05/01 : Ajout du chapitre 4
Bonjour/Bonsoir à tous et toutes et bienvenue sur cette histoire.
Peut-être que vous êtes ici parce que vous avez eu un contact, d’une façon ou d’une autre, avec mon style d’écriture et qu’il vous plaît ? Ou peut-être que vous cherchiez juste un endroit où passer le temps ? Qu’importe. Quelle que soit la raison, je vous remercie d’être venu en ces lieux pour laisser une chance à mes mots.
Cela fait cinq ans maintenant que cette histoire murît doucement dans mon cœur. Elle avait été publiée une première fois, dans une version maladroite, avant d’être emportée par les flammes de l’incendie. Depuis, elle a été reprise, remaniée et retravaillée pour aboutir à la version que j’ai le courage de vous présenter aujourd’hui. Et cela grâce à @Aespenn qui a su trouver les mots pour faire taire les sempiternels « Et si » qui tournaient dans mon esprit, m’empêchant de sauter le pas. Un grand merci à elle pour cela.
Quant à cette histoire, elle représente à elle seule la plus grande partie de la vie de ma gardienne, mais aussi ses pires démons. Alors ? Tenterez-vous l’aventure à ses côtés ?
A tous les enfants d'Eldarya
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--> Afin de ne pas reproduire les incohérences scénaristiques qui se sont retrouvées tout au long du jeu, la nourriture n’est pas rationnée dans l’Eldarya que je m’apprête à vous dépeindre.
--> Le métissage de Valkyon est inconnu.
--> Il n’est pas nécessaire d’être à jour dans les épisodes pour profiter de ce texte puisqu’il ne suit que très peu la trame de l’histoire originale.
--> Dans mon univers, il existe cinq gardes au sein d'Eel, la dernière étant la garde Écarlate.
--> Cette histoire est de la fantaisie noire. Par conséquent, il y aura quelques scènes de combats avec un peu de violence (bien édulcorée et rien de gratuit afin de rester dans les règles) et de la psychologie, sur fond d’amitié et de romance.
--> Les chapitres sortiront une semaine sur deux, les dimanches.
La jeune femme s’arrêta un instant devant l’entrée de la Cavité Bleue. Là où tout allait se jouer. Le seul compagnon qui lui était autorisé était son familier. Aucun guerrier n’allait l’accompagner. Elle devrait se débrouiller seule.
« Lulyah, ne fais pas de folie, ordonna son chef de garde. Tu ne sais pas ce qui peut t’attendre là-bas, alors réfléchi bien ! Si tu te rétractes, nous trouverons une autre solution. Ne te mets pas en danger !
La faelienne se retourna vers lui, serrant les poings pour empêcher ses mains de trembler. Elle avait peur, oui. Mais elle ne reculerait pas.
— Ma décision est prise Valkyon. Je rentrerais victorieuse ou je ne reviendrais pas. Mais je suis prête à tout. Pour lui, j’irai jusqu’au bout ! »
Une mission qui tourne au cauchemar est tout ce qu’il faut à Lulyah pour que sa vie bascule de la pire des manières. Se retrouvant confrontée aux remords, à la solitude et aux doutes, sa seule chance de se racheter est de se rendre sur les lieux où reposent les réponses aux questions de son existence. Cependant, là non plus, personne ne l’attend. Dans un monde qui ne veut pas d’elle, elle n’aura d’autre choix que de se forger une place pour exister avant que ses derniers espoirs ne se désagrègent.
Quand les rêves se brisent, il ne reste plus que le cauchemar que l’on nomme Réalité.
Je suis finalement revenue sur mon idée première et ai instauré une petite liste de prévenu.e.s. Si tu souhaites en faire partie, il suffit de me le demander en commentaire ou par MP afin de ne rater aucune sortie de chapitre
~ @Lillion
~ @Florianne
~ @Aespenn
Merci à vous ♥
~ @Florianne
~ @Aespenn
Merci à vous ♥
Chapitre I: Mission d'investigation
Le soleil n’était levé que depuis quelques heures, et pourtant, des bruits de pas se faisaient entendre dans la forêt qui s’étendaient sur les flancs des collines environnantes. Nevra ouvrait la marche, tranchant d’un coup de dague, lianes et plantes grimpantes venues obstruer le sentier de terre battue qu’il suivait depuis un moment. Malgré l'heure de marche qu’il avait déjà essuyée, il ne semblait ressentir nulle fatigue, se mouvant avec rapidité et aisance, comme s’il venait seulement de partir. Chassant une feuille rousse venue se perdre dans sa chevelure ébène, il se retourna avant de poser son unique pupille cendrée sur la personne qui le suivait, une bonne cinquantaine de mètres plus loin. D’ailleurs, son familier, Sheïtan, ne pouvait que grogner de mécontentement à l’attention de la retardataire. Il ne put réprimer un fin sourire, découvrant ses canines pointues, en l’apercevant.
Lulyah suivait comme elle pouvait tout en pestant, ne cessant de trébucher sur des pierres ou des racines qui jonchaient le sol. Au moins, si sa peau, d’une atypique couleur verte, la faisait disparaître au milieu de la végétation, le vampire était sûr de ne pas la perdre tant elle était bruyante. La main sur la hanche, il suivit du regard la tache blanche que représentait la chevelure de sa comparse, attendant qu’elle le rejoigne. Il sourit un peu plus quand il croisa son regard hétérochrome, violet et azur, sans oublier la mine boudeuse qui l’accompagnait.
— Nev’, on peut faire une pause ? demanda-t-elle pour ce qui devait au moins être la troisième fois durant la dernière demi-heure. Ça fait un moment qu’on marche et je n’ai même pas pris de petit-déjeuner. Je commence à avoir faim…
— Un peu de nerf Lulu ! Nous sommes presque arrivés au village où nous devons nous rendre.
— Ça va bien faire une heure que tu me répètes ça. Depuis qu’on est parti en fait…
— Et tu verras que je finirais bien par avoir raison. Courage ! Et ne marche pas trop à la traîne ou je vais définitivement finir par te confondre avec une fougère. Tu as la même couleur !
Il s’amusa de la mine renfrognée de sa camarade, et rit encore plus quand elle fit mine de l’étrangler en agrippant le bout de sa longue écharpe noire.
— Ce n’est pas sympa de te moquer de moi comme ça, soupira Lulyah en s’efforçant de marcher à sa hauteur. Je n’y suis pour rien. Je n’ai jamais demandé à avoir une couleur de peau aussi affreuse en arrivant dans ce monde…
— Je sais, je te taquine, assura le vampire en lui ébouriffant les cheveux. Puis, si ça peut te rassurer, ce n’est pas si horrible. J’ai déjà vu bien pire.
— Sympa, merci.
La gardienne se tut pour économiser son souffle, en profitant pour faire un point sur leur mission. Ils se rendaient actuellement au village de Yomagris, expert dans le travail de la laine de Crylasm, pour enquêter sur des vols de bétails. Visiblement, cela faisait près d’une semaine que ces larcins étaient commis, sans que les villageois n’aient pu dresser un portrait du potentiel voleur. De plus, les rares personnes qui s’étaient trouvées dans les rues au moment des faits avaient également disparu, sans que personne n’en retrouve la moindre trace. Cet appel au secours était finalement parvenu au QG, et Miiko avait envoyé une première équipe pour enquêter. Ne sachant pas quel pouvaient être les ennemis, la kitsune avait pris la décision d’envoyer sur place un chef de garde, et son choix s’était naturellement dirigé vers l’expert en collecte d’informations et d’espionnage. Pour l’épauler, en revanche, elle avait dû choisir parmi les gardiens disponibles et capable de faire équipe avec le vampire. C’était finalement Valkyon, chef des Obsidiennes, qui lui avait conseillé de faire appel à Lulyah. D’ailleurs, la concernée s’en était retrouvée très surprise, bien que cela ne l’est pas dérangée pour autant. Son chef de garde, fort et fier, avait toujours eu le droit à toute son estime et son respect. C’était pour cela que la gardienne avait toujours voulu s’illustrer devant lui, mais sans jamais y parvenir. Valkyon n’aurait d’ailleurs probablement jamais su qu’elle existait si elle n’avait pas été dans sa garde ou la meilleure amie de Nevra. Alors, pour une fois qu’il se souvenait de son existence, Lulyah voulait lui prouver qu’il avait eu raison de lui confier cette mission. C’est forte de cette pensée qu’elle releva la tête, gonflée d’une détermination nouvelle.
— Je te sens curieusement motivée, d’un coup, constata Nevra en la regardant du coin de l’œil. Que vaut ce soudain regain d’énergie ?
— Pas grand-chose. Seulement, à mon arrivée, je n’ai fait que râler parce qu’on me donner pour seule et unique mission le toilettage de familier, et que je voulais en faire des plus importantes. Alors, maintenant que l’on me confie des responsabilités, je veux prouver que je sais m’en montrer digne.
— Enfin, ça fait déjà dix-huit mois que tu es arrivée parmi nous et un an que tu ne fais plus cette tâche ingrate. Même si certains esprits sont encore très méfiants de la faelienne que tu es, je suis sûr que beaucoup te considère déjà comme une des nôtres.
— Je ne sais pas… Les humains ne sont pas bien vus à Eldarya et, de ce que j’ai compris, les vouivres ne sont pas très populaires non plus. Alors vu que je suis un peu des deux…
Le vampire soupira. Il n’aimait pas amener ce sujet sur la table, car il savait que son amie en souffrait beaucoup. Effectivement son deuxième peuple, celui des vouivres serpentaires, avait été longtemps considéré comme des êtres portant malheur. Ils avaient été persécutés pour cette raison, et avaient failli voir l’extinction de leur espèce, comme ce fut le cas pour leurs cousines, les vouivres wygan. Depuis cette époque, ces créatures vivaient en groupe très soudé et refusaient tout contact avec l’extérieur, ce qui leur valait d’être très hostiles avec les autres faeries. Mais Lulyah n’y pouvait rien et il ne trouvait pas ça juste de la juger pour une histoire qu’elle connaissait à peine. Même s’il avait lui-même eu des idées préconçues à son encontre autrefois. Hélas, il semblait être une des rares personnes à avoir accepté de revoir son jugement. Il décida finalement de changer de sujet, un sourire narquois se dessinant sur ses lèvres.
— Et sinon, dis-moi qui comptes-tu essayer d’impressionner durant cette mission ? Serait-ce ce cher Valkyon ?
Malgré la couleur de sa peau, le rouge ressortait bien sur les joues vertes de Lulyah, alors qu’elle le regardait, scandalisée.
— Personne ! assura-t-elle en lui donnant un coup dans l’épaule. Arrête de dire un peu n’importe quoi, tu n’es vraiment pas drôle !
— Tu sais que ton comportement est le meilleur des aveux que tu pouvais me faire.
La gardienne pesta avant de détourner le regard. Son ami passait son temps à la faire tourner en bourrique et ça l’énervait. Mais son affection pour lui dépassait largement son agacement, raison pour laquelle elle était à ses côtés malgré tout. Elle sortit néanmoins de ses pensées en apercevant des chaumières se dessiner entre les troncs des arbres.
— On aperçoit enfin le village ! s’exclama-t-elle en pointant la direction du doigt.
Le jeune homme, disposant d’une moins bonne acuité visuelle, mit sa main en visière pour regarder ce qu’elle lui indiquait avant d’approuver d’un signe de tête.
— En effet. Fini de rire, notre mission commence dès maintenant. J’espère que tu es prête Lulu ? Il va falloir ouvrir l’œil pour essayer de tirer toute cette histoire au clair.
— Oui, tu peux compter sur moi !
Il sourit à cette réponse avant qu’ils n’arrivent finalement à la lisière de la forêt. Et un peu plus loin, en contrebas, s’étendait le village de Yomagris. Installé dans un petit vallon, au milieu des collines, c’était un lieu verdoyant qui s’offrait à eux. Les maisons, simples, étaient toutes bâties à l’aide de rondins de bois tandis que les rues étaient constituées de pierres soigneusement imbriquées entre elles. Une petite chapelle s’élevait du fond du village, visiblement pour prier l’Oracle, et veillait sur un puits, qui semblait être la seule source d’eau environnante.
Cependant, les deux voyageurs n’eurent pas le loisir d’admirer plus longtemps le paysage, se faisant accueillir par des fourches sitôt l’arche de l’entrée passée.
— Halte-là ! ordonna le villageois le plus en avant, l’air se voulant menaçant. Peut-on savoir ce que des voyageurs comme vous viennent faire ici ?
— Nous sommes ici sur ordre de la garde d’Eel, à qui vous avez récemment fait appel, répondit Nevra, nullement impressionné par cette animosité. Cette lettre vous prouvera mes dires.
Il sortit un parchemin de sa poche et le donna à l’homme face à lui. Celui-ci s’empressa de lire son contenu avant d’ordonner à ses collègues de se retirer, d’un signe de tête.
— Veuillez nous excuser pour l’accueil glacial que nous avons eu à votre encontre, reprit-il en s’inclinant humblement. Nous ne pensions pas que la garde d’Eel serait si prompte à dépêcher une équipe. De plus, depuis que les vols ont commencé, nous sommes obligés de redoubler de vigilance face à tous ceux qui souhaitent fouler nos terres.
— Il n’y a pas de problème. Nous comprenons aisément la situation délicate dans laquelle vous vous trouvez.
— Merci beaucoup pour votre compréhension. Mais assez perdu de temps en bavardages ! Si vous voulez bien me suivre ? Il serait d’usage que vous rencontriez le maire pour qu’il puisse tout vous raconter en détail.
— Très bien.
Le villageois se mit en route et les deux gardiens lui emboîtèrent le pas sans attendre. En se retournant, Lulyah put voir les deux autres hommes reprendre immédiatement leur poste, bloquant de nouveau l’entrée du village. De même, des murmures se faisaient sur leur passage alors que les habitants s’écartaient légèrement.
— J’ai bien l’impression que nous ne sommes pas spécialement les bienvenus ici, constata-t-elle dans un murmure à l’attention de son collègue. Nous risquons d’avoir du mal à les approcher si nous avons besoin de les interroger.
— Ne t’en fais pas pour ça, j’ai la solution. Contente-toi de me faire confiance.
Le sourire qu’il lui adressa n’était pas spécialement réconfortant, mais la jeune femme acquiesça tout de même d’un signe de tête. Ils arrivèrent devant la maison du maire, avant que l’homme qui leur servait de guide ne s’arrête devant la porte.
— Attendez-moi ici, je vous prie. Je vais informer monsieur le maire de votre arrivée.
— Très bien.
Le villageois entra dans la maison, les laissant seuls devant la porte. Lulyah en profita pour regarder les enclos qui se trouvaient non loin d’elle. Les quelques Crylasms qui s’y trouvaient encore s’étaient tous rassemblés en troupeaux, semblant complètement apeurés. Visiblement, ces pauvres bêtes s’étaient fait traumatiser par l’enlèvement de leurs compagnons. Mais qui pouvait bien faire une chose pareille ? Et surtout, pourquoi ?
Elle quitta violemment ses pensées en entendant la porte devant laquelle elle se trouvait, s’ouvrir, la faisant sursauter. L’homme qui se présenta devant eux était de petite taille et ventripotent. Les rares cheveux qui restaient sur son crâne dégarni étaient poivre et sel, dénonçant un âge assez avancé. Il arborait également des moustaches grisonnantes, parfaitement taillées, accentuant la forme crochue de son nez. Sur celui-ci reposaient des petites lunettes rondes à montures dorées, cachant des yeux noisette. Son regard sembla toutefois s’illuminer quand il se posa sur les deux gardiens.
— Merci d’être venu si vite, valeureux guerriers d’Eel. Mais je vous en prie, entrez ! Nous serons mieux installés pour discuter.
— Bien. Sheïtan, attends-nous sagement ici et ne bouge pas.
Le familier grogna avant de se coucher docilement contre le mur de la maison. Le duo reporta son regard sur le maire qui les invitait d’un geste ample à franchir la porte, avant de les guider jusqu’à son salon. Celui-ci était décoré simplement. Une bibliothèque habillait le mur du fond, à côté d’un petit bureau en bois poli. Un grand tapis de velours rouge, aux arabesques dorées, recouvrait le sol. Il était surmonté d’une table basse en verre fumé, elle-même encadrée de deux sofas et d’un canapé en cuir de couleur jais.
Sous le commandement de leur hôte, les voyageurs prirent place sur le canapé, l’homme s’asseyant en face d’eux.
— Comme je l’avais précisé dans la missive que j’ai envoyée à votre QG, cela fait une semaine que nous nous faisons dérober des Crylasms de nos troupeaux, en moyenne deux par nuits, commença le maire en remontant ses lunettes. Cependant, aucun dégât n’a été enregistré sur les clôtures des enclos.
— Et avez-vous constaté une présence étrangère qui se serait établie récemment dans les environs ? questionna Nevra. Celle-ci aurait pu se traduire par de la fumée d’un feu de camp qui s’élèverait la nuit, ou bien par des empreintes étranges aux abords du village.
— Non, rien de tout ça. Après, nous ne nous sommes pas aventurés dans les collines. Les chemins pour y accéder sont très escarpés, sachant que des bêtes sauvages y résident. Nous ne sommes pas des combattants et ne saurions nous défendre si nous nous retrouvions face à ce genre de créatures.
— Je vois… Et concernant les personnes qui ont également disparu ?
Lulyah regarda un instant son ami. Elle était toujours surprise de voir son sérieux durant les missions, lui qui semblait tout faire avec frivolité. Elle reporta par la suite son attention sur le maire, face à eux, qui se grattait la tête d’un air embarrassé.
— Comme j’en avais fait mention dans la lettre, nous n’avons pas retrouvé la moindre trace d’eux. La seule piste que nous ayons eue, c’est le fragment de la lance de l’un des volontaires qui patrouillaient dans les rues, il y a trois nuits. J’ignore ce qui a pu lui arriver, mais je ne peux m’empêcher d’envisager le pire. Naturellement, j’ai fait taire cette découverte afin de ne pas provoquer de panique au sein du village.
— Je pense que, compte tenu du peu d’informations dont nous disposons, c’est le plus sage. Avez-vous instauré une sorte de couvre-feu ?
— Oui. À part les volontaires qui exécutent les rondes nocturnes, personne n’a le droit de se promener dans le village dès la nuit tombée.
— Avez-vous entendu quelque chose qui pourrait nous donner une quelconque piste sur l’identité du voleur ?
— Eh bien… une nuit, j’ai entendu ce qui ressemblait fort à un pas lourd et pataud, résonner dans les rues de la ville. Cela ressemblait à la démarche d’un Pachirondo. Je crois qu’ils aiment bien vivre dans des lieux de moyenne altitude, comme ce qu’offrent les collines environnantes.
— Je vois. Je vous remercie de votre coopération, assura Nevra. Ne vous souciez plus de rien, nous prenons les choses en main à compter de maintenant. On y va Lulyah !
— Hein ? D’accord.
Voyant le chef de garde s’incliner devant le maire, elle décida de faire pareil avant qu’ils ne quittent la demeure. Une fois dehors, elle se décida finalement à poser la question qui lui brûlait les lèvres.
— Dis-moi Nev’, c’est quoi un Pachirondo ?
— C’est un familier quadrupède dont la taille dépasse allègrement les deux mètres. Son corps est de forme ronde, ses pattes ressemblent à des poteaux, recouverts de poils. Il a également une trompe en guise de nez et une queue en tire-bouchon.
— Ah je vois… C’est une sorte de croisement entre un mammouth et un cochon, en fait…
— Sinon, dis-moi, que penses-tu de la situation que nous a exposé le maire ?
— Quoi ? Tu veux mon avis ?
— Évidemment ! Je te rappelle que tu n’es pas ici pour faire pot de fleurs, tu es là pour m’aider ! Du coup, j’aimerais beaucoup entendre ton point de vue.
— Sauf que je ne suis pas sûre d’être d’une grande aide…
Mais le vampire avait raison. Après tout, si elle voulait prendre du galon, il lui fallait réussir des missions à responsabilités. Et pour cela, il fallait commencer par s’y investir !
— Eh bien, puisque le maire nous a assuré qu’il n’y avait aucun dommage sur les clôtures, on peut supposer que les voleurs les enjambent chaque nuit.
Voyant que son meilleur ami lui adressait un sourire encourageant, elle se décida à poursuivre.
— Du coup, j’en suis venu à la conclusion qu’ils doivent être de grandes tailles et dotés d’une force conséquente pour pouvoir parvenir à réaliser cette prouesse tout en portant un Crylasm.
— J’en suis venu aux mêmes conclusions.
— Avec les bruits de pas dont on nous a parlé, peut-être que ces voyous se déplacent à dos de Pachirondo ?
— Je ne pense pas, assura Nevra, catégorique, en rangeant son carnet de notes. Contrairement à ce que nous a dit le maire, je suis absolument certain qu’il n’y en a pas dans la région. D’ordinaire, ce familier vit en moyenne montagne. Les collines sont bien trop basses par rapport à son habitat naturel.
— Ah… Mais tu as une idée de ce que ça pourrait être alors ?
— Oui, mais inutile de t’en faire part pour le moment, je n’ai encore rien de concret. Nous allons donc interroger certaines villageoises pour essayer de savoir si elles ne peuvent pas nous en apprendre plus.
— Mais tu as vu comment les habitants réagissent à l’approche des étrangers ? s’étonna Lulyah. Jamais ils ne nous laisseront les approcher !
— C’est bien pour cela que j’ai parlé des demoiselles !
Nevra lui adressa un sourire confiant avant de marcher vers une femme, visiblement âgée d’une vingtaine d’années, qui passait le balai un peu plus loin. Elle eut d’ailleurs un mouvement de recul en le voyant s’approcher d’elle.
— N’ayez pas peur madame, je ne vous veux aucun mal, assura le jeune homme dans un sourire charmant. Je suis venu pour libérer votre village du fléau qui y sévit. Il serait dommage qu’une si jolie femme soit menacée par quelques voyous que ce soit.
Son interlocutrice ne sembla pas rester de marbre face à ses paroles, ses joues se teintant d’une vive couleur rosée. Lulyah, restée en retrait, ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel devant ce spectacle des plus navrants.
— Que… qu’attendez-vous de moi, monsieur ?
— J’aimerais seulement savoir si vous avez entendu ou vu quelque chose qui pourrait nous aiguiller sur l’identité des voleurs. Dites-moi tout ce que vous savez, même les détails qui vous paraissent les plus dérisoires.
D’un geste habitué, le vampire glissa une mèche ébène de la jeune femme derrière son oreille, gagnant un nouveau rougissant de l’ingénue.
— Eh bien, la nuit dernière, il m’a semblé entendre le rugissement d’un Moogliz, dans le village, mais je ne suis sûre de rien.
— Un Moogliz, hein ?
Sceptique, le chef de garde nota ce renseignement dans son carnet, les sourcils se fronçant à intervalles réguliers.
— Je suis navrée de ne pas vous être d’une grande aide.
— Au contraire, votre aide a été à la hauteur de votre beauté : parfaite !
— Me-merci !
— Pourquoi ne pas garder vos remerciements pour un autre soir, autour d’un verre, une fois les malfrats neutralisés ?
Dans un dernier sourire brillant, le vampire fit un signe de tête à sa collègue afin qu’elle le suive. Lulyah soupira, mais s’exécuta sans protester. Elle vit ainsi la même scène se rejouer encore et encore. Les femmes semblaient réticentes à toutes approches, jusqu’à ce que Nevra commence à leur sourire en glissant quelques compliments dans la conversation. Aux yeux de Lulyah, il était juste très lourd, mais ce n’était visiblement pas l’opinion unanime.
— Désolé de te dire ça comme ça Nev’, mais tu es quand même super embarrassant comme gars ! lâcha-t-elle finalement alors qu’ils s’étaient mis à l’écart, la récolte d’informations étant terminée.
— Ben quoi ?
— Ne fais pas comme si tu ne voyais pas ce que je veux dire. Je parle du comportement que tu as eu avec toutes ces dames ! Il y en avait des mariées dans le lot, je te ferais dire !
— N’en fais donc pas tout un plat. Tu apprendras avec l’expérience que tous les moyens sont bons pour récupérer des informations. Il faut savoir tirer parti des faiblesses de la personne face à soi.
— Ben voyons… Parce que tu vas me dire que leur proposer d’aller boire un verre avec toi une fois le voleur arrêté, c’était également pour l’obtention de renseignement ?
— Il faut savoir mêler l’utile à l’agréable !
— Si tu le dis.
L’Obsidienne n’avait pas envie d’épiloguer plus longtemps sur ce sujet avec son ami, sachant que c’était un combat perdu d’avance. Le jeune homme avait toujours réponse à tout. Elle reporta donc son attention sur ce qu’il faisait, pour constater qu’il venait de terminer la rédaction d’un parchemin. Il le roula soigneusement avant de l’attacher autour du cou de son familier, un Black Gallytrot.
— Pourquoi ces notes ? Tu sais finalement à quoi nous avons affaire ?
— Oui. Grâce aux témoignages de ces dames, j’ai pu avoir la certitude que mes premières suppositions étaient exactes. Du coup, il va falloir retourner voir le maire, afin qu’il donne l’ordre aux habitants de s’enfermer chez eux.
— Pourquoi ? Je ne te suis pas… La seule chose que ces femmes se sont accordées à dire, c’est qu’elles avaient entendu des rugissements de Mooglizs pendant plusieurs nuits.
— Justement, c’est ce qui a fini de me conforter sur l’identité de ces voleurs. Il n’y a pas de Moogliz dans cette région-ci d’Eldarya.
— Du coup, qu’est-ce que ce serait d’après toi ?
— Des trolls des montagnes. C’est pour cela qu’il faut que le QG envoie des renforts le plus vite possible.
Lulyah regarda un instant Sheïtan, le familier de son ami, partir à toute allure avec le message qu’il portait. Elle pouvait sentir son estomac se nouer. Pour une raison inexplicable, elle avait un très mauvais pressentiment.
Chapitre II : Erreur tactique
Conformément aux ordres du chef de garde, ils étaient tous deux retournés dans la demeure du maire, afin de lui faire part de leur sinistre découverte. D’ailleurs, le vieil homme avait paru complètement chamboulé par la nouvelle, et ne s’était pas fait prier pour donner l’ordre aux habitants de s’enfermer chez eux. Le petit duo était, par la suite, retourné dans les rues désertes, avant de s’y arrêter pour déjeuner.
— Du coup, quelle est la suite des opérations ? questionna Lulyah, rompant finalement le silence instauré entre eux.
— Nous allons aller faire une petite démarche d’investigation dans les collines avoisinantes.
— On n’attend pas les renforts pour cela ?
— Non. Je pense qu’au plus tôt, au regard du temps de trajet qui sépare le QG d’ici, ils n’arriveront pas avant trois heures. De plus, si nous cherchons la tanière des trolls en étant trop nombreux, nous nous ferions facilement repérer, expliqua Nevra. Ces créatures sont loin d’être des enfants de chœur. Mieux vaut ne pas s’attaquer à eux de front. Du coup, c’est à nous que revient la charge de débusquer leur campement.
— Mais, si jamais nous tombons face à face avec eux ? demanda la jeune femme, sentant la peur l’étreindre un peu plus à chaque minute qui passait.
— Ne t’en fais pas, les trolls des montagnes sont essentiellement actifs la nuit. Dans le pire des cas, nous aurions seulement affaire à leur sentinelle. Dans ce cas, nous n’aurons qu’à la supprimer, avant que les autres ne rappliquent. À deux contre un, c’est largement faisable.
— Tu es sûr ?
— Évidemment. Comme je viens de te le dire, ils sont dangereux. Cependant, il ne faut pas oublier qu’ils sont également lourdauds, gauches et incroyablement stupides. De la rapidité, de l’agilité et de la tactique nous permettront de nous sortir de ce mauvais pas, à n’en pas douter.
Lulyah hocha vaguement la tête, trouvant qu’il s’avançait peut-être un peu vite sur cette affirmation. Si le vampire avait toute confiance en ses talents de combattant, ce n’était pas du tout le cas de la gardienne, qui hésitait encore beaucoup. Cependant, elle s’abstint de faire tout commentaire, terminant son repas. Après tout, s’ils avaient de la chance et si les informations de son collègue étaient justes, ils ne verraient peut-être personne.
Ils finirent leur repas rapidement avant de se mettre en route, empruntant l’un des nombreux sentiers escarpés qui serpentaient entre les collines. L’ascension commença dans le calme, économisant leur force. Le vampire regardait dans chaque recoin, à la recherche d’un potentiel indice de passage, et Lulyah se mit à faire la même chose. Cependant, la terre était sèche, témoin de nombreux jours sans averse, empêchant toute empreinte de s’y imprimer.
— Si seulement il avait plu récemment, soupira-t-elle finalement. On aurait pu facilement remonter la piste jusqu’à leur campement.
— C’est vrai. Cependant, nous pouvons très bien faire sans. S’ils volent toutes les nuits, on peut penser qu’ils empruntent toujours le même chemin. Et ce faisant, c’est obligé qu’ils finissent par laisser une preuve de leur passage. Ce sera moins évident à voir, mais pas impossible. Il faut juste chercher un peu.
— Oui. Tout ceci ne serait pas arrivé si je maîtrisais mes compétences de vouivre. Avec le don de rétro cognition, je n’aurais eu aucun mal à savoir ce qui se passe ici, toutes les nuits.
— Te prends pas la tête, Lulu ! Tu n’es qu’à moitié de ce peuple, c’est normal que tu ne saches pas utiliser toutes ses compétences. On saura très bien faire sans, t’en fais pas.
La gardienne approuva d’un signe de tête, tentant de ne pas paraître trop défaitiste, avant de reprendre son observation. Par endroit, l’herbe était légèrement aplatie, mais il était parfaitement impossible de savoir si c’était bien l’œuvre des voleurs ou celle d’un familier quelconque.
Ne trouvant rien sur le sol, Lulyah décida de contempler un peu les arbres qui les entouraient. Les collines, si verdoyantes, se révélaient recouvertes d’une véritable forêt. Si on omettait le fait que des trolls y avaient élu domicile, c’était un endroit très agréable. Son regard se figea néanmoins sur les branches des arbres qui abritaient le sentier. La plupart avaient été cassées en de nombreux endroits. Elle tapota l’épaule de son compagnon pour gagner son attention.
— Nev’, je viens de trouver ça, annonça-t-elle en indiquant sa découverte d’un signe de tête. Tu penses que ça peut être l’œuvre des trolls ?
Le vampire leva la tête pour constater les dégâts qui s’étendaient au-dessus d’eux.
— Nous ne pouvons en avoir la certitude absolue, mais vu la hauteur, ce n’est pas impossible du tout. Ce qui veut dire que nous sommes sûrement sur la bonne voie. De plus, j’entends un curieux grondement qui provient d’un peu plus loin. À partir de maintenant, il va falloir redoubler de vigilance. Et, par mesure de sécurité, nous allons quitter le chemin. L’ascension sera certainement plus pénible, mais cela réduira nos chances de nous faire repérer.
— D’accord…
La jeune faelienne pouvait sentir son estomac se nouer davantage alors qu’elle suivait son compagnon, avançant péniblement entre les arbres et les ronces. La végétation devenait de plus en plus dense, masquant une partie des rayons du soleil. Cela ne faisait qu’alourdir un peu plus l’atmosphère. Trébuchant sur les rochers et les racines présents sur son passage, l’Obsidienne avait perdu du terrain sur son compagnon qui avançait sans aucun problème et dans un silence des plus troublants. Il n’était pas étonnant de le voir chef de garde de l’Ombre au regard de sa discrétion sans égale.
Nevra arriva bien vite sur un promontoire rocheux avant de finalement s’y allonger, regardant légèrement en contrebas. Il se tourna vers sa camarade, qui arrivait péniblement, et lui intima le silence avant de lui faire signe de venir vers lui. Lulyah ne se fit pas prier et prit place à ses côtés, s’allongeant également pour être moins visible.
Un peu plus en bas se trouvait un campement. Au centre de celui-ci se trouvait des branchages, disposaient en croix et fortement brunis, laissant supposer qu’un feu y était allumé régulièrement. Les cahutes qui l’entouraient avaient été fabriquées grossièrement avec du bois, de la roche, et ce qui ressemblait fortement à des os. Mais la gardienne préférait ne pas y penser. D’importants ronflements en sortaient, ne faisant qu’apeurer les pauvres Crylasms, parqués dans un enclos ridiculement petit.
— C’était donc bien ça, le bruit insupportable que j’entendais depuis tout à l’heure, constata Nevra à voix basse. Et pas étonnant que les villageois ne se soient pas rendu compte d’une présence vivante dans les parages. Ils se sont servis du relief du paysage pour masquer éventuellement la fumée de leur feu de camp. Je dois avouer qu’un tel raisonnement, venant de créatures aussi bêtes, me forcerait presque le respect.
— Du coup, notre démarche d’investigation est un succès ? demanda Lulyah d’une toute petite voix. On va pouvoir rentrer au village ?
— Ouais. Et nous saurons exactement où et quand frapper, une fois les renforts arrivés. Je t’avais bien dit qu’il n’y avait pas à s’en faire.
L’Obsidienne approuva d’un signe de tête, un sourire soulagé illuminant son visage. Elle ne pouvait nier être rassurée que tout se soit passé sans le moindre accro. Elle regarda son ami se relevait doucement avant de faire de même, commençant à rebrousser chemin.
— Il y a quelque chose que je ne comprends pas vraiment dans cette histoire, confia finalement la jeune fille, une fois être sûre que les trolls du campement ne pouvaient pas les entendre. Je pensais qu’ils volaient les Crylasms pour s’en nourrir. Mais ce n’est visiblement pas le cas puisque ces pauvres familiers sont toujours en vie. Alors, pourquoi les volent-ils ?
— Probablement pour leur laine. Tu sais, n’étant pas très habile de leurs mains, ce genre de créatures vit de brigandages et de braconnages. Et ils ne sont pas non plus suffisamment dégourdis pour réussir à domestiquer des familiers, ce qui les pousse à en voler. Raison pour laquelle j’ai rapidement pensé à eux comme coupable. Quant au fait de dévorer les Crylasms, sache que peu de peuples mangent les familiers. Les trolls préfèrent de loin la chair de faeries.
La faelienne se figea à ces mots, forçant son ami à s’arrêter également.
— Mais alors… les sentinelles du village qui ont disparu…
— C’est effectivement la fin la plus envisageable pour ces pauvres personnes. C’est bien pour ça que j’ai demandé au maire de faire en sorte que plus personne ne se trouve dans la rue, surtout dès la nuit tombée. Inutile qu’il y ait davantage de victimes.
— C’est horrible, marmonna Lulyah, reprenant sa marche.
Et dire qu’à son arrivée sur Eldarya, dix-huit mois plus tôt, elle avait eu l’air de vivre dans un monde merveilleux, digne d’un conte de fées. Force était de constater que, plus le temps passait, plus elle découvrait les dessous cauchemardesques de la vie ici. Et elle n’était pas sûre du tout de s’y faire un jour.
Elle sortit toutefois de ses pensées en se heurtant violemment au dos de son ami, s’étant immobilisé sans avertissement.
— Qu’est-ce qui te prends Nev’ ? questionna-t-elle en se massant le bout du nez. Pourquoi tu t’arrêtes ?
— J’entends une respiration… On n’est pas tous seuls…
Lulyah ne put empêcher un frisson de la parcourir alors qu’elle regardait tout autour d’elle. Elle ne voyait rien du tout, et n’entendait pas non plus ce dont parlait son ami. Pourtant, à la mine grave que son visage arborait désormais, elle savait qu’elle pouvait commencer à s’inquiéter. Toutefois, elle n’eut pas le loisir de méditer davantage sur la question, se faisant empoigner fermement par le bras alors que son camarade recommençait à avancer à grandes enjambées. La jeune femme n’avait qu’à essayer de tenir le rythme du mieux qu’elle pouvait, essayant de ne pas trébucher sur le sol escarpé.
— Ralenti Nevra ! J’ai du mal à te suivre !
— On n’a pas le temps ! Faut qu’on dégage d’ici au plus vite !
Cependant, il s’immobilisa de nouveau, manquant de se faire heurter une nouvelle fois par sa camarade. Celle-ci allait l’interroger avant d’esquisser une grimace de dégoût, se bouchant le nez.
— Qu’est-ce que c’est que cette odeur putride, d’un coup ? C’est infect !
— C’est mauvais…
Suivant le regard de son ami, elle leva la tête avant de sentir son sang se glacer dans ses veines. Un peu plus loin, dissimulé parmi les arbres, se trouvait une créature les dominant, sa taille avoisinant sans mal les trois mètres. Un gourdin était négligemment posé sur son épaule, alors que ses petits yeux, d’aspects porcins, fixaient sans le moindre doute le duo. La créature esquissa finalement un sourire, découvrant sa dentition jaunie.
— Chouette, de la viande fraîche, assura-t-elle en riant bêtement.
Lulyah déglutit difficilement tandis que le troll les approchait d’un pas lourd. Devant elle, Nevra avait déjà dégainé ses dagues.
— Ce que je craignais est arrivé, nous sommes tombés sur la sentinelle. Tiens-toi prête Lulu ! Nous n’avons pas d’autres alternatives que de la supprimer avant que la situation ne se complique.
— Je veux bien, mais tu as vu ce mastodonte. Je ne suis pas capable d’affronter un tel monstre, marmonna la concernée, la voix tremblante. C’est d’ailleurs la première fois que j’en vois un.
Et autant dire que c’était une rencontre dont elle aurait aisément pu se passer.
— Je sais. Sachant que le moindre coup reçu peut être fatal. Il n’y a donc pas de place à la maladresse ou au doute.
Le vampire jeta un coup d’œil à sa partenaire avant de reporter son attention sur le troll qui avançait toujours de sa démarche lourde.
— Je vais faire diversion ! Attends une ouverture, et frappe un grand coup !
La jeune femme approuva d’un signe de tête en regardant son meilleur ami partir à l’assaut. Elle s’écarta rapidement du lieu de l’affrontement afin de guetter une opportunité. Elle en profita également pour essayer de réguler son rythme cardiaque, son cœur martelant douloureusement sa cage thoracique. Même ses mains tremblaient sur le manche de son marteau.
— Allez, Lulyah, ce n’est vraiment pas le moment ! Nev’ compte sur toi ! Ne laisse pas la poule mouillée qui t’habite refaire surface…
Elle était de la garde Obsidienne, bon sang ! Elle ne pouvait pas trembler comme une feuille devant le premier ennemi qui passait ! Que diraient ses compagnons d’armes ? Et, pire encore, que dirait Valkyon s’il la voyait ?
Elle reporta son attention sur le combat qui se déroulait sous ses yeux. Nevra se mouvait avec une rapidité et une agilité déconcertante. Aucun de ses gestes n’était superflu, chacune de ses attaques frappant avec une précision chirurgicale. Le troll semblait d’ailleurs dépassé par les événements. Il agitait son gourdin dans des coups meurtriers, mais complètement désordonnés, aucun n’atteignit sa cible. Comme quoi, la vitesse était clairement quelque chose qui semblait faire défaut à ce peuple. Il avait récolté de nombreuses entailles sur les bras et l’abdomen, pas assez profondes pour le mettre en péril, mais suffisamment pour le mettre en difficulté.
Concentré dans son duel avec le vampire, le mastodonte semblait avoir complètement oublié Lulyah. C’était probablement là, la chance qu’elle espérait. Saisissant cette opportunité, elle entreprit d’escalader l’arbre qui se trouvait non loin d’elle. S’accroupissant sur une branche, suffisamment épaisse pour supporter son poids, elle attendit que les mouvements de sa cible la rapprochent d’elle. Quand le troll passa finalement à sa portée, elle bondit de son perchoir, armant son marteau. De toutes ses forces, elle abattit le bout de sa masse sur le crâne de son adversaire. Le troll chancela un moment, laissant juste le temps à la jeune femme de tomber souplement sur le sol, avant de s’effondrer dans un bruit sourd. L’Obsidienne ne put s’empêcher de ressentir une certaine fierté à son action. Elle avait réussi cette mission ! Peut-être que Nevra irait même en parler à Valkyon, et celui-ci viendrait la féliciter ? Mais il ne fallait pas qu’elle se laisse distraire.
— Vas-y Lulyah, c’est le moment ! s’écria Nevra, ayant repris ses distances pour éviter de se faire aplatir par la chute du monstre. Finis-en !
La concernée approuva d’un signe de tête et leva une nouvelle fois son marteau, regardant le troll, toujours déboussolé, à ses pieds. Il lui suffisait d’abattre encore son arme sur son crâne, et tout serait fini. Cependant, elle suspendit son action, alors que de nombreux doutes venaient l’étreindre. Si elle terminait son geste, elle allait le tuer. Et bien que cette créature soit dangereuse, c’était avant tout un être vivant. Était-elle vraiment obligée de le tuer ? N’y avait-il pas une autre solution ?
Elle se mordit la lèvre pour empêcher son corps de trembler, alors qu’elle sentait ses mains devenir moites sur le manche de sa masse. Nevra avait été très clair, il n’y avait pas de place pour le doute ! Si elle ne faisait rien, il risquait d’y avoir encore des victimes dans le village de Yomagris. Et elle ne pouvait pas laisser une telle chose se produire !
Alors qu’elle avait finalement trouvé le courage de mener son action à son terme, le troll poussa un rugissement effroyable, forçant la gardienne à se boucher les oreilles.
— Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
— Lulyah, attention !
Elle n’eut pas le temps de réagir qu’elle se fit pousser par le vampire, évitant de peu la main de la créature qui avait tenté de la saisir. La jeune femme se releva maladroitement, contemplant avec horreur le troll se remettre sur pieds.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Il vient d’appeler des renforts ! Faut qu’on dégage d’ici ! Cours !
Le vampire ne lui laissa pas le temps de protester, la saisissant par le bras avant de l’entraîner à sa suite. Essayant de suivre du mieux qu’elle pouvait, Lulyah se risqua un coup d’œil par-dessus son épaule. Elle pouvait voir le monstre les prendre en chasse, les bruits sourds de ses pas correspondant avec les battements erratiques de son cœur.
— J-je suis désolée… C’est de ma faute si nous sommes dans cette situation…
— Peu importe, ce n’est pas le moment de savoir qui est en tort, nous en aurons tout le loisir une fois tiré d’affaire. Pour le moment, concentre-toi seulement sur notre fuite !
La faelienne approuva d’un signe de tête, faisant de son mieux pour suivre le rythme imposé par son compagnon tout en chassant toute pensée parasite de son esprit. Cependant, Nevra bifurqua brusquement, leur faisant éviter de peu un coup de gourdin qui les aurait facilement réduits en bouillie. Alors qu’ils reprenaient leurs distances, ils virent trois trolls se dresser face à eux, leur barrant la route.
— Visiblement, celui que nous avons affronté n’était pas la seule sentinelle dans les environs. J’ai été trop négligent.
Lulyah ne répondit rien, son regard passant avec horreur d’un mastodonte à un autre.
— On ne peut rien faire contre tous ces monstres, marmonna-t-elle, tétanisée. On va se faire massacrer…
— Écoute-moi très attentivement ! Je vais faire diversion. Pendant ce temps-là, essaie de t’enfuir vers le village. Cours droit devant toi sans te retourner. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Que-quoi ? Mais… et toi ? Je ne peux pas t’abandonner ! Tu ne vas rien pouvoir faire, seul, face à ces trois colosses !
— Je ne peux pas me battre convenablement si je dois en plus protéger quelqu’un ! Alors, ne discute pas et obéis !
Surprise par ce brusque haussement de ton, la jeune fille se contenta d’approuver d’un signe de tête. Malgré tout, elle ne parvenait pas à chasser la pensée que, si elle le laissait seul, elle ne le reverrait plus jamais. Secouant de nouveau la tête, elle commença à courir, les jambes tremblantes, avant de s’arrêter, nez à nez avec la sentinelle qu’ils avaient déjà affrontée. Désormais, ils étaient complètement encerclés. D’ailleurs, elle put entendre son compagnon jurer dans son dos.
— Nous n’avons pas le choix que de nous battre. Évite au maximum les attaques ennemies. Je vais essayer de te faire une ouverture pour te permettre de t’enfuir.
— D-d’accord…
La jeune femme raffermit sa prise sur son arme alors qu’une seule prière traversait son esprit.
— S’il te plait, Oracle. Aide-nous…
/!\ Ce chapitre met en scène un combat et la violence inévitable qui l’accompagne. Même s’il n’y a rien de très graphique, vous voici prévenu.e.s.
Chapitre III : En plein cauchemar
Les trolls ne cessaient d’avancer vers eux, tétanisant Lulyah. Même le contact du dos de son ami contre le sien ne parvenait pas à calmer les battements erratiques de son cœur. Elle aurait souhaité être dans un cauchemar, et se réveiller aux côtés de son familier, dans la douceur de sa chambre. Hélas, il lui fallait se rendre à l’évidence : si elle voulait s’en sortir, il lui fallait se battre !
Elle interrompit ses pensées alors que Nevra se jetait au cœur de la bataille, les dagues menaçantes. Seule la détermination brillait dans son regard, aucune hésitation ne venant entraver ses gestes. En le voyant à l’œuvre, la faelienne déglutit difficilement avant de raffermir sa prise sur son marteau. Si elle voulait s’en sortir, elle ne pouvait pas attendre que les choses se passent ! Forte de cette pensée, elle se lança à l’attaque. Si elle n’avait pas d’ouverture, elle allait s’en créer une ! Cependant, même en employant toute sa force, ses attaques ne semblaient avoir aucun effet contre ces mastodontes. D’ailleurs, ils ripostaient plutôt bien, ne lui laissant qu’une fraction de seconde pour éviter leurs énormes gourdins.
— On n’y arrivera jamais, songea-t-elle en contemplant ses actions réduites à néant. Ils sont trop forts… et trop nombreux. On va se faire massacrer.
Elle pouvait d’ailleurs sentir son cœur marteler douloureusement sa cage thoracique alors que la peur et le désespoir l’étreignaient. Elle sortit néanmoins de la spirale infernale de ses pensées en entendant un bruit sourd derrière elle. En se retournant, elle put constater que l’un des trolls venait de s’effondrer, visiblement raide mort. Il arborait une importante entaille à la jugulaire, suggérant qu’il s’était rapidement vidé de son sang.
Nevra avait bondi sur le dos d’un autre de ces monstres pour tenter de lui asséner un coup mortel. Cependant, sa victime n’avait de cesse de s’agiter dans tous les sens, rendant sa prise maladroite et incertaine. Le vampire fut contraint de lâcher prise alors qu’un autre troll venait en renfort. Celui-ci asséna un puissant coup au brun, mais le rata, son gourdin terminant sa course dans le visage de son camarade, l’envoyant s’effondrer sur le sol.
Sentant l’espoir renaître, Lulyah reporta son attention sur la créature qui se trouvait face à elle, avançant d’un pas pataud. À deux contre deux, c’était encore jouable.
— La situation s’améliore, assura le chef de garde en revenant vers elle. Ce que je t’ai dit tout à l’heure tient toujours. À la première ouverture, tu files vers le village. Les renforts ne devraient pas tarder à arriver, tu les guideras jusqu’ici. Je vais finir le travail. Et quoiqu’il arrive, ne te retourne pas et cours toujours tout droit. Compris ?
— Oui, je te le promets !
Le vampire repartit à l’assaut et Lulyah fit de même, ayant finalement trouvé un point faible. Évitant le coup de gourdin dirigé contre elle, elle abattit de toutes ses forces son marteau sur les orteils du troll. Celui-ci poussa un râle douloureux avant de s’écarter. La voie était désormais libre ! Sans attendre, la faelienne commença à courir sur le chemin qui s’offrait à elle.
— Lulu ! Écarte-toi !
Elle n’eut pas l’occasion de se retourner, se faisant pousser. Perdant son arme, elle s’allongea de tout son long sur le sol en terre battue du sentier. Un peu sonnée, elle se retourna avant que ses yeux ne s’écarquillent d’horreur. Nevra s’était visiblement jeté sur elle pour l’écarter de la trajectoire d’une attaque, et se fit heurter par un violent coup de gourdin à sa place. L’Obsidienne ne put d’ailleurs retenir un cri d’effroi en voyant son corps se faire balayer comme une poupée de chiffon, allant rouler un peu plus loin.
Le corps tremblant, la jeune femme se releva maladroitement, ses yeux s’embuant de larmes. Elle devait retourner au village le plus vite possible, pour attendre les renforts. Elle le lui avait promis ! Elle ramassa son arme, prête à reprendre sa course.
— On va commencer par lui, ricana l’un des trolls en s’approchant du jeune homme. C’est bon, la chair de vampire !
Lulyah serra les dents avant de faire volte-face. Elle courut aussi vite que ses jambes tremblantes le lui permettaient avant d’empoigner le chef de garde par son écharpe, évitant de peu au monstre de s’en saisir. Elle le regarda alors, ne pouvant empêcher son cœur de se serrer à cette vision. Son corps était tâché de vermeille, l’un de ses bras pendant mollement dans un angle étrange. Son unique œil, vitreux, était posé sur elle sans la voir. Dans ces conditions, il était même difficile de savoir s’il était encore en vie.
— Nev’, marmonna-t-elle en le secouant, des larmes roulant sur ses joues. Je t’en prie Nevra, réponds-moi !
Mais il ne semblait plus réagir à ce qui l’entourait. Et un coup d’œil vers les trolls lui indiqua qu’ils avançaient vers elle d’un air affamé. Reprenant son marteau, la gardienne se plaça devant son ami, tentant de leur asséner des coups capables de ralentir leurs progressions. Mais aucune de ses attaques ne semblait suffisamment puissante pour accomplir une telle prouesse.
— Je suis pourtant de la garde Obsidienne, songea-t-elle sans relâcher ses efforts. Alors pourquoi ? Pourquoi suis-je si faible ?
Le monstre le plus en avant sembla se lasser de ses mouvements, lui infligeant un coup de pied pour la chasser. La jeune femme alla rouler plus loin, sentant quelques-unes de ses côtes se briser sous l’impact.
Lulyah se mordit les lèvres pour ne pas hurler de douleur alors qu’elle tentait de se relever. Sa chevelure blanche était désormais maculée de boue et de sang, tout comme sa peau et ses vêtements. Ses yeux étaient embués de larmes, rendant sa vision, d’habitude si bonne, complètement floue. Malgré tout, elle ne pouvait pas s’enfuir. Pas en laissant Nevra dans cet état derrière elle.
Reprenant le manche de son arme en main, elle chercha du regard la silhouette de son ami. Elle put alors voir avec horreur l’un des trolls se pencher sur lui et l’attraper par le bras pour le soulever d’un bon mètre.
— Oh ? Il est mort, ricana-t-il bêtement.
Lulyah sentit son sang se glacer dans ses veines à l’entente de cette phrase. Il mentait ! Ça ne pouvait pas en être autrement ! Nevra ne pouvait pas mourir, elle le lui interdisait ! Surtout pour elle !
Resserrant sa prise sur son marteau, elle se mit une nouvelle fois debout et, avec sa force restante et l’énergie du désespoir, donna un grand coup dans le bras du monstre. Celui-ci lâcha le vampire et elle se jeta au sol pour tenter de le rattraper avant que son corps n’essuie un impact supplémentaire. Soulagée, elle le serra doucement contre elle. C’était presque imperceptible, mais il respirait encore…
— La petite souris commence à m’agacer.
Relevant les yeux, elle put voir la main de l’un des monstres s’avancer vers elle. Avec une vitesse qu’elle ignorait posséder, elle attrapa son marteau avant de l’agiter dans un coup meurtrier. Le monstre sembla rester à distance, même si ce n’était qu’une affaire de malheureuses secondes. Lulyah en profita pour déposer délicatement le corps de son ami sur le sol, avant de se lever, arme en main. Elle savait que, seule face à ces deux brutes, elle ne serait pas capable de faire grand-chose. Mais après tout, cela faisait un moment maintenant que Sheïtan était parti porter le message au QG. Les renforts ne devraient plus tarder. Et avec le bruit qui résonnait dans les collines, ils pourraient sûrement les localiser. À condition, bien sûr, qu’ils le fassent avant le reste des trolls.
— Il faut que je gagne du temps, se répéta-t-elle comme un mantra. Juste un peu plus de temps…
Elle continuait d’agiter son marteau dans tous les sens, espérant tenir les deux monstres à distance. Cependant, il aurait été utopique de penser que cela suffirait, et la gardienne le savait bien. Désespérée, son regard dépareillé parcourut ce qui l’entourait avant de finalement se figer sur une des dagues de Nevra. Elle se trouvait à quelques pas d’elle, si près et en même temps si loin, compte tenu de la condition de ses jambes tremblantes. Reportant son attention sur les trolls juste à temps pour esquiver une nouvelle attaque, elle exécuta une roulade maladroite pour s’emparer de l’arme blanche. Se retournant, elle la leva haut au-dessus de sa tête avant de la planter le plus fort possible dans la jambe du mastodonte le plus près d’elle. Celui-ci grogna de douleur et tenta de l’attraper, mais la jeune femme parvint à l’esquiver de justesse. Ramassant son marteau, elle prit appuie sur un rocher, se trouvant non loin d’elle, et bondit, l’arme menaçante. Si elle parvenait à l’assommer de nouveau, cette fois, elle n’hésiterait plus.
Cependant, Lulyah ne vit que trop tard l’attaque qui venait de sa gauche, ne pouvant l’éviter. Le monstre l’attrapa par le pied avant de la rabattre violemment par terre. La jeune femme échappa un cri quand son dos rencontra douloureusement le sol. Lâchant son arme, elle sentit la bête la soulever une nouvelle fois, la tenant toujours la tête en bas.
— Puisque tu tiens tant à mourir avant ton ami, on va commencer par toi, ricana-t-il.
Des larmes coulèrent de ses yeux alors qu’elle les fermait, ne souhaitant pas regarder la mort en face. Elle avait vraiment tout raté…
Elle entendit toutefois celui qui la tenait grogner avant qu’il ne la lâche, lui valant de s’écraser lamentablement sur le sol. Toutefois, ces sensations voulaient bien dire une chose : elle était encore en vie. Elle rouvrit prudemment les yeux pour constater que de nouveaux soldats se trouvaient sur les lieux. Et devant elle, se tenait celui qui venait de la secourir. De grande taille, la peau hâlée, ses cheveux argentés ondulaient avec la fine brise. Une silhouette musclée aussi intimidante que réconfortante. Un plastron d’acier décoré de fines ciselures recouvrait son torse et était en harmonie avec les imposantes jambières recouvrant ses bottes. Une traîne pourpre finissait de l’habiller. Il n’y avait qu’une personne qui correspondait à cette description.
— Valkyon… murmura Lulyah, des larmes de soulagement dévalant ses joues.
L’interpelé jeta un bref coup d’œil par-dessus son épaule, permettant à ses yeux d’or de rencontrer ceux de la jeune femme, avant de reporter son attention sur ses ennemis. Sans plus tarder, il se jeta au cœur de la bataille, la lame menaçante. La gardienne laissa le champ libre à ses camarades, n’étant de toute manière plus apte à faire quoi que ce soit. Elle rampa maladroitement, ses jambes ne parvenant plus à la porter, jusqu’à atteindre Nevra. Elle le serra de nouveau contre elle, constatant avec un certain soulagement que son étincelle de vie ne l’avait toujours pas quitté.
Avec tous les soldats présents sur les lieux, il ne fallut pas longtemps avant que les deux trolls soient mis hors d’état de nuire. D’ailleurs, cela ramena immédiatement le calme sur les lieux, rendant l’atmosphère terriblement pesante. Seuls les bruits du vent et de leurs respirations pouvaient être entendus.
Valkyon se dirigea finalement vers la faelienne. Le claquement sonore de ses bottes d’acier sur le sol sembla la sortir de sa torpeur.
— Tu n’as rien de cassé, Lulyah ?
La jeune femme sursauta avant de le regarder.
— Je… ça va… Mais Nevra…
Baissant le regard sur lui, de nouvelles larmes commencèrent à couler sur ses joues. Le jeune homme était couvert de sang, toujours inerte dans ses bras. Des gardiens, probablement de la garde Absynthe, accoururent vers elle. L’un des hommes commença immédiatement à ausculter le vampire.
— Il est extrêmement faible ! Son souffle de vie risque de s’éteindre à tout moment ! On ne peut pas le déplacer, il ne survivrait pas au voyage. Il faut faire une première intervention, maintenant !
Ses camarades approuvèrent d’un signe de tête et allongèrent Nevra sur le sol, un peu plus loin. Ils se disposèrent en cercle autour de lui avant de commencer à réciter des incantations. Lulyah n’avait jamais vu un tel rituel, mais espérait sincèrement qu’il pourrait sauver son ami. Ses yeux se posèrent finalement sur ses mains. Celles-ci, originellement vertes, étaient désormais tachées de carmin. De son sang. Les larmes affluèrent de nouveau au coin de ses yeux à cette seule pensée.
Elle sursauta néanmoins en sentant une main se poser sur son épaule, avant de rencontrer le regard de Valkyon.
— Ça va aller, Lulyah, déclara-t-il d’un ton prévenant. C’est fini.
— Valkyon… tout est de ma faute, marmonna-t-elle dans un souffle. C’est à cause de moi si Nevra est dans cet état. Pour me protéger. Mais ceci ne serait jamais arrivé si j’avais fini mon geste… Si j’avais achevé ce troll, il…
Elle ne put terminer sa phrase alors que de nouveaux sanglots secouaient son corps. Maintenant que l’adrénaline commençait à retomber, elle pouvait sentir le poids de la culpabilité peser douloureusement sur ses épaules.
— Tu n’as pas à t’en vouloir, tu as fait ce que tu as pu. En plus, tu as tenu suffisamment longtemps pour nous permettre d’arriver avant qu’il ne soit trop tard, reprit son supérieur.
La gardienne approuva mollement d’un signe de tête, reniflant pitoyablement. Ses paroles, aussi réconfortantes fussent-elles, ne lui permettaient pas de se sentir mieux. Une petite voix dans son esprit ne cessait de lui dire que, si elle avait achevé le monstre comme elle aurait dû le faire, ils auraient pu quitter les lieux à temps.
— En revanche, connaissant Nevra, je suis sûr qu’il a enquêté pour trouver le campement de ces trolls, déclara Valkyon, la tirant de la spirale infernale de ses pensées. Il faut que tu me dises à tout prix où il se trouve, et ce que vous avez pu apprendre. C’est important.
Lulyah approuva d’un signe de tête avant de commencer à indiquer l’itinéraire à suivre d’une voix tremblante. Il lui fallut un peu de temps supplémentaire pour finalement être de nouveau en état de se lever. D’ailleurs, toutes ses blessures la faisaient grandement souffrir, mais elle pouvait tenir. Le plus important pour le moment, c’était Nevra et lui seul.
Reportant son regard sur les membres de la garde Absynthe, elle put constater qu’ils semblaient avoir terminé leur rituel. Ils étaient en train d’aménager un brancard de fortune, fait de branchages et de feuillages, afin de pouvoir transporter le vampire sans encombre. Et la gardienne préféra rester en retrait pour ne pas déranger.
— Si tout est bon de votre côté, vous allez rentrer au QG avec Lulyah, ordonna Valkyon. Il faut qu’ils reçoivent tous deux les soins adaptés à l’infirmerie. Le chemin du retour est suffisamment long comme ça, inutile de perdre davantage de temps. Arland et Fricht, vous allez les accompagner, des fois que vous rencontriez des complications qui nécessitent de se battre.
Les deux hommes, de la garde Obsidienne, approuvèrent d’un signe de tête.
— Karim, tu viens avec nous. Nous allons nous rendre au campement des trolls et les éliminer une bonne fois pour toutes pour conclure cette mission ! Exécution !
Les soldats approuvèrent dans un cri unanime avant que les deux groupes ne se séparent. D’ailleurs, Lulyah ne pouvait que déplorer l’absence de Valkyon, même si elle était compréhensible. Le savoir près d’elle l’aurait rassuré un peu.
Ils commencèrent finalement à refaire en sens inverse le chemin qu’elle avait emprunté le matin. En traversant le village, ils purent constater que celui-ci était toujours dénué de la moindre présence. Les habitants avaient scrupuleusement respecté la consigne de ne pas sortir de chez eux. Cela leur avait probablement évité d’entendre de trop les bruits des affrontements, ce qui était probablement pour le mieux.
La gardienne avançait silencieusement du mieux qu’elle pouvait, massant ses côtes douloureuses. Mais elle refusait de se plaindre, estimant qu’elle n’en avait pas le droit. De plus, il valait mieux que les membres de l’Absynthe gardent leurs remèdes et magies pour celui qui en avait le plus besoin. Les yeux rivés sur le sol, elle faisait de son mieux pour ignorer la douleur qui la transperçait à chaque pas qu’elle faisait. Et à cela se rajoutait le sentiment de solitude qui pesait sur son cœur. De toutes les personnes qui l’entouraient, elle n’en connaissait aucune. Personne n’avait la moindre parole pour elle, ou un geste réconfortant. Ils murmuraient entre eux, sur ce que la faelienne supposait être ce qui venait de se passer.
Elle reporta son regard sur le seul soldat qu’elle connaissait, désormais aux portes de la mort. Il était si pâle, si fragile. Les mouvements de sa poitrine, prouvant qu’il respirait encore, étaient presque imperceptibles. Elle détourna les yeux alors qu’elle pouvait sentir les remords l’étreindre une fois de plus. Aujourd’hui plus que jamais, elle se sentait faible et inutile.
Chapitre IV : Douloureux regrets
C’est après un long moment de marche qu’ils aperçurent finalement le bâtiment qui abritait en son sein la garde d’Eel. Fiers et indomptables, ses murs d’enceinte, blancs, se découpaient sur le ciel rougeoyant du soleil couchant. D’ailleurs, la petite escouade ne tarda pas à franchir la lourde porte d’entrée, leur permettant de pénétrer dans les jardins. Bien qu’au courant grâce à un familier partit en éclaireur, les deux gardes postés à l’entrée ne purent retenir leur stupeur face à l’état dans lequel rentraient les soldats. Et le vacarme eut tôt fait d’attirer une foule de badauds, aussi bien composée de soldats que de civils et membres du Refuge. Rapidement, les murmures commencèrent à aller bon train sur leur passage.
— Ne serait-ce pas le chef de la garde de l’Ombre ?
— Nevra Mørke ? Je crois bien que si ! Mais il semble être dans un sale état…
— Vous pensez qu’il est encore en vie ?
— Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’il soit dans cet état ?
Lulyah ne fit que baisser un peu plus la tête, contemplant la finesse du chemin pavé sur lequel elle se trouvait. Blanc, il ressortait bien parmi l’herbe grasse, d’un vert émeraude. Si seulement un trou pouvait subitement s’y ouvrir pour la faire disparaître.
— Ça suffit ! Vous partir ! Rien à voir ici !
La jeune femme n’avait pas besoin de lever la tête pour savoir de qui il s’agissait. La façon de parler de Jamon était reconnaissable entre mille. D’ailleurs, la foule se dispersa à l’approche de l’ogre, qui la dépassait allégrement d’au moins deux têtes. Il faut dire que, malgré un caractère adorable, sa corpulence avait de quoi en intimider plus d’un. Sa musculature donnait l’illusion qu’il pouvait broyer n’importe qui à main nue, et la hallebarde qu’il tenait n’aidait pas à effacer cette impression. À cela se rajoutaient ses deux crocs imposants, dépassant largement de sa lèvre inférieure. Avançant à grands pas, il rejoignit bien vite l’escouade qui venait d’arriver.
— Vous allez vite infirmerie ! Jamon prévenir Miiko !
Le garde qui menait le groupe acquiesça d’un signe de tête avant que les soldats ne se remettent à marcher d’un bon pas. Néanmoins, maintenant que chaque seconde était comptée, jamais les jardins n’avaient semblé si longs aux yeux de Lulyah. Même le doux parfum floral qui flottait, et qu’elle appréciait d’ordinaire, lui apparaissait suffocant. Rentrant davantage sa tête dans ses épaules, elle suivit silencieusement les autres, le regard rivé sur ses chaussures. Même elles avaient des tâches de vermeille, rappel douloureux de son incompétence.
Cependant, la gardienne constata bien vite qu’elle n’était pas au bout de ses peines. En effet, elle n’eut qu’à peine le temps de prendre conscience qu’ils avaient traversé le hall, qu’elle se trouvait déjà devant les portes de l’infirmerie. Et sitôt entrée, elle put constater l’effervescence qui y régnait.
Les aides-soignantes se jetaient partout, courant d’un bout à l’autre de la pièce pour réunir tout le matériel médical nécessaire à leurs interventions. Tout ceci sous le regard intraitable d’Eweleïn qui leur dictait les ordres. Son regard azur arborait une lueur grave alors que ses cheveux bleu pâle étaient noués en une tresse couronne autour de sa tête. Elle avait enfilé une longue blouse blanche par-dessus ses vêtements, et terminait d’enfiler des gants chirurgicaux. Visiblement, elle aussi avait été mise au courant et attendait impatiemment le retour de l’escouade.
— Allongez Nevra au fond de la pièce, c’est l’endroit le plus calme ! Jade, apporte la caisse de poche de sang ! Il faut qu’il en boive le plus vite possible ! Lewis, ramène l’assistance respiratoire, vite !
Les gardes amenèrent le vampire vers le lit qui lui avait été préparé avant de le laisser au soin de l’elfe, quittant la pièce. Rien ne leur servait de rester en ces lieux s’ils n’avaient plus rien à y faire. Mieux valait laisser un maximum d’espace au corps médical pour qu’il puisse travailler au mieux.
Lulyah, elle, était restée dans un coin, près de l’entrée, tentant de réguler les battements de son cœur. Habituellement, être à l’infirmerie ne la dérangeait pas plus que ça. Le cadre y était rassurant pour les patients. Une petite rivière serpentait dans la pièce entre divers lits, cachés les uns les autres par des paravents de couleur crème. La literie y était pâle, agrémentée de petites touches de rose et de bleu pastel. Des glycines courraient le long des colonnes de marbre, dégageant un doux parfum apaisant. Les lumières y étaient tamisées, tandis que deux grandes fenêtres donnaient sur le jardin de la musique. Mais aujourd’hui, tout ce blanc avait sur elle une sensation angoissante. Et l’agitation des infirmiers n’aidait en rien à dissiper ce malaise qu’elle ressentait. Ses yeux restaient donc inlassablement braqués sur le lit du fond, bien qu’elle ne fût pas en mesure d’y voir quoi que ce soit.
— Je vous en prie, sauvez-le ! était la seule phrase à laquelle elle pouvait encore penser.
Maintenant qu’elle était revenue non loin du Cristal, elle espérait sincèrement que l’Oracle entendrait ses prières et pourrait sauver Nevra.
Elle sursauta en sentant soudainement une main sur son épaule, et releva les yeux pour croiser ceux turquoise d’Iryana. Il s’agissait d’une elfe replète, assistante d’Eweleïn. Elle était facilement reconnaissable pour sa longue chevelure violine et les nombreuses boucles serties de pierres précieuses qui pendaient à chacune de ses oreilles. Elle était vêtue d’une tunique d’inspiration orientale aux longues manches, dans les tons bordeaux et brodée de fil d’or. Lulyah avait déjà eu l’occasion de la croiser plusieurs fois alors qu’elle était venue à l’infirmerie pour suivre de petites formations de soin. Formations qui, au jour d’aujourd’hui, ne lui servaient pas à sauver la moindre vie.
— Que t’arrive-t-il ma belle ? questionna l’elfe d’une voix douce en guidant sa patiente vers le lit le plus proche. Je vois que tu as pas mal d’égratignures, et ta cheville droite me semble enflée. Ressens-tu des douleurs importantes quelque part ?
La faelienne regarda de nouveau ses pieds. Elle comprenait d’où lui venait cette gêne lorsqu’elle marchait. Visiblement, la cheville que lui avait saisie ce troll avait pris un mauvais coup. Elle reporta finalement son attention sur la jeune femme qui attendait patiemment sa réponse.
— Oui, au niveau de mes côtes. Et de mon dos également.
— Je vois.
Iryana s’éloigna vers une table, située non loin du bureau d’Eweleïn, avant de revenir avec un drôle d’appareil. D’ailleurs, la forme évoquait vaguement à l’Obsidienne celle d’un fer à lisser. Lui faisant remonter son haut, l’elfe passa cet étrange dispositif devant la peau verte de Lulyah, sans la toucher, au niveau de ses côtes. Elle regarda par la suite le petit écran qui ornait son outil, semblant fonctionner comme une radio.
— Tu as trois côtes cassées et deux qui sont fêlées, annonça-t-elle. Tourne-toi, que je puisse voir ton dos.
La gardienne ne se fit pas prier et la laissa l’ausculter sans un mot. Iryana passa finalement la main le long de la colonne vertébrale de sa patiente, marmonnant pour elle-même des choses au-delà de la compréhension de la faelienne.
— Tu es retombée directement sur le dos, non ?
— Oui, c’est ça.
De nouveau armée de son étrange appareil, l’elfe refit une radio avant de soupirer légèrement de soulagement.
— Fort heureusement, ton épine dorsale n’est pas endommagée. Ce ne sont que des ecchymoses. Ewe connait une potion très efficace qui te permettra de faire plus facilement face à la douleur. Allonge-toi, que je m’occupe de ta cheville.
Lulyah s’exécuta, laissant sa tête reposer sur l’oreiller moelleux. Dans d’autres circonstances, elle n’aurait eu aucun mal à s’endormir, ce confort retrouvé. Mais, compte tenu de la situation actuelle, son esprit restait douloureusement éveillé. Tout aurait été pourtant tellement plus simple en fuyant dans le sommeil.
Elle laissa Iryana lui retirer sa chaussure avant de passer de la pommade sur sa cheville. Celle-ci, froide, lui fit immédiatement un bien fou. De plus, elle soupçonnait qu’elle devait posséder également des capacités curatives bien au-delà de sa compréhension. L’elfe lui fit finalement un bandage serré avant de partir dans le fond de la salle.
La faelienne la regarda disparaître derrière le paravent où tout le monde s’affairait, avant de détourner les yeux, préférant les reporter sur le plafond. Si elle avait pu s’en tirer à si bon compte, c’était grâce au sacrifice de Nevra. Mais survivre au prix de la vie de quelqu’un était un sentiment qu’elle avait beaucoup de mal à accepter.
— Tu as vécu une expérience hautement compliquée, ma pauvre Lulyah.
La gardienne tourna la tête pour découvrir Eweleïn, dorénavant aux côtés de son lit. Il était possible de lire énormément de compassion dans ses orbes azurés alors qu’elle venait s’asseoir sur la chaise, près du matelas. Par ailleurs, elle tenait une fiole ballon emplie d’un liquide orangé, et qui devait très certainement être pour les blessures de la jeune femme.
— Iryana vient de me dire que tu as des fractures aux côtes alors bois ça, déclara-t-elle en tendant sa mixture à son amie. Cela te les réparera rapidement et fera disparaître toute sensation de douleur.
Lulyah acquiesça et porta le breuvage à ses lèvres. Et de toute sa vie, c’était bien la première fois qu’elle buvait quelque chose d’aussi infâme. La texture, légèrement pâteuse, lui collait à la langue, infligeant à ses papilles le curieux mélange d’épinards, de fraise, de soufre et de liquide vaisselle. Retenant difficilement un haut-le-cœur, elle se força à boire l’élixir jusqu’à la dernière goutte.
— Je sais que c’est très mauvais, assura la jolie elfe en prenant la fiole qui lui était rendue. Mais il n’y a rien de plus efficace, crois-moi !
Et elle avait raison. La douleur de l’Obsidienne s’était déjà transformée en une légère gêne, rien de plus. La jeune femme avait d’ailleurs toujours un peu de mal à se faire au miracle de la médecine eldaryenne.
— Sinon, comment vas-tu, Lulyah ? reprit l’infirmière tout en passant un peu de pommade sur le dos de son amie.
— Ça va. La plupart de mes blessures ne sont que des égratignures finalement. C’était plus de peur que de mal.
— Je ne parle pas de ton état physique. Cette mission a eu de quoi être traumatisante. Alors, comment te sens-tu mentalement ?
La gardienne la regarda alors qu’elle sentait de nouvelles larmes lui brûler les yeux. Mais elle ne voulait pas encore fondre en larmes. Pas devant elle, pas maintenant.
— Je m’en veux, marmonna-t-elle finalement. Tout ce qui s’est passé est de ma faute.
— Ne dis pas ça…
Néanmoins, elles sursautèrent alors que la porte s’ouvrit violemment, laissant apparaître Miiko. Ses oreilles de renarde, aussi noires que sa chevelure, étaient légèrement rabattues vers l’arrière, alors qu’elle tenait toujours son bâton en main. Ses getas claquait sur le carrelage de l’infirmerie à chacun de ses pas, alors que ses queues fouettaient l’air dans un semblant d’agacement. Son long kimono pervenche et le nœud de son obi dorée virevoltaient derrière elle dans un tourbillon de couleur.
Derrière elle se trouvait Karenn, facilement reconnaissable pour sa chevelure ébène et rosée. Ses yeux émeraude semblaient embués de larmes alors qu’elle les essuyait avec la manche de son haut. D’ailleurs, Lulyah pu distinctement sentir son cœur se serrer en l’apercevant. C’était de sa faute si ses larmes coulaient en ce moment.
— Est-ce que… je peux aller aux côtés de mon frère ? questionna-t-elle d’une voix brisée par le chagrin. J’ai besoin de le voir.
— Bien sûr, répondit Eweleïn en se levant. Viens avec moi.
Posant une main compatissante sur l’épaule de la jeune vampire, elle la guida vers le lit du fond, dissimulé au regard hétérochrome de l’Obsidienne. De toute façon, celle-ci tourna la tête pour ne plus les voir, incapable d’affronter le chagrin de la plus jeune.
La kitsune à la tête d’Eel s’approcha doucement du lit, posant sa baguette contre la table de nuit, et prit place sur la petite chaise qu’avait occupée l’elfe un peu plus tôt.
— Lulyah ! Je sais que cette aventure a été très éprouvante pour toi, mais j’ai besoin que tu me fasses un rapport détaillé de la situation pour comprendre ce qui s’est passé ! Et cela immédiatement !
La concernée acquiesça d’un signe de tête et prit une respiration tremblante avant de commencer son récit. Elle s’efforça de tout retranscrire dans les moindres détails, narrant leur arrivée dans le village, le début de l’enquête, leur avancée dans les collines et leur rencontre avec le premier troll. Elle du cependant prendre une pause pour souffler, tentant de calmer les battements de son cœur. La main encourageante que posa la brune sur son épaule aida la jeune femme à poursuivre. Elle lui raconta comment ils avaient mis leur ennemi à terre, qu’elle n’était pas parvenue à finir son geste et que trois autres trolls avaient rappliqué. Lulyah ne put s’empêcher de lancer un regard vers le lit où se trouvait Nevra, bien qu’elle ne pût le voir, quand elle expliqua qu’il avait pris le coup à sa place, et ne parvint plus à retenir ses larmes quand elle conclut avec l’arrivée de Valkyon et ses hommes.
Miiko n’avait pas prononcé le moindre mot, la laissant tout lui raconter d’une traite, avant de lui frotter le dos de manière réconfortante.
— Ce fut une dure épreuve pour toi, mais tu n’as pas à te sentir coupable. Ce n’est pas ta faute si les choses ont mal tourné, déclara-t-elle. Cette responsabilité m’incombe. Si j’avais su qu’il s’agissait de trolls, j’aurais envoyé plus d’hommes. J’ai été trop négligente.
Lulyah la regarda sans rien dire. Si elle devait être parfaitement honnête, elle ne s’était jamais vraiment entendue avec la kitsune, et elles entretenaient par conséquent une relation houleuse toutes les deux. C’est pourquoi, la compassion dont la brune faisait preuve à son égard la touchait énormément, et elle ne pouvait que lui en être reconnaissante.
— Seulement, de ce que tu viens de me dire, tu as également protégé Nevra, reprit-elle, plongeant son regard bleuté dans les orbes hétérochromes. Si tu ne t’étais pas battu de toutes tes forces pour gagner du temps, aucun de vous deux ne serait revenu. Alors, c’est une bonne chose que tu sois exigeante avec toi-même, mais veilles à ne pas l’être de trop. T’accabler de reproches ne changera rien à ce qu’il s’est passé et risque de te traumatiser pour la suite.
La faelienne fut incapable de lui répondre. Son cœur voulait croire en ses mots, mais une partie de son esprit continuait inlassablement de lui hurler que tout était de sa faute.
— J’ai déjà les informations qu’il me fallait, la rédaction de ton rapport attendra. Pour l’heure, repose-toi !
— D’accord. Merci, Miiko.
Elle acquiesça d’un signe de tête avant de se diriger vers Eweleïn pour s’entretenir avec elle. Naturellement, l’Obsidienne n’était pas en mesure de comprendre ce qu’elles se disaient, mais tout portait à croire que cela avait un rapport avec Nevra.
Elle cessa néanmoins de les regarder alors que Karenn s’approchait de son lit. Quand la gardienne vit ses yeux verts, étoilés de cils mouillés, se poser sur elle, elle aurait donné tout l’or du monde pour pouvoir disparaître.
— Lulyah, dis-moi… comment a-t-on pu en arriver là ?
— Karenn, je…
— Tu étais avec lui durant cette mission. Pourquoi est-il le seul à rentrer dans cet état ? Pourquoi n’as-tu rien fait pour l’aider ?
— Je…
— J’ai entendu tout ce qui s’est passé quand tu l’as raconté à Miiko. Il a pris le coup à ta place. Néanmoins, tu es dans la garde Obsidienne ! Tu es censée savoir te battre ! Alors, pourquoi ? Il est la seule famille qu’il me reste, je n’ai plus que lui ! Contrairement à toi, mes veines charrient le même sang que lui ! Alors que toi, tu n’es pas réellement une Mørke !
Ses paroles firent le même effet qu’un coup de poignard à la pauvre faelienne. Elle savait parfaitement que la vampire n’avait jamais vu d’un très bon œil la relation qu’elle entretenait avec son frère, et jalousait ce lien presque fraternel qui les unissait. Mais là, les mots qu’elle lui lançait été cruels et la gardienne n’avait rien à lui rétorquer. Tout était bel et bien de sa faute.
— J’aurais préféré que tu ne t’approches jamais de lui ! Il serait encore en bonne santé comme ça !
— Je suis désolée…
Lulyah ne pouvait faire que ça de toute manière. S’excuser encore et encore tout en sachant que cela ne changerait rien à la situation. Karenn avait raison, elle était une honte pour la garde Obsidienne. Sa faiblesse était impardonnable. Si seulement elle savait revêtir son apparence de vouivre serpentaire. Si elle savait utiliser les formidables facultés qu’offrait cette espèce, les choses auraient pu être différentes. Seulement, elle ne maîtrisait aucun de ces talents.
Karenn s’éloigna finalement en pleurant, et la blanche prit la décision de se lever, ne supportant plus de rester dans cet environnement.
— Qu’est-ce que tu fais, Lulyah ? s’étonna Iryana en venant vers elle. Tu devrais te reposer !
— Je sais bien, mais… si cela m’est possible, je voudrais retourner dans ma chambre. Ça me fait mal de rester ici.
— … Je comprends. Vas-y, j’en parlerais à Ewe. En revanche, si tu ne te sens pas bien, tu reviens immédiatement ici ! Compris ?
— Oui, promis.
La faelienne la salua d’un faible signe de la main et jeta un bref coup d’œil à Eweleïn, de nouveau au chevet de Nevra, avant de quitter les lieux.
Le hall était relativement désert, seuls quelques soldats se trouvant çà et là, et discutant entre eux. Lulyah en profita pour se frayer un chemin jusqu’au couloir, la tête basse. Elle pouvait imaginer sans mal des regards de reproches peser sur elle, et des murmures se faisaient sur son passage, même si elle ne les comprenait pas. Ou plutôt, elle ne voulait pas les comprendre.
Après un temps qui lui parut infini, elle était finalement devant la porte de son petit sanctuaire. Elle entra rapidement avant de s’appuyer contre le vantail de bois. Son familier, Diabolo, s’approcha rapidement d’elle, l’air inquiet. C’était un danalasm adulte, portant un foulard violet autour de son cou, et à qui il manquait un bout de la queue. Il vint frotter son museau contre la poitrine de sa maîtresse, percevant sans mal le chagrin qui était littéralement écrit sur son visage.
— Diabolo… La mission dont je te parlais ce matin… et pour laquelle Valkyon m’avait recommandée… Je l’ai ratée…
Son compagnon frotta davantage son museau contre elle pour la réconforter, brisant ses dernières défenses. Les larmes recommencèrent à couler en un flot ininterrompu sur ses joues alors que Lulyah s’effondrait sur le sol, serrant le cou de son ami dans ses bras. Elle enfouit finalement son visage dans son pelage, le corps tremblant.
— Nevra risque de mourir, tout ça à cause de moi ! Je n’ai rien pu faire, j’étais morte de peur ! Mes coups n’étaient pas assez puissants ! Si tu savais comme je m’en veux ! Mais qu’est-ce que je peux faire maintenant ? Diabolo, je t’en prie, dis-moi ce que je peux faire…
Si seulement elle pouvait revenir dans le passé. Si seulement, elle pouvait refuser cette mission…
Tous les éléments visuels (header, marteau des séparateurs et couvertures de chapitres) ont été réalisés par @Celsiuss ♥
Dernière modification par Lulyah (Le 05-01-2025 à 20h51)