L'autre visage de Lilyn
Fanfart de Saber d'auteur inconnu
Bonjour à toi, perdue ou habituée ?
Le mythique chef de la garde Absynthe n’aura pas disparu dans les flammes d’OVH et la petite gardienne qui le suit partout dans cette histoire non plus. Ezarel y est toujours fidèle à ses débuts, incisif, moqueur et arrogant. Plus on le déteste, plus on l’aime.
Et comme Eldarya reste après tout, un jeu, j’espère que vous vous amuserez autant que moi dans cette vision de l'univers ♥
⚠ Publication aléatoire #prépa (je suis moi-même pas très sûre d'être encore en vie)
⚠ Fautes et coquilles inévitablement
⚠ Plutôt cool ce symbole
Synopsis des premiers chapitres
Lilyn n’est rien de plus qu’une (très) petite absynthe. Studieuse, banale, incapable de parler en public. Pourtant, elle donnerait n’importe quoi pour attirer l’attention de l’illustre Ezarel, son terrifiant chef de garde. Un jour, elle découvre une potion capable de lui faire changer d’apparence quelques heures. Débute une double vie risquée, teintée de nouvelles expériences, de gaffes et de questionnements.
Anciennes prévenu(e)s
Je laisse ça là parce que c'est classe et que beaucoup ont été une source de force ♥
Ceirdween
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♥Cadeaux♥
Par ma chérie, l’incroyable AdelaydQui pourrait rendre un plus bel hommage à un Ezarel tout nu ?
Par la talentueuse KatCParce qu’à mon anniversaire, ça fait pas les choses à moitié, eh oui
Par la corruptrice ritamistocoUn pot de vin car je suis trop lente...
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L'autre visage de Lilyn
Prologue
L’intégralité des recrues de l’Absynthe, dont l’entrée à la garde d’Eel datait d’un an à six mois, s’affairait dans un curieux mélange de méticulosité et de frénésie. Penchés sur des tables d’un mètre sur un mètre cinquante alignées à la perfection dans la salle des portes, ils manipulaient avec une précision et une rapidité hypnotique, ingrédients, outils et récipients dans un concert ininterrompu de tintements de verre, de micro-explosions multicolores, de sifflements et de « poufs » sonores.
Ils étaient peu à avoir terminé. Parmi eux, Lilyn.
Petite absynthe à priori banale sous tous rapports.
Elle avait été placée au dernier rang et se tenait aussi immobile et droite que lui permettait sa position précaire, en équilibre sur un petit tabouret bancal. Sa potion était terminée et reposait au milieu de ses ingrédients et de ses fioles rangés par ordre de tailles. Elle ne cessait d’y jeter des coups d’œils furtifs, comme si elle craignait qu’ils ne se mettent à courir vers la sortie. Elle-même n’en était pas très loin.
L’épreuve était sur le point de se terminer et l’atmosphère était tendue. La jeune fille faisait tourner autour d’un doigt une mèche blonde et rongeait les ongles de tous les autres. Elle ramena brusquement ses mains dans son dos, tentative désespérée de renvoyer une image de parfaite petite gardienne assidue. Autour d’elle, les autres recrues transpiraient et jetaient des regards craintifs en direction de la porte qui menait à l’extérieur, là où avait disparu le mythique Ezarel, chef de la garde Absynthe, en début d’épreuve.
Ils avaient eu une heure et demie pour effectuer la potion de leur choix, à condition qu’elle comporte au moins neuf ingrédients de la vingtaine qu’ils avaient reçu. C’était un délai court, car beaucoup des plantes et des minéraux à leur disposition devaient reposer à l’air libre, être réduits en poudre ou distillés pour être utilisés. Les absynthes à avoir terminé étaient rares, même si elle en voyait de plus en plus se redresser et poser leurs outils. C’était le cas de son voisin par exemple, mais son mélange dégageait une forte odeur de crotte de rawist.
Quelques uns n’étaient pas à la moitié de leur décoction et la fin du délai approchait. La préparation d’une sirène aux cheveux bleus lui explosa à la figure, renversant dans le souffle de la déflagration des récipients sur plusieurs rangées. Des insultes fusèrent ainsi que le sifflement aigu d’une table entrain de fondre.
Lilyn jeta un regard prudent autour d’elle, au cas où d’autre kamikazes ne se cachent parmi les recrues. Elle se demanda s’il était plus prudent de mettre sa fiole à l’abri, avant de se raviser. Leur chef pourrait l’accuser de tricherie et n’était pas connu pour être magnanime.
La jeune fille frissonna. Elle n’avait eu que très peu d’occasions de croiser le presque légendaire elfe à la tête de leur garde. Rien qu’à l’idée qu’il puisse évaluer son travail, elle était parcourue de frissons de terreur. Elle savait qu’elle n’était pas la seule à être nerveuse mais cela ne la rassurait pas pour autant.
Comme toutes les autres recrues, elle avait été rapidement prise en charge par un membre de l’Absynthe plus expérimenté, leur chef ayant mieux à faire que de gérer une débutante. Mais la personne qui s’était occupée d’elle était en contact étroit avec l’intéressé puisqu’il s’agissait de l’infirmière en chef responsable du QG, Eweleïn.
Elle lui avait dit qu’elle était prometteuse et avait insisté pour lui faire passer l’épreuve déterminante de son niveau en avance. Lilyn n’avait commencé à travailler que depuis quatre mois, deux de moins que les plus récents autres membres. On l’avait entraînée spécialement pour aujourd’hui, avec des potions difficiles à apprendre et à effectuer. Elle essayait de s’accrocher à cette idée, pour se rassurer.
Lilyn inspecta à nouveau son travail, espérant très fort qu'il allait payer. L’approbation de ses supérieurs lui était très chère, en particulier son chef dont la prestance suscitait l’admiration de toutes les nouvelles recrues. La timidité de la jeune fille, déjà très handicapante, était multipliée par cent en sa présence. Elle mettait cela sur le compte de son statut et de son caractère réputé incisif.
Le silence se fit brusquement et Lilyn releva la tête. Le sujet de ses pensées venait de passer la salle des portes d’un pas tranquille. Le visage impassible, l’elfe aux longs cheveux bleus descendit les escaliers sans se presser, les pans de son long manteau gonflant sa silhouette pour la rendre plus noble que nécessaire. Mais son sourire en coin et ses yeux verts pétillants ne trompaient personne. Ils allaient méchamment en prendre plein la gueule.
Comme les autres, Lilyn rentra instinctivement la tête dans les épaules pendant que l’elfe atteignait le bas des marches et passait entre les rangs sans se presser. Il devait évaluer tout le monde, mais il déambula entre plusieurs rangées d’absynthe n’en menant pas large, sans faire mine de ralentir. Leur calvaire allait être plus long que prévu.
- Kero m’a dit que les nouvelles recrues avaient l’air particulièrement talentueuses, finit-il par admettre d’un ton narquois en s’arrêtant devant la sirène qui avait fait exploser sa préparation. Je crois qu’il est grand temps qu’il change de lunettes.
L’intéressée baissa la tête sur le désastre de sa table, mais il ne sembla pas s’en formaliser et reprit son chemin, les mains jointes dans le dos. Lilyn essuya nerveusement ses paumes moites sur ses vêtements et avala bruyamment sa salive. De travers. Elle s’étouffa aussi discrètement que possible pendant qu’Ezarel poursuivait son manège.
Il passait entre les tables en jetant des coups d’œil aux préparations des uns et des autres, claquant parfois de la langue ou laissant échapper un léger rire parfaitement audible. Il s’arrêta plusieurs fois devant un candidat, presque toujours pour lancer une remarque sarcastique. Lilyn avait vu la plupart de ses recrues plus âgées rire de ce qu’ils appelaient « La Bienvenue » et assurer qu’ils considéraient la langue aiguisée de leur chef comme une fierté propre à l’Absynthe.
Mais les membres plus récents et moins confiants, se ratatinaient de honte sous ses moqueries. La jeune fille, malgré ses nombreux vœux silencieux d’attirer son attention par tous les moyens, pria l’Oracle pour passer inaperçue.
L’Esprit du grand Cristal devait être dur d’oreille, car le chef de l’Absynthe s’arrêta juste devant elle et haussa un sourcil moqueur en vissant son regard sur le tabouret sur lequel elle se tenait en équilibre. La petite faery devint écarlate et baissa la tête.
- Je ne pensais pas te voir là, toi. Depuis combien de temps es-tu arrivée, petite fille ?
Lilyn avait horreur qu’on l’appelle « petite » quelque chose.
- Quatre mois, couina-t-elle d’une voix que même elle trouva ridicule.
Ezarel cligna des yeux et fronça les sourcils en masquant presque immédiatement l’éclair de surprise qui avait traversé son visage.
- Quatre, répéta-t-il pour lui même. Mais tu ne devrais pas être là, qu’est-ce qu’Ewe a fichu ?
La jeune fille sentit ses joues schauffer et se fit violence pour rester stoïque. Toutes les autres recrues avaient à présent le regard fixé sur elle, son tabouret ridicule et sa potion rose qui glougloutait dans sa fiole. Ezarel sembla la remarquer à son tour. Il se pencha sur le récipient, ses longues oreilles pointues rabattues vers ses tempes avec méfiance.
- Une potion d’énergie perpétuelle ? dit-il lentement. Et tu as eu un entraînement de quatre mois pour apprendre à la réussir en moins de deux heures ?
- J-je… E-Eweleïn m’a fait travailler pour c-cet examen… bafouilla Lilyn, avant de se taire alors que l’elfe se redressait pour la regarder.
Un long frisson parcouru tout son corps et elle dû lutter pour soutenir ses yeux verts d’eau qui l’observaient alors qu’il attendait qu’elle poursuive.
Quels yeux ! Elle en perdit ses mots et resta immobile et stupide, la bouche ouverte.
- … Je ne peux que l’avouer, c’est très impressionnant, dit-il après plusieurs secondes de silence en lui adressant un mince sourire sincère. Bravo, tu peux partir.
Comme si leur conversation n’avait pas eu lieu, il repartit d’un pas tranquille et non sans ricaner en passant devant la fiole de crotte de rawist de son voisin. Lilyn le suivit du regard, complètement abasourdie. Et surtout, le cœur éprit d’une inhabituelle fierté et d’un autre sentiment, un peu étrange et encore ténu, mais contre lequel elle devinait déjà qu’elle allait être incapable de lutter.
Chapitre 1 : Mauvaise Journée
Lilyn marchait sans vraiment de but, le regard dans le vide.
- Une fois de plus, dit-elle à voix basse.
Elle tenait dans sa main le petit papier que son chef de garde avait rempli pour Eweleïn et sur lequel était inscrit le résultat de son évaluation trimestrielle. Une de ses évaluations les mieux réussies, couverte de petites cases cochées pour ses compétences acquises et de notes manuscrites des réponses justes qu’elle avait donné. Il avait même apposé sa signature raffinée au bas de la page, d’une encre bleue nuit coûtant certainement une fortune.
La jeune fille s’arrêta au milieu du couloir et froissa la feuille entre ses doigts crispés sans même s’en rendre compte. Elle la déplia pour la relire une dixième fois, les lèvres serrées. Pourtant, elle avait reçu une appréciation satisfaisante, un « Bien » en écriture penchée, élégante. Neutre et professionnel.
- Une fois de plus, répéta-t-elle un peu plus fort.
Elle se tut, effrayée à l’idée que quelqu’un ne l’entende. Mais ses pensées dérivèrent bien vite : une fois de plus, elle avait tenté de retenir l’attention de l’illustre Ezarel en essayant de rendre une évaluation parfaite. Et une fois de plus, cela n’avait servi à rien.
Elle avait espéré un petit compliment, une appréciation, une légère mimique lui signifiant qu’il était content d’elle. Au lieu de cela, il avait approuvé sa potion de soudure des os du bout des lèvres qu’elle avait étudié toute la nuit et hoché la tête avec désintérêt aux réponses détaillées qu’elle avait donné au questionnaire. Questionnaire qu’il lui avait rendu sans même lui lancer un regard à la fin de l’entretien.
La jeune fille serra les lèvres et froissa le papier encore plus. Elle qui avait été si fébrile toute la matinée, à la fois heureuse et terrifiée de passer ne serait-ce que quelques minutes seule avec lui ! Sa récompense pour plusieurs mois d’un travail irréprochable était ce papier. Papier qui n’avait rien de concret : une vague promesse de toujours plus de nouvelles responsabilités, pas beaucoup plus originales ni prestigieuses que celles qu’elle avait déjà, depuis maintenant quatre ans qu’elle était dans l’Absynthe !
La colère de Lilyn retomba aussi brusquement qu’elle était apparue pour laisser place à la lassitude qui ne la quittait pratiquement plus depuis des mois. Elle poussa un soupir à fendre l’âme et se dirigea vers le réfectoire en traînant les pieds. À cette heure-ci, elle aurait dû être la bibliothèque pour y étudier l’alchimie en vue de missions prochaines et son espoir vain de se faire remarquer d’Ezarel autrement qu’avec des mots qu’elle était incapable de prononcer.
Mais à quoi bon ? Plutôt que de se creuser l’esprit pour un chef de garde ingrat -et pas si sexy que ça, finalement !- elle avait plutôt envie d’avaler une tarte entière et être seule au monde. Lilyn serra les poings, les yeux rivés vers son elfe imaginaire. Sa potion était parfaite et ses réponses justes ! Que pouvait-elle faire de plus pour retenir l’attention du grand Ezarel, comme elle s’efforçait de le faire lors de son épreuve d’admission où il avait sourit pour de vrai, rien qu’à elle ? L’avait-il oubliée si vite ?
La petite faery fut brusquement interrompue dans son auto-apitoiement en heurtant un elfe qui n’avait rien d’imaginaire. Elle tomba sur les fesses sans la moindre grâce avec un petit cri de surprise, laissant échapper sa feuille de réponses.
- Oh, je suis vraiment désolée ! Tu n’es pas blessée ?…
Lilyn releva la tête, saluant en rougissant l’infirmière en chef qui l’avait prise sous son aile à son entrée dans la garde, Eweleïn. La jeune femme se pencha en avant et l’aida doucement à se relever avant de se saisir de son papier pour le lui rendre, penaude. La petite absynthe, un peu vacillante, s’épousseta pour se redonner une contenance en observant avec envie sa silhouette gracile, ses longues oreilles pointues et son sourire bienveillant. En plus d’être jolie, l’elfe était brillante et très gentille… mais heureusement, ne pouvait pas lire dans les pensées, l’Oracle soit loué.
- Comment était ton évaluation avec la terreur d’Eel ? Ezarel n’a pas été trop méchant ? demanda Eweleïn en masquant maladroitement un sourire amusé.
Lilyn réprima un soupir en essayant de lisser son papier qui lui semblait encore plus ridicule, à présent. Elle songea avec amertume qu’avec un ton pareil, l’infirmière avait l’air de parler à une gamine de huit ans.
- J’ai réussi la potion de soudure des os que vous m’aviez apprise, répondit-t-elle en rendant sagement sa feuille après lui avoir rendu une apparence aussi décente que possible en la lissant entre ses doigts. Je ne crois pas avoir fait trop d’erreurs en répondant aux questions.
- Parfait, répondit Eweleïn en parcourant ses résultats du regard. Je suis vraiment fière de toi.
Elle sourit et retourna la feuille pour en aviser un sceau de la garde Absynthe très professionnel qui avait été tamponné dans la marge.
- Ezarel aime se montrer pointilleux là où nos deux autres chers capitaines ne s’embarrassent de rien de plus qu’un conseil entendu ou une tape sur l’épaule, fit-elle remarquer. Ykhar et Kéro vont faire des bonds quand ils verront toute cette paperasse administrative dont il vont devoir s’occuper.
Lilyn rit nerveusement. Elle craignait toujours un peu d’être surprise à se moquer de son chef de garde mais aujourd’hui, il l’avait – un peu – mérité.
- En tout cas, je suis ravie d’avoir pu t’aider. N’hésite pas à me redemander quand tu auras besoin. Si je ne suis pas trop occupée, j’en serais ravie. Maintenant, tu devrais te reposer un peu, tu as bien mérité de ne plus voir Ezarel quelques heures !
- J-j’allais au réfectoire… répondit Lilyn, gênée.
L’infirmière lui adressa un clin d’œil.
- Je vois. Moi aussi je m’abandonne à ce style de petits plaisirs coupables. Bon appétit, alors !
- Merci…
Alors qu’Eweleïn s’éloignait, la jeune fille réprima un soupir en la suivant des yeux. En fait, elle savait bien ce qui lui manquait pour trouver grâce aux yeux de son supérieur. Mesurer un mètre soixante-quinze, avoir deux oreilles pointues et un sens de la répartie plus aiguisé que les crocs d’un blackdog.
Être Eweleïn, quoi !
Mais du haut de son ridicule mètre quarante et avec sa timidité qui à son âge, était vraiment puérile, ses chances d’un jour conquérir le cœur du chef de l’Absynthe étaient proches du zéro absolu. En plus de cela, elle ne brillait pas vraiment par son physique irrésistible : deux yeux bleus comme il s’en trouvait des centaines à Eldarya, une peau trop claire qui devenait écarlate pour toute sa palette d’émotions, des cheveux d’un blond cendré sans éclat ni volume.
- Oh, bienvenue Lilyn ! l’accueillit Karuto dans le réfectoire en les ébouriffants par dessus le comptoir. Comme d’habitude ?
L’intéressée essaya de relativiser son malheur en avisant l’énorme part de tarte que le cuisinier lui tendait comme à chaque fois qu’elle glissait un orteil à la cantine.
Sans grand succès. Tant qu’à faire, elle aurait préféré ressembler à autre chose qu’à une enfant et être traitée en femme ! Même Karenn avait passé l’âge d’être la chouchoute du cuisinier en chef et des petits cadeaux sucrés et se faisait proprement rembarrer à la moindre réclamation.
Pour autant, il s’agissait peut-être d’un des seuls avantages à être elle-même et qu’elle n’était absolument pas prête à abandonner. Lilyn accepta timidement l’assiette et rejoignit une table vide en maudissant sa nature introvertie.
Depuis toujours, elle était presque incapable de tenir une conversation normalement, même avec des gens qu’elle côtoyait depuis plusieurs années. Dans les lieux publics, c’était pire et le réfectoire bondé était une véritable épreuve. Elle fila s’installer à une table vide, un peu à l’écart des autres et s’enfonça dans une chaise où ses pieds effleuraient à peine le sol, avant d’entamer le gâteau à grosses bouchées. Comme d’habitude, les fruits juteux de la Terre calmèrent un peu sa mauvaise humeur.
Elle se mit à observer machinalement les autres absynthes entrer dans la cantine. La plupart sortaient de leur évaluation mais ils semblaient rares à l’avoir réussi. Beaucoup étaient ouvertement abattus. Ils avaient beau s’être tous habitués au mordant caractéristique de leur chef de garde, beaucoup trouvaient ses évaluations difficiles à encaisser voire même le quotidien sous ses ordres. Il n’était pas mauvais chef, mais il restait exigeant. Au moins, elle pouvait se consoler en se disant qu’elle échappait à cela, la plupart du temps.
Dans l’Absynthe, ses confrères comme ses supérieurs la considéraient de ce qu’ils disaient en sa présence, comme douée voire vraiment douée. Elle s’efforçait de tout faire pour qu’ils ne changent pas d’avis.
Car Lilyn ignorait comment exister différemment aux yeux des autres qu’à travers son travail.
Elle étudiait beaucoup, lisait énormément et s’investissait dans toutes ses missions pour toujours être irréprochable. Et les livres ne la forçait pas à tenir une conversation. Elle avait accumulé plus de connaissances que beaucoup de ses aînés et même si elle l’avouait pas, même à elle-même, elle en était assez fière.
Mais malgré ses efforts, il en demeurait toujours un qui ne faisait même pas mine d’être impressionné par ses performances : Ezarel. Et qui plus est, même s’il n’était pas rare que des gardiens plus âgés viennent lui demander de l’aide pour une formule oubliée ou manipuler un outil un peu trop précis, Lilyn savait qu’elle n’était rien de plus qu’une mascotte auprès des membres de sa garde. Un petit familier mignon et utile, avec deux bras et deux jambes.
Prise d’une colère soudaine, Lilyn envoya un coup de pied dans sa table et poussa un petit cri de douleur. Quelques gardiens à proximité lui jetèrent un coup d’œil curieux et la jeune fille s’écrasa dans sa chaise et fit mine de s’intéresser de très près à sa nourriture en massant son orteil aussi discrètement que possible.
Il fallait très sérieusement qu’elle fasse cesser ses innombrables monologues intérieurs. Elle finissait toujours par en arriver aux pires conclusions.
- Ah t’es là ! s’exclama une voix tout près de son oreille en la faisant sursauter. T’as encore une part gratuite ?! Karuto m’a dit ce matin qu’il n’y en avait plus, quel menteur !
Karenn se laissa tomber sur une chaise en face d’elle, serrant entre ses mains couvertes de crasse une assiette de viande saignante noyée dans une sauce qui éclaboussa généreusement la table. La petite vampire dégageait une odeur désagréable et seuls ses yeux verts vifs étaient visibles sous l’épaisse couche de boue qui masquait les traits de son visage. Elle lui adressa un sourire éclatant, craquelant cette étrange seconde peau et dévoilant ses canines pointues. Sa bonne humeur réconforta un peu Lilyn qui répondit à son sourire.
- I-il n’a, heu… peut-être pas digéré ta blague de la dernière fois, suggéra-t-elle.
- Je pouvais pas savoir qu’il avait peur des cheads à ce point !
Lilyn observa silencieusement son amie se mettre à manger avec appétit tout en racontant sa journée avec force détails. Elle laissa sur le sel et le poivre de disgracieuses traces de saleté.
- Notre évaluation a été moins propre que la vôtre, s’amusa Karenn sans chercher à limiter les dégâts. Nevra est très créatif ! Il faudra que tu me rappelle d’ajouter ça à ma liste, tu sais, celle où j’ai noté toutes les vengeances que je dois mener contre lui. J’ai plein d’idées !
La jeune fille hocha la tête. La plupart des conversations qu’elle entretenait avec la sœur du chef de l’Ombre se passaient ainsi : Karenn parlait, Lilyn écoutait. L’adolescente était une incorrigible bavarde sur ses sujets de prédiction : les ragots. Il suffisait de placer de temps en temps une petite phrase pour la relancer quand le flot de paroles se tarissait et c’était reparti pour des heures de rumeurs sur tout et tout le monde. Lilyn ne se plaignait pas d’en savoir autant sur tous… et gardait notamment un œil attentif au statut marital d’un elfe en particulier.
- Si tu veux mon avis, affirma la jeune vampire en jetant un regard dubitatif aux ombres qui continuaient d’entrer dans le réfectoire et souvent presque plus sales qu’elle, mon frère voulait assister à un combat de boue entre filles, ce pervers.
- … Je ne sais pas si c’est, heu… prévisible ou surprenant, répondit Lilyn en riant nerveusement.
Nevra avait une solide réputation mais ce n’était pas son genre d’user d’un stratagème malhonnête pour se rincer l’œil. Karenn haussa les épaules, décelant la question silencieuse.
- Il est intervenu une fois ou deux et s’est retrouvé aussi englué que les autres gardiens assez vite, je crois que ça a pas mal plu à la plupart des filles et quelques garçons. C’est gagnant-gagnant, expliqua la jeune vampire, la bouche pleine. Et puis, même si c’était salissant, c’était loin d’être idiot, comme entraînement.
- … si certains ne veulent pas participer ? demanda Lilyn en baissant la tête.
Dans sa garde, elle savait qu’une évaluation avec Ezarel n’était pas optionnelle. Refuser de s’y soumettre équivalait à une sérieuse remise en question de ses responsabilités.
- Le système de l’Ombre est différent de l’Absynthe, expliqua Karenn, le rapport avec notre chef n’est pas le même. En général, les gens en rient et aiment beaucoup Nevra, il s’entend bien avec presque tout le monde. Mais si jamais quelqu’un est mal à l’aise, il ne dépassera jamais ses limites.
Lilyn hocha la tête et adressa un sourire à l’ombrette. Elle ne pouvait pas s’empêcher de faire la parallèle avec son propre chef de garde. Ezarel bousculait constamment ses faerys et leurs limites étaient perpétuellement repoussées, bousculées voire dépassées.
- Et toi, parle moi de ton évaluation ! Comment s’est passé le face à face dans l’antre de la bête ? demanda subitement Karenn. Ezarel est toujours aussi imbuvable ?
Lilyn se mordit la lèvre. Elle n’avait pas besoin de se voir confirmer plus que cela ses déductions.
- Comme d’habitude… marmonna t-elle, le regard fuyant.
Elle reçu une claque dans le bras et failli lâcher son gâteau.
- Ne fais pas cette tête ! T’es encore en vie et tu ne pleures pas, crois moi c’est déjà beaucoup ! Si ça avait été moi, il y aurait eu au moins un mort !
- Qui ?
Karenn éclata de rire, fit mine de boxer l’air quelques secondes avant de redevenir sérieuse.
- On a beau dire, ce satané elfe ne met vraiment pas de gants avec ses subordonnés. Je ne sais pas comment tu fais pour travailler avec lui tous les jours. Je pense qu’il faut être bien accroché pour le supporter.
L’intéressée haussa timidement les épaules.
- M-même s’il n’est pas très a-aimable, il sait ce qu’il fait, murmura-t-elle. Il est f-fiable si quelqu’un a vraiment besoin d’aide. Je s-sais que c’est rare mais quand il est, heu… de bonne humeur, il est, heu…
Elle s’interrompit en remarquant Karenn hauss
- Ce qui est rare, c’est de te voir parler autant, s’exclama t-elle en souriant.
L’absynthe rougit mais Karenn ne sembla pas s’en rendre compte et renchérit sur son propre chef de garde.
- Mon frère se débrouille malgré ses défauts, plus que j’ai cru quand il a été nommé ! Même s’il a l’air insouciant il prend son rôle vraiment très au sérieux, je suis fière de lui. C’est aussi parce qu’ils le méritent que les trois chefs ont été choisis. Mais avoue que cela serait plus viable s’ils avaient un caractère plus facile !
Lilyn haussa les épaules. Cette conversation commençait à lui déplaire, elle ne tenait pas à s’étendre plus longtemps sur son opinion à propos d’Ezarel. Heureusement pour elle, l’entrée remarquée d’un autre chef de garde parvint à distraire Karenn suffisamment longtemps pour qu’elle oublie le sujet.
Couvert de boue de la tête aux pieds et l’œil un peu trop brillant pour être honnête, un jeune vampire jetait un regard circulaire à la salle en essuyant ostensiblement ses bottes sur le tapis à l’entrée du réfectoire. Il les repéra soudain et se dirigea vers elles en dévoilant un sourire hérissé de crocs, avant de s’installer à leur table sans la moindre gêne et se mettre à piocher dans leurs assiettes respectives sans même les saluer.
- Nevra ! s’offusqua Karenn et éloignant son repas des mains baladeuses de son frère. Vas-te chercher quelque chose, tu sais à quel point j’ai dû argumenter pour obtenir ce plat ?! Et t’es couvert de boue, c’est dégoûtant !
Son frère avala tout rond le morceau de viande qu’il lui avait chipé et lui adressa un clin d’œil.
- Navré, mais je meurs de faim. Je viens d’avoir un après-match mouvementé, vois-tu.
Karenn leva les yeux au ciel et tira son assiette jusqu’à elle en le infligeant une claque sur les doigts.
- Dégueuuuuuuuuuu, je veux rien savoir et raison de plus ! Vas voir tes groupies, espèce de profiteur.
Le vampire ricana avant de se tourner vers Lilyn qui les observait avec un petit sourire amusé, sans oser se mêler à la conversation.
- Bonjour Lilyn, ton évaluation s’est bien passée ? demanda-t-il. Ezarel n’était pas trop de mauvaise humeur ?
La jeune fille se rembrunit. Il était la troisième personne à lui poser la même question en vingt minutes, alors qu’elle était venue se réfugier à la cantine pour oublier ce moment désagréable. Elle parvint à garder une contenance malgré la tentation de tout lâcher et de se laisser tomber en arrière et faire la morte. Le vampire avait beau se situer parmi les gens avec qui elle s’entendait le mieux, il ne la connaissait personnellement que parce qu’elle était amie avec sa sœur et restait un chef de garde qu’il l’intimidait et qu’elle respectait.
- Je m-m’en suis bien sortie, dit-elle.
Nevra sourit et désigna le bout de son oreille pointue.
- Bravo mais n’hésite pas à le crier sur tous les toits, sans mon ouïe génialement vampirique, j’aurais pu croire à un échec cuisant étant donné ton petit filet de voix mignon.
Lilyn baissa la tête en rougissant et enfourna profondément dans sa bouche sa part de tarte. Elle avait de plus en plus envie d’être ailleurs, loin des questions, des petits regards toujours identiques – mélanges d’attendrissement, de pitié et de perplexité – et des moments humiliants. Pour couronner le tout, une voix qu’elle aurait reconnue même avec la plus mauvaise ouïe du monde l’acheva net.
- Nevra, tu as vu Alajéa ? J’ai à lui parler.
L’intéressé releva la tête, par dessus l’épaule de Lilyn qui s’était raidie et avait avalé de travers le dernier fruit. Elle s’étrangla et Karenn fonça à sa rescousse pour lui taper dans le dos avec une force telle qu’elle la fit presque évacuer ses propres poumons par les narines.
- Désolé Ez, pas vue depuis hier. Pourquoi ?
- Comme d’habitude. Son évaluation à été catastrophique, mais elle avait l’air plus déprimée que les autres fois où elle s’est lamentablement ramassée.
Lilyn pouvait presque voir la façon dont il avait levé les yeux au ciel en ponctuant sa phrase d’un petit soupir affligé. Elle reprit son souffle avec difficulté mais n’osa pas se retourner vers lui, les joues marbrées de rouge et les yeux larmoyants. La simple présence de l’elfe dans son dos faisait hérisser tous les cheveux de sa nuque et elle se sentait plus minuscule, ridicule et idiote que jamais. Karenn, ayant vu qu’elle s’était momentanément calmée, intervint sur un ton de défi.
- Laisse tomber Ezarel, t’es une plaie en relations humaines. Alajéa est mon amie, c’est moi qui vais la voir. Tout plutôt que tu aggraves la situation avec ton légendaire savoir-vivre.
L’elfe haussa un sourcil avec un sourire en coin.
- J’aime ta perspicacité. Ça tombe bien, j’avais autre chose à faire que de courir après une subordonnée qui s’étonne de ne pas réussir une potion après avoir passé toutes ses leçons à dormir et dessiner sur la table. J’ai une longue mission qui commence dès demain.
- Oh, comme le QG va nous sembler vide et ennuyeux sans toi ♥ ! répliqua aussitôt la petite vampire.
Lilyn, qui devait encaisser la nouvelle, sursauta en sentant soudainement une main se poser sur sa tête. Le visage d’Ezarel apparu à quelques centimètres du sien et il l’examina de haut en bas, dubitatif.
- Je savais que la plupart de mes subalternes n’étaient pas des lumières, mais je dois avouer que j’en découvre de belles tous les jours. Dis-moi Lilyn, tu te rappelle comment manger, au moins ? Tu sais, mastiquer, avaler, respirer. Il y a quelques étapes à retenir, mais…
L’intéressée devint encore plus rouge, si compté que cela soit encore possible.
- Oui, bredouilla-t-elle, incapable de soutenir son regard vert.
Nevra intervint avec sévérité ;
- Passer ta mauvaise humeur sur les autres ne rendra pas ta journée plus agréable, Ez.
- Je plaisante ! siffla l’elfe en se redressant, vexé. Personne d’autre dans cette garde ne possède un tant soit peu d’humour et d’auto-dérision ?
Karenn le foudroya du regard alors qu’il faisait demi-tour sans saluer personne et s’éloignait en secouant la tête.
- Ez est d’une humeur particulièrement courtoise en ce moment, fit remarquer Nevra en claquant de la langue d’un air désapprobateur. C’est probablement à cause de cette fichue mission d’enquête que Miiko lui a refilé sur la pandémie dans l’Est. Elle essaie d’être discrète sur le sujet alors je suppose qu’elle a du choisir parmi les personnes au courant et… Ezarel l’était. Ça lui passera et il nous reviendra encore plus insupportable qu’avant. Tu disais Lilyn, ton évaluation ?
La jeune fille ne l’entendit même pas. Assise dans le fond de sa chaise, elle se sentait misérable. Était-elle condamnée à tout faire de travers ? À toujours manquer les occasions d’avoir de la répartie ? À ne jamais recevoir de considération de la part des autres ?
Parfois, elle se disait même que ses amis n’en étaient pas vraiment. Karenn était si enjouée au quotidien qu’elles n’étaient pratiquement jamais sur la même longueur d’onde. La petite vampire finirait bien un jour par la trouver ennuyeuse.
Quant à Nevra, il était membre de l’Étincelante et sans doute l’un des personnages les plus importants après Miiko et peut-être Leiftan, son bras droit. Il lui parlait parce qu’elle était souvent en compagnie de sa sœur, mais elle n’était qu’une absynthe semblable à des centaines d’autres. Dans le fond, ils ne vivaient pas dans le même monde.
- Je suis désolée, je dois partir, bredouilla la petite faélienne en se levant, les lèvres tremblantes. Je… J’ai du travail.
Sans rien ajouter, elle quitta le réfectoire aussi vite que le lui permettaient ses petites jambes, se retenant de courir. Elle eut pendant quelques instants l’impression que Nevra voulait l’appeler, mais il fut soudainement accaparé par trois filles. Karenn en revanche, se leva d’un bond et la poursuivit jusque dans la salle des portes.
- Attends ! l’appela-t-elle en la saisissant par l’épaule.
Malgré son appartenance aux ombres discrètes et furtives, la jeune fille avait de la poigne et un regard sérieux, même si elle l’adoptait rarement. Lilyn s’arrêta dans les marches, les yeux rivés sur ses pieds. Malgré leur différence d’âge, elle l’appréciait beaucoup et ne voulait pas se disputer avec elle car les autres membres du QG la traitaient souvent comme une enfant. Karenn était encore jeune et l’entraînait souvent dans des aventures d’adolescentes qu’elle ne comprenait pas toujours, mais la traitait comme une égale.
- C’est Ezarel qui t’a mise dans cet état ? demanda t-elle de but en blanc. Tu ne devrais pas t’en faire pour lui, ce n’est qu’un imbécile ! Tu veux que nous allions voir Alajéa ensemble ? Vous pourrez dire tous le mal que vous voudrez de lui, ça vous fera le plus grand bien !
Lilyn lui adressa un sourire sans joie, mais elle était sincèrement touchée.
- Merci… m-mais ça ira. Je vais bien, j’ai juste b-besoin de décompresser en lisant un peu.
Karenn abdiqua et la lâcha, pas dupe pour deux manaas.
- Très bien, je te laisse à tes vieux livres ennuyeux, dit-elle. Mais tu nous rejoindras au moins pour le repas de ce soir !
La petite faery hocha la tête et se remit en marche aussi sec. En réalité, elle risquait fort d’oublier après son énorme part de tarte. Elle n’avait pas l’habitude de manger avec trop de monde et encore moins de consommer autant de sucre. Pour une petite demi-heure, cela commençait à faire beaucoup.
- À plus tard ! lui cria Karenn en s’éloignant.
Lilyn lui adressa un signe de la main et entra dans la bibliothèque en frappant timidement à la porte. Kero et Ykhar lui adressèrent un sourire chaleureux. Ils se côtoyaient souvent en raison des jours entiers que la jeune fille passait enfermée dans la bibliothèque et l’avait souvent aidée à apprendre par cœur des pages et des pages de formules, de recettes et de propriétés. Elles les appréciaient beaucoup mais comme les autres, il lui parlaient avec ce ton qu’on use pour les enfants et les nouvelles recrues. Lilyn discutait à l’occasion avec eux mais n’avait jamais cherché à nouer plus de liens.
Ils échangèrent quelques mots et elle se dirigea vers le fond de la pièce à sa table habituelle, près d’une fenêtre. Elle donnait sur les jardins et de là, elle pouvait observer à loisir les entraînements rigoureux des obsidiens, les sorties des jeunes familiers, l’entretien des plantes de sa garde et, à l’occasion, les déambulations de son chef de garde dans les allées. Elle passait parfois l’après-midi à avoir un œil sur les pages, l’autre à attendre de pouvoir l’observer avec un sourire rêveur.
Ce jour-là, le QG d’Eel était presque désert et le resterai probablement longtemps à ses yeux après le départ de l’elfe. Lilyn jeta un coup d’œil machinal à l’entraînement obsidien. Les épreuves de Valkyon devaient être terminées et elle sourit en cherchant le livre qu’elle avait commencé la veille. Elle aurait été incapable de tenir plus d’une journée dans l’obsidienne et en admirait les membres, même si elle les croisait beaucoup moins que ceux de sa propre garde.
Les guerriers travaillaient surtout à la forge, s’entraînaient à l’extérieur et effectuaient des missions hors du QG. Les absynthes à l’inverse, partageaient comme elle leur temps entre l’étude, l’alchimie et les jardins. Seuls les absynthes les plus méritants étaient envoyés loin de la garde pour prodiguer des soins, participer à des missions incluant une protection ou trouver des ingrédients rares, par exemple. Elle même n’était jamais allée plus loin que quelques lieux autour de la garde au cours de sa vie et ne connaissait le monde qu’à travers les livres.
- Lilyn ?
L’absynthe tressaillit. Absorbée par ses pensées, elle avait à peine avancé dans son livre et en avait presque oublié où elle était. Pendant qu’elle lisait, le jour avait baissé et les pierres lumineuses de la pièce s’étaient mises à briller, diffusant dans la pièce leur douce lumière irisée. La jeune fille revint doucement à la réalité et referma son livre, l’esprit encore plein de mots. Ykhar se tenait près de la table où elle s’était installée, l’air d’attendre quelque chose. Les rayonnages étaient pratiquement déserts, seul Kéro un peu plus loin semblait encore plongé dans le travail avec le sérieux qui lui était caractéristique.
- Il est déjà l’heure de s’en aller ? demanda Lilyn.
- Les autres sont partis mais rien ne t’empêche de rester encore un peu, répondit la brownie avec un sourire hésitant. En fait, je voulais te demander un service. Après tout, tu as ton propre exemplaire des clés de la bibliothèque depuis longtemps maintenant et tu nous demande depuis presque aussi longtemps d’accéder à la salle des archives, alors…
Lilyn la dévisagea quelques secondes, stupéfaite et ravie. Ykhar s’agita, gênée.
- Heu, enfin ! Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire, disons que je… peux t’autoriser l’accès pour un temps limité par exemple, même si Miiko risque de ne pas apprécier, je… bref ! Je voulais surtout te demander ton aide pour y attraper un livre que je n’arrive pas à atteindre.
Le sourire de la petite faélienne s’effaça. Elle accusa le coup quelque secondes et se mit debout, face à la lapine qui devait faire deux bonnes têtes de plus qu’elle.
- Tu crois vraiment que je vais t’être utile ? demanda t-elle sans conviction.
- Et bien en fait, bafouilla Ykhar de plus en plus mal à l’aise, c’est pour ça qu’il faut que ça soit à toi que je demande ! Le livre en question est au fond d’une espèce de… Enfin, tu vas comprendre.
Elle lui fit signe de la suivre et se dirigea vers la réserve de sa démarche empressée. Lilyn posa un regard de regret sur son livre abandonné et lui emboîta le pas, curieuse.
La porte pour accéder à la salle des archives était relativement basse, au point qu’Ykhar du plaquer ses propres oreilles sur sa tête pour passer. Lilyn s’était attendue à un réduit qui le serait également, du moins comparé à la grande pièce où étaient rangés le reste des livres ainsi que les tables de travail. Elle découvrit à la place un espace qui, s’il était relativement étroit, possédait un plafond beaucoup plus haut et dont l’organisation était bien plus relative que dans le reste de la bibliothèque.
Des étagères croulant sous les livres poussiéreux maladroitement étiquetés avaient été repoussées contre les murs, presque inaccessibles. Des murs de données, de notes et de missions confidentielles s’entassaient devant, appuyés les uns contre les autres en équilibre précaire. Pour éviter de boucher l’accès aux étagères, on y avait aménagé plusieurs petits passages qui semblaient tout près d’être enseveli au moindre faux mouvement. Au centre de ce fouillis se trouvait un registre posé sur une table ainsi que plusieurs crayons terriblement usés. La pièce était éclairée d’une multitude de pierres lumineuses disposées dans des alcôves aménagées dans les piles de livres et posés en hauteur sur les étagères, près du plafond. L’ensemble donnait à la pièce une allure de cache au trésor.
- Impressionnant, hein ? commenta Ykhar, rose de plaisir devant l’expression incrédule de Lilyn. Je ne peux pas montrer cette pièce à beaucoup de membres de la garde, mais ils ont tous la même expression en découvrant tout ça.
- C’est aussi beaucoup de possibilités auquel on a pas accès, murmura l’intéressée en regardant autour d’elle en essayant de déchiffrer un maximum de titres.
- … Je sais et c’est dommage… Mais la plupart contiennent des informations dangereuses. On ne peut vraiment pas les laisser en libre service. Et puis, il faut le dire, c’est quand même très mal rangé, bafouilla Ykhar en se dirigeant vers le registre. La pièce est petite alors on ne sait plus où mettre les livres. En fait, nous prenons des dispositions pour trier son contenu, mais elles sont assez récentes et la plupart des ouvrages ne sont pas référencés. Kéro et moi n’avons pas vraiment le temps de nous y mettre et on ne peut pas prendre le risque que certaines informations tombent entre de mauvaises mains par hasard !
- Je comprends…
La brownie fit pivoter les pages du registre d’un geste vif avant de retrouver ses notes. Elle leva les yeux aussitôt et s’avança en cherchant des yeux quelque chose au plafond.
- Bon, trêve de bavardages ! C’est par ici, suis-moi.
Lilyn arracha à regret son regard des livres entassés et suivit Ykhar jusqu’à un recoin de la pièce où les ouvrages formaient un véritable monticule instable, bouchant la lumière de la fenêtre. La brownie désigna du doigt un coin d’ombre de l’autre côté de la pile. Lilyn, trop petite, ne pouvait pas voir ce qu’elle pointait mais devina que c’était ce qu’elle était supposée atteindre.
- Tu vois, il y a un petit passage entre cette étagère et la pile d’archives, ici, expliqua Ykhar. Les documents n’y sont même plus triés. Nous les avons rassemblés à l’époque de la perte de Yonuki, quand le grand cristal à été brisé. Je suis trop grande pour passer mais toi, tu devrais t’en sortir si tu rampe. Je sais, c’est étroit, mais tu es la seule à pouvoir le faire.
Lilyn s’agenouilla près du mur pour observer au travers du passage en question. Même pour elle, c’était presque inaccessible et pas très rassurant. L’endroit était sombre et dégageait une odeur de renfermé qui prenait à la gorge. Mais surtout, le tunnel entre les livres passait juste sous l’espèce de montagne littéraire. Si le tas s’écroulait sur elle, elle serait tout simplement écrasée.
- Tu penses y arriver ? demanda Ykhar.
- Je… je peux essayer, répondit Lilyn d’une voix lasse, avant de s’accroupir près du tas pour le regarder plus en détail.
La journée continuait de la conforter dans ce qu’elle ne se cessait de se dire : elle n’était considérée que comme une mascotte ou une bonne poire. Et le pire, c’est qu’elle était incapable d’y changer quoi que ce soit.
- Ne fais pas cette tête, tenta de la réconforter Ykhar, sur le ton de la plaisanterie. La réserve regorge de trésors ! Peut-être qu’une fois que tu m’auras rendu ce service, tu trouveras dans ces bouquins quelque chose qui changera ta vie !
Dernière modification par Maxilial (Le 29-09-2021 à 15h01)