Informations complémentaires : Ce récit est classé PEGI 16, soit au même niveau que l’histoire officielle d’Eldarya (référencement application)
Prenez cette note en compte si vous êtes quelqu’un de sensible, parce que ce qui vous attend est loin du conte de fée.

Liste des prévenus

♦ Florianne
♦ Elélé
♦ Sugfithk

Bien, maintenant que la partie la plus ennuyeuse est faite, entrons dans le vif du sujet !

Il fut sa lumière et ses ténèbres, l’homme avait qui elle pensait enfin stabiliser sa vie. Aujourd’hui, il est son ennemi.

Eldarya se meurt. Les tensions qui animent les quatre contrées de ce monde n’ont jamais été aussi fortes que depuis la fracture du Grand Cristal. Au milieu des manigances et des jeux de rôle, de la cupidité et de la folie tachées de sang, deux camps préparent leurs armes : Ceux qui veulent la survie de ce monde, et ceux qui cherchent son annihilation.
Quel est celui dans le bon ?

Plongée au cœur de ces ténèbres, Morag comprendra bien vite que les enjeux vont au-delà de la possession d’Eldarya.
C’est la guerre. L’ultime dance du Dragon de Glace et du Corbeau de Fer.

Dracarys est un projet sur lequel je travaille depuis un bon moment déjà, et qui n’était pas prévu à la publication initialement. La sortie de A New Era m’a finalement décidée à revoir mon jugement.


Comme vous avez pu le constater, les personnages au centre de cette intrigue sont Lance et Nevra. D’un côté un gentil, maître de l’Ombre de son état. De l’autre, le dragon déchu et mal incarné d’Eldarya. Ainsi doivent être les choses, n’est-ce pas ? Peut-être pas.

Méfiez-vous des apparences, elles sont très souvent trompeuses. Car, tout comme les « gentils » ne le sont finalement pas tant, les « méchants » sont eux-aussi plus complexes qu’il n’y parait. Et l’ennemi pourrait finalement être complètement différent.


Les thèmes abordés sont loin d’être mignons et rose bonbon. Violence physique, mots d’oiseaux, petites tortures psychologiques et autres joyeusetés de cet acabit. Donc par mesure de prudence, je déconseille la lecture aux âmes sensibles.

En revanche, si vous voulez tenter une aventure pimentée à l’humour noir et aux vacheries biens senties, êtes friands de sales coups et manigances sur trame de fond glauque, restez à votre place. S’il s’agit d’un simple intérêt pour nos chers protagonistes également. L’un comme l’autre devrait vous offrir un beau spectacle.




Cette carte est de ma conception. Elle sera mise à jour en fonction de l’avancement des chapitres.

Carte d’Eldarya - Dracarys

>> 01/05/2021 : Introduction de la carte

♦ Eldarya se découpe en quatre continents, où contrées. Chacune d’entre elles est gouvernée par une lignée noble et ses vassaux : les Cours de Printemps, d’Eté, d’Automne et d’Hiver, respectivement celle de l’Est, du Sud, de l’Ouest et du Nord. Au cœur de tout ce joyeux bazar sont coincées multitudes d’îles, dont celle de Nova, où se situe la Garde d’Eel.

Lexique - Pour approfondir le sujet

- Changement : Processus au cours duquel un jeune lycanthrope prend pour la première fois sa forme animale. Il signe le passage à l'âge adulte dans la meute.

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- Ere : Période de l'Histoire de la Faery. Elles sont au nombre de trois.

Première ère - Ere d’Imva

Il s’agit d’un terme générique pour désigner toute période avant l’écriture officielle de l’Histoire par les humains. On y retrouve les ères du fer et du bronze. A l’heure actuelle, on ne sait pas exactement quand est-ce que cette ère termine, ni quand la deuxième commence.

Deuxième ère - Ere de Sothis

Cette ère prend fin au XIIe siècle humain avec les Croisades et le Sacrifice Bleu, qui aboutit à la Création d’Eldarya. C’est l’apogée des grandes puissances magiques. La plupart des textes y faisant mention sont gardés dans la Grande Bibliothèque Impériale du clan Ren-Fenghuang, dans le temple Est.

Troisième ère - Ere de Nieve

Il s’agit de la plus récente de l’Histoire, couvrant de la création d’Eldarya jusqu’à l’année actuelle 3E 727. Elle n’a été rigoureusement écrite qu’à partir de 3E 400. Les textes antérieurs étaient sous la commande des Cours, ou le fruit de travaux indépendants. Aujourd’hui, les plus grosses retranscriptions sont gardées dans les murs de la Garde d’Eel.

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- Fée noire : Peuple utilisant la magie du sang et dont le nom est valable au féminin comme au masculin. Leur peau est blême, leurs yeux d’un vert émeraude. Paradoxalement, ces fées sont dépourvues d’ailes. Nombreuses avant le Sacrifice Bleu, il n’en reste aujourd’hui que quelques rares individus.

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- Sidhe : Analogue à la Faery, aussi appelés Nocturnes de l’Umbra. Ensemble de peuples utilisant la magie du sang, considérée néfaste en Eldarya. Y sont inclus fées noires et vampires, entres autres. Leur histoire respective est transmise oralement dans les quelques lignées restantes.

 

Chapitre 1 : La Femme au Corbeau

« Et au cœur de la nuit, le monde s’embrasa. Sous les rayons de la Lune de sang, il éclata »
Genèse d’Eldarya, chapitre 6

- Allez prévenir l’Etincelante ! Il ne faut pas le laisser filer !

Dispersés en petits bataillons dans les entrailles de la Cité d'Eel, des gardiens de l’Obsidienne foulaient le sol craquelé, abimé par le temps et l’humidité. Le claquement des solerets en acier rythmait leur course, résonnant contre la pierre plus ancienne que la cité elle-même.

Ashkore se stoppa net en apercevant les ombres projetées par les torches à l’intersection devant lui. Il se glissa rapidement dans une des fissures béantes qui perçaient les murs. Le noir de son armure aidant, il se fondit dans l’obscurité ambiante et retint son souffle, écoutant attentivement les pas qui se rapprochaient. Deux hommes, un de carrure moyenne, l’autre légèrement plus petit. Pas de grosse difficulté en perspective.

L’homme au masque sentit ses battements de cœur se faire plus fort à mesure que la lumière et les bruits s’intensifiaient. Il ferma les yeux, prit une grande inspiration et raffermit sa prise sur l’arme autour de son gant droit. Quatre anneaux de métal aiguisés, passés autour des phalanges proximales et liés les uns aux autres par une barre contre sa paume. Petits, mais redoutables.

« Trois. Deux. Un. »

Les deux gardiens passèrent devant la crevasse.

Ashkore se glissa derrière le plus grand du duo et lui abattit le poing d’acier dans les côtes. Le gardien s’affaissa en avant et s’en prit un deuxième dans la mâchoire. Un craquement sordide résonna en concert avec celui de l’épée qu’il laissa tomber. Il chuta inconscient, face la première contre la pierre. Son compagnon n’eut pas le temps de se retourner que le dragon l’attrapa par la nuque pour lui frapper le visage contre le mur. Ashkore observa sa proie rejoindre la première à terre. Bien. Pas besoin de les tuer, il leur avait brisé suffisamment d’os pour les empêcher de bouger. S’ils étaient chanceux, l’hypothermie allait les achever.

« Je pensais que la gamine les retiendrait un moment. J’aurais pu m’épargner cette peine. »

Alors qu’il descendait dans les geôles, chemin le plus rapide pour rejoindre les catacombes, il était tombé sur une jeune femme enfermée dans une des cages suspendues. Dans la vingtaine, cheveux châtains, yeux violets, petite et fine. Elle ne dégageait pas un soupçon de magie et ne semblait pas non plus briller par son génie, de quoi se questionner sur la raison de sa présence. Ces geôles étaient réservées aux êtres jugés dangereux par la Garde. Il ne voyait pas en quoi cette gamine pouvait être une quelconque menace.

Enfin, il n’allait pas s’en plaindre, elle lui semblait être une diversion toute trouvée sur le moment. Le temps de la faire descendre de son perchoir, de l’inciter à se sauver en direction de la Salle des Portes, et il avait repris sa route. Il lui fallait atteindre les galeries les plus profondes pour rejoindre le point de ralliement, il n’avait pas de temps à perdre.


Ashkore récupéra l’épée et la passa à sa ceinture, à côté de sa sacoche pleine à craquer. Un butin chapardé dans la réserve personnelle d’Ezarel, au laboratoire du Verger. Il écrasa la torche du plat de sa botte, plongeant le couloir dans une pénombre froide, puis porta sa main gauche à son cou. Autour d’une courte chaine pendait un cristal de roche provenant des terres sombres du Nord. Il y insuffla une petite quantité de maana et la pierre se mit à luire d’une faible lumière azurée. Bien suffisant pour quelqu’un habitué à l’obscurité.

Le dragon reprit sa course. À l’intersection, il se rua sur sa gauche et sauta au-dessus d’un morceau de mur effondré. Les catacombes avaient encaissé des siècles de tempêtes et de guerres, si bien que les parties les plus profondes ne supportaient plus le poids en surface. Il lui fallait quitter l’endroit avant que les abrutis s’égosillant dans les galeries plus hautes ne les fassent s’effondrer.

- Par là ! Dépêchez-vous, on ne doit pas le perdre !

Au loin, des aboiements venaient de se joindre à la cacophonie. Ashkore retint un juron, préférant garder son souffle pour la fuite, et bifurqua sur sa droite à l’intersection suivante. La Garde avait sorti les minaloos, c’était presque trop d’honneurs. Aveugles mais dotés d’un excellent flair, ces familiers de la contrée Est déployaient un éventail de maana à la manière d’ultrasons et  n’avaient aucun mal à se faufiler dans les plus petites galeries. De redoutables pisteurs qui comptaient de nombreuses proies dans leur tableau de chasse.

Ce n’était toutefois pas les gardiens, ni leurs familiers, qui allaient l’arrêter. Ils pouvaient toujours lui lancer tous leurs chiens de garde aux trousses, ils n’étaient pas prêts de lui mettre la main dessus. Quand il était encore dans l’Obsidienne, Ashkore avait pris soin de mémoriser chacun des plans de la citadelle. Cela comprenait les premiers étages de galeries, ceux juste en-dessous des geôles. Par la suite, il avait mis la main sur ceux des souterrains en eux-mêmes, catacombes incluses. Il les avait tant explorées qu’il en connaissait chaque recoin, un avantage non négligeable sur la Garde. Il pouvait allègrement les faire tourner en bourrique.

Ashkore tourna à un énième embranchement et sentit qu’il descendait nettement en profondeur. Les murs de pierre laissèrent place à d’autres ou ressortaient orbites, mandibules, crocs. Les crânes d’un blanc jauni s’empilaient les uns sur les autres, faisant front d’un seul bloc macabre. Le dragon continua sa route, le bruit de ses bottes étouffé par la terre grasse qui avait remplacée la roche. Il regarda droit devant lui, ignorant les centaines de cadavres que l’on avait entassés bien loin du commun des mortels. Les premiers habitants d’Eldarya, tombés dans le néant, avaient littéralement servi de base à la civilisation actuelle. Ils avaient été effacés de l’Histoire au point où pratiquement plus personne ne connaissait l’existence de leur simulacre de tombe. Quel bel hommage.

L’homme aperçut un éclat vert devant lui. Les catacombes débouchaient sur un réseau d’eau souterrain relié à la rive Est de l’île. Les falaises érodées par des siècles d’intempéries s’étaient creusées telles les éponges pullulant dans les eaux chaudes du Sud, cachant la plage à quiconque observant depuis les hauteurs d’Eel. C’était le point d’entrée parfait pour quiconque voulait infiltrer la citadelle.

Il s’approcha de l’eau, y entra jusqu’aux cuisses. Il fit une rapide vérification de sa sacoche, s’assurant que les liens en cuir étaient solidement serrés, puis insuffla un peu plus de maana à la roche pendant autour de son cou.

Il prit une grande inspiration, puis plongea.

Il n’y avait pas de moment plus calme dans la cité d’Eel que lorsque la nuit tombait. Progressivement, l’animation du marché et de la place centrale le jouxtant se mourrait. Les cris et rires des enfants jouant innocemment entre les adultes s’effaçaient pour laisser place à une quiétude bienvenue. Le vent venait faire danser les clochettes installées sur les portes en guise de protection contre les mauvais esprits, leur tintement à peine perceptible face au mugissement du feuillage. Paradoxalement, si cette trame avait un certain coté apaisant, elle tenait davantage du requiem que de la symphonie.

Des lanternes à huile propageaient une douce lueur et brisaient un peu des ténèbres alentours. Certains enfants avaient décoré la leur avec de fins morceaux de tissus, qui teintaient en bleu, vert ou rosé les flammes reposant en leur cœur. Ces lumières de tant de couleurs différentes ne faisaient qu’accentuer les ténèbres en question, bien belle ironie.

Depuis toujours, les créatures diurnes avaient peur du noir, sans comprendre qu’elles se battaient contre un équilibre immuable. Morag, quant à elle, ne s’était jamais aussi bien sentie que blottie dans cet écrin de noirceur. Elle effleura le verre d’une des lanternes du bout des doigts, prenant garde à en éviter l’armature métallique. Les fées noires n’étaient pas réputées pour apprécier le fer, elle ne tenait pas à se bruler en dépit de la présence de ses gants. Avec une certaine nonchalance, se laissant porter par les sons alentours, elle avança en observant la manière dont son ombre se déformait sur les pierres au sol.

Si sortir en plein jour s’apparentait à un parcours du combattant, à cause de la population grouillante et du bruit ambiant, la nuit était bien différente. Le monde revêtait un autre de ses innombrables visages, plus doux, plus sécurisant. La lumière qui le baignait variait au rythme des heures, des saisons, du temps. La composition du ciel et son intensité étaient un perpétuel changement. Comme la vie elle-même, rien ne restait figé. Quoi qu’il puisse arriver, le monde continuait de tourner.

La jeune femme prit la direction du quartier général de la Garde d’Eel, protectrice de la cité. Elle n’avait rien rencontré d’autre sur son chemin que les gardiens assignés au service de nuit, emmitouflés dans leurs habits d’hiver et désireux de rentrer chez eux. D’un côté, elle pouvait comprendre leur empressement. Tout gardiens qu’ils étaient, ils n’en restaient pas moins des créatures dotées de consciences et de croyances. Quand bien même la cité se trouvait plus protégée que les petites fermes l’entourant, le danger continuait d’exister. Les habitants se hâtaient de rentrer chez eux dès que le soleil se couchait. Seuls les êtres comme elle trouvaient plaisir à se faufiler dans les ténèbres qui prenaient possession des rues.

Arrivée sur la place du marché, elle balada son regard sur les pavés irréguliers qui délimitaient le chemin principal. Les ombres dansaient à mesure que les nuages se déplaçaient, dessinant tout autant de monstres imaginaires terrifiant les enfants. Morag leva la tête au ciel, appréciant la lumière de l’astre presque plein. Elle n’allait pas pouvoir finaliser ses travaux avant quelques nuits, le temps que le cycle se termine. Ce sursis allait au moins lui permettre de regrouper les ingrédients qui manquaient dans les réserves de l’Absynthe. Ezarel se targuait d’être un des plus grands alchimistes de son temps, et le bougre était réellement doué, mais il manquait de méthodologie pour tenir un inventaire à jour. Un point sur lequel la fée noire aimait appuyer quand il l’agaçait.


Le quartier général de la Garde d’Eel était une imposante citadelle composée d’une tour cernée de trois ailes. Elle dominait le reste de la cité telle un château dans sa ville fortifiée, offrant une vue imprenable sur les plaines de l’Île de Nova et la Mer d’Athar. Ses pierres, blanches lors de sa création bien des siècles auparavant, étaient couvertes de lianes et d’une mousse semi-phosphorescente qui cette nuit-là luisait à peine. Après avoir adressé une discrète salutation de la main aux deux Obsidiens de garde, Morag s’engagea dans l’édifice.

L’entrée principale débouchait sur le hall et base de la tour. La Salle des Portes, comme on l’appelait, permettait d’accéder rapidement aux différentes parties de la citadelle, notamment les ailes. Si beaucoup de pièces communes étaient accessibles directement à partir du hall, bien d’autres étaient réparties dans les ailes qui étaient attribuées à chacune des gardes. Ainsi, la jeune femme s’engagea dans les couloirs de l’aile Nord dont l’étage inférieur, affectueusement surnommé « le Verger », était réservé aux travaux de la garde Absynthe. Là était sa destination : son petit laboratoire d’alchimie, bien caché entre deux couloirs.

En qualité de fée noire, Morag maîtrisait des arts qui lui demandaient un peu de matériel et un endroit bien à elle pour travailler. Un lieu sûr où en l’occurrence, n’importe qui ne pourrait pas venir mettre le nez dans ses petites affaires. À ce titre, le laboratoire principal de l’Absynthe était prohibé et elle ne s’y rendait que pour s’approvisionner en ingrédients courants. N’importe quelle recette d’alchimie demandait de l’eau purifiée, en revanche, celles qui avaient besoin de venin d’ornak ou de viscères de kiampu courraient déjà moins les rues.

Rares étaient les gardiens à posséder leur propre lieu de travail. Morag devait son petit havre de paix personnel aux services qu’elle rendait à l’Étincelante. Une garde qui, quand on prenait le temps de se pencher sur son cas, avait très certainement la fonction la plus nuancée des quatre. Pour beaucoup, son rôle ne consistait qu’à superviser ses pairs et tenir des réceptions avec les nobles des quatre contrées d’Eldarya. De petites magouilles politiques pour entretenir les accords commerciaux et les traités de paix. Rien de très glorieux sur le papier.

Toutefois, pour avoir aidé à la préparation et assisté à certaines des réceptions en question, Morag avait bien conscience que ce n’était pas aussi bon enfant. Crises sociales, conflits financiers, vendetta entre populations ou même entre familles royales, les raisons de faire couler le sang ne manquaient pas dans les hautes sphères. En qualité d’arbitre, s’entretenir avec les nobliards était comme jouer une partie d’échecs où la mise était sa propre tête.

En toute honnêteté, Morag ne savait pas comment Miiko faisait pour les supporter, tous autant qu’ils étaient. Leiftan était là pour la tempérer, certes, et il remplissait son rôle à merveille. Le lorialet était un diplomate hors pair, à défaut d’un grand combattant. Mais n’importe quelle personne droite dans ses bottes aurait déjà fait une sévère overdose. La fée noire, pour sa part, était bien contente de pouvoir se cacher derrière Nevra qui risquait ses fesses à sa place.


La gardienne extirpa une clé de la sacoche à sa ceinture et déverrouilla son sanctuaire. À peine entrée, elle se fit accueillir par un croassement rauque qui retentit juste à côté de son oreille gauche. Un son métallique et strident qui la fit trembler de tous ses membres. En réponse, elle flanqua un coup de besace au fautif qui esquiva sans aucun souci.

- Khora ! Maudit sois-tu, sac à plumes !

Le ptérocorvus partit se poser sur la branche épaisse qui lui servait de perchoir, près de la fenêtre ouverte en persienne, et répondit d’un croassement moqueur à sa maîtresse. Cette dernière fit mine de l’ignorer et partit déposer sa besace sur la paillasse située au centre du laboratoire. Le caractère taquin de son familier - certains diraient sadique, et à raison - était loin d’être une nouveauté. Il s’était toujours comporté ainsi depuis sa sortie de l’œuf. Ceci ne l’empêchait pas d’obéir scrupuleusement aux ordres de la jeune femme, mais sur son temps libre, c’était un véritable diable.

- C’est ça, fais ton fier ! Est-ce que tu m’as ramené ce que je t’ai demandé, au moins ?

Elle eut sa réponse l’instant suivant en apercevant ce qu’il restait d’un crabe tacheté sur sa paillasse. La carapace avait été éclatée à grands coups de bec et le malheureux crustacé partiellement dévoré. Seules les pinces, mélange d’ocre liseré de bleu, restaient intactes. Morag s’empara de la carcasse et, d’un mouvement sec du poignet, brisa le cartilage qui empêchait la pauvre bestiole de se disloquer. Elle prit ensuite un bocal en verre dans lequel elle mit soigneusement les pinces tant convoitées. Le reste du crabe fut simplement jeté au familier. Le rapace attrapa la prise au vol et se fit un grand plaisir de la dévorer, son bec denté le brisant avec la même facilité qu’une petite chenille grasse. La jeune femme haussa un sourcil face au plaisir évident qu’il prenait à déchiqueter le cadavre. Certains jours, elle avait sérieusement de quoi se questionner sur l’état psychologique de sa bestiole.

- Eh bien, à se demander comment tu as pu me le ramener entier. Enfin, façon de parler…

Morag rangea le bocal dans une armoire vitrée, avec une série d’autres contenant divers fragments animaux. Cornes, yeux, peaux, un riche butin qu’elle devait en grande partie aux talents de chasseur de son familier. Après s’être assurée que tous les bouchons étaient encore correctement en place, la jeune femme retourna vers la paillasse. Le crabe n’allait pas lui servir tout de suite, plusieurs projets attendaient encore d’être finalisés. L’un des plus prometteurs reposait dans deux erlenmeyers mis bien en évidence sur la paillasse, exposés aux rayons de la lune.

La fée noire s’empara doucement d’une des fioles. De petites graines blanches de la taille et de la forme d’un haricot trempaient dans une solution bleutée. Un substrat nutritif fortement concentré en maana sidhe. Morag espérait que cette fois-ci, le mélange qu’elle avait utilisé allait lui donner de bons résultats, et non faire mourir les végétaux. Il était difficile de se procurer des graines de plante carnivore en temps normal, mais l’individu source n’était nul autre que Dorothée, mascotte des Absynthes et petit bijou d’Ezarel. L’elfe était très difficile en matière de négociation à ce sujet. Si elle ne le connaissait pas aussi bien, Morag aurait juré qu’il avait un instinct paternel.

- Ça y est presque, je commence à voir le germe. Je n’avancerai pas davantage avant la prochaine pleine lune, donc nous allons pouvoir aller nous coucher. Pars devant, je te rejoins dès que j’aurai fini de ranger ce bazar.

Khora ne se fit pas prier. Sur un dernier croassement rauque, son corps s’évapora en une brume sombre qui s’échappa par la fenêtre. Morag attendit qu’il ait fini de disparaître pour examiner la seconde fiole. La graine qu’il contenait avait pris une couleur violine à cause du soluté à base de sang dans lequel elle baignait. Cette seconde expérience n’était que pure curiosité, l’Ombre ne s’attendait pas à obtenir quelque chose de probant. Néanmoins, cela pouvait valoir le coup de tenter. Son sang de sidhe recelait bien des surprises, même pour elle.

Après s’être assurée du bon état de ses graines, puis de la propreté générale du laboratoire, elle se décida enfin à quitter les lieux pour un peu de repos bien mérité. Elle verrouilla précautionneusement derrière elle, puis prit le chemin de la Salle des Portes, son ombre valsant sur les murs à la lumière des torches.

À l’instar du village, la citadelle était d’un calme absolu. D’ordinaire animé par les déplacements et conversations des gardiens, il n’y régnait plus qu’un silence reposant. Tout en descendant les escaliers en colimaçon permettant de rejoindre le hall, Morag profita de la quiétude que lui offrait la nuit, se disant que la chanson serait bien différente dès le lendemain matin. Elle n’était pas pressée d’y être.

La journée était réservée à l’entraînement des petits nouveaux de l’Ombre, et comme de coutume avec Nevra, il l’avait chargée de tout superviser à sa place. Ce casse-pieds de vampire était l’être le plus sournois et manipulateur qu’elle connaisse. Il l’était déjà à leur rencontre, mais cette partie de lui semblait s’être faite plus présente depuis qu’il avait accédé au grade de chef de garde. Même si c’était loin d’être un défaut compte tenu du climat actuel, Morag restait inquiète à son sujet. Avec tout ce qu’ils avaient traversé, elle n’était pas dupe : la santé mentale du vampire en avait pris un sacré coup.


La Salle des Portes était nimbée de lumière. Une partie provenait des vitraux colorés qui trônaient à une dizaine de mètres du sol. L’autre, plus froide et bleutée, provenait du couloir qui menait au Grand Cristal. La roche sacrée était précieusement gardée dans une salle protégée au plus haut de la tour. Selon l’histoire de la création d’Eldarya, elle serait née en même temps que ce dernier, l’irradiant du maana de ceux qui s’étaient sacrifiés. Nombre de peuples pensaient que c’était la déesse-mère elle-même qui était intervenue pour assurer la survie de ses enfants. Morag, elle, préférait considérer la question avec recul : si tant est que cette déesse ait réellement existé, pourquoi diable laissait-elle le monde qu’elle avait si ardemment aidé à naître sombrer dans la folie et la désolation ?

Toujours en silence, Morag commença à gravir les marches qui menaient au sanctuaire. À mesure que ses pas la rapprochaient du Cristal, la mousse bleutée qui couvrait les murs à l’intérieur même de la tour luisait doucement, dégageant le même maana froid que celui qu’elle avait senti dans le hall. De ses doigts gantés, elle effleura la surface des végétaux et sentit l’énergie se frayer un passage jusqu’à sa peau. Elle trouva le contact glacé et dérangeant, intrusif même, tout l’inverse de ce qu’elle avait entendu.

Tout en progressant, elle se rappela une conversation avec Miiko encore peu de temps auparavant. La kitsune lui avait expliqué l’étrange chaleur qui la gagnait lorsqu’elle entrait en communion avec le Cristal. Une chaleur rassurante, presque maternelle, qui avait le don de l’apaiser. D’autres membres de la Garde, à commencer par Nevra et Ezarel, semblaient éprouver cette même étrange sensation. Seul Valkyon y semblait indifférent, et Leiftan ne s’était guère prononcé sur la question.

Cette sensation de froid s’intensifia lorsque la fée noire arriva devant le sceau qui bloquait le passage. Ykhar en avait trouvé la formule dans un des rares grimoires de magie elfique présents dans la bibliothèque de la citadelle. À l’origine, il s’agissait d’un sort de protection qui affaiblissait ceux que le créateur jugeait comme des ennemis. En le couplant avec un rituel de sang, et avec la participation d’Ezarel, Morag avait mis au point une version qui empêchait purement et simplement les êtres non conviés de le traverser. Il n’était pas particulièrement puissant, mais l’apport quotidien des rayons de la lune le régénérait continuellement.

Elle retira un de ses gants et posa sa paume nue sur le glyphe central. Le sceau gagna en transparence et la couche de verre magique qui protégeait l’endroit se désagrégea le temps que la jeune femme le traverse. Un sort né d’un rituel du sang, quel que soit son usage, reconnaissait toujours celui qui l’avait conçu.
En y pensant, le Sacrifice Bleu était une forme alternée de cette magie antique. Mais dans ce cas, qui en était exactement le ou les créateurs ?


L’air de la pièce était glacial. Morag n’aurait su dire si cela était dû à l’hiver qui prenait doucement ses marques, ou bien tout simplement à la présence de la pierre sacrée trônant fièrement sur son piédestal, irradiant de lumière. Tout du moins, aussi fièrement que pourrait l’être une roche brisée. La jeune femme se souvenait de sa taille démesurée, de sa plus haute pointe frôlant presque le plafond avant qu’un des ennemis de la Garde ne le brise, un peu plus d’un an auparavant.

Aujourd’hui, il n’était plus qu’un fragment. Le sacrilège était si grand que, si la Garde l’avait capturé, celui qui se faisait appeler Ashkore aurait été torturé à mort.

Personne n’avait entendu parler de l’énergumène auparavant. Quelques vols avaient bien été signalés au sein du quartier général, mais le coupable aurait pu tout aussi bien n’être qu’un simple voleur à la petite semaine, tout juste assez intelligent pour ne pas se faire prendre. Alors que l’Étincelante était occupée à négocier un traité de libre-déplacement avec la Cour d’Été, Ashkore avait déjoué la sécurité renforcée pour l’occasion et s’était frayé un passage jusqu’au sanctuaire.

Par la suite, le criminel avait brisé le Cristal. Cela en avait fait l’ennemi public numéro un d’Eldarya. Mais cette réputation ne l’empêchait pas de faire des descentes régulières dans les réserves alchimiques de la citadelle, causant la zizanie à la moindre occasion. À cause de ce type, Morag avait été contrainte de révéler sa magie de sang au reste de la Garde. Rien que pour cela, elle avait une raison personnelle de l’écorcher vif.

Sentant une brusque colère venir lui chauffer le sang, la jeune femme darda un regard venimeux au Cristal. Tout ça à cause de cette saloperie de caillou. S’il était si important, si puissant que les gens se targuaient à le dire, pourquoi n’avait-il pas été capable d’assurer sa propre protection ? L’apparition de l’Oracle était bien la preuve qu’il possédait sa propre volonté. Pour ce qui était de se manifester lors de la naissance de morpions royaux, elle apparaissait tel un ange apportant sa sainte bénédiction, mais pour ce qui était de générer ne serait-ce que le plus basique des champs de force, il n’y avait plus personne.

Eldarya commençait à se disloquer, doucement mais sûrement, et la perte d’une grosse partie du Cristal ne faisait qu’aggraver les choses. La terre se mourrait, les éléments se déchaînaient, les habitants perdaient la raison. Les nobliards des Cours y voyaient là un moyen de monter en puissance et, comme si ce n’était pas suffisamment le bazar avec les guerres qu’ils menaçaient de faire éclater, voilà qu’un illuminé venait faire des siennes.

- Pourquoi ? lança-t-elle d’une voix tonnante au Cristal devant elle. Qu’est-ce que tu as de si spécial pour que ce type t’ait brisé ? Qu’est-ce qui cloche avec toi ?

Pourquoi Ashkore avait-il tenté de détruire le Cristal, en prenant le risque d’y laisser la vie ? Morag avait du mal à cerner ses intentions. Quelles étaient les raisons, qu’importent qu’elles soient obscures tant qu’elles existaient, pour qu’il ait commis un tel acte ? Ce type avait beau lui sortir par les yeux, il était loin d’être stupide. La preuve étant que personne, pas même Nevra, n’avait encore réussi à lui mettre le grappin dessus.

Dès son entrée dans la Garde d’Eel, Morag avait étudié en long, large et travers les livres d’Histoire sur la création d’Eldarya. Elle avait cherché à comprendre les mécaniques profondes de ce monde, et pourquoi il tombait en poussière. En dépit des années, elle ne comprenait toujours pas pourquoi ses proches éprouvaient de la chaleur au contact de cette caillasse alors qu’elle, au contraire, était gelée de la tête aux pieds. Ce caillou, qui avait désormais perdu bien de sa superbe, lui faisait une peur bleue depuis le premier jour.

Cette chose, toute sacrée soit-elle, était une des résultantes du Sacrifice Bleu qui, plus de sept-cents ans auparavant, avait donné naissance à Eldarya. Mais si on glorifiait ceux qui avaient fait don de leur vie pour les autres, le sacrifice en question baignait dans l’ombre. La jeune femme sentait que, quelque part, quelque chose clochait. Les pièces ne s’emboîtaient pas, mais elle ignorait où et pourquoi. Le malaise était là, ça, c’était une certitude.

- Qu’est-ce que tu es vraiment ?

Chapitre 2 : Morag de l’Umbra

- Saleté d’bouts d’boiiiis !

Le jeune triton fonça sur le premier pantin et esquiva la pale à hauteur de ses côtes. Il n’eut pas autant de chance avec celle à hauteur de visage qu’il se prit pile dans le museau. Le vent généré l’envoya valdinguer quelques mètres en arrière, jusqu’à se prendre le mur dans le dos. De quoi sérieusement le calmer. Hébété par le choc, il s’adossa à la pierre en se tenant la tête des deux mains. Il pouvait s’estimer heureux si, d’ici la fin de journée, il échappait à une bonne commotion.

Des éclats de rire venant de ses comparses retentirent, rapidement calmés par leur instructrice du jour. Cette dernière croisa les bras sur sa poitrine en soupirant. Voilà bien pourquoi Morag n’aimait pas les enfants. En un sens, certains adultes étaient tout aussi immatures, mais au moins elle pouvait leur coller un coup de pied au derrière. Ce n’était pas garanti qu’elle puisse faire la même avec des mômes, du moins pas sans se prendre Miiko sur le poil après.

- Owaïn, si tu tiens tant à te prendre des mandales, c’est chez l’Obsidienne que ça se passe. Pour la dernière fois, ça ne sert à rien de débouler dessus comme un bourrin.
- Mais c’est impossible à prévoir, comme truc !
- Seulement pour les crétins qui ne prennent pas le temps de réfléchir avant de foncer. Sers-toi de ta tête, mais pas comme d’un bélier !

Morag entendit de nouveaux éclats de rire dans son dos. La Garde avait récemment recruté un petit groupe de jeunes venant de la cité d’Eel, et comme elle l’avait craint, Nevra lui avait confié la charge de les évaluer. Une petite formalité pour s’assurer qu’ils avaient les prérequis, qu’il disait. La bonne blague. Ce fourbe de vampire comptait surtout sur elle pour écrémer tout ça vite fait bien fait.

Morag était connue de ses pairs pour être un véritable tyran, en entrainement comme en mission. Cela l’avait propulsée au grade de capitaine de l’Ombre malgré son jeune âge. Sa réputation n’était plus à refaire et agissait presque comme une armure protectrice, mais quand elle voyait les travaux qu'on lui attribuait, elle la regrettait amèrement. Quel était l’intérêt de monter en grade si c’était pour jouer les nourrices ? Eweleïn avait intérêt à avoir fait le plein d’antalgiques, parce que ni sa tête ni les gosses n’allaient s’en sortir indemnes.


Derrière elle, la fée noire entendit un des nouveaux comparer la tête brûlée à un chien fou. Les gamins avaient tellement pris la confiance qu’ils ne se cachaient plus pour cracher leur venin. Pourtant, même s’il était fonce-dans-le-tas, le petit triton avait le mérite de s’investir dans cette épreuve de sélection. Les petits marioles qui se moquaient ouvertement de lui ne pouvaient pas en dire autant.

Agacée par cette énième remarque, Morag attrapa une des épées d’entraînement en bois et la lança d’un revers. L’arme toucha l’adolescent à l’abdomen, le faisant violemment tomber en arrière. Ses camarades s’éloignèrent en un cri de surprise, manquant de terminer à terre eux aussi. Pendant que le gamin se remettait du choc, Morag le toisa d’un regard noir, le surplombant de toute sa hauteur. Elle l’aurait volontiers foudroyé sur place si elle avait possédé un tel pouvoir.

Sa victime du jour était un jeune brownie-cerf qui commençait à peine à avoir ses bois. Il devait avoir dans les seize ou dix-sept ans, mais Morag ne lui donnait pas plus. Il évita son regard en se recroquevillant sur lui-même, livide. Son dossier le présentait comme le fils cadet d’un marchand qui tenait un florissant commerce de soies. Alors que l’aîné était destiné à reprendre les affaires de son père, le plus jeune avait décidé de s’enrôler dans la Garde. Sûrement pour une bête question de fierté.

« Et c’est censé être ça, la relève ? Eh bien, on n’est pas sortis. »

Il faisait moins le fier que le jour de son arrivée. Elle se souvenait de lui, tout fringuant dans des habits bien taillés et à vue d’œil de bonne facture. Sans doute n’avait-il jamais connu les difficultés de la faim et des conflits, celles qui faisaient grandir les enfants bien trop prématurément. Et il avait assurément été trop choyé pour apprendre l’humilité.

- Quand on n’est pas capable d’esquiver un coup d’une telle simplicité, on se passe de commentaires. Mets-toi bien dans le crâne que les imbéciles qui ne savent pas se taire ne font pas long feu ici. Ton nom.
- Ax… Axis, madame.
- Eh bien, Axis, puisque tu sembles t’y connaitre mieux que tes camarades, tu vas nous faire une petite démonstration. Debout, et au trot !

Morag claqua le talon de sa botte au sol, juste à côté de la main droite du gamin. Ce dernier bondit littéralement sur ses pieds et se mit au garde-à-vous, droit comme un piquet. Bien. Il avait au moins la jugeote de la craindre.


Du menton, elle lui désigna le parcours d’obstacles. Surnommés « le Labyrinthe », les quartiers de l’Ombre ne manquaient pas de salles entraînements. La plupart étaient spécialement configurées pour améliorer les aptitudes propres à cette garde : adaptabilité, furtivité, réactivité. La plus redoutée d’entre toutes était plongée dans le noir total, légèrement éclairée ci et là par les mollusques fluorescents qui y vivaient. L’environnement imitait une forêt avec marais, tantôt rocailleuse, tantôt glissante et boueuse. De surcroît, un mécanisme interne permettait de faire bouger le sol et modifier ainsi la disposition des obstacles. Sans aucun repère, les gardiens devaient retrouver la sortie, seuls ou en équipe, en évitant les pièges de pendard qui fourmillaient un peu partout. Nevra s’était amusé comme un fou à les mettre en place.

Morag aurait volontiers réservé cette salle d’entrainement pour ses recrues du jour, mais Miiko le lui avait formellement interdit. D’après la kitsune, il fallait les évaluer et non leur donner des cauchemars pour des semaines. À contrecœur, la fée noire avait par conséquent mobilisé une salle plus classique, bien éclairée, avec quelques armes émoussées gracieusement fournies par la garde Obsidienne. Longue de six mètres sur huit, elle était séparée par trois lignes de tourniquets en bois d’un mètre quatre-vingts de haut chacun. Armés de six pales regroupées en trois rangées de deux, situées à hauteur respective de la tête, du ventre et des jambes, ils tournaient en générant de puissants courants. Les gardiens de l’Ombre avaient coutume de s’en servir pour s’échauffer.

Le but de l’exercice était de passer d’un bout à l’autre sans se prendre un seul coup. Morag avait réglé la vitesse des pales au minimum et enjoint les jeunes à tenter un passage les uns après les autres. Jusqu’ici, seule la plus fluette du groupe, une petite brownie-lapin du nom d’Ysèle, y était parvenue sans accroc. Owaïn, quant à lui, était le quatrième à s’y coller et venait de s’y casser le museau trois fois de suite. Un élément résistant mais sacrément borné.


Axis avança à petits pas jusqu’à la ligne de départ. Les tourniquets fonctionnaient toujours, brassant de l’air en un sifflement strident. Le jeune cerf prit une grande inspiration, puis s’élança vers la première rangée de pales. Il en esquiva une à hauteur de visage sur sa gauche, puis sauta au-dessus d’une autre, à sa droite, qui lui aurait fauché les jambes. À réception, il n’eut cependant pas le temps d’esquiver une des pales de la deuxième ligne, qui le frappa aux côtes et l’éjecta aux pieds de Morag.

- Un gardien de l’Ombre doit savoir agir avec sang-froid et méthode. Il observe, analyse, et cherche la meilleure manière de frapper. Rien ne sert de vous précipiter sur votre cible si c’est pour manquer votre coup et vous faire tuer.

La fée noire attrapa fermement sa recrue par le bras et le releva. Elle maintient son contact quelques secondes le temps qu’il retrouve l’équilibre, et quand ce fut chose faite, l’envoya rejoindre le reste des gamins qui étaient devenus bizarrement silencieux. Elle préférait largement cette attitude. Pour avoir regardé ses réponses au questionnaire de l’Etincelante, Axis était loin d’être idiot. Malheureusement, il préférait user de cette intelligence pour dominer les autres gamins et en tirait une satisfaction évidente. Pour Morag, c’était rédhibitoire.

- Tu t’es allègrement moqué d’Owaïn, mais c’était tout aussi mauvais. Selon toi, qu’est-ce qui n’allait pas ?
- J’ai… J’ai passé les premiers, mais j’ai pas vu le reste. J’ai pas eu le temps de réagir.
- Tu l’aurais eu si tu avais suffisamment réfléchi à ta manœuvre. Si tu te contentes de ne voir que l’ennemi direct, tu te feras abattre par ceux qui t’attendent derrière. Et crois-moi, quand tu seras sur le terrain, il n’y aura personne pour venir te sauver les fesses.

Morag porta la main à la poche arrière de son pantalon et en extirpa un ruban de soie. Ses cheveux, d’un noir rehaussé de reflets violacés, lui caressaient les épaules en ondulations souples. En temps normal, elle ne prenait soin de les attacher que pour s’adonner à l’alchimie. Toutefois, par expérience, mieux valait ne rien laisser dépasser avec cet entrainement. Une mèche prise dans les pales arrivait très vite.
Visiblement, les mômes allaient avoir besoin d’une seconde démonstration.

- Bien. On se tait et on observe, ce sera la dernière fois. Après, à vous de jouer.

Morag réajusta la large ceinture en cuir qui lui entourait la taille, où deux stylets en argent luisaient sous la lumière baignant la pièce. Le reste de son uniforme était dans la simplicité : une longue veste noire lui moulait les épaules et les hanches, dissimulant le body violet en dessous. Le tout était complété d’un pantalon noir et de bottes à lacets dont les semelles épaisses étouffaient le bruit des pas. Contrairement aux Absynthes ou Obsidiens, la tenue des Ombres était épurée et près du corps. Il aurait été dommage qu’une mission demandant une discrétion totale soit compromise à cause d’une armure bruyante ou d’un bout de tissu volant.

La jeune femme se positionna en face des tourniquets. Lorsqu’elle avait intégré la Garde, se confronter à ces monstres de bois l’effrayait. Elle s’était pris de nombreux coups, et son instructeur de l’époque avait eu un malin plaisir à l’y réexpédier jusqu’à ce qu’elle réussisse. À force de s’y frotter, elle avait compris comment chacune des pièces de chaque rangée tournait. L’exercice s’était alors avéré beaucoup plus simple.

La première rangée était relativement facile à passer : si un tourniquet tournait dans le sens des aiguilles d’une montre, ceux d’à côté faisaient l’inverse. Les trois étages de pales allaient à la même vitesse, dans le même sens. La deuxième était déjà plus complexe : le sens était identique à la première, mais la vitesse des pales sur un même tourniquet variait. Quand à la troisième, le sens et la vitesse de mouvement des pales s’alternaient sur chacun des tourniquets.


Morag fit un pas. Deux. Puis s’élança. D’un saut, elle passait au-dessus des deux pales inférieures de la première rangée. En revenant à terre, elle laissa ses jambes vaciller et se glissa sous la deuxième rangée en un rouler-bouler. Enfin, profitant de la vitesse prise, elle sauta par le trou laissé par les pales intermédiaires de la troisième rangée. Elle se réceptionna sur la main droite, utilisa le reste de son élan pour se retourner et retomba sur ses jambes sans aucune difficulté.

La gardienne contourna le champ de tourniquets et revint calmement auprès de son groupe de recrues. Parmi la dizaine de jeunes qu’on lui avait refourgués, elle croisa le regard lumineux de trois d’entre eux, dont le petit triton. Vu leur grand sourire, elle pouvait supposer sans risque de se tromper qu’ils avaient hâte de s’y frotter. Une attitude de ce genre était plutôt prometteuse pour de futures Ombres. Axis, de son côté, semblait sur le point de se liquéfier.

- Maintenant que vous avez vu comment faire, à votre tour. Axis.
- J-Je peux pas, m’dame. Je ne veux pas y retourner…
- Tu feras comme les autres. À toi.
- Non, je veux pas !
- Je vois… Dans ce cas, recule et ne t’avise plus de l’ouvrir avant la fin. Si je t’entends encore une fois, ces tourniquets seront le cadet de tes soucis.

Le jeune poussa un glapissement apeuré. Morag soupira, se retenant de le renvoyer malgré tout dans les pales à coup de pied dans le derrière. Lorsqu’elle avait leur âge, elle avait rapidement appris que montrer sa peur pouvait coûter très cher. À son époque, la Garde d’Eel était dirigée par Yunoki et ne ménageait pas ses jeunes. Sitôt équipés, ils étaient catapultés sur des missions de terrain où certains d’entre eux se faisaient littéralement massacrer. Les autres apprenaient à survivre bon gré mal gré. Prédateurs, bandits, plantes venimeuses, les causes de décès ne manquaient pas et seuls ceux qui étaient assez forts ou rusés pouvaient s’en sortir. Être les deux était le combo gagnant, mais malheureusement, cela ne suffisait pas toujours. Morag connaissait quelqu’un de cet acabit, qui aujourd’hui n’était plus à ses côtés. Elle s’était pourtant toujours attendue à partir avant lui.

- Ysèle, vas-y. Voyons voir si Fortuna est toujours de ton côté.

La gamine s’élança sans se faire prier. Contrairement à ses comparses, elle prit quelques instants pour regarder le mouvement des tourniquets, avant de s’avancer à petits pas. Elle sautilla au-dessus d’une des pales et en esquiva une autre d’une roulade. La première rangée fut passée avec brio. Arrivée à la deuxième, elle manqua de se prendre un coup dans la figure et se laissa tomber à genoux juste à temps. Elle glissa sous la deuxième rangée, puis passa la troisième d'un saut. En nage et le souffle court, elle revint sous les encouragements des autres jeunes.

Morag sourit quand la gamine se tourna vers elle avec ses grands yeux rubis, à la recherche de son approbation. La fée noire lui donnait à peine quatorze ans, l’âge minimum requis pour s’engager. Menue et courte sur pattes, à l’apparence de brindille prête à se briser, la brownie ne payait pas de mine au premier abord. Morag elle-même était aussi frêle le jour où elle s’était enrôlée, et cela ne l’avait pas empêchée de faire son bout de chemin. Elle était curieuse de voir comment cette petite allait bien pouvoir évoluer sous son tutorat.

Ysèle arriva à hauteur de ses camarades, toute fière, et tapa dans la main d’Owaïn qui s’élança pour un quatrième essai. Ainsi que pour un quatrième coup de pale dans la figure.

- Mais quelle bourrique, réfléchis un peu avant de foncer ! Et ça te fait rire, en plus !

Pour eux, l’exercice ressemblait à un jeu. Morag les trouvait bien insouciants, mais au moins avaient-ils appliqué ses consignes. Sauf pour quelques fortes têtes. Le reste du programme allait lui permettre de savoir si certains d’entre eux conviendraient mieux à l’Obsidienne ou à l’Absynthe. Du reste, le temps allait finir de les façonner.

Aujourd’hui, la mentalité de la Garde avait heureusement changé, et bien des atrocités jugées normales autrefois n’étaient plus que de sinistres souvenirs. Toutefois, par manque de sélectivité lorsque les recrues venaient signer, elle se retrouvait à devoir materner des gosses qui étaient tout juste assez autonomes pour se moucher tout seuls. Elle avait déjà une idée de qui elle allait garder, refourguer à ses collègues, ou tout bonnement recaler.


L’espace d’un instant, en voyant ses jeunes s’adonner à un exercice qui lui était si familier, elle se laissa bercer par ses souvenirs. La fée noire avait rejoint la Garde d’Eel en 3E 714. La sept-cent-quatorzième année de l’ère de Nieve. Onze ans auparavant.

En ce temps, il n’y avait pas de limite d’âge pour s’enrôler. Les épreuves étaient communes et se passaient dans la cour du quartier général. Des dizaines de jeunes amassés en rang, attendant leur tour avec tantôt de la peur, tantôt de l’excitation, tantôt bien d’autres choses qu’eux même ne comprenaient pas. Beaucoup d’entre eux étaient des enfants réfugiés qui cherchaient une échappatoire à la misère et l’errance.

Elle se souvenait de cette gamine toute frêle perdue au beau milieu d’adolescents bien plus grand qu’elle. La panique montait, son sang bouillonnait. Elle voulait laisser sa magie l’enfermer dans une bulle hermétique, loin de tout, et se couper d’un monde qui l’effrayait.

Puis une paire de mains s’était posée sur ses petites épaules. Une fraîcheur revigorante l’avait doucement gagnée, apaisant son cœur qui battait bien trop vite. Elle se souvenait du regard bleu, perçant et déterminé, de ce garçon qui à l’époque déjà débordait d’insolence. Un autre, plus jeune, persistait à rester caché derrière lui, ses yeux dorés à peine visibles derrière sa trop longue frange.

« Tant qu’on reste ensemble, tout ira bien. Hors de question qu’on laisse notre petite princesse toute seule ! »

- Tu parles, murmura-t-elle pour elle-même. C’est pourtant à cette même princesse que tu as laissé les rênes, crétin de dragon…

Nevra poussa un profond soupir. Il se prit la tête entre les mains en se demandant quand est-ce qu’il allait enfin pouvoir quitter ce bureau de malheur. La migraine carabinée qui lui broyait le crâne faisait des siennes depuis des heures déjà et ne semblait pas décidée à partir. Il en avait vraiment marre.

Il en était à sa troisième nuit blanche d’affilée et ne s’était pas alimenté convenablement depuis tout autant de temps. Il donnerait cher pour pouvoir s’abreuver à même la veine d’une jeune demoiselle, bien au chaud dans l’intimité d’une chambre. Le sang revêtait un goût tout particulier en fonction de la nature et des émotions de la source. Il n’y avait rien de tel qu’un sang chaud imprimé de désir et d’excitation pour requinquer un vampire fatigué. Recueilli en plein acte, le divin breuvage revêtait un goût incomparable. Il en salivait déjà.

Le chef de l’Ombre fut sorti de son état de léthargie par une liasse de papiers lui tombant brutalement sous le nez. Il sursauta sur son siège, avant de darder un œil venimeux sur la fautive. Cette dernière se contenta de s’asseoir à même le bureau en le défiant du regard, bras croisés sur la poitrine. Monsieur lui refilait une corvée et osait râler par-dessus le marché, c’était le comble.

- Bonjour à toi aussi…, maugréa-t-il en se massant l’arête du nez.
- À cette heure-là, ce serait plutôt « Bonsoir ». J’ai rendu mon verdict concernant les mômes.

Nevra jeta un rapide coup d’œil à la pile de dossiers en parchemin légèrement jauni. La couverture de certains d’entre eux était marquée d’une cire rouge sur laquelle était tamponné l’insigne des gardes Ombre ou Obsidienne. Le vampire récupéra ceux concernant la première et laissa échapper un sifflement faussement impressionné.

- Dis donc, trois d’un coup ? Et deux pour l’Obsidienne ? Mais c’est que notre dame devient clémente avec la vieillesse.
- Va te faire voir. Donne-moi des recrues avec un véritable potentiel et mes sélections seront plus performantes, c’est une bête question de logique.

À chaque cession, Morag ne gardait qu’un nombre infime de recrues. Ses critères étaient basés sur ceux de l’ancienne Garde, ce qui avait le don d’épurer drastiquement la première sélection faite par l’Etincelante. Certains de ses compères, même au sein de l’Ombre, la jugeaient comme bien trop sévère dans ses jugements. Elle, pour sa part, préférait considérer qu’il valait mieux recaler un jeune tout de suite plutôt que de le voir six pieds sous terre quelques mois plus tard. Si de telles sélections avait été mises en place quand elle-même était entrée dans le Garde, de nombreuses morts inutiles auraient été évitées.

- J’ai confié les nouveaux à Karenn, elle s’occupe de leur faire visiter les lieux. Je suis bien forcée d’admettre que tu avais raison concernant Ysèle. Elle est jeune, mais elle pourra faire un très bon élément avec du temps.
- Bien, bien… Est-ce que tu as prévenu Valkyon pour les deux autres ?
- Oh oui, et il était ravi. On va voir s’il le sera toujours quand il aura vu Owaïn.

Le vampire se contenta d’un hochement de tête et laissa immédiatement échapper une grimace. La fée noire n’aurait su dire ce qu’il marmonnait, mais la manière dont il se tenait le crâne était plus que parlante sur son état. À trop forcer, il s’en rendait malade. La jeune femme sortit une petite fiole en verre de sa poche et l’agita sous le nez de son chef. Un liquide rouge et épais collait aux parois, brillant sous la lumière artificielle du plafonnier.

- Tiens, je viens de le prélever. Avale avant de me claquer entre les mains.

Nevra sembla comme reprendre vie et attrapa le présent à pleine main. Il fit sauter le bouchon avec les dents et avala le contenu d’une traite. Le maana contenu dans le fluide vital chaud et sirupeux abonda dans son propre corps, le faisant pousser un long soupir d’aise. Morag n’avait prélevé qu’une vingtaine de millilitres, à peine de quoi faire une bonne gorgée, mais il ne lui en fallait pas plus. Le sang des fées noires, gorgé de leur magie, était riche en énergie comme en saveur. Malgré toutes les créatures auxquelles il avait déjà gouttées, il n’avait pas encore réussi à retrouver une équivalence.

- Par l’Oracle, il est encore chaud !
- Profites-en bien, parce que je n’ai pas envie de m’ouvrir une autre veine pour t’en donner plus.
- Donc tu t’es taillé la peau exprès. Quel honneur. Comment est-ce tu as su qu’il m’en faudrait ?

Morag haussa les épaules, trouvant soudainement la lampe du bureau très intéressante à fixer. Nevra avait beau faire l’imbécile en public, en réalité, il était très loin de l’être. Le code de conduite qu’il s’imposait une fois en mission le poussait souvent à négliger sa santé, à commencer par son alimentation. Difficile de se concentrer s’il devait chasser, et le sang conditionné qui lui faisait office de rations était loin de le satisfaire. Après deux semaines de mission, Morag craignait de le retrouver en sale état. Malheureusement, elle avait vu juste.

- Disons que j’ai eu du flair. Mais c’est tout ce que tu auras, tu as intérêt à tenir jusqu’au lit d’une de tes conquêtes d’un soir.
- Ne t’en fais pas, c’est ce qui est prévu au programme. J’avais toutefois peur d’exsanguer quelqu’un si je sortais de ce maudit bureau.
- Et dire que je suis entrée sans m’en soucier, souffla-t-elle, j’aurais dû prévoir une fiole au poivre.
- Monstre, tu n’aurais pas osé ?

Le vampire nota le petit sourire en coin de sa capitaine. Il se passa brièvement la langue sur les lèvres, recueillant les quelques gouttes de sang y restant, et se cala dans le fond de son siège en un profond soupir d’aise. Il se sentait déjà aller mieux. Revoir Morag lui faisait plus de bien qu’il ne l’aurait pensé, et ce n’était pas seulement grâce au sang qu’elle lui avait gracieusement donné. Le temps lui avait paru désagréablement long.

Le chef de l’Ombre revenait d’une mission à Balenvia, une petite région forestière de la Contrée de l’Est, dépendante de la Cour de Printemps. Une énième mission diplomatique où ses capacités de manipulation étaient plus que bienvenues. Il n’avait pas eu le temps de souffler que, sitôt de retour, Miiko l’avait convoqué de toute urgence avec le reste de l’Etincelante. Cela avait bien servi sur l’instant, lui permettant de refourguer la corvée de la sélection à sa capitaine sans qu’elle ne l’étripe sur place. Avec du recul, il aurait encore préféré s’occuper des mômes lui-même.

- Alors, qu’est-ce que cette réunion avait de si important pour que l’on ne nous dise rien ?
- Qu’est-ce qui te fait croire qu’elle était aussi importante ?
- Oh Nevra, à d’autres. Il en faut beaucoup pour te fatiguer de cette façon. Accouche donc, j’aimerais bien aller dormir, moi-aussi.

Le vampire se retint de targuer qu’elle était tout aussi nocturne que lui mais se ravisa. Le sommeil le guettait, l’énergie lui manquait, et il avait hâte de filer sous des draps chaud en charmante compagnie.

- Ashkore a été aperçu dans l’enceinte du quartier général. Nous n’avons pas encore fait le tour de tous les inventaires, mais il a pour sûr cambriolé le laboratoire d’Ezarel.

La jeune femme accusa le coup, avant de lâcher ce qui sembla être un rire nerveux. Le vampire sourit en retour. Il aimait bien l’entendre rire, mais étant donné la suite, ça n’allait pas durer.

- Cet enquiquineur était dans le QG, et vous ne nous avez pas prévenus ? Pourquoi ne pas lui ouvrir nos portes en grand, à ce stade ?

L’Etincelante savait qu’il était entre ces murs, mais n’avait pas jugé bon de donner l’alerte ? Quels idiots ! L’Ombre comptait dans ses rangs des traqueurs hors-pair, et l’Obsidienne des guerriers qui avaient maintes fois fait leurs preuves sur le terrain. Quant aux Absynthes, certaines de leurs potions vicieuses - inventées par Ezarel essentiellement - auraient pu aisément le désorienter. Certes, les gardiens lambda n’avaient pas encore réussi à mettre la main sur l’hurluberlu jusque-là, mais sans leur concours, cela ne risquait pas de changer.

- Avant que tu ne m’en colles une, crut bon de préciser Nevra, tout cela s’est passé hier soir. Ce matin, j’ai à peine eu le temps de saluer Miiko qu’elle m’est tombée dessus. Elle ne m’a pas donné le loisir de prévenir Shaïtan.
- Vu tout l’amour que me porte ta boule de poils, je doute qu’elle m’aurait fait passer le mot de toute manière. Est-ce qu’on sait ce qui a disparu ?
- Dans le laboratoire principal, oui, mais j’attends le rapport de Valkyon pour le reste de nos réserves. Après tout, il a déjà dévalisé les forges par le passé. Il faudra aussi que tu fasses l’inventaire de ton côté, on ne sait jamais.
- Je vois, je n’y manquerai pas…

Nevra sourit de nouveau face à l’œillade meurtrière de sa collègue. Le laboratoire privé de Morag fourmillait d’ingrédients rares et de potions ayant chacune nécessité des mois de travail. Ces travaux avaient d’autant plus de valeur aux yeux de la jeune femme qu’elle s’était littéralement saignée pour les mener à bien. Par le passé, Ashkore ne s’était pas privé pour aller s’y servir, et la fée noire n’était pas prête de l’oublier.

- Concernant le labo du Verger ?
- Outre des ingrédients de base, cette fois-ci, il est arrivé à ouvrir le coffre-fort. Il a chapardé un cœur de dragon et d’autres ingrédients de cet acabit, il ne reste presque plus rien.

Deuxième temps de silence, plus pesant que le précédent. Morag se retint de déglutir, prise aux tripes par un mélange âcre de crainte, peine et dégout. Il y avait décidemment des jours où elle était bien contente de ne pas connaître tous les secrets de l’Etincelante. Elle avait déjà suffisamment matière à cauchemarder comme ça.

- Un cœur de dragon… quelle horreur.
- Je n’en ai jamais vu de mes propres yeux, ça pourrait tout aussi bien être une plante ou une pierre précieuse. Et c’est plutôt ironique venant de quelqu’un qui a déjà utilisé un encéphale de gobelin frais pour un de ses rituels.
- Rituel dont, sauf erreur de ma part, nous avions besoin pour protéger le Cristal. Merci de ne pas oublier ce détail, surtout que c’est toi qui lui as ouvert le crâne, à cette pauvre bestiole. Bref…

La fée noire se pencha en avant et s’appuya de tout son poids sur les accoudoirs du fauteuil. Elle fixa Nevra dans le blanc des yeux, tel qu’elle le faisait pendant ses interrogatoires. Il aurait volontiers trouvé cela tentant en d'autres circonstances.

- L’autre a encore fait des siennes, j’entends bien. Mais il y a quelque chose que tu ne me dis pas, je me trompe ? Ça va au-delà de ça.
- C’est-à-dire ?
- Ne fais pas le mariole avec moi. Le coffre-fort du Verger était bien fourni, mais pas assez pour déclencher un état d’urgence. Et s’il y avait eu des morts, j’en aurais entendu parler. Donc, il s’est passé autre chose de suffisamment grave pour faire paniquer Miiko. Quoi, c’est la question.

Le vampire étouffa un pouffement, à la fois amusé et agacé. Il aurait pu le parier, elle ne comptait le laisser s’en tirer à si bon compte. Tous deux se connaissaient bien avant d’entrer dans la Garde, ils avaient eu le temps de se connaître et se rapprocher. Jadis, Morag avait la frimousse douce, presque fragile, d’une petite poupée de porcelaine. En grandissant, elle avait gagné en dureté de traits et de caractère, si bien que Nevra peinait à y reconnaître la gamine de son enfance. Cependant, son esprit aiguisé et sa perspicacité n’avaient pas changé. Cela lui donnait un charme auquel il n’était pas indifférent.

Miiko avait prévu de la convoquer le lendemain matin avec les chefs de gardes, mais mieux valait que le vampire déblaye le terrain avant. Histoire qu’il n’y ait pas trop de casse. Valkyon mis à part, il était bien le seul capable de la calmer sans qu’elle ne l’esquinte.

- Est-ce que tu as fait un tour dans la Salle du Cristal, la nuit dernière ?
- Oui. Comme souvent. Je n’y ai rien vu de particulier.
- Tu as dû la manquer de peu, dans ce cas. Hier soir, Miiko a intercepté une humaine dans la citadelle. Elle serait apparue directement dans la Salle du Cristal.

Silence une énième fois. Nevra observa avec attention le visage de la jeune femme blêmir. Elle n’avait déjà pas la peau bien colorée, nature de fée noire oblige, mais cette fois-ci elle était livide. Rarement, il avait eu l’occasion de voir une telle expression d’horreur sur ce minois d’ordinaire impassible. On aurait pu craindre qu’elle se brise entre ses mains s’il se risquait à la toucher. Cela était aussi surprenant que fascinant.

- Vous l’avez tuée, au moins ? Pitié, dites-moi que vous l’avez tuée séance tenante.
- Pas tuée, non.
- Alors enfermée ? Dans les geôles, très loin de nous ?
- Essayé, mais pas longtemps. Morag, l’Oracle est apparue devant cette fille. En conséquence de quoi, elle intégrera une de nos gardes. Notre garde.

Morag ne pipa mot, gelée de la tête aux pieds. Elle ouvrit la bouche, à la recherche d’une réplique bien cinglante, mais fut incapable de trouver. Cette fois-ci elle en était sure, ce monde partait vraiment, mais vraiment en vrille.

Note - Petit point historique

L’Hsitoire de la Faery se découpe en trois ères, un peu comme l’Histoire humaine. Les deux premières sont d’ailleurs calquées sur le même principe :

- Première ère - Ere d’Imva

Il s’agit d’un terme générique pour désigner toute période avant l’écriture officielle de l’Histoire par les humains. À l’heure actuelle, il n’existe plus aucune donnée dans les archives d’Eldarya. On ne sait pas exactement quand est-ce que cette ère termine, ni quand la deuxième commence. En se basant sur les quelques écrits restants, on situe approximativement sa fin entre -1300 av JC et -1000 av. JC.

Deuxième ère - Ere de Sothis

Cette ère prend fin au XIIe siècle humain avec les Croisades et le Sacrifice Bleu, qui aboutit à la Création d’Eldarya. C’est l’apogée des grandes puissances magiques comme les peuples du Sidhe, les aengels, les dragons.

Là encore, il n’y a que très peu de données référencées. La plupart des textes y faisant mention sont gardés dans la Grande Bibliothèque Impériale du clan Ren-Fenghuang, dans le temple Est. Leur accès y est fortement restreint et seules les lignées royales peuvent les consulter.
On raconte cependant qu’il reste encore quelques écrits bien protégés en Hajvingar, au nord. Ils contiennent, entre autres, quelques-uns des plus puissants sortilèges de sang et des brides de la genèse d’Eldarya.

Troisième ère - Ere de Nieve

Il s’agit de la plus récente de l’Histoire, elle débute à la création d’Eldarya. Elle n’a été rigoureusement écrite qu’à partir de 3E 400. Les textes antérieurs étaient principalement sous la commande des Cours, ou le fruit de travaux indépendants. Question impartialité et exactitude, on peut donc avoir des doutes.
Aujourd’hui, les plus grosses retranscriptions sont gardées dans les murs de la Garde d’Eel. D’autres données, plus spécifiques aux contrées, sont conservées dans les Cours correspondantes.

Vous pouvez retrouver toutes ces informations dans le lexique.
Dracarys prend place en 3E 725. Dans ce chapitre, Morag précise qu’elle est entrée dans la garde onze ans plus tôt, en 3E 714.

Chapitre 3 : Un grain de sable dans l’engrenage

Orion avait passé la plus grande partie de son existence dans la cité d’Eel. C’était là où, encore petit garçon, il avait trouvé refuge avec sa mère après la perte de leur village. Il y avait grandi, était passé d’un gosse pétochard à un jeune homme au sang chaud que la Garde de Yunoki n’avait pas manqué d’enrôler. Il avait fait ses armes en tant que gardien de l’Obsidienne, rencontré sa femme et fondé son propre foyer. Une vie tranquille et bien rangée.

Quand il y pensait, cette époque était rude mais il avait ses attaches et ne l’aurait échangé contre aucune autre. Malheureusement, elle était révolue. Il avait suffi d’un seul voyage en bateau, dans les eaux que se disputaient Avalöne et Hajvingar. Sa mère, son épouse et l’enfant venu agrandir leur famille reposaient désormais tous trois dans les abysses. La vie qu’il s’était bâtie s’était effondrée, emportée par une énième guerre entre les grands de ce monde. Aucun n’avait payé pour toute cette souffrance.

Aussi, quand on était venu lui offrir une opportunité de faire changer les choses, il n’avait pas réfléchi longtemps avant d’accepter. Il avait rejoint les forces de celui que l’on considérait comme le plus grand ennemi d’Eldarya. Avec quelques années de recul, il croyait dur comme fer s’être rangé aux côté de la bonne personne. Même si cela impliquait d’avoir davantage de sang sur les mains.


Orion enjamba un tonneau qui trainait près du grand-mat et avança vers la tête de proue, esquivant les hommes qui s’activaient sur le pont. La mer était à peine agitée et le ciel bien dégagé. Un vent provenant du sud-est s’était levé en fin de matinée, gonflant avec force les voiles du bateau. Le brick goélette avançait à bonne vitesse, brisant les vagues sur son passage. Selon les calculs du navigateur de l’équipage, si les conditions météorologiques se maintenaient, le Blazeryon  n’aura besoin que de quelques jours pour arriver à destination.

Il arriva près de la tête de proue du bateau, toute de bois sombre. L’imposante tête de dragon nordique fixait fièrement l’horizon, la gueule grande ouverte sur deux rangées de crocs finement sculptées. D’un peu moins d’un mètre de large, elle l’était suffisamment pour qu’un adulte s’y juche sans risquer d’en tomber. Le brownie mit ses mains en porte-voix et cria aussi fort qu’il put. Si le vent était déjà bruyant au centre du bateau, à l’avant, son hurlement était strident.

- Chef ! Nous venons de quitter les eaux d’Eel !

Lance lui tournait le dos, assis en tailleur à même la tête de proue. Le dragon avait retiré son masque qui pendait désormais à sa ceinture, ses cheveux blancs balayés par le vent. Il regardait droit devant lui, silencieux, comme absent. Il n’avait pas bougé de sa place attitrée depuis que le bateau était parti en trombe de l’Île de Nova. Orion attendit qu’il lui réponde, puis réitéra son appel.

- C’est bon, je ne suis pas sourd. On se calme, ces guignols ne risquent pas de nous suivre.

Le ton fut glacé, tranchant. Orion ne put s’empêcher de déglutir. Il sentit la sueur froide lui courir le long de la colonne vertébrale en un désagréable frisson. Depuis que son chef était revenu de son larcin à Eel, une aura meurtrière planait autour de lui, pesante telle une chape de plomb. Du moins, elle était plus pesante que d'accoutumée. Même en temps normal, Lance ressemblait à un fauve prêt à sauter à la gorge de quiconque ferait un pas de travers. Le reste de l’équipage, pourtant fait de guerriers et d’anciens gardiens, évitait soigneusement de se trouver trop près de lui quand il commençait à s’agacer. Dans le genre lunatique, c’était un sacré spécimen.

Distraitement, le dragon manipulait le cœur qu’il avait subtilisé à la Garde la veille. L’organe, on ne pouvait plus authentique, était conservé dans une résine dorée assimilable à l’ambre, lourde et épaisse. Lance savait que ce genre d’ingrédients était parfois utilisé dans certaines formes de magie noire, mais il ignorait lesquelles exactement. Et il n’avait pas spécialement envie de le savoir. Le simple fait d’avoir cette chose entre les mains lui tordait l’estomac, c’était bien pour empêcher la Garde de s’en servir qu’il l’avait prise avec lui.

- Est-ce que c’est vraiment ce que je crois ? lança Orion d’une voix blanche. Pourquoi garder une chose pareille ?

Lance lui glissa un regard froid. Orion était loin d’être idiot, il lui posait une excellente question.

- Le maana se concentre dans les organes vitaux. Le foie, les poumons, le cerveau mais surtout le cœur. Celui-là est une véritable petite bombe de magie prête à servir.

À ses balbutiements, la Garde d’Eel était persuadée qu’elle pouvait redonner de la force au Cristal en lui offrant de la magie sidhe. Par « magie », elle entendait leur sang. Lorsqu’il n’y en eut plus de disponible, les faeries suivirent. Ceux qui avaient le malheur d’appartenir à une race ancienne liée au Sacrifice Bleu risquaient de finir exsangues au pied de ce maudit Cristal.

Le dragon ne pouvait pas dater le cœur qu’il avait entre les mains, mais celui de Valkyon où le sien auraient très bien pu terminer dans le même état. Se faire passer pour des faeliens leur avait sûrement sauvé la vie.
Enfin, en ce qui le concernait lui, Lance gardait quelques doutes. Après tout, officiellement, il n’était plus en vie depuis deux ans.


Deux ans. Cela ne représentait rien à l’échelle d’une vie, pourtant cela avait suffi pour tout changer. Il n’avait qu’à observer Morag pour le constater. La jeune femme s’était littéralement transformée. Ses traits s’étaient durcis, elle avait coupé les longs cheveux qui jadis cascadaient en belles boucles souples dans son dos, adopté un uniforme plus sombre. Pour ne rien arranger, elle était devenue le bras droit de Nevra. Le Corbeau de Fer de la garde de l’Ombre, rien que ça. Une belle ironie quand on connaissait l’aversion des fées noires pour ce métal.

Lance ne pensait pas que cela tournerait comme ça. Il n’avait pas prévu qu’à force de fouiller dans les archives de la Garde, cette dernière cherche à le faire disparaître, purement et simplement. Le « sacrifice éclairé » des dragons, la « trahison » des aengels, l’essor des fenghuangs et leur mainmise sur ce monde, il voulait comprendre. Extraire la vérité de ce qui sonnait à ses oreilles comme une énorme entourloupe.
Tout ce qu’il y avait gagné était sa « mort ». En chemin, il avait perdu son frère et sa fiancée.


Le dragon eut un rire amer. Il pouvait critiquer cette situation autant qu’il voulait, mais c’était précisément lui qui l’avait provoquée. Sa fée n’avait pas changé à cause du casse-pied de vampire commandant l’Ombre, ni parce qu’elle avait révélé son sang de sidhe. Elle avait changé par sa faute. Se faire passer pour mort n’était pas de son initiative, certes, mais les décisions prises par la suite, oui. Il avait sciemment fait le choix de poursuivre ses plans sans elle.

À l’époque, il pensait protéger Valkyon et Morag en les tenant éloignés, mais c’était de la naïveté. Ainsi qu’une grosse erreur qu’il se prenait à regretter. Son frère pourrait éventuellement se ranger à ses côtés, ils restaient liés par le sang et la magie. Mais en ce qui concernait sa fée, il ne fallait pas se leurrer : elle cherchera à lui faire la peau. Amour et haine deviendront indissociables, ce qu’il ne pouvait pas accepter. C’était égoïste, mais il préférait qu’elle se rattache à son fantôme plutôt que de définitivement la perdre.

- Hum ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

Son attention fut attirée par quelque chose au loin.

Ils étaient encore à plusieurs jours des terres d’Avalöne, mais les nuages orageux qui en agitaient les eaux étaient déjà visibles. Il pouvait sentir l’air se rafraichir et se charger d’humidité à mesure que le navire avançait. Une couche de brume commençait à onduler à la surface. D’ici peu, l’océan n’allait plus être aussi calme.

- Orion. Que les gars tiennent le cap, nous n’allons pas tarder à atteindre les eaux d’Avalöne. Et dis-leur de s’attacher à quelque chose s’ils ne veulent pas finir en nourriture pour monstres.

Orion s’exécuta sans broncher. Le dragon, pour sa part, rangea le cœur de son semblable dans sa sacoche et se mit debout sur la proue. Calmement, il détacha ses épaulières et les lança sur le pont, puis retira une à une les attaches de son plastron. Un élément après l’autre, son armure termina en vrac au sol. Le vent froid vint lui caresser la peau, lui procurant un long frisson d’aise. Lance avait toujours beaucoup aimé la fraicheur, sa nature de dragon de glace s’était exprimée tôt dans son enfance, à l’inverse de son cadet.



Avalöne, aussi appelée la Contrée de l’Ouest, avait pendant des siècles subi de grands mouvements tectoniques. Aujourd’hui encore, les volcans sous-marins provoquaient régulièrement ras-de-marées et tempêtes.

Celle qui se profilait s'annonçait violente. La hauteur de la houle avait déjà commencé à augmenter. Elle faisait tanguer le bateau qui avait perdu sa vitesse de progression, heurté par le vent cinglant. Le soleil avait disparu derrière une épaisse masse de nuages fourmillant d'éclairs.

Lance sentit la magie irradier dans ses veines. Elle se propagea en ondes de chaleur dans ses bras, ses jambes, engourdissant le bout de ses doigts. Elle gagna sa tête et lui flouta la vue, avant de se concentrer dans son dos, entre les omoplates. Il s’était transformé tellement de fois qu’il ne prenait plus peur en entendant le craquement des os qui se déplaçaient. Une douleur brulante irradia lorsque le bout de ses ailes perça sa peau. Elles se déployèrent en deux toiles d’argent et brassèrent furieusement l’air, repoussant l’eau en face d’elles.

D’une impulsion, le dragon s’éleva. Orion slaloma entre les hommes qui s’activaient à refaire les nœuds avant que le vent n’arrache les voiles. Il en incita deux à s’éloigner des rambardes et chercha la silhouette de son chef dans les nuages. Au loin, une première vague scélérate se profilait, prête à frapper. Les perturbations de la mer d’Avalöne étaient connues pour être les plus meurtrières qui soient, et nombre d’épaves en tapissaient le fond. Si le Blazeryon se prenait une seule de ces vagues, le mercenaire ne donnait pas cher de leur peau.

Soudain, un rugissement déchira le ciel. Un imposant projectile bleu, semblable à une boule de feu, brisa la couche de nuages pour descendre avec violence en direction de l’océan. La déferlante heurta la vague scélérate et en gela la surface. La masse d’eau semblait avoir stoppé sa course, mais le bateau, lui, continuait d’avancer.

Le dragon suivit peu après son œuvre. Ailes repliées, il piqua en direction de la vague et la percuta de plein fouet. L’édifice cristallisé éclata en gros morceaux qui partirent s’écraser dans la houle. Orion ne put s’empêcher d’observer avec fascination le navire fendre le mélange d’eau et de glace pendant qu’au-dessus de sa tête, le dragon reprenait de l’altitude et lâchait un rugissement vainqueur. Blanche comme la neige, la créature semblait faite en argent pur, à l’exception du poitrail et d’une longues lignes de piques le long de la colonne vertébral, d’un bleu tel le Grand Cristal.

Orion lâcha un sourire lorsque le dragon partit à l’attaque d’une autre vague, sous la clameur de l’équipage et le rugissement de l’orage. Oui, définitivement, il était persuadé d’avoir rejoint les rangs de la bonne personne.

- Voila… Désormais, tu as les mêmes informations que nous.

Assise sur les marches qui menaient au Cristal, Miiko observait avec appréhension la réaction de Morag. Le soleil était à peine levé, ses rayons rosés ricochaient sur le minéral pour baigner la pièce dans une lumière nacrée. Le froid de la nuit n’avait pas encore totalement disparu et la kitsune, toute cheffe de l’Etincelante qu’elle était, n’aurait su dire s’il était la cause de ses tremblements, ou bien si elle avait juste peur.

Comme convenu, Morag avait été convoquée en même temps qu’Ezarel, Nevra et Valkyon. Leiftan assistait également à la réunion en qualité de bras droit, en retrait dans un coin de la salle. Il n’était pas rare que Miiko requiert la présence des capitaines en plus de ses chefs de garde pour une entrevue en privé. Plus particulièrement, elle demandait régulièrement à Morag de l’assister.

Du même âge, les deux jeunes femmes s’étaient enrôlées dans la garde de l’Ombre à seulement quelques années d’intervalle. Les séquelles de leur passé respectif et les épreuves passées ensemble les avaient progressivement rapprochées, si bien que la kitsune la considérait comme la plus fiable de ses sœurs d’armes. Au fil du temps, leur duo avait accueilli Nevra, Valkyon, Ykhar, et d’autres gamins que la mort avait fini par emporter.

Même après avoir pris du galon, Miiko voulait que les liens qui l’unissaient à cette famille atypique persistent. Dans un monde où tout n’était que mensonges et mesquineries, où elle pouvait se retrouver avec un couteau dans le dos au moindre relâchement, il n’y avait qu’à leurs côtés qu’elle arrivait à se sentir en sécurité.

- Je voulais t’en parler plus tôt, mais tu t’occupais de tes recrues. J’avais peur de créer un mouvement de panique.

En face d’elle, Morag gardait le silence. Elle ne s’était pas départie de l’air sombre, irradiant de colère, qui lui gelait le visage quand elle avait déboulé dans la salle telle une furie, sommant sa comparse de s’expliquer. Cette dernière s’était alors posée sur les petits escaliers en marbre, aussi calmement que son angoisse lui permettait, pour s’exécuter sans broncher.

- De « mouvement de panique », souffla enfin la fée noire, ben voyons, prend-moi pour une andouille… J’ose vraiment espérer que c’est une mauvaise plaisanterie. Miiko, sérieusement ! Tu t’es tapé le crâne contre un mur ou quoi ?

La concernée sursauta telle une enfant prise en faute. Elle-même n’était pas sûre de ses propres décisions. Le fait que Morag la contredise avec tant de véhémence la faisait davantage douter. Quand l’humaine était apparue dans le sanctuaire hautement protégé du Cristal, Miiko l’avait faite mettre aux fers séance tenante. Elle comptait bien la laisser croupir dans sa cage tant que la situation ne serait pas stabilisée au quartier général. Alors seulement elle s’occuperait de son cas.

Toutefois, par elle ne savait quel fichu moyen, l’humaine avait réussi à s’échapper. Cet enquiquineur d’Ashkore était sûrement fautif, il n’en loupait pas une pour leur tirer dans les jambes. Rien que pour ça, elle avait voulu brûler cette intruse sur place, mais l’apparition de l’Oracle avait tout changé. Erika ne pouvait décemment pas être exécutée ou enfermée alors que la messagère du Cristal divin était apparue en personne devant elle.

- Je sais que c’est une mauvaise idée… J’étais pour la laisser dans les geôles.
- Eh bien, tu aurais dû rester sur ton idée. Une humaine, bon sang, et venue directement de la Terre ! Pourquoi ne pas directement nous coller une cible sur le front, pendant qu’on y est ?
- Morag, l’Oracle est apparue devant elle…
- Et quelle incroyable nouvelle, tu m’en vois ravie. Rappelle-moi, n’est-ce pas elle qui apparait également quand un de ces morpions royaux vient au monde ? Déesse des désastres.

La voix de l’Ombre était acide, aussi tranchante que les athamés plaqués contre sa cuisse. La kitsune se mordit les lèvres, se demandant s’il fallait la reprendre pour son énième blasphème. Les peuples de la Faery vénéraient le Cristal. Par extension, l’Oracle apparaissait à leurs yeux comme la déesse veillant sur Eldarya. Mais certaines ethnies du Sidhe ne le considéraient que comme un caillou vampirisant l’énergie d’un monde déjà à l’agonie. À une époque où la Garde était beaucoup plus austère, ce genre de pensées était violemment réprimé. Aujourd’hui encore, elles étaient au centre de nombreux conflits en Eldarya. Morag restait davantage pour les gens qu’elle aimait que pour sa fonction.

Miiko, pour sa part, préférait se rassurer en se convainquant que sa camarade ne faisait que dénigrer la noblesse. En soi, elle les haïssait au moins tout autant, malgré qu’elle ait elle-même appartenu à la dynastie des kitsunes de Kyoku, la Contrée de l’Est. Avoir côtoyé la cour de son père lui donnait par ailleurs une excellente raison d’entretenir cette haine. Son enfance à Kyoku fut un enfer.

- Tu vois, je t’avais bien dit qu’elle réagirait comme ça, glissa un Ezarel tout aussi exaspéré que la fée. Cela va nous retomber dessus tôt ou tard. Pas besoin de rameuter la harpie pour le comprendre, avoir un brin de jugeote suffit amplement.
- Pour une fois, je suis d’accord avec la sainte nitouche. Laisser une menace pareille en vie est tout sauf une bonne idée. C’est donner le couteau pour se faire poignarder.

La sainte nitouche et la harpie en question s’échangèrent un regard venimeux. Les deux gardiens n’avaient pas de si mauvais rapports qu’ils laissaient paraitre, ne serait-ce que grâce à leur amour commun pour l’alchimie. Mais lorsque deux forts caractères comme le leur s’affrontaient, il y avait toujours un peu de casse. La kitsune avait fini par ne plus relever leurs sempiternelles querelles. Elle ne comptait plus depuis combien d’années ils se chamaillaient, s’envoyant piques et surnoms à la moindre occasion.


Cette fois-ci, Morag abandonna la première. Elle se massa les tempes en lâchant un profond soupir, excédée. Cette conversation stérile la fatiguait plus qu’elle ne l’aurait pensé. Être en équilibre sur du travail de jour et de nuit commençait à sérieusement jouer sur sa résistance, tant sur le plan physique qu’émotionnel. Elle avait hâte d’expédier ce problème et de prendre quelques heures de repos, avec Khora bien occupé à l’autre bout de l’île.

Lentement, d’un pas calme qui tranchait avec la violence de ses mots, la fée noire vint s’installer à côté de Miiko. Elle posa une main sur les siennes, rongées au sang. Peignés à la va-vite, les longs cheveux lisses de la kitsune se soulevaient légèrement sous la brise qui s’engouffrait par les fenêtres grand ouvertes. Ses traits étaient tirés, ses yeux cernés, sa peau terne, signe qu’elle n’avait pas fait de nuit complète depuis des jours. Pieds nus contre le carrelage, elle tapait nerveusement du talon sous son épaisse cape blanche.

- Je savais que tu serais furieuse.
- Et il y a de quoi l’être. Tu aurais dû me faire appeler tout de suite, plutôt que de t’embarquer là-dedans à l’aveugle. Tu ne peux pas tout supporter toute seule indéfiniment.
- Il le faut pourtant, c’est mon rôle…
- Ton rôle est aussi de te préserver quand c’est nécessaire. Si nous te perdons toi, quoi qu’en disent les langues d’ornak, cette Garde s’effondrera.

La kitsune se pinça l’arête du nez, les yeux irrités par la fatigue, puis dévisagea sa comparse. D’ordinaire bien lové contre sa poitrine, le pendentif en cristal de Morag se balançait doucement au bout de sa chaîne en argent, sa surface translucide se parant d’un camaïeu bleuté sous la lumière. Son annulaire gauche portait toujours sa bague de fiançailles, en dépit du fait que le fiancé en question les avait quittés.

- Pour ce qui est de l’humaine, oui, je suis tout aussi furieuse. Tu sais combien ces êtres peuvent être dangereux. Je ne pense pas avoir besoin de vous rappeler, à vous tous, les dégâts qu’ils continuent de causer en Eldarya. Ni ce qu’ils nous ont fait à titre personnel.

La jeune femme tourna la tête vers Valkyon. Bras croisés sur le torse, l’Obsidien écoutait ses camarades débattre sans chercher à s’immiscer. Il restait en retrait, le regard fixé au loin, comme perdu dans ses pensées. Morag ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Après tout, la mission ayant entrainé la mort de Lance impliquait des humains. Encore eux. Certains souvenirs étaient difficiles à enfouir, particulièrement quand votre fonction vous les rappelait tous les jours. Même s’il était un chef exemplaire, il ne pouvait s’empêcher de se comparer à son défunt frère.

- Ils n’ont pas de maana, mais cela n’en fait pas moins des monstres. On ne pas laisser cette fille en liberté comme ça.
- Je sais tout ça, oui, je sais…

La kitsune se prit la tête entre les mains. Tout en elle trahissait le dilemme cornélien qui l’empêchait de trouver le sommeil : suivre les principes de la Garde et procéder à une exécution préventive ? Ou bien se rattacher à la lueur d’espoir qui venait briser les ténèbres étouffant chaque jour un peu plus Eldarya ? Elle se sentait complètement perdue.

- Je ne sais pas quoi faire. Je veux croire que l’Oracle n’est pas apparue devant elle par hasard. Elle ne s’était pas manifestée depuis des années, alors pourquoi maintenant ?
- Et pourquoi pas ? Ça ne serait pas la première que l’Oracle nous désigne un monstre en devenir tel le messie.
- Morag !

La concernée leva la tête pour mitrailler Nevra d’un regard noir. En cet instant, elle aurait pu parier que son chef l’aurait foudroyée sur place s’il en avait eu la capacité. Et la réciproque était vraie. Pour un sidhe, le vampire était particulièrement dévoué au Cristal. Il semblait avoir oublié que les créatures comme eux étaient autrefois sacrifiées pour le régénérer, sans aucun état d’âme.

- Fais attention avec tes blasphèmes, je te l’ai déjà dit, il me semble.
- Je connais ta sempiternelle rengaine, oui. Et je te le répète, je m’en moque royalement.
- Peut-être, mais pas moi. Jusqu’à preuve du contraire, tu restes sous mes ordres.

Bras croisés sur le torse, il la toisait de toute sa hauteur. Son œil valide luisait d’une teinte argent vive tandis que dans son dos, le soleil venait faire contrejour, l’entourant d’ombres aussi denses que celles qu’il avait dans le cœur. Froides, pesantes, et capable de dissuader la plupart des gens de lui tenir tête. Rares étaient les fois où les deux se querellaient réellement. Des piques, ils avaient l’habitude de s’en lancer en permanence, mais cela restait bon enfant. Aujourd’hui cependant, il voulait rétablir le rapport de forces.

- Sous tes ordres, maugréa la fée noire, la belle affaire. N'attend pas de moi que j'acquiesce la bouche en cœur à tout ce que tu décides. Les humains sont des destructeurs doublés de fieffés menteurs, à qui on ne peut pas et on ne doit pas faire confiance.
- Ils mentent tout autant que les faeries, Morag. La différence, c’est qu’ils n’ont pas de maana pour les trahir. C’est bien pour ça qu’il est plus judicieux de la surveiller un premier temps. Miiko sait que j’ai raison.

Morag observa sa comparse se mordre la lèvre. Il était facile de reconnaître lorsqu’elle était stressée et que son cerveau entrait en ébullition : son visage se déformait d’une grimace, elle se tailladait les mains jusqu’au sang sans s’en rendre compte, ses membres tressautaient. Cet état se soldait immanquablement par une migraine carabinée qui l’alitait des jours durant. Eweleïn avait tenté toutes les méthodes de relaxation, toutes les potions, sans succès. Le mal restait intact.

Comme n’importe qui, Miiko était un être tout en contradictions. Stricte quand il le fallait, capable de faire preuve d’autorité, mais dotée d’un cœur tendre qui la faisait parfois vaciller dans les moments stratégiques. À cause de cette tendresse, elle résistait difficilement au stress. Elle n’avait jamais eu la prétention de devenir cheffe de la Garde, mais il avait bien fallu que quelqu’un se sacrifie après le décès de Yunoki. Que serait Eel sans la bonne poire à cibler dès que quelque chose allait de travers ?

- Alors c’est bien toi qui a eu cette merveilleuse idée ! Je croyais que tu réfléchissais avec ta tête, pas avec ton entre-jambes.
- Oh, crois-moi ma belle, je ne trempe pas là-dedans, lança son chef en un sourire moqueur, aux canines bien visibles.

Cependant, le vampire perdit bien vite ce sourire et reprit d’une voix posée, exempte de toute trace d’amusement. La jeune femme nota la rapidité avec laquelle son unique œil valide perdit de sa lumière alors que son masque mutin disparaissait. Elle ne pouvait s’empêcher de trouver cette capacité à changer de visage comme bon lui semblait aussi fascinante qu’inquiétante.

- Notre marge de manœuvre est étroite. Nous avons essayé de garder l’information confidentielle, mais la nouvelle de son arrivée s’est déjà propagée parmi nos troupes. Si jamais nous décidions de l’exécuter sans motif, nous aurions probablement une révolte sur les bras.
- Elle a tout de même atteint le Cristal. Etant donné ce qu’Ashkore a fait, l’élimination préventive me semble légitime.
- Oui, mais non… Nous sommes tous les deux de l’ancienne école, et si je m’écoutais, j’agirais comme toi. Mais la Garde que nous avons connue est derrière nous. Si nous procédons de la même manière que nos prédécesseurs, nous ne vaudrons pas mieux qu’eux.

Morag sentit la pique lui monter  aux lèvres mais parvint à se taire de justesse. L’ancienne Garde était loin d’être parfaite, mais elle n’aurait jamais permis qu’un tel laxisme s’installe à sein d’Eel. Miiko avait beau faire de son mieux pour être une cheffe exemplaire, les membres de sa propre garde lui mettaient des bâtons dans les roues. L’Etincelante était partiellement faite de nobliards, une manière de consolider les traités de paix avec les contrées est, sud et ouest. Malheureusement, ils avaient pris en puissance depuis le décès de Yunoki. Sa protégée n’était pas aussi performante que lui pour les museler.

Quant à Nevra, il était bien mal placé pour donner des leçons de morale. Sous ses airs de dragueur insouciant, il avait certainement plus de sang sur les mains que tous les membres présents réunis, elle-même inclue.

Et soudain, elle comprit. Elle le fixa du regard et surprit le nouveau petit sourire qui étirait ses lèvres. Glacial. Un long frisson d’horreur lui parcourut la colonne vertébrale. Elle aurait dû se douter qu’il y avait anguille sous roche. Ce vampire était décidemment le pire fourbe que ce monde puisse porter, et cette fois, ce n’était pas un compliment.

- Il en est hors de question !
- Allons, allons, minauda Nevra en venant poser ses mains sur les épaules de sa seconde, tu peux bien faire ça pour moi, non ?
- Crame dans les limbes ! Assurer les entrainements à ta place, c’est une chose, mais faire la nounou d’une saleté d’humaine en est une autre !
- Tu n’as pas l’air d’avoir saisi : c’est un ordre. Je ne te laisse pas le choix.

Il accompagna ses mots d’un grand sourire. Morag eut envie de le frapper. Fort. Très fort. Si elle avait eu autant de force que lui, elle l’aurait balancé du haut de la tour pour le laisser s’écraser lamentablement dans les jardins en contrebas. Puis lui aurait décollé la tête du reste du corps d’un bon coup de pied pendant qu’il était à terre.

La colère qu’elle avait réussie à contenir jusque là brisa ses barrières et la submergea. Elle sentit son sang chauffer dans ses veines et un élan de pouvoir affluer dans ses membres. La seconde suivante, une décharge de maana s’échappa de son corps pour propulser le vampire plusieurs mètres en arrière.

Nevra n’eut aucun mal à retomber sur ses jambes et la nargua d’un rire enjoué. Sa camarade maugréa une insulte en vieil elfique, prête à lui lancer un de ses athamés en argent à la figure. Cet idiot cherchait définitivement à la faire sortir de ses gonds, et diable qu’il y arrivait parfaitement. Pour lui, la mettre hors d’elle était un jeu d’enfant.

- Tu veux jouer à ça ? Très bien, on va jouer ! Mais je te jure qu’à la seconde, tu m’entends, à la seconde où j’aurai un doute sur elle, je lui briserai le cou de mes propres mains !
- Ah mais j’y compte bien, justement. Je ne te demande pas ça seulement pour le plaisir de t’embêter.

En un instant, Nevra fut juste elle, à quelques centimètres de son visage. Il posa une de ses mains sur la nuque de la fée noire et colla son front au sien, confrontant leur regard. L’unique œil valide du vampire était d’un camaïeu argenté, tel la lame des dagues qu’il utilisait pour tuer. Une lueur froide et rude qui tranchait radicalement avec sa jovialité de façade. Morag ne put s’empêcher de déglutir, prise aux tripes.

Voilà ce qu’était véritablement le vampire sous ses apparences de coureur de jupons : un monstre au visage d’ange. Un assassin entraîné à abattre ses cibles sans le moindre état d’âme, prêt à les briser physiquement comme moralement. Jamais un acte irréfléchi, jamais une parole en l’air. Jusqu’ici, Ashkore était bien la seule de ses proies encore en vie.

- Tu seras mes yeux et ma lame. Suis l’intégration de cette humaine dans l’Ombre, et surveille-la attentivement. Note tous ses liens, tous ses faits et gestes, je veux tout savoir. Et si jamais elle s’avère être une menace pour la Garde, élimine-la sans hésitation.
- Quelle que soit la méthode ?
- Quelle que soit la méthode. Fais-lui tout ce que tu veux, tu as ma bénédiction.

Note

Un chapitre tout en joyeuseté !

La description de Lance sous sa forme de dragon est sensiblement différente de celle du jeu. C’est intentionnel, j’ai pris la petite liberté de remanier cette partie de lui à ma sauce. Pour vous donner une idée de la chose, le header utilisé pour Dracarys est inspiré de ce passage. La seule différence est que la palette de couleurs est un peu plus bleutée avec le fond.

Par ailleurs, un petit point nécessaire à éclaircir. Gardez bien une chose très importante à l'esprit : les bases sont tirées de la version officielle, mais ça s'arrête là. Les personnages, leur histoire et leur psychologie, oubliez ce que vous pensiez connaître. Autrement vous tomberez dans le piège tête la première.

Dernière modification par WinterSolstice (Le 04-07-2021 à 01h54)

Chapitre 4 : Apprendre et apprivoiser

Insipide et agaçante. Ce fut le ressenti de Morag lorsqu’on lui présenta l’humaine. Erika.

Bras croisés sur la poitrine, la fée noire observait celle qu’elle allait devoir surveiller comme une enfant ces prochaines semaines. Elle resta en retrait, silencieuse, pendant que Keroshane faisait son sempiternel discours de présentation de la garde de l’Ombre. Espions hors-pair, spécialisés dans le renseignement et tout le toutim qui allait avec. Bien évidemment, il n’aborda pas les thèmes plus sombres tels qu’assassinats et interrogatoires. L’inverse aurait été trop beau.

La gradée se retint avec grand peine de couper court au protocole, se rappelant la montagne de taches qu’il lui restait à faire et le peu de temps dont elle disposait. Lire les rapports de mission de ses Corbeaux, organiser les prochaines séances d’entrainement, commander l’équipement de ses nouvelles Ombres, notamment Ysèle qui nageait dans son uniforme. Sans compter ses propres travaux attendant d’être finalisés dans son laboratoire. Elle était bien partie pour se priver de sommeil, encore une fois. Dire qu’elle perdait de précieuse heures à cause d’une humaine, c’en était rageant.

Keroshane n’aidait pas non plus à apaiser la situation. Le gardien n’était pas un méchant garçon, loin de là, mais l’air candide qu’il affichait en permanence avait le don de lui taper sur les nerfs. Sa manie de faire sa sainte-nitouche et de s’offusquer comme les commères abondant dans la Garde ne redorait pas son image. Très fort pour parler, nettement moins pour agir. Le fait qu’il se montre aussi amical envers ce qui était peut-être une ennemie - et à défaut, un flot d’embrouilles imminent - était la cirse cacaotée sur le gâteau.

- Donc Morag, commença l’Etincelant, je te présente offi-
- Je sais déjà qui c’est. Sitôt arrivée, et elle fait déjà parler d’elle.

Erika se crispa derrière la licorne. Morag lui jeta un regard froid, réfrénant un soupir d’agacement. Elle voulait bien passer au-dessus de sa dispute retentissante avec Ezarel, l’elfe n’étant de toute manière pas un modèle de sympathie. Nombreux étaient les gardiens à s’être querellés avec lui ou à lui vouer une sincère animosité. La fée noire elle-même lui ferait parfois volontiers avaler ses fioles d’alchimie, le verre compris.

En revanche, le scandale que l’humaine avait fait parce que, selon elle, sa chambre était « invivable » passait déjà beaucoup moins bien. Que l’Etincelante accède à sa requête était d’autant plus incompréhensible. De nombreux civils passaient leurs nuits sans toit, à mourir de faim et de froid dans les ruelles sordides d’Eel. Si la cité paraissait radieuse au premier abord, elle n’en avait finalement que l’apparence et dissimulait son lot de misère. La population était la première à en souffrir.

À côté de cela, Erika avait eu droit aux honneurs. On lui avait donné un lit solide, un matelas de bonne facture, des draps propres, en somme un espace sain qu’elle pouvait entièrement s’approprier. Son statut de gardien lui donnait également accès à toutes les commodités de la citadelle, et mademoiselle osait encore se plaindre ? Morag voulait bien « faire un effort », pour reprendre les mots de Miiko, mais elle avait cette histoire en travers de la gorge.


L’humaine fit quelques pas en direction de la fée et entreprit un sourire aussi faux que tremblant. Livide, elle semblait n’avoir envie que d’une chose : se carapater très loin d’ici. Et de son propre aveu, le Corbeau  mourrait d’envie de l’y aider à coups de botte dans l’arrière-train. Dire qu’à une certaine époque, elle fustigeait Lance pour cette attitude. S’il y avait bien une chose sur laquelle son fiancé avait eu une mauvaise influence, c’était son degré de patience.

- E-Enchantée de vous rencontrer.
- C’est cela, on va y croire. Merci de t’être occupé des formalités, Kero. Je vais prendre le relais à partir de maintenant.

Diable que ces mots lui coûtaient. Il lui tardait d’expédier cette chose dans la pièce qu’on lui avait attitrée et d’en jeter la clé dans les cachots. Après tout, elle ne risquait pas de faire de mal à qui que ce soit si on la gardait enfermée. Et puisqu’elle avait obtenu une suite de luxe, il n’y n’avait aucune protestation à émettre. Néanmoins, Nevra avait été clair sur ses consignes : il fallait d’abord l’observer avant de décider de son sort. Foutu vampire et ses penchants sadiques.

- Au fait, il faudrait que je te parle de quelques petites choses, dit Morag à son camarade avant de se tourner vers sa nouvelle « protégée ». Quant à toi, attends-moi dans le couloir.
- Pour encore parler dans mon dos ? Si cela me concerne, je veux au moins l’entendre.

Le Corbeau darda un regard sombre sur l’humaine, avant de se placer juste devant elle, à seulement quelques centimètres. Erika, déjà plus petite d’une tête, se ratatina de plus bel. Comme supposé, elle faisait son effrontée mais baissait bien vite les bras sitôt qu’on lui opposait une résistance. Une grande gueule comme il y en avait tant d’autres au sein de la Garde. Si l’humaine n’apprenait pas rapidement où était sa place, sa tête risquait de voler beaucoup plus vite que prévu. Morag ne s’en plaindrait pas.

- Bien. On va mettre les choses au clair tout de suite, que tu te les enfonces dans le crâne. À partir de maintenant tu es de l’Ombre, donc sous mes ordres. Et j’ai dit : tu restes dehors. Alors exécution, avant que je ne t’y oblige par la force.

Le ton était posé, presque bas, mais aussi tranchant que la lame d’un couteau. Erika déglutit puis recula à petits pas. Morag la regarda sortir de la bibliothèque, et alors que la porte tardait à se fermer, elle claqua cette dernière du plat de la botte. Une fois seule avec Keroshane, elle laissa échapper le profond soupir d’exaspération qui la démangeait. Dire que ce n’était que la première journée et elle était déjà excédée, cela promettait pour la suite.

- Tu es rude avec elle…
- Je fais mon travail, Kero. Il faut lui faire comprendre tout de suite que ce n’est pas elle qui commande ici. Si tous les nouveaux faisaient preuve d’un tel comportement, la Garde irait droit dans le mur.

Calmement, Morag s’empara du petit paquet de feuille qui trainait sur une des tables de la bibliothèque. Lorsque quelqu’un venait s’enrôler, il passait en premier lieu un test de personnalité. Il s’agissait d’un questionnaire dont la cinquantaine de questions couplée à l’algorithme mis au point par Ykhar permettait d’aiguiller la recrue potentielle vers une des trois gardes. Le choix n’était pas définitif, et le test n’était pas d’une fiabilité absolue, mais il permettait d’établir une ébauche de la personnalité profonde de l’individu.

Chaque chef de garde, ou à défaut son bras droit, avait ensuite la tache de tester sa recrue afin de confirmer son affectation ou la transmettre à ses collègues. Dans quelques cas, la recrue pouvait être jugée inapte aux trois et évincée malgré le questionnaire. Morag était connue pour recaler plus des trois quarts des candidats à chaque cession, mais Valarian, le bras droit de Valkyon, n’était pas en reste. Quant à l’Absynthe, Ezarel faisait étonnamment des ravages sans que sa capitaine ne l’y aide.

« Elle a quelques notions de sciences, mais pas assez pour l’Absynthe. L’Obsidienne, n’en parlons pas, même un enfant comme Owaïn est plus dégourdi. La seule chose qui la rattrape sont les quelques questions spécifiques à l’Ombre »

Ou en tout cas, les choses avaient été faites pour que ce constat ressorte. Morag consultait les tests de ses nouvelles recrues depuis des années, mais celui d’Erika était singulier. Une partie des cases était cochée de petits traits légèrement tremblants, comme si elle avait hésité avant de répondre. D’autres au contraire étaient dans le sens opposé, longs et courbés. Difficile de croire que même en réfléchissant, elle ait changé son coup de crayon.

- C’est bon, satisfaite ? maugréa le jeune homme d’une voix acide
- Pas de la situation, mais il va falloir faire avec. À vrai dire, je ne pensais pas que tu accepterais de falsifier son test.
- On ne m’a pas laissé le choix, tiens ! Dire que je participe à ça, j’en ai la nausée.
- Malheureusement, ni toi ni moi n’avons le choix dans cette histoire… Je ne t’en demanderai pas plus, c’est à la garde de l’Ombre de s’en occuper, maintenant.
- À l’Ombre ou au Corbeau de Fer ? Tu t’es déjà décidée derrière quel prétexte te cacher quand toi et tes sbires l’exécuterons ?

La jeune femme l’observa quelques instants, dans le silence le plus complet. Elle écarta les quelques livres empilés à côté du test d’Erika et s’assit à même la table en pin massif. Les pieds se balançant doucement dans le vide, elle rabattit ses boucles noires sur une épaule et s’amusa distraitement avec la pointe d’une des mèches.

- Donc pour toi, nous sommes les grands méchants de l’histoire, c’est bien ce que je dois comprendre ?
- Vous ne méritez pas la médaille d’honneur, en tout cas. Nevra a viré complètement fou pour former une horde comme ça.
- Une « horde », carrément ? Tu le prends comme ça ? Soit.

Keroshane avait toujours eu une certaine hostilité envers les Corbeaux, et de façon générale, envers les membres chargés des « basses besognes ». Exécutions, traques, interrogatoires, entre autres choses. Des taches certes ingrates mais essentielles, en particulier dans les temps sombres que traversait Eldarya. L’Etincelante avait beau le savoir parfaitement pour valider les affectations, cela n’empêchait pas ses membres de faire preuve d’un formidable mépris. Mais qu’ils se rassurent, ils en inspiraient tout autant.

- Essayons de penser à quelque chose, tu veux bien ? Imaginons qu’un jour, quelqu’un attaque la Garde d’Eel et fasse du mal à ceux que tu aimes. À tes amis, tes collègues, à ta compagne si d’aventure tu venais à la rencontrer. À tes enfants si jamais tu en as, ce que je te souhaite d’ailleurs. Imaginons que cette personne les blesse, ou pire, les tue.
- C’est… horrible de dire ça.
- C’est horrible, mais possible. Si tu sortais de ta tour d’ivoire, tu comprendrais combien ce monde est sombre et instable. À ce moment-là, est-ce que tu auras la force de prendre une arme, n’importe laquelle, et d’abattre cette menace ? Est-ce que tu auras le courage d’ôter la vie, sans hésiter, sans te louper ? Est-ce que sauras tuer ?

Sa voix était posée, cruellement froide. Un nouveau silence, lourd de sens, prit possession de la bibliothèque. Elle attendit quelques instants supplémentaires, puis fixa son collègue dans le blanc des yeux. Du bout de l’index, elle lui appuya sur le torse, contre un des petits liens qui maintenaient sa cape en place.

- Je vais te le dire franchement : tu ne feras rien. Rien du tout. Tu resteras paralysé devant l’ennemi, et au mieux il s’échappera en te laissant la vie sauve, au pire il te fera subir le même sort qu’aux autres.

Keroshane ne pipa mot, pâle comme un linge. Il évita soigneusement le regard de la fée, fixant obstinément la carte d’Eldarya accrochée au mur près des fenêtres, toute épinglée et crayonnée. Morag reprit, dans le même calme glaçant. Elle ne faisait preuve d’aucune forme d’hostilité, semblait même complètement détachée de la situation. Toutefois, ses yeux perçants ne le lâchaient pas.

- Toi et moi sommes différents. Qui que ce soit, humains, faeries, alliés, ennemis… Si je dois tuer pour protéger les habitants de cette cité, alors je le ferai. Point barre. Avoir du sang sur les mains ne me plait pas, si jamais tu en doutais, mais cela ne me fait pas peur non plus. Le jour où j’ai intégré les Corbeaux, j’ai accepté tout ce que cela impliquait. Les responsabilités et l’image qu’il fallait supporter.

La jeune femme s’empara de l’athamé qu’elle gardait contre sa cuisse, dans son étui de cuir sombre. Elle le fit glisser entre ses doigts gantés, la lumière du soleil ricochant sur la lame en une myriade de reflets irisés.

- Néanmoins, ce n’est pas la peine de nous jeter ton mépris au visage. Qu’il y ait des assassins dans notre Garde te débecte peut-être, mais que tu le veuilles ou non, nous sommes essentiels. Ce n’est certainement pas toi qui feras notre travail.

« Certainement pas un lâche ». Les mots ne furent pas prononcés, mais leur ombre plana dans la pièce telle une épée de Damoclès.

Morag avait parfaitement conscience que l’image qu’elle donnait ne jouait pas en sa faveur, mais elle avait rapidement compris le bien-fondé de sa fonction. Prendre les devants avant que le malheur ne frappe, anticiper le pire. Même si les conflits étaient moins frontaux qu’autrefois, les quatre contrées d’Eldarya restaient en guerre. S’approprier les terres et les ressources, maintenir l’emprise sur les portails ralliant la Terre, il s’agissait de la même partie d’échecs depuis des siècles. Seule la manière de bouger les pièces avait évolué.

Pour que la majorité puisse jouir de cette paix de façade, il fallait qu’une minorité endosse les rôles les moins glorieux et œuvre dans l’ombre. Avoir du sang sur les mains était le prix à payer pour éviter que le jour ne se lève sur d’énièmes tragédies. Il n’y avait rien d’honorable là-dedans, rien de lumineux, mais quelqu’un devait bien se charger de ce travail. Là était le rôle de Nevra et ses Corbeaux de l’Ombre. Morag avait choisi de le suivre en toute connaissance de cause.

- Dis-toi que je ne te demande pas de prendre les armes à notre place, nous savons ce que nous avons à faire. Mais pour ce qui est de la logistique, il faut des personnes comme toi afin d’appuyer les autres. Essaie au moins de garder cela en tête, avant de les ranger dans des cases sans penser à ce qu’ils peuvent ressentir.

Elle descendit de la table, direction la sortie. Elle passa à côté de son camarade, toujours figé dans son mutisme, et amorça le geste d’ouvrir la porte. Keroshane la retint alors qu’elle tournait la poignée, la voix tremblante et le regard brillant. S’il avait exprimé un mélange de colère et de dégout peu de temps auparavant, ce qui transparaissait désormais était davantage de la détresse.

- Attends ! Je… Excuse-moi. Tu as raison, je ne devrais pas avec ce genre d’attitude... Merci. Ça va te sembler idiot, mais depuis deux ans, depuis que… enfin, tu vois, j’ai l’impression que tu as perdu ton cœur en même temps que lui. Te voir un peu comme avant me rassure.

Morag s’arrêta. Dans son dos, ses cheveux dansaient doucement sous la brise qui s’engouffrait par les fenêtres. Les tatouages runiques qui lui ornaient la nuque apparaissaient furtivement quand quelques mèches se soulevaient.

- Depuis que Lance est mort. Ais au moins le cran d’appeler cela comme il se doit.

Elle resserra sa prise sur la poignée et ouvrit la porte. Elle le toisa d’un air glacial, l’émeraude de ses iris accentué par le contrejour. L’Etincelant sentit son souffle se couper, ses jambes se figer. Il avait l’intense envie de se glisser sous la tale, si cela pouvait lui permettre d’échapper à ce regard. Il sursauta quand elle reprit d’une voix plus basse, presque grondante.

- Evite de déblatérer ce genre d’inepties, Kero, mon cœur n’a pas bougé de ma poitrine. Ce n’est qu’une pompe à sang, un simple organe. Tout ce pataquès sentimental relève de la mémoire, ni plus, ni moins.
- Mais tu es devenue-
- Ce que je suis devenue, c’est quelqu’un de suffisamment fort pour avancer sans qu’on ait à l’assister. Si pour toi cela équivaut à être un monstre, sache que cela me fait une belle jambe. Tu peux y aller joyeusement, ça ne me fera rien. Mais si tu tiens à ta tête, ne t’avise pas de t’en prendre encore une fois à Nevra ou à mes Corbeaux devant moi.

Le réfectoire de la Garde d’Eel était sans conteste la pièce la plus animée de la citadelle. On y entendait constamment discussions, rires, ou éclats de voix quand certains avaient encore des différends à régler. Paradoxalement, alors que les trois gardes étaient constamment en concurrence, elles avaient interdiction formelle de s’y battre au risque de subir le courroux du chef cuisinier. Tout le monde savait que Karuto avait le coup de poêle facile et excellait dans le lancer de gobelet.

Constamment baignée de lumière grâce à de larges baies vitrées, la salle dégageait une chaleur reposante provenant aussi bien de l’endroit en lui-même que des cuisines ouvertes juste à côté. Le sol en parquet flottant cannelle et les murs crème contribuaient à la clarté ambiante. Des tables rectangulaires étaient positionnées en trois grandes rangées parallèles. Une quatrième, ronde cette fois-ci, était placée plus en retrait à l’attention des membres de l’Etincelante. Les meubles avaient été taillés dans de gros blocs unis provenant de pins et autres résineux des plaines de Nova, laissant une odeur caractéristique de sève à leur surface. La lumière naturelle accentuait les motifs naturellement présents dans le bois ainsi que les quelques trous causés par des gardiens trop agités.

- Le réfectoire. Tu pourras t’y restaurer avec ta garde, ou interagir avec les autres. Évite seulement de déclencher une bagarre générale. Nous sommes rationnés, il faudra que tu t’adresses à Karuto pour avoir tes repas.
- Est-ce qu’il y a des problèmes de nourriture, à Eldarya ?
- Disons que contrairement aux humains, nous n’avons pas le luxe de vivre dans l’opulence.

L’un des problèmes fondamentaux d’Eldarya était l’approvisionnement en nourriture. Plus particulièrement, en sources de nutriments assimilables par l’organisme des faeries. Toutes les ethnies ne s’étaient pas adaptées à ce monde à la même vitesse. Certaines pouvaient tout à fait se contenter de denrées eldaryenne, mais d’autres au contraire étaient encore fortement dépendantes de celles subtilisées sur Terre. Cas le plus paradoxal, les elfes formaient l’un des peuples les plus influents d’Eldarya mais étaient aussi ceux qui s’y étaient le moins bien acclimatés. Leur dépendance à la nourriture terrienne était presque totale.

Cette problématique était au cœur de pratiquement toutes les guerres ayant ravagé Eldarya. Depuis toujours, les quatre contrées se battaient pour s’approprier les portails et les ingrédients permettant leur activation. La Garde d’Eel n’était pas non plus épargnée : outre les tensions liées à leur contrée d’origine, les membres les plus dépendants jalousaient les autres. Karuto n’avait ni le temps ni les moyens d’adapter ses plats aux caractéristiques de chaque gardien. Il faisait comme il pouvait, avec ce qu’il lui était possible d’obtenir ci et là. Un travail aussi épuisant que chronophage, mais que certains ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir.

Ceux qui dépendaient fortement des aliments terriens semblaient donc penser que leurs camarades mieux acclimatés leur ôtaient le pain de la bouche. Une pensée fantaisiste qui brisait l’entente de la Garde et persistait malgré les nombreux rappels à l’ordre de Miiko. Quoi qu’elle dise pour rassembler ses hommes, les principaux concernés persistaient à faire les sourds. Les membres de l’Etincelante étaient loin de l’aider à apaiser tous ces conflits et y participaient même volontiers.


Erika balaya la pièce du regard, à la fois intimidée et fascinée. Une odeur de pain perdu et de haricots rouges planait dans l’air, réveillant son ventre vide de la veille au soir. Assis à une des tables, elle remarqua un membre de la Garde rencontré peu de temps après son arrivée. Chrome, si elle n’écorchait pas son prénom. L’adolescent de quinze ou seize ans lui avait indiqué où trouver les douches communes afin de se débarrasser de l’odeur d’algue séchée qui lui collait à la peau depuis son séjour aux geôles.

En face du loup se trouvait une jeune fille aux cheveux moitié noirs, moitié roses, au regard vert citron pétillant de malice. Les deux semblaient avoir une discussion animée, ne s’arrêtant que pour manger l’espèce de bouillie marron-violacée reposant dans leur assiette. Même à quelques mètres, Erika put apercevoir ses oreilles pointues et ses canines allongées. Une parente de Nevra, peut-être ?

À une autre table était installé un petit groupe de personnes portant les couleurs de l’Ombre. Noir, violet, ainsi que tout un nuancier de gris. Au nombre de quatre, une femme, deux homme et un troisième caché sous une épaisse cape, ils mangeaient calmement, s’échangeant quelques mots entre deux coups de fourchette. La femme, aux longs cheveux bleus clair, ainsi que celui à la cape étaient de dos. En face d’eux se trouvaient les deux hommes, chacun au teint hâlé. Le premier roux aux yeux verts, le deuxième châtain et le regard doré. Ce dernier leva les yeux vers Morag, glissa quelques mots à ses comparses et se leva.

- Tu es là ! On te cherche partout depuis ce matin.

Sa démarche était fluide, ses pas silencieux malgré le parquet vieillissant. Vêtu du même style de bottes et de pantalon que la capitaine, son équipement différait par la présence d’un haut à manches longues noir lui collant à la peau. Il n’avait pas pris la peine de remettre sa veste qui reposait encore négligemment sur le dossier de sa chaine. Le jeune homme s’arrêta devant sa supérieure sans accorder le moindre regard à l’humaine.

- Désolée Anzo, j’ai été… disons, occupée. J’ai entrevu vos rapports hier soir, mais je n’ai pas encore eu le temps de les analyser. Puisque je t’ai sous la main, tu vas pouvoir me dire de quoi il en retourne exactement.
- Tu es sure ? Tu as l’air épuisée, nota-t-il en désignant ses yeux cernés, on peut remettre ça à ce soir si c’est préférable.

Morag se pinça l’arête du nez, réfrénant un soupir las. La proposition était très tentante, elle devait bien l’admettre. Anzo et Lithmia revenaient d’une mission longue en Avalöne, et Nevra ne comptait pas les déployer sur le terrain à nouveau avant quelques jours. En théorie, Morag pouvait profiter d’un petit temps de repos avant de s’occuper de leur rapport. Toutefois, le prochain conseil de l’Etincelante approchait à grands pas et mieux valait que l’Ombre ait assez de choses concrètes à leur présenter le moment venu. Puisque Nevra semblait décidé à rallonger sa liste de choses à faire sans son accord, elle n’avait pas de temps à perdre.

- C’est gentil mais ne t’en préoccupe pas. La seule chose préférable serait d’avoir enfin une piste sérieuse sur ce taré enleveur d’enfants.
- Comme tu veux… Dans ce cas, cela devrait t’intéresser. Nous avons enquêté sur les familles des premiers gamins disparus, on dirait qu’il y a bien un dénominateur commun entre eux.
- Vraiment ? Viens m’expliquer tout ça. Erika, tu as une heure de temps libre. Va manger et attends-moi dans l’aile Ouest.

Sur ces paroles, au ton ne laissant place à aucune protestation, la capitaine de l’Ombre tourna les talons accompagnée du gardien. Les autres hommes du groupe, qui s’étaient arrêtés de manger pour observer leur échange, retournèrent à leur occupation première. La femme fixa l’humaine de ses yeux vert d’eau, intense et froid, semblant la déshabiller du regard. Une sensation aussi intimidante que gênante. Erika remarqua de petites écailles bleues qui lui dessinaient les joues et descendaient le long de son cou, recouvrant une partie de ses épaules dénudées et soulignant une poitrine généreuse. Elle ignorait que les sirènes pouvaient acquérir des jambes, mais en y pensant, elle avait encore tout à apprendre d’Eldarya.


Docilement, la jeune femme alla s’adresser au satyre en cuisine afin d’avoir son déjeuner. Débraillé, la tignasse grasse et en vrac, Karuto ne se gêna pas pour soupirer quand il la vit arriver. Il lui lança un regard torve, avant de laisser tomber une louche de sa bouillasse violette dans une assiette et de jeter cette dernière sur le plateau. Erika sentit une pique bien sentie lui monter aux lèvres, mais se retint en imaginant ce que Morag pourrait lui faire en représailles. Depuis son affectation, la fée noire lui faisait une brillante démonstration d’animosité, pour ne pas dire de haine, ne lui adressant la parole que pour lui donner des ordres secs à la limite du cassant. Tout dans son attitude trahissait son envie de lui faire la peau, quand bien même l’humaine ne lui ait rien fait pour mériter pareil traitement.

Ce fut sur ces sombres pensées qu’Erika partit s’asseoir seule au bout d’une table. Elle allait avaler une première cuillerée de ce qu’elle espérait ne pas être empoisonné quand Chrome et la jeune fille qui l’accompagnait vinrent se déplacer à côté d’elle. Cette dernière lui fit un grand sourire, dévoilant sa dentition de parfait petit tueur. Pas de doute, c’était bien un vampire.

- Eh ben, commença le lycanthrope, je ne sais pas ce que t’as fait à Morag pour qu’elle t’ait mauvaise comme ça, mais c’est du lourd !
- Cela n’a pourtant rien d’étonnant. Je suis Karenn, ravie de voir enfin à quoi tu ressembles. Puisque tu es de l’Ombre aussi, nous serons sûrement amenées à travailler ensemble.
- Enchantée… Et comment cela, « rien d’étonnant » ? Je ne lui ai pourtant rien fait, que je sache.

Karenn appuya ses coudes sur la table et posa son menton contre ses mains jointes. En face d’elle, Erika continuait de fulminer pendant que Chrome essayait de la faire rire avec des blagues à deux pièces d’or. La jeune vampire savait déjà que les deux se connaissaient, le lycanthrope le lui avait raconté quelques heures plus tôt. Néanmoins, elle ne pensait pas qu’ils avaient déjà sympathisé à ce point. Elle ne l’admettra jamais, même sous la torture, mais ce simple fait avait le don de l’irriter au plus haut point. Que Chrome focalise son attention sur une autre ne lui plaisait pas, très loin de là.

- Vu comment tu as débarqué ici, cela ne me surprend pas, non. Morag est un Corbeau et la capitaine de notre garde, c’est son boulot de gérer les étrangetés comme toi. Simple question de sécurité.

Erika tiqua au « étrangeté » mais se retint encore une fois d’envoyer la pique qui lui venait. Pour toutes les occasions où elle s’était retenue de rentrer dans le lard de ceux qui l’agaçaient, elle aurait mérité une médaille de bonne conduite. Au lieu de cela, la jeune femme rongea son frein et se força à rester posée. Il y avait autre chose dans la déclaration de la demoiselle en face qui l’intriguait.

- Keroshane a brièvement mentionné ces « Corbeaux », mais sans entrer dans les détails. Tu peux m’éclairer ?
- Ah ! Ça ne m’étonne pas non plus, ça ! Il n’a jamais pu les encadrer, mais tu me diras que la réciproque est vraie. Aucune des unités d’élite ne supporte les gratte-papiers, c’est bien pour ça qu’elles ne leur donnent jamais leurs rapports dans les temps. Même les Cygnes s’y sont mis, c’est dire ! Bref, je vais t’expliquer.

Karen s’assit en tailleur sur le banc et posa ses mains sur ses genoux. Son sourire était toujours présent, mais différent. Plus froid, moins rassurant. L’humaine se sentit frissonner.

- On commence par le début : les gardiens d’Eel sont séparés en quatre gardes, que tu connais déjà. L’Etincelante représente le haut du panier, la crème de la crème, si tu préfères. Ce sont eux qui gèrent les traités, les relations diplomatiques, et tout un tas de paperasse du genre. En parallèle, les chefs des autres gardes nomment leur propre équipe d’élite. La plupart du temps, ils en sous-traitent le commandement à leur capitaine.
- Capitaine qui est Morag, c’est bien ça ?
- C’est ça. Morag est à la tête des Corbeaux, élite de l’Ombre. Ici on l’appelle même le Corbeau de Fer, et crois-moi, elle n’a pas volé sa réputation. En clair, elle est juste en-dessous de mon frère dans la hiérarchie.

Erika sourit, un élan de fierté la réchauffant toute entière. Donc Karenn était bien une parente de Nevra comme elle l’avait pensé. C’était certes anodin, peut-être ridicule, mais savoir qu’elle avait tapé juste lui mit du baume au cœur.

- Tu trouves les Aigles dans l’Obsidienne, et les Cygnes dans l’Absynthe.
- C’est amusant, sourit l’humaine, vous utilisez des noms d’oiseaux de mon monde. Il y a une raison à ça ?
- Question d’exotisme, simplement. Ça faisait plus… érudit, d’après l’Etincelante. Bref, laisse-moi finir. Donc, notre garde ne compte que sept Corbeaux. Morag est l’un d’eux. Tu en as rencontré quatre autres là, tout de suite.

Erika se retourna légèrement vers le trio. Les Corbeaux étaient silencieux et semblaient occupés à manger, mais la jeune femme sentait qu’ils ne perdaient pas une miette de leur échange. Les petits regards en coin du seul homme à même de les voir en étaient une preuve plus qu’évidente. Le rouquin les observait de ses iris fendus, à l’image d’un cobra prêt à fondre sur sa proie.

- Et à quoi servent ces élites ?
- Protéger la Garde. Ils assurent les missions atypiques que nous pouvons être amenés à accomplir, et pour lesquels les gardiens lambda ne sont pas aptes. Au niveau de l’Ombre, ils gèrent les surveillances, les enquêtes pour meurtre, enlèvements, ce genre de choses. De façon générale, ils s’occupent d’identifier et de gérer les menaces qui pourraient nous peser dessus.
- Donc si on suit cette logique, je suis une menace.
- Jusqu’à preuve du contraire, précisa Chrome. Mais là, c’est surtout une question de protocole. Sincèrement, si toi tu es une menace pour Eel, je veux bien nettoyer les latrines tout un mois !

Le lycanthrope s’esclaffa sur ces belles paroles. Erika le suivit d’un rire d’abord forcé, puis beaucoup plus détendu en imaginant la scène.

En face d’eux, Karenn se rassit correctement sur le banc, le bas du visage caché derrière ses mains. Décidemment, elle n’aimait pas la complicité que ces deux-là avaient déjà forgée. La demoiselle était possessive face à ce qu’elle estimait être à elle. Et Chrome en l’occurrence était chasse gardée, toute fille ayant eu des vues dessus se l’était rapidement fait entrer dans le crâne. Il n’y avait bien que le concerné pour ne pas voir tout le mal qu’elle se donnait.

La tête statique, Karenn observa les Corbeaux quitter silencieusement leur table. Le rouquin la regarda à son tour et lui fit un grand sourire enfantin. Elle accompagna le sien d’un discret doigt d’honneur. Il ne changea pas son expression d’un iota.

La jeune fille n’était pas dupe, s’il y avait bien quelque chose qu’elle avait appris en les côtoyant, c’était qu’il fallait se méfier de leurs expressions. Joie, tristesse, compassion, tout ne pouvait être qu’apparences trompeuses visant à manipuler leurs proies. Cela était d’autant plus vrai pour quelqu’un comme Minkhah. Le naga pouvait vous sourire de toute ses dents comme un grand gamin et vous trancher la carotide la seconde suivante.

« Ils vont sûrement régler cette question de rapport. Est-ce qu’ils sont déjà au courant pour l’humaine ? Anzo n’a pas eu l’air surpris de la voir, en tout cas »

Karenn se sentait particulièrement contrariée. Outre le fait que l’attention de son loup soit ainsi focalisée par une autre, cette histoire ne tenait pas la route. Elle n’avait rien tiré de Nevra quand elle avait voulu l’interroger par rapport à l’humaine, ce qui était suffisamment singulier pour être retenu. Mais que son frère fasse des manigances, elle y était habituée, là n’était pas tant la question.

Non, il y avait autre chose de bien plus préoccupant là-dedans. La surveillance d’Erika aurait dû revenir à des gardiens lambda, pas aux Corbeaux et encore moins à Morag. La fée avait énormément perdu à cause des humains et leur vouait légitimement une haine farouche. Lui confier Erika était déraisonnable, or, Nevra n’était pas idiot au point de faire une telle erreur de calcul. Il n’en faisait jamais.
Si aux yeux de son frère, les membres de la Garde d’Eel devaient représenter les pièces d’un échiquier, la fée serait sa Reine. Il ne la déplacerait  pas sans un plan bien précis en tête.

« Une humaine dans l’Ombre, cette histoire d’Oracle et maintenant Morag… À quoi est-ce que tu joues, grand frère ? Qu’est-ce qui peut bien se tramer pour que tu risques un coup pareil ? »

Chapitre 5 : Ces ténèbres qui rodent

La forêt de Nibelheim. Ashkore ne connaissait cet endroit que de nom, dans des livres d’Histoire ou d’anecdotes venant de voyageurs s’étant égarés en Avalöne, du temps où lui-même était gardien. Jusqu’à présent, il n’avait jamais eu l’occasion de fouler ce lieu presque légendaire. Et maintenant que c’était chose faite, il pouvait confirmer ce que l’on disait sur ces terres : lugubres et mortifères.

Une brume froide régnait dans la forêt dense faite en majorité de chênes au tronc large, rongé par le lierre et une mousse phosphorescente. Plusieurs fois centenaires à n’en pas douter. Elle masquait le sol et dansait entre les arbres au gré des bourrasques qui mugissaient dans les feuillages. Le dragon la sentait s’infiltrer dans son armure pour lui lécher la peau, y déposant un voile de magie glaciale. Pour toute aussi personne, elle aurait déjà provoqué une bonne hypothermie. Dans son cas en revanche, il s’agissait presque d’une caresse, pas spécialement agréable, mais pas encore insupportable.


Fuie par les habitants d’Avalöne, la Contrée de l’Ouest, la forêt de Nibelheim était selon les croyances locales une terre gouvernée par le mal. Les goules et autres revenants vampirisant le maana erraient en attaquant quiconque oserait pénétrer ce qu’ils considéraient comme leur territoire. Seuls des lycanthropes avaient le courage d’y vivre, selon d’autres légendes. Ils s’y seraient retranchés bien des siècles auparavant, lorsque leur espèce avait été traquée sans pitié par la lignée royale des elfes.

Pour ce qui était des monstres, hormis quelques pimpels un peu trop téméraires, il n’y avait pas âme qui vive entre les arbres et bosquets. Ashkore avançait presque trop facilement à son goût. Certainement pouvait-il remercier l’air ambiant, chargé de maana et de ce fait excellent vecteur d’énergie. Il sentait son pouvoir draconique se déployer autour de lui tel un épais manteau glacé. L’instinct de survie incitait les créatures plus faibles, monstres compris, à ne pas tenter le combat contre plus puissant au risque d’y passer. En un sens, c’était presque dommage : certes il avançait, mais il s’ennuyait ferme.


L’homme masqué se faufila entre les arbres dont le nombre augmentait à mesure qu’il approchait du cœur de la forêt. Il enjamba les racines épaisses qui ressortaient de terre et se rejoignaient en un dédale trompeur. Avec la brume qui s’épaississait progressivement et la mousse qui tapissait le sol, il lui fallait avancer avec prudence pour ne pas risquer de s’y prendre les pieds. Qui sait qu’elle créature pouvait le prendre par surprise si jamais il tombait.


Droit devant lui, Ashkore vit apparaître une lumière bleue. Une petite luciole s’approcha lentement, lévitant dans les airs en un ronronnement clair, bientôt rejointe par des dizaines d’autres. Il passa calmement à côté d’elles, réagissant à peine lorsque certaines vinrent se poser sur ses épaules, entourer ses bras, ses jambes. Du fait de la concentration en maana, les âmes en peine de la contrée convergeaient vers la forêt. Plus on se rapprochait du centre, plus leur lumière s’intensifiait et leur nombre augmentait. Hormis lui indiquer qu’il était un peu plus loin de la sortie et un peu plus près des problèmes, le dragon n’avait rien à craindre d’elles.

Il continua sa progression, attentif au moindre son, à la moindre fluctuation du maana ambiant. La vue, l’ouïe et l’odorat, ses sens s’anesthésiaient et il ne pouvait plus compter que sur son instinct pour le guider. Nibelheim engloutissait ses victimes en leur faisant perdre leurs repères, les laissant à la merci des monstres qui y vivaient. Maintenant qu’il avait eu un aperçu de cette étrange magie qui saturait l’air, le dragon pouvait dire que cette partie-là des légendes n’était pas volée.

Enfin, il arriva à destination lorsque la brume se dissipa brusquement pour laisser place à une imposante clairière. Délimité par des chênes plus anciens encore que les précédents, le cœur de la forêt cachait d’imposants rochers marqués de sceaux datant de l’ère de Sothis. Un code dont les clés étaient tombées dans l’oubli. Quelques brides de phrases en langue originelle étaient gravées à même la pierre, à moitié effacées par la mousse et le lierre.

Ashkore effleura la surface du bout des doigts, en dégagea quelques morceaux. Il prit le temps de soigneusement traduire chacun des caractères à moitié effacés par le temps.

- Jlanuvnuel wu fo xalûn movlúu, zolwyuh we vlymnof we taym… Donc Sigurd avait raison, il était bien caché ici. En plein territoire elfe, qui l’eut cru…

Au-delà des rochers, pile au centre de la clairière, trônait un imposant saule pleureur. Haut de quinze mètres pour un diamètre de tronc de trois, l’arbre portait toutes ses feuilles malgré le froid environnant. D’un vert éclatant, elles bruissaient sous le vent en une mélodie douce, légère. La nuit était tombée et les rayons de la lune venaient ricocher sur ses feuilles luisant d’un bleu intense. Les lucioles s’y rassemblaient en nombre, comme puisant leur énergie de l’arbre aussi vieux qu’Eldarya lui-même. Du moins, si les légendes étaient vraies.


Ashkore approcha à pas lents, fixant le saule pleureur en se préparant à esquiver une quelconque attaque. Il avait déjà entendu parler des arbres fous d’une forêt maudite dans la Contrée du Nord. Mus par une force qui leur était propre, noire et mauvaise, ils usaient de leurs racines pour ensevelir leurs victimes et s’abreuver de leur sang. Le saule dégageait peut-être une énergie lumineuse en comparaison, mais le dragon préférait rester prudent. Il n’y avait rien de plus traître qu’un maana ancien.

En avançant, force était de constater que l’arbre ne semblait pas réagir à sa présence. Ashkore grimpa sur les imposantes racines qui ressortaient du sol et s’approcha du tronc. Le bois était clair presque blanc, strié par l’âge et recouvert d’un lierre épais. Le maana était si fortement concentré qu’il faisait luire la sève et dessinait des motifs sur les feuilles vert sombre.

Le dragon retira ses gantelets et posa ses mains nues à plat contre le bois. Il ferma les yeux sous son masque, se concentrant sur l’énergie qu’il sentait couler autour de lui à la manière d’un long fleuve. L’espace de quelques instants, il crut sentir un rythme contre sa peau. Un, deux, trois battements. Un, deux, trois, et ainsi de suite. Mais il n’aurait su dire s’il s’agissait d’un simulacre de cœur caché dans cet arbre, ou bien son propre organe qui réagissait à la magie ambiante. Le pouvoir pulsant contre la paume de ses mains était si intense qu’il se sentait pris aux tripes.

- Cet arbre est lumineux, pourtant il pue la noirceur. Il a dû absorber des centaines de vies pour se transformer à ce point…

Il concentra son propre maana. Il le sentit affluer au bout de ses doigts et se propager en une onde glaciale.

- Bien. Voyons voir ce qu’il a dans le ventre.

La surface de l’arbre commença à geler. L’écorce vira à un blanc nacré et se couvrit progressivement d’une pellicule de glace. L’onde se propagea jusqu’aux premières branches feuillues, affolant les lucioles qui se mirent à s’agiter à leur tour. Quelques-unes vinrent se poser ses bras nus, y laissant de légères traces de brûlure. Les effets d’un maana pur à même la peau.

Ashkore ne leur prêta pas attention et s’efforça de rester concentré sur son œuvre. L’arbre se défendait contre cette agression, et la tache n’était pas aussi facile qu’escomptée. Son énergie chaude gagnait en intensité à mesure que les secondes s’égrainaient, affrontant le froid de la magie draconique. Le voile gelé qui recouvrait petit à petit l’écorce rugueuse cessa sa progression, régressant même par endroits.
Le dragon jura. Contre la paume de ses mains, les battements du « cœur » du végétal lui semblaient plus puissants qu’auparavant. Il s’attendait à rencontrer de la résistance, mais pas à ce point. Peut-être aurait-il dû prendre les mises en garde de Sigurd un peu plus au sérieux.

- Bon sang, mais tu vas geler, oui ? Allez gèle, saleté !

Une vague de maana plus concentrée s’échappa de ses bras et frappa brutalement le tronc, recouvrant sa surface d’une épaisse couche de glace. Cette dernière recommença à se propager, plus lentement qu’auparavant. Ashkore sentait ses bras faiblir progressivement, comme ankylosés par des heures d’exercice. Il avait l’impression que son énergie était littéralement happée par l’écorce. La tête prise dans un étau, il sentait sa respiration se faire plus difficile à mesure que son maana s’échappait. Ce maudit végétal était bien plus résistant que prévu.

Le dragon recula de quelques pas. Il prit son élan et asséna un coup de poing là où la glace était la plus épaisse. Des gros fragments d’écorce gelée volèrent en lui entaillant les bras au passage. Il réitéra son geste une deuxième fois, abimant l’arbre un peu plus profondément. Une pique de douleur lui fusa dans la main quand un fragment d’écorce s’y enfonça, mais il ne recula pas pour autant. Tant pis pour les dommages, il fallait qu’il atteigne le cœur.


Soudain, il entendit un hurlement de bête résonner dans la forêt. Un loup, ou ce qui y ressemblait. Dans le même temps, la terre se mit à trembler sous ses pieds. Ashkore bondit en arrière juste à temps pour éviter une épaisse racine qui se soulevait. D’autres plus fines l’accompagnèrent, se dressant tout autour de l’arbre tel un rideau de serpents.

Calmement, le dragon retira l’écorce qui lui meurtrissait la main et fit quelques pas en avant. Les racines réagirent en tentant de le frapper, claquant avec violence contre la terre meuble. Il en gela deux puis les détruisit d’un coup de pied, en arracha une troisième attrapée au vol.
La moutarde lui montait sérieusement au nez. Si ce qu’il recherchait n’était pas aussi précieux, il ne s’embêterait pas d’autant de délicatesse et raserait cette forêt. Rien de plus facile une fois sous sa forme draconique. Mais en faisant cela, il risquait de détruire le contenu de l’arbre, et ce n’était pas son objectif.

Entre temps, les hurlements s’étaient faits plus nombreux, plus forts. Il pouvait sentir un amas de petits flux de maana se faufiler entre les arbres de la forêt. Lorsqu’il se retourna, une dizaine de loups lui faisant face d’un seul corps. Le plus massif d’entre eux, d’un noir de jais qui faisait ressortir des iris dorés, avança de quelques pas en montrant les crocs.

- Et voilà le comité d’accueil, comme si j’avais besoin de ça. Quelle plaie!

La magie fusa de nouveau dans ses bras, jaillissant et ondulant telles deux flammes glacées. La colère était montée d’un cran, et cette fois-ci ses nerfs ne tenaient plus. Il n’avait aucune envie de se forcer à la refreiner. Au contraire. Il était temps de fracasser quelques têtes.

- Amenez-vous, les boules de poils !

Parfois, Morag se demandait quand est-ce que tout avait basculé. À partir de quel instant, quel évènement, elle était passée de l’autre côté d’une limite qu’elle pensait ne jamais franchir. De lumière à ténèbres, de jour à nuit, entourée d’obscurité. La réponse était pourtant sous ses yeux, mais difficile à accepter : en perdant Lance, elle avait commencé à se noyer.

« Est-ce que je fais vraiment les bons choix ? »

Lorsqu’elle n’arrivait plus à s’occuper l’esprit, elle ressassait les souvenirs qu’elle aurait aimé enfouir à jamais dans une boite de Pandore. Elle sentait le flot d’émotions noires qui les accompagnait refaire surface pour lui empoisonner le cœur, telle une dague enduite de venin. En ces moments, elle avait envie de hurler sa rage, sa peine, de pleurer jusqu’à ce que ses yeux se tarissent et que sa voix s’éteigne. Mais elle ne pouvait pas. Si jamais elle se relâchait, elle craignait de ne plus être capable à se relever ensuite.

Toute puissante que sa magie puisse être, toute capitaine de l’Ombre qu’elle soit, dans ces moments, elle se sentait comme une enfant prisonnière de ses cauchemars. Comme cette gamine qu’elle fut aux heures les plus sombres de sa vie et qui semblait la juger tous les soirs dans l’intimité de sa chambre, lorsqu’elle se retrouvait nue devant le miroir. Peut-être était-ce pour ça qu’elle éprouvait un tel ressentiment au contact d’Erika. L’humaine avait le don de lui jeter au visage tous les démons qu’elle pensait enfermés au plus profond de son cœur.
Enfin, l’humaine n’en était pas vraiment une. Pas entièrement.

Quelques jours plus tôt, Leiftan avait fortement suggéré que l’on fasse passer un test de sang à la nouvelle recrue. Son insistance était telle que Miiko avait fini par accéder à sa requête. Morag n’était pas particulièrement proche du lorialet, leurs seuls liens dataient des quelques années où il faisait partie de l’Ombre. Leiftan était quelqu’un de discret, presque timide, mais d’une intelligence rarement égalée. Il pourrait aisément rivaliser avec Nevra en termes de tactiques militaires si les deux venaient à s’affronter.

Morag n'était peut-être pas intime avec lui, mais elle le connaissait assez pour savoir qu’un tel intérêt de sa part était singulier. Et le bougre avait vu juste. Le test avait permis de mettre en évidence la nature de sang-mêlé d’Erika. Une enfant née de l’union d’un faery et d’un humain.

Le test de sang avait pour but de déterminer si un corps était capable de produire du maana, et d’en quantifier cette production par colorimétrie. À l’origine, cette expérience alchimique fut mise au point par Ezarel pour aider Eweleïn à diagnostiquer les victimes d’état de choc. Un outil médical parmi tant d’autres. Certains offraient des fleurs à leur compagne, d’autres préféraient des fioles et des mixtures douteuses. L’elfe s’était peut-être senti des airs de grand romantique ce jour-là.

Erika avait du sang de faery dans les veines, pour autant, cela n’excluait pas qu’elle puisse être une menace et les ordres de Nevra tenaient toujours. Si jamais elle s’avérait dangereuse, Morag devait la faire disparaître, purement et simplement. Un coup de dague en travers de la gorge, sans hésitation, sans remords. Ce qui l’effrayait était moins l’acte en lui-même que la satisfaction qu’elle en tirerait. Quand avait-elle commencé à sombrer de la sorte ?

«  Lance… Comment faisais-tu pour empêcher la haine de t’envahir ? Où trouvais-tu ta force ? »

Sa détermination vacillait. Cela faisait quelques semaines qu’Erika avait rejoint l’Ombre, et pour l’avoir observée tout ce temps, Morag était certaine qu’elle ne représentait aucun danger. En tout cas, ce n’était certainement pas ses capacités physiques qui allaient en faire une menace. Sa maladresse abrutissante, en revanche, pourquoi pas. Mais aussi maladroite soit-elle, la faelienne n’avait pas mauvais fond. Elle ressemblait davantage à une gamine perdue, sans repère auxquels s’accrocher ni armes pour la protéger.

Pour ne rien arranger, elle était dans le collimateur de l’Etincelante depuis que l’Oracle l’avait désignée comme son élue. Le danger était bien plus grand qu’une potentielle mise à mort par les Corbeaux. Certains prédateurs abattaient leurs proies promptement, sans les faire souffrir, tandis que d’autres jouaient avec jusqu’à les faire mourir d’épuisement. Un sort qu’Erika ne méritait pas.

- Regarde ! Est-ce que ça te va, ça ?

Morag sortit brutalement de ses pensées et leva les yeux. Perché dans un arbre à quelques mètres de hauteur, Chrome lui désignait un petit fruit de la taille d’une noix. Rouge comme le sang, sa surface rugueuse faite d’une multitude de petites écailles présentait des craquelures laissant visible une chair dorée. Cette dernière semblait luire d’elle-même dans l’obscurité.

Gorgés de maana, ces petits fruits ne murissant que sous une pleine lune d’hiver étaient un ingrédient de choix en alchimie. Utilisés dans les filtres de transformation, ils permettaient d’atténuer les douleurs liées aux déplacements des os et des organes. La confection de telles potions était assurée par les Cygnes de l’Absynthe, mais l’Ombre participait régulièrement en leur fournissant les matières premières. Un échange de bons procédés qui permettait d’entretenir les liens entre les gardes.

- Prend-les plus rouges, Chrome, celui-là n’est pas encore mûr.
- Tu plaisantes, il est bien rouge ! J’ai pas mieux que ça sous la main.

Morag sourit, partagée entre attendrissement et exaspération. Chrome était un brave gamin, mais aussi têtu qu’un sabali. Lorsqu’il avait une idée derrière la tête, il ne l’avait pas ailleurs, ce qui lui attirait régulièrement des ennuis au sein de la Garde. Nevra lui-même avait du mal à se faire entendre de ce garnement.

La jeune femme, en ce qui la concernait, était très attachée à lui. Le louveteau s’intéressait beaucoup à l’alchimie et présentait des réelles aptitudes. Il aimait apprendre et retenait vite, savait convertir des unités de tête ainsi que suivre des recettes complexes avec calme et minutie. Des capacités qui, même si elles semblaient banales, ne se retrouvaient que très rarement chez des enfants.

Le premier à s’en rendre compte fut Nevra, lorsque le gamin était arrivé dans la cité, environ neuf ans plus tôt. À l’époque, il troquait des bouquets d’herbes médicinales contre des vêtements ou de la nourriture. Quand il avait atteint les quatorze ans requis pour s’engager dans la Garde, le vampire avait fait en sorte qu’il intègre l’Ombre. Il avait fallu batailler ferme avec Ezarel pour obtenir son affectation, mais ses magouilles furent les plus concluantes. Quand bien même le petit aurait eu sa place dans l’Absynthe, ses capacités en tant que lycanthrope en faisaient un atout de choix. Hors de question pour l’Ombre de se priver d’une unité polyvalente.

- Il n’y a pas mieux pour s’évanouir, ça, je te l’accorde. Ne bouge pas, j’arrive.

Morag attrapa une branche au-dessus d’elle. Elle s’y hissa sans difficulté en s’appuyant du plat de la semelle contre le tronc. Petite, elle adorait jouer dans les arbres avec les garçons de son village, même si cela avait le don de rendre sa mère folle d’angoisse.

Elle grimpa progressivement jusqu’à arriver à hauteur de son cadet. Une fois fait, elle s’assit sur la même branche que lui et l’incita à lui donner le fruit qu’il tenait encore dans la main. Une simple pression lui suffit à confirmer ce qu’elle savait déjà : contrairement à ce que pensait le lycanthrope, son fruit était loin d’être mûr. Elle attrapa l’athamé rangé contre sa cuisse et entreprit d’enlever la peau.

- À maturité, ces fruits développent des précurseurs opioïdes. Un peu comme de la morphine, sauf que l’effet est immédiat. C’est précisément cette propriété qui les rend intéressants pour les filtres de transformations. Si tu te trompes, leur effet interviendra trop tard, voire sera inexistant. Cela dépendra du reste de ta recette.
- Tout ça pour une teinte de rouge en moins ?

La jeune femme sentit un frisson lui prendre les épaules. Des années en arrière, quand elle était jeune recrue, un de ses camarades de l’Absynthe avait mal évalué le degré de maturité de ses fruits de minuit. Cette erreur lui fut fatale : la transformation fut si douloureuse qu’elle entraina un arrêt cardiaque. À l’époque, il n’existait pas d’unité d’élite comme les Cygnes et les accidents de potions étaient monnaie courante. Un des rares éclats de lucidité de Yunoki l’avait poussé à remédier au problème.

- Chrome, ce que j’essaie de te dire ne s’applique pas qu’à ce fruit, mais à toutes les potions que tu seras amené à faire. Il faut que tu retiennes qu’en cas d’approximation, les conséquences peuvent être dramatiques. Je ne te reprends pas juste pour le plaisir de t’embêter.
- Je sais tout ça, oui…
- Alors ne proteste pour « une teinte de rouge en moins ». C’est ce genre de détails qui distingue un faiseur de tambouille d’un bon alchimiste. Compris ?

Le petit loup baissa le nez et hocha la tête en une moue pincée, marmonnant quelques mots dans sa barbe. Elle le voyait râler plus ou moins discrètement, mais Morag savait pertinemment qu’il retenait tout ce qu’elle lui disait. C’était un autre point pour lequel elle appréciait l’instruire : ses leçons ne tombaient jamais dans l’oreille d’un sourd.

- C’est bien. Tu y arriveras plus facilement avec le temps, ça viendra. Revenons à ce fameux fruit. Par souci de conservation, il est courant de le dessécher. D’après toi, quel serait le danger de garder les mêmes calculs qu’avec des fruits frais ?
- Une mauvaise dose ?
- La surdose. Grosse nuance. Une matière sèche est beaucoup plus concentrée en principe actif, un excès peut entrainer un arrêt du cœur et des fonctions respiratoires dans les minutes qui suivent. Si jamais cela arrive, tu dois faire une injection d’antagoniste tout de suite. Je t’apprendrai comment en extraire de raisin elfique.

Morag venait de terminer d’enlever la peau du fruit. La chair ferme luisait d’un éclat doré sous la lune, et un petit jus à l’odeur sucrée s’échappait des parties abimées pour couler le long de ses doigts. Elle en croqua la moitié, recracha un petit noyau semblable à une noisette, et donna la seconde partie à son cadet qui l’observa d’un œil suspicieux. Il ne tenait pas particulièrement à s’empoisonner à l’opium.

- Tu peux y aller sans risque. Le précurseur devient actif en milieu basique, l’acidité de l’estomac est trop agressif pour lui. Par contre, ne t’amuse pas à en dévorer un panier au risque d’écoper de grosses crampes. Allez, goute.

Sur ces paroles, la jeune femme observa le feuillage proche à la recherche d’autres fruits. Chrome la sentit à peine se lever pour escalader les branches plus hautes, le regard focalisé sur la moitié de fruit entre ses doigts. Finalement, il se décida à croquer dedans. Avant de tout recracher presque immédiatement.

Si l’odeur était sucrée, il n’en était rien au goût. D’une texture farineuse, le fruit de minuit possédait un goût âcre et acide qui vrillait le palet et brulait la langue. Chrome s’empara de la gourde d’eau fraiche qui pendait à sa ceinture et en avala une grande rasade. Entre temps, un bruissement lui indiqua que son mentor était revenu à ses côtés.

- C’est immonde !
- Juste pas assez mûr, lança-t-elle amusée. Tu as trois critères de sélection d’un  bon fruit de minuit : la couleur, la souplesse de la chair et le goût.

Tout en parlant, la jeune femme attrapa une des mains de son cadet pour y poser délicatement un autre fruit. Chrome le sentit bien plus lourd, plus plein, que celui qu’il avait cueilli. La carapace était un peu plus rouge et la chair à travers les craquelures d’un jaune vif. La lumière qu’elle dégageait était intense, telle une torche dans la nuit.

Sans se faire prier, le lycanthrope entreprit de l’éplucher et y parvint facilement, sans altérer la chair. Il en croqua la moitié comme son ainée avant lui, recracha le noyau et cette fois-ci nota une franche différence de gout. Le fruit mûr était sucré, gorgé d’un jus frais et sirupeux qui lui coulait des coins de la bouche. Tout bonnement délicieux.

- Bien, j’imagine que tu as compris. À toi de jouer, remplis-moi ce panier.
- T-Tout le panier ? Ça va me prendre des heures !
- Alors tu as intérêt à commencer tout de suite. Tu es puni, je te rappelle.

Le jeune lycanthrope resta interdit. Face au regard appuyé de sa supérieure, il laissa finalement échapper un soupir et entreprit de grimper plus haut dans l’arbre.

Morag rangea son athamé et s’adossa doucement au tronc, les jambes se balançant lentement dans le vide. Elle sentit l’ensemble de ses membres se détendre, et contempla la pleine lune qui baignait les plaines d’Eel de sa lumière d’argent. Vive, rassurante et chaleureuse tel un voile doux qui se déposerait sur ses épaules. Depuis qu’elle était enfant, elle avait l’impression que l’astre veillait sur elle, nuit après nuit, comme elle l’avait certainement fait avec le peuple des fées noires lorsqu’il en existait encore.

Elle n’avait pas souvenir de s’être reposée de la sorte depuis des lustres. Les dernières semaines avaient été particulièrement chargées, entre les entrainements à programmer, les missions à attribuer dont celles qu’elle devait personnellement effectuer, et toutes les petites taches administratives qui alourdissaient rapidement son poste de capitaine. Elle devait théoriquement les partager avec Nevra, mais son chef de garde était pris par ses propres obligations. Une histoire de mission diplomatique avec Avalöne et Iba’Arys. Morag n’en connaissait que les grandes lignes et cela lui suffisait : se frotter aux nobliards des Cours n’attirait que des problèmes. Si Nevra avait besoin d'elle, il savait où la trouver.


Au-dessus de sa tête, le Corbeau pouvait entendre le bruissement saccadé des branches que l’on secouait sans ménagement. Chrome n’avait pas mis de temps à se mettre à l’ouvrage, mais elle espérait qu’il ait retenu ses instructions. Dans le cas contraire, le jeune loup allait écoper d’une bonne sanction de son cru. Une dizaine de pompe par fruit non mûr semblait être un bon début. Après tout, aussi instructive que soit la leçon, Chrome restait puni. Officiellement.


Une petite semaine plus tôt, le jeune Ombre était parti sur l’Île de Jade pour la première mission officielle d’Erika. Leur objectif était de ramener chez lui un kappa égaré dans les bois ouest de l'Île de Nova. Comment avait-il atterri aussi loin de chez lui, c’était un grand mystère. Encore trop jeune pour parler, les membres de la Garde avaient été dans l’incapacité de l’interroger ne serait-ce que sur son nom. La seule certitude était que le môme s’était pris d’affection pour Erika et piquait une crise de larmes dès qu’elle sortait de son champ de vision. De ce fait, la faelienne était la personne toute trouvée pour le raccompagner.

En soi, la mission était tellement simple qu’il aurait fallu un exploit pour la louper. Un exploit comme perdre le bateau prêté par les Purrekos, ce que les deux idiots avaient réussi à faire par on ne savait qu’il fichu moyen. Les matous en question allaient leur en vouloir pour la prochaine décennie, quand bien même l’embarcation fut intégralement remboursée par la Garde. Leur affréter un navire officiel et l’équipage qui allait avec aurait finalement évité bien des problèmes.

Rien que pour ça, Chrome avait eu le feu aux fesses. Mais le comble, qui lui aurait valu un renvoi si Nevra ne s’était pas interposé, fut la quasi noyade d’Erika à cause d’une potion de syronomajie qu’il aurait supposément mal exécutée.

Morag avait eu vent de cette histoire en revenant de sa propre mission. Et de son humble avis, la seule chose dommageable dans l’histoire était le peu de considération que l’on avait donné au travail du môme. Le simple fait qu’il ait réussi à atteindre le quartier général sans s’évanouir prouvait que sa potion était réussie. En aucun cas il n’était responsable du métabolisme défaillant de la faelienne.

Il fallait cependant admettre que, si Chrome s’était bien débrouillé, il avait aussi eu de la chance. La recette qu’il avait employée était faite pour les courtes distances, certainement pas pour le trajet qui reliait l’Île de Jade et celle de Nova. Si l’exécution n’avait pas été parfaite, l’océan aurait été leur tombe à tous les deux. Qu’Erika y laisse sa peau l’aurait presque soulagée, mais en ce qui concernait le jeune loup, Morag savait qu’elle aurait difficilement encaissé sa disparition.


Soudain, la jeune femme fut sortie de ses pensées par un craquement sourd. Une branche cassée manqua de lui tomber sur le coin de la figure tandis qu’une masse sombre fonçait en direction du sol.

- Chrome ?

Avant qu’elle ne comprenne, le corps de Chrome gisait immobile dans l’herbe mouillée. Son panier en osier reposait à ses côtés, son contenu renversé brillant d’un rouge écarlate.

Note, traduction langue originelle

Pour celles et ceux qui ne veulent pas s’amuser à traduire chaque caractère, ce que lit Ashkore dans la forêt correspond à ceci :

« protecteur de la forêt sacrée, gardien du cristal du bois »

/!\ Note aux âmes sensibles : chapitre plus violent que les précédents

Chapitre 6 : Point de rupture

Le corps de Chrome gisait immobile dans l’herbe mouillée. Son panier en osier reposait à ses côtés, son contenu renversé et brillant d’une teinte rouge carmin, identique à celle du sang frais.

- Bon sang, Chrome !

D’une impulsion, Morag bondit de sa branche. Sitôt ses pieds touchant le sol, elle s’élança sur les quelques mètres qui la séparaient du gamin. Tandis que ce dernier gémissait de douleur, yeux clos, elle le força à se mettre sur le dos et commença à l’examiner. Son front portait une entaille de quelques centimètres, laissant supposer que sa tête avait heurté une branche dans la chute. Du reste, hormis le sang s’échappant de la plaie, il n’avait pas de lésion apparente. Elle prit ses mains dans les siennes, sans les serrer.

- Chrome, est-ce que tu m’entends ? Serre-moi les mains, mon grand.

Le lycanthrope s’exécuta après quelques secondes. Morag laissa échapper un long soupir de soulagement. Il était sonné mais conscient, et un minimum lucide par-dessus le marché. C’était déjà ça. En le voyant gisant au sol, elle avait eu peur qu’il se soit ouvert le crâne ou brisé la nuque. Il ne serait pas le premier à succomber d’une mauvaise chute.

Elle fit une rapide palpation de ses membres inférieurs, puis supérieurs, mais ne détecta pas de fracture évidente. En revanche, et malgré l’épaisse couche de tissu qui le recouvrait, elle put sentir qu’il était anormalement chaud. Bouillant, même. Le maana particulier des lycanthropes rendait leur température corporelle plus importante que la moyenne, en particulier les nuits de pleine lune. Cette fois-ci cependant, elle semblait anormalement élevée.


Morag se décala légèrement sur sa gauche pour que les rayons de la lune viennent éclairer le jeune loup. En dépit de la noirceur ambiante, elle remarqua la légère coloration rouge de ses joues, tranchant avec le blême du reste de son visage. Son souffle était sifflant, sa cage thoracique se soulevant fortement à chaque inspiration.

La fée noire força son cadet à se redresser et le cala contre son épaule. Le contact de son front brulant contre la peau de son cou lui arracha un frisson. Chrome ne convulsait pas encore, mais ses tremblements ne pouvaient décemment pas être imputés au froid. Non, ce n’était décidemment pas normal qu’un tel pic de fièvre survienne de cette façon.

- Une grippe ? Non, c’est encore autre chose…

Tandis qu’elle maintenait Chrome contre elle, la jeune femme fouilla dans une des sacoches accrochées à sa ceinture. Elle s’empara d’une petite fiole en verre fumé et fit sauter le bouchon en liège avec les dents. Le liquide qu’elle contenait, laiteux, brillait doucement sous les rayons de la lune.

- Qu’est-ce que tu fais ? souffla doucement le louveteau en la regardant de ses yeux vitreux.
- Avale vite ça. Je t’expliquerai après.

La fée noire pressa le goulot de la fiole contre les lèvres du lycanthrope. Ce dernier avala doucement les quelques millilitres de contenu, sans faire de résistance. La mixture épaisse et amère le fit violemment tousser, sans pour autant lui faire tout régurgiter. Morag fut loin d’être rassurée. La docilité n’était pas un trait qui le caractérisait, loin de là. Qu’il se montre aussi coopératif ne faisait que confirmer la gravité de son état.

Morag rangea la fiole vide et fit basculer l’adolescent sur son dos. Elle se remit doucement debout et le cala du mieux qu’elle put afin qu’il ne fasse pas de deuxième chute. La dernière fois qu’elle l’avait portée de cette façon, ce n’était qu’un gamin rachitique aussi léger qu’une plume et fragile qu’une brindille. Désormais, il était presque trop lourd pour elle.

Une fois assurée de sa prise, le Corbeau prit la direction du quartier général. Chrome avait encore suffisamment de lucidité pour s’accrocher. Elle put sentir son souffle brulant et haché contre sa nuque, les tremblements parcourant ses bras placés autour de son cou.

- Ce que je t’ai donné est un antipyrétique. Cela devrait empêcher ta fièvre d’empirer d’ici à ce qu’on arrive à l’infirmerie. Est-ce que tu as eu d’autres malaises ces derniers jours ?
- Pas de malaise, non, mais j’me sens crevé… Ça doit être une saloperie de virus de Jade.

Tandis qu’elle avançait d’un pas plus rapide, Morag leva les yeux vers la lune qui les surplombait. Elle ne le dit pas à voix haute, mais elle espérait de tout son cœur que le gamin ait raison et qu’il ne s’agisse que d’un simple virus attrapé pendant sa satanée mission.

- Reste concentrée ! Morag !

La jeune femme émergea de ses pensées en un sursaut. Elle n’eut pas le temps de réagir qu’un poids vint violemment lui comprimer l’abdomen, lui décollant les pieds du sol. La seconde suivante, Valkyon la flanquait à terre, contre le tatami en treillis.

Morag eut un temps d’absence, le cœur tambourinant dans sa poitrine et le souffle sifflant. Sa tête n’avait pas heurté le sol avec une violence folle, autrement la douleur serait toute autre, mais l’Obsidien y était allé suffisamment fort pour l’étourdir. Hagarde, il lui fallut quelques instants pour comprendre que son camarade venait de la neutraliser avec une facilité ridicule. Elle ne s’était même pas défendue. En situation réelle, il aurait eu tout le loisir de la tuer et elle en serait seule fautive.

Au-dessus d’elle, Valkyon avait retiré sa main de son ventre et la fixait d’une œillade inquiète. Un genou à terre, il attendit qu’elle donne des signes de lucidité et passa doucement un bras dans son dos pour l’aider à s’assoir. L’Ombre ne broncha pas et s’appuya contre lui. Encore sonnée, elle sentait ses jambes trembler et un bourdonnement furieux lui résonner dans le crâne. Heureusement qu’elle était solide physiquement, une personne plus fragile ne s’en serait peut-être pas sortie indemne.

- Est-ce que ça va ?
- J’ai l’impression de m’être pris une boltue dans la figure, mais hormis ça… Oh bon sang, ma tête !

Elle se massa les tempes, puis lâcha un râle lorsque cela aggrava le problème. Assise en tailleur à même le sol, elle se focalisa sur son souffle et les battements de cœur résonnant furieusement dans sa poitrine, espérant que cela l’aiderait à atténuer la douleur. L’espoir faisait vivre, d’après certains grands optimistes.


Valkyon lui prit le menton et la força à lever la tête vers lui. La jeune femme ne saignait pas, mais maintenant qu’il pouvait l’observer de près, ses yeux creusés et ses lèvres fendillées trahissaient un mauvais état de santé. Certainement, en plus de son travail de capitaine, travaillait-elle encore sur un de ces rituels sidhes qui nécessitaient une grande quantité de sang. Morag avait tendance à s’oublier lorsqu’elle était dans son laboratoire, de jour comme de nuit, absorbée par ses livres d’alchimie. Depuis la mort de Lance, elle prenait ses travaux comme prétexte pour s’évader de la réalité, qu’importe si cela lui ruinait la santé.

Le dragon vint poser ses mains sur ses épaules et commença de petits mouvements circulaires, appuyant du bout des doigts contre sa nuque. Il la vit fermer les yeux et sentit ses muscles se détendre sous les petits massages qu’il leur prodiguait. Elle semblait si petite contre lui qu’il craignait de la briser comme on le ferait avec une simple brindille. Dire qu’à une certaine époque, ils faisaient la même taille. Le temps passait effroyablement vite.

- Merci…, murmura-t-elle, appuyant son front contre son torse. Je peine à me reposer en ce moment. Rien de dramatique.
- Tu me le dis souvent, pourtant rien ne change… Est-ce que tu veux continuer ?
- Oui, mais pas tout de suite, donne-moi deux minutes pour récupérer. Tu ne m’as pas loupée, espèce de brute.

La jeune femme accompagna ses paroles d’un petit coup de poing dans l’épaule de l’Obsidien. Ce dernier lâcha un sourire, avant de se lever et de se repositionner dans la zone d’entrainement, face à un des mannequins de bois. Morag reposa doucement sa tête au sol et souffla d’aise, appréciant la fraicheur salvatrice de la pierre à travers le treillis. Elle croisa ses mains sur son ventre et observa son camarade enchaîner quelques mouvements du pied avec fluidité.

Il était rare que Valkyon soit affublé en tout et pour tout de son vieux pantalon de toile beige, taché de boue et déchiré aux genoux. D’ordinaire, il optait pour la lourde armure, sertie du rubis de sa garde, qui lui avait été offerte lorsqu’il en était devenu le chef. Néanmoins, elle entravait ses mouvements et réduisait sa vitesse d’action, faisant qu’il usait davantage de ses armes que de son corps en lui-même. Morag ne le voyait se défouler de la sorte qu’en petit comité, avec ses Aigles. Particulièrement Valarian, le plus à même de l’affronter sans que les forces ne soient trop déséquilibrées.

- Au fait… Est-ce que tu savais que le corps des lycanthropes passait de trente-neuf à quarante-quatre degrés lorsqu’ils Changeaient ? J’ai trouvé ça dans un de mes livres.

Il s’agissait en réalité d’un des livres de Lance, qu’il avait ramené d’une mission en Avalöne quelques années plus tôt. Derrière son côté irascible et explosif, le dragon était un grand lecteur. Il aimait particulièrement les livres de tactiques militaires, les récits historiques et les légendes mythologiques. Morag gardait un souvenir tendre des moments où il se posait dans les jardins, à l’ombre des arbres, loin de l’agitation de la Garde. Plus calme que jamais, comme si rien d’autre n’existait autour de lui hormis son livre. Souvent, elle le rejoignait avec ses propres ouvrages, des annales de botaniques ou des encyclopédies, et tous deux passaient l’après-midi ainsi, profitant tranquillement du temps ensemble.

La quiétude était telle qu’il n’était pas rare que l’un s’endorme la tête sur les genoux de l’autre, bercé par le bruit des pages tournées. Quand c’était au tour de Lance de se laisser aller, sa fée arrêtait sa lecture pour l’observer, jouant distraitement avec les quelques mèches rebelles qui lui tombaient devant les yeux. Elle aimait le savoir paisible à ses côtés.

La jeune femme avait conservé chacun des effets personnels de son fiancé, dont ses livres, précieusement rangés dans un coffre caché sous son lit. Elle y piochait sa lecture du soir de temps à autres, quand rien ne lui faisait envie dans sa bibliothèque. Toutefois, elle était incapable de les garder en vue dans sa chambre, avec leur couverture et les souvenirs qui y étaient raccrochés. Valkyon n’avait pas besoin qu’on lui rappelle son frère une énième fois, lui non plus.

- La hausse de température serait entrainée par la concentration en maana dans le sang. Elle agit sur le Changement exactement comme un fruit de minuit dans les filtres. C’est fascinant, non ? Une telle température est normale pour eux là où elle nous tuerait. Enfin, peut-être pas toi puisque ton élément est le feu, mais j’y passerais à coup sûr.

L’Obsidien ne lui répondit pas, concentré sur le pauvre mannequin qui se balançait sur son support en bois. Il eut instinctivement un regard vers la porte close, comme à chaque qu’ils abordaient sa véritable nature. Si Morag s’était trouvée contrainte à révéler son sang de sidhe, lui avait encore la chance de pouvoir tromper son monde. Même si Miiko avait succédé à son maître au poste de cheffe d’Eel, il avait toujours la peur au ventre à l’idée d’être découvert. Maintenant que Lance était décédé, le laissant seul représentant de leur espèce, il n’avait pas le droit au moindre faux pas.


Tout aussi silencieusement, Valkyon reprit sur un nouvel enchainement. Deux coups de poing au niveau du thorax, un autre du ventre, puis dans la tête. Morag le vit faire sans vraiment y prêter attention, le regard perdu dans le vide. Elle ferma les yeux et apprécia le silence reposant qui régnait dans la salle, bercée par les coups dans le bois qui lui parvenaient sur sa droite. Plus généralement, elle appréciait ces moments passés seule à seul avec Valkyon. Tous les deux se connaissaient depuis tellement longtemps que la jeune femme se surprenait à abaisser toutes ses défenses en sa présence. Ce lâcher-prise lui laissait un étonnant bien-être qu’elle n’arrivait pas à avoir au contact de Nevra. Elle confierait sa vie au vampire les yeux fermés, certes, mais il n’était pas aussi franc, aussi limpide.

- Est-ce que tu savais également qu’un petit lycanthrope se transformait pour la première fois vers ses six ans ? À cet âge, il ne gardera aucune séquelle, mais plus cette première fois est tardive, plus le risque de lésions internes est élevé. Je me demande quel est le taux de survie à seize ans…

Le silence se fit complètement dans la pièce. Morag attendit quelques secondes, avant de rouvrir doucement les yeux sur Valkyon, assis juste à côté d’elle. Empreint de ce calme qui le caractérisait, seule la fine pellicule de sueur couvrant ses bras et son torse trahissait la violence de son entrainement. Elle ne put s’empêcher de sourire, se faisant la réflexion qu’une fois encore, il aurait eu tout le loisir de lui ôter la vie s’ils avaient été ennemis. Heureusement, de tous les membres de la Garde, il était très certainement le seul avec qui elle se sentait réellement en sécurité. Il était son frère de cœur comme il l’aurait été par alliance si elle avait eu le temps de se marier.

- Et comme par hasard, le seul lycanthrope que tu supervises a seize ans. Qu’est-ce qui te tracasse avec Chrome ?
- J’ai peur qu’il n’ait embrayé son processus de Changement. J’ai l’impression qu’il va mal depuis sa mission sur l’Île de Jade, il m’a fait une crise d’hyperthermie la nuit dernière.
- Le contrecoup de la syronomajie, certainement. Erika commence à peine à sortir de l’infirmerie, et cela fait une semaine.
- Ne les compare pas comme ça, c’est insultant pour le gamin. Je ne pense vraiment pas que cela soit dû à la potion, même si je préférerais largement.

Avec un mélange de tristesse et de tendresse, elle se remémora sa première rencontre avec le jeune Chrome. L’adolescent n’était à l’époque qu’un enfant amaigri, le corps affaibli et le visage émacié par des jours d’errance. Originaire de la Contrée de l’Ouest tout comme la fée, il s’était introduit sur un bateau de la Garde afin d’échapper à une bande de braconniers ayant fait des ravages dans son village. Les gardiens présents, une équipe d’Obsidiens et d’Ombres, l’avaient retrouvé évanoui parmi les tonneaux de nourriture qu’il n’avait pas eu la force d’ouvrir.

Il lui avait fallu plusieurs jours de soins intensifs avant de retrouver un semblant de vie. Ainsi que tout autant de calme, de câlins et de berceuses pour essayer de soulager son âme meurtrie, faire sécher ses larmes et le pousser à parler. Morag l’avait pensé irrécupérable tant il semblait traumatisé. Si Nevra n’avait pas été là pour l’épauler, elle se serait effondrée face à toute cette détresse. Les enfants ne devraient jamais avoir à souffrir des conflits entre adultes, pourtant ils en étaient les cibles privilégiées. Elle-même l’avait appris à ses dépends.


Sur les indications du gamin, les braconniers furent traqués, retrouvés et éliminés jusqu’au dernier. Aucun prisonnier ne fut gardé. La Garde de Yunoki n’avait aucun scrupule à torturer ses ennemis, et si elle n’y avait personnellement pas participé, Morag avait observé avec une certaine satisfaction ces hommes trépasser les uns après les autres, telles les pièces d’un échiquier. Peut-être que cela faisait d’elle un monstre d’après les gens comme Keroshane, mais la douleur du louveteau ne pouvait que faire écho à la sienne, elle qui avait vécu une tragédie similaire.

Toutefois, quand bien même les gardiens avaient mené leur mission à bien, éliminer les braconniers n’avait rien changé à la détresse de Chrome. Encore fortement fragilisé, l’orphelin avait été pris en charge par l’Ombre et mis sous la protection de Nevra, déjà prédestiné à prendre la tête de la garde de l’Ombre. Des jours durant, Morag s’était relayée avec son camarade pour rester au chevet de l’enfant. Au fur et à mesure que les pleines lunes se succédaient, jamais Chrome ne se transforma ni ne présenta de symptômes avant-coureurs. Jusqu’à maintenant.

Lors de son sauvetage, le petit loup avait à peine sept ans. Aujourd’hui, il en avait seize et la situation évoluait de manière préoccupante.

- Valk’ ? Est-ce que tu pourrais me rendre un petit service ?
- Demande-moi toujours, on peut négocier.

Elle étouffa un pouffement mi attendri, mi amusé. Il essayait de la dérider, mais ce n’était certainement pas elle qu’il pouvait berner : dès qu’elle lui demandait quelque chose, il répondait par la positive. En treize ans, il n’avait jamais failli une seule fois. Il lui décrocherait la lune si elle le lui demandait.

- Est-ce que je pourrais mobiliser un de tes Aigles, par exemple Caméria ?
- Cela peut s’arranger. Mais, tes Corbeaux ?
- Tous les six en mission, et quant à moi, je dois bientôt accompagner Nevra en Avalöne. Cette histoire d’enlèvements d’enfants qui revient sur le tapis. Minkhah et Crispin ne reviendront peut-être pas à temps, donc j’aurais besoin qu’un de tes Aigles veille sur Chrome en notre absence.
- Je vois. S’il n’y a que ça pour te rassurer, je t’affecterai Caméria ou Shaona.

Morag laissa échapper un petit rire amer. Elle sentait son estomac se nouer et une bile acide lui remonter dans la gorge. Dire qu’elle s’inquiétait pour Chrome était un euphémisme. En réalité, elle avait une peur monstrueuse de ce qu’il pourrait se passer les prochaines lunes s’il venait à se trouver seul.
Jamais elle n’aurait imaginé que sa peur soit à ce point justifiée.

- Morag ! MORAG !!!

La porte de la salle d’entraînement s’ouvrit avec fracas. La concernée sursauta violemment tandis qu’Alajéa déboulait telle une furie. Les cheveux détachés et en bataille, le visage en sueur et les yeux écarquillés, elle qui avait d’ordinaire un teint doré était blême à faire peur. Sans même reprendre son souffle, elle se mit à déblatérer si rapidement que ses paroles en devenaient incompréhensible.

D’un bond, la capitaine se remit debout et immobilisa sa cadette en plaquant fermement ses mains sur ses épaules. La sirène était en pleine crise d’angoisse.

- Alajéa, respire. Calme-toi, explique-moi.
- C-C’est Chro… Chrome !
- Quoi, Chrome ? Articule.
- Il a attaqué Karenn !

La fée noire sentit son cœur rater un battement. La chaleur de sa magie irradia dans ses membres, grandissant à chaque nouvelle palpitation, gagnant l’ensemble de son corps en une boule d’énergie brulante. Elle se rua vers la porte d’où venait Alajéa tandis que Valkyon eut quelques secondes d’absence, abasourdi par la scène.

- Va chercher Nevra ! Dépêche-toi !

Chrome était en train de Changer. Et quelque par au fond d’elle, Morag sentait son instinct lui hurler que si elle ne faisait rien, toute cette histoire allait se terminer dans le sang. Aussi bien celui du gamin que de la victime qui aura le malheur d’être sur son chemin.

- Allie, ne t’approche pas ! Va chercher de l’aide !
- M-Mais Karenn-
- Vite ! Va chercher quelqu’un !

La petite vampire vit son amie lui jeter un regard d’horreur avant de se ruer aussi vite que possible vers l’aile Est, dans les quartiers de l’Obsidienne. Elle n’osa pas se retourner afin de garder Chrome dans son champ de vision et fléchit les genoux. Il fallait qu’elle reste concentrée. Lorsque Nevra avait commencé à lui enseigner l’art du combat, il avait été très clair sur un point précis : ne jamais tourner le dos à l’ennemi, au risque de se faire mettre en pièces.
« Ennemi », jamais elle n’aurait cru rapprocher ce terme du garçon qu’elle aimait.

- Chrome, souffla-t-elle doucement, est-ce que tu m’entends ?

À quelques mètres d’elle, à genoux dans l’herbe mouillée par la pluie diluvienne, Chrome tremblait de tous ses membres. Les mains crispées sur ses bras et le front plaqué contre la terre meuble, le lycanthrope ne répondait qu’avec de longs grognements rauques. Karenn fit un pas prudent dans sa direction, pratiquement accroupie dans l’herbe. Elle se stoppa net en voyant ses épaules sursauter et retint un hoquet d’horreur lorsqu’il cracha une épaisse gerbe rougeâtre.

À l’exception des deux jeunes gens, pas une seule âme n’errait dans les rues de la cité. La pluie et la noirceur ambiante avaient fait fuir les habitants, partis se retrancher à l’abri. Revenant d’une cueillette en forêt, Alajéa et Karenn s’apprêtaient à faire de même lorsqu’elles avaient aperçu la silhouette titubante de Chrome près du Jardin de la Musique. Cet ensemble de bosquets et de points d’eau près de l’aile nord du QG était piégeur, personne n’aurait intérêt à y aller de nuit au risque de chuter. L’adolescent avait commencé par leur grogner dessus, refusant obstinément de leur faire face, avant de griffer Karenn au sang lorsqu’elle l’avait approché.

Aussi lentement que possible, la jeune fille fit un autre pas en direction de son camarade. Elle sentait une sourde angoisse lui tordre les tripes, engourdissant ses membres et faisant fléchir ses jambes. Son sang venait lui percuter les tempes en vagues brûlantes, enserrant sa tête dans un étau suffocant. Quelque chose au plus profond d’elle lui intimait de renoncer à son projet et de courir se mettre à l’abri tant qu’elle le pouvait encore.

Elle arriva à la hauteur de l’autre Ombre, tout doucement. Une petite dizaine de centimètres à peine la séparait du rideau rouge et ébène que formaient ses cheveux détachés balayés par le vent froid. Soudain, Chrome se laissa tomber à quatre pattes dans l’herbe et toussa à s’en décoller les poumons. À la place, ce fut une nouvelle gerbe écarlate qui s’échappa de ses lèvres. Karenn hoqueta, tremblante, quand une goutte atteignit sa peau blafarde.

- S’il-te-plait, laisse-moi t’aider…

La petite vampire lui effleura les cheveux d’une main, le cœur compressé à en éclater. Un grondement rauque, similaire à celui d’une bête, la fit violemment sursauter. Une décharge de maana s’échappa de son camarade et l’expédia plusieurs mètres en arrière. Elle eut tout juste le temps de protéger sa tête avec ses bras avant que son dos ne vienne percuter les dalles en pierre du chemin principal. Une douleur vive lui vrilla le bassin et se propagea dans l’ensemble de ses membres, lui coupant le souffle.

- Aie, ma tête… Q-Qu’est-ce que… ?

Un maana dense, similaire à celui qui venait de la repousser, émanait du corps du lycanthrope. Il jaillissait en violentes vagues violâtres, frénétique, entourant tel un immonde serpent la forme inhumaine que prenaient les membres de Chrome. Son regard, même, n’avait plus rien d’humain. La noirceur ambiante accentuait le doré de ses yeux dilatés qui semblaient littéralement briller de leur propre lumière. Une lumière particulièrement malsaine. Ses os et ses muscles commencèrent à bouger, roulant et craquant sous la peau de son dos à mesure que son maana s’intensifiait. Karenn avait l’impression qu’il pouvait partir en morceaux d’un instant à l’autre. Elle resta figée face à ce sordide spectacle.
Il Changeait.

Chrome lui en avait vaguement parlé, au détour d’une conversation pourtant banale. La première transformation des jeunes lycanthropes, nommée Changement, survenait une nuit de pleine lune à leurs six ans. Elle pouvait se montrer particulièrement marquante pour l’enfant qui la vivait. Toutefois, Karenn se rendait compte qu’il l’avait préservée en édulcorant fortement la réalité. Ou bien ignorait-il ce qui l’attendait réellement une fois le processus enclenché, lui qui avait largement dépassé l’âge moyen. Le spectacle était atroce, elle ne voyait pas d’autre terme.

La vampire se releva avec peine et tenta de faire un pas vers son camarade, mais un nouveau grondement l’en dissuada. Le maana gagna en intensité et la frappa une deuxième fois. L’onde de choc sembla s’infiltrer dans chaque parcelle de son corps, fracassante. Karenn se mordit la lèvre inférieure pour ne pas hurler, se piquant la peau de ses crocs. Toutes les barrières métaphysiques qu’elle avait érigées pour se protéger venaient de voler en éclat. Elle sentait toute la force avec laquelle Chrome lui intimait de reculer, de dégager aussi loin que possible. Ce n’était pas une menace en l’air, elle le savait : sitôt qu’elle sera de nouveau à portée, il la mettra en pièces.

Un hurlement, rauque, animal, s’échappa de ses lèvres frémissantes et rougies par le sang qu’il avait craché. Karenn entendit une autre série de craquements et sentit son cœur rater un nouveau battement. Ils lui parvinrent aussi clairement que si elle-même lui brisait les os. Ses larmes roulèrent sur ses joues, malgré la morsure de l’averse, lorsque le dos de Chrome se creusa jusqu’à former un angle anormalement droit.

- C-Chrome, est-ce que tu m’entends ? Je t’en prie, reviens …

Son regard la perfora, lui coupant le souffle. L’être qu’elle avait désormais face à elle n’avait plus rien à voir avec celui qu’elle connaissait. Ses yeux n’étaient plus ceux pétillants de vie et de malice qu’elle avait appris à aimer au fil des années, mais ceux d’une bête prête à se déchaîner. Quelque chose prenait le pas sur la conscience du lycanthrope, une force sauvage et effrayante que son corps semblait ne pas vouloir accepter. Sinon, pourquoi le maana se déchaînerait-il ainsi, comme s’il rejetait ce qu’il devenait ? Pourquoi une telle souffrance ? Un être ne pouvait pas se faire volontairement mal à ce point, Karenn ne pouvait pas le croire.


Soudain, Chrome se jeta sur elle. La jeune fille réussit à esquiver la première attaque, mais ne fut pas assez rapide pour la suivante qui l’atteignit aux côtes. Une vive douleur se diffusa dans la partie gauche de son corps, suivie par la sensation d’un liquide chaud glissant sur sa peau glacée.

Le souffle court et le cœur déchainé par la peur, Karenn n’osa pas regarder sa blessure au risque d’en finir paralysée. Elle devait rester alerte, ne pas flancher, ne pas se déconcentrer. Si elle perdait le contrôle, elle savait qu’elle n’en réchappera pas. L’angoisse gagna en ampleur, si tant est que cela soit encore possible, et vint lui retourner les tripes. Le souffle difficile, elle avait l’impression que des mains l’étranglaient.

En face, Chrome repartait à la charge, l’œil fou et le poil hirsute, les traits déformés à mi-chemin entre le loup et l’humain. Dans le même temps, son maana dansait autour de lui, gagnant en densité. Karenn bondit en arrière et se réceptionna maladroitement dans l’herbe. La magie vampirique agissait sur les aptitudes physiques en décuplant la vitesse, l’agilité et en affinant les sens, mais elle ne l’avait jamais utilisée à son plein potentiel. Elle ne savait pas comment vaincre ce genre d’adversaire tout en muscles et en force brute.

- Bon sang, stop ! Chrome, stop !!

Le loup s’élança une énième fois. L’adolescente tenta de bouger, de sauter, de se laisser tomber sur le côté, mais son corps refusa de bouger. Tétanisée de peur et de douleur, elle vit les crocs de se rapprocher dangereusement d’elle.

Elle ferma les yeux et leva ses mains écarlates, attendant l’impact fatal.

Note

En voilà deux qui sont dans une sacrée panade !

Le Changement est une étape clé dans la vie d’un jeune lycanthrope. Parler de passage à l’âge adulte serait inexact, on devrait plutôt dire qu’il s’agit de son baptême au sein de sa meute. En temps normal, cette étape survient aux alentours des sept ans, lorsque l’enfant se détache du maana de ses parents pour développer le sien. Ici, Chrome a seize ans et cela a… très mal tourné.

Les précédents chapitres faisaient office de grande introduction, une manière de rentrer doucement dans le bain. Avec « Point de rupture », nous attaquons frontalement le premier véritable Arc de Dracarys : Moeka. Le loup, la fée et la terre des damnés

/!\ Note aux âmes sensibles : violence présente

Chapitre 7 : L’Eveil de la Bête

Karenn s’attendait à ce que la mort l’emporte, brutale et inévitable. Pourtant, ce ne fut pas le cas.

Tout bascula en quelques instants. La jeune fille sentit quelque chose lui enserrer la taille, lui coupant la respiration. Ses pieds décollèrent du sol alors qu’on la faisait pivoter. Un air glacé balaya brièvement ses cheveux détachés, avant qu’un liquide épais ne lui gicle au visage. Brûlant, presque acide. Un silence pesant se fit, à peine entrecoupé des grognements étouffés de Chrome.

Elle garda les yeux résolument fermés, s’attendant à être assaillie d’une douleur qui ne vint finalement pas. À l’inverse, ce fut la chaleur d’un tissu qui vint l’entourer, telle une couverture protectrice. Une odeur d’encens et de savon mêlée à celle ferrique du sang, plus prenante. Tout doucement, elle se résolut à rouvrir les yeux. Et se figea devant l’horreur de la scène.

Nevra la maintenait contre lui de son bras gauche, l’autre présenté en bouclier entre eux et les crocs du lycanthrope. Karenn sentit le sang de son frère lui retomber sur le visage alors que la bête essayait d’emporter sa prise, tirant et secouant comme avec un simple jouet. Il coula le long de ses tempes puis de son cou en un voile fluide, dilué par l’averse, trempant sa peau et ses vêtements.

- Dès que je te lâche, lui glissa son frère à l'oreille, tu cours. Allez !

Nevra la poussa brutalement loin de l’affrontement, l'envoyant chuter dans l'herbe. De sa main libre, il asséna deux coups de poing sur la tête de Chrome, entre les yeux, le forçant à le lâcher. Il termina par un coup de pied dans le poitrail qui l’envoya violemment dans la fontaine à quelques mètres de lui. Alors que le corps du jeune Ombre disparaissait dans l’eau sombre, le vampire posa un genou à terre, tenant son bras tremblant.

- Grand frère !

Karenn eut un haut-le-cœur quand le sang de son aîné se fraya un passage entre ses lèvres pour finir sur sa langue. Son goût ferrique, nuancé d’un relent poivré caractéristique du sang de vampire, la prit violemment à la gorge. Elle retint sa respiration, réfrénant un haut-le-cœur. Le mélange de peur, panique et culpabilité qui lui broyait les tripes sembla redoubler d’intensité, fracassant. Alors qu’elle se traînait vers lui, il l’arrêta de sa main intacte.

- Ne t’approche pas ! Va te mettre à l’abri, je le gère !
- M-Mais ton bras !
- Ça ira, ce n’est rien. Pars, je ne peux pas me battre si je t’ai dans les pattes !

La petite vampire accueillit l’ordre comme un coup de poignard en plein cœur. Elle se sentit trembler de plus bel, paralysée par la mélasse de sentiments qui la ravageait. Colère et reconnaissance. Peur et soulagement. Inquiétude et désir de vengeance. Mais plus que tout, elle sentait une boule de chaleur suffocante venir lui gagner la poitrine et les membres, ankylosant ses jambes. Incapable de bouger, elle observa impuissante son frère se relever avec peine tandis que le lycanthrope s’extirpait hors de la fontaine.

- Obéis Karenn, tout de suite !

Chrome hurla à la lune, désormais entièrement changé en un loup haut d’un mètre au garrot, à la robe ébène hirsute et aux yeux d’or. Le voile violâtre de maana qui l’entourait termina de se dissiper alors qu’il bondissait hors de la fontaine. Il jeta une œillade meurtrière au chef de garde et lâcha un long grognement rauque. Ses crocs, lavés par l’eau, luisaient d’un inquiétant éclat argent sous les rayons de la lune décroissante. Face à lui, Nevra prit une grande inspiration, avant d’attraper un poignard à sa ceinture.

Il se retint de jurer face à sa position. Lui qui martelait de ne pas foncer dans le tas, c’était exactement ce qu’il était en train de faire. Blessé ainsi alors qu’il était seul face à un lycanthrope hors de contrôle, quel idiot. Il n’avait toutefois pas eu le temps de trouver un meilleur plan pour éviter que sa sœur ne se fasse arracher la gorge.

Chrome poussa un son entre hurlement et rugissement, puis s’élança en direction du vampire. Ce dernier esquiva en se décalant sur le côté. Il profita de l’angle pour lui abattre son coude sur la nuque, et l’éloigna d’un coup dans les côtes du plat de la botte. Chrome se réceptionna sur ses quatre pattes et repartit aussitôt à l’attaque. Cette fois-ci, sa cible esquiva de justesse, ralentie par la morsure qui faisait son effet.

- Bon sang… C’est qu’il est rapide, l’animal !

Ou plutôt était-ce lui qui devenait plus lent. Alors que la lune galvanisait le lycanthrope, embrasant son maana, le vampire sentait son énergie lui échapper. Depuis la nuit des temps, bien avant la création d’Eldarya, les deux peuples étaient de féroces antagonistes. Les enzymes contenues dans leur organisme respectif nécrosaient les tissus de leurs proies et altéraient drastiquement leurs capacités de régénération. Les guerriers du Sidhe contre les servants de la Faery, littéralement nés pour se détruire mutuellement.

En Hajvingar, sa contrée natale, les vampires formaient de petites communautés renfermées, retranchées dans les forêts et les îles au Sud-Ouest. Cependant, ces endroits isolés du reste du monde abritaient également les dernières meutes de lycanthropes d’Eldarya. Les deux antagonistes étaient donc présents sur le même territoire, pour le meilleur comme le pire. Dans son enfance, Nevra avait entendu nombre d’histoires au sujet de leurs querelles.

En grandissant, il avait compris que cette animosité était réelle et loin de disparaître. Elle avait conditionné leur existence et leur culture, jusqu'à leur magie, bien avant que le Grand Exil ne vienne tout chambouler. Chacun de ces peuples ancestraux avait besoin de son aversion pour l'autre, tel un point d'accroche avec leurs racines, au risque de sombrer définitivement.

Nevra soupira, las. Cette histoire et ces coutumes imprégnées de sang auraient dû être derrière lui. Hajvingar était à des lieues d’Eel, pourtant il envisageait d’abattre un lycanthrope comme ses ancêtres avant lui. Un gamin qu'il avait lui-même recueilli et qui côtoyait ce qu'il avait de plus précieux, quelle douce ironie.

Le vampire resta statique et attendit patiemment alors que Chrome se ruait sur lui. Il raffermit sa prise sur son poignard, prêt à lui percer la carotide sitôt à portée. Un coup net et sans bavure, qui ne tuera probablement pas le gamin mais aura au moins le mérite de l’immobiliser. Du moins, c’était la théorie.


Cependant, alors qu’il s’apprêtait à frapper, Nevra sentit une énergie chaude lui caresser le dos. La seconde suivante, une violente vague de maana bleuté percuta le lycanthrope dans le museau. Ce dernier fut repoussé jusqu’à heurter avec fracas la statue de la fontaine. La roche se brisa en gros éclats tandis qu’il chutait lourdement dans l’eau.

Les oreilles sifflantes, l’Ombre tourna la tête vers cette aide salvatrice. Dans son dos, Morag relevait Karenn d’une poigne ferme pour la jeter dans les bras d’Alajéa, sous les vives protestations de la petite vampire.

- Emmène-la à l’infirmerie ! Tu l’assommes, la ligotes, tu lui fais ce que tu veux mais empêche-la de revenir ici !

Sans attendre de réponse, le Corbeau accourut aux côtés de Nevra. Même de loin, ce dernier devina sa fureur. Corps crispé, poings fermés sur deux athamés, la fée noire laissait échapper sa magie sans même essayer de la contenir. Du maana sidhe dans le plus brut des états, d’un bleu luminescent. Il se fraya un passage entre les dalles du sol pour les entourer d’un épais maillage d’énergie. Nevra le sentit l’envelopper tout entier, se glisser entre les fibres de ses vêtements pour recouvrir sa peau d’un voile chaud. Paradoxalement, le maana apaisa le feu de la morsure et calma le mal qui lui vrillait le corps. Il soupira d’aise, s’en imprégnant pleinement. Il était si heureux de la voir qu’il pourrait l’embrasser, là, tout de suite.

- Espèce de menteur ! Tu m’as dit qu’il ne risquait pas de Changer après la pleine lune ! lui lança-t-elle en arrivant à sa hauteur.
- Je le pensais, oui, mais ça ne restait que de la théorie. Une petite erreur de calcul. Ça m'arrive aussi de me planter.
- Bon sang… J’aurais dû lui poser un sceau de restriction dès son malaise !
- Tu l’aurais sonné pour plusieurs jours, un être vivant n’est pas fait pour encaisser ce genre de sceau.
- Peu importe ! Au moins, il ne serait pas dans cet état !

Nevra ne put s’empêcher de sourire et sentit le voile de maana ambiant se densifier. Morag avait beau se comporter comme sa froide capitaine, en réalité, elle n’en avait que l’armure. Il pouvait toujours lire en elle comme dans un livre ouvert, qu’importent les barrières qu’elle s’efforçait d’ériger. Chrome était l’un de ses points faibles, et non des moindres. Ce qui lui arrivait la touchait suffisamment pour que son masque de glace vole en éclats.

Vampires comme fées noires faisaient partie des sidhes, et à l’instar de beaucoup de peuples ancestraux, leurs émotions avaient une influence considérable sur leur magie. Celle de Morag était pleine de colère et de peine, ponctuée de la saveur amère de l’impuissance. Un mélange que Nevra connaissait particulièrement bien et qui faisait écho ce qu’il ressentait lui-même. Dès le premier jour, tous deux s’étaient promis de protéger le petit loup de nouvelles horreurs. La vision qu’il leur offrait les mettait face à leur échec cuisant.

- Il n’empêche que jusqu’ici, continua le vampire en se remettant difficilement debout, ceux auxquels j’ai eu affaires passaient immédiatement à leur forme de bête. Normalement, seuls les Alphas peuvent avoir un entre-deux. Je me demande si le choc n’a pas été trop important pour lui.
- Sérieusement Nev’, tu crois vraiment que c’est le moment de se questionner là-dessus ? Il faut qu’on le maîtrise avant qu’il ne se tue !

Le vampire amorça un début de réponse, et se contenta finalement d’une grimace. La salive du lycanthrope commençait à sévèrement le paralyser. La douleur qui l’assaillait était similaire à celle de son œil crevé, treize ans en arrière. Vibrante et suffocante, lui pulsant dans le crâne à chaque battement de cœur. Le genre de mal qui finissait par rendre à fou, purement et simplement. Il s’efforça de rester stable sur ses jambes tandis que Morag se positionnait devant lui.

La jeune femme jeta un rapide regard à son chef de garde. Elle serait rassurée de le savoir à ses côtés en temps normal, mais la situation n’était clairement pas en leur faveur. Elle avait beau être une bonne combattante, elle ne pourra pas les protéger tous les deux d’un adversaire de ce type. Il fallait agir vite.

Elle se concentra sur Chrome qui sortait de la fontaine. Ce dernier lui grogna dessus, avant de se ruer vers elle. La fée roula sur le côté et lui envoya un de ses athamés. La lame lui frôla le dos, coupant quelques poils et entaillant la peau au passage. Elle partit ricocher contre les restes de la statue et se planta dans l’herbe. L’attaque énerva un peu plus la bête et déclencha une nouvelle attaque. La jeune femme esquiva d’un bond sur sa droite. Elle utilisa l’élan pris pour lui asséner un coup de genou dans l’épaule et le faire vaciller.

- Nev’, maintenant !

Nevra se glissa dans l’angle mort du lycanthrope et fondit sur lui sans un bruit. Il passa son bras valide autour de son encolure et serra aussi fort que le lui permettait son état. Même blessé, un vampire conservait plus de poigne que le reste des sidhes. Chrome se débattit tel un diable, s’enroulant sur lui-même. Ses mâchoires manquèrent in extremis de le prendre à la gorge et se refermèrent sur du vide.

Morag profita de l’ouverture pour lui faucher les pattes. Entrainé par le poids de Nevra, il s’effondra au sol, mais ne resta pas immobilisé bien longtemps. Le maana qui s’échappait de son corps gagna en intensité et frappa les deux gardiens de plein fouet. Désarçonné, Nevra relâcha sa prise les quelques fractions de secondes suffisants pour qu’il se libère. Chrome se retourna en une énième ruade, frôlant le bras intact du vampire du gout des crocs.

Nevra s’éloigna rapidement de la zone d’atteinte du loup, mais la fée noire n’eut pas la même vitesse de réaction et tomba à terre. Elle eut le réflexe de passer sur le dos juste avant que Chrome ne lui saute dessus et le repoussa de la semelle de ses bottes. Heurté en plein dans le ventre, le lycanthrope vola au-dessus d’elle et partit s’échouer en rouler-bouler dans la terre retournée.

- Morag, dégage de là !

La concernée n’eut pas le temps de se relever qu’il revenait à la charge. Cette fois-ci, pas possible d’esquiver. De sa main droite, elle généra une sphère de maana d’un bleu luisant. Elle la lui écrasa contre le museau au moment où il fondait sur elle, tous crocs dehors. Une décharge d’énergie balaya le sol tandis que le loup voltigeait de nouveau, s’écrasant lourdement dans une flaque d’eau boueuse quelques mètres plus loin.

Morag se remit debout et observa sa main douloureuse. Une des canines avait réussi à lui entailler la paume et un voile rougeâtre recouvrait sa peau blafarde. Une entaille large mais peu profonde, il ne lui avait pas broyé la main. Heureusement pour elle, les fées noires n’avaient pas les mêmes faiblesses que les vampires. Le fer était déjà un assez gros problème à gérer au quotidien sans y ajouter une autre némésis.

- Il t’a mordue ?
- Ça va, je m’en remettrai. D’où est-ce qu’il tire toute cette énergie, le bougre ?

La jeune femme observa son protégé se remettre difficilement sur quatre pattes et manquer de retomber ventre à terre. La respiration sifflante et difficile, un filet mélangeant bave et sang lui coulait des babines. Ses yeux avaient perdu leur doré luisant pour une teinte bien plus terne, atténuée, presque vitreuse. Sa conscience semblait partir en même temps que son corps faiblissait. Morag sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, le sang lui pulser aux tempes alors qu’elle réfléchissait à toute vitesse. Outre sa perte totale de contrôle, le voir s’affaiblir de cette manière l’alarmait.

« Il est en train de lâcher… »

Il fallait qu’elle trouve rapidement une solution avant que Chrome ne succombe à son propre Changement. Combien de temps pouvait-il encore tenir avant que son organisme ne cède ? Elle n’avait pas menti à Valkyon en lui disant que les lésions internes pouvaient être fatales, elle était déjà en train de le perdre.

S’efforçant de ne pas laisser la panique prendre le dessus, la jeune femme recula de quelques pas en prenant soin d’avoir le loup dans son champ de vision. Elle finit par revenir au niveau de Nevra, dont l’état commençait à sérieusement se détériorer également. En nage, le visage tiré par la douleur, le vampire avait posé un genou à terre et peinait à respirer. Morag se retint de jurer. La morsure était plus sérieuse qu’elle ne le supposait, lui non plus risquait de ne pas tenir longtemps sans les soins adéquats.

« Chrome d’un côté, Nevra de l’autre… Quelle plaie, comme si un seul ne suffisait pas ! »

La fée noire jeta un rapide regard tout autour d’elle. L’endroit ne lui laissait pas beaucoup de marge de manœuvre, et évidemment, il n’y avait pas d’armes dans les jardins. Ç’aurait été bien trop beau. Une corde ou un filet auraient pourtant été les bienvenus. Ses seuls alliés étaient ses athamés, mais dans l’état du gamin, elle avait plus de chances de le tuer que de le maîtriser. Les utiliser n’était plus permis au vu des risques.

Soudain, la jeune femme entendit de l’agitation en provenance du quartier général. La lumière des torches commença à percer la pénombre environnante tandis que le reste des gardiens accourait. Chrome se recroquevilla sur lui-même en lâchant un hurlement rocailleux, muscles bandés, prêt à réitérer ses attaques. Si elle voulait agir avant que cela ne tourne au bain de sang, il fallait le faire tout de suite.

- J’imagine que je n’ai plus vraiment le choix.

Quand Alajéa était venue la chercher, Morag avait pris soin de récupérer la petite pochette d’alchimie qu’elle gardait habituellement contre sa cuisse. Elle l’ouvrit et en sortit l’une des graines qui germaient dans son laboratoire quelques nuits plus tôt. D’un même blanc immaculé que lors de son immersion, une petite feuille d’un vert profond se distinguait contre l’enveloppe épaisse.

La gardienne prit la graine dans le creux de sa paume droite et commença son incantation en langue originelle, la laissant s’imprégner de son sang et du maana bouillonnant qui s’agitait dans ses entrailles.

- Zlohwym, xleyn wu go vboyl, atcun wu go pafahnú. Ujohaeym-nay, xfuel we mohz we Mywbu.

Le petit végétal en devenir se teinta d’un rouge vif et se mit à luire, en résonnance avec la magie sidhe qui s’imposait en un voile dense. Cette fois-ci, ses travaux semblaient arriver à quelque chose d’exploitable. Elle aurait dû ressentir de la joie, ou au moins une certaine satisfaction, pourtant cette pensée lui fit un pincement au cœur. Si un jour on lui avait dit qu’elle attaquerait un de ses protégés avec sa magie du sang, elle n’y aurait pas cru une seconde.

Morag recula de nouveau jusqu’à sortir du chemin en pierre. Elle porta la graine à ses lèvres pour l’imprégner d’un peu plus de maana, puis s’agenouilla dans la terre meuble sans arrêter sa psalmodie ni détacher son regard de la bête face à elle. Cette dernière fit quelques pas dans sa direction, avant de s’élancer prête à mordre.

« Désolée gamin, ça va te faire mal. Essaie de tenir le coup. »

La fée noire abattit sa main au sol, paume ouverte. Une vague de maana déferla à l’instant même où la graine entra en contact avec la terre. Le lycanthrope arrêta son attaque au moment où il allait bondir et recula en montrant les crocs, crispé à s’en recroqueviller. Le sol commença à trembler sous son corps et il lâcha un glapissement apeuré.

Morag recommença son incantation d’une voix plus forte, outrepassant le bruit de la terre qui craquait en profondeur. Soudain, une large fissure s’étendit sous les pattes du loup. Ce dernier tenta de s’en éloigner, quand une épaisse racine d’un vert vif jaillit et le frappa en plein abdomen. Ses quatre pattes décolèrent du sol et il retomba un peu plus loin, en boule dans un mélange de terre et d’eau. Avant qu’il ne puisse se relever, deux autres racines vinrent rejoindre leur comparse et toutes s’abattirent sur lui. Il encaissa le choc en glapissement suraigu.


Immobilisé à quelques mètres de la scène, Nevra assistait impuissant à un combat dont la fin était imminente. Les rituels de sang des fées noires n’avaient rien d’un sort anodin, et Morag ne s’en servait qu’en cas de nécessité absolue. Le vampire sentait son pouvoir chaud prendre possession de l’endroit, l’entourant d’un linceul si dense qu’il lui semblait pouvoir le toucher rien qu’en tendant la main.

Il avait oublié l’étrange sensation qui lui restait dans la peau quand cette magie antique se manifestait. Galvanisante et effrayante en même temps, qui lui soulevait le cœur et enflammait son sang. La dernière démonstration de cet acabit remontait à des années, et pourtant, son corps s’en rappelait encore comme si ce maana était resté gravé dans ses chairs. Morag était fascinante de bien des manières. L’une d’elle était cette magie si particulière qu’il goutait chaque fois que son sang effleurait ses lèvres. Cette sensation indescriptible qui lui donnait envie de la faire sienne.

- Fais attention, lui cria-t-il, tu risques de le tuer !
- Sans blague, tu m’en apprends de bonnes ! T’en as d’autres des comme ça ?!

Nevra sentit une réplique acerbe lui venir mais se retint en voyant le visage tiraillé de la fée. Morag lui avait expliqué avoir besoin d’une concentration totale pour utiliser sa magie. Les rituels de sang étaient difficilement stables et pouvaient dégénérer en un instant, la dernière chose dont elle avait besoin était qu’il la déconcentre. Qui plus est en lui prenant inutilement le bec. Ils étaient tous les deux sur la même longueur d’onde, il ne pouvait pas lui en demander davantage.

Le vampire s’assit dans l’herbe, éreinté, et se contenta d’observer la scène dans un mutisme crève-cœur. Se retrouver impuissant de la sorte lui laissait une amertume très désagréable en bouche. Il aimerait être capable de se relever et d'assommer le môme lui-même plutôt que d'assister à ce triste spectacle.


Le chef de l’Ombre sentit que quelqu’un approchait de lui. En tournant la tête sur sa gauche, il aperçut la mine grave d’Eweleïn qui examinait son bras en piteux état. Il se laissa manipuler sans protester, étouffant les râles de douleur que lui provoquait la plaie. Chrome ne l’avait pas loupé.

Sur sa gauche, Ezarel vint se mettre à sa hauteur tout en gardant le regard rivé sur le combat en face. Derrière le trio, quelques membres de la Garde observaient sans piper mot. Certains étaient armes en mains et entreprirent de s’en mêler quand un ordre d’Eweleïn les arrêta.

- Laissez-là gérer, vous allez plus la gêner qu’autre chose !
- Si vous tenez à vos miches, compléta Ezarel d’un ton froid et cassant, faites ce qu’elle dit. C’est donc ce genre de sort qu’elle visait avec les graines de Dorothée… Sacrée harpie, rappelez-moi de ne jamais me la mettre à dos. Je n’aimerais pas être à la place du môme.

Nevra ne releva pas. Lui non plus n’aimerait pas être à sa place, mais davantage à cause du mal qu’il traversait que de la méthode pour le capturer. Si sa camarade arrivait à tenir toute attaque en échec, le loup ne se laissait pas faire pour autant. Esquivant les assauts tant bien que mal, il sautait et roulait sans laisser d’ouverture.

Soudain, une des racines le prit au vol et partit claquer contre les dalles du sol, l’entrainant dans sa chute. Le choc fut tel que Nevra put ressentir l’onde lui remonter le long de la colonne vertébrale. Ce coup-là avait dû faire très mal, Chrome sera chanceux si aucun os n’est brisé. Dire que Morag n’était censée que l’immobiliser, il n’osait imaginer ce que cela donnerait si elle cherchait à le tuer.

Avant que Chrome ne puisse se relever, deux autres racines vinrent le saisir aux pattes. Elles le soulevèrent en l’air tandis qu’il se débattait, se tordant sur lui-même et mordant à pleines dents tout ce qui était à portée de gueule. La fée noire grimaça en s’efforçant de maintenir son emprise sur son sort. Elle insuffla une plus grande quantité d’énergie dans la troisième et l’envoya attraper le lycanthrope au museau. Une fois immobilisé et muselé, ce dernier commença enfin à se calmer.

Morag s’autorisa quelques instant de répit, la tête en feu malgré la pluie diluvienne qui la trempait jusqu’aux os. Décidément, ce sale gamin allait finir par avoir sa peau un jour.

- Au lieu de rester plantés là comme des idiots, rugit-elle aux gardiens spectateurs, que quelqu’un aille chercher un tranquillisant ! Bougez-vous, ça ne tiendra pas longtemps !

Quelques gardiens la prirent au mot et coururent à l’intérieur de la citadelle. La jeune femme baissa le regard au sol, la vue floue, vacillante. Les battements de son cœur étaient rapides et violents, lui comprimant la poitrine et lui pulsant aux tempes. Le souffle court, elle peinait de plus en plus à respirer. Les rituels sidhes étaient à double tranchant : puissants, mais particulièrement difficiles à arrêter. Un utilisateur mal préparé pouvait facilement mourir vidé de son propre sang, elle-même avait failli l’expérimenter.


Morag releva la tête en entendant des pas se rapprocher. Une vague de soulagement lui gagna la poitrine en apercevant Valkyon et Eweleïn prendre le relais. Le premier attrapa une des racines à pleines mains et la força à se rapprocher du sol, descendant Chrome par la même occasion. Une fois à portée, la seconde lui planta l’aiguille d’une seringue dans le poitrail et appuya doucement sur le piston. La solution laiteuse contenue dans le dispositif provoqua un soubresaut chez le lycanthrope qui essayait encore de se débattre, bien que plus faiblement.

La fée noire sentit immédiatement que le tranquillisant agissait. La quantité de maana nécessaire pour maintenir le contrôle sur son sort se faisait progressivement moins importante à mesure que la seringue se vivait. Au bout de quelques minutes, le loup cessa complètement de bouger. Eweleïn intima à l’Obsidien de le faire descendre, tout en reculant de quelques pas prudents. Valkyon s’exécuta sans broncher et tira les racines vers le bas, jusqu’à leur faire toucher le sol. L’elfe examina brièvement son patient, la mine grave, puis se tourna vers Morag.

- C’est bon, il est inconscient ! Tu peux arrêter !

L’Ombre acquiesça. Elle essaya de stopper le flux de maana qui permettait de garder son sort actif, mais fut incapable de détacher ses mains du sol. Sa magie continuait de s’écouler à l’image du sang au cours d’une hémorragie. Elle sentit par ailleurs un gout ferreux caractéristique s’imposer dans sa bouche et souffla un juron, la respiration devenue sifflante par l’effort. Comme elle le craignait, le rituel était resté actif trop longtemps pour être stoppé aussi facilement.

- Morag !
- Ça va, je fais ce que je peux ! Prends ma place et tu verras si c’est facile !
- Non, merci bien, je tiens à rester en vie. Et tu me feras le plaisir de faire pareil.

Morag lâcha un pouffement sans joie. Evidemment, quelle autre réponse pouvait-elle attendre ? Toutes les deux se ressemblaient, c’était en partie pour ça qu’elles s’entendaient si bien.

La jeune femme concentra toute l’énergie qui n’était pas encore vampirisée par sa plante et se jeta en arrière. Le flux de maana se brisa net et ses dernières brides se dispersèrent dans l’air en une onde vibrante. Dos contre terre, la jeune femme observa les racines desserrer leur étreinte sur Chrome et retomber mollement dans l’herbe. Elle poussa un profond soupir et laissa sa tête retomber contre l’herbe. Pour un premier essai, le résultat était contrasté. Un rituel ravageur, certes, mais bien trop compliqué à encaisser. L’avenir l’en préserve, elle espérait ne plus avoir à l’utiliser en situation de combat.

La jeune femme fut prise d’une violente quinte de toux et bascula sur le côté pour cracher quelques gouttes de sang. Le liquide vermillon s’échoua dans l’herbe, contrastant avec le vert ambiant avant d’être dilué par la pluie. Morag se redressa et leva la tête le plus haut possible, à la recherche d’un air qui lui manquait. Elle s’était rarement sentie aussi épuisée. Le regard dans le vague, elle distingua à peine le reste des gardiens s’activer autour d’eux en une fourmilière grouillante.

Elle sursauta lorsque Nevra se laissa tomber à côté d’elle. Bien que le visage blême, trempé par l’averse, son chef et camarade lui décrocha un petit sourire victorieux. Il passa son bras intact dans son dos et lui enserra la taille.

- Sacrée soirée, pas vrai ? C’était quand, la dernière fois qu’on s’est battus comme ça ? J’ai l’impression d’avoir dix ans de moins.
- Dix ans ou un litre de sang en moins ? C’est la morsure qui te fait délirer.
- Peut-être bien, tiens, va savoir.

Le corps en feu et la tête en miettes, la jeune femme laissa échapper un autre soupir, un poids en moins dans la poitrine. Elle vacilla sur le côté, contre son camarade. Son regard se perdit dans la lune presque pleine au-dessus d’eux, la coupant petit à petit de son environnement. Les sons se murent, la douleur s’atténua, son champ de vision se brouilla en une immense tache d’argent. Le contraste entre la peau brulante de Nevra et la morsure du froid la maintenait tout juste consciente. Elle le sentit lui caresser doucement les cheveux, entortillant quelques mèches autour de ses doigts.

- Mais oui, tu as raison, sacrée soirée… Merci d’être arrivé à temps.

Tout en se lovant contre Nevra, elle garda le regard résolument fixé sur le lycanthrope à ses pieds. Si près qu’elle n’aurait qu’à faire quelques mètres pour le toucher. Après cette nuit, plus rien ne sera pareil pour Chrome. Elle se jura que cette fois-ci, elle ne faillira pas et le protégera correctement. Rien ni personne ne lui fera davantage de mal, elle en faisait le serment.

Note n°1 : traduction langue originelle

Lorsque Morag lance son sort, ce qu’elle dit correspond à ceci :

« Grandis, fruit de ma chair, objet de ma volonté. Epanouis-toi, fleur du sang du Sidhe. »

Comme Lance, Nevra et d’autres membres de la Garde, Morag a appris la langue originelle en étudiant les rares livres du QG non traduits. Datant du premier siècle de l’ère de Nieve, il s’agit de recueils de contes. Bien qu’ils ne renferment aucune information concrète sur l’histoire d’Eldarya, ils sont très utiles pour l’apprentissage.

Note n°2

Merci à Hermione et Ephysa pour m’avoir aidée à « édulcorer » ce chapitre. On est pas mal en termes de violence, mais la version de base était un poil au-dessus.

Depuis le début de Dracarys, on parle de sidhe et de faery. La différence réside principalement dans leur utilisation du maana : là où la Faery est contrainte d’utiliser des outils, tels que des pentagrammes, des potions ou des artéfacts pour concentrer le maana environnant, les membres du Sidhe se servent du sang pour manipuler leur maana intrinsèque.

Dans le cas d’un sidhe, on parle d’ailleurs de « magie de sang ». Nevra et Morag en font deux utilisations distinctes :

- Les fées noires utilisent leur propre sang pour lancer des sorts de conjuration comme des racines ou un bouclier. Elles peuvent également générer des sphères de maana utilisables en tant que projectiles.

- Les vampires quant à eux utilisent le sang des faeries qu’ils mordent pour se nourrir à proprement parler (en extraire des nutriments essentiels) ainsi qu’accroitre leurs capacités physiques (résistance, vitesse et force augmentées, sens affinés). Ils s’approprient le maana de leur proie pour le mélanger au leur.

Chapitre 8 : 3E 716, neuf ans plus tôt. Le louveteau égaré

Morag sentit un long frisson lui parcourir l’échine face au le vent froid qui balayait le pont du bateau. La nuit était tombée, une fine poudreuse voletait dans l’air pour disparaitre à la surface de la mer d’Erythrea. La jeune fille se fraya un passage entre les gardiens qui maniaient les épais cordages permettant de mettre la tension adéquate dans les voiles. Une précédente tempête avait abimé un des mats et l’Obsidienne s’activait à le consolider avant qu’il ne se brise. Perdre le plus gros bateau de la flotte d’Eel n’était pas envisageable.

- Qu’est-ce que tu fais dehors, gamine ?

La concernée sursauta et se tourna vers un des guerriers. Grand, tout en muscles, ses bras nus et son cou étaient couverts de longues cicatrices blanches témoignant de son expérience sur le terrain. Le vieil Orga l’observa de son seul œil valide, la mine plus intriguée qu’agacée. Le chef de l’Obsidienne n’était pas la douceur incarnée, mais il faisait preuve de moins de violence que bon nombre de ses pairs. Il avait au moins la prévenance de la questionner avant de potentiellement la réexpédier dans la cabine à coup de pied dans le derrière.

Pour toute réponse, Morag lui montra le sextant de sa cheffe de garde qu’elle tenait dans une main, sa carte stellaire dans l’autre. L’adulte haussa un sourcil, puis leva son œil au ciel en laissant échapper un profond soupir. Il était de notoriété publique que les dirigeants de l’Ombre et de l’Obsidienne entretenaient une relation particulière. Ils passaient leur temps à se lancer des piques et insultes au visage tout en formant un dangereux tandem. Certains se hasardaient à dire qu’ils continueraient leurs querelles la nuit dans le même lit, mais tous tenaient trop à la vie pour le leur demander directement.

- Encore une des idées saugrenues d’Asfrid, ça. Bien, tu peux rester, mais ne t’avise pas de tomber à la flotte. Elle se débrouillera pour te repêcher.

L’adolescente hocha la tête, s’inclina en signe de respect et prit ses jambes à son cou sans demander son reste. Mieux valait qu’elle ne soit pas dans les parages au cas où il changerait d’avis. Elle se glissa derrière un groupe occupé à renforcer les cordages et entreprit de monter jusqu’au nid-de-pie. À mesure qu’elle escaladait le tressage qui le reliait au pont, elle sentit le vent se faire plus froid, sa morsure plus forte. Ses mains perdaient leur capacité de mouvement, tremblantes en dépit des gants censés les protéger. Elle posa une jambe après l’autre avec précaution, se forçant à ne pas regarder en bas, et progressa jusqu’à atteindre le gardien chargé du tour de garde.


Assis en tailleur à même le bois, Lance s’était adossé au mat et observait calmement le ciel nuageux. Son regard terni par la fatigue était plongé dans le camaïeu bleuté qui accompagnait la myriade d’étoiles visibles en cette nuit d’hiver. Un mélange de teintes claires et sombres se mariant avec le blanc des nuages tel un tableau céleste. Il lui rappelait celui du désert près duquel il avait grandi, en Iba’Arys. Emmitouflé dans une épaisse couverture, il maintenait cette dernière contre lui d’une main et jouait distraitement avec sa magie de l’autre, matérialisant de petits flocons au bout de ses doigts.

- Fais attention, d’autres pourraient te voir.

Il sursauta violemment et écrasa sa création dans le creux de sa paume. Il fixa Morag quelques instants, médusé, puis se tapa l’arrière de la tête contre le mat en poussant un long soupir de soulagement. Il ne l’avait pas entendue arriver. Plus cela allait, et plus elle devenait discrète, il en venait à ne plus la sentir se glisser près de lui. À moins que ce ne soit lui qui ait tout simplement manqué de vigilance. Dans ce cas, ce n’était pas bon. Il se relâchait.

Morag était la seule à connaître la véritable nature de son frère et lui, tout comme ils gardaient religieusement secret qu’elle soit une sidhe. Avec son passif à l’égard des peuples anciens ou singuliers, la Garde n’était pas l’organisation la plus sécurisante pour des êtres comme eux. Jusqu’à ce qu’ils aient chacun acquis suffisamment de force pour faire face au monde, veiller les uns sur les autres était leur meilleure chance de survie. Lance s’était juré les protéger, aussi bien son frère que sa fée. Ainsi était son devoir en tant qu’ainé.

- Qu’est-ce que tu fais là ? lui lança-t-il d’un ton égal, comme détaché
- Besoin de prendre l’air… Je te dérange ?

Le jeune dragon ne répondit pas. Il se contenta d’ouvrir sa couverture, libérant son épaule gauche dissimulée sous un épais manteau. La fée noire prit cela pour une invitation et se hâta de se mettre au chaud contre lui. Elle eut cependant un sursaut quand il glissa une main froide autour de sa taille, contre la peau de ses côtes. Elle lui attrapa le bout des doigts et les éloigna en un feulement mécontent.

- Eh ! Enlève ta patte de là ! Tu es gelé !
- N’importe quoi. Qu’est-ce que j’y peux si tu es trop frileuse ? Fragile.

Sa comparse lui asséna un coup de coude dans le ventre, lui arrachant un pouffement. Mi amusé, mi adouci, il passa son bras dans son dos pour la rapprocher de lui. En dépit du vent glacial qui avait pris possession du bateau, Morag avait la peau presque chaude comparée à la sienne. Une sensation qui n’était pas désagréable, bien au contraire. Peut-être était-il gelé, en effet, il n’en ressentait plus la sensation depuis quelques années déjà. Plus il grandissait, plus sa nature draconique s’affirmait, modifiant son corps en conséquence. Il allait devoir prendre ce paramètre en considération désormais s’il ne voulait pas que d’autres s’en aperçoivent.

Dans ces moments de faiblesse, il se surprenait à envier Valkyon pour qui le pouvoir des dragons était encore un mystère. Il se reprenait cependant tout aussi vite, se maudissant d’être si immature. Si son frère n’avait pas encore connu d’éveil, c’était à cause du traumatisme subi pendant leur enfance. Un blocage dont il n’arrivait pas à se débarrasser malgré le soutien de son ainé. Il n’y avait rien d’enviable là-dedans.

La petite voix grondante de Morag le ramena brutalement à la réalité.

- Je n’ai aucune envie d’y retourner.
- Hum ? Avalöne ?
- Quoi d’autre, à ton avis ? glissa-t-elle en un murmure. Obligés d’aider la Cour d’Automne à se débarrasser de ses propres mercenaires, ils se foutent du monde. Nobles de malheur…

L’adolescente se recroquevilla un peu plus dans la couverture. Lance l’observa fermer les yeux quelques instants, ressassant certainement ses souvenirs de la contrée. Il était partagé entre la curiosité de découvrir les terres natales de sa fée et la colère, plus pernicieuse, qui commençait à le gagner à mesure qu’il la sentait trembler tout contre lui. Il n’aimait pas la savoir dans cet état, et encore moins le sentiment amer d’impuissance que cela lui laissait en bouche. Comme pour son frère, ne pas être capable de régler le problème l’agaçait plus qu’il ne le voudrait.

Quels mots pouvait-il employer pour la faire se sentir mieux ? Que devait-il éviter pour ne pas remuer le couteau dans la plaie ? Il n’en avait aucune idée. Comprendre et interagir avec les autres n’était pas du tout son fort, contrairement à Valkyon. Même avec Morag, qu’il connaissait depuis quatre ans déjà, il lui arrivait de ne savoir comment lui parler. Finalement, il l’invita à se blottir plus confortablement contre lui et glissa un bras sous ses jambes pour l’installer sur ses genoux. Sa fée se lova dans ses bras en enfouissant son nez dans son cou et passa ses petits bras fins autour de sa taille. Il n’était peut-être pas doué avec les mots, mais au moins pouvait-il agir d’une autre manière.

Lance appuya son menton contre le haut de son crâne et porta de nouveau son regard aux étoiles. Le temps était dégagé en dépit de la poudreuse qui voletait, le vent favorable à l’équipage. Les côtes d’Avalöne devaient se trouver à moins d’une journée de navigation, désormais. Il aurait aimé pouvoir la garder contre lui ainsi indéfiniment, sous la neige et en pleine mer, dans un tableau immortel. Un moment de paix avant l’énième épreuve qui les attendait.

Lance observa dans un silence glaçant le dernier corps tomber contre le sol durci par le gel. Le mercenaire n’avait pas mis longtemps avant de se mettre à table, comme le reste de ses comparses. L’adolescent n’allait pas s’en plaindre, bien au contraire : si son supérieur n’avait pas mis fin à ses jérémiades écœurantes, il lui aurait lui-même taillé un deuxième sourire en travers de la gorge. La seule chose dommageable était qu’il ne leur avait rien appris de nouveau. Une perte de temps pour s’en sortir avec un agacement grandissant.

Orga se pencha pour essuyer sa lame couverte de sang sur les guenilles boueuses qui servaient de vêtements à l’humain. Une fois que son épée eut retrouvé son argenté froid, il la remit dans son fourreau en cuir, décoré de dorures et de pierres rouges ressemblant à des rubis. Un bien bel apparat pour un objet destiné à donner la mort, purement et simplement.

L’Obsidien se retourna calmement vers sa jeune recrue qui fixait la dépouille du mercenaire en une œillade furibonde, une main instinctivement portée à sa propre épée pendant à sa ceinture.

- Maîtrise-toi, gamin.

Le gamin en question sursauta, mais ne se départit pas de son air sombre. Il fixa son chef dans le blanc des yeux, lèvres pincées pour empêcher le flot d’insanités qui lui venait de s’échapper. Comment pouvait-il faire preuve d’un tel calme, d’un si grand détachement, quand on avait connaissance de tous les morts que ces types avaient laissés dans leur sillage ? Le village de faeries qu’ils avaient brulé quelques nuits auparavant était loin d’être leur premier coup.

Peut-être même faisaient-il partie de l’escouade qui, quatre ans plus tôt, avaient ravagés les plaines de Moeka dans la partie sud-ouest du royaume. Les mercenaires à la botte du roi à cause desquels Morag continuait de cauchemarder toutes les nuits, revivant incessamment la perte de ses proches. Cette simple idée le rendait tout bonnement malade.

- Lance, le reprit Orga, je ne me répéterai pas. Rengaine ton épée.
- Il mériterait de brûler, lui-aussi. Ils le mériteraient tous.
- Méritait. Et répandre davantage de sang ne t’apportera rien, ni honneur, ni soulagement.

L’orc se tint devant son cadet, le toisant de toute sa hauteur. Lance se sentit déglutir, le corps parcourut d’un long et désagréable frisson. La colère fut progressivement remplacée par de la crainte. Orga était connu pour être l’un des plus puissants guerriers que l’Obsidienne n’ait jamais connu. Un chef de guerre doublé d’un homme politique émérite. Il ne possédait pas le moindre potentiel en magie, mais la force qu’il dégageait lui suffisait amplement à s’imposer face à ses pairs.

- Peut-être, rajouta le jeune dragon, mais leur sang à eux pourrit déjà suffisamment ce monde.
- Donc il te revient de décider qui vit et qui doit mourir ? Tu n’es qu’un gamin, pas un dieu. Apprend où se trouve ta place.

Orga posa une de ses grandes main sur son épaule et serra. Lance sentit une vive douleur fuser dans la partie gauche de son corps et réprima une grimace. Il se força à rester impassible face à l’épaulière qui lui rentrait presque dans la chair. Son chef avait une manière bien particulière de punir l’insolence de ses hommes. L’adolescent était une forte tête, et pas le dernier à en tâter. Paradoxalement, plus on voulait l’obliger à s’écraser, plus il résistait.

Cette fois cependant, il se sentit vaciller. Il était encore trop jeune pour pouvoir tenir tête à son chef comme il le voudrait. L’affronter à armes égales serait comme vouloir détruire un pot de fer avec un pot de terre, et il en faisait l’amer constat. Malgré la rage qui lui tordait les tripes, le jeune Obsidien lâcha le pommeau de son épée, le regard éteint. La boule d’énergie qui lui broyait le cœur ne s’en était pas allée, mais il lui fallait la contenir. Au moins pour le moment.

- Tu as de grandes capacités, c’est indéniable, mais ne laisse pas la colère t’aveugler. Une fois que tu as franchi la limite, c’est un aller sans retour.

Lance détourna le regard, réfrénant son envie de lui jeter le fond de sa pensée au visage. Il pouvait lui sortir tous les grands discours sur l’honneur qu’il souhaitait, ce n’était pas en laissant couler, la deuxième joue tendue, que le problème de fond allait se régler. De nombreuses vies avaient déjà été fauchées, et elles étaient loin d’être les dernières. Les braconniers que la Garde avait traqués n’étaient finalement que des mercenaires. De la main d’œuvre dont se servaient les nobles du royaume d’Avalöne pour accomplir leurs basses besognes. Tranchez la patte de l’hydre et elle continuera de mordre. Occupez-vous de chacune de ses têtes et elle ne sera plus une menace pour personne. Malheureusement, dans les faits, les choses étaient bien plus compliquées.


L’adolescent sentit un mouvement dans son dos. Il se retourna légèrement pour croiser le regard de Morag qui sortait de l’une des tentes. Dans ses bras, emmitouflé dans l’épaisse écharpe de Nevra, dormait le petit louveteau qui avait permis l’arrestation du groupe. Chrome. Il gémit quand la fée fit un pas en avant et se blottit un peu plus contre sa poitrine, en quête de chaleur. Elle rabattit les pans de sa cape sur son petit corps, ne laissant dépasser que le haut de son visage émacié.

Morag garda le silence et se contenta d’observer les deux Obsidiens, le visage fermé, comme détachée de ce qui se passait autour d’elle. Elle n’avait pas pipé mot de toute l’opération menée en Alfheim ces derniers jours, n’avait pas accompagné les Obsidiens sur le terrain. En revanche, elle n’avait rien manqué des premières exécutions, observant la sentence tomber dans un mutisme qui ne lui ressemblait pas du tout. Lance était l’inexpressif de leur duo, le renfermé, alors qu’elle au contraire était ouverte vers les autres. Cette inversion des rôles l’inquiétait.

Le jeune dragon la fixa dans les yeux, cherchant la moindre étincelle qui lui permettrait d’établir le contact. C’était bien ce qu’il craignait. Morag s’était fermée dans une bulle qui, contrairement à ce que d’autres penseraient, n’avait rien d’hermétique. Sa fée était une véritable éponge à émotions, elle captait tout ce qui l’entourait et les intériorisant jusqu’au point de rupture. Son plus gros défaut, aux yeux de Lance, bien que c’était également pour cela qu’il l’aimait.

Il eut envie de faire un pas vers, mais n’en trouva pas le courage. La tristesse qu’il sentait émaner d’elle le paralysait. Il sentait qu’il allait encore la ramasser à la petite cuillère une fois rentrés au QG, et veiller avec elle la nuit n’allait peut-être pas suffire à faire disparaitre ses cauchemars cette fois-ci.


Nevra ne tarda pas à sortir de la tente à son tour et incita sa comparse à avancer, l’entrainant avec lui vers le port. Les deux garçons s’affrontèrent du regard, en silence, jusqu’à ce que la distance les force à s’arrêter. Lance serra les dents, poings crispés le long du corps. Il sentait la colère revenir au galop et sa magie lui échapper, gelant les quelques brins d’herbe à ses pieds. L’idée que les deux sidhes soient toujours fourrés l’un avec l’autre lui hérissait le poil. Ils étaient peut-être du même âge et de la même garde, mais ce n’était pas une raison. Il n’aimait pas ça du tout.

Il dut partir à son tour lorsqu’Orga l’appela et tourna les talons après un dernier regard. Le petit loup allait donc repartir avec eux, semblerait-il. Cet épisode n’était qu’un parmi tant d’autres dans le quotidien d’une Garde habituée à ces horreurs. Mais pour cet enfant, qui avait vécu les évènements aux premières loges, jamais cette image ne s’en ira de son esprit. Tout comme eux trainaient leurs propres souvenirs tels des boulets aux pieds.

Quelques années passèrent et Chrome grandit au sein de la cité d’Eel, pris en charge par la Garde comme beaucoup d’autres orphelins. Il apprit rapidement qu’être débrouillard était une aptitude indispensable s’il voulait s’en sortir. La proximité de la Garde ne rendait pas le quotidien des habitants plus facile, et la première difficulté pour un enfant sans le sou était de trouver comment correctement se nourrir. S’il ne parvenait pas à s’en sortir par ses propres moyens, personne ne le fera à sa place, pas même Nevra et Morag qui essayaient de veiller sur lui de loin.

Du haut de ses douze ans, Chrome était connu comme le petit sauvageon qui troquait des herbes médicinales avec l’Absynthe et menait l’Obsidienne en bourrique avec ses vols à l’étalage. Ce jour-ci n’était pas bien différent de son quotidien : échanges et larcins.

- Reviens ici, sale môme !

Le môme en question prit ses jambes à son cou dans un grand éclat de rire. Il sauta au-dessus d’une étale et évita les deux épaisses paluches du marchand qui manquèrent de se refermer sur sa tignasse. Les bras encombrés d’un imposant melon épicé, le petit chapardeur se sauva dans une ruelle en bousculant les quelques habitants ralliant la place du marché.

La journée était pluvieuse, le ciel assombri par une épaisse couche de nuages. Chrome manqua de glisser sur les dalles mouillées et percuta l’armature d’une autre étale. Le brownie qui la possédait vociféra une insulte bien sentie et tenta de le frapper avec le bâton dont il se servait pour maîtriser ses moogliz. Le petit loup esquiva le coup, lui tira magistralement la langue et se carapata avant que l’homme ne lui en colle un autre dans les fesses.

Le marché était anormalement animé pour un jour de pluie. Des marchands venus de la Contrée du Sud avaient fait escale sur l’Île de Nova et proposaient à la vente épices, fruits, breloques et vêtements en tout genre d’Iba’Arys. L’un d’eux tenait un petit stand de bijoux blancs comme l’argent, sertis d’ambre et diverses gemmes colorées. Chrome était bien tenté de chaparder un petit quelque chose, mais la présence de gardiens à proximité l’en avait rapidement dissuadé. S’il se faisait encore prendre à voler, rien ne saurait calmer la colère de Morag, pas même toutes les pierres de l’étale. La fée noire était capable d’une infinie douceur comme de la plus puissante des fureurs, une véritable harpie. Même Nevra ne s’y risquerait pas.


Derrière lui, Chrome entendit la voix du marchand de melons se faire plus faible. Le pauvre bougre avait une telle bedaine qu’il ne risquait pas de lui mettre la patte dessus. Un sourire victorieux aux lèvres, le lycanthrope bifurqua dans une nouvelle ruelle qui donnait sur le kiosque central. Toutefois, il n’eut pas le temps de s’arrêter quand un groupe de gardiens lui passa devant.
Il en percuta un de plein fouet et tomba à la renverse. Son melon épicé s’échappa de ses bras pour rouler sur la pierre, dévalant le chemin en pente.

- Regarde où tu vas, sale cabot !

L’enfant sursauta face à l’élan de rage qu’il se prit en pleine figure. Les fesses dans l’eau, il leva la tête vers l’homme qu’il venait de percuter. Grand mais pas forcément musclé. Le visage fin mais aux traits si marqués qu’il en perdait toute potentielle sympathie. Austère et ridiculement tiré à quatre épingles. Ses cheveux blonds plaqués en arrière accentuaient cette impression dérangeante. Il était vêtu d’une tunique aux couleurs chatoyantes, dont les décorations fastueuses et les épaulières dorées trahissaient un prix indécemment élevé. Le genre de costume si fragile qu’il n’était fait que pour parader, certainement pas pour combattre.

- Désolé m’sieur…
- Ne t’approche pas avec tes pattes boueuses !

L’elfe lui appuya du plat de sa botte contre l’abdomen, le plaquant au sol. Le souffle coupé, le petit lycanthrope sentait qu’il n’arrivait plus à respirer. Il tâtonna autour de lui à la recherche du moindre projectile, jusqu’à toucher du doigt la terre glaise balisant le chemin. Il en prit une grosse poignée et la lança aussi fort que possible. Le gardien recula brutalement, comme si on venait de l’attaquer au fer rouge, et observa médusé la couche de gadoue qui tachait son uniforme à l’épaule.

Chrome sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine quand un éclat de haine brute traversa le regard de l’autre. Il tenta de se relever, mais ne fut pas assez rapide et se prit le second coup en plein visage. Sa tempe gauche partit cogner contre le mur, le sonnant sur le moment. À plat ventre, il se glissa dans la ruelle et s’enfuit avant de se prendre un troisième coup, aussi vite que lui permettait sa vue vacillante.


Le louveteau se glissa dans le réseau de petites rues sombres qui serpentait dans l’un des quartiers résidentiels de la cité. Plongé dans une pénombre qui le prenait aux tripes, il fut forcé de s’arrêter pour reprendre son souffle. Ses jambes fatiguées ne soutinrent plus son poids et il se laissa glisser contre le mur, jusqu’à se recroqueviller les bras autour des genoux. Le visage en feu suite à sa course, il sentit à peine les larmes lui brûler les joues.

Il n’était pas rare que des gardiens brutalisent les habitants, physiquement ou moralement. Seule une minorité agissait ainsi, fort heureusement, et Chrome le savait parfaitement. Toutefois, il y en avait et cela rendait la situation explosive. Certains alimentaient le marché noir qui florissait dans les entrailles de la cité, y troquant armes, matériaux rares et potions interdites par le chef Yunoki. Même si ce dernier gouvernait d’une main de fer, il ne pouvait pas évincer toutes les mauvaises graines.

Le petit loup eut un éclat de rire amer. Que pouvait-il en savoir, au juste, il n’était même pas membre de la Garde. Quel naïf, qu’est-ce qui lui disait que la corruption n’avait pas atteint les plus hautes sphères ? Que le sacro-saint Yunoki lui-même n’y était pas mêlé d’une quelconque manière ? Ce monde était gangréné jusqu’à la moelle, même un enfant comme lui le savait.

- C’était rude, pas vrai ? Mon pauvre, il ne t’a pas loupé.

Il sursauta violemment quand une silhouette se détacha des ténèbres. Le sang pulsant aux tempes et le cœur au bord des lèvres, il se ratatina contre le mur et montra les crocs. Le gardien, dissimulé sous une longue cape ébène, vint tranquillement s’agenouiller face à lui. Chrome le regarda faire, griffes prête à fondre sur lui au moindre signe d’hostilité. Sous le capuchon, il crut déceler des yeux d’un vert émeraude familier.

- Ne t’inquiète pas, je ne te veux pas de mal.

La voix de l’homme était basse et calme, d’une surprenante douceur. Chrome n’y décela pas la moindre once d’animosité, mais quelque chose qu’il pourrait davantage assimiler à de… l’amusement ? Ou ce qui y ressemblait. Plus intrigué que rassuré, il le regarda plonger une main dans la poche de son uniforme, mélange de blanc, noir et vert. Ses yeux dorés s’écarquillèrent et son visage s’illumina quand l’homme lui tendit une grosse pomme, bien rouge, charnue à souhait.
Après quelques secondes à l’observer, méfiant, le louveteau prit le fruit et croqua dedans à pleine dent.

- Voilà, c’est bien. Mange, tu en as besoin.

Le gardien abaissa son capuchon, dévoilant une tignasse blonde et ébène. Une partie était regroupée en tresses sur ses tempes tandis que le reste lui descendait sur la nuque. Chrome observa les courbes de son visage, un étrange sentiment familier s’insinuant doucement mais sûrement dans son esprit. Cet homme lui disait quelque chose, mais il ne savait pas où et quand il avait pu le voir. Aux côtés de Nevra, peut-être ? Son uniforme seyait davantage à l’Ombre qu’aux autres gardes.

- Or’Zial est une brute doublée abruti fini, asséna calmement l’aîné, ce n’est pas la première fois qu’il maltraite un enfant de la sorte. Sa proximité avec la Cour d’Automne semble lui faire oublier qu’il finira en poussière comme n’importe qui d’autre.

Chrome tendit l’oreille, l’attention fortement piquée par l’information que l’autre venait nonchalamment de lâcher. La Cour d’Automne ? Celle-là même qui fut responsable du décès de sa mère et des gens de son village ? Dans ce cas-là, il n’y avait rien d’étonnant à ce que cet homme soit une pourriture de première.

- Tu es Chrome, c’est ça ? Nevra m’a parlé de toi, il dit que tu es un vrai chenapan. Je vois que ce n’est pas infondé.

L’homme laissa échapper un petit rire et lui fit un sourire rayonnant. Le gamin croqua un autre gros morceau de sa pomme, fasciné par le vert émeraude de ses yeux. Indéniablement, cette teinte, cette manière dont les reflets parcouraient ses iris, ne lui étaient pas inconnue. Et sans qu’il ne sache expliquer pourquoi, en dépit de la gentillesse dont l’Ombre faisait preuve à son égard, il n’arrivait pas à se détendre.

- Tu peux m’appeler Leiftan. Et si nous allions nous mettre au chaud ? Je crois que nous devrions avoir une petite discussion, tous les deux.

Note

♦ Et c’est comme ça que Chrome s’est mis dans la mouise. Je me suis toujours demandé comment est-ce qu’il en était venu à s’allier à Leiftan dans l’univers de base. Comment est-ce qu’il s’est fait aborder, qu’est-ce qu’on a bien pu lui dire pour qu’il en vienne à devenir un traître. Ici, nous avons un début d’explication.

Chrome a perdu ses parents à un âge où les jeunes lycanthropes vivent leur première transformation. Voilà qui explique pourquoi il est resté bloqué jusqu’à ses seize ans. On peut parfaitement qualifier cela de stress post-traumatique, et dans son cas, sa mission sur l’Île de Jade a été l’élément clé pour le débloquer.

Après, reste à savoir qu’est-ce qui l’a affecté exactement : la perte du bateau, le retour mouvementé, le fait qu’Erika ait failli se noyer ? Ou bien quelqu’un lui aurait-il fait comprendre qu’il a mal géré ? Je vous laisse faire vos théories, amusez-vous bien ~


♦ Ce chapitre est donc un retour en arrière de neuf ans, une petite « pause » dans le récit principal. Mais il ne s’agit pas d’un spin off non plus, certains détails pourraient avoir leur importance pour la suite. Sinon ça ne serait pas amusant, évidemment.

Déjà à l’époque, toute la fine équipe se connaissait. On a d’ailleurs un petit aperçu des liens qu’ils entretenaient les uns avec les autres. Ça m’amuse beaucoup de faire des parallèles entre ces « chapitres souvenirs » et les normaux.

Chapitre 9 : La force de protéger

Enchaîné comme un blackdog prêt à être exécuté. Ce fut la première image qui traversa l’esprit de Morag lorsqu’on l’autorisa enfin à venir voir son protégé. Couché sur un lit d’infirmerie dont on avait enlevé couvertures, traversin et oreillers, le jeune loup n’avait pas encore quitté sa forme animale. On l’avait installé sur le flanc gauche, de sorte que la lumière du soleil ne lui arrive pas en plein museau. Chacun de ses membres, raidi par la douleur, était attaché aux barreaux du lit par d’imposants liens de cuir. Une mesure de sécurité au cas où il serait pris d’une crise de folie à son réveil.

La jeune femme n’était pas certaine qu’un tel dispositif soit nécessaire. Il aurait fallu y aller à coups de crocs pour les abimer, ce que le jeune loup n’était pas en état de faire. Encore inconscient, il semblait perdu dans un sommeil agité, ponctué de spasmes qui faisaient tressauter son corps à intervalles irréguliers.

- Veille sur lui, glissa Eweleïn à voix basse, je vais chercher d’autres calmants. Je n’en aurai pas pour longtemps.

La fée noire eut un sourire amer, laissa échapper un petit pouffement sans joie. Les calmants. Il n’y avait plus que ça pour essayer d’atténuer la douleur, mais ce maigre remède semblait bien peu efficace. Les lycanthropes possédaient une grande résistance aux poisons, et par extension, à toute forme raffinée de médicaments. Cette spécificité était utile pour un gardien de l’Ombre, mais desservait cruellement en cas de sérieuse blessure.

La jeune femme se promit de regarder dans ses ouvrages si une version compatible n’était pas faisable. Si elle avait réussi pour Nevra, il devait forcément y avoir quelque chose pour Chrome. Elle n’était plus à une nuit blanche près.

Adossée contre le mur près de la porte, bras croisés sur la poitrine, l’Ombre fixait le convalescent à la recherche du moindre mouvement. Elle se maudissait encore pour ne pas avoir su interpréter les signes correctement. Si elle avait été capable de voir que Chrome avait embrayé son Changement, elle aurait certainement pu l’aider. Avec une assistance, cette épreuve n’aurait peut-être pas pris une telle tournure. Se torturer à posteriori ne pouvait rien changer aux évènements, elle le savait parfaitement, mais la culpabilité ne disparaissait pas pour autant. Tenace, s’accrochant à ses pensées pour lui jeter son échec en plein visage Elle lui rappelait qu’elle n’avait pas réussi à protéger ceux qu’elle aimait, encore une fois.

- Il faut prier pour que les séquelles ne soient pas trop importantes, murmura la fée, l’air sombre.
- Ne t’inquiète pas, Morag. Ce petit a la tête dure, il en faut plus pour l’abattre. Il s’en sortira.

L’elfe accompagna ses mots d’une petite tape sur l’épaule. Sa camarade lui répondit d’un autre sourire, plus doux, chaleureux. Là-dessus, elle ne pouvait qu’aller dans son sens : elle ne connaissait pas plus combattif que Chrome. Le jeune loup avait vécu l’horreur, vu son monde s’effondrer, et pourtant, il continuait à avancer. Il grandissait et faisait son bout de chemin, jour après jour. En le voyant évoluer au sein de la Garde, personne ne pourrait suspecter un tel passé.

« Il est bien loin, le gamin qui me pleurait dans les bras. Brave petit père, il a tellement grandi… »

La jeune femme observa Eweleïn ranger quelques outils d’examen, attraper une sacoche en cuir puis sortir de l’infirmerie. Elle resta quelques instant dos au mur, à écouter les pas de l’elfe qui s’éloignaient dans le couloir, les talons claquant contre le carrelage.

Une fois le silence installé, elle se décida enfin à bouger. Elle s’approcha d’abord du lit où se reposait Karenn. L’adolescente s’était roulée en boule dans les draps et serrait son oreiller telle une peluche réconfortante. Elle semblait si petite de cette manière, comme une enfant. Elle avait écopé d’une griffure aux côtes couplée à une poignée d’ecchymoses, mais ces quelques blessures ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir avec du repos. Au pire restera une petite cicatrice, et il n’y avait rien de certain. Tout comme les lycanthropes, les vampires se régénéraient à une vitesse fulgurante, les rendant particulièrement difficiles à tuer. Ce n’était pas pour rien qu’ils étaient jadis considérés comme les meilleurs combattants de l’Umbra.

En revanche, Morag n’était pas certaines que les choses soient aussi simples sur le plan psychologique. Cette gamine avait beau faire la fière, elle gardait un cœur trop tendre pour son bien. Mentalement, elle restait faible et l’avait encore prouvé cette nuit en étant incapable de se protéger. Il n’était pas tant important qu’elle maîtrise son adversaire, mais au moins qu’elle se défende correctement. Si Nevra n’était pas arrivé à temps pour prendre le coup à sa place, Chrome l’aurait eue d’un seul coup de crocs.

La jeune femme reborda doucement sa cadette. Elle dégagea quelques mèches de son visage et enleva un nœud qui commençait à se former dans sa tignasse détachée. La mine crispée et les jambes agitées sous la couette, Karenn ne semblait pas dormir d’un sommeil serein. Elle ouvrit un œil vitreux lorsque la fée lui caressa doucement la joue et regarda autour d’elle, aussi perdue qu’apeurée.

- Morag… Où est-ce que je suis ?
- À l’infirmerie. Tout va bien, tu peux te rendormir.
- Chrome ? Il était en train de se transformer, il allait mal…
- C’est terminé, il est sain et sauf. Vous nous avez fait une belle frayeur, tous les deux. Maintenant, vous devez vous reposer.
- Est-ce que…, commença la plus jeune d’une voix hésitante, tu peux rester ? Juste un peu ?

La fée noire répondit en hochant doucement la tête, un sourire tendre aux lèvres. Karenn se blottit plus confortablement dans les draps et ferma les yeux, le visage à moitié enfoui dans son oreiller. Morag s’assit sur le lit, tout près d’elle, et lui caressa lentement les cheveux en lui fredonnant la berceuse que Nevra avait l’habitude de chanter. Le vampire était bon chanteur, la voix grave, suave, jamais une note dissonante des autres. Sa comparse ne pouvait pas traduire le dialecte de Hajvingar qu’il utilisait, mais elle avait fini par retenir la mélodie. Cela l’avait aidée à atténuer ses cauchemars après la mort de Lance, quand il n’y avait plus que des ténèbres prêtes à l’étouffer.

Elle continua à fredonner jusqu’à sentir la plus jeune s’endormir. Sa respiration se fit lente, le soulèvement du drap ample à chaque inspiration. Morag remonta la couette sur ses épaules et se pencha pour déposer un léger baiser sur son front.


L’Ombre releva la tête en entendant un petit couinement provenant du lit de Chrome. Le jeune loup s’était réveillé lui aussi et tirait sur ses liens, jappant de peur et de surprise. Il ne semblait pas comprendre ce qu’il se passait, ni ce qu’il faisait attaché ainsi en plein cœur de l’infirmerie. Cela n’avait rien de bien étonnant.

- Alors toi, je te jure… Tu n’es jamais à court d’idées pour me rendre cinglée.

Morag se leva et saisit l’athamé accroché à sa cuisse. Elle avança doucement vers le lit, observant le regard de Chrome s’écarquiller à mesure qu’il finissait de se réveiller. Il émit un autre petit jappement quand elle approcha son arme de lui.

D’un geste sec, elle trancha le lien qui lui retenait les pattes avant. Toujours avec le même calme, elle réserva le même sort au morceau de cuir qui lui entravait les pattes arrière. Puis, elle s’assit sur le lit en laissant échapper un long soupir. La pression qui lui écrasait les épaules sembla s’évaporer, son cœur s’apaiser. Elle avait envie de l’enlacer comme de lui flanquer son poing sur le sommet du crâne. Ce môme allait définitivement avoir sa peau.

- Et tu t’en tires bien à chaque fois, même ta chance est insolente. Contente de te retrouver en un seul morceau, espèce de petite terreur.

Le lycanthrope s’ébroua et se redressa sur le ventre, pendant que sa supérieure massait chacune de ses pattes glacées. L’afflux sanguin ne tarda pas à les réchauffer au même titre que le reste de son corps. Elle n’attendait que ça depuis qu’on l’avait laissée entrer dans l’infirmerie, pouvoir tailler en pièces ces maudits liens qui n’avaient pas lieu d’être. Et puisque Chrome était lucide, elle n’allait certainement pas se gêner.

Comme pour Karenn, Morag se plaça près de son protéger et lui caressa doucement la tête. Ce dernier vint appuyer son museau contre la main blessée de la fée, laissant échapper un petit pleur aigu. La plaie avait été soigneusement nettoyée et bandée d’un long tissu blanc qui remontait jusqu’au coude. La meilleure manière selon Eweleïn d’être sûr que rien ne s’ouvre de nouveau. La blessure n’était pas spécialement étendue, mais suffisamment profonde pour que le saignement perdure. Mieux valait prendre toutes les précautions nécessaires.

- Ne t’en fais pas, ce n’est qu’une égratignure. En revanche, tu peux être fier d’avoir bien esquinté Nevra. Je ne me souviens pas de la dernière fois où il s’est retrouvé dans un tel état.

C’était un mensonge. En réalité, elle s’en souvenait parfaitement. Un souvenir qui datait de leur enfance, treize ans en arrière, peu de temps avant qu’elle ne rencontre Lance et Valkyon.

Le chef de l’Ombre avait eu son lot de traumatismes, comme chacun des gardiens de la citadelle, mais aucun n’égalait la perte de son œil gauche. Le sens le plus développé d’un vampire était sa vue, loin devant l’ouïe ou l’odorat. L’en priver, même partiellement, affectait grandement son équilibre physique et mental. Nevra était toujours vivant, mais une partie de lui n’en avait jamais vraiment réchappé. Malheureusement, le bougre cachait si bien son jeu que Morag ignorait l’étendue des dégâts.

« Nevra, Lance et maintenant Chrome… J’ai travaillé tous ce temps pour être capable de les protéger, mais est-ce que j’en suis vraiment capable ? »

La jeune femme sursauta violemment lorsque Chrome laissa tomber sa tête sur ses cuisses. Elle eut quelques instants d’absence, le temps de chasser les mauvaises pensées qui lui venaient, puis lui décocha une pichenette dans la truffe. Le louveteau éternua en réponse.

- Et voila que je divague ! Ça m’apprendra à me priver de sommeil, tiens, tu ne l’emporteras pas dans les limbes.

Si elle voulut se montrer sèche, le timbre de sa voix fut tout autre. Elle enfouit doucement ses mains dans le pelage du lycanthrope, appréciant sa chaleur, la douceur de son sous-poil. L’heure n’était pas à ressasser de sombres pensées. Chrome s’en était sorti sans trop de casse, mais les choses n’allaient pas en rester là : l’Etincelante l’avait dans le collimateur depuis plusieurs semaines déjà. On pouvait même parler en années, en comptant ses petits vols à l’étalage. Nombreux étaient ceux à vouloir qu’il disparaisse, lui et d’autres membres de l’Ombre. Cette occasion était trop belle pour que ces langues d’ornak la laisse passer.

« Le conseil ne va pas tarder à commencer. S’il faut agir, c’est maintenant ou jamais »

Morag se leva, puis se dirigea lentement vers la porte close de l’infirmerie. Un long frisson lui parcourut l’échine, la crispant toute entière. Le soleil à peine levé n’avait pas encore suffisamment réchauffé l’air ambiant, glacial par contraste avec le pelage chaud de Chrome. Elle avait envie de faire demi-tour pour se blottir de nouveau contre lui et profiter de l’instant présent. Un tel moment de quiétude était tout ce dont ils avaient besoin. Toutefois, elle ne pouvait pas se le permettre pour l’instant.

- Je reviendrai vite, alors sois sage. Si tu es infect avec Eweleïn ou que tu te sauves de là, je te tirerai les oreilles.

La jeune femme reçut un jappement aigu en retour et sourit, avant de quitter la pièce en silence. Elle prit le chemin de l’aile nord, où se trouvaient les quartiers de Miiko. Elle ne pouvait pas assister aux conseils de l’Etincelante, n’étant qu’une simple « subordonnée de l’Ombre » comme ses membres aimaient la qualifier. Qu’à cela ne tienne, elle avait encore quelques cartes dans sa manche.

- Miiko n’est peut-être pas encore levée. Je dois me dépêcher.

Avant le décès de Lance, Morag pensait naïvement que la volonté, l’honneur et la force de cœur étaient les seules choses qui faisaient un véritable leader. Après tout, il s’agissait de quelques-unes des qualités de l’homme qu’elle aimait, ce pourquoi elle l’avait suivi en premier lieu.

Cependant, la perte de cet être si cher l’avait forcée à remettre ses convictions en question. Un cœur noble ne faisait pas de miracles dans ce monde corrompu. Pour avoir suffisamment de poids, le pouvoir était indispensable. Il fallait être puissant pour faire plier les autres à sa volonté, les manipuler comme de simples pantins. Un constat cruel mais bel et bien réel. Cela n’avait rien de noble, et jamais Lance ne l’aurait cautionné, mais il s’agissait d’un mal nécessaire. Morag voulait y croire de tout son être. Ne serait que pour se rassurer, et se convaincre qu’elle était encore quelqu’un de bien.

La jeune femme rabattit la capuche de son manteau sur son visage et s’engagea dans un autre couloir. Elle était le Corbeau de Fer et entendait bien remplir le rôle pour lequel on l’avait créée : protéger l’Ombre, par n’importe quel moyen.

Lance fut réveillé par la douleur. Le genre qu’il connaissait malheureusement bien, lui donnant cette détestable impression que son corps partait en morceaux. Ce n’était pas la première fois qu’il s’évanouissait suite à ses blessures, mais il était incapable de s’y habituer. Et quand bien même cela arrivait un jour, il n’y aurait rien de positif là-dedans. Un guerrier qui s’accoutumait à une telle douleur était déjà à moitié mort.

Toutes les sensations ne se manifestèrent pas en même temps. En premier lieu, ce fut l’étau qui lui comprimait le crâne. Une pression lancinante, relancée à chaque battement de cœur, le tout couplé à un sifflement strident lui vrillant les oreilles. Cela, il y était encore plus ou moins habitué. Ce cocktail était récurrent quand il essayait de se reposer, le sommeil parasité par des cauchemars. Faute de pouvoir l’atténuer, il était bien forcé de faire avec.

Ensuite vint la chaleur, suffocante. Il sentait que son corps le brûlait, d’abord au niveau des jambes, puis rapidement dans la poitrine, les bras, la gorge, la tête. Il se sentait presque suffoquer et sa respiration se fit plus forte en conséquence, en quête d’un air qui lui manquait. Le contraste était accentué par la pierre glacée qu’il sentait contre son dos, malgré ce qui semblait être une couverture. Quelque chose de rêche, épais mais assez souple pour qu’il puisse sentir une roche pointue lui appuyer sur les vertèbres.

Enfin, alors qu’il commençait à émerger de son état comateux, ce fut une douleur fulgurante qui prit le relais. Elle le saisit d’abord au ventre, avant de migrer vers son flanc droit et de se diffuser du bassin au bras. Il essaya de bouger mais se figea en sentant un pic plus intense fuser telle une flèche, lui coupant le souffle. Il s’était pourtant pris des centaines de coups, mais il risquait de se souvenir de celui-là pendant un moment. Saloperie de loup. Et saloperie d’Alpha, surtout.


Lance pensait pourtant avoir l’avantage. Il était parvenu à repousser la meute sans trop de difficultés, mettant suffisamment à mal certains loups pour qu’ils battent en retraite. Mais les choses s’étaient rapidement compliquées lorsque l’Alpha avait rejoint la partie. Il avait eu l’occasion de lire quelques livres au cours de sa carrière dans l’Obsidienne et savait qu’un Alpha était plus puissant que les autres. Il était au centre de la toile formée par la magie de sa meute, captant et amplifiant le maana de chacun de ses loups. Malgré cela, il l’avait sous-estimé, se reposant sur ses capacités de dragon. Une grossière erreur.

Lance se traita mentalement d’abruti fini. Sur ce coup-là, il avait cruellement manqué de vigilance. Il lui avait suffi d’une seconde trop tard pour réagir, d’une petite entaille pour le déconcentrer, et l’Alpha l’avait attrapé à l’épaule avec toute la force possible. Le dragon avait distinctement senti ses crocs pénétrer dans son épaule tandis que ses griffes lui lacéraient les côtes. S’il n’avait pas eu sa magie pour agir tel un bouclier, il se serait fait dévorer sur place.

Dans ses derniers moments de conscience, il se souvenait avoir faussé compagnie à la meute le temps de sortir ses ailes. Les plaies avaient rendu le processus anormalement long et éprouvant, par rapport à d’accoutumée. Puis, il s’était extirpé de la forêt par les airs pour tenter de rejoindre le bateau qui devait s’amarrer à l’abri d’une énième tempête. La suite lui parut très floue, comme s’il s’était évanoui en plein vol. Heureusement, si tel était le cas, il avait eu la présence d’esprit de voler bas.


Le mal de tête encore bien présent, Lance se risqua à ouvrir les yeux. Sa vision fut d’abord floue, comparable à une simple tache bleu foncé, puis se précisa progressivement jusqu’à ce qu’il soit parfaitement capable d’analyser son environnement. Il faisait nuit, la lune était dans son dernier quartier et peinait à éclairer le campement. Une masse de nuages gris obscurcissait le ciel et une légère humidité était présente dans l’air, signe qu’une tempête était passée depuis peu de temps.

Tournant la tête sur sa gauche, le dragon aperçut un feu de camp. Quelques tentes avaient été montées en arc de cercle tout autour, les flammes jetant une myriade d’ombre sur les peaux imperméabilisées. Une partie de ses hommes se trouvait près du feu, nettoyant leurs armes ou en profitant simplement pour se réchauffer. L’un d’entre eux, plus en retrait, rafistolait une pièce de tissu noir. Lance mit un petit moment avant de comprendre qu’il s’agissait du haut qu’il portait sous son armure.

Il entreprit de se redresser dans ce qui lui servait de sac de couchage, mais stoppa rapidement son mouvement quand ses blessures le lancèrent de plus bel. Il aurait été incapable de dire si la plus virulente était au niveau de l’épaule droite ou des côtes.

- Eh, doucement ! Tu n'es pas en état de te lever !

Le concerné sentit qu’on s’approchait de lui. Jackall, le médecin du groupe, accourut vers lui et l’aida à s’asseoir. Il fit ensuite le tour du couchage afin d’examiner plus attentivement l’imposant pansement qui entourait le torse de son patient. Lance porta son regard au bandage, apercevant une tache rouge sombre ressortir sur le blanc cassé sur son flanc droit. L’odeur du sang se mêlait à celle plus amère de l’antiseptique et de l’onguent utilisé pour accélérer la cicatrisation. Il laissa Jackall lui enlever la bande sans broncher et vit plusieurs sillons larges et irréguliers, d’un vermillon qui tranchait avec le hâle de sa peau.

Le médecin laissa échapper un sifflement mécontent. Son patient improvisé, pour sa part, s’avérait à peine surpris. Il s’attendait à quelque chose de ce genre, mais la blessure n’était finalement pas aussi grave qu’imaginé. Il avait encaissé bien pire par le passé

- C’est encore infecté, j’espère que ça ne va pas partir en septicémie. C’est déjà un miracle que ça ait arrêté de saigner.
- J’ai connu des blessures plus graves, tu exagères.
- Je ne pense pas, non ! C’est toi qui es inconscient. Tu ne devrais même pas être capable de bouger, avec des plaies pareilles.

Jackal prit une grande inspiration, puis soupira. Lance l’entendit manipuler quelques-unes des fioles de sa besace médicale avant de revenir vers lui.

- Serre les dents.

Le dragon eut à peine le temps de comprendre qu’un tissu imbibé d’antiseptique fut posé sur son flanc. Il lâcha un sifflement aigu et serra les poings, le souffle coupé en attendant que la douleur passe. Jackall haussa un sourcil, mais ne releva pas et se dépêcha de désinfecter la plaie. Lance faisait preuve d’une patience étonnante. D’ordinaire, il aurait déjà attrapé le linge pour le lancer plus loin ou lui aurait carrément tordu la main. Pire qu’un enfant à qui on faisait sa première prise de sang.

- Saloperie, siffla le nivéen une fois que le souffle lui revint.
- Ça ira, encore quelques jours et tu pourras bouger normalement. Mais tu devrais éviter de te transformer un moment, les côtes pourraient se briser.
- Je parlais de toi, saloperie. C’est ça que tu appelles prévenir ?

Il sentit les mains de Jackall se crisper. Le médecin s’arrêta quelques secondes, avant d’entreprendre de poser un nouveau pansement, le tout dans un silence anxieux. Lance laissa échapper un long soupir d’agacement et observa son subordonné à la dérobée.

Le brownie-renard était le membre le plus âgé du groupe. La cinquantaine bien tassée, ses cheveux en catogan et sa queue décrépie avaient partiellement perdu leur roux clair pour un gris fade, presque sale. Ses yeux devaient être d’un noisette lumineux autrefois, mais arboraient désormais une teinte terne qui ne dénotait pas avec le reste de son visage creusé, lui donnant l’air plus vieux qu’en réalité. Ancien gardien, son corps portait les stigmates d’une vie passée à côtoyer la mort de bien trop près : des cicatrices le long du cou, des bras, bien plus encore au niveau des poignets.

Lance s’attarda sur ces dernières. Certaines étaient longues, parallèles les unes aux autres dans une disposition qui ne laissait pas de place au doute. Jackall se les était certainement infligées lors de phases de stress trop intenses. Un exutoire stupide et dangereux au possible que personne ne devrait utiliser, mais aussi le seul disponible une fois lâché en terrain ennemi. Lance lui-même y avait eu recours quand sa fonction de chef de l’Obsidienne était un poids trop lourd à supporter. Il était incapable d'en parler, d'avouer que c'était trop pour lui, fut-ce à ses proches. Morag ne le lui avait d’ailleurs jamais pardonné. Ce fut bien la seule fois où il eut vraiment peur d’elle.

- Laisse tomber, souffla le dragon. Pendant combien de temps est-ce que j’ai dormi ?
- Approximativement deux jours, mais je m’attendais à ce que tu restes inconscient plus longtemps. On t’a vu tomber dans la plaine, tu étais salement amoché. Il a fallu te donner les premiers soins sur place avant de te transporter au campement, j'ai cru que tu allais y passer.
- Comme tu vois, ce ne fut pas le cas. Et les lycanthropes ?
- Evités de justesse. Ils ont l’air de ne pas s’éloigner de la forêt.

Tu m’étonnes. Ces maudites boules de poils étaient des gardiens de choix pour protéger l’Yggdrasil, le joyau et coeur de Nibelheim. Evidemment qu’ils n’allaient pas s’en éloigner aussi facilement. Il allait d’ailleurs être bien plus difficile d’accéder à l’arbre maintenant qu’ils avaient été attaqués une première fois. Le nivéen se massa les tempes en marmonnant quelques injures bien senties à leur encontre, un horripilant gout amer en bouche. Il allait devoir trouver un nouvel angle d’attaque et cela le contrariait fortement.

Tout en réfléchissant à la marche à suivre, il entreprit de se lever et vacilla sur le côté. Sa tête le lança brutalement, troublant son champ de vision. Il manqua de peu de tomber.

- Oh pu…

La bile lui remonta brusquement dans la gorge et il se retint de vomir. Il s’appuya des deux mains sur ses genoux, le temps que le poids qui lui entravait les côtes se dissipe. Il avait l’impression de se prendre une série de coups de dague dans le ventre à chaque mouvement. Il se fit violence pour se remettre droit, happant une grande bouffée d’air froid au passage. Le mal qui lui tordait les tripes diminua en intensité, sans disparaître pour autant. Jackall ne se moquait pas de lui en le mettant en garde, ses blessures étaient peut-être plus graves qu’il ne le pensait.

Lance fit quelques pas dans le campement, suivi par le médecin silencieux. La dizaine d’hommes qui s’affairaient ci et là s’arrêtèrent dans leur activités quand il s’avança vers eux. Le chef fut accueilli par une salve d’applaudissement et de cris ravis, mais il n’y prêta pas attention outre mesure et continua sa route. Il était davantage intrigué par les vestiges d’habitations qui perçaient dans le paysage. Le plateau, surélevé par rapport au reste de la plaine, devait avoir accueilli un village de nombreuses années plus tôt. Quelques fragments de murs perçaient encore par endroits, à moitié ensevelis sous les plantes grimpantes et la mousse.

Les restes d’une bergerie reposaient un peu plus loin. En s’approchant, le dragon distingua ce qui devait être une mangeoire pour le bétail. Quelques inscriptions en elfique subsistaient dans le bois rongé, une prière aux esprits protecteurs des plaines. Malheureusement, qui qu’en furent les auteurs, leurs petites croyances ne leur avait pas sauvé la vie.

- Il y a encore plusieurs vestiges comme ça dans les plaines, glissa Jackall en approchant à son tour d’un morceau de clôture.

Le dragon ne répondit pas et analysa le paysage autour de lui. D’un côté, en contrebas, se dressaient les plaines en question qui s’étendaient à l’horizon en une mer végétale. Il identifia une imposante masse sombre comme étant la forêt de Nibelheim au loin. Ensuite, il se retourna pour  observer la chaine de montagnes qui bordait l’ancien village. Deux des piques se rejoignaient en un dénivelé doux, formant ce qui ressemblait vaguement à un croissant de lune.

Lance sentit un frisson de sueur froide lui glisser le long de la colonne vertébrale. Les lieux lui étaient désagréablement familiers. Oui, maintenant qu’il y voyait plus clair, il se souvenait. Il avait déjà foulé cette terre brulée et par le feu et le gel. Ce n’était pas récent, pratiquement une décennie, mais il se souvenait.

- C’est pas vrai…

Comme la première fois, il y avait cette aura de mort qui planait tout autour de lui, glaciale et pesante. Il sentit sa respiration se couper, l’air lui manquer. Dans sa poitrine, son cœur recommençait à s’affoler.

De tous les endroits, il avait fallu que son escouade s’installe ici. Les ruines de ce qui fut autrefois le village de Morag.


L’image d’une adolescente glissa à côté de lui, les cheveux d’un noir ébène ondulant en vagues souples dans son dos, un regard émeraude terne fixé sur les ruines devant elle. Si frêle, si petite dans un uniforme de l’Ombre trop grand pour elle. Elle fit un pas en avant et entama un requiem en vieil elfique avant de s’évaporer lentement, sa voix tremblante mourant dans le vent froid.

Le dragon resta interdit, se demandant sérieusement s’il était vraiment réveillé. Pendant quelques secondes, il se demanda également s’il n’avait pas tout bonnement passé l’arme à gauche, avant que la douleur ne le rappelle à l’ordre. Non il était définitivement vivant. Il s’agissait simplement de son esprit qui s’égarait, transformant en hallucinations des souvenirs qu’il aurait préféré garder enfouis.

- Lance ? Est-ce que ça va ?

Lance tressauta et pivota vers Jackall, qui l’observait à quelques mètres de distance. Il le sentit sur ses gardes, apeuré, tel un enfant prêt à prendre une punition. Il eut un sourire sans joie et soupira : cet homme avait vu la mort en face plus de fois que tout l’équipage réuni, et pourtant, il le craignait au point de vouloir fuir. Il devait vraiment avoir une sale tête.

- Tu es devenu blême d’un coup, reprit le brownie, j’ai cru que tu me faisais un malaise. Je vais t’examiner, j’ai peut-être loupé quelque chose.
- Epargne-toi ça, je ne vais pas m’écrouler.

À l’inverse de Morag le jour où elle avait remis les pieds ici. Il s’en rappelait encore parfaitement, peut-être parce qu’il en était l’unique responsable.

Le dragon s'avança lentement, jusqu’à se placer entre deux planches rongées par la mousse, ressortant de terre telles des tombes de fortune. Il en effleura la surface du bout des doigts, pensif. À l’époque, il pensait naïvement qu’un dernier adieu à son foyer aiderait sa fée à faire son deuil. Lui-même aurait aimé le faire avec ses proches, aussi pensait-il bien agir. Malheureusement, il s’était trompé sur toute la ligne. Trop jeune et idiot, il n’avait rien fait d’autre hormis la blesser.

Cela s’était passé neuf ans plus tôt, alors qu’ils se trouvaient en Avalöne pour une mission de chasse aux mercenaires. Un travail que l’Ombre et l’Obsidienne avaient mené conjointement, dans cette fausse unité que voulait afficher une Garde toujours plus hypocrite. Lance trouvait cela écœurant, et prendre la tête de l’Obsidienne ne l’avait pas aidé sur ce point. Il avait vu les coulisses de cette si belle organisation, pu constater combien les nobles à sa tête étaient plus attachés aux apparences et privilèges qu’à leur fonction première. Il s’était rendu malade à vouloir changer le système de l’intérieur, avant de comprendre que cela ne servait à rien.

- Jackall, va me chercher Orion et rassemble tout le monde. Je veux qu’on lève le camp dans l’heure.
- Mais tu n’es pas-
- En état de me battre ? Ça, c’est ce qu’on va voir.

Les tragédies comme celle de ce village étaient amenées à se répéter, inlassablement. Pour que ce cycle se brise et que le monde change définitivement, il fallait tout réduire en cendres pour reconstruire sur des bases saines. Rien d’autre ne sera suffisamment efficace.

Eldarya devait être annihilé. Pour atteindre ce but, Lance devait impérativement s'emparer de ce que Nibelheim et l'Yggdrasil cachaient. Quelle que soit la méthode.

Note

Et voilà pourquoi nous avons eu droit à un petit bond en arrière de neuf ans au chapitre précédent. On a pu y voir l’histoire de Chrome, mais il y a toute une partie qui est restée sous silence. En l’occurrence, le passage dont Lance fait mention.

Pourquoi ne pas l’avoir ajouté dans la continuité du chapitre 8, me direz-vous ? Tout simplement parce qu’il faudrait plus d’un chapitre pour traiter cela correctement et que je voulais faire avancer la trame. Donc j’ai fait le choix de n’en tirer que les informations principales, au moins pour le chapitre 9. On n’en a pas terminé avec cette histoire pour autant.

Dernière modification par WinterSolstice (Le 04-07-2021 à 09h44)

Hey ~

Merci de ton retour. Et ne t’en fais pas, tous les conseils sont bons, donc je prends les tiens avec plaisir. D’autant les points que tu as soulevés sont très pertinents. J’ai tendance à faire des phrases longues alors qu’en effet, c’est parfois superflu. La faute certainement au fait que je connaisse cet univers sur le bout des doigts, alors que ce n’est pas le cas du lecteur. J’ai fait quelques petits changements pour le premier chapitre, je ferais attention à ça pour les suivants.

Je n’avais pas pensé à modifier l’ordre des parties, mais c’est une très bonne idée. Commencer par quelque chose de dynamique pour terminer sur une phase plus calme. J’ai tenté ce que tu m’as conseillé, et c’est vrai que cela fait une différence. Donc merci pour ce conseil très éclaire o/


Ce que j’ai toujours trouvé dommage, c’est un univers avec un aussi gros potentiel qu’Eldarya ait été à ce point sous-exploité. Alors qu’il y a matière à faire plein de choses ! Que ce soit l’histoire, les relations diplomatique, la magie, jusque dans les créatures que tu peux remanier à ta sauce. Personnellement je m’éclate à réinventer tout ça. Mon domaine de prédilection reste les sciences (la chimie et la médecine plus particulièrement), mais rien qu’en se concentrant là-dessus, Eldarya est un terrain de jeu sans limites.

J’ai pris le parti d’intégrer Erika à cette version, mais en la complexifiant comme elle aurait dû l’être à la base. Là-aussi, il y avait matière à en faire quelque chose de très intéressant en l’écrivant correctement. C’est à un défi personnel : réussir à me réconcilier avec ce personnage qui par moments me sort par les orbites.


L’animosité de Morag est due à l’histoire qui relie le Cristal aux sidhes. Ce sera davantage expliqué dans d’autres chapitres, aborder la question dès le début représentait trop d’informations d’un coup pour que cela soit digeste.
Quant au fait de savoir si cette animosité est connue ou non, la plupart du temps, Morag garde ses opinions pour elle. Par sécurité surtout. Donc les gardiens lambda ne sont au courant de rien, en revanche, elle se lâche quand elle est avec ses proches.


Merci pour ton avis et tous tes conseils. J’espère que le deuxième chapitre t’intéressera comme le premier o/

Dernière modification par Florianne (Le 03-05-2021 à 18h15)

Coucou !

J’ai pas l’habitude de mettre des commentaires, mais j’aimerais vraiment faire partie des prévenues alors la moindre des choses c’est de te donner un petit avis !
Tes chapitres sont longs, je trouve ça top. J’aime quand y’a de la matière à lire, d’autant plus quand tu prends la peine de bien détailler l’environnement autour des personnages et l’atmosphère qui y règne.

Je crois que ça a déjà été dis dans un des commentaires mais j’apprécie vocabulaire riche et diversifié ! On voit bien que tu t’y connais (ou que t’as fait des recherches) surtout sur les notions médicales (entre étudiants de sciences, médecine pour ma part, on se reconnaît ahah (ou je me trompe et t’es pas du tout étudiantes en sciences x))).

Pour ce qui est de Morag, je crois que je l’apprécie déjà. Une certaine intrigue se forme autour d’elle sur ces deux premiers chapitres, elle m’intrigue beaucoup. J’ai toujours adoré les personnages avec du caractère.

Les quelques relations montrées et sous-entendu m’intrigue +++, j’ai sincèrement hâte d’en découvrir plus sur son histoire avec Lance et Nevra, ainsi qu’avec Erika, la petite humaine stupide et maladroite qu’on connait toutes ! J’attends avec impatience de la voir l’entrainer et la malmener !

Je suis d’ailleurs impressionnée que tu aies décidé de la garder au sein de ton histoire, ça rend les choses intéressantes. J’ai lu qu’une seule fanfic sur Eldarya, mais je suis à peu près sûre que peu d’histoires se laissent parasiter par la faelienne que nous incarnons dans le jeu, hâte d’en savoir plus !

Y’a aussi un truc qui m’a interpellé, c’est le fait que Morag était déjà au courant pour les origines draconique de Lance, ils devaient vraiment être proche avant sa « mort ».

En bref, je suis fan, j’ai hâte de voir la suite et j’aimerais beaucoup beaucoup être ajoutée aux prévenues sitoplé *yeux de chaton*.

Bon courage pour la suite !
Eléa

Hey ~

Florianne

Ça fait plaisir de te revoir sur ce topic ! Je compatis, c’est pas de la tarte de refaire toute la saison de TO. Et encore, pour en être au 21, je trouve que les premiers ont encore un certain charme (le nombre de vacheries qu’on peut échanger avec Ezarel par exemple. Ça tacle méchamment par moments)

J’ai arrêté de compter combien de fois j’ai pu relire les premiers chapitres, toujours en changeant une phrase, en corrigeant une petite faute. Et ça permet de se remettre les bases en tête, en effet. Que ce soit Morag, Lance, Nevra ou même Erika, ces zigotos vont tous évoluer au fil des chapitres. Ça fait plaisir de voir que ce cher dragon a toujours ses adeptes, d’ailleurs !

Les changements sont plutôt petits, je te l’accorde. C’est essentiellement une question de tournure de phrases, j’ai essayé d’alléger le tout et de le rendre plus digeste. Les conseils de Lillion ont d’ailleurs été très pertinents. J’ai également voulu développer un peu plus la relation entre Morag et Nevra. Au départ je comptais lui donner un rôle très léger, pour qu’on se concentre sur Lance. Mais ils sont tellement extras à écrire tous les deux que j’en ai rajouté une couche x)

Ne t’en fais pas, tu sais bien que tu commentes quand tu veux, comme tu veux. Clairement je ne vais pas casser les pieds là-dessus. Et c’est avec plaisir que je te rajoute aux prévenus !

Rendez-vous pour le troisième chapitre ~


Elélé

Bienvenue par ici ! o/

Les chapitres longs avec beaucoup de descriptions, c’est ma spécialité… et mon défaut aussi, en quelques sorte. J’ai parfois du mal à m’arrêter quand je pars en roue libre x) Une bonne musique dans les oreilles, une tasse de café et hop, c’est parti.
J’essaie néanmoins de ne pas dépasser les dix pages Word. Je les découpe en deux parties, parfois trois lorsque je n’ai vraiment pas d’autres alternative pour composer mes chapitres.

Alors pour le coup, tu as vu juste ! Sur les deux points, science et médecine : je travaille dans le domaine de la santé, mais j’ai fais des études scientifiques (biologie, biochimie et bactériologie étaient mes matières principales). Au départ j’hésitais entre la biologie et la médecine, et finalement j’ai trouvé un super entre-deux. L’avantage de bosser avec des médecins, c’est que je peux leur demander de m’apprendre quelques notions par ci par là. C’est un domaine où je suis très curieuse.
Quant à la documentation, je lis beaucoup, je me renseigne un maximum avant d’écrire. C’est une partie essentielle, sinon tu racontes un flot d’âneries.

Si tu veux des personnages avec du caractère, tu vas être servie avec Morag, ça c’est clair x)
D’ailleurs, pour ce qui est de sa relation avec Lance, le plus gros de la réponse se trouve dans le troisième chapitre. Tu vas vite comprendre ce qui les reliait, tous les deux.


Erika, c’est le gros défi que je me suis auto-infligé (comme si manier des personnages aussi complexes que Morag ou Lance n’était pas assez !) : être capable de la rendre intéressante, et même attachante, alors que je pars de la même base que le jeu. Le gros problème de ce personnage, c’est qu’elle a été très mal maniée. En nous forçant à nous projeter en elle (puisque c’est l’héroïne de jeu), ils l’ont rendue fade et terriblement agaçante en même temps. Quitte à ce qu’elle ait un caractère, autant lui donner une prise de  position franche, basta. Après, on l’aime ou on la déteste mais on ne se retrouve pas les fesses entre deux chaises.
Donc je tente le coup avec Erika. J’espère d’ailleurs que ma petite version remaniée te plaira ^-^

Comment dire non si tu me fais des yeux de chaton ? Je t’ajoute aux prévenues avec plaisir, j’espère que les autres chapitres te plairont tout autant ~

Dernière modification par WinterSolstice (Le 05-05-2021 à 20h59)

Hello hello !

Je suis ravie que tu aies déjà publié la suite après mon premier passage sur ton histoire ! Je suis toujours aussi fan de ta narration.

Pour le passage sur Lance, on en apprend de belles ! Alors c’est parce qu’ils étaient fiancés que Morag sait pour son origine, les bougres ! Je ne m’y attendais pas, mais avec le recul, ça aurait dû me sauter aux yeux. De ce qu’on comprend, il semble aussi que la mort de Lance soit différente de celle du jeu, c’est une bonne initiative, ça évite de savoir tout à l’avance sur ton histoire ! Y’a un riquiqui truc qui me taraude, c’est le fait qu’il se soit transformé devant ses hommes alors qu’il disait lui-même plutôt dans le chapitre que se faire passer pour un faelien était ce qui lui avait sauvé la vie. Du coup je suis un peu perplexe qu’il ait accordé autant de confiance à son équipage, surtout quand on sait que dans le jeu il les abandonne lâchement en partant avec Valkyon… Après, peut-être souhaites-tu changer cette partie pour éviter qu’il soit comme dans le jeu, sanguin, égoïste et aveuglé ?

Pour le passage avec l’Etincelante (j’ai une impression de déjà-vu en écrivant ce passage c’est chelou), bah clairement je suis fan de la répartie de Morag. Elle donne ses arguments pour contrer la présence d’Erika dans la Garde, pas les vieux arguments merdiques du jeu genre « elle est inutile », mais bien « elle est dangereuse pour nous » et je trouve ça vraiment cool. Ça évite le côté enfantin du jeu qui lui fait tant défaut. Et Nevra, quelle découverte wola. Rien que dans tes phrases il me faisait flipper, ça contraste de ouf avec ce qu’on sait de lui en surface dans le jeu. C’est carrément hypnotisant et même si j’ai hâte des retrouvailles Lance-Morag, un bon gros flirte sado-maso Nevra-Morag me plairait bien (je sais, j’en demande trop). Leiftan, aussi invisible qu’inutile, c’est volontaire ?

Bref, j’ai beaucoup apprécié ma lecture et j’ai hâte de lire la suite !

Des bisouuus !

Eléa

Hey ~

Contente de te revoir ! Pour le moment je fais une révision des chapitres que j’avais déjà publiés dans la première version du forum (je corrige, reformule certaines phrases, toussa toussa), donc leur sortie est rapprochées les uns des autres.

Et ouep, ces deux-là étaient fiancés avant que tout ne se casse pas la figure. Ça donne une base beaucoup plus intéressante que s’ils étaient juste amants.

La mort de Lance est différence du jeu parce qu’il est différent du jeu. C’est vraiment important d’avoir ce recul. Certes, je reprends certaines bases pour ancrer mon univers, mais les ressemblances s’arrêtent là. Le caractère des personnages, leur histoire, leur manière de réfléchir et d'interagir, tout est remanié à ma sauce. Ça serait tellement moins marrant si tout était pareil à la version officielle.

Tout est dit au début de Dracarys : les apparences sont trompeuses. Tu fais forcément des parallèles avec le jeu, c'est inconscient, mais s'y référer de trop est la meilleure manière de tomber dans le piège.


Ah mais tant mieux si le passage sur l’équipage te taraude ! Tu as précisément mis le doigt là où il fallait, Lance ne se transformerait pas s’il n’avait pas un minimum confiance en eux.

L’explication est bête et méchante : nous en sommes au début de l’histoire, je ne pouvais pas me permettre de me concentrer sur ses liens avec ses hommes (ça arrivera plus tard) Donc pour le moment tu n’as qu’un aperçu d’Orion. Ce n’est pas mon chouchou de l’équipage d’ailleurs (je l’adore, hein, j’aime ce que j’en ai fait, mais il est en deuxième position sur le podium)


Nevra, ce doit être l’un des personnages qui me donne le plus de fil à retordre mais qui est extra à travailler. Délicieusement brillant et tordu, on dirait qu’il est en permanence dans une partie d’échecs. Son tandem avec Morag est juste terrible, un bon exemple d'amour vache. Tant mieux s’il te fait flipper, parce que c’était un peu le but de la manœuvre aussi. x)

Oooh, ne me tire pas trop sur ce terrain-là, je ne suis pas encore totalement décidée sur les relations finales de Morag. Clairement, sa relation avec Nevra est très différente de celle qu’elle avait avec Lance, pas seulement parce que l’un était son fiancé, mais parce que la dynamique n’a rien à voir. Quand elle va se rendre compte que môssieur le dragon est toujours vivant, cela va faire de sacrées étincelles.


Leiftan invisible et inutile, c’était volontaire. Il a le chic pour être présent sans qu’on le remarque, c’est une de ses forces. On n’en a pas terminé avec lui.
Dis-toi que je fais rarement les choses par hasard, je place constamment des pions pour la suite de l’histoire. Le but du jeu, c’est que le lecteur se prenne une grosse claque le moment venu. Que veux-tu, c’est mon petit côté fourbe qui s’exprime x)


Contente que ce chapitre t’ait plu, j’espère que ce sera pareil avec les suivants ~
 

Dernière modification par WinterSolstice (Le 09-05-2021 à 14h41)

Hey ~

Oooh, comme ça fait plaisir de te voir par là ! *^*
Tu as fais le marathon des fictions d’ailleurs ! Franchement respect, je ne sais pas comment tu fais, il me faut toujours trois plombes pour écrire le moindre commentaire


J’ai adoré dessiner ma petite carte, ça m’a détendue de faire mumuse avec toutes ces couleurs douces. D’ailleurs elle n’est pas complète, je l’étofferai à mesure que l’histoire avancera. Comme je te disais dans le Salon de Thé, je mets en place quelques bases et je tisse le reste, donc la carte évolue de la même manière.

Pour le moment l’histoire est soft, donc c’est normal si tu es encore sur tes deux jambes oui. On va éviter de faire une hécatombe dès le début, ça serait pas mal x)


Tu m’as trouvé le terme parfait pour qualifier Morag : une magnifique bouteille sous pression ! Et cette pression ne va aller qu’en augmentant, jusqu’à ce qu’elle pète un plomb. Morag a acquis une bonne résistance émotionnelle, elle accumule le stress depuis deux ans sans jamais se relâcher (depuis la « mort » de Lance finalement) mais cela ne peut pas continuer indéfiniment. Elle ne craquera peut-être pas tout de suite, mais ça viendra, la question en effet, c’est quand et pourquoi.
Elle aurait pu être de l’Absynthe dans une autres vie oui, c’est quelqu’un qui a appris l’alchimie toute petite. Les trucs vraiment basiques ceci dit, comme faire des décantations ou des extractions (l’alchimie se rapproche finalement de la chimie pure)


Il faut croire qu’entre mes mains, Nevra est devenu un véritable sociopathe x)
Nan plus sérieusement, j’avais été interloquée pendant l’un des premiers épisodes par son petit côté manipulateur, il sait très bien comment duper son monde. La grosse différence, c’est que là où cet aspect de sa personnalité est utilisé à des fins humoristiques dans le jeu, j’ai choisi de fortement le développer.
Résultat des courses, ma version est beaucoup plus sombre que celle de base sans pour autant tomber dans le pathos. Du moins c’est ce que je m’efforce à faire, mais le zozio me donne du fil à retordre. Est-ce que je peux amener mes lecteurs à s’attacher à un personnage visiblement dérangé, c’est toute la question.


Contente que mon petit Owaïn t’ait tapé dans l’œil ! T’en fais pas, je me le garde sous le coude pour la suite de l’histoire, tout comme Ysèle. Ce serait tellement dommage de s’en passer !

Pour cette histoire de jambes yep, c’est à peu près le même principe que la potion d’Alajéa, sauf que j’ai revu le principe de fonctionnement. Je trouvais ça idiot qu’il suffise de garder une fiole sur soi, d’autant qu’il y une séparation en verre.
Donc, la fiole que portent les sirènes et tritons contient un onguent. Il faut l’utiliser conjointement avec une potion de transformation type syronomajie (faut bien modifier les os pour avoir des gambettes !). Une fois que la potion est prise, on en renouvelle les effets avec l’onguent. Pour cela, il faut l’appliquer quotidiennement sur la peau, d’où l’intérêt de toujours en garder sur soi. Ça me paraissait plus cohérent comme ça.


Oooh ça, question intelligence, Lance en a dans le citron. C’est en partie ce qui fait le charme de son personnage d’ailleurs, un méchant qui dans les premiers épisodes apparaissait plus attirant encore que le camp des gentils. Dommage que ce soit parti en vrille ensuite parce que c'est une petite pépite.


C’est corrigé pour les fautes, merci ! C’est plus tenace que de la mauvaise herbe, tu as beau relire attentivement, certaines y échappent toujours.

Une voix pour Lance et Morag, je note ! Ah bah déjà elles servent à quelque chose, ces fiançailles, elle aura une bague à lui jeter à la tronche quand elle le reverra !
Et je vais arrêter de déblatérer des âneries sinon tu vas me prendre au pied de la lettre =3


Concernant Leiftan, je ne sais pas exactement ce que je vais faire de lui. Et je ne dis pas ça pour jouer sur le suspens, j’hésite entre plusieurs scénarios le concernant. Il y a une happy end dans le lot, mais je ne sais pas encore si ce sera elle qui s’imposera à la fin. J’ai la ligne directrice de mon histoire avec les principaux arcs, mais pour ce qui est du reste, je me laisse porter par mes personnages.


Contente que les premiers chapitres t'aient plu ! J’espère te revoir par ici pour la suite ~

Coucouuu !

Je viens répondre à ton précédent message : j’apprécie énormément que tu t’éloignes de la base du jeu. Il a beau avoir créé un univers cool, il est un peu trop niais. Donc c’est cool ! Pour ce qui est de la confiance que porte Lance à son équipage, j’ai hâte d’en découvrir plus du coup ! J’ai très hâte de voir les étincelles quand elle va découvrir que Lance is still alive, sincèrement j’adore les embrouilles et quand ça gueule bien fort. Et pour le fait que tu ne fais rien au hasard, alors j’attends de pouvoir sortir le gif de DiCaprio !



Passons à ton chapitre :

Concernant la première partie, le côté sombre de Morag est palpable, plus que dans les premiers chapitres. C’est assez perturbant je trouve, elle ne mâche pas ses mots, on la trouve un peu injuste mais on peut pas s’empêcher de compatir car elle semble avoir traversé pas mal de choses. Est-ce que c’est la mort de Lance qui l’a rendu comme ça ou tout un tas d’autres épreuves ? La réponse dans la suite j’imagine !

J’aime assez sa manière de voir les choses, même si ne peut pas s’empêcher de le dire avec un côté venimeux. Elle a l’air vachement en colère de manière générale (outre l’arrivée inopinée et désagréable d’Erika) et j’espère qu’elle a un défouloir parce que je n’aimerais pas être présente le jour où elle éclatera.

Pour la deuxième partie, j’aime beaucoup l’idée de l’Elite au sein de chaque garde ! Je crois que j’aurais bien aimé en savoir plus sur les Aigles et les Cygnes du coup ahah ! J’aimerais aussi beaucoup comprendre ce qu’on fait les humains à Morag, j’adore les drama hihi. Concernant la réflexion de Karen à la fin du chapitre, ça me donne l’impression que ce que cache la garde étincelante au reste de la garde vis-à-vis d’Erika est bien plus profond que ce qui est dit dans le jeu, et comme tu as bien fait comprendre qu’on allait pas mal s’éloigner de la base du jeu, je suis intriguée +++

Bref, jsuis toujours très fan !

To the next chapter !

Eléa

Hey ~

Florianne

Ne t’en fais pas pour les répétitions, je n’ai pas gardé les commentaires que j’ai pu écrire, moi non plus. J’ai retenu le plus gros de ceux qu’on m’a laissés (sur la longueur des chapitres, comme je te disais par MP) mais hormis ça, c’est le flou total. J’ai une véritable mémoire de poisson rouge par moment, donc écris vraiment comme tu le sens. ^-^

À la base, je voulais trouver un autre angle d’approche pour ce qui est de Lance, qu’on ne soit pas forcément dans sa tête tout le temps. Du coup, son équipage, c’était la solution toute trouvée ! En plus on ne sait vraiment rien d’eux (y compris Orion, il a fait office de figurant mais basta) donc c’est le champ libre total.

En ce qui concerne Orion, je l’aime bien ce petit père. Je ne dirais pas qu’il agit par vengeance, il n’a finalement pas de cible précise à éliminer. Par contre, pour lui, Lance représente l’espoir que les choses changent. On ne se range pas forcément dans un camp pour ce qu’il incarne, parfois, c’est parce que l’on a foi en une personne précise. C’est une des forces de Lance que j’ai envie de mettre en avant.


J’aime beaucoup le personnage de Miiko de base, parce qu’à mon sens, elle est finalement très réaliste. Être chef de quelque chose, c’est pas la joie, c’est son lot de responsabilités, de stress et surtout d’hypocrisie. On exige de toi que tu fasses les choses parfaitement du premier coup, que tu aies limite la science infuse. Mais il ne faut pas se leurrer, à sa place une autre personne aurait fait les mêmes erreurs. Miiko au moins essaie de s’améliorer, elle fait son bout de chemin.

Franchement c’est un personnage qui me tient à cœur parce que, comme elle, on m’a collé un paquet de responsabilités sur le dos alors que je n’avais pas l’expérience pour endosser. Pas le droit de se planter, ni même de se plaindre, il faut apprendre vite et encaisser. Ça te fait grandir d’un seul coup. Donc le stress à s’en rendre malade, le sentiment d’être complètement dépassé, on va dire que ça me connait. ^-^


Nevra, je sens que ça va être une des grosses interrogations à chacune de ses apparitions. Et tu as tout à fait raison, si je dévoilais toutes mes cartes dès le début, ce serait vraiment moins drôle x)


À bientôt pour le chapitre 4 ~



Elélé

Oh, pas mal ce GIF !

En fait, tu sais très rapidement quand Morag ne peut pas encadrer quelqu’un. Hormis si elle  sait que cela lui attirera des ennuis, elle dit ce qu’elle pense franchement.

Elle a du mal à supporter la plupart des membres de l’Etincelante, à commencer par les gens comme Keroshane qui tendent à faire les hypocrites. Ceux qui te font grands sourires en face pour te poignarder ensuite dans le dos. Encore, que les gens s’en prennent à elle, cela lui importe peu : c’est le Corbeau de Fer, elle est protégée par son grade de capitaine. Mais les membres de sa garde, par contre, ne jouissent pas d'une telle protection, donc c'est à elle de veiller sur eux. C’est ce qui la rend parfois véhémente dans ses paroles.

Elle a emmagasiné pas mal de colère en effet, de la rancœur, de la peine, un beau petit mélange bien sympathique. La mort de Lance y a fortement contribué, c’est une évidence, mais pas que. Par contre, elle n’a pas de défouloir à proprement parler, elle va intérioriser la plupart des choses. Donc yep, il ne faudra pas être dans les parages quand elle explosera pour de bon !


Les Aigles et les Cygnes, ça viendra, on va déjà se concentrer sur la garde de l’Ombre avant de s’attaquer aux autres x)

Le problème du jeu, c’est que tout est simplifié à l’excès en ce qui concerne l’Etincelante, les relations diplomatiques, ou les points de conflits. Au final, on a un cruel manque de matière, alors que dans un monde fantastique, ce point est essentiel.

Donc en effet, il va y avoir une grosse différence à ce niveau. Je ne vais pas m’étendre là-dessus pour le moment parce que ça ferait une sacrée tartine, et clairement sans quelques passages pour s’appuyer, ce sera sans queue ni tête. Il faut voir ça comme une immense fourmilière. Erika, c’est celle qui va venir, malgré elle, mettre un gros coup de pied là-dedans


Contente que ce nouveau chapitre t’ait plus, j’espère qu’il en sera de même pour les suivants ~

Hey ~

Ça fait toujours plaisir de te voir par ici ! Ne t’en fais donc pas pour la longueur des commentaires, tu sais bien que ce n’est pas prise de tête ici. L’essentiel c’est que les gens passent un bon moment à lire

Tranchante, concernant Morag, le terme est bien trouvé. Quoiqu’un peu faible parfois, quand elle laisse parler son caractère de cochon. x)

Au début, Erika est clairement une tête à claques, que ce soit aux yeux de la miss, aux miens ou ceux des lecteurs (comme tu dis si bien, on aime la détester)
On reste vraiment à la surface, comme le personnage de base. Maintenant, le but du jeu, c’est de la rendre appréciable à mesure qu’on la découvre plus en profondeur. Sacré défi que voilà !

Si je devais nommer une personne diamétralement opposée à Morag, je pense bien que ce serait Kero : il est naïf et a toujours vécu dans un joli cocon protégé, que ce soit dans son enfance ou à Eel. Il est idéaliste, mais parce qu’appartenir à l’élite depuis tout petit l’a en quelque sorte aveuglé.
Morag, au contraire, a été forcée de grandir très vite. Elle a bien conscience des problèmes de ce monde, mais en garde certainement une vision trop sombre, elle peine à être optimiste. C’est vraiment un duel de ressenti, aucun des deux n’est dans le faux, mais ils sont tout bonnement incompatibles.

Dire qu’à la base Kero devait juste être un personnage très secondaire que je n'appréciais pas spécialement, et finalement je lui ai bâti une enfance de A à Z. Un peu comme Owaïn, Orion et les personnages déjà apparus jusqu’ici. Ça vaudrait le coup de faire un recueil de spin-off, tiens, à l’occasion


Oh je l'ai bien compris, que Lance est ton chouchou x)
Pour le moment les scènes avec lui sont un peu limitées, le temps que l’intrigue s’installe du côté de Morag, mais promis, ça va venir. En tout cas je suis contente que ce passage t’ait plu à nouveau !

J’ai fais des retouches sur ce passage, oui, tu as vu juste. Entre autres, j’ai reformulé le moment où il entre dans la forêt, ainsi que celui où il s’en prend à l’arbre. Tu m’avais dit être un peu perdue par son comportement à ce moment-là et yep, avec le recul, la transition était abrupte. Donc j’ai un peu nuancé le tout, j’ai ajouté quelques dialogues et apporté des petits détails.

Je ne l’ai peut-être pas dit la première fois, mais cette scène de combat, ce fut quelque chose à écrire, je n’étais pas à l’aise des masses. Entre le rythme des phrases, le décor à visualiser et les mouvements de Lance à bien coordonner (que ça ne soit pas brouillon, il ne me facilite pas la vie avec sa magie) j’avais quelques sueurs froides x)

En effet, après ce chapitre-là, il en reste encore trois datant de la première version, les souvenirs doivent être un peu plus clairs. Désolée de malmener ce pauvre petit Chrome, mais tu le sais déjà, il n’a pas fini de s’en prendre plein la figure ^^'


Rendez-vous au prochain chapitre, donc !

Dernière modification par WinterSolstice (Le 28-05-2021 à 20h42)

Hey ~

Eh ben, voilà qui me met une pression supplémentaire concernant Erika et Lance, je n’ai pas intérêt à me louper avec ces deux-là x)
(c’est de l’humour, je cogite beaucoup mais je ne me mets pas de pression particulière pour écrire, ce serait contreproductif)

J’ai mis une petite note au début en guise d’avertissement mais oui, c’est un chapitre plus éprouvant que les autres. On entre vraiment dans le vif du sujet, en fait. Les premiers chapitres faisaient surtout office de mise en bouche le temps de « planter le décor », d’installer quelques personnages clé. Et malheureusement c’est à Chrome de déguster en premier, pas de bol pour lui


Concernant Karenn, c’est un point qui me dérangeait également dans les épisodes : tu vois que Chrome a vraiment le béguin pour elle, mais de son côté, elle ne fait que l’utiliser. C’est triste pour ce petit père, personne ne mérite de se faire balader comme ça.

Si encore cela était remis en question, si Karenn s’interrogeait pour ensuite corriger son comportement, ce pourrait être très intéressant. Sauf que non, il n’y a aucune remise en question nulle part. L’équipe a pris le parti de romancer une relation qui n’est pas très saine de base, ou en tout cas très déséquilibrée. Karenn montre des sentiments amoureux tout d’un coup (dans l’épisode 24 ou 25 je crois, de mémoire), mais c’est superficiel comme le reste. Tu n’as pas le comment du pourquoi d’un tel revirement.

Donc je vais prendre un grand plaisir à remanier tout ça a ma sauce, d’autant que je les aime bien ces deux-là !


Tu mets le doigt sur un deuxième point intéressant : Chrome et Karenn ont beau faire les grands, à quinze ou seize ans, cela reste avant tout des enfants (ou des ados, mais les deux termes me semblent appropriés)
Leur manière de voir les choses diffère parce qu’ils gardent une certaine immaturité, ce qui n’est pas péjoratif mais tout bonnement normal. Tu peux grandir plus rapidement que les autres, mais il y aura toujours quelques failles que seul le temps peut pallier.

Le duo Morag-Chrome, c’est ce qui me permet d’illustrer un peu tout ça. Chrome en a dans le citron, il est mature pour son âge et veut faire comme n’importe quel gardien, certes. Là-dessus, il donne le change. Cependant, cela reste un enfant mentalement, il garde certaines fragilités. Mine de rien, cela le pousse à s’attacher à quelqu’un comme Morag qui va le recadrer, veiller sur lui et l’aider à grandir convenablement.

Morag a d'ailleurs ce même genre de relation avec Karenn, mais je dirais que le lien n’est pas aussi fort qu’avec Chrome. Il y a Nevra qui entre dans l’équation, c’est plutôt lui qui va remplir ce rôle.


On se rapproche du point où on était avant l’incendie, je ne pensais pas que cela représentait une telle masse de pages avant de m'y replonger. Les deux prochains chapitres devraient se suivre de peu, autant j’ai dû retravailler le 7 (anciennement le 6), autant le 8 restera pratiquement inchangé.


Du coup, à bientôt pour la suite ~

Dernière modification par WinterSolstice (Le 02-06-2021 à 11h40)

Dernière modification par Florianne (Le 06-06-2021 à 22h18)

Le voile violâtre de maana qui l’entourait termina de ses dissiper → se
Elle avait beau être une bonne combattante, elle ne pourra pas les protéger → petit problème de concordance des temps, « pourrait »
Chrome fi volte-face → fit
le reste des gardiens accouraient → accourait, le verbe s'accorde avec « le reste »
Morag avait prit soin de récupérer la petite pochette → pris
Prend ma place → prends
Elle se jura que cette fois-ci, elle ne faillira pas et le protégera correctement. Rien ni personne ne lui fera davantage de mal, elle en faisait le serment → c'est encore un problème de concordance des temps, il faudrait que tes verbes au futur soient conjugués au conditionnel présent


Le maana qui s’échappait de son corps vint gagner en intensité → le « vint gagner » m'a faite tiquer, je me questionne sur l'utilité du verbe venir, je trouve qu'il alourdit juste la phrase.
leurs émotions avaient un impact considérable sur leur magie → alors alors, « impact » est un anglicisme quand on parle des effets, de l'influence qu'une chose/action a sur une autre. Tout le monde l'utilise dans ce sens à l'exception de notre chère Académie française, du coup ce mot il est pas bien bouh il faut pas l'utiliser (je le souligne parce que c'est plus fort que moi, on m'a reprise tellement de fois que maintenant je grince des dents quand on me parle "d'impact" au lieu d'influence ou autre synonyme)

Dernière modification par Sugfithk (Le 07-06-2021 à 02h27)

Hey ~

Florianne

Oh tu sais, je me mets suffisamment la pression au travail sans m’en rajouter, l’écriture est d’ailleurs un excellent moyen de décompresser. Donc je prends tout avec du recul, il en faudrait beaucoup pour me braquer ou quoi que ce soit. Si je commence à me monter la rate au court-bouillon concernant mon petit loisir, je suis mal partie x)


Nevra, je le vois comme le grand frère poule par excellence, limite un peu maniaque, qui va constamment garder un œil sur sa sœur sans pour autant chercher à l’étouffer. Le genre « je te protège sans que tu m’aperçoives ». Je n’ai pas trop eu l’occasion de jouer là-dessus pour le moment, donc j’en profite allègrement dans ce chapitre, sachant que je ne pourrai pas dévoiler leur histoire tout de suite.


La partie sur la rivalité lycanthrope/vampire, c’est une petite nouveauté de cette version. Et je l’avoue, c’est influencé par les autres projets que je mène à côté. L’aversion qu’ont ces deux peuples l’un envers l’autre est finalement  surtout due à leur histoire commune : ils étaient ennemis bien avant le Sacrifice Bleu. Leur magie respective est encore fortement liée à leurs racines, et ils l’entretiennent de cette manière.

Il y a également le fait que tout ça se passe en Hajvingar, et tu vas le voir par la suite, c’est un point non négligeable. À Eldarya, l’histoire des faeries est « gommée », on a tout lissé sous prétexte d’un nouveau départ. Mais ce n’est pas forcément le cas partout.


L’avantage d’avoir eu à tout publier à nouveau, c’est que j’ai pu glisser quelques détails par-ci par-là auxquels je n’avais pas pensés la première fois. Notamment concernant la relation entre Nevra et Morag justement. À chaque fois, c’est l’éclate d’écrire leurs échanges. Lui a l’art de la pousser dans ses retranchements, elle de dévoiler des facette un peu plus complexes de sa personnalité. Il n’a pas du tout ce visage avec les autres membres de la Garde.
Pour le moment, c’est surtout leur relation qui est montrée, mais j’ai hâte de pouvoir faire pareil du côté de Lance, ça va être très sympa à travailler !

Plus qu’un chapitre et on attaque quelque chose de neuf, ça se rapproche ! Je compte d’ailleurs le publier dans l’après-midi, maintenant que j’ai quelques jours de repos

Du coup, à bientôt ~



Sugfithk

Bienvenue par ici ! o/

Les personnages, ça doit finalement être ce que j’ai le plus travaillé, bien plus que la carte du monde ou l’histoire de fond. C’est d’ailleurs la partie que préfère dans la construction d’un univers : concevoir des personnages complexes, ni bons ni mauvais, auxquels on arrive à s’identifier. Et mine de rien, plus tu te penches sur leur cas et les rend « humains », plus tu t’y attaches.

En toute honnêteté, je me demandais si je devais publier à nouveau Dracarys après l’incendie ou le mettre un peu de côté pour me concentrer sur mon œuvre originale. Mais en y réfléchissant, les deux sont complémentaires, donc je vais mener les deux projets en même temps.

Je suis contente que le style d’écriture en général te plaise, c’est tout bête mais ça fait super plaisir. J’essaie constamment de le retravailler en fonction des retours que j’en ai (trop lourd, trop descriptif ou au contraire pas assez) J’ai l’impression qu’il a pas mal évolué dans le bon sens depuis que je mets l’accent sur le rythme des phrases, leur longueur et les sons qui les composent. Comme quoi, on ne finit jamais d’apprendre !


Merci pour les fautes, je les ai corrigées. C’est dingue combien certaines sont persistantes malgré les phases de relecture. Tu peux faire de même avec les chapitres suivants si tu le souhaites et que tu en as le temps, mais ne t’y sens pas obligée, je traquerai les survivantes en relisant. C'est très gentil de proposer mais je ne peux pas te demander un boulot aussi conséquent

Je n’étais pas au courant de cette divergence concernant « impact », tu m’as appris un truc. On l’utilise tellement souvent dans mon milieu pro que je l’ai complètement assimilé (ça et pas mal d’autres mots anglais d’ailleurs). Ceci dit, « influence » est tout aussi bien, donc tant qu’à faire, autant changer ^-^


En ce qui concerne les verbes au conditionnel présent ou futur, les deux sont intéressants mais je vais conserver la forme future. Le ressenti est très différent et cela colle davantage avec la volonté de Morag. Elle est certaine de ne pas s’en sortir si elle doit gérer Chrome et Nevra à la fois. Elle n’a pas le moindre doute, elle connait ses limites.
Idem pour cette promesse concernant Chrome. Ce n’est pas hypothétique, mais une certitude : elle protégera ce gamin, quoi que cela lui en coûte.


Tes remarques m’ont été très utiles, je t’en remercie !
Je te rajoute aux prévenues avec plaisir. Et ne t’en fais pas, je n’attends pas des gens qu’ils viennent commenter obligatoirement à chaque fois (on a tous nos impératifs et notre vie privée, moi-même je mets parfois des plombes avant de répondre) Là-dessus c’est plutôt à la cool ^-^

En espérant que les prochains chapitres te plaisent tout autant ~

Dernière modification par WinterSolstice (Le 11-06-2021 à 16h25)