Razvan s’était fait discret toute la soirée. Quand l’annonce du meurtre s’était faite, il avait fait la moue d’un enfant spolié de son nouveau jouet. Le décès, volontaire ou non, de la Feng-Huang, le jour d’une réception organisée par sa propre Garde, était un manque de savoir-vivre plus que déplaisant. Le Corbeau avait lissé les plumes composant sa parure d’épaule, l’air pensif et désintéressé par l’assemblée regroupée dans ce boudoir saturé en bruits et en odeurs.
Entendre et sentir les faeries dans la pièce s’agiter et gigoter dans tous les sens lui était pénible, aussi s’était-il résolu à clore les yeux pour éviter à son esprit plus de stimulations qu’il ne recevait déjà. Son fil de pensées sautait d’une hypothèse à l’autre, dans un flot décousu d’inconnues à remplir. Qui ? Pourquoi ?
En temps normal, une telle situation lui aurait peu importé : la mort était certainement la seule issue commune à toutes les races vivantes… Exceptés les draugr, qui avaient eu la malice de la déjouer bien que maladroitement.
Qui ? Qu’importe : il regrettait que ce ne soit pas lui. Avoir été invité au sein des bâtiments de la Garde pour une réception organisée par le Phénix était une occasion en or qu’il avait laissée filer dès les prémices de la soirée. Un petit criminel plus malin avait frappé avant lui et lui avait enlevé le jouet qu’il convoitait depuis quelques temps déjà.
Pourquoi ? Razvan imaginait de bas motifs : meurtre gratuit. Vengeance. Raisons politiques. Déstabilisation du pouvoir ou détourner l’attention des lieux d’importance ... Autant de raisons qu’il trouvait moindres par rapport à ses propres ambitions. La représentante du peuple incarnant le savoir morte, il n’avait plus aucune raison de rester dans la cité maritime.
Un soupir rompit son silence. Vers qui allait-il rediriger ses plans maintenant ? Le Valraven rouvrit lentement ses paupières pour scruter l’assemblée, entassée ici comme autant de friandises à goûter lors d’une pérégrination sur les terres d’Halloween. Il n’y avait, pour l’instant, aucun faerie qui semblait être à même de le contenter. A quoi s’était-il attendu ? Même dans la mort, la Garde d’Eel était décevante. Assassinée au début de sa propre réception, sérieusement. Il y avait mieux comme excuse pour ne pas recevoir correctement.
Un sourire discret étira les commissures de ses lèvres, et Razvan se décida à délaisser les plumes de sa parure pour partir aux fenêtres ; là où, il l’espérait, l’air lui serait plus agréable que celui, empli de tabac, de sueur et d’autres odeurs caractéristiques de certaines races de faeries.
À pas lents, il ondula parmi la foule pour finalement s’éloigner d’elle. Il ne se formalisa pas lorsque les rumeurs commençaient à courir parmi les convives que la salle était fermée et préféra humer le vent frais du soir, la main posée négligemment sur le sceptre sculpté qui lui servait d’appui d’apparat.
Il était un corbeau, pas un poule, alors que faisait-il encore là, coincé dans un clapier de faeries caquetant. Il y aurait bien eu une solution pour quitter les lieux. Trouver un homme de paille, faire naître la zizanie parmi les suspects … et profiter de la cohue pour s’en aller et, si possible …
Son sourire s’élargit alors qu’il guettait les paires et les groupes se former. C’est alors qu’il remarqua la danse de certains convives sur un air de flûte. Au moins, certains étaient plus civilisés que d’autres et gardaient le sens des priorités : une réception n’en était qu’une qu’avec ce genre de divertissements.
A pas de velours, il longea les murs et se rapprocha de la musicienne pour rester à bonne distance d’elle, sans chercher à s’imposer. L’air qu’elle jouait ne lui était pas familier, et il se prit à battre discrètement du pied en rythme avec les notes de la composition. Il y avait un beauté fragile dans la musique, un cynisme créatif à faire naître ces notes pour les laisser s’évanouir puis mourir presqu’aussitôt.
Lorsqu’il sentit l’air se terminer, il se rapprocha de la musicienne avant qu’elle n’entonne peut-être une nouvelle composition pour lui demander dans un murmure :
-
“ Veuillez m’excuser ma Demoiselle, quel est le nom de cette plaisante mélodie ?”Je sais que, désormais, vivre est un calembour,
La mort est devenue un état permanent …
Le monde est aux fantômes, aux hyènes et aux vautours.
Moi je vous dis bravo, et vive la mort.
Je vous attends.