Header mis à jour le 18/10/22
Merci à Sherenn de m'avoir aidée à trouver le titre. ♥
⚠ Je m'excuse d'avance pour la confusion, mais j'ai décidé de renommer mon héroïne. Désormais, Eallay s'appelera Écho (Eiko). ♥ ⚠
La race des Kitsunes est fascinante et, tout comme les autres færies, comporte son lot de mystères.
Écho, une jeune Kitsune, va l'apprendre à ses dépens. Lorsqu'Erika débarque dans la Salle du Cristal et bouleverse tout ce en quoi le peuple eldaryen croyait, Écho en découvre beaucoup à son propre sujet. Elle qui pensait avoir enfin trouvé un équilibre se retrouve complètement destabilisée...
Cette fanfiction débute (prologue) quelques années avant The Origins, puis se poursuit (chapitre 1) plus ou moins pendant l'épisode 4 de The Origins.
Il est trèèès probable (certain, en fait) que cette fanfic contienne du spoil en rapport avec les derniers épisodes sortis. Vous êtes avertis.
À tous les enfants d'Eldarya
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Elle est susceptible de changer si j'aperçois des erreurs par rapport à mon lore où si l'on découvre de nouveaux lieux dans les prochains épisodes d'Eldarya !
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Prologue : Une rencontre
L’on raconte que lorsque la pluie arrose le monde un jour de beau temps, cela signifie qu’une union entre un Kitsune et un humain a lieu. C’est censé être un heureux présage. La mythologie des Kitsunes veut que l’on acclame cet évènement, qu’on le considère le sourire aux lèvres. Levant les yeux vers un ciel turquoise, une jeune renarde ne partage pas cet avis. Roulée en boule sous un arbre, elle lèche sommairement sa fourrure rousse afin de dégager les gouttes de pluie qui y sont restées perfidement accrochées, puis relève le museau, sa queue recouvrant soigneusement ses pattes arrière. Elle est complètement et sans doute irrémédiablement perdue, elle en a parfaitement conscience.
____Ce qui se déroule dans le ciel est à ses yeux une hérésie, un véritable drame météorologique. Quelle idée de se lier à un humain ! Quelle idée de se condamner de la sorte ! Du peu qu’elle en sait, ce genre d’union n’amène rien de bon. Absolument rien. Nada. Niet. Sinon, pourquoi serait-elle ici, dans cet endroit inconnu, à observer un ciel qui n’est plus le sien ?
____Le bruit d’un objet heurtant le sol la fait violemment sursauter. Elle lève les yeux vers la source de ce son : une jeune femme a choisi cet instant précis pour laisser échapper son bâton et plaquer ses mains contre sa bouche, l’air sincèrement choquée. Ou surprise. Ou les deux. Sur ses gardes, la renarde la détaille avec méfiance. De longs cheveux noirs hirsutes, une peau très pâle et deux grands yeux bleus irisés, et quatre queues de renard qui battent nerveusement dans l’air, fouettant la pluie : c’est une Kitsune.
____Paralysée par l’effet de surprise et l’appréhension, la petite renarde rousse ne bouge pas, les yeux écarquillés. La Kitsune détourne alors la tête, retire les mains de son visage et s’exclame d’une voix aigüe d’adolescente :
____— Yonuki ! Venez voir, vite !
Chapitre 1 : L'arrivée
Par-delà les sept mers d’Eldarya sur lesquelles naviguaient divers bateaux ornés de joyaux en tous genres, transportant tout un tas de riches présents en direction des royaumes du Nord et arborant des proues plus originales les unes que les autres, la poupe élégamment recourbée et le pont envahi par des færies aux accents exotiques ; au-delà des contrées de l’Est où prenait humblement place la Cité de Jade et où circulaient paisiblement les Kappas, ainsi que du Royaume de Lund'Mulhingar où vivaient les Elfes dans leur fière cité d’or et d’argent ; au nord des Îles Oubliées et du fantastique pays atlante foulé par des færies si avancés technologiquement qu’on les aurait crus jaillis d’une époque prochaine ; plus au nord encore, loin après l’Oiseau de Feu, asile des Fenghuangs, et Balenvia, terre de færies variés mais aussi des mystiques Myconides en ses entrailles ; plus loin que la brume, aussi loin que pouvaient porter les cinq sens, se trouvait la Cité d’Eel.
____Capitale du monde , trônant crânement au sommet d’une falaise et exposant à tous les regards sa splendide et réputée « Grande Tour », abri du Grand Cristal ; hébergeant des centaines et des centaines de færies provenant de toutes les contrées, criaillant sur le marché, exhibant des tenues colorées et de plus en plus légères à mesure que l’été approchait et s’adonnant à diverses activités dans les jardins, à l’abri au sein des murs accueillants du QG ; ornée d’une végétation luxuriante et d’une forêt touffue et regorgeant de mystères, parsemée de plantes aussi rares, précieuses et colorées les unes que les autres, mais abritant également parmi les espèces sauvages les plus dangereuses des créatures, cachées bien à l’abri dans leurs terriers et attendant la tombée de la nuit, trouée en son milieu par une clairière calme et verdoyante…
____C’était là que se trouvait une jeune femme appartenant à la race des Kitsunes roux et prénommée Écho.
____Les yeux fermés, Écho méditait silencieusement. Dans la noirceur insondable de son environnement se mouvaient des formes et des couleurs indistinctes. Elle avait atteint ce stade de paix et de sérénité où plus rien d’autre n’existait en dehors de ses pensées et d’elle-même. La maîtrise de son souffle était parfaite, ses mains étaient posées paumes vers le ciel sur ses cuisses, près de son ventre, ses coudes reposant lâchement dans le vide et ses doigts légèrement recroquevillés. Son unique queue de renard reposait dans l’herbe verte. Elle avait à peine conscience de la présence endormie de Fang quelques pas plus loin, un grand Braukwin à la respiration apaisée. Assise en tailleur et le dos bien droit, ignorant les petites mèches de cheveux qui chatouillaient son front et savourant la caresse du tissu de ses vêtements contre sa peau, tout allait pour le mieux.
____Jusqu’à présent.
____Alajéa, une jeune Sirène de surface dotée de jambes humanoïdes, n’était pas une femme connue pour sa patience, ni pour son hypothétique plaisir légendaire à pratiquer la méditation. En fait, on aurait plutôt pu dire que ses babillages la précédaient. On aurait même carrément pu préciser que l’on entendait souvent le son incisif de sa voix aigüe avant même de l’apercevoir ; voix aigüe qui lui servait la plupart du temps à transmettre les nouvelles aux uns et aux autres, mais surtout à Karenn, sa meilleure amie. Nous reviendrons sur ce point plus tard.
____Or, aujourd’hui, ce n’était pas à Karenn que cette voix s’adressait, s’élevant des feuillages, mais bien à Écho, qui n’en demandait pas tant.
____— Ei ! Tu ne vas jamais me croire ! s’écriait-elle en fourrageant dans la végétation. Écoute-moi ! Ei, t’es où ? …Ah, te voilà !
____Écho - ou plutôt, Eiko - attendit cette dernière exclamation avant de décider de sortir de sa transe, à présent certaine qu’elle avait été vue. Ses yeux s’ouvrirent lentement sur l’herbe verte et lumineuse qui l’entourait. Les arbres entourant la clairière bloquaient certes les rayons du soleil, mais pas tous, et la jeune femme comptait bien prendre son temps pour se réveiller, Alajéa ou pas.
____Les jambes de cette dernière entrèrent dans son champ de vision de façon abrupte et se plantèrent devant elle.
____— Écho !
____Levant doucement les yeux, Écho finit par se retrouver presque nez-à-nez avec le visage réprobateur d’Alajéa, ses grands yeux améthyste s’ouvrant sous des sourcils froncés.
____— Je t’appelle depuis tout à l’heure ! Tu ne m’entendais pas ?
____— Non, mentit Écho. Qu’est-ce qui se passe ?
____— Oh là là, tu ne vas jamais en revenir ! s’exclama exagérément Alajéa. Je pense même qu’il faudra que tu le voies de tes yeux pour me croire ! Vas-y, essaie de deviner !
____Son expression mécontente laissa place à de l’excitation, et elle sautilla sur place. Écho décroisa les jambes nonchalamment et s’appuya en arrière sur ses bras, ses mains plongées dans l’herbe fraiche, faisant la moue.
____— Je n’en sais rien… Karuto a enfin refait le carrelage de la cuisine, comme il nous l’annonce depuis tant de temps… ?
____— Oh non, mieux encore ! Figure-toi qu’Ykhar et moi, on a trouvé une humaine tout à l’heure, près du cercle de champignons !
____Écho dressa les oreilles, stupéfaite. Était-ce possible ? Cela n’arrivait que très rarement. En vérité, ça ne s’était même jamais produit depuis qu’elle se trouvait au sein de la garde d’Eel.
____— Une humaine ? répéta-t-elle, perplexe.
____— Oui ! On l’a emmenée voir Miiko, et celle-ci nous a dit qu’elle la connaissait déjà… Elle est arrivée un peu plus tôt dans la journée, apparemment. Il parait qu’elle cherchait des ingrédients pour Ezarel, ou je ne sais trop quoi…
____Écho se mit à réfléchir tandis qu’Alajéa pérorait. N’ayant pas quitté la forêt de la journée, il était logique qu’elle ne soit pas encore tombée sur elle, et elle n’avait pas spécialement envie de précipiter leur rencontre. À quel point l’arrivée d’une humaine pouvait bouleverser le quotidien des gardiens ? Y-avait-t-il un grand potentiel de perturbations ? La nouveauté était ce qu’il y avait de plus proche d’un synonyme de l’angoisse.
____— …et c’est là qu’Ezarel nous a dit qu’elle avait trouvé un morceau de Cristal !
____Écho écarquilla les yeux. Alajéa, pas peu fière d’avoir enfin capté l’attention de son amie une bonne fois pour toute, la regarda se lever pour se planter devant elle. Elle n’était pas stupide, elle savait bien que la Kitsune ne prêtait pas vraiment une grande attention à ses bavardages habituels, et voir cette routine se briser pour une fois ne lui apportait que joie. Elle haussa alors un sourcil, affichant une moue victorieuse.
____Fang choisit cet instant pour se rappeler au bon souvenir de sa maîtresse et tourner en boucle autour d’elle, lui donnant de légers coups de tête affectueux de temps en temps. Alajéa recula d’instinct. Elle adorait les familiers, et si celui-ci ne faisait pas exception à la règle, il ne lui retournait pas la faveur. En fait, il retournait cette faveur à très peu de monde. Qui plus est, depuis qu’il était sorti de l’adolescence, il avait atteint en taille les épaules d’Écho, ce qui le rendait drôlement impressionnant. Elle trouvait que ses yeux fuchsias arboraient une drôle de lueur carnassière. En vérité, sans doute son point de vue était-il biaisé par le fait que Fang était bien le seul familier qui ne lui avait jamais retourné l’amour contenu dans ses caresses.
____— Un morceau de Cristal, tu dis ? répéta Écho en grattant distraitement la tête de son familier, ignorant ses ronronnements sonores. Voilà qui est peu commun…
____— N’est-ce pas ?!
____— Et selon toi, elle cherchait des ingrédients pour Ezarel ? C’est ça ?
____— Oui, confirma Alajéa en hochant la tête. Elle n’arrêtait pas de se débattre en hurlant qu’elle récoltait juste de la « sève dorée » lorsqu’on l’a trouvée.
____— …De la sève de cyprès doré, n’est-ce pas ?
____— J’en suis sûre !
____— Alors à l’heure qu’il est, Ezarel doit savoir si elle est une færy ou non. Il faut qu’on en ait le cœur net, déclara Écho en faisant volte-face, prête à quitter la clairière.
____Alajéa se prépara à la suivre, souriante. À cet instant, Fang la dépassa pour aller se planter fermement devant Écho, grondant. Alajéa crut qu’elle allait avoir une fissure du cœur tellement elle fut surprise par la vivacité du félin. La dernière fois qu’elle avait eu affaire à ce dernier, il l’avait pourchassée dans tout le QG. Si cet évènement l’avait bouleversée au point de ne plus s’en approcher, il avait en revanche fait l’alégresse des badauds.
____Écho sursauta, saisie également.
____— Fang ! protesta-t-elle de peur. Qu’est-ce que-
____Elle s’interrompit tandis que son regard suivait celui de son familier. Une silhouette bien reconnaissable se trouvait là, émergeant de l’ombre des fourrées et venant doucement à leur rencontre.
____— Aaah, Leiftan ! s’exclama Alajéa en se dirigeant vers lui tandis que son amie se renfrognait, restant en arrière.
____La femelle Braukwin ne captait que trop bien son ressenti, et de sa gorge montait un grondement interminable.
____— Bonjour, les filles, les salua chaleureusement l’ainsi-nommé en accompagnant ses paroles d’un geste amical de la main.
____— Tu viens de rentrer de mission ? s’étonna Alajéa auprès de lui, les yeux ronds, l’examinant sous toutes les coutures.
____Comme à son habitude, Leiftan le Lorialet était immaculé. C’était à peine si ses cheveux blonds étaient ébouriffés. Les bordures dorées de ses manches blanches signifiaient son appartenance à la Garde Étincelante, et il les arborait avec fierté et respect.
____— Tout juste, Alajéa. Et vous deux, que faites-vous ici ?
____Ce disant, il reporta son attention sur Écho, qui était comme à son habitude plus sceptique que jamais.
____— Tu sais très bien que je suis toujours ici, répondit alors la Kitsune. Pas de quoi être surpris. Alajéa, en revanche, était venue m’annoncer une étrange nouvelle… Je pense – je suis même persuadée – que cela te concerne.
____Leiftan haussa les sourcils, sa curiosité piquée au vif.
____— Vraiment ? Que se passe-t-il ?
____— C’est une humaine, Leiftan ! s’exclama Alajéa, revêtant un grand sourire. Une Terrienne, comme Écho. Elle vient de débarquer.
____— Quoi ?!
____Il écarquilla les yeux tandis qu’Écho détournait le regard. Elle n’aimait pas qu’on lui rappelle ses origines. Mais il était dur d’en vouloir à Alajéa, qui n’était que maladresse dépourvue de mauvaises intentions. Elle planta ses doigts dans le pelage de Fang pour le malaxer, calmant la bête ainsi qu’elle-même. Le Braukwin lança malgré tout un dernier grognement d’avertissement avant de se détendre.
____Leiftan et Alajéa s’étaient lancés dans une discussion passionnée, ponctuée de questions et d’exclamations. On eût dit, à les voir, que c’était la nouvelle du siècle. Mais plus les minutes passaient, plus Écho se sentait mélancolique et usée. Finalement, lorsque ses deux collègues l’enjoignirent à les rejoindre pour se renseigner auprès de Miiko, Écho secoua la tête et déclara que non merci, elle préférait tout compte fait profiter encore un peu du calme forestier. Perplexes, le Lorialet et la Sirène se jetèrent un regard, haussant les épaules à l’unisson, puis cédèrent à la requête de la Kitsune, sachant qu’il serait difficile de la forcer.
____— À plus tard ! lança gaiement Alajéa tandis qu’ils s’enfonçaient dans la végétation luxuriante de la forêt d’Eel.
____Écho se retrouva de nouveau seule, avec pour unique compagnie celle qui l’avait choisie il y avait de cela plusieurs années : le ronronnement assourdissant de Fang. Enlevant enfin sa main de son dos, elle se détourna de l’endroit où les deux eldaryens avaient disparu et retourna s’asseoir en tailleur au milieu de la clairière.
____Aussi fortement qu’elle le souhaitât, il lui était désormais impossible de se plonger à nouveau dans un état méditatif. Ses pensées tournaient bien trop ardemment dans sa tête pour qu’elle puisse les ignorer. Une nouvelle recrue. Une humaine. Une Terrienne. Tout cela faisait vraiment beaucoup. Dans quelle Garde allait-elle atterrir ? Elle jeta un coup d’œil aux fines bandes de soie turquoise sanglant les voiles verdâtres qui l’habillaient, puis secoua la tête. Il ne fallait pas y penser. Il ne fallait pas se torturer l’esprit. L’anticipation était à proscrire. Pourtant, elle se surpris à haleter d’angoisse.
____Se reprenant tant bien que mal, elle décida que le mieux était de faire face par elle-même. Refoulant sa peur dans une grande inspiration, elle se releva et dit :
____— Fang ?
____Aussitôt, le Braukwin se leva à son tour. Il vint se coller affectueusement à elle puis s’écarta, et ils prirent ensemble le sentier presque invisible qui allait les mener hors de la forêt.
____Écartant les larges feuilles de son passage, montant parfois les genoux pour enjamber des racines grosses comme sa cuisse et foulant de ses bottes souples le sol sec, son trajet se fit dans un silence complet, mais très bruyant mentalement. Elle songeait avec force à sa destination et à l’homme qu’elle allait voir, à toutes les questions qu’elle avait à lui poser et éventuellement aux craintes qu’elle lui confierait – ce dernier point était loin d’être sûr. Tout dépendrait de l’état d’esprit de son interlocuteur, et il était plutôt changeant. Soupirant devant cette perspective, elle entreprit de gravir un talus herbeux là où le sentier s’arrêtait afin de poursuivre sa route. Là, elle sauta par-dessus un trou profond, imitée un peu plus gracieusement par son familier, et se rattrapa immédiatement au tronc d’un arbre souple, ce qui agita les frondaisons et provoqua le couinement de protestation de quelque familier surpris.
____Lorsqu’elle arriva à proximité du cyprès doré, elle s’arrêta brusquement, sur ses gardes, et leva son visage, reniflant prudemment l’air, sa queue de renard battant furieusement d’appréhension. Cette odeur étrange lui était totalement inconnue. Elle avait quelque chose de peu naturel qui ne lui rappelait aucune essence de færy. Faute d’hypothèse plausible, elle en déduit que c’était cela, une odeur d’humain.
____Grimaçante, elle passa à proximité de l’arbre tout en s’avançant dans les hautes herbes et le contourna pour reprendre pied sur le chemin, tracé par le passage répété d’une multitude d’autres færies avant elle. Ce chemin serpentait quelque peu avant de gravir la plaine sur toute sa longueur pour rejoindre la large route pavée qui conduisait aux Grandes Portes.
____Ces deux portes massives et étroitement gardées étaient en quelque sorte le gage de sécurité de la Cité d’Eel et étaient si hautes qu’Écho n’aurait pu en toucher le haut même si deux Jamon lui avaient fait la courte échelle. Elles s’ouvraient dans des remparts au moins aussi épais que les portes étaient grandes et laissaient s’écouler dans les périodes d’affluence un flot de færies de races diverses et variées. Aux bavardages joyeux des passants se mêlaient les cris des marchands, souvent des Purrekos, afin d’attirer des clients près de leurs étals couverts de flacons remplis d’épices, de petits paquets d’herbes aromatiques noués avec soin avec des cordelettes et de potions répandant toutes les couleurs et toutes les odeurs que l’on pût imaginer. D’autres encore proposaient des étoffes plus ou moins précieuses et des bijoux qui projetaient de somptueux reflets. Des enfants couraient partout ; un qui, tenu par la main, pointait du doigt un familier rigolo en sautillant d’excitation, un autre qui se faisait furieusement courir après par un Purreko hérissé – allez savoir pourquoi – et un autre encore qui quittait le marché en courant, traversant l’artère principale, une large allée pavée coupant la cité en deux, pour atteindre la zone Ouest.
____La zone Ouest était le berceau des quartiers d’habitation. Agglomérat de maisons grimpant le long des ruelles qui escaladaient tant bien que mal la falaise, les habitants se plaisaient à l’appeler le Refuge, et c’était un surnom qui était devenu si populaire que l’on oubliait qu’il n’était pas officiel. À un endroit, les maisons se faisaient plus éparses, et l’on débouchait sur un grand parc agrémenté d’une fontaine dont l’eau se déversait dans plusieurs bassins successifs. La tranquillité et la quiétude du lieu poussaient la plupart des familiers à s’y retrouver pour se nettoyer ou simplement barboter, profitant d’une pause bien méritée entre moultes explorations ou transmissions de messages pour leur propriétaire. Ils s’échangeaient les dernières nouvelles, tantôt sifflant, tantôt piaillant, tantôt hululant. Mais lorsque Taro, le plus imposant Ornak qui leur eût été donné de voir, passa à proximité en dardant sa longue langue fourchue, tous se turent.
____Le familier, braquant ses yeux de rubis vers une ruelle peu fréquentable qui rayonnait du parc de la fontaine, les ignora et s’engouffra dans ladite ruelle sans attendre. Se tortillant avec vivacité sur les pavés, il bifurqua de manière à s’orienter vers le Nord de la cité. S’empressant de s’extirper du refuge et ignorant les vives réactions de surprise des habitants qui croisaient son chemin, il glissa sans attendre vers la Grande Tour, se coulant sur les pavés et ignorant le petit sentier qui menait au cerisier centenaire. Il croisa la route de plusieurs gardiens, qui le saluèrent poliment, et l’un d’eux lui tint même les portes de la Tour ouvertes.
____La Tour se situait le plus au Nord possible du QG. Perchée au sommet de la falaise, cela lui donnait l’air encore plus grande que ce qu’elle était vraiment. Sa pointe argent et azur brillait à des kilomètres à la ronde et les baies vitrées lui conféraient une vue imprenable, et ce à 360 degrés. L’escalier d’argent qui s’enroulait sur lui-même permettait d’accéder à toutes les zones de la Tour, à partir des geôles, au sous-sol, qui débouchaient sur une sortie sous-marine donnant sur le Nord, jusqu’au sommet où se trouvait la Salle du Cristal.
____Il s’agissait d’une vaste pièce en forme de coupole qui coiffait le sommet de l’édifice. C’était là que se trouvait Miiko. La posture bien droite, le regard braqué devant elle, il dégageait d’elle une assurance et une dignité certaines. Ses cheveux foncés retombaient impeccablement sur ses épaules, et ils étaient coupés aussi droit que sa frange. Cette dernière tombait sur de fantastique yeux bleus aux mille nuances, légèrement bridés comme pour la plupart des færies de son espèce. Sa peau était d’une pâleur et d’une perfection semblables à de la porcelaine.
____À cette altitude, elle jouissait de la meilleure vue possible sur le QG et les alentours. Rien ne lui échappait. Elle entrevit même son familier se glisser au rez-de-chaussée avant de le perdre de vue. Elle se tint alors prête à le retrouver, curieuse de savoir quelles avaient été les réactions suscitées par son message. Mais en voyant Alajéa virevolter aux côtés de Leiftan au niveau d’un stand de Purrekos, se dirigeant vers la Tour, Miiko comprit qu’il était sans doute trop tard. Elle souffla et tapa de frustration un coup de son bâton sur le sol poli.
____Dans son dos se trouvait le Grand Cristal, dont les éclats se reflétaient dans toute la pièce grâce aux grandes vitres. Il dégageait une aura puissante, telle qu’il était une tâche ardue de l’approcher pour certains færies un peu trop sensibles. Revêtant une couleur tendant majoritairement vers le bleu indigo, il portait en lui toutes les nuances qu’il pût exister. Passant du bleu saphir au bleu azur pour aller vers le cyan, les tonalités ondoyant et chatoyant telles des vagues, il se parait ensuite de rose et de rouge. On eût dit un être vivant, un cœur qui bat. Face à cette vision mystique, l’on pouvait avoir la sensation, en laissant un peu trop divaguer son regard, de se perdre dans l’univers lui-même. Ce cristal était littéralement l’essence même de ce monde, et sa puissance s’en ressentait. Il était vénéré comme une divinité.
____Et Miiko avait hérité de la chance de pouvoir le côtoyer chaque jour, à tel point que sa beauté en paraissait presque amoindrie. Presque. Car la magnificence du Cristal ne s’amoindrissait jamais.
____Perdue dans ses pensées, laissant son regard dériver vers la ligne d’horizon, Miiko n’entendit pas tout de suite les bruits de pas résonner dans la cage d’escaliers. Quand elle s’en aperçut enfin, elle tourna la tête en direction du son. Elle pouvait déjà capter son odeur et son essence, et ainsi elle comprit tout de suite de qui il s’agissait. C’est pour cela qu’elle fût peu surprise de voir Écho débouler dans la Salle du Cristal, Fang à ses côtés.
____— Miiko ! l’interpella la rouquine avant de s’arrêter pour reprendre son souffle.
____Sa cavalcade depuis la clairière jusqu’au laboratoire l’avait épuisée, et gravir par la suite l’escalier dans sa totalité pour rejoindre Miiko n’avait rien arrangé.
____— Écho ! l’accueillit Miiko. Comment tu vas ?
____— Pas très bien, figure-toi.
____Miiko avait l’habitude que l’on soit un peu trop franc avec elle. Ses décisions avaient souvent été contestées par le passé, et il n’était pas chose aisée d’être chef de la Garde Étincelante.
____Elle se contenta de soutenir posément le regard de son amie, attendant qu’elle développe, et elle ne se fit pas prier pour le faire en s’avançant de quelques pas :
____— Miiko : Alajéa m’a dit pour l’humaine. Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai croisé Taro au sortir du labo. Il m’attendait patiemment, le pauvre, juste pour confirmer ce que je savais déjà.
____Comme pour appuyer ses propos, Taro déboucha à son tour de la cage d’escalier et rampa avec précipitation jusqu’à sa propriétaire, qui posa distraitement la main sur sa tête. Fang quant à elle profita de cette distraction pour galoper jusqu’au Cristal et se placer non loin avant d’entreprendre de faire sa toilette.
____— Oui, j’aurais dû m’y attendre, concéda Miiko avec un hochement de tête.
____— Ce n’est pas tout ! Ezarel et lui m’ont apporté des informations supplémentaires. Tu vas donc pouvoir m’expliquer, j’imagine, pourquoi vous lui avez fait passer le test de magie sans me le dire. Tu comptais me cacher l’arrivée de la fælienne, c’est ça ?!
____Miiko tapa alors du bâton contre le sol. Ce geste eut pour effet immédiatement de faire se redresser Écho, qui prit alors conscience qu’elle avait peut-être été trop loin.
____— Je m’excuse, Miiko, reprit-elle en s’inclinant légèrement. Je me suis laissée emporter par mes émotions…
____Miiko soupira en clignant lentement des paupières.
____— Non, c’est bon… Je comprends bien que tu sois bouleversée. Ne prends pas tout ça pour toi. Lorsqu’elle est arrivée, j’ai eu énormément de choses à préparer et à penser… Je n’ai pas eu le temps d’avertir tout le monde, c’est tout.
____— Oui, je me doute bien… Je suis désolée, je-
____— Écho, la coupa Miiko, je vais devoir te demander la même chose qu’aux chefs de garde, et je compte sur toi pour accomplir la mission que je vais te donner.
____Écho écarquilla les yeux. Perplexe, elle la rejoignit auprès de la baie vitrée, les oreilles dressées de surprise.
____— Pourquoi cela ? Pourquoi me mettrais-tu dans le même panier que les chefs de garde ?
____— Parce qu’il se pourrait que tu succèdes à Ezarel et que tu prennes la tête de la Garde Absynthe un jour. Tu sais aussi bien que moi qu’il n’a pas de membre plus talentueux.
____— Miiko, je n’ai aucun mérite, je-
____Miiko tapa une nouvelle fois du bâton.
____— Ça suffit, Écho. J’estime que tu pourrais en avoir les capacités, et nous verrons tout cela en temps voulu. Ce n’est pas le propos pour l’instant. Ce que je souhaite te demander, c’est d’accompagner les trois chefs de garde dans la mission suivante : surveiller la nouvelle.
____Voyant la mine interloquée qui s’affichait sur le visage de la Kitsune rousse, elle poursuivit sans lui laisser le temps de répliquer :
____— Tu es une femme et tu es plus empathique. Elle, elle vient de perdre tout ce qu'elle avait. Elle est complètement perdue, et je pense donc que le concours d’une autre femme l’apaiserait et la mettrait peut-être plus à l’aise que celui de ces trois brutes.
____Elle soupira et leva les yeux au ciel en prononçant ces derniers mots. Écho, quant à elle, avait du mal à réfléchir. Cela faisait beaucoup trop d’informations à digérer d’un coup. C’est pourquoi elle se contenta d’un simple hochement de tête lorsque sa supérieure planta son regard dans le sien. Cette dernière plissa les yeux, mais n’ajouta rien et la congédia.
____Alors qu’elle redescendait les escaliers d’une démarche pataude, son familier sur les talons, Écho laissa lentement tout ce qu’elle avait appris décanter dans sa tête. Elle allait avoir affaire à une humaine. Enfin, pas tout à fait, mais elle venait du même monde qu’elle et cela lui suffisait. Deux femmes perdues qui atterrissaient dans un monde inconnu. Chacune de son côté de la barrière. L’une chez les humains, l’autres chez les færies. Ça allait être très dur d’intégrer le fait qu’elle n’était pas humaine malgré les apparences. Elle allait se comporter comme les humains, se sentir comme les humains…
____Écho fronça les sourcils. Sa décision était prise : il était hors de question qu’elle obéisse à Miiko. Ne serait-ce que pour son propre bien.
Chapitre 2 : Intrusion
Écho était de fort méchante humeur lorsqu’elle percuta Chrome au sortir de l’escalier d’argent. Le jeune garçon recula d’un pas en se frottant le nez.
____— Hé ! Fais gaffe, protesta-t-il aussitôt comme à son habitude avant de lever les yeux. Ah ! Ei, c’est toi. Désolé, je ne regardais pas où j’allais.
____Écho lui adressa un petit sourire. Chrome le Loup-Garou était quelqu’un d’attachant malgré son mauvais caractère. Et puis mine de rien, elle l’avait vu grandir et entrer dans la Garde de l’Ombre alors qu’il était à peine adolescent, ce qui était un véritable exploit.
____Néanmoins, ledit Loup-Garou avait la mine préoccupée. Le regard fuyant, il dansait d’un pied sur l’autre.
____Les mots franchirent la bouche de la rouquine avant qu’elle n’ait pu les retenir :
____— Dis-moi, Chrome… Est-ce que tu es préoccupé par rapport à la nouvelle ? Serait-elle dans ta Garde, par hasard ?
____Il haussa un sourcil, surpris.
____— Elle ne me préoccupe pas plus que ça, mais oui, effectivement, elle est dans la Garde de l’Ombre… Pourquoi ?
____Elle poussa un soupir de soulagement. L’inconnue n’était pas dans l’Absynthe ! Elles ne seraient pas collègues ! Tandis qu’elle fermait les yeux pour savourer cette sensation, elle réalisa qu’elle ne faisait que la redouter et la fuir alors qu’elle ne l’avait même pas encore rencontrée. Cela ne lui ressemblait pas, et ce constat ternit sa joie. Il fallait qu’elle confronte sa crainte, qu’elle se reprenne.
____Chrome coupa court à ses pensées en déclarant :
____— Bon, je suis pressé, j’ai un truc à faire. Excuse-moi.
____Il reprit sa route et disparut dans la cage d’escaliers, laissant la Kitsune plantée là.
____Elle fronça les sourcils, perplexe, ignorant le tourbillon de faeries qui vaquaient à leurs occupations et traversaient le hall. D’un côté, elle préférait respecter le mutisme de Chrome et ne pas aller lui poser de questions. Après tout, le contenu des pensées d’un jeune Loup-Garou à peine pubère ne la regardait et ne la concernait pas. Mais d’un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour lui.
____Cela allait lui donner d’autant plus matière à réfléchir.
____Réalisant finalement qu’elle se trouvait au beau milieu du passage, elle s’écarta de la trajectoire de l’escalier. Elle profita d’une brève accalmie dans le ballet incessant d’eldaryens pour se frayer un chemin jusqu’au laboratoire. Elle traversa le hall et grimpa l’escalier étroit qui courait le long du mur en arc de cercle pour rejoindre la balustrade, laissant ses doigts glisser sur la rampe en bois lustré, et arriva devant une porte couverte de lapis-lazulis. Elle entra sans frapper, comme à son habitude.
____La pièce déserte était baignée par les rayons du soleil de l’après-midi, donnant à la poussière flottante des airs de paillettes dorées et frappant divers fioles et bocaux. Certains exhalaient de drôle de vapeurs multicolores tandis que d’autres étaient soigneusement scellés. Écho se trouvait en pays conquis dans le laboratoire d’alchimie, et elle pouvait déterminer d’un simple regard à quoi servait tout ce qui se trouvait sur le grand bureau qui occupait le centre de la pièce, bien que jonché de parchemins et d’outils en tous genres. De grandes bibliothèques bourrées de grimoires contenant des formules précieuses occupaient pratiquement tous les murs de la pièce, laissant uniquement des trous pour les fenêtres, et donnaient l’impression qu’elles allaient exploser à tout moment.
____Ezarel n’était pas là.
____Écho soupira de frustration. Il était pourtant là il y avait peu ! Décidément, rien n’allait dans cette journée. S’apprêtant à abdiquer, elle survola du regard la pièce une dernière fois et fit demi-tour dans un mouvement sec, faisant voler ses larges boucles rousses. Elle faillit alors se prendre la porte de plein fouet ; car celle-ci s’ouvrait justement, laissant entrer l’objet de ses pensées.
____— Oups ! Désolé, Ei, dit-il avec un mince sourire.
____— Ezarel, je te cherchais, répondit-elle simplement. Peux-tu m’en dire plus par rapport au test de magie que tu as effectué tout à l’heure sur la nouvelle ? Tu sais, la faelienne, dit-elle en appuyant volontairement sur le dernier mot.
____Cependant, Ezarel semblait à peine l’écouter. Marchant d’un pas rapide vers le grand bureau, une expression de profonde réflexion affichée sur son visage, il répondit machinalement :
____— Tu m’excuseras mais je n’ai pas vraiment le temps. Il faut que je vérifie… (il s’interrompit le temps d’attraper un livre en hauteur derrière lui) …un truc.
____Écho le regarda faire, les bras croisés, restant près de l’entrée. Il était plutôt rare de voir son chef de Garde aussi sérieux.
____— Dis-donc, tu fais une drôle de tête. Mon entrevue avec Miiko n’a duré que quelques minutes, pourtant. Qu’est-ce qui a bien pu arriver ?
____Il posa le livre qu’il avait cueilli, un épais grimoire, à plat sur le bureau. Puis il se mit à le compulser frénétiquement tout en marmonnant :
____— Poussière arcanique, citrons de feu, herbe sifflante… Cheveux de nymphe…
____— Ezarel… insista doucement Écho. Est-ce que tu m’écoutes ?
____Il finit par relever brièvement la tête.
____— Pas vraiment, Ei. On a été cambriolés dans la journée et personne ne s’en est rendu compte. Ça ne m’amuse que moyennement.
____Écho crut qu’elle allait s’étouffer d’indignation.
____— Quoi ?! Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?
____Il replongea son nez dans le livre.
____— Je ne sais pas, et personne ne sait d’ailleurs. C’est sans doute notre visiteur habituel.
____— Le Dragon ?
____Ezarel, sans relever les yeux, se fendit d’un sourire narquois.
____— Allons, tu sais bien que les Dragons n’existent pas.
____— Oui, les Kitsunes roux non plus. Pourtant, je suis là.
____Les Kitsunes roux ne pouvaient naître que sur Terre, leurs pouvoirs se formant grâce aux propriétés particulières du soleil et de la lune terrestres.
____Il ne répondit pas. Elle leva les yeux au ciel. C’était bien la peine d’essayer d’avoir son attention ! D’un autre côté, elle ne pouvait se résoudre à le déranger dans son travail. Elle mit les mains derrière son dos, et se contenta donc de demander d’une petite voix :
____— Qu’est-ce qui a été volé, pour que tu fouilles les archives comme ça ?
____Il releva la tête. Ses yeux verts croisèrent enfin les yeux tout aussi verts d’Écho. Ils arboraient tous deux la même expression inquiète, les sourcils froncés d’inquiétude. Il soupira et se prit la tête dans les mains.
____— Une larme de Dragon, Écho. Voilà ce qui a été volé.
____Il n’eut rien besoin d’ajouter, elle comprit aussitôt. Les larmes de Dragon étaient très rares et utilisées pour les sortilèges les plus puissants. Les Gardiens devaient se trouver perplexes face à la disparition d’un artefact de cette importance alors qu’une Terrienne débarquait pile poil à la même période. Elle-même fut décontenancée.
____Mais est-ce qu’un Dragon aurait vraiment besoin de voler une larme de Dragon ?
____Ezarel profita du mutisme dans lequel s’était plongé sa subordonnée pour continuer à fouiller. Dans un état second, elle laissa ses réflexions suivre leur cours. Tout d’abord, une fælienne déboulait de nulle part. Puis, Miiko lui commandait en personne de surveiller la nouvelle arrivée. Pour ne rien arranger, Chrome semblait ruminer quelque chose d’important. Cerise sur le gâteau, Ezarel s’était fait piller une larme de Dragon. Et comme si ça ne suffisait pas, Leiftan était de retour au QG, ce qui signifiait qu’elle allait devoir se coltiner sa présence. Elle le voyait déjà, tout mielleux, lécher les bottes de Miiko jusqu’à ce qu’elles brillent.
____Écho ne voyait pas vraiment ce qui aurait pu empirer cette journée. Mais elle aurait sûrement pu faire preuve d’un peu plus d’imagination.
____La rumeur de la foule parvint aux oreilles d’Elfe et de renard d’Ezarel et Écho en même temps. Ils relevèrent la tête pour se regarder à l’unisson, perplexes. Abandonnant son grimoire grand ouvert au milieu des papiers, Ezarel contourna le bureau pour quitter la pièce, talonné par sa subordonnée.
____Au beau milieu du hall se trouvait Miiko, assise à même le sol, son bâton posé par terre. Lorsque, dans la vague du mouvement général, quelques faeries bougèrent, Écho constata qu’elle tenait en réalité quelqu’un par les épaules : Leiftan. À mieux y regarder, elle pressait en réalité un morceau de tissu sur son bras. À en juger à ses vêtements blancs couverts de giclées écarlates et à sa grimace de douleur, il était blessé.
____D’instinct, la jeune Kitsune dévala les escaliers, bouscula quelques faeries et se jeta aux côtés de Miiko, oubliant son aversion envers le patient.
____— Ah, tu es là ! s’exclama-t-elle sans dissimuler son soulagement. Vite, il faut l’amener à l’infirmerie. (Elle se redressa, embarquant le Lorialet dans le mouvement et le soutenant comme elle le pouvait) Il a réussi à coincer Ashkore et ils se sont battus.
____— Ah bon ?! s’exclama Écho en aidant son amie à porter Leiftan. A-t-on réussi à le capturer ?
____— Non… gémit Leiftan. Il m’a tenu en respect et s’est enfui, comme d’habitude.
____Le trio insolite claudiqua jusqu’à Ezarel, qui se tenait prêt à les aider à gravir les escaliers. Il réceptionna Leiftan comme il le pouvait et ils montèrent ensemble les degrés, laissant les badauds perplexes derrière eux remplir le hall de bourdonnements appliqués, qui parviendraient sans doute plus tard aux oreilles exercées des Purrekos, voire – pire encore – celles d’Alajéa et Karenn.
____L’infirmerie était une vaste pièce équipée de façon improbable. La Garde d’Eel se devait d’être capable de venir en aide à n’importe quel faery, et c’était pour cela qu’une bonne partie du budget annuel servait à l’amélioration des conditions de travail des infirmiers. Elle avait notamment permis la construction d’un cours d’eau artificiel pour pouvoir accueillir n’importe quelle créature aquatique blessée, il y avait de cela quelques années. Amélioration qui aurait dû avoir eu lieu bien plus tôt, avait d’ailleurs souligné Miiko lors d’une Assemblée sans oser mentionner son prédécesseur Yonuki, qui avait tendance à oublier ce qui l’arrangeait bien, et sa terrible radinerie n’arrangeait rien. Ainsi, l’infirmerie avait fleuri – au sens propre comme au figuré – et s’était développée autour de divers instruments à la pointe de la science eldaryenne.
____En l’absence d’Eweleïn, la guérisseuse attitrée, Écho était la chef à bord. Oubliant toute forme de hiérarchie, elle commença à distribuer les ordres tout en s’affairant à droite et à gauche.
____— Miiko, installe-le là-dessus en veillant à ne pas le secouer. Ezarel, nettoie les plaies avec de l’eau purifiée. Flûte, il n’y a plus de cataplasme d’algues rouges… Occupez-vous de lui, je reviens tout de suite, acheva-t-elle en entreprenant de quitter la pièce à grands pas.
____Ce faisant, entamant un demi-tour, elle tomba nez à nez avec quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, planté en plein dans l’entrée. C’était une jeune femme à l’allure banale. Ses yeux verts croisèrent ceux de l’inconnue, qui afficha une mine surprise. Chose étrange, ils étaient d’une couleur violette très singulière. La rouquine eut tout à coup l’impression que le temps se dilatait comme un ballon.
____À cette très courte distance, Écho eut tout le loisir d’examiner chaque détail du visage de l’inconnue. Elle avait des sourcils fins, un nez délicatement arrondi et des lèvres pleines entrouvertes sur une exclamation étonnée. Ses cheveux châtains rebelles couplés à son expression perdue lui conféraient une allure sauvage. Écho se surprit à penser qu’elle était magnifique. Puis son parfum étrange parvint à ses narines, qui n’était pas sans lui rappeler celui qu’elle avait senti à la lisière de la forêt. Elle n’est pas d’ici.
____Tout s’était déroulé en une fraction de seconde. À peine la Kitsune eut-elle procédé à ce rapide examen que la jeune femme écarquilla les yeux et lâcha un « Pa-Pardon… ! » impressionné en se décalant sur le côté, ce qui éclata l’instant comme une bulle. Aussitôt, Écho se reprit, battant furieusement de la queue, et poursuivit son chemin vers le laboratoire à grandes enjambées, omettant de transmettre une quelconque réponse.
____Elle venait à peine de pénétrer dans le labo lorsque la vérité lui explosa à la figure, déformant sa respiration : cette inconnue était la Terrienne, c’était évident. Elle se mit au travail, s’affairant autour du grand bureau. Distraite par cette révélation, elle n’entendit pas les bruits de pas qui s’approchaient. Elle ne capta la présence de l’inconnue que lorsque celle-ci parla :
____— As-tu besoin d’aide ?
____Écho sursauta et fit valdinguer le mortier d’algues rouges dans le mouvement. Le bruit qu’il fit en heurtant le sol pavé lui vrilla le crâne. Aussitôt, l’inconnue se proposa, les yeux écarquillés :
____— Je vais t’aider ! Tu vas bien, au moins ?
____Elle se baissa pour ramper jusqu’au mortier, qui avait roulé non loin d’elle. Écho observa ses mains, tremblante : elles étaient couvertes de jus d’algue rouge. On aurait presque dit du sang, ce qui expliquait l’inquiétude de la petite humaine.
____— O-Oui, je vais bien… Merci, heu…
____— Erika ! répondit-elle à sa question informulée, jaillissant de sous le bureau avec une mine triomphale, l’objet à la main. Enchantée… ?
____— Écho.
____Dans un désir inexplicable de rester loin d’elle, Écho lui avait répondu plutôt sèchement. Elle s’en voulut aussitôt, mais c’était trop tard. Ignorant le bras tendu d’Erika, qui souhait lui rendre son mortier, elle fit volte-face et plongea les mains dans un seau d’eau pure. La situation immédiate la stressait énormément, et elle ne savait plus comment réagir. Elle avait l’impression de faire n’importe quoi.
____C’était une Terrienne.
____Elle ferma les yeux pour chasser une sensation désagréable.
____— Bon… dit Erika en posant l’objet à un emplacement vide sur le bureau, visiblement embarrassée.
____L’ignorant, la rousse acheva de se laver les mains et se remit au travail, les yeux obstinément fixés sur ce qu’elle faisait, oubliant de la remercier. Elle entendit l’humaine lâcher un petit soupir, peut-être d’agacement, et faire demi-tour sans ajouter un mot.
____Une fois certaine qu’elle était partie, Écho releva les yeux pour constater que le laboratoire était bien vide. Elle se prit alors la tête dans les mains, une boule installée insidieusement dans le ventre. Elle n’aimait vraiment pas cette situation. Elle aurait préféré que cette Erika n’entre jamais dans ce monde.
____D’ailleurs… Comment était-elle entrée ?
____Elle se gifla mentalement et secoua la tête pour s’éclaircir les idées. Elle ne voulait pas s’intéresser à elle, ni penser à la Terre. Elle saurait tout en temps et en heure, et non pas en posant des questions. Elle ne voulait pas avoir l’air concernée. Il ne fallait pas que ses proches s’inquiètent. Déjà qu’ils s’étaient obstinés à lui cacher l’arrivée d’Erika… Tout va bien. Je vis très bien la situation et tout est parfaitement normal.
____Malgré tout, elle avait tout de même très mal au ventre.
____Achevant son travail avec des mouvements secs, elle enveloppa la préparation obtenue dans une bourse en cuir, prit une grande inspiration et quitta le laboratoire à grandes enjambées, regagnant l’infirmerie où Leiftan, pressant lui-même un linge imbibé d’eau pure sur son épaule, ne semblait pas se porter trop mal.
____Comme il était débarrassé de son haut, Écho put analyser rapidement la situation, omettant la présence d’Erika dans la pièce – cette dernière détournait le regard, rougissante. Le torse de Leiftan était parcouru par de longues griffes de sang, sans gravité. Le plus important était sa blessure à l’épaule, plus profonde. Le tissu commençait déjà à se tâcher de rouge. Pourtant, le Lorialet semblait bien portant. Il jetait des coups d’œil en coin à Miiko.
____— Je t’ai dit que j’allais bien, inutile de t’en faire pour moi…
____— Tu rigoles ?! Tu t’es regardé ? On ne peut pas prendre le risque de te laisser te faire infecter par je ne sais quel poison. D’ailleurs, Écho… poursuivit-elle en détournant son attention vers elle. Ce ne serait pas plus rapide que tu… t’occupes de lui, plutôt que d’avoir recourt aux méthodes traditionnelles ?
____Si, cela aurait été bien plus rapide. Écho le savait pertinemment, mais elle pouvait sentir d’ici que Leiftan n’avait rien de grave qui ne nécessitât qu’elle gaspille son Maana. Elle baissa les yeux vers le petit paquet d’algues qu’elle tenait entre ses mains, puis s’avança vers Miiko et le déposa à côté d’elle.
____— Je confirme qu’il n’a rien de grave, dit-elle d’une petite voix. Ezarel, voici un cataplasme pour son épaule. Sur ce, veuillez m’excuser, mais je préfère vous laisser.
____— Hé ! Mais… Écho ?! protesta Miiko en regardant son amie prendre la fuite.
____Leiftan lança un regard perplexe à Ezarel, qui haussa les épaules en réponse. Erika, elle, regardait ses pieds. Miiko posa une main sur son avant-bras.
____— Je suis désolée pour toi, ma petite, lui dit-elle d’une voix douce. Je sais que tu viens d’arriver et que tu dois être encore très perdue. Tout est sûrement confus dans ta tête, et tout le monde ne peut pas t’apprécier au premier regard. Mais Écho est une gentille personne, elle ne pense pas à mal. Je vais aller lui toucher un mot. (Elle leva la tête) Le temps qu’elle revienne à ses sens, je vais te laisser entre les mains expertes d’Ezarel, Leiftan.
____Il hocha la tête pour signifier son assentiment.
____— Et dès qu’elle sera revenue, poursuivit Miiko avec détermination, elle t’examinera, je te le garantis. On ne peut pas prendre le risque de te laisser te faire empoisonner ou je ne sais quoi d’autre.⁂
Après une longue marche au sein de la Cité d’Eel, ayant emprunté les sentiers les moins fréquentés pour contourner le Refuge, Écho se laissa enfin choir de tout son poids dans l’herbe tendre. Elle se trouvait à l’exact endroit où Miiko l’avait trouvée environ une dizaine d’années plus tôt. Comme par un signe du destin, il se mit à pleuvoir, et la jeune femme se recroquevilla sur elle-même. Elle plongea sa main dans la fourrure humide et rousse de son épaisse queue de renard, essayant de se rappeler de ce que ça faisait d’en être un. Mais il était impossible pour elle de transmuter. Cela était resté un unique évènement.
____Une Kitsune à une seule queue. N’importe quoi ! Quelle hérésie, vraiment. Elle planta ses doigts dans la terre molle et mêla son esprit aux pulsations de la nature. Elle ne voulait pas penser aux Terriens. Ce n’étaient que des plaies, tous autant qu’ils étaient. Et la vie avait décidé de lui en placer un sur son chemin.
____— Petite Écho ? s’éleva une voix grave, mais douce.
____L’appelée leva aussitôt la tête. Cryllis le Bugbear se tenait non loin et la regardait avec inquiétude. Elle réalisa alors qu’elle se trouvait toujours en communion avec la terre et replia aussitôt ses doigts contre sa poitrine.
____— J’ai senti des palpitations qui convergeaient dans ta direction, expliqua-t-il avec bienveillance en se rapprochant. J’allais te demander si tu allais bien, mais ce serait une question stupide puisque j’ai déjà la réponse.
____— Oui... En effet.
____Il s’assit près d’elle.
____— C’est très bien, ce que tu fais, dit-il. Tu soignes. Tu n’as qu’une queue, donc pas beaucoup de pouvoir, mais tu t’en sers bien.
____— Merci.
____— Veux-tu me confier ce qui te tracasse ? Ou bien préfères-tu garder cela pour toi ? Peut-être est-ce trop personnel. (Il posa une patte velue sur la tête d’Écho en guise de réconfort, et elle plia ses oreilles vers l’arrière.) De mon point de vue, tu es suffisamment courageuse pour affronter n’importe quoi.
____— Je ne sais pas si je le suis, répondit Écho avant de pousser un long soupir, le regard perdu dans le vide.
____Cryllis posa ses yeux rouges sur elle. En tant que gardien de la forêt, il se sentait responsable de chaque être lié à la nature. Il ne pouvait pas ressentir ses émotions ou deviner ce que contenait sa tête sans qu’elle le partage volontairement. Il leva la tête vers le ciel. La pluie restait légère, et un arc-en-ciel était en train d’apparaître.
____Il finit par se tourner de nouveau vers sa protégée pour constater avec surprise que ses traits avaient changé. Elle aussi fixait le ciel, les sourcils froncés et les mâchoires serrées. Elle retira doucement la patte de Cryllis de sa tête avant de se relever, lui adresser un petit sourire qu’il savait forcé et repartir vers le QG sans dire un mot.
____Slalomant habilement entre les passants, elle se fraya un chemin parmi les venelles du Refuge et fut soudain prise de court lorsqu’elle percuta Miiko.
____— Aïe ! protesta cette dernière en se frottant le nez. Ah, Écho ! Tu tombes bien, je suis venue pour-
____— Ne gaspille pas ta salive, la coupa Écho. J’ai compris. Je vais aller sauver la vie de ce pauvre petit Leiftan et ensuite, j’irais m’occuper de la Terrienne. C’est bien ce que tu voulais, non ?
____Surprise par son agressivité, Miiko n’eut pas le temps de protester que son amie s’était déjà remise en route.⁂
Écho se rassit au chevet de Leiftan. Ce dernier lui adressa un sourire contrit, conscient qu’elle n’était pas revenue par plaisir. Sourire qu'elle ne lui rendit pas. Ezarel, lui, s’était rapidement éclipsé pour continuer ses investigations sur le cambriolage du QG.
____Miiko, qui avait presque dû courir derrière la Kitsune rousse, entra dans la pièce à son tour et s’adossa au mur, croisant les bras. Elle avait l’air irritée.
____Sentant sans doute la tension dans l’air, Erika avait manifesté un soudain intérêt pour ses chaussures en cuir souple, qu’elle ne quittait pas du regard.
____Comme la situation restait telle quelle, Miiko fit entendre sa voix :
____— Écho, pour la dernière fois : occupe-toi de Leiftan. C’est un ordre.
____Le regard des deux femmes se croisa, défiant. Écho sentait la moutarde lui monter au nez en même temps qu’un regain d’adrénaline, et se retournant vers son patient, à qui elle décocha un regard sans pitié, elle tendit les mains vers lui et les posa sur son avant-bras valide. Il tressauta, peut-être parce qu’elle avait les mains froides de l’extérieur ou à cause de son aura crépitante de Maana, elle n’aurait su dire. Puis, doucement, comme une luciole un peu longue à la détente, ses yeux verts se mirent à luire.
____Il eut le temps d’apercevoir les pupilles de la guérisseuse se réduire à l’état de fentes verticales avant qu’elle ne ferme les yeux pour mieux se concentrer.
Chapitre 3 : Hostilité
Érika, fascinée, observa la Kitsune rouvrir les yeux. La douce brume verdâtre et crépitante qui s’était élevée commençait à s’estomper. Comme elle l’avait prédit, Leiftan n’avait ni blessure inquiétante ni infection à déplorer. À cette annonce, Miiko retrouva le sourire. Écho lui jeta un regard mauvais qu’elle ignora, fixant avec soulagement les plaies de son lieutenant qui se refermaient.
____— Merci Écho, déclara chaleureusement Miiko.
____L’appelée inclina légèrement la tête pour toute réponse, signe de respect, mais une de ses oreilles tressauta en arrière.
____À cet instant, des bruits de pas légers qui s’approchaient se firent entendre, et Érika tourna la tête avec anxiété. Elle vit une femme arriver, grande et élancée, aux longs cheveux bleus. De son opinion, elle était très belle. Elle était, en fait, même plus belle que la plupart des êtres vivants qu’elle ait jamais rencontrés. Ses yeux rencontrèrent les oreilles pointues de l’inconnue. Cela aurait créé un mouvement de recul instinctif chez elle si elle ne s’était pas déjà plus ou moins habituée à celles d’Ezarel. Au lieu de quoi, elle fit le rapprochement. Nul doute qu’ils étaient de la même espèce de faeries.
____L’elfe inconnue lui adressa un signe de tête en guise de salut lorsqu’elle arriva à sa hauteur, puis tourna pour pénétrer dans l’infirmerie. Elle portait au bras un panier rempli de plantes variées de toutes les couleurs.
____— Désolée de n’arriver que maintenant, Miiko, s’excusa-t-elle avant de poser son panier sur une chaise. J’ai entendu parler de ce qui est arrivé à Leiftan et je suis revenue aussi vite que possible. (Elle tourna alors la tête en direction de ce dernier.) Est-ce que tu vas mieux ?
____— Oui, ne t’en fais pas, la rassura-t-il aussitôt.
____— En réalité, il n’était pas aussi blessé qu’il le prétendait, renchérit Écho en tournant vers lui des yeux accusateurs.
____— Ce n’est pas moi qui ai insisté pour que tu me soignes, rectifia-t-il calmement. C’est Miiko.
____Elle soutint son regard sans ciller. L’excuse était difficile à gober. Miiko agita ses quatre queues avec irritation.
____— Ça suffit, Écho, s’interposa-t-elle doucement. Je te remercie de l’avoir soigné.
____Elle lui adressa un hochement de tête. Écho renifla, puis se leva de sa chaise, crispée.
____— Puisqu’Ewelein est de retour, déclara la Kitsune rousse, je peux m’en aller. Cela ne dérange personne ?
____— Non, c’est bon. Tu as fait ce que tu devais faire, répondit sèchement Miiko, toujours agacée.
____Elle s’inclina alors à nouveau et quitta la pièce, la queue battante.
____L’ambiance se détendit aussitôt. Leiftan laissa échapper un petit rire.
____— Je m’excuse pour ce spectacle, Érika. Écho ne m’apprécie pas beaucoup.
____— Oui, je vois ça, répondit Érika en hochant la tête, subitement gênée.
____— Quoi, ils ont recommencé ? demanda Eweleïn avec curiosité.
____Elle releva ses manches, prête à se remettre au travail, et s’employa à décortiquer le contenu des papiers qui jonchaient son bureau. Elle ne jeta même pas un coup d’œil aux blessures du lieutenant, le travail d’Écho étant toujours irréprochable.
____Miiko leva les yeux au ciel, et Leiftan rit de nouveau.
____— Elle a recommencé, rectifia-t-il.
____— Bien, parlons d’Ashkore, déclara Miiko, coupant court à cette discussion stérile. Je ne t’ai pas vu depuis plusieurs jours, et tu reviens dans un drôle d’état. Que s’est-il passé ?
____Leiftan se renfrogna.
____— C’est arrivé sur le chemin du retour, il y a trente minutes à peine. Je l’ai vu tenter de s’engouffrer dans le tunnel qui mène aux souterrains de la tour.
____— En plein jour ?! s’étonna Eweleïn en haussant les sourcils.
____Leiftan haussa les épaules.
____— On dirait que oui. Il gagne sans doute en confiance à force de nous échapper.
____Il tourna la tête vers Miiko et la jaugea. La mine grave, elle fixait Leiftan sans vraiment le voir, concentrée. La lanterne qu’elle tenait dans la main droite – en tant que Kitsune proche du monde des esprits, elle ne la quittait jamais – s’illumina lorsqu’une flamme bleu glacée en jaillit, et Érika sursauta. Miiko, auparavant irritée, était maintenant prodigieusement énervée.
____— J’ai déjà lancé des gardes à sa suite, entreprit de l’apaiser Leiftan. Ils nous ramèneront sa tête un jour, Miiko, je te le promets.
____Elle hocha vaguement la tête, puis fit volte-face et quitta la pièce. Elle pouvait être franchement désagréable avec les gens qui l’entouraient lorsqu’elle était en colère, et elle souhaitait éviter cela.
____Eweleïn était plongée dans ses pensées et n’ajouta rien de plus. Érika et Leiftan échangèrent un regard. Un peu mal-à-l’aise, elle se balançait d’un pied sur l’autre. Entourée de faeries, elle se sentait de trop, bien qu’on lui ait garanti qu’elle en était à moitié une.
____Au bout d’un moment, alertée par le silence ambiant, la guérisseuse finit par relever les yeux. Son regard balaya son antre, vide en dépit de son unique patient.
____— Tu peux t’en aller, Leiftan, déclara-t-elle. L’Oracle soit bénie, tu n’as rien.
____Il hocha la tête et balança ses jambes hors de son brancard, puis entreprit d’enfiler sa chemise. Érika l’observait avec curiosité, toute pudeur oubliée. N’y avait-il aucun signe distinctif qui pouvait le distinguer d’un humain ? Apparemment, non. En revanche, elle remarqua une cicatrice dans son dos qui lui évoqua un possible souvenir de bataille.
____Il récupéra son manteau orné d’or sur le dossier d’une chaise, puis pivota vers l’humaine pour lui tendre la main. Prise de court, elle la serra sans réfléchir.
____— Je suis désolé que nous nous soyons rencontrés dans de telles circonstances. Je suis Leiftan, lieutenant de Miiko et membre de la garde Étincelante, s’introduisit-il.
____— Heu… Enchantée, balbutia-t-elle en réponse. (Elle inclina la tête par politesse.) Je m’appelle Érika, je suis l’humaine…
____— Tu veux dire, la faelienne ? Intriguant ! Nous n’en comptons pas beaucoup, au sein du QG, lui appris le Lorialet. La dernière arrivée est Esmeralda. Elle est dans la garde de l’Ombre depuis quelques années. Tu devrais en discuter avec elle, elle pourrait te guider.
____— Je suis aussi dans l’Ombre, bredouilla Érika.
____— Oh, parfait ! Sur ce, il faut que je vous laisse, mesdames, salua Leiftan.
____— Entendu. À plus tard, marmonna Eweleïn, qui avait chaussé une paire de lunettes et qui s’était recentrée sur ses papiers.⁂
Écho revenait du labo et avait deviné qu’elle était suivie. Elle attendit cependant d’atteindre la porte de la tour, là où s’était allongée Fang pour l’attendre, pour se retourner. Une silhouette fluette descendait les escaliers, ayant presque atteint le rez-de-chaussée. Elle croisa ses yeux violets et reconnut aussitôt l’humaine.
____Elle poussa un soupir d’irritation. Elle n’était décidément jamais tranquille, aujourd’hui.
____— Fang, tu veux bien te lever ? On y va.
____Le braukwin se leva aussitôt et fit le dos rond en s’étirant, puis la suivit d’une démarche souple. Écho sortit de la tour. Son humeur ne s’arrangea pas lorsque des gouttes s’écrasèrent sur son visage, lui rappelant qu’il s’était mis à pleuvoir.
____— Écho ! cria Érika derrière elle.
____« Hé, zut » songea Écho. Plutôt que de se retourner, elle préféra accélérer le pas, se dirigeant vers le parc de la fontaine. Elle ne voulait rien avoir à faire avec une humaine et avait choisi de l’éviter.
____Cette dernière en avait apparemment décidé autrement. Écho l’entendit sprinter et sursauta violemment quand elle posa la main sur son épaule.
____— Écho, c’est ça ? Je me suis trompée ? Ou bien tu ne m’as pas entendue, peut-être ? s’avança Érika.
____La Kitsune se retourna vivement, écartant sa main d’une tape, et poussa une sorte de feulement. Bien sûr qu’elle l’avait entendue. Elle lut de l’incompréhension dans son regard.
____— C’est quoi, ton problème ? s’énerva Érika. Qu’est-ce que je t’ai fait ?
____— Tu ne m’as rien fait, riposta Écho en haussant les sourcils, sincèrement surprise. (Puis elle les fronça, plaquant ses oreilles en arrière, dans une posture prédatrice.) Laisse-moi tranquille, humaine.
____Érika recula d’un pas, interloquée. La rouquine battait furieusement de la queue. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais elle eut le sentiment qu’elle ressentait plus de peur que de colère. Ce constat la rassénéra. Elle n’avait rien à craindre d’Écho, qui devait sûrement plus aboyer que mordre.
____— Mais pourquoi ?
____— Laisse-moi tranquille, je t’ai dit ! Je n’ai pas à développer mes raisons, rouspéta Écho.
____— Tu es agressive avec moi et tu dis que je n’ai pourtant rien fait, j’ai le droit de me poser des questions !
____— Fiche-moi la paix, ou je ne garantis pas ta sécurité. Les humains ne font pas long feu, par ici, tu sais, gronda Écho.
____— Oh, c’est une menace ? siffla Érika en haussant les sourcils, les bras croisés.
____— Non, c’est une promesse.
____Écho pivota entièrement face à elle et la toisa du regard. Ses yeux lançaient des éclairs verts. La tension dans l’air était à couper au couteau. Érika était en colère, elle aussi, à présent.
____— Je te le répète : laisse-moi tranquille, insista Écho en faisant volte-face, avant d’ajouter : Sale. Humaine !
____Érika fronça les sourcils et tendit tout de même la main, comme pour lui rattraper l’épaule à nouveau. Vexée et blessée, elle ne comptait certainement pas en rester là. Mais mal lui en prit : Écho ne reçut pas bien ce contact et la repoussa violemment. La faelienne se sentit basculer, saisit alors ce qu’elle put : la tunique de la Kitsune. Dans un enchevêtrement de vêtements et de fourrure, les deux jeunes femmes dégringolèrent au sol.
____Leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre, Écho lâcha une sorte de feulement, puis un grognement sourd, dans un état de fureur tel que ses pupilles commençaient à se rétracter en fentes, sa queue battante martelant le sol et faisant voler de la terre mouillée. À moins d’un mètre, Fang faisait de grands bonds, stressée. Quelques passants s’approchèrent pour tenter de comprendre ce qui se passait.
____— Tu n’es pas faite pour ce monde, cracha Écho dans une expiration furibonde, tentant de se maitriser le plus possible.
____Puis elle se releva vivement, arborant un regard meurtrier, et Fang vint se frotter contre sa main. Toujours au sol, Érika se redressa péniblement sur les coudes. Elle tenta de s’essuyer le visage, mouillé de pluie, mais elle renonça en voyant ses mains pleines de boue.
____Des bruits de pas clapotèrent, et il fallut un moment à Écho pour réaliser que Leiftan était là, se penchant sur l’humaine avec une inquiétude manifeste. Il lui murmura une question peinée, à laquelle elle répondit en secouant doucement la tête.
____— Leiftan, tu fais quoi ?! s’exclama Écho comme si elle venait de prendre un traitre la main dans le sac, la voix montant dans les aigus. C’est une humaine !
____Valkyon, le chef de la Garde Obsidienne, surgit dans son propre dos. Il posa une main ferme sur son épaule et fit signe aux autres gardes de la relâcher.
____— C’est une Faelienne, Écho. Comme moi, rectifia-t-il calmement.
____Elle se retourna et leurs regards se croisèrent. Lorsqu’il était dans les parages, elle était aussitôt apaisée. Elle se voulut immédiatement de s’être emportée. Sa fureur retomba petit à petit, comme un torrent qui s’apaise, et laissa émerger des pics d’amertume et de tristesse.
____— Tu es trop cruelle avec elle, déclara-t-il en lui tapotant la tête. Détends-toi.
____— Je sais, répondit simplement Écho en tâchant de calmer ses tremblements, tandis que Leiftan embarquait l’humaine à l’intérieur.
____Au sommet de la grande tour d’argent, perçant le ciel comme une flèche, Miiko avait observé toute la scène.⁂
Quand Valkyon passa devant le bureau d’Ykhar, tenant Écho par le bras, la bibliothécaire fronça les sourcils d’incompréhension. Même si elle était toujours très heureuse de voir l’Obsidien, amourachée de lui qu’elle l’était (et ce n’était d’ailleurs plus un secret pour personne), la façon dont il maintenait la Kitsune laissait deviner une bêtise.
____Valkyon avait repéré son regard curieux, et il poussa un soupir ennuyé.
____— Qu’est-ce qui s’est passé ? commença la Brownie.
____— Tu le sauras plus tard, Ykhar, répondit Valkyon. S’il te plait, ne t’en mêle pas maintenant.
____— Mais… Pourquoi… Il s’est passé quelque chose avec Écho ?
____— Ne parle pas comme si je n’étais pas là, répondit la Kitsune en levant les yeux au ciel, la mine boudeuse et la dégaine d’un chien (ou d’un renard) mouillé.
____Valkyon et elle se trouvaient au rez-de-chaussée de la tour, dans l’angle où se trouvait le bureau d’Ykhar près de l’alcôve qui menaient aux escaliers, et sans surprise, Écho commença à faire de la résistance à ce moment-là. Valkyon la sentait s’alourdir, se débattant vaguement.
____— Écoute… tenta-t-elle. Il ne s’est rien passé de bien fâcheux, on n’est pas vraiment obligés d’aller voir Miiko, pas vrai ? Je te revaudrai ça, je te le jure…
____— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? insista Ykhar, qui assistait à toute la scène.
____L’Obsidien soupira. Entre la rouquine qui commençait à faire n’importe quoi et l’autre qui semblait prête à déballer le popcorn, il était servi. Pressentant la suite des jérémiades, il coupa court à toute forme de rébellion et jeta Écho par-dessus son épaule tel un sac de pommes de terre, ce qui lui valut un cri de surprise qui résonna dans le hall heureusement vide à cette heure de la journée. Un petit rire dans son dos lui indiqua qu’Ykhar se régalait du spectacle.
____La montée des escaliers en colimaçon fut étonnement rapide. La Kitsune n’hésita pourtant pas à fouetter le visage de Valkyon avec sa queue de renard, et il finit par la bloquer à bras-le-corps. De dépit, elle se laissa complètement faire. Elle boudait en regardant le mur défiler, résignée.
____Arrivé au dernier pallier, Valkyon reposa son trophée poilu. Elle soupira en réajustant ses cheveux et se prépara à entrer dans la salle du Cristal, mais le Gardien l’interpella.
____— Ei, dit-il. (Elle se retourna vers lui, et il posa les mains sur ses épaules.) Je sais que ce n’est pas forcément simple pour toi comme situation, mais je sais que tu es gentille. Je t’aime bien, comme tout le monde ici, et tu es précieuse pour nous.
____Touchée, Écho garda le silence. Il n’était pas coutume pour Valkyon de s’ouvrir de la sorte. Elle hocha la tête, s’efforçant de déchiffrer son aura pour voir sa sincérité de ses propres yeux. Il était honnête, sans surprise. Et même encore un petit peu hilare. Alors elle retrouva le sourire.
____— Ça marche, dit-elle.
____Et elle se retourna pour enfin entrer dans la grande salle d’or et d’argent.
____Les quatre queues de Miiko battaient furieusement. Ce n’était pas, mais alors pas du tout bon signe.
____Se faisant toute petite, Écho trottina jusqu’à elle, refusant de l’impatienter davantage. Gardant un périmètre de sécurité avec la Kitsune en colère, elle était arrivée à environ trois mètres d’elle et s’apprêtait à raccourcir cette distance d’un demi-mètre quand Miiko déclara d’une voix forte :
____— Je t’ai demandé de la surveiller, Écho, et non de la brimer.
____— Je sais, Miiko, entreprit de se défendre Écho, je suis désol-
____Miiko frappa le sol avec son bâton, et ce bruit sec qui résonna dans toute la pièce la fit sursauter. Très bien, elle s’en tiendrait à trois mètres.
____Elle attendit qu’elle poursuive, mais il n’en fut rien. À la place, la Kitsune aux longs cheveux couleur ébène poursuivit son observation de l’extérieur depuis son perchoir, son regard d’azur allant et venant. Écho patienta humblement, et elle finit par l’entendre pousser un petit soupir avant de la regarder enfin.
____— J’imaginais que ce serait dur pour toi, seulement… je ne pensais pas que ce serait à ce point. Tu es désolée, et je le suis aussi.
____— Oui, je-
____— Tu as été cruelle avec elle, tu le sais ?
____Écho se râcla la gorge.
____— Sauf ton respect, je n’ai pas l’impression que quoi que ce soit puisse l’atteindre.
____— Oui, concéda Miiko avec une moue amusée, j’ai remarqué, moi aussi. Elle a un sacré caractère. Ça promet. Mais, (elle se retourna vers sa protégée) ça ne t’autorise pas à jouer avec elle comme un chat avec une souris.
____— Si je puis me permettre, répondit la rouquine en grimaçant, je me sens comme la souris, dans l’histoire.
____Leurs regards se croisèrent et Miiko perçut sans mal la peine de son amie. Ses yeux bleus se voilèrent d’une commisération non-feinte.
____— Oh, Écho, je le sais bien… Je le sais bien, seulement…
____— Je n’ai guère le choix, compléta Écho en faisant une légère révérence. Elle restera quoique que je dise ou fasse, et ma mission de l’intégrer restera inchangée.
____— Non, pas nécessairement. C’était égoïste de ma part. Je te retire le poids de cette responsabilité, céda Miiko d’une voix douce. S’il te plait, fais juste en sorte de ne pas lui montrer à quel point tu la méprises…
____Mue par une inspiration, elle ajouta :
____— Elle est une Terrienne, certes, mais c’est au moins une faelienne, sinon une faery. Toi et moi savons bien que seul le Maana peut activer un cercle de Sorcière. Elle est comme toi, finit-elle.
____— Je tâcherai de m’en souvenir, assura Écho, néanmoins pas aussi convaincue qu’elle le laissait paraitre.
____Elle se retira après avoir effectué une petite révérence. Valkyon l’attendait toujours sur le palier et avait plus ou moins assisté à l’échange. Il l’accueillit d’un sourire et referma son bras droit autour de ses épaules tandis qu’ils s’en allaient redescendre les escaliers. Mais en son for intérieur, Écho était tiraillée. Sa loyauté envers Miiko, le souvenir de ses premiers jours à Eldarya, et sa haine féroce envers les humains.
____Après tout, ceux-ci avaient tué sa mère.
CHAPITRE 4
À suivre.
À suivre.
Dernière modification par EarlingGrey (Le 11-01-2024 à 15h15)