerait pas bien longtemps.
- Pourquoi ne nous fais-tu pas confiance ? lâcha Sibyl
Je me redressais subitement. C’était ce qu’elle pensait de moi … J’étais pitoyable au point de l’amener à penser une telle chose.
- Je vous fais confiance Sibyl. Je t’assure …
- Alors, pourquoi remets-tu toujours en cause ce que l’on te dit.
- Je suis désolée … Je sais que je n’arrête pas de vous le dire. Mais, je suis sincèrement désolée. Ce gobelin nous cache quelque chose, j’en suis persuadée et je voulais …
- Tu voulais te la jouer solo en rejetant les commandants, pesta Karenn
- Non … J’ai été impulsive je l’avoue, mais …
- Tu es toujours impulsive ! Et tu vas finir par nous mettre en danger ! gronda la vampire
Seul, Eros m’observait d’un air compatissant. Cependant, Karenn avait raison. Je les avais déjà mis en danger avec les Blacks dog. Ma quête de vérité sur l’histoire d’Eldarya était un poison commençant peu à peu à me ronger de l’intérieur. Je n’avais pas de preuve, pas de soupçon avéré et je restais bornée sur mon histoire personnelle en récusant la leur.
Depuis que j’avais connaissance de mon identité, je m’étais, finalement, fixé un nouvel objectif : contredire le moindre de leurs propos historiques. Je n’étais pas une Faérie, je n’étais pas née ici et il fallait que je m’obstine à donner mon avis. Seulement … je me sentais exclue par cette histoire que je n’avais pas vécue. Je n’étais pas l’une des leurs, tout me le projetant sans cesse au visage.
Alors, pour ne plus faire face à leur regard accusateur, je m’étais recouchée et sans m’en rendre compte, j’avais fini par m’assoupir.~***~
J’ouvris difficilement les yeux, mes muscles étant courbaturés par les efforts de la veille. Des branches d’arbre virevoltait au-dessus de moi, ma couche me semblant rugueuse. En essayant de me redresser, je me sentis entravée dans mon mouvement. J’étais attachée sur une branche en haut d’un arbre ! Comment étais-je arrivée ici ?
En respirant calmement pour me concentrer, je perçu enfin leurs auras. Mon escouade se trouvait au sol, l’odeur du bois brulé flottant encore dans l’air. Ils devaient m’avoir emmenée avec eux, mais pourquoi étais-je ligotée à une branche. Pendant que j’essayais de dénouer la corde retenant ma taille, je vis Leiftan grimper vers moi.
- Attends, je vais t’aider, me dit-il en dénouant mes liens
- Pourquoi m’avez-vous attachée là-haut ?
- Nous avons tous dormi ici. Je ne voulais pas que tu tombes.
Il m’avait conduit jusqu’ici … Je devais avoir le sommeil terriblement lourd pour ne pas m’en être rendue compte. Il s’était perché à côté de moi, nos jambes balançant dans le vide. Paradoxalement, la sensation d’altitude ne m’incommoda pas. J’avais enfin quitté l’immensité plate des champs de blé et je me réjouissais de revoir la végétation des montagnes.
Un lac clapotait dans les lieux, le vent transportant sa fraicheur. Progressivement, mes souvenirs me revinrent en mémoire. Je jetais alors un regard coupable à Leiftan en repensant à la veille. Je m’en voulais tellement d’avoir été odieuse avec lui.
- Leiftan …
- Oublie ça, je ne t’en veux pas. J’aimerais juste comprendre ce que tu as ressenti pendant tout ce temps.
- Quand je cherchais les fragments ?
- Oui … Norya, tu dois faire attention. Ne te perd pas trop longtemps, sinon tu ne retrouveras jamais ton corps.
- Ça n’a duré que quelques minutes pour moi ... Les cristaux m’appellent. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je ressens leurs puissances.
Lorsqu’il posa sa main sur la mienne, je levais ma tête vers le ciel. Le soleil montait lentement emportant avec lui une légère chaleur. La nuit avait été rude, mon corps accusant encore le contre coup, mais j’avais déjà envie de connaitre la suite des évènements.
- Est-ce que nous retournons au village ?
- Oui, Nevra y est partis avec Irine et Eros. Cependant, n’insiste pas pour les suivre.
- Non, j’ai compris. Puis … Sibyl pense que je ne vous fais pas confiance, m’attristais-je
Leiftan me souria légèrement. Il savait à quel point je tenais à la sorcière. Elle était l’une de mes premières amies dans cette Garde. Son avis m’importait et je l’avais déçue …
- Tu as ce trait de caractère qui froisse les plus convaincus d’entre nous. Sibyl est attachée à cette Garde. Miiko l’a accueillie et les membres de l’Ombre sont sa famille. Tu remets en cause tout cela.
- Non ... Je ne remets pas en cause ça. Je veux juste vous comprendre. J’aurais aimé partager votre histoire …
- Tu en fait partie maintenant. Chacun a sa version du passé et je ne pense pas qu’il soit bon de le déterrer.
- Mais, il a un impact sur votre guerre actuelle ! Odin et Tyr ont façonné votre monde d’aujourd’hui. Tibérius a brisé le cristal pour cette cause, mais je ne comprends toujours pas pourquoi … Et ce gobelin défendait les loups …
Je continuais à m’enfoncer dans mes illusions, mais j’avais une vision différente de l’histoire de Tyr. J’y restais manifestement plus attachée que ce que je croyais.
- Redescendons maintenant, me sollicita Leiftan en me tendant la main
Il n’avait pas répondu à mes questionnements, mais notre complicité retrouvée me suffit amplement pour ne pas surenchérir pour le moment. J’aimais cet homme … Il ne m’avait jamais jugée pour ce que j’étais : une humaine perdue dans un monde inconnu, qu’elle réinterrogeait constamment malgré les nombreux avertissements qu’elle avait reçus. Je me penchais alors vers lui pour déposer un baiser furtif sur ses lèvres avant d’entamer notre descente.
En bas, Karenn, Chrome et Sibyl discutaient autour des braises sans remarquer notre présence. Leiftan m’avait autorisée à me rendre seule au lac afin de me laver. J’en avait grandement besoin pour apaiser mes muscles endoloris et décrasser ma peau boueuse. Je pris un vêtement de rechange en faisant un signe de tête à mes amis. Ils me répondirent timidement, mais je sentais bien que ma sorcière réfrénait ses élans d’affection.
J’avalais un morceau de pain en me dirigeant vers le grand lac surplombé par les montagnes. Les arbres étaient nombreux autour de l’eau et quelques buissons de fleurs égayaient les recoins du paysage. Les montagnes lointaines semblaient vierges de toute végétation, seule l’herbe verdoyante les couvrait. J’étais sûrement trop loin pour me rendre compte de la réelle flore qui y poussait.
J’immergeais alors doucement mon corps pour rentrer progressivement dans cette eau glacée. En arrivant au bas de mon dos, un frisson me parcouru. J’étais seule au beau milieu de cet endroit splendide, réalisant enfin la chance que j’avais de vivre ça. Je n’aurais jamais campé dans mon monde … J’avais raté bien des plaisirs tels que se réveiller en pleine nature.
J’écartais alors mes bras, remplissant mes poumons d’oxygène. Malgré moi, mon esprit se dissocia pour ne faire qu’un avec l’environnement. Je n’eus pas rester bien longtemps en dehors de mon corps, constatant qu’un fragment se trouvait dans les lieux.
En guettant les alentours, j’aperçus alors un petit être qui m’observait sur un rocher proche de la rive. Le petit homme revêtu d’un haut de forme et d’un costume vert devait certainement être un leprechaun. J’étais persuadée que l’énergie du cristal venait de lui. Ainsi, lentement, je m’approchais de lui dans l’idée de pour me présenter.
- Bonjour, je m’appelle Norya membre de la Garde de l’Ombre. Comment vous nommez-vous ? tentais-je
Sans le quitter des yeux, je m’avançais de plus en plus de lui. Je savais que ces créatures étaient capables de fuir à une vitesse déconcertante. Puis, je me doutais qu’il ne me donnerait sûrement pas cette pierre de lui-même. Je devais alors essayer de l’amadouer pour pouvoir m’emparer du fragment. Il pencha sa tête sur le côté pour m’étudier, mais ne répondit pas. La négociation s’annonçait laborieuse et je ne pouvais pas appeler mon escouade au risque de le faire partir.
- Nous sommes à la recherche de cristaux. En aurez-vous vu ? me risquais-je
Il ne cessa pas de tourner sa tête de chaque côté pour m’analyser. Il ne dirait rien … Son aura se moquait d’ailleurs de mes essais infructueux. Il fallait que je tente le tout pour le tout.
En prenant mes vêtements, je les enfilais doucement sous son regard indiscret. Puis … je me ruais dans sa direction. Il sauta en arrière pour m’esquiver, décampant rapidement vers les montagnes. Je courais alors à sa suite dans l’espoir, vain, de réussir à l’attraper.
En évitant les conifères qui gênaient ma route, j’essayais de ne pas le prendre de vue. Je compris vite qu’il se jouait de moi, ralentissant sa course régulièrement pour que je puisse l’avoir dans mon champ de vision. Était-il en train de m’entrainer quelque part ? Était-ce un piège ? À cette pensée, je m’arrêtais net au pied d’une montagne. Le leprechaun avait déjà entamé la montée, s’immobilisant alors pour m’examiner de nouveau.
- Que voulez-vous ?!
Il ne daignait pas me répondre et je commençais à m’impatienter face à son silence.
- Qui êtes-vous ? Pourquoi ne fuyez-vous pas ?
Il restait toujours muet face à mes interrogations et j’étais fatiguée de me battre contre un mur. Mon esprit commença à se séparer mais … avant que j’atteigne le sien, il m’interpella.
- Tu es très recherchée, phénix, dit-il calmement
- Pourquoi ?!
- Tu ne devrais pas rester ici.
- Répondez à mes questions !
- Qui ne voudrait pas avoir dans son camp la phénix chasseuse de cristaux.
- Et de quel camp faites-vous partie ?
- Ça n’a pas d’importance, je te préviens juste du danger qui te guette.
Sa remarque m’illumina instantanément. Je n’avais plus aucun doute sur la provenance de ce leprechaun.
- Vous êtes un loup de Tyr …
A mes mots, il disparut dans la nature, laissant un éclat bleuté briller sur la roche. Il m’avait laissé le cristal … Pourquoi … J’entendis alors des cris derrière moi, Leiftan et Sibyl couraient dans ma direction. Seulement, j’avais déjà grimpé à l’emplacement où il m’avait cédé la pierre. J’étais resté figée sans parvenir à analyser ce qu’il s’était passé.
Il ne m’avait pas capturée, il m’avait abandonné le fragment et il m’avait mise en garde. Que cherchaient les loups de Tyr ? Qu’attendaient-ils de moi ? Il fallait absolument que je retourne au village de Kelhin. Je devais parler au gobelin !
Avant l’arrivée de mes amis, je saisis alors le cristal et, soudain, un éclair foudroya mon corps. Un courant électrique me parcouru, compressant violemment ma poitrine. Cette même sensation que dans la salle du cristal, mon cœur était comme poignardé pour l’anéantir.
En basculant en arrière, j’atterris brutalement au sol, quelques mètres plus bas. La pierre m’échappa dans ma chute, ma vue se troublant déjà. Puis, je ne distinguais, peu à peu, plus rien …~***~
Je réouvris les yeux, nauséeuse. J’avais percuté de plein fouet une racine sortant de terre. Ce choc porté à ma tête me faisait encore grandement souffrir. En tentant de me redresser péniblement, je vacillais mon estomac se contractant dans mon mouvement. Une brûlure remonta dans ma gorge, je contraignant alors à restituer les maigres restes de mon repas.
En reprenant mes esprits, je constatais que je n’étais plus au pied de la montagne. Les braises rougeoyaient encore, malgré le soleil frappant ma peau abimée. Mon escouade échangeait avec Nevra et Irine non loin de l’endroit où j’étais couchée. Puis, je vis Leiftan adossé à un arbre, m’observant l’air anxieux.
- Je ne dois pas être belle à regarder, formulais-je difficilement
Il avait toujours cette air grave que je détestais voir s’afficher sur son visage.
- Arrête de me regarder comme ça … Je vais bien …
Leiftan s’approcha pour s’installer derrière moi. Je pus alors m’adosser contre son torse pour m’asseoir plus confortablement. Il passa ses bras autour de mon corps, enfouissant sa tête dans mon cou. Je devenais, de plus en plus, imprévisible … J’avais pris un risque irréfléchi en pourchassant ce leprechaun sans me préoccuper de mon unité. Mais, je comprenais de moins en moins les évènements qui s’enchainaient.
Oleifr devait savoir quelque chose sur les loups de Tyr et je voulais savoir quoi. Puis … le cristal m’avait rejeté avec une telle véhémence. Pourtant, il m’appelait quand je me dissociais de mon corps, ça n’avait pas de sens.
- Leiftan … Je dois parler à Oleifr …
Il releva la tête et j’accrochais ses iris verts pleins de remords. Il allait refuser …
- Nevra a déjà récupéré le fragment. Eros a dû partir informer Markus que les loups de Tyr avaient communiqué avec le gobelin. Norya … il sera pendu pour trahison …
- Non ! hurlais-je en le forçant à me lâcher
Je lui faisais face les yeux emplis de colère. Ils n’avaient pas le droit de le tuer ! Qu’avait-il fait pour mériter un tel sort ?
- Pourquoi ? Oleifr savait quelque chose ! Le leprechaun m’a alerté d’un danger. Et …
Et … si nous nous trompions depuis le début …
- Leiftan … et si les loups de Tyr n’étaient pas nos ennemis … émis-je l’hypothèse
Malheureusement, je n’avais pas vu que Nevra nous avait rejoint. Il fronça les sourcils, sortant férocement ses crocs. Si je ressentais son agressivité, c’était surtout sa déception qui me troubla. Pour la première fois, j’avais admis mes doutes. Je n’en pouvais plus de garder ces pensées pour moi. Je savais que j’allais perdre leur confiance … mais, mes incertitudes s’amplifiaient à mesure que j’explorais Eldarya. Je n’avais jamais cru en la renarde et je commençais à me méfier de Markus.
- Il te manipule et tu es assez bête pour y croire ! gronda mon chef
Mes yeux s’embrumèrent aussitôt. Je ne voulais pas les perdre … Je les aimais tous profondément, mais si je ne croyais pas en leur cause … Comment pouvais-je continuer ?
- Nevra … Je …
- Tu ne sais rien de notre monde ! Tu as débarqué ici il y a quelques mois pour remettre en cause notre conflit qui perdure depuis des générations. C’est ça ? Il est tellement facile pour eux de t’utiliser. Réfléchis ! Tu es capable de trouver les fragments qu’ils recherchent depuis des années, hurla le vampire
- Alors, pourquoi m’en donner un ! répliquais-je sur le même ton
Il serra ses canines, suppliant Leiftan du regard pour qu’il intervienne. Seulement, le Lorialet nous observait simplement d’un air démuni. J’allais le perdre lui aussi si je persistais sur cette voie … Pourtant, j’avais mis tellement de temps à accepter mes sentiments et je détruisais déjà notre relation naissante.
Karenn, Sibyl et Chrome nous avaient entendu crier au loin. Ils me scrutèrent abasourdis par mes propos. Je venais de briser leur confiance, de piétiner leur amitié et de déchiqueter leurs croyances … C’était trop difficile de sentir la peine et la colère que mes amis ressentaient envers moi.
- Je veux que tu te taises ! Définitivement ! Quand Eros reviendra, nous reprendrons la route, conclut Nevra
Je baissais la tête … des larmes roulant le long de mes joues. En cet instant, je me sus bien seule pour les sécher. Cette fois ci, mes deux amies ne viendraient pas pour me consoler.
Puis, Nevra n’oublierais pas de sitôt mon affront. Je venais délibérément de prendre la défense des personnes qui avaient tué ses parents … Les loups de Tyr avaient été assez intelligents pour me manipuler à ce point.
Mais, j’abhorrais la renarde ! Et, je ne parvenais plus à faire abstraction de cette haine qui alimentait mes doutes …
Dernière modification par Nøra (Le 12-08-2021 à 09h50)