Fanart by Ikirimi on Tumblr
Petit message de prévention :
Certaines scènes sont ou seront PEGI 16, donc pour les personnes averties et en âge ou la capacité de les lire. Prenez-soin de vous <3
JE NE SUIS PAS TON ENNEMI - LANCE FANFICTION
C'était lui, j'en étais sûre. Celui qui avait mis ma vie sur pause durant sept longues années. Je le reconnaîtrai entre mille, son masque froid ne l'ayant visiblement jamais quitté.
Lance était un monstre et il se tenait devant moi.
Bonjour mes très chères Gardiennes,
Cela fait quelque temps que je poste les chapitres de ma nouvelle fanfiction concernant notre beau dragon de glace sur Wattpad.
Je viens donc ici vous la faire partager et espère avoir des retours constructifs dessus, tant au niveau de l'écriture que de la trame de l'histoire.
J'espère que celle-ci vous plaira ! (J'en profite pour vous préciser que je ne poste jamais sur le forum, je risque donc de mettre un petit moment à me familiariser avec, veuillez donc m'excuser par avance pour la qualité médiocre de la publication aha)
Egalement, l'histoire se déroule durant A New Era, mais n'en reprend pas l'intégralité de la trame. Sachez tout de même qu’elle est une sorte d’alternative à celle du jeu, c’est-à-dire que j’y ai rajouté les éléments que j’aurai aimé y retrouver, y compris (beaucoup) plus de romance, mais l’histoire reste la même sur les grandes lignes. Il est conseillé d'avoir terminé The Origins avant de se lancer dans l’aventure, mais ce n’est évidemment pas une obligation pour pouvoir la lire.
Cela fait quelque temps que je poste les chapitres de ma nouvelle fanfiction concernant notre beau dragon de glace sur Wattpad.
Je viens donc ici vous la faire partager et espère avoir des retours constructifs dessus, tant au niveau de l'écriture que de la trame de l'histoire.
J'espère que celle-ci vous plaira ! (J'en profite pour vous préciser que je ne poste jamais sur le forum, je risque donc de mettre un petit moment à me familiariser avec, veuillez donc m'excuser par avance pour la qualité médiocre de la publication aha)
Egalement, l'histoire se déroule durant A New Era, mais n'en reprend pas l'intégralité de la trame. Sachez tout de même qu’elle est une sorte d’alternative à celle du jeu, c’est-à-dire que j’y ai rajouté les éléments que j’aurai aimé y retrouver, y compris (beaucoup) plus de romance, mais l’histoire reste la même sur les grandes lignes. Il est conseillé d'avoir terminé The Origins avant de se lancer dans l’aventure, mais ce n’est évidemment pas une obligation pour pouvoir la lire.
Commission par Ryoukames sur Tumblr/Instagram <3
Mais pour commencer, quelques règles du forum avant de poster un message :
- Pas de HS, de flood ou de pub !
- Pas de sujets "sensibles" dans les commentaires.
- Commentez de façon constructive (4/5lignes par post).
- Surveillez votre comportement.
- Pas de conflits sur les topics. Préférez la discussion privée.
- Tenez compte des remarques des modérateurs.
- Merci de relire attentivement les règles du forum.
- Pas de HS, de flood ou de pub !
- Pas de sujets "sensibles" dans les commentaires.
- Commentez de façon constructive (4/5lignes par post).
- Surveillez votre comportement.
- Pas de conflits sur les topics. Préférez la discussion privée.
- Tenez compte des remarques des modérateurs.
- Merci de relire attentivement les règles du forum.
Voici le lien de mon histoire sur Wattpad si cela vous intéresse :
https://www.wattpad.com/1032622317-je-ne-suis-pas-ton-ennemi-lance-eldarya-a-new-era
https://www.wattpad.com/1032622317-je-ne-suis-pas-ton-ennemi-lance-eldarya-a-new-era
Petit message de prévention :
Certaines scènes sont ou seront PEGI 16, donc pour les personnes averties et en âge ou la capacité de les lire. Prenez-soin de vous <3
PROLOGUE : L'EVEIL
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Le Cristal était détruit.
Plus rien ne pouvait arranger ce qu'il venait de se passer, hormis peut-être ce que Leiftan et moi allions entreprendre.
Pénétrer dans le Cristal, fusionner avec ce dernier. Quand l'Oracle me tendit la main, les images des événements de ces dernières heures tournèrent dans mon esprit.
Tous les membres du QG, tous mes amis qui avaient combattus pour sauver Eldarya... ou du moins ce qu'il en restait.
Le combat des deux dragons dans le ciel au dessus du QG, leur chute qui avait détruit le Cristal.
Et Valkyon, assassiné par son frère, Lance...
Je revis le regard qu'il m'avait lancé au moment de sa mort...
À cette pensée, une vive douleur enserra ma poitrine, me poussant à continuer ce que je m'étais décidée de faire.
J'attrapai alors les doigts qui m'étaient tendus, dans l'espoir peut-être vain d'offrir une nouvelle chance à ce monde.
Un Sacrifice Blanc, le sacrifice de deux aengels, en écho au Sacrifice Bleu des dragons, pour ranimer le Cristal et rétablir l'équilibre de ces terres qui étaient désormais également miennes.
Quand ma paume fut entrée en contact avec celle, délicate et blanche, tendue vers moi, j'eus l'impression d'être prise dans un étau. Peinant à respirer, tout ne devint que lumière autour de moi mais le regard calme de l'Oracle apaisa aussitôt mes craintes.
Car je ne pensais pas en revenir.
*
Le temps n'était plus.
Jours et nuits se succédaient sans que je n'en distingue la subtilité. Les secondes, les minutes puis les années peut-être, je n'en savais rien.
La seule chose dont j'étais sûre, c'était qu'une enveloppe douce me recouvrait. Chaleureuse et lumineuse, elle me berçait de ses caresses réconfortantes.
Je me sentais comme absorbée dans une sorte de courant nuageux dans lequel j'évoluais, aussi légère que l'air, sans réel but précis. Une multitude de couleurs m'entouraient, me poussant à croire que le monde s'était happé de nouvelles teintes dont je n'aurais jamais pu imaginer les nuances.
Mais par dessus tout, une sensation de bien être me recouvrait toute entière. Comme si, débarrassée de mon enveloppe charnelle, je me sentais enfin libre. Reposée.
Mon repos restait cependant bercé par des tonalités de voix, certaines me renvoyant vers des bribes de souvenirs troubles. Ceux-ci parfois heureux.
Et d'autres fois atroces.
Mais la noirceur ne pouvait tout bonnement pas m'atteindre dans mon cocon, car rien ne pouvait chambouler la paix qui régnait dans cet espace salutaire.
Ainsi, lors d'instants fugaces, des visages m'apparaissaient et des bribes de conversations me parvenaient. Parmi toutes celles-ci, deux âmes atteignaient mon être de manières bien distinctes. Contrebalançant sans cesse deux sentiments aussi contradictoires que complémentaires : la colère face au désespoir.
Mais plus le temps passa, et plus ses voix m'abandonnèrent, jusqu'à ne plus venir s'adresser à moi qu'en de rares occasions.
Sans prévenir, de nouvelles émotions avaient alors commencé à naître en moi. Une petite flamme s'était mise à briller, d'une lueur d'abord timide, puis de plus en plus forte, jusqu'à venir se répandre dans chacune de mes parcelles.
Et un beau jour, une de ses âmes implorantes trouva le chemin de mon être perdu. Mon cœur s'en retrouva émerveillé, au point que cela fit déborder le feu ardent qui me consumait.
Le désir de me réveiller m'avais finalement pénétrée.
Il était enfin l'heure.
**
L'air s'engouffra avec violence dans mes poumons tandis que le sol froid entra brutalement en contact avec mon dos. La chaleur reposante du Cristal me quitta et une sensation de froid immense et déconcertante recouvra mon cœur et mon corps.
Un bruit sourd, accompagné de pas précipités, se firent alors entendre. Une main rugueuse et délicate repoussa les cheveux qui recouvraient mon front.
- Par l’Oracle Andraste, c'est bien toi ?
Sans que je ne sache pourquoi, le ton grave et implorant de la personne me brisa le cœur. Une goûte d'eau salée atterrit sur ma joue tandis que deux bras enroulaient mon corps avec urgence, presque maladivement.
Son regard d'un bleu intense fut la seule chose que je vis nettement.
CHAPITRE 1 : JE NE SUIS PAS TON ENNEMI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
« Je sais que tu viens seulement de te réveiller et que tu n'es pas encore prête à entendre ça, mais saches qu'aujourd'hui, tu es perçue comme l'espoir des eldariens. Tu nous a tous sauvés et tu es vénérée comme une divinité, en revanche, il faut que tu saches une chose... »
Des visages inconnus se pressaient autour de moi, se bousculaient dans une danse bien trop rapide dans laquelle je n'arrivais pas a suivre le tempo. Chaque regard que je croisais me fixait avec un mélange de stupeur et d'admiration alors que paradoxalement, une impression de doute planait dans chacun d'eux.
Des stands de nourriture, de babioles et même de potions s'étalaient sous mes yeux dans un flot abondant d'informations. La lumière vive du soleil me forçait à plisser les paupières tandis que le malaise s'emparait de moi. La place du marché, bien plus grande et développée qu'il y a sept ans, grouillait de vie et de sonorités toutes plus fortes les unes que les autres, ce qui accentua la migraine qui m'assaillait depuis bientôt deux semaines.
Sans prévenir, une épaule me bouscula et je tanguais dangereusement tout en attrapant le rebord d'un stand dans l'optique de me soutenir. La personne me lança un regard effrayé et s'enfuit rapidement tout en marmonnant de vagues excuses auxquelles je ne prêtais pas attention.
Merde, qu'est-ce qui m'arrive ? Le poids de la fatigue émotionnelle dû à mon réveil du Cristal se faisait de plus en plus sentir, mon corps s'épuisait chaque jour de façon fulgurante et je dormais chaque nuit bien plus de dix heures. Pourtant, mon état ne s'améliorait pas, ce qui poussait Eweleïn à me garder en observation dès que nécessaire.
J'entendis vaguement un homme râler sur le fait que je bloquais le passage, ce qui me donna la force de lâcher mon appui de fortune pour me redresser et continuer ma route. Mais où était passé Jamon ? J'étais sensée le suivre pour qu'il me montre où trouver des armes pour la garde Obsidienne, qui était désormais celle pour laquelle j'œuvrais, mais malgré sa très haute stature, je n'arrivais pas à le discerner dans la foule dense qui m'entourait.
Reprenant ma course maladroite, les mots de Huang Hua tournaient en boucle dans ma tête depuis que j'avais cru apercevoir, un peu plus tôt, ce qui ressemblait à mon pire cauchemar.
« ... Il est ici, Andraste. Il s'est repenti et travaille désormais chaque jour à réparer ses erreurs du passé. Ses actes sont totalement impardonnables et personne n'oubliera jamais ce qu'il a fait subir à Eldarya, mais son cœur n'est plus empli de la noirceur qui le décimait et c'est en partie pour cela que j'ai décidé de lui donner sa chance ici. »
Mon estomac se retourna immédiatement en repensant à ces mots. Il était là. Celui qui avait mis ma vie en pause durant sept longues années vivait ici, tel un repenti, et personne n'avait l'air de s'en offusquer.
Mais comment avaient-ils pu ?! J'avais beau tourner les paroles de la cheffe de l'Étincelante en boucle dans mon crâne, je n'arrivais pas à comprendre cette décision.
« Il l'a durement méritée, tu sais. Il n'a pas été accueilli à bras ouverts et même encore, sa présence reste seulement tolérée par les habitants du QG. Mais il est l'élément le plus utile de cette garde et sans lui, je ne pense pas que nous aurions pu nous relever aussi promptement. Ne me regarde pas comme ça, je sais ce que tu penses, mais je ne peux que te demander de me faire confiance. »
Ma tête tournait aussi rapidement que la nausée qui montait une nouvelle fois.
« T'ai-je déjà démontré que mon jugement était erroné ? »
Face à ce flot d'inepties, seule ma raison avait réussi à lui répondre à ce moment là.
« Non, tu as certainement raison. »
Non, son jugement n'avait jamais été faussé. Absolument jamais. Et ça me bouffait.
Mes ongles se plantèrent dans mes bras, ma respiration s'accéléra soudain et je sentis la colère s'emparer sournoisement de moi. Et comme pour faire échos à ce qui naissait en cet instant en moi, je redressai la tête et me figeai instantanément.
Ce sont ses cheveux, d'un blanc presque argenté, qui attirèrent mon regard tel un aimant. Sa grande taille joua pour beaucoup également, il dépassait largement de toutes les personnes qui l'entouraient, et sa peau, au teint halé, venait réchauffer son regard de glace si caractéristique. De sa démarche gracieuse, presque féline, il semblait évoluer sereinement au milieu d'une foule remplie d'inconscients.
C'était lui, j'en étais sûre. Je le reconnaîtrai entre mille, son masque froid ne l'ayant visiblement jamais quitté.
Lance était un monstre et il se tenait devant moi.
Totalement figée pendant plusieurs secondes, mon sang ne fit qu'un tour tandis que je bondis sans même m'en rendre compte droit devant moi. La colère, qui s'était déjà nichée au fond de mon cœur depuis bien longtemps, explosa soudain, absolument dévastatrice.
Cette dernière s'insinua tel un poison, me brûlant à tel point que j'explosai littéralement de rage en accourant dans sa direction. Le traître ne m'avait pas encore remarquée et je décidai d'en profiter en fonçant droit dans son dos, prête à en découdre.
Et pour la première fois de ma vie, j'eus envie de tuer. D'un désir si profond, si intense, qu'il en dicta chacun de mes gestes et chacune de mes pensées. Je perdis probablement une part de mon humanité à ce moment-là.
Qui sait, peut-être qu'au fond, j'étais tout aussi monstrueuse que lui.
Profitant de l'effet de surprise, je brandis mon poing en avant et l'écrasai de toute mes forces sur sa mâchoire. Ce dernier fut projeté sur le côté et, sous l'effet de l'adrénaline, j'étais prête à effectuer à nouveau mon geste quand ses yeux, aussi froids qu'un lac de glace, repérèrent mes mouvements. D'un geste sec, aussi vif qu'une fraction de seconde, il stoppa mon intention d'une poigne ferme, presque douloureuse, sur mon avant-bras. Ce simple contact me glaça le sang tout comme il me brûla la peau.
Aveuglée par la haine, je tentai de libérer mon bras de sa prison mais rien n'y fit, mon bourreau ne céda pas d'un millimètre.
- LÂCHE-MOI ! lui criai-je.
- Je ne suis pas ton ennemi, ne me force pas à te faire de mal, me supplia-t-il alors.
Pour toute réponse, j'effectuai un pas de côté et lançai mon second poing en direction de son visage, mais pour ma plus grande peine, Lance fut plus rapide que moi et stoppa pour la seconde fois mon geste.
- Andraste, je suis totalement conscient de ta colère, mais laisse moi t'expliquer ce qu'il s'est passé.
Totalement aveuglée par la colère, je n'entendais pas ce que ce tueur tentait de me dire.
- Lâche-moi, par l’Oracle !
Je me débattais comme une folle et malgré sa force bien supérieure à la mienne, le jeune homme n'en menait clairement pas large.
- Écoute, tu ne peux pas faire ça ici. On est sur une place publique et tout le monde nous regarde, tenta-t-il de me faire entendre.
Sa voix, à la fois calme et alarmée, me pénétrait au plus profond de mon âme. Remuant mes souvenirs, elle me ramenait sept ans en arrière, me remémorant chaque instant passé à ses côtés.
La peur, la colère, la haine mais aussi un autre sentiment, nettement moins sombre, s'emparèrent alors de moi. Mais je ne voulais pas de ce dernier. Malgré moi, il était revenu, comme une douce et amère réminiscence, hérissant ma peau là où ses mains me maintenaient toujours. Je n'oserai jamais m'avouer ce que j'avais pu ressentir pour ce monstre durant un instant fugace. Quand ce dernier m'avait enlevée, et peut-être même avant, une attraction m'avait plus ou moins poussée vers lui.
Une sorte d'admiration malsaine, peut-être.
- Tu sais très bien que c'est plus de difficile pour moi de ne pas te faire de mal que toi de m'en faire, me dit-il d'un air légèrement supérieur.
Mais pour qui il se prenait ?!
La colère me vrillait tellement les tempes que ma vue se brouilla soudain. Lance s'en aperçut et, hésitant un instant, il m'empêcha de m'effondrer en glissant une main à la fois ferme et hésitante sur ma taille pour me retenir.
Je le repoussai sans ménagement tandis qu'une vive douleur s'emparait de mon ventre.
- Ne me touche pas, Lance !
Ce dernier leva sa main tachée de rouge, le visage troublé.
- Tu saignes, qu'est-ce qui t'arrive ?
Mes yeux se figèrent sur ses doigts dégoulinants.
- Je... Je ne sais pas.
Ma main se posa à son tour là où la sienne s'était trouvée un instant plus tôt. J'y trouvais un liquide chaud et abondant.
Du sang ?
Ma vue se brouilla de nouveau et je sombrai sous le regard alerté de mon ennemi. Je sentis deux bras m'entourer avant de perdre connaissance.
CHAPITRE 2 : TOUT EST DE TA FAUTE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Je me réveillais dans une pièce que je ne connaissais que trop bien, notamment depuis ces derniers jours. L'infirmerie était parfaitement silencieuse et seul le clapotis de l'eau qui coulait dans la pièce m'accompagnait. Le regard perdu dans le vide, je posais un bras sur mon visage quand une douleur sournoise dans le flan me fit grimacer. Je m'aperçus alors que mes vêtements avaient été changés et que j'étais vêtue d'un haut qui m'était inconnu. Le soulevant, je me rendis compte qu'un bandage taché de rouge recouvrait mon ventre. La raison de ma présence ici me revint alors.
Lance...
Je m'étais mise à perdre du sang, sans aucune raison, en présence de Lance !
Depuis mon réveil, j'avais l'impression de perdre l'esprit. Des troubles de la mémoire, des vertiges, saignements et autres phénomènes étranges s'accumulaient chez moi et personne n'était capable de l'expliquer. En même temps, personne avant Leiftan et moi, hormis l'Oracle, n'avait vécu dans le cristal.
Mais oui, Leiftan, comment allait-il, lui ? Ce dernier s'était réveillé peu de temps après moi et étrangement, je ne le croisais presque jamais depuis. L'aengel avait refusé de rejoindre l'Etincelante et depuis, il semblait s'évertuer à fuir toute présence. Mais une chose était sûre, c'était que je ne le croisais jamais à l'infirmerie, le petit chanceux.
Des bribes de voix m'atteignirent peu à peu et je tendis l'oreille pour essayer de savoir de qui il s'agissait.
- Je ne comprends pas ce qu'elle a...
- .... avait un lien ? ...
Je plissai les yeux, essayant en vint de déchiffrer la conversation que je surprenais.
- .... n'en sais rien... la ramener...
Entendant des pas feutrés se diriger dans ma direction, je fermai précipitamment les paupières, faisant mine d'être encore endormie.
Quand ils arrivèrent jusqu'à moi, une main chaleureuse et réconfortante se posa sur mon front. Celle d'Eweleïn, je commençais à la connaître par cœur.
- Elle est stable et sa fièvre est retombée, on va la ramener dans sa chambre, elle sera plus au calme pour se reposer. Je compte sur toi pour la surveiller.
- Très bien.
Mon estomac se contracta au son de cette voix.
- Tu me dis qu'elle s'est mise à saigner sans raison ? Tu es sûr de ne pas l'avoir blessée, même sans faire exprès ?
Un silence lourd de sous-entendus s'étala entre les deux interlocuteurs.
- Je comprends que c'est étrange, mais c'est ce qu'il s'est passé, Eweleïn.
- Très bien... dans ce cas, je te laisse la ramener.
Quand les bras du dragon entourèrent à nouveau mon corps avec minutie, je me crispais malgré moi de peur et d'appréhension. Avant de me soulever, il abaissa délicatement le t-shirt sur ma blessure, et quand ses doigts touchèrent ma peau aussi doucement qu'une caresse, je senti comme un courant électrique me traverser. Lance me souleva sans difficulté et sans vraiment savoir pourquoi, je gardais résolument les yeux fermés, serrant les paupières un peu trop fort.
Sans un mot, il m'emporta telle une poupée de chiffon inanimée, faible et silencieuse, jusqu'à ma nouvelle chambre. À chacun de ses pas, je pouvais sentir sa respiration calme et profonde contre mon cou. Pourquoi est-ce que je ne me manifestais pas, au juste ? Je me sentais comme paralysée. Il finit par ouvrir la porte de ma chambre et s'y engouffra silencieusement. Le bâtant se referma derrière nous, nous coupant ainsi du monde extérieur. Il marqua soudainement un arrêt et se mit à soupirer longuement.
Lance semblait marqué par la fatigue et l'inquiétude, ce qui attisa ma curiosité. Prudemment, j'ouvris un œil et l'observai dans le sillage de mes cils. Ses mâchoires, recouvertes d'une barbe naissante, étaient contractées et son expression, elle, exprimait la même lassitude que son soupir. Quand il se remit en mouvement, je fis à nouveau mine de dormir tandis qu'il me déposait doucement sur le matelas. Tout en retirant ses mains, il s'accroupit tout près de moi et malgré mes paupières résolument closes, je sentis son regard triste me transpercer. Mais c'est l'intonation de sa voix, telle un supplice, qui me chamboula le plus.
- Je suis désolé, Andraste.
Mes mains se crispèrent contre mon grès sur le drap du lit. Gardant résolument les yeux clos, je ne pus m'empêcher de répondre, encore plus bas que lui.
- Tout est de ta faute.
- Je sais...
Le dragon ne parut nullement surpris de m'entendre lui répondre. Depuis combien de temps savait-il que j'étais réveillée ?
Timidement, je m'obligeai à ouvrir les yeux. Je découvris ainsi un Lance parfaitement différent de celui que j'avais vu au marché. Le regard empli d'une tristesse infinie, il me regardait comme si j'étais la seule personne au monde capable de soigner ses maux.
- Tu ne cherches pas à te justifier ? lui demandai-je, intriguée de ne pas entendre de suite à sa réponse.
- Mes actes sont injustifiables, j'essai simplement de vivre avec et de me racheter chaque jour qui passe. Mais toi... j'ai redouté pendant des années le moment où tu allais enfin te réveiller. Je ne sais pas comment réagir en ta présence alors qu'à contrario, je sais plus que quiconque à quel point tu dois me haïr. Je n'essaierai pas de me racheter auprès de toi car je sais que c'est impossible.
Ses paroles me happaient. Le ton de sa voix, si calme et posé, m'hypnotisais totalement. Mais je ne pouvais néanmoins taire mes questionnements à son sujet.
- Alors, que fais-tu ici ?
J'étais sincèrement curieuse de savoir pourquoi c'était précisément lui qui s'était occupé de me ramener dans ma chambre.
- Eweleïn m'a chargé de te surveiller.
Je haussai les sourcils de surprise, ce qui fit naître un léger sourire d'amusement sur son visage de marbre.
- Pardon ?
- Comme tu l'as sûrement constaté, ton état est très instable depuis ton réveil.
- Mais comment ça, elle t'a chargé de me surveiller ?
- Vu que visiblement, tu te mets à te vider de ton sang sans aucune raison, Eweleïn et Huang Hua ont décidé qu'il fallait te surveiller de près. De plus, on ne sait pas encore comment les choses vont se passer maintenant que les gens savent que l'élue de l'Oracle est réveillée. La nouvelle s'est sûrement déjà répandue en dehors du QG et ta sécurité est devenue une priorité.
À ces mots, je me redressai vivement.
- Tu veux dire qu'on pourrait essayer de s'en prendre à moi ?
Le regard de Lance se planta pour la première fois dans le mien depuis le début de notre échange.
- Il ne t'arrivera rien.
- Mais enfin, pourquoi est-ce que...
- La plupart des gens t'admirent pour ce que tu as fait, mais la nature de l'homme étant celle qu'elle est, beaucoup se méfient de ce qu'ils ne connaissent pas. Tu as accompli quelque chose d'incroyable et de totalement nouveau, mais comme toute admiration, il y a toujours une part de méfiance qui sommeille envers l'inconnu.
- Mais enfin, c'est insensé, personne ne peut décemment penser que je puisse être dangereuse !
Le jeune homme resta silencieux un moment, me laissant digérer les informations qu'il venait de m'apprendre.
- Évidemment, c'est une simple mesure de sécurité, principalement le temps que ton état reste incertain. Quand tu iras mieux, on se concentrera sur le fait de t'apprendre à te défendre.
- Je sais déjà me défendre !
Son haussement de sourcil légèrement hautain me hérissa le poil de colère.
- Ne te vexe pas, mais de ce que j'en ai vu tout à l'heure, tu as l'air d'avoir perdu pas mal d'énergie depuis ton séjour dans le cristal.
Touchée. Je décidai de ravaler ma fierté pour le moment, j'étais trop fatiguée pour me disputer à nouveau avec lui.
- Et du coup, quel est le plan ? m'enquis-je.
- C'est là que j'interviens. Je sais que tu n'as pas confiance en moi, mais aussi étrange que cela puisse paraître, je suis le plus à même d'assurer ta sécurité et ton entraînement.
Un ricanement froid s'échappa de moi, étirant le sourire qui avait commencé à marquer le visage du dragon un instant plus tôt.
- Donc tu es en train de me dire que toi et moi, on est devenus inséparables ?
- Je suis désolé de te l'annoncer.
Au moins, il avait la décence d'avoir l'air aussi ravi que moi de la nouvelle.
J'étais perdue. Complètement. Comment est-ce que la Garde avait pu penser que c'était une bonne idée de nous fourrer tous les deux ensemble ? C'était tout simplement insensé !
Je me pinçai l'arrête du nez, irritée de tout ce flot d'information.
- Outre le fait que je ne suis pas une petite chose fragile, chose que la Garde a l'air de totalement ignorer, personne d'autre ne peut assumer ce rôle ? Lance, c'est tout bonnement impossible ! Je ne peux pas l'accepter, et tu le sais aussi bien que moi !
Toujours accroupi, un de ses avant-bras posé sur son genoux, il se laissa tomber en arrière contre le mur derrière-lui.
- Andraste, je ne cherche pas à vanter mes mérites, mais si il y a bien une chose dans laquelle j'excelle, c'est le combat. Je suis le plus qualifié ici pour te protéger en cas de besoin et t'enseigner au mieux à te défendre.
La colère recommença à s'emparer de moi. Il était vraiment sérieux ?
- Mais enfin, tu te rends compte de ce que tu dis, là ?!
- C'est indiscutable.
- Et insensé ! Tu as essayé de me tuer, tu t'es servi de moi, tu m'as manipulée. Comment veux-tu que j'accepte ça sagement ? Tu souffles encore le chaud et le froid ! Tu t'excuses et ensuite, tu me donnes des ordres !
- Je ne fais qu'obéir à ceux de l'Etincelante.
Un rire franc m'échappa cette fois-ci.
- Sérieusement, c'est toi qui dis ça ?
Un éclair de défi traversa son regard de glace. Une électricité ambiante planait entre nous.
- Il faut croire que je suis prêt à écouter sagement les ordres pour te protéger.
Il se redressa alors et me toisa de toute sa hauteur.
- Les temps ont bien changés, il va falloir t'y faire, ajouta-t-il. Être l'élue de l'Oracle ne va pas être quelque chose de facile à assumer, crois moi. Les gens vont beaucoup attendre de toi, que tu t'en sentes capable ou non. J'espère que tu es prête pour ça aussi.
Surprise, je restai silencieuse. Ce qui me choquai le plus, ce n'était pas cette vérité écrasante que Lance venait de m'avouer.
C'était qu'il était le seul à l'avoir fait.
Et cela chamboula tout. En qui pouvais-je sincèrement avoir confiance, ici ? Nos ennemis peuvent-ils un jour devenir nos alliés ?
Il se dirigea vers la porte et posa une main sur la poignée, avant d'ajouter :
- Reposes-toi, maintenant. Je ne serai pas loin, si tu as besoin.
Puis il s'engouffra dans le couloir.
CHAPITRE 3 : TU AS CINQ MINUTES POUR T'HABILLER
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Je ne sais combien de temps je dormis cette nuit-là. Probablement trop, comme chaque fois que je m'assoupissais ces dernières semaines. En revanche, je ne me sentais jamais entièrement reposée, ce qui avait le don de me rendre facilement irritable.
Après notre conversation et le départ de Lance, je m'étais endormie l'esprit troublé, et c'était dans le même état que je m'étais réveillée. Et maintenant que la nuit était passée, cette histoire me paraissait encore plus insensée.
Il fallait que je parle à Huang Hua.
Sortant de ma chambre, je me dirigeai en direction de la salle de bain commune des filles dans l'espoir de me remettre les idées en place avec une douche revigorante. Je fus soulagée de trouver la pièce vide en m'y engouffrant, ne me sentant clairement pas en mesure de tenir une conversation dans l'immédiat. Entrant dans une des cabines, je retirai ces vêtements que l'on m'avait enfilés à l'infirmerie et une fois entièrement nue, je m'attaquai au bandage qui recouvrait mon ventre. Déroulant lentement le tissu poisseux, je fini par découvrir ma peau parfaitement guérie à l'endroit même où je m'étais pourtant mise à saigner abondamment quelques heures plus tôt. Surprise, je relevai la tête en direction du miroir et constatai avec étonnement que plus aucune trace de cet incident ne marquait mon corps. Même pas une infime marque.
Je laissai mes doigts glisser le long de mon flan avec circonspection. Comment était-ce possible ? Je n'avais pourtant pas rêvé, le bandage pour preuve !
Troublée, j'allumai l'eau et tournai le bouton au maximum. M'engouffrant sous le jet, je ne ressenti que vaguement que celle-ci n'avait pas encore commencé à chauffer. Malgré la température glaciale, je laissai le liquide couler abondamment sur mes cheveux sans un frisson.
Depuis mon réveil, beaucoup de phénomènes inexpliqués faisaient fit chez moi. Outre mon état quasi maladif constant, j'avais peu à peu constaté que plusieurs choses avaient changées, comme évoluées. Ainsi, je ne ressentais plus ni le chaud ni le froid, et à chaque douche, je m'évertuais à pousser les limites de température afin d'essayer de ressentir quelque chose. Mais aujourd'hui, comme tous les autres jours, aucune sensation ne naquit sur mon corps. En dehors du ressenti, la logique voulait que ma peau réagisse, comme rougir sous l'eau brûlante par exemple, mais comme à chaque fois, elle restait parfaitement laiteuse.
Soupirant, je continuai de me savonner, l'esprit perdu dans le vague. Le cheminement de mes pensées m'amena malgré moi jusqu'à une certaine personne. Lance avait dit qu'il était désormais chargé d'assurer ma sécurité, mais en quoi cela consistait-il vraiment ? Allait-il me suivre partout ? Non, je ne l'avais pas vu en sortant de ma chambre et il avait certainement bien mieux à faire, ce qui m'allait parfaitement.
Ma douche terminée, je coupai l'eau fumante, me rendant ainsi compte que ma cabine ressemblait à un véritable sauna. Me séchant rapidement, je constatai avec effroi que je n'avais pas emporté de vêtements de rechange avec moi. J'enchaînais vraiment les situations merdiques, ces derniers jours.
Frustrée, j'enroulai la serviette autour de mon corps et attrapai mes vêtements sales. Il était hors de question que j'enfile à nouveau ça, même si c'était juste pour traverser le couloir, des traces de sang tâchaient même le t-shirt. Sortant de la salle commune, j'évoluai avec empressement dans le couloir avant de heurter de plein fouet une personne qui sortait d'une des chambres. Surprise, je me confondais précipitamment en excuses confuses quand je reconnu finalement Nevra.
Le jeune vampire afficha une moue amusée à la vue de ma tenue, disons, inexistante.
- Bonjour Andraste. Ce n'est pas courant de croiser des filles en petites serviette dans le couloir.
Mes yeux roulèrent face à sa remarque à la limite du salace. Évidemment, il ne pouvait pas faire comme si de rien était, c'était trop demandé.
- Bonjour Nevra, en effet, j'aime bien casser les codes ces derniers temps.
Ce dernier laissa échapper un rire qui fit ressortir ses canines pointues. J'allais continuer ma tirade quand une sublime jeune femme sortie à son tour de sa chambre. Posant une main sur l'avant-bras du brun, elle déposa un baiser plein de sous-entendus sur le coin de ses lèvres.
- On se revoit bientôt, j'espère.
Puis elle s'éclipsa non sans me jeter un regard réprobateur. Mon cœur se déchira à la vue de cette scène.
Devais-je préciser que pour moi, Nevra et moi nous aimions il y a encore peu de temps ?
Le vampire détourna légèrement le regard, comme soudainement gêné. Sentant probablement ma peine, il chuchota, presque uniquement pour lui :
- Je suis désolé.
Je décidai de m'en aller à mon tour, sans un mot de plus avant que ma voix ne flanche. Sauf que maintenant que je distinguai ma porte, je découvrais encore un élément qui perturba mon humeur. Lance m'attendait, les bras croisés et le regard noir planté dans le dos du vampire. Quand j'arrivai a sa hauteur, il détailla à son tour ma simple serviette mais ne fit aucun commentaire dessus, à mon grand soulagement.
- On ne peut pas sortir tranquillement de la salle de bain sans croiser toute la garde, ici ?
Le jeune homme souri légèrement à ma remarque désabusée.
- Peut-être que si tu ne sortais pas à moitié nue, tu croiserai moins de monde.
Bon, j'avais peut-être parlé un peu trop vite.
- Tu as cinq minutes pour t'habiller, après j'entre, que tu sois prête ou non.
- Tu ne comptes pas rendre ta présence plus appréciable, à ce que je vois.
- Absolument pas, me confirma-t-il dans un grand sourire.
Je l'abandonnai sur le pas de la porte, mais dans un dernier regard en arrière, je remarquai que Nevra n'avait pas bougé et nous regardait avec insistance. Fermant la porte derrière-moi, je soufflai un grand coup avant d'attraper des vêtements propres. Je n'allais pas traîner, prenant la menace de Lance au premier degrés. Je savais très bien qu'il était sérieux, cet idiot.
Je terminais d'enfiler mon haut quand une immense silhouette apparue dans mon champs de vision, me faisant sursauter de peur.
- Bon sang Lance, tu aurais pu frapper avant d'entrer, au moins !
Il rit franchement de ma réaction et je me surpris à regarder son sourire. Au final, je l'avais rarement vu sourire, même à l'époque, et comme à chaque fois que je le voyais ainsi, mon cœur ratait bien malgré-moi un battement.
- Comment tu as fait pour entrer sans faire aucun bruit, d'ailleurs ?
- Tu as l'air d'oublier bien trop souvent que je suis un être plein de talents.
Je soufflai d'ironie tout en tirant sur mon haut pour le faire descendre sur mon ventre, mais à mon étonnement, il stoppa mon geste en attrapant vivement ma main de la sienne, immense et froide. Je levai les yeux sur lui, ne comprenant pas ce qu'il cherchait à faire, quand je surpris son regard posé sur ma peau cicatrisée, et je compris.
- Comment est-ce que...
J'abaissai vivement le tissu, malgré la force de sa main sur la mienne.
- Ce n'était rien de grave, c'est tout.
- Ne dis pas n'importe quoi, je l'ai vu quand Eweleïn t'as soignée. Tu avais une blessure béante.
- Tu as dû rêver. Ça a beaucoup saigné mais ce n'était pas grand chose, au final.
- Andraste...
- Je n'ai pas envie d'en parler, d'accord ? Il y a déjà suffisamment de choses que j'essai de gérer ces derniers jours, comme le fait que j'ai raté sept années de ma vie, par exemple ! Alors laisse-moi respirer un peu.
- Il t'est déjà arrivé d'autres choses comme celles-ci, hormis les malaises et saignements ?
- Lance, tu m'écoutes ?!
Il resserra fermement ses doigts sur mon poignet.
- Il faut que tu me dises, tu ne peux pas cacher des éléments aussi importants !
- Mais en quoi est-ce que ça te regarde, au juste ?
- Il faut que tu en parles à Eweleïn ou Huang Hua, tu ne peux pas...
Je l'attrapai à mon tour pour le forcer à stopper sa tirade et me regarder enfin.
- Lance, ce n'est rien. Laisse moi du temps pour digérer tout ça et essayer de comprendre moi-même ce qui m'arrive. Je te promets que je leur en parlerai quand je m'en sentirai prête, mais pour le moment, je préfère garder ça pour moi, d'accord ?
- Je ne...
Je plaquai mes doigts sur sa bouche avec autorité.
- S'il te plaît.
Étonnement, il fini par me laisser avoir le dernier mot dans cette histoire. Pour le moment du moins. Je retirai prudemment ma main de son visage et l'observai un instant. Quand je me rendis compte de notre proximité, je reculai promptement jusqu'à instaurer une distance plus raisonnable entre nous, soudain mal à l'aise. Essayant de cacher ma gêne, je tentai de changer de sujet.
- Qu'est-ce que tu voulais me dire, au fait ?
Le jeune homme sembla lui aussi revenir à la réalité car la question sembla le perturber un instant, avant qu'il ne reprenne contenance.
- Je venais te prévenir que Huang Hua a demandé à nous parler dans les plus brefs délais.
- « Nous » parler ?
Je restais pantoise un instant. Oui, il fallait que nous discutions, mais seule à seule.
Pour toute réponse, Lance haussa simplement les épaules avant de se diriger vers la sortie. Voyant que je ne bougeais pas, il se tourna légèrement vers moi.
- Bon, tu viens ?
CHAPITRE 4 : UNE OREILLE A QUI PARLER
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Lance marchait devant moi d'une démarche sûre et assurée, tandis que mon estomac se nouait légèrement à l'idée de ce que Huang Hua voulait nous entretenir. Pourquoi est-ce que la cheffe de l'Etincelante ne s'était pas en premier lieu adressée à moi, alors que c'était clairement nécessaire ? Pourquoi laisser le soin à Lance, sensément être la personne avec laquelle je devrais avoir le moins d'interaction, de le faire à sa place ? Je ne comprenais pas ses intentions.
J'observais les larges épaules de mon accompagnateur. Il avait beaucoup changé en sept ans. Ses cheveux avaient poussés et son corps semblait encore mieux bâti. Mais au delà du physique, le dragon avait un tempérament bien plus calme. C'était probablement dû à l'âge ou... à tout ce qu'il avait sûrement dû traverser à la suite de la bataille. Comment est-ce que tout cela s'était-il passé pour lui ? Pour ma part, je n'arrivais pas encore à repenser à tout ça. La bataille, la mort de Valkyon et de bon nombre d'eldariens... Je n'y arrivais pas. Quelque chose dans ma tête semblait bloquer ces pensées-là et c'était peut-être pour cette raison que j'arrivais à tolérer la présence de cet homme à mes côtés. Car j'avais beau le détester, je ne pouvais nier que nous avions des caractères compatibles. C'est ce qui me troublait probablement le plus dans cette relation malsaine.
Comment arriver à gérer une telle situation ? Comment accepter le fait d'apprécier la présence de la personne qui nous a le plus blessé ?
Mes pensées furent stoppées quand Lance bifurqua en direction de l'immense salle de réunion du QG, ce qui intensifia immédiatement mon stress naissant. Avant d'ouvrir le battant, il me jeta un dernier regard indéchiffrable. Je lui fit comprendre que j'étais prête et il me laissa entrer avant de se reculer. Intriguée, je l'interrogeais.
- Tu n'entres pas ?
- Il me semble que Huang Hua souhaite s'adresser à nous séparément.
À l'entente de mon arrivée, Huang Hua se leva et m'offrit un de ses sourires éclatants auquel je ne pus répondre que faiblement.
- Andraste, te voilà enfin ! Je suis ravie de te voir. Comment vas-tu, ma belle ? Eweleïn m'as fait vent de ton inquiétante blessure d'hier.
J'imaginais déjà la désapprobation de Lance à l'idée que je garde ces faits pour moi, mais je n'allais pas lui faire ce plaisir. Je n'étais tout simplement pas prête à dévoiler à qui que ce soit ce qui se manifestait chez moi.
- Ça va mieux, merci. Plus de peur que de mal, je suppose.
- Tant mieux. C'est justement ce qui m'a amenée à vous faire venir tous les deux ici. Comme Lance a dû t'en faire part, je l'ai chargé d'assurer ta sécurité pendant un certain temps. Au moins jusqu'à ce que ton état s'améliore et que tu sois en pleine capacité de tes sens.
Je la coupais alors sans ménagement.
- Huang Hua, à propos de cette histoire, n'aurais-tu pas dû m'en parler en premier, avant de fourguer cette mission à Lance ? Pourquoi suis-je la dernière au courant ? C'est moi que ça concerne, tout de même !
- Parce que, que tu le veuilles ou non, il est le seul ici à pouvoir assurer ce rôle. Je n'ai pas jugé nécessaire de te consulter au préalable car je savais que tu serais contre cette idée, et je souhaitais te laisser te reposer le plus longtemps possible.
- Évidemment que j'allais être contre ! Dois-je te rappeler que pour moi, tout ça c'était il y a seulement quelques jours ?
- Andraste, ma décision est prise et tant que tu ne me prouveras pas que tu es en état de te défendre toi-même, il en sera ainsi. Nous ne pouvons pas nous permettre qu'il t'arrive quelque chose.
Je tiquais à cette réponse. Me garder en sûreté n'avait visiblement pas l'air d'être dans mon seul intérêt à ses yeux. Que me cachait-elle ?
- J'ai également une question à te poser. As-tu ressenti tes pouvoirs d'Aengel se manifester, depuis ton réveil ?
Hésitante, je lui dis tout de même la vérité.
- Non, pas pour le moment.
- C'est bien ce que je pensais. Je ne sais pas si cela a à voir avec ton état de santé physique ou si quelque chose de plus psychologique fait blocage en toi, mais c'est tout de même un point que nous devons souligner.
- Qu'est-ce que mes pouvoirs d'Aengel viennent faire là-dedans ?
Huang Hua me regarda longuement.
- Tu ne te rend pas compte de l'étendue de tes pouvoirs, ma chère Andraste. Sache que ce n'est pas anodin si c'est toi que l'Oracle a choisie, et que ta présence dans ce cristal t'as très probablement octroyé de nouvelles capacités. Tu es un atout très précieux de la Garde. Mais ce pouvoir, aussi bon soit-il, n'est pas forcément vu d'un bon très œil pour tout le monde. C'est là que les garçons interviennent. En plus de ta protection, j'aimerais que Lance et Leiftan interviennent tous les deux dans ton entraînement.
- Mon entraînement ?
- Tes pouvoirs ont l'air de s'être endormis pour le moment, de plus, le chef de L'Obsidienne m'a fait comprendre que tes capacités physiques au combat semblaient bien plus faibles qu'à l'époque.
Lance, quelle enflure.
- Et de quel genre d'entraînement s'agit-il ? m'enquis-je.
- Rien de trop intense ou compliqué, ne t'inquiète pas. Ils se relégueront seulement pour t'aider à t'entraîner au combat et essayer de réveiller tes pouvoirs. En tant qu'Aengel également, Leiftan pourra sûrement te guider pour ce dernier point et quant à Lance, malgré ta réticence tout à fait compréhensible, il reste le plus qualifier pour te remettre en forme.
- Et en ce qu'il s'agit de ma « sécurité » ? J'accepte de m'entraîner avec lui, mais je n'ai pas besoin d'un garde du corps !
- Il en sera ainsi tant que je le jugerai nécessaire, mes ordres ne changeront pas quant à son sujet.
Comprenant que ma parole n'aurait aucun poids dans la balance, je capitulais avec amertume.
- Très bien, je suppose que si c'est ce que tu as décidé, ce doit probablement être ce qu'il y a de mieux à faire.
Un fin sourire se dessina sur les lèvres de la jeune Phénix.
- Je suis ravie de voir que tu acceptes ma décision. Si tu n'as plus rien à ajouter, je te laisse disposer.
Fatiguée de cette entrevue dans laquelle, je n'allais pas me le cacher, je n'avais pas eu mon mot à dire, je franchie la porte pour sortir de la grande salle. Je tombais sur le jeune dragon qui me regarda un instant silencieusement. Semblant vouloir me dire quelque chose, il ouvrit la bouche quand la voix de Huang Hua résonna pour lui dire d'entrer à son tour. Aucun mot ne franchis finalement ses lèvres avant qu'il ne me laisse seule dans le couloir.
Entendant la porte claquer dans mon dos, je restais un instant figée, le regard dans le vide.
Cela venait-il seulement de moi, ou bien Huang Hua ne me disait pas tout ? N'y comprenant plus rien, je décidai de sortir prendre l'air pour me remettre les idées en place.
Le QG avait énormément changé depuis mes récents souvenirs. On voyait clairement que la prospérité était revenue et que la vie était devenue plus facile ici. Sentant mon ventre gargouiller, je rendais finalement visite à Karuto dans l'espoir qu'il reste encore quelque chose à manger malgré l'heure du déjeuner largement passée. Fort heureusement pour moi, je pus me servir abondamment et parti m'asseoir dans un coin tranquille de la pièce.
La salle était encore assez animée. Plusieurs groupes de personnes discutaient joyeusement autour de leurs assiettes vides, ce qui me fit me rendre compte d'un fait que j'avais essayé d'ignorer.
Je n'avais plus vraiment d'entourage, ici.
Certes, Chrome, Karenn ou même Jamon étaient toujours ici, mais quand je discutais avec eux, je sentais bien que bon nombre d'années étaient passées. Nos relations semblaient différentes. J'avais raté trop de choses et ce poids-là m'écrasait un peu plus à chaque fois que j'interagissais avec eux. Mais c'était le bras droit de L'Etincelante qui me blessait le plus. Je ne pensais pas retrouver un Nevra aussi distant et cela me brisait chaque fois un peu plus le cœur.
Egalement, j'avais honte de cette vérité, mais pour être tout à fait honnête avec moi-même, la seule personne avec laquelle je m'étais sentie moi-même ces derniers jours était celle que j'aurai dû mépriser le plus. Lance était jusqu'à présent le seul qui ne m'avait pas fait ressentir que j'étais étrangère.
Mais qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez moi...
Grignotant pensivement un morceau de pain, les pensées à des années lumière de ce qui m'entourai, je fût surprise de voir un jeune homme s'asseoir en face de moi. Un sourire jusqu'aux oreilles surplombé de grands yeux marron, son air jovial me mis à l'aise immédiatement.
- Salut !
Je l'observai, étonnée. Quelque chose chez lui m'intriguait, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus. Je lui répondis tout de même sur le même ton.
- On n'a pas encore été présentés toi et moi, mais ça fait longtemps que je rêve de te rencontrer ! Au fait, je m'appelle Mathieu.
- Et bien enchantée Mathieu, moi c'est Andraste.
Je lui offrais un sourire qui se voulait encourageant.
- T'es mignonne. Tu te présentes alors que tu es certainement la personne la plus connue ici, peut-être même autant que Huang Hua, c'est pour dire.
Je me renfrognais légèrement.
- Oh, vraiment ? Tu exagères un peu.
- Non non, vraiment ! Enfin, je voulais surtout te rencontrer pour pouvoir enfin parler avec une autre humaine, je me sens parfois un peu perdu ici.
Je le fixais plusieurs longues secondes sans rien prononcer. Il venait vraiment de dire « une autre humaine », ou j'avais rêvé ? Mon cerveau fit un tel tilt que je n'aurai pas été surprise qu'il se soit entendu.
- Attends, tu es humain ?!
Ok, j'avais peut-être prononcé cette phrase un peu trop fort. Et probablement avec un peu trop d'entrain.
Mon interlocuteur éclata d'un rire franc au vu de ma réaction.
- On ne peut plus humain !
- Mais comment es-tu arrivé ici ? Ça fait longtemps que tu es arrivé à Eldarya ? La Terre ne te manques pas ?
- Houla, une question à la fois s'il te plaît ! m'enquit-il d'un grand sourire. Ça fait environ un an que j'ai atterri sur Eldarya, probablement de la même manière que toi. Et si, certains aspects de notre monde me manquent un peu, mais pour être tout à fait franc, j'ai toujours rêvé de fantasy. Au début ça a été compliqué, mais je ne laisse pas grand chose derrière-moi. J'ai toujours pensé que je n'étais pas fait pour une vie si fade.
Plus il parlait et plus mon air ahuri s'élargissait. Mon dieu, c'était bien un humain !
- Tu n'imagines pas comme c'est incroyable pour moi de parler à un autre humain, je pensais que ça n'arriverait plus jamais !
Le rire et les blagues joviales de Mathieu eurent fini de me détendre entièrement. Sa présence me revigorait totalement et j'avais, pour la première fois depuis longtemps, l'impression d'avoir trouvé une oreille à qui parler.
Les jours passèrent finalement sans que mes journées ne soient rythmées par un but précis, ce qui commençait à me taper sérieusement sur le système. Et à ma plus grande surprise, Lance s'était si peu manifesté à la suite de son entrevue avec la jeune Phénix que je cru qu'il avait changé d'avis.
Jusqu'à ce qu'il ne débarque un beau matin dans ma chambre sans aucune invitation.
Une épée que je ne lui connaissais pas à la main, il l'a lança nonchalamment sur ma couette tout en ouvrant mes rideaux avec énergie. S'asseyant au bout de mon lit, il posa les bras sur ses genoux tout en me lançant un regard de défis, la mine légèrement enjouée.
- Allez, on a un entraînement qui nous attend aujourd'hui.
CHAPITRE 5 : DETESTE-MOI, JUSTE UN INSTANT
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Ok, vu tes techniques... passables, commença-t-il prudemment, on va commencer par voir quel est ton niveau actuel et on s'adaptera en fonction.
Je lançai le regard le plus noir que j'avais en stock à mon adversaire de la journée. Notre entraînement n'avait même pas encore commencé que j'en avais déjà plus que marre de l'entendre dire que j'étais une bonne à rien en matière de combat.
- Mais estime-toi heureuse, tu vas avoir le meilleur des professeurs, continua-t-il, visiblement amusé par la situation.
J'intensifiai ma mine exaspérée tout en croisant les bras sur ma poitrine. Il en faisait vraiment trop.
- Très bien, Ô grand Maître, et comment sommes-nous sensés nous y prendre ?
- Tu vois que tu peux y mettre du tien quand tu le veux !
- Lance, si tu continues je retourne me coucher.
Face à mon expression ennuyée mais tout de même légèrement, je dis bien légèrement, amusée, ce dernier redevint finalement sérieux avant de se pencher pour attraper deux armes.
- Ok, essai déjà de toucher un de mes flans avec cette épée.
Il me tendit une lame au bout émoussé qui ne devait plus rien trancher depuis bien longtemps.
- Quoi, c'est tout ? m'étonnais-je.
- Réussis à me toucher et on passera à l'étape suivante.
Sous son attention, j'attrapais prudemment l'objet qu'il me tendait avec patience. Le dragon se mit alors en position de garde et attendit que je le prenne d'assaut. Cette scène me rappelait ironiquement quelques jours en arrière, quand j'avais essayé de m'en prendre physiquement à lui. Enfin, n'oublions pas que je lui avais quand même collé mon poing dans la figure, cette fois-là.
Quel exploit satisfaisant.
Je respirai un grand coup avant de me ruer dans sa direction, ayant pour but de réussir ma mission et de fermer son clapet à Monsieur Je Suis Le Plus Fort. Le toucher juste une fois, ça ne devait pas être si compliqué que ça.
Mais à mon grand désarroi, la tâche se montra bien plus difficile que je ne l'avais cru. Le chef de l'Obsidienne parait en effet chacune de mes attaques avec agilité et, malgré toute ma bonne volonté, je m'essoufflai finalement plus qu'autre chose à frapper inlassablement dans le vide. Lance se mouvait en effet aisément, ce qui ne faisait qu'empirer mon état de fatigue. La sueur commençait à perler dans mon dos tandis que le poids de l'épée pesait de plus en plus sur mes poignets.
Enfin, comment pouvait-on se battre avec une chose aussi lourde dans les mains ?
Déstabilisée face à l'immense différence de niveau qui se creusait entre nous, je décidai de tenter le tout pour le tout en feintant un pas de côté pour mieux le prendre d'assaut par derrière. Un instant, je cru que j'avais brisé sa garde et qu'une faille s'ouvrait face à moi, mais à ma plus grande frustration, il neutralisa mon épée avec une facilité déconcertante et l'envoya voler loin de nos corps essoufflés. Bon sang, c'était donc tout ce que j'étais capable de donner ?!
Fatiguée et vexée de ma piètre prestation, j'allais laisser complètement tomber ce cours idiot quand sa voix rocailleuse et profonde emplit le faible espace entre nous.
- Tu te sens vraiment capable de te protéger toi et ceux qui t'entourent avec ce niveau-là ? Comment feras-tu si une autre personne emplie de la même colère que moi à l'époque, décide à nouveau d'attaquer Eldarya ? Ton don est unique, Andraste. Il est nécessaire, même. Tout comme je suis le dernier des dragons, tu es la dernière des Aengels avec Leiftan, il faut que tu te magnes et que tu prouves ce que tu as dans le ventre.
À l'entente de cette vérité sordide, ma respiration se coupa immédiatement, faisant naître des frissons d'appréhension le long de ma peau.
- Apparemment, des armes humaines ont été retrouvées près du QG, bien plus dangereuses que les nôtres. J'ai une immense dette envers toi et je serais prêt à tout pour la saluer, mais il faut que tu prennes conscience de ce qui se trame ici. Je te le répète, tu n'es plus en sécurité totale à l'heure actuelle et à l'instar des autres membres de la Garde, je ne compte pas te cacher la vérité.
Il venait bien de dire « des armes humaines » ou j'avais rêvé ?
- Mais qu'est-ce que tu attends de moi, enfin ?! m'écriais-je soudain. Moi aussi j'aimerais retrouver mes pouvoirs et mon envie de me battre, mais je n'y arrive pas ! Il se passe des choses bizarres dans mon corps et j'ai l'impression de ne pas réussir à avoir accès à l'intégralité de mes souvenirs. Tout est flou, comme si je me bloquais moi-même l'accès !
Semblant s'adresser plus à lui-même qu'à moi, il marmonna faiblement :
- Dans ce cas, le seul moyen c'est de faire renaître les sentiments que tu éprouvais quand tu en as fait usage.
- Qu'est-ce que...
Lance m'attrapa brusquement par la taille avant de venir plaquer le bout rond de son épée sur mon ventre. Chacune de mes respirations enfonçait un peu plus la lame dans ma peau tandis que son regard gelé ne me quittait pas d'une semelle.
- Souviens-toi de la façon dont je vous ai traités, toi et les autres. Souviens-toi de comment j'ai tué ton propre familier juste sous tes yeux, comment j'ai laissé Nevra en proie aux créatures de la mer, comment j'ai asséné le dernier coup à V...
Je ne le laissai pas terminer sa phrase. Comme un électrochoc, je senti quelque chose se séparer en moi. En un instant, je revivais tout. La bataille, le doute, la colère... le deuil. Tout me revint aussi fort qu'une claque. L'odeur du sang sur mes mains, les corps inanimés de mes amis, le sourire glauque de mon ennemi... celui de Lance !
Dans un murmure qui semblait lui coûter, j'entendais néanmoins dans les méandres de mes souvenirs, les mots que le dragon prononçaient juste à mon oreille :
- Déteste-moi, juste un instant.
Comme pour faire échos à ce qu'il me demandait, je repoussai celui qui hantait mes souvenirs de toute ma force, de toute ma haine. Mes membres tremblaient, ma bouche tressautait comme prise de spasmes. Je n'étais plus maîtresse de moi-même, je n'arrivais plus à respirer correctement. Sentant la pression du jeune homme s'accentuer contre mon corps, la colère me submergea à tel point que je senti une chaleur puissante se former au creux de mes paumes.
Comprenant immédiatement que quelque chose se passait, l'assassin de mes cauchemars stoppa avec lenteur la pression de sa lame contre mon ventre. Tournant son visage face à mes mains, il sembla soudain comme fasciné par la force qui nous entourait.
- Voilà, c'est exactement ça...
Sa voix caressante me galvanisait, faisant croître l'énergie que je sentais s'échapper de mes extrémités. Mais bientôt, un sentiment de panique s'empara de moi.
Je n'étais pas prête à revivre ces souvenirs-là.
Avec effroi, je tentai en vain de le repousser, laissant naître des larmes au coin de mes yeux.
- Lâche-moi, Lance !!
Avec prudence, il lâcha doucement mon corps et releva ses mains en guise de signe de paix.
- Andraste, calme toi. Je ne voulais pas te faire peur, je ne te veux aucun mal, me dit-il d'un ton doux qui se voulait rassurant, même si je sentais la pointe d'alerte qui marquait sa voix.
Dans ma tête, les flashs du passé se mélangeaient avec le présent dans une netteté affolante qui me terrorisai. Je ne savais plus où et quand je me trouvais en cet instant, j'étais perdue dans les méandres de mon esprit. Affolée, je fixai mon regard sur la seule chose identique entre mes souvenirs et l'instant présent.
Ce regard d'un bleu aussi froid que la glace.
Et le temps d'un instant, je me perdis dedans. M'accrochant férocement à la stabilité qu'il me procurait, je respirai à coup de grandes goulées d'air dans mes poumons malmenés. Peu à peu, l'angoisse abandonna mon esprit fatigué, me laissant sans aucune énergie.
Aussi faible que je ne l'étais.
Quand mes jambes se dérobèrent sous moi, Lance fut là pour me rattraper. Et quand la tristesse s'empara violemment de mon cœur, il fut également là pour soulager légèrement ma peine.
- Pardonne-moi, Andraste...
Ses mots m'imploraient presque.
*
À la suite du fiasco qu'avait été cet incident, je n'avais plus laissé le dragon pénétrer mon espace vital. Plus personne, à vrai dire.
J'avais ainsi passé des jours entiers enfermée dans ma chambre, à fuir toute présence. Le blocage qui jusqu'alors, avait tu mes souvenirs et mes émotions depuis mon réveil, s'était finalement levé, comme un bouchon que l'on retire, laissant malgré moi une foulée de sentiments s'emparer de mon être.
Je savais pertinemment pour quelle raison Lance était allé aussi loin, mais même malgré cela, je lui en voulais terriblement. Le flot de souvenirs qui s'était emparé de moi avait été trop violent, fatiguant encore plus mon corps déjà épuisé. Je ne pouvais pas en supporter autant, je n'étais tout simplement pas prête à ça. C'était pour cela que j'avais eu besoin de m'éloigner de lui, ne pouvant supporter plus encore ce qu'il faisait naître en moi.
Avec le temps, ma fatigue ne diminua pas, mais elle cessa néanmoins d'interférer dans mon humeur. Petit à petit, j'avais décidé de m'ouvrir à nouveau au monde extérieur et de me sociabiliser. Heureusement pour moi, Mathieu s'était montré être un allié de taille et discuter avec lui et les autres membres s'était montré être le meilleur des médicaments.
Plus tard, j'avais croisé Lance à plusieurs reprises. Je savais pertinemment que ce dernier souhaitait s'adresser à moi mais chaque fois, j'avais fini par l'esquiver savamment.
Laisse-moi du temps, s'il te plaît.
CHAPITRE 6 : TU N'AS PAS REPONDU A MA QUESTION
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Alors Andraste, discutons sérieusement.
Les yeux de Koori, la kitsune des terres enneigées que j'avais rencontrée il y a quelques temps aux côtés de Karenn, semblaient briller d'une lueur tout à coup malicieuse.
- C'était comment avec le bras droit de l'Etincelante ? me questionna-t-elle.
Fronçant les sourcils, je la regardais interloquée.
- Comment ça ?
Je n'étais clairement pas sûre de ce qu'elle insinuait. Enfin, j'avais tout de même ma petite idée.
- Et bien tu sais, au niveau... de ce qui fait visiblement sa réputation, m'expliqua-t-elle tout en mimant des gestes clairement obscènes.
- Oh Koori enfin, c'est de mon frère qu'on parle là ! s'insurgea immédiatement Karenn, la cadette dudit concerné.
- Et alors ? J'ai entendu dire que vous étiez sortis ensemble un moment avant que tu sauves le QG, tout ça tout ça.
Elle balaya ce dernier point d'un geste vague de la main.
C'est vrai tiens. Sept ans dans un cristal, ce n'est pas si important, au final.
- Et j'aimerais savoir : est-ce qu'il est vraiment aussi doué qu'on le dit ?
- Koori !
- Alleeeez, dit nous tout !
La kitsune mima une moue boudeuse tout en tapant des mains sur la table. Après un rapide regard envers son amie la jeune vampire, Koori se tourna à nouveau vers moi pour rectifier le tir.
- Enfin, dis-moi tout.
- C'était il y a sept ans, Koori, tentais-je en vain.
- Roh mais on s'en fiche de ça. Pour toi c'était il y a seulement quelques jours, non ? Tu dois forcément bien t'en souvenir !
Je arquais un sourcil.
- Oui je m'en souviens, mais je ne suis pas sûre qu'il apprécierait de savoir que je parle de ça.
- On s'en fiche de son avis, ce n'est qu'un vampire égocentrique de toute façon.
Face à nos regards sombres, elle ajouta :
- Enfin, sans vouloir vous offenser.
- Koori, tu ne veux pas lui lâcher la grappe, un peu ?
- Si il faisait plus d'efforts pour être agréable, aussi... Bon quoi qu'il en soit, tu n'as pas répondu à ma question Andraste. Est-ce que Nevra est un bon coup ?
Mes joues virèrent soudain au rouge écarlate devant les regards curieux qui ne me lâchaient pas. Même Karenn semblait curieuse de la réponse. Je lâchai un soupir de capitulation.
- Ok. Disons que... sa réputation le précède. Clairement.
- Aaaaah je suis déçue ! Moi qui espérais avoir quelque chose de croustillant contre lui !
La jeune vampire leva les yeux au ciel.
- Koori, il s'agit toujours de mon frère dont tu parles.
- Très bien, très bien. D'ailleurs, c'est vrai qu'il t'ignore totalement depuis ton réveil ? En sachant pertinemment que pour toi, vous étiez encore ensemble il y a peu...
Aïe, ça faisait mal.
- Écoutes, je n'ai pas vraiment envie d'en parler, là...
- C'est incroyable. Oui il est passé à autre chose, mais il pourrait faire un effort pour toi, quand même. Je ne sais pas, un semblant d'empathie, peut-être ?
- Pour le moment, j'essaie déjà de comprendre ce qui cloche dans mon corps. Je penserais à Nevra plus tard, j'ai d'autres priorités.
Quelle vilaine menteuse. A chaque fois que j'entendais parler de lui, mon petit cœur se serrait toujours un peu plus. Et les rares fois où je le croisais... je me sentais à chaque fois un peu plus seule. Subir le deuil d'une relation amoureuse aussi intense que celle que j'avais eu avec lui, ce n'était clairement pas de mon ressort actuellement. J'essayais tout simplement de ne pas y penser pour pouvoir supporter un peu mieux tout ce qui déferlait sur moi depuis plusieurs jours.
- Très bien, si tu ne veux pas en parler...
Un plateau apparu soudain juste à côté de moi.
- Salut les filles !
Le grand sourire de Mathieu apparu dans mon champs de vision.
- Je me suis dit que votre repas devait être bien triste sans moi, alors me voilà !
- Oh il ne manquait plus que ça, soupira la kitsune.
- Arrête de chercher à me faire croire que tu n'apprécies pas ma présence, je ne suis pas né de la dernière pluie.
Elle échangea un regard étrange avec Karenn, avant de rétorquer, toutes les deux visiblement d'accord :
- Vous avez vraiment des expressions étranges, les humains.
Mathieu et moi rigolâmes de bon cœur et la conversation s'allégea finalement. J'écoutais la joyeuse bande discuter d'une oreille distraite, perdue dans mes pensées depuis le questionnaire auquel j'avais eu droit un peu plus tôt. Nevra me manquait, c'était un fait.
Non, c'était plus que ça. J'avais l'impression de suffoquer sans sa présence. Le croiser était littéralement une torture pour moi, car je ne pouvais tout simplement pas cesser d'aimer quelqu'un du jour au lendemain. Il fallait que je discute avec lui, mais seulement quand nous serons chacun prêts à le faire.
Les yeux perdus sur mon assiette depuis plusieurs secondes, je les relevais pour tenter de revenir dans la conversation quand je tombais sur une chevelure argentée.
Venant de s'assoir seul à une table, Lance s'apprêtait à entamer son repas quand un groupe de jeunes recrues de l'Obsidienne vinrent à sa rencontre, l'air admiratif. Je discernais l'agacement qui marquait son visage malgré le sourire courtois qu'il affichait. Lance n'était pas tellement attaché à cette image de lui. Il fallait bien avouer que le chef de l'Obsidienne était vraiment populaire ici. La plupart des gens semblaient certes l'ignorer, voire même le craindre, mais il n'empêche qu'il attisait l'admiration même chez les plus réticents. Soit les gens le craignaient, soit ils le vénéraient. Il n'y avait pas vraiment de demi-mesure et je savais que tout cela le rendait mal-à-l'aise.
Tout simplement parce que Lance ne se pardonnera probablement jamais ses actes.
Ainsi à une époque, certainement avait-il adoré faire preuve d'admiration. Seulement maintenant, j'étais sûre qu'il détestait ça.
Essayer d'imaginer l'ancien Lance, celui qu'il avait été avant Ashkore, dessina un fin sourire sur mes lèvres. Comment était-il, à cette époque ? Probablement vaniteux et fier que le monde l'admire. C'était bien son style.
- Andraste, tu es toujours avec nous ?
La voix de Karenn me ramena immédiatement à la réalité.
- Euh oui, bien sûr !
Le menton posé sur une de ses mains, elle me regardait sournoisement.
- Pourquoi est-ce que tu souriais dans ton coin ?
Mince, prise la main dans le sac.
- Pour rien, je repensais juste à quelque chose, tentais-je vainement de me défendre.
La conversation repris et malgré-moi, je ne pu m'empêcher de continuer de jeter de temps en temps des coups d'œil en direction du dragon. Cela faisait un moment que je ne l'avais pas vu et même si c'était de ma propre initiative, je devais avouer que quelque chose au fond de moi souhaitait égoïstement qu'il me remarque à son tour. Comme s'il avait entendu le cheminement de mes pensées, Lance laissa soudainement couler son regard directement sur moi, plantant ses yeux glacés dans les miens. Une décharge électrique me parcouru tandis que nos regards restaient fermement plantés l'un dans l'autre.
Aucun de nous ne voulait lâcher le premier.
Plusieurs secondes passèrent jusqu'à ce que la voix de Mathieu ne m'interpelle, rompant ainsi le lien.
- Tu viens avec nous Andraste ?
Je le regardais un peu perdue. Mince, de quoi parlait-il ? Sentant ma confusion, il m'expliqua :
- Il y a une soirée qui est organisée pour le retour des troupes parties en exploration. C'est devenu une sorte de rituel, maintenant.
- Oh, c'est super qu'ils fassent ça !
- C'est Huang Hua qui a instauré ça. Elle pense que ça motive et rapproche les membres du QG.
- Et bien allons-y dans ce cas !
Nous nous levâmes tous de concert. Mon plateau à la main, je me dirigeais en direction de l'échelle afin de l'y déposer.
Je savais que Lance ne m'avait pas lâché une seule fois des yeux jusqu'à ce que je sorte de la grande pièce et cette pensée me... grisa ?
CHAPITRE 7 : JE VENAIS D'ENTRER DANS SON TERRITOIRE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
J'ai suivi la joyeuse bande jusqu'au cerisier en fleur, endroit où trônaient fièrement les deux statues représentant Leiftan et moi, les sauveurs du sacrifice blanc. À une époque, j'avais adoré cet endroit. Ça avait même été mon lieu préféré dans le QG. Mais aujourd'hui... à chaque fois que je passais devant ces silhouettes inanimées, un malaise s'emparait de moi. Nous voir ainsi représentés laissait peser une pression bien trop lourde sur mes épaules. Mais surtout, j'avais toujours cette sensation étrange que les gens me dévisageaient sans cesse.
Les autres n'avaient pas l'air de s'en rendre compte, ils discutaient bruyamment en se chamaillant, mais pour ma part, je ne pouvais m'empêcher de prêter attention à tout ce qui m'entourais. Ainsi, depuis la nouvelle de mon réveil du Cristal, j'avais surpris à de nombreuses reprises des regards fuyants dans ma direction, bien souvent accompagnés de conversations chuchotées un peu trop fort. J'étais totalement déroutée par ces comportements. Comment réagir face à l'admiration, et à la fois la crainte, que l'on fait naître dans le cœur des gens quand ils nous aperçoivent ?
À cet instant, j'eus malgré moi la désagréable impression de comprendre, ne serait-ce qu'infimement, ce que pouvait ressentir Lance.
Et à quel point la solitude devait parfois peser sur lui également.
Je secouais vivement la tête pour essayer de me sortir ces pensées-là de la tête. Il ne manquerait plus que j'en vienne à compatir pour les états d'âme de cet homme. De plus, l'ambiance était à la fête ce soir, il fallait vraiment que j'arrête de ruminer seule dans mon coin. Une bonne partie des habitants du QG étaient présents dans le jardin, il était apparemment devenu commune mesure ici que de célébrer le retour des troupes parties pour les missions de rang A ou B, c'est à dire les missions les plus longues et importantes, et tout le monde avait l'air de s'y prêter à cœur joie.
Les conversations se mêlaient partout autour de moi et je n'arrivais à me concentrer nettement sur une aucune d'entre elles, quand une tête brune apparue dans mon champs de vision. À la vue du sourire espiègle qui barrait le visage du jeune loup, je ne pus m'empêcher de me jeter dans ses bras.
- Chrome !
Ce dernier me serra avec entrain sans se départir de son sourire.
- Andraste, comment tu vas ? J'ai entendu dire que tu faisais déjà des prouesses à l'infirmerie, rigola-t-il tandis que je me détachais de lui.
- Que veux-tu, j'ai tout de même laissé Eweleïn tranquille pendant sept longues années, il fallait bien que je me rattrape un peu.
Chrome éclata d'un rire franc proche de l'aboiement, ce qui me fit sourire de plus belle.
- Depuis quand es-tu rentré de mission ? le questionnais-je.
- Environ une heure, ce qui a été largement suffisant pour que j'entende parler de toi.
- Oh c'est seulement mon nouveau quotidien de célébrité, ça.
Il rit à nouveau avant de passer une main dans son épaisse tignasse, l'expression soudain confuse.
- Et sinon, j'ai aussi entendu dire que tu avais croisé, enfin tu sais...
Il n'osait pas finir sa phrase, alors je le fis pour lui.
- Lance, oui.
- Et que Huang Hua...
- En a fait mon nouveau chaperon ? Oui aussi, le coupais-je, légèrement irritée au souvenir de mon entrevue avec cette dernière.
- Tu sais, sa décision n'est pas facile, surtout pour toi, mais si elle a jugé que c'était la meilleure chose à faire...
- Alors il faudra que je m'y fasse, je le sais.
Chrome sembla à la fois surpris et soulagé que je me résigne si facilement à suivre gentiment les ordres de la cheffe de la Garde.
- Mais tu sais très bien ce que j'en pense, continuais-je. D'accord, j'ai bien compris que ses fautes avaient été expiées et qu'il était un excellent combattant, mais je devrais tout de même avoir mon mot à dire quant à ma relation avec lui. Hors en l'occurrence, Huang Hua ne m'a pas laissé le choix et probablement à lui non plus. C'est ce point-là qui m'irrite le plus, mais je suis bien trop fatiguée actuellement pour me disputer avec elle. Alors soit.
Le loup me regardait avec de grand yeux ronds.
- Qu'est-ce que j'ai dis de si choquant ? le questionnais-je, le rouge aux joues.
- Tu acceptes sa décision sans te plaindre ni crier dans tout le QG que Lance est un traître et que Huang Hua a pété un plomb ? Tu devrais peut-être faire un autre tour à l'infirmerie, je ne te sens pas au meilleur de ta forme, me dit-il avec un air sérieux.
Je roulais des yeux devant sa moquerie tandis qu'il éclata à nouveau de rire.
- Je te taquine, ne le prends pas comme ça !
Il me tapa vigoureusement dans le dos afin de détendre l'atmosphère, ce qui me déplaça probablement une ou deux côtés face à tant de délicatesse. Malheureusement, il ne sembla pas se rendre compte que son geste était un poil trop vigoureux pour ma pauvre carcasse d'humaine.
- Enfin, j'espère que Lance et toi... reprit-il.
- Allons devenir les meilleurs amis du monde ? Ne t'attends pas à un mea culpa, je tolère sa présence, tout au plus.
Une moue moqueuse apparue lentement sur son visage. Je haussai un sourcil.
- Quoi ?
- Non, rien...
Il tentait de se retenir de sourire, je le savais. Je soupirai d'exaspération avant d'employer un ton qui se voulait menaçant.
- Chrome.
Il leva maladroitement les mains en signe de paix.
- D'accord, d'accord. Non, je me disais juste que vous êtes vraiment les mêmes, tous les deux.
Je marquais une longue pose pour essayer de comprendre de quoi il voulait parler. Sentant ma confusion, il continua prudemment.
- Lance et toi, vous vous ressemblez beaucoup, tenta-t-il de m'expliquer dans un haussement d'épaules. C'est juste que c'est vraiment flagrant, à des moments.
Pardon ?
Il était vraiment en train de me dire que Lance et moi nous ressemblions ? Et comment ça, « vraiment flagrant » ? Il se fichait de moi, là.
- Tu sais, ce n'est pas du tout péjoratif ! Je sais que toi et lui c'est compliqué, mais...
- Oui on peut dire que c'est plutôt compliqué, en effet.
- Mais pour l'avoir beaucoup côtoyé ces dernières années, je peux te garantir que c'est un compliment !
Un compliment ?
- Chrome, tu devrais t'arrêter là, lui dis-je en posant une main sur mon front.
- Je... oui, tu as raison, conclut-il finalement dans un rire gêné.
Soudain, deux bras entourèrent Chrome et Karenn déposa un baiser sur sa joue.
- Tu es là mon loulou ! Je te cherchais.
Se tournant dans ma direction, elle continua :
- Andraste, si je peux te l'emprunter.
Je lui offris un sourire poli tandis qu'elle commençait déjà à tirer Chrome par le bras.
- Pas de soucis, amusez-vous bien.
J'observai le couple s'éloigner et soupirai un bon coup. Je devais bien avouer que j'en avais plus que marre de voir que tout le monde estimait Lance. Mais d'un autre côté, je ne pouvais nier que moi-même j'avais, par de rares moments, apprécié sa présence. Enfin, autant que cela se pouvait en tout cas. Je me surpris alors à repenser à la dernière fois que nous avions échangés. Il était clair qu'il était allé beaucoup trop loin lors de notre entraînement, mais malgré cela, il avait tout de même réussi à me faire ressentir à nouveau un semblant de mes pouvoirs. Et cet exploit n'était arrivé qu'en sa présence.
Je pense qu'il était temps que j'arrête de le fuir.
Abandonnant les festivités, auxquelles je n'avais à vrai dire pas tellement participé, je partis à la recherche du dragon. Je me doutais que Lance ne devait pas être très friand de ce genre d'évènements et décidai donc de m'éclipser discrètement. Le fait de m'éloigner de la soirée me fit étonnement le plus grand bien, je crois que je ne supportais plus très bien le bruit et la foule. Qui sait, peut-être que passer plusieurs années à méditer dans un cristal pouvait créer une sorte d'agoraphobie. Quoi qu'il en soit, plus le calme de la nuit m'enveloppait et plus je me sentais aller mieux.
Je déambulai finalement dans les jardins du QG sans réelle idée de l'endroit où je devais me rendre. Où pouvait bien se trouver Lance, à l'heure actuelle ? Et que comptais-je lui dire, une fois qu'il serait devant moi ?
Malgré tout, je décidai de me diriger en direction du corridor des gardes. Traversant la grande salle des portes, je pénétrai dans le couloir qui menait aux chambres des membres de la Garde. La nuit baignait la pièce d'une lumière douce, mais malgré tout, je pouvais sentir mon cœur s'emballer à mesure que je m'approchai de la porte de sa chambre. Qu'allais-je lui dire, au juste ? Je n'en avais pas la moindre idée.
Ma main resta en l'air plusieurs longues secondes avant que je ne trouve le courage de frapper, mon cœur s'emballant définitivement. En revanche, aucun son de l'autre côté du battant ne m'atteignit en réponse. D'autres secondes coulèrent durant lesquelles je n'osais même plus respirer.
Peut-être n'était-il pas ici, je m'étais sûrement trompée...
Je baissais finalement le bras, soufflant bruyamment au passage, et commençais à me détourner quand je sentis la porte s'ouvrir tout près de moi.
- Andraste ?
Je me tournais au son de sa voix, celle-ci d'ailleurs légèrement essoufflée. Cela faisait plusieurs jours que je ne l'avais pas entendue et étonnement, elle me sembla encore plus grave que d'habitude. Lance planta alors son regard glacé dans le mien, l'air d'attendre que je lui réponde quelque chose, mais je restais un instant bloquée sur les goûtes de sueur qui maculaient son torse.
Oh.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? me questionna-t-il tout haussant les sourcils. Tu as besoin de quelque chose ?
Reprends contenance, Andraste. Immédiatement.
- Je... non, pas vraiment. Je voulais juste te parler, en fait, réussis-je enfin à articuler. Enfin rien de bien particulier et si je te dérange, on pourra faire ça une autre fois.
- Pourquoi est-ce que tu me dérangerait ? me répondît-il sans une once d'ironie.
Sa question me prise de court mais il ne sembla pas s'en formaliser. Voyant que je ne trouvais rien à répondre, il se décala sur le côté et m'invita à entrer, une lueur de défi dans les prunelles. J'hésitai un instant. Était-ce réellement une bonne idée ?
Lentement, je pénétrai finalement dans l'antre du dragon. Je le senti refermer la porte dans mon dos et un frisson glacé me parcourue tandis qu'une pensée m'effleurait.
Je venais d'entrer dans son territoire.
Délibérément.
CHAPITRE 8 : TES POUVOIRS SON TOUJOURS BEL ET BIEN LA
Spoiler (Cliquez pour afficher)
La porte claqua et je sentis le grand corps de Lance passer près de moi, frôlant mon bras au passage avec nonchalance. Mon ventre se contracta d'appréhension.
Je venais très probablement de l'interrompre durant une séance de sport car, sans jamais complètement me tourner le dos, il attrapa une serviette et essuya rapidement son abdomen avant d'enfiler une partie de son armure, recouvrant ainsi entièrement sa nuque et son torse.
- Tu as peur que j'essai à nouveau de t'attaquer par derrière ? ironisais-je de le voir se couvrir ainsi, notamment la nuque.
Le dragon afficha un sourire de suffisance face à ma remarque. Il me regarda à la dérobée tandis qu'il finissait de se couvrir.
- Tu sais très bien que c'est toi qui gagnerait le plus à te protéger en ma présence plutôt que l'inverse, me répondît-il le plus naturellement du monde. Si je l'avais voulu, j'aurai pu te tuer sur la place du marché sans que personne ne voit rien.
Bien.
- C'est juste que je ne retire jamais entièrement mon armure en présence d'une autre personne, simple question d'habitude, m'expliqua-t-il alors.
Une moue ironique aux lèvres, il ajouta :
- Et en effet, j'ai cru comprendre que tu étais plutôt imprévisible, comme fille. Je préfère éviter les risques d'attaques dans le dos.
- Au moins, je marque les esprits, continuais-je dans la même lancée. Dois-je également craindre pour ma survie en laissant la porte close ?
Ma question se voulait amusée, mais son regard indéchiffrable me mis tout de même un léger doute.
- À toi de voir si tu décides de me faire confiance ou non, je pourrais tout à fait te mentir en te disant que tu ne crains rien ici.
Il était où, le petit sourire sensé accompagner ce genre de réflexion ?
- Mais tu es venue de toi-même, donc j'en déduis que tu sais ce que tu fais, conclu-t-il finalement.
S'il savait à quel point je n'en avais pas la moindre idée...
Je détournais le regard pour observer la pièce autour de moi (et potentiellement analyser discrètement mes chances de m'enfuir d'ici en cas d'histoire de vie ou de mort), n'ayant jamais eu l'occasion de voir dans quel type d'endroit Lance pouvait bien vivre. Un autre détail finit ainsi par m'intriguer. La pièce était vraiment... sobre. Hormis un lit, toutes sortes d'armes et armures ainsi que quelques livres, la chambre ne montrait aucun signe particulier de singularité. Ayant probablement remarqué que j'inspectais son antre du regard, Lance m'expliqua d'un haussement d'épaules :
- Je n'aime pas particulièrement perdre mon temps à m'installer quelque part, j'ai assez peu d'effets personnels.
Bien plus que sa sobriété, je fus également surprise de me rendre compte que la pièce était parfaitement rangée. Étant arrivée à l'improviste, il aurait été normal de trouver ne serait-ce que deux ou trois affaires qui n'étaient pas à leur place, mais rien ne semblait traîner malgré mes recherches.
- Pourquoi est-ce que tu n'aimes pas t'installer ? lui demandais-je, sincèrement curieuse de connaître sa façon de voir les choses.
Ma question sembla le prendre de court à son tour, car il eu l'air de chercher ses mots durant un instant.
- Je pense juste que je n'ai jamais vraiment eu de chez moi.
Je me tournai pour l'observer. L'air pensif, il ne semblait pas m'avoir remarquée.
- J'ai toujours pas mal migré, et même si ce n'est pas la première fois que je m'installe quelque part pour un temps prolongé comme ici, je préfère ne pas trop m'attacher à un lieu et être libre de le quitter quand je le souhaite. De plus en tant que guerrier, il faut savoir être prêt à toute éventualité et ne pas trop s'attacher à des choses aussi futiles.
Je méditais ses paroles tandis que le silence retombait entre nous. Lance avait vraiment le don de tout tourner au dramatique.
Ou au grandiloquent.
- Mais tout bon guerrier se doit bien d'avoir un chez soi qui l'attend quelque part, non ?
- Quand on en a un, probablement oui. Mais ce qui me rattache à cet endroit n'en fait pas partie.
Je repensais alors à ce qu'on m'avait raconté concernant le retour de Lance dans la garde. Son besoin de se racheter, c'était probablement la seule chose qui le retenait ici. Les souvenirs que contenait cet endroit devaient probablement être plus douloureux qu'autre chose pour lui. Il avait subi un véritable choc émotionnel, même s'il l'avait totalement cherché.
- Je pense que je comprends ce que tu veux dire, commençai-je prudemment. Moi non plus, je n'ai plus vraiment de chez moi, à la différence que j'en ai déjà eu un. Quand je suis arrivée sur Eldarya, j'ai perdu tout le reste. Tout ce qui faisait que la Terre était chez moi.
Les souvenirs de mon arrivée ici affluèrent dans ma tête, notamment celui de la potion que Miiko m'avait forcée à boire peu de temps après. Ce n'était clairement pas glorieux, mais au moins cela m'avait-il permis d'accepter un peu moins difficilement ce nouveau départ forcé.
- J'ai finalement réussi à recréer un semblant de chez moi ici, mais ensuite...
Voyant que je ne continuais pas ma phrase, le dragon la déduisit à ma place.
- Je t'ai poussée à te sacrifier et à tout perdre une nouvelle fois.
Ses mots étaient durs, cassants, pourtant il ne laissa aucune émotion trahir son visage. Il pinça les lèvres comme pour s'empêcher d'ajouter quelque chose.
J'étais déstabilisée.
- Oui, soufflais-je si bas que je doutais qu'il m'ait entendue.
- Écoute, je ne compte pas m'excuser une nouvelle fois. Si c'est pour ça que tu es ici, tu peux partir, rien ne te retient et certainement pas moi.
Ses mâchoires se contractaient à mesure qu'il parlait, ce qui m'irrita à mon tour.
- Je ne suis pas là ce soir pour te faire des reproches ou chercher à ce que tu t'excuses, alors ce n'est pas la peine de me faire ce genre de menaces. Et je suis une grande fille, sache que si j'ai envie de partir je n'ai pas besoin de ton approbation.
- Nous sommes au moins d'accord sur ce point.
C'était à mon tour de grincer des dents. Bon sang, pourquoi se montrait-il si désagréable encore une fois ?
- Je suis ravie de voir que tu as toujours ton sale caractère en tout cas, lui lançais-je amère.
Il eut un rire tranchant qui me hérissa le poil.
- Les gens ne changent pas foncièrement, Andraste. Ils évoluent chacun à leur manière, mais leur nature reste la même. N'oublie pas que vivre dans la rédemption ne change pas qui je suis.
- Donc tu es en train de me dire que toutes les belles paroles que j'entends sur toi depuis des semaines sont fausses ?
- Ce n'est pas ce que je dis et je ne sais pas ce qu'on t'as rapporté à mon sujet. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas envie de le savoir, même si j'ai bien ma petite idée là-dessus.
- Oh mais ça je n'en doute pas, non. Il faut croire que tu t'es bien débrouillé pour te mettre tout le monde dans la poche.
Je pouvais voir ses mâchoires se contracter avec vivacité sous sa peau hâlée.
- Ce n'est pas ce que tu crois, Andraste.
- Je pensais que tu n'avais rien à faire de ce que je croyais ?
- Ne déforme pas mes propos.
- Ah donc tu en as quelque chose à faire ?
- Ce n'est pas non plus ce que j'ai dis, arrête de jouer à ça.
Je me plaquais les doigts sur les yeux, tentant de calmer la colère qui montait en moi. Il œuvrait peut-être désormais pour le bien d'Eldarya, mais à part ça, il n'avait définitivement pas changé. Lance était peut-être plus calme et réfléchis qu'avant, mais il n'empêche qu'il n'en restait pas moins le même dans une certaine mesure. Tout cela me rappelait bien trop Ashkore.
- Écoute, je ne sais même pas pour quelle raison j'ai décidé de venir te voir ici, mais ce qui est sûr, c'est que c'était une erreur. Nous ne sommes définitivement pas faits pour nous entendre, toi et moi.
Énervée et frustrée, je me dirigeai vers la porte afin de quitter cet endroit étouffant, quand sa main se saisie de mon avant-bras et stoppa mon geste.
- Andraste, calme-toi.
Je ne répondis rien. J'attendais seulement qu'il se décide à me lâcher, lui tournant toujours le dos.
- Tu ne m'as toujours pas dis pourquoi tu es venue ici, continua-t-il.
- Je te l'ai déjà dis, je n'avais pas de raison particulière, alors laisse-moi y aller s'il te plaît. Je croyais que tu ne me retiendrai pas.
- Je ne te retiendrai plus quand tu m'auras expliqué.
Son ton était sec, mais il tira néanmoins avec une certaine douceur sur mon bras pour me pousser à lui faire face. Ayant les manches relevées, c'était la première fois que nos deux peaux nues se touchaient, le dragon portant habituellement toujours des gants, et ce contact semblait comme piquer ma peau. Sentant une sensation étrange naître en moi, je lui déballais finalement tout, tentant de retenir mes larmes de frustration au passage.
- Je me sens perdue, Lance. J'ai l'impression de devoir tout recommencer une nouvelle fois, sauf que cette fois-ci, un gouffre semble me séparer de ceux que je connaissais déjà. Je suis fatiguée, mon corps n'arrive plus à suivre. Et je me sens...
Je regardai un instant sa main qui retenait toujours fermement mon avant-bras, la pâleur de ma peau contrastant franchement avec le teint hâlé de la sienne, avant de relever les yeux vers lui.
- Incomplète, conclu-je enfin. J'ai l'impression que mon corps a besoin de retrouver ses pouvoirs, mais je n'y arrive pas.
Lance m'observa longuement avant de baisser à son tour les yeux.
- Regarde.
Je suivi son mouvement pour découvrir une lumière douce qui s'échappait de ma paume maintenue entre nous. J'en restais bouche bée.
- Comment...
Ma voix se tue. Pourquoi mes pouvoirs se réveillaient-ils en cet instant précis ? Depuis ce fameux entraînement avec lui, j'avais à plusieurs reprises essayé de les utiliser à nouveau, mais chacune de mes tentatives s'était résolument montrée veine.
Les doigts de Lance devinrent de plus en plus froids et bientôt, de légères striures de glaces apparurent sur ma peau et descendirent jusqu'à la source de chaleur au creux de ma main. Quand les deux éléments se rencontrèrent, je sentie une force inouïe se propager en moi et d'un même élan, la lumière qui s'échappait de mon extrémité éclata subitement d'une couleur bleutée. Ma main et mon bras se retrouvèrent presque entièrement recouverts par la glace mais pourtant, je ne ressentais qu'un léger froid me parcourir.
Il desserra la pression sur mon bras avant de laisser glisser ses doigts jusqu'à me lâcher enfin. Quand le contact entre nos peaux se brisa, ma lumière vacilla un instant avant de disparaître. Plus aucun signe de magie ne marquait mon membre engourdi.
- Tes pouvoirs sont toujours bel et bien là, Andraste.
Il marqua une pause avant d'ajouter :
- Et visiblement, ils ont l'air de réagir aux miens.
Je ne comprenais pas exactement où il voulait en venir.
- De réagir aux tiens, qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Le dragon m'avait lâchée mais il n'avait néanmoins pas reculé. Sa large carrure me bloquait toute la vue, je ne voyais que lui.
- Je ne sais pas exactement, je n'avais jamais eu ce genre de réaction auparavant. Mais les aengels et dragons ont un passé commun plutôt compliqué, cela expliquerait certains événements comme celui-ci.
Je repensais au combat que Leiftan et moi avions eu face à lui il y a sept ans. Nos pouvoirs avaient comme fusionnés ce jour-là. Je croyais que cela n'était arrivé qu'uniquement car nous étions tous deux des aengels, mais est-ce que cela était possible entre des êtres d'origines différentes ?
- Tu as déjà entendu parler de personnes qui fusionnent leurs pouvoirs ? m'enquis-je, nerveuse à l'idée de sa réponse qui n'allait certainement pas me plaire.
Son regard restait impénétrable.
- Hormis Leiftan et toi, non, pas que je sache. Mais nos races étant éteintes, nous n'en savons que très peu sur ce genre de faits.
Un souvenir me revint alors.
- Et Fáfnir, il pourrait nous en dire plus !
Lance ne bougea pas mais je le senti imperceptiblement se tendre, ce qui fit monter l'angoisse en moi. Je posais la question qui me taraudais avec prudence.
- Quelque chose ne va pas avec Fáfnir ?
Il sembla un instant hésiter à me répondre, mais prit finalement la parole, le ton lourd.
- Andraste... il souffla de contrition et je cru apercevoir quelques étincelles de glace s'échapper de ses lèvres. Mémoria a disparue, reprit-il, et l'œil du dragon aussi.
Je restai muette de stupéfaction. Il me laissa quelques secondes pour digérer l'information avant de continuer prudemment.
- Nous ne savons pas où se trouvent les âmes des dragons à l'heure actuelle. Peu de temps avant ton réveil, il s'est passé pas mal d'événements inexpliqués comme celui-ci. Fáfnir est... introuvable, disons.
Pour la première fois, le regard de l'homme en face de moi sembla légèrement vaciller. Le dragon ne laissait jamais rien paraître mais pourtant, je savais que cela le perturbait plus qu'il ne le laissait croire.
- Lance...
- Ce n'est pas important, me coupa-t-il froidement. Nous finirons forcément par les retrouver mais pour le moment, nous ne pouvons pas compter sur le savoir de Fáfnir. En revanche, j'aimerai savoir une chose.
Je le regardais, interrogatrice.
- Comment cela se fait-il que ma glace ne t'ai rien fait ? Tu n'as pas parue ressentir le froid.
Je restais prise de court. Certes, Lance était le seul à être réellement au courant de ce qui arrivait à mon corps en ayant vu la cicatrisation miraculeuse de ma blessure, et ma perte de sang inexpliquée, mais je ne lui avais pas fait part de tous les détails que j'avais bien compté garder pour moi.
- C'est probablement à cause de cette histoire de fusion des pouvoirs, rien de plus, arguais-je dans un haussement d'épaules qui se voulait nonchalant. On ne sait encore rien de ce phénomène après tout.
Sans surprise, le jeune homme ne parut pas entièrement convaincu par ma réponse. Il était décidément un adversaire redoutable et ce, même dans d'autres domaines que le combat. C'était bien ma veine.
Prudemment, il s'approcha un peu plus de moi, le regard planté droit dans le mien.
- Alors, tu sais si tu me fais confiance ?
Se rapprochant encore un peu, il leva les mains et les dirigea lentement vers mon cou, me laissant probablement le temps de décider si je le laissais faire ou non.
- Laisse-moi essayer quelque chose, me dit-il tout bas.
Bercée par le ton calme de sa voix, je laissai ses mains atteindre la peau fine qui recouvrait mon cou. M'entourant entièrement la nuque de ses longs doigts fins, il me touchait à peine, comme s'il redoutait que je le repousse. Je plongeai mon regard plein de questions dans le sien, celui-ci totalement concentré sur sa tâche, quand la sensation de picotement que j'avais eu un peu plus tôt à son contact recommença, cette fois-ci là où ses mains me recouvraient en coupe.
Son visage concentré était désormais penché si près du mien que je n'eu qu'à chuchoter pour qu'il entende ma question.
- Qu'est-ce que tu fais ?
Je sentis soudain les mêmes striures de glace me parcourir la peau. Remontant jusqu'au bas de mon visage, elles marquaient ma peau d'un léger chatouillement. Je ne ressenti malgré tout qu'une vague sensation de froid.
Lance eut un faible sourire.
- Souffle, m'intimât-il d'une voix profonde.
Sans vraiment savoir pourquoi il me demandait de faire ça, je soufflai tout de même faiblement dans le petit espace entre nous. C'est alors qu'avec stupéfaction, j'observai de légers cristaux de glace s'échapper de ma bouche, jusqu'à peu à peu se transformer en une sorte de flamme bleutée. J'écarquillai les yeux face à ce phénomène, c'était son feu de dragon !
Son sourire s'agrandit alors.
- Un vrai petit dragon de glace.
Une expression légère flottait sur son visage tandis qu'il retirait avec douceur ses mains de mon cou, faisant ainsi disparaître les dernières traces de glaces qui me recouvraient. Avec lenteur, il s'éloigna également de moi, remettant une distance de convenance entre nous.
J'étais obnubilée par la sensation de féroce puissance qui m'avait envahie un court instant. C'était donc ça, la force des dragons ? Ce sentiment d'invincibilité si primitif. Je comprenais mieux pourquoi est-ce qu'ils se montraient si redoutables, alors que je n'avais pourtant gouté qu'à une infime partie de ses pouvoirs.
- Comment est-ce que tu as fait ça ? C'était incroyable !
Ce dernier m'observa, la mine soudain légèrement grave.
- Pour tout te dire, je ne pensais pas que ça marcherait. C'est la première fois que j'essai de transmettre une partie de mon pouvoir à quelqu'un d'autre, je ne savais même pas que c'était possible.
Nous nous observâmes tous les deux silencieusement dans le calme de la pièce, prenant chacun conscience de l'étendue de la communion de nos pouvoirs respectifs.
Et c'en était... presque effrayant, pour être honnête.
La voix du dragon brisa finalement notre silence.
- Andraste, je te conseillerai de ne parler de ce phénomène à personne pour le moment, je ne sais pas encore ce que ça pourrait impliquer.
J'acquiesçais sans sourciller, j'étais entièrement d'accord avec cette idée. En revanche...
Je fixai ses yeux bleus d'un regard déterminé.
- Lance, j'aimerai que tu m'aides à retrouver mes pouvoirs.
Je marquai une pause, hésitant sur la suite de mes propos.
- Mais peut-être... à l'abri des regards, comme ici.
Il haussa un sourcil d'incrédulité, un fin sourire aux lèvres.
- La petite humaine veut faire des rendez-vous clandestins dans ma chambre ?
CHAPITRE 9 : J'AI TOUJOURS ETE HABITUE A NE MONTRER QU MA FORME HUMAINE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Mes pas résonnaient dans le couloir silencieux du corridor des gardes. Je venais de quitter la chambre de Lance et c'était le cœur bien plus léger qu'en y entrant que je m'en éloignai. La rumeur lointaine des conversations joyeuses s'était finalement tue, me laissant me demander combien de temps j'avais pu passer auprès du dragon.
Finalement, je ne regrettai pas ma visite improvisée. Même si notre entente restait fragile et que nos points de convergence continuaient de noircir le tableau, il n'empêche que sa présence s'était montrée, à bien des égards, plus bénéfique que néfaste. Ainsi, à ma grande surprise, je n'aurai jamais cru qu'un jour j'en viendrai à quémander sa patience pour soulager mes maux.
À la différence de la dernière fois, c'était avec un sentiment d'euphorie que je pouvais sentir la magie continuer de circuler en moi. Pas aussi vigoureusement qu'à l'époque où j'avais éveillé mes pouvoirs, mais incontestablement, sa puissance s'était doucement remise à palpiter dans mes veines. Quand je remuais les doigts, je pouvais encore sentir des bribes de chaleur parcourir mes muscles. Et le plus étrange dans tout ça, c'était qu'au lieu de m'épuiser, ces entrains de pouvoirs semblaient me revigorer.
Pour la première fois depuis des semaines, je me sentais bien.
Relevant la tête, je m'aperçus qu'une petite silhouette déambulait juste devant moi. Dans la pénombre du corridor, je plissai les yeux pour essayer de la distinguer plus nettement. Quand celle-ci passa devant une des fenêtres, la lumière de la lune me laissa apercevoir le visage d'une petite fille aux longs cheveux clairs. N'ayant pas l'air de remarquer ma présence, elle continua d'errer jusqu'à atteindre l'entrée de la salle du Cristal, juste à côté de moi. Quand la fillette atteint enfin ma hauteur, je fus surprise de me sentir gagnée par un sentiment familier.
Connaissais-je cette enfant ?
La jeune fille pénétra finalement dans la salle sans un regard dans ma direction. Intriguée et attirée par son aura, je décidai de lui emboîter le pas.
J'entrai à mon tour prudemment et presque immédiatement, une impression de sérénité s'était emparée de mon cœur quand mon regard s'était posé sur l'immense Cristal trônant religieusement au centre de la grande pièce. Sur le pas de la porte, je restai un instant interdite.
Curieusement, je n'étais pas revenue ici depuis mon réveil. À vrai dire, j'avais même évité cette pièce dans laquelle j'avais passé une bien trop grande partie de ma vie.
Je ne savais en revanche pour quelle raison.
Baignant d'une lumière douce, le Cristal me paraissait si imposant que je ne pus détourner mon regard durant plusieurs secondes. Sans m'en rendre compte, mes pas me menèrent lentement jusqu'à lui, la main timidement tendue devant moi. Quand mes doigts s'approchèrent de la surface lisse de sa barrière, je senti l'énergie chaleureuse de mes pouvoirs se déchaîner le long de mon bras jusqu'au creux de ma paume. Des sortes de fourmillements me recouvraient presque toute entière et c'est le souffle court que je senti l'un de mes doigts traverser la protection qui entourait les cristaux luminescents.
- Andraste ?
Je sursautai de plus belle à l'entente de la voix qui résonna dans mon dos. Comme prise sur le fait, je retirai vivement ma main et me tournai vers mon interlocuteur.
Ce sont ses longs cheveux blonds que je remarquai en premier.
- Leiftan, que fais-tu ici ?
Comment avais-je fait pour ne pas me rendre compte de sa présence ? Depuis la grande bataille, l'aengel et moi étions comme connectés. À chaque fois qu'il se tenait près de moi, j'arrivais à ressentir ses émotions comme si elles étaient les miennes, et probablement l'inverse était-il le cas.
- Je te retourne la question, me dit-il, le visage marqué par une certaine curiosité. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil. Quand je suis sorti de ma chambre, je t'ai aperçue sortir de l'une d'entre elles et te diriger ici.
Il marqua un silence plein de sous-entendus avant d'ajouter, le ton nettement plus froid :
- De celle de Lance, me semble-t-il.
Je me tendis à l'entente de sa dernière phrase. Une colère sourde s'empara durant un court instant de mon cœur et je mis quelques secondes à me rendre compte qu'il ne s'agissait pas de la mienne.
- Oui, j'avais seulement besoin de mettre certaines choses au clair avec lui.
- À cette heure de la nuit ?
J'avais l'impression de subir l'interrogatoire d'un amant jaloux, hors cela ne le concernait pas.
- Je n'ai pas d'autres explications à te donner, Leiftan.
Ce dernier ne répondît rien et se contenta seulement de sonder mon visage.
Je l'avais très peu croisé ces derniers temps. L'aengel semblait s'évertuer à fuir toute présence et à se garder éloigner de toute responsabilité. J'avais déjà essayé de lui demander de m'entraîner, notamment au sujet de mes pouvoirs car jusqu'à présent, il avait été le seul à pouvoir m'aider, mais il avait à chaque fois décliné mes demandes.
- Soit. Mais je réitère, que fais-tu ici en pleine nuit ?
Sa colère s'était calmée, je ne ressentais plus qu'un grand calme accompagné d'une pointe de curiosité. Mais sa question me ramena à la réalité.
Où était passée la petite fille ?
Je me rendis compte que je ne l'avais pas revue depuis que j'étais entrée dans la salle.
- J'ai aperçue une enfant entrer ici, dis-je, hésitant à continuer. Elle dégageait quelque chose d'étrange.
- Peux-tu m'expliquer ?
J'étais un peu confuse sur la façon d'exprimer les choses. Comment lui dire que son aura m'avait attirée ?
- Elle m'a fait penser à... l'Oracle, finis-je enfin par lâcher.
Ses yeux s'agrandirent légèrement devant ce que j'avançais, mais il reprit rapidement contenance.
- Je crois savoir de qui tu veux parler.
- Vraiment ? m'exclamais-je, à mon tour surprise.
- Oui, Huang Hua m'a rapporté la présence d'une enfant dans le QG dont personne ne sait rien. Elle ne parle pas, mais certaines personnes ont émit l'hypothèse d'un lien entre elle et l'Oracle.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Cette petite aurait un rapport avec l'Oracle ?
- Je ne l'aie pour ma part jamais croisée, je ne peux rien te dire de plus.
- Tu sais depuis combien de temps elle est au QG ?
Il savait très bien où je voulais en venir.
- Il me semble qu'elle a été remarquée pour la première fois peu de temps avant notre retour, m'annonça-t-il, le visage grave.
Leiftan et moi méditions ses paroles. Notre réveil n'était clairement pas anodin, quelque chose d'étrange se manifestait sur Eldarya et je n'étais pas sûre d'avoir envie de le découvrir.
- Je vais te laisser, il se fait tard et je pense que tu ferais peut-être mieux d'en faire de même.
Il se dirigea en direction de la porte du corridor et ajouta tout bas :
- Bonne nuit, Andraste.
Me lançant un dernier regard empli d'une infinie tristesse, il sorti finalement de la salle.
- Bonne nuit, Leiftan, lui répondis-je faiblement.
*
Deux jours passèrent à la suite de ces deux entrevues inattendues et la garde me chargea enfin de quelques missions simples qui occupèrent mes journées. Ma visite dans la chambre du dragon s'était réellement montrée fructueuse, car depuis notre découverte sur la possible communion de nos pouvoirs, j'avais l'impression que les miens ne m'avaient plus vraiment quittée. J'avais ainsi découvert que j'étais à nouveau capable de faire jaillir une faible lumière de mes mains et ce, même en l'absence de Lance, ce qui me donnait des regains d'énergie incroyables. Je commençais enfin à ne plus me fatiguer au moindre effort, même si je continuais de percevoir des anomalies dans mon état physique, ce qui n'empêcha pas mon humeur de s'en retrouver nettement améliorée.
Ayant rejoint la garde Obsidienne, j'avais donc commencé à effectuer les quelques requêtes qu'il m'était capable de faire tant qu'il n'y avait pas de mission spécifique à effectuer. Je traversai la forge quand j'entendis une voix que je reconnue immédiatement.
Mon cœur s'emballât bien contre mon gré.
- On va avoir besoin de suffisamment de matériaux pour consolider ces armes. Il va également falloir former les nouvelles recrues et voir leur niveau au combat. Je n'ai pas le temps pour former tout le monde, mais je te fais confiance pour me faire ton retour.
Sans me faire remarquer, je me dirigeai vers une étagère et y déposait ce que je venais d'acheter au marché. Essayant de me concentrer sur ma tâche, je ne pu m'empêcher de tendre l'oreille.
- Pas de soucis chef, vous savez que vous pouvez compter sur moi. J'ai déjà quelques rapports à vous faire parvenir.
- Très bien. Merci Falco, c'est de l'excellent travail.
Le jeune homme répondant au nom de Falco posa un poing solennel sur son cœur et effectua une légère révérence avant de sortir de la forge. Je restais bouche-bée. C'était la première fois que je voyais Lance en tant que chef de garde et je devais bien avouer qu'il semblait fait pour ça. Son ton naturellement autoritaire inspirait le respect, et je fus troublée de constater de la confiance et de l'admiration que ses subordonnés semblaient lui porter.
Faisant mine de ne pas l'avoir remarqué, je m'affairai à ma tâche et recensai les effets que je venais d'acheter avant de les ranger dans chaque compartiments. Après cela, j'amassai les affaires dont j'avais besoin pour pouvoir terminer mes missions du jour et sortir d'ici. Mais à mon grand damn, un des éléments de la liste se trouvait tout en haut d'une des étagères. Soufflant d'agacement, je tendis le bras le plus loin possible mais ne réussi qu'à toucher l'extrémité de l'objet. Je m'apprêtai à abandonner l'idée quand un bras apparu dans mon champs de vision et attrapa sans aucun effort la maille dont j'avais besoin. Se tenant derrière-moi, je n'avais malgré tout pas besoin de le voir pour savoir de qui il s'agissait.
La main hâlée du chef de l'Obsidienne me tendit l'objet patiemment.
Tournant la tête, je tombai sur un regard bleuté plongé dans le mien. J'attrapai l'objet en évitant minutieusement tout contact.
- Merci, mais ce n'était pas la peine, j'allais réussir à l'attraper.
Un sourire carnassier étira ses traits.
- J'avais pourtant plutôt cru comprendre l'inverse, mais au temps pour moi.
- Ça doit être à cause de ton âme chevaleresque, tu ne peut pas t'empêcher de secourir une jeune fille en détresse.
Lance eut un rire profond qui résonna tout près de mon oreille. Il fit alors mine de chercher un parchemin devant moi et très vite, je me retrouvais coincée dans l'espace de ses bras. Le reste de ses paroles résonnèrent encore plus près.
- C'est vrai, mais je crois que c'est seulement en ta présence, ça.
Il ne me regardait pas en disant ces mots, concentré sur un point droit devant lui. Je restai figée sur place, j'avais bien trop conscience de sa proximité tout autour de moi pour oser un mouvement.
- Et donc, tu t'es senti obligé de me venir en aide ? C'est marrant, je t'ai plutôt connu enclin à me desservir plus qu'autre chose.
Je sentis le dragon sourire dans mon dos.
- Tu n'as pas tord. Mais ne t'as t'ont pas déjà dit que j'avais changé ?
- Si. Et bien trop de fois à mon goût, si tu veux tout savoir.
Son rire résonna une nouvelle fois entre nous et je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour. Il finit par trouver le parchemin qu'il cherchait et retira enfin ses bras, me permettant de reprendre enfin une respiration normale.
- Tu es libre ce soir ? me demanda-t-il comme si de rien n'était.
Pour toute réponse, je lui lançai un regard interloqué qui l'amusa une nouvelle fois. Il était décidément de bonne humeur aujourd'hui.
- Il me semble que tu m'as demandé de l'aide pour une certaine chose et que je te propose de faire ça ce soir.
La boule au ventre, je me retrouvai une nouvelle fois à frapper à la porte de la chambre de Lance à une heure tardive, préférant éviter les moments d'affluences dans le corridor afin de ne pas être surprise. Cette fois-ci, le dragon m'ouvrît bien plus rapidement et de surcroît, il avait pris le soin de garder une partie de son armure tout en étant tout de même plus à l'aise. Sans un mot, il me laissa entrer comme si ce geste était déjà devenu une habitude, et referma dans mon dos avec tout autant d'éloquence. Il s'éloigna du battant et me contourna allègrement afin de retirer ses gants et de les déposer sur son bureau.
Il semblait m'ignorer totalement. J'attendis plusieurs secondes mais il ne montrait décidément aucun signe d'envie d'entamer la conversation.
- Alors comme ça, tu invites une fille dans ta chambre et tu joues au gars distant ? lui lançai-je de but en blanc.
Interloqué, le dragon me regarda d'un œil étrange, la mine amusée mais également...
Un sourire carnassier naquit sur ses lèvres.
- Tu aurais plus d'intérêt à rester une gentille fille et à ne pas trop me chercher sur ce terrain-là, tu sais. Je ne me retiendrai pas indéfiniment, dit-il en plantant son regard dans le mien, dans lequel je cru lire une certaine envie non dissimulée.
Est-ce que j'avais bien compris ce qu'il sous entendait ?
Mon dieu, j'avais très chaud tout à coup.
- Lance...
Voyant qu'il avait réussi à me perturber, le dragon sembla se délecter de m'avoir coincée. Car si je répondais, la pente risquait de devenir bien trop glissante et nous le savions aussi bien l'un que l'autre.
Il rit dans sa barbe avant de finalement changer de sujet.
- Tu as du nouveau concernant tes pouvoirs ? me questionna-t-il.
Soulagée, j'affichai un léger sourire avant de remonter ma manche et de laisser les faisceaux de lumière remonter le long de mon bras. Je cru apercevoir une imperceptible admiration apparaître sur son visage.
- Leur sensation ne m'a plus quittée depuis l'autre soir. C'est encore très faible, j'arrive à peine à m'en servir, mais ils sont là, finis-je avec une once de fierté.
Lance inclina la tête, semblant soudain songeur.
- C'est un très bon début. On va déjà commencer par se concentrer sur cet élément avant de nous attaquer à plus compliqué.
- À plus compliqué ?
- Et bien dans mes souvenirs, tu avais une immense paire d'ailes dans le dos, me dit-il d'un fin sourire.
Mes ailes... il est vrai qu'avec Leiftan, il était celui qui avait le plus vu mes pouvoirs à l'œuvre, finalement. Même si ce n'était clairement pas dans les meilleures conditions. Pensive, je passai une main absente entre mes omoplates mais sans surprise, aucune trace d'ailes ne marquait mon dos
- C'est vrai, j'adorerai les retrouver, dis-je tout bas.
Un souvenir me revint soudain.
- Dis-moi, l'autre soir en sortant de ta chambre, il s'est passé quelque chose d'assez étrange.
- Quoi donc ? me questionna-t-il, tout à coup réellement intrigué.
- En sortant dans le couloir, j'ai croisé une enfant qui déambulait tout seule. Elle n'a pas semblé avoir remarqué ma présence. Elle s'est rendue dans la salle du Cristal et quand je l'ai suivie, elle a comme... disparue.
Lance sembla réfléchir un instant.
- Il s'agit probablement d'Ophélia.
- Ophélia ?
- Oui, c'est comme ça qu'elle a été renommée ici. Personne ne sait qui elle est ni d'où elle vient, même si certains émettent l'hypothèse...
- Qu'elle aurait un lien avec l'Oracle, continuai-je à sa place.
Comme à chaque fois que quelque chose l'intriguait, il releva un de ses sourcils.
- En effet. Mais pourquoi m'en parles-tu, au juste ?
Je pinçais les lèvres. Je n'avais parlé à personne de ce qu'il s'était passé avant l'arrivée de Leiftan dans la salle.
- Quand je suis entrée, j'ai ressenti une sorte de lien entre le Cristal et moi. Mes pouvoirs semblaient absolument vouloir se manifester, et je ne sais pas comment fonctionne cette barrière protectrice, mais quand mon doigt l'a traversée...
- Attends, me stoppa-t-il, tu as traversé la barrière ?
J'hésitai un instant. Était-ce une bonne idée de me confier à lui ?
- Oui, du moins, j'avais commencé à la traverser. Mais plus je me suis approchée et plus j'ai senti que ma force d'aengel prenait le dessus. C'était... puissant.
Lance resta longuement silencieux, l'air d'analyser mes paroles. Je n'aimais clairement pas son mutisme.
- Je pense que ce n'est pas pour rien si tu l'as croisée ce soir-là précisément, commença-t-il. Tu venais de réactiver tes pouvoirs, et si Ophélia a réellement un lien avec l'Oracle, il ne serait pas étonnant qu'elle ait cherché à entrer en contact avec toi. La barrière est un champ de protection enchanté, normalement personne n'est censé pouvoir la traverser, mais je suppose que ce dernier point ne s'adresse pas à toi.
Il marqua un nouveau temps d'arrêt avant de conclure :
- Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non mais l'Oracle a l'air de chercher à te pousser à les utiliser, ou du moins les retrouver.
Les paroles du chef de l'Obsidienne faisaient échos à ce que j'avais crains. L'Oracle semblait vouloir entrer en contact avec moi, mais pour quelle raison exactement ?
Je me demandais si la présence de Leiftan ce soir-là était vraiment anodine...
- Espérons que j'arrive à entièrement les retrouver, dans ce cas. Je n'ai pas l'impression que tous ces événements annoncent quelque chose de bon.
- Moi non plus, si tu veux tout savoir, me dit-il d'un ton sérieux. Quoi qu'il en soit, cela prouve qu'il va falloir accélérer le processus. J'ai également réfléchis à ce qu'il s'est passé entre nos magies respectives, et j'aimerai essayer autre chose.
D'un œil espiègle, Lance s'approcha lentement du centre de la pièce. Quand il fut arrivé à ma hauteur, je vis naître avec stupéfaction des écailles d'un bleu de glace le long de sa peau. S'échappant du col de son haut, elles remontèrent jusqu'au bas de son visage, un peu comme quand il m'avait marqué de ses striures deux jours auparavant. Ses bras et ses mains se recouvrirent également, de façon plus clairsemée, et bientôt, je devinais une queue de dragon qui remuait calmement dans son dos.
J'étais totalement fascinée par son apparence. Je l'avais déjà vu sous sa forme draconienne, mais jamais de cette façon-là. Le voir ainsi à moitié transformé me faisait penser à Tia, sa mère, que j'avais vue à ses côtés dans les souvenirs de ses ancêtres à Mémoria.
Comme attirée malgré-moi, je levai une main et la laissait glisser le long des écailles qui recouvraient la base de sa mâchoire. Rigides et froides, je les senties vibrer légèrement sous mes doigts alors que son regard ne me quittait pas. Lance paru d'abord surpris, se tendant sous mes doigts, mais me laissa finalement faire.
- Est-ce que tu te sens mieux, comme ça ? lui demandais-je, observant les jeux de lumières qui se reflétaient sur le bleu de sa peau désormais durcie. Tia semblait plus à l'aise sous cette forme, est-ce que toi aussi ?
Le dragon ne bougea pas d'un millimètre, mais à l'entente du prénom de sa mère, je le vis avaler sa salive avec difficulté.
- J'ai toujours été habitué à ne montrer que ma forme humaine, c'est donc très simple pour moi de rester ainsi. Mais oui, l'apparence la plus confortable est celle-ci, me dit-il d'une voix grave et basse, presque honteuse.
Je retirai doucement ma main et observai ses écailles remuer légèrement, comme si un frisson le parcourrait juste là où mes doigts venaient de le quitter.
- Elles sont magnifiques, dis-je en remontant mon regard jusqu'au sien.
Je le vis déglutir une nouvelle fois et cru un instant qu'il allait esquisser un mouvement dans ma direction, mais il se retint finalement et se contenta de me dire :
- J'évite de me montrer comme ça, en général. Les gens normaux ne se sentent pas vraiment en confiance quand ils apprennent qu'ils sont en présence d'un dragon, argua-t-il, les mâchoires crispées. De plus pour la plupart, cette forme peut paraître répugnante.
J'étais choquée d'entendre ces mots. Les faeries devaient bien être habitués à voir des créatures de toutes sortes, alors pourquoi est-ce que cette apparence les dégoûteraient ?
- Je la trouve tout sauf répugnante, me sentis-je obligée de lui faire part. Et pourtant, j'ai vécu bien plus longtemps sur la Terre qu'ici.
Ses traits se détendirent sous mes mots.
- Les dragons sont sensés être une race éteinte depuis longtemps et leurs histoires sont très méconnues des gens des terres d'Eel. Il n'est donc pas étonnant de les voir réagir de façon virulente face à quelque chose qu'ils pensaient disparu.
- Peut-être, mais c'est quand même idiot, dis-je passablement énervée. Les dragons sont certes très imposants, mais certainement pas répugnants.
Lance me regarda longuement avant d'éclater de rire. Son regard s'adoucît soudain.
- J'espère pouvoir compter sur ta bravoure pour leur boter les fesses à ma place, dans ce cas.
Je lui rendit sincèrement son sourire, bercée par cette révélation qui m'attristait d'injustice. Car d'un certain côté, je pouvais comprendre ce qu'il ressentait. Comment les gens réagiraient-ils s'ils me voyaient me balader avec des ailes d'aengel dans le dos ? Ils seraient probablement aussi effrayés, même si ma forme était plus douce que la sienne.
Je me rendais compte que les humains et les faeries se ressemblaient plus que je ne le pensais, la même peur de l'inconnu les marquant de façon indélébile.
- Bon, que voulais-tu essayer, du coup ?
Son regard redevint subitement sérieux, mais son faible sourire ne le quittait pas.
- Tu sais si tu me fais confiance, ou toujours pas ?
Je ne m'étais pas vraiment attendue à cette question. Mais si je me trouvais ici actuellement, c'était que ça devait bien être un peu le cas, non ?
- Disons que je te fais un peu plus confiance qu'avant, lui dis-je prudemment.
Il hocha la tête d'approbation.
- J'ai fais pas mal de recherches sur les pouvoirs des aengels et des dragons depuis l'autre soir, et il y a quelque chose que j'aimerai essayer. Mais pour ça, il faut que tu me fasses un minimum confiance.
- Très bien, dis-moi ce que je dois faire.
CHAPITRE 10 : TU ES TRES LOIN DU COMPTE, MA BELLE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- J'ai fais pas mal de recherches sur les pouvoirs des aengels et des dragons depuis l'autre soir, et il y a quelque chose que j'aimerai essayer. Mais pour ça, il faut que tu me fasses un minimum confiance.
- Très bien, dis-moi ce que je dois faire.
Sans prévenir, Lance attrapa ma main et la maintint dans la sienne, celle-ci rendue légèrement rugueuse par sa semi-transformation. Il n'eut pas de mot à dire pour que je comprenne ce qu'il attendait. Fermant les yeux, je me concentrai sur les fourmillements désormais familiers que faisaient naître le contact de sa peau contre la mienne. Ces derniers, encore faibles, parcouraient mes doigts d'une sensation agréable. C'était doux, presque naturel, comme si ma paume n'avait attendu que ce contact pour se sentir enfin entièrement elle-même.
Bloqués dans la cage froide et immense de sa main halée, mes doigts commencèrent à vibrer légèrement tandis que la chaleur réconfortante de mes pouvoirs commençait à parcourir mon bras. L'une contre l'autre, nos paumes semblaient contrebalancer sans cesse deux températures radicalement opposées, peinant à trouver un juste milieu. Étrangement, je me sentis apaisée par ce soudain contraste s'apparentant à un duel de feu et de glace. C'était à l'image de nos interactions, à Lance et moi.
Complexe, mais néanmoins intense.
Quand ma lumière se diffusa enfin entre nos doigts, je senti les siens frémir légèrement tandis qu'elle prenait peu à peu plus d'assurance. Je la visualisait pénétrant sa peau, parcourant ses muscles, jusqu'à remonter le long de son bras. Exactement comme l'avait fait sa glace sur mon corps deux jours plus tôt.
Un léger souffle s'échappa de ses lèvres, ce qui me fit rouvrir les yeux et, le temps d'un instant, je ne pus décrocher mon regard du sourire qui marquait son visage.
Un sourire fier, et surtout sincère.
Mes lèvres firent écho aux siennes. Mes pouvoirs ainsi éveillés, je me sentais pleinement moi-même, et c'était puissant, grisant. Ma lumière prit en vivacité, d'une couleur aux teintes tout aussi chaleureuses, marquant la peau du dragon en de multiples striures similaires aux miennes, comme une multitude de faisceaux lumineux. Je pouvais voir mon énergie se déverser en lui, parcourir ses veines, marquer chacun de ses pores.
Soudain, sa glace vint se mêler à ma chaleur. Les fines lignes de lumières qui parcouraient son bras se démultiplièrent en de nouvelles aux teintes bleutées, celles-ci semblant plus vivaces que les miennes. Avec étonnement, je les découvris me parcourir à leur tour. Lentement, comme cherchant à épouser parfaitement celles existant déjà, se mêlant avec dissonance sur ma peau blafarde.
J'étais totalement hypnotisée par le spectacle qui s'offrait à moi, à tel point que je mis un certain temps à remarquer que Lance avait desserré sa poigne pour venir laisser courir ses doigts avec langueur sur mon poignet, traçant ainsi des formes invisibles contre ma peau. Plusieurs frissons me parcoururent sous ses gestes lents et je n'étais pas sûre qu'il ait lui-même remarqué ce qu'il faisait. Fermant un instant les yeux, je me concentrais sur les mouvements doux mais néanmoins sûrs, qu'effectuaient le dragon. Alors, comme avec Leiftan, je cru ressentir une émotion qui n'était pas la mienne. Un sentiment léger, proche de l'admiration. Troublée, je rouvrais les paupières et plongeai dans son regard bleu.
Lance ne m'avait pas quittée des yeux.
Il comprit soudainement ce qu'il venait de se produire. Tirant sur mon poignet, il m'attira plus près de lui, amenant ses lèvres jusqu'au creux de mon oreille.
- Qui t'as permis d'entrer dans ma tête, petite humaine ? me chuchota-t-il.
Sa voix, à la fois suave et taquine, fit courir un frisson le long de mon échine. Ainsi, je pouvais sentir son souffle contre mon cou et le savoir si près de moi me rendait à la fois nerveuse et alanguie.
- C'est toi qui est bien trop facile à lire, je n'y suis pour rien.
Son faible rire, aux intonations bien plus rauques qu'habituellement, happa alors toute mon attention.
- Comment as-tu fais ça ?
- Je ne sais pas comment l'expliquer. Ça m'arrive parfois en présence de Leiftan depuis que nous nous sommes battus ensemble, mais je ne pensais pas que c'était possible avec quelqu'un d'autre.
Le dragon contracta imperceptiblement ses mâchoires à l'entente du prénom de l'aengel.
- Je vois. Encore une fois, c'est probablement à cause de cet échange de pouvoirs, me dit-il tout en marquant une légère pause, avant de reprendre, le ton légèrement plus renfrogné. Du coup, ça veut dire que tu ressens ses émotions ?
- Ça arrive parfois, oui, lui répondis-je innocemment.
Il lâcha un rire bien moins jovial tandis qu'il s'appuyait sur la commode derrière-lui, le dos légèrement courbé dans ma direction. Ne rompant jamais le lien entre nos peaux, il posa nonchalamment sa main qui maintenait toujours la mienne sur l'une de ses cuisses, sa paume vers le haut, me laissant ainsi le loisir de la retirer si je le souhaitai.
- Je suppose qu'il déborde toujours de sentiments mielleux à ton égard.
Je lui lançai un regard lourd de sens auquel il répondît par un vague haussement d'épaule.
- Ne me regarde pas comme ça, il fallait être aveugle pour ne pas voir ce qu'il ressentait pour toi. Je te rappelle que j'ai passé pas mal de temps avec lui et je peux t'assurer qu'il n'avait que ton nom à la bouche.
Il est vrai qu'Ashkore et Leiftan avaient été des alliés, il fut un temps.
Je me rendais compte que, quand il se comportait de façon si détendue en ma présence, comme un instant auparavant, Lance arrivait parfois à me faire oublier ce passé tumultueux que nous partagions. Et je devais avouer que ces instants, aussi fugaces soient-ils, se montraient parfois agréables.
- Il ne s'est jamais rien passé entre Leiftan et moi, ses sentiments ont toujours été à sens unique et pour être honnête, je pense qu'il a ressenti ça en grande partie car j'étais comme lui. Qui plus est, j'étais avec Nevra à cette époque.
Mon interlocuteur m'observa un moment sans rien dire.
- Andraste, tu peux me croire quand je te dis qu'il est tombé fou amoureux de toi dès l'instant où tu es arrivée. Ce n'est pas uniquement une question de race, même si je peux comprendre que cela puisse paraître attrayant. J'ai moi-même été curieux de savoir pourquoi tu étais si importante à ses yeux, mais j'ai fini par comprendre qu'il s'était tout simplement vraiment entiché de toi. En revanche, je suis intrigué que tu ressentes toujours ses émotions si ce phénomène date de la bataille, finit-il par ajouter.
Je méditais ses paroles. Les sentiments de Leiftan à mon égard me troublaient, je ne savais pas quoi en penser.
- Je ne sais pas quoi te dire. Peut-être que le fait de passer ces dernières années ensemble dans le Cristal nous a rapprochés, qui sait ?
Lance grimaça légèrement à l'entente de cette théorie qui n'avait, semble-t-il, pas vraiment l'air de lui plaire.
Mais comment était-ce tout bonnement possible que je puisse ressentir leurs émotions les plus profondes, et surtout, pourquoi est-ce que eux ne semblaient pas ressentir les miennes en retour ? Je n'y comprenais rien. Je m'étais convaincue que cela était le fruit de nos pouvoirs d'aengels, mais pourquoi est-ce que cela se produisait-il également avec le dragon ?
Notre conversation m'ayant déconcentrée, je me rendis compte que ma lumière continuait malgré tout de luire faiblement sur sa peau, courant jusque sous la manche de son haut. Et c'était... simple. Sans aucun effort à fournir. Je me rappelai alors d'un détail. Lors de notre entraînement il y avait de cela plusieurs jours, quand mes pouvoirs s'étaient réactivés alors que la colère était montée en moi, leur couleur s'était montrée blanchâtre, totalement froide. Alors qu'à cet instant précis, cette dernière brillait d'une teinte bien plus orangée, déversant une sensation agréable le long de mes muscles. Est-ce que mes émotions intervenaient dans le processus ?
Me prenant de court, Lance tira sur mon poignet et m'amena encore un peu plus près de lui. Ainsi rapprochés, je pouvais distinguer chaque détails des écailles qui parsemaient son cou et sa mâchoire, celles-ci m'envoûtant de leurs nuances presque irréelles.
- Je ne te cache pas que je n'espère pas que ce soit le cas, me dit-il d'une voix grave et basse, faisant battre mon cœur un peu plus vite sans que je ne comprenne pourquoi.
- Et pourquoi cela, au juste ?
Son regard se fit plus pénétrant. Il releva un sourcil alors que je me penchai encore un peu plus, jusqu'à venir plaquer à mon tour mes lèvres près de son oreille.
- Ah au fait, si tu pouvais cesser de m'appeler « petite humaine » quand tu illumines la pièce de mes pouvoirs, ajoutai-je plus bas.
Je senti ses lèvres s'élargir tout contre moi tandis qu'il glissait une main dans mes cheveux afin de les repositionner derrière mon oreille.
- Une humaine avec deux-trois pouvoirs, tout au plus. J'attends un peu mieux pour être soufflé.
Courroucée, je me reculais afin de lui asséner une tape sur l'épaule de ma main libre. Lance se frotta la zone concernée avant de rire franchement de mon audace.
- Tu es facilement vexable.
- Et toi tu devrais éviter de baisser ta garde en ma présence, tu sais que j'ai tendance à m'emporter un peu.
- J'ai cru le remarquer, en effet. Mais il faut croire que j'ai moi-même tendance à aimer ça, me dit-il d'un rictus espiègle.
Nous nous regardâmes durant plusieurs longues secondes, un sourire idiot fiché sur nos visages alors que nos mains semblaient ne plus vouloir se lâcher. Ainsi positionnés, nos corps se tenant bien trop proches l'un de l'autre pour rester conventionnels, je me sentais pourtant étrangement détendue. Et quand ses yeux dérivèrent soudain plus bas, lorgnant ma bouche d'une certaine curiosité non dissimulée, je me surpris à me demander ce qu'il se passerait si nos lèvres se joignaient. Si le simple contact de nos peaux avait de telles vertus, qu'en serait-il face à plus d'intimité ? J'avais l'impression que chacune de mes émotions était décuplée en sa présence, et telle une addiction, j'avais cette impression d'en vouloir toujours plus, de ne jamais être entièrement rassasiée.
Lance sembla néanmoins se reprendre et je fus surprise d'apercevoir ses écailles se résorber avec lenteur.
- On va s'arrêter là pour ce soir, dit-il doucement tout en commençant à retrouver sa forme humaine.
Sa peau retrouva finalement son aspect habituel et rapidement, plus aucun attribut draconien ne marquait son corps.
Lâchant précautionneusement ma main, il laissa glisser ses doigts le long de ma peau jusqu'à ce que seul le vide me rattrape. Le lien brisé, nos pouvoirs diminuèrent en vivacité, redescendant les lignes tracées sur nos peaux respectives dans le sens inverse, jusqu'à l'extrémité de nos doigts. Disparaissant totalement, je senti un froid m'étreindre soudainement tandis que la chaleur de ma lumière et la froideur de sa glace ne me caressaient plus.
Je me surpris à avoir froid pour la première fois depuis mon réveil, et je ressentais cela en quittant la fraîcheur de Lance.
Le dragon s'appuya un peu plus contre le rebord de la commode et m'observa un instant sans rien dire, comme perdu dans une réflexion interne qu'il ne semblait pas vouloir me faire partager. Soudain, il leva un bras et vint frotter une main affectueuse dans mes cheveux, me prenant totalement au dépourvu.
- Bien joué, Andraste. J'avais un doute sur le fait que tu y arrives, mais finalement je suis impressionné, me dit-il tout en retirant lentement ses doigts de mon crâne, la moue moqueuse.
Je croisai les bras, un sourcil relevé d'agacement.
- Tu n'as vraiment aucun espoir envers moi, en fait.
Son léger rire résonna à nouveau tandis qu'il se détachait enfin de son appui. Se penchant une nouvelle fois sur moi, sa large silhouette me surplombant totalement, il me murmura, tel un secret :
- Si tu savais ce que je pense de toi... tu es très loin du compte, ma belle.
CHAPITRE 11 : LAISSE MOI PRENDRE SOIN DE TOI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Face à l'océan qui s'étendait à perte de vue juste devant moi, j'inspirai plusieurs longues goulées d'air, remarquant avec inattention que la nuit commençait à tomber doucement dans le ciel. De nombreux sons d'ailes battant le ciel me parvinrent aux oreilles et très vite, plusieurs draflayels commencèrent à voleter tout autour de moi. Passant près de ma tête, je senti mes cheveux s'envoler à chaque passage d'une des bêtes sur mes flans. Près d'une vingtaine d'entre eux se rassemblèrent au bord de la falaise, volant avec harmonie, créant des formes semblables à une danse dont eux seuls avaient le secret. Le spectacle que les familiers m'offraient se montrait parfaitement envoûtant, je ne pouvais détacher mes yeux de ce moment presque intime qu'ils me laissaient partager avec eux.
Certains s'approchèrent de moi et commencèrent à me pousser légèrement en direction de leur cercle. Sentant leur pression dans mon dos s'accentuer, je décidai de me laisser entrainer et de pénétrer dans leur cocon virevoltant. Leurs chants, s'apparentant à de petits sons mélodieux, se mélangèrent tout comme le mouvement régulier de leurs ailes, formant ainsi un schéma parfaitement étudié. C'était comme s'ils cherchaient à me dire quelque chose.
Fermant les yeux, je laissai mes bras ballants se laisser porter par leurs sonorités étrangères mais néanmoins apaisantes. Sentant probablement mes craintes s'envoler et mon âme s'apaiser, ils ralentirent leur cadence jusqu'à venir s'axer dans la mienne. Mes cheveux volaient doucement tout autour de mon visage tandis que je pouvais sentir leurs mouvements épouser les miens. Je ne sus combien de temps s'était écoulé avant que leur danse ne cesse. Rouvrant les paupières, je les observai reprendre une position plus anarchique pour enfin s'éloigner du rebord, jusqu'à survoler l'étendue bleutée qui ornait l'horizon. Les yeux perdus dans le vague, je retirai d'une main rêveuse une mèche dont la course avait été stoppée par mes lèvres.
Je reculai de quelques pas quand je percutai une large silhouette se tenant juste derrière moi, me faisant sursauter de stupeur. Je tournai la tête afin d'observer mon interlocuteur, ses cheveux blancs contrastant avec l'obscurité ambiante.
Lance posa délicatement ses mains sur chacun de mes bras, son torse épousant mon dos.
- Ce n'est que moi...
La douceur de sa voix, en cet instant, me troubla, et ainsi positionnée tout contre lui, je me sentais étrangement bien, presque en sécurité. Son regard était profond, plus aucune trace du brouillard qui l'assombrissait habituellement n'était présent. Le fard me monta aux joues sans que je ne puisse le contrôler. Je détournai alors mes yeux des siens, perçants comme des lames de glace, pour me focaliser à nouveau sur l'horizon.
- Tu n'es probablement pas l'Élue de l'Oracle pour rien, dit-il d'un ton si bas que personne d'autre n'aurait pu l'entendre à part moi, duquel je ne discernai pas la moindre trace d'ironie. Les draflayels semblaient chercher à communiquer avec toi.
Ses mâchoires se crispèrent légèrement à l'énonciation de ces familiers dont le dragon nourrissait une si grande haine, mais pour une fois, il resta tout de même parfaitement calme. Ses mains caressèrent quelques secondes mes bras avant de glisser jusqu'à me lâcher, me permettant ainsi de me tourner afin de l'observer.
Sans que je ne comprenne pourquoi, aucune peur ne planait à cet instant dans mon cœur malgré la présence de mon bourreau. C'était insensé mais pourtant, je ressentais que quelque chose d'étrange était en train de se passer entre nous. Son regard me lorgnait, me troublait. Nos corps se montraient invraisemblablement attirés l'un vers l'autre. Mon cœur se mit à battre la chamade tandis qu'il glissait une main paresseuse sur ma joue, me caressant du bout des doigts.
Lance se pencha alors vers moi d'une lenteur suffocante, approchant intimement ses lèvres pleines de la lisière des miennes. Totalement hypnotisée par chacun de ses gestes, je ne pouvais décrocher mon regard de la source de mon envie, celle-ci s'approchant inexorablement de moi. Ainsi, n'ayant plus conscience de rien, me laissant seulement guider par cette attirance trop longtemps tue, je fermai les yeux tandis que sa bouche effleurait presque la mienne, me caressant de son souffle frais.
Sa main descendit la pente de mon cou jusqu'à s'arrêter juste au dessus de ma poitrine. Je senti un sourire scier son visage au même moment où il accentua la pression contre ma cage thoracique. D'une violence inattendue, le sol disparu soudainement de sous mes pieds et mon corps chuta dans le vide. La peur m'envahit d'une telle force que tous mes muscles se contractèrent en même temps, faisant exploser une vive douleur dans mon dos et tourner ma tête à toute vitesse. L'angoisse au ventre, j'observai l'eau noire comme du goudron me tendre ses bras funestes.
Mon cri se bloqua dans ma gorge.
Sous le regard amusé de mon prédateur.
Je me redressai en sursaut, réussissant cette fois-ci à hurler si fort que ma gorge sèche me brûla. N'arrivant plus à respirer correctement, j'attrapai avec frénésie ma tête et plantai mes mains dans mes cheveux à m'en arracher des poignées. La sueur froide perlait sur tout mon corps, plaquant mon t-shirt contre ma peau tandis que ma respiration s'affolait dangereusement. Chacune de mes inspirations me procurait une douleur sournoise au milieu du dos, accentuant la panique qui prenait peu à peu le dessus sur moi.
Je me mis alors à pleurer, peut-être bruyamment, je n'en savais plus rien, m'empêchant ainsi un peu plus de reprendre mon air. Je revivais ma chute, encore et encore, jusqu'à la force de l'eau qui m'avait percutée ensuite. Je la sentais tout autour de moi, entrant dans mes poumons, m'entraînant dans ses profondeurs abyssales. Je revoyais son regard froid me pénétrer, savourant avec délectation le spectacle qui s'offrait à lui, dont lui seul était le responsable. Je ressentais la peur. La trahison. Mes souvenirs se mêlaient à mon cauchemar, me rendant incapable de démêler l'instant présent de mon subconscient.
Comment Lance avait-il pu me faire cela ?
La porte de ma chambre s'ouvrît subitement, laissant pénétrer une large silhouette familière avant de refermer le battant derrière elle d'un bruit sourd. Seulement quelques grandes enjambées l'amenèrent jusqu'au pied de mon lit mais je n'y prêtais pas attention, bien trop perdue dans la panique qui s'emparait de mes pensées. Forçant l'entrée de mon champ de vision, deux mains attrapèrent les miennes et les tirèrent doucement de mon cuir-chevelu maltraité, me forçant à relever la tête. Mes larmes décuplèrent à la vue du traître de mes songes. Je tentai de le repousser vainement, ses doigts se resserrant sur mes poignets fébriles.
- Laisse-moi, Lance ! tentai-je de crier, noyée par mon flot de larmes.
Son regard bleu, alerté et empli d'inquiétude, ne me quittait pas une seconde.
- Arrête de dire des conneries, dit-il calmement, ne bougeant pas d'un millimètre malgré mes protestations.
Lâchant un de mes poignets, il glissa une main contre ma nuque et maintint ma tête fermement dirigée vers lui, m'empêchant de détourner le regard du sien.
- Calme toi Andraste, tu as fait un mauvais rêve.
Mes larmes continuèrent de couler le long de mes joues, mouillant au passage son pouce situé dans leur trajectoire.
- Pourquoi tu as fait ça ? lui demandai-je, le ton lourd de reproches. Pourquoi est-ce que tu m'as fait autant de mal ? Pourquoi...
Je n'arrivais plus à continuer ma phrase, ma bouche tremblait si fort que je failli m'en faire saigner la lèvre. Depuis plusieurs nuits, j'étais assaillis par les cauchemars de ma vie passée, me réveillant de plus en plus souvent dans ces états de folie. J'avais l'impression de perdre la raison.
Comprenant que je faisais allusions à ses actes d'il y a sept ans, le dragon serra fermement les mâchoires, le regard droit planté dans le mien et ses mains me maintenant toujours.
- Écoute-moi Andraste et laisse-moi parler jusqu'au bout, commença-t-il. Je ne pourrai jamais me racheter pour tout ce que je t'ai fait subir à toi ainsi qu'à la Garde, tu ne l'oublieras jamais et il ne le faut pas. Mais sache une chose, que tu le veuilles ou non, je vais tout faire pour te protéger et tenter de panser ta peine. Mes actes sont impardonnables et je ne veux pas que quiconque le fasse, surtout pas toi. Alors soit, tu continueras probablement toujours de me détester, mais c'est le prix que je dois payer pour tout ce que je t'ai fait.
Lance marqua une courte pause, ne diminuant jamais son attention de mon visage. J'étais si concentrée sur ses paroles que j'en avais oublié tout le reste, ma respiration se calmant peu à peu d'elle-même.
- Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai redouté ton réveil. Entendre à nouveau ta voix, croiser encore ton regard après tout ce que je t'ai fait...
Sa voix se brisa légèrement sur ces dernières phrases. La culpabilité le rongeait bien plus que je n'avais pu l'imaginer, et ce même plusieurs années plus tard. Ma gorge se noua à nouveau mais cette fois-ci plus seulement à cause de mon rêve. Ses paroles me chamboulaient au plus profond de moi.
- Alors s'il te plaît Andraste, laisse-moi prendre soin de toi, dit-il d'un ton implorant, sa main glissant jusqu'à ma joue mouillée, créant de légers fourmillements sur ma peau.
Parcourant son regard habituellement de glace, je n'y lu que de la culpabilité. Elle était de ces remords qui ne vous quittent jamais, de ceux qui vous réveillent au beau milieu de la nuit, vous enserrent si fort, jusqu'à ne plus jamais vous lâcher.
Lance trainait son passé et ses actes tel un boulet accroché à sa cheville.
Laissant courir mon regard encore humide sur lui, je discernai malgré l'obscurité une épaisse trace blanche qui marquait son cou. Semblant provenir de l'arrière de sa nuque, celle-ci contrastait vivement sur sa peau matte, attirant mes yeux sans discrétion.
Je me rendais compte que c'était la première fois que je le voyais sans un vêtement qui cachait sa nuque, son simple haut noir ne la camouflant plus.
Relevant les yeux, je surpris son regard posé sur moi. Le dragon avait visiblement compris ce sur quoi mon attention avait dérivée, mais il n'en dit rien. Il semblait attendre avec appréhension une quelconque réponse de ma part.
Mais que pouvais-je bien lui répondre ? Je lui en voulais jusqu'à la moindre parcelle de mon âme ! Je voulais qu'il paie pour ses actes, et pourtant...
Pourtant, je souhaitais bien plus vigoureusement qu'il me serre dans ses bras jusqu'à tout faire disparaître. Qu'il m'embrasse jusqu'à ce que plus rien ne nous atteigne.
Sans nous soucier des conséquences.
Faisant écho à mon rêve et mes pulsions tues, qui n'étaient au début rien d'autre que la réminiscence d'un vieux souvenir, j'enroulai mes bras autour de sa nuque dont la peau était bien plus rêche là où j'avais cru deviner une marque volumineuse, et amenait avec urgence ses lèvres aux miennes.
Mon geste inattendu et irraisonnable le surpris d'abord, mon cœur ratant plusieurs battement dans l'attente de sa réaction, mais rapidement, Lance répondit à mon baiser de façon alarmante, répliquant farouchement à l'assaut de ma bouche. Ses mains encadrèrent soudain mes joues de sorte à venir incliner mon visage, permettant à sa langue de trouver le chemin de la mienne, approfondissant maladivement notre étreinte honteuse. Soulagée de ne pas être repoussée, j'expirai contre ses lèvres, mon souffle s'apparentant à un gémissement se noyant dans la force de son étreinte. Ce soir, je ressentais plus que jamais le besoin de me couper du flot de mes pensées troubles. Je pense que nous avions tous les deux conscience de la folie de notre geste, mais son pouvoir salvateur semblait nous être vital en cet instant.
Ses mains glissèrent le long de mes flancs jusqu'à soulever mon haut. Nous séparant un court instant, je levai les bras tandis qu'il faisait passer le tissu par dessus mes épaules, l'envoyant voler dans un coin de la pièce. Passant ensuite les bras derrière sa nuque, il tira sur le col du sien et l'expédia rapidement en direction du premier. Nos lèvres se retrouvèrent sans difficulté, partageant la même soif incontrôlable. Dans l'adrénaline du moment, je pouvais sentir ses écailles se manifester par endroits alors que des courants d'énergie totalement euphorisants semblaient courir entre nous.
C'était brut. Précipité.
J'enfonçai mes mains dans ses cheveux avec désinvolture alors qu'il me soulevait pour me placer à califourchon sur lui, ses pieds fermement encrés sur le sol. Caressant mes hanches, il embrassa avec minutie ma poitrine dénudée, savourant chaque centimètre, faisant naître la chair de poule sur ma peau à chacun des tracés de ses coups de langue. Sa découverte appliquée de mon corps me faisait tourner la tête, je pouvais sentir son désir pour moi pulser contre l'intérieur de mes cuisses. N'en tenant plus, je tirai dans ses cheveux d'une certaine force afin d'orienter son visage en direction du mien. Un sourire satisfait apparu sur ses lèvres en même temps qu'il me serrait contre lui.
- Tu sais que les dragons sont de nature impulsive ? susurrât-il contre mon oreille. Tu ne devrais pas jouer au jeu du plus autoritaire entre nous... même si je dois avouer que tu es vraiment très sexy, comme ça.
Je souris à mon tour tout en laissant courir ma main entre nous, descendant la ligne de ses abdominaux jusqu'à la ceinture de son pantalon noir. Un grognement sourd s'échappa de sa gorge quand mes doigts glissèrent sous le tissu qui nous séparaient.
- Je ne connais pas encore bien les dragons, il faudrait peut-être que tu m'expliques ça plus en détail...
Pour toute réponse, il plaqua ses mains sous mes fesses et me souleva sans le moindre effort afin de venir m'allonger sur le lit. Je ne pu m'empêcher de grimacer malgré moi au contact du matelas contre mon dos, une douleur lancinante me prenant tout à coup.
Malheureusement, Lance s'en aperçu et arrêta immédiatement ses gestes.
- Tu as mal quelque part ?
- Ce n'est rien... mentis-je en cherchant à retrouver ses lèvres pour le faire taire, mais il stoppa mon élan et s'écarta de moi.
- Je vois bien que quelque chose ne va pas, montre moi ton dos, dit-il d'un ton qui ne laissait pas le loisir de répliquer, se redressant par la même occasion.
Étendue à moitié nue, je soufflais bruyamment tout en m'asseyant sur le lit, me recroquevillant avant de serrer étroitement le draps contre ma poitrine. Lui tournant le dos, je l'autorisai à allumer la faible lumière de ma table de chevet, serrant les poings d'appréhension. J'attendis plusieurs longues secondes dans un silence de plomb, le doute commençant à monter en moi face à son soudain mutisme. Le dragon s'accroupît derrière-moi avant de laisser avec délicatesse ses doigts courir sur la peau fine au centre de mon dos.
Je ne pus m'empêcher de serrer les mâchoires de douleur à son contact pourtant incroyablement doux.
- Andraste...
- C'est repoussant ? le coupais-je, la voix légèrement tremblante.
Je n'osais croiser son regard tant la honte me consumait. Je savais très bien de quoi il s'agissait et ce n'était probablement pas reluisant...
- Depuis quand est-ce que tes ailes essaient de sortir ?
- Environ depuis notre entraînement, je ne sais pas exactement... mais tu n'as pas répondu à ma question.
Lance s'assît tout près de moi avant d'attraper mon menton de ses doigts, me forçant à cesser de fuir son regard de glace, ma langue se déliant malgré-moi.
- Je rêve que je tombe, commençai-je. Encore et encore. Et quand ça arrive... je pense que mon corps tente de faire appel à mes ailes pour me sauver. Mais je n'y arrive pas.
- Depuis quand est-ce que ça t'est douloureux ?
- Une semaine environ, mais la douleur est de plus en plus présente...
Son expression grave me retournait l'estomac, qu'est-ce qui clochait chez moi ?
- Tu as vu à quoi ressemblait ton dos ? s'enquit-il.
- Lors des premiers cauchemars, oui. Elles se résorbaient d'elles-mêmes, il n'y avait pas de traces. Mais maintenant... je n'ose plus regarder, Lance.
Le dragon lâcha doucement mon visage, posant nonchalamment sa main sur mon genoux.
- Mon ange, il faut absolument que tu fasses voir ça à Eweleïn.
CHAPITRE 12 : LES AENGELS SONT LA RACE LA PLUS PUISSANT QU’AI CONNU ELDARYA
Spoiler (Cliquez pour afficher)
« Mon ange »
Mon cœur rata plusieurs battements à l'entente de ce surnom inattendu. J'essayai de reprendre contenance en détournant le regard du sien, serrant mes jambes un peu plus fort contre moi.
- Ça ne doit pas être si grave, il faut seulement que j'apprenne à m'en servir à nouveau. Je ne veux pas embêter Eweleïn pour si peu, dis-je plus pour essayer de me convaincre moi-même.
Sans un mot, Lance se leva et me tendit patiemment la main. J'hésitai un instant, prenant conscience de ma nudité sous les draps que je tenaient fermement, ainsi que de la lumière qui éclairait désormais faiblement la pièce, mais son regard calme fini par me décider de lui faire confiance. Avec nervosité, je lâchai le fin tissu afin d'enrouler mes doigts autour des siens, plaquant malgré tout un bras autour de ma poitrine alors qu'il me guidait juqu'au grand miroir qui ornait l'un des murs de ma chambre. Attrapant doucement mes épaules, il me tourna dos à celui-ci et, en prenant un autre posé sur le meuble, il le fit glisser dans ma paume rendue légèrement moite par l'anxiété qui m'animait. La boule au ventre, j'inspirai plusieurs longues secondes tout en plongeant dans son regard calme, dans lequel j'y lu le soutien dont j'avais besoin pour enfin affronter ce qui me terrifiait. Mais mon souffle se bloqua dans ma gorge quand mes yeux dérivèrent sur la petite psyché entre mes doigts.
Avec horreur, je découvris que tout le centre de mon dos était recouvert d'hématomes allant du jaune au violet sombre, courant d'entre mes omoplates jusqu'à la fin de ma cage thoracique. Ma peau semblait mutilée, totalement meurtrie. Depuis quand était-ce devenu si alarmant ? Traçant de longues lignes inégales et volumineuses, deux bosses difformes venaient indiquer la forme de mes ailes restées coincées lors de mon cauchemar.
Je n'y comprenais plus rien, c'était comme si mon corps refusait catégoriquement le sang de faery en lui.
Ces marques me répugnaient.
Une larme dévala à nouveau ma joue sans que je ne puisse la contrôler, les idées noires envahissant mon esprit embrumé. Mais que faisais-je ici, bon sang ? Je n'étais clairement pas une Eldaryenne et mon corps me le rappelait chaque jour depuis mon réveil du Cristal !
Perdue dans le flot trouble de mes pensées, je ne remarquai pas que le dragon esquissait un mouvement dans ma direction. D'un geste lent, il me surprit en venant capturer de ses doigts froids la goûte salée qui dévalait la pente de ma joue.
- S'il te plaît, ne pleure pas Andraste, dit-il d'une voix douce avant de marquer une courte pause, le visage grave. Je suis sincèrement désolé de ne pas avoir compris tout ce qui t'arrivait, mais je te promets que nous allons trouver une solution à tout ça.
Ses yeux, ne me lâchant pas un seul instant, exprimaient une détermination familière chez lui.
- Et je suis désolé si je t'ai fait mal, tout à l'heure.
- Tu ne pouvais pas savoir, ce n'est rien, dis-je d'un faible sourire face à son air penaud. Et puis, c'est moi qui t'ait littéralement sauté dessus.
Une moue amusée apparue sur son visage, ce qui me détendit légèrement.
- C'est vrai, je n'ai rien pu faire pour me défendre. J'étais démuni.
J'éclatais d'un rire franc dont Lance sembla ne pas vouloir en perdre une miette. Un large sourire aux lèvres, il attrapa mon t-shirt envoyé dans un coin de la pièce et s'approcha de moi avant de faire passer le col par-dessus ma tête.
- Allons dormir maintenant, il est tard.
J'enfilai sagement le haut sous ses gestes doux. Me dirigeant en direction du lit, je l'observai avec curiosité éteindre la lumière.
Allait-il rester avec moi, cette nuit ?
Me glissant sous les draps, je le senti avec un certain soulagement me rejoindre dans le lit. Tournée dans sa direction, je restai stoïque sans trop savoir quoi faire. Certes, nous nous étions embrassés, mais qu'en était-il maintenant que l'instant était terminé ?
Répondant à mes questions internes, Lance attrapa l'une de mes mains et la posa sur son torse, croisant ses longs doigts aux miens.
Mon Dieu, je n'osais plus bouger.
Il glissa alors un bras sous sa nuque et se perdit un instant dans la contemplation du plafond. J'en profitai pour l'observer. Dans l'obscurité ambiante, je devinais la cicatrice blanche qui marquait son nez droit. Je détaillai ses traits, à la fois fins et durs, avant de m'attarder sur sa bouche pleine.
Je pouvais encore sentir le goût frais de ses lèvres sur les miennes.
Me prenant au dépourvu, il porta soudain ma main à son visage et y déposa un baiser, aussi léger qu'une plume.
- Bonne nuit, mon ange.
Je souris bêtement à l'entente de ce surnom auquel je prenais déjà goût.
Pour la première fois depuis plusieurs semaines, je pense que je m'endormis enfin l'esprit serein, de légers picotements parcourants nos paumes lovées l'une contre l'autre.
***
Assise sur la table d'auscultation de l'infirmerie, je serrai et déserrai nerveusement les poings sur mon vêtement retiré tandis que je devinai les yeux d'Eweleïn m'observant avec quiétude, ses doigts parcourant le même chemin que ceux du dragon quelques heures plus tôt. Un violent frisson me parcourue quand elle toucha la partie sensible de mon dos, me faisant fermer les paupières face à la honte qui m'accablait due à mon état physique pitoyable. Je ne supportais plus ces regards qui me rappelaient ma faiblesse constante.
Se redressant, mon infirmière se tue durant plusieurs longues secondes, augmentant encore mon niveau de stress. Elle fit le tour de la table et se plaça face à moi, la mine grave.
- Andraste, pourquoi n'es-tu pas venue me voir plus tôt ? me demanda-t-elle, son ton à la fois doux et autoritaire.
Que pouvais-je répondre ? Que j'étais encore une fois trop fragile, trop faible pour supporter le poids de mes propres origines ?
- Je ne sais pas. Au début ce n'était pas aussi alarmant, mais ensuite...
Je ne fini pas ma phrase. En vérité, je n'avais pas d'excuse. J'avais seulement fermé les yeux sur la situation, ne supportant plus de paraître si faible aux yeux des autres ainsi que des miens. C'était éreintant...
- Tu sais que tout ça, ce n'est pas de ta faute ? me dit-elle, lisant en moi comme dans un livre ouvert. Tu as vécu en tant qu'humaine bien plus longtemps qu'en temps qu'aengel, et tout ce temps passé dans le Cristal a complètement perturbé ton métabolisme. Ce n'est pas de la faiblesse, c'est seulement ton corps qui tente de s'adapter.
- Mais pourquoi est-ce qu'avant, j'arrivais à utiliser mes pouvoirs et mes ailes naturellement ? m'emportai-je presque. Je n'étais pas sur Eldarya depuis longtemps, pourtant ça ne me faisait pas souffrir comme maintenant.
- Je sais ma belle, me dit-elle d'un regard triste. Il va falloir que tu réhabitue ton corps à tout ça. Je pense que ton esprit y est pour beaucoup, également.
Elle tira une chaise et s'assit en face de moi, ses mouvements lents et doux ayant décidément le don de m'apaiser malgré les circonstances.
- Tu viens de te réveiller après sept ans d'absence et tu te rends compte que les gens ton érigée au rang de déesse sauveuse de leur monde. N'est-ce pas tout à fait normal de ressentir une trop forte pression de la part des autres ? La salle du Cristal, même depuis votre réveil à tous les deux, est devenue une salle de culte. De plus, tu as vécu des événements très durs à supporter psychologiquement parlant. Tu as besoin d'avancer à ton rythme et je pense que ton corps cherche à te le faire comprendre inconsciemment.
Je méditais ses paroles. Il était vrai que je ressentais le poids du regard des gens et que je ne me sentais plus du tout à l'aise en présence de monde. J'avais l'impression que l'on attendait constamment quelque chose de moi, que je devais leur montrer que j'étais bien celle qu'ils avaient priée durant ces dernières années. Que j'étais digne de leurs attentes.
Sauf que je n'étais rien de tout ça. J'avais certes combattu Lance et eu la bénédiction de l'Oracle, mais qu'avais-je de plus en tant que personne ?
Rien. Je n'avais rien de plus.
- Lance m'a dit que tu arrivais à nouveau à utiliser tes pouvoirs. C'est une très bonne chose, bientôt tu arriveras à sortir tes ailes comme une parfaite aengel, crois moi.
Un sourire doux illumina son visage à la suite de ces mots. J'avais envie qu'elle me dise vrai. Qu'un jour, je puisse ressentir cette partie faery en moi aussi naturellement que ma part humaine.
Sauf que ce n'était pas gagné.
L'elfe plongea à nouveau ses yeux dans les miens et, attrapant mes mains, elle accapara toute mon attention.
- Ma belle, de ce que nous savons, les aengels sont la race la plus puissante qu'ait connu Eldarya. Tu as probablement un pouvoir si puissant en toi que tu le rejette automatiquement, mais quand tu auras appris à le maîtriser, je peux te garantir que tu te sentiras enfin entièrement toi-même. Je sais à quel point tu doutes de toi à l'heure actuelle, et c'est tout à fait compréhensible au vu des réactions de ton corps, mais je sais que tu vas très vite aller mieux et apprendre à appréhender ta nouvelle condition.
Elle lâcha ensuite doucement mes mains et se releva lestement. Au plus profond de moi, ses paroles me touchaient bien plus que je ne m'y attendais. J'étais étonnée d'à quel point elle avait vu juste sur mon état et ma façon de voir les choses actuellement. Eweleïn était vraiment la personne la plus incroyable que je connaissais.
- Mais pour le moment, je vais te passer une crème qui apaisera tes muscles et tes tensions dans le dos, finit-elle par conclure.
Se dirigeant vers une table contenant diverses crèmes et médicaments, elle attrapa un pot contenant un mélange probablement de sa fabrication et, se plaçant derrière-moi, elle étala de ses doigts délicats le produit froid sur toute la zone concernée de mon dos. L'elfe avait raison, la concoction détendit immédiatement ma peau tiraillée, calmant la pression qui pulsait sur mes muscles.
- Merci Eweleïn, je soufflai d'apaisement. Je ne sais pas comment je ferai sans toi.
- En effet, je me demande bien comment tu ferais sans moi, rit-elle sincèrement. Tu peux filer maintenant, mais il faudra que tu reviennes demain pour que je vois l'évolution de la guérison.
Replaçant mon vêtement sur mon dos rendu collant par la crème, je m'apprêtai à me relever quand l'elfe stoppa mon geste.
- Pour la résorption de tes ailes, je suis désolée mais je ne peux rien faire de plus. Il faudra probablement du temps avant que ce phénomène cesse, mais j'ai cru comprendre que Lance s'était porté volontaire pour ton entraînement. Tu sais, lui aussi possède des ailes, peut-être peut-il t'aider pour ce problème-là.
À l'énonciation du prénom du dragon, une chaleur diffuse parcourue mon ventre. Je pouvais sentir mon cœur s'emballer tandis qu'un fin sourire étirait les lèvres de mon interlocutrice.
J'étais sûre qu'elle se doutait de quelque chose. Rien ne semblait échapper à cette femme, et surtout pas mes émotions.
Le cœur nettement plus léger, je fermai la porte de l'infirmerie derrière-moi et soufflai un grand coup. Malgré tout, cette entrevue avec Eweleïn m'avait fait le plus grand bien. Je me sentais soulagée, comme lestée d'un poids qui m'étouffai depuis des jours.
M'avançant dans le couloir, j'entendis du bruit provenant du côté de la salle du Conseil. Attirant mon regard, je découvris Nevra qui se tenait non loin de moi. Le vampire se dirigea dans ma direction, faisant encore accélérer les battements de mon cœur.
- Bonjour, Andraste. Tu sors encore une fois de l'infirmerie ?
Mes dents grincèrent suite à sa remarque pour le moins déplacée, j'étais un peu trop à fleur de peau pour me disputer avec lui aujourd'hui.
- Bonjour, Nevra, répondis-je sur la défensive. Que me vaut cet intérêt soudain pour ma présence ? Tu avais plutôt l'air de m'éviter, ces dernières semaines.
Soufflé par ma réponse, il expira bruyamment avant de chercher visiblement à apaiser la tension.
- Je suis désolé, je ne voulais pas me montrer désagréable.
- C'est marrant, je pensais justement que tu cherchais à te montrer désagréable. Enfin, c'est probablement moi qui m'emporte encore une fois.
Tournant les talons, j'entamai la descente des escaliers quand la main du vampire se saisie de mon poignet.
- Ce n'étaient pas des paroles en l'air, Andraste. Je suis sincèrement désolé.
Je restais résolument tournée vers le hall de la salle des portes, ne souhaitant pas affronter son regard alors que je sentais déjà mes larmes prêtes à refaire surface. Je devais vraiment travailler ma gestion des émotions.
- Ce n'est pas la première fois que tu t'excuses, pourtant nous en sommes toujours au même point, dis-je faiblement. Laisse-moi partir, s'il te plaît.
Malgré ma demande, le jeune homme ne bougea pas d'un millimètre. Je sentais qu'il voulait ajouter quelque chose, mais quoi ? Il se résolu finalement à me lâcher, changeant encore une fois d'attitude.
- Ton garde du corps n'est pas avec toi, cette fois-ci ?
Je senti toute l'amertume dans sa voix. Non, il n'avait pas le droit de me la jouer comme ça, pas après toute l'animosité qu'il m'avait offerte à la suite de mon réveil.
- Lui au moins, il ne passe pas son temps à faire comme si je n'existais pas.
Sans un regard dans sa direction, je dévalai les marches jusqu'à la forge. J'avais vraiment besoin d'extérioriser tous les sentiments contradictoires qui me bouffaient littéralement. Il fallait que je me défoule, que je trouve quoi que ce soit pour me soulager.
Ouvrant la porte à toute volée, je rentrai en plein dans un torse que je connaissais désormais plutôt bien.
Lance attrapa mon bras avant que je ne me retrouve renversée par la force de son corps.
- Tout va bien, Andraste ?
Non, ça n'allait pas.
Pourquoi avais-je envie de l'embrasser chaque foutue fois où je le voyais ?
CHAPITRE 13 : TU AS TOUJOURS EU CONFIANCE EN LUI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Comprenant immédiatement que quelque chose n'allait pas, le dragon m'observa d'un air inquiet, m'hypnotisant totalement de son regard de glace. Mon cœur s'emballât bien plus que de raison à la sensation de ses doigts sur ma peau et de son odeur tout contre moi, les images de la nuit dernière commençant à tourner en boucle dans ma tête tandis que les mots du vampire me nouaient encore la gorge.
Me sentant incapable de répondre pour le moment, je contournai rapidement sa large stature qui me faisait barrage afin de pénétrer dans la pièce, partagée entre plusieurs émotions contradictoires.
Cette nuit, j'avais laissé Lance me voir entièrement et cela me terrifiai. Je ne parlais pas seulement de ma nudité. Il avait vu mes blessures, mes limites, mes peurs les plus profondes, et malgré la honte que cela engendrait chez moi, je l'avais laissé faire, l'incitant moi-même à pénétrer dans ma tête, dans mon cœur. Le rencontrer ici rendait mes mains moites, je ne savais plus comment réagir. Je me sentais à la fois euphorique et anxieuse de me retrouver en sa présence. De plus, mon échange avec Nevra s'était encore une fois montré désastreux, ce qui me retournai l'estomac d'amertume.
Je ne savais décidément plus comment réagir.
Tentant d'ignorer les pas qui emboîtaient les miens, je me dirigeai avec une certaine précipitation vers le fond de la forge. Une fois devant le mur d'armes, je levai la main afin d'attraper une épée hasardeusement, sauf que je n'eu même pas le temps d'enrouler mes doigts autour de son pommeau qu'une main hâlée attrapa la mienne. Comme la dernière fois, je me retrouvai prisonnière entre le corps de Lance et les étagères face à moi.
- Tu sais que ce n'est pas parce que tu fais partie de l'Obsidienne que tu peux prendre une arme sans autorisation ? dit-il tout près de mon oreille.
Le ton soudain rauque de sa voix me fit frissonner. J'avais conscience de chacun de ses gestes, de chacune de ses inspirations qui soulevaient sa poitrine contre mes épaules. Il savait parfaitement où ne pas me toucher au niveau du dos pour ne pas me faire mal et cela me troublai.
- Qui plus est, celle-ci est beaucoup trop dangereuse pour toi.
Sa paume éloigna doucement la mienne du manche, faisant lentement retomber nos bras l'un contre l'autre le long de mon flan. Il ne me lâcha pas pour autant. J'inspirai profondément afin de tenter d'ignorer son contact.
- Est-ce qu'il y a quelque chose que je peux prendre ici ? tentai-je alors, insufflant le plus d'assurance et d'humeur possible dans mon intonation.
- Donc tu comptes t'entraîner toute seule et ce, avec une vraie lame ?
Son ton, à la limite du condescendant, m'irrita instantanément. Bon sang, j'avais besoin d'extérioriser tout ce qui grouillait au fond de moi, qu'est-ce qu'il ne comprenait pas là-dedans ?
- J'ai surtout la nécessité de me défouler un instant, est-ce que j'en ai encore le droit ou tu vas aussi m'en empêcher ?
La colère, qui recommençait à m'étreindre le cœur tel un étau, fit soudainement monter une source de chaleur au creux de mes mains. Le dragon ne tarda pas à s'en rendre compte et me serra tout à coup bien plus fort, bloquant mes doigts les uns contre les autres.
- Andraste, calme toi. Ce n'est pas le moment de faire ça ici et tu le sais tout aussi bien que moi.
- Si tu me laissais sortir d'ici avec ce que je suis venue chercher, j'aurai en effet tout le loisir d'aller me calmer ailleurs. Sauf qu'en attendant, tu me fais mal, Lance.
Visiblement surpris par mes derniers mots, il diminua la pression sur mes phalanges, me soulageant quelque peu même s'il m'enserrait toujours étroitement.
- Fais disparaître ta lumière et je te lâcherai, me réprimanda-t-il.
Plus énervée qu'avant de le croiser, je serrai et deserrai les poings afin d'ordonner à mes pouvoirs de se dissiper, ce qui ne fonctionna pas autant que je l'aurai voulu. Plusieurs paires d'yeux commencèrent à se poser sur nous sans discrétion.
- J'aimerai bien, mais je dois dire que ton contact ne m'y aide pas, dis-je sur la défensive.
Mon chef de Garde déroula lentement ses doigts de ma peau, me laissant enfin remuer le poignet comme je l'entendais. Fermant les yeux un court instant, je visualisai instinctivement le trajet de mon énergie le long de ma chair, la faisant refluer vers mon épicentre, au niveau de mon ventre. Avec étonnement, je découvris en rouvrant les paupières que plus aucune trace de magie ne marquait mes paumes.
Lance se détacha de moi afin de me lancer un regard interrogateur.
- Depuis quand sais-tu faire ça ? me questionna-t-il, un sourcil relevé.
- C'était une première, dis-je d'un haussement d'épaules, alors que j'étais moi-même choquée du résultat de ma tentative. Tu vois, je suis sage. J'ai donc le droit de m'entraîner un peu.
- Tu es incorrigible... mais il va falloir que tu me montres ça plus en détail.
Un sourire fier naquit sur mes lèvres tandis qu'il soufflait bruyamment, laissant échapper un air si froid que je vis des cristaux de glace se cristalliser sur une lame tout près de lui.
- Et bien, je pense que nous savons tous les deux comment ça se termine quand je te montre des choses « plus en détail »... est-ce que c'est vraiment une bonne idée ? lui demandai-je plus bas, presque timidement.
Il me regarda longuement, bien plus calme et serein qu'un instant plus tôt. L'atmosphère avait changée. Plus intime, plus personnelle. Comme si, dans cette pièce bruyante et grouillante de vie, nous étions soudainement seuls.
- Si tu souhaites que nous arrêtions nos entrevues privées, je m'y plierai sans opposition. Il s'agit de ton choix et non du mien. Mais nous savons très bien que ce qu'il s'est passé cette nuit n'a rien à voir et que cela aurait fini par arriver à un moment ou à un autre.
Le dragon s'approcha dangereusement de moi, un sourire en coin si similaire à celui de l'époque Ashkore que cela me perturba.
- Sache que ce n'était pas la première fois que je désirais embrasser ta mignonne petite bouche, me confia-t-il avec une certaine malice enfantine. Et puis, comme tu l'as déjà si bien dit, c'est toi qui t'es jetée sur moi. Si tu ne veux pas que cela se produise à nouveau, il suffit de le dire et pour ma part, je saurai rester parfaitement docile.
J'étais obnubilée par ses mots, par ce qu'ils sous-entendaient. Toute relation entre nous ne pouvait être que malsaine, totalement abjecte. Mais alors, pourquoi ne savais-je plus ce que je désirais ou non ? La logique aurait voulu que nous en restions sur ce qui était décemment attendu de nous. La colère, le mépris, ça aurait dû être ça notre unique carburant.
- Et si ce n'est pas ce que je souhaite ? lui soufflai-je si bas que j'eu peur qu'il ne l'ait pas entendu. Et si, pour une fois, j'avais le droit de m'écouter et de n'en avoir rien à faire des convenances de nos relations ?
Jamais Lance ne m'avait regardée si profondément, ce qui me fit rougir de stress face à ce que j'arguai. Au fond de moi, je savais que le jeune homme avait parfaitement compris de quoi je parlais.
- Cette nuit, quand j'ai rêvé que je tombais de la falaise... ce n'était pas la première fois que je faisais ce rêve. Avant ma chute, je revois toujours les draflayels voler autour de moi, mais pas seulement. J'ai l'impression de me remémorer sans cesse ce moment à Mémoria, ce moment où il n'y avait que toi et moi, conclu-je avec hésitation.
Aucune fois il ne coupa ma tirade, prenant conscience de chaque information que je lui offrait.
- Alors, est-ce que c'est une bonne idée ? Probablement pas, non, répondis-je à ma propre question posée un instant plus tôt. Mais j'en ai envie et pour une fois, je veux avoir le droit de m'écouter.
Un nouveau sourire, cette fois-ci beaucoup plus doux, apparu sur son visage avant qu'il ne reprenne la parole.
- Tes désirs sont des ordres, mon ange. En revanche, seulement ceux-ci, alors fais moi le plaisir de t'éloigner une bonne fois pour toute de ce mur d'épées. N'oublie pas qui est le chef, ici, me dit-il d'un clin d'œil.
Lance me poussa en direction de la sortie, j'avais visiblement perdue la bataille pour mon arme depuis bien longtemps. S'arrêtant devant la porte de sortie, le dragon sembla hésiter un instant, replaçant une de ses mèches de cheveux en arrière.
- J'ai des obligations ce soir, mais je viendrai te voir demain soir dans ta chambre, si tu le veux bien.
Sans une autre once de cérémonie, il tourna les talons et m'abandonna sur le pas de la porte.
*
Après m'être fait littéralement virée de la forge, je me promenai sans réel but dans les jardins du QG. Je réalisai chaque jour un peu plus qu'hormis Lance, je n'avais plus vraiment de relations avec lesquelles je me sentais moi-même. Quand il n'était pas là, je tournais bien souvent en rond, cherchant désespérément comment me rendre un minimum utile malgré mon état physique qui laissait à désirer.
Ne supportant plus de voir le même paysage, je décidai de sortir de l'enceinte de ces murs que je ne connaissais que trop bien.
Mes pas me guidèrent en direction du terrier, endroit qui avait décidément bien changé ces dernières années. Un arbre à la forme pliée avait poussé juste au dessus de la crevasse, ce qui offrait un coin d'ombre considérable dans la grande plaine. Je décidai de m'y allonger un instant, appréciant le calme qui régnait autour de moi. Étonnement, mon dos ne fut pas aussi douloureux que je l'aurai pensé, la crème d'Eweleïn y étant probablement pour quelque chose.
Allongée de tout mon long, j'observai les nuages se déplacer au gré du vent léger qui soufflait entre les branches au dessus de moi. Relevant une main au dessus de mon visage, j'imaginai paresseusement mon énergie circuler dans mes veines jusqu'aux muscles de ma paume, de mes doigts. Plusieurs lignes fines et lumineuses se mirent alors à courir sur ma peau, créant un chemin labyrinthique sur chaque centimètre qui me recouvrait. Je me sentais bien. Apaisée, même.
Relevant le regard en direction du ciel bleu, je cru sentir quelque chose m'effleurer toute entière quand mes yeux se posèrent sur un nuage à la forme singulière. Mon cœur se réchauffa quand, dans ce coton blanc et vaporeux, je reconnu les traits d'un dragon de feu. Je n'étais peut-être pas aussi seule que je le pensais. Un sourire las apparu sur mes lèvres, c'était comme si son aura s'était enroulée autour de mon cœur.
Je savais désormais qu'il veillait sur moi.
- Tu as toujours eu confiance en lui... chuchotai-je. Valkyon, es-tu soulagé de ce que tu trouves dans mon cœur ?
Une nouvelle brise souleva mes cheveux, comme pour répondre à ma question. Savourant ce moment, je fermai les paupières quelques minutes.
Une main secouait mon épaule avec de plus en plus de vigueur quand je revint finalement à la réalité. Ouvrant lentement les paupières, je mis un certain temps à émerger de mon sommeil de plomb. Un regard marqué d'une balafre plongea dans le mien.
Mais que faisait-il là ?
- Tu as bien dormi, la Belle au toit dormant ?
Je ne pus m'empêcher de pouffer devant la veine tentative de mon interlocuteur de citer un conte de mon monde.
- C'est la Belle au bois dormant, Nevra.
Un sourire étonnement doux apparu sur son visage d'habitude si fermé.
- Vous avez vraiment des histoires aux noms étranges, c'est tout ce que je retiens, dit-il d'un faible rire.
Je me redressai maladroitement afin de m'asseoir face à lui, quand une grimace de surprise et de douleur vint déformer mes traits alors que ma peau dorsale me brûlait tout à coup. Le vampire se pencha immédiatement sur moi avec inquiétude, une main maintenant mon épaule pour m'empêcher de basculer.
- Andraste, est-ce que tout va bien ?
Sérieusement, on me posait beaucoup trop cette question, ces derniers temps.
CHAPITRE 14 : J’AI TOUT SIMPLEMENT CESSÉ D’ESPÉRER TON RÉVEIL
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Andraste, est-ce que tout va bien ? s'enquit Nevra, quelque peu étonné de ma soudaine réaction.
Je m'apprêtais à lui répondre que ce n'était pas ses affaires quand la douleur, bien plus lancinante, repris de plus belle, me coupant littéralement la respiration. Sans prévenir, la panique commença à m'emporter et c'est avec confusion que je me relevais et esquivai son regard perçant alors qu'il demeurait penché au dessus de moi, ayant bien trop honte de lui avouer tout ce qui n'allait pas chez moi.
Le vampire maintint malgré tout l'idée de m'aider à me redresser complètement et, quand sa main lâcha enfin mon épaule, je me reculai immédiatement d'un bon pas afin d'instaurer une distance suffisante entre nous, ce qui ne lui échappa pas.
- Oui, ce n'est rien, répondis-je finalement, d'une légèreté feinte.
Retombant dans le vide, sa main resta inerte le long de son flan tandis que sa bouche s'ouvrît puis se referma sans qu'aucun son n'en sorte.
Un vent bien plus froid qu'avant que je ne m'endorme se mit à souffler entre nous, faisant voler mes cheveux et naître la chair de poule sur mes bras nus. Dans l'optique de me réchauffer, je posais les mains sur ceux-ci alors que les frissons qui parcourraient ma peau me brûlaient désagréablement le dos.
Je crois que ma tête commençait à tourner.
- Tu es sûre que tout va bien ? Tu ne t'es pas blessée quelque part, ou quoi que ce soit ?
- Non, ne t'en fais pas, répondis-je rapidement. Je n'avais pas prévu de m'assoupir ici, le sol était trop dur et j'ai dû me faire un peu mal, mais rien de grave.
Je ne voulais surtout pas que Nevra soit au courant de ce qui m'arrivait, je ne pensais pas être capable de supporter une nouvelle fois cette honte aux yeux d'une autre personne.
À mon grand malheur, le vampire ne sembla pas convaincu. Il entama un pas à son tour dans ma direction, diminuant la distance que j'avais volontairement instaurée. Un sourcil relevé, son regard se planta dans le mien.
- Tu sais que je te connais toujours par cœur ? Je vois bien que tu as mal, ça ne sert à rien d'essayer de me le cacher.
J'expirai le plus d'air possible face à mes piètres talents de comédienne. Il ne lâcherait jamais le morceau, j'en étais sûre.
Nous nous étions pourtant quittés en colère un peu plus tôt, alors pourquoi ne me quittait-il pas des yeux en cet instant ? Je me sentais troublée, je ne savais plus comment réagir.
Qui plus est, je devais bien avouer que je commençais sérieusement à me demander si souffler constamment le chaud et le froid n'était pas une coutume des eldaryens.
Ou alors étais-je peut-être attirée par les relations compliquées, qui sait.
- Décidément, c'est bien ma veine, ironisais-je. Tu as donc décidé que j'existais à tes yeux, aujourd'hui ?
Ses traits se durcirent imperceptiblement tandis que son regard, lui, s'assombrit si rapidement que je cru rêver un instant.
- Andraste...
- Quoi Nevra ? Tu vas me dire de faire comme si de rien n'était ? commençais-je à m'emporter. C'est bien beau, de te comporter envers moi comme bon te semble, mais ça ne marche pas comme ça.
Ce fut à son tour d'expirer longuement. Se rapprochant encore, il me prit totalement au dépourvu en baissant la tête jusqu'à venir poser son front contre mon épaule, ses cheveux sombres caressant mon omoplate. Je restais figée sur place, incapable d'esquisser le moindre mouvement tandis que son souffle caressait ma peau.
Je n'arrivais plus à remettre mes idées au clair.
- Écoute, je ne sais plus comment me comporter quand je te vois, lâcha-t-il enfin, la voix légèrement étouffée par sa position probablement peu confortable. Tu étais le centre de mon monde et du jour au lendemain, j'ai dû réapprendre à évoluer sans toi à mes côtés. Tout le monde ne parlait que de ton sacrifice, cracha-t-il presque, mais moi, tout ce que je souhaitais, c'était que tu reviennes auprès de moi.
Il releva lentement la tête de mon épaule et vint fixer à nouveau son regard au mien. J'étais pendue à ses lèvres, totalement hypnotisée par les mots qu'il m'adressait enfin.
- Chaque jours, pendant un peu plus d'un an, je n'ai cessé de faire ce souhait pourtant si égoïste. Je restais parfois des heures durant à t'observer, me convainquant qu'à tout moment tu allais te réveiller. Sauf que cela n'arrivait jamais, ajouta-t-il tout bas, comme si le prononcer à voix haute pouvait briser les rêves de ce souvenir de lui. J'ai fini par diminuer au fil du temps mes visites dans la salle du Cristal, je n'en pouvais plus de ne distinguer qu'une vague silhouette endormie. Alors pour me protéger, je pense que j'ai tout simplement cessé d'espérer ton réveil.
L'émotion que ressentait Nevra en cet instant me bouleversa. Je me doutais bien qu'il avait dû souffrir de cette situation, mais au vu de son comportement envers moi depuis mon réveil, j'avais eu du mal à me rendre compte de son ressenti à lui. En revanche, je ne m'étais pas imaginé une seule seconde que cela pouvait encore le toucher à ce point à l'heure actuelle.
- Je ne savais pas tout ça, Nevra, tu ne m'en avais jamais parlé jusqu'à présent. Je n'avais jamais imaginé que tu ai pu ressentir ça, je suis tellement désolée...
Un sourire mélancolique apparu sur ses lèvres.
- C'est du passé maintenant, même si je ne te cache pas que j'ai cru avoir de sérieuses hallucinations en te revoyant.
À la suite de ces mots, le vampire se pencha jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres du mien, me permettant ainsi d'admirer son regard balafré sous ses épais cheveux noirs.
- J'ai été un parfait idiot envers toi, Andraste. Je n'ai pris que mes sentiments en compte sans me soucier des tiens, mais ça a été la seule manière que j'ai trouvé pour me protéger une nouvelle fois. J'en suis terriblement désolé, tu ne mérites absolument pas cette indifférence, m'avoua-t-il tout en déposant une main légère et glaciale sur ma joue. J'espère que tu me pardonneras.
Nevra se tenait près, bien trop près pour que ma respiration s'apaise. J'avalai ainsi l'air avec de plus en plus de difficulté et, prise par de fortes émotions, les courants d'énergie se remirent à circuler avec anarchie sous ma peau.
Le jeune homme retira finalement sa main avant de se redresser de toute sa hauteur. Levant les yeux en direction du ciel, il revint rapidement les planter dans les miens d'une attention profonde.
- La nuit est presque tombée, nous ferions mieux de rentrer au QG, dit-il doucement.
J'acquiesçai et me tournai en direction du QG quand sa main attrapa mon bras de la même manière que plusieurs heures plus tôt.
Je fus prise au dépourvu en découvrant que son visage s'était soudainement totalement fermé, les sourcils froncés.
- Tu saignes, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
J'écarquillai les yeux.
- Quoi ?
- Je sens l'odeur de ton sang, ce n'est pas normal, m'expliqua-t-il tout en me faisant pivoter dos à lui.
Instinctivement, je plaquai une main au creux de mon dos quand mes doigts glissèrent sur d'épais filets liquides qui s'écoulaient contre mon haut.
Non.
Pas maintenant, ce n'était pas possible.
Nevra ne mît qu'une fraction de secondes à réagir en voyant mes doigts rougis d'hémoglobine.
Une forte inquiétude marqua le ton de sa voix quant il reprit la parole :
- C'est quoi le soucis avec ton dos ? Tu me dis que tout va bien depuis tout à l'heure, et maintenant tu te mets à pisser le sang !
- Ce n'est rien de grave, je te le promet. Il faut juste que j'aille voir Eweleïn, elle saura quoi faire.
J'avais toujours en travers les mots qu'il avait eu en me voyant sortir de l'infirmerie, mais je pense que je n'avais tout simplement plus le choix que de devoir y retourner.
- Je t'y amène de suite.
Liant le geste à la parole, il m'attrapa sous les genoux et me souleva de terre afin de me porter dans ses bras. Le trajet fut étonnement court jusqu'à l'entrée du grand bâtiment du QG alors que la perte abondante de sang fini par avoir raison de ma lucidité.
Arrivés devant la porte de l'infirmerie, Nevra se mit à tambouriner avec force sur le battant. Celui-ci s'ouvrît en grand, laissant apparaître une Eweleïn aux traits soudain étonnés.
- Nevra, que lui est-il arrivé ?
Le vampire lui expliqua rapidement les faits tandis qu'il me déposait sur le lit. Le sol tournait dangereusement, ou peut-être était-ce seulement ma tête qui n'arrivait plus à suivre.
- Tourne-toi, lui ordonna l'infirmière avec autorité, avant de se pencher sur moi. Andraste, il va falloir enlever ce vêtement.
Je la laissais me retirer le haut poisseux sans broncher avant de sombrer dans un sommeil profond.
*
Je clignais plusieurs fois des paupières afin d'essayer de faire la mise au point, ne distinguant que des éléments flous autour de moi. C'était loin d'être la première fois que je me réveillais dans ce lit ces derniers jours et cela me fit pincer les lèvres de frustration.
Comment m'étais-je retrouvée à l'infirmerie, déjà ?
La tête lourde, je me redressai difficilement sur le matelas moelleux, cherchant un quelconque signe de vie dans la pièce. Mais personne ne semblait se tenir ici. Avalant avec difficulté ma salive, je me rendis compte que ma gorge était si sèche qu'aucun son n'aurait pu de toute façon en sortir dans l'immédiat, j'avais l'impression d'avoir avalé des lames de rasoir.
Me sentant obstruée, je soulevai mon haut et découvris un grand bandage faisant tout le tour de ma poitrine, dont des tâches rouges marquaient le tissu aussi loin que je pouvais voir. J'espérais réellement que mon système de guérison miraculeux s'était réactivé, comme la fois où ma plaie au ventre s'était refermée d'elle-même en très peu de temps, car je n'allais pas supporter beaucoup plus longtemps cette situation intempestive. Me mouvant légèrement, je notais néanmoins que la douleur avait pratiquement disparue. J'abaissai le vêtement sur mes plaies puis me levai avec lenteur. Le monde tournait encore un peu trop vite à mon goût, mais je me sentais apte à sortir d'ici.
Je finissais de mettre mes chaussures quand la porte s'ouvrît finalement, laissant apparaître une longue chevelure blanche dans mon champs de vision.
- Oh bonjour Andraste, tu es enfin réveillée. Comment te sens-tu ? s'enquit l'elfe d'un sourire doux.
- Bonjour Ewe, je pense que ça va. Je ne me sens pas au maximum de ma forme mais je n'ai plus mal.
- Parfait, je vais te faire un rapide examen mais je pense que tu es apte à sortir.
Me rasseyant sur le lit, je laissai l'infirmière m'ausculter sans sourciller.
- Ton dos va beaucoup mieux, même ta peau a commencé à se reformer normalement. J'espère que cette histoire d'ailes coincées va vite s'arranger.
- Oh rassure toi, je l'espère aussi, dis-je dans un rire sans joie. Est-ce que je peux y aller ?
- Oui, un instant.
Elle attrapa le même pot de crème que la dernière fois et me le tendis, un sourire aux lèvres.
- Tiens, il faudra que tu badigeonnes ton dos avec ceci jusqu'à ce que ta peau aille mieux.
- Très bien, mais ça risque d'être plutôt compliqué, vu que ce n'est pas une zone forcément accessible pour moi...
Je vis le sourire d'Eweleïn s'agrandir encore un peu plus.
- Oh, j'avais cru comprendre que quelqu'un pourrait s'en occuper pour toi, mais si jamais ce n'est pas le cas, tu n'auras qu'à venir me voir et je m'en chargerai.
Je plissais les yeux sous sa mine suspecte.
- De quoi parles-tu ?
- Rien du tout, et dépêches-toi de venir me voir si cela recommence, n'attends plus de faire une hémorragie ! Allez file, m'ordonnât-elle d'un clin d'œil.
Trop fatiguée pour chercher à comprendre, j'ouvrai le battant afin de m'engouffrer dans le couloir. Mais combien de temps avais-je dormis, au juste ? Il faisait encore nuit !
Pénétrant dans le corridor des gardes, je passai devant plusieurs portes jusqu'à atteindre celle de la chambre de Lance, un peu avant la mienne. Je m'arrêtai un instant, hésitante, observant pensivement la représentation du dragon qui la surplombait de tout son long. Était-il occupé, là tout de suite ?
Le cœur battant, je m'apprêtai à toquer quand mon bras resta bloqué en l'air.
Je n'eus nullement besoin de me retourner pour constater de qui il s'agissait, me laissant totalement happer toute entière par sa seule présence.
- Bonsoir, mon petit dragon, susurra sa voix marquée d'un rictus amusé.
De légères striures de glace dessinaient déjà une multitude de formes abstraites sur ma peau tandis que mes lèvres s'étiraient d'elles-mêmes.
Laissant place à un immense sourire sur mon visage.
CHAPITRE 15 : ON VA FAIRE UN MARCHÉ, TOI ET MOI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Bonsoir, mon petit dragon.
Je fermai un instant les yeux afin de savourer le son de sa voix au creux de mon oreille, ayant l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis la dernière fois où nous nous étions retrouvés seuls. À cette heure sûrement tardive, le corridor était calme, il n'y avait presque personne pour nous surprendre ce qui m'aida à me laisser aller à profiter de sa proximité.
- Bonsoir, lui répondis-je amusée de l'entendre une seconde fois m'appeler ainsi, la première étant quand sa glace s'était mêlée à mon souffle.
Je sentis ses lèvres esquisser à leur tour un grand sourire tout près de mon crâne. Faisant passer une de ses mains jusqu'à la poignée de la porte de sa chambre, il l'ouvrit avant de poser ses deux paumes sur mes hanches afin de me pousser à entrer dans la pièce, ne me laissant nullement la possibilité de me dérober. Une fois entrés, il referma le battant derrière-nous dans un bruit sec. J'en profitai pour enfin me tourner vers lui et restai un instant pantoise.
Lance sortait visiblement de la douche car ses cheveux détachés dégoulinaient sur son t-shirt noir ainsi que la serviette roulée qu'il avait posé nonchalamment sur sa nuque. Ses mèches, d'un blanc presque bleuté, tombaient sauvagement sur son visage, lui donnant un air plus jeune que je ne lui avait encore jamais vu.
Je cru littéralement défaillir quant il me détailla de son regard à la fois glacial et brûlant sous la barrière de ses mèches frivoles.
Mon Dieu, il était si beau.
- Comment tu te sens ? Je suis passé te voir à l'infirmerie mais tu ronflais plutôt fort, je n'ai pas voulu te réveiller, dit-il le plus sérieusement du monde avant d'éclater d'un rire franc face à mon air ahuri.
J'espérai vraiment ne pas avoir fait ça.
- Je vais beaucoup mieux, merci, lui répondis-je tout en lui octroyant une grimace au passage. Et j'espère au moins que ça t'as plu, sinon je ne sais plus comment m'y prendre pour avoir l'air séduisante.
S'approchant d'un air interdit, un fin sourire amusé fiché sur le visage, il glissa ses mains sous ma nuque jusqu'à ce que ses doigts viennent se mêler farouchement à la base de mon cuir chevelu, inclinant ainsi ma tête dans sa direction et faisant naître de légers courants d'énergie sur la moindre parcelle de peau qu'il touchait.
- J'en suis réellement rassuré, m'avoua-t-il intensément, avant de reprendre sur un ton bien plus léger. Tes ronflements sont les plus sexy que j'ai entendu, n'en doute surtout pas. D'ailleurs si tu n'avais pas été en train de faire une hémorragie, j'aurai très probablement eu du mal à résister à ton charme.
Je ne pus m'empêcher de rire à mon tour face à ses inepties. Je ne savais pas si je l'avais déjà un jour vu aussi détendu, mais cela me plaisait bien plus que je n'osais me l'avouer.
- Dans ce cas, je vais tenter de faire attention à ne pas avoir l'air trop attirante, il ne faudrait pas que tu flanches.
Comme pour donner raison à mes mots, son regard intense dériva sans pudeur jusqu'à mes lèvres, faisant naître une nouvelle sensation au bas de mon ventre. Son expression, quant à elle devenue indéchiffrable, me pendait littéralement au moindre de ses gestes, mon cœur battant si fort que j'étais sûre qu'il pourrait presque devenir audible.
Mais c'est avec déception que je le sentis lentement me lâcher, frôlant au passage mon cou d'une infime caresse involontaire.
- Tu as raison. J'ai malencontreusement l'impression de ne pas en être loin, par moments.
D'un air soudain absent, il se perdit quelques secondes dans la contemplation du vide derrière-moi, ce qui me permit de l'observer plus ouvertement. Je m'apprêtai à lui répondre quand sa voix résonna à nouveau entre nous.
- Tu as l'air bien plus en forme qu'hier, en tout cas. D'ailleurs, tu as pu manger quelque chose ?
Oh. Comment lui avouer que la seule pensée que j'avais eu en tête au moment de mon réveil à l'infirmerie avait été de le voir, lui, avant même de songer à quoi que ce soit d'autre ?
Me rendant compte qu'il avait vu juste, je frottai une main sur mon ventre alors qu'un faible gargouillement se faisait entendre.
- Euh... non pas encore, dis-je, prise en flagrant délit. En fait, je n'ai pas non plus eu le temps de prendre une douche.
Un nouveau sourire naquit subrepticement sur ses lèvres.
- La petite humaine était trop pressée de me retrouver ?
- N'importe quoi, me défendis-je tout en détournant les yeux, le rouge me montant aux joues. Je passais simplement devant ta chambre avant d'arriver à la mienne. Et puis, tu ne m'as pas laissé le choix d'entrer, je te rappelle.
- C'est vrai que tu semblais tout à fait contre, releva-t-il d'un air ironique.
Cet idiot s'amusait bien trop de la situation à mon goût, alors je décidai de feinter mon départ.
- Et bien maintenant que je suis passée, je vais pouvoir aller m'occuper de tout ça. Je te dis probablement à demain, Lance.
Mon ton léger ne sembla pas le déconcerter une seule seconde. Je le contournai afin de me diriger vers la sortie tout en l'observant du coin de l'œil retirer nonchalamment la serviette humide de sa nuque. Mais, quand mes doigts s'apprêtèrent à enclencher la poignée, une main au teint mat pénétra soudainement mon champ de vision en venant se plaquer avec autorité sur le cadrant en bois, maintenant la porte résolument close. Son souffle chatouilla ma joue.
- Très bien, on va faire un marché, toi et moi, commença-t-il. Tu peux aller prendre ta douche, mais ensuite tu me rejoins ici. Je m'occupe du reste.
- Quand tu dis « du reste », tu veux dire que je prenne mon repas dans ta chambre ?
- Il est pratiquement minuit, le réfectoire est fermé mais Karuto est encore en cuisine. Je sais très bien qu'il fera un effort pour toi, en revanche il ne te laissera jamais manger sur place alors qu'il vient de nettoyer la salle.
J'imaginais en effet tout à fait Karuto réagir de la sorte, ce qui me fit rire.
- Et si je n'accepte pas ?
- Qui a dit que tu avais le choix ? s'étonna-t-il tout en se fendant d'un large sourire empli d'assurance.
Je croisai les bras, un sourcil relevé et la moue amusée.
- Un marché, ce n'est pas justement censé être accepté par les deux partis ?
Il retira sa main avant de hausser les épaules, feignant l'innocence.
- Appelle ça comme tu veux tant que ton fessier revient rapidement ici, et sache que je n'hésiterai pas à venir te chercher moi-même s'il le faut, conclu-t-il d'un air qui ne laissait pas le loisir de refuser.
Cet homme était tout bonnement incorrigible, mais pour une fois, je dois dire que j'étais prête à l'écouter bien sagement.
*
Une fois ma douche terminée, je passais rapidement dans ma chambre pour enfiler des affaires propres. Est-ce que j'étais stressée à l'idée de rejoindre Lance ?
Totalement.
La boule au ventre, je frappai à sa porte puis entrai sans attendre de réponse. Penché au dessus d'un livre à la couverture ancienne, le dragon semblait chercher quelque chose dans ces pages jaunies par le temps. Accroupît par terre, ses longs cheveux du dessus lui retombaient sur les yeux, cachant une partie de son visage à la mine concentrée.
Je m'avançai dans la pièce alors qu'il refermait soigneusement l'ouvrage, se redressant par la même occasion.
- Hey, dis-je doucement tout en m'arrêtant près de lui. Que cherches-tu ?
Semblant soulagé de me voir revenir, il m'attrapa délicatement par la taille pour venir planter un baiser sur le haut de mon crâne, faisant reprendre sa course effrénée à mon pauvre cœur.
- Hey, me répondît-il d'un ton calme tout en me relâchant, comme si de rien n'était. J'épluche tous les livres du QG concernant les trois grandes races d'Eldarya, notamment les dragons et aengels, mais je ne trouve rien de similaire à ce qui se produit entre nos pouvoirs. J'en viens presque à me demander si ce phénomène n'est pas totalement à part, même si c'est assez insensé.
Penchant la tête de côté, j'observai la vieille couverture qu'il tenait toujours entre ses doigts avant de remarquer que le titre était écrit en Grec. Tournant la tête en direction de la bibliothèque qui ornait le mur près de moi, je découvrais avec stupéfaction qu'elle était remplie d'une multitude d'alphabets que j'étais incapable de lire.
Je retournai mon attention sur lui.
- Peut-être qu'il s'agit d'une information qui a volontairement été tue ?
Il sembla réfléchir à ma supposition, son regard à son tour perdu sur les couvertures.
- Au point où nous en sommes, je pense que tout est possible.
Il tenta de pousser les mèches qui lui obstruaient la vue d'un passage de la main, mais ces dernières retournèrent aussitôt à leur place, ce qui lui donnait un air incroyablement... sauvage.
Et sexy.
Quand il porta à nouveau son attention sur moi, j'eu la désagréable impression que mes pensées se lisaient sur mon visage, ce qui me fit probablement devenir cramoisie. Heureusement, le dragon semblait d'humeur calme et ne releva pas.
- Tu as faim ?
Sa question me prise au dépourvu, j'avais totalement oublié ce point-là de notre « marché », si je pouvais vraiment l'appeler comme ça. Lance alla chercher un plateau posé sur son bureau, sur lequel trônait un véritable repas complet. Il ne rigolait donc pas quand il disait que Karuto accepterait de faire ça pour moi, je ne m'étais clairement pas attendue à tant.
Il déposa le plateau sur son lit et m'invita à m'asseoir.
- Je n'ai pas vraiment d'endroit adéquat pour manger ici... j'espère que ça ira quand même.
Mon cœur se réchauffa encore un peu plus face à son attention. Je me sentais... bien, pour être tout à fait honnête.
- Ce sera très bien, ne t'en fais pas. Merci beaucoup.
Je m'installai et commençai à manger d'abord timidement, puis avec de plus en plus d'appétit au fur et à mesure que ma faim se réveillait. Le temps que j'avale mon repas, le dragon était retourné à ses activités, me laissant tout le loisir de l'observer.
Entièrement vêtu de noir, seul la couleur de sa chevelure contrastait, faisant ressortir la trace de sa cicatrice à la nuque. C'était la première fois que je la voyait presque entièrement, celle-ci finissant son chemin sous son haut.
Les mots de Leiftan me revinrent alors en mémoire. Cette cicatrice, c'était probablement la blessure avec laquelle il s'était fait porter pour mort, devenant à la suite de cet incident le personnage d'Ashkore. Que lui était-il arrivé, au juste ? L'aengel l'avait décrite comme son unique point faible, ce qui expliquait pourquoi il ne sortait jamais sans se couvrir la nuque. Mais une autre question me taraudait.
Lui arrivait-il de la montrer ouvertement aux autres, comme il le faisait avec moi en cet instant ?
Mon regard se perdit sur son dos à la fois large et élancé. Notre relation avançait pas à pas, c'était un fait, mais avait-elle autant évoluée sans que je ne m'en rende compte ?
Il était vrai que nous nous étions embrassés, mais cet incident n'était arrivé qu'une unique fois. J'avais réagit sous l'effet de mes craintes les plus profondes, cherchant un quelconque réconfort dans les bras de la seule personne qui m'avait réellement vue. Et, en vérité, Lance n'avait finalement fait que répondre à mes pulsions.
Mais, à tête posée, qu'en était-il alors ?
Je finis par avaler la totalité de mon repas, et c'est le ventre plein que je me levai pour reposer le plateau à sa place initiale. Se rappelant probablement de ma présence, le jeune homme décida d'arrêter ses recherches et de remettre en place les livres qu'il avait sortit. Je décidai de le rejoindre, me plaçant à ses côtés dans l'optique de lui apporter mon aide.
- Tu as réussi à trouver quelque chose ? le questionnai-je, faisant tomber mes longs cheveux noirs en cascade derrière mon épaule.
- Pas le moins du monde.
Se penchant légèrement en avant, il vint frotter son visage de ses deux mains, l'air visiblement dépassé de ne pas trouver la moindre information qui puisse lui être utile.
- Je n'ai rien trouvé non plus concernant ta connexion avec Leiftan, à croire que ces phénomènes te sont totalement propres, dit-il tout en me lançant un regard en biais. Tu as vraiment quelque chose de spécial, quoi que tu en penses.
Je fis mine d'être concentrée sur ma tâche pour cacher le sentiment trouble que me procurait son affirmation.
- Quelque chose de spécial, ça c'est sûr. Je suis persuadée qu'il n'y a eu aucune aengel avant moi qui soit déjà passée à l'article de la mort parce qu'elle n'arrivait pas à dégainer ses pauvres ailes.
Lance rit franchement de ma réflexion, visiblement amusé par mon air blasé.
- À l'article de la mort, carrément ?
- Evidemment ! Et ne rit pas, c'est bien plus compliqué qu'on ne le pense, continuai-je sur la même longueur.
Son regard bien plus vif qu'un instant plus tôt, fit naître des papillons dans mon ventre. J'aimais le voir s'animer lorsqu'une de nos discussions l'amusait.
- En effet, j'avais oublié que je ne savais pas ce que cela faisait d'avoir des ailes, ironisa-t-il avant d'intercepter agilement ma vaine attaque sur son épaule, faisant à nouveau résonner son rire rauque alors que sa main décidait de ne plus lâcher la mienne.
- Tu vas finir par te faire mal, je t'en empêches pour ton bien.
Personnellement, j'appelais plutôt ça un ego surdimensionné. Je présumais en revanche qu'il était trop tard pour rattraper ce point-là chez lui.
- D'ailleurs, tu as pu voir ton dos quand tu es allée prendre ta douche ?
- Oui, dis-je en me remémorant l'image de ma peau, celle-ci étrangement presque guérie. On ne distingue pratiquement plus rien, il ne reste que quelques traces de bleus. Je ne comprends pas, hier je me suis évanouie à cause de ça, et aujourd'hui... c'est comme s'il n'y avait jamais rien eu.
Le dragon resta un moment silencieux, analysant probablement mes paroles.
- C'est déjà une bonne chose que ça se soit amélioré, même si je comprends ta frustration de ne pas réagir de façon « normale », disons.
Je m'immobilisai, ma main libre posée sur un ouvrage et mon regard planté face à moi. C'était ça, il avait raison. Même si, dans ce cas précis, il s'agissait d'une bonne chose, mon corps réagissait une nouvelle fois de façon anormale, inexplicable, et c'est ce point-là qui me dérangeait le plus.
Sans jamais rien montrer, Lance écoutait toujours attentivement le moindre de mes silences.
J'avais parfois l'impression qu'il me comprenait mieux que moi-même.
Je reportai mon attention sur lui et fut surprise de tomber directement sur son regard d'un bleu si froid et d'une intensité si profonde, que je me perdis dedans sans aucune échappatoire. Sa main lâcha finalement la mienne afin de remonter le long de mon bras, stoppant sa course quand ses longs doigts fins arrivèrent jusqu'à ma joue. Quand ceux-ci glissèrent à l'arrière de ma nuque, j'orientai instinctivement mon visage dans sa direction.
Juste avant que ses lèvres ne happent les miennes sans ménagement.
J'enfonçai à mon tour mes doigts dans ses cheveux tout en répondant avidement à son baiser. Sans prévenir, son autre bras s'enroula autour de ma taille afin de me soulever contre lui, plaquant mes jambes de part et d'autre de ses hanches. En deux grandes enjambées, Lance éteignit la lumière du plafonnier afin d'en allumer une nouvelle, bien plus intime, puis me déposa ensuite d'un geste assuré sur le matelas. Son corps positionné juste au dessus de moi, je le poussais à se redresser de mes mains contre son torse, le suivant dans sa course. Quand il se retrouva seulement appuyé sur ses genoux, je soulevai son t-shirt sombre pour le faire passer par dessus sa tête. Le dragon m'aida sans broncher, faisant rouler ses muscles sous sa peau hâlée tandis qu'il envoyait paître le vêtement.
Sans me laissait le temps de faire quoi que ce soit, il me fit à nouveau basculer en arrière de sorte à venir me surplomber totalement. Attrapant mes hanches de ses grandes mains, il me fit glisser dans le but de me faire remonter plus haut dans le lit.
J'attrapai le bas de mon t-shirt et tirai dessus, découvrant rapidement mon ventre puis ma poitrine. Lance n'eut pas la patience d'attendre que je termine de le retirer pour passer à l'étape supérieure. Avec dextérité, il déboutonnait déjà mon pantalon d'une main tout en embrassant chaque partie de mon corps qui se découvrait petit à petit, puis, d'un mouvement sec et précis, il tira dessus afin de faire glisser d'abord mes fesses puis mes jambes, jusqu'à me le retirer complètement.
Seulement vêtue de ma culotte, j'enfonçai mes doigts dans la couette au dessus de ma tête sous son regard fiévreux. Il continua d'embrasser mon corps, variant parfois entre un mordillement ou un coup de langue sur ma peau brûlante, ses yeux disparaissant dans le sillage de sa chevelure désordonnée alors qu'il entamait la pente de mes courbes.
Quand je senti mon sous-vêtement glisser sur mes cuisses, ses baisers devinrent plus doux, plus profond. Il écarta mes jambes de ses mains soudain patientes, caressant ma peau fine d'une trajectoire lente alors qu'il se positionnait plus bas.
Mon souffle s'accéléra en une fraction de seconde quand sa langue me rencontra.
D'abord appliqué, le jeune homme ne tarda pas à se caler sur le crescendo de mes gémissements pour approfondir chacun de ses coups de langues, m'amenant à l'apothéose quand ses doigts rejoignirent la danse, s'enfonçant profondément en moi. Mes jambes se mirent à trembler, m'obligeant à enfoncer mes dents dans la chair de mon bras pour ne pas réveiller tout le QG. Quand mes soubresauts se calmèrent enfin, le dragon ne me laissa pas une seconde de répit. Embrassant passionnément ma bouche, il se releva afin de retirer les seuls vêtements qui lui restaient. Je ne pus m'empêcher de me mordre les lèvres en admirant la beauté de l'homme qui se tenait devant moi.
Un léger sourire se dessina sur ses lèvres pleines quand il me surplomba de nouveau, se frayant sans difficulté un chemin entre mes cuisses. Il s'appuya sur un bras et attrapa une de mes jambes de sa main libre, la faisant passer par dessus sa hanche. J'en profitai pour l'enrouler autour de lui et soulevai par la même occasion mon bassin, de sorte à lui faciliter la tâche.
Glissant ma main sur sa joue, je m'ancrais dans son regard si intense que j'en fus profondément émue.
Je ne pus malheureusement empêcher mes ongles de s'enfoncer dans sa chair quand il effectua une grande poussée brutale en moi. Une unique goutte de sang s'échappa immédiatement de la griffure et vint couler jusqu'à ses lèvres alors qu'il commençait à effectuer plusieurs imposants va et viens.
Il se pencha tout contre mon oreille.
- Mon ange, je viens à peine de commencer et tu me mets déjà en sang, rit-il faiblement.
Mais il ne me laissa pas l'occasion de répondre, du moins pas comme je l'aurai voulu. Accentuant ses à-coups, mes cris commencèrent à emplir la chambre de plus en plus bruyamment.
Nos bouches ne tardèrent pas à se retrouver, comme aimantées maintenant qu'elles s'étaient enfin retrouvées, faisant à leur tour couler la perle rouge jusqu'au creux de mes lèvres.
CHAPITRE 16 : NOUS AURONS TOUT LE TEMPS DE NOUS SOUCIER DE ÇA PLUS TARD
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Mes mains parcourraient leur lent chemin depuis plusieurs minutes, formant diverses formes abstraites de leurs faibles caresses. De nombreux frissons naissaient par moment au passage de mes doigts quand j'explorai de nouvelles zones mais aucune protestation ne se faisait jamais entendre, ce qui me poussait à m'aventurer encore et encore, savourant ce moment presque suspendu dans le temps.
Clignant difficilement des paupières sous la faible lumière du jour qui traversait les rideaux, mon regard se perdit un instant sur les longues mèches blanches qui cachaient en partie le visage endormi de Lance. La tête posée sur ma poitrine dénudée, il semblait ne pas vouloir quitter son sommeil profond, un bras passé par dessus ma hanche me maintenant fermement pressée contre lui.
J'orientai mes caresses un peu plus haut jusqu'à atteindre une zone écailleuse sur son épaule. Fascinée, j'en dessinai chaque contour comme pour venir les mémoriser, surprise de les sentir vibrer à chacun des passages de mes doigts.
Cela faisait quelque temps que je m'étais rendue compte d'une chose. Une chose qui, à chaque fois qu'il me l'a laissait voir, m'emplissait un peu plus le cœur de sentiments nouveaux.
De plus en plus souvent en ma présence, Lance semblait oublier ses barrières. Ainsi parfois, le jeune homme laissait courir sur sa peau une infinité d'écailles aux couleurs improbables tandis que, d'autres fois, sa glace parcourrait mon corps sans aucune logique, dessinant des formes complexes et involontaires. Je restais néanmoins toujours surprise de la douceur de ces manifestations, celles-ci naissant pourtant d'une nature brute, primitive. Car malgré son apparence humaine, Lance n'en était pas moins un dragon dont il en possédait les instincts et, au delà de la brutalité qui en accompagnait certains, j'adorai le voir lâcher prise. J'avais l'impression que dans ces rares moments où la barrière entre ses deux formes s'amenuisait, il pouvait enfin se détendre, être réellement lui-même.
Mais partager avec lui ce moment d'intimité physique m'avait appris une nouvelle chose. Dans des élans purement instinctifs, il aimait me marquer de sa présence, allant de ses pouvoirs à son odeur et à certains moments, jusqu'à ses griffes. Lance s'était montré parfois involontairement brutal, mais était-ce étrange si j'avouais que j'avais aimé absolument chaque instant ?
Le dragon me tira de mes rêveries en remuant légèrement. Relevant son visage aux traits encore endormis, il arqua un sourcil en analysant la situation, son regard dérivant sur nos corps encore nus. Mon souffle s'accéléra quand l'une de ses mains s'attarda sur la pente de ma hanche tandis que ses yeux s'assombrissaient déjà de désir. Sans prévenir, il resserra son étreinte et bascula au dessus de moi. Ses longs cheveux vinrent chatouiller mon visage quand il se pencha pour explorer chaque centimètre de mon cou, me faisant gémir malgré-moi de langueur.
- Bonjour, mon ange, dit-il d'une voix rauque contre ma peau.
J'enroulai mes bras autour de ses larges épaules tandis qu'un sourire las étirait mes lèvres.
- Bonjour, mon grand dragon.
Lance rit dans le creux de ma clavicule tout en laissant glisser ses mains glaciales sur mes cuisses, faisant naître la chair de poule dans le sillon de ses paumes. Ses lèvres entamèrent la pente de ma mâchoire et quand elles rencontrèrent enfin les miennes, c'est avec une certaine autorité qu'il releva mes jambes de part et d'autre de ses hanches étroites.
Nous nous embrassâmes longuement, nos langues se rencontrant sans tarder afin d'approfondir notre étreinte. Entre mes jambes, je le sentais pulser de plus en plus vigoureusement, faisant croître d'une vitesse affolante le désir qui ne m'avait pas quittée.
- Tu fais bien de ne pas oublier dans les bras de qui tu te trouves, s'amusa-t-il d'une voix à la sonorité bien plus grave qu'habituellement.
Je plantai vigoureusement mes ongles dans son dos musclé quand ses hanches effectuèrent une poussée contre mon bas-ventre.
- Comment le pourrais-je, au juste ? le questionnai-je avec difficulté tant le moindre de ses gestes m'obnubilai. Tu ne m'aide pas vraiment à l'oublier...
- C'est vrai que je n'arrive pas à garder totalement ma forme humaine, avec toi.
- Ça ne me déplaît pas, tu sais, dis-je dans un rire.
Un sourire doux illumina son visage aux traits pourtant souvent si durs. D'une humeur légère, le dragon souleva mon menton de ses doigts afin d'orienter mon visage dans sa direction. Je plongeais sans hésitation dans ses yeux qui accaparaient toutes mes pensées depuis plusieurs semaines.
Redevenant sérieux, nous ne dîmes pas le moindre mot durant plusieurs longues secondes, nous observant d'un regard lourd de sens.
- Andraste...
Je savais ce qui tournait dans sa tête.
Nous.
Notre relation, notre passif, notre présent... Se retrouver dans les bras l'un de l'autre était absurde, totalement inconventionnel et nous en avions tous les deux lourdement conscience. Qu'allait-on devenir l'un pour l'autre une fois sortis de cette chambre ?
Rien. Nous ne pouvions absolument rien devenir l'un pour l'autre. Et nous le savions.
Décidant de stopper nos cheminements de pensées respectifs, je franchissais la faible distance entre nous en plaquant fébrilement mes lèvres contre les siennes. Je l'embrassai avec hargne, désespoir, envie. Je plaçai toutes mes craintes dans ces mains puissantes qui enserraient mes hanches, ces lèvres avides qui dévoraient les miennes comme pour venir y chercher un quelconque souffle. J'avais besoin de le sentir perdre le contrôle, besoin de me noyer dans ses yeux qui me criaient qu'ils m'aimaient.
Ou du moins, durant ces courts instants résolument interdits.
- S'il te plaît, ne dis rien, lui intimais-je entre deux baisers, commençant à remuer mon bassin tout contre le sien. Nous aurons tout le temps de nous soucier de ça plus tard.
Semblant d'abord réfléchir à mes paroles, Lance planta soudain l'une de ses mains sur ma hanche tandis que je remuai avec de plus en plus de vigueur sous son poids qui m'écrasai. Ne me laissant pas le temps de réfléchir, il glissa sans aucune pudeur deux doigts en moi sans jamais quitter mon regard tout à coup fiévreux. Atteignant ma garde, il remua de façon lente mais assurée, me torturant de son pouce un peu plus haut. Mon Dieu, je n'avais jamais autant désiré quelqu'un, j'en étais sûre.
Chacun de ses mouvements faisait exploser une myriade de sensations au creux de mon ventre, me faisant tourner la tête de ses gestes précis. Mon bassin accompagna rapidement ses doigts, les guidant silencieusement tandis que chacun de mes gémissements se retrouvait absorbé par ses lèvres. Quand une multitude d'étoiles éclatèrent dans mon champ de vision, j'attrapai fermement sa gorge tandis qu'il m'amenait au bord du précipice sans crier gare.
Alors que je perdais pied, je remarquai d'un œil absent que ma lumière se diffusait en lui. Partant de la base de son cou juste sous ma paume, elle illuminait sa peau hâlée de ses couleurs vives et chaleureuses. Dans cette histoire, ce n'était pas Lance qui perdait le plus le contrôle.
Je crois bien que c'était moi.
Pas que j'ai déjà réellement eu un contrôle sur mes pouvoirs, ç'aurait été mentir. Mais je ne contrôlais plus rien. Mes émotions, mes peurs, mes désirs; j'étais sans cesse bousculée, ballottée entre tout.
Quand le dragon se rendit compte à son tour que je le marquais sans permission de ma lumière, il poussa un râle de satisfaction avant de retirer promptement ses doigts de mon intimité. Je n'eus pas le temps de comprendre ce qu'il m'arrivait que je me retrouvai déjà à califourchon sur lui, Lance m'ayant attrapée pour inverser nos places, ses mains parcourant fébrilement mon dos tandis que sa langue s'attaquait à ma poitrine. Basculant la tête en arrière, je laissai sa bouche affamée remonter jusque sous mon oreille, mordant ma peau de ses dents soudain plus acérées jusqu'à légèrement me marquer.
D'une main, je le repoussai afin de venir plaquer autoritairement son dos contre le matelas. Son regard s'assombrit encore quand je me penchai sur lui, entamant une lente descente de son abdomen. Un nouveau râle lui échappa quand ma paume rencontra son érection, remontant lentement de la base jusqu'à son extrémité, ne détournant jamais mes yeux des siens. Lance glissa ses doigts d'un geste démesurément doux dans ma chevelure afin de dégager mon visage, me facilitant ainsi la tâche. Ses mains se mirent à trembler légèrement quand je le pris enfin dans ma bouche, ne pouvant l'accueillir entièrement tant il était imposant.
Sa respiration s'accéléra rapidement au fur et à mesure que j'entreprenais ma tâche, fascinée de pouvoir le découvrir à mon tour comme il l'avait fait cette nuit avec mon corps. Très bientôt, je l'entendis pousser plusieurs gémissements discrets qui m'excitèrent au plus haut point avant qu'il ne tire avec hâte dans mes cheveux afin de me faire relever la tête. Sans ménagement, il me fit remonter jusqu'à lui tout en attrapant vigoureusement mes lèvres, encadrant mon visage de ses grandes mains.
- Je pense que j'ai beaucoup trop envie de toi, mon ange.
*
L'eau frappait mon crâne avec hérésie, plaquant mes longs cheveux contre mes épaules avec dureté. Depuis combien de temps errais-je ici ? Les yeux plissés face à la force de la pluie qui s'abattait sur moi, j'avançais comme dans une sorte de flou constant.
Mon regard fut attiré par une petite ombre qui passa rapidement devant moi. Courant sous les trombes d'eau, elle ne semblait pourtant pas les ressentir, évoluant librement dans l'obscurité ambiante. Je plaquai une main fébrile devant mon visage pour essayer de distinguer quelque chose aux alentours, ayant perdue la silhouette entre les arbres. Voguant à l'aveugle, un rire enfantin attira mon attention quand je poussai deux branches dans mon passage. Décidant de suivre le son de cette voix inconnue, je m'enfonçai un peu plus dans ce qui ressemblait à un véritable labyrinthe.
Plus je m'approchai de l'ombre, plus elle semblait prendre forme sous mes yeux. Très bientôt, je distinguai des cheveux aux couleurs de l'arc-en-ciel qui se confondaient pourtant sur une peau blafarde, accompagnés de deux petites cornes. La jeune fille courait innocemment, aussi légère que l'air malgré la brutalité de la force de la nature qui s'abattait sur moi. Mon cœur rata un battement quand je cru la perdre une nouvelle fois de vue, ce qui me poussa à accélérer encore ma cadence. Je trébuchai à de nombreuses reprises, glissant sur le sol boueux, percutant des racines aux dimensions démesurées. Le bruit tonitruant de la pluie recouvrait le son de mon souffle effréné, mes cheveux se collaient à mon visage, entrant dans ma bouche, se collant à mes cils. Ma vue s'amenuisait, l'obscurité m'absorbait de ses bras froids.
Je ne savais plus quoi faire, j'étais perdue.
Mais soudain, les grands yeux silencieux de la petite fille apparurent devant moi. Un bras tendus dans ma direction, elle m'invitait à la rejoindre, aussi lumineuse que le soleil. Quand mes doigts entrèrent en contact avec sa peau, le décor changea complètement, me faisant tourner la tête à une vitesse folle.
Les mouvements se calmèrent enfin. Je reconnu immédiatement la salle du Cristal, mais ce n'était pas celle que je connaissais maintenant.
Plusieurs personnes aux visages inconnus se tenaient devant moi. Le visage grave, ils discutaient sans avoir l'air de remarquer ma présence.
- Ce sera lui que nous enverrons là-bas.
- Un chef de Garde, alors que la situation y est totalement incontrôlable ?!
- Il est bien trop jeune !
- Faites-le entrer, coupa l'homme qui semblait être le décisionnaire ici.
Un frisson parcouru mon dos quand la porte s'ouvrit en grand, laissant résonner des pas lents et sûrs dans la pièce. Quand le jeune homme en question passa tout près de moi, frôlant au passage mon bras droit, une vive sensation marqua ma peau sous ma manche. Il sembla la sentir également, car l'expression sur son visage changea un court instant, presque troublée. Son regard caressa le mien sans pour autant me voir.
- Lance, nous t'attendions.
Continuant sa route, un sourire confiant élargi les lèvres pleines du dragon aux traits si juvéniles.
- Veuillez m'excuser pour mon retard, Maître Kaze.
Totalement happée par ce qui se déroulait sous mes yeux, je fus surprise de découvrir les petits doigts de la jeune fille s'enrouler autour de mon avant-bras. Quand je tournai la tête dans sa direction, le monde bascula une nouvelle fois.
Un familier s'effondra à mes pieds, faisant gicler son sang contre mes jambes. Un violent haut-le-cœur me pris quand ses organes tombèrent de la blessure béante qui sciait son ventre. Horrifiée, je reculai de plusieurs mètres quand mon attention fut attirée par un énorme dragon qui s'écrasa contre les rochers non-loin de moi, le tout dans un bruit fracassant. Dans un dernier râle qui me retourna l'estomac, la créature s'effondra au sol avant de prendre une forme semi-humaine. Les larmes inondèrent mes joues quand je me précipitai dans sa direction.
- LANCE !
Ma voix crissa, se brisa dans ma gorge. Je ne pus qu'apercevoir la flaque rouge qui s'étalait progressivement autour de sa nuque telle une toile macabre quand ma vision changea une nouvelle fois.
J'étais assise sur un lit dans une pièce sans fenêtre. À côté de moi, une petite lumière à gaz brillait faiblement dans l'obscurité. Baissant les yeux, je remarquai que j'étais parfaitement sèche. Plus aucune trace de sang ne maculait mes vêtements
- Donc si j'ai bien compris, tu veux m'aider à briser ce foutu Cristal ?
Un rire rauque secoua les larges épaules du jeune homme tandis que son interlocuteur ne bougeait pas d'un millimètre, parfaitement stoïque.
- Tu m'as très bien compris, Ashkore. Veux-tu conclure ce marché, oui ou non ?
Le regard de Lance brilla d'une lueur qui me glaça le sang. Un sourire carnassier barra son visage aux allures dingues.
- Très bien, mon très cher deamon. Mais ne crois pas que tu m'auras à la bonne pour autant.
La lumière s'éteignît soudain, laissant apparaître une nouvelle fois la couleur bleutée du grand Cristal.
Le sérénité régnait dans la salle. Cette fois-ci, aucun son ne venait perturber le calme religieux de cette atmosphère. Un mouvement au fond de la pièce me fit tout de même me retourner, laissant apparaître Lance une nouvelle fois.
Seul, assis nonchalamment à même le sol, son regard ne semblait pas vouloir quitter le joyaux luminescent.
Ses yeux n'avaient jamais été aussi sombres.
- Ç'a été la dernière fois qu'il est venu ici, jusqu'à ton réveil.
Je sursautai au son de la petite voix dans mon dos. La jeune fille se tenait là, immobile. J'hésitai un instant.
- Ophélia... où sommes-nous ? la questionnai-je faiblement, ayant peur qu'elle ne décide de disparaître à nouveau.
Son regard inexpressif se perdit un instant dans le vide derrière-moi. Je cru qu'elle ne me répondrai pas.
- Dans les souvenirs les plus enfouis du dernier des dragons.
- Mais, pourquoi ? Que faisons-nous ici ?
Se murant dans le silence, elle avança droit devant elle jusqu'à traverser mon corps et passer de l'autre côté.
- Il faut que tu trouves la réponse par toi-même, Andraste.
L'image recommença à se brouiller autour de moi. Non, pas maintenant, il fallait que je la rattrape !
- Ophélia !
Ouvrant brusquement les yeux, je me réveillai en sueur dans mon lit, respirant bruyamment de mes lèvres entrouvertes.
Je restai interdite quand je me rendis compte que de minuscules cristaux de glace se formaient sous mon regard ébahi.
Bon sang, mais que se passait-il ?
CHAPITRE 17 : JE ME CHARGERAI DE LUI FAIRE COMPRENDRE QUE TU M’APPARTIENS
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Ophélia !
J'ouvris les yeux brusquement.
Étendue de tout mon long sur le matelas, mon dos se collant désagréablement au tissu de mon haut, je fixai le plafond noir afin de reprendre mes esprits, ma respiration saccadée brisant le silence serein de la nuit.
Bon sang, mais que se passait-il ?
Mon rythme cardiaque battant à tout rompre, j'avais l'impression d'avoir couru un marathon tant ma poitrine se soulevait avec frénésie alors que les images de ce songe incompréhensible tournaient en boucle dans ma tête.
Lance.
C'était lui, j'en étais sûre. Je l'avais vu, le visage si jeune, évoluant au fil de différentes scènes de son passé. Le voir ainsi m'avait chamboulée. Fier, joueur, inconscient de ce qui l'entourait, c'était une toute autre personne de celle que je connaissais maintenant. Mais... je l'avais également connu ainsi. Aussi étrange que cela puisse paraître, Lance avait été mon premier soutien à mon arrivée au QG. La suite de l'histoire n'était malheureusement que peu glorieuse.
En particulier quand je repensais à mes sentiments enfouis.
Sauf que ce rêve, en était-ce réellement un ? La petite fille avait évoqué les souvenirs les plus enfouis du dernier des dragons, mais que cela signifiait-il ? Et surtout, pourquoi ?
Mon regard fut attiré par un élément semblant s'échapper de mes lèvres entrouvertes. Écarquillant les yeux, j'observai avec stupéfaction de minuscules cristaux de glaces qui maculaient l'air à la lisière de ma bouche. Quand je pris conscience de ce que cela impliquait, ma respiration s'accéléra encore et très bientôt, je cru reconnaitre le léger souffle glacé que le dragon m'avait fait expérimenter quelques jours plus tôt.
Non, ce n'était pas possible.
Je ne devrais pas pouvoir développer les pouvoirs de Lance sans sa présence... non ?
Me redressant sur mon lit, je m'appuyais sur mon bras droit quand une sensation étrange me pris. Relevant lentement ma manche sur mon épaule, je restais bouche bée quand je découvris les familières zébrures de glace du dragon quand il les laissaient parcourir mon corps. Sauf que pour cela, nous avions toujours eu besoin d'un contact physique, c'était la raison même qui nous avait fait découvrir ce phénomène.
Fascinée, je laissai mes doigts courir sur les fines lignes bleutées qui m'acculaient ma peau. J'avais comme la sensation étrange de le sentir frôler mon bras.
Ma main se resserra immédiatement sur ma chair quand un élément me revint en mémoire.
Cette nuit quand j'avais été dans ses souvenirs, si cela avait réellement été le cas, Lance et moi nous étions effleurés dans la salle du Cristal. Au moment où nos bras étaient entrés en contact, j'étais sûre que le jeune homme avait réagit, semblant me chercher sans pour autant réussir à me voir.
Mais comment avait-il pu me sentir physiquement si ce que j'avais vu était des souvenirs, qui plus est desquels je ne faisais pas partie ? Relevant mon bras sur mon visage, je sentais l'adrénaline retomber doucement. Il fallait que je laisse ces questions en suspend.
Du moins, jusqu'au lever du jour.
*
Dès les premières lueurs des rayons du soleil, je me levai afin de prendre une douche, espérant ainsi chasser ne serait-ce que quelques instants les images de ces songes qui m'avaient hantée tout le reste de la nuit. Je n'avais finalement pas réussis à me rendormir et c'est avec des cernes plus que creusées que je me dirigeai vers les douches communes.
À peine sortie de ma chambre, je fus étonnée de tomber sur un Nevra très matinal qui quittait visiblement également son antre, sa porte étant voisine de la mienne de quelques mètres.
Quant-il me vit, le vampire releva les sourcils de surprise avant de m'adresser un léger sourire moqueur.
- J'en connais une qui n'a pas très bien dormis.
Super. Je frottai une main sur mes yeux fatigués dans l'espoir de me redonner contenance.
- Pas tellement, en effet. Ça se voit tant que ça ?
- Et bien, pas que tu aies l'air moins en forme que d'habitude, ce serait compliqué, mais tu sembles plutôt fatiguée oui, me dit-il sans pour autant réussir à retenir un rire face à ma mine dépitée. Mais tu restes très jolie, ne t'en fais pas.
Déjà prête à lui donner une réponse sanglante, sa dernière phrase me stoppa dans mon élan. Bon sang mais quelle idiote, pourquoi est-ce que je sentais mes joues rougir ?
Fermant ma porte à clé, je restais résolument tournée vers le battant en bois afin de cacher mon désarroi.
- Je vois que je peux compter sur toi pour me rassurer, en tout cas, dis-je tout en feignant l'indifférence.
J'entendis son rire résonner une nouvelle fois entre nous.
- Tu sais que je suis une personne digne de confiance.
Sans m'en rendre compte, je me mis à sourire à mon tour. J'aimais les rares moments durant lesquels il en oubliait son masque froid de bras droit de l'Etincelante.
- Au fait... commença-t-il, le regard soudain fuyant, semblant hésiter sur la façon dont il allait formuler la suite. Tu vas mieux depuis l'autre soir ? Je me suis pas mal inquiété, je n'ai rien compris à ce qu'il s'est passé. Eweleïn m'a seulement dit qu'elle était déjà au courant et qu'elle surveillait ton état de près.
- Oh, oui... je suis vraiment désolée de ce qu'il s'est passé et j'espère ne pas t'avoir causé trop de soucis. Mais je pense que je n'ai plus rien. Je voulais d'ailleurs te remercier de t'être occupé de moi, je ne sais pas ce qu...
- Ne dis pas de bêtises, me coupa-t-il. J'ai peut-être été stupide envers-toi, il n'empêche que je n'allais certainement pas te laisser comme ça.
Passant une main dans ses cheveux, je vis l'inquiétude naître sur son visage pourtant si souvent de marbre.
- Et je ne veux pas avoir l'air intrusif, mais il faudra que tu m'expliques ce qu'il s'est passé. Je n'ai jamais rien vu de similaire se produire.
Son œil, aux teintes similaires aux miennes, m'observa si intensément que je ne pus me résoudre à lui mentir.
- D'accord, je t'expliquerai, soufflai-je. Laisse-moi juste un peu de temps.
- Bien, me sourît-il avant de se reprendre rapidement. Avec tout ça, j'allais presque faillir à ma tâche. Huang Hua voudrait que tu participes à la prochaine réunion de l'Étincelante.
Je le fixai plusieurs secondes, ne sachant comment réagir.
- Huang Hua veut m'envoyer en mission ?
Ses lèvres se crispèrent légèrement.
- Je ne peux pas t'en dire plus pour le moment, mais je ne te cache pas que ça ne m'enchante pas énormément au vu de ce qu'il t'est arrivé la dernière fois que nous nous sommes vus.
- Nevra...
Je ne savais plus sur quel pied danser avec lui. Depuis notre discussion, j'avais l'impression que beaucoup de choses avaient changées entre nous mais je ne savais pas comment les percevoir.
- La réunion se déroulera dans une heure dans la salle du Conseil, ne sois pas en retard.
Le vampire me congédia sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit.
Excitée à l'idée de potentiellement participer à une future mission, je me douchai en quatrième vitesse, en oubliant presque ce qu'il s'était passé cette nuit. Mais c'était la boule au ventre que je toquais sur la grande porte que je n'avais emprunté que de rares fois.
Ouvrant le battant avec prudence, je pénétrai dans la pièce majestueuse. Je ne pus retenir mon regard de parcourir le grand arbre qui trônait fièrement entre ces murs, l'immense fenêtre qui donnait sur les jardins du QG ou encore sur l'immense table prostrée au centre de la salle. Je n'avais pas souvent eu l'occasion d'entrer ici, mais à chaque fois j'étais émerveillée par ce qu'il s'y cachait.
C'était époustouflant.
Ce n'est qu'après ma petite inspection des lieux que je pris conscience des personnes se trouvant déjà ici. Face à la grande fenêtre, Huang Hua se tenait droite, les bras croisés, le regard perdu dans le vide. Sa peau bronzée baignée par la lumière naturelle attira mon regard d'admiration tandis que ses traits fins se tournèrent vers moi quand j'atteignis le bas des escaliers. Son regard chaleureux me détendis immédiatement.
- Andraste, te voilà ! me dit-elle d'un sourire étonnement sincère. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de te voir ces derniers temps, comment vas-tu ? J'ai été tenue au courant de ton état...
Je restais quelques secondes stupéfaite devant la chaleur et la sincérité que je lisais en elle en cet instant. Depuis quand ne l'avais-je pas vue ainsi ?
- Ça va beaucoup mieux, merci. Si ça peut te rassurer, mon dos semble parfaitement guéri. Enfin, pour le moment, ajoutai-je d'un rire ironique.
Jusqu'à ce que mes ailes se décident une nouvelle fois à n'en faire qu'à leur tête, j'entends.
- Tu m'en vois ravie, j'espère que nous pourrons discuter un peu plus calmement plus tard, toi et moi.
Me désignant les sièges, elle ajouta :
- Je t'en prie, assieds-toi.
Laissant glisser mon regard sur les personnes assises face à l'immense table, je fus soulagée de constater que je n'étais pas la seule invitée. Étonnamment, je reconnu Leiftan, Mathieu et Koori tout près de moi, mais également presque tous les membres de l'Étincelante.
Tous, sauf deux d'entre eux, qui manquaient visiblement à l'appel.
Tirant la première assise que je trouvais, je m'installai entre la kitsune et Chrome. Le grand sourire du loup empli tout mon champ de vision.
- Salut Andraste ! Tu vas assister à ta première réunion de l'Étincelante, je suis super content, me dit-il tout en faisant ressortir ses canines.
Mon sourire s'élargit automatiquement face à sa bonne humeur.
- Coucou Chrome, moi aussi je suis contente ! Mais tout de même un peu stressée, je ne te le cache pas.
- Ne t'en fais pas, tout va bien se passer.
La grande porte s'ouvrît une nouvelle fois, laissant entrer les deux membres manquant. Mon cœur s'emballât de plus belle quand les deux hommes s'assirent en face de moi.
- Parfait. Lance, Nevra, nous n'attendions plus que vous pour commencer, annonça Huang Hua. Comme vous le savez, plusieurs phénomènes étranges se sont produits ces derniers mois, la barrière entre la Terre et Eldarya n'a jamais été aussi mince. Plusieurs personnes nous ont reportés l'apparition soudaine d'un bâtiment au milieu des terres de Genkaku.
Sans comprendre pourquoi, je sentis Koori se crisper à l'entente de ce nom.
- Andraste, Nevra m'a fait part d'un point important.
Le vampire prit à son tour la parole.
- Il y a sept ans, tu m'avais parlé de bâtiments humains très hauts dans lesquels des gens vivaient ou travaillaient. Des heum...
- Tu parles des immeubles ? le coupais-je. Vous êtes en train de dire qu'un immeuble est apparu sur Eldarya ?
- Exactement. Rien de tel n'a jamais été reporté entre nos deux mondes mais nous devons nous assurer qu'il s'agisse bien d'un immeuble humain. C'est pour cela que nous aurions besoin que Mathieu et toi vous rendiez sur place. Évidemment, vous serez accompagnés d'autres membres de la Garde.
Je n'en croyais pas mes oreilles, ce n'était pas possible. Comment un bâtiment avait-il pu atterrir ici ? Et si des personnes s'étaient trouvées à l'intérieur ?
Mathieu et moi nous lançâmes un regard horrifié. Cela ne présageait vraiment rien de bon.
Se tournant vers la kitsune, Nevra ajouta :
- Koori, nous aurons également besoin de ta présence. Tu es la seule ici à connaître les terres de Genkaku.
- Oui, je comprends. Vous pouvez compter sur moi...
Le visage de la cheffe de l'Étincelante se voila d'une expression compatissante.
- Je suis désolée de te demander cela, je sais que ce ne sera pas quelque chose de facile pour toi, mais nous ne pouvons compter que sur ta présence pour vous guider sur ces terres.
- Je sais Huang Hua. Il n'y a pas de soucis, je vous accompagnerai.
- En ce qu'il s'agit de Tenjin, nous devrons rester prudent, continua Lance. Il va forcément apprendre pour notre venue et nous ne serons probablement pas les bienvenus.
Quand le dragon prit la parole, tout le monde sembla l'écouter avec une certaine forme de respect. J'étais fascinée par la prestance qui le sciait inconsciemment.
Cela faisait deux jours que le dragon et moi ne nous étions pas vus, ce dernier étant trop occupé avec le futur départ en mission et ses devoirs en tant que chef de Garde. Je n'avais pas eu l'occasion de lui parler de mon rêve, et ne savais à vrai dire même pas si je devais lui en parler ou non. Le savoir ici me rendait nerveuse et entendre sa voix me contracta l'estomac. La dernière fois que nous nous étions vus, c'était dans son lit...
Le rouge me monta une nouvelle fois aux joues quand son regard effleura le mien. Je ne pus me détacher de lui durant plusieurs secondes.
- Lance a raison, Tenjin est notre principal obstacle pour nous rendre sur les terres des kitsunes de Genkaku, reprit le vampire. Il est instable et risque très fortement de s'en prendre à nous quand il verra Koori. C'est pour cela que je vous accompagne également. Il est rare que nous envoyions plusieurs chefs de Garde, mais cette mission risque d'être plus périlleuse que celles habituelles.
Se tournant à son tour vers l'aengel, il ajouta, la mine soudain plus sombre :
- J'espère que nous pourrons compter sur toi. Tu es un navigateur hors pair et tes capacités nous ont été prouvées plus d'une fois. Enfin, si tu veux bien cesser ta pseudo rédemption.
Leiftan serra les dents face à cette dernière remarque, la tension était des plus palpable entre les deux hommes.
- Nevra, nous en avons déjà parlé. Si tu as des choses à régler avec Leiftan, ce sera dans le cadre du privé, trancha Huang Hua.
- Vous pouvez compter sur ma présence, mais je n'aurai pas recours à mes pouvoirs, c'est ma seule condition.
Nevra s'apprêta à répliquer quand la fenghuang le stoppa d'un geste de la main.
- Parfait, si tout le monde est d'accord, l'équipe pour cette mission sera donc constituée de Nevra, Lance, Koori, Mathieu, Leiftan et Andraste. Une objection ?
- Aucune, répondît Huang Chu. J'espère que vous reviendrez avec de nouveaux sujets d'études concernant les humains, c'est tout ce que je demande.
La réunion terminée, l'assemblée sortie de la pièce tour à tour. Quand je m'apprêtai à monter les marches jusqu'à la sortie, la main délicate et chaleureuse de l'ancienne aspirante phénix attrapa mon poignet.
- Andraste, est-ce que je peux te parler un instant ?
J'acquiesçai tout en stoppant ma course.
- Eweleïn m'a tenue au courant de ton état physique et mental. Est-ce que tu te sens de faire cette mission ?
- Je pense que oui. À vrai dire, je commence à tourner en rond dans le QG sans but précis. Ça me fera du bien de me sentir vraiment utile et de changer d'horizon, même si je sais que ce ne sera pas facile et même dangereux. Je me suis beaucoup entraînée et j'arrive à réutiliser un peu mes pouvoirs, pas comme avant, mais ils sont là. Peut-être qu'en cas de réelle nécessité, ils se manifesteront normalement. Du moins, je l'espère.
Un sourire doux illumina son visage.
- Très bien, je compte sur toi pour faire attention à toi et nous revenir saine et sauve. Malheureusement, Mathieu et toi êtes les seules personnes aptes à nous en dire plus sur ce bâtiment, je n'ai pas d'autre choix que de vous y envoyer avec votre accord, évidemment.
Me plongeant dans son regard rassurant, j'eus fugacement l'impression de retrouver la Huang Hua que je connaissais.
- Il n'y a pas de soucis à te faire. De toute façon, je serai bien entourée, je n'ai rien à craindre, dis-je dans un sourire.
En refermant la porte de la salle du Conseil derrière-moi, je me perdais dans mes pensées concernant ce dernier échange. Huang Hua me troublai sans que je ne sache dire pourquoi. Relevant la tête, je tombai sur Lance qui semblait m'avoir attendue. Les bras croisés, il se détacha du mur contre lequel il était appuyé pour se diriger lentement vers moi.
- Tu ne vas pas pouvoir te rendre à Genkaku comme ça.
Perplexe, je relevai un sourcil.
- Peux-tu éclairer ma lanterne ?
Tandis qu'il s'approchait dangereusement, tout mon corps se crispa dans l'attente de ce qu'il comptait faire. Je n'étais plus maîtresse de moi-même en sa présence et cela m'irritait.
Sans que je ne m'y attende, il attrapa fermement mon bras et me retourna afin de plaquer mon dos contre son torse. Ses lèvres caressèrent mon oreille de sa voix grave.
- Tu n'es pas suffisamment entraînée au combat et tu es beaucoup trop jolie pour que Tenjin n'essaie pas de te garder pour lui. Ça ne me plaît pas.
- Et comment comptes-tu y remédier ? le questionnai-je, le souffle tout à coup plus saccadé.
- Étant donné que je ne peux pas te forcer à rester au QG, je pense que je vais devoir t'entraîner. Je vais être pas mal occupé mais je trouverai du temps pour ton apprentissage.
Lâchant lentement mon bras, il ajouta :
- Pour le reste, je me chargerai personnellement de lui faire comprendre que tu m'appartiens.
CHAPITRE 18 : JE T’AI DÉJÀ DIS QUE TU ETAIS INSUPPORTABLE ?
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Nous avions enfin levé l'ancre.
Entre la réunion dans la salle du Conseil et le départ, une semaine s'était écoulée durant laquelle tout le QG s'était mis en branle afin de préparer notre voyage dans les meilleures conditions. Pour ma part, j'avais passé ce temps à m'entraîner, la plupart du temps seule ou accompagnée de Mathieu, et plus rarement de Lance.
Malgré son emploi du temps plus que chargé, le chef de l'Obsidienne avait tenu sa promesse, me tirant parfois de mon lit comme il l'avait déjà fait il y avait de cela quelques temps, une arme à la ceinture.
Devais-je dire qu'il m'avait écrasée à chaque combat, chaque coup d'épée, chaque stratégie ? Sérieusement, ce n'était pas normal d'avoir une telle force, même pour un dragon.
Quoi qu'il en était, ces exercices m'avaient fait le plus grand bien. Me faisant gagner en aisance et en confiance en moi, ils me permettaient ainsi d'être un peu plus apte à me défendre moi-même si jamais mes pouvoirs prenaient une nouvelle fois la décision de me faire faux-bond, ce que je n'écartais pas, et surtout, si Tenjin décidait vraiment de s'en prendre à moi comme le redoutait Lance.
Appuyée sur la rambarde, j'observai les terres d'Eel s'éloigner peu à peu sur l'horizon jusqu'à totalement disparaître de mon champ de vision. Alors qu'une nuée de familiers dont je ne connaissais pas le nom survola notre navire, je sentis quelqu'un se poster près de moi, frôlant mon bras gauche quand les siens rejoignirent le rebord en bois sur lequel j'étais adossée. Je n'eus pas besoin de tourner la tête pour savoir de qui il s'agissait.
Avec lui, je n'en avais jamais besoin.
Fermant les yeux, je savourai l'air caressant mon visage tandis que le silence s'installait entre nous. Étrangement, je n'étais jamais mal à l'aise en sa présence, même quand aucun de nous n'entamait la conversation.
Rouvrant les paupières, j'en profitai pour l'observer impudemment.
Lance ne me remarqua pas, trop occupé à regarder l'horizon d'un œil absent. J'aimais le calme qu'il dégageait. Cette assurance inée, cet air parfois sauvage. Quand il se perdait dans ces instants de contemplation, j'avais toujours cette impression frivole qui me caressai l'esprit. Celle de vouloir lui faire confiance. Réellement. Sans aucune peur ni aucun doute.
Mais était-ce ne serait-ce que raisonnable ?
Se détachant des reflets du coucher du soleil sur l'eau, il tourna finalement la tête dans ma direction. La lumière qui commençait à baisser faisait briller ses cheveux d'une teinte plus chaleureuse, réchauffant encore sa peau hâlée. Ses yeux accrochèrent les miens, m'empêchant de voir autre chose que son regard intense.
Il fallait que je lui dise pour ce rêve et pour ce qu'il s'en était suivi. Avais-je vraiment visité ses souvenirs ? Plus le temps passait et plus cela me paraissait absurde, mais qu'en était-il alors des phénomènes qui s'étaient ensuite manifestés ? Il fallait au moins que je lui en parle, tant pis si je passais pour une folle.
J'ouvrai la bouche quand Mathieu m'interrompis, s'exclamant de l'autre bout du ponton :
- À taaaaable !
Le dragon et moi rîmes de concert à l'entente de ce cri pour le moins inattendu.
- Je pense que nous ferions mieux de ne pas le faire trop attendre, je ne suis pas sûr de vouloir le voir débarquer jusqu'à nous, dit-il d'une moue amusée sur les lèvres.
- Tu as raison, allons-y avant qu'il ne dégénère.
*
La nuit tomba rapidement, rafraîchissant l'air marin.
Nous avions prit notre premier repas tous ensemble dans la petite salle à manger du navire et c'était avec convivialité que nous avions tous bu un verre pour célébrer le début de notre voyage, sachant pertinemment qu'à l'arrivée, nous n'aurons plus l'occasion de nous détendre un seul instant.
- Alors Andraste, heureuse de faire ce voyage en ma compagnie ?
Me tirant de mes rêveries, je me tournai avec surprise vers mon interlocutrice qui arborait un sourire enjôleur sur ses lèvres.
- Koori, je ne t'avais pas entendue arriver.
- Nous allons vivre tous les six pendant plusieurs jours, il va falloir t'habituer à ne jamais être vraiment seule.
- Et bien, entre toi et Nevra, je risque de faire un arrêt cardiaque à tout moment.
La kitsune rit d'un son léger et aiguë avant d'attraper une mèche de mes cheveux, jouant ainsi avec de ses doigts fins.
- Il est vrai que nous sommes très discrets. Tu ferais mieux de bien fermer la porte de ta chambre, tu pourrais ne pas nous entendre arriver, insinua-t-elle d'un clin d'œil.
Surprise, je ris de son audace. La jeune femme avait toujours eu un comportement très séducteur envers Mathieu et moi, mais j'étais toujours étonnée de la voir y mettre autant d'énergie. J'attrapai sa main au dessus de mon épaule tout en croisant le regard de Nevra un peu plus loin. Quand on parle du loup...
- D'ailleurs vous deux, ç'a évolué depuis notre dernière conversation ?
Je détournai la tête tout en revenant à elle.
- Nous avons un peu discuté, oui. Les choses ont l'air de s'être améliorées.
- ... Mais ?
- C'est terminé, Koori, soupirai-je.
Du coin de l'œil, je vis Lance rejoindre le vampire et discuter vivement avec lui. Jusqu'à présent, je n'avais jamais vraiment prêté attention à leur nouvelle relation, mais je devais avouer que ces deux-là avaient l'air de bien s'entendre.
- Ouh ouh, Andraste !
- Pardon, tu disais ?
Le visage de la jeune femme s'illumina tout à coup.
- Oh, je comprends mieux, dit-elle tout en se penchant jusqu'à mon oreille. N'y aurait-il pas une certaine autre personne dans cette histoire ? À chaque fois qu'il est là, tu ne m'écoutes plus.
- Quoi ? N'importe quoi !
- On ne me l'a fait pas à moi, ma belle, mais sache que je suis très déçue de voir que tu préfères leur compagnie à la mienne. Enfin, je ne dirai rien pour ta petite idylle, ne t'en fais pas pour ça.
- Koori, ce n'est pas ce que tu crois, il n'y a r...
- Mesdames, prêtes pour ce long voyage en ma compagnie ?
Mathieu posa un bras sur nos épaules, me stoppant dans mes veines objections. Encore une fois, tiens.
- C'était ma réplique, ça, bougonna la kitsune.
Ces deux-là faisaient vraiment la paire. Les voyant entamer une énième chamaillerie, j'en profitai pour me glisser discrètement afin de m'éloigner un peu.
Cela faisait quelques temps, du moins dans mes souvenirs, que je n'avais pas fait un voyage en bateau et j'avais très envie d'admirer la vue de nuit. Disons,
plus au calme.
Contournant l'allée principale, je bifurquais tout au fond du ponton, à l'arrière du paquebot. J'allais m'asseoir quand je me rendis compte que Lance se trouvait déjà ici, assis, le dos appuyé contre un grand poteau. Je m'installai à ses côtés sans un bruit.
Quand il remarqua ma présence, le dragon releva un sourcil, un sourire naissant aux lèvres.
- On est coincés sur un bateau et tu trouves tout de même le moyen d'être en manque de ma présence ?
Je levai les yeux au ciel tandis que son rire rauque emplissait l'espace entre nous.
- Je t'ai déjà dit que tu étais insupportable ? Parce que si ce n'est pas le cas, sache que tu l'es.
- Tu ne serais pas venue t'asseoir si ça avait été le cas. Ou alors tu aimes te faire du mal, à toi de me dire, conclut-il, plutôt fier de lui.
Fatiguée, je laissai ma tête tomber sur sa grande épaule.
- Je réitère, tu es insupportable.
Je l'entendis rire plus faiblement tandis que l'une de ses mains attrapa délicatement la mienne. La plaçant dans la sienne, il se mit à la caresser rêveusement. Je n'arrivai plus à décrocher mon regard de ses gestes lents, cherchant à m'imprégner du moindre de ses touchés. Quand ses doigts s'entrelacèrent aux miens, la sensation étrange que je ressentais toujours en sa présence grandit encore un peu plus.
- Tu mens vraiment très mal, mon ange. On sait très bien tous les deux à quel point je suis charmant.
J'éclatais de rire face à sa confiance en lui en toute épreuve, cet homme me fascinait.
- Charmant est un bien grand mot, je dirai plutôt « sympathique », ou même « passable ».
- Quoi, seulement « passable » ?!
- C'est déjà une bonne chose, tu sais !
- Tu es jalouse de moi, c'est tout ce que je vois. Au fait, j'ai appris que c'était Nevra qui t'avais amené à l'infirmerie quand tes ailes se sont manifestées, m'apprît-il tout en appuyant sa tête contre le poteau derrière nous, me regardant à travers la barrière de ses longs cils. Vous étiez ensemble quand c'est arrivé ?
- Oui, je m'étais endormie dans l'herbe et il est venu me réveiller. On a discuté un peu, rien de plus, conclu-je d'un haussement d'épaule.
- En tout cas, il parle bien plus souvent de toi depuis.
- Et qu'est-ce que je dois y comprendre ? Que ça ne te plaît pas, peut-être ?
- Comprends-y ce que tu veux, mais sache juste que je ne suis pas partageur.
Sans prévenir, son autre main se fraya un chemin jusqu'à ma joue, me faisant relever la tête jusqu'à lui. Mon cœur s'accélérât soudain quand il se pencha sur moi, lentement, me laissant probablement le temps de me dérober si je le souhaitais.
Sauf que je ne fis pas le moindre mouvement.
Les paupières presque closes, j'observai ses lèvres s'approcher dangereusement des miennes. Lance et moi ne nous étions plus embrassés depuis mon réveil dans ses draps, alors que j'en mourais d'envie à chaque fois que sa voix résonnait près de moi. Quand nos bouches se lièrent enfin, ma respiration se coupa. Tout mon corps réagit à lui, mon ventre se contracta, mon cœur se mit à battre si fort que je cru qu'il allait sortir de ma poitrine.
J'étais complètement accro, c'était idiot.
Sans aucune retenue, je répondis à son baiser, le laissant mener la danse au rythme qu'il m'imposait. Ses gestes étaient doux, lents, empreints d'une multitude de mots que je n'étais pas sûre d'être capable de déchiffrer. Ma bouche réagit d'elle-même, s'ouvrant afin de le laisser pénétrer un peu plus loin, jouant avec sa langue. Sa main glissa à l'arrière de mon crâne, s'emmêlant dans mes cheveux sans pour autant quitter cette phase de lente caresse.
J'étais obsédée par le moindre de ses mouvements, cherchant à imprégner son goût, son odeur. J'en voulais plus, toujours plus, à tel point je n'osais esquisser un geste de peur de me perdre moi-même.
Soudain, j'étais dans la salle du Cristal.
Baissant les yeux, je découvris Lance, penché au dessus d'un corps inerte. Je fus frappée par la profondeur du désespoir qui noircissait ses sentiments. Esquissant plusieurs pas, je m'approchai de lui.
Il semblait pleurer.
Mon souffle se refroidi contre le sien, ma main se crispa dans la sienne. Quel était le moment présent ?
J'arrivais à sa hauteur quand, écarquillant les yeux, je découvris la personne dans ses bras.
Poussant les cheveux de mon front d'un geste démesurément mal assuré, sa voix rauque résonna dans la pièce.
- Mon Dieu Andraste, c'est bien toi ?
Son ton grave et implorant me brisa le cœur.
Sa main à l'arrière de mon crâne faisait naître un fourmillement étrange. Je sentis le froid s'étendre contre nos bouches.
Obnubilée par la scène, je vis une goûte d'eau salée lui échapper pour venir s'écraser sur ma joue. Ses deux bras enroulèrent mon corps avec urgence, presque maladivement.
Une larme m'échappa quand nos lèvres se séparèrent. Deux mains de glaces encadrèrent alors mon visage.
- Andraste, qu'est-ce que c'était que ça, bon sang ?
Il avait donc également vu. Inspirant profondément, je me lançai enfin :
- Je crois que je vois tes souvenirs, mais je ne sais pas pourquoi, dis-je faiblement sans pouvoir échapper à son regard alerte.
- Donc, ce n'est pas la première fois que ça arrive ?
- Je voulais t'en parler, mais je n'en avais pas encore eu l'occasion. Et j'avais peur d'avoir rêvé, que ce soit mon imagination qui me jouait des tours. Ça ne m'étais arrivé qu'une seule fois, mais ce n'était pas en ta présence.
Il resta plusieurs secondes muet, analysant probablement ce que je venais de lui avouer. Baissant les yeux plus bas sur mon visage, je vis la stupeur marquer ses traits.
- C'est toi qui fait ça ? La glace, elle provient de toi ? Je pensais l'avoir laissée échapper sans m'en rendre compte, mais là je suis sûr de ne rien faire et pourtant, elle continue de s'échapper de ton souffle.
- Ça s'est également produit la dernière fois, je ne comprends pas Lance...
Me relâchant, il m'observa un instant, la mine sérieuse.
- Très bien, il va falloir que tu me racontes en détail tout ce qu'il s'est passé.
Je lui expliquai tout. Tout ce que j'avais vu dans ces songes, la façon dont le Lance de ces souvenirs avait semblé me sentir, les phénomènes qui s'étaient manifestés à mon réveil, les mots d'Ophélia. Je n'omettais rien. Le dragon m'écouta patiemment jusqu'au bout, ne m'interrompant jamais.
À la fin de mon récit, il me lança un regard troublé.
Je venais de lui avouer que j'avais vu une partie de ses souvenirs les plus intimes, les plus enfouis, ceux qu'il ne m'aurait probablement jamais partagés.
Allait-il m'en vouloir ?
Un sourire désinvolte étira surprenamment ses lèvres alors que ses yeux, eux, restèrent impénétrables.
- Et bien, mon ange, nous sommes bien plus proches que je ne le pensais.
CHAPITRE 19 : J’AI EU TELLEMENT PEUR
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Que tout le monde se tienne prêt, nous arrivons sur les terres de Genkaku.
La température avait grandement baissée depuis plusieurs heures, nous avions donc tous enfilés nos tenues afin de survivre sur ces terres enneigées. Enfin, tous sauf trois. Lance, Nevra et bien sûr Koori, respectivement dragon de glace, vampire et kitsune des neiges, ne semblaient pas le moins du monde craindre ces températures négatives, ce qui me rendait assez envieuse. Même si, d'un certain côté, j'étais heureuse de ressentir à nouveau normalement la température.
Mais je mourais littéralement de froid.
Une fois l'ancre jetée, nous descendîmes du bateau. La neige s'écrasait d'un bruit sourd sous nos semelles tandis que nos yeux se perdaient sur l'étendue d'un blanc immaculé qui s'étendait à perte de vue. Au loin, une tour se dressait autour de laquelle des draflayels de tailles disproportionnées volaient paisiblement. Je clignais plusieurs fois les yeux de stupeur.
- Mathieu, regarde !
Je tendis le bras en direction de ce qui semblait être bel et bien un immeuble. Le jeune homme en garda la bouche bien trop grande ouverte tandis qu'une ombre passait sur son visage.
- Ce n'est pas bon du tout, les gars, conclut celui-ci. J'espérais que nous nous soyons trompés et qu'il ne s'agisse pas réellement de ce que nous pensions, mais c'est bien un bâtiment humain.
Tout le monde se tu un instant. L'ambiance s'alourdie encore tandis que l'air glacé nous gelait les poumons.
- Il a l'air vraiment immense... Comment a-t-il pu atterrir ici ? s'enquit Koori. Et ces draflayels, il n'y a que moi ou ils ont vraiment l'air énormes ?
- C'est justement ce que nous allons essayer de découvrir. Beaucoup de phénomènes étranges ont été rapportés d'ici, notamment la taille démesurée des familiers. Nous verrons cela de plus près, expliqua Lance.
J'observai son visage fermé. Après notre conversation le premier soir sur le ponton du bateau, ce dernier avait plus ou moins cherché à m'éviter tout le reste du voyage. Je ne dis pas qu'il ne m'avait ensuite plus adressé la parole, mais il avait clairement cherché à éviter de discuter avec moi en seul à seule. Malgré sa distance notable, je devais avouer que lui raconter ce que j'avais vu dans mes songes m'avait soulagée d'un poids immense. Je n'étais en effet plus seule à porter ces interrogations qui m'avaient envahie ces derniers jours et le dragon, bien qu'il n'en ai pas eu les réponses, ne m'avait heureusement pas repoussée.
À la suite de ces révélations, nous sommes restés un long moment sur le ponton à discuter. Il m'avait posé énormément de questions sur les songes que j'avais vu et j'avais essayé d'y répondre le mieux possible.
Seulement, je pense qu'il avait désormais besoin de temps pour assimiler cette vérité.
Nevra stoppa mes pensées en s'avançant afin de se placer face à nous.
- Très bien, personne n'a rien oublié ? Nous allons nous rendre jusqu'à cet immeuble à pied, mais la traversée sera longue et rude, je préfère vous prévenir.
Le groupe hocha la tête. Plus aucune hésitation ne marquait nos traits, nous étions prêts.
- Nous allons devoir rester les plus discrets possible, personne ne doit nous repérer. Tenjin n'apprécie pas du tout que l'on vienne lui rendre visite à l'improviste et nous avons Koori dans nos rangs, j'aimerai au mieux réussir à éviter un affrontement entre nous et ses troupes, continua-t-il. Mais si jamais cela devait arriver, j'aimerai que vous vous teniez prêts à prendre les armes.
Se tournant vers l'aengel à ma droite, il plissa les yeux.
- Leiftan, nous pouvons compter sur toi ?
Je sentis ce dernier se tendre légèrement.
- Oui Nevra, mais ne t'attends pas à me voir utiliser mes pouvoirs, c'est tout ce que je te demande.
Le vampire eut un sourire narquois avant d'entamer la marche.
- Tant que tu ne disparais pas à la moindre occasion, je ne prêterai pas attention à ta manière de combattre.
Nous enclanchèrent le pas au chef de la mission, évoluant difficilement sur ce sol chaotique. Au bout de plusieurs minutes, la voix de Mathieu brisa le silence qui s'était instauré.
- Pourquoi est-ce qu'on ne monterait pas tous sur le dos de Lance ? Ce serait vachement plus pratique, non ?
- Le but étant de rester discrets, Mathieu. Voler sur le dos d'un dragon, ce n'est pas ce que j'appelle de la discrétion, ironisa la kitsune. Et je n'ai vraiment pas envie de le voir...
Tenjin.
Durant notre voyage, Koori avait accepté de me raconter une partie de son passé. Celle qui, même à des kilomètres d'ici, l'effrayait encore aujourd'hui. Elle m'avait ainsi dévoilé que son ex-mari Tenjin l'avait manipulée, elle et sa famille, afin de prendre le pouvoir. La jeune femme, se trouvant rejetée et voyant l'horreur de ce qui se tramait sous ses yeux, avait finalement décidé de fuir jusqu'aux terres d'Eel. D'après les nombreuses descriptions de mes alliés, son tempérament plus que colérique et manipulateur devait le rendre fou de rage de savoir qu'il avait perdu sa belle. Ce dernier n'allait certainement pas nous offrir un accueil chaleureux.
Pour ainsi dire, je comprenais parfaitement ses craintes de recroiser cet homme.
- De plus, je ne suis pas en capacité de porter cinq personnes sur mon dos, à moins que nous n'ayons vraiment pas d'autres solutions. Donc en attendant, nous allons devoir marcher, ironisa le principal intéressé.
Entendre la voix de Lance me fit me rendre compte que j'avais instinctivement suivi ses traces de pas, marchant dans son sillon afin de ne pas me perdre.
Lance... j'observai son large dos tandis que ses pas sûrs me guidaient. Au bout milieu de cet espace inconnu, la peur de cette mission me tordant le ventre, je n'avais qu'une envie, c'était de me rapprocher de lui.
Mais je me repris. Secouant la tête, je décidai de me focaliser sur ce périple que j'allais avoir du mal à tenir.
Au bout de ce qui me sembla des heures, ma cadence diminua grandement. À tel point que les autres membres du groupe s'éloignaient un peu plus de moi. L'air glacé me brûlait les poumons tandis que je ne sentais plus mes extrémités. Mon corps subissait encore les séquelles de ces années passées dans le Cristal et pour être honnête, je n'avais jamais été une grande sportive. Je voulu appeler mes amis quand quelque chose remua tout près de moi. Tournant la tête, j'écarquillai les yeux de stupeur devant la bête qui s'avançait d'un pas lent, s'apprêtant à chasser sa proie.
Un... loup ?
J'étais nez à nez avec un loup ! Mais que faisait cet animal de mon monde ici, sur Eldarya ? L'équilibre était bien plus perturbé que je ne le pensais...
L'anxiété m'entrava un peu plus le ventre quand un grognement profond s'échappa du fond de sa gorge. Je ne savais pas depuis combien de temps il se trouvait sur Eldarya, mais les proies n'étaient pas les mêmes, ici.
Et au vu du filet de bave qui coulait de sa gueule...
La bête s'élança brutalement vers moi d'un bond félin, me prenant totalement au dépourvu. Au vu de la fatigue qui s'emparait déjà de moi, je dû concentrer toute mon attention pour réussir à faire naître mes pouvoirs au creux de ma paume. Reculant d'un pas, je tendis le bras afin de lancer un faisceau de lumière qui vint frapper le sol juste devant lui, ce qui suffit à le surprendre un court instant. Mais l'animal revint rapidement à la charge. Je n'eus pas le temps de lancer une deuxième attaque quand des flammes bleues jaillirent entre la bête et moi. Celle-ci déguerpi immédiatement sans demander son reste, disparaissant dans l'obscurité de la forêt dans un couinement indistinct.
Tétanisée, seule ma respiration saccadée venait soulever frénétiquement ma poitrine, créant des nuages de vapeur à la lisière de mes lèvres.
Des pas précipités s'approchèrent alors de moi. Prenant mon visage en coupe, celui de Lance m'apparu soudain. Ses traits étaient durs, presque effrayés. De nombreuses écailles recouvraient son visage tendu.
- Andraste, tout va bien ?!
Il me secoua presque.
- Oui, ça va, il ne m'a pas touchée, dis-je encore sous le choc.
Les épaules du dragon lâchèrent immédiatement leur pression à l'entente de ma réponse. Attirant mon visage à lui, il plaqua son front contre le mien, fermant vivement les yeux.
- J'ai eu tellement peur quand je me suis rendu compte que tu ne me suivais plus...
Mes joues devinrent cramoisies. Il avait donc compris que j'avais suivis ses traces.
Rouvrant ses paupières aux yeux luisants, presque irréels, je devinais qu'il avait été à deux doigts de se transformer totalement sous l'effet de la peur. Pour toute réponse, mes mains enroulèrent ses poignets avec force. Je ne l'avais pas touché depuis si longtemps...
J'ouvrai la bouche quand un cri retenti.
- Andraste ! Lance ! Où êtes-vous ?
Nous détachants avec regret l'un de l'autre, nous remontâmes jusqu'au son de la voix de Mathieu.
- Par l'Oracle, qu'est-ce que tu ne comprends pas dans « discrétion » ? s'insurgea Koori. Lance est un dragon, il n'a pas besoin que tu cris pour t'entendre l'appeler !
- Pardon, réflexe...
Le sourire penaud du jeune humain fini par faire flancher la kitsune.
- Heureusement que tu es craquant.
Lance et moi arrivâmes finalement à hauteur du groupe. Tous semblaient soulagés de nous voir apparaître.
- Bon sang, mais où étiez-vous ? s'énerva-t-elle à nouveau. Vous avez disparus sans prévenir !
- Excusez-moi, c'est de ma faute. Je crois que la marche était un peu trop rude pour moi, je me suis arrêtée un instant, j'aurai du vous avertir, dis-je maladroitement.
- Quand je m'en suis rendu compte, Andraste se faisait attaquer par un familier que je n'avais encore jamais vu.
Tout le monde ouvrit grand la bouche. Ou presque.
- Un familier qui t'est inconnu ? s'étonna Nevra, croisant les bras sur son torse.
- Ce n'était pas un familier, intervins-je. Il s'agissait d'un loup, un animal de la Terre. Ils n'attaquent en général pas les humains sauf en cas de danger, mais je pense que celui-ci était mort de faim et de peur.
- Attends, tu viens de dire un loup ? s'égosilla Mathieu, stupéfait. Tu en es sûre ? Et tu vas bien ?
- Sûre et certaine, et je vais très bien. Heureusement pour moi, Lance s'est aperçu de mon absence et m'a secourue.
Nevra hocha la tête.
- Donc nous devons en conclure que l'immeuble n'est pas la seule chose à être apparue sur ces terres. Restez vigilants. Et Andraste, ne t'arrête plus sans nous prévenir.
J'acquiesçai à mon tour.
- Oui, je suis désolée.
Levant la tête, je tombais sur le sourire crispé mais néanmoins doux que m'adressait Leiftan.
À la suite de cette interruption de ma part, nous reprîmes notre marche dans un silence de plomb. La nuit commença à tomber autour de nous, laissant apparaître faiblement des filets de couleurs semblables aux aurores boréales de mon monde. Eldarya était-elle comme la Terre, se trouvait-elle sur une planète avec des pôles Nord et Sud ?
J'étais perdue dans mes pensées quand le groupe se stoppa autour de moi. Une immense falaise se dressait devant nous.
- Très bien, Mathieu et Andraste, je doute que vous réussissiez à escalader cette falaise, trancha Nevra. Il fait déjà presque nuit et nous n'avons encore croisés personne hormis ce loup, je pense que nous allons pouvoir accélérer un peu la cadence en utilisant nos pouvoirs. Lance, peux-tu les prendre sur ton dos pour les amener en haut ?
- Sans problème.
S'éloignant de plusieurs mètres, je restais sans voix face à la transformation majestueuse du chef de l'Obsidienne. En seulement quelques secondes, un immense dragon de glace se dressa soudain face à nous.
Revoir Lance ainsi me coupa le souffle. Je l'avais certes vu à de nombreuses reprises sous sa forme d'hybride, je ne l'avais en revanche pas revu sous sa forme draconienne depuis la bataille qu'il avait rudement menée contre son frère.
Valkyon...
Mes mains se mirent à trembler. Je n'arrivai plus à décrocher mes yeux de l'être monumental qui se dressait devant moi. Ses griffes immenses, qui pourraient tous nous tuer d'un seul mouvement ; ses ailes rugueuses, puissantes, et ses yeux d'un bleu glacial qui n'avaient eu qu'une seule envie.
Nous éliminer.
J'avalai une grande goulée d'air.
Respire, calme-toi.
Lance n'était plus le même et ce n'était pas cette forme qui allait y changer quelque chose. Mais pourtant...
- Trop coooool, on va vraiment monter sur ton dos, là ? s'exclama Mathieu. Eh d'ailleurs, pourquoi quand j'ai proposé cette idée tout le monde a refusé catégoriquement ?
La créature souffla un vent de glace d'abandon.
- Mathieu, dépêches-toi de monter avant que je ne décide de te laisser-là, lui intima la voix profonde de Lance.
Le sourire réapparu immédiatement sur le visage du jeune homme quand le dragon se baissa afin de l'inviter à grimper. Sans se faire prier plus longtemps, l'humain planta ses mains dans ses grandes écailles et poussa afin de se propulser en haut de son corps. Quand celui-ci fut convenablement installé, tous les regards se tournèrent vers moi.
Quand il faut y aller...
J'avançais d'un pas hésitant vers Lance. Ses yeux, dont les pupilles rappelaient celles d'un chat, ne me quittaient pas une seconde. La tête posée dans la neige, il semblait s'attendre à ce que je prenne la fuite.
Mais je n'en fis rien.
Arrivant à sa hauteur, je levai une main timide en direction du visage de cette créature de contes. Quand mes doigts entrèrent en contact avec sa peau dure et rêche, je reconnu le mouvement significatif de ses écailles, tel un frisson qui semble le parcourir. Délicatement, je laissai glisser ma paume en une caresse silencieuse. Alors, ses yeux immenses se fermèrent un instant. Quand il les rouvrit, je lui adressai un sourire triste.
Je savais qu'il avait pensé à la même chose que moi. Parce qu'en cet instant, je pouvais sentir sa peine aussi profondément que la mienne.
Me positionnant près de son cou, je grimpai difficilement à l'aide de Mathieu. Fièrement perchée en haut, je restai stupéfaite face à la cicatrice énorme qui balafrait l'arrière de sa nuque, juste sous mes mains. Celle-ci, bien plus impressionnante sous cette forme, était arrachée, totalement mutilée. Aucune écaille ne la recouvrait plus.
Je revins à l'instant présent quand le dragon se redressa, faisant vibrer sa voix grave.
- Accrochez-vous.
Je n'eu pas le temps de répondre quoi que ce soit. Mon souffle se coupa net quand ses immenses ailes nous propulsèrent brutalement en l'air.
CHAPITRE 20 : SI TEL EST TON SOUHAIT, MON ANGE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
L'air me plaquait si fort que même si je l'avais voulu, je n'aurai pas pu dire un mot durant tout le temps de notre montée. La falaise se trouvait déjà loin derrière-nous pourtant Lance continuait de pousser de grands coups d'ailes, nous amenant toujours plus haut.
M'agrippant de toutes mes forces, je fermai les yeux le plus fort possible. Je n'avais jamais été une fan des grands huit et celui-là n'avait clairement rien à envier aux vulgaires manèges des parcs d'attraction. Malgré tout derrière-moi, Mathieu criait à plein poumons.
Il avait l'air de vivre le meilleur moment de sa vie.
Ce crâneur.
Pour mon plus grand soulagement, notre montée fut soudain stoppée. Le dragon avait probablement décidé que nous étions suffisamment hauts, ou alors en avait-il peut-être tout simplement marre de me sentir littéralement l'étrangler tant je plantais mes ongles dans sa peau dure par peur de chuter.
Il n'avait qu'à pas faire le malin.
Quoi qu'il en était, mon cauchemar s'arrêta de façon nette. Les deux immenses ailes qui nous entouraient frappaient désormais l'air avec lassitude, nous maintenant dans une position de surplace bien au dessus de notre point de destination.
Dans mon dos, Mathieu cria pour se faire entendre dans les rafales de vent glacé qui nous frappaient.
- C'est énorme ! Lance, on peut faire des loopings aussi ?
- Quoi ?!
Dans la panique, ma voix suraiguë agressa nos pauvres oreilles. J'enfonçai bien plus fermement mes ongles dans leur appui.
Je n'y survivrai pas, c'était certain.
- Non non non non, je t'arrête tout de suite, c'est non ! je m'écriai alors, louchant sur le vide sous mes pieds. Imagine si nous lâchons, hein ? Le sol est vraiment très loin...!
- Allez Andraste, ce n'est pas tous les jours qu'on peut monter sur le dos d'un dragon, profites-en !
- Comment veux-tu que j'en profite alors que je suis à deux doigts de tourner de l'œil ? dis-je tout en me concentrant uniquement sur les écailles bleutées sous mes yeux. Par pitié Lance, redescendons !
J'étais persuadée d'avoir entendu ce qui ressemblait à un ricanement de la part de ce dernier avant qu'il n'entame une redescente étonnamment plus lente. Arrivant à terre, je laissai Mathieu descendre le premier, le dragon baissant la tête dans la neige de sorte à nous faciliter la tâche. Mes yeux s'accrochèrent une dernière fois sur la balafre sur sa nuque avant de suivre mon coéquipier.
Dans les souvenirs de Lance, j'avais assisté à cette blessure quasi mortelle qu'il avait subi, mais j'étais choquée de constater son aspect si volumineux sous cette forme. Encore une fois, les paroles de Leiftan, il y a des années de cela, me revinrent en tête.
« Quand il se transforme, Lance ne peut cacher la blessure sur sa nuque. Elle est son seul véritable point faible. »
Je comprenais mieux pourquoi le soldat détestait la montrer, elle représentait probablement un véritable signe de faiblesse à ses yeux.
S'éloignant de nous, le dragon se transforma une nouvelle fois, laissant à nouveau place au chef de l'Obsidienne.
Malgré mon soulagement d'être enfin de retour sur le sol blanc, mon cœur ne tarda pas à rater un battement quand il vint s'arrêter tout près de moi. Je sentis mes joues reprendre immédiatement des couleurs quand ses yeux croisèrent les miens, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
Par l'Oracle, pourquoi me faisait-il toujours autant d'effet ?
- Lance, c'était incroyable ! s'exclama Mathieu, les yeux brillants d'excitation. Tu crois qu'on pourra refaire ça sur les terres d'Eel ? C'était dingue, j'aurai tellement aimé être un dragon moi aussi !
Nous rimes tous deux de concert à l'entente de ses paroles. Pauvre Mathieu, j'étais sûre qu'il aurait été capable de tout donner pour être un feary, lui aussi. S'approchant de ce dernier, Lance tendit le bras afin de venir frotter sa grande main dans la tignasse brune du jeune homme. Je ne pouvais décrocher mes yeux de la complicité qu'affichaient ces deux-là.
Ce geste, il était presque...
Paternel.
- Nous verrons ça une fois rentrés, lui répondit-il dans un sourire.
J'observais cette scène attendrissante quand une voix inconnue nous fit sursauter.
- Alors alors, qu'avons-nous là ?
Un kitsune aux cheveux clairs apparu soudain dans notre champ de vision, faisant rouler nonchalamment son bâton entre ses doigts. De sa grande taille, il imposait un réel respect tandis qu'un sourire mauvais venait ternir le tableau de son visage aux traits harmonieux.
Plusieurs de ses hommes l'accompagnait, nous encerclant presque.
Semblant reconnaître celui qui était probablement leur chef, Lance se positionna devant moi d'un geste protecteur, me cachant la vue de son large dos.
- Tenjin, je suis Lance, de la garde d'Eel. Nous ne vous voulons aucun mal, nous sommes seulement venus pour étudier ce bâtiment, expliqua-t-il d'un mouvement du menton en direction de l'immeuble derrière-lui. Plusieurs événements inexpliqués nous ont été rapportés d'ici, nous nous devons d'y jeter un œil pour la sécurité de tous.
L'homme éclata d'un rire froid, le regard soudain rendu fou.
- Lance ? Le fameux Lance ? dit-il presque théâtralement. Est-ce que Huang Hua envoie vraiment le dernier des dragons sur mes terres, sans même me prévenir ? Vous ne savez vraiment pas choisir vos chefs, dans cette garde.
S'avançant de quelques pas, il remarqua finalement ma présence. Mon protecteur se crispa quand le kitsune se pencha vers moi.
- Je vois que l'ancienne apprentie phénix a au moins eu la décence de m'envoyer quelque chose de plus appétissant qu'un vilain dragon et un vulgaire...
Reniflant, il grimaça avant d'ajouter, la voix emplie de dégoût :
- Humain.
Il reprit alors sa marche lente. Quand il s'approcha dangereusement dans ma direction, Lance tira fermement sa lame de son fourreau, les muscles soudain tendus.
- Ne vous avisez surtout pas de la toucher, dit-il d'un ton glacial.
Levant les mains en signe de paix, Tenjin recula lentement, une lueur de défi dans les prunelles.
Il semblait se délecter de la situation.
- Je vois... ce n'est pas très malin d'avoir amené ta copine ici, tu sais. Tu ne dois pas ignorer que vous m'avez volé ma femme.
- Elle nous a rejoint d'elle-même Tenjin, vous le savez très bien.
S'énervant tout à coup, le kitsune frappa brutalement son arme dans le sol neigeux. Ses hommes se mirent en position d'attaque tout autour de nous.
- Ne dis pas n'importe quoi, dragon, s'insurgea-t-il d'une voix sombre. Cette idiote ne méritait pas tout ce pouvoir, je n'ai fait que la soulager. En fait, elle devrait plutôt m'en être reconnaissante.
Discrètement, je sentis Lance reculer jusqu'à moi, probablement pour être sûr de ne pas me perdre de vue. Les autres membres de notre groupe arrivèrent à ce moment-là, faisant grimacer le chef des kitsunes.
Il ne tarda pas à remarquer Koori. La jeune femme sursauta presque quand son sourire froid déforma une nouvelle fois son visage.
- Ma femme, tu es donc revenue jusqu'à moi ? Je savais que tu reviendrais à la raison.
Maintenant Koori en arrière, Nevra s'avança entre nos deux groupes.
- Tenjin, je suis Nevra, le chef de cette mission et bras droit de Huang Hua. Koori fait désormais partie de nos rangs et nous a rejoint de son plein gré, je vous prierai donc de la laisser en dehors de cette histoire.
L'homme éclata littéralement de rire.
- Attends, c'est toi le chef de cette mission ?
Se tournant vers Lance, il ajouta :
- Et toi, tu suis ses ordres ?
Ce dernier hocha lentement la tête, ne sachant trop où il voulait en venir.
- Tout à fait, acquiesça-t-il.
- Eh bien, que de surprises... Dans ce cas, tant que nous en sommes aux présentations. Ta copine, qui est-elle ?
Tenjin me jeta un nouveau regard affamé, me poussant à reculer à mon tour.
- Vous n'avez pas besoin de savoir qui elle est, répondit durement Lance tout près de moi.
- Tout doux. J'ai bien compris qu'elle était ta propriété, jeune dragon. Mais ici, vous êtes chez moi, et si vous ne voulez pas que je lance les assauts sur votre petit groupe, j'aimerai que l'on réponde à mes questions. Toi, dit-il tout en s'adressant directement à moi, puis-je savoir qui est la beauté qui se tient devant moi ?
Lance se crispa de plus belle.
Échangeant plusieurs regards avec les autres, je me raclais alors la gorge.
- Je suis Andraste, dis-je suffisamment fort pour être entendue de tous.
Le sourire du kitsune disparu immédiatement. Dans un silence absolu, il s'approcha un peu plus de moi. Tout notre groupe se crispa, prêt à riposter en cas de nécessité. Quand Tenjin arriva à ma hauteur, j'attrapai le bras de Lance avant qu'il ne décide de lui sauter littéralement dessus.
Se plantant devant moi, les doigts aux griffes acérées du chef des kitsunes attrapèrent mon menton, soulevant mon visage face au sien.
- Andraste... j'ai beaucoup entendu parler de toi, l'humaine au sang d'aengel.
D'un geste lent, il se pencha un peu plus afin de venir caresser mon oreille de ses lèvres moqueuses. Sa voix faible s'insinua en moi.
- Tu es encore plus belle que ce que l'on dit, me susurra-t-il tout en replaçant une mèche qui avait glissée sur ma joue. Je comprends tout à fait ce qui pousse le dragon à vouloir me tuer sur place, on ne voit pas tous les jours une femme aussi magnifique.
Ses griffes caressaient ma peau pâle de leurs pointes, laissant une sensation de brûlure là où elles me marquaient.
- Mais dis moi, la dernière des aengels, que fais-tu donc avec ce dragon ?
Serrant les dents, je sentis une goute de sang couler le long de ma gorge.
- Tu ne comptes donc plus me répondre, ma douce ?
- Je ne vous dois rien, Tenjin, dis-je entre mes dents.
Soudain, un bras puissant apparu entre nous, repoussant le bourreau et me permettant à nouveau de respirer normalement.
Lance semblait bouillir intérieurement depuis bien trop longtemps.
- Ne l'approchez plus comme ça où vous aurez affaire à moi, intervint-il d'une voix sourde.
- Ça suffit, intervint Nevra, sentant probablement la situation s'envenimer. Tenjin, vous abusez de notre patience. Nous sommes sincèrement désolés de nous aventurer sur vos terres sans votre autorisation, mais nous avons une mission à accomplir. Nous vous promettons d'avoir disparu demain dès les premières lueurs du soleil. Est-ce que cela vous convient ?
Le principal concerné sembla réfléchir un instant. Nous tournant le dos, il nous prit de court en plantant une nouvelle fois son bâton dans la neige. Immédiatement, une boule de feu s'en échappa pour venir s'écraser dans notre direction.
Sans réfléchir, je tendis instinctivement le bras devant moi, faisant apparaître un bouclier lumineux devant chacun des membres de la mission. L'élément vint brutalement s'écraser contre sa paroi vitreuse. Les rires des kitsunes résonnèrent au loin avant de disparaître de notre champ de vision.
Les épaules de Lance retombèrent avant qu'il ne se tourne vers moi, une lueur de fierté mêlée à de l'inquiétude dans le regard. Glissant une main sur ma joue, il examina les traînées de sang qu'avaient créées les griffes de Tenjin sur ma peau. L'air s'alourdit entre nous quand, de son pouce, il vint les essuyer d'un geste lent.
- Merci Andraste, me dit-il tout bas. Je vois que nos exercices paient, tu arrives à utiliser tes pouvoirs.
- Ok, ne perdons pas de temps et entrons dans l'immeuble, intervint Nevra. Je ne sais pas combien de temps les kitsunes vont nous laisser, mais j'aimerai que nous partions d'ici le plus tôt possible. Tenjin n'est vraiment pas digne de confiance.
Me tournant vers Koori, je la vis se frotter nerveusement le bras. Je fus quelque peu surprise de trouver Leiftan à ses côtés, l'aengel l'emmenant jusqu'aux portes du bâtiment d'un geste tendre. Je ne savais pas que ces deux-là s'entendaient bien.
Nous entrâmes finalement tous en silence, inspectant chaque centimètre du grand hall d'entrée par mesure de sécurité, mais ne trouvâmes aucune trace de vie. Cet endroit, il ressemblait énormément à...
- Un hall d'hôtel, me confirma Mathieu à voix haute.
Sous nos regards interrogateurs, il ajouta :
- Quoi ? C'est clairement un hall d'hôtel. Vous savez, ces endroits dans lesquels les gens viennent dormir.
- Tu veux dire une auberge ? questionna Nevra.
- Dans le principe, oui. On entre, on demande une chambre, on paie et on y dort. Sauf que cet hôtel-là, ça a pas l'air d'être n'importe quoi. Il est vraiment immense !
Les faeries de notre groupe avaient l'air étonnés d'un tel endroit, ce qui nous fit bien rire.
Amusée, je laissai mon regard courir sur la grande pièce. La neige semblait avoir prit le contrôle, ici. Tous les objets encore présents avaient visiblement dû être très onéreux, tandis que des moulures recouvraient les murs et le plafond.
J'étais soudain inquiète.
Cet immeuble, il avait probablement dû se trouver dans une grande ville, sa disparition n'était forcément pas passée inaperçue. Et si les humains avaient découverts l'existence d'Eldarya ? Je me tordais inconsciemment les doigts à cette idée. Ce n'était certainement pas une bonne nouvelle...
- Comment va-t-on faire pour fouiller tout l'immeuble ? questionnai-je alors. Il doit y avoir une centaine de chambres là-dedans. Qui plus est, des humains devaient forcément se trouver dans l'hôtel quand il est apparu ici. Si les kitsunes les ont trouvés...
Une main douce vint se poser dans le bas de mon dos, à l'abris des regards. Relevant les yeux, je croisai ceux du chef de l'Obsidienne.
- Andraste, nous verrons tout cela au moment présent. Essaie de te calmer.
J'avalais difficilement ma salive. Pourvu que ce ne soit pas le cas...
- Très bien, le plus important dans l'immédiat est de nous reposer, ordonna le vampire. Si l'armée de Tenjin décide bel et bien de revenir nous rendre visite avant notre départ, il faudra que nous soyons prêts. Cet endroit est trop grand et il fait trop sombre pour tout inspecter maintenant, il est également trop risqué d'emprunter une des chambres. Le plus sûr est d'installer notre camp ici, dans le hall. Nous allons faire des tours de garde. Leiftan, Koori, vous ferez le tour ensemble en dernier, tu as besoin de dormir, ajouta-t-il pour la kitsune. Lance et Andraste, vous prendrez le second, je me charge du premier avec Mathieu.
Tout le groupe hocha la tête avant de se mettre à l'œuvre afin d'installer notre campement. Une fois le feu allumé, les fenêtres étant malheureusement toutes cassées, le premier tour de garde fut donc prit par Nevra et Mathieu. Exténuée par toute cette marche, j'entendis vaguement des bribes de conversation avant de sombrer dans un sommeil profond.
*
- Andraste, réveille-toi.
Une main repoussa les cheveux de mon visage, s'attardant un instant sur ma joue. Quand mes yeux s'ouvrirent, je découvris Lance penché au dessus de moi.
- Je suis désolé de te réveiller, mais c'est notre tour de prendre la garde. Tout le monde est déjà endormis.
Me frottant les paupières, je me redressai difficilement.
- Il n'y a pas de soucis, j'arrive tout de suite, dis-je d'une voix endormie.
Le dragon reparti s'installer près du feu sans un bruit. M'étirant, je me redressai et attrapai au passage ma couverture dans le but de le rejoindre. M'asseyant face à lui, j'enveloppai mes épaules du tissu encore chaud, le regard endormi.
Plusieurs minutes passèrent sans que l'un de nous ne dise mot. Nous ne nous étions pas retrouvés seuls depuis un bon moment, pourtant à cet instant, je n'arrivai plus à savoir comment engager la conversation.
Le silence ambiant ne tarda pas à me rendre nerveuse.
- Et sinon... tu vas bien, toi ? Ça fait longtemps qu'on n'a pas eu l'occasion de discuter un peu, toi et moi, tentai-je.
Bah voyons. Super technique ça, ma petite.
À travers les flammes, je vis ses lèvres pleines se retrousser.
- C'est vrai. Je t'ai manqué ?
Mes yeux s'écarquillèrent de stupeur.
- Quoi ? Oui... non ! Non, juste...
Lance éclata faiblement de rire. Cela avait au moins eu le don de l'amuser.
- Ne te moque pas de moi, tu m'as prise au dépourvu ! Ça ne voulait pas du tout dire que tu m'as manqué. C'est juste que, je ne sais pas, j'avais pris l'habitude qu'on soit un peu plus proches, toi et moi.
Mes joues étaient cramoisies, je le savais. Les mains sur les genoux, j'évitai son regard moqueur.
Parce que ça le rendait diablement sexy.
- C'est vrai, j'en suis sincèrement désolé, je ne voulais pas te faire de peine, me dit-il alors. Disons que je ne m'attendais pas du tout à ce que tu m'as révélé et j'ai eu besoin de plus de temps que je ne le pensais pour l'accepter. Ces souvenirs, ils ne sont pas très glorieux. J'aurai préféré les garder pour moi, même s'ils font partis de mon passé et que je ne pourrai jamais rien y changer. Seulement... j'ai beau me creuser la tête, je n'arrive pas à comprendre pourquoi est-ce que tu y as eu accès.
Ayant toute mon attention, il planta son regard intense dans le mien.
- Qu'est-ce qui peut bien nous lier comme ça ? Avec Leiftan c'est compréhensible, mais toi et moi ? Tu développes certains de mes pouvoirs, entre dans ma tête... et en dehors de l'attirance physique, je n'arrive pas non plus à te sortir de mes pensées.
Cette dernière phrase me cloua sur place. Que venait-il de dire, là ?
- Quoi que je fasse, j'en reviens toujours à penser à toi. Peut-être que c'est à moi que tu manques, finalement, ajouta-t-il dans un sourire triste.
- Lance...
Notre conversation fut stoppée quand un bruit se fit entendre à l'étage. Ne bougeants plus, Lance et moi nous lançâmes un regard interrogateur. La peur s'empara de moi quand il se leva sans un bruit, une main sur le pommeau de sa lame.
- Je vais voir de quoi il s'agit, reste ici pour surveiller les autres. En cas de problème, réveille-les immédiatement.
Me redressant à mon tour, j'attrapai son poignet libre.
- Je ne vais pas te laisser y aller tout seul ! chuchotais-je un peu trop fort. Et s'il t'arrive quelque chose et que je ne suis pas avec toi ?
Mon cœur s'accéléra encore quand il se pencha au dessus de moi, s'arrêtant seulement à quelques centimètres de mon visage.
- Et bien je ferai comme je l'ai toujours fait : je m'en sortirai.
Je surpris son regard qui s'attardait un instant sur mes lèvres. Je ne pus m'empêcher d'en faire de même.
- Maintenant s'il te plaît ma belle, sois sage et reste ici, m'intima-t-il d'une voix plus grave.
Énervée de le voir me parler ainsi, je m'approchai un peu plus de lui, le regard sûr.
- Il en est hors de question, mon beau. Je viens avec toi, un point c'est tout.
Un sourire provocateur étira ses traits, me donnant soudain vraiment très chaud. Cet idiot avait l'air de particulièrement apprécier mon refus d'obéir à ses ordres.
- Si tel est ton souhait, mon ange, explorons ces lieux ensemble, conclût-il enfin.
CHAPITRE 21 : JE VOIS BIEN COMME TU ES AMOUREUSE DE LUI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Ne voulant pas laisser le groupe endormi sans surveillance, Lance et moi décidâmes de réveiller Nevra afin qu'il prenne notre relève. Quand nous lui avons expliqué la situation, le vampire nous a laissé partir sans broncher, déjà à l'affût du moindre mouvement suspect.
Ainsi, c'est sans un bruit que nous nous sommes dirigés en direction du couloir derrière ce qui ressemblait à l'accueil de l'hôtel. Ce dernier, vraiment très spacieux, comportait la porte d'accès aux escaliers de service et tout au fond, un accès aux ascenseurs. Je ne prêtais pas réellement attention à ces derniers quand les portes coulissantes de l'un d'entre eux s'ouvrirent sans un bruit. Interloqué, le dragon passa un bras devant moi afin de stopper mon élan.
- Lance, nous sommes bien d'accord que l'électricité n'existe pas sur Eldarya, n'est-ce pas ? le questionnai-je d'une voix faible.
Comprenant la gravité de cette découverte, ce dernier me lança un regard à la fois grave et interrogateur.
- Je ne vois même pas de quoi tu veux parler, là, me confirma-t-il dans un soupir. L'élecri quoi ?
Je ne pus empêcher un sourire moqueur de naître sur mes lèvres. C'était bien la première fois que je le voyait ne pas connaitre quelque chose, même si c'était bien normal vu que cela n'existait tout simplement pas dans son monde.
- L'électricité. Cet ascenseur n'est pas censé pouvoir s'ouvrir tout seul sans ça, alors comment se fait-il qu'il le fasse ?
Les portes de ce dernier continuaient de s'ouvrir et se fermer dans un silence glaçant. Le dragon allait probablement me questionner sur ce qu'était un ascenseur quand un nouveau bruit se fit entendre du fond du couloir, juste derrière l'angle. Lance s'élança le premier, me devançant de plusieurs mètres en seulement quelques secondes.
Je le rejoignis presque immédiatement après, mais ici, aucune fenêtre ne venait illuminer la pièce. La seule chose que j'eu le temps de voir était les portes du dernier ascenseur se refermant sur une ombre. Automatiquement, j'appuyai sur le bouton de l'appareil le plus proche tout en observant le numéro d'étage indiqué par celui de notre intrus, faisant ainsi s'ouvrir les portes juste devant moi. Avec précipitation, j'entrai sans réfléchir, appuyant à mon tour sur le dernier étage. Lance s'engouffra derrière-moi juste avant que les battants ne se referment.
L'appareil commença à monter dans un bruit peu rassurant, faisant s'illuminer les numéros des étages un à un sur le tableau. La lumière faible de l'habitacle nous laissait entrevoir la taille exiguë de la cage d'ascenseur.
La voix de mon coéquipier résonna tout près de moi, me poussant à me tourner face à lui.
- Et maintenant, qu'est-ce qu'on est censés faire ? me questionna-t-il, le regard réprobateur. Tu t'es engouffrée là-dedans sans nous laisser le choix, et si c'était un piège ?
- Maintenant, on attend, lui dis-je sur un ton qui se voulait sûr de moi. L'ascenseur doit nous amener au dernier étage, c'est ici que se rendait la personne qui nous fuyait.
Il resta un moment à m'observer sans rien dire. Je voyais qu'il tentait de comprendre ce que je lui expliquais.
- Tu es en train de me dire que cet engin va nous amener jusqu'au dernier étage ? De lui même ?
- Les humains ont tendance à être flemmards, ce qui peut se comprendre quand on créer des bâtiments si hauts. Ils sont les rois des inventions qui visent à faire le moins d'efforts possible, arguai-je d'un haussement d'épaule. Mais les ascenseurs ne sont pas censés marcher ici, je croyais que l'électricité ne pouvait pas fonctionner sur Eldarya...
- Il faudra vraiment que tu m'expliques de quoi tu parles, Andraste.
Coupant court à notre conversation, l'ascenseur se bloqua soudain, faisant clignoter la lumière jusqu'à totalement s'éteindre. Plus aucun son ne nous parvenait, la machine s'était totalement arrêtée.
La voix profonde de Lance me parvint d'encore plus près qu'un instant auparavant.
- Et ces boites, elles ont souvent tendances à faire ça ?
- Ça peut arriver, mais ce n'est pas vraiment bon signe quand ça fait ça...
- J'aurai dû m'en douter, soupira-t-il entre ses dents.
Tout à coup, l'appareil redémarra, reprenant sa course dans une rapidité ahurissante. Les boutons des étages clignotèrent frénétiquement tandis que la vitesse de la montée nous poussa avec force.
Je n'eu pas le temps de réaliser ce qu'il se passait que Lance me plaqua sans prévenir dans un coin, me protégeant de son grand corps. Ses mains attrapèrent fermement mes hanches dans l'optique de m'empêcher de perdre l'équilibre. Dans le bruit ambiant que produisait cette montée brutale, je fus surprise d'entendre sa voix grave résonner tout contre mon oreille, faisant augmenter l'adrénaline qui courrait déjà dans mes veines.
- Je savais que c'était une mauvaise idée de te suivre, me dit-il d'un ton presque... amusé ?
- Pourtant sur le moment, tu n'as pas eu l'air de beaucoup hésiter.
Malgré la peur, un sourire barra nos lèvres respectives. Ses mains me pressèrent un peu plus contre lui tandis que ses yeux brillèrent d'une lueur différente dans l'obscurité ambiante.
- C'est vrai, tu me fais vraiment faire n'importe quoi.
Tout à coup, l'ascenseur s'arrêta brutalement une nouvelle fois. Heureusement, la poigne de Lance m'empêcha de finir au sol. Il me relâcha lentement tandis que plusieurs secondes s'écoulèrent avant que les battants ne s'ouvrent enfin. Prudemment, le jeune homme se détacha de moi afin d'inspecter l'extérieur de la cabine. Il m'adressa un signe de tête pour me signifier que je pouvais le suivre.
Suivant ses pas, je découvris avec soulagement que nous nous trouvions sur le toit de l'immeuble. Une rafale de vent glacée vint secouer mes cheveux juste sous mon visage tandis que je restai stupéfaite de ce qui se dressait devant nous.
Dans le halo des montagnes enneigées baignées par la lune, plusieurs draflayels aux tailles démesurées volaient en cercle dans le ciel juste au dessus de nous. Se confondant dans les couleurs de ce qui ressemblait à des aurores boréales, les familiers battaient lentement des ailes quand l'un d'eux nous aperçu du coin de l'œil. Ce dernier poussa un faible cri avant de descendre jusqu'à se poser bruyamment sur le rebord de la rambarde face à nous. Il ne montrait aucun signe de férocité, semblant même plutôt attentif au moindre de nos mouvements.
Lance et moi échangeâmes un regard dubitatif.
- Andraste...
Surprise, je me retournai avec stupeur en direction du draflayel géant. Cette voix...
- Fais venir le dragon.
La bête nous regardait tranquillement, la lumière dans son dos se reflétant sur ses écailles.
- Vous pouvez parler ?
J'entamai un mouvement dans sa direction quand Lance m'attrapa par le poignet, l'air visiblement perdu face à ma question.
- Andraste, qu'est-ce que...
- S'il te plaît... fais venir le dragon.
- Lance, il veut que tu viennes jusqu'à lui !
L'air encore plus perdu, il ne me lâcha pas pour autant.
- Mais de qui est-ce que tu parles, bon sang ?
- Le draflayel, tu ne l'entends pas ? me rendis-je alors compte.
Il resserra ses doigts autour de mon poignet, la confusion se lisant de plus en plus sur son visage.
- Quoi, mais de quoi tu parles ? C'est encore un truc d'humain que je ne peux pas comprendre ?
Je secouai vivement la tête.
- Non. Je ne sais pas, fais moi juste confiance. Il me demande que tu viennes jusqu'à lui, tentai-je de lui expliquer.
Il lâcha enfin lentement mon bras, se tournant vers le familier qui ne nous quittait pas des yeux. Sans se tourner, il me dit quand même :
- Très bien, mais ça commence à faire beaucoup de choses que tu vas devoir m'expliquer une fois tout ça terminé.
Je souris face à sa remarque avant qu'il ne commence à avancer prudemment, s'attendant probablement à ce que la bête change finalement d'avis et ne s'en prenne à nous.
Je retins ma respiration quand il s'arrêta face à elle et qu'avec lenteur, il tendit la main dans sa direction. Le dragon semblait fasciné par l'être qui se tenait devant lui.
Pour toute réponse, celui-ci se pencha vers lui, dirigeant le haut de son crâne juste sous ses doigts. Les larmes me montèrent aux yeux quand la voix retenti une nouvelle fois en moi.
- Tu es pardonné, dragon...
Puis le familier se redressa de tout son leste et, d'un grand battement d'aile, reparti en direction des siens.
Lance mis plusieurs secondes avant de se retourner, probablement chamboulé par ce qu'il venait de se passer. Les draflayels, ces familiers que le jeune homme avaient tant détestés de par leur lien étroit avec la race des dragons...
Quand il me fit enfin face, ses yeux s'écarquillèrent alors.
- ANDRASTE ! s'écria-t-il tout en s'élançant brutalement vers moi.
Ma respiration se coupa net quand des doigts froids et rêches vinrent s'écraser sur mon visage, me griffant au passage de leurs longues griffes. Arrivant rapidement à notre hauteur, Lance tandis la main dans l'espoir d'attraper une nouvelle fois mon poignet. Instinctivement, je me penchai vers lui tout en tentant de le toucher, mais quand nos doigts entrèrent en contact, la scène entière changea sous mes yeux, laissant disparaître le visage alarmé du dragon.
Mes phalanges se refermèrent dans le vide.
Tout était noir.
Baissant le regard, je me rendis compte que plus aucune main ne m'entravai, pourtant il m'était toujours incapable d'ouvrir la bouche, comme si une force invisible me l'a maintenait ainsi.
Sentant du mouvement dans mon dos, je me retournai précipitamment.
Nevra se tenait là, me regardant d'un air sombre.
- Je savais qu'elle n'y arriverait pas. Pourquoi Huang Hua nous a-t-elle forcés à la prendre avec nous ? Elle n'a toujours été qu'un boulet.
J'esquivai un mouvement dans sa direction quand quelqu'un lui répondit juste derrière-moi.
- C'est pire que ce que je pensais, elle n'est même pas capable de rester avec nous. Il fallait forcément qu'elle se fasse enlever.
Mon ventre se noua violemment quand je le reconnu.
- Je n'ai jamais pu la supporter, continua Lance. Et elle pense qu'il y a quelque chose entre nous ? Laisse moi rire.
Les deux hommes se mirent à rire de concert, m'ignorant royalement. La panique s'empara lentement de moi, il fallait que je sorte d'ici.
Fermant les yeux, je pressai mes paupières le plus fort possible afin d'échapper à cet endroit. Ça n'était pas réel, ce n'était pas possible.
Rouvrant les paupières, je me rendis compte que Nevra et Lance avaient disparus. L'endroit était... vide. Sentant la pression se relâcher sur ma bouche, je pu à nouveau bouger librement.
Bon sang, mais comment sortir d'ici ?
Je tâtonnais dans le noir quand le cri d'un bébé retenti soudain au loin. Sans réfléchir, je me dirigeai précipitamment en direction de celui-ci, ne tardant pas à l'atteindre.
Je me figeai alors sur place, le sang glacé.
Assise sur un fauteuil, une jeune femme aux longs cheveux bruns tenait l'enfant dans ses bras. Elle fredonnait faiblement ce qui ressemblait à une berceuse qui m'était inconnue.
- Junyn dragon, úvaenu nah vauel, Meym mo payr key nu zeywu opuv waevuel.
Le bébé commença à se calmer sous le chant apaisant de celle qui le tenait. Quand il ferma enfin ses yeux d'un bleu glacé, je vis avec stupeur des striures de lumière et de glace parcourir ses petites mains.
- My cogoym ne julwm nah vbugyh, Maepyuhm nay wu vu luxloyh.
La jeune femme tourna finalement la tête vers moi, semblant enfin remarquer ma présence. Ses grands yeux aux teintes de violet me figèrent sur place.
Je n'entendais plus rien, seules ses lèvres remuèrent en silence sur les dernières phrases de la chanson.
- Junyn dragon, úvaenu nah vauel, Meym mo payr key nu zeywu, gûgu wohm fo waefuel.
Je tombais à genoux devant elle, le souffle court.
Cette fille, elle...
D'un geste tendre, elle glissa une main maternelle sur ma joue.
- Tu dois sortir d'ici, Andraste, me dit-elle d'une voix tout à coup différente, comme si une deuxième, beaucoup plus jeune, s'était mêlée à la sienne.
J'écarquillai les yeux, incapable de bouger. Le visage de la jeune femme changea, laissant disparaître la scène afin de laisser place à celui d'une petite fille que je connaissais bien.
- Ophélia ? dis-je, de plus en plus déroutée.
- C'est une illusion, Andraste, tu n'es pas dans la réalité. Tu dois te réveiller !
Ses derniers mots me percutèrent, résonnants immensément plus fort. L'air s'engouffra une nouvelle fois avec violence dans mes poumons, me réveillant en sursaut.
Allongée sur le sol froid, je me trouvais dans une chambre inconnue.
Était-ce la réalité ?
Mon regard parcouru la pièce tandis qu'un souvenir me revint. Avant notre départ, Koori m'avait expliqué le pouvoir particulier du peuple des kitsunes. En effet, ces derniers possédaient la faculté de faire voir à n'importe qui l'illusion qu'il souhaitait, ces dernières matérialisant le subconscient de la victime. Et plus le kitsune possédait de queues, plus il était puissant.
Combien de temps étais-je restée sous l'emprise de Tenjin ?
Plantant ma main sur le matelas à ma droite, je m'appuyais dessus afin de m'aider à me redresser. Quand je me retrouvai sur mes deux pieds, ma tête se mit un instant à tourner à toute vitesse. Prise de vertiges, j'appuyai mon front sur ma paume moite tout en reniflant. Ramenant mes doigts à mon nez, je m'essuyai avant de découvrir avec horreur une véritable flaque de sang qui perlait sur ses derniers.
Il ne manquait plus que ça. Ces illusions avaient puisé beaucoup de mon énergie, mon corps était déjà à bout.
Cherchant une solution afin de stopper mon hémorragie, je découvris une salle de bain qui donnait directement sur la chambre. Pénétrant dans la petite pièce, je commençais à fouiller dans les placards à la recherche de quelconques mouchoirs. Mes prières furent exaucées quand je tombais sur un paquet.
Une fois que mon nez s'arrêta enfin de saigner, je tournai le bouton du lavabo machinalement. Un bruit étrange se fit entendre avant qu'une eau blanchâtre et glaciale ne se mette à couler fortement. Le regard perdu dans le vague, j'observai un instant le jet sans bouger. Tout ça, c'était si... humain.
Secouant la tête, je me penchai afin de m'asperger le visage. La température vivifiante ne tarda pas à me faire reprendre mes esprits.
Il fallait que je retrouve les autres.
Le regard alarmé de Lance me revint alors en mémoire. Mes mains agrippèrent avec force le rebord blanc devant moi.
Pourvu qu'il s'en soit sorti sain et sauf...
Décidant de me reprendre, j'éteignais le robinet et me séchai sur une serviette avant de sortir de la pièce. Prudemment, j'inspectai le couloir bercé par la faible lueur provenant des fenêtres, mais je me rendis rapidement compte qu'aucun signe de vie n'avait l'air de provenir de cet étage.
Mais quel était le but de Tenjin en me laissant seule ici ? Je n'arrivai pas à comprendre.
Une des portes du grand couloir était entrouverte, me laissant apercevoir une lumière différente, étrange même, aux intonations bleutées. M'approchant, je poussai lentement la porte sans un bruit avant d'inspecter l'intérieur de la pièce. Ma bouche s'entrouvrit quand je compris d'où venait la source lumineuse.
Comme creusée dans un mur invisible, une sorte de petite fenêtre donnant sur une pièce tout à fait différente semblait flotter dans le vide. Tout autour d'elle, un cadre bleu aux nuances changeantes brillait puissamment. Je m'avançai dans le silence le plus total. Quand je fus suffisamment près, je pus distinguer la pièce de l'autre côté. Elle était... banale. Simple, comme n'importe quel salon d'une habitation modeste. Et pourtant...
Pourtant, je me sentais comme attirée par ce que je voyais. Me penchant sur le côté, je découvris une nouvelle partie de ce salon qui m'était jusqu'alors restée inaccessible.
Mon cœur rata plusieurs battement quand je compris enfin. Plus loin sur le côté, trônait fièrement un écran de télévision bien plus avancé que ceux que j'avais connu. Laissant courir mes yeux sur les autres éléments, ma stupeur continua de grandir quand je découvris bien d'autres éléments familiers.
Des affiches, magazines et même un ordinateur apparurent juste sous mon regard médusé. Mes mains s'approchèrent de la petite fenêtre qui attisait toutes mes envies quand un raclement de gorge m'interrompit brusquement.
- Je ne ferai pas ça, si j'étais toi.
Sursautant, je me retournai vivement vers la personne que je n'avais pas entendue arriver.
- Il ne t'as pas fallut longtemps pour reconnaître ton monde, n'est-ce pas ? m'interrogea Tenjin, la mine calme. Pour répondre à tes questions, il s'agit en effet d'un portail qui mène directement sur Terre. En revanche je ne sais pas s'il est praticable, mais tu peux toujours le tester de toi-même.
- S'il est praticable ? relevai-je sans vraiment comprendre.
Un sourire mauvais étira ses lèvres aux dents pointues, faisant naître un frisson d'angoisse le long de mon échine.
- La Garde ne t'as donc pas expliqué comment fonctionnent les portails ?
Je ne répondis rien, ne voulant pas lui laisser savourer ce plaisir. Ce dernier entama une lente marche dans la grande chambre.
- Enfin, pas que cela m'étonne, pour être honnête. J'ai entendu dire que Miiko t'avait menée la vie plutôt... dure, conclût-il d'un haussement du sourcil. Et depuis que tout le monde sait que tu es la sauveuse d'Eldarya, personne ne souhaite te voir partir, c'est compréhensible.
Voyant que le kitsune me tournait un instant le dos, j'en profitai pour attraper un vase derrière-moi, le maintenant dans l'obscurité de la pièce.
- Sache que les portails sont instables, ma belle. N'importe quel objet est capable de les traverser, mais leur composition même pourrait s'en trouver modifiée. Alors, qu'en est-il des êtres vivants ? dit-il d'un ton presque théâtral, ouvrant grand les bras. Si tu le traversais, tu aurais tout à fait la possibilité de retourner chez toi, tout comme ton être pourrait tout simplement se décomposer, voire même se retrouver coincé entre deux mondes. Mais au vu de ton expression, je me doute que personne n'a jamais prit la peine de t'en informer.
Je déglutis avec difficulté. Disait-il vrai ? Je savais que les portails étaient quasiment impossible à ouvrir, mais qu'en était-il une fois que cela était le cas ? S'il disait la vérité, j'avais été à deux doigts d'y sauter dedans, sans aucune hésitation. La vue de la Terre était si avenante... et s'il ne m'avait pas interrompue ?
Les sueurs froides continuèrent de couler le long de mon dos. Je ne devais pas lui faire confiance.
Et encore moins m'approcher de ce portail.
Mais quand bien même me disait-il vrai, quel était son intérêt de me le révéler ?
- Tu m'as l'air plutôt perdue, petite humaine. Tu te demandes pourquoi est-ce que je te révèle tout ça, n'est-ce pas ?
Serrant les dents, je me forçais à ne pas reculer. Il fallait que je reprenne contenance.
- Qu'est-ce que nous faisons ici, Tenjin ? lui demandais-je sur la défensive. Où est Lance ?
- Tu parles du dragon ? me questionna-t-il à son tour, la voix soudain grondante. Il n'a pas vraiment apprécié que je souhaite passer un peu de temps seul avec toi, mais ne t'en fais pas, je me suis occupé de son cas.
Mes doigts se resserrèrent avec force sur le vase dans mon dos tandis que la nausée s'empara de moi. Mes pensées se mélangeaient avec confusion.
Et s'il lui était vraiment arrivé quelque chose ?
- Qu'est-ce que vous lui avez fait ? ne puis-je m'empêcher de m'écrier.
- Du calme ma belle, il n'est pas mort, si c'est ce qui t'inquiète. Disons que j'ai dû employer mon pouvoir d'illusion avec un peu plus de... dureté, à son égard. Mais cette situation est assez amusante, tu en conviendras. Après toutes les histoires que j'ai entendu sur vos péripéties d'il y a sept ans, j'aurai parié que tu aurais cherché à te venger de lui. Mais étonnamment...
Le roi des terre des neiges s'approcha dangereusement de moi, laissant sa phrase en suspens alors que ses doigts commencèrent à caresser mon bras. Ce geste n'en était pas moins dénué de toute tendresse.
- ... je vois bien comme tu es amoureuse de lui.
Ses dernières paroles me prisent totalement au dépourvu, à tel point que mes mains lâchèrent l'objet qui vint s'écraser bruyamment au sol. Son rictus se déforma un peu plus au son des morceaux de céramique qui s'éclataient autour de nous, tandis que les battements de mon cœur me vrillaient les tympans.
Amoureuse ?
- Le dragon qui a tué son propre frère, qui a tenté de décimer toute la population d'Eldarya... C'est donc ça que tu aimes ?
Mes mâchoires se crispèrent de colère. Au creux de mes mains, ma lumière commença à battre frénétiquement.
- Tout cela remonte à il y a bien longtemps, Tenjin. Et si je ne m'abuse, mes sentiments ne vous concernent aucunement.
Ses griffes remontèrent avec lenteur le long de mon bras, jusqu'à venir s'arrêter juste sous mon menton. Je dégluti avec difficulté sous son regard sombre.
- Une si belle femme, dans les bras d'un si vilain dragon... Tu ne m'en voudras pas si cela me tracasse quelque peu.
Il fallait que j'entre dans son jeu, qu'il ne voit pas mes pouvoirs crépiter avec violence.
- Et comment pourrais-je... arranger ça ? articulai-je avec difficulté.
Tout en me griffant la peau, les doigts du kitsune repoussèrent minutieusement mes cheveux afin de les faire glisser derrière mon épaule. Avec horreur, je sentis ses lèvres frôler mon oreille.
- Tu pourrais devenir ma reine, Andraste.
______________
Merci à slowiedrakie pour la berceuse ❤️
Vous pouvez la retrouver dans sa fanfiction « Play with Fire » sur Lance et disponible sur Wattpad.
CHAPITRE 22 : JE CROIS QUE TU VAS DEVOIR T’OCCUPER DE MOI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Tu pourrais devenir ma reine, Andraste.
Ces dernières paroles me répugnèrent, faisant monter une nausée soudaine jusqu'au fond de ma gorge que je ravalais non sans grimacer.
- Pour avoir une vie d'asservissement comme celle que vous avez volée à Koori ? ne puis-je m'empêcher de répliquer, le ton empli de dégoût. C'est donc ça, votre vision du pouvoir ?
Tant pis pour ma technique d'entrer dans son jeu, si j'avais bien compris.
Se tenant toujours trop près de moi, je sentis le sourire mauvais du kitsune se déformer sur ses lèvres à l'entente de ma mention de son ancienne femme.
- Tu as du répondant, j'aime ça. Mais fais tout de même attention à ne pas trop l'ouvrir. Je pourrai finir par m'énerver et ce serait dommage d'abîmer ce magnifique visage.
- Je plains votre peuple, Tenjin. Avoir un roi tel que vous... dis-je dans un grincement de dents.
Mon souffle se bloqua quand sa main puissante s'enroula autour de mon cou. Sa voix gronda tout contre moi.
- Ne fais pas trop la maligne uniquement parce que tu as toute la Garde dans ta poche. Tu n'es strictement rien sans leur protection, ne l'oublie pas.
Je ne pus empêcher une larme de m'échapper quand ses doigts se resserrèrent plus véhément. La colère, qui courrait dans mes veines depuis déjà plusieurs minutes, s'accentua tout à coup, pulsant violemment dans mes paumes, me faisant presque mal.
Sans qu'il n'ait le temps de comprendre mon geste, je pressai mes deux mains sur son grand torse, ordonnant à ma lumière d'exploser. Le regard du roi s'écarquilla de stupeur quand une multitude de striures dorées parcoururent à toute vitesse son corps avant de se retrouver projeté avec force en arrière. L'éclat fut si puissant que mes yeux se fermèrent un instant, ceux-ci totalement aveuglés par la vivacité du faisceau lumineux. Tenjin frappa le mur loin derrière-lui dans un bruit sourd, mais je ne lui laissai pas le temps de se redresser. Ni une ni deux, mes pieds s'élancèrent afin de m'éloigner le plus loin possible de ce monstre.
Courant aussi rapidement que mes jambes me le permettaient, ma respiration sifflait bruyamment dans ma gorge malmenée tandis que les portes de l'immense couloir défilaient à toute vitesse autour de moi.
Il fallait que je quitte ce bâtiment, que je retrouve les autres.
Et vite !
Atteignant le bout du corridor, j'aperçu le panneau indiquant les escaliers de secours un peu plus loin. Ne freinant pas ma course pour autant, mes mains agrippèrent avec précipitation la poignée quand mon épaule percuta fortement le bois, stoppant ainsi mon élan. Tournant plusieurs fois le bouton doré, les larmes me montèrent une nouvelle fois aux yeux quand je compris que cette dernière était fermée à clés.
- Non, pas ça... ne puis-je m'empêcher de supplier à voix haute.
J'allais me retourner quand une main dure attrapa fermement mon bras. La peur me paralysa sur place.
Parce que je savais que je l'avais énervé.
- Si tu me le permets, je pense que le petit jeu a assez duré, gronda Tenjin d'une voix sourde.
Mes doigts se crispèrent sur le battant de la porte, laissant courir vivement des éclairs de lumière presque brûlants contre ma peau glacée. L'homme me plaqua alors de tout son corps, maintenant fermement mes mains dans ses grandes griffes. Sa grande stature ne me laissa aucunement l'occasion de me dérober.
- Je ne m'attendais pas à une telle puissance de la part de tes pouvoirs, mais ne me crois pas assez stupide pour me faire avoir une deuxième fois. Tu es sur mon territoire et la Garde n'aurait jamais dû te laisser venir ici, tu es nettement plus alléchante maintenant que je sais de quoi tu es capable. J'en viendrai presque à jalouser ce pauvre dragon qui doit probablement rêver de toi à l'heure qu'il est. Qui sait ce qu'il s'imagine ?
Se collant un peu plus fort contre moi, il ajouta d'un murmure empli de haine :
- Peut-être pense-t-il à ton corps. Tu me diras, personne ne peut le blâmer pour ça, qui ne le ferait pas à sa place...
Soudain, la pression de l'étau du Roi se relâcha sans prévenir, laissant l'air pénétrer avec soulagement dans mes poumons. Je détachai ma poitrine de ma prison quand je compris ce qui avait stoppé Tenjin.
Se tenant de toute sa hauteur, Nevra se tenait devant moi, créant un mur protecteur face au kitsune.
Je pense que je n'avais jamais lu tant de haine dans son regard froid.
- En effet, il serait temps de cesser votre petit jeu absurde, Tenjin, dit-il d'un ton menaçant.
Le kitsune tenta de se redresser mais le vampire fut plus rapide. En l'espace d'un quart de seconde, le bras droit de l'Étincelante se retrouva au dessus de lui, braquant un canif juste sous son cou.
- Vous êtes allé beaucoup trop loin, gronda-t-il entre ses dents. Vous n'auriez jamais dû vous en prendre à elle.
Nous prenant au dépourvu, un sourire mauvais étira les lèvres de l'intéressé alors qu'il plantait son regard droit vers le mien.
- Décidément, tous les hommes sont à tes pieds, Andraste. J'aurai dû m'en douter. Personne ne veut d'une femme croqueuse d'hommes, tu sais.
Nevra ne pu retenir sa colère plus longtemps. Attrapant le col du kitsune de sa main libre, il le plaqua à son tour brutalement contre le sol tandis que je pouvais presque entendre ses dents grincer tant sa mâchoire se contractait.
- Qu'est-ce que je viens de dire ? siffla-t-il.
Je revins soudainement à la raison quand la main aux jointures blanchies de Nevra resserra sa pression sur son couteau, laissant couler une traînée de sang sur la peau blanchâtre du rois des neiges.
- Non Nevra ! m'écriai-je tout en me détachant de mon appui, m'élançant ainsi vers lui afin de le stopper en attrapant son avant-bras. Calme-toi, tu vois très bien qu'il essaie de nous énerver !
Le vampire lâcha lentement son col maltraité, se redressant d'un air menaçant.
- Laissez-nous partir sans encombres ou vous aurez de sérieux problèmes avec la Garde, Tenjin, et je ne vous conseillerai pas de prendre ce risque.
Ce dernier se releva à son tour, essuyant au passage la traînée rougeâtre le long de sa gorge.
- Très bien, je vous laisse partir d'ici. Mais à condition que vous aillez quitté mes terres avant le levé du soleil. Sinon... je me verrai dans l'obligation de récupérer ce qui m'est dû. Et avec un supplément, ajouta-t-il d'un regard sur moi.
Un nouveau frisson d'horreur parcourra mon dos. Cet homme était vraiment écœurant.
- Vous ne nous verrez plus ici d'ici-là, conclut Nevra d'un hochement de tête.
D'une vitesse impossible à suivre pour mes yeux d'humaine, le vampire m'attrapa sous les genoux et me fit basculer dans ses bras sans aucune difficulté. La salle des portes avança soudain à une allure ahurissante juste sous mon regard. Ouvrant une porte un peu plus loin, je distinguai vaguement une cage d'escaliers.
- Ferme les yeux, Andraste. Ton corps n'est pas fait pour supporter une telle vitesse, tu risques de te sentir mal.
N'arrivant pas à suivre les images qui défilaient, j'écoutais sagement son conseil et fermai les paupières le plus fort possible, serrant avec plus de véhémence mes bras autour de ses épaules et blottissant mon visage dans son cou. Son parfum si caractéristique me caressa les narines.
L'odeur de Nevra n'avait pas changée.
Les battements frénétiques de mon cœur se calmèrent légèrement face à cette constatation. Il ne m'abandonnerait jamais.
- Où sont les autres, Nevra ?
- Ils vont bien, ne t'en fais pas pour eux. Ils savent quelle est la marche à suivre, nous nous retrouvons tous au navire.
Rouvrant les yeux, je l'observai à la dérobée. Je savais qu'il ne me disait pas tout.
- Et Lance ?
Sa mâchoire se contracta une nouvelle fois, son regard se fit fuyant. Je resserrai mon étreinte.
- Nevra, où est Lance ?
Mon cœur reparti de plus belle dans l'attente de sa réponse.
- Je ne sais pas, Andraste, articula-t-il avec précaution. J'ai perdu sa trace il y a plusieurs heures...
La nausée me reprit soudain. Fermant les yeux, j'essayai de me concentrer sur ma respiration. J'avais l'impression d'étouffer.
Lance.
Tout ça, c'était ma faute.
Si je ne m'étais pas faite attraper par Tenjin, tout cela ne serait pas arrivé. Une nouvelle fois, je m'étais montrée inutile et faible, incapable de me débrouiller par moi-même, obligeant Nevra et Lance à passer leur temps à me secourir.
Je fus surprise de sentir les mains du vampire me serrer à leur tour un peu plus fort.
- Il va bien, j'en suis convaincu. Lance est notre meilleur guerrier, il ne se ferait pas avoir par un homme tel que Tenjin, aussi grande et puissante soit son armée. Et je suis sûr que pour rien au monde il ne te laisserait filer.
Mes yeux se rouvrirent de stupeur. Venait-il d'insinuer être au courant pour notre relation ?
Enfin, si nous pouvions appeler cela comme ça.
Pour la première fois, son regard similaire au mien se planta sur moi. Nos visages se retrouvèrent si près l'un de l'autre que je pouvais sentir son souffle contre mes lèvres. Durant un court instant, ses iris laissèrent transparaître une lueur de tristesse.
- Je suis désolé, je ne voulais vraiment pas mais je vous ai vus sur le ponton.
Accusant le coup, j'avalais ma salive avec difficulté. Pour être honnête, je n'avais pas envie qu'il le sache. Du moins, pas si rapidement. Nevra et moi, pour moi, c'était encore il y a peu de temps. C'était probablement idiot de penser ça, mais cela me donnait l'impression d'être le genre de personne qui passait sans aucun problème d'une relation à une autre...
... Nevra allait-il penser la même chose ?
Ce raisonnement était complètement absurde, je le savais.
- Je ne vais pas te cacher que j'ai été assez surpris étant donné votre passé commun, mais sache que je ne dirai rien à personne, dit-il tout en plantant à nouveau son regard droit devant lui. Quoi qu'il en soit, je peux t'assurer que tu n'as pas à t'inquiéter pour lui. Il est la personne en qui j'ai le plus confiance en ce qu'il s'agit des missions, donc calme toi et reste concentrée sur la réussite de celle-ci.
Honteuse, je baissai les yeux.
- Tu as raison, je suis désolée de t'imposer mon inquiétude, tu as déjà bien assez à faire.
- Ne dis pas de bêtises, me répondit-il presque du tac au tac. Cesse de penser que tu es fardeau pour nous, car ce n'est pas le cas. Tu nous a tous protégés quand Tenjin nous a attaqué devant l'immeuble. Sans toi, je suis persuadé qu'au moins l'un d'entre nous aurait été blessé. Maintenant, si tu pouvais prendre conscience de tes capacités, ça m'arrangerai. Parce que tu es bien plus forte que tu ne le penses et je ne parle pas seulement de tes pouvoirs.
Arrivant au hall de l'hôtel, Nevra me déposa doucement au sol, craignant probablement que je ne perde l'équilibre à cause de sa course bien trop rapide pour tout être n'étant pas doté de capacités vampiriques.
- Tout va bien ? s'enquit-il tout en me maintenant d'une main bienveillante.
- Oui, ça devrait aller. Laisse moi juste deux minutes, le monde tourne un peu trop vite, là.
Le jeune homme rit faiblement tout près de moi. M'accrochant à son sourire, je le fixai jusqu'à ce que ma tête cesse de me donner envie de rendre le reste de mon repas sur ses chaussures.
Il y avait probablement de fortes chances qu'il m'en veuille après ça.
Attrapant sa main sur mon épaule, je l'amenai à ma joue tout en fermant les yeux, un sourire las étirant mes lèvres.
- Merci, Nevra. Ma vie est bien plus heureuse quand tu en fais partie.
Restant un moment silencieux, il se mit lentement à caresser ma peau de son pouce. Je savourai ce moment de paix entre nous avant d'ouvrir à nouveau les paupières. Le regard du vampire était fixé sur moi.
- C'est moi qui te remercie pour ça.
Le cœur plus léger, je lâchai précautionneusement ses doigts. Nous ne pouvions pas traîner.
- Très bien, quelle est la suite de l'opération ?
Le vampire retrouva son air déterminé, visiblement prêt à en découdre une bonne fois pour toute.
- Tenjin n'est pas venu seul. J'entends le bruit des armes dehors. J'espère que tu es prête, parce que les autres ne nous ont visiblement pas attendus pour se défendre.
- Dans ce cas, ne traînons plus !
Décidant de nous faire remarquer le plus tard possible, Nevra et moi nous faufilâmes par l'interstice d'une fenêtre brisée afin de nous rendre à l'extérieur.
La nuit sombre étreignit soudain mon cœur. Si quelqu'un arrivait vers nous, j'étais effarée de constater que je serai incapable de le voir venir.
- Ne t'éloigne surtout pas.
J'acquiesçai quand plusieurs sons de lames me parvinrent enfin. D'un mouvement de tête, Nevra et moi partirent en direction de ceux-ci. J'essayai tant bien que mal de rester aussi discrète que lui et heureusement pour moi, la neige étouffait les sons. Nous rapprochants, nous découvrirent Mathieu, Koori et Leiftan qui combattaient chacun de leur côté des membres de l'armée du roi des neiges.
Mathieu fut le premier à nous voir. Quand celui-ci nous remarqua, plusieurs kitsunes se jetèrent droit sur nous. Nevra para avec aisance chacun de leurs assauts, mais je ne devais pas rester inutile.
L'humain réussi finalement à nous rejoindre, des perles de sueurs coulants sur son front.
- Andraste, je suis soulagé que tu ailles bien ! me dit-il tout en frappant sa lame contre une autre.
Il était temps que je mette toutes ces heures d'entraînement à bon escient. Sortant à mon tour mon sabre de son fourreau, je rejoignis le combat.
- Je suis soulagée également ! Tiens encore un peu le coup, nous allons tous partir d'ici et rentrer à la maison.
Un sourire triomphant naquit sur ses lèvres tandis qu'il brandit sa lame droit devant lui.
- Tu as raison. Viens-moi en aide, Malis Inimicus !
Malgré les assauts tout autour de nous, je ne pus m'empêcher de sourire face au cri de guerre du jeune homme.
- Mathieu, tu es désespérant !
- Mais ça me rend plus fort, je te l'assure !
La voix de Nevra trancha notre discussion.
- Leiftan, récupère Koori et partez en direction du bateau ! ordonna-t-il.
Les deux concernés obéirent immédiatement aux ordre de la main droite de l'Étincelante, disparaissant de notre champs de vision sans que personne ne s'en rende compte.
Courant dans le sillon de Nevra et suivie de près par Mathieu, je remarquai un peu plus loin une ombre qui me cloua sur place. Non...
Tenjin.
Le kitsune semblait se délecter de la bataille qui faisait rage tout autour de nous. Les deux hommes ne l'avaient visiblement pas encore remarqué. Le roi m'observa d'un œil brillant étrangement dans l'obscurité. Rapidement, je me rendis compte qu'il venait de planter son bâton dans le sol. Plusieurs boules d'un feu bleuté se précipitèrent alors sur nous.
- Attention !
D'un geste si rapide que je m'en rendis tout juste compte, je tendis une main face à moi, créant à nouveau un cocon protecteur tout autour de notre petit groupe. Les assauts rebondirent dessus d'un bruit sourd. Se tournant vers moi, les deux hommes écarquillèrent les yeux.
- Merci ! me dirent-ils de concert.
- Tenjin est là-bas, expliquai-je tout en tendant un doigts dans sa direction. Restez vigilants.
Hochants la tête, ils nous frayèrent un chemin à travers le chaos ambiant. Tentant d'avancer, je tournai la tête quand une immense silhouette apparue là où se tenait le kitsune.
Mon cœur s'accéléra quand je reconnu son armure.
Mes pieds augmentèrent leur cadence, m'amenant presque jusqu'à celle-ci tout près du bord de la falaise.
Le visage de Lance était calme. Ne bougeant pas, il semblait attendre que je le rejoigne. Dans sa main, son épée était plantée dans la neige.
Brusquement, un cri bestial stoppa mon élan. Une ligne de flammes bleutées immense apparue entre le jeune homme et moi, m'empêchant d'avancer plus. Relevant la tête, je restai choquée devant l'image du dragon de glace qui parcourait l'étendue étoilée au dessus de nous.
Qu'est-ce que...
Volant à toute vitesse, la bête plongea droit derrière le brasier, la colère transparaissant dans chacun de ses battements d'ailes.
- Andraste, c'est une autre illusion, ne te fais pas avoir !
Mon cœur s'accéléra grandement quand je reconnue la voix de Lance gronder au dessus du chaos ambiant. L'emprise de Tenjin me relâcha alors, me vidant un instant de toute énergie. Tombant à genoux, des gouttes perlèrent de mon nez et vinrent rougir le sol blanc entre mes mains telle une toile sombre.
Je perdais à nouveau du sang, signe que j'étais bien de retour dans la réalité.
Par l'Oracle, comment éviter de retomber sous son emprise ?!
Par delà le mur brûlant aux reflets bleutés, je vis Tenjin se défendre contre la forme draconienne de Lance.
Il n'y avait plus aucun doute. Croyant voir le chef de l'Obsidienne, j'avais faillit courir tout droit vers l'ennemi. Je reniflai tout en me redressant, observant la bataille titanesque qui se déroulait face à moi.
Attaquant sans relâche, le dragon allait rapidement finir par s'épuiser. Il fallait que je fasse quelque chose, que je vienne en aide à Lance. Mais comment ?
Quand Tenjin leva son bâton, je compris. Une autre illusion, une autre boucle morbide. Levant mon bras devant moi, je matérialisai une boule d'énergie si puissante que mes pieds glissèrent en arrière. Concentrant toute mon attention, je l'envoyai de toutes mes forces afin de stopper l'attaque de notre assaillant. La puissance de ma lumière fut si violente qu'elle souffla une partie des flammes entre nous. Traversant le mur, elle percuta le kitsune de plein fouet, l'envoyant valser sur plusieurs mètres.
Mes jambes me lâchèrent alors, ayant probablement bien trop puisé dans mes ressources. Le regard du dragon vira sur moi. D'un grand battement d'ailes, il se dirigea droit dans la direction, tournant le dos à l'ennemi.
J'eus seulement le temps de voir le bâton se planter dans le sol.
Et le dragon s'effondrer tout près de moi dans un bruit fracassant.
Non...
À travers les flammes essoufflées, je pu voir Tenjin à moitié avachi par terre, ses yeux emplis de haine dirigés droit sur moi. Poussant sur mes bras, je tentais de me redresser mais rien n'y fit, mon corps ne m'obéissait plus. La silhouette face à moi se redressa alors, marchant difficilement. Le visage strié de sang du kitsune se retrouva rapidement tout près du mien.
- Sale petite garce, gronda-t-il tandis qu'une vive douleur m'étreignit le crâne quand ses doigts se plantèrent dans mes cheveux, me soulevant de moitié. Tu vas regretter ce que tu m'as fait.
Un cri m'échappa quand il me jeta sur le côté avec colère. Allongée face contre terre, les bras devant moi, je réussi tout de même à articuler, un sourire mauvais étirant mes lèvres :
- Vous êtes répugnant, Tenjin.
Grondant de rage, il s'apprêtait à m'attraper une seconde fois quand un bras arrêta son mouvement, le poussant à reculer loin de moi. Malgré le flou qui obstruait mon regard, je pu reconnaître Nevra qui parti dans un nouveau combat face au roi.
Derrière-moi, des cris bestiaux se firent à nouveau entendre alors que le sol se mit à vibrer.
Puisant dans mes dernières ressources, je réussi à me redresser pour découvrir l'immense dragon de Lance qui soufflait avec rage sur l'armée ennemie, l'empêchant ainsi de nous atteindre. Les flammes ne tardèrent pas à réchauffer l'air autour de nous.
Atterrissant tout près de moi dans un certain fracas, ses grands yeux félins me regardèrent avec attention.
- Monte.
- Mais tu n'es pas blessé ? m'enquis-je avec inquiétude.
- Ce n'est rien de grave. Dépêche-toi de monter, il faut qu'on parte d'ici.
S'approchant de moi, sa large tête m'attira jusqu'à lui. Je plantais alors mes mains dans ses écailles, mais quand je poussai afin de sauter, mes doigts glissèrent sur une partie poisseuse. Persévérant, je réussi tout de même à me percher sur son dos, découvrant avec horreur la blessure béante qu'il avait reçue.
- Lance...
Battant vigoureusement des ailes, il décolla sans attendre, ne me laissant pas le temps de dire quoi que ce soit. Stupéfaite, je le senti tituber légèrement avant de se ressaisir.
- Accroche-toi bien, ça risque d'être un peu plus brutal.
Suivant son conseil, je tentais de me maintenir un peu plus fermement malgré mes maigres forces en cherchant un meilleur appui, mais je fus rapidement horrifiée de constater que partout où elles se posaient, mes mains baignaient littéralement dans une marre de sang. J'espérai ne pas lui faire plus mal...
L'image du vampire me vint soudain en tête.
- Mais Nevra, comment va-t-il faire ?! Il ne reste que lui là-bas ! m'écriai-je presque.
- Ne t'en fais pas pour lui, il connaît le plan. C'est un ancien chef de l'Ombre, il peut disparaître comme il le souhaite aux yeux de ses ennemis.
- Mais tu es sûr qu'il...
- Andraste, crois-moi, il va nous rejoindre très rapidement.
Décidément, je n'avais jamais remarqué à quel point ces deux-là avaient une confiance si aveugle l'un envers l'autre. Dans d'autres circonstances, j'en aurai presque été jalouse.
Relevant les yeux de mon cauchemar rougeâtre, je me rendis compte avec étonnement que le paquebot se dressait fièrement juste devant nous.
- Nous y sommes.
Le dragon se déposa avec une certaine difficulté sur le sol froid. Avec urgence, je m'empressai de descendre pour le soulager. À peine mes pieds eurent touchés le parquet que le dragon disparu pour laisser place au jeune homme.
Les larmes coulèrent sans mon accord quand je découvris son état, le rattrapant de justesse dans mes bras affaiblis.
Son sang encore chaud glissant entre mes doigts.
- Viens-là, dis-je tout en resserrant mon étreinte autour de ses épaules.
Lâchant ses barrières, je le senti s'appuyer un peu plus contre moi, fourrant son nez dans mon cou.
- Excuse-moi mon ange, je crois que tu vas devoir t'occuper de moi...
Son ton, si faible que je cru l'avoir rêvé, accentua le flot de larmes qui m'échappaient.
Remplissant un peu plus mon cœur de l'amour que je nourrissais pour lui.
CHAPITRE 23 : JE VAIS FINIR PAR M’IMAGINER QUE TU ES À MOI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Excuse-moi mon ange, je crois que tu vas devoir t'occuper de moi...
Son ton, à la fois doux et suppliant, me réchauffa le coeur. J'avais envie de le serrer contre moi, de lui dire que tout allait bien se passer. Fermant les paupières, je laissai les larmes rouler sur mes joues tandis que je peinais à le soutenir.
Par pitié, il fallait qu'il s'en sorte...
- Lance, commençai-je tout en me détachant légèrement de lui, il faut vraiment que tu t'assoies. Viens avec moi.
Avec difficulté, le jeune homme laissa glisser ses bras de mes hanches jusqu'à se tenir à nouveau de lui-même. Je le senti basculer légèrement quand il se redressa complètement. J'attrapai alors l'une de ses mains pour la passer par dessus mon épaule tout en enroulant mon bras autour de sa taille, faisant attention de ne pas toucher ses blessures. Je fus surprise de le trouver si docile car, sans broncher, il me suivi jusqu'au dortoir des hommes, me laissant contrôler la marche.
Nous arrivâmes dans la chambre quand nos pieds s'arrêtèrent devant l'un des lits. Avec précaution, je l'aidai à s'asseoir sur le matelas tout juste rembourré. Lance laissa échapper une faible protestation dans son mouvement tandis que ses traits se crispèrent de douleur.
Penchée vers lui, la panique m'enveloppa le cœur.
- Je t'ai fait mal ?
Mes yeux me piquaient, je ne supportais pas de le voir ainsi.
Un faible sourire apparu sur ses lèvres.
- Ne dis pas n'importe quoi, tu es incapable de me faire mal, ma belle. Du moins... ajouta-t-il en déglutissant, pas physiquement.
- Lance...
Je l'observai tout en cherchant à comprendre le sens de ses mots, mais je savais qu'il ne m'en dirait pas plus. Pas dans l'immédiat, en tout cas.
Mon cœur rata un battement quand son regard commença à devenir flou. La peur s'empara alors de moi. Et si la blessure était bien trop importante ? Je n'étais pas médecin, je ne savais pas comment le soigner...
Je ne voulais pas qu'il me voit flancher, mais mes doigts me trahirent en se mettant à trembler tandis j'attrapai l'une de ses anses qui tenait ses épaulières afin de la détacher.
Je sursautai presque quand sa main attrapa mon poignet.
- Je ne peux pas retirer mon armure maintenant, les autres ne sont pas encore revenus, articula-t-il avec difficulté.
Malgré-lui, ses yeux se fermaient d'eux-mêmes.
- Lance, tu dois me laisser faire. Si on ne soigne pas ta blessure de suite...
Une nouvelle montée de larmes me noua la gorge, j'avais du mal à continuer ma phrase.
- ... tu sais très bien qu'elle aurait déjà dû t'être mortelle à l'époque, craquai-je presque, et je ne veux pas vivre dans un monde dans lequel tu ne serais plus là...
Ses doigts glissèrent des miens jusqu'à laisser tomber sa main dans le vide. Il n'avait plus aucune force, même pour me tenir tête. Avec douceur, j'attrapai à nouveau ses anses et les détachaient d'un bruit sec. Ses épaulières suivirent mes mouvements sans rechigner, atterrissant à mes pieds sur le parquet. Partout où je posais mes mains, j'étais horrifiée de constater qu'un sang poisseux venait coller ses vêtements.
Mais combien de sang avait-il perdu ?
Réussissant à comprendre comment était mise son armure, je retirai un à un chacun des éléments jusqu'à enfin atteindre son haut, que je tirai pour le faire passer par dessus sa tête. L'exercice ne fut pas facile, le jeune homme avait si peu de forces qu'il semblait parfois perdre connaissance, me faisant paniquer toujours un peu plus. Plantant un genou à côté de lui sur le lit, je m'appuyais dessus afin de me maintenir pour réussir à lui retirer le vêtement. Quand celui-ci passa enfin le niveau de ses épaules, je le sentis se crisper de tout son long.
Les mots sortirent d'eux-mêmes de ma bouche.
- Excuse-moi mon cœur, il fallait que je te l'enlève...
Enroulant le vêtement en boule, je le jetai un peu plus loin dans la pièce. Me maintenant toujours appuyée tout près de lui, je le sentis laisser échapper un faible rire contre la peau fine de mon cou alors que ses épaules s'affaissaient un peu plus.
- Tu devrais éviter de me dire ce genre de choses ma belle, je vais finir par m'imaginer que tu es à moi.
Mon cœur battait à cent à l'heure mais je feignais l'indifférence.
- Garde ton énergie, idiot, dis-je en souriant malgré moi à mon tour. Tu sais très bien ce qu'il en est.
Relevant les yeux, je me sentis rougir sous son regard tout à coup plus vif et sérieux. Ses mains s'enfoncèrent dans mes reins, m'attirant un peu plus à lui. Le souffle court, j'étais hypnotisée par ses pupilles.
- Il va falloir que tu m'éclaires mon ange, parce que je ne sais pas du tout, me souffla-t-il d'une voix rauque.
Du coin de l'œil, je remarquai sa poitrine dénudée se soulever avec empressement, faisant jouer la lumière de la pièce sur la fine couche de sueur qui le recouvrait.
- Tu sais tout aussi bien que moi que ce n'est pas le moment. Si on ne te soigne pas maintenant, j'ai peur que tu perdes trop de sang... je ne sais déjà pas vraiment comment faire, alors ne me laisse pas m'inquiéter encore plus. S'il te plaît.
Ce dernier souffla faiblement avant de me relâcher.
- Tu as raison, mais permets-moi au moins de faire ça.
Tout à coup, il me surpris en plantant d'une soudaine force ses doigts dans mes cheveux, amenant sans détour mon visage au sien. Ses lèvres attrapèrent avidement les miennes, me poussant à m'accrocher à ses épaules pour ne pas basculer. Mes craintes se turent momentanément au contact de la chaleur de sa bouche jouant contre la mienne.
Mes idées s'embrouillaient, je n'avais plus conscience que de ses mains qui couraient dans mon dos et de son souffle qui happait le mien. Pendant quelques instants, je n'avais plus conscience de rien.
Je soupirai alors d'aise, ne pouvant empêcher mon ventre de se réchauffer au contact de sa langue, celle-ci à la fois langoureuse et insistante. Mais quand son autre main descendit le long de ma hanche jusqu'à passer sous mon haut, je revins cruellement à la réalité.
Si je voulais voir où cette relation pouvait nous mener, il fallait que je m'occupe de lui le plus rapidement possible.
- Lance, si tu me laisse m'occuper de toi comme tu me l'as demandé, je te promets que nous parlerons de tout ça plus tard. Maintenant, laisse-moi faire.
Décidant enfin de m'écouter, il m'aida à me redresser sans un mot. Ses yeux étaient déjà redevenus absents.
- Attends-moi là, je reviens de suite, ajoutai-je avec inquiétude.
Dans la salle de bain, j'ouvrai tous les placards à la recherche d'une quelconque trousse de secours. Je trouvai finalement ce que je cherchais dans une grande boite blanche, celle-ci remplie à la fois de choses que je connaissais bien, comme des bandages et de l'alcool, mais également de sortes de pâtes et de potions qui m'étaient parfaitement inconnues. J'emportai le tout avec moi tout en remplissant une bassine d'eau chaude. Avant de sortir, j'ajoutai un gant ainsi qu'une serviette propre.
Quand je retournai dans la chambre des garçons, je fus accueillie par un grand silence qui fit grandir mon angoisse. Je découvris Lance, toujours assis sur le matelas, totalement affaissé sur son épaule gauche contre le mur près de lui tandis que ses bras reposaient sur ses cuisses, courbant ainsi son dos balafré juste sous mes yeux. À la vue de l'étendue des dégâts, je senti mes poumons se compresser avec douleur, m'empêchant de respirer normalement.
Il était bien plus amoché que je ne le pensais.
M'approchant silencieusement de lui, je posai tout mon attirail au pied du sommier avant de m'accroupir face à lui, observant ainsi son visage pâle aux traits tirés, des traînées de sang s'écoulant de sa nuque jusque sur son torse. Il ne semblait même pas avoir remarqué ma présence.
- Lance, je vais nettoyer tes plaies, lui annonçai-je d'une vois faible de peur de le surprendre.
J'attendis quelques secondes mais il ne me répondit pas. Avec appréhension, je posais délicatement mes doigts sur son front.
Il était brûlant.
Je retirai lentement ma main avant de me lever, faisant le tour du lit pour me placer derrière-lui. J'attrapai alors la bassine et trempai le gant dans l'eau fumante avant de l'essorer puis, avec hésitation, je relevai enfin le regard sur lui.
Sa peau mâte était devenue entièrement rougeâtre, le sang ayant commencé à sécher d'une teinte presque noire. À plusieurs endroits, sa chair était apparente, s'étirant douloureusement sur la courbe de ses épaules.
Sa nuque était probablement la zone la plus touchée. Profitant que ses écailles ne la protègent plus dû à sa cicatrice, Tenjin avait visé en plein dans le mille, frappant son point faible de plein fouet.
Mes mains se mirent à trembler si violemment que je doutais d'y arriver. Comment devais-je m'y prendre ? Je n'avais jamais eu à m'occuper de quelqu'un dans un si piteux état.
Tentant de me reprendre, j'essorai maladroitement le gant avant de venir l'appuyer avec appréhension contre sa peau. Immédiatement, je le sentis se raidir mais il ne broncha pas pour autant. J'étais soulagée de constater qu'il n'était pas évanoui.
Prenant cela pour un feu vert, je commençai à nettoyer l'abondant liquide chaud qui le recouvrait. À plusieurs reprises, je trempais le tissu dans l'eau, la colorant à tel point que sa vue m'horripila rapidement. En vérité, chaque plongeon de ma main dans la bassine me donnait l'horrible impression d'y laisser un peu plus de lui, ce qui fit monter une nouvelle nausée au fond de ma gorge. Les trainées rouges coulaient jusque sous mes ongles, imprégnant tout ce qu'elles touchaient tandis que je m'attelai à ma tâche. Sous mon gant, je pouvais sentir les creux de ses blessures.
Quand sa peau fût à nouveau visible, je le jetai alors dans l'eau sombre, attrapant au passage la boîte de soins. Toutes les petites fioles étaient heureusement étiquetées et cela en plusieurs langues, me permettant de rapidement trouver ce que je cherchais.
Le bouchon s'ouvrit dans un bruit sec avant que je ne laisse couler son liquide transparent sur ce qui se rapprochait le plus d'un coton. Grimpant à nouveau sur le matelas, j'hésitai un instant.
- Je suis désolée, ça risque de piquer.
Au moment où le coton entra en contact avec l'une de ses entailles, le dragon remua vivement les muscles de son dos. Je fus surprise de le voir se détacher de son appui.
- N'hésites pas. Plus vite ce sera fait, plus vite nous en aurons fini, dit-il d'une voix éteinte.
Je soufflai un grand coup avant de recommencer mon geste, me forçant à continuer malgré sa douleur. J'étais néanmoins apaisée de constater qu'aucune de ses blessures n'avait l'air d'avoir besoin d'être recousue, même si elles n'étaient franchement pas jolies à voir.
Aucun de nous ne reparla jusqu'à ce que je termine de désinfecter ses plaies. Étonnamment, je devais avouer que ce silence se montrait plutôt reposant. Je pense que nous avions tous les deux besoin de cet instant de calme après la tempête.
Finalement, je soulevai le coton rougi de la dernière balafre, m'assurant de n'avoir oublié aucune zone. Les plaies continuaient de se gorger de sang, mais pas suffisamment pour recouvrir une nouvelle fois son large dos. Dans la boîte à pharmacie, j'attrapai un rouleau de gaze et commençai à le dérouler. Je plaquai alors le tissu sur l'une de ses épaules et entamai plusieurs tours de son buste jusqu'à recouvrir entièrement chacune des blessures qu'il m'était possible d'atteindre ainsi. Seule celle sur sa nuque restait.
Dans un grand sachet plat, je trouvais plusieurs compresses de grandes dimensions, largement suffisantes pour dissimuler cette zone malmenée. Retirant les collants, je pansai cette dernière avec une certaine tristesse. Je me rappelai que Lance la cachait toujours, ne sortant jamais sans quelque chose pour la couvrir.
Malheureusement, sa cicatrice ici sera probablement bien plus volumineuse qu'avant.
- Je pense que ça devrait être suffisant pour le moment.
Mes mains se détachèrent avec lenteur de son dos mais pour autant, le dragon ne bougea pas. Me relevant, j'ouvrai les placards de la pièce à la volée et trouvai rapidement un t-shirt à la taille de sa grande carrure. Je l'aidai à l'enfiler sans attendre, il était temps de s'occuper de sa température.
Dans la boîte blanche, j'avais trouvé plusieurs médicaments différents. L'un d'entre eux semblait avoir pour fonction principale de diminuer la fièvre d'après les dires de l'étiquette.
J'accourrai jusqu'à la cuisine pour remplir un verre d'eau et revenais tout aussi rapidement. Quand je tendis le tout au jeune homme, je fus soulagée de le voir les avaler sans protestation.
- Tu as besoin de repos, maintenant. Allonges-toi et dors, lui intimai-je droit dans les yeux.
- Les autres ne sont pas encore revenus, tu ne serais pas en sécurité.
Bon sang, pourquoi fallait-il qu'il ait si mauvais caractère ?
- Tu n'es plus en état de quoi que ce soit, ça n'y changerait rien. Laisse-moi veiller sur toi pour une fois.
L'un de ses sourcils se releva promptement tandis que sa mine restait grave.
- Peu importe mon état, je serais toujours en mesure de te protéger, Andraste.
Pour toute réponse, je lui octroyai une pichenette sur l'épaule, le faisant grimacer.
- Je ne vais pas me répéter, mon grand. Allonges-toi avant que je ne m'énerve.
Mon ton autoritaire l'amusa visiblement car un ricanement s'échappa du tréfonds de sa gorge abîmée. Ses yeux brillaient d'une certaine curiosité.
- Et si j'ai vraiment très envie de te voir énervée ?
Son sourire s'élargit devant mon air menaçant. Il s'amusait bien trop dans cette prise de tête à mon goût.
- Ok, ok, dit-il en remuant ses mains en signe de paix avec le plus de vigueur dont il était capable en l'instant. Je vais m'allonger, si c'est ce que tu souhaites, mais je resterai éveillé tant que les autres ne seront pas revenus, c'est ma seule condition. Je reste à l'affût, j'ai une meilleure ouïe que toi.
Il allait enfin m'obéir quand du bruit se fit entendre sur le bateau. Nous figeants, aucun de nous ne fit plus aucun commentaire, retenant chacun son souffle.
- Leiftan et Mathieu, aidez-moi à préparer la barre. Quant à toi Koori, va vérifier que Lance et Andraste sont bien retournés sur le bateau, nous allons appareiller au plus vite !
Échangeant un regard avec le dragon, je me redressai et ouvrai la porte en grand, tombant pile sur la kitsune qui entrait dans le couloir.
- Par l'Oracle, Andraste, tu es là !
Celle-ci se jeta dans mes bras, me serrant si fort que mes propres blessures me rappelèrent à l'ordre.
- Je suis si contente de te voir, tu n'imagines pas, sanglotât-elle contre moi. Tu vas bien ? Et Lance, où est-il ?
Se détachant de moi, ses grands yeux humides inspectèrent la pièce jusqu'à venir se poser sur le principal intéressé. Sa main recouvra sa bouche d'un rictus horrifié.
- Lance, tout va bien ?!
Ce dernier se frotta les yeux d'agacement. Il n'appréciait visiblement pas beaucoup que quelqu'un d'autre le voit dans cet état.
- Je vais bien Koori, ne t'en fais pas. Andraste s'est chargée de mes blessures, ça va aller maintenant.
- Très bien, restez ici tous les deux et reposez-vous. Nous partons d'un instant à l'autre.
Sur ces dernières paroles, elle disparue en refermant la porte derrière elle.
Leurs voix étouffées nous parvinrent des murs fins. Le bateau se mit en mouvement.
À la sensation du bateau qui démarre, toute l'angoisse accumulée ces dernières heures me quitta soudainement. Nous étions en route et tout le monde était sain et sauf. Les larmes m'échappèrent sans prévenir, roulant avidement sur mes joues meurtries alors que leur sel pénétrait les sillons laissés par les griffes de Tenjin sur ma peau.
À la vue de mes larmes, Lance voulu immédiatement me rejoindre mais se stoppa net quand la douleur se propagea en lui. Serrant les dents, il tenta de le masquer en me tendant les bras.
- Viens-là, dit-il simplement.
N'hésitant pas un seul instant, je laissai mes pas me guider jusqu'au pied du lit. Épuisée, je me glissai sous la couette à ses côtés, fourrant mon visage à l'intérieur du cocon de ses bras chauds.
Ils m'allaient si bien.
CHAPITRE 24 : NE ME BLÂME PAS DE TE SERRER DANS MES BRAS
Spoiler (Cliquez pour afficher)
L'odeur du sang emplissait mes narines, me laissant un goût désagréable de fer dans la bouche.
Mais la fatigue l'emporta rapidement, s'emparant de plus en plus de moi, elle poussait mes yeux à se fermer malgré mes craintes. Dénuée de toute énergie, j'avais envie de tout abandonner, d'oublier ces dernières heures cauchemardesques et leurs vestiges physiques qui marquaient mon corps. Chacun de mes muscles m'était incroyablement douloureux tandis que j'étais allongée sur le matelas dur. Pourtant, je n'avais aucunement envie de me redresser et de quitter l'étau protecteur dans lequel je me confondais dans ce sommeil brumeux.
Entre l'espace de nos bras entremêlés, Lance s'était endormi en seulement quelques secondes, sa fièvre l'ayant visiblement vidé de ses dernières forces. C'est ainsi que je savourai le silence paisible de la pièce, la respiration calme du dragon pour seule mélodie.
Depuis combien de temps étions-nous dans ce lit ?
Faisant fit de ma fatigue, je rouvrais les paupières afin d'observer sans pudeur cet homme qui s'abandonnait enfin sans retenue dans mes bras, la lumière du plafonnier nous éclairant de sa luminosité crue. Un peu plus tôt, Lance s'était montré plus... ouvert. Et fragile, à mon égard. Il avait clairement énoncé que je pouvais le blesser d'une autre manière que physiquement, et depuis, je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qu'il avait voulu dire exactement par là et, surtout, si cela suffisait pour sous-entendre que ses sentiments à mon égard avaient évolués.
Ma peine s'accentua quand j'observai les nombreuses traces rouges qui sillonnaient son visage aux traits toujours si droits et parfaits, m'attardant un instant sur la cicatrice blanche qui barrait son nez. Combien en aurait-il, maintenant ?
Paresseusement, mes doigts entreprirent de caresser sa joue rugueuse d'un geste léger alors que je tentais en vain de faire taire mes pensées.
Plusieurs questions voguaient dans mon esprit, accaparant toute mon attention.
Ma main se figea un instant entre nous avant de descendre lentement. Sans réfléchir, je recouvrai son cœur de ma paume chaude.
Battait-il de la même manière que le mien ?
Tout à coup, le battant de la porte dans mon dos s'ouvrît précipitamment, me faisant sursauter de surprise. Instinctivement, je m'arrachai des bras du du jeune homme afin de maintenir une certaine distance entre nous, mais je savais que c'était peine perdue car Nevra nous regarda d'un air passablement intrigué, ne s'attendant probablement pas à nous retrouver ainsi.
Pour seule réaction, le dragon grogna tout en plaquant une main sur son visage.
- Je suis désolé de vous réveiller, mais je dois m'entretenir immédiatement avec Lance maintenant que nous avons pus nous éloigner des terres de Genkaku, dit le vampire sans la moindre once de regret dans les yeux. Je t'attends dans le bureau.
La porte se referma derrière lui, nous laissant dans un silence étrangement lourd. Le chef de l'Obsidienne retira sa main tout en observant d'un oeil absent son bras qui, un instant plus tôt, m'avait tenue étroitement pressée contre lui.
Un air de morosité recouvra ses traits.
- Je n'avais pas pensé au fait qu'on pourrait nous voir mais tu t'es rapidement extirpée de mes bras, bien joué.
La culpabilité m'envahit alors sous son regard blessé. Non...
- Ce n'est pas...
- Laisse tomber, me coupa-t-il. Je suis seulement fatigué, ça me met de mauvaise humeur.
Son visage se durci de douleur quand il se redressa difficilement dans le lit. Je me redressai à mon tour pour l'aider quand sa grande main me stoppa dans mon élan.
- Je vais mieux Andraste, ne t'en fais pas pour moi.
- Tu as beaucoup de fièvre et tes blessures sont encore ouvertes, tu devrais me laisser t'aider.
Le jeune homme ignora mes paroles.
- Je pense que tu ferais mieux de retourner dans ta chambre, les autres risquent probablement d'être gênés de te trouver dans le dortoir des hommes. Et... il hésita un instant puis continua, étonnamment plus doucement, tu ferais bien de t'occuper de tes blessures, maintenant. Tu peux demander à Koori si tu as besoin d'aide.
Puis, ne me laissant aucunement l'occasion de répondre, il s'éclipsa dans le couloir sans un regard en arrière.
Bon sang !
J'enfonçai mon visage dans mes mains, soufflant bruyamment au passage.
Pourquoi est-ce qu'à chaque fois que notre relation avançait d'un pas, il fallait que nous en fassions deux en arrière ? Je commençais sérieusement à me demander si nous allions un jour réussir à trouver un terrain d'entente car, dans ce lien étroit, je pense que nous étions tous les deux bien trop à cœurs ouverts.
Quitte à nous blesser continuellement.
Poussant la couette d'un grand mouvement, je m'extirpai du restant de nos chaleurs corporelles pour retrouver le parquet froid, laissant la colère monter en moi.
- Très bien Don Juan, tu changes encore d'humeur avec moi, dis-je tout en tirant à nouveau la couette pour la replacer correctement sur le divan. Oh mais pas de soucis, je ne suis pas énervée. Non non non, absolument pas !
Je me retournai fébrilement quand je tombais sur le regard mal à l'aise de Mathieu, une serviette de douche humide posée sur l'épaule.
- Oh, Mathieu...
Ce dernier planta une main dans ses cheveux, les ébouriffants au passage.
- J'suis content de voir que tu es en forme, Andraste.
Ça t'apprendra à parler toute seule, idiote.
- Oui en effet, ça aurait pu être pire. Je vois que toi aussi tu vas bien, c'est l'essentiel, dis-je tout en le visant d'une main. Il faut que j'aille me doucher, je pense que j'en ai bien besoin. À demain Mathieu, reposes-toi bien.
Je fermai la porte de la salle de bain derrière-moi, maintenant mes mains sur son panneau en bois.
Malgré ses derniers mots plus que désagréables, je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter de l'état de Lance. Son entretien avec Nevra risquait de s'éterniser alors qu'il avait réellement besoin de repos.
Un à un, je retirai avec minutie mes vêtements abîmés, tous mes muscles me faisant atrocement souffrir maintenant que l'adrénaline était retombée. Couverts de sang, de terre et probablement de bien d'autres choses, je les envoyaient dans un coin de la pièce avant d'allumer l'eau. La vapeur ne tarda pas à commencer à voiler le miroir face à moi.
Les bras le long du corps, je m'observai sans réelle attention quand un détail attira mon regard fatigué. Mon ventre me semblait un peu différent. J'étais un peu différente. Mes doigts parcoururent la zone concernée sans vraiment réussir à mettre le doigt sur cette impression étrange.
Finalement, j'entrais dans la douche d'un geste las. Relevant la tête, je laissais l'eau couler sur mon visage, faisant disparaître petit à petit les vestiges de cette aventure dans les terres des neiges. Je levais mon poignet afin d'attraper un savon quand mes yeux furent attirés par des marques sombres sur mon poignet.
Tenjin.
En un instant, je revivais ces instants passés aux côtés de cet homme ignoble. Ses immenses mains glaciales, ses griffes qui avaient transpercé ma peau à de nombreuses reprises.
Quand j'amenai le savon à moi, ma main se mit à trembler déraisonnablement. Je fermai les yeux alors que des larmes vinrent se mêler à l'eau qui me submergeai, serrant avidement le petit objet entre mes doigts.
- C'est terminé, Andraste. Il ne pourra plus rien te faire... tentais-je de me répéter entre mes dents grelottantes, resserrant maladivement mes bras autour de mon corps.
Mais mes larmes s'accentuèrent, affluant de plus en plus sous le bruissement assourdissant du jet.
Les visages de mes coéquipiers m'apparurent. Je les revoyaient se battre, se défendre face à ces ennemis sans foi.
Tout cela me ramenais bien trop sept ans en arrière.
Étais-je réellement faite pour ce monde ? Sur Terre, j'avais toujours menée une vie simple, voire même confortable. Une partie de mes ancêtres avaient bien pu être des aengels, il n'en était pas moins que je n'y avais jamais été préparée.
Et que je ne me sentais pas la capacité de m'y confronter.
Soudain, je m'aperçus avec étonnement que la porte claquait dans mon dos. Je tournai la tête d'un mouvement sec, plaquant fugacement des mèches de cheveux mouillés contre mes joues.
Mes yeux s'écarquillèrent quand je découvris Lance, debout derrière moi. Avec nonchalance, il retira ses chaussures puis une partie de ses vêtements, exhibant les bandages déjà tachés de sang qui l'entouraient.
Son regard ne me quitta pas un seul instant tandis qu'il ouvrait la vitre de la douche.
Sans me laisser le temps de comprendre, ses mains m'entourèrent alors, plaquant mon corps ruisselant contre le sien. Son visage s'enfonça dans mes cheveux alors que ses doigts se plantèrent derrière mon crâne. Stupéfaite, je restais un long moment immobile alors que l'eau imbibait les tissus qui le recouvraient encore. Lance me serrait avec force, presque désespérément. Lentement, je levai les bras jusqu'à ses épaules, l'enveloppant à mon tour de mes mains toujours tremblantes.
Posant ses lèvres contre mon cou, je les sentis remuer dans une plainte inaudible.
Est-ce qu'il... pleurait ?
Ses larges épaules s'arrondirent sous mes mains, ses paumes me pressèrent plus fort encore.
C'est dans cette douche exiguë, aux parois blanches et sinueuses, que Lance m'abaissa enfin ses barrières. Et c'est sans un mot, même aucun son ne lui échappant, qu'il me permit de le découvrir réellement pour la toute première fois.
Quand les soubresauts de ses épaules se calmèrent jusqu'à finalement cesser, je me décidai à me détacher lentement de lui. Le dragon ne protesta pas, même quand j'attirai son visage face au mien.
- Pardonne-moi, mon ange, me supplia-t-il. Je sais que ce n'est pas la première et que ce ne sera probablement pas la dernière fois que je le ferai, mais je suis sincèrement désolé. Ce soir, quand je t'ai vue face à Tenjin... j'ai été mortifié à l'idée de perdre une nouvelle fois la personne la plus chère à mes yeux. Je sais que je n'en ai pas le droit, mais je ne passe pas une seule journée sans traîner mes remords. Tout ce que j'ai fait, ça me hante, ça me bouffe constamment. Comment est-ce que je peux mériter de respirer encore alors que j'ai pu faire ça à mon propre frère ? Je suis un monstre, Andraste. Qu'est-ce qui me permet d'espérer pouvoir me reposer dans tes bras ? Pourquoi est-ce que tu me laisse faire ça ?
Dans sa tirade, ses ongles pressèrent durement ma chair.
- Lance, je ne peux pas te dire que tout cela n'est pas grave, commençai-je d'une voix presque impassible. Tes actes sont... terribles. Et malheureusement, personne ne les oubliera jamais vraiment. Mais...
Malgré moi, mon intonation se mit à vibrer. Parler de tout ça... c'était tout bonnement impossible.
- Mais ne me blâme pas de te serrer dans mes bras. Parce que je le referai, encore et encore, même lorsque tu auras enfin compris que tu as le droit de mériter l'amour d'autrui. Je sais que tu t'es toujours senti seul, et à part, même incompris, mais je sais aussi que tu n'as jamais appris à recevoir. Valkyon... il est mort en sachant pertinemment ce qui allait arriver, parce qu'il n'a jamais perdu sa foi en toi, ajoutais-je bien plus difficilement. Je suis persuadée qu'il savait que tu trouverais un jour ta rédemption, parce que malgré tous ces actes impardonnables, tu n'en restes pas moins le seul qui me maintien. Je ne dis pas que les choses sont simples, ou même qu'elles finiront par le devenir...
Ses yeux s'accrochaient si intensément aux miens que je m'y perdis un instant. Ainsi, c'est avec toute ma volonté que je réussi à finir la phrase qui libéra enfin l'air bloqué dans sa cage thoracique.
- Mais ne m'empêche pas de tomber toujours un peu plus amoureuse de toi.En vérité,
j'avais beau chercher, je n'avais pas la moindre idée
d'à quel moment j'étais tombée profondément amoureuse de mon pire ennemi.
CHAPITRE 25 : J’AI TENDANCE À OUBLIER QUE TU NE VIENS PAS DE CE MONDE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
« - Mais ne m'empêche pas de tomber toujours un peu plus amoureuse de toi. »
Les doigts enroulés autour de la rambarde, je profitais un dernier instant de l'air marin caressant mon visage tandis que mon esprit voguait sur les reflets du soleil matinal jouant sur la mer.
Je n'arrivais plus à retirer de ma tête ce moment sous la douche en compagnie de Lance.
À la suite de ma révélation pour le moins inattendue, j'avais retenu ma respiration dans l'attente d'une quelconque réaction de sa part. Cela avait été la première fois que j'avais formulé cette vérité, autant physiquement que mentalement, mais le jeune homme s'était contenté durant plusieurs secondes interminables de me fixer sans un mot, parfaitement silencieux.
Stoïque, même.
Comme cherchant à y déceler un semblant de vérité face à ce que j'avais argué, ses yeux m'avaient transpercée, encrés de toutes les questions qui tourmentaient son esprit. J'avais pu lire la dualité en lui, celle-ci troublant son regard bleu, car les mots étaient sortis d'eux-mêmes de ma bouche, percutant le dragon de plein fouet.
Mais je ne les avaient pas retirés, au contraire.
- Je suis amoureuse de toi, Lance, avais-je alors répété, enfonçant à mon tour mes ongles dans ses épaules larges, sentant à nouveau les larmes affluer sur mes joues. C'est peut-être insensé et j'ai totalement conscience de notre passif, mais je n'arrive plus à m'empêcher de t'aimer. Je suis perdue, je ne sais plus quoi faire et tu ne partages peut-être pas mes sentiments, mais je...
Sans prévenir, le dragon m'avait soudain littéralement coupé le souffle en m'empêchant brutalement de finir ma phrase de ses lèvres. Ses mains avaient été partout. Mêlant sa peine presque palpable à chacun de ses gestes, il avait encerclé mon visage, ma tête, mon cou, entremêlés ses doigts tremblants dans mes cheveux trempés, s'y accrochant à me les arracher. Sous ce jet beaucoup trop fort qui avait martelé mon dos et mon crâne, Lance m'avait durement plaquée contre le carrelage froid de la cabine de douche, m'embrassant dans un mélange déstabilisant de sentiments et de désespoir.
Et à chaque fois qu'il se comportait ainsi, mon cœur battait toujours un peu plus fort.
Quand, à mes seuls côtés, il oubliait sa retenue, s'abandonnant dans sa fougue, cédant à ses propres pulsions. Lors de notre tout premier baiser, il m'avait susurré que les dragons étaient de nature impulsive et j'adorai chaque fois qu'il me le prouvait. Parce que dans chacun de ses gestes brusques, je sentais qu'il me criait qu'il m'aimait.
Était-ce lors de notre voyage jusqu'aux terres des dragons ? Ou lors de cet instant avec les draflayels, sur la falaise ? Peut-être même lors de notre première rencontre, quand il s'était montré le seul à me venir en aide.
Sous son masque d'Ashkore, Lance était entré dans ma vie à l'instant même où j'avais atterrie sur Eldarya. À ce moment-là, je n'avais encore aucune idée d'à quoi pouvait bien ressembler son visage ou même sa voix, pourtant, je réalisais qu'il avait été le seul en qui j'avais fait confiance immédiatement, chérissant ainsi chacune de nos rencontres secrètes.
Les membres du QG avaient mis longtemps avant de me faire confiance, ce qui est compréhensible au fond, mais alors en ce monde qui m'avait été parfaitement inconnu, Ashkore s'était montré être mon seul soutien. Ce qui est assez ironique quand on sait qu'à cette époque-là, il était déjà l'ennemi de la Garde, celui dont tout le monde se méfiait; celui que personne ne voyait.
Je savais très bien qu'il avait cherché à se servir de moi à de nombreuses reprises et, par la suite, il était même allé jusqu'à certaines extrémités imprononçables. Le jeune homme en était venu à me maltraiter, me manipuler, allant même jusqu'à me séquestrer pour venir à ses fins. J'avais littéralement tremblé à chaque fois que ses mains m'avaient touchée, et quand il en était venu à essayer de détruire Eldarya même...
Je l'avais haïs. Aussi puissamment qu'il était possible de haïr une personne.
Lors de mon réveil sept ans plus tard, ma colère n'avait pas tarie à son égard, et lorsque je l'ai croisé à nouveau pour la toute première fois, j'ai sentie une envie froide et glaciale me pénétrer. Celle de me venger, de n'importe laquelle des manières, pouvoir enfin lui faire payer toute la douleur qu'il avait pu me faire ressentir.
Pourtant...
Ce sont ses attentions, ses gestes, ses yeux; aux nuances presque irréelles, qui n'ont jamais cessé de se montrer sincères, marqués d'une profondeur que seules les âmes les plus seules possèdent, qui ont fini par apaiser mon trouble.
Je n'ai jamais ignoré la dualité des deux facettes qui constituaient cet homme, parce qu'à travers celles-ci, il m'avait permis de le voir, lui. J'ai fini par comprendre que chacun de ses actes avait été dicté par le seul fait qu'il ressentait trop fort, allant jusqu'à se noyer lui-même dans sa propre complexité.
Ainsi, et malgré tout ces faits, je n'avais jamais pu m'empêcher de ressentir quelque chose pour lui et ce, de la plus improbable des manières.
Avec euphorie, peur, mais peut-être aussi passion.
Et à bien y réfléchir, je pense qu'il n'y avait pas de point de départ précis et que mon amour pour lui n'était pas naissant, parce que je savais qu'il avait toujours été là.
Même dans les moments les plus sombres.
Sans que je ne m'en rende compte, les gestes du dragon avaient alors commencé à ralentir. Ses baisers étaient devenus plus lents, plus profonds. Me surplombant de toute sa hauteur, j'avais pu deviner la courbe que dessinait son dos ainsi penché sur moi. Des mèches de cheveux s'étaient échappées de son élastique, venant caresser mon nez quand sa voix grave avait laissé résonner les mots les plus précieux qu'il m'ait jamais dits.
« - Je t'aime, Andraste. »
Comme à chaque fois que je repensais à ce moment, mon ventre se contracta d'excitation et d'angoisse.
Les blessures de Lance ayant visiblement du mal à cicatriser sans l'expertise d'Eweleïn, ce dernier avait passé la plupart de notre trajet de retour à dormir, subissant une surveillance presque omnisciente de la part de tous les membres de notre équipage sous l'ordre de Nevra.
Et si ses blessures étaient bien plus importantes que je ne le pensais ? Son point faible avait été touché lors de la bataille, ouvrant une nouvelle fois sa cicatrice à la nuque dans une affreuse toile rougie.
Je me tordais les mains d'appréhension au dessus du vide.
Au loin devant moi, les terres d'Eel apparurent enfin, agrandissant mon angoisse. Et si le diagnostic n'était pas bon ?
La nausée me pris soudain. Plaquant une paume sur ma bouche, je fermai les yeux tout en priant pour qu'elle disparaisse au plus vite tandis que j'encerclai automatiquement mon ventre de mon bras. Heureusement, celle-ci passa finalement, me laissant un goût acide dans la bouche. Comme à chaque fois que cela me prenait ces derniers jours, je relevais mes doigts tremblants devant moi.
Et comme à chaque fois, des chemins de glace parcourraient anarchiquement ma peau.
J'ouvrai la bouche afin de respirer lentement, tentant une nouvelle fois de gérer la montée de panique qui s'emparait de moi.
Était-ce bien ce à quoi je pensais ?
Sentant du mouvement derrière-moi, je me retournai avant de sentir mon cœur s'emballer. Lance était là, m'observant d'un regard lointain, le vent faisant voler ses mèches argentées de manière irrégulière.
Il leva une main entre nous, me tendant patiemment sa paume tournée vers le ciel. Le poids de l'inquiétude qui nouait mes entrailles depuis plusieurs jours m'abandonna durant quelques secondes de répit. Les yeux brillants, je lâchais la rambarde dénuée de toute hésitation. Mes doigts se retrouvèrent très vite recouverts de sa fraîcheur habituelle et réconfortante.
- Prête à rentrer ?
Sa voix calme et posée me pénétra toute entière tandis qu'un fin sourire étirait ses lèvres. Ma main se resserra désespérément contre la sienne.
- Comment tu te sens ? m'enquis-je.
- Je vais mieux, ne t'inquiètes pas pour moi, dit-il en riant faiblement. Je serai rapidement sur pied quand Eweleïn m'aura fait avaler l'un de ses breuvages magiques.
Son regard dériva dans mon dos. Un instant, j'eus l'impression de le voir se voiler légèrement avant qu'un nouveau sourire las n'illumine faussement son visage. Je savais que Lance ne se sentait pas réellement chez lui au QG, ni même n'importe où ailleurs en fait.
- J'espère que tu es prête mon ange, parce que nous sommes arrivés.
Mais j'avais envie que pour une fois, il puisse enfin connaître cette sensation d'être de retour chez soi.
*
À peine arrivés dans les jardins du QG, plusieurs personnes se jetèrent sur Nevra et Lance afin de les solliciter pour leurs différents rapports à réaliser pour cette longue mission. Un rendez-vous auprès de Huang Hua leur était déjà programmé pour le début de soirée, les deux hommes n'allaient visiblement pas avoir une seconde pour eux. Ne perdant pas de temps, le vampire s'excusa auprès de nous et s'éclipsa rapidement. Finalement, tout le monde s'éparpilla afin de souffler un peu.
Lance se tourna vers moi, la mine désolée.
- Il me semble que beaucoup de personnes t'attendent, tu ne devrais pas traîner, lui dis-je dans un sourire avenant.
Il hésita un instant puis s'approcha de moi pour me dire plus bas :
- J'aurais aimé pouvoir rester avec toi, mais si tu le souhaites, je peux te rejoindre dans ta chambre quand j'aurai terminé. Par contre, ce sera probablement assez tard.
- Je t'attendrai, dans ce cas. Ça m'apprendra à sortir avec un chef de Garde très demandé.
Un faible rire passa la barrière de ses lèvres. Cela faisait un moment maintenant que je ne l'avais pas vu réellement en forme.
- Pense à aller voir Eweleïn dès que possible, sinon tu vas m'entendre, lui rappelai-je en ne pouvant m'empêcher de le toucher, posant ainsi une main sur son avant-bras.
Son sourire s'agrandit alors. Me prenant de court, il recouvrit ma nuque de l'une de ses grandes mains et m'attira à lui. Ses lèvres se posèrent sur mon front.
- Je n'y manquerai pas, ma belle. On se voit ce soir.
Quand le dragon retira sa paume, une impression de froid m'étreignit soudain. Je l'observai s'éloigner en compagnie du jeune Falco que j'avais déjà croisé dans l'armurerie.
Tournant la tête autour de moi, j'inspirai une grande goulée d'air. Les odeurs de végétations vinrent chatouiller mes narines alors que je fermai les yeux quelques secondes.
Je retrouvais enfin la terre ferme.
La journée passa à une vitesse folle, à tel point que je ne m'étais pas rendue compte que le soleil s'était déjà couché dans le ciel. J'avais passé tout mon temps à rédiger des rapports pompeux qui se ressemblaient tous et, après une bonne douche, je me dirigeai enfin vers ma chambre avec soulagement. Mes affaires ayant été prises en charge par des membres du QG, je n'avais pas eu à me soucier de les ramener.
Traversant le couloir calme éclairé par les faibles lumières du soir, je m'arrêtai devant ma porte afin de la déverrouiller quand je captai la conversation de deux jeunes filles à quelques pas de moi.
- Il est enfin rentré, je l'ai croisé tout à l'heure dans la salle des portes ! Il est encore plus beau que dans mes souvenirs, gloussa l'une d'elles.
- Haaan il me tarde tellement de le revoir, cette mission a été si longue.
- Je ne te le fais pas dire. Mais il avait l'air fatigué.
- Si jamais Lance en a besoin, je peux m'occuper de le remettre en forme.
Les deux filles gloussèrent à nouveau de plus belle, me faisant grincer des dents. Avec colère, je poussai un grand coup sur le battant de ma porte mais elle ne céda pas. Bon sang, pourquoi fallait-il que cela arrive maintenant ?
- Regarde, c'est elle...
- Elle n'est même pas si jolie que ça, si tu veux mon avis.
Frottant mon visage avec énergie, je respirai un grand coup avant d'arriver finalement à ouvrir cette fichue porte. Je m'engouffrai dans la pièce sans attendre, pressée de faire taire leurs voix stridentes.
J'appuyai mon dos sur le bois dur. Ces derniers jours m'avaient épuisée. Me dirigeant vers la commode, j'ouvrai les tiroirs afin d'en sortir une tenue confortable. Mes yeux dérivèrent vers le miroir à ma gauche quand je soulevai mon haut afin de le faire passer par dessus ma tête. Quand une striure de glace joua sur mon ventre, je quittai mon reflet avec tension, dégrafant mon soutien-gorge de mes doigts une nouvelle fois tremblants. Les bretelles glissèrent le long de mes bras avant d'atterrir au sol.
Je terminai d'enfiler mon pyjama lorsque la porte s'ouvrît dans mon dos. Mon cœur s'accéléra quand les yeux aux nuances irréelles de Lance me recouvrèrent toute entière.
- Mince, j'aurai dû arriver deux minutes plus tôt, dit-il en analysant les vêtements qui traînaient parterre autour de moi.
Je ne pus m'empêcher de sourire face à sa remarque. D'une humeur légère, il s'approcha sans attendre de moi et m'attira à lui. Mes bras encerclèrent le bas de son dos quand sa voix me caressa.
- J'ai l'impression de ne pas t'avoir vue depuis des semaines.
- II faut dire que tu as passé la plupart du temps à dormir, ces derniers jours. Tu as pu voir Eweleïn ?
- Oui. Comme je l'avais prédis, elle m'a donné un remède miracle dont elle seule a le secret. Elle m'a demandé de faire encore attention mais je me sens parfaitement mieux.
- Je suis soulagée, dis-je, réellement apaisée de le savoir en meilleure forme.
Le dragon me fit un nouveau baiser sur le front avant de me lâcher.
- Je vais me changer aussi. Ewe m'a expliqué que mon armure appuyait sur mes cicatrices, ce qui freine la cicatrisation quand je la garde trop longtemps.
Il détacha ensuite les attaches de ses épaulières avant de les retirer. Même sans elles, j'étais toujours fascinée de constater de la largeur de ses épaules, Lance possédait vraiment une carrure impressionnante. Mes joues commencèrent à chauffer quand il dévoila son torse. Se tenant de profil, il gardait la tête baissée et le dos courbé, concentré sur les nombreuses attaches de sa tenue. Me tournant face au miroir, je ne pus m'empêcher d'observer les nombreuses nouvelles cicatrices qui ornaient sa peau bronzée, le ventre soudain contracté. En silence, il enfila un t-shirt blanc.
Il fallait que je lui pose la question qui me taraudait depuis plusieurs jours.
- Dis, Lance...
Son regard interrogateur se tourna vers moi, caché par de nombreuses mèches de cheveux qui lui étaient tombées sur le visage. Il vit rapidement que quelque chose n'allait pas.
J'inspirai longuement.
- Tu vas probablement trouver ma question idiote, mais je n'ai aucune idée de comment se passe la... procréation, avec un dragon. Je veux dire, nous n'avons pas pris de précautions quand nous l'avons fait. Je sais que c'est idiot d'en parler seulement maintenant, mais...
La fin de ma phrase ne sorti pas de ma bouche. Durant plusieurs secondes, aucun de nous ne bougea d'un millimètre. Dans la psyché, je pouvais le voir analyser ma question, le visage fermé.
Sa voix résonna finalement dans mon dos.
- Les dragons ne peuvent pas avoir d'enfants, m'expliqua-t-il calmement. Du moins, pas avec une personne qui n'est pas de leur espèce.
Sans savoir pourquoi, un sentiment immense de tristesse envahit mon cœur. Mes mains recommencèrent à trembler.
- Nous avons beau posséder une apparence "normale", nous n'en avons pour autant pas la même physionomie que les autres faeries, continua-t-il. Nous venons au monde dans des oeufs sous notre forme draconienne et, à ma connaissance, il n'existe pas d'hybrides de dragons. Si c'est ce qui t'inquiétais, sache que tu ne peux pas tomber enceinte de moi.
Je ne répondis rien. Les yeux perdus dans le vide, je n'avais pas senti Lance s'approcher de moi. Je fus surprise de le sentir me tourner lentement face à lui.
- J'aurai dû t'en parler plus tôt, je suis désolé. J'ai tendance à oublier que tu ne viens pas de ce monde.
Mes doigts agrippèrent ses épaules et l'attirèrent à moi. Les bras autour de celles-ci, je l'empêchai de voir mon visage. Plusieurs larmes se mirent à rouler le long de mes joues, me forçant à plaquer l'une de mes paumes sur ma bouche pour ne pas me trahir. Mais le dragon n'était visiblement pas dupe. De ses bras, il m'entoura à son tour avec peine.
- Tu sais, il en est mieux ainsi. Qui sait quelles gènes instables je possède ? Je serai égoïste de souhaiter les transmettre à un être innocent.
Les mots du jeune homme continuèrent d'attiser mes larmes. Sans comprendre pourquoi, j'étais parfaitement inconsolable.
- Pardonne-moi mon ange, je ne voulais pas te faire pleurer. Je ne savais pas que cette question était importante pour toi.
Le problème, c'était qu'elle ne l'avait jamais été avant ces derniers jours.
Je le lâchai avant de secouer la tête, essuyant au passage mon visage.
- Ne t'excuse pas, c'est moi qui réagi excessivement. Je ne sais pas ce qui m'arrive, je pense que c'est la fatigue, tentai-je de le rassurer.
Mon ventre... je m'étais visiblement fait des films, rien de plus. Ce n'était pas ce que j'avais cru, et ça ne pouvait pas l'être.
Pourtant, malgré mon soulagement, je ressentais étrangement un immense vide m'étreindre.
Est-ce que j'avais voulu y croire ?
Me prenant de court, le jeune homme m'attrapa tout à coup juste sous les cuisses et me souleva sans difficulté.
- Dans ce cas, je pense qu'il est temps que cette magnifique femme se repose un peu.
Sa tendresse nouvelle réussi à me faire rire, soudain parfaitement attendrie par ses attentions.
Lance se dirigea vers mon lit avant d'y appuyer un genou dans le but de me déposer sur la couette. Quand mon dos entra en contact avec celle-ci, je gardais mes jambes résolument enroulées autour de ses hanches afin de l'empêcher de se redresser. Le dragon plaça ses deux bras mâts autour de mon corps dans l'optique de se relever, mais il se retrouva rapidement bloqué par ma résistance.
Je me liquéfiais sur place lorsque l'un de ses sourcils se souleva d'un air espiègle.
- Andraste...
Sa voix était encore plus grave que d'habitude. Il tenta un nouveau mouvement mais je n'en démordais pas, resserrant un peu plus la pression de mes jambes autour de lui.
- Reste ici ce soir.
Penché au dessus de moi, ses yeux s'assombrirent alors.
- Je ne peux plus tenir... souffla-t-il comme pour lui-même.
Je n'eus pas le temps de comprendre le sens de ses mots qu'il franchit la faible limite entre nos lèvres et m'embrassa à pleine bouche.
Mon cœur s'accéléra frénétiquement. Ne sachant plus où donner de la tête, je me noyais dans les trajectoires précises de ses mains. Lance m'explorait, me palpait toute entière. Sans attendre plus longtemps, ses longs doigts se glissèrent sous mon haut, plantèrent leurs griffes dans ma peau. Je ne pus retenir un soupir alangui quand il releva mon t-shirt sur ma poitrine, accentuant le désir que je lisais dans ses yeux tandis qu'il se penchait pour venir embrasser cette nouvelle zone. Quand ses dents commencèrent à mordiller avidement le bout de mes seins, je me cambrai tout en enfonçant mes doigts derrière son crâne, libérant ses longs cheveux déjà désordonnés de leur étau.
Très rapidement, il se redressa et se chargea de se débarrasser complètement du tissu qui ne me recouvrait quasi plus, l'attrapant si précipitamment qu'il me l'arracha presque au passage. À peine l'avait-il jeté au loin qu'il agrippa le col du sien dans le but de l'amener à rejoindre le précédent. Je me mordais la lèvre sous la vue du roulement de ses muscles sous sa peau.
Le dragon n'attendu pas plus longtemps pour finir de nous déshabiller. Attrapant fermement mes hanches, il n'hésita pas une seule seconde à tirer sur l'élastique de mon pantalon jusqu'à le faire glisser le long de mes jambes. Il en fit alors de même avec le sien, l'envoyant quelque part au pied du lit.
Ses lèvres ne tardèrent pas à revenir à la charge, m'embrassant à m'en donner le tournis tandis que ses mains se fermaient sur mes fesses avec autorité. Rapidement, il entama un sillon de baisers jusqu'à stopper sa course entre mes jambes. L'air resta bloqué dans ma gorge quand il referma avidement sa bouche sur mon intimité, plongeant par la même occasion ses doigts en moi. Il ne fallut qu'un instant avant que je n'atteigne l'orgasme, laissant échapper malgré-moi des gémissements si virulents que je cru déceler un sourire amusé étirer le coin de ses lèvres.
Ne pouvant attendre plus longtemps, Lance quitta mon entre-jambe non sans un dernier baiser à l'intérieur de chacune de mes cuisses, avant de se positionner face à moi, ses cheveux tombant entre nous. J'attrapai durement ses épaules quand il souleva mes jambes contre mon ventre, plantant un coude contre mon flan.
- J'ai tellement envie de toi que c'en est indécent, mon ange, me souffla-t-il d'un air affamé.
Puis, d'un mouvement souple, il poussa afin de s'enfoncer profondément en moi. Le plaisir se diffusa si puissamment que je ne réussis pas à taire le prochain gémissement bruyant qui s'échappa de ma gorge, ce qui l'incita à entamer de grands vas et viens.
Lance s'était probablement donné pour objectif de me faire oublier l'idée que nous restions discrets, parce qu'au bout de seulement quelques minutes, il me retourna sans ménagement avant de venir embrasser mon dos sur toute la longueur de ma colonne vertébrale. Mes mains s'enfoncèrent dans la couette quand il redressa mes fesses jusqu'à lui.
J'avais envie qu'il continue de me découvrir tout le restant de mes nuits.
CHAPITRE BONUS (25.2) : D’OÙ CONNAIS-TU CETTE BERCEUSE ?
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Ashkore
Cela faisait au moins une heure que j'écoutais le bois des murs de ma cabine craquer à chaque coups des vagues contre le paquebot dans un son insupportable, celui-ci suffisamment faible pour me faire tendre l'oreille mais si persistant que je dû employer tout mon self control pour ne pas arracher les lattes qui les recouvraient de mes propres mains.
Et l'Oracle savait que je n'en avais pas beaucoup.
Malgré tout, je savais bien que si je me raccrochais à ce foutu bruit depuis de si longues minutes, ce n'était pas seulement par pur masochisme : ce son infernal m'empêchait de dériver dans les méandres de mon esprit, et c'était pitoyable à voir. Assis sur le bord de ce qui me servait de lit d'appoint, mes yeux restaient résolument fixés sur mes doigts crispés tandis que je cherchais à stopper les tremblements presque invisibles - mais pourtant bien présents - qui les secouaient. Dans cette position courbée, les jambes écartées, je devais offrir un spectacle bien pathétique à voir.
D'un mouvement sec, mais malheureusement pas aussi assuré que je ne l'aurai voulu, je retirai mes gants noirs aux symboles rouges et les jetai rageusement sur le parquet sale. Je savais parfaitement ce qui allait se passer. Ma vieille amie l'angoisse, encore plus perfide et sournoise que moi, s'était encore une fois décidée à ne pas me laisser respirer, frayant avec un malin plaisir son chemin au creux de mes entrailles.
Se dressant au dessus de moi telle une mauvaise ombre, elle enroula ses grandes mains, celles-ci encore plus froides que ma propre glace, avant de venir les resserrer sur moi.
Comme à chaque fois, mon air se bloqua dans ma gorge.
Dans un mouvement de panique, j'enfonçais durement mes coudes dans les muscles de mes cuisses tandis que je me recroquevillais sur moi-même, offrant ainsi probablement une vue délectable de ma piteuse personne alors que mes doigts se perdaient dans mes cheveux avec frénésie. Les yeux écarquillés, je tirai sur mon col dans l'espoir vain de me libérer de son étau, ma cage thoracique se gonflant si frénétiquement que ç'en était affolant.
Mais soudain, un son timide, étouffé par l'épaisseur du bois, accapara toute mon attention ; bien plus mélodieux que le précédent. Bloquant le peu d'air qui peinait à s'engouffrer dans ma poitrine, le bruit de ma respiration laborieuse cessa tout à coup de polluer mes oreilles.
Avant de me laisser pantois.
« - Junyn dragon, úvaenu nah vauel »
Mon corps me paru peser six tonnes quand mes bras me lâchèrent presque, me faisant me courber si près de mes chaussures que je cru un instant avoir un poids sur le dos.
« - Meym mo payr key nu zeywu opuv waevuel »
Ce n'était pas possible.
Comment diable pouvait-elle connaître cette berceuse ?!
Avec précipitation, je me redressai du matelas dur dans un craquement sourd. Ouvrant ma porte à la dérobée, je n'eus que deux grands pas à faire avant de me retrouver devant la sienne.
« - My cogoym ne julwm nah vbugyh »
Stop !
Je ne réfléchis pas une seule seconde avant de tourner la poignée, débarquant en trombe dans ce qui se rapprochait le plus pour elle d'un semblant d'espace personnel.
La voix se tue immédiatement.
À la place, je tombais sur deux grands yeux violets qui papillonnèrent en m'observant, une bouche délicate et rose formant une expression de surprise.
- D'où... commençais-je sans pour autant continuer.
Bon sang, pourquoi ne trouvais-je plus mes mots ?
Réalisant sûrement de qui il s'agissait, la jeune femme me regarda alors avec crainte, ses longs cils m'empêchant de déceler le semblant de curiosité qui l'animait.
Elle attendit tout de même patiemment que je termine ma phrase, restant dans la même position que celle dans laquelle je l'avais surprise : accroupie face à un vieil appareil que des faeries avaient rapportés d'une mission sur Terre. Le temps s'étira longuement avant que je ne réussisse à reprendre contenance.
- D'où connais-tu cette berceuse ?
Sous ma question et mon regard inquisiteur, à la limite du réprobateur, la brune cligna plusieurs fois des yeux avant de finalement comprendre.
- Ça ne vous regarde pas, me dit-elle sur un ton catégorique.
Je restai interdit.
Pardon ?
Sentant la colère pointer en moi, j'attrapais fermement son poignet afin de la forcer à me faire face, y mettant plus de force que je ne l'aurai voulu.
- Ne t'avise pas de jouer à ça avec moi, petite humaine, je ne le répéterai pas. D'où connais-tu cette berceuse ?!
Sous la peau de son visage habituellement blafard, je distinguai les muscles de sa mâchoire se contracter tandis que ses joues prenaient peu à peu une teinte rosé, ceci probablement sous l'effet de la colère que je sentais naître également chez elle.
- Si vous tenez tellement à le savoir, c'est Valkyon qui me l'a apprise. Il la fredonne souvent, figurez-vous.
Mon sang ne fit qu'un tour. J'aurai du m'en douter. Comme si cette information venait de me brûler, je la relâchai d'un geste leste, l'amenant par la même occasion à basculer en arrière.
Tel un parfait idiot, je ne pus m'empêcher de la rattraper avec brusquerie, plantant ma main entre ses reins. Une fois à nouveau stabilisée sur ses pieds, elle me repoussa sans ménagement.
Je fis comme si je n'avais rien remarqué.
- Ne la chante plus jamais.
Ne s'attendant visiblement pas à cet ordre, elle redressa précipitamment la tête dans ma direction, me faisant me rendre compte d'à quel point je la surplombait.
- Je vous demande pardon ?
C'était à mon tour de crisser des dents. Pourquoi cherchait-elle continuellement à me tenir tête ? Elle savait pourtant pertinemment que je pouvais écourter ses jours d'un simple claquement de doigts. Elle était si fragile.
Les humains n'avaient-ils donc aucun instinct de survie ?
Cela m'exaspérai.
- Je te dis de ne plus jamais la chanter, grondai-je plus fort. Bon sang, tu es sourde ou tu le fais exprès ?
Ses joues rosirent bien plus vivement, à tel point que je me demandais si elle était en colère ou si elle avait tout simplement chaud.
- Donc je n'ai plus le droit de rien ici ? s'emporta-t-elle tout à coup, me prenant de court. Vous m'enlevez, me forcez à vous suivre, me séquestrez contre un poteau, et maintenant que j'ai droit à un minimum d'intimité, vous vous permettez d'entrer ici pour me dire de cesser de chanter ?
Ce n'était visiblement pas la chaleur.
Sans que je ne m'y attende, deux mains aux longs doigts fins, à la limite même du gracieux, se pressèrent vivement contre mon torse, m'amenant à reculer d'un pas dans mon étonnement. Ne s'attendant pas à me voir reculer, je discernai une once de surprise dans ses iris à la couleur si particulière.
Un sourire moqueur étira mes lèvres. Si elle souhaitait jouer au plus fort...
Prenant goût à ce nouveau défi, je me penchai dangereusement au dessus d'elle afin d'enrouler mes doigts dans l'une de ses mèches soyeuses, lui susurrant par la même occasion d'une voix langoureuse :
- Même si je dois bien avouer que tu es carrément excitante quand tu t'énerves, je me dois de te prévenir de ne plus jamais me parler ainsi, au risque de devoir écraser ce magnifique visage sous mes pieds dès que je n'en aurai plus besoin.
Je savourai un dernier instant le sentiment de peur qui parcourrai son échine, et peut-être aussi l'odeur sucrée de sa peau si près de mes lèvres, puis me redressai promptement. Amusé par cette petite entrevue nocturne, je lui adressai un sourire en coin avant de tourner les talons, claquant la porte sans même me retourner.
Malgré mes menaces, cette idiote s'était remise à chanter cette maudite berceuse chaque soir qui suivi. Et, même si je ne l'avouerai jamais, je l'ai écoutée chaque nuit durant, les bras croisés derrière mon crâne. Par je ne sais quelle magie, je pense que la voix rassurante d'Andraste avait fini par chasser ma précieuse amie l'angoisse, car tant qu'elle fredonnait inlassablement ces paroles que j'avais jusqu'à présent oubliées, elle ne revint plus jamais me voir.
Cette fille n'en faisait décidément qu'à sa tête.
Mais je crois que c'est ce que j'admirai le plus chez elle.*
Lance
Jamais je n'avouerai à Andraste que je l'ai observée durant de si longues minutes pendant son sommeil, elle risquerait très certainement de prendre peur si elle l'apprenait et je ne pourrais pas lui en vouloir.
Parce que c'était carrément flippant.
Il n'empêche que je n'arrivais pas à décrocher mon regard de son visage et ce, même avec toute la volonté du monde. Relevant mes doigts jusqu'à elle, j'hésitais un instant avant de repousser avec minutie une mèche sombre que j'amenais derrière son épaule.
Sa peau était si pâle à côté de la mienne.
Ces derniers temps, je revivais beaucoup de mes souvenirs en rêve. Des souvenirs que ma mémoire avait effacé d'elle-même, cherchant probablement à rendre acceptable l'idée qu'un monstre comme moi puisse être encore en vie.
Bien souvent, ces réminiscences se montraient inoffensives mais, parfois, elles s'avéraient si vives et si réalistes que j'en perdais à nouveau mon souffle. Mais, celle-ci... je ne pouvais m'empêcher de me demander si Andraste se souvenait de cette berceuse.
Parce que, sortie de sa bouche, elle était indéniablement l'une des plus belles choses que j'ai pu entendre.
Me penchant au dessus d'elle, j'embrassai paresseusement sa tempe avant de retirer mon bras et de me lever.
Beaucoup de travail m'attendait.
CHAPITRE 26 : ÇA A TOUJOURS ÉTÉ DIFFÉRENT
Spoiler (Cliquez pour afficher)
À travers les rideaux de ma chambre, les rayons du soleil commençaient à peine à pointer le bout de leur nez quand je me réveillais.
Étalée de tout mon long dans mon lit, je sortais une jambe nue de sous ma couette tout en soupirant d'aise. Quel bonheur de retrouver le confort de sa chambre ! Étirant un bras devant moi, je fus néanmoins surprise de sentir mes doigts se refermer sur le drap froid à l'endroit où une grande silhouette aurait pourtant due se tenir. Dans un instant de panique, j'ouvrai précipitamment les yeux, tombant sur des coussins vides. Silencieuse, je restais de longues secondes à observer la solitude qui m'accompagnai, encore dans les vapes de mon sommeil profond.
Je ne pouvais tout de même pas avoir rêvé cette nuit aux côtés de Lance, non ?
Baissant les yeux sur mon corps, je constatais qu'aucun vêtement ne me recouvrait. Je n'aurai jamais dormis ainsi s'il n'avait pas été là, ou alors c'était le signe que je commençais à faire des rêves bien trop... réalistes.
Et érotiques, en somme.
Fixant un point au loin, je restai tournée vers la place que le dragon avait occupée quelques instants plus tôt, me remémorant notre conversation nocturne tandis que nous étions enlacés dans les bras l'un de l'autre.
- Sois franc, avec combien de filles as-tu eu des relations ? le questionnai-je.
Allongée contre son grand torse, je me retrouvais tout à coup secouée quand Lance fut prit d'une soudaine quinte de toux. Quand celle-ci fut finalement passée, il me regarda avec étonnement, ne s'attendant visiblement pas à cette question.
- Je te demande pardon ?
- Ne fais pas comme si tu n'avais pas compris ma question. Soit tous les hommes d'Eldarya sont des dieux aux lit, soit tu as clairement beaucoup d'expériences de ce côté-là, dis-je d'un air malicieux. Alors, laquelle des deux est la bonne réponse ?
Un sourire amusé et séducteur étira ses traits fins. Il savait clairement jouer de ses atouts, j'en étais certaine.
- Je ne suis pas sûr que tu veuilles vraiment le savoir.
- Donc j'en conclus que tu as connu beaucoup de femmes.
Sa main commença à courir le long de ma hanche, jouant inconsciemment avec sa glace. Il se tue durant plusieurs longues secondes, à tel point que je pensais qu'il n'allait pas me répondre.
- Avant que tu n'entres dans le Cristal, j'avoue avoir eu pas mal de conquêtes. J'étais jeune et fougueux, je commandais des bataillons d'armée. J'avais l'habitude que tout le monde me mange dans la main partout où j'allais. Je n'ai jamais eu de mal pour séduire, donc j'en ai profité, m'affirma-t-il, légèrement mal à l'aise.
Croisant mes bras sur sa poitrine, j'y posais mon menton tout en l'observant.
- Et durant ces sept dernières années ?
Sa mâchoire se crispa imperceptiblement avant qu'il ne réponde, les yeux fuyants :
- Je n'ai vu personne.
Je haussais les sourcils de stupeur.
- Personne ?
Le jeune homme leva un bras avant de faire passer sa main derrière sa tête, sa calant à son tour pour mieux m'observer. Les doigts de son autre main se mirent distraitement à jouer avec les longues mèches de mes cheveux sombres.
- Quand tu t'es sacrifiée pour sauver ce monde, j'ai passé toutes les années qui ont suivies à chercher à diminuer un tant soi peu le poids de la culpabilité qui m'écrase. Je ne sais pas si on t'as déjà raconté comment tout cela s'est passé...
Il fit une pause dans le but de voir une quelconque réaction sur mon visage, mais je ne pus que hausser les sourcils, désormais quelque peu stressée d'entendre la suite.
Prenant sa respiration, il se décida alors à continuer.
- Quand j'ai réalisé ce que j'avais fait à mon propre frère... je me suis rendu sans demander mon reste. J'ai passé un peu plus d'un an en prison, mais j'estime encore aujourd'hui que j'aurai dû y rester. Quand on m'a interdit d'assister à l'enterrement de Valkyon, j'ai cru que j'allais en crever. C'était comme si j'avais enfin pris la pleine conscience de mes actes, et ça a été insupportable. J'ai cru que mon cœur allait exploser, je ne le supportais pas, je me suis senti devenir fou, m'expliqua-t-il, la colère et le désespoir se lisant sur son visage.
Il ajouta alors, d'un ton plus bas :
- Mais enfermé là-dedans, j'ai souvent pensé à toi.
Comme un petit chien que l'on vient d'appeler, je redressai instinctivement la tête.
- Tu pensais à moi ? m'étonnai-je.
- Qui d'autre, idiote ? me dit-il d'un ton plus doux, me donnant une pichenette sur le front. Tu t'étais sacrifiée pour sauver mes élans d'égoïsme tandis que je pourrissais en taule dans un état de stress post-traumatique. Comment veux-tu que je ne pense pas à toi ?
Il soupira, s'apprêtant à continuer. La suite semblait tout aussi difficile pour lui.
- Je ne croyais pas en venir à t'avouer ça un jour, alors savoure bien ce moment, mais j'ai toujours été admiratif envers toi.
Mes yeux s'agrandirent jusqu'à probablement bientôt ressembler à deux soucoupes. Avant que je n'ai le temps de dire quoi que ce soit, il plaqua rapidement ses longs doigts sur mes joues en les pressant l'une vers l'autre dans le but de m'empêcher de faire un commentaire, ce qui ne fit qu'accentuer mon envie de sourire fièrement.
- Ne prends pas trop la confiance non plus, petite humaine, je suis au regret de t'annoncer que je ne te vénère pas non plus tous les soirs.
Mon sourire s'agrandit. « Petite humaine », c'était comme ça qu'il aimait m'appeler à cette époque, et jusqu'à il y a encore peu de temps.
Il me lâcha enfin, me laissant réutiliser ma langue comme bon me semblait.
Et je ne m'en fis pas prier.
- Mais tu étais tout de même admiratif, dis-je de manière détendue, relevant mon bras pour mettre mon menton en coupe dans ma paume.
Quand ses yeux accompagnèrent le sourire qui étirait ses lèvres, je me sentie caressée par son regard. C'était doux et réconfortant.
Qui aurait pu croire que Lance me regarderait comme cela un jour ?
J'eus du mal à me concentrer sur la suite tant son expression me galvanisait.
- Tu ne m'as jamais laissé tomber, continua-t-il. Même quand tu savais que je prenais les pires des décisions, tu as toujours tenté de m'aider à revenir dans le droit chemin. J'étais borné, braqué dans mes idées noires, pourtant quand je te voyais, j'étais sans cesse troublé face à ta bonté. Et savoir que toi aussi, je t'avais peut-être tuée... c'était insupportable, dit-il en serrant les poings. Quand on m'a libéré, je me suis interdit de venir te rendre visite. Premièrement pour moi, mais également parce que cela signifiait bafouer tes actes et ta personne. En revanche, je n'ai pas passé une seule soirée sans m'excuser envers toi. Je voyais ton visage chaleureux à chaque fois que je fermais les yeux, c'était devenu obsessionnel. Au fil du temps, c'est ton image qui m'a libéré des crises qui m'assaillaient. Tu m'as aidé à retrouver mon souffle plus d'une fois.
Je ne m'étais pas rendu compte que des larmes avaient commencé à inonder mon visage jusqu'à ce que Lance vienne sécher l'une de mes joues de son pouce.
- Il n'y a que toi dans ma tête depuis un peu plus de huit années, alors non, je n'ai plus revu une seule fille depuis bien longtemps. Et quand bien même j'ai pu coucher avec d'autres par le passé, je ne faisais que me contenter de tirer mon coup quand j'en avais envie. Ça n'avait rien à voir, ces moments n'avaient aucunes valeurs à mes yeux.
Quand il vit mes larmes affluer de plus en plus, le dragon me fit délicatement glisser de son corps jusqu'à inverser nos places. Positionné au dessus de moi, il remonta mes cuisses de part et d'autre de ses hanches avant de venir embrasser chaque sillon qu'avaient laissés ces gouttes.
- Toi c'est différent. Ça a toujours été différent.
Mes yeux humides se rouvrirent sur le matelas vide face à moi.
Mes doigts s'enfoncèrent un peu plus fort dans le tissu froid tandis que mon cœur, lui, battait si fort qu'il m'en vrillait les tempes. Étendue sur mon lit, je revivais cette nuit comme un précieux souvenir.
Parce que cette nuit encore, Lance avait atteint mon cœur de bien des façons.
Le jeune homme avait sûrement dû partir très tôt ce matin. Être un chef de Garde devait effectivement demander beaucoup de travail, j'avais été naïve de croire qu'il traînerait au lit avec moi. Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher de me sentir triste, vide même, sans sa présence à mes côtés.
Roulant afin de me mettre sur le dos, je fixai désormais le plafond avant de lever sans réfléchir un bras en l'air. D'un œil absent, je me mis à observer les striures de lumière et de glace qui courraient le long de mon bras tendu devant moi. Remuant mes doigts, mon visage resta neutre malgré le fait que les deux magies obéissaient à mes ordres, s'enroulant le long de ma peau dans un dessin abstrait. L'importance de la situation m'effleura peu à peu l'esprit.
Depuis quand possédais-je cette glace, exactement ?
Elle ne provenait pas directement de moi, je le savais. Pourtant, celle-ci naissait bien de ma seule volonté, c'était indéniable.
Changer de position me rendis soudain malade. Plaquant une énième main sur ma bouche, je plissais mes paupières avec force dans le but de faire partir cette nouvelle nausée. Quand je pus enfin rouvrir les yeux, la pendule indiquait neuf heures du matin. À chaque fois que cela me prenait, les reflets matinaux du soleil commençaient à peine à réchauffer le sol.
Sachant pertinemment ce qui m'attendait, je me relevai précipitamment avant d'enfiler une culotte et un t-shirt ample, attachant mes cheveux en un rapide chignon. Ni une ni deux, je claquais le porte des toilettes dans mon dos tout en m'accroupissant avec angoisse et dégoût.
Je restais plusieurs minutes ainsi, mes mains agrippant le battant avec tant de force que j'aurai pu l'arracher. Crachant mon surplus de salive, ma bouche et ma gorge me brûlaient avidement. À cette heure-ci du matin, je n'avais encore rien dans l'estomac, ce qui me poussa ainsi à vomir une bile qui m'en retourna les entrailles. Respirant bruyamment, je plaquais les mèches qui tombaient sur mon visage de mes doigts tremblants avant de m'essuyer la bouche et le nez avec énergie. Je tirai ensuite la chasse d'eau.
Bon sang.
D'après les dires du dragon, ce n'était tout bonnement pas possible, pourtant... À quand remontait notre premier rapport ensemble ? Les yeux rivés sur mes doigts, je comptais le nombre de semaines qui s'étaient écoulées.
Une. Deux. Trois. Quatre.
Bientôt cinq.
Instantanément, mon corps se figea. Non. Je lui avais déjà posé la question, il m'avait assuré que ce n'était pas possible et je lui faisais confiance.
Plaquant mes mains atour de ma tête, je me répétais cette phrase en boucle.
Ce n'est pas possible, Andraste, ce n'est pas possible.
Mais alors...
Qu'en était-il lorsqu'un dragon consommait une relation avec une aengel ?
Lance l'avait dit lui-même, il n'avait rien trouvé sur les liens qui unissaient nos races. Ces deux-là ayant presque entièrement disparues depuis des années, aucun texte ne les mentionnant n'avait été trouvé dans le QG. Mais, et si les lois de la nature des dragons ne régissaient plus au contact des aengels ? Et si nos races pouvaient...
Procréer, ensemble ?
Les larmes dévalèrent une nouvelle fois mes joues, tant à cause de mes pensées que de la nausée qui ne voulait pas me quitter.
Un bruit étouffé me sorti malgré-moi de ma torpeur.
- Andraste, qu'est-ce que...
Sans que je ne m'y attende, deux mains salvatrices, à la température étonnamment glacée, encerclèrent mon front et mon visage. Me forçant à lui faire face, le visage de Nevra m'apparu soudain.
- Nevra, qu'est-ce que tu fais là ?
- C'est plutôt moi qui devrai te poser cette question. Qu'est-ce qu'il t'arrive, à la fin ?
Reculant, je poussai ses mains malgré les protestations de mon corps.
- Tout va bien, c'était juste une petite nausée, tentais-je de le rassurer. J'ai peut-être mangé quelque chose que je n'ai pas digéré.
Le ventre vide et contracté, je m'accrochai à la cuvette afin de m'aider à me redresser. Quand je titubais, le vampire me rattrapa afin de m'aider à me maintenir.
- Tu devrais te reposer. Huang Hua voulait s'entretenir avec toi aujourd'hui, mais nous allons reporter ça.
- Non non, il ne faut pas. Ça va passer, ne t'en fais pas, vraiment.
Nevra ne se doutait pas que cela ressemblait fortement à des nausées matinales et je n'avais clairement pas envie de lui faire part de mes pensées.
Je sortis finalement des toilettes en titubant comme une ivrogne. Quand le Bras Droit de la cheffe de l'Étincelante m'aida à m'asseoir sur le lit, je lu une inquiétude si marquée dans son regard que je m'en voulu aussitôt d'être constamment un poids pour tout le monde autour de moi.
Sans un mot, il se pencha sur moi pour tirer sur ma couette afin de me faire m'y allonger. Quand il se retrouva à seulement quelques centimètres de moi, j'attrapai instinctivement son col afin de l'empêcher de bouger. Mon regard resta lointain.
- Nevra...
Quand celui-ci croisa mes yeux, je craquais encore. Le temps d'un soupir résolu, je le senti enrouler doucement ses bras autour de mon corps, m'attirant à lui.
- Ça va aller Andraste, je suis là.
À ces mots, mes poings se refermèrent sur le tissu de sa tenue avec force.
Nevra, si Lance s'est bel et bien trompé, si cette information est restée tue...
Que vais-je bien pouvoir faire ?
CHAPITRE 27 : IL FAUT QUE JE SACHE
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Comment tu te sens ?
Rouvrant les paupières, je tombais sur les motifs floraux qui ornaient l'ensemble de Nevra. Depuis combien de temps me serrait-il ainsi dans ses bras ? Avec lenteur, mes doigts lâchèrent enfin son col maltraité.
- Ça a l'air d'être passé.
- Pas seulement ta nausée, dit-il en laissant courir sa main dans mes cheveux. Comment tu te sens, toi ?
Son regard perçant se planta dans le mien, cherchant à me sonder. Je détournais les yeux, ne m'attendant pas à cette question. J'essuyais discrètement mes joues avant de me redresser, quittant la fraîcheur réconfortante du vampire.
- Je vais bien, je t'assure. Excuse-moi Nevra, lui dis-je avec sincérité, je ne sais pas ce qui m'a pris. Ça doit probablement être une accumulation de beaucoup de choses, n'y prête pas attention.
Je restais interdite quand, de ses doigts froids, il repoussa une mèche de mon visage collée par mes larmes.
- Il faut que j'y aille, Andraste. Ça va aller ?
Face à l'inquiétude que je lisais dans ses yeux, je ne pus m'empêcher de me sentir coupable une nouvelle fois.
- Bien sur, tu peux y aller. Merci pour tout Nevra.
Son sourire s'agrandit avant qu'il ne s'éclipse de la pièce. Au moment de fermer la porte derrière-lui, il me cria tout de même :
- Et n'oublie pas d'aller voir Huang Hua !
Je ris tout en le laissant disparaître.
À la suite de son départ, j'enfilais rapidement d'autres vêtements afin d'aller voir l'ancienne phœnix. Sauf que, quand j'ouvris le battant en grand, je rentrais presque dans un grand torse familier. La main de Lance attrapa mon avant-bras afin de m'empêcher de basculer.
Décidément, je crois que j'adorai foncer entre ses pectoraux, je ne voyais pas d'autres explications.
Nous parlâmes en même temps :
- Excuse-moi...
- Excuse-moi !
Nos lèvres se retroussèrent avant de laisser un léger silence s'installer.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? le questionnai-je.
- Je venais te voir...
Laissant sa phrase en suspend, je l'interrogeai du regard afin de l'inciter à continuer. Mon sourire disparu rapidement.
- ...mais j'ai vu que Nevra venait déjà d'en faire de même.
- Oh...
Est-ce qu'il était vraiment jaloux, là ?
- Oui, c'est à peu près ce que je me suis dit, trancha-t-il.
- Lance, il venait seulement me prévenir que Huang Hua souhaitait me voir. Sauf que je ne me sentais pas bien quand il est arrivé, donc il est resté jusqu'à ce que j'aille mieux.
Ses sourcils se froncèrent légèrement.
- Tu ne te sentais pas bien ?
- Je...
Ma main se perdit un instant sur mon ventre.
- Ce n'est rien, je vais aller voir Ewe après mon rapport de mission. Ça ira mieux.
- Laisse-moi t'accompagner.
Mes yeux s'écarquillèrent de surprise.
Et je lui annonce ça comment, moi ?
« Oh Lance, je suis seulement peut-être enceinte, il n'y a pas de quoi t'inquiéter. Ah mais j'oubliais, c'est toi le père ! »
Décidément pas comme ça.
- Non vraiment, ce n'est pas la peine !
Me glissant sur la pointe des pieds, je déposais un baiser tout près des lèvres du jeune dragon, ce qui le surprit légèrement.
- On se voit ce soir, continuai-je pour lui faire oublier l'idée de m'accompagner.
Reprenant rapidement ses esprits, il m'entoura sans prévenir de l'une de ses mains avant de venir me plaquer contre son grand corps. Ses lèvres caressèrent mon oreille.
- Excuse-moi, j'ai du mal à me retenir quand tu es si près, dit-il d'un sourire espiègle qui fit naître des frissons sur toute mon échine.
Il embrassa ma tempe avant de me relâcher.
- Tiens-moi au courant de ce que t'auras dit Eweleïn. À ce soir.
Puis il disparu à son tour.
Reprenant le court des choses, je me dirigeai finalement vers la salle des portes.
C'est avec une certaine appréhension que j'ouvrai le grand battant de la salle du Conseil. Sans un bruit, je la refermais dans mon dos quand j'aperçus Huang Hua en bas des marches, observant pensivement par la fenêtre ensoleillée. Ne voulant pas la brusquer, je descendis les marches sans me manifester. C'est seulement quand j'arrivais à son niveau qu'elle se tourna enfin vers moi, un sourire radieux illuminant son visage.
- Andraste, je suis ravie de te revoir.
Quand ses bras à la couleur si chaude se tendirent vers moi, je n'hésitais pas à me blottir contre elle.
Cette femme possédait ce pouvoir de vous apaiser en un instant.
Me détachant d'elle, je lui offrai à mon tour un sourire sincère.
- Comment vas-tu ? J'ai cru comprendre que tu ne te sentais pas très bien.
- Tout va bien Huang Hua, ce n'était rien de grave, tentais-je de la rassurer à son tour.
L'ancienne apprentie phénix m'offrît une mine passablement convaincue, ce qui me stressa légèrement.
- Dans ce cas, j'en suis soulagée, me dit-elle tout en tirant une chaise afin de venir s'y assoir. Installe-toi ma belle, nous avons à discuter.
Sans un mot, je m'exécutai et m'asseyais non loin d'elle. Je la vit regarder autour de moi plusieurs secondes. Soudain, son regard changea, comme si elle venait de comprendre quelque chose qu'elle ne me partagea pas.
- Nevra et Lance m'ont fait un rapport oral de leur mission. Je sais que c'est sûrement peut-être encore trop tôt pour toi de reparler de tout ce qu'il s'est passé là-bas, mais j'ai besoin que tu me fasse ton rapport à ton tour, Andraste.
Fermant les yeux, j'inspirai un grand coup avant de me lancer dans le bain. Je lui racontai alors l'entièreté de notre mission, allant du trajet en bateau à l'affrontement avec Tenjin et ses hommes malgré le fait qu'elle ait déjà entendu la plupart des évènements que je lui exposais.
- Lance et moi avons finalement été attrapés par Tenjin et ses hommes. Je ne sais pas exactement comment fonctionne la magie des kitsunes, mais il m'a emmenée dans un songe immédiatement après m'avoir touchée.
Je connaissais les rapports de missions depuis maintenant longtemps et je savais qu'il était primordial de n'omettre aucun détail, pourtant, j'hésitai un instant quand je lui racontai le rêve dont les images étaient encore nettes dans lequel le kitsune m'avait endormie. Ma peur d'être rejetée par Lance et Nevra, la berceuse des dragons, la présence d'Ophélia et, par-dessus tout, ce nouveau-né dans les bras de cette fille aux yeux si similaires aux miens...
Le regard de Huang Hua me scruta alors patiemment, ce qui me poussa à tout lui raconter dans les moindres détails. Quand j'eus terminé mon récit, j'eus l'impression d'enfin reprendre mon air. Calmement, la fenghuang attrapa mes doigts afin de les presser vivement dans ses mains chaudes.
- Je suis sincèrement désolée que les choses se soient passées ainsi, en aucun cas je ne pensais que Tenjin vous attaquerez sans raison, ni qu'il choisirait de s'en prendre à toi personnellement, me dit-elle, sincèrement touchée.
- Personne ne peut prévoir les réactions des autres, tu n'y es pour rien. Et heureusement, tout s'est bien terminé, conclus-je d'un haussement d'épaule. Même si je n'ai pas l'impression que notre mission ait servie à grand chose...
- Andraste, votre mission nous a été plus qu'utile, sache-le. Vous nous avez rapporté la présence de nombreux portails menant sur Terre, vous avez inspecté cet immeuble qui s'est en effet révélé humain, et...
La jeune femme se pencha afin d'attraper une boîte posée sur la grande table. La ramenant à elle, cette dernière l'ouvra avec calme, libérant une lumière bleutée qui m'hypnotisa.
- Je pense que tu sais de quoi il s'agit.
Me penchant au dessus de l'objet incandescent, mes yeux s'agrandirent quand je reconnu un morceau de portail.
Comment...
- Il s'agit bien d'un morceau de portail, me confirma-t-elle. Nevra, Lance et Koori se sont chargés d'en ramener quelques fragments, si l'on peut dire ça comme ça.
- Est-ce qu'on peut... ouvrir un portail, avec ça ?
Mon cœur battait à tout rompre, je n'étais même plus sûre de réussir à entendre la réponse de l'ancienne apprentie phœnix.
- Non, nous ne pouvons pas en ouvrir ainsi. Mais cela va nous permettre de les étudier et de peut-être comprendre comment ils sont arrivés là.
Elle attrapa une nouvelle fois ma main par-dessus la table.
- Je suis heureuse que tu n'ai pas essayé de traverser l'un d'entre eux, continua-t-elle. Qui sait ce qui aurait pu t'arriver...
- Huang Hua... commençai-je. Pourquoi personne ne m'a expliqué le fonctionnement des portails ? Outre le fait que leur ouverture soit réellement compliquée, pourquoi je n'ai jamais été informée de la dangerosité de leur traversée ?
- Andraste...
- Et si Tenjin ne m'avait pas empêchée d'y sauter dedans ? Pourquoi est-ce que j'ai toujours l'impression que l'on ne me dit rien, ici ? Avant avec Miiko, maintenant avec toi... C'est toujours la même chose. Vous ne me révélez que ce qui vous arrange !
Malgré-moi, je sentais une nouvelle bouffée de colère monter au creux de mon ventre.
- Tu n'aurais tout simplement pas dû te retrouver face à des portails. Tu sais à quel point ils sont presque impossible à ouvrir, surtout sans l'aide d'un dragon. C'est très inquiétant d'en trouver ainsi, qui semblent s'ouvrir d'eux-même qui plus est. Je suis navrée de ne pas t'avoir expliqué clairement comment ils fonctionnent, il est de mon devoir de Cheffe d'être claire avec toi pour éviter que tu ne te retrouves en danger et c'est ce qui est malheureusement arrivé, conclut-elle d'un regard triste.
Je passais une main sur mon visage.
- Je suis désolée Huang Hua, je ne voulais pas m'emporter ainsi. Je suis assez fatiguée ces derniers jours, je ne contrôle plus trop mes émotions.
- Ce n'est pas grave Andraste, je comprends tout à fait. Et d'ailleurs, il y avait autre chose dont je voulais t'entretenir.
Je vis un nouveau sourire se ficher sur son visage doux.
- Nous organisons un bal au QG.
Mes sourcils se relevèrent probablement si haut qu'ils durent disparaître de mon front.
- Un bal ? accentuais-je.
- Pour fêter votre retour, nous avons décidé de changer un peu de nos fêtes habituelles et d'organiser quelque chose de nouveau. Tout le QG y est convié.
- Très bien, mais quand ?
Le sourire de la Cheffe de l'Etincelante s'agrandit encore.
- Ce soir.
*
L'eau chaude s'écoulait partout autour de moi tandis que je fermai les yeux d'aise. Caressant ma peau, elle me réchauffait de ses nombreuses perles qui parcourraient mon corps.
Cela me faisait étrange de sentir à nouveau les températures, notamment sous la douche.
Et c'était plus qu'agréable.
Éteignant le jet, j'attrapai ma serviette et commençai à me sécher rêveusement. Il fallait que j'aille chercher une robe chez Purirry avant ce soir... Je n'avais jamais participé à un bal. Est-ce que ceux organisés sur Eldarya étaient les mêmes que sur Terre ?
Tournant la tête en direction du miroir, je ne pus empêcher mes yeux de descendre plus bas. Encore une fois, ma main se posa instinctivement sur mon ventre. Est-ce que c'était moi qui rêvait, ou est-ce qu'il était vraiment légèrement plus rond ?
Ma main se figea un instant.
Et si c'était vrai ? Et si j'étais réellement enceinte ?
L'image d'un enfant à la peau bronzée et aux yeux aussi perçants que ceux de Lance, une moue espiègle fichée sur son visage juvénile, se matérialisa dans mon esprit. Un nouveau sourire étira mes lèvres à cette pensée tandis que mes doigts entamèrent de lentes caresses.
- Une version miniature de ce grand garçon... me dis-je à moi-même.
Soudain, une bouffée emplit mon cœur si violemment de sentiments nouveaux qu'une larme m'en échappa. Soufflant bruyamment, je relevai mon regard jusqu'à mes yeux violets.
- Il faut que je sache.
M'habillant en vitesse, j'avais foncé sans réfléchir jusqu'à l'infirmerie.
L'elfe m'accueilli avec bienveillance, s'attendant de toute façon à recevoir ma visite suite à notre dernière mission, mais je pense qu'elle ne s'était pas attendue à la question que je lui avais lancé de but en blanc.
- Eweleïn, peut-on faire un examen de grossesse ?
Sans crier gare, les doigts de la jeune femme lâchèrent alors le bloc-note qu'elle tenait. Elle reprit néanmoins rapidement contenance.
- Bien-sûr, assieds-toi ici, m'indiqua-t-elle avec douceur.
**
Allongée sur le lit, j'observai les aiguilles de la pendule défiler le plus lentement du monde. L'infirmière m'avait dit d'attendre ici quelques minutes le temps qu'elle étudie mes analyses, mais ces minutes me semblai des heures. Je tapotai des doigts sur mon poignet depuis un si long moment que des traces rouges avaient commencé à naître sur ma peau blanche. Bientôt, mes ongles commencèrent à rejoindre la partie.
Bon sang, pourquoi était-ce si long...
Les examens chez les faeries étaient assez différents de ceux des humains. Probablement cela était-il dû au fait que chaque race comportait ses propres particularités physiques et génétiques, ce qui complexifiait la manœuvre.
Me prenant de court, la voix claire de la jeune femme me fit brutalement relever la tête.
- Andraste...
Elle s'assit juste en face de moi, le regard étrange. Mon cœur se mit à battre si fort dans ma poitrine que je cru ne pas entendre la suite de sa phrase.
- ...tu es enceinte.
CHAPITRE 28 : IL N’Y A EU QUE LUI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Andraste... tu es enceinte.
À l'entente de ces mots, mes doigts anxieux tombèrent sur mon poignet, stoppant leur course inlassable sur ma peau rougie.
Et, instantanément, je crois que le monde se figea autour de moi.
Est-ce que...
Mes yeux se mirent à cligner ; une fois, deux fois, sans qu'aucun semblant de réponse n'émane de moi.
...j'ai bien entendu ?
Les paroles de l'infirmière se mirent à tourner à une vitesse folle dans mon cerveau, à tel point que je ne fus plus certaine d'en comprendre leur réel sens.
« Tu es enceinte. »
Mon air se coinça dans mes poumons tandis que mes oreilles se mirent à bourdonner avec tant de virulence qu'elles m'en vrillèrent le crâne. Un instant, j'eus l'impression de sentir deux mains chaleureuses attraper les miennes comme pour me faire sentir que je n'étais pas seule.
Enceinte.
Cherchant probablement à s'y raccrocher, mes paumes les serrèrent bien plus fort que nécessaire.
Par l'Oracle, comment était-ce possible ?
- Andraste, regarde-moi.
Avec automatisme, je réussi tout de même à détacher mon regard du vide face à moi pour venir le visser à celui d'Eweleïn.
Et par dessus tout, comment Lance allait-il réagir ?
- Félicitations ma belle, tu es enceinte d'environ cinq semaines, continua-t-elle d'un sourire doux. Veux-tu le voir ?
Le voir ?
Se levant de sa chaise, elle attrapa un pot contenant une sorte de pâte blanche.
- Si j'étale cette pommade sur ton ventre, tu vas pouvoir voir à quoi il ressemble actuellement, me dit-elle en me montrant le contenant. Tu n'y es pas obligée bien entendu.
Même si je pouvais voir ses lèvres bouger, les paroles de mon amie ne m'atteignaient plus.
Est-ce que j'étais réellement prête à voir cet enfant qui grandissait en moi ?
Sentant déjà les larmes me monter aux yeux, je réussis tout de même à lui faire un vague signe de tête. La jeune femme ouvrit alors le récipient et, avec minutie, elle retroussa mon haut afin de venir y étaler la crème froide. Quand elle eut terminé, sa main resta longuement positionnée au dessus de mon ventre, créant une source de chaleur juste sous sa paume. Elle marmonna ce qui ressemblait à une incantation quand son autre main se souleva afin de pointer sa paume vers le haut. Fascinée, j'observai ce qui ressemblait à une sorte de projection de ce qui se trouvait sous ses doigts. Au dessus de sa paume, se matérialisa comme un écran de fumée, ce que j'avais redouté croire ses derniers jours. Bougeant sa main relevée, elle m'indiqua de ses doigts où regarder.
- Tu vois cette petite chose, ici ?
Je fis oui de la tête, ma gorge étant beaucoup trop serrée pour que quoi que ce soit n'en sorte.
- Il s'agit de ton embryon, il commence à peine à se former. Ici, c'est sa tête.
Et, à l'instant même où je le découvris, mon visage se baigna de larmes.
Même encore, je ne saurai dire s'il s'agissait de larmes de joie, de tristesse, de peur ou de tout autre chose. Peut-être était-ce un mélange de tout cela à la fois.
Mais ce qui était sûr, c'est que je n'avais jamais ressenti aussi fort.
Au bout de seulement quelques minutes, l'écran s'estompa soudain, laissant place au mur blanc face à moi, dénué de toute couleur.
C'est à peu près ce que mon coeur a ressenti.
Une sorte de vide, que je n'avais jamais connu auparavant.
- Tout va bien ? me questionna l'elfe avec attention tout en essuyant le produit froid sur ma peau. Je dois tout de même te parler de quelque chose, mais tu peux sortir prendre l'air si tu en as besoin.
Me forçant à enfin ouvrir la bouche, je réussi non sans mal à lui répondre :
- Non, ça va. Tu peux me dire, dis-je tout en m'essuyant les joues.
- Andraste, je ne te cache pas que tes analyses sont très inhabituelles...
Sans que je ne me l'explique, ma poitrine se serra douloureusement à l'entente de ce fait.
Ma grossesse... y avait-il un problème ?
- En vérité, je n'en ai jamais vu de telles. Peut-être cela est-il lié au fait que tu sois en partie humaine, mais il y a autre chose.
Mon cœur se remit à tambouriner frénétiquement contre ma cage thoracique. Lui aussi cherchait-il probablement à s'évader loin d'ici.
- Vois-tu, certaines de tes gènes semblent s'être modifiées, dit-elle avec incompréhension. Pour que je puisse comprendre ce qu'il se passe, même si je sais que cela est du domaine du privé, il faut que je sache au moins de quelle race est le père.
Sous son regard calme, les mots s'échappèrent d'eux-mêmes de mes lèvres.
- C'est Lance, soufflais-je.
Le temps de quelques secondes, ses yeux se tintèrent de surprise. Pas véritablement du fait d'apprendre notre relation, car je pense qu'elle s'en doutait depuis longtemps, mais plutôt pour ce que Lance m'avait révélé sur son espèce.
Il ne pouvait pas avoir d'enfant avec moi, et Eweleïn le savait.
- Andraste... les dragons, ils ne...
- Je sais, la coupais-je. Ils ne peuvent pas avoir d'enfants avec une autre espèce que la leur, mais depuis mon réveil du Cristal, il n'y a eu que lui, Ewe.
Sentant ma lumière pulser soudain au creux de mes paumes, je me redressai légèrement.
- Et si... et si nos races étaient liées ? hasardais-je. Il n'existe aucun ouvrage évoquant les relations entre nos espèces. Et si cela avait été volontairement caché à la suite du Sacrifice Bleu ? Et si le lien entre les dragons et les aengels avait été méticuleusement gardé secret au fil du temps ?
Plus j'exposais mon idée, et plus cela semblait faire sens à mes yeux. Me remémorant nos entraînement dans la chambre du dragon, je revoyais ses pouvoirs se mêler aux miens, s'enrouler comme une caresse protectrice. Je revoyais son regard, à la fois fasciné et désemparé, et la curiosité qui nous avaient tous deux animés.
Et si Lance et moi étions réellement liés par quelque chose de plus profond, de plus étroit que nos seuls sentiments ?
L'elfe se mura plusieurs secondes dans un silence de plomb. Je pouvais deviner le cheminement que prenaient mes mots dans son esprit.
- Je ne peux rien t'assurer concernant cette hypothèse, mais je ne peux pas non plus la contredire. Nous ne savons en effet presque rien sur les relations des dragons et des aengels hormis le Sacrifice Bleu. Vos races sont les plus anciennes d'Eldarya avec les fenghuangs, et qui plus est, tu es également humaine en très grande partie. Mais comme je le disais, continua-t-elle sur un ton légèrement plus faible, tes gènes sont différentes, Andraste. J'ai l'impression qu'elles ont prit une infime partie de celles qui forment ton embryon.
- Que veux-tu dire par là ?
- T'est-il arrivé des phénomènes inhabituels, ces dernières semaines ? Comme la manifestation de pouvoirs différents des tiens, par exemple ?
J'avalais difficilement ma salive à cette question. Alors cette glace qui s'échappait parfois de mes lèvres, ces songes dans lesquels j'accédais aux souvenirs les plus enfouis de Lance, tout ceci venait donc de ma... grossesse ?
Sans m'en rendre compte, mes doigts se posèrent sur mon ventre d'un geste protecteur, ce qui n'échappa pas au regard d'Eweleïn.
- Maintenant que tu le dis, j'ai en effet développé à certains moments quelques-un des pouvoirs de Lance, et ça a commencé à la suite de notre premier rapport.
Je lui expliquais donc les événements de ces dernières semaines, ce qui marqua son visage de stupeur.
- Et bien, je dois bien avouer que cela va au delà de ce à quoi je m'étais attendue. Je n'ai jamais entendu parler de cas similaires, mais il y a tant de choses que nous ignorons sur la création d'Eldarya... dit-elle d'un air pensif. Andraste, si cela se reproduit à l'avenir, viens immédiatement m'en parler. Ta grossesse est un cas totalement à part, il est important que je puisse la suivre de très près.
Je me figeai une nouvelle fois.
Suivre ma grossesse ?
La jeune femme sembla remarquer ma réaction.
- Enfin, bien sûr, seulement si tu souhaites la poursuivre, ajouta-tu-elle d'une voix infiniment douce.
Mais, en vérité...
Passant une main dans mes cheveux, elle glissa une mèche derrière mon oreille.
- Tu as encore un peu de temps pour prendre ta décision, mais ne traînes pas trop non plus. Quel que soit ton choix, sache qu'il t'appartient entièrement.
...suis-je réellement prête ?
- Si tu n'as pas d'autres questions, tu peux y aller si tu le souhaites. Tu es en parfaite santé et le bal a lieu ce soir. Cela te fera du bien d'y aller.
Je haussai la tête avant de me redresser avec lenteur.
- Et n'oublie pas de faire attention, surtout pas d'alcool, me dit-elle d'un air sévère.
- Merci, Ewe, ajoutai-je d'un sourire fugace avant que la porte ne claque dans mon dos.
Les mains tremblantes toujours fermement accrochées à la poignée dorée, je laissais le flot de mes pensées me submerger.
Et Lance, comment allait-il réagir ? Allait-il être là d'ailleurs, ce soir ?
Descendant les marches de la salle des portes, je ne me rendis même pas compte de la présence de Karenn un peu plus bas.
Allait-il même me croire ?
- Oh, Andraste !
Cette dernière se jeta immédiatement dans mes bras, m'encerclant bien plus fort que je ne m'y attendais. Fidèle à elle-même, elle me laissa tout juste le temps de parler.
- Karenn ! feignais-je d'une voix blanche.
- Tu m'as tellement manqué, je ne t'avais pas vue depuis votre retour ! Tu es au courant pour le bal de ce soir ? Allons-y ensemble !
- Oui, je suis au courant.
- Est-ce que tu as une robe à te mettre ?
- Non, pas enc...
- Dépêchons-nous d'aller voir Purirry avant qu'elle n'ait plus rien pour toi !
*
Dans la chambre de la jeune vampire, je l'écoutais raconter ses aventures au sein du QG d'une oreille absente. J'étais sincèrement heureuse de retrouver mon amie, mais je n'arrivais tout bonnement pas à me concentrer sur autre chose.
En fait, sur rien du tout, pour être exacte.
- Tu es magnifique, Andraste.
Surprise, je relevais la tête dans sa direction. Depuis quand se tenait-elle devant moi ?
Assise sur la chaise de sa coiffeuse, j'observai mon visage dans le miroir sans vraiment me voir.
- Tu as fait un travail incroyable, merci Karenn.
Sans prévenir, mon amie me serra soudain une nouvelle fois dans ses bras.
- Je ne sais pas ce que tu as, mais j'espère que tu viendras m'en parler quand tu t'en sentiras prête. En attendant...
Elle attrapa ma main et m'attira à elle.
- ...allons oublier tous nos soucis, conclu-t-elle en m'entraînant dans le corridor des gardes.
Quand nous passèrent les portes de la salle du Cristal, et ce malgré la foule qui nous entourait déjà, mon regard fut immédiatement attiré par celui-ci, incandescent et fier. Reflétant les lumières environnantes, il m'hypnotisa le temps de plusieurs infimes secondes. Avançant dans la grande pièce, je passais devant un immense miroir qui me renvoya l'image de mon reflet. Ma robe, assortie à la couleur de mes iris, épousait parfaitement les formes de mon corps, marquant mon décolleté plongeant. Une question me taraudait l'esprit depuis que je l'avais enfilée.
Voyait-on la forme de mon ventre légèrement plus rond ?
Purirry l'avait remarqué en tout cas, car elle m'a gentiment pesté de ne pas la faire craquer d'ici la fin de la soirée.
Toujours aussi charmante.
Mal-à-l'aise, je tirai légèrement sur le tissu souple afin de masquer mes nouvelles rondeurs.
La soirée semblait déjà battre son plein depuis un bon moment, car tous les visages autour de nous transpiraient déjà d'effort et de chaud. Mon amie attrapa ma main afin de me guider à travers les corps qui se trémoussaient.
- Regarde, il y a Chrome, Nevra et Lance là-bas, me cria mon amie afin de passer par-dessus la musique et le bruit ambiant.
Lance.
Déjà moites, mes paumes devinrent probablement de véritables ruisseaux à l'entente de son prénom.
Bon sang, comment allais-je affronter son regard maintenant que je savais ?
Malheureusement pour moi, je n'eus pas le temps de réfléchir plus longtemps quand ses yeux bleus perçants se plongèrent dans les miens. Lorsque ses lèvres esquissèrent un fin sourire dans ma direction, je me perdais un instant dans la contemplation de tout ce qui faisait qu'il était lui.
Les jeux de lumières aux couleurs chaudes qui se reflétaient dans ses cheveux clairs, son sourire qu'il n'adressait toujours qu'à moi, ses lèvres pleines qui avaient si souvent parcouru ma peau, son regard dans lequel j'oubliais parfois mon air.
Ce soir, Lance...
- Mesdames, annonça Nevra en nous voyant arriver jusqu'à eux.
...m'aimes-tu suffisamment ?
Autour de moi, mes camarades parlaient, riaient, heureux de se retrouver.
Mais moi, je ne voyais que lui.
Ou cela va-t-il tout faire voler en éclats.
CHAPITRE 29 : VEUX-TU M’ACCORDER CETTE DANSE ?
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Mais moi, je ne voyais que lui.*
La voix de Nevra résonna soudain, me ramenant à la réalité.
- Mesdames, dit-il en se courbant légèrement. Vous êtes magnifiques, toutes les deux.
Détournant mes yeux du dragon, un sourire poli se nicha sur mon visage dans l'espoir de faire bonne figure. Une boule d'appréhension s'étant nichée au fond de ma gorge, je me sentais incapable de dire quoi que ce soit.
Heureusement pour moi, Karenn se chargea de répondre à ma place.
- Ce n'est pas une nouvelle, ria celle-ci.
Mais la suite de sa phrase bourdonna dans mes oreilles distraites car, même ainsi détournée du regard azur de Lance, je pouvais toujours sentir son attention tournée vers moi. Lui non plus ne semblait pas vouloir prendre part aux conversations animées de nos camarades.
Sans m'en rendre compte, je m'étais placée légèrement en retrait du groupe, souhaitant me faire oublier. Ou plutôt, disparaître loin du regard intense du dragon.
Je ne pouvais néanmoins m'empêcher de remarquer que ce soir, il avait troqué son habituelle armure contre un costume blanc assortis à ceux que portaient Nevra et Chrome, celui-ci orné d'insignes rappelant celles que l'on retrouve sur Terre chez les membres de l'armée. Ses épaules, rehaussées par des épaulières dorées, paraissaient encore plus larges qu'elles ne l'étaient déjà tandis qu'une ceinture rouge entourait son tour de taille déjà marqué. Éblouie par l'élégance qui se dégageait de lui, je n'arrivais plus à détourner mes yeux de sa grande stature.
Lance avait toujours eut quelque chose de différent. Il s'était toujours émané de lui une sorte de prestance naturelle, une grâce à la fois féline et bestiale qui contrebalançait sans cesse. Je ne l'avais jamais vu dans de tels vêtements.
Et je ne l'avais jamais autant reluqué qu'en cet instant précis.
Absorbée par la contemplation de sa tenue, je ne m'étais pas rendue compte qu'il s'était rapproché. Son rire grave retenti tout près de moi.
- Tout va bien ? me questionna-t-il.
Je secouais la tête pour moi-même afin de me reprendre tandis que mes joues rouges trahissaient probablement mes pensées. Mais je n'eus pas le temps de répondre car Karenn intervint soudain juste à ma gauche.
- Cela faisait longtemps que vous n'aviez pas portés ces tenues.
Bon sang, je les avaient presque oubliés.
Les garçons se sont regardés avant que le vampire ne prenne la parole.
- C'est vrai. Nous rentrons d'une mission spéciale et Huang Hua va faire un discours important. Nos tenues de cérémonies étaient nécessaires.
- Je ne vous avais jamais vus porter ces tenues, m'étonnais-je, prenant enfin part à la conversation.
- C'est parce que tu n'en as pas eu l'occasion, me dit-il d'un ton presque gêné. Tous les membres de l'Étincelante doivent la porter lors de certains événements. Les insignes sur notre poitrine signifient le nombre d'honneurs que nous avons reçus.
Mes yeux s'accrochèrent aux petites broches qui scintillaient sur chacun d'eux. Lance et Nevra en arboraient tous deux plus d'une dizaine.
Quels exploits avaient-ils pus réaliser pour avoir ainsi été remerciés ?
Il y avait encore tant de choses que je ne savais pas d'eux.
- Et je suppose que vous êtes ceux qui en ont le plus, soulevais-je d'un air narquois.
Les deux se mirent à sourire d'un air suffisant.
- Il faut bien avouer que nous sommes les deux meilleurs guerriers de cet endroit, me répondit Nevra en laissant apparaître ses canines.
- Bah voyons, souffla Karenn tout en levant les yeux au ciel. Chrome est dans l'Étincelante depuis bien moins longtemps que vous, mais je suis sûre qu'il finira par en avoir tout autant. N'est-ce pas mon loulou ?
Ce fut au tour du loup d'adopter une moue presque gênée.
- Oui, mais ces deux-là sont quand même vraiment impressionnants.
Se tournant vers moi, il continua :
- Tu es partie avec eux en mission Andraste, tu as dû t'en rendre compte.
Je me remémorais les derniers événements à Genkaku. Ces deux-là avaient l'habitude d'intervenir ensemble, il n'y avait pas de doute.
- C'est vrai, ils sont vraiment...
En ouvrant la bouche, je me rendis compte du poids du regard de Lance une nouvelle fois planté sur moi, ce qui me troubla une énième fois.
- ... impressionnants, conclus-je tout en le fixant à mon tour.
Les voix de nos amis continuèrent à résonner près de nous, mais ni lui ni moi ne cherchâmes plus à ajouter quelque chose.
Il fallait que je lui parle.
Ce soir.
Le cœur battant à cent à l'heure, je m'approchais alors de lui. Son regard aux nuances irréelles croisa le mien quand je me plantais devant lui.
- Lance, lançais-je par dessus la musique.
Se tournant face à moi, il laissa échapper un fin sourire sur ses lèvres pleines.
- Andraste.
Sans réfléchir, je tendis ma paume dans sa direction et, malgré l'appréhension qui m'animait, j'insufflais le plus d'assurance possible dans ma voix quand je lui proposais :
- Veux-tu m'accorder cette danse ?
À l'entente de ma question, il haussa les sourcils de surprise et de curiosité.
- La petite humaine souhaite danser avec moi ?
« Petite humaine ».
Mon cœur ratait toujours un battement quand il me donnait ces surnoms. Je haussais les épaules d'un air qui se voulait détaché.
- Il me semble que c'est ce qui se fait lors de ce genre de soirées, non ?
- Tu es décidément toujours aussi surprenante, s'amusa-t-il d'une voix bien trop basse par rapport au bruit ambiant, ce qui accentua son aspect grave et chaleureux.
Au lieu de seulement prendre ma main, il enroula délicatement ses doigts tout autour des miens d'un geste à la fois lent et possessif avant de planter ses yeux directement dans les miens, suspendant ainsi le temps.
- Ce serait un honneur de danser avec la plus belle femme de cette soirée.
Puis, sans me laisser le temps de répondre, c'est sans un autre mot qu'il me guida à travers la foule sans jamais lâcher ma main.
Derrière son grand dos, j'évoluais sous les regards curieux des gens qui nous entouraient, visiblement étonnés de nous voir ensemble. Lance et moi, aux yeux du monde, c'était une histoire tabou, voire presque interdite.
Mais, pourtant, j'avais toujours su qu'un jour je ne verrais que lui.
Il s'arrêta finalement avant de se tourner vers moi.
- Est-ce que tu sais danser ?
D'un coup d'œil rapide, j'observais les corps qui se mouvaient tout autour de nous avant de sentir la panique me gagner une nouvelle fois.
- Si je te dis que non ? dis-je tout en serrant ses doigts un peu plus fort. Je n'ai jamais dansé la valse ou quoi que ce soit qui s'en rapproche. Je suis désolée, tu ne dois pas aimer ça non p...
Je m'arrêtais net quand le rire franc du jeune homme résonna entre nous. Relevant les yeux dans sa direction, je restais scotchée devant son hilarité.
- Tu te moques de moi ! râlais-je.
De sa main libre, il essuya le coin de ses yeux humides.
- Non, absolument pas, m'assura-t-il sans se départir de son sourire. Tu es juste vraiment mignonne, c'est tout. Ce n'est pas grave si tu ne sais pas danser, je vais te guider.
Parce que lui, il savait ?
D'un geste sûr, il enroula l'un de ses bras autour de ma hanche puis leva nos mains toujours entrelacées, plaquant nos corps l'un contre l'autre. Sans que je ne m'en rende compte, ses mouvements me guidèrent alors. C'est d'une aisance troublante que Lance réussi à me faire suivre ses pas sans que je n'ai à réfléchir.
- Où as-tu appris à danser ainsi ? le questionnai-je d'un air suspect tandis que nous évoluions avec lenteur sur la piste.
- Malheureusement, être chef de Garde oblige à certaines choses. Outre le fait de devoir porter une telle tenue, on nous apprends également à nous mouvoir sans trop de disgrâce, ironisa-t-il. J'ai suivi des cours il y a bien longtemps, avant même que Miiko ne devienne cheffe de l'Étincelante.
- Tu parles de l'époque du Maître Kaze ?
La surprise se lue immédiatement dans son regard bleu mais il ne stoppa pas pour autant ses gestes qui se mouvaient presque d'eux-mêmes.
- Je ne savais pas que tu en avais déjà entendu parler. Mais oui en effet, il s'agit de lui. Comment connais-tu son nom ?
Je me mordais la lèvre inférieure. Il n'allait pas apprécier ma réponse.
- Je t'ai entendu le prononcer quand j'ai exploré tes souvenirs, expliquais-je lentement. Il était dans la salle du Cristal avec d'autres hommes, il venait de te convoquer. Tu es arrivé juste avant que le souvenir change.
Durant plusieurs secondes, il se mura dans un silence de plomb. Je savais que Lance n'aimait pas le fait que j'ai pu explorer ses souvenirs, même si cela avait été involontaire et, pour sa part, encore totalement inexpliqué.
- Je vois. Il y a une chose que tu ne m'as pas totalement expliquée. Comment est-ce que ça se passe, quand tu parcoures mes souvenirs ? Je veux dire, est-ce que tu es physiquement présente ?
- Eh bien...
Ces souvenirs me ramenaient dans cette même pièce mais des années plus tôt, avant même que je n'arrive sur Eldarya.
- Oui, on peut dire ça. Je suis présente, je peux me voir mais les autres non.
Comme perdu dans ses pensées, les doigts du dragon se mirent à jouer avec le dos de ma robe.
- Je me souviens parfaitement de ce moment. Ça a été la seule fois où le Maître Kaze m'a convoqué de cette manière. Toute la Garde était contre l'idée de m'envoyer là-bas pour diverses raisons, notamment pour le fait que j'étais très jeune et instable pour un chef de Garde, même si l'Obsidienne a toujours connu des personnes imprévisibles. Ce jour-là, j'ai senti un contact. Quand je me suis retourné, il n'y avait personne. Pourtant...
Son regard se planta dans le mien, m'empêchant de détourner les yeux.
- Est-ce que... tu as senti quelque chose ? je l'interrogeais. Comme-si tu avais touché quelqu'un ?
Ma respiration se bloqua un instant dans l'attente de sa réponse.
- Exactement, conclut-il. Maintenant que j'y repense, je ne te connaissais pas encore à l'époque, mais je la reconnaîtrait entre mille.
Sans prévenir, Lance resserra son bras autour de ma taille de sorte à me rapprocher un peu plus de lui. Son parfum s'imprégna tout autour de moi quand il reprit la parole.
- Ce que j'ai senti, c'était ta présence, Andraste. Comment est-ce que c'est possible ?
- Tu as été le seul à sembler me sentir. Lorsque nos bras se sont touchés, tu m'as regardée, expliquais-je d'un haussement d'épaule.
Ses yeux se posèrent un moment derrière-moi, comme perdu dans ses pensées. Quand il revint enfin à moi, un sourire doux illumina soudain son visage.
D'une manière si touchante qu'il en fit battre mon cœur.
- Peu importe la raison de notre lien. Tout ce que je sais, c'est que je suis l'homme le plus chanceux, sourît-il avec fierté.
Scotchée, j'en oubliais de suivre ses mouvements, nous stoppant dans la foule.
- Lance, tu es...
Cherchant mes mots, ma voix se bloqua quand je senti un bref instant son regard dériver en direction de mes lèvres.
Visiblement amusé par mon soudain mutisme, il arqua l'un de ses sourcils.
- Je suis... ?
Puis sans prévenir, il se pencha sur moi jusqu'à venir caresser mon oreille de sa bouche moqueuse.
- Tu peux le dire, que je suis absolument irrésistible, me susurra-t-il d'une voix grave. Mais il faudrait que tu essaies de te retenir d'arracher mes vêtements ici, ça pourrait se montrer fâcheux.
Quand il se redressa légèrement, il ajouta d'un air espiègle :
- Quoi que...
Son rire résonna quand je lui assénai une faible tape sur l'épaule.
- Tu es irrécupérable, soufflais-je tout en me retenant de rire à mon tour. Je vois que tu n'as pas besoin de mes compliments pour avoir confiance en toi. C'est dommage, j'allais dire que tu étais tout juste présentable.
Son rire retenti cette fois-ci un peu plus fort, nous amenant quelques oeillades extérieures.
- Tu me blesse là, mon ange. Je suis profondément touché, mima-t-il une main sur le coeur.
Je ne pus empêcher plus longtemps mes lèvres de s'étirer à leur tour.
Tirant sur sa main qui entourait toujours la mienne, je me rapprochais comme il l'avait fait un instant plus tôt. Ma voix aux intonations suaves vint alors caresser son oreille.
- Très bien, tu as gagné. Je dois bien avouer que tu es incroyablement beau dans cette tenue. Mais laisse-moi te poser une question à mon tour.
- Tout ce que tu voudras.
- Avec combien de femmes est-ce que tu as bien pu danser pour t'en sortir si bien ?
Mais mon ton de reproches sonnait faux. En vérité, j'étais totalement admirative de ce talent que je ne lui connaissais pas.
- Aucune n'était aussi belle que toi, esquiva-t-il.
- Tu ne réponds pas à ma question.
- C'est vrai, mais je maintiens qu'aucune ne t'arrivait à la cheville.
Je ne saurais expliquer pourquoi, mais le voir aussi détendu et joueur me rappela que je ne pouvais plus faire semblant de ne pas savoir.
- Lance...
Ma voix flancha légèrement. Était-ce réellement le meilleur moment pour lui annoncer une telle nouvelle ?
Ou plutôt, y avait-il vraiment de meilleur moment pour le faire ?
- Il y a quelque chose que je voulais te dire...
Lance, ce soir, ton rire illuminait toute la pièce.
Et j'ai souhaité sincèrement que tu ne cesses jamais de me sourire comme tu l'as fait en cet instant..
CHAPITRE 30 : TU EN ES SÛRE ?
Spoiler (Cliquez pour afficher)
- Il y a quelque chose qu'il faut que je te dise...
Ma paume tremblante était toujours posée dans la sienne, ce qui fit froncer les sourcils d'inquiétude au dragon avant qu'il ne me lâche afin de venir enrouler ses longs doigts autour de mon visage.
- Que t'arrive-t-il ?
Son ton était redevenu sérieux, un pli venant barrer son front.
- Je suis désolée, ce n'est probablement pas le bon moment, dis-je en secouant la tête. Je t'en parlerai plus tard.
- Cela fait plusieurs jours que tu es ailleurs, Andraste, je le vois bien. Tu veux qu'on aille en discuter ailleurs ?
Tiraillée entre deux sentiments, je le fixai plusieurs longues secondes. Lance percevait mon doute, je le savais. C'est sans me laisser prendre la fuite que ses mains lâchèrent mes joues afin d'attraper à nouveau mes doigts. Sans un mot, il m'entraîna jusqu'à la sortie de la salle du Cristal.
Ici, les couloirs étaient parfaitement silencieux. Seul le bruit de nos pas résonnait dans ces longues allées vides. Ce soir, tout les habitants du QG s'étaient conviés à la soirée qui se déroulait derrière-nous.
Quand il poussa les portes qui menaient à l'extérieur, j'inspirai une grande bouffée d'air frais à cause de la chaleur qui régnait dans les bâtiments du QG.
Ou peut-être est-ce moi qui avais bien plus chaud que nécessaire.
Marchant tous deux d'un rythme lent, j'en profitais pour laisser courir mon regard absent sur son large dos, celui-ci évoluant quelques pas devant moi. La tête légèrement relevée, je devinais qu'il s'était perdu dans la contemplation de ce ciel étoilé. Lance et moi, jusqu'où allions-nous pouvoir marcher, ainsi ?
Nos routes étaient-elles faites pour s'entrelacer ?
Ou bien, étaient-elles destinées à se séparer...
Quand le son lent des pas du jeune homme cessa de bercer mes pensées, je redressais la tête et me rendis compte que nous étions arrivés au cerisier centenaire. Cet endroit...
Sa voix, aux sonorités bien plus grave qu'habituellement, presque rocailleuse en fait, brisa enfin le silence qui régnait entre nous.
- Une partie des cendres de Valkyon a été dispersée ici, m'informa-t-il d'une voix lointaine, toujours dos à moi. Je n'ai pas eu le droit d'y assister.
L'entente du prénom du dragon de feu me chamboula. Lance n'en parlait presque jamais.
- Je ne viens que très peu ici, continua-t-il. J'ai d'ailleurs m'y plusieurs années avant d'y remettre enfin les pieds. Entre lui et cette statue de toi, ça faisait beaucoup de choses pour lesquelles je ne me pardonnerai jamais. Et puis, parfois, j'ai cette impression de le sentir...
Se tournant enfin face à moi, je pouvais voir ses yeux briller un peu trop vivement sous le clair de lune tandis qu'un tremblement furtif, mais néanmoins bien présent, le parcouru le temps d'une unique seconde.
- Et ça m'apaise autant que ça m'effraie, conclut-il tout en fourrant les mains dans ses poches. Je sais que tu as quelque chose d'important à me dire, Andraste. Je ne sais pas de quoi il en ressort et je doute être prêt à toutes éventualités, mais j'ai besoin de savoir.
Une boule se forma dans ma gorge sous son regard déjà chargé d'émotions.
Ce soir, est-ce que Valkyon nous accompagnait ?
Je l'observais plusieurs longues secondes puis, sentant une brise soulever doucement mes cheveux, je fermais les yeux et inspirais une seconde grande bouffée afin de me donner du courage.
Puis les mots sortirent enfin, lointains, jetant au sol le doux rêve dans lequel nous nous étions confondus.
- Je suis enceinte.
Mes mots, presque tranchants, agrandirent alors le gouffre que nous nous étions efforcés d'oublier. Celui qui nous séparaient, pour tant de faits impardonnables.
Ses yeux s'écarquillèrent, dans lesquels je cru lire une multitude d'émotions contradictoires. Puis ses mains retombèrent dans le vide, mollement.
Presque fatalement.
- Tu...
Comme si tout semblant d'air venait de quitter l'atmosphère, sa phrase resta en suspend.
Longuement.
Alors patiemment, je laissais l'information faire le cheminement dans son esprit.
- Tu en es sûre ? réussit-il enfin à articuler.
Et tout aussi patiemment, je hochais la tête d'un mouvement leste. Ses doigts se perdirent soudain dans ses cheveux tandis qu'un ton de reproches naissait dans sa voix.
- Andraste, je ne peux pas avoir d'enfants et tu le sais.
Nous y étions. Lance était convaincu, et ce jusqu'à présent à juste titre, qu'il ne pourrait jamais enfanter, la race des dragons ayant presque entièrement disparue hormis lui. Comment lui faire écouter ce qu'il avait toujours cru foncièrement impossible ?
Le ventre totalement noué, je m'approchais de lui d'un pas presque implorant.
- Lance, écoute-m...
- C'était pour ça, cette question l'autre jour ? me coupa-t-il, s'éloignant à son tour. Tu étais déjà au courant de ta grossesse ?
Me préparant à ce qui allait arriver, je restais figée devant lui, l'angoisse montant en moi aussi perfidement qu'elle savait le faire. À la fois sournoise, lente et terrifiante.
- Je n'étais pas encore sûre. Mais Lance, laisse-moi t'expliquer...
- Putain, Andraste, je ne peux pas être père ! explosa-t-il soudain, plantant avec virulence ses doigts crispés dans ses cheveux. Et même si par malheur cela pouvait arriver, pour rien au monde je ne souhaiterai transmettre mes gènes pourries ! Je suis défaillant, bourré de tares, railla-t-il d'une voix cassée. Et quand bien même, je ne saurai jamais élever un enfant convenablement. Je ne sais même pas ce que c'est que d'avoir une famille ! Je ne voudrais infliger ça à personne, surtout pas à un enfant innocent.
Sous la virulence de ses mots, je restais interdite, sentant quelque chose se briser en moi.
Comment pouvait-il ressentir une haine encore si profonde envers lui-même...
Puis, me prenant de court, un sourire marqué d'une tristesse infinie naquit sur son visage aux traits totalement fermés, faisant naître un frisson amer le long de ma colonne vertébrale.
- Il est vrai que nous n'avons jamais dit que notre relation était exclusive, j'ai été naïf de vouloir le croire, conclu-t-il d'une voix éteinte.
Estomachée, je l'observais à travers le voile flou des larmes que je peinais de plus en plus à retenir.
- Comment peux-tu insinuer ça ? m'indignais-je alors, sentant mon cœur s'emballer de plus belle. Lance, je n'ai vu personne d'autre que toi ! Je sais que tu as toujours cru ne jamais pouvoir avoir d'enfants et que je n'ai pas d'explication précise, mais je t'assure que c'est bien toi le père et personne d'autre !
Sans prévenir, un rire aussi fugace que désespéré s'échappa du tréfonds de sa gorge, me retournant l'estomac.
- Alors quoi ? me questionna-t-il d'un mouvement las de la main, presque défaitiste. Cela voudrait dire que j'ai réussi à engendrer une atrocité, faite de mes gênes dégénérées, chez la seule femme que j'ai jamais aimé ?
C'en était trop. Beaucoup trop pour que les larmes qui menaçaient de m'engloutir ne finissent pas par y arriver. Mes joues ruisselaient, me noyais dans le flot d'inepties que venait de m'envoyer Lance, celui-ci s'abattant sur moi aussi brutalement qu'une gifle.
Comment pouvait-il parler ainsi de lui ? Se détester de manière si profonde, si abjecte qu'il en vienne à avoir littéralement peur d'avoir un enfant, et ainsi perpétuer ses gênes qu'il décrit comme inaptes et dangereuses ?
Malgré le torrent d'émotions qui m'emportai, je distinguais malgré tout la profonde tristesse qui marquait ses yeux, d'une profondeur angoissante, suffocante. Comment Lance avait-il réussit à rester debout quand même une personne extérieure ne pouvait s'y résoudre une fois s'y être perdu dedans ?
Partagée entre diverses émotions totalement contradictoires, j'ouvrai la bouche quand une voix au ton passablement pressé nous interrompus.
- Chef, vous êtes ici !
Prise au dépourvu, je détournais vivement la tête afin de m'essuyer les joues, ne souhaitant pas afficher mon état désastreux aux yeux du jeune homme que j'avais déjà aperçu discuter avec le dragon.
Énervé d'être ainsi dérangé dans une telle conversation, il se reprit tout de même, non sans venir se frotter énergiquement les yeux de ses doigts toujours crispés.
- Que se passe-t-il, Falco ?
La voix de Lance, soudain alertée, me fit légèrement frissonner.
- Votre présence est demandée immédiatement dans la salle du Cristal, Chef !
Le dragon tourna la tête vers moi, plantant assurément son regard de glace dans le mien, celui-ci n'ayant jamais été aussi froid. La douleur latente que j'avais pu y lire un instant plus tôt avait néanmoins presque totalement disparue, ayant été tue comme il avait si bien l'habitude de faire.
- Très bien, merci Falco. Tu peux disposer.
Après un rapide signe du point contre sa poitrine, le garçon reparti de là où il venait. Sans attendre, le dragon lui emboîta le pas, me sommant de le suivre sans plus me regarder. Je m'exécutais docilement, ne comprenant pas bien ce qu'il se passait, mais au vu de la tension que je pouvais deviner, celle-ci crispant ses larges épaules, je comprenais que quelque chose de probablement grave était en train de se passer.
Il marchait vite, bien trop vite pour moi. À tel point que je me retrouvais rapidement plusieurs mètres loin derrière-lui, mes talons hauts m'empêchant de suivre son rythme. Quand il se rendit compte que je n'arrivais pas à le suivre, il fit volte face et, sans croiser mon regard, il attrapa ma main de la sienne, la tenant fermement, d'une poigne malgré tout légèrement tremblante.
Inestimable, sa main m'offrît son soutien, m'empêchant de trébucher ou de m'écraser au sol. Et plus encore, de sentir sa chaleur qui m'avait déjà tant manquée.
Quand nous entrâmes dans la salle du Cristal, le son de la musique venait tout juste de s'arrêter, plongeant la foule transpirante dans un silence inquiet, celui-ci empli d'un brouhaha fait de conversations encore animées.
Sans nous soucier des personnes autour de nous, Lance m'entraîna à travers la foule presque condensée sans jamais lâcher ma main. C'est dans un même élan que la voix de Huang Hua retenti soudainement sur la scène, résonnant bien plus fort que les autres.
« - Tout le monde, écoutez moi. J'ai une annonce importante à vous faire. »
Cette fois-ci, les sourcils de Lance se froncèrent avec plus de virulence, ce qui ne me rassura pas. Cherchant son regard, je senti mon cœur se mettre à battre encore plus fort.
Lance était vraiment tendu.
- Que se passe-t-il ? osais-je enfin le questionner.
Il ne me regarda pas.
Pas une seule fois.
- Il y a quelque chose d'anormal, m'expliqua-t-il. Huang Hua n'est pas censée commencer son discours maintenant et Nevra n'est plus dans la salle.
« - Je vais demander à tout le monde de rester calme. » continua la jeune femme.
Ramenant son visage à moi, je pouvais distinguer ses traits durcis. Néanmoins, ses yeux s'arrêtèrent juste avant de croiser les miens.
- Viens avec moi.
Ne me laissant pas le temps de réaliser, le dragon m'entraîna une nouvelle fois d'un pas précipité, fendant la foule d'une facilité déconcertante. Sur notre chemin, je croisais les regards inquiets de plusieurs faeries.
- Lance, que se passe-t-il ? répétais-je.
Sans vraiment se retourner, il m'expliqua par dessus les voix qui s'élevaient de plus en plus fort autour de nous :
- Il y a un problème. Je pense que le QG est attaqué.
- Quoi ?!
« - S’il vous plaît, je vous demande de rester ici. Sous aucun prétexte vous ne devrez quitter l'enceinte de la salle du Cristal tant que l'ordre n'aura pas été levé. »
Au bout de plusieurs longues secondes, nous arrivâmes jusqu'à une porte que je n'avais jamais empruntée, celle-ci se trouvant sur le côté de la salle. Ce coin de la pièce étant bien moins rempli, je tournais la tête en arrière, observant le monde qui s'entassait désormais avec colère et incompréhension.
L'arrêt brutal des pas de Lance me firent me retourner vers lui. Surprise, je découvris alors un homme d'une espèce que je ne connaissais pas, aux allures animales, dont la taille était encore plus impressionnante que celle du dragon.
Les deux hommes se saluèrent d'un mouvement bref du menton.
- Un groupe d'hommes a été signalé à l'extérieur du QG, expliqua le colosse. Ils sont pour le moment maintenu par nos sentinelles, mais ils possèdent des armes que nous ne connaissons pas.
- L'équipe est toujours sur place ?
La montagne hocha le menton d'un signe affirmatif.
- Très bien, merci Chester. Occupe-toi de surveiller ici, personne ne doit être blessé.
Se rendant compte de ma présence, le regard de l'inconnu se posa sur moi.
- C'est elle l'humaine ?
Je sentis la tension de Lance augmenter quand il resserra ses doigts autour des miens. Le rire gras de notre interlocuteur me donna des frissons de dégoût.
- Tu ferais bien de faire attention à elle, je crois que ce sont des humains.
À l'entente de ses derniers mots, je levais la tête si précipitamment dans sa direction que je faillit m'en déboîter le cou.
- Des humains ? Vous pensez que ce sont des humains qui sont en train d'attaquer le QG ?
Le regard toujours plus fuyant de Lance termina de m'inquiéter. Ce n'était pas une bonne nouvelle.
Vraiment pas.
- C'est même sûr, ma belle. Le vampire vient juste de sortir par là, ajouta-t-il à Lance d'un mouvement de tête. Il a dit que tu savais quelle était la procédure pour elle.
Pour toute réponse, le dragon hocha vivement la tête avant partir avec précipitation en direction de la porte cachée, m'entraînant avec lui dans sa course. Je pouvais sentir mon poul s'accélérer de secondes en secondes.
- Mais qu'est-ce que des humains font ici ? criais-je par dessus le chaos désormais ambiant. Et pourquoi s'attaquent-ils à nous ?!
- Je t'en avais déjà parlé peu après ton réveil. Quand j'ai été affecté à ta sécurité, je t'ai expliqué que nous avions trouvé des armes humaines aux alentours du QG. Elles n'ont pas apparues d'elles-mêmes sur nos terres comme l'ont fait les bâtiments. Nous pensons qu'ils ont découverts le moyen d'ouvrir des portails, mais comment, c'est une toute autre question.
Je méditais ses paroles, une question trottant malgré tout dans mon esprit.
- Lance, cet homme, qu'à-t-il voulu dire par « la procédure pour elle » ?
Soudain, il s'arrêta brusquement au détour d'un couloir, me faisant presque basculer en avant comme sa main me stoppai. Se tournant face à moi, je pu distinguer sa mâchoire se serrer tandis qu'il déglutissait. Ses yeux restèrent fuyants.
- Tu le sais, Huang Hua m'a demandé de m'occuper de ta sécurité. S'il s'agit vraiment d'humains, il y a de fortes chances que leur présence ici ait un rapport avec toi, m'expliqua-t-il tout en serrant ses doigts un peu plus fort aux miens. Mais ne t'en fais pas, je ne te laisserai pas seule.
Puis nous reprîmes notre course, nous retrouvant dans un couloir que je ne connaissais pas. Sans aucune hésitation, Lance bifurqua sur sa gauche avant de nous entraîner dans un escalier étroit. Quand il poussa le battant en bois tout en bas des marches, je restais stupéfaite d'atterrir dans la forge, le quartier général de l'Obsidienne.
- Depuis quand ce passage existe ?
Pour la première fois, Lance lâcha enfin ma main, me plantant devant la porte dérobée. Il me répondit tout en parcourant la pièce en de grandes enjambées.
- Tu n'y a probablement jamais fait attention, mais le QG est battit comme une forteresse. Il comporte de nombreux passages qui ne sont connus que de l'Étincelante et de ses soldats.
En même temps qu'il me parlait, le jeune homme retirait des armures de diverses endroits de la pièce, sachant pertinemment où chercher. Posant le tout sur la table centrale, il me fit signe de le rejoindre.
- Princesse, tu as beau être incroyable de perfection dans cette tenue, il va falloir que tu retires tes vêtements.
Je restais muette de stupéfaction.
Je devais faire quoi ?
CHAPITRE 31 : IL VA FALLOIR QUE TU RETIRES TES VÊTEMENTS
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Je le regardais, littéralement bouche bée.
- Que je... quoi ?
Et puis, c'était quoi ce soudain nouveau surnom ?
Il souffla, comme si ma question, en outre totalement légitime, l'irritait de quelque manière que ce soit.
- Comme je te l'ai dit, si des humains sont ici, il y a de fortes chances que ça ait un rapport avec toi. Je ne peux pas te laisser dans la salle du Cristal avec les autres habitants. Ce serait trop dangereux, à la fois pour toi que pour eux.
Me montrant les vêtements et armures posées sur la table, il continua :
- Sauf que tu vas devoir rester avec moi. Et même si tu as beau être... plus que magnifique dans cette robe, il va falloir que tu enfiles quelque chose de plus pratique. On a très peu de temps, il va falloir se dépêcher.
J'acquiesçais d'un mouvement de tête, troublée par les mots qu'il employait pour me décrire.
Comme si, après s'être dénigré, il cherchait à me placer sur un piédestal, agrandissant alors le gouffre qui nous séparait, se prouvant ainsi qu'il n'en valait probablement pas la peine et que sa réaction catégorique ne pouvait être que justifiée.
Mais je n'étais pas d'accord avec cette méthode.
- Très bien, soufflais-je alors avec humeur.
Sans plus attendre, je retirais mes talons hauts tout en m'appuyant sur le rebord en bois, perdant ainsi de nombreux centimètres. D'un coup de pied, je les envoyaient valser sous la table puis m'attaquais aux nombreuses ficelles dans mon dos qui maintenaient ma robe. Feignant de m'ignorer, Lance en fit de même, retirant à son tour ses épaulettes dorées ainsi que l'écharpe rouge qui le longeait. Sa veste blanche suivie rapidement la même trajectoire.
Toutes les ficelles défaites, je laissais glisser le tissu souple le long de mon corps, découvrant ainsi mes sous-vêtements en dentelle. Quand il toucha le sol, je dégageai mes pieds d'un mouvement sec.
Tandis qu'il attachait les armures sur son grand torse, je remarquai que les yeux du dragon dérivèrent malgré-eux sur moi, s'attardant sur mes courbes, allumant une flamme probablement involontaire au creux de ses pupilles. Puis il baissa la tête, se raclant par la même occasion la gorge d'un mouvement mal-assuré, avant d'attraper l'attirail posé face à lui.
- Qu'est-ce que je dois mettre ? le questionnai-je.
Les mains pleines, il fit le tour de la table avant de s'arrêter face à moi, me surplombant tout à coup de toute sa hauteur. Et, pour la première fois depuis que Falco nous avait interrompu, il planta enfin ses yeux dans les miens.
D'une intensité qui m'en laissa sans voix.
Malgré les barrières qu'il s'efforçait à maintenir constamment autour de lui - les érigeant comme si elles n'étaient plus que sa seule bouée de sauvetage, son seul maintient hors d'une étendue d'eau chaotique, dévastatrice, qui l'emporterait sûrement dans ses profondeurs s'il n'y prêtait pas garde - je devinais une multitudes d'émotions quand son regard s'arrimât au mien.
Sa poitrine se souleva, comme s'il inspirait un grand coup avant de plonger sous l'eau noire, me maintenant en haleine. Puis, finalement, ses yeux s'arrachèrent avec dureté des miens avant de redevenir fuyants.
Et mon cœur sembla étouffer.
- C'est seulement une tenue plus adaptée mais un peu compliquée à enfiler quand on ne connaît pas. Mes équipes sont déjà sur place. Avec une soirée comme celle-ci, il est toujours préférable de surveiller les alentours, mais il faut que nous soyons dans de meilleures conditions en cas de combat. Je ne sais pas comment ça se passe dehors et je préférerais que tu coures le moins de risque possible.
Sa voix s'érailla à plusieurs reprises durant sa tirade, ce qui caressa étrangement mes oreilles.
Car il perdait clairement ses moyens...
À la suite de ses mots, le dragon me prise au dépourvu en s'accroupissant devant moi, le vêtement dans ses mains. Je relevais les sourcils de stupeur.
- Lance, tu as conscience que je suis suffisamment grande pour réussir à m'habiller toute s...
Mais la fin de ma phrase mourut sur mes lèvres quand ses doigts, si frais, s'enroulèrent délicatement autour de mon mollet. D'un geste sûr, il souleva alors ma jambe afin de m'aider à enfiler l'ensemble. Quand il eut fini de s'occuper de la seconde, ses doigts s'attardèrent juste derrière mon genoux, caressant peut-être sans s'en rendre compte la peau si fine de cet endroit, ce qui fit naître une chair de poule irrépressible sur tout mon corps.
Et évidemment, Lance le remarqua.
Un instant, ses yeux fixèrent mes jambes, celles-ci rendues si blanches dans ses grandes paumes au teint bronzé, et je cru distinguer un faible sourire étirer le coin de ses lèvres avant qu'il ne fasse remonter le tissu souple le long de mes cuisses. Dans un même élan, il se redressa face à moi, stoppant la course de ses mains juste sur mes hanches, frôlant mon ventre.
Le dragon commença alors à attacher le vêtement, faisant le tour de mon corps de ses bras avant de ramener les lacets sur mon ventre. Se tenant ainsi près de moi, probablement beaucoup trop près d'ailleurs, je pouvais sentir son souffle frais sur ma poitrine qui se soulevait de plus en plus rapidement.
Et je devais bien avouer que sa fraîcheur était la bienvenue parce que, depuis quelque secondes, je commençais à avoir vraiment chaud.
Par l'Oracle, est-ce que Lance avait conscience que sa façon de m'habiller était presque aussi ambiguë, voire passablement érotique, que celle qu'il avait de me déshabiller ?
Malgré tout, aucun de nous ne brisa ce silence placide dans lequel nous nous étions mis d'accord, seul le bruit des lacets qu'il tiraient résonnant dans la pièce. Le voir s'occuper ainsi de moi accaparait toute mon attention, à tel point que je ne prêtais guère attention aux petites décharges qui parcourraient ma peau à chaque fois que ses doigts habiles m'effleuraient.
Des décharges étonnement froides, d'ailleurs, bien différentes de celles habituelles...
Ses gestes étaient sûrs, il savait comment enfiler ce genre d'armure en un temps record. Pourtant, je sentais l'attention qu'il donnait à sa tâche, comme cherchant à ne pas me faire mal. Et, peut-être l'avais-je rêvé, mais j'étais persuadée d'avoir senti ses doigts s'attarder un instant contre mon ventre. Son pouce caressa d'une manière infiniment douce ma peau à cet endroit précis, ce qui fit naître une nouvelle émotion en moi.
Je ne pus retenir mon cœur de s'emballer. Cette proximité, juste à la suite de ses paroles houleuses, me rendait plus que confuse et je savais que lui aussi. Comment étions-nous censé nous comporter l'un envers l'autre après tout ça, au juste ?
Mais cette distance, c'était Lance qui l'avait instaurée, et lui seul. Et malgré tout, ses paroles m'avaient blessée, heurtée au plus profond de moi-même.
Alors je ne fis rien. Rien d'autre que l'observer attentivement.
Finalement, ce moment prit fin à un moment donné, me laissant un goût d'amertume dans la bouche. Toujours muré dans un silence de plomb, Lance m'avait aidée à enfiler le haut en un temps record, vraisemblablement soulagé de n'avoir plus que mes yeux à éviter. En seulement quelques secondes, j'étais recouverte de haut en bas.
- Très bien, nous pouvons y aller, me signifia-t-il d'une voix enrouée, déglutissant péniblement.
Ce n'était pas le moment de l'aborder à propos de ce sujet, j'en avais bien conscience. Pourtant, mon cœur se serra douloureusement.
- Surtout, ne t'éloigne pas de moi et tache de toujours rester dans mon champ de vision.
Encore dans les vapes de ce moment étrange, je hochais la tête pour lui faire signe que j'avais compris.
Il fallait que je me ressaisisse.
Le dragon m'entraîna en dehors du hall. Traversant précipitamment la place du marché affreusement calme, nous arrivèrent finalement jusqu'aux jardins du QG.
Soudain, plusieurs voix commencèrent à résonner non loin de nous. Lance et moi échangeâmes un rapide regard avant de nous diriger avec discrétion jusqu'au portail d'entrée du QG.
- Du calme. Tout ce que nous demandons, c'est de rencontrer l'humaine. Celle que vous appelez « Élue de l'Oracle ».
Je me figeai sur place, interdite.
Comment des humains pouvaient-ils avoir entendu parlé de mon existence ? La potion de Miiko m'ayant normalement effacée de chaque mémoire.
Ou alors, pour cela, il fallait au moins qu'ils aient eu un vrai contact avec des faeries, ce qui n'était pas censé être le cas... non ?
La voix de Nevra s'éleva soudain, calme et réfléchie.
- Et que lui voulez-vous, au juste, à « l'Élue de l'Oracle » ?
Il accentua son intonation sur ses derniers mots, reprenant ceux qu'ils avaient employés. Je me penchais afin de mieux observer la scène. L'un des hommes, probablement celui qui venait de parler, releva un sourcil en s'attardant sur Nevra, puis un faible sourire étira ses lèvres fines.
- Nous souhaitons seulement discuter avec elle, rien de plus. Mais vous, le vampire, devriez être plus ouvert à nous aider à la rencontrer... je me trompe ?
Que...
Que voulait donc dire l'homme par là ?
Malgré la très faible luminosité, la nuit étant tombée depuis déjà plusieurs heures, j'arrivais tout de même à distinguer la mâchoire du dit concerné se serrer subitement. Avant de laisser échapper un faible rire mauvais.
- Vous avez l'oeil. Je suis bien un vampire, vous avez raison. Mais ça, c'est peut-être à force de fréquenter ceux de ma race, je me trompe ?
Nevra jouait avec eux, semblant s'amuser à détourner leurs questions pour ne pas leur fournir de réponse concrète. L'homme ne chercha même pas à cacher la lueur d'amusement qui brillait au fond de ses yeux.
- Je ne peux réfuter que les vampires de Yaqut nous sont bien connus, en effet. Mais je suis tout de même étonné d'en rencontrer un ici, étant donné ce qu'ils... enfin, peu importe, coupa-t-il d'un geste de la main, comme s'il repoussait une quelconque information qu'il jugeait tout à coup inutile. Nous sommes là pour une toute autre chose et il ne serait pas nécessaire de s'attarder plus que de raison. Alors, reprit-il d'un air plus sombre, l'humaine, où est-elle ?
Un frisson me parcourue soudain tant son expression venait de changer. À mes côtés, je senti Lance se crisper à son tour.
Je savais qu'il devait rejoindre Nevra mais que ma présence le freinait...
- Je pense malheureusement que ce ne sera pas possible, reprit le vampire. Je ne sais pas ce que mes semblables ont pu vous dire, mais sachez qu'ils ne sont pas vraiment réputés pour être dignes de confiance. Alors, si vous voulez bien...
Ne le laissant pas terminer sa phrase, celui qui devait être le chef du groupe des humains leva subitement ses bras devant lui, immédiatement suivi par tous ses hommes, maintenant fermement un pistolet dans ses mains gantées de noir directement vers Nevra.
- Très bien, s'il faut en passer par la manière forte, nous n'hésiterons pas...
Mon sang ne fit qu'un tour.
Échappant à la vigilance de Lance et ne répondant plus de rien tant l'angoisse venait de s'enrouler autour de moi, je m'élançais en de grandes enjambées en direction des deux hommes qui se toisaient désormais, mes oreilles bourdonnant sous les coups violents de mon poul déjà désordonné.
- NON, NE TIREZ PAS !
L'homme se figea alors, l'arme toujours pointée directement vers Nevra - qui ne bougeait pas d'un iota.
- C'est moi, continuai-je, totalement essoufflée par l'affolement qui m'avait engloutie toute entière. C'est moi que vous cherchez. Je suis l'humaine, ou l'Élue de l'Oracle.
M'attrapant vivement le poignet, le vampire souffla entre ses dents serrées :
- Andraste, à quoi est-ce que tu joues, là ?
- Et toi alors ? Il s'agit d'une arme bien plus dangereuse que toutes celles que vous pouvez posséder sur Eldarya, elle pourrait te tuer en un seul coup !
- Ça, c'est mon problème, pas le tien.
Quoi ?!
Un rire presque malsain nous interrompu.
- Et bien, voilà ! Vous voyez, ce n'était pas si compliqué, en fin de compte.
Quand je me retournai pour lui faire face, je fus étonnée de tomber directement sur un immense dos aux épaules larges, totalement crispées.
- Que les choses soient bien claires, gronda Lance juste devant moi, d'une voix si inquiétante que même l'homme en frissonna. À aucun moment vous ne vous approchez d'elle, c'est bien compris ?
- Ola, tout doux, rit nerveusement son interlocuteur tout en baissant finalement son arme, relevant ses mains en l'air pour prouver une innocence feinte. Je vois qu'elle n'est pas fournie sans le chien de garde qui va avec. Mais ce n'est pas grave, c'est qu'elle doit être plutôt précieuse.
Soudain, une vive lumière froide retenti un peu plus bas, attirant mon regard. La glace de Lance. Elle pulsait littéralement contre ses paumes, s'enroulant autour de ses longs doigts et de son poignet.
L'homme ne pu s'empêcher d'afficher une moue stupéfaite avant de tenter de se reprendre.
- Je suis le chef ici, c'est donc à moi qu'il va falloir s'adresser, intervint Nevra en s'avançant à son tour, sentant que les nerfs du dragon le lâchaient. Et votre intervention, en pleine nuit et, qui plus est, le soir d'un événement spécial, est loin de me prouver de la valeur candide de vos intentions. Alors, à moins que vous ne soyez pressés, il va falloir commencer par nous expliquer vos motivations.
L'homme eut un regard mauvais, comme réellement agacé par la tournure des événements. Puis il capitula, rangeant son arme dans son étui, juste au niveau de sa hanche.
- Malheureusement, nous sommes en effet très pressés. Voyez-vous, nous n'arrivons pas encore à maintenir les portails ouverts aussi longtemps que nous le souhaiterions et cette conversation s'éternise un peu trop à mon goût.
Se tournant vers moi, accrochant mon regard malgré les deux hommes qui se dressaient entre nous, il ajouta :
- C'est Charles qui nous envoie, lâcha-t-il, ses mots se répercutant comme une bombe à retardement en moi. Il dit que tu sauras de qui il s'agit. Ce qu'il souhaite, c'est pouvoir s'entretenir avec toi. Sur Terre.
Puis il se détourna de mes yeux pour s'adresser aux faeries qui lui faisaient face, l'air résolu.
- Nous reviendrons dans deux jours, à la même heure. Et j'ose espérer que le beau peuple d'Eldarya sera plus... enclin, à discuter.
Lentement, le groupe d'homme commença à reculer, avant de finalement nous tourner le dos et de disparaître dans la forêt qui bordait les murs du QG.
Lance et Nevra ne bougèrent pas immédiatement, le regard droit fixé en direction de l'orée des arbres.
- Je dois rejoindre Huang Hua pour lui faire un rapport immédiat, je te laisse te charger du reste, souffla le vampire en direction de son second.
S'apprêtant à partir, il lui tourna le dos avant d'hésiter un instant. Finalement, il planta une main sur son épaule afin de lui glisser quelques derniers mots, beaucoup plus bas.
- On va tout faire pour qu'il ne lui arrive rien, tu le sais.
Puis il le tapota d'un geste amical.
- Tâche de te reprendre.
Quand Nevra s'éloigna enfin, la voix de Lance résonna durement, s'adressant aux membres de l'Obsidienne tout autour de nous.
- Retournez à vos poste immédiatement. Aucun millimètre du QG ne doit être oublié.
À la suite de son ordre, toute l'équipe se dissout alors, retournant d'où ils venaient. Peu à peu, les bruits de pas s'éteignirent dans notre dos, pourtant Lance ne bougeait toujours pas, restant résolument tourné dos à moi.
Ce qui fit monter le malaise entre nous.
Ne sachant trop quoi dire ou faire, j'attendis patiemment qu'il se décide enfin à... je ne sais pas, esquisser un geste, dire quelque chose ?
Sans prévenir, sa main remonta pour une énième fois de la soirée jusqu'à son visage, venant ainsi frotter avec ardeur ses yeux d'un geste tendu.
- Putain... jura-t-il sourdement. Sérieusement, qu'est-ce qu'il t'a pris, de te jeter directement dans leur piège ?!
Indignée, je sentais la colère affluer à mon tour. Cela faisait beaucoup trop de fois pour une seule soirée que Lance s'emportait contre moi.
- Ils allaient tirer sur Nevra, je te rappelle !
N'arrivant plus à se retenir, il se retourna vivement face à moi, la colère grondant au fond de ses yeux.
- Et alors quoi ?! s'emporta-t-il encore plus. Tu comptais le protéger de ton corps, peut-être ? Nevra est un vampire et un des meilleurs soldats que je connaisse, il aurait forcément réussit à s'en sortir. Mais toi, qu'est-ce que tu aurais fait, s'ils avaient vraiment tiré ?!
- C'était le seul moyen de l'en empêcher et tu le sais ! Tu ne connais pas les humains comme je les connais, tu ne peux pas savoir à quel point ils sont perfides, froids et prêts à tout pour atteindre leur but ! Ils auraient forcément laissé un souvenir avant de partir, quitte à en descendre certains d'entre nous juste pour la forme !
Avec énergie, il attrapa douloureusement mon bras avant d'ajouter, d'une voix sourde et lourde de reproches :
- Et le bébé, tu y as pensé ?!
J'écarquillai les yeux, prise au dépourvu, m'attendant à tout sauf à ces mots-là.
- Tu es enceinte, bon sang ! Si tu tiens vraiment à le garder, fais au moins l'effort de faire attention à toi ! Et s'il t'était arrivé quelque chose, tu y as pensé, à ça ?
- Je...
En fait, j'en restais sans voix. Quel était ce chantage étrange que Lance était en train de me faire ? Et pourquoi s'emportait-il autant, s'inquiétait-il à ce point pour une chose qu'il m'avait bien fait comprendre ne pas vouloir ?
Cela n'avait plus de sens...
Bien trop dépitée, ma colère retomba comme un soufflé quand je vis une nouvelle fois, ses yeux s'emplir de milles émotions bien trop insoutenables pour une seule personne.
- Lance, je... je vais faire plus attention, je te le promets, articulais-je avec difficulté. Il ne... il ne nous arrivera rien, à moi et au... bébé.
Il resta plusieurs secondes perdus dans mon regard, semblant soudain à la limite de craquer complètement quand il se rendit compte, avec une pointe de panique, de la virulence avec laquelle il avait serré mon bras. Quand ses doigts se détachèrent, une vive douleur m'envahît en même temps que la trace de son immense main marquait ma peau, mais elle ne me fit pas aussi mal que le regard qu'il me lâcha à ce moment-là.
Un regard totalement horrifié, glacé par l'effroi de son geste trop brusque.
- Putain, quand je te dis que je ne peux pas être père, Andraste... s'étrangla-t-il en reculant.
CHAPITRE 32 : UNE PARTIE DE TOI
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Mon bras retomba dans le vide, brûlant de douleur là où Lance l'avait serré trop fort. J'aurai probablement dû être terrifiée par son geste, remontée envers lui et ses paroles idiotes ; presque abjectes, vouloir le frapper ou au moins riposter à ses injures blessantes.
Pourtant, je n'y arrivais pas.
Évidemment, tout cela me révoltai, j'en convenais bien, mais...
Mais il avait une nouvelle fois ouvert la brèche, probablement totalement inconsciemment, sauf que le fait était bien là. Même s'il me criait le contraire, le dragon me faisait comprendre que l'idée avait déjà commencé à germer dans son esprit. Et sa colère, aussi virulente qu'injustifiée, ne faisait que le confirmer.
Lance avait été terrifié à l'idée qu'il nous arrive quelque chose, au bébé et à moi, c'était aussi simple que ça. Et même si sa méthode n'était clairement pas la bonne - je n'étais d'ailleurs pas en reste pour savoir que la mienne ne l'avait pas été non plus - au moins, il y accordait de l'importance. Une réelle importance.
Malgré la douleur criante dans mon avant-bras, j'avançai à mon tour vers lui, lui faisant légèrement écarquiller les yeux.
- Il est peut-être encore un peu tôt pour donner de telles conclusions hâtives, tu ne crois pas ?
Il cilla à plusieurs reprises, ce qui lui conféra un air juvénile qui me troubla. Puis sa carapace dure, imperméable et froide se reforma, m'empêchant de l'atteindre un peu plus.
Il détourna le regard, fixant un point au loin derrière-moi.
- Tu devrais rentrer, maintenant. L'ordre a déjà dû être annoncé à tous les habitants du QG, mais personne ne doit rester dehors tant que la zone n'a pas été entièrement sécurisée.
Je me mordais l'intérieur de la joue, désormais vraiment énervée qu'il stoppe ainsi la conversation.
- Et... pense à aller voir Eweleïn, demain, pour ton bras, ajouta-t-il avec ce qui ressemblait à de la honte. J'espère que tu n'as rien, je suis désolé.
Je détournais la tête et soufflais longuement, ne trouvant plus rien à y répondre tandis qu'il se détournait de moi pour fermer le grand portail qui donnait accès aux plaines.
Le cœur lourd, je regagnai ma chambre.
*
Je tournais en rond dans ma chambre depuis bien trop longtemps pour ne pas avoir l'impression de devenir folle, les mains moites, passablement tremblantes d'appréhension, me remémorant en boucle notre conversation désastreuse à la suite de ma révélation, bien trop abrupte et directe pour lui qui n'était bien entendu, pas près à entendre une telle nouvelle. Par la suite, ses gestes plus doux, voire même attentionnés, quand il m'avait aidée à enfiler une tenue plus adaptée. Et enfin, ses dernières paroles, passablement cinglantes, résonnant encore dans mon esprit.
« Quand je te dis que je ne peux pas être père, Andraste... »
Bon sang, mais comment les choses avaient-elles pu évoluer ainsi ? Et comment Lance faisait-il pour se montrer aussi contradictoire ?!
Mes pas se stoppèrent brutalement alors que je me frottais vivement le coin des yeux de mes doigts, un geste que Lance faisait souvent quand il était tendu. Puis, n'en tenant plus, j'ouvrais à la volée la porte de ma chambre afin de m'engouffrer dans le couloir devenu étrangement calme de cette soirée mouvementée.
Je savais que Lance avait regagné ses appartements, je l'avais entendu discuter avec l'un de ses soldats. Et il fallait que je le vois, séance tenante.
Alors, bien trop rapidement pour que mes pensées ne parviennent à devenir suffisamment claires pour que je réussisse à lui tenir un discours, disons, dans la limite correct, je me retrouvais devant sa porte, la main en l'air et les idées embrouillées. Un peu plus tôt, le dragon avait pourtant été on ne peut plus clair : il ne voulait pas d'enfants.
Ni maintenant, ni jamais.
Mais voilà, aussi invraisemblable et horrible que celui pouvait paraître à ses yeux, nous en étions là. Et je ne pouvais décemment pas rester sur ces mots ; crus, presque cruels, qu'il avait employé envers cette nouvelle et envers lui-même.
Mes phalanges s'abattirent sur le bois froid, toquant deux coups secs.
Je restais plusieurs secondes à attendre, tendant l'oreille afin d'essayer de distinguer le moindre son provenant de l'intérieur de la pièce, mais seul le silence me répondit. Je réitérais alors l'opération, cette fois-ci avec un peu plus de conviction dans mon geste.
Mais peut-être pas dans ma voix, qui elle commençait déjà à flancher dans mon chuchotement à peine audible.
- S'il te plaît, j'ai besoin de te parler...
Une profonde tristesse m'envahît soudain, s'enroulant autour de mon cœur, m'empêchant de respirer normalement, quand une idée sournoise se dessina dans mes pensées. Et s'il avait décidé de ne plus jamais me parler ? Et si cet obstacle se montrait réellement insurmontable pour lui et notre relation ?
Subitement, des longs doigts fins et mâts apparurent dans mon champ de vision, s'enroulant prestement autour de mon poignet afin de m'empêcher de venir écraser une nouvelle fois mes phalanges bien plus fort que nécessaire sur la porte de sa chambre. Et je ne bougeais plus, ne me retournais pas non plus, même quand les étincelles qui ne tardaient jamais de venir fourmiller sur nos peaux se manifestèrent, bien plus vives et froides qu'habituellement. Nous restâmes juste... comme ça, sa main supportant mon poignet et son souffle, étrangement désordonné, jouant dans mes cheveux. Puis, après ce qui me paru une éternité, il rabaissa finalement son bras, m'entraînant par la même occasion jusqu'à retomber dans le vide, sans me lâcher pour autant.
D'un geste... las.
Comme épuisé.
- Andraste, qu'est-ce que tu fais là ? me questionna-t-il d'une voix profonde, marquant tout de même un certain étonnement.
Maintenant qu'il était là, que sa voix, aux intonations habituellement si graves et chaleureuses, me caressait de son courant froid, j'en restais muette, incapable de lui expliquer quoi que ce soit.
Dans mon dos, il eut un soupir profond, presque contrit, avant de lâcher mon poignet et d'ouvrir la porte face à moi. Sans aucune autre forme de politesse, il me contourna afin de s'engouffrer dans la pièce tout en allumant la lumière au passage. Puis il se dirigea vers le fond sans m'adresser un regard, laissant malgré tout le battant grand ouvert, m'invitant ainsi à le suivre silencieusement.
J'entrai alors dans cette pièce aux milles souvenirs, dans laquelle Lance et moi nous étions découverts pour la toute première fois. Je refermais derrière-moi, laissant malgré moi mes mains sur la poignée dans mon dos, n'arrivant pas vraiment à me décoller de son entrée - ou bien de sa sortie, je ne savais plus trop.
Sans un mot, le dragon retira ses armures, les déposant sur une étagère non loin de lui. Une fois lesté de ces poids, il fit rouler ses épaules sous le tissu de son vêtement d'un mouvement souple avant de me tourner le dos et de le retirer totalement. J'observais pensivement la lumière jouer sur les muscles de son dos tandis qu'il enfilait un haut plus décontracté.
Finalement, il se tourna vers moi tout en soufflant bruyamment avant d'enfin venir planter son regard dans le mien.
- Tu peux entrer, tu sais. Enfin, tu peux te décoller de la porte, j'entends, me dit-il en relevant l'un de ses sourcils.
Je ne m'étais même pas rendu compte que mes doigts avaient tant serrée la poignée quand ils la lâchèrent enfin...
Laissant retomber ma main, j'avançais de plusieurs pas jusqu'à m'arrêter à son niveau. De près, ses traits étaient déjà tirés par la fatigue.
- Comment va ton bras ? me questionna-t-il d'une manière étrangement peu assurée. Tu as pu voir Eweleïn ?
Je haussais les épaules en retour.
- Je n'en ai pas eu besoin. Tu l'as seulement serré un peu fort, ce n'était pas si grave que ça.
Il détourna la tête en serrant la mâchoire, s'en voulant visiblement toujours pour son excès de force un peu plus tôt.
- Vous avez décidé de quelque chose par rapport aux humains, avec Huang Hua ? tentai-je pour briser le silence pesant qui s'installait, ne sachant pas réellement par où commencer.
Il souffla une nouvelle fois.
- Nous ferons une réunion demain à ce sujet-là. S'ils reviennent vraiment dans deux jours comme ils l'ont annoncés, il va falloir se préparer à toutes éventualités. Tu vas devoir être prête.
Mes yeux se posèrent longuement sur les livres qui ornaient les bibliothèques en face de moi, me repassant en boucle les paroles de ces hommes.
- Ils ont d'ailleurs mentionné un nom censé être de ta connaissance, reprît-il. Est-ce que ça te dit quelque chose ?
Je revenais à lui, la voix légèrement troublée.
- Charles, c'est le nom de mon père.
Il cilla, ne s'étant visiblement pas attendu à cette éventualité.
- Ils ont d'ailleurs évoqué le fait que je me rende sur Terre pour discuter avec lui, mais je croyais que les portails étaient quasiment impossibles à ouvrir.
- Il est hors de question que tu te rendes là-bas, trancha-t-il soudain.
Je l'observais, interloquée.
- Mais s'il s'agit vraiment de mon père...
- Il en est hors de question, Andraste ! s'emporta-t-il en se pinçant l'arrête du nez. Personne sur Terre n'est censé se souvenir de toi, tu te rappelles ? Alors comment est-ce qu'il le pourrait ?
- Mais il faut que je sache s'il s'agit bien de lui ! Il s'agit quand même de mon père, Lance... Et de toute façon, tu penses vraiment qu'ils partiront bien sagement sans rien avoir obtenu de ce qu'ils étaient venus chercher ?
Son regard redevint dur, il était visiblement implacable sur ce sujet-là.
- À partir du moment où ça te concerne, de près ou de loin, ils n'obtiendront rien du tout, en effet.
Mes épaules retombèrent lourdement. J'étais fatiguée de me disputer continuellement avec lui, ce soir...
Sans que je ne m'en rende compte, des larmes - de fatigue, de colère ou peut-être d'abandon, tout simplement- ont alors commencé à naître au coin de mes yeux. Je voulais répondre mais rien ne réussi à sortir. En fait, il y avait tellement de choses que j'avais besoin de lui dire que ça m'en obstruait la gorge, je ne savais même plus par où commencer.
- Andraste...
- Lance, tu ne peux pas tout décider pour moi, le coupais-je abruptement. Ni pour ça, ni pour le reste. Et j'ai déjà pris ma décision.
Je le vis fermer vivement les yeux, comme si mes derniers mots lui étaient impossible à entendre. Puis il les rouvrit, regardant le vide près de lui.
- Tu comptes avoir cet enfant, n'est-ce pas ? me questionna-t-il d'une voix faible, connaissant déjà parfaitement la réponse. Même s'il possède réellement mes gènes ?
Et j'acquiesçais, tout simplement parce qu'au fond de moi, je savais déjà pertinemment que rien n'aurait pu me soustraire à cette idée.
- Mais j'aimerai.... que toi aussi, tu le veuilles. Que toi et moi, on fasse ce chemin ensemble.
Tout à coup, le dragon s'avança vers moi et d'une main, il me repoussa afin de venir me plaquer soudainement contre le meuble dans mon dos, m'emprisonnant de ses bras. Il vint alors s'appuyer contre le bois près de mon visage tandis que son autre main s'enroulait juste à la base de mon cou.
- N'oublie pas qui je suis, bon sang ! me reprocha-t-il entre ses dents serrées, une lueur de tristesse profonde marquant ses pupilles. Je ne peux pas être le père de ton enfant, c'est tout bonnement impossible ! Combien de fois t'ai-je fait du mal ? Combien de fois est-ce que j'ai essayé de te tuer ?!
Il s'étrangla sur ce dernier mot, les larmes menaçant déjà d'inonder ses yeux trop brillants.
Sur ma peau fine, ses doigts se crispaient, se tordaient.
Mais je ne sentais qu'une caresse peut-être un peu trop désespérée.
- Je n'ai pas le droit d'être père, Andraste ! Et si je redevenais comme avant ? Et si un jour je petais à nouveau les plombs ? J'ai toujours une peur vicieuse et monstrueuse qui s'empare de moi quand je te touche, quand tu me fais confiance.
Les bras étendus le long de mon corps, écrasée par le poids de l'homme que j'aimais, j'étais affablée par ses cris pourtant faibles qui me perçaient le cœur.
Probablement sans s'en rendre compte, les doigts de Lance quittèrent la base de mon cou afin de se loger plus proche de ma nuque, ne pouvant s'empêcher de laisser libre court aux mouvements de son pouce.
- Et si je faisais du mal à notre enfant ? s'évertua-t-il dans un murmure presque inaudible, s'apparentant presque à un sanglot. Et si je n'étais pas capable de me contrôler ?
- Lance...
Je fermais les yeux, le cœur lourd de sentiments. Il venait de le dire.
« Notre enfant ».
Quand l'une de ses larmes s'écrasa contre ma joue, son corps me surplombant de toute sa hauteur, je prenais enfin conscience que les miennes étaient déjà ruisselantes. Avec lenteur, ma main remonta jusqu'à son poignet autour de moi, laissant courir un faible courant d'énergie entre nous.
- Qui essaies-tu de convaincre en faisant ça ? le questionnai-je soudain.
Ses yeux, aux lueurs rendues encore plus irréelles par ses larmes, clignèrent alors rapidement. À chaque fois que ma bouche s'ouvrait, je sentais sa respiration se couper.
Pourtant, ce n'était pas sa gorge qu'il enserrait.
D'ailleurs, était-ce même le bon mot ?
- Est-ce que c'est moi ou bien toi que tu cherches à convaincre ? Parce que ton numéro d'intimidation...
Malgré ses doigts puissants, j'étais sûre que ma peau si blafarde à cet endroit n'avait pas prit la moindre rougeur.
- ...serais-tu seulement capable de le faire ? ajoutais-je en roulant à mon tour ma main autour de la sienne.
Parce que ses doigts crispés m'effleuraient à peine.
Choqué, il retira vivement son bras, le laissant glisser jusque dans le vide, puis il s'éloigna de moi afin de se laisser retomber sur le lit derrière-lui, laissant choir mollement ses paumes entre ses jambes tandis qu'il appuyait ses avants-bras sur ses cuisses.
- Tu sais bien que non...
- Alors tu vois que tu n'es plus le même, lui démontrai-je en faisant un pas vers lui. Avant, tu étais guidé par une colère qui n'a plus lieu d'être, parce qu'elle ne fait plus partie de toi. J'ai confiance en toi, plus qu'en quiconque au monde, et j'aimerais seulement que toi, tu te vois comme moi je te vois et pas seulement comme tu penses qu'il faudrait qu'on le fasse.
J'avançais de nouveau d'un pas, soustrayant la distance entre nous.
- Et ce bébé, c'est aussi une partie de toi. Une partie que j'ai envie de chérir et de protéger, à qui j'ai envie d'apprendre que le monde n'est pas seulement fait de solitude. Et surtout lui faire sentir, jour après jour, ce que c'est que d'être aimé inconditionnellement, ajoutai-je d'une voix tremblante d'émotion.
Remarquant mon état, que j'avais malheureusement du mal à dissimuler, la dureté qui avait marquée les yeux du dragon un instant plus tôt disparue immédiatement, se mouvant en quelque chose que je n'arrivais pas à définir. Puis sans prévenir, l'une de ses mains se posa dans le bas de mon dos et m'attira à lui, cette fois-ci de manière infiniment plus mesurée.
Quand je fus tout près, mes genoux entre ses jambes se cognant contre le matelas, Lance me pris totalement de court en venant planter son front contre mon ventre.
Et je restais plantée là, comme ça, trop étonnée par son geste pour esquisser le moindre mouvement. Plusieurs secondes s'écoulèrent durant lesquelles aucun de nous ne brisa le silence de la pièce. Il reposait juste... là, les yeux fermés, comme s'il s'agissait du seul endroit où il avait besoin d'être.
Puis au bout d'un moment, sa voix s'éleva contre mon haut, son souffle frais caressant ma peau à travers le tissu.
- Je suis désolé, mon ange... me dit-il sans bouger. Je ne sais plus comment réagir. Je dis et fais connerie sur connerie, je suis complètement perdu...
Il laissa passer quelques secondes avant d'ajouter, beaucoup plus faiblement :
- Et je suis terrifié, putain.
Alors je laissais mon corps agir de lui-même, remontant l'un de mes bras afin de venir glisser mes doigts entre ses longues mèches claires, les caressant d'un geste doux.
- Tu sais, moi aussi j'ai peur, lui avouais-je dans un murmure. Je n'ai jamais rien ressenti d'aussi fort que depuis que je le sais et c'est vrai, c'est parfaitement terrifiant, pourtant pour rien au monde je ne ferai marche arrière.
Quand il retira son front de mon ventre, je sentis une énergie étrange, légèrement différente de celle de Lance, parcourir cette même zone en des formes abstraites.
Les sourcils incurvés d'étonnement, il releva mon haut au dessus de mon nombril, stupéfait d'y découvrir une glace qu'il n'avait pas formée.
Dernière modification par Andraste (Le 10-09-2022 à 11h26)