Bienvenue dans l’antre du Corbeau de Fer.
Prenez place, mettez-vous à l’aise, et venez découvrir l’histoire de celles et ceux qui menèrent le monde à sa nouvelle ère.
On va se débarrasser de la partie administrative dès le départ. Donc, les règles obligatoires que je vous demanderai de suivre ici :
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À tous les enfants d’Eldarya
Avant de poster un message :
♦ Pas de HS, de flood ou de pub !
♦ Pas de sujets « sensibles » dans la fiction ou les commentaires
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♦ Pas de conflits sur les topics. Préférez la discussion privée.
♦ Tenez compte des remarques des modérateurs.
♦ Merci de relire attentivement les Règles de la section des Contes d'Eel
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Informations complémentaires : Ce récit est classé PEGI 16, soit au même niveau que l’histoire officielle d’Eldarya (référencement application)
Prenez cette note en compte si vous êtes quelqu’un de sensible, parce que ce qui vous attend est loin du conte de fée.
Bien, maintenant que la partie la plus ennuyeuse est faite, entrons dans le vif du sujet !
>> Synopsis
Il fut sa lumière et ses ténèbres, l’homme avait qui elle pensait enfin stabiliser sa vie. Aujourd’hui, il est son ennemi.
Eldarya se meurt. Les tensions qui animent les quatre contrées de ce monde n’ont jamais été aussi fortes que depuis la fracture du Grand Cristal. Au milieu des manigances et des jeux de rôle, de la cupidité et de la folie tachées de sang, deux camps préparent leurs armes : Ceux qui veulent la survie de ce monde, et ceux qui cherchent son annihilation.
Quel est celui dans le bon ?
Plongée au cœur de ces ténèbres, Morag comprendra bien vite que les enjeux vont au-delà de la possession d’Eldarya.
C’est la guerre. L’ultime dance du Dragon de Glace et du Corbeau de Fer.
Dracarys est un projet sur lequel je travaille depuis un bon moment déjà, et qui n’était pas prévu à la publication initialement. La sortie de A New Era m’a finalement décidée à revoir mon jugement.
Comme vous avez pu le constater, les personnages au centre de cette intrigue sont Lance et Nevra. D’un côté un gentil, maître de l’Ombre de son état. De l’autre, le dragon déchu et mal incarné d’Eldarya. Ainsi doivent être les choses, n’est-ce pas ? Peut-être pas.
Méfiez-vous des apparences, elles sont très souvent trompeuses. Car, tout comme les « gentils » ne le sont finalement pas tant, les « méchants » sont eux-aussi plus complexes qu’il n’y parait. Et l’ennemi pourrait finalement être complètement différent.
Les thèmes abordés sont loin d’être mignons et rose bonbon. Violence physique, mots d’oiseaux, petites tortures psychologiques et autres joyeusetés de cet acabit. Donc par mesure de prudence, je déconseille la lecture aux âmes sensibles.
En revanche, si vous voulez tenter une aventure pimentée à l’humour noir et aux vacheries biens senties, êtes friands de sales coups et manigances sur trame de fond glauque, restez à votre place. S’il s’agit d’un simple intérêt pour nos chers protagonistes également. L’un comme l’autre devrait vous offrir un beau spectacle.
>> Carte et informations
Cette carte est de ma conception. Elle sera mise à jour en fonction de l’avancement des chapitres.
Carte d’Eldarya - Dracarys
>> 01/05/2021 : Introduction de la carte
♦ Eldarya se découpe en quatre continents, où contrées. Chacune d’entre elles est gouvernée par une lignée noble et ses vassaux : les Cours de Printemps, d’Eté, d’Automne et d’Hiver, respectivement celle de l’Est, du Sud, de l’Ouest et du Nord. Au cœur de tout ce joyeux bazar sont coincées multitudes d’îles, dont celle de Nova, où se situe la Garde d’Eel.
Lexique - Pour approfondir le sujet
- Changement : Processus au cours duquel un jeune lycanthrope prend pour la première fois sa forme animale. Il signe le passage à l'âge adulte dans la meute.♦
- Ere : Période de l'Histoire de la Faery. Elles sont au nombre de trois.
Première ère - Ere d’Imva
Il s’agit d’un terme générique pour désigner toute période avant l’écriture officielle de l’Histoire par les humains. On y retrouve les ères du fer et du bronze. A l’heure actuelle, on ne sait pas exactement quand est-ce que cette ère termine, ni quand la deuxième commence.
Deuxième ère - Ere de Sothis
Cette ère prend fin au XIIe siècle humain avec les Croisades et le Sacrifice Bleu, qui aboutit à la Création d’Eldarya. C’est l’apogée des grandes puissances magiques. La plupart des textes y faisant mention sont gardés dans la Grande Bibliothèque Impériale du clan Ren-Fenghuang, dans le temple Est.
Troisième ère - Ere de Nieve
Il s’agit de la plus récente de l’Histoire, couvrant de la création d’Eldarya jusqu’à l’année actuelle 3E 727. Elle n’a été rigoureusement écrite qu’à partir de 3E 400. Les textes antérieurs étaient sous la commande des Cours, ou le fruit de travaux indépendants. Aujourd’hui, les plus grosses retranscriptions sont gardées dans les murs de la Garde d’Eel.♦
- Fée noire : Peuple utilisant la magie du sang et dont le nom est valable au féminin comme au masculin. Leur peau est blême, leurs yeux d’un vert émeraude. Paradoxalement, ces fées sont dépourvues d’ailes. Nombreuses avant le Sacrifice Bleu, il n’en reste aujourd’hui que quelques rares individus.♦
- Sidhe : Analogue à la Faery, aussi appelés Nocturnes de l’Umbra. Ensemble de peuples utilisant la magie du sang, considérée néfaste en Eldarya. Y sont inclus fées noires et vampires, entres autres. Leur histoire respective est transmise oralement dans les quelques lignées restantes.
>> Sommaire
Post n°1
Chapitre 1 : La femme au Corbeau
Chapitre 2 : Morag de l'Umbra
Chapitre 3 : Un grain de sable dans l’engrenage
Post n°2
Chapitre 4 : Apprendre et apprivoiser
Chapitre 5 : Ces ténèbres qui rodent
Chapitre 6 : Point de rupture
Chapitre 7 : L’Eveil de la Bête
Chapitre 8 : 3E 716, neuf ans plus tôt. Le louveteau égaré
Chapitre 9 : La force de protéger
♦
>> Bonne lecture !
Chapitre 1 : La Femme au Corbeau
« Et au cœur de la nuit, le monde s’embrasa. Sous les rayons de la Lune de sang, il éclata »
Genèse d’Eldarya, chapitre 6
- Allez prévenir l’Etincelante ! Il ne faut pas le laisser filer !
Dispersés en petits bataillons dans les entrailles de la Cité d'Eel, des gardiens de l’Obsidienne foulaient le sol craquelé, abimé par le temps et l’humidité. Le claquement des solerets en acier rythmait leur course, résonnant contre la pierre plus ancienne que la cité elle-même.
Ashkore se stoppa net en apercevant les ombres projetées par les torches à l’intersection devant lui. Il se glissa rapidement dans une des fissures béantes qui perçaient les murs. Le noir de son armure aidant, il se fondit dans l’obscurité ambiante et retint son souffle, écoutant attentivement les pas qui se rapprochaient. Deux hommes, un de carrure moyenne, l’autre légèrement plus petit. Pas de grosse difficulté en perspective.
L’homme au masque sentit ses battements de cœur se faire plus fort à mesure que la lumière et les bruits s’intensifiaient. Il ferma les yeux, prit une grande inspiration et raffermit sa prise sur l’arme autour de son gant droit. Quatre anneaux de métal aiguisés, passés autour des phalanges proximales et liés les uns aux autres par une barre contre sa paume. Petits, mais redoutables.
« Trois. Deux. Un. »
Les deux gardiens passèrent devant la crevasse.
Ashkore se glissa derrière le plus grand du duo et lui abattit le poing d’acier dans les côtes. Le gardien s’affaissa en avant et s’en prit un deuxième dans la mâchoire. Un craquement sordide résonna en concert avec celui de l’épée qu’il laissa tomber. Il chuta inconscient, face la première contre la pierre. Son compagnon n’eut pas le temps de se retourner que le dragon l’attrapa par la nuque pour lui frapper le visage contre le mur. Ashkore observa sa proie rejoindre la première à terre. Bien. Pas besoin de les tuer, il leur avait brisé suffisamment d’os pour les empêcher de bouger. S’ils étaient chanceux, l’hypothermie allait les achever.
« Je pensais que la gamine les retiendrait un moment. J’aurais pu m’épargner cette peine. »
Alors qu’il descendait dans les geôles, chemin le plus rapide pour rejoindre les catacombes, il était tombé sur une jeune femme enfermée dans une des cages suspendues. Dans la vingtaine, cheveux châtains, yeux violets, petite et fine. Elle ne dégageait pas un soupçon de magie et ne semblait pas non plus briller par son génie, de quoi se questionner sur la raison de sa présence. Ces geôles étaient réservées aux êtres jugés dangereux par la Garde. Il ne voyait pas en quoi cette gamine pouvait être une quelconque menace.
Enfin, il n’allait pas s’en plaindre, elle lui semblait être une diversion toute trouvée sur le moment. Le temps de la faire descendre de son perchoir, de l’inciter à se sauver en direction de la Salle des Portes, et il avait repris sa route. Il lui fallait atteindre les galeries les plus profondes pour rejoindre le point de ralliement, il n’avait pas de temps à perdre.
Ashkore récupéra l’épée et la passa à sa ceinture, à côté de sa sacoche pleine à craquer. Un butin chapardé dans la réserve personnelle d’Ezarel, au laboratoire du Verger. Il écrasa la torche du plat de sa botte, plongeant le couloir dans une pénombre froide, puis porta sa main gauche à son cou. Autour d’une courte chaine pendait un cristal de roche provenant des terres sombres du Nord. Il y insuffla une petite quantité de maana et la pierre se mit à luire d’une faible lumière azurée. Bien suffisant pour quelqu’un habitué à l’obscurité.
Le dragon reprit sa course. À l’intersection, il se rua sur sa gauche et sauta au-dessus d’un morceau de mur effondré. Les catacombes avaient encaissé des siècles de tempêtes et de guerres, si bien que les parties les plus profondes ne supportaient plus le poids en surface. Il lui fallait quitter l’endroit avant que les abrutis s’égosillant dans les galeries plus hautes ne les fassent s’effondrer.
- Par là ! Dépêchez-vous, on ne doit pas le perdre !
Au loin, des aboiements venaient de se joindre à la cacophonie. Ashkore retint un juron, préférant garder son souffle pour la fuite, et bifurqua sur sa droite à l’intersection suivante. La Garde avait sorti les minaloos, c’était presque trop d’honneurs. Aveugles mais dotés d’un excellent flair, ces familiers de la contrée Est déployaient un éventail de maana à la manière d’ultrasons et n’avaient aucun mal à se faufiler dans les plus petites galeries. De redoutables pisteurs qui comptaient de nombreuses proies dans leur tableau de chasse.
Ce n’était toutefois pas les gardiens, ni leurs familiers, qui allaient l’arrêter. Ils pouvaient toujours lui lancer tous leurs chiens de garde aux trousses, ils n’étaient pas prêts de lui mettre la main dessus. Quand il était encore dans l’Obsidienne, Ashkore avait pris soin de mémoriser chacun des plans de la citadelle. Cela comprenait les premiers étages de galeries, ceux juste en-dessous des geôles. Par la suite, il avait mis la main sur ceux des souterrains en eux-mêmes, catacombes incluses. Il les avait tant explorées qu’il en connaissait chaque recoin, un avantage non négligeable sur la Garde. Il pouvait allègrement les faire tourner en bourrique.
Ashkore tourna à un énième embranchement et sentit qu’il descendait nettement en profondeur. Les murs de pierre laissèrent place à d’autres ou ressortaient orbites, mandibules, crocs. Les crânes d’un blanc jauni s’empilaient les uns sur les autres, faisant front d’un seul bloc macabre. Le dragon continua sa route, le bruit de ses bottes étouffé par la terre grasse qui avait remplacée la roche. Il regarda droit devant lui, ignorant les centaines de cadavres que l’on avait entassés bien loin du commun des mortels. Les premiers habitants d’Eldarya, tombés dans le néant, avaient littéralement servi de base à la civilisation actuelle. Ils avaient été effacés de l’Histoire au point où pratiquement plus personne ne connaissait l’existence de leur simulacre de tombe. Quel bel hommage.
L’homme aperçut un éclat vert devant lui. Les catacombes débouchaient sur un réseau d’eau souterrain relié à la rive Est de l’île. Les falaises érodées par des siècles d’intempéries s’étaient creusées telles les éponges pullulant dans les eaux chaudes du Sud, cachant la plage à quiconque observant depuis les hauteurs d’Eel. C’était le point d’entrée parfait pour quiconque voulait infiltrer la citadelle.
Il s’approcha de l’eau, y entra jusqu’aux cuisses. Il fit une rapide vérification de sa sacoche, s’assurant que les liens en cuir étaient solidement serrés, puis insuffla un peu plus de maana à la roche pendant autour de son cou.
Il prit une grande inspiration, puis plongea.
Il n’y avait pas de moment plus calme dans la cité d’Eel que lorsque la nuit tombait. Progressivement, l’animation du marché et de la place centrale le jouxtant se mourrait. Les cris et rires des enfants jouant innocemment entre les adultes s’effaçaient pour laisser place à une quiétude bienvenue. Le vent venait faire danser les clochettes installées sur les portes en guise de protection contre les mauvais esprits, leur tintement à peine perceptible face au mugissement du feuillage. Paradoxalement, si cette trame avait un certain coté apaisant, elle tenait davantage du requiem que de la symphonie.
Des lanternes à huile propageaient une douce lueur et brisaient un peu des ténèbres alentours. Certains enfants avaient décoré la leur avec de fins morceaux de tissus, qui teintaient en bleu, vert ou rosé les flammes reposant en leur cœur. Ces lumières de tant de couleurs différentes ne faisaient qu’accentuer les ténèbres en question, bien belle ironie.
Depuis toujours, les créatures diurnes avaient peur du noir, sans comprendre qu’elles se battaient contre un équilibre immuable. Morag, quant à elle, ne s’était jamais aussi bien sentie que blottie dans cet écrin de noirceur. Elle effleura le verre d’une des lanternes du bout des doigts, prenant garde à en éviter l’armature métallique. Les fées noires n’étaient pas réputées pour apprécier le fer, elle ne tenait pas à se bruler en dépit de la présence de ses gants. Avec une certaine nonchalance, se laissant porter par les sons alentours, elle avança en observant la manière dont son ombre se déformait sur les pierres au sol.
Si sortir en plein jour s’apparentait à un parcours du combattant, à cause de la population grouillante et du bruit ambiant, la nuit était bien différente. Le monde revêtait un autre de ses innombrables visages, plus doux, plus sécurisant. La lumière qui le baignait variait au rythme des heures, des saisons, du temps. La composition du ciel et son intensité étaient un perpétuel changement. Comme la vie elle-même, rien ne restait figé. Quoi qu’il puisse arriver, le monde continuait de tourner.
La jeune femme prit la direction du quartier général de la Garde d’Eel, protectrice de la cité. Elle n’avait rien rencontré d’autre sur son chemin que les gardiens assignés au service de nuit, emmitouflés dans leurs habits d’hiver et désireux de rentrer chez eux. D’un côté, elle pouvait comprendre leur empressement. Tout gardiens qu’ils étaient, ils n’en restaient pas moins des créatures dotées de consciences et de croyances. Quand bien même la cité se trouvait plus protégée que les petites fermes l’entourant, le danger continuait d’exister. Les habitants se hâtaient de rentrer chez eux dès que le soleil se couchait. Seuls les êtres comme elle trouvaient plaisir à se faufiler dans les ténèbres qui prenaient possession des rues.
Arrivée sur la place du marché, elle balada son regard sur les pavés irréguliers qui délimitaient le chemin principal. Les ombres dansaient à mesure que les nuages se déplaçaient, dessinant tout autant de monstres imaginaires terrifiant les enfants. Morag leva la tête au ciel, appréciant la lumière de l’astre presque plein. Elle n’allait pas pouvoir finaliser ses travaux avant quelques nuits, le temps que le cycle se termine. Ce sursis allait au moins lui permettre de regrouper les ingrédients qui manquaient dans les réserves de l’Absynthe. Ezarel se targuait d’être un des plus grands alchimistes de son temps, et le bougre était réellement doué, mais il manquait de méthodologie pour tenir un inventaire à jour. Un point sur lequel la fée noire aimait appuyer quand il l’agaçait.
Le quartier général de la Garde d’Eel était une imposante citadelle composée d’une tour cernée de trois ailes. Elle dominait le reste de la cité telle un château dans sa ville fortifiée, offrant une vue imprenable sur les plaines de l’Île de Nova et la Mer d’Athar. Ses pierres, blanches lors de sa création bien des siècles auparavant, étaient couvertes de lianes et d’une mousse semi-phosphorescente qui cette nuit-là luisait à peine. Après avoir adressé une discrète salutation de la main aux deux Obsidiens de garde, Morag s’engagea dans l’édifice.
L’entrée principale débouchait sur le hall et base de la tour. La Salle des Portes, comme on l’appelait, permettait d’accéder rapidement aux différentes parties de la citadelle, notamment les ailes. Si beaucoup de pièces communes étaient accessibles directement à partir du hall, bien d’autres étaient réparties dans les ailes qui étaient attribuées à chacune des gardes. Ainsi, la jeune femme s’engagea dans les couloirs de l’aile Nord dont l’étage inférieur, affectueusement surnommé « le Verger », était réservé aux travaux de la garde Absynthe. Là était sa destination : son petit laboratoire d’alchimie, bien caché entre deux couloirs.
En qualité de fée noire, Morag maîtrisait des arts qui lui demandaient un peu de matériel et un endroit bien à elle pour travailler. Un lieu sûr où en l’occurrence, n’importe qui ne pourrait pas venir mettre le nez dans ses petites affaires. À ce titre, le laboratoire principal de l’Absynthe était prohibé et elle ne s’y rendait que pour s’approvisionner en ingrédients courants. N’importe quelle recette d’alchimie demandait de l’eau purifiée, en revanche, celles qui avaient besoin de venin d’ornak ou de viscères de kiampu courraient déjà moins les rues.
Rares étaient les gardiens à posséder leur propre lieu de travail. Morag devait son petit havre de paix personnel aux services qu’elle rendait à l’Étincelante. Une garde qui, quand on prenait le temps de se pencher sur son cas, avait très certainement la fonction la plus nuancée des quatre. Pour beaucoup, son rôle ne consistait qu’à superviser ses pairs et tenir des réceptions avec les nobles des quatre contrées d’Eldarya. De petites magouilles politiques pour entretenir les accords commerciaux et les traités de paix. Rien de très glorieux sur le papier.
Toutefois, pour avoir aidé à la préparation et assisté à certaines des réceptions en question, Morag avait bien conscience que ce n’était pas aussi bon enfant. Crises sociales, conflits financiers, vendetta entre populations ou même entre familles royales, les raisons de faire couler le sang ne manquaient pas dans les hautes sphères. En qualité d’arbitre, s’entretenir avec les nobliards était comme jouer une partie d’échecs où la mise était sa propre tête.
En toute honnêteté, Morag ne savait pas comment Miiko faisait pour les supporter, tous autant qu’ils étaient. Leiftan était là pour la tempérer, certes, et il remplissait son rôle à merveille. Le lorialet était un diplomate hors pair, à défaut d’un grand combattant. Mais n’importe quelle personne droite dans ses bottes aurait déjà fait une sévère overdose. La fée noire, pour sa part, était bien contente de pouvoir se cacher derrière Nevra qui risquait ses fesses à sa place.
La gardienne extirpa une clé de la sacoche à sa ceinture et déverrouilla son sanctuaire. À peine entrée, elle se fit accueillir par un croassement rauque qui retentit juste à côté de son oreille gauche. Un son métallique et strident qui la fit trembler de tous ses membres. En réponse, elle flanqua un coup de besace au fautif qui esquiva sans aucun souci.
- Khora ! Maudit sois-tu, sac à plumes !
Le ptérocorvus partit se poser sur la branche épaisse qui lui servait de perchoir, près de la fenêtre ouverte en persienne, et répondit d’un croassement moqueur à sa maîtresse. Cette dernière fit mine de l’ignorer et partit déposer sa besace sur la paillasse située au centre du laboratoire. Le caractère taquin de son familier - certains diraient sadique, et à raison - était loin d’être une nouveauté. Il s’était toujours comporté ainsi depuis sa sortie de l’œuf. Ceci ne l’empêchait pas d’obéir scrupuleusement aux ordres de la jeune femme, mais sur son temps libre, c’était un véritable diable.
- C’est ça, fais ton fier ! Est-ce que tu m’as ramené ce que je t’ai demandé, au moins ?
Elle eut sa réponse l’instant suivant en apercevant ce qu’il restait d’un crabe tacheté sur sa paillasse. La carapace avait été éclatée à grands coups de bec et le malheureux crustacé partiellement dévoré. Seules les pinces, mélange d’ocre liseré de bleu, restaient intactes. Morag s’empara de la carcasse et, d’un mouvement sec du poignet, brisa le cartilage qui empêchait la pauvre bestiole de se disloquer. Elle prit ensuite un bocal en verre dans lequel elle mit soigneusement les pinces tant convoitées. Le reste du crabe fut simplement jeté au familier. Le rapace attrapa la prise au vol et se fit un grand plaisir de la dévorer, son bec denté le brisant avec la même facilité qu’une petite chenille grasse. La jeune femme haussa un sourcil face au plaisir évident qu’il prenait à déchiqueter le cadavre. Certains jours, elle avait sérieusement de quoi se questionner sur l’état psychologique de sa bestiole.
- Eh bien, à se demander comment tu as pu me le ramener entier. Enfin, façon de parler…
Morag rangea le bocal dans une armoire vitrée, avec une série d’autres contenant divers fragments animaux. Cornes, yeux, peaux, un riche butin qu’elle devait en grande partie aux talents de chasseur de son familier. Après s’être assurée que tous les bouchons étaient encore correctement en place, la jeune femme retourna vers la paillasse. Le crabe n’allait pas lui servir tout de suite, plusieurs projets attendaient encore d’être finalisés. L’un des plus prometteurs reposait dans deux erlenmeyers mis bien en évidence sur la paillasse, exposés aux rayons de la lune.
La fée noire s’empara doucement d’une des fioles. De petites graines blanches de la taille et de la forme d’un haricot trempaient dans une solution bleutée. Un substrat nutritif fortement concentré en maana sidhe. Morag espérait que cette fois-ci, le mélange qu’elle avait utilisé allait lui donner de bons résultats, et non faire mourir les végétaux. Il était difficile de se procurer des graines de plante carnivore en temps normal, mais l’individu source n’était nul autre que Dorothée, mascotte des Absynthes et petit bijou d’Ezarel. L’elfe était très difficile en matière de négociation à ce sujet. Si elle ne le connaissait pas aussi bien, Morag aurait juré qu’il avait un instinct paternel.
- Ça y est presque, je commence à voir le germe. Je n’avancerai pas davantage avant la prochaine pleine lune, donc nous allons pouvoir aller nous coucher. Pars devant, je te rejoins dès que j’aurai fini de ranger ce bazar.
Khora ne se fit pas prier. Sur un dernier croassement rauque, son corps s’évapora en une brume sombre qui s’échappa par la fenêtre. Morag attendit qu’il ait fini de disparaître pour examiner la seconde fiole. La graine qu’il contenait avait pris une couleur violine à cause du soluté à base de sang dans lequel elle baignait. Cette seconde expérience n’était que pure curiosité, l’Ombre ne s’attendait pas à obtenir quelque chose de probant. Néanmoins, cela pouvait valoir le coup de tenter. Son sang de sidhe recelait bien des surprises, même pour elle.
Après s’être assurée du bon état de ses graines, puis de la propreté générale du laboratoire, elle se décida enfin à quitter les lieux pour un peu de repos bien mérité. Elle verrouilla précautionneusement derrière elle, puis prit le chemin de la Salle des Portes, son ombre valsant sur les murs à la lumière des torches.
À l’instar du village, la citadelle était d’un calme absolu. D’ordinaire animé par les déplacements et conversations des gardiens, il n’y régnait plus qu’un silence reposant. Tout en descendant les escaliers en colimaçon permettant de rejoindre le hall, Morag profita de la quiétude que lui offrait la nuit, se disant que la chanson serait bien différente dès le lendemain matin. Elle n’était pas pressée d’y être.
La journée était réservée à l’entraînement des petits nouveaux de l’Ombre, et comme de coutume avec Nevra, il l’avait chargée de tout superviser à sa place. Ce casse-pieds de vampire était l’être le plus sournois et manipulateur qu’elle connaisse. Il l’était déjà à leur rencontre, mais cette partie de lui semblait s’être faite plus présente depuis qu’il avait accédé au grade de chef de garde. Même si c’était loin d’être un défaut compte tenu du climat actuel, Morag restait inquiète à son sujet. Avec tout ce qu’ils avaient traversé, elle n’était pas dupe : la santé mentale du vampire en avait pris un sacré coup.
La Salle des Portes était nimbée de lumière. Une partie provenait des vitraux colorés qui trônaient à une dizaine de mètres du sol. L’autre, plus froide et bleutée, provenait du couloir qui menait au Grand Cristal. La roche sacrée était précieusement gardée dans une salle protégée au plus haut de la tour. Selon l’histoire de la création d’Eldarya, elle serait née en même temps que ce dernier, l’irradiant du maana de ceux qui s’étaient sacrifiés. Nombre de peuples pensaient que c’était la déesse-mère elle-même qui était intervenue pour assurer la survie de ses enfants. Morag, elle, préférait considérer la question avec recul : si tant est que cette déesse ait réellement existé, pourquoi diable laissait-elle le monde qu’elle avait si ardemment aidé à naître sombrer dans la folie et la désolation ?
Toujours en silence, Morag commença à gravir les marches qui menaient au sanctuaire. À mesure que ses pas la rapprochaient du Cristal, la mousse bleutée qui couvrait les murs à l’intérieur même de la tour luisait doucement, dégageant le même maana froid que celui qu’elle avait senti dans le hall. De ses doigts gantés, elle effleura la surface des végétaux et sentit l’énergie se frayer un passage jusqu’à sa peau. Elle trouva le contact glacé et dérangeant, intrusif même, tout l’inverse de ce qu’elle avait entendu.
Tout en progressant, elle se rappela une conversation avec Miiko encore peu de temps auparavant. La kitsune lui avait expliqué l’étrange chaleur qui la gagnait lorsqu’elle entrait en communion avec le Cristal. Une chaleur rassurante, presque maternelle, qui avait le don de l’apaiser. D’autres membres de la Garde, à commencer par Nevra et Ezarel, semblaient éprouver cette même étrange sensation. Seul Valkyon y semblait indifférent, et Leiftan ne s’était guère prononcé sur la question.
Cette sensation de froid s’intensifia lorsque la fée noire arriva devant le sceau qui bloquait le passage. Ykhar en avait trouvé la formule dans un des rares grimoires de magie elfique présents dans la bibliothèque de la citadelle. À l’origine, il s’agissait d’un sort de protection qui affaiblissait ceux que le créateur jugeait comme des ennemis. En le couplant avec un rituel de sang, et avec la participation d’Ezarel, Morag avait mis au point une version qui empêchait purement et simplement les êtres non conviés de le traverser. Il n’était pas particulièrement puissant, mais l’apport quotidien des rayons de la lune le régénérait continuellement.
Elle retira un de ses gants et posa sa paume nue sur le glyphe central. Le sceau gagna en transparence et la couche de verre magique qui protégeait l’endroit se désagrégea le temps que la jeune femme le traverse. Un sort né d’un rituel du sang, quel que soit son usage, reconnaissait toujours celui qui l’avait conçu.
En y pensant, le Sacrifice Bleu était une forme alternée de cette magie antique. Mais dans ce cas, qui en était exactement le ou les créateurs ?
L’air de la pièce était glacial. Morag n’aurait su dire si cela était dû à l’hiver qui prenait doucement ses marques, ou bien tout simplement à la présence de la pierre sacrée trônant fièrement sur son piédestal, irradiant de lumière. Tout du moins, aussi fièrement que pourrait l’être une roche brisée. La jeune femme se souvenait de sa taille démesurée, de sa plus haute pointe frôlant presque le plafond avant qu’un des ennemis de la Garde ne le brise, un peu plus d’un an auparavant.
Aujourd’hui, il n’était plus qu’un fragment. Le sacrilège était si grand que, si la Garde l’avait capturé, celui qui se faisait appeler Ashkore aurait été torturé à mort.
Personne n’avait entendu parler de l’énergumène auparavant. Quelques vols avaient bien été signalés au sein du quartier général, mais le coupable aurait pu tout aussi bien n’être qu’un simple voleur à la petite semaine, tout juste assez intelligent pour ne pas se faire prendre. Alors que l’Étincelante était occupée à négocier un traité de libre-déplacement avec la Cour d’Été, Ashkore avait déjoué la sécurité renforcée pour l’occasion et s’était frayé un passage jusqu’au sanctuaire.
Par la suite, le criminel avait brisé le Cristal. Cela en avait fait l’ennemi public numéro un d’Eldarya. Mais cette réputation ne l’empêchait pas de faire des descentes régulières dans les réserves alchimiques de la citadelle, causant la zizanie à la moindre occasion. À cause de ce type, Morag avait été contrainte de révéler sa magie de sang au reste de la Garde. Rien que pour cela, elle avait une raison personnelle de l’écorcher vif.
Sentant une brusque colère venir lui chauffer le sang, la jeune femme darda un regard venimeux au Cristal. Tout ça à cause de cette saloperie de caillou. S’il était si important, si puissant que les gens se targuaient à le dire, pourquoi n’avait-il pas été capable d’assurer sa propre protection ? L’apparition de l’Oracle était bien la preuve qu’il possédait sa propre volonté. Pour ce qui était de se manifester lors de la naissance de morpions royaux, elle apparaissait tel un ange apportant sa sainte bénédiction, mais pour ce qui était de générer ne serait-ce que le plus basique des champs de force, il n’y avait plus personne.
Eldarya commençait à se disloquer, doucement mais sûrement, et la perte d’une grosse partie du Cristal ne faisait qu’aggraver les choses. La terre se mourrait, les éléments se déchaînaient, les habitants perdaient la raison. Les nobliards des Cours y voyaient là un moyen de monter en puissance et, comme si ce n’était pas suffisamment le bazar avec les guerres qu’ils menaçaient de faire éclater, voilà qu’un illuminé venait faire des siennes.
- Pourquoi ? lança-t-elle d’une voix tonnante au Cristal devant elle. Qu’est-ce que tu as de si spécial pour que ce type t’ait brisé ? Qu’est-ce qui cloche avec toi ?
Pourquoi Ashkore avait-il tenté de détruire le Cristal, en prenant le risque d’y laisser la vie ? Morag avait du mal à cerner ses intentions. Quelles étaient les raisons, qu’importent qu’elles soient obscures tant qu’elles existaient, pour qu’il ait commis un tel acte ? Ce type avait beau lui sortir par les yeux, il était loin d’être stupide. La preuve étant que personne, pas même Nevra, n’avait encore réussi à lui mettre le grappin dessus.
Dès son entrée dans la Garde d’Eel, Morag avait étudié en long, large et travers les livres d’Histoire sur la création d’Eldarya. Elle avait cherché à comprendre les mécaniques profondes de ce monde, et pourquoi il tombait en poussière. En dépit des années, elle ne comprenait toujours pas pourquoi ses proches éprouvaient de la chaleur au contact de cette caillasse alors qu’elle, au contraire, était gelée de la tête aux pieds. Ce caillou, qui avait désormais perdu bien de sa superbe, lui faisait une peur bleue depuis le premier jour.
Cette chose, toute sacrée soit-elle, était une des résultantes du Sacrifice Bleu qui, plus de sept-cents ans auparavant, avait donné naissance à Eldarya. Mais si on glorifiait ceux qui avaient fait don de leur vie pour les autres, le sacrifice en question baignait dans l’ombre. La jeune femme sentait que, quelque part, quelque chose clochait. Les pièces ne s’emboîtaient pas, mais elle ignorait où et pourquoi. Le malaise était là, ça, c’était une certitude.
- Qu’est-ce que tu es vraiment ?
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Chapitre 2 : Morag de l’Umbra
- Saleté d’bouts d’boiiiis !
Le jeune triton fonça sur le premier pantin et esquiva la pale à hauteur de ses côtes. Il n’eut pas autant de chance avec celle à hauteur de visage qu’il se prit pile dans le museau. Le vent généré l’envoya valdinguer quelques mètres en arrière, jusqu’à se prendre le mur dans le dos. De quoi sérieusement le calmer. Hébété par le choc, il s’adossa à la pierre en se tenant la tête des deux mains. Il pouvait s’estimer heureux si, d’ici la fin de journée, il échappait à une bonne commotion.
Des éclats de rire venant de ses comparses retentirent, rapidement calmés par leur instructrice du jour. Cette dernière croisa les bras sur sa poitrine en soupirant. Voilà bien pourquoi Morag n’aimait pas les enfants. En un sens, certains adultes étaient tout aussi immatures, mais au moins elle pouvait leur coller un coup de pied au derrière. Ce n’était pas garanti qu’elle puisse faire la même avec des mômes, du moins pas sans se prendre Miiko sur le poil après.
- Owaïn, si tu tiens tant à te prendre des mandales, c’est chez l’Obsidienne que ça se passe. Pour la dernière fois, ça ne sert à rien de débouler dessus comme un bourrin.
- Mais c’est impossible à prévoir, comme truc !
- Seulement pour les crétins qui ne prennent pas le temps de réfléchir avant de foncer. Sers-toi de ta tête, mais pas comme d’un bélier !
Morag entendit de nouveaux éclats de rire dans son dos. La Garde avait récemment recruté un petit groupe de jeunes venant de la cité d’Eel, et comme elle l’avait craint, Nevra lui avait confié la charge de les évaluer. Une petite formalité pour s’assurer qu’ils avaient les prérequis, qu’il disait. La bonne blague. Ce fourbe de vampire comptait surtout sur elle pour écrémer tout ça vite fait bien fait.
Morag était connue de ses pairs pour être un véritable tyran, en entrainement comme en mission. Cela l’avait propulsée au grade de capitaine de l’Ombre malgré son jeune âge. Sa réputation n’était plus à refaire et agissait presque comme une armure protectrice, mais quand elle voyait les travaux qu'on lui attribuait, elle la regrettait amèrement. Quel était l’intérêt de monter en grade si c’était pour jouer les nourrices ? Eweleïn avait intérêt à avoir fait le plein d’antalgiques, parce que ni sa tête ni les gosses n’allaient s’en sortir indemnes.
Derrière elle, la fée noire entendit un des nouveaux comparer la tête brûlée à un chien fou. Les gamins avaient tellement pris la confiance qu’ils ne se cachaient plus pour cracher leur venin. Pourtant, même s’il était fonce-dans-le-tas, le petit triton avait le mérite de s’investir dans cette épreuve de sélection. Les petits marioles qui se moquaient ouvertement de lui ne pouvaient pas en dire autant.
Agacée par cette énième remarque, Morag attrapa une des épées d’entraînement en bois et la lança d’un revers. L’arme toucha l’adolescent à l’abdomen, le faisant violemment tomber en arrière. Ses camarades s’éloignèrent en un cri de surprise, manquant de terminer à terre eux aussi. Pendant que le gamin se remettait du choc, Morag le toisa d’un regard noir, le surplombant de toute sa hauteur. Elle l’aurait volontiers foudroyé sur place si elle avait possédé un tel pouvoir.
Sa victime du jour était un jeune brownie-cerf qui commençait à peine à avoir ses bois. Il devait avoir dans les seize ou dix-sept ans, mais Morag ne lui donnait pas plus. Il évita son regard en se recroquevillant sur lui-même, livide. Son dossier le présentait comme le fils cadet d’un marchand qui tenait un florissant commerce de soies. Alors que l’aîné était destiné à reprendre les affaires de son père, le plus jeune avait décidé de s’enrôler dans la Garde. Sûrement pour une bête question de fierté.
« Et c’est censé être ça, la relève ? Eh bien, on n’est pas sortis. »
Il faisait moins le fier que le jour de son arrivée. Elle se souvenait de lui, tout fringuant dans des habits bien taillés et à vue d’œil de bonne facture. Sans doute n’avait-il jamais connu les difficultés de la faim et des conflits, celles qui faisaient grandir les enfants bien trop prématurément. Et il avait assurément été trop choyé pour apprendre l’humilité.
- Quand on n’est pas capable d’esquiver un coup d’une telle simplicité, on se passe de commentaires. Mets-toi bien dans le crâne que les imbéciles qui ne savent pas se taire ne font pas long feu ici. Ton nom.
- Ax… Axis, madame.
- Eh bien, Axis, puisque tu sembles t’y connaitre mieux que tes camarades, tu vas nous faire une petite démonstration. Debout, et au trot !
Morag claqua le talon de sa botte au sol, juste à côté de la main droite du gamin. Ce dernier bondit littéralement sur ses pieds et se mit au garde-à-vous, droit comme un piquet. Bien. Il avait au moins la jugeote de la craindre.
Du menton, elle lui désigna le parcours d’obstacles. Surnommés « le Labyrinthe », les quartiers de l’Ombre ne manquaient pas de salles entraînements. La plupart étaient spécialement configurées pour améliorer les aptitudes propres à cette garde : adaptabilité, furtivité, réactivité. La plus redoutée d’entre toutes était plongée dans le noir total, légèrement éclairée ci et là par les mollusques fluorescents qui y vivaient. L’environnement imitait une forêt avec marais, tantôt rocailleuse, tantôt glissante et boueuse. De surcroît, un mécanisme interne permettait de faire bouger le sol et modifier ainsi la disposition des obstacles. Sans aucun repère, les gardiens devaient retrouver la sortie, seuls ou en équipe, en évitant les pièges de pendard qui fourmillaient un peu partout. Nevra s’était amusé comme un fou à les mettre en place.
Morag aurait volontiers réservé cette salle d’entrainement pour ses recrues du jour, mais Miiko le lui avait formellement interdit. D’après la kitsune, il fallait les évaluer et non leur donner des cauchemars pour des semaines. À contrecœur, la fée noire avait par conséquent mobilisé une salle plus classique, bien éclairée, avec quelques armes émoussées gracieusement fournies par la garde Obsidienne. Longue de six mètres sur huit, elle était séparée par trois lignes de tourniquets en bois d’un mètre quatre-vingts de haut chacun. Armés de six pales regroupées en trois rangées de deux, situées à hauteur respective de la tête, du ventre et des jambes, ils tournaient en générant de puissants courants. Les gardiens de l’Ombre avaient coutume de s’en servir pour s’échauffer.
Le but de l’exercice était de passer d’un bout à l’autre sans se prendre un seul coup. Morag avait réglé la vitesse des pales au minimum et enjoint les jeunes à tenter un passage les uns après les autres. Jusqu’ici, seule la plus fluette du groupe, une petite brownie-lapin du nom d’Ysèle, y était parvenue sans accroc. Owaïn, quant à lui, était le quatrième à s’y coller et venait de s’y casser le museau trois fois de suite. Un élément résistant mais sacrément borné.
Axis avança à petits pas jusqu’à la ligne de départ. Les tourniquets fonctionnaient toujours, brassant de l’air en un sifflement strident. Le jeune cerf prit une grande inspiration, puis s’élança vers la première rangée de pales. Il en esquiva une à hauteur de visage sur sa gauche, puis sauta au-dessus d’une autre, à sa droite, qui lui aurait fauché les jambes. À réception, il n’eut cependant pas le temps d’esquiver une des pales de la deuxième ligne, qui le frappa aux côtes et l’éjecta aux pieds de Morag.
- Un gardien de l’Ombre doit savoir agir avec sang-froid et méthode. Il observe, analyse, et cherche la meilleure manière de frapper. Rien ne sert de vous précipiter sur votre cible si c’est pour manquer votre coup et vous faire tuer.
La fée noire attrapa fermement sa recrue par le bras et le releva. Elle maintient son contact quelques secondes le temps qu’il retrouve l’équilibre, et quand ce fut chose faite, l’envoya rejoindre le reste des gamins qui étaient devenus bizarrement silencieux. Elle préférait largement cette attitude. Pour avoir regardé ses réponses au questionnaire de l’Etincelante, Axis était loin d’être idiot. Malheureusement, il préférait user de cette intelligence pour dominer les autres gamins et en tirait une satisfaction évidente. Pour Morag, c’était rédhibitoire.
- Tu t’es allègrement moqué d’Owaïn, mais c’était tout aussi mauvais. Selon toi, qu’est-ce qui n’allait pas ?
- J’ai… J’ai passé les premiers, mais j’ai pas vu le reste. J’ai pas eu le temps de réagir.
- Tu l’aurais eu si tu avais suffisamment réfléchi à ta manœuvre. Si tu te contentes de ne voir que l’ennemi direct, tu te feras abattre par ceux qui t’attendent derrière. Et crois-moi, quand tu seras sur le terrain, il n’y aura personne pour venir te sauver les fesses.
Morag porta la main à la poche arrière de son pantalon et en extirpa un ruban de soie. Ses cheveux, d’un noir rehaussé de reflets violacés, lui caressaient les épaules en ondulations souples. En temps normal, elle ne prenait soin de les attacher que pour s’adonner à l’alchimie. Toutefois, par expérience, mieux valait ne rien laisser dépasser avec cet entrainement. Une mèche prise dans les pales arrivait très vite.
Visiblement, les mômes allaient avoir besoin d’une seconde démonstration.
- Bien. On se tait et on observe, ce sera la dernière fois. Après, à vous de jouer.
Morag réajusta la large ceinture en cuir qui lui entourait la taille, où deux stylets en argent luisaient sous la lumière baignant la pièce. Le reste de son uniforme était dans la simplicité : une longue veste noire lui moulait les épaules et les hanches, dissimulant le body violet en dessous. Le tout était complété d’un pantalon noir et de bottes à lacets dont les semelles épaisses étouffaient le bruit des pas. Contrairement aux Absynthes ou Obsidiens, la tenue des Ombres était épurée et près du corps. Il aurait été dommage qu’une mission demandant une discrétion totale soit compromise à cause d’une armure bruyante ou d’un bout de tissu volant.
La jeune femme se positionna en face des tourniquets. Lorsqu’elle avait intégré la Garde, se confronter à ces monstres de bois l’effrayait. Elle s’était pris de nombreux coups, et son instructeur de l’époque avait eu un malin plaisir à l’y réexpédier jusqu’à ce qu’elle réussisse. À force de s’y frotter, elle avait compris comment chacune des pièces de chaque rangée tournait. L’exercice s’était alors avéré beaucoup plus simple.
La première rangée était relativement facile à passer : si un tourniquet tournait dans le sens des aiguilles d’une montre, ceux d’à côté faisaient l’inverse. Les trois étages de pales allaient à la même vitesse, dans le même sens. La deuxième était déjà plus complexe : le sens était identique à la première, mais la vitesse des pales sur un même tourniquet variait. Quand à la troisième, le sens et la vitesse de mouvement des pales s’alternaient sur chacun des tourniquets.
Morag fit un pas. Deux. Puis s’élança. D’un saut, elle passait au-dessus des deux pales inférieures de la première rangée. En revenant à terre, elle laissa ses jambes vaciller et se glissa sous la deuxième rangée en un rouler-bouler. Enfin, profitant de la vitesse prise, elle sauta par le trou laissé par les pales intermédiaires de la troisième rangée. Elle se réceptionna sur la main droite, utilisa le reste de son élan pour se retourner et retomba sur ses jambes sans aucune difficulté.
La gardienne contourna le champ de tourniquets et revint calmement auprès de son groupe de recrues. Parmi la dizaine de jeunes qu’on lui avait refourgués, elle croisa le regard lumineux de trois d’entre eux, dont le petit triton. Vu leur grand sourire, elle pouvait supposer sans risque de se tromper qu’ils avaient hâte de s’y frotter. Une attitude de ce genre était plutôt prometteuse pour de futures Ombres. Axis, de son côté, semblait sur le point de se liquéfier.
- Maintenant que vous avez vu comment faire, à votre tour. Axis.
- J-Je peux pas, m’dame. Je ne veux pas y retourner…
- Tu feras comme les autres. À toi.
- Non, je veux pas !
- Je vois… Dans ce cas, recule et ne t’avise plus de l’ouvrir avant la fin. Si je t’entends encore une fois, ces tourniquets seront le cadet de tes soucis.
Le jeune poussa un glapissement apeuré. Morag soupira, se retenant de le renvoyer malgré tout dans les pales à coup de pied dans le derrière. Lorsqu’elle avait leur âge, elle avait rapidement appris que montrer sa peur pouvait coûter très cher. À son époque, la Garde d’Eel était dirigée par Yunoki et ne ménageait pas ses jeunes. Sitôt équipés, ils étaient catapultés sur des missions de terrain où certains d’entre eux se faisaient littéralement massacrer. Les autres apprenaient à survivre bon gré mal gré. Prédateurs, bandits, plantes venimeuses, les causes de décès ne manquaient pas et seuls ceux qui étaient assez forts ou rusés pouvaient s’en sortir. Être les deux était le combo gagnant, mais malheureusement, cela ne suffisait pas toujours. Morag connaissait quelqu’un de cet acabit, qui aujourd’hui n’était plus à ses côtés. Elle s’était pourtant toujours attendue à partir avant lui.
- Ysèle, vas-y. Voyons voir si Fortuna est toujours de ton côté.
La gamine s’élança sans se faire prier. Contrairement à ses comparses, elle prit quelques instants pour regarder le mouvement des tourniquets, avant de s’avancer à petits pas. Elle sautilla au-dessus d’une des pales et en esquiva une autre d’une roulade. La première rangée fut passée avec brio. Arrivée à la deuxième, elle manqua de se prendre un coup dans la figure et se laissa tomber à genoux juste à temps. Elle glissa sous la deuxième rangée, puis passa la troisième d'un saut. En nage et le souffle court, elle revint sous les encouragements des autres jeunes.
Morag sourit quand la gamine se tourna vers elle avec ses grands yeux rubis, à la recherche de son approbation. La fée noire lui donnait à peine quatorze ans, l’âge minimum requis pour s’engager. Menue et courte sur pattes, à l’apparence de brindille prête à se briser, la brownie ne payait pas de mine au premier abord. Morag elle-même était aussi frêle le jour où elle s’était enrôlée, et cela ne l’avait pas empêchée de faire son bout de chemin. Elle était curieuse de voir comment cette petite allait bien pouvoir évoluer sous son tutorat.
Ysèle arriva à hauteur de ses camarades, toute fière, et tapa dans la main d’Owaïn qui s’élança pour un quatrième essai. Ainsi que pour un quatrième coup de pale dans la figure.
- Mais quelle bourrique, réfléchis un peu avant de foncer ! Et ça te fait rire, en plus !
Pour eux, l’exercice ressemblait à un jeu. Morag les trouvait bien insouciants, mais au moins avaient-ils appliqué ses consignes. Sauf pour quelques fortes têtes. Le reste du programme allait lui permettre de savoir si certains d’entre eux conviendraient mieux à l’Obsidienne ou à l’Absynthe. Du reste, le temps allait finir de les façonner.
Aujourd’hui, la mentalité de la Garde avait heureusement changé, et bien des atrocités jugées normales autrefois n’étaient plus que de sinistres souvenirs. Toutefois, par manque de sélectivité lorsque les recrues venaient signer, elle se retrouvait à devoir materner des gosses qui étaient tout juste assez autonomes pour se moucher tout seuls. Elle avait déjà une idée de qui elle allait garder, refourguer à ses collègues, ou tout bonnement recaler.
L’espace d’un instant, en voyant ses jeunes s’adonner à un exercice qui lui était si familier, elle se laissa bercer par ses souvenirs. La fée noire avait rejoint la Garde d’Eel en 3E 714. La sept-cent-quatorzième année de l’ère de Nieve. Onze ans auparavant.
En ce temps, il n’y avait pas de limite d’âge pour s’enrôler. Les épreuves étaient communes et se passaient dans la cour du quartier général. Des dizaines de jeunes amassés en rang, attendant leur tour avec tantôt de la peur, tantôt de l’excitation, tantôt bien d’autres choses qu’eux même ne comprenaient pas. Beaucoup d’entre eux étaient des enfants réfugiés qui cherchaient une échappatoire à la misère et l’errance.
Elle se souvenait de cette gamine toute frêle perdue au beau milieu d’adolescents bien plus grand qu’elle. La panique montait, son sang bouillonnait. Elle voulait laisser sa magie l’enfermer dans une bulle hermétique, loin de tout, et se couper d’un monde qui l’effrayait.
Puis une paire de mains s’était posée sur ses petites épaules. Une fraîcheur revigorante l’avait doucement gagnée, apaisant son cœur qui battait bien trop vite. Elle se souvenait du regard bleu, perçant et déterminé, de ce garçon qui à l’époque déjà débordait d’insolence. Un autre, plus jeune, persistait à rester caché derrière lui, ses yeux dorés à peine visibles derrière sa trop longue frange.
« Tant qu’on reste ensemble, tout ira bien. Hors de question qu’on laisse notre petite princesse toute seule ! »
- Tu parles, murmura-t-elle pour elle-même. C’est pourtant à cette même princesse que tu as laissé les rênes, crétin de dragon…
Nevra poussa un profond soupir. Il se prit la tête entre les mains en se demandant quand est-ce qu’il allait enfin pouvoir quitter ce bureau de malheur. La migraine carabinée qui lui broyait le crâne faisait des siennes depuis des heures déjà et ne semblait pas décidée à partir. Il en avait vraiment marre.
Il en était à sa troisième nuit blanche d’affilée et ne s’était pas alimenté convenablement depuis tout autant de temps. Il donnerait cher pour pouvoir s’abreuver à même la veine d’une jeune demoiselle, bien au chaud dans l’intimité d’une chambre. Le sang revêtait un goût tout particulier en fonction de la nature et des émotions de la source. Il n’y avait rien de tel qu’un sang chaud imprimé de désir et d’excitation pour requinquer un vampire fatigué. Recueilli en plein acte, le divin breuvage revêtait un goût incomparable. Il en salivait déjà.
Le chef de l’Ombre fut sorti de son état de léthargie par une liasse de papiers lui tombant brutalement sous le nez. Il sursauta sur son siège, avant de darder un œil venimeux sur la fautive. Cette dernière se contenta de s’asseoir à même le bureau en le défiant du regard, bras croisés sur la poitrine. Monsieur lui refilait une corvée et osait râler par-dessus le marché, c’était le comble.
- Bonjour à toi aussi…, maugréa-t-il en se massant l’arête du nez.
- À cette heure-là, ce serait plutôt « Bonsoir ». J’ai rendu mon verdict concernant les mômes.
Nevra jeta un rapide coup d’œil à la pile de dossiers en parchemin légèrement jauni. La couverture de certains d’entre eux était marquée d’une cire rouge sur laquelle était tamponné l’insigne des gardes Ombre ou Obsidienne. Le vampire récupéra ceux concernant la première et laissa échapper un sifflement faussement impressionné.
- Dis donc, trois d’un coup ? Et deux pour l’Obsidienne ? Mais c’est que notre dame devient clémente avec la vieillesse.
- Va te faire voir. Donne-moi des recrues avec un véritable potentiel et mes sélections seront plus performantes, c’est une bête question de logique.
À chaque cession, Morag ne gardait qu’un nombre infime de recrues. Ses critères étaient basés sur ceux de l’ancienne Garde, ce qui avait le don d’épurer drastiquement la première sélection faite par l’Etincelante. Certains de ses compères, même au sein de l’Ombre, la jugeaient comme bien trop sévère dans ses jugements. Elle, pour sa part, préférait considérer qu’il valait mieux recaler un jeune tout de suite plutôt que de le voir six pieds sous terre quelques mois plus tard. Si de telles sélections avait été mises en place quand elle-même était entrée dans le Garde, de nombreuses morts inutiles auraient été évitées.
- J’ai confié les nouveaux à Karenn, elle s’occupe de leur faire visiter les lieux. Je suis bien forcée d’admettre que tu avais raison concernant Ysèle. Elle est jeune, mais elle pourra faire un très bon élément avec du temps.
- Bien, bien… Est-ce que tu as prévenu Valkyon pour les deux autres ?
- Oh oui, et il était ravi. On va voir s’il le sera toujours quand il aura vu Owaïn.
Le vampire se contenta d’un hochement de tête et laissa immédiatement échapper une grimace. La fée noire n’aurait su dire ce qu’il marmonnait, mais la manière dont il se tenait le crâne était plus que parlante sur son état. À trop forcer, il s’en rendait malade. La jeune femme sortit une petite fiole en verre de sa poche et l’agita sous le nez de son chef. Un liquide rouge et épais collait aux parois, brillant sous la lumière artificielle du plafonnier.
- Tiens, je viens de le prélever. Avale avant de me claquer entre les mains.
Nevra sembla comme reprendre vie et attrapa le présent à pleine main. Il fit sauter le bouchon avec les dents et avala le contenu d’une traite. Le maana contenu dans le fluide vital chaud et sirupeux abonda dans son propre corps, le faisant pousser un long soupir d’aise. Morag n’avait prélevé qu’une vingtaine de millilitres, à peine de quoi faire une bonne gorgée, mais il ne lui en fallait pas plus. Le sang des fées noires, gorgé de leur magie, était riche en énergie comme en saveur. Malgré toutes les créatures auxquelles il avait déjà gouttées, il n’avait pas encore réussi à retrouver une équivalence.
- Par l’Oracle, il est encore chaud !
- Profites-en bien, parce que je n’ai pas envie de m’ouvrir une autre veine pour t’en donner plus.
- Donc tu t’es taillé la peau exprès. Quel honneur. Comment est-ce tu as su qu’il m’en faudrait ?
Morag haussa les épaules, trouvant soudainement la lampe du bureau très intéressante à fixer. Nevra avait beau faire l’imbécile en public, en réalité, il était très loin de l’être. Le code de conduite qu’il s’imposait une fois en mission le poussait souvent à négliger sa santé, à commencer par son alimentation. Difficile de se concentrer s’il devait chasser, et le sang conditionné qui lui faisait office de rations était loin de le satisfaire. Après deux semaines de mission, Morag craignait de le retrouver en sale état. Malheureusement, elle avait vu juste.
- Disons que j’ai eu du flair. Mais c’est tout ce que tu auras, tu as intérêt à tenir jusqu’au lit d’une de tes conquêtes d’un soir.
- Ne t’en fais pas, c’est ce qui est prévu au programme. J’avais toutefois peur d’exsanguer quelqu’un si je sortais de ce maudit bureau.
- Et dire que je suis entrée sans m’en soucier, souffla-t-elle, j’aurais dû prévoir une fiole au poivre.
- Monstre, tu n’aurais pas osé ?
Le vampire nota le petit sourire en coin de sa capitaine. Il se passa brièvement la langue sur les lèvres, recueillant les quelques gouttes de sang y restant, et se cala dans le fond de son siège en un profond soupir d’aise. Il se sentait déjà aller mieux. Revoir Morag lui faisait plus de bien qu’il ne l’aurait pensé, et ce n’était pas seulement grâce au sang qu’elle lui avait gracieusement donné. Le temps lui avait paru désagréablement long.
Le chef de l’Ombre revenait d’une mission à Balenvia, une petite région forestière de la Contrée de l’Est, dépendante de la Cour de Printemps. Une énième mission diplomatique où ses capacités de manipulation étaient plus que bienvenues. Il n’avait pas eu le temps de souffler que, sitôt de retour, Miiko l’avait convoqué de toute urgence avec le reste de l’Etincelante. Cela avait bien servi sur l’instant, lui permettant de refourguer la corvée de la sélection à sa capitaine sans qu’elle ne l’étripe sur place. Avec du recul, il aurait encore préféré s’occuper des mômes lui-même.
- Alors, qu’est-ce que cette réunion avait de si important pour que l’on ne nous dise rien ?
- Qu’est-ce qui te fait croire qu’elle était aussi importante ?
- Oh Nevra, à d’autres. Il en faut beaucoup pour te fatiguer de cette façon. Accouche donc, j’aimerais bien aller dormir, moi-aussi.
Le vampire se retint de targuer qu’elle était tout aussi nocturne que lui mais se ravisa. Le sommeil le guettait, l’énergie lui manquait, et il avait hâte de filer sous des draps chaud en charmante compagnie.
- Ashkore a été aperçu dans l’enceinte du quartier général. Nous n’avons pas encore fait le tour de tous les inventaires, mais il a pour sûr cambriolé le laboratoire d’Ezarel.
La jeune femme accusa le coup, avant de lâcher ce qui sembla être un rire nerveux. Le vampire sourit en retour. Il aimait bien l’entendre rire, mais étant donné la suite, ça n’allait pas durer.
- Cet enquiquineur était dans le QG, et vous ne nous avez pas prévenus ? Pourquoi ne pas lui ouvrir nos portes en grand, à ce stade ?
L’Etincelante savait qu’il était entre ces murs, mais n’avait pas jugé bon de donner l’alerte ? Quels idiots ! L’Ombre comptait dans ses rangs des traqueurs hors-pair, et l’Obsidienne des guerriers qui avaient maintes fois fait leurs preuves sur le terrain. Quant aux Absynthes, certaines de leurs potions vicieuses - inventées par Ezarel essentiellement - auraient pu aisément le désorienter. Certes, les gardiens lambda n’avaient pas encore réussi à mettre la main sur l’hurluberlu jusque-là, mais sans leur concours, cela ne risquait pas de changer.
- Avant que tu ne m’en colles une, crut bon de préciser Nevra, tout cela s’est passé hier soir. Ce matin, j’ai à peine eu le temps de saluer Miiko qu’elle m’est tombée dessus. Elle ne m’a pas donné le loisir de prévenir Shaïtan.
- Vu tout l’amour que me porte ta boule de poils, je doute qu’elle m’aurait fait passer le mot de toute manière. Est-ce qu’on sait ce qui a disparu ?
- Dans le laboratoire principal, oui, mais j’attends le rapport de Valkyon pour le reste de nos réserves. Après tout, il a déjà dévalisé les forges par le passé. Il faudra aussi que tu fasses l’inventaire de ton côté, on ne sait jamais.
- Je vois, je n’y manquerai pas…
Nevra sourit de nouveau face à l’œillade meurtrière de sa collègue. Le laboratoire privé de Morag fourmillait d’ingrédients rares et de potions ayant chacune nécessité des mois de travail. Ces travaux avaient d’autant plus de valeur aux yeux de la jeune femme qu’elle s’était littéralement saignée pour les mener à bien. Par le passé, Ashkore ne s’était pas privé pour aller s’y servir, et la fée noire n’était pas prête de l’oublier.
- Concernant le labo du Verger ?
- Outre des ingrédients de base, cette fois-ci, il est arrivé à ouvrir le coffre-fort. Il a chapardé un cœur de dragon et d’autres ingrédients de cet acabit, il ne reste presque plus rien.
Deuxième temps de silence, plus pesant que le précédent. Morag se retint de déglutir, prise aux tripes par un mélange âcre de crainte, peine et dégout. Il y avait décidemment des jours où elle était bien contente de ne pas connaître tous les secrets de l’Etincelante. Elle avait déjà suffisamment matière à cauchemarder comme ça.
- Un cœur de dragon… quelle horreur.
- Je n’en ai jamais vu de mes propres yeux, ça pourrait tout aussi bien être une plante ou une pierre précieuse. Et c’est plutôt ironique venant de quelqu’un qui a déjà utilisé un encéphale de gobelin frais pour un de ses rituels.
- Rituel dont, sauf erreur de ma part, nous avions besoin pour protéger le Cristal. Merci de ne pas oublier ce détail, surtout que c’est toi qui lui as ouvert le crâne, à cette pauvre bestiole. Bref…
La fée noire se pencha en avant et s’appuya de tout son poids sur les accoudoirs du fauteuil. Elle fixa Nevra dans le blanc des yeux, tel qu’elle le faisait pendant ses interrogatoires. Il aurait volontiers trouvé cela tentant en d'autres circonstances.
- L’autre a encore fait des siennes, j’entends bien. Mais il y a quelque chose que tu ne me dis pas, je me trompe ? Ça va au-delà de ça.
- C’est-à-dire ?
- Ne fais pas le mariole avec moi. Le coffre-fort du Verger était bien fourni, mais pas assez pour déclencher un état d’urgence. Et s’il y avait eu des morts, j’en aurais entendu parler. Donc, il s’est passé autre chose de suffisamment grave pour faire paniquer Miiko. Quoi, c’est la question.
Le vampire étouffa un pouffement, à la fois amusé et agacé. Il aurait pu le parier, elle ne comptait le laisser s’en tirer à si bon compte. Tous deux se connaissaient bien avant d’entrer dans la Garde, ils avaient eu le temps de se connaître et se rapprocher. Jadis, Morag avait la frimousse douce, presque fragile, d’une petite poupée de porcelaine. En grandissant, elle avait gagné en dureté de traits et de caractère, si bien que Nevra peinait à y reconnaître la gamine de son enfance. Cependant, son esprit aiguisé et sa perspicacité n’avaient pas changé. Cela lui donnait un charme auquel il n’était pas indifférent.
Miiko avait prévu de la convoquer le lendemain matin avec les chefs de gardes, mais mieux valait que le vampire déblaye le terrain avant. Histoire qu’il n’y ait pas trop de casse. Valkyon mis à part, il était bien le seul capable de la calmer sans qu’elle ne l’esquinte.
- Est-ce que tu as fait un tour dans la Salle du Cristal, la nuit dernière ?
- Oui. Comme souvent. Je n’y ai rien vu de particulier.
- Tu as dû la manquer de peu, dans ce cas. Hier soir, Miiko a intercepté une humaine dans la citadelle. Elle serait apparue directement dans la Salle du Cristal.
Silence une énième fois. Nevra observa avec attention le visage de la jeune femme blêmir. Elle n’avait déjà pas la peau bien colorée, nature de fée noire oblige, mais cette fois-ci elle était livide. Rarement, il avait eu l’occasion de voir une telle expression d’horreur sur ce minois d’ordinaire impassible. On aurait pu craindre qu’elle se brise entre ses mains s’il se risquait à la toucher. Cela était aussi surprenant que fascinant.
- Vous l’avez tuée, au moins ? Pitié, dites-moi que vous l’avez tuée séance tenante.
- Pas tuée, non.
- Alors enfermée ? Dans les geôles, très loin de nous ?
- Essayé, mais pas longtemps. Morag, l’Oracle est apparue devant cette fille. En conséquence de quoi, elle intégrera une de nos gardes. Notre garde.
Morag ne pipa mot, gelée de la tête aux pieds. Elle ouvrit la bouche, à la recherche d’une réplique bien cinglante, mais fut incapable de trouver. Cette fois-ci elle en était sure, ce monde partait vraiment, mais vraiment en vrille.
Note - Petit point historique
L’Hsitoire de la Faery se découpe en trois ères, un peu comme l’Histoire humaine. Les deux premières sont d’ailleurs calquées sur le même principe :
- Première ère - Ere d’Imva
Il s’agit d’un terme générique pour désigner toute période avant l’écriture officielle de l’Histoire par les humains. À l’heure actuelle, il n’existe plus aucune donnée dans les archives d’Eldarya. On ne sait pas exactement quand est-ce que cette ère termine, ni quand la deuxième commence. En se basant sur les quelques écrits restants, on situe approximativement sa fin entre -1300 av JC et -1000 av. JC.
Deuxième ère - Ere de Sothis
Cette ère prend fin au XIIe siècle humain avec les Croisades et le Sacrifice Bleu, qui aboutit à la Création d’Eldarya. C’est l’apogée des grandes puissances magiques comme les peuples du Sidhe, les aengels, les dragons.
Là encore, il n’y a que très peu de données référencées. La plupart des textes y faisant mention sont gardés dans la Grande Bibliothèque Impériale du clan Ren-Fenghuang, dans le temple Est. Leur accès y est fortement restreint et seules les lignées royales peuvent les consulter.
On raconte cependant qu’il reste encore quelques écrits bien protégés en Hajvingar, au nord. Ils contiennent, entre autres, quelques-uns des plus puissants sortilèges de sang et des brides de la genèse d’Eldarya.
Troisième ère - Ere de Nieve
Il s’agit de la plus récente de l’Histoire, elle débute à la création d’Eldarya. Elle n’a été rigoureusement écrite qu’à partir de 3E 400. Les textes antérieurs étaient principalement sous la commande des Cours, ou le fruit de travaux indépendants. Question impartialité et exactitude, on peut donc avoir des doutes.
Aujourd’hui, les plus grosses retranscriptions sont gardées dans les murs de la Garde d’Eel. D’autres données, plus spécifiques aux contrées, sont conservées dans les Cours correspondantes.
Vous pouvez retrouver toutes ces informations dans le lexique.
Dracarys prend place en 3E 725. Dans ce chapitre, Morag précise qu’elle est entrée dans la garde onze ans plus tôt, en 3E 714.
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Chapitre 3 : Un grain de sable dans l’engrenage
Orion avait passé la plus grande partie de son existence dans la cité d’Eel. C’était là où, encore petit garçon, il avait trouvé refuge avec sa mère après la perte de leur village. Il y avait grandi, était passé d’un gosse pétochard à un jeune homme au sang chaud que la Garde de Yunoki n’avait pas manqué d’enrôler. Il avait fait ses armes en tant que gardien de l’Obsidienne, rencontré sa femme et fondé son propre foyer. Une vie tranquille et bien rangée.
Quand il y pensait, cette époque était rude mais il avait ses attaches et ne l’aurait échangé contre aucune autre. Malheureusement, elle était révolue. Il avait suffi d’un seul voyage en bateau, dans les eaux que se disputaient Avalöne et Hajvingar. Sa mère, son épouse et l’enfant venu agrandir leur famille reposaient désormais tous trois dans les abysses. La vie qu’il s’était bâtie s’était effondrée, emportée par une énième guerre entre les grands de ce monde. Aucun n’avait payé pour toute cette souffrance.
Aussi, quand on était venu lui offrir une opportunité de faire changer les choses, il n’avait pas réfléchi longtemps avant d’accepter. Il avait rejoint les forces de celui que l’on considérait comme le plus grand ennemi d’Eldarya. Avec quelques années de recul, il croyait dur comme fer s’être rangé aux côté de la bonne personne. Même si cela impliquait d’avoir davantage de sang sur les mains.
Orion enjamba un tonneau qui trainait près du grand-mat et avança vers la tête de proue, esquivant les hommes qui s’activaient sur le pont. La mer était à peine agitée et le ciel bien dégagé. Un vent provenant du sud-est s’était levé en fin de matinée, gonflant avec force les voiles du bateau. Le brick goélette avançait à bonne vitesse, brisant les vagues sur son passage. Selon les calculs du navigateur de l’équipage, si les conditions météorologiques se maintenaient, le Blazeryon n’aura besoin que de quelques jours pour arriver à destination.
Il arriva près de la tête de proue du bateau, toute de bois sombre. L’imposante tête de dragon nordique fixait fièrement l’horizon, la gueule grande ouverte sur deux rangées de crocs finement sculptées. D’un peu moins d’un mètre de large, elle l’était suffisamment pour qu’un adulte s’y juche sans risquer d’en tomber. Le brownie mit ses mains en porte-voix et cria aussi fort qu’il put. Si le vent était déjà bruyant au centre du bateau, à l’avant, son hurlement était strident.
- Chef ! Nous venons de quitter les eaux d’Eel !
Lance lui tournait le dos, assis en tailleur à même la tête de proue. Le dragon avait retiré son masque qui pendait désormais à sa ceinture, ses cheveux blancs balayés par le vent. Il regardait droit devant lui, silencieux, comme absent. Il n’avait pas bougé de sa place attitrée depuis que le bateau était parti en trombe de l’Île de Nova. Orion attendit qu’il lui réponde, puis réitéra son appel.
- C’est bon, je ne suis pas sourd. On se calme, ces guignols ne risquent pas de nous suivre.
Le ton fut glacé, tranchant. Orion ne put s’empêcher de déglutir. Il sentit la sueur froide lui courir le long de la colonne vertébrale en un désagréable frisson. Depuis que son chef était revenu de son larcin à Eel, une aura meurtrière planait autour de lui, pesante telle une chape de plomb. Du moins, elle était plus pesante que d'accoutumée. Même en temps normal, Lance ressemblait à un fauve prêt à sauter à la gorge de quiconque ferait un pas de travers. Le reste de l’équipage, pourtant fait de guerriers et d’anciens gardiens, évitait soigneusement de se trouver trop près de lui quand il commençait à s’agacer. Dans le genre lunatique, c’était un sacré spécimen.
Distraitement, le dragon manipulait le cœur qu’il avait subtilisé à la Garde la veille. L’organe, on ne pouvait plus authentique, était conservé dans une résine dorée assimilable à l’ambre, lourde et épaisse. Lance savait que ce genre d’ingrédients était parfois utilisé dans certaines formes de magie noire, mais il ignorait lesquelles exactement. Et il n’avait pas spécialement envie de le savoir. Le simple fait d’avoir cette chose entre les mains lui tordait l’estomac, c’était bien pour empêcher la Garde de s’en servir qu’il l’avait prise avec lui.
- Est-ce que c’est vraiment ce que je crois ? lança Orion d’une voix blanche. Pourquoi garder une chose pareille ?
Lance lui glissa un regard froid. Orion était loin d’être idiot, il lui posait une excellente question.
- Le maana se concentre dans les organes vitaux. Le foie, les poumons, le cerveau mais surtout le cœur. Celui-là est une véritable petite bombe de magie prête à servir.
À ses balbutiements, la Garde d’Eel était persuadée qu’elle pouvait redonner de la force au Cristal en lui offrant de la magie sidhe. Par « magie », elle entendait leur sang. Lorsqu’il n’y en eut plus de disponible, les faeries suivirent. Ceux qui avaient le malheur d’appartenir à une race ancienne liée au Sacrifice Bleu risquaient de finir exsangues au pied de ce maudit Cristal.
Le dragon ne pouvait pas dater le cœur qu’il avait entre les mains, mais celui de Valkyon où le sien auraient très bien pu terminer dans le même état. Se faire passer pour des faeliens leur avait sûrement sauvé la vie.
Enfin, en ce qui le concernait lui, Lance gardait quelques doutes. Après tout, officiellement, il n’était plus en vie depuis deux ans.
Deux ans. Cela ne représentait rien à l’échelle d’une vie, pourtant cela avait suffi pour tout changer. Il n’avait qu’à observer Morag pour le constater. La jeune femme s’était littéralement transformée. Ses traits s’étaient durcis, elle avait coupé les longs cheveux qui jadis cascadaient en belles boucles souples dans son dos, adopté un uniforme plus sombre. Pour ne rien arranger, elle était devenue le bras droit de Nevra. Le Corbeau de Fer de la garde de l’Ombre, rien que ça. Une belle ironie quand on connaissait l’aversion des fées noires pour ce métal.
Lance ne pensait pas que cela tournerait comme ça. Il n’avait pas prévu qu’à force de fouiller dans les archives de la Garde, cette dernière cherche à le faire disparaître, purement et simplement. Le « sacrifice éclairé » des dragons, la « trahison » des aengels, l’essor des fenghuangs et leur mainmise sur ce monde, il voulait comprendre. Extraire la vérité de ce qui sonnait à ses oreilles comme une énorme entourloupe.
Tout ce qu’il y avait gagné était sa « mort ». En chemin, il avait perdu son frère et sa fiancée.
Le dragon eut un rire amer. Il pouvait critiquer cette situation autant qu’il voulait, mais c’était précisément lui qui l’avait provoquée. Sa fée n’avait pas changé à cause du casse-pied de vampire commandant l’Ombre, ni parce qu’elle avait révélé son sang de sidhe. Elle avait changé par sa faute. Se faire passer pour mort n’était pas de son initiative, certes, mais les décisions prises par la suite, oui. Il avait sciemment fait le choix de poursuivre ses plans sans elle.
À l’époque, il pensait protéger Valkyon et Morag en les tenant éloignés, mais c’était de la naïveté. Ainsi qu’une grosse erreur qu’il se prenait à regretter. Son frère pourrait éventuellement se ranger à ses côtés, ils restaient liés par le sang et la magie. Mais en ce qui concernait sa fée, il ne fallait pas se leurrer : elle cherchera à lui faire la peau. Amour et haine deviendront indissociables, ce qu’il ne pouvait pas accepter. C’était égoïste, mais il préférait qu’elle se rattache à son fantôme plutôt que de définitivement la perdre.
- Hum ? Qu’est-ce que c’est que ça ?
Son attention fut attirée par quelque chose au loin.
Ils étaient encore à plusieurs jours des terres d’Avalöne, mais les nuages orageux qui en agitaient les eaux étaient déjà visibles. Il pouvait sentir l’air se rafraichir et se charger d’humidité à mesure que le navire avançait. Une couche de brume commençait à onduler à la surface. D’ici peu, l’océan n’allait plus être aussi calme.
- Orion. Que les gars tiennent le cap, nous n’allons pas tarder à atteindre les eaux d’Avalöne. Et dis-leur de s’attacher à quelque chose s’ils ne veulent pas finir en nourriture pour monstres.
Orion s’exécuta sans broncher. Le dragon, pour sa part, rangea le cœur de son semblable dans sa sacoche et se mit debout sur la proue. Calmement, il détacha ses épaulières et les lança sur le pont, puis retira une à une les attaches de son plastron. Un élément après l’autre, son armure termina en vrac au sol. Le vent froid vint lui caresser la peau, lui procurant un long frisson d’aise. Lance avait toujours beaucoup aimé la fraicheur, sa nature de dragon de glace s’était exprimée tôt dans son enfance, à l’inverse de son cadet.
Avalöne, aussi appelée la Contrée de l’Ouest, avait pendant des siècles subi de grands mouvements tectoniques. Aujourd’hui encore, les volcans sous-marins provoquaient régulièrement ras-de-marées et tempêtes.
Celle qui se profilait s'annonçait violente. La hauteur de la houle avait déjà commencé à augmenter. Elle faisait tanguer le bateau qui avait perdu sa vitesse de progression, heurté par le vent cinglant. Le soleil avait disparu derrière une épaisse masse de nuages fourmillant d'éclairs.
Lance sentit la magie irradier dans ses veines. Elle se propagea en ondes de chaleur dans ses bras, ses jambes, engourdissant le bout de ses doigts. Elle gagna sa tête et lui flouta la vue, avant de se concentrer dans son dos, entre les omoplates. Il s’était transformé tellement de fois qu’il ne prenait plus peur en entendant le craquement des os qui se déplaçaient. Une douleur brulante irradia lorsque le bout de ses ailes perça sa peau. Elles se déployèrent en deux toiles d’argent et brassèrent furieusement l’air, repoussant l’eau en face d’elles.
D’une impulsion, le dragon s’éleva. Orion slaloma entre les hommes qui s’activaient à refaire les nœuds avant que le vent n’arrache les voiles. Il en incita deux à s’éloigner des rambardes et chercha la silhouette de son chef dans les nuages. Au loin, une première vague scélérate se profilait, prête à frapper. Les perturbations de la mer d’Avalöne étaient connues pour être les plus meurtrières qui soient, et nombre d’épaves en tapissaient le fond. Si le Blazeryon se prenait une seule de ces vagues, le mercenaire ne donnait pas cher de leur peau.
Soudain, un rugissement déchira le ciel. Un imposant projectile bleu, semblable à une boule de feu, brisa la couche de nuages pour descendre avec violence en direction de l’océan. La déferlante heurta la vague scélérate et en gela la surface. La masse d’eau semblait avoir stoppé sa course, mais le bateau, lui, continuait d’avancer.
Le dragon suivit peu après son œuvre. Ailes repliées, il piqua en direction de la vague et la percuta de plein fouet. L’édifice cristallisé éclata en gros morceaux qui partirent s’écraser dans la houle. Orion ne put s’empêcher d’observer avec fascination le navire fendre le mélange d’eau et de glace pendant qu’au-dessus de sa tête, le dragon reprenait de l’altitude et lâchait un rugissement vainqueur. Blanche comme la neige, la créature semblait faite en argent pur, à l’exception du poitrail et d’une longues lignes de piques le long de la colonne vertébral, d’un bleu tel le Grand Cristal.
Orion lâcha un sourire lorsque le dragon partit à l’attaque d’une autre vague, sous la clameur de l’équipage et le rugissement de l’orage. Oui, définitivement, il était persuadé d’avoir rejoint les rangs de la bonne personne.
- Voila… Désormais, tu as les mêmes informations que nous.
Assise sur les marches qui menaient au Cristal, Miiko observait avec appréhension la réaction de Morag. Le soleil était à peine levé, ses rayons rosés ricochaient sur le minéral pour baigner la pièce dans une lumière nacrée. Le froid de la nuit n’avait pas encore totalement disparu et la kitsune, toute cheffe de l’Etincelante qu’elle était, n’aurait su dire s’il était la cause de ses tremblements, ou bien si elle avait juste peur.
Comme convenu, Morag avait été convoquée en même temps qu’Ezarel, Nevra et Valkyon. Leiftan assistait également à la réunion en qualité de bras droit, en retrait dans un coin de la salle. Il n’était pas rare que Miiko requiert la présence des capitaines en plus de ses chefs de garde pour une entrevue en privé. Plus particulièrement, elle demandait régulièrement à Morag de l’assister.
Du même âge, les deux jeunes femmes s’étaient enrôlées dans la garde de l’Ombre à seulement quelques années d’intervalle. Les séquelles de leur passé respectif et les épreuves passées ensemble les avaient progressivement rapprochées, si bien que la kitsune la considérait comme la plus fiable de ses sœurs d’armes. Au fil du temps, leur duo avait accueilli Nevra, Valkyon, Ykhar, et d’autres gamins que la mort avait fini par emporter.
Même après avoir pris du galon, Miiko voulait que les liens qui l’unissaient à cette famille atypique persistent. Dans un monde où tout n’était que mensonges et mesquineries, où elle pouvait se retrouver avec un couteau dans le dos au moindre relâchement, il n’y avait qu’à leurs côtés qu’elle arrivait à se sentir en sécurité.
- Je voulais t’en parler plus tôt, mais tu t’occupais de tes recrues. J’avais peur de créer un mouvement de panique.
En face d’elle, Morag gardait le silence. Elle ne s’était pas départie de l’air sombre, irradiant de colère, qui lui gelait le visage quand elle avait déboulé dans la salle telle une furie, sommant sa comparse de s’expliquer. Cette dernière s’était alors posée sur les petits escaliers en marbre, aussi calmement que son angoisse lui permettait, pour s’exécuter sans broncher.
- De « mouvement de panique », souffla enfin la fée noire, ben voyons, prend-moi pour une andouille… J’ose vraiment espérer que c’est une mauvaise plaisanterie. Miiko, sérieusement ! Tu t’es tapé le crâne contre un mur ou quoi ?
La concernée sursauta telle une enfant prise en faute. Elle-même n’était pas sûre de ses propres décisions. Le fait que Morag la contredise avec tant de véhémence la faisait davantage douter. Quand l’humaine était apparue dans le sanctuaire hautement protégé du Cristal, Miiko l’avait faite mettre aux fers séance tenante. Elle comptait bien la laisser croupir dans sa cage tant que la situation ne serait pas stabilisée au quartier général. Alors seulement elle s’occuperait de son cas.
Toutefois, par elle ne savait quel fichu moyen, l’humaine avait réussi à s’échapper. Cet enquiquineur d’Ashkore était sûrement fautif, il n’en loupait pas une pour leur tirer dans les jambes. Rien que pour ça, elle avait voulu brûler cette intruse sur place, mais l’apparition de l’Oracle avait tout changé. Erika ne pouvait décemment pas être exécutée ou enfermée alors que la messagère du Cristal divin était apparue en personne devant elle.
- Je sais que c’est une mauvaise idée… J’étais pour la laisser dans les geôles.
- Eh bien, tu aurais dû rester sur ton idée. Une humaine, bon sang, et venue directement de la Terre ! Pourquoi ne pas directement nous coller une cible sur le front, pendant qu’on y est ?
- Morag, l’Oracle est apparue devant elle…
- Et quelle incroyable nouvelle, tu m’en vois ravie. Rappelle-moi, n’est-ce pas elle qui apparait également quand un de ces morpions royaux vient au monde ? Déesse des désastres.
La voix de l’Ombre était acide, aussi tranchante que les athamés plaqués contre sa cuisse. La kitsune se mordit les lèvres, se demandant s’il fallait la reprendre pour son énième blasphème. Les peuples de la Faery vénéraient le Cristal. Par extension, l’Oracle apparaissait à leurs yeux comme la déesse veillant sur Eldarya. Mais certaines ethnies du Sidhe ne le considéraient que comme un caillou vampirisant l’énergie d’un monde déjà à l’agonie. À une époque où la Garde était beaucoup plus austère, ce genre de pensées était violemment réprimé. Aujourd’hui encore, elles étaient au centre de nombreux conflits en Eldarya. Morag restait davantage pour les gens qu’elle aimait que pour sa fonction.
Miiko, pour sa part, préférait se rassurer en se convainquant que sa camarade ne faisait que dénigrer la noblesse. En soi, elle les haïssait au moins tout autant, malgré qu’elle ait elle-même appartenu à la dynastie des kitsunes de Kyoku, la Contrée de l’Est. Avoir côtoyé la cour de son père lui donnait par ailleurs une excellente raison d’entretenir cette haine. Son enfance à Kyoku fut un enfer.
- Tu vois, je t’avais bien dit qu’elle réagirait comme ça, glissa un Ezarel tout aussi exaspéré que la fée. Cela va nous retomber dessus tôt ou tard. Pas besoin de rameuter la harpie pour le comprendre, avoir un brin de jugeote suffit amplement.
- Pour une fois, je suis d’accord avec la sainte nitouche. Laisser une menace pareille en vie est tout sauf une bonne idée. C’est donner le couteau pour se faire poignarder.
La sainte nitouche et la harpie en question s’échangèrent un regard venimeux. Les deux gardiens n’avaient pas de si mauvais rapports qu’ils laissaient paraitre, ne serait-ce que grâce à leur amour commun pour l’alchimie. Mais lorsque deux forts caractères comme le leur s’affrontaient, il y avait toujours un peu de casse. La kitsune avait fini par ne plus relever leurs sempiternelles querelles. Elle ne comptait plus depuis combien d’années ils se chamaillaient, s’envoyant piques et surnoms à la moindre occasion.
Cette fois-ci, Morag abandonna la première. Elle se massa les tempes en lâchant un profond soupir, excédée. Cette conversation stérile la fatiguait plus qu’elle ne l’aurait pensé. Être en équilibre sur du travail de jour et de nuit commençait à sérieusement jouer sur sa résistance, tant sur le plan physique qu’émotionnel. Elle avait hâte d’expédier ce problème et de prendre quelques heures de repos, avec Khora bien occupé à l’autre bout de l’île.
Lentement, d’un pas calme qui tranchait avec la violence de ses mots, la fée noire vint s’installer à côté de Miiko. Elle posa une main sur les siennes, rongées au sang. Peignés à la va-vite, les longs cheveux lisses de la kitsune se soulevaient légèrement sous la brise qui s’engouffrait par les fenêtres grand ouvertes. Ses traits étaient tirés, ses yeux cernés, sa peau terne, signe qu’elle n’avait pas fait de nuit complète depuis des jours. Pieds nus contre le carrelage, elle tapait nerveusement du talon sous son épaisse cape blanche.
- Je savais que tu serais furieuse.
- Et il y a de quoi l’être. Tu aurais dû me faire appeler tout de suite, plutôt que de t’embarquer là-dedans à l’aveugle. Tu ne peux pas tout supporter toute seule indéfiniment.
- Il le faut pourtant, c’est mon rôle…
- Ton rôle est aussi de te préserver quand c’est nécessaire. Si nous te perdons toi, quoi qu’en disent les langues d’ornak, cette Garde s’effondrera.
La kitsune se pinça l’arête du nez, les yeux irrités par la fatigue, puis dévisagea sa comparse. D’ordinaire bien lové contre sa poitrine, le pendentif en cristal de Morag se balançait doucement au bout de sa chaîne en argent, sa surface translucide se parant d’un camaïeu bleuté sous la lumière. Son annulaire gauche portait toujours sa bague de fiançailles, en dépit du fait que le fiancé en question les avait quittés.
- Pour ce qui est de l’humaine, oui, je suis tout aussi furieuse. Tu sais combien ces êtres peuvent être dangereux. Je ne pense pas avoir besoin de vous rappeler, à vous tous, les dégâts qu’ils continuent de causer en Eldarya. Ni ce qu’ils nous ont fait à titre personnel.
La jeune femme tourna la tête vers Valkyon. Bras croisés sur le torse, l’Obsidien écoutait ses camarades débattre sans chercher à s’immiscer. Il restait en retrait, le regard fixé au loin, comme perdu dans ses pensées. Morag ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Après tout, la mission ayant entrainé la mort de Lance impliquait des humains. Encore eux. Certains souvenirs étaient difficiles à enfouir, particulièrement quand votre fonction vous les rappelait tous les jours. Même s’il était un chef exemplaire, il ne pouvait s’empêcher de se comparer à son défunt frère.
- Ils n’ont pas de maana, mais cela n’en fait pas moins des monstres. On ne pas laisser cette fille en liberté comme ça.
- Je sais tout ça, oui, je sais…
La kitsune se prit la tête entre les mains. Tout en elle trahissait le dilemme cornélien qui l’empêchait de trouver le sommeil : suivre les principes de la Garde et procéder à une exécution préventive ? Ou bien se rattacher à la lueur d’espoir qui venait briser les ténèbres étouffant chaque jour un peu plus Eldarya ? Elle se sentait complètement perdue.
- Je ne sais pas quoi faire. Je veux croire que l’Oracle n’est pas apparue devant elle par hasard. Elle ne s’était pas manifestée depuis des années, alors pourquoi maintenant ?
- Et pourquoi pas ? Ça ne serait pas la première que l’Oracle nous désigne un monstre en devenir tel le messie.
- Morag !
La concernée leva la tête pour mitrailler Nevra d’un regard noir. En cet instant, elle aurait pu parier que son chef l’aurait foudroyée sur place s’il en avait eu la capacité. Et la réciproque était vraie. Pour un sidhe, le vampire était particulièrement dévoué au Cristal. Il semblait avoir oublié que les créatures comme eux étaient autrefois sacrifiées pour le régénérer, sans aucun état d’âme.
- Fais attention avec tes blasphèmes, je te l’ai déjà dit, il me semble.
- Je connais ta sempiternelle rengaine, oui. Et je te le répète, je m’en moque royalement.
- Peut-être, mais pas moi. Jusqu’à preuve du contraire, tu restes sous mes ordres.
Bras croisés sur le torse, il la toisait de toute sa hauteur. Son œil valide luisait d’une teinte argent vive tandis que dans son dos, le soleil venait faire contrejour, l’entourant d’ombres aussi denses que celles qu’il avait dans le cœur. Froides, pesantes, et capable de dissuader la plupart des gens de lui tenir tête. Rares étaient les fois où les deux se querellaient réellement. Des piques, ils avaient l’habitude de s’en lancer en permanence, mais cela restait bon enfant. Aujourd’hui cependant, il voulait rétablir le rapport de forces.
- Sous tes ordres, maugréa la fée noire, la belle affaire. N'attend pas de moi que j'acquiesce la bouche en cœur à tout ce que tu décides. Les humains sont des destructeurs doublés de fieffés menteurs, à qui on ne peut pas et on ne doit pas faire confiance.
- Ils mentent tout autant que les faeries, Morag. La différence, c’est qu’ils n’ont pas de maana pour les trahir. C’est bien pour ça qu’il est plus judicieux de la surveiller un premier temps. Miiko sait que j’ai raison.
Morag observa sa comparse se mordre la lèvre. Il était facile de reconnaître lorsqu’elle était stressée et que son cerveau entrait en ébullition : son visage se déformait d’une grimace, elle se tailladait les mains jusqu’au sang sans s’en rendre compte, ses membres tressautaient. Cet état se soldait immanquablement par une migraine carabinée qui l’alitait des jours durant. Eweleïn avait tenté toutes les méthodes de relaxation, toutes les potions, sans succès. Le mal restait intact.
Comme n’importe qui, Miiko était un être tout en contradictions. Stricte quand il le fallait, capable de faire preuve d’autorité, mais dotée d’un cœur tendre qui la faisait parfois vaciller dans les moments stratégiques. À cause de cette tendresse, elle résistait difficilement au stress. Elle n’avait jamais eu la prétention de devenir cheffe de la Garde, mais il avait bien fallu que quelqu’un se sacrifie après le décès de Yunoki. Que serait Eel sans la bonne poire à cibler dès que quelque chose allait de travers ?
- Alors c’est bien toi qui a eu cette merveilleuse idée ! Je croyais que tu réfléchissais avec ta tête, pas avec ton entre-jambes.
- Oh, crois-moi ma belle, je ne trempe pas là-dedans, lança son chef en un sourire moqueur, aux canines bien visibles.
Cependant, le vampire perdit bien vite ce sourire et reprit d’une voix posée, exempte de toute trace d’amusement. La jeune femme nota la rapidité avec laquelle son unique œil valide perdit de sa lumière alors que son masque mutin disparaissait. Elle ne pouvait s’empêcher de trouver cette capacité à changer de visage comme bon lui semblait aussi fascinante qu’inquiétante.
- Notre marge de manœuvre est étroite. Nous avons essayé de garder l’information confidentielle, mais la nouvelle de son arrivée s’est déjà propagée parmi nos troupes. Si jamais nous décidions de l’exécuter sans motif, nous aurions probablement une révolte sur les bras.
- Elle a tout de même atteint le Cristal. Etant donné ce qu’Ashkore a fait, l’élimination préventive me semble légitime.
- Oui, mais non… Nous sommes tous les deux de l’ancienne école, et si je m’écoutais, j’agirais comme toi. Mais la Garde que nous avons connue est derrière nous. Si nous procédons de la même manière que nos prédécesseurs, nous ne vaudrons pas mieux qu’eux.
Morag sentit la pique lui monter aux lèvres mais parvint à se taire de justesse. L’ancienne Garde était loin d’être parfaite, mais elle n’aurait jamais permis qu’un tel laxisme s’installe à sein d’Eel. Miiko avait beau faire de son mieux pour être une cheffe exemplaire, les membres de sa propre garde lui mettaient des bâtons dans les roues. L’Etincelante était partiellement faite de nobliards, une manière de consolider les traités de paix avec les contrées est, sud et ouest. Malheureusement, ils avaient pris en puissance depuis le décès de Yunoki. Sa protégée n’était pas aussi performante que lui pour les museler.
Quant à Nevra, il était bien mal placé pour donner des leçons de morale. Sous ses airs de dragueur insouciant, il avait certainement plus de sang sur les mains que tous les membres présents réunis, elle-même inclue.
Et soudain, elle comprit. Elle le fixa du regard et surprit le nouveau petit sourire qui étirait ses lèvres. Glacial. Un long frisson d’horreur lui parcourut la colonne vertébrale. Elle aurait dû se douter qu’il y avait anguille sous roche. Ce vampire était décidemment le pire fourbe que ce monde puisse porter, et cette fois, ce n’était pas un compliment.
- Il en est hors de question !
- Allons, allons, minauda Nevra en venant poser ses mains sur les épaules de sa seconde, tu peux bien faire ça pour moi, non ?
- Crame dans les limbes ! Assurer les entrainements à ta place, c’est une chose, mais faire la nounou d’une saleté d’humaine en est une autre !
- Tu n’as pas l’air d’avoir saisi : c’est un ordre. Je ne te laisse pas le choix.
Il accompagna ses mots d’un grand sourire. Morag eut envie de le frapper. Fort. Très fort. Si elle avait eu autant de force que lui, elle l’aurait balancé du haut de la tour pour le laisser s’écraser lamentablement dans les jardins en contrebas. Puis lui aurait décollé la tête du reste du corps d’un bon coup de pied pendant qu’il était à terre.
La colère qu’elle avait réussie à contenir jusque là brisa ses barrières et la submergea. Elle sentit son sang chauffer dans ses veines et un élan de pouvoir affluer dans ses membres. La seconde suivante, une décharge de maana s’échappa de son corps pour propulser le vampire plusieurs mètres en arrière.
Nevra n’eut aucun mal à retomber sur ses jambes et la nargua d’un rire enjoué. Sa camarade maugréa une insulte en vieil elfique, prête à lui lancer un de ses athamés en argent à la figure. Cet idiot cherchait définitivement à la faire sortir de ses gonds, et diable qu’il y arrivait parfaitement. Pour lui, la mettre hors d’elle était un jeu d’enfant.
- Tu veux jouer à ça ? Très bien, on va jouer ! Mais je te jure qu’à la seconde, tu m’entends, à la seconde où j’aurai un doute sur elle, je lui briserai le cou de mes propres mains !
- Ah mais j’y compte bien, justement. Je ne te demande pas ça seulement pour le plaisir de t’embêter.
En un instant, Nevra fut juste elle, à quelques centimètres de son visage. Il posa une de ses mains sur la nuque de la fée noire et colla son front au sien, confrontant leur regard. L’unique œil valide du vampire était d’un camaïeu argenté, tel la lame des dagues qu’il utilisait pour tuer. Une lueur froide et rude qui tranchait radicalement avec sa jovialité de façade. Morag ne put s’empêcher de déglutir, prise aux tripes.
Voilà ce qu’était véritablement le vampire sous ses apparences de coureur de jupons : un monstre au visage d’ange. Un assassin entraîné à abattre ses cibles sans le moindre état d’âme, prêt à les briser physiquement comme moralement. Jamais un acte irréfléchi, jamais une parole en l’air. Jusqu’ici, Ashkore était bien la seule de ses proies encore en vie.
- Tu seras mes yeux et ma lame. Suis l’intégration de cette humaine dans l’Ombre, et surveille-la attentivement. Note tous ses liens, tous ses faits et gestes, je veux tout savoir. Et si jamais elle s’avère être une menace pour la Garde, élimine-la sans hésitation.
- Quelle que soit la méthode ?
- Quelle que soit la méthode. Fais-lui tout ce que tu veux, tu as ma bénédiction.
Note
Un chapitre tout en joyeuseté !
La description de Lance sous sa forme de dragon est sensiblement différente de celle du jeu. C’est intentionnel, j’ai pris la petite liberté de remanier cette partie de lui à ma sauce. Pour vous donner une idée de la chose, le header utilisé pour Dracarys est inspiré de ce passage. La seule différence est que la palette de couleurs est un peu plus bleutée avec le fond.
Par ailleurs, un petit point nécessaire à éclaircir. Gardez bien une chose très importante à l'esprit : les bases sont tirées de la version officielle, mais ça s'arrête là. Les personnages, leur histoire et leur psychologie, oubliez ce que vous pensiez connaître. Autrement vous tomberez dans le piège tête la première.
Dernière modification par WinterSolstice (Le 04-07-2021 à 01h54)