Elle était obsédée par un homme qui avait déjà commencé à l’oublier.
Chez lecteur, je te souhaite la bienvenue dans mon humble demeure. Ceci est une fiction que j’avais déjà partagée sur le forum bien avant cette tragédie qu’a été le Grand Incendie du Quartier Général. Je me présente devant toi aujourd’hui pour la conter de nouveau, car qui suis-je, si ce n’est un troubadour désireux de faire vivre les histoires qu’il a un jour entendues ?
Viens donc, hypocrite lecteur ! Installe-toi, mets-toi à l’aise. Buvons, mangeons un peu. Profitons du temps que nous avons devant nous. Et n’oublie pas d’ouvrir grand tes oreilles ! Tu pourras transmettre cette histoire à qui tu voudras, mais pour cela, il te faudra être attentif.
Viens donc, hypocrite lecteur ! Installe-toi, mets-toi à l’aise. Buvons, mangeons un peu. Profitons du temps que nous avons devant nous. Et n’oublie pas d’ouvrir grand tes oreilles ! Tu pourras transmettre cette histoire à qui tu voudras, mais pour cela, il te faudra être attentif.
*
Mais laisse-moi instaurer quelques règles, au cas-où tu souhaiterais me laisser un commentaire :
➜ Pas de HS, de flood ou de pub !
➜ Pas de sujets "sensibles" dans la fic ou les coms
➜ Commentez de façon constructive (4/5 lignes par post)
➜ Surveillez votre comportement
➜ Pas de conflits sur les topics. Préférez la discussion privée.
➜ Tenez compte des remarques des modérateurs.
➜ Merci de relire attentivement les règles générales du forum pour plus de précisions.
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Les critiques constructives sont les bienvenues dans les commentaires.
Certains de mes lecteurs ont désiré passer un peu plus de temps en notre compagnie pour écouter la suite de mon histoire. Souhaiterais-tu en faire partie ?
Hypocrites Lecteurs
@Mayobaka
@Elysia
@Lillion
@SarahXXX
@June-22
Laissons-nous désormais porter par les souvenirs de l’une des malchanceuses victimes du charme de notre beau Vampire de la Garde de l’Ombre.
Laisse-moi aussi te mettre en garde : cette histoire englobe quelques éléments pouvant heurter la sensibilité de certains. Je ne donnerai pas de détails, mais comme on dit, mieux vaut prévenir que guérir.
*
CHAPITRE 1
Chapitre 1
Il n’était que 22 heures et les clients étaient déjà trop nombreux. Plus que deux heures et elle pourrait enfin se retirer pour la nuit. Comme elle se languissait de pouvoir enfin prendre un bain chaud et de se coucher dans son lit, loin du vacarme du bar et de son air pollué par les clients alcooliques ! Mais la soirée était encore loin d’être finie, et sa voix semblait avoir décidé de se teinter de notes trop graves pour exécuter correctement les morceaux de son répertoire. Elle avait l’impression d’avoir bu de l’acide. Le patron lui en avait fait la réflexion lors de sa dernière pause, ses remarques accompagnées d’un nuage de fumée et d’une claque visant un peu trop le bas de son dos. Nargor n’était pas un mauvais type et d’habitude ses gestes ne la gênaient pas ; mais pas ce soir.
Alors qu’elle s’avançait vers le devant de la scène, une main un peu trop baladeuse vint la confondre avec les strip-teaseuses réservées à la deuxième partie de la soirée ; un regard prononcé au videur suffit pour que Graël vienne remettre le poivrot en place. Une autre erreur, et on le retrouverait probablement avec des dents en moins, à quelques rues de l’établissement.
Un frisson vint faire ciller sa voix, et elle vit Nargor lui jeter un regard en coin depuis l’arrière du bar. Elle savait parfaitement qu’il n’était pas en mesure d’accepter ses états d’âme. Elle lui rapportait bien trop de fric pour qu’il lui permettre de se laisser aller. Il n’accepterait pas qu’elle perde des clients.
« Mon p’tit Wispirit », qu’il l’appelait depuis ses débuts sur la scène de la taverne, surnom dont il l’affublait grâce à la clientèle ayant commencé à investir les lieux depuis son premier succès. Avant son arrivée, l’établissement n’était qu’une pauvre place miteuse envahie par la vermine venue noyer ses problèmes dans l’alcool. A cette époque où elle n’était qu’une petite serveuse bien trop souvent sifflée par les ivrognes, les soirées se finissaient souvent dans la violence. Ce fut suite au décès de l’ancienne chanteuse – victime de l’attention un peu trop poussée de son compagnon – qu’elle fut envoyée sur scène. Peu importait ce qu’elle pouvait en dire, cette malheureuse opportunité avait quelque peu amélioré la merde qu’était sa vie.
Ses yeux divergèrent vers une table qu’elle connaissait bien, désormais uniquement remplie par les fantômes mélancoliques de ses souvenirs. Encore une cassure accompagnée d’un regard noir, et Aria décida que cette chanson serait suivie d’une pause bien méritée. Elle en avait assez de se forcer.
Elle se souvenait de la première fois où elle avait été invitée à s’asseoir à cette table en tant que chanteuse. C’était lors de la soirée d’inauguration de ce « palace » qu’était devenu le Plaisir d’Aria, nommé à l’image de la jeune femme. Les autres filles voyaient cela comme un honneur d’avoir une taverne aussi réputée à son nom ; mais ladite Aria n’en avait rien à faire de cet endroit, qui était malgré tout sa seule source de revenus.
La danse de ces souvenirs dans son esprit jouait avec les battements erratiques de son cœur meurtri, et elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle ne souhaitait qu’une chose : que cette chanson se finisse pour se jeter sur sa pipe. Elle retint de justesse un soupir alors que les dernières notes résonnaient dans la salle, et elle se dirigea vers les escaliers, aux pieds desquels l’un des poivrots friqués se tenait déjà pour l’aider à descendre. Son sourire parfait et son air suffisant lui donnèrent la nausée, et elle dut se forcer à le remercier pour son aide inutile. Il savait que s’il payait le prix, il aurait ce qu’il voulait. Mais pas tout de suite.
Elle se retint de jurer en croisant le regard réprobateur de Nargor ; elle savait pertinemment que sa prestation avait été merdique, et il aurait pu le lui pardonner s’il avait réellement eu un cœur. Les yeux de cet homme ne s’illuminaient que lorsqu’il recevait de l’argent. Mais elle ne pouvait penser qu’à ses yeux, qui ne cessaient jamais de la hanter, ces orbes d’acier qui gardaient en eux le mensonge d’une promesse.
Elle saisit son manteau, cadeau d’un client trop fortuné, et la fourrure vint cacher sa silhouette mise en avant par sa robe et ses talons noirs. Elle se retint de passer une main dans ses cheveux de jais parfaitement coiffés pour la soirée, et sortit dans l’air froid de la nuit.
L’arrière de la taverne était parsemé de sacs poubelles pleins que le service de nettoyage avait encore « oublié » de prendre. Elle ignora leurs sombres silhouettes et alluma sa pipe, au bout de laquelle vint mourir son rouge à lèvres écarlate. Elle frissonna, et serra son manteau contre elle ; l’hiver était rude cette année, et le givre avait recouvert les routes humides du refuge. Les congères au bord des chemins étaient maculées de boue. En tressautant pour se réchauffer, elle manqua plus d’une fois de glisser sur une plaque de verglas.
Son premier souvenir de la table n°28 remontait à plusieurs années de cela, alors qu’elle commençait à peine à monter sur scène. Il était venu avec quelques-uns de ses amis, pour fêter ce qu’elle avait compris être leurs débuts au sein de la Garde d’Eel. Ils l’avaient invitée à leur table avec le simple but de discuter, et ils avaient longuement parlé de leurs espoirs mutuels de carrière.
Il avait attiré son attention avec ses cheveux noirs et son regard d’orage, voilé à moitié par un cache-œil aussi sombre que la nuit. Son rire avait la puissance de l’océan et la douceur de ses embruns ; elle se surprenait parfois à écouter en boucle l’écho de son souvenir. Elle sourit bêtement alors que la fumée de sa pipe s’élevait devant elle comme un esprit dansant. Elle se souvenait presque de toutes les discussions qu’ils avaient eues, partageant des potins de la Garde, en passant par quelques anecedotes de leurs plus jeunes années.
Elle se souvenait encore de cette fois où elle avait été attaquée par un ivrogne à la fin de son service. Elle lui avait craché au nez et s’était pris en retour un violent coup dans le visage. Alors qu’elle s’attendait à finir comme les jeunes femmes dont les terribles histoires étaient parfois écrites dans les archives de la Grande Bibliothèque, elle avait vu l’homme se retirer si rapidement qu’elle avait cru avoir rêvé. Ce ne fut que lorsqu’elle avait vu sa silhouette baignée dans la lumière d’un lampadaire, tenant le poivrot par le col et le plaquant contre mur le plus proche, qu’elle avait compris que tout cela était bel et bien réel.
Après avoir réglé son compte à l’homme, il avait tenu à la raccompagner chez elle. Il était resté une petite heure, l’aidant à soigner sa lèvre tuméfiée. Il avait appliqué le désinfectant avec la plus grande des délicatesses, et Aria avait été grandement surprise par la douceur qui se chachait derrière l’air farouche du jeune homme.
C’était à partir de cette soirée que les souvenirs avaient réellement pris de l’importance. Il fréquentait souvent le bar avec ses amis ; parfois, il venait seul, et Aria aimait penser qu’elle était la raison pour laquelle il passait ses soirées à observer la scène où elle se tenait.
Elle fut sortie de ses pensées par la vue de la silhouette d’un familier errant fouillant dans les poubelles à quelques mètres d’elle. Pauvre bête, se dit-elle en tirant une dernière bouffée de sa pipe. Il devait être gelé. Elle frissonna en réalisant que des petits flocons s’étaient mis à tomber du ciel. Il était temps pour elle de rentrer. Peut-être prendrait-elle le temps de se remaquiller dans sa loge : le froid l’avait faite pleurer. Ou étaient-ce les souvenirs ?
Laissant un dernier soupir se perdre dans l’air hivernal, elle ouvrit la porte de la taverne, et partit se préparer à affronter de nouveau la marée de clients.
CHAPITRE 2
Chapitre 2
Assise au bar, Aria prit une gorgée d’hypocras, son regard balayant lentement la salle éclairée par des lumières tamisées. A côté d’elle, un homme visiblement ivre tentait en vain d’attirer son attention. Le barman lui avait plusieurs fois refusé une « dernière » boisson, et elle aurait accepté son argent si l’homme ne s’était pas trouvé dans un tel état.
- Allez mam’zelle, articula-t-il avec difficulté, j’ai juste besoin d’un peu de compagnie.
La jeune femme avisa la main du poivrot, qui remonta un peu trop vers le haut de sa cuisse, et fronça les sourcils. Elle offrit un regard appuyé au barman qui, d’un signe de la main, appela le videur, et l’homme fut emmené de force loin d’elle. Aria soupira, savourant cette nouvelle paix que Graël venait de lui accorder. Ce soir, elle n’était vraiment pas d’humeur. Elle ne souhaitait qu’une seule chose : que Nargor revienne de sa soit-disant pause et lui fasse un signe pour qu’elle puisse enfin rentrer chez elle. Il devait encore être en train de faire des remontrances à certaines filles qui « ne lui rapportaient pas assez », comme elle l’avait entendu râler quelques heures plus tôt. Toujours était-il qu’elle aurait déjà dû se trouver sur le chemin de sa petite chaumière, et elle n’avait absolument aucune envie d’utiliser ce temps d’attente pour faire des heures supplémentaires.
- Tout va bien, Aria ? T’as l’air un peu pâle.
La jeune femme releva les yeux vers Noah, le barman, qui lui lançait un regard compatissant. Il devait bien être le seul qu’elle appréciait réellement dans ce trou à rats. Lui aussi avait parfois affaire à des clients un peu trop insistants – comme quoi avoir un joli minois pouvait être une véritable malédiction dans ce métier – et il savait reconnaître les moments où elle se sentait mal, même lorsqu’ils étaient perdus dans cette atmosphère étouffante.
- Disons que c’est pas ma soirée, lui répondit-elle avec un petit sourire.
S’il avait été quelqu’un d’autre, elle l’aurait probablement envoyé chier. Mais Noah était Noah, et il était hors de question pour elle de se montrer mauvaise envers lui. Pas après les nombreuses soirées qu’il avait éclairées grâce à sa simple présence. Parfois, elle se demandait ce qu’une si belle âme venait faire dans un endroit comme celui-ci.
- C’est vrai que tu devrais déjà être rentrée. T’as l’air crevée. Tu veux que j’essaie de trouver le patron ?
- Ne t’embête pas, je vais l’attendre encore un peu. T’as une allumette ?
Il acquiesça, et elle se pencha sur le comptoir pour mettre sa pipe à portée de la flamme. Elle prit une longue inspiration, inhalant la fumée toxique qui lui permettait malgré tout de se détendre un minimum, et se rassit, le bâton destructeur pendu entre son index et son majeur.
Elle se souvenait de la première bouffée qu’elle avait fumée avec lui. C’était durant cette fameuse soirée d’inaugration du nouveau Plaisir d’Aria. Le jeune homme en avait eu assez du brouhaha incessant du bar et avait décidé de sortir un peu, en même temps qu’Aria prenait sa pause après avoir passé plus d’une heure sur scène. Elle avait passé un peu de temps à la table de ce qui était à cette époque un groupe de tous nouveaux gardiens tout juste rentrés de leur première mission, et le visage familier du Vampire l’avait faite l’approcher malgré la semi-obscurité peu rassurante dans laquelle ils étaient plongés.
- Nevra, c’est ça ?
- Tout juste.
- T’as du feu ?
- Seulement si tu me permets de tirer un coup.
La jeune femme avait laissé échapper un petit rire et lui avait présenté sa pipe, remarquant avec dépit qu’elle devrait bientôt racheter de quoi la remplir. En retour, Nevra lui avait donné une allumette, et elle avait allumé sa pipe avec un soulagement non dissimulé. Elle avait passé la journée à s’occuper de clients de la taverne, et elle était épuisée. Cela faisait plusieurs heures qu’elle n’avait pas fumé, et le stress commençait à lui peser sur les épaules.
Ils avaient passé un bon moment à discuter de tout et de rien entre quelques courts silences, et elle se souvenait s’être fait réprimander par Nargor pour avoir dépassé son temps de pause. Mais elle n’y avait pas fait attention. Elle avait passé un bon moment, et c’était le cœur un peu plus léger qu’elle était remontée sur scène peu après, souriant de temps en temps lorsqu’elle croisait le regard de Nevra.
Aria fut sortie de ses pensées par Noah faisant glisser un verre d’eau dans sa direction. Elle lui lança un regard intrigué auquel il répondit par un simple haussement d’épaules, et elle comprit qu’elle avait atteint son quota de boissons pour la soirée. Les barmen avaient pour obligation de ne pas servir plus de quelques verres aux filles, afin d’éviter qu’elle ne se retrouvent ivres en plein service. La jeune femme soupira et se contenta de sucer l’un des glaçons flottant dans son verre, qu’elle croqua brusquement en voyant enfin Nargor rentrer par la porte réservée aux employés. Finissant son verre et faisant un dernier signe à Noah, elle se leva pour se diriger vers son patron.
Il était temps de rentrer.-*-
Le crissement de ses talons sur les graviers des chemins de l’arrière-Refuge résonnait dans les ruelles sombres menant à sa chaumière. Il ne lui fallait que peu de temps pour aller de la taverne à chez elle, mais elle avait appris à haïr ces minutes passées à traverser l’air froid de la cité. Dans ces rues lugubres que seuls quelques lanternes osaient éclairer se terraient les silhouettes rachitiques d’une vermine cherchant en vain à s’abriter de l’air hivernal.
Peu importait le nombre de fois où elle marchait dans ces sombres boyaux, elle ne cessait jamais d’être dégoûtée par les odeurs de pisse qui y rôdaient. Elle ne supportait plus la vue de ces hommes-squelettes en haillons allongés ivres morts contre les murs, de ces poubelles éventrées par les charognards traînant jour et nuit au milieu de son chemin. Elle avait horreur de ces rires d’ivrognes et de ces lumières tamisées crachées par les fenêtres de maisons lugubres où les prostituées vivaient, seuls lieux réellement éclairés du quartier. Le reste des bâtiments, où habitaient le plus souvent de pauvres familles, restait en général plongé dans l’obscurité.
Au-dessus d’elle, les rayons argentés de la lune se perdaient dans une masse de nuages sombres. Des gouttes gelées venaient marteler la peau de ses jambes laissées dénudées par sa robe. Leurs morsures lui rappelèrent celles d’une pluie de serpents vicieux, prêts à lui sauter dessus à la moindre occasion. Aria frisonna. Dans quelques instants, elle pourrait enfin enfoncer sa clef dans la porte de sa petite maison vide de vie. Elle avait songé à prendre un Molecat, mais ses maigres revenus ne lui permettraient pas d’acheter de quoi s’occuper d’un familier. Alors elle vivait seule, ses pensées étant depuis bien trop longtemps la seule compagnie qu’elle pouvait s’offrir.
Comme elle lui manquait, cette chaleur des anciens jours, de ces moments passés à ses côtés, de ces souvenirs abandonnés dans un coin de son esprit ! Il lui arrivait de rejouer encore et encore les visions utopiques qui hantaient sa mémoire.
Elle se souvenait de la fois où Nevra avait déclaré la trouver belle, lui disant qu’il aimait la façon dont ses yeux vairons éclataient de mille feux sous sa chevelure sombre. C’était la première fois qu’on lui offrait un véritable compliment, et elle se souvenait s’être sentie rougir face à de tels mots qui la laissaient d’habitude de marbre.
C’était un soir où il était resté chez elle plus longtemps que les autres. Elle lui avait offert un verre d’un alcool bon marché qu’ils avaient tout de même pris le temps d’apprécier. Ce fut à cet instant qu’ils plongèrent leur âme dans celle de l’autre, et elle se souvenait s’être presque noyée dans la mer orageuse de ses yeux, au sein de laquelle dansait une flamme qui l’avait faite frémir. Ce soir-là, ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre, et elle avait osé l’embrasser.
De tous les hommes ayant pu défiler dans sa vie, il avait été le seul à lui donner un vrai baiser. Il avait fait trembler les fondements de son essence, embrasé son corps tout entier. Elle avait encore le goût de ses lèvres contre les siennes gravé en elle, sentait la douceur de sa chevelure sous ses doigts, l’odeur de sa peau dansant dans son esprit. Il avait réussi à lui faire oublier sa condition merdique, la fange d’où elle venait et dans laquelle elle se noyait quotidiennement.
Comme elle aurait aimé qu’il soit là, à ses côtés ! Sans doute la morsure de la pluie gelée sur sa peau aurait été moins douloureuse. Mais elle en était désormais réduite à se remémorer ces instants avec amertume, priant encore et toujours pour qu’il revienne la voir au Plaisir d’Aria. Au fond d’elle, cependant, elle savait que cela ne serait jamais le cas.
- Resteras-tu avec moi ?
- Bien sûr. Pour toujours.
L’écho de cette promesse réveillait en elle une douleur sans fond, faisait monter un flot de larmes dans ses yeux qui refusaient de les laisser couler. A la place, elle laissa le ciel pleurer pour elle, les gouttes de pluie martyrisant de plus belle sa peau glacée. Aria pressa le pas, peu désireuse de continuer à rester sous cette pluie diluvienne.
Ce fut encore plus frigorifiée qu’elle arriva sur le palier de sa porte, et elle se dépêcha d’enfoncer la clef dans la serrure et de se précipiter dans sa petite chaumière.
CHAPITRE 3
Chapitre 3
Lentement, les yeux fermés, Nevra passa ses mains sur son corps. Il se mit à explorer la moindre parcelle de sa peau, tantôt l’effleurant, tantôt insistant sur ses courbes.
Sa douceur la surprit. Le jeune homme était d’apparence distant, mais la délicatesse dont il faisait preuve alors qu’il enfonçait ses doigts dans le creux de ses muscles laissait entrevoir une personne attentionnée, peut-être même fragile. Mais elle ne pouvait pas vraiment le savoir. Le gardien était un mystère à lui tout seul, rempli de contradictions et d’inattendus.
Aria frissonna. Sa peau semblait froide comparée à celle de Nevra, et elle se sentit peu à peu envahie d’une chaleur nouvelle. Son souffle se fit plus léger alors qu’elle le sentait suivre la courbe de ses hanches, les empoignant presque à pleine mains, pour ensuite remonter en suivant la ligne de son nombril.
C’était la première fois que quelqu’un la touchait ainsi. Aria avait l’habitude de sentir la chaleur d’une main contre sa peau, mais jamais ses clients n’avaient été aussi doux. D’habitude, ils la payaient pour passer une nuit rude et dénuée de sentiments, une nuit qu’ils ne trouveraient jamais ailleurs ; mais Nevra n’était pas un de ses clients, et son toucher avait la douceur d’un pétale de rose, une sensation bien étrange pour elle qui sentait généralement les épines s’enfoncer en elle.
Cette nouvelle sensation qui l’envahissait lui prit délicatement la gorge alors qu’elle observait le visage du jeune homme, que la concentration avait peint d’un air imperturbable. A l’inverse, elle ne pouvait s’empêcher de se laisser aller sous les mains du gardien. Leur proximité la gêna un instant ; mais cet embarras était agréable. Pour rien au monde aurait-elle voulu que ce moment s’arrête, souhaitant savourer indéfiniment le toucher de ces doigts rendus calleux par les cordes d’une guitare, de ces mains qui exploraient à présent ses épaules, les massant lentement. Elle retint un gémissement alors qu’il descendait sur ses cuisses, effleurant involontirement de ses pouces le bas de ses abdominaux.
Tremblante, elle laissa échapper un soupir de bien-être. Le jeune homme éveillait en elle un calme qui ne cessait de la submerger encore et encore, et les frissons qui remontaient le long de son échine la firent inconsciemment se cambrer sous lui. Nevra en profita pour glisser ses mains sous son dos, caressant ses côtes, suivant d’une main les os de ses clavicules alors que l’autre la soutenait.
Aria se détendit lentement. Elle se remémora cet instant où le beau Vampire lui avait dit qu’il aimait écrire pour passer le temps. Et, quelques heures plus tôt, il lui avait avoué la voir comme une muse, et la voir chanter sur scène, vêtue de robes mettant en valeur ses formes qu’elle ne dévoilait qu’à ceux qui souhaitaient payer le prix, le remplissait d’un désir qu’il ne ressentait que lorsqu’il cherchait l’inspiration. Il lui avait demandé, une flamme incertaine dansant dans son regard d’acier, s’il pouvait réserver l’une de ses nuits, durant laquelle il prendrait le temps de la découvrir, tel un bijou que l’on observerait lentement et avec douceur. D’une voix incertaine, il avait dit ne pas savoir s’il se passerait quelque chose entre eux, et lui avait proposé de payer malgré tout ; la jeune femme avait refusé, lui assurant qu’il ne lui devrait de l’argent que s’ils dépassaient une certaine limite. Mais, perdue au fond d’elle, une petite lueur lui assurait que pour rien au monde elle ne lui ferait payer quoi que ce soit. Pas lui.
Les yeux d’Aria se perdirent dans ceux de son compagnon, et elle se demanda ce qu’il pouvait bien penser alors qu’il explorait son corps de caresses à la douceur infinie. Sans doute était-il en train d’écrire un nouveau texte, son esprit perdu dans les brumes de l’inspiration. Elle se sentit soudainement fière de l’aider dans ce processus, mais cette pensée se dissipa rapidement alors qu’elle se laissait emporter dans un brouillard sans nom. Elle vint noyer un long soupir dans le creux de son coude alors qu’elle sentait l’artiste se pencher au-dessus d’elle, prêt à explorer la forme de ses bras.
Mais les mouvements s’arrêtèrent subitement. Nevra n’avait pas ouvert les yeux, son expression restant ainsi inchangée, mais il semblait presque hésitant.
- Ça te gêne ? Demanda-t-il en chuchotant, et elle se maudit intérieurement de ne pas avoir pu retenir son souffle.
- Non ! Non. Tu peux continuer.
- Tu es sûre ? Je peux arrêter, si tu veux.
Leurs voix n’étaient que des murmures, tous deux peu désireux de briser la magie de l’instant.
- Non, ne t’arrête surtout pas, dit-elle en entrelaçant leurs doigts, l’air rêveur. C’est comme un massage.
Elle se retint de mentionner la douce chaleur qui s’était emparée d’elle depuis qu’ils avaient commencé.
Elle aurait pensé que Nevra se serait dérobé, sûrement dérangé dans ses pensées, mais il n’en fut rien. A la place, il exerça une légère pression contre sa paume.
- Alors viens.
Il lui tira doucement le bras, la faisant se redresser et, engourdie, elle ne comprit que vaguement qu’il lui demandait l’autorisation de se tenir aussi proche. Car elle se trouvait désormais assise sur les cuisses du jeune homme, leurs corps à moitié nus ne se tenant plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, et elle eut l’impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine. Elle vint poser sa tête contre l’épaule de son compagnon, entourant son cou de ses bras, lui donnant ainsi accès à son dos, encore par endroits vierge de tout toucher. Il ne le fut cependant plus très longtemps, puisque les mains de Nevra ne tardèrent pas à venir explorer le creux de ses reins, à dessiner les courbes de ses omoplates et à serpenter le long de sa colonne vertébrale en partant de sa nuque, puis de son coccyx. Ses doigts de combattant dessinèrent sur sa peau une mélodie silencieuse, se frayant un chemin jusque dans ses cheveux, massant doucement son crâne, lui faisant plonger le visage dans son cou. Et alors qu’elle savourait son parfum masculin, sa conscience glissant dans les limbes du sommeil, Aria se demanda ce qui pouvait bien se dessiner, à cet instant, dans la tête du gardien.
CHAPITRE 4
Chapitre 4
Aria soupira. Lentement, elle ôta ses vêtements, le froid de sa salle d’eau se frayant un chemin sur sa peau dénudée. Elle frissonna, et se dépêcha de se glisser dans son bain.
Elle savoura le mouvement de l’eau sur son corps. Chaque nouvelle goutte qui se créait un chemin emportait avec elle la pourriture de l’air de la taverne qui lui collait à la peau un peu plus chaque jour. Ces derniers temps, son incapacité à se concentrer sur quoi que ce soit était comme un vent mortellement glacial qui la rongeait de l’intérieur. Les souvenirs de ces instants partagés avec Nevra la hantaient quotidiennement, et dansaient dans son esprit comme des démons moqueurs. Mais à cet instant, la douceur de l’eau formait comme un rempart de chaleur brûlant sans pitié ces mâchoires de glace qui ne cessaient de la mordre.
L’espace d’un instant, elle put se permettre d’oublier cette frustration atroce qui la faisait sombrer dans les crocs de ses démons. Ses muscles se détendirent dans un élan de soulagement, et elle ne chercha pas à retenir un énième soupir, signe d’une délivrance tant attendue. Elle eut l’impression d’être libérée de toute pression, loin de l’univers sans merci dans lequel elle évoluait quotidiennement. Elle sembla devenir aussi légère qu’une plume, et les pensées qui restaient bloquées dans son esprit purent enfin prendre leur envol.
Mais les souvenirs ne lui laissèrent qu’un faible temps de répit, car à peine mit-elle le pied hors de la baignoire que le froid l’enveloppa tout entière, son corps frissonnant face au manque de chaleur. Son esprit sembla lui aussi s’engourdir sous le poids de cette nouvelle couche de glace, et Aria eut la sensation de se noyer dans sa propre tête. La chaleur des mains du Vampire contre sa peau lui manqua soudainement, terriblement, et elle s’enroula dans une serviette en soupirant.
Elle se regarda dans le miroir. Elle était fatiguée. Ses yeux étaient cernés de noir. Elle était pâle sous les restes de maquillage, et ses cheveux étaient en désordre. Mais ce soir, elle ne prit pas la peine de les démêler. A quoi bon lorsque le sommeil se chargerait de les remettre dans le même état pour le lendemain ? Elle passa simplement de la crème hydratante sur son visage mordu par le froid hivernal avant de se rincer les mains.
Elle baissa un instant le regard pour se frotter les yeux. Elle avait mal à la tête. Encore. C’était soudain. Violent. Douloureux. Les démons tambourinaient et sonnaient, frappaient et hurlaient. Ses tempes étaient comme martelées de coups et ses tympans assourdis par une sirène. Elle avait l’habitude de cette sensation qui la prenait quasiment tous les soirs depuis qu’elle avait commencé à passer ses soirées à travailler à la taverne, mais cela faisait toujours aussi mal. Lorsqu’elle releva les yeux, elle en croisa d’autres dans le miroir. Ce n’était plus son reflet. C’en était un autre, qui semblait plus petit, plus chétif. Plus vulnérable.
- Ça fait mal, constata le Reflet.
Cette voix n’était pas la sienne. Elle était plus claire, plus douce, plus silencieuse, bien loin de la sienne rendue légèrement rauque par les centaines de pipes qu’elle avait pu fumer. Elle ne put s’empêcher d’hocher la tête. Que faire, sinon acquiescer ? L’Autre avait raison.
- Ça fait mal, hein ? Mais tu l’ignores. Tu le mets de côté. Tu essaies de l’oublier. Mais quand ta tête se remplit de nouveau, ça revient. A chaque fois. Et tu gardes le silence.
- Nargor ne voit rien. Pourquoi l’alerter ?
- Oh, si, il voit bien que tu es mal. Mais qu’en a-t-il à faire ? Tant que tu lui rapporteras de l’argent, il ne verra que le masque.
- C’est vrai.
- Bien sûr que c’est vrai.
Aria rit doucement. La fatigue l’enveloppait de plus en plus chaque jour, et elle en était venue à parler à son propre reflet. Mais tout ce que l’Autre disait était vrai. C’était comme si sa conscience essayait de lui parler, de la faire se réveiller du cauchemar sans fin qu’était sa vie. Chacun avait ses règles pour jouer à son propre jeu et, parfois, les parties se rejoignaient, cohabitaient. C’était toujours ainsi, et cela lui convenait. Du moins, c’était ce qu’elle essayait de se faire croire.
- Tu as juste envie de te tirer de ce Refuge pourri, pas vrai ?
Le Reflet avait encore raison. Sa voix fluette résonnait entre les murs de son crâne, secouait la vérité.
- Je déteste ce rôle que je dois jouer pour leur plaire.
- Je sais.
- Lui aussi, le détestait. Il aimait lorsque j’étais moi-même.
- Mais il n’est plus là.
- Et ça me rend dingue.
- Oui. Je sais.
Le Reflet savait tout. Elle était toujours là, à la suivre. Personne ne la voyait, personne ne l’entendait. Mais Aria avait conscience de sa présence. Chaque miroir, chaque vitrine devant lesquels elle passait lui montraient Son image. L’Autre était petite, chétive. Tout semblait tellement grand autour d’Elle. Cela lui faisait peur. Elle le savait. Elle le voyait. C’était pour cela qu’Elle restait dans l’ombre.
- Il n’y avait que lui qui comprenait les règles de ton jeu. Qui les avait acceptées.
- Mais il n’est plus là.
- Il t’a abandonnée.
- Il m’a oubliée. Il est devenu une étoile montante au sein de la Garde d’Eel. Le chef de la Garde de l’Ombre.
- Et toi ?
- Et moi, je suis restée au fond du trou.
- Tu es coincée.
- Forcée à jouer à leur jeu.
Aria baissa les yeux. Le Reflet l’observait. Elle le sentait.
- Pourquoi faire des efforts quand personne ne les voit ? C’est inutile.
- J'essaie de leur sourire tout le temps. De parler. Mais je n'ai plus de sujet de conversation. J'essaie d'écouter. Mais ce qu'ils disent ne m'intéresse pas. Je ne sais plus quoi faire. Alors quand je peux, j'exagère. Je ris un peu trop. Je suis excitée sans raison. Et ça leur va. Quand je n'y arrive plus, je leur dis que j'ai mal dormi. Ça leur va. Et je me force à continuer.
- Mais ?
- Mais j'ai mal aux joues, à force de sourire.
- Ça fait mal.
Elle acquiesça. L'Autre acquiesça avec elle. Elle eut comme la sensation de vouloir pleurer. Mais rien ne vint.
- Tout ce que tu fais sonnes faux. Mais tu dois continuer. Alors tu te caches, et portes un masque qui n’est pas le tien.
- Ça leur va.
- Bien sûr que ça leur va. Tant que tu souris et que tu leur donnes ce qu’ils veulent, ils seront contents. Tu n’es qu’une pauvre prostituée, après tout. Rien d’autre. N’est-ce-pas ?
N’est-ce-pas ? L’espace d’un instant, leurs voix se mélangèrent. Elle ne sut plus laquelle était la sienne. Laquelle était la Sienne. Le Reflet avait raison. Comme toujours. Aria ne savait pas pourquoi, mais Sa voix était toujours là, dans un coin de sa tête. Son apparence était à moitié la sienne. Avait-elle inventé ce Reflet, ou était-elle simplement le Reflet ?
Aria s’éloigna du miroir et s’en détourna, laissant sa serviette tomber sur le bois froid. Elle se dirigea vers sa chambre et enfila un simple peignoir satiné, cadeau d’un de ses trop nombreux clients. Elle s’assit sur son lit, le regard plongé dans le vide. Le ciel commençait à se peindre de couleurs orangées. Le jour se levait déjà. La nuit avait encore été longue, et la jeune femme n’en pouvait plus. Elle ne souhaitait qu’une chose : s’endormir et fuir le plus loin possible de la réalité.
- Alors vas-y, lui chuchota la voix du Reflet. Mais tu sais que tu le reverras.
Elle hocha la tête. Elle s’allongea en silence, et décida de ne pas activer son cristal de réveil. Elle savait de toute façon qu’elle se réveillerait bien avant que la nuit ne tombe à nouveau sur la cité d’Eel. Alors que ses yeux se fermaient, elle soupira, et se blottit dans ses couvertures froides. Encore une fois, elle s’apprêta à revivre un énième souvenir, comme c’était le cas à chaque fois qu’elle s’endormait. L’espace d’un instant, elle pourrait de nouveau voir ce visage qu’elle aimait tant. Il était la seule source de lumière dans ce merdier sans fond qu’était sa vie. Sa seule torche allumée dans un sombre couloir. Alors elle s’en saisit, et sombra lentement dans les bras de ses rêves.
Dans quelques heures, elle aurait de nouveau plein de règles à suivre.
CHAPITRE 5
Chapitre 5
Tout était sombre.
Nevra se tenait là, appuyé contre le mur près de la fenêtre. Les trop nombreuses lumières de la cité dansaient dans ses yeux, telles des lucioles virevoltant au-dessus d’un lac infini. Les bras croisés, il semblait perdu dans un univers lointain que lui seul pouvait voir.
Peu importait d’où elle l’observait, il semblait toujours aussi beau, pensa Aria depuis sa position dans le lit. Dans la semi-obscurité de la chambre, elle se plongea de nouveau dans la contemplation de ses traits, si délicats et pourtant si masculins. Tout chez lui la charmait : de la profondeur de son regard à la couleur ébène de ses cheveux, en passant par la pâleur de sa peau et sa silhouette imposante. A peine prenait-elle le temps de l’admirer qu’elle se sentait attirée de plus belle par l’aura de force et de mystère qui l’entourait.
Elle adorait les mystères.
- A quoi penses-tu ?
Perdue dans ses pensées, elle ne l’avait pas vu bouger. Leurs regards dansaient désormais une valse silencieuse. Un léger sourire avait pris place sur ses lèvres, sourire qui se refléta rapidement sur celles de la jeune femme.
- Devine.
Lentement, il s’approcha du lit, tel un prédateur prêt à fondre sur sa proie. Comparé à elle, il était bel et bien un Minaloo ; car même si un véritable brasier brûlait dans le cœur de la splendide créature étendue devant lui, ils savaient tous deux qu’elle n’était qu’un petit Crylasm une fois plongés dans cette intimité. Mais c’était un secret qu’aucun ne cherchait à dévoiler.
Désormais, il était celui plongé dans la contemplation de la jeune femme. Il aimait la façon dont ses longs cheveux noirs cascadaient sur ses épaules et dont son corps s’emmêlait dans les draps, cachant quelque trésor interdit à ses yeux curieux. Son regard glissa sur sa peau de porcelaine, devina ses formes cachées par un de ses hauts, suivit les mouvements hypnotiques du bâton de sucre dépassant de ses lèvres rosées. Il se demanda comment une telle beauté pouvait vivre dans un monde aussi pourri que le leur.
Il s’accroupit devant le lit, les coudes posés sur le matelas. L’attention de la jeune femme lui avait été volée par la lumière de la lune, qui s’effaçait lentement pour laisser sa place au jour, dévoilant un léger pli entre ses soucrils froncés. Cette vue le fit sourire : elle n’avait jamais réellement été du genre à aimer les matins, car cela signifiait qu’elle devrait bientôt retourner travailler à la taverne. Il rit doucement, sa main venant se perdre dans les cheveux d’ébène de son aengel aux yeux dépareillés.
- Hm… Serais-tu en train de penser au paradis jusqu’auquel je t’ai emmenée une heure plus tôt ?
- Peut-être, répondit-elle.
Elle se trouva incapable de soutenir le regard argenté de son amant. Il n’avait pas tort. Elle pouvait le lui cacher, mais elle devait bien avouer que son esprit restait embrumé par la fatigue, son corps entier restant engourdi après avoir été submergé par autant de vagues de plaisir.
Elle l’observa du coin de l’œil alors qu’il sortit une allumette d’un petit paquet placé dans son manteau. Elle apprécia le court moment durant lequel la flamme menée vers sa petite pipe illumina son visage. Quelques minutes passèrent, durant lesquelles seul le souffle du Vampire osa briser le silence. Finalement, le bâtonnet destructeur alla se vider dans un cendrier de verre posé sur la table de nuit, et le jeune homme partit à la recherche de ses vêtements.
Elle soupira. Encore une fois, il était prêt à partir.
- J’ai besoin de mon haut, Aria.
Un grognement agacé fut sa seule réponse.
- Ne peux-tu pas rester un peu plus longtemps, cette fois ?
- Tu sais que j’ai du travail.
- Nevra, nous sommes en fin de semaine. Ton travail peut attendre un peu. Tu dois te reposer.
Ces paroles semblèrent tomber dans l’oreille d’un sourd. Le regard qu’il lui lança, doux mais ferme, l’empêcha de rétorquer. Baissant les yeux, elle lui tendit le vêtement. Un goût amer lui resta en travers de la gorge alors qu’elle le regardait enfiler son manteau d’un tissu aussi noir que la nuit.
- On se verra bientôt. Essaie de dormir un peu.
Ce furent les seuls mots qu’elle reçut avant que la silhouette de son amant ne disparaisse dans l’obscurité et que la porte de la chaumière ne soit claquée.
Il était parti.
Là, nue et emmêlée dans des draps qui portaient encore son odeur, Aria eut envie d’exploser. Un frisson remonta le long de son échine, et elle ne sut s’il était dû à la frustration qui bouillonnait en elle ou à la soudaine fraîcheur de la pièce.
C’était toujours ainsi. Deux semaines plus tôt, sans raison particulière, ils avaient décidé de passer leurs nuits ensemble à s’embrasser passionnément, brusquement. Le sexe était devenu une part de leur existence, une part d’eux-mêmes éloignée des regards indiscrets. Mais rien n’était jamais sorti de cette relation charnelle. Les baisers qu’ils échangeaient étaient dépourvus d’amour, leurs mains brûlantes de désir ; mais jamais aucun mot n’était murmuré, jamais aucune pensée n’était partagée. Ils ne restaient que quelques heures ensemble, et elle finissait toujours abandonnée nue sur le lit défait, noyée dans ses pensées, telle une épave laissée à la merci du sel de l’abîme. Lorsque ses pensées ne mouraient pas dans le sommeil, elle trouvait parfois le courage d’aller se regarder dans le miroir de la salle de bain. Chaque nuit, elle se retrouvait avec de nouvelles marques sur le corps : des suçons, des ecchymoses, et parfois même des égratignures. Ils teintaient sa peau telle une série de tatouages faits avec l’encre de la luxure. Et lui ne restait jamais jusqu’au matin.
Qu’étaient-ils réellement ? Où était passée l’innocence de leurs premières nuits perdues dans le bordel de la taverne ? Où tous ces souvenirs étaient-ils allés mourir ? C’était comme s’ils avaient tout détruit. Comme s’ils étaient redevenus de simples connaissances, deux personnes dont les chemins s’étaient croisés quelques temps plus tôt. Rien de plus.
Il était soudainement réapparu dans sa vie après des semaines de silence. Ils s’étaient vus à la taverne quelques fois avant de décider d’aller boire un verre ensemble. Elle se souvenait encore de la joie qu’elle avait ressenti en le revoyant pour la première fois. Mais il avait changé, tout comme elle, et il était désormais à la tête de la Garde de l’Ombre. Ils avaient instauré un petit rituel : il allait la voir dès qu’il rentrait de mission, et elle lui offrait un verre gratuit à la taverne. Il insistait toujours pour la raccompagner devant chez elle lorsqu’il venait passer ses soirées au Plaisir d’Aria. Puis était venu le soir où tout avait dérapé ; elle l’avait invité à entrer avec elle, car après tout, il venait de rentrer et avait du temps devant lui. Ils n’étaient pas aussi alcoolisés qu’ils ne le pensaient au départ, puisqu’elle se souvenait parfaitement de ce qui s’était passé. Cette nuit marquait l’instauration de cette étrange routine, qu’ils avaient continué à suivre jusque là.
Aria passa une main dans ses cheveux, un soupir las traversant ses lèvres. Le pire dans toute cette histoire était qu’elle appréciait ces nuits, même si tous deux agissaient comme si rien ne s’était passé une fois le jour levé. Elle aimait entendre leurs souffles s’emmêler, sentir la caresse de leurs peaux l’une contre l’autre ; elle aimait plonger ses doigts dans les cheveux d’ébène du jeune gardien, murmurer son nom alors qu’ils ne faisaient plus qu’un. Elle ne voulait pas que cela s’arrête. Et elle savait très bien pourquoi.
Elle n’avait jamais cessé d’aimer Nevra, cet ami avec qui elle avait assassiné toute trace d’innocence, cet homme qui était de nouveau entré dans sa vie pour combler la solitude de ses nuits pour quelques heures.
Mais ils n’étaient rien d’autres que des amants. L’attitude du Vampire n’était faite que de désir, et elle doutait parfois de leur amitié. Même les surnoms qu’il lui attribuait autrefois ne traversaient ses lèvres que durant ces moments d’intimité. Elle avait l’impression d’être un jouet, une adorable peluche dont un adolescent refuserait de se séparer à cause des souvenirs qu’elle contenait, mais dont il se souviendrait de l’existence uniquement la nuit, avant de s’endormir.
Elle avait des sentiments pour un homme qui ne l’aimerait jamais en retour.
Depuis cette nuit où tout avait commencé, elle sentait son cœur se fissurer un peu plus à chaque fois qu’elle le voyait. C’était comme si la flamme brûlant en elle mourait lentement, sans qu’elle ne puisse trouver ni les mots, ni le courage nécessaire pour donner vie à ses pensées. Elle cachait les doux frissons qui rampaient sur sa peau à chaque contact, et ignorait le nœud qui se formait dans son estomac dès qu’il souriait.
C’était ainsi que chaque nuit se terminait. Elle laissait son âme et ses pensées se figer dans le froid de la chambre, cherchant à tout prix à ignorer la vérité.
C’était toujours moins douloureux que de simplement attendre son retour.
CHAPITRE 6
Chapitre 6
Comme elle l’avait prédit, Aria se réveilla au beau milieu de l’après-midi, plusieurs heures avant le début de son service. Incapable de se rendormir, elle se leva, prenant la direction de la salle d’eau. Tant qu’à ne plus pouvoir dormir, autant se réveiller avec un court bain chaud, se dit-elle en se déshabillant. Elle savoura la chaleur de l’eau sur son corps, mais décida de ne pas rester trop longtemps.
Une fois sortie et enroulée dans une serviette, Aria plongea ses yeux dans ceux du miroir à peine couvert de buée. Elle prit le temps de l’essuyer. L’Autre se tenait là, toujours aussi chétive, et la fixait en retour.
- Tu vas y retourner.
Elle ne répondit pas. Les mains posées sur les côtés du lavabo et supportant son poids, elle continua de se plonger dans les orbes dénués de vie du Reflet. Celui-ci arborait un sourire sonnant bien trop faux pour qu’elle puisse l’apprécier.
- Oui, tu vas y retourner. Tu vas y retourner, et tu vas l’attendre. Tu le chercheras encore du regard depuis la scène, et tu regarderas s’il n’est pas entré dans la taverne entre deux clients. Comme toujours.
- Non.
L’Autre redressa légèrement la tête, un air de confusion peint sur son visage si similaire au sien.
- Non ?
- Non. J’en ai assez de t’écouter. Tu me pourris la vie. T’es toujours là, dans un coin de ma tête, à tout faire pour que je reste au fond du trou. Et j’en ai marre. De toi, de lui. Je refuse de l’attendre. Je sais qu’il ne reviendra pas. Parce-que j’ai aimé un homme qui avait déjà commencé à m’oublier.
Aria s’éloigna du miroir. Désormais, ce n’était plus l’Autre qu’elle voyait, mais bien son propre reflet.
- Alors à partir de maintenant, je ne l’attendrai plus. Je vais vivre en cherchant mon bonheur. Et un jour, je sortirai de cette merde dans laquelle je nage depuis bien trop longtemps.
Bientôt, son manteau se retrouva sur ses épaules et ses clefs dansèrent entre ses doigts. La jeune femme ferma sa porte à clef, et prit la direction du Plaisir d’Aria. Il lui restait du temps avant le début de son service, mais cela lui offrirait une excuse pour partir avant l’heure.
Elle avait été envoûtée par les étoiles qui dansaient dans le regard de Nevra. Mais ses yeux étaient une mer orageuse, et elle n’avait pas réalisé que ces lumières n’étaient que le reflet de ses propres rêves. Il venait d’un monde auquel elle n’appartenait pas ; un monde dont la lumière l’avait attirée comme un papillon de nuit était attiré d’une flamme. Son toucher l’avait brûlée, et il n’avait laissé derrière lui que les cendres d’un amour qui n’aurait jamais dû exister.
Désormais, lorsque ses clients lui demandent quels sont ses rêves, elle ne répond pas. Car Aria vit au jour le jour dans un univers bien trop éloigné du nôtre pour que n’importe-qui puisse le comprendre. Un jour, le papillon trouvera une autre flamme à laquelle s’accrocher, une lumière qu’elle saura utiliser pour éclairer son chemin. Mais pour le moment, Aria cherche son bonheur.
Et elle vit.
F I N
Hypocite Lecteur, nous voici désormais à la fin de la fascinante histoire de notre chère Aria. Qu'est-elle devenue ? Et bien, cher Lecteur, c'est à toi de voir.
Dis-moi, qu'as-tu pensé de ce conte ? A-t-il été à ton goût ? N'hésite pas à me le dire ; je suis toujours ravie de recevoir des retours sur les histoires que je partage.
Il est désormais temps pour nous de se quitter. Mais n'aie crainte ! Nous nous reverrons sans doute bientôt ; car je m'en vais désormais à la recherche de nouvelles histoires à conter, et reviendrai un jour sur ces terres pour en faire profiter à ceux que je croise.
Alors, cher Lecteur, je te souhaite une excellente continuation, et bon courage pour la suite de tes aventures. Et je te dis non pas adieu, mais simplement au revoir.
Yüshimori
Hypocite Lecteur, nous voici désormais à la fin de la fascinante histoire de notre chère Aria. Qu'est-elle devenue ? Et bien, cher Lecteur, c'est à toi de voir.
Dis-moi, qu'as-tu pensé de ce conte ? A-t-il été à ton goût ? N'hésite pas à me le dire ; je suis toujours ravie de recevoir des retours sur les histoires que je partage.
Il est désormais temps pour nous de se quitter. Mais n'aie crainte ! Nous nous reverrons sans doute bientôt ; car je m'en vais désormais à la recherche de nouvelles histoires à conter, et reviendrai un jour sur ces terres pour en faire profiter à ceux que je croise.
Alors, cher Lecteur, je te souhaite une excellente continuation, et bon courage pour la suite de tes aventures. Et je te dis non pas adieu, mais simplement au revoir.
Yüshimori
Dernière modification par Yüshimori (Le 29-05-2021 à 17h17)