

Header par @Wounw et BBcode par @MayaShiz.
Ô, Mère, je vous en prie : sauvez-moi de ce monde.
Par le sang,
Par les larmes,
Par la vie,
Par la chair,
Par les os,
Arrachez-moi à ces terres insipides, à ces saisons stériles, à ce soleil si fade et à ces nuits de cauchemars.
Que ce chemin de papiers qui accueille mes pas se change en sentier, et que l'air que je respire devienne un souffle de vie.
Ô, Mère, je vous en prie : sauvez-moi de ce monde.
Pour le sang,
Pour les larmes,
Pour la vie,
Pour la chair,
Pour les os,
Je vous remets mon or et mon âme.
Eel ou Odrialc'h, le nord ou le sud, l'est ou l'ouest, l'histoire doit planter sa racine quelque part.
La petite âme la plus fragile revêt son importance,
Celle qui s'est hissée près des hautes sphères qu'elle déteste aussi,
Celui qui regarde l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie,
Ou bien celle qui furète dans l'ombre,
Ils ont leur rôle à jouer.
Le battement d'aile d'une fée, dans leur royaume où l'hiver est maître, peut créer une tempête sur la cité blanche.
Dans les Abysses les plus profonds, si l'impératrice se réveille, elle sèmera une graine de chaos.
Loin, très loin, par-delà les falaises gardée par des monstres à deux machoîre, un souverain attend le retour de son épouse bien-aimée.
Mais à la fin, le monde se meurt.
Peut-il être sauvé ou bien faut-il l'abandonner ?
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
A tous les enfants d'Eldarya
Avant de poster un message :
--> Pas de HS, de flood ou de pub !
--> Pas de sujets "sensibles" dans la fiction ou les commentaires.
--> Commentez de façon constructive (4/5 lignes par post)
--> Surveillez votre comportement.
--> Pas de conflits sur les topics. Préférez la discussion privée.
--> Tenez compte des remarques des modérateurs.
--> Merci de relire attentivement les règles du forum
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Bonjour et bienvenue sur ce reboot d'Apotheosis !
Mais vers quel genre d'endroit vous a mené ce lien si étrange, sur lequel vous avez cliqué ? Les anciens aventuriers le savent déjà mais pour vous, les nouvelles têtes, je vais tout vous expliquer. Asseyez-vous confortablement, prenez quelque-chose à boire ou à manger et nous sommes partis.
La première réponse, c'est vers une rencontre entre deux univers.
Le mien, et celui d'Eldarya.
Ici, j'ai repoussé les frontières de la cité d'Eel pour peindre d'autres paysages avec mes mots et ainsi t'offrir cette histoire.
Vous suivrez les pas de certains personnages que vous connaissez déjà, mais que vous allez peut-être redécouvrir, et d'autres que vous rencontrerez.
Mais où vous mèneront leurs aventures ?
Eh bien… c'est à vous de décider.
La seconde réponse, donc, c'est vers une fiction interactive.
Qu'est-ce qu'une fiction interactive ?
Je m'explique :
Vus, chers lecteurs, en atterrissant sur cette fiction telle une jeune demoiselle ou un jeune damoiseau dans un cercle de champignons, vous vous êtes vu doter d'un immense pouvoir :
celui de choisir.Cette fiction est un entrelacs de plusieurs routes, qui seront déterminées par les choix effectués par les lecteurs à chaque fin de chapitre.
Ces derniers détermineront le sort des personnages de l'histoire ainsi que leurs évolutions au sein de cette fiction.
Grâce à vous ou à cause de vous, tout ce petit monde vivra des aventures qui mettront leurs vies en danger, ou bien qui garantiront leur survie jusqu'au point final de cette épopée.
Vous avez compris : ici, vous avez une mission.
Vous devez sauver le monde !
Rien que ça !
Mais comment s'y prend-t-on ?
Avec quelques mécaniques bien huilées !
Bien, maintenant que vous êtes déterminés à sauver le monde, je vais vous expliquer comment faire.
Vous avez compris que les choix étaient les pièces maîtresses de cette fiction et que c'est uniquement grâce à eux que l'histoire peut avancer.
Eh oui, chers lecteurs !
Vous êtes extrêmement importants. Si vous n'êtes pas là, cette histoire ne reste qu'une histoire au creux de ma tête et l'aventure s'arrête ici.
Ce sont vos décisions qui permettent de lui donner vie et pour ça, vous méritez des cookies !
Bref, on a un monde à sauver, nous !
Mais comment ça marche ?
À chaque fin de chapitre,
des choix types "a,b,c" seront proposés.
Parmi les réponses, il ne faudra en choisir qu'une seule en vous appuyant sur les indices donnés dans le chapitre.
Pour être certain ou certaine de faire le bon choix, il faudra simplement vous aider de la narration et essayer de visualiser les conséquences des actes ou des paroles du, ou des personnages, concerné ( s ) par le choix.
Chaque lecteur devra sélectionner la réponse qui lui semble appropriée et c'est la majorité qui l'emportera.
Un lecteur compte pour une voix.
Si jamais il y a égalité, alors c'est un générateur qui décidera.
Même si la mécanique a l'air simpliste, sachez qu'il pourra y avoir plusieurs choix à faire par chapitre et que ces derniers pourront, non seulement déterminer l'issue de l'histoire, mais également les amitiés de certains personnages, leurs amours et même leurs ennemis.
Vous l'avez compris, vous décidez de tout dans cette fiction.
Bien entendu, il y aura des relations préétablies entre certains personnages, mais un seul faux pas et elles volent en éclats.
C'est peut-être une bonne chose, parfois…
Vous êtes prêts ?
Alors le prologue vous attend avec votre premier choix !
Mais avant cela, je dois bien évidemment vous parler du reboot !
L'aventure que vous vous apprêtez à lire ici a déjà été écrite une première fois il y a deux ans.
Comme toutes premières versions, elle a connu des ajustements et des erreurs qui l'ont malheureusement conduite à une succession de choix beaucoup trop difficiles et de ce fait, à une mauvaise fin inévitable.
Quand on commence un projet en tant qu'auteure, on tatonne, on fait de son mieux, mais on fait des erreurs.
Ce qui est génial avec les erreurs, c'est qu'elles sont d'excellents professeurs et grâce à elles, j'ai pu réfléchir à ce reboot de la meilleure des façons.
Les nouvelles têtes ont tout un univers à découvrir mais pour vous, les anciens aventuriers d'
Apotheosis, vous allez constater quelques différences.
Comme je vous le disais lorsque j'ai proposé l'idée du reboot, la trame principale ne change pas d'un iota : vos acquis vous serviront et il reste encore plusieurs pans de l'histoire que vous n'avez pas encore découvert (les sélections, l'arc des humains, celui de la
Gehenne…).
Néanmoins et pour ce reboot, j'ai fignolé quelques détails et j'ai décidé d'insérer quelques ajustements.
Vous allez remarquer que la famille
Milliget n'est plus tout à fait la même, par exemple, tout simplement parce que j'ai choisi de respecter le lore original du personnage de
Candice qui ne peut pas être totalement lui-même s'il n'est pas entouré de sa sœur,
Ivoire.
Vous alllez remarquer aussi que
Nevra et
Rose ne se connaissent pas, que
Fawkes a décidé de rejoindre la
Garde de l'
Ombre et que
Leiftan est particulièrement gentil…
Ce sont des ajustements que j'ai décidé de faire afin d'apporter plus de logique et de consistance à l'aventure mais ne vous inquiétez pas.
Comme je le disais : les anciens aventuriers peuvent se reposer sur leurs acquis.
En tout cas, j'espère que vous serez tous satisfaits de ce reboot et des nouveautés qu'il vous apportera !
"Apotheosis" s'appuie sur l'univers d'Eldarya que nous avons tous découvert avec les épisodes du jeu, c'est un fait.
Cependant, j'ai choisi de modifier quelques points importants et pour la bonne compréhension de cette fiction, je vais vous les énumérer sous un spoiler.
TRÈS IMPORTANT : si vous n'avez pas terminé les épisodes de
"The Origin", je vous déconseille très fortement de dérouler le spoiler, au risque de vous gâcher des révélations sur l'histoire originale !
Si malgré tout vous décidez d'assouvir votre curiosité, alors c'est à vos risques et périls !
Modifications Importantes
➜ Nevra n'a pas de sœur. Karenn n'existe pas dans "Apotheosis".
➜ Valkyon est un faelien à l'ethnie indéterminée et non un dragon.
➜ Leiftan est un lorialet et non un Daemon.
➜ L'Eldarya qui vous sera présenté est un monde beaucoup plus sombre. Ne vous attendez pas à la même ambiance que le jeu original.
Aussi, j'en profite pour dire que cette histoire est déconseillé aux âmes sensibles.
Certaines scènes vont chatouiller les règles du forums sans les enfreindre, comme ce que je peux proposer avec mes
Contes
Interdits sur mon topic "
Rage d'
Ange et
Glaise
Putride".
Si vous vous savez particulièrement sensible, je vous déconseille l'aventure
Apotheosis.
Je suis une grande bavarde, alors laissez-moi vous parler de ce forum.
Vraiment c'est important, car je vais profiter de ce petit passage pour introduire nos invités et leur glisser un petit mot.
Je suis d'autant plus reconnaissante que mon cri du coeur face à la mort de ce forum ait été entendu et que bon nombre d'entre vous preniez votre temps, chaque jour, pour continuer de le faire vivre et entretenir cette belle communauté qui a permis de belles rencontres, mais aussi la réalisation de bon nombres de projet professionnels.
Je l'avais déjà dit dans mon post principal et libre à chaque personne que faire ce qu'elle veut. "
Le jeu est nul", "je m'en fiche de cet univers", "je n'ai pas le temps"...
On peut penser ce que l'on veut, mais je reste convaincue que la communauté eldaryenne est unique en son genre et qu'il serait très difficile de voir autant d'inspiration, tous supports confondus, réunie sur un seul et même forum.
Des amitiés se sont forgées ici, des vocations ont été trouvées et parfois, au cœur de moments difficiles, ce forum et sa communauté ont été une porte de sortie.
Je suis personnellement reconnaissante envers tout ce qu'il m'a apporté et le reboot de cette fiction est l'un des moyens, pour moi, de continuer à entretenir la nouvelle dynamique qui s'installe sur le forum.
Vous savez, l'être humain est ingrat par nature.
Nous savons prendre ce que l'on nous donne et une fois que nous nous sommes lassés, nous oublions la main qui nous a nourri.
Eh bien pour une fois, essayons d'inverser la tendance en entretenant un endroit qui nous a beaucoup apporté et qui pourrait, sans doute, permettre aux nouvelles têtes de se trouver une passion et d'y faire de belles rencontres !
Voilà sept ans que je traîne mes guêtres sur Eldarya, et durant ces sept années, j'ai pu rencontrer de très belles personnes ici.
Certaines d'entre elles sont devenues mes amis et j'avais envie de leur rendre hommage.
Pour saluer leurs univers et leurs OC extraordinaires, je leur ai dédié une petite place dans mon propre monde.
MayaShiz et
Waïtikka, deux superbes rencontres dans cet endroit débordant de créativité, et deux personnes chères à mon cœur.
Vous m'avez permis de m'améliorer dans ce vaste monde qu'est l'écriture, vous m'avez aidée et soutenue, alors je tiens à vous rendre la pareille avec cette histoire que je vous dédie.
Je prendrai soin de vos personnages comme s'ils étaient les miens et je vous propose de découvrir leur évolution dans cette vaste histoire qu'est "Apotheosis".
Sachez qu'à mes yeux, vous êtes des artistes et des écrivains exceptionnels, alors ne lâchez jamais votre plume !
MayaShiz, tu es l'une de mes plus belles rencontres sur Eldarya et tu es surtout ma meilleure amie. Tu es une personne avec beaucoup d'humour, intelligente et dont la pensée s'aligne toujours avec la mienne. Mon écriture ne serait jamais ce qu'elle est aujourd'hui sans la tienne, sans tout ce que j'ai appris de ta plume et encore moins de ces personnages qui sont nés en parallèle des tiens. Tu es ma co-auteure et la soeur que je n'ai jamais eu et tout ceci n'aurait pas été possible sans ce jour de flemme qui m'a poussée à aller traîner au Bastion, où nous avons pu discuter via post interposés avant de nous retrouver sur un RP. Le hasard fait toujours aussi bien les choses et ce jour-là, ça n'a jamais été aussi vrai.
Merci d'être la personne que tu es et continue de faire rêver les gens à travers ton formidable talent d'écriture !Waïtikka, tu es une personne extraordinaire ! Tu débordes de gentillesse et de douceur, et tu es quelqu'un qui écoute beaucoup et qui fait de son mieux pour aider autrui. Tu es le grand frère vers qui l'on peut se tourner lorsque l'on a besoin d'un conseil et surtout, tu es vraiment la personne qui m'a permis de me réconcilier avec l'écriture, grâce à tes judicieux conseils. Tu es vraiment une belle personne que je peux citer parmi mes plus belles rencontres sur ce jeu !Florianne, je te compte également comme une rencontre formidable sur ce forum ! Ta motivation et ton investissement sont contagieux et nous avons de la chance de t'avoir comme modératrice. Tu es une personne d'une très grande gentillesse et avec de belles idées, comme en atteste ton topic d'Eldarya sur planches, mais également ton personnage de Théanore que j'accueille avec grand plaisir dans sa famille de fées. Merci encore pour tout ce que tu fais pour ce forum, afin que tout le monde s'y sente bien et pour tous les gentils mots que tu laisses sur les topics de fictions, ils comptent énormément pour leurs auteurs et je pense que sans ta présence, beaucoup auraient abandonné leur histoire.Pour vous, je vous dédie ce projet.Place à vos bébés !
June Albalefko
Hélios Soare
Dessins par MayaShiz⁂Fawkes
Dessin par WaïtikkaKijan
Screenshot réalisé par Waitikka sur Final Fantasy XIV⁂Théanore Musca
Dessins par Florianne Parce que MayaShiz, Florianne et Waïtikka sont respectivement la maman et le papa de leurs personnages, ils auront accès à des choix personnels qui ne pourront pas être votés par les autres joueurs.Je ne vous en dis pas plus sur ces fameux invités, au risque de spoiler, mais je vous laisse les découvrir dans
"Apotheosis" !
Aussi, sachez que beaucoup de personnages présents dans Apotheosis me sont prêtés par
MayaShiz ! Je vous mets la liste ci-dessous car rendons à César ce qui est à César, et sachez que si vous les appréciez, vous pouvez les retrouver, avec June et Hélios (et même Rose !), dans sa fiction
Le Chant de Léthée.
Les personnages appartenant à MayaShiz :
➜ Balam Lefaucheur
➜ Ivoire Milliget
➜ Mathyz Rougaie
À présent, je vais enfin vous laisser avec le prologue.
Ce dernier vous offrira la possibilité de plonger un petit peu sous la surface de l'histoire mais surtout : il vous offrira l'occasion de faire votre premier choix.
J'espère que vous serez conquis par ce reboot et que vous y participerez avec plaisir !
Sachez que mes MP restent ouverts, que ce soit pour des petites questions ou simplement pour discuter.
Mais une chose : je suis incorruptible, alors n'essayez pas d'obtenir les bonnes réponses avec des cookies !
Mais surtout : amusez-vous.
Ce projet est là pour ça.
C'est un lieu de partage où la bonne humeur doit avoir sa place, alors même si vous faites de mauvais choix, ne prenez pas les choses trop à cœur.
Ce n'est pas grave !
Demain, le soleil se lèvera et vous vous en remettrez, je vous assure !
Alors voyez cette petite fiction comme le café, le bar ou le salon de thé où vous venez vous détendre après une journée bien chargée, car elle est là pour ça !
Je vous souhaite une bonne lecture à toutes et à tous !
La Liste des Aventuriers d'Apotheosis
Lulyah
Florianne
MayaShiz
Waitikka
Daraen
Tenace
Alric-Sasheris
Caprix
Artemis
Serenata
La Carte du Monde d'Eldarya

Prologue
Lorsque les rayons du soleil vinrent embrasser son front, Nevra s'éveilla en douceur. Dans quelques minutes, il savait qu'un domestique du domaine Mircalla viendrait toquer à la porte de sa chambre afin de lui indiquer que ses parents l'attendaient pour le petit déjeuner. Avant cela, il voulait remplir son esprit de belles pensées. C'était important.
Il repoussa ses couvertures, attrapa la robe de chambre qui reposait sur un siège en toile de Jiya, puis l'enfila. Il la détestait à souhait, cette robe de chambre. Les couleurs trop vives lui agressaient la rétine et le tissu précieux avait été tissé depuis la Triade d'Ohm pour représenter des écritures saintes que Nevra ne parvenait pas à lire. Tant pis. Il se planta devant la fenêtre cintrée de sa chambre à coucher et observa les jardins du domaine Mircalla. Le soleil matinal les couvait avec tendresse, faisant jouer les reflets sur les feuillages et transformant l'herbe en tapis d'or. C'étaient des jardins destinés à recevoir du monde pour organiser des piques-niques ou bien permettre à des enfants de courir sur la pelouse. Les vampires appréciaient le soleil à petites doses et tant qu'il n'était pas trop chaud. Par bonheur, Eel recevait souvent le vent du nord et sa fraîcheur bienvenue.
Trois coup à la porte, puis une voix annonça :
— Jeune Maître, Monsieur et Madame sont prêts à prendre le petit-déjeuner. Ils vous attendent pour commencer.
— C'est très aimable de leur part, ironisa Nevra, hélas je ne suis pas prêt. Ils vont devoir attendre encore un peu.
Le domestique devait grimacer derrière la porte mais fort heureusement, il ne subirait pas les foudres d'Iris et de Narcisse Mircalla. Personne n'était responsable de la bêtise crasse de Nevra hormis lui-même. Sa mère aussi, mais seulement quand Narcisse était de très mauvaise humeur.
Nevra se mit à siffloter en continuant d'observer les jardins. C'était un air à la harpe qu'il avait déjà entendu lors de ses rares visites au grand palais d'Odrialc'h, quand il restait coincé dans le salon des invités pendant que ses parents faisaient des ronds de jambes à la noblesse qui prenait le thé, en espérant gratter quelques privilèges.
Lorsqu'il eut assez apprécié le panorama, Nevra se dirigea vers son armoire, sortit du linge de toilette ainsi que son uniforme de Chef de l'Ombre, puis fila se laver. Il se baigna dans plusieurs huiles, dont une qui sentait le bois de tonka, sa fragrance préférée. Il prit le temps d'apprécier la chaleur de son bain, la solitude dans cette pièce beaucoup trop grande et le reflet de son corps pâle dans le long miroir qui occupait un pan de mur entier. Nevra n'avait pas besoin de toute cette démesure pour savoir à quoi il ressemblait. Il se connaissait assez bien, il avait eu tout le temps du monde pour inspecter chaque parcelle de son être depuis qu'il était enfant, juste pour vérifier les dires de ses parents. Il avait appris très tôt qu'ils étaient de très bons menteurs. Ou bien des menteurs malheureux. Ils se pensaient tout-puissant, comme les vampires des récits humains mais la réalité, c'était que l'espèce en elle-même, sur Eldarya, était truffée de défauts.
Nevra sortit du bain. Il sécha sa peau dont les veines apparentes formaient des arbres de sang, et ses épais cheveux d'ébènes, l'une des seules grâces de son espèce. Il n'en dira pas autant lorsqu'il nettoiera les vilaines taches rouges sur ses dents, témoins des repas saignants qu'il devait avaler plusieurs fois par jours juste pour rester en bonne condition. Quelle autre espèce était obligée de s'infliger le même sort pour rester en bonne santé ?
Tout en sifflotant de nouveau, Nevra s'habilla. Il terminait de boutonner sa chemise et de passer sa veste indigo aux liserés d'or, symbole de sa fonction, quand il devina la rage sourde au rez-de-chaussée. Elle polluait l'atmosphère aussi sûrement qu'un nuage de cendres et Nevra adressa un sourire chafouin aux dalles de sa salle de bain. Il était fin prêt pour aller prendre son petit-déjeuner.
Quand il descendit le grand escalier qui reliait les étages au rez-de-chaussée, la voix grinçante de son père travaillait cent fois mieux le bois du manoir que le temps. Elle maugréait, maugréait, pestait, écrasait ce sinistre déchet qu'il avait engendré dans le ventre de sa femme… Ah, mais voilà ! Sa femme était responsable. La bêtise n'était pas l'apanage des Mircalla, cela devait venir du côté de sa famille. Après tout, son frère n'était qu'un bon à rien et son cousin, un ouvrier stupide qui taillait des jouets en bois pour les enfants. Toute cette folie aurait dû être écrasée par le nom sacré de Mircalla, mais force était de constater que la bêtise avait de beaux jours devant elle…
— Tu crois que tu as le droit de faire attendre tes parents comme bon te semble, imbécile d'insolent ? gronda Narcisse, ce n'est pas parce que tu es adulte que je ne peux pas te corriger !
— Ah, je ne le sais que trop bien, mon œil droit s'en souvient, chantonna Nevra.
Il adressa un sourire trop poli à son père, puis un regard à sa mère. Le premier avait la figure aussi rouge que le sang qu'il se languissait de consommer et la seconde fixait son assiette vide. Narcisse et Iris Mircalla étaient de beaux vampires. Ils le pouvaient, ils s'étaient économisés toute leur vie. C'était la raison pour laquelle ils ignoraient tout des défauts de leur espèce. Ils ne voyaient pas les vampires qui travaillaient au sein de la Garde de l'Ombre, par exemple, se fatiguer à s'entraîner et devoir persévérer deux fois plus que les autres pour atteindre un niveau acceptable. Ils ne voyaient pas non plus les vampires blessés, à l'hôpital, se remettre difficilement de leurs blessures et Narcisse Mircalla qui n'avait pas vécu la grossesse, ni l'accouchement de sa femme, ne savait pas à quel point c'était terrible de mettre un enfant au monde. Le corps d'un vampire était faible, si faible qu'il ne produisait pas assez de nutriments pour nourrir son propre organisme. Le vampire devait donc combler cette faiblesse en ingérant du sang. Mais au moins, il avait de beaux cheveux, c'était déjà ça.
Nevra prit place face à son père. Si ses yeux céruléens avaient pu tuer, Nevra ne serait déjà plus de ce monde, mais il n'y prêta aucune attention et accrocha sa serviette au col de sa chemise. Ici, il était le moins obséquieux de tous et il s'en remerciait. Son père et sa mère étaient ce que l'on attendait d'eux : des êtres qui arboraient leur fortune dans de l'apparat qui semblait peser trop lourd sur leurs silhouettes. Leurs domestiques mettaient un temps fou, chaque matin, à les laver, les habiller et les maquiller. Une mascarade qui visait à les rendre présentables, mais qui était vite gâchée par leurs manières et leurs esprits.
— Tu as vraiment une sale gueule, l'attaqua Narcisse pendant que le petit-déjeuner était en train d'être servi, je me demande pourquoi tu te fais prier tous les matins. Tu pourrais nous faire la grâce de nous libérer de ta présence.
— Vous avez l'estomac noué ? demande Nevra en se servant une bonne part de tourte.
— Qui n'aurait pas l'estomac noué face à un déchet de ton genre ?
Nevra se contenta de hausser les épaules. Les années lui avaient appris que lutter face à la méchanceté de son père était une bataille de longue haleine et perdue d'avance. Son esprit rebelle avait essayé, pourtant, puis Valkyon lui avait enseigné une phrase qui ne le quittait jamais : à force de regarder les abîmes, les abîmes finissent par te regarder. Nevra n'avait aucune intention de devenir les abîmes qui rongeaient Narcisse.
Pendant que son père mangeait, Nevra profita d'un petit instant de paix. Il jeta une œillade à sa mère, qui coupait sa propre part de tourte en tout petits morceaux qu'elle mangeait du bout des dents. Nevra lui adressa un sourire aimable et lui demanda comment elle allait, ce matin.
— Ah, tais-toi ! lui rétorqua Iris, tu me coupes l'appétit !
— Bien, navré de vous avoir dérangée.
Nevra n'en voulait pas à sa mère. Elle savait que son amertume envers lui était la seule façon pour elle de gagner quelques miettes d'amour auprès de Narcisse. Autour de cette table, c'était très certainement elle, la reine des menteuses. Elle essayait de se convaincre, depuis trente-deux ans, que son mari était l'homme dont elle rêvait et que devenir une épouse Mircalla était l'apogée de son existence. La seule ombre au tableau, c'était bien entendu ce fils qui refusait de se ranger sous le tissu d'une vie précise que l'on avait tissée pour lui, bien avant qu'il naisse.
Le repas se termina dans un calme funèbre. Une fois qu'on lui servit sa poche de sang, Nevra l'avala, puis quitta la table, non sans souhaiter une bonne journée à ses parents. Il se hâta vers la porte du manoir Mircalla et lorsqu'il l'ouvrit, le vent de la liberté et le soleil clément vinrent lui embrasser la figure. Là, il n'était plus Nevra Mircalla, mais Nevra le Chef de la Garde de l'Ombre, prêt à prendre ses fonctions.
Mais avant cela, il marcha avec entrain jusqu'à la falaise qui surplombait la mer du Prisme, non loin du Quartier Général. Ce rituel achevait d'apporter de belles pensées dans son esprit. Ensuite, l'attendaient une réunion, le rapport de Fawkes sur les réseaux de tap en activité, celui d'Enthraa Kellerman, la Seconde de l'Ombre… Toutes ces personnes qui travaillaient pour et avec lui. Surtout avec lui.
— Valkyon, mon ami ! Comment est le vent, aujourd'hui ?
La haute silhouette du Chef de l'Obsidienne se retourna. Les bras croisés sur son torse massif, Valkyon Batatume lui offrit un sourire aimable, aussi doux que sa personne. Le vent salin battait ses cheveux blancs et déposait des baisers sur sa peau matte, tannée par le soleil.
— Frais. C'est une belle journée, tu dois être heureux.
— Je le suis ! s'enthousiasma Nevra, d'ailleurs j'ai eu une excellente idée de cadeau pour tes quarante ans.
— Je n'ai pas encore quarante ans, rit Valkyon, laisse-moi le temps de vieillir.
Il en totalisait à peine trente-sept, mais visiblement, ses quarante ans revêtait une grande importance dans l'esprit de son meilleur ami de toujours qui tenait à les immortaliser avec une grande fête. Mais Valkyon savait qu'il plaisantait car Nevra ne le mettrait jamais dans l'embarras de cette façon.
Ils observèrent l'horizon quelques instants, puis le Chef de l'Ombre demanda :
— Joseph ne te manque pas trop ?
— Ma foi, tu sais remuer le couteau dans la plaie.
Joseph Ael Diskaret était un membre important de la garde civil, au sein de l'Obsidienne. Il avait déménagé à Odrialc'h, avait son épouse, son fils et sa fille adoptive voilà déjà deux semaines et son départ avait ému beaucoup de monde. Joseph était loyal à la Garde, mais il avait pensé aux opportunités qu'Odrialc'h pouvait offrir à sa famille.
— Le monde change, réfléchit Valkyon d'une voix lointaine, et les vies aussi.
— Pas pour tout le monde. En attendant, nous avons toujours Ezarel à la tête de l'Absynthe et si nous sommes encore en retard à la réunion, nous allons rêver en elfique, ce soir.
Valkyon pouffa en secouant la tête, mais reconnut que son ami avait raison. Il s'engagea vers le Quartier Général, où leur matinée serait dédiée à cette fameuse réunion et Nevra s'étira en faisant mine de s'en ennuyer. Puis un coup de vent fit claquer les pans de sa veste et il frissonna. Il jeta un bref regard vers l'horizon.
Le fond de l'air était particulièrement frais.
***
Depuis sa petite place, sur le siège de l'énorme calèche qui emmenait sa famille et ses affaires jusqu'à leur nouvelle maison, Helouri regardait sa nouvelle vie. À l'extérieur, le déménagement des Ael Diskaret devait ressembler à une longue procession car beaucoup de curieux s'étaient arrêtés dans leur routine pour observer.
— Lou ! Viens voir ! Vite !
De son côté, June ne perdait pas une miette de la cité d'Odrialc'h. Elle ne tenait plus en place depuis que le bateau avait quitté la cité d'Eel, trois jours plus tôt et Helouri savait qu'elle avait hâte de visiter la cité. Il n'était pas inquiet pour elle. June saurait vite trouver sa place.
Il se pencha à sa fenêtre et elle lui montra le grand palais, juché sur le plus haut quartier d'Odrialc'h, qui ressemblait à une couronne posée sur son trône.
— On pourra prendre un aéronef pour aller visiter les beaux quartiers, s'enthousiasma June, et si on a de la chance, on pourra voir un serviteur personnel ou peut-être même la Capitaine !
Ils seraient chanceux de pouvoir, ne serait-ce qu'apercevoir, de si éminentes figures, en effet. La Capitaine était une véritable légende dans tout Eldarya et quant aux serviteurs personnels, remporter de difficiles sélections parmi des milliers d'autres candidats leur avait déjà valu leur propre lot de célébrité.
Helouri adressa un sourire à sa grande sœur. June et lui étaient aussi différents que de l'eau et de l'huile, non seulement par l'espèce mais aussi par l'esprit. June était un faelienne à l'ethnie indéterminée qui avait été adoptée par un famille de morgans lorsqu'elle était petite et qu'elle vivait à l'orphelinat de la cité d'Eel. Du haut de ses sept ans et même si elle savait qu'elle avait perdu ses vrais parents, elle continuait de vivre, de sourire, de rire et de jouer. Son énergie, c'était sa façon à elle de repousser le magma désagréable qui bouillonnait au fond de son être et qui aurait pu la submerger pour lui faire goûter le vide, si elle n'avait pas trouvé une famille.
Les Ael Diskaret quant à eux, avaient donné naissance à un fils unique. Un fils à la silhouette famélique, avec la peau glacée, aussi bleue que celle de son père et aux boucles nacrées qui cascadaient jusqu'au milieu de son dos. Comme tous les morgans, il avait besoin de l'océan et le considérait comme une entité vivante, mais ses branchies atrophiées, soudées entre elles par la peau, ne lui permettrait jamais d'aller nager. Peut-être que ses parents s'étaient tournés vers l'adoption de peur de mettre un autre enfant malformé au monde, mais Helouri n'y croyait pas. Il les savait assez bons pour faire le choix d'offrir un avenir et une famille à une enfant qui n'avait pas eu de chance avec la vie.
June n'avait pas beaucoup changée avec les années. Elle était toujours aussi énergique, souriante et même si elle entraînait Helouri dans ses plans parfois rocambolesques, ce dernier n'aurait jamais voulu quelqu'un d'autre pour être sa grande sœur. Il observait sa longue natte de cheveux cendrés qui traversait son uniforme de la Garde Obsidienne comme une flèche et il devinait ses yeux, d'un violet améthyste, pétiller face à cette nouvelle cité, ce vaste terrain de jeu qu'elle se languissait de découvrir.
— Qu'est-ce que tu vas faire, June ? lui demande Helouri, tu vas rejoindre le corps armée d'Odrialc'h, comme papa ?
June avait toujours suivi les pas de Joseph. Elle était un véritable rayon de soleil, mais Joseph avait très vite compris qu'elle avait sa part d'ombre et que comme tout enfant qui avait tout perdu, elle était en colère sans avoir de coupable à blâmer. Alors très tôt, Joseph l'avait fait frapper dans des sacs de graines et ensuite, il l'avait emmenée au terrain d'entraînement de la Garde Obsidienne. Là-bas, June avait pu s'entraîner avec Joseph, mais aussi avec Vikram, le père de Valkyon Batatume, qui était à la tête de la Garde au rubis pendant que son fils se trouvait en mission aux îles du Qi. Là-bas, auprès d'eux et d'autres guerriers, June avait pu trouver sa voie. Elle disait souvent qu'elle était petite et pas très forte, mais qu'elle serait un soutien sans faille pour ses confrères qui savaient manier des armes lourdes. Au contraire, Helouri la trouvait très forte. Lui, il n'avait rien d'un combattant, rien en commun avec son père et avec June. Il préférait ordonner la maison, aider sa mère à préparer les repas, écrire, lire, apprendre et broder pour se changer les idées. Pendant que June s'entrainait dans l'arène des obsidiens, il travaillait d'arrache-pieds pour entrer dans la Garde Absynthe et étudier la médecine, mais il n'avait jamais réussi.
— Je ne sais pas, répondit June en haussant les épaules, je vais d'abord voir tout ce qu'on peut faire à Odrialc'h et après, je vais me décider.
— Si tu entrais dans l'armée, tu pourrais peut-être te retrouver directement sous le commandement de la Capitaine, réfléchit Helouri.
June pouffa et lui ébouriffa les cheveux. Non, c'était beaucoup plus compliqué que ça, de se retrouver parmi le peloton sous le commandement direct de la Capitaine. Il fallait faire ses preuves, avoir un parcours exemplaire ou bien accomplir un exploit pour Odrialc'h, mais Helouri était adorable de la croire capable de telles choses.
La calèche s'arrêta et ils se précipitèrent tous les deux pour regarder dehors. Quand leur nouvelle maison leur apparut enfin, ils sautèrent hors de l'habitacle, toutes questions sur l'avenir envolée. Pour l'instant, tout ce qui comptait, c'était cette belle maison de pierre, haute de trois étages qui leur promettait de nouveaux souvenirs. Elle n'était pas très loin du port, un point essentiel pour une famille de morgans qui ne pouvaient pas vivre sans l'océan et elle n'attendait plus qu'eux afin qu'ils puissent commencer, ensemble, leur nouvelle vie.
***
Les bâtiments de la police d'Odrialc'h se trouvaient dans le quartier de Meskem. Le Gouverneur Suprême tenait à ce que tous les services municipaux puissent être à la disposition de la population. Fuya pouffa. De toute façon, les hautes sphères n'avaient pas besoin de la police, elles profitaient déjà de la protection des gardes royaux. La vie devait être confortable au grand palais d'Odrialc'h.
Fuya se reconcentra sur sa mission. Son visage arborait un sérieux sans pareil pendant qu'elle faisait jouer sa mémoire photographique. Elle avait attendu le bon moment pour s'infiltrer parmi la police d'Odrialc'h et obtenir l'information que voulait Titan. L'ennui, c'était que tous les membres de cette fichue police se savaient la cible des différents cartels et celui des Typhons ne faisait pas exception. Néanmoins, il était plus malin. Il savait agir au bon moment et il comptait, parmi ses rangs, une espionne de talent. Fuya sourit. Elle avait appris avec les meilleurs.
Sous son uniforme de policière, reproduit à la perfection aux Abysses, le marché noir, elle marchait d'un pas décidé parmi les bâtiments et saluait ses supérieurs comme le voulait le code d'honneur. Dans son cas, c'était surtout pour se payer leur tête.
Fuya avait tressé ses longs cheveux d'un rose pastel, puis les avait dissimulés sous une perruque brune. Il y en avait des superbes aux Abysses, et Ryan lui avait rapporté exactement celle qu'elle voulait. Maintenant, tout se jouait dans la gestion du temps.
Ce matin, le quartier de Meskem était encombré à cause d'un emménagement. Les calèches transportant les affaires de la nouvelle famille s'étaient succédées les unes après les autres, attirant l'attention des curieux. Au moins, Fuya avait pu en profiter pour essayer son nouveau déguisement et passer devant les gardes civils. Elle avait remercié cette famille en pensées car ainsi habillée en policière, elle avait fait passer la nouvelle de la parade des Alfirin à la population. Il y aurait plus de monde que prévu et de ce fait, la police d'Eel enverrait d'autres gardes civils, ce qui laisserait les bâtiments sans défenses, surtout pour Fuya.
Bien. Titan voulait une information particulière. Un plan, à vrai dire. Celui de l'Ulcère. Il s'agissait d'un chemin condamné qui reliait une partie du grand palais au riche quartier de Davazenn. À l'époque, on l'utilisait beaucoup pour faire entrer le personnel qui ne vivait pas au palais, mais aussi d'autres intervenants. Ce chemin avait été baptisé l'Ulcère car il était dangereux pour la sécurité du palais, mais tout de même utile car très réglementé et ceux qui l'empruntaient ne pouvaient pas aller où ils voulaient. À présent, l'Ulcère n'existait plus, mais Titan pensait le contraire et qu'une faille de ce genre était forcément bien gardée entre les mains de la police d'Odrialc'h. Dans le bâtiment central où se trouvaient les bureaux des gradés, évidemment, ainsi que celui du chef de la police d'Odrialc'h, Tenjin Gozen.
Fuya se dirigea vers le bâtiment central d'un pas décidé. Elle devait agir comme une policière qui savait exactement où elle allait et elle savait que tous les rapports étaient écrits et remis directement en ces lieux. Comme elle s'y attendait, c'était nettement moins peuplé. La plupart des gardes civils étaient descendus dans les rues afin de surveiller les mouvements de foule pendant la parade des Alfirin. Fuya trouvait cela ridicule. En quoi une éminente famille du grand palais qui descendait se promener en carrosse constituait un spectacle ? Enfin, ça l'arrangeait bien.
Au moment où elle se hâtait vers la porte à double-battants du bâtiment central, quelqu'un l'ouvrit. Fuya se figea, prête à se mettre au garde à vous, mais il ne s'agissait que d'un apprenti inspecteur. Un rouleau de parchemin scellé à la main, il se dirigeait vers la volière, où un pterocorvus serait prêt à emporter son message où il le souhaitait.
Fuya songeait que les inspecteurs et leurs apprentis dégageaient tous un aura particulière. Sinistre ou tordue. Celui-là, il cochait toutes les cases du premier cas. Il était un vampire entièrement vêtu de noir, avec un rideau de cheveux sombres qui reposait sur ses épaules comme une cape, puis une frange épaisse qui lui mangeait la moitié du visage. Même le vert opalin de ses yeux ne parvenait pas à apporter un petit peu de vie à cette silhouette dont chaque mouvement était dicté par la rigueur. Fuya ne lui prêtait plus aucune attention. Elle n'avait rien à craindre d'un vampire car celui-ci, n'avait ni le pouvoir, ni la créativité et l'intelligence nécessaire pour se montrer redoutable. Alors elle grimpa les marches vers le bâtiment central.
— Excusez-moi.
Fuya mit un instant avant de comprendre que c'était elle, que l'on interpellait de la sorte. Elle serra les mâchoires, jurant intérieurement contre l'importun, puis se retourna en se constituant un sourire aimable. Lorsque ses yeux bleus rencontrèrent ceux de l'apprenti inspecteur, elle se fit la réflexion que finalement, ce spectre sinistre pouvait parler. Non seulement il parlait mais en plus, il la dévisageait ouvertement, ses sourcils froncés sous sa lourde frange.
— Oui ? répondit-elle d'une voix avenante, comme une nouvelle recrue pleine d'entrain, vous avez besoin de quelque chose ?
— Vous ne faites pas partie de la police.
Sans se démonter, Fuya se mit à pouffer. Dans ce genre de cas, il était bon de passer pour une idiote. Les autres se méfiaient moins et elle parvenait même à faire germer le doute, dans leurs esprits. Ici, elle était une recrue un petit peu naïve et pleine d'idéaux.
— Je suis nouvelle. J'ai passé mon examen d'entrée pendant la session d'Arieh, voilà pourquoi vous ne m'avez jamais vue. Mais c'est un petit peu rude de me juger de cette façon.
Elle fit la moue, mais c'était peine perdue. L'apprenti inspecteur était certain de ce qu'il disait et de ce qu'il voyait.
— J'ai assisté à la remise de diplômes de la session Arieh et vous n'en faisiez pas partie.
— Alors vous n'êtes pas très physionomiste.
— Au contraire. J'ai une très bonne mémoire des visages.
Fuya souffla par le nez. Il était franchement agaçant, cet apprenti inspecteur qui refusait de la laisser tranquille. Les mains derrière le dos, elle descendit les marches, un sourire confiant sur les lèvres. Arrivée à sa hauteur, elle souffla que c'était dommage. Ils auraient pu faire équipe. Puis d'un geste vif, elle tira une seringue de sa manche et visa le cou.
Quand il s'effondra au sol, elle se fit la réflexion que les somnifères de Ryan étaient vraiment très efficaces. Heureusement qu'elle en avait emporté. Elle jeta un regard agacé au vampire endormi. Il était peut-être physionomiste, mais ses réflexes laissaient à désirer.
Fuya se dépêcha de le saisir sous les aisselles pour le cacher derrière la volière, quand elle se rappela du parchemin qu'il tenait dans la main. Curieuse, elle s'en saisit, brisa le sceau de cire et le déroula.
Un large sourire étira ses lèvres. Aujourd'hui était une excellente journée et en plus du plan de l'Ulcère qu'elle allait dérober, elle rapporterait une autre information de qualité et Titan serait ravie.
***
Le vent salin faisait bruisser les feuillages et c'était comme si la forêt respirait. Depuis les remparts de la cité d'Eel, Balam regardait la vie s'animer parmi un paysage qu'il connaissait par cœur. Là, affublé de la tunique azurée des guetteurs, son arc sur l'épaule, il perdait son regard opaque, d'un blanc d'albâtre sur cette forêt qui semblait toujours repousser la cité d'Eel vers la falaise. Elle laissait des dunes de sable à l'air libre, où une herbe haute poussait pour lui donner un côté vallonné. Les enfants aimaient beaucoup y jouer et les parents pouvaient dormir sur leurs deux oreilles, parce qu'ils savaient qu'ils étaient protégés depuis les remparts.
Parfois, Balam surprenait un pimpel en train de quitter son terrier et d'autres fois, c'étaient des dalafas, qui pointaient leurs museaux timides aux abords de la forêt, sans jamais oser s'aventurer hors de son sein. Puis en contrebas, l'océan, ses remous et l'odeur saline portée par le vent.
Aujourd'hui, il venait du nord et il était particulièrement frais. Balam leva une main pour le goûter sur sa peau. La température, aux Terres Gelées du Grand Nord, avait dû connaître une belle vague de froid pour chuter ainsi.
— M'sieur Balam, on va rester planté là toute la journée ? C'est ça, le boulot ?
Patient, Balam croisa les bras sur sa poitrine, puis se tourna vers Alaric. Le jeune morgan de seize ans le fixait avec son regard écarlate, qui jurait avec sa peau bleue ainsi que sa masse de cheveux noirs. Alaric était surtout un adolescent tourné vers la bêtise. Sa dernière œuvre en date était le vol à la tire au sein du marché d'Eel, avant qu'il ne se fasse pincer par les gardes civils. Il était jeune, il y avait encore de l'espoir pour lui, alors le programme de réinsertion qu'il suivait lui permettait de découvrir les différents métiers proposés par la Garde d'Eel.
— Nous surveillons les environs, répondit doctement Balam, mais le métier de guetteur ne s'arrête pas là. Nous devons également nous occuper des titres de séjours ainsi que de l'accueil des étrangers au sein de la cité. C'est important.
— Alors ça veut dire qu'on va se taper la paperasse ? C'est d'un chiant !
Alaric bougonna dans son coin, et Balam le laissa à ses pensées. Le milieu de la matinée approchait et un marchand de perles, qui avait écoulé son stock de marchandises, repartirait bientôt pour le village d'Amzer. Il lui faudrait reprendre son autorisation de vente et lui en faire une autre pour la prochaine. Alaric n'avait pas tout à fait tort : les guetteurs étaient aussi des grattes-papiers. Ça ne dérangeait pas Balam outre mesure, tant qu'on le laissait tranquille sur les remparts.
— Et il regarde l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie, encore et toujours, chantonna un voix que Balam connaissait bien.
— Le Chef de l'Ombre n'a-t-il pas ses obligations ? sourit Balam alors qu'il terminait de préparer la prochaine autorisation du marchand.
Nevra Mircalla grimpa sur les remparts et Alaric le fixa avec de grands yeux. Il reçut un clin d'œil en réponse.
Nevra ouvrit les bras pour accueillir le vent frais et il poussa un soupir d'aise. Il en avait assez de la chaleur qui persistait même si l'été devait être terminé depuis longtemps.
— Les obligations sont des chaînes que j'enfile à ma guise mais par bonheur, me voilà un vampire libre.
— Le Chef Batatume n'en a pas terminé avec les siennes ? demande Balam.
— Le pauvre homme ! le plaignit Nevra.
Les mains derrière le dos, il observa le paysage à son tour et Balam le laissa faire. Il savait que Nevra appréciait sa discrétion. Il savait aussi que Nevra savait qu'il savait. Les murs du domaine Mircalla étaient un rempart pour ceux qui ne s'y intéressaient pas, mais pour quelqu'un comme Balam qui avait appris à regarder les autres pour ce qu'ils sont vraiment, la solitude et le chagrin étaient aussi visibles que les étoiles en pleine nuit.
Après le paysage, Nevra s'intéressa à Alaric. Après quelques réponses monosyllabiques, jetées du bout des lèvres, Alaric finit par laisser la méfiance de côté lorsque Nevra lui raconta une enquête. C'était celle d'un jeune triton qui volait les personnes âgées en emportant leur bourse d'or et qui avait fini par tout dépenser dans les herbes à fumer. Balam savait que cette enquête n'existait même pas mais à la fin, Alaric voulait savoir comment les traqueurs de l'Ombre travaillaient et comment on faisait, pour devenir inspecteur.
— Et les inspecteurs se déguisent pour infiltrer le marché noir ? s'enquit Alaric, captivé.
— Non, ça, c'est plus du ressort des Spectres. Les Spectres sont formés pour se fondre parmi le marché noir. Ce sont nos meilleurs éléments car le jour où leur couverture se brise, c'en est fini d'eux.
— Et les traqueurs ?
— Ils font circuler les informations…
Comme un élève devant son professeur, Alaric écoutait avec attention. Pendant ce temps, Balam pouvait se plonger dans ses pensées. Il se demandait quel livre il lirait ce soir, dans sa petite maison sur le port d'Eel ou bien si Valkyon lui proposerait de marcher aux Jardins de la Musique. Là, ils partageraient une conversation philosophique et Balam les appréciait.
En attendant, il fixait son regard opaque sur la forêt, là où quelques lappys prenaient leur envol et il observait leur ballet avant de remarquer qu'une partie de la forêt, à l'est, semblait comme endormie. Visiblement, les black dogs étaient de sortie et la chasse commençait.
Les Choix
Une fois n'est pas coutume, pour ce reboot, vous allez choisir votre nouveau narrateur parmi les quatre que vous venez de lire ! Comme vous avez pu le constater, deux narrateurs vous font démarrer l'aventure à Eel et deux autres, à Odrialc'h.
Pour vous aider un peu plus, voici les portraits de vos narrateurs ainsi que quelques petites précisions :
Nevra Mircalla
Dessin réalisé par Wounw
Nevra Mircalla est un vampire de 32 ans et Chef de la Garde de l'Ombre, qui représente la police de la cité d'Eel.
Si vous avez l'âme d'un Chef, suivre Nevra vous permettra d'avoir accès à de précieuses informations, envoyer vos gardiens en missions, travailler avec votre Second de l'Ombre, Enthraa Kellerman, et mener des enquêtes. Vous aurez toutes les ressources nécessaires à portée de main pour percer les mystères des évènements à venir mais attention : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.
Helouri Ael Diskaret
Dessin réalisé par Lynara
Helouri Ael Diskaret est un morgan de 21 ans. Il a emménagé à Odrialc'h avec ses parents ainsi que June, sa grande sœur adoptive. Frêle et famélique, il n'a pas l'étoffe d'un combattant et préfère l'érudition. Helouri souhaité devenir médecin mais malheureusement, il n'a jamais réussi l'examen d'entrée pour la Garde Absynthe, qui lui aurait permis d'étudier la médecine. Helouri se demande si ça vaut la peine de continuer et s'il devrait persévérer dans cette voie à Odrialc'h. Que va lui apporter la plus grande cité d'Eldarya, avec tous les mystères qu'elle recèle ?
Helouri est narrateur quia besoin d'évoluer, mais qui sait sur quel chemin vous allez choisir de le mener.
Fuya Pyle
Dessin réalisé par ZuzoHyo
Fuya Pyle est une sirène de 19 ans qui fait partie du cartel des Typhons, sous les ordres de Titan. Agile, bonne combattante et avec une mémoire photographique, Fuya est souvent envoyée en mission d'infiltration pour dérober des plans et des informations. Depuis qu'elle est jeune adolescente, Fuya a su évoluer dans les ténèbres et elle se bat pour l'idéal du cartel : empêcher la conquête terrienne.
Fuya est une narratrice qui ne vous laissera aucun répit ! Vous allez devoir réaliser des missions complexes, évoluer en aux troubles et poursuivre l'idéal du cartel. Néanmoins, réussir vos missions vont vous donner accès à de précieuses informations, mais aussi vous conduire vers de potentiels et puissants alliés. Avec Fuya, réfléchissez aux plans de concert avec Titan, faites vos rapports de missions et voyagez dans tout Eldarya. Mais attention ! Le cartel est recherché par toutes les milices et ce qui vous attend si vous vous faites capturer, c'est la prison, puis la peine capitale.
Balam Lefaucheur
Dessin réalisé par Makaria
Balam Lefaucheur est un elfe noir de 30 ans qui est guetteur à la cité d'Eel. C'est une personne très sage qui n'aspire qu'à vivre un quotidien paisible. Il est très appréciés de ses collègues, proche de Nevra et Valkyon et il a la faculté de regarder au-delà des apparences.
Balam est le narrateur le plus calme des quatre. L'accompagner, c'est plonger dans son esprit, faire preuve de curiosité, prêter attention au monde qui vous entoure et accueillir les évènements avec un calme religieux, aussi pénibles soient-ils. Il faudra être un socle pour ses amis et parfois, repousser cette sérénité qui vous est si précieuse pour se plonger dans l'adversité. Mais Balam ne sera jamais seul.
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Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous en ce samedi soir (^_^)/
Me voici enfin pour poster ce premier chapitre du reboot d'Apotheosis. Navrée pour le retard, la grippe m'a eue et je n'ai pu retourner à l'écriture que jeudi. Prenez soin de vous car elle est particulièrement énervée cette année !
En tout cas, vous voici avec ce premier chapitre qui vous apportera beaucoup d'éléments. Vous allez accompagner Nevra, Fawkes, June, Hélios et Théanore. Tout le monde aura un choix global à faire et quant à nos invités, ils auront un choix personnel supplémentaire. Vous avez dix jours pour voter, alors n'hésitez pas à discuter entre vous, comme la bonne équipe d'aventuriers que vous êtes !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 1 - Le Sourire Noir
Il boutonna sa veste d'uniforme en fredonnant cette chanson qui lui trottait dans la tête. Pas jusqu'au en haut, parce que ça faisait austère. De plus, Nevra avait l'impression que sa veste voulait l'étrangler et il n'avait pas envie de se battre avec elle de si bon matin. Il jeta un œil à la fenêtre de sa chambre. Derrière les croisillons, il vit que le soleil se cachait derrière d'épais nuages en laissant une paix royale aux jardins des Mircalla ainsi qu'aux vampires. Ce serait une journée idéale, assez fraîche, dédiée à la paperasse en plein air, à une matinée de rapports ainsi qu'à ce que Nevra appelait la méditation observatrice. Cela consistait à monter sur les remparts de la cité pour guetter le paysage avec Balam tout en profitant du calme des lieux. Bien entendu, Nevra ne pourrait pas s'empêcher de parler. Il aimait beaucoup parler, même pour ne rien dire. Il pensait que c'était parce qu'il était si perturbé par la voix grinçante de son père ainsi que des silences pesant lors des repas, qu'il avait besoin de faire du bruit. C'était une façon de les faire disparaître. Au départ, Nevra était persuadé que Balam ne l'écoutait pas, alors il avait déjà tenté de se payer la tête du pauvre guetteur en racontant des insanités pour lui demander, ensuite, s'il écoutait. Et bien sûr que Balam écoutait. Il était attentif, alors quand Nevra lui avait demandé de répéter ce qu'il avait dit mot pour mot, Balam l'avait fait.
Eh bien, vous avez dit que nous irions faire une orgie sur la plage, avec les poissons, et que vous me baiseriez jusqu'à l'os avec les lapys pour témoins. Navré, Nevra, mais je ne suis pas intéressé par votre projet.
Nevra pouffa en se regardant dans la glace du grand miroir de sa chambre. Les grossièretés ne seyaient pas du tout à Balam. Ce jour-là, ses collègues avaient ri et Nevra s'était retrouvé ridicule devant sa propre farce.
Il soupira quand il entendit le manoir grincer. Son père allait finir par exploser, s'il ne se montrait pas à l'instant au petit-déjeuner et Nevra n'avait pas envie de se battre contre lui non plus. Il n'était pas très en forme, à vrai dire. Il avait mal dormi. Il avait rêvé que le sol de sa chambre était couvert de sang et que quelqu'un avait massacré des pimpels. Leurs cadavres séchaient sous un soleil de plomb là-dehors et les jardins des Mircalla étaient devenus l'enfer.
Nevra acheva de décoiffer savamment ses cheveux avant de quitter sa chambre pour rejoindre la terrasse. Quand le soleil se cachait, ses parents aimaient prendre le petit-déjeuner à l'extérieur, mais ça ne rendait pas Narcisse Mircalla aimable pour autant. Depuis les escaliers, Nevra pouvait l'entendre maugréer à quel point sa vermine de fils ne méritait rien d'autre qu'un rat dans son assiette. Oui, il faudrait demander aux brigadiers, ces courageuses âmes qui se rendaient sur Terre pour rapporter des vivres, d'attraper ces vilaines bêtes pour le fils indigne des Mircalla. Les matins où il oserait faire attendre ses parents, Narcisse demanderait à ce qu'un rat lui soit servi et il devrait en boire le sang jusqu'à la dernière goutte, peu importe à quel point c'était ignoble.
Nevra souffla par le nez. Il existait des vampires qui seraient heureux d'avoir un rat pour le petit-déjeuner. Les poches de sang coûtaient de plus en plus cher et l'appel des dons auprès de la population contre de l'or ne fonctionnait plus aussi bien à cause de la pénurie de vivres. Certains faeliens trop carencés se voyaient refuser l'accès au don du sang et les élus manquaient à l'appel. Donc un rat, ça n'était pas si mal en fin de compte.
— Tiens donc, ma douce, regarde qui voilà, grogna Narcisse à l'attention de sa femme, la tare de la famille.
— Bonjour à vous aussi, mes chers parents, répondit Nevra en s'installant.
Il dessina un sourire sur son visage, puis attendit d'être servi. Les serviteurs s'affairèrent dans leur ballet habituel pendant qu'un silence pesant s'installait autour de la table. Une brise fraîche faisait bruisser les bosquets et buissons alentour, habilement taillés par les jardiniers.
Nevra remarqua que sa mère était plus rayonnante. Elle devait cela au ma douce prononcé par Narcisse, bien que ça ne voulait plus rien dire aujourd'hui. C'était devenu un tic de langage et la valeur qu'Iris Mircalla y accordait ne trouvait pas son reflet dans le regard ni le cœur de son mari.
— Comment allez-vous ? lui demanda Nevra.
— Vas-tu gâcher mon petit-déjeuner aujourd'hui aussi ? persifla Iris.
— Excusez-moi.
Le sang avait un goût fade, ce matin, comme tous les jours. Il sera plus savoureux à midi, au réfectoire, avec les conversations et le rire de Valkyon, mais aussi les verres levés et les plaisanteries de ses gardiens de l'Ombre qui boiraient à sa santé.
Une fois libéré du petit-déjeuner, Nevra quitta le domaine des Mircalla, mais aussi toute la tension qui pesait sur ses épaules. Il offrit son visage au vent salin qui le revigora et, fidèle à leur rituel, il rejoignit Valkyon sur la falaise. Le grand faelien fixait l'horizon, les bras croisés sur son large torse. Nevra savait que c'était sa façon de se ressourcer avant de reprendre l'entraînement des recrues, d'étudier ses rapports de missions et de travailler de concert avec la Garde de l'Ombre. Les inspecteurs et les traqueurs avaient souvent besoin de forces armées pour mener à bien leurs enquêtes, surtout lorsque la police d'Eel, comme celle d'Odrialc'h, possédait beaucoup de vampires en son sein qui avaient besoin d'être protégés.
— Alors, que te murmure la mer ? lui lança Nevra.
— Elle m'a annoncé ta venue, c'est déjà une bonne chose, sourit Valkyon en se retournant.
— Quelle fidèle admiratrice !
Nevra balaya l'océan du regard. Aujourd'hui, il faisait grise mine. Il semblait endormi et ses vagues venaient embrasser le rivage avec une torpeur lourde qui changeait beaucoup des rouleaux habituels.
Nevra s'appuya sur le bras de Valkyon.
— Tu n'as pas beaucoup mangé, ce matin ? lui demanda ce dernier en fronçant les sourcils.
— Très peu. Mais j'ai une poche qui m'attend sagement dans mon bureau. Elle a le goût de la paix et crois-moi que c'est délicieux.
Nevra lui fit un clin d'œil et ils commencèrent à marcher vers la cité. Au loin, le quartier général se dressait derrière les habitations et le centre-ville telle une tour d'ivoire. On y retrouvait toute l'administration d'Eel ainsi que les appartements des membres de l'Étincelante, mais aussi l'hôpital universitaire. D'ailleurs, la Garde Absynthe était la seule à siéger au quartier général puisque ses membres travaillaient de concert avec les médecins quand certains d'entre eux n'étudiaient pas pour le devenir. Ezarel Sequoïa, à la tête de l'Absynthe, était lui-même médecin ainsi qu'alchimiste de renom. Quant à Valkyon et Nevra - les pauvres hères, comme aimait dire ce dernier - leurs Gardes étaient mêlées à la cité. Celle de l'Ombre se trouvait en plein centre-ville, non loin du marché et celle de l'Obsidienne, plus excentrée vers les remparts.
— Des nouvelles de l'enquête sur le tap ? s'enquit le Chef de l'Obsidienne.
— Fawkes est rentré dans la nuit, alors j'en saurai plus ce matin. J'espère qu'il a de bonnes nouvelles à m'apporter car si les réseaux de revendeurs n'ont pas eu le temps de plonger leurs racines sur le continent, ce sera plus facile de s'en débarrasser.
— Le chef de la police d'Odrialc'h m'a envoyé une missive pour demander des effectifs. La garde civil protège les citoyens, mais Tenjin voudrait des gardiens affiliés à la protection des enquêteurs et de leurs apprentis.
— Tenjin rêve surtout de démanteler tous les trafics de tap qui sévissent à Odrialc'h, mais il mène une guerre perdue d'avance. Pendant qu'il concentre ses enquêteurs sur cette affaire, les cartels en profitent pour faire leurs marchés, réfléchit Nevra.
Valkyon souffla par le nez. Le tap était une véritable malédiction apportée par les goules, sur des routes maritimes que personne n'avait jamais réussi à trouver. On disait qu'elles venaient du nord, par delà les montagnes noires et ceux qui avaient voulu enquêter n'étaient jamais revenus.
La mort qu'elles vendaient était une drogue qui permettait aux plus malheureux de fuir la réalité dans de longs rêves et aux plus obstinés de développer leurs capacités intellectuelles afin de mémoriser les études les plus cruelles, comme celles de la médecine. Ezarel soupçonnait certains de ses étudiants de consommer du tap alors, pendant la dernière réunion inter-gardes, il avait demandé à ce qu'une enquête soit menée afin de découvrir si des réseaux de revendeurs s'étaient installés sur le continent du Beryx. Nevra, quant à lui, en était certain mais avant qu'Eel et les villages alentours deviennent aussi gangrénés qu'Odrialc'h, le mal pouvait être coupé à la racine. De toute manière, si les soupçons d'Ezarel étaient fondés, les étudiants en questions finiraient par se révéler d'eux-mêmes, parce que le tap laissait des traces sur le corps : les lèvres de ses adeptes finissaient toujours par noircir. Ils tentaient de le cacher avec du maquillage, mais la vérité se révélait un jour ou l'autre. De plus, leurs cheveux devenaient filasses et avec le temps, ils tombaient par poignées jusqu'à les laisser chauves. Puis à la fin, c'était leur cerveau qui s'éteignait. Les consommateurs du tap perdaient la mémoire, ne reconnaissaient plus leurs proches et faisaient des crises de démence. Des services d'addictions avaient ouverts dans de nombreux hôpitaux pour s'occuper de ces personnes, mais aucun médecin ne savait comment faire disparaître les effets de cette drogue.
— Je te ferai parvenir une copie du rapport de Fawkes, décida Nevra, et selon ce qu'il aura trouvé, nous aurons peut-être une descente à faire.
— Très bien, sourit Valkyon, dans ce cas, Tenjin devra attendre ses effectifs. Je vais composer une équipe de gardiens prêts à être déployés. Il faudra les mettre au parfum sur l'enquête, mais une petite réunion devrait arranger ça.
Nevra administra une tape amicale sur l'épaule de son ami. Les bâtiments de la Garde Obsidienne, avec leur colisé d'entraînement, approchaient. Nevra devinait sans mal que les nouvelles recrues devaient déjà être en train de s'entraîner sous la tutelle des vétérans. Pour avoir visité les quartiers de l'Obsidienne à plusieurs reprises, le Chef de l'Ombre savait qu'ils étaient accueillants et qu'il y régnait une discipline naturelle ainsi qu'un véritable esprit d'équipe. Les obsidiens étaient aussi efficaces que les ombres. Ils avaient l'habitude de travailler ensemble et le résultat de leurs nombreuses associations n'était plus à prouver. À Odrialc'h, Tenjin Gozen, le chef de la police, faisait de son mieux pour solliciter l'aide du corps armée, mais les effectifs manquaient à l'appel.
Lorsque Nevra atteignit le centre-ville d'Eel, le marché s'installait. Les falotiers éteignaient les derniers réverbères pendant que les marchands dépliaient leurs étals et dressaient leurs tentes. Les mains derrière le dos, Nevra prit le temps de regarder les différentes marchandises en train d'être mises en valeur, jusqu'à son présentoir préféré qui avait plus l'allure d'une petite pension.
Nevra s'arrêta devant l'élevage de familiers. Il eut un sourire face aux petits crylasms qui buvaient dans un abreuvoir, aux bécolas blottis contre leur mère, aux corkos qui se baignaient dans des baquets et aux sitourches qui semblaient menacer tous les passants du regard.
Nevra observa les éleveurs et leurs familiers puis quand il trouva celle qu'il cherchait, il l'interpella :
— Hélà, beauté des océans !
Une sirène d'une vingtaine d'année, occupée à aider un bébé skanis à boire, se releva pour lui lancer un regard las qu'elle ne maintint pas longtemps. Son visage doré se fendit d'un sourire chaleureux. À vrai dire, toute sa personne respirait la bienveillance, de ses cheveux nacrés qu'elle nouait en un chignon qui pesait contre sa nuque comme un fruit, dans ses yeux d'un joli parme et jusqu'au bas de sa robe d'un bleu pervenche. Elle se pencha pour attraper délicatement le petit skanis qui se recroquevilla dans ses bras.
— La flatterie ne fonctionne toujours pas avec moi, Monsieur Mircalla.
— Décidément, la beauté est une longue tyrannie, se plaignit Nevra, comment vas-tu, Alajéa ?
Alajéa Edam travaillait en tant qu'éleveuse pour le compte des purrekos, en particulier Purrerru, issue d'une longue lignée d'éleveurs de familiers. Les purrekos étaient réputés pour choisir leurs partenaires faeliens avec le plus grand soin et dans le cas d'Alajéa, ce n'était pas étonnant puisque la sirène avait été secourue par Purrobald, le grand-père de Purrerru. Nevra ne connaissait pas les détails, mais Alajéa employait toujours le terme sauver.
Elle lui raconta ses dernières aventures aux Terres Gelées du Grand Nord. Elle était partie avec d'autres éleveurs pour s'approcher des skanis. En cette période, les femelles mettaient bas et bon nombre d'entre elles abandonnaient leurs petits les plus faibles.
— Nous en avons récupéré beaucoup cette année, expliqua Alajéa, tous n'ont malheureusement pas survécu, mais cette petite se remet, malgré ce que sa mère lui a fait.
Elle lui montra le bébé qu'elle portait dans les bras. Nevra remarqua qu'elle était défigurée, que son museau était tordu et ses yeux, inégaux.
— Elle a été mordue par sa mère, repris Alajéa, les dégâts étaient importants. Heureusement que Purrerru a pu l'opérer rapidement. Néanmoins, j'ai peur que personne ne veuille l'adopter.
Nevra hocha la tête. Beaucoup de nobles familles désireuses d'avoir des familiers domestiques faisaient appel à Purrerru et il était certain que cette petite skanis ne remplirait jamais leurs exigences. Même ici, à Eel, les gens plus modestes n'en voudraient pas.
Il cligna des paupières quand des formes apparurent dans sa vision, puis songea qu'il était temps de se rendre à son bureau pour boire sa poche de sang. Il prit congé d'Alajéa, puis rejoignit la Garde de l'Ombre, dont le bâtiment se dressait non loin du marché.
Il n'avait pas l'allure impériale du quartier général ni celle, plus guerrière, de la Garde Obsidienne mais Nevra appréciait sa simplicité. Plus sombre, cylindrique, avec de multiples fenêtres qui ressemblaient à des yeux, il comptait de nombreux bureaux et salles de réunions dans ses étages, puis la prison d'Eel dans ses profondeurs. Nevra entra par la porte cochère, puis apprécia l'atmosphère de sa Garde.
Valkyon avait beaucoup de mal, quand il venait lui rendre visite, car tout était toujours en mouvement. Les inspecteurs et les traqueurs étaient pressés, les couloirs encombrés par des chariots que l'on utilisait pour transporter les caisses avec les preuves et les portes des bureaux, toujours ouvertes. On se hélait d'un bout à l'autre, on criait les noms des inspecteurs, on organisait des réunions à la va-vite pour s'échanger des informations… Nevra disait que le crime ne se reposait jamais et la Garde de l'Ombre pouvait en témoigner. Au rez-de-chaussée, il y avait des victimes à attendre, au guichet, et pendant la nuit, des gardes civils emmenaient des ivrognes décuver en prison. Puis en haut, à la volière, des pterocorvus garantissaient la liaison entre Eel et Odrialc'h.
Sur le chemin jusqu'à son bureau, Nevra salua ses gardiens. Certains d'entre eux lui affirmèrent que Fawkes était bel et bien rentré cette nuit et qu'il avait dormi en salle de repos afin d'être prêt pour son rapport, ce matin. Il avait déjà pu échanger avec la Seconde de l'Ombre, Enthraa Kellerman et il avait trouvé la piste d'un réseau de tap en devenir. Nevra fronça les sourcils et se hâta. Il fallait en finir au plus vite.
Son bureau se situait au troisième étage, tout comme celui d'Enthraa. À l'image du reste de la Garde, Nevra ne s'était pas occupé de le décorer car ce qui comptait, c'était d'être efficace. Et puis il avait bien assez des fioritures arrogantes du manoir Mircalla pour en rajouter sur son lieu de travail. Une fois à l'intérieur, il verrouilla la porte derrière lui, se dirigea vers un petit coffre-fort noir qui siègeait dans une armoire, l'ouvrit, puis attrapa la poche de sang dont il se reput. Nevra poussa un soupir d'aise. Son corps se détendit, satisfait d'avoir reçu les nutriments nécessaires.
Il achevait de s'essuyer la bouche quand on toqua à sa porte. Nevra enleva le verrou, puis invita la personne à entrer.
— Chef Mircalla, le salua la voix d'Enthraa.
— Une seconde plus tôt et je ressemblais à un black dog.
Sa plaisanterie ne fit sourire que lui, mais Nevra ne s'en formalisa pas. Enthraa était ainsi. Inspectrice depuis vingt-deux ans et Seconde de l'Ombre depuis sept ans, elle était l'une des pierres angulaires de la Garde. Enthraa Kellerman était connue du côté des truands pour être un fléau car quand elle avait une proie dans le collimateur, elle déployait beaucoup de moyens pour la capturer. Sauf que toutes les règles avaient des exceptions et celles d'Enthraa, c'était Titan, la cheffe du cartel des Typhons et Sexta Stoker, l'Impératrice des Abysses. Deux cibles insaisissables qu'elle rêvait de faire monter sur l'échafaud.
— Fawkes est prêt à vous faire son rapport, déclara simplement Enthraa.
— Il a trouvé quelque chose ?
— En effet. Il nous attend dans la salle de réunion numéro neuf.
— Réactif, sourit Nevra.
Sans plus attendre, Nevra et sa Seconde se dirigèrent vers la salle en question. Le Chef de l'Ombre remercia mentalement Valkyon de préparer une équipe de gardiens prêts à être déployés car dans les heures à venir, le temps deviendrait leur ennemi. Si un embryon de réseau de trafiquants se mettait en place, il fallait vite le détruire dans l'œuf.
Lorsque Nevra entra dans la salle de réunion, Fawkes était en train d'annoter une carte du continent pendant qu'à ses côtés, un jeune loup-garou s'agitait, manifestement agacé par les refus successifs de son collègue.
— S'il te plaît !
— Non.
— Juste une fois ! Une mission sur le terrain, une seule !
— Je t'ai déjà dit non.
Le loup-garou poussa un soupir agacé, puis Fawkes encercla une partie de la forêt d'Albacore, qui bordait Eel. Son air concentré dessinait une ride sur son front pendant que ses yeux bruns suivaient un chemin hypothétique sur la carte. Dévoué à sa mission, Fawkes n'avait pas pris le temps de se raser et une barbe de quelques jours commençait à pousser. Ses oreilles animales de renard-garou suivaient les bruits de la Garde sans troubler sa concentration et quand il daigna quitter la carte des yeux, ce fut pour saluer son Chef.
— Chef Mircalla.
— Gardien Fawkes, si Chrome a fini de vous pépier dans les oreilles, je suis prêt à entendre votre rapport.
— Je ne pépie pas ! s'insurgea l'intéressé, mais Chef… J'en ai marre des mises en situation ! Je veux juste partir en mission et j'aimerais bien suivre celles du gardien Fawkes ! Il enquête sur le tap pendant que moi je dois faire semblant de m'intéresser aux troupeaux de crylasms volés !
— C'est vrai qu'il va falloir revoir les scénarios des simulations, songea Nevra.
Chrome eut l'air dépité et Nevra se massa le front. Chrome Talbot était un apprenti traqueur qui avait hâte d'aller sur le terrain seulement, il n'était pas prêt. Il avait toujours la fâcheuse manie de se laisser distraire. Il avait aussi de grandes difficultés dans la lecture. Il disait que les lettres se mélangeaient et qu'il n'arrivait pas à les remettre en ordre. À la place, il avait développé ses capacités de mémorisation et il était capable d'écouter une conversation puis de la rapporter au mot près.
— Chrome, l'interpella Nevra avec plus de sérieux, premièrement, vous vous trouvez dans une salle de réunion alors que vous n'y avez pas été convié. Deuxièmement, vous ennuyez le gardien Fawkes lors d'un rapport important sur une mission capitale dans l'affaire du tap. Il y a un moment propice pour chaque chose, nous en avons déjà discuté.
— Je sais… soupira Chrome, je suis désolé, d'accord ? Je vais retourner en simulation. Sauver les troupeaux de crylasms.
Il acheva la phrase avec une grimace de mépris, puis quitta la pièce. Nevra rangea le cas de Chrome Talbot dans un coin de son esprit, puis s'intéressa à la carte que Fawkes avait annotée. Il croisa les bras sur sa poitrine, puis invita Fawkes à faire son rapport :
— J'imagine que vous avez trouvé quelque chose et des gardiens de l'Obsidienne vont être prêts à se joindre à l'enquête. Quelle est la situation ?
— Je suis allé jusqu'à Amzer, raconta Fawkes, en commençant par enquêter à Albacore. Beaucoup de marchands font une halte là-bas et j'ai appris qu'ils avaient modifié leur itinéraire. À cause des black dogs.
— Les black dogs ?
Nevra fronça les sourcils. Les black dogs étaient des familiers très agressifs qui chassaient en meute et causaient de véritables carnages. Ils avaient été une menace sans précédent pour le petit village d'Albacore, mais aussi pour la Garde Obsidienne qui avait dû les repousser quelques années plus tôt. Par bonheur, on avait fini par découvrir qu'ils détestaient l'odeur du rozmarin, alors la Garde Absynthe en avait fait pousser toute une barrière pour délimiter le territoire des black dogs.
— Les barrières de rozmarins ont été détruites ? s'enquit Nevra.
— Non, répondit Fawkes, je suis allé voir et elles sont toujours là. Sauf que les black dogs ont bougé et honnêtement, Chef, s'ils l'ont fait c'est qu'ils sont tombés sur plus dangereux qu'eux.
Il leva les yeux vers Nevra, puis acheva :
— Des goules.
Le visage du Chef de l'Ombre se fendit de surprise. Il échangea un regard alarmé avec Enthraa pendant que son esprit réfléchissait à toute vitesse :
— Les goules empruntent leur propre route pour le trafic du tap. Elles savent nettoyer derrière elles pour ne pas être retrouvées. Vous pensez vraiment qu'elles pourraient se cacher dans la forêt ?
— Je le pense pas, j'en suis sûr, grogna Fawkes, j'ai passé la barrière de rozmarin et j'ai trouvé le cadavre d'un black dog. C'est du venin de goule qui l'a tué.
Pour illustrer ses propos, Fawkes tira une petite fiole de sa ceinture. À l'intérieur, une substance noire, poisseuse, collait aux parois et Nevra reconnut sans mal le venin que les goules expulsaient de leur organisme pour l'implanter dans celui de leurs victimes. On en retrouvait souvent sur les cadavres d'anciens trafiquants qui avaient essayé de les tromper sur le pourcentage des ventes du tap.
— Si ça, c'est pas pour nous narguer… ajouta Fawkes.
— Évidemment que c'est pour nous narguer, cracha Enthraa, ces choses se croient invincibles et elles croient aussi que la graine de leur foutu réseau, sur le Beryx, va pousser. Mais nous allons l'arracher et nous finiront bien par trouver leur route maritime !
— Sauf qu'avec le souci des goules, il ne faut pas oublier celui des black dogs. Je vais demander à ce que Valkyon déploie ses gardiens pendant que nous ferons une descente dans la forêt. Fawkes, tu as appris autre chose à Amzer ?
Amzer était un village peuplé par les morgans, tout au sud du continent. Les marchands finissaient leur route chez eux pour voyager en bateau jusqu'à Odrialc'h et revenir avec d'autres articles à vendre. Les morgans étaient connus pour être un peuple pacifique qui accueillaient volontiers les étrangers dans leur village, à condition qu'ils respectent leurs rites pour l'océan qu'ils considéraient comme un déesse.
— Les morgans ont rien vu de particulier. Les marchands les ont prévenus que quelque chose n'allait pas dans la forêt et ça les a surpris car si une goule avait accosté sur le continent, ils en auraient forcément entendu parler. Leurs pêcheurs de perles s'aventurent assez loin.
— Ces goules ne sont tout de même pas sorties de nulle part, réfléchit Enthraa, à moins que quelqu'un cherche à brouiller les pistes.
Les deux mains à plat sur la table, elle lança un regard mauvais à la carte, comme si elle s'était transformée en goule, puis poursuivi son hypothèse :
— Amzer voit beaucoup de bateaux marchands en provenance d'Odrialc'h. Si un revendeur voulait bâtir un réseau de tap à Eel pour le compte des goules, il lui suffirait de dissimuler la drogue et du venin dans ses marchandises.
— La douane les aurait forcément trouvés, intervint Nevra.
— La douane est en sous-effectif depuis que les marchands ne veulent plus payer de taxes au port d'Eel et les morgans sont trop gentils, persista Enthraa.
Nevra souffla par le nez. Il avait déjà rapporté aux Étincelants qu'augmenter les taxes sur les marchandises en provenance d'Odrialc'h finirait par causer des soucis de ce genre. Les morgans ne se plaignaient pas des arrivées massives de marchands dans leur village, qui modifiaient leur itinéraire mais en effet, ce pourrait être une aubaine pour des trafiquants venus implanter un réseau de tap.
Nevra ferma brièvement les yeux. Il n'y avait pas de temps à perdre, alors il allait envoyer une missive à Valkyon pour faire préparer ses gardiens.
— Gardien Fawkes. Allez vous reposer. Vous viendrez prendre vos ordres en fin d'après-midi.
Le gardien Fawkes obtempéra. Il roula sa carte et partit en salle de repos récupérer ses heures de sommeil.
Eménagement de la famille Ael Diskaret à Odrialc'h (RP)
De grandes remorques en bois transformaient une partie de la rue en file d'attente, mais les gens s'en moquaient. Les plus curieux observaient cet emménagement soudain, au sein du quartier de Meskem et non loin du port. D'ailleurs, un bateau en provenance de la cité d'Eel avait pu acheminer beaucoup d'affaires, des souvenirs d'une vie ayant survécu à un énorme tri, prêts à s'installer au sein d'une nouvelle maison.
Elle était spacieuse, cette maison. Elle avait de quoi abriter une famille entière, avec un vaste salon qui rendraient les soirées les plus froides chaleureuses, grâce à la cheminée qui ferait ronfler un feu bienvenue, mais également les repas. Deux faeliens, un troll et un orc, étaient en train de monter une longue table. Dans la cuisine, une morgan d'une quarantaine d'année pestait contre le désordre dans l'une des boîtes qui devait contenir uniquement la vaisselle :
— Joseph ! Qu'est-ce que tes chaussures font avec mon service à thé ?
— Je ne sais pas, ma chérie. J'imagine qu'elles en ont eu assez des tiennes et qu'elles ont décidé de prendre l'air, plaisanta un grand morgan qui installait un bas de buffet.
À l'étage, leur fils cadet déballait ses affaires, puis les rangeait avec le plus grand soin. Des cernes discrètes soulignaient un regard d'argent, et s'étalaient sur sa peau glacée pour traduire sa fatigue du déménagement. Il y avait encore beaucoup à faire. Les prochains jours, ils devraient tous vivre parmi les boîtes en bois, jusqu'à ce qu'elles soient entièrement vidées. Ensuite, Joseph irait les porter jusqu'à l'atelier d'un menuisier qui les avait réclamées afin de les transformer en mobilier.
Assis en tailleur sur son lit, Helouri pliait ses vêtements. Plus tôt, son père et sa sœur s'étaient occupés de monter son sommier ainsi que d'installer son matela. Son armoire, elle, trônait déjà dans sa chambre et il devait en remercier les déménageurs.
Ses doigts graciles pliaient ses pantalons pendant que sous sa masse de boucles nacrées, son esprit songeait à tout ce qui restait à faire. Helouri pouvait déjà entendre sa mère soupirer que les affaires à déballer et les meubles à monter n'en finissaient pas pourtant, une fois tout le labeur achevé, ce serait une belle maison qui vivrait.
Helouri se pencha hors de son lit pour fouiller dans la boîte qui contenait ses vêtements. Quand il en attrapa un, son visage arbora une moue perplexe, avant de soupirer contre les habits mélangés. Il mit un pied au sol, s'accroupit et tâcha de soulever la grande caisse en bois. Heureusement que personne n'était là pour l'observer car avec sa silhouette famélique et ses membres trop fins, on aurait pu croire que son chargement serait susceptible de le casser en deux.
Helouri quitta sa chambre pour se diriger vers la pièce adjacente. Là, il posa la caisse, mis une main sur la porte, puis interpella la silhouette qui installait déjà du désordre dans sa propre chambre :
— June, tes vêtements ont été mélangés avec les miens.
Plongée jusqu’aux coudes dans une pile de linges défaits, l’intéressée se redressa vivement. Quelques mèches cendrées retombèrent sur son visage parsemé de tâches de sons, et un sourire ravi illumina ses prunelles améthystes.
— Ah, je me disais aussi que c’était pas mes affaires ! s’exclama-t-elle.
June se releva, traça un chemin au milieu des divers objets parfois tout à fait incongrus qui parsemaient sa nouvelle chambre, puis sautilla jusqu’à son frère pour récupérer la caisse qu’il tenait à bout de bras. Sans aucune considération pour le pliage soigneux fait au départ, elle renversa la caisse sur un tas de tissus, qu’Helouri devina être posé sur son lit. June se laissa ensuite aller contre l’armoire et poussa un soupire dramatique.
— Je suis épuisée ! Tu en es où dans le rangement, Lou ? s’enquit-elle gentiment. Tu veux que je t’aide ? Ça me fera une pause ici, puis j’ai déjà bien avancé. Oh, on ira sur le marché après ! Et sur le port, aussi. Il faut absolument qu’on aille voir le palais bien sûr, et puis on prendra de quoi grignoter sur le chemin. J’aimerais bien m’acheter un nouveau ruban pour mes cheveux, celui-là est en train de tomber en morceaux.
Elle agita sa tresse en énumérant tout ce qu’ils devraient faire, et Helouri put constater qu’en effet, le ruban de cuir ne tenait plus grand chose. Il s'étira jusqu'à faire craquer son dos, puis bailla. Il ne savait pas depuis combien de temps exactement ils s'affairaient dans le rangement, mais son estomac commençait à protester.
— J'ai bien avancé de mon côté, sourit Helouri, alors je pense qu'une petite pause nous fera du bien. On pourrait aller se promener sur le marché et acheter quelque chose à manger ? On prendra aussi quelque chose pour les parents et en passant, tu trouveras peut-être un ruban.
Celui de June faisait peine à voir, c'était vrai. Il l'avait suivie durant de nombreux entraînements au sein de la Garde Obsidienne, à Eel et maintenant qu'elle se trouvait à Odrialc'h, Helouri se demandait si elle souhaitait s'engager dans l'armée ou bien faire autre chose.
— J'ai hâte de voir le grand palais aussi ! s'enthousiasma Helouri, et peut-être qu'avec un peu de chance, on verra un serviteur personnel !
— Il paraît qu’ils sont toujours beaux ! s’exclama June en le prenant par le bras pour l’entraîner dans le couloir. Peut-être que l’un d’eux tombera amoureux de moi, qui sait ?
Elle se composa une moue exagérément séductrice, tout en dévalant les escaliers avec son frère au bout des doigts.
— Papa, maman, on sort ! cria-t-elle depuis l’entrée. Allez viens, Lou, partons à la découverte de notre nouveau chez-nous ! Et peut-être qu’on verra la Capitaine, t’imagines ?
Helouri hocha la tête, ravi. Oui, peut-être qu'ils verront tout ce beau monde, ils ne pouvaient qu'espérer. Le jeune morgan avait du mal à réaliser que sa famille avait pu emménager dans la plus grande cité d'Eldarya. Son père, un ancien garde civil de la Garde Obsidienne, avait été transféré au sein de l'armée d'Odrialc'h afin de rejoindre les rangs de ceux qui garantissent la paix dans les rues. Sa mère quant à elle, allait ouvrir sa petite boutique d'accessoires comme elle l'avait toujours souhaité et Helouri, lui, essairait d'étudier la médecine à l'université de la Grande Auréole. Peut-être que les choses iraient mieux qu'à Eel.
Avec June, ils quittèrent la maison et promirent à leurs parents d'apporter le repas. En sortant, Helouri fut frappé par le monde ainsi que le brouhaha quotidien de la cité. Il n'y était pas encore habitué et parfois, il se sentait vraiment tout petit. D'instinct, il attrapa la main de June, puis proposa d'une voix malhabile de commencer par aller voir la place des Échanges, le marché d'Odrialc'h.
Sa sœur, machinalement, pressa ses doigts entre les siens. Surexcitée, June ne tenait pas en place et de loin, on aurait pu croire que c’était le frère qui réfrénait la sœur, alors qu’en réalité, ils s’agrippaient tous les deux à ce qu’ils connaissaient pour se donner le courage de partir à l’aventure et celui de ne pas se presser.
— C’est parti ! lança June. Bon, par contre, je te préviens, j’ai aucune idée du chemin à prendre.
June fit un tour sur elle-même, dansant avec Helouri, puis elle lui adressa un clin d’œil complice.
— Mais enfin, se perdre, c’est beaucoup plus drôle que de connaître le chemin. Allez, allons par-là !
Elle lui désigna une avenue moins animée mais toute aussi colorée, et ajouta qu’ils trouveraient peut-être quelque chose à grignoter au passage.
— Parce que je vais finir par mourir de faim, moi, grogna la jeune femme.
Helouri hocha la tête. Pour sa part, il était peu rassuré de se perdre car il était persuadé que les petites ruelles étaient dangereuses. Il suivit June jusqu'à une rue plus silencieuse où plusieurs auberges proposaient des plats copieux, puis laissa sa sœur choisir le repas du midi pour toute la famille. Le concernant, Helouri n'était pas difficile alors quand elle jeta son dévolu sur des pommes de terre avec des poireaux et quelques morceaux de viande, il porta les portions pour leurs parents avec précaution. La place qu'occupait Joseph au sein de la Garde, avant son déménagement, et celle qui l'attendait dans l'armée leur garantissait quelques petits privilèges, comme le droit de manger de la viande, si chère. Helouri songea qu'il pourrait faire du bénévolat pour aider les personnes les plus pauvres, car il se sentait navré pour elles.
— June, l'appela Helouri, il vaudrait mieux retourner sur l'axe principal. Papa et Maman nous ont bien dit d'éviter de nous aventurer trop près d'Abena…
Helouri n'eut pas le loisir de terminer sa phrase, car quelqu'un le percuta de plein fouet. Le jeune morgan fit tomber ses paquets avec un cri et lorsqu'il releva les yeux, ce fut pour se confronter à l'air désolé d'un elfe d'une vingtaine d'années. Helouri fut frappé par sa masse épaisse de cheveux roux, grossièrement rassemblés en une demi-queue de cheval, ainsi que les verres trop épais de ses énormes lunettes qui grossissaient son regard aigue-marine. À en aviser sa tenue ainsi que les parchemins qui dépassaient de son sac besace, il devait faire partie des messagers qui transportaient le courrier dans toute la ville.
— Oh ! Toutes mes excuses jeune homme et jeune femme de bonne famille ! lança-t-il d'un ton théâtral, J'ai beau avoir quatre yeux, vous voyez, ils ne me servent pas à grand-chose.
Il se pencha pour ramasser les paquets contenant la nourriture, puis les remit dans les bras d'un Helouri effaré, non sans s'attarder sur ses mains, ce que le jeune morgan trouvait très désagréable. Il les lui retira, puis balbutia un vague merci.
— Sur ce, messieurs-dames, je m'en vais continuer ma tournée, les salua-t-il en s'inclinant de manière ridicule.
Puis il quitta les lieux en esquissant quelques pas de danse et Helouri le regarda, hébété, disparaître dans la foule. Il secoua la tête :
— Il était vraiment étrange, songea-t-il à l'attention de June, j'espère que la nourriture n'a pas été trop abî… June, ma gourmette !
Mais c'était trop tard. La belle gourmette délicate que June lui avait offerte pour ses vingt ans, l'année dernière, avait disparue, en même temps que l'elfe.
— Eh ! s’exclama la jeune femme en se lançant à la poursuite du voleur. Rentre à la maison Lou !
Elle se jeta à son tour dans la foule, à la recherche d’un éclat roux. Elle doutait de retrouver le voleur, mais cette gourmette était importante pour Helouri, alors il était hors de question qu’elle ne réagisse pas.
— Reviens ici espèce de troubadour binoclard à la manche !
Mais l'elfe aux cheveux roux s'était volatilisé comme par magie. June eut beau chercher un éclat flamboyant parmi les passants, ceux qu'elle trouva n'appartenaient pas au voleur.
Helouri la rejoignit, le souffle court. Il porta une main machinale à sa poitrine, comme s'il voulait calmer ses poumons, puis riva un regard dépité vers la foule.
— Il a complètement disparu… constata Helouri.
Finalement, sa nouvelle vie à Odrialc'h ne commençait pas si bien. Il aurait dû se méfier mais en bon naïf, il s'était fait avoir. June lui jeta un regard machinal pour s’assurer qu’il allait bien, puis elle grimpa sur rebord décoratif afin de prendre de la hauteur. Les mains sur les hanches, la jeune femme plissa ses yeux violets en trépignant de frustration. Elle tapa du pied en jurant copieusement, puis interpella son frère.
— Tant pis, je vais quand même faire le tour de la place, s’exclama-t-elle. Il avait un sac avec du courrier, on va aussi voir à la poste, même si je pense que c’était un déguisement. Cette gourmette m’a coûté un bras, il est hors de question que cet imbécile s’en tire comme ça !
Et sans attendre, elle mit ses paroles à exécution en filant à travers la foule, s’excusant bruyamment à chaque fois qu’elle poussait quelqu’un pour se faufiler dans la masse. Elle finit par percuter un elfe d'une vingtaine d’années, dont l'horrible carré de cheveux brun encadrait un visage en forme de cœur. L'elfe plissa ses yeux aigue-marine, lui lança une œillade agacée, puis poursuivit son chemin. Les parchemins qui dépassaient de son sac besace témoignaient du courrier qu'il devait distribuer et il n'avait manifestement pas terminé sa tournée.
La jeune femme marqua un temps d’arrêt, avant d’aggripper vigoureusement la lanière du sac de sa main droite et la veste de l’elfe de sa main gauche, puis de le secouer comme un arbre dont on voulait faire tomber les fruits.
— Rends-moi tout de suite la gourmette, l’épouvantail ! s’exclama-t-elle. C’est pas parce que ta coupe de cheveux est encore plus moche que ta perruque que tu m’auras, c’est tes yeux qu’il aurait fallu déguiser, espèce de bouffeur d’écorce !
— Mais enfin ! Ça ne va pas ?! s'insurgea l'elfe.
Il recula, outré, et bientôt, June, Helouri ainsi que le messager furent le centre de l'attention. Un petit cercle de curieux se bâtit autour d'eux et Helouri sentit le sang lui monter au visage.
— Qu'est-ce que vous racontez ? reprit l'elfe, je ne vous ai jamais vu et je ne vous ai jamais rien volé ! Vous êtes folle, ma parole !
Il pointa June du doigts et pris la foule à témoin en répétant que cette femme était folle et qu'elle avait besoin d'être emmenée à l'hôpital de la Grande Auréole.
Helouri, lui, l'observa bien attentivement. Le messager qui lui avait volé sa gourmette avait de longs cheveux roux et portait d'épaisses lunettes qui lui mangeaient la moitié du visage. Mais elles grossissaient aussi ses yeux d'une couleur aigue-marine. Il en était sûr.
— Vous… Vous avez volé ma gourmette, intervint-il, c'était vous.
— Ce sont des accusations très graves, mon petit, se rengorgea l'elfe, donc maintenant, on peut se faire traiter de voleur en plein travail ? Et si j'ai du retard sur ma tournée, c'est toi qui va en payer les conséquences ?
Des murmures passèrent parmi les curieux. Certains faeliens pensaient que June et Helouri accusaient ce pauvre messager à tort quand d'autres, étaient plutôt d'accord pour dire qu'il était étrange.
— Qui est-ce que tu traites de folle, dis donc ? siffla June.
Elle tira sur sa veste pour rapprocher son visage du sien et baissa la voix, les yeux lançant des éclairs.
— Tu veux que je tire sur l’animal mort qui te sert de chapeau pour qu’on voit si c’est aussi une perruque ? grogna-t-elle. Je m’en fiche que tu voles les gens d’ici, s’ils sont suffisamment stupides pour te croire c’est leur problème, mais rends-moi cette fichue gourmette, j’ai travaillé dur pour l’offrir à mon frère et il est hors de question que je te la laisse !
— Oh, mais je t'en prie, essaie, lui souffla l'elfe, nous verrons bien qui rira…
June ne saura jamais qui rira bien le dernier, car un mouvement de foule attira l'attention des passants qui délaissèrent leur règlement de compte pour s'intéresser à un autre phénomène. L'elfe eut juste besoin d'un bref regard pour comprendre ce qui se passait. Il déglutit, pâlit, puis fouilla furtivement dans son sac pour en tirer la gourmette qu'il remit dans la main de June.
— Voilà. Merci, au revoir et à jamais, j'espère ! grinça-t-il entre ses dents.
Il en profita pour s'éclipser avec habilité et quand June se demanda quel spadel l'avait piqué, Helouri l'appela dans un souffle en lui tapotant le bras.
Au loin, une haute silhouette se dressait. Le soleil renvoyait des reflets moirés sur son armure étincelante et, attirée par l'esclandre, elle avait dévié de son chemin pour venir vérifier si tout allait bien. Elle ressemblait à une apparition. Une véritable légende connue dans tout Eldarya pour les batailles qu'elle avait remportées et les guerres qu'elle était parvenue à éviter avec son sens de la diplomatie. Son visage, de véritables traits d'orc volontaires taillés dans du cuivre, arborait sa force d'esprit ainsi que son véritable sens de l'honneur. Quand elle marchait sur les pavés de la rue, elle faisait claquer ses solerets et sa longue natte de cheveux auburn se balançait comme son propre étendard.
June écarquilla les yeux, impressionnée, ravie, excitée et surprise à la fois. Malgré elle, elle attrapa le bras d’Helouri et glissa la gourmette dans sa paume, avant de chuchoter à son oreille.
— Tiens, fais-y attention. Elle est encore plus impressionnante de près ! La Capitaine, hein, pas ta gourmette, ta gourmette est jolie, mais pas comme la Capitaine.
— ... Oui.
Figé comme une statue de marbre, Helouri ouvrait de grands yeux admiratifs face à la haute silhouette de la Capitaine. Il remit machinalement sa gourmette à son poignet sans cesser de la fixer, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. Il avait l'impression que sa présence l'écrasait jusqu'à broyer ses poumons fragiles. Quand elle passa dans la rue, les gens s'écartaient sur son passage et Helouri les imita. C'était comme s'ils se trouvaient tous dans une peinture. Il y avait le soleil et puis les ombres, au sol, qui rêvaient d'être comme lui.
Non. Helouri ne rêvait pas d'être comme lui. Il se suffisait à se trouver dans son périmètre juste pour profiter de sa chaleur réconfortante et de ses rayons protecteurs.
Quand le soleil passa son chemin, il avait déjà froid. June lui dit quelque chose, mais il n'entendit pas.
Hélios Soarre au Grand Palais d'Odrialc'h (RP)
— Celui-ci. Et celui-là également.
Hélios Soarre vérifia d’un coup d'œil machinal que le secrétaire qui l’accompagnait ne se trompait pas de guéridon. Il s’agissait d’organiser une vente aux enchères du mobilier dont sa maîtresse ne voulait plus, elle préférait donc éviter de vendre l’un de ses meubles préférés parce qu’un scribe s’était emmêlé les pinceaux. L’atalante fit quelques pas gracieux en direction d’un assortiment de fauteuils, et se pencha pour les examiner, ses boucles rousses prenant des reflets flamboyants à la lumière des hautes fenêtres du Grand Palais.
— Emportez également cet ensemble, indiqua-t-elle. Et veillez à ce que rien ne soit abîmé lors du transport, je vous prie.
Hélios sourit au secrétaire. À force de travailler au Grand Palais, elle avait trouvé le bon équilibre entre autorité et gentillesse. Son sourire solaire lui obtenait souvent bien plus de sympathie et d’efficacité qu’un froncement de sourcil hautain, alors elle n’hésitait jamais à en abuser. Et puis, Hélios n’était pas connue pour son humeur morose, bien au contraire.
La vente aux enchères organisée par la famille Alfirin visait à réunir des fonds pour l’hôpital. Hélios soutenait cette initiative avec joie, même si au fond, elle savait pertinemment que sa maîtresse ne faisait ça que pour obéir aux règles de bien paraître de la société. Cela dit, Hélios ne le formulerait jamais à voix haute : elle appartenait aux Alfirin, elle défendrait leurs intérêts jusqu’à ce qu’on la congédie et sans doute même ensuite. Et puis, de toute façon, sa loyauté n’allait pas à Cyrandil Alfirin, mais à son fils, Sheraz, dont elle était la servante personnelle. Alors, comme à chaque fois qu’on lui confiait une tâche, Hélios l’exécutait avec bonne humeur afin de rendre honneur à sa position et à celle de la famille qu’elle servait.
Le secrétaire nota scrupuleusement toutes les informations. Lorsque ce fut chose faite, il s'apprêtait à discuter du transport avec Hélios, quand il fut interrompu par l'arrivée d'une servante de bas rang. On les reconnaissait à leurs vêtements de travail blanc avec des liserés bleus, ainsi qu'à leurs coiffures tirés à quatre épingles. Contrairement aux serviteurs personnels comme Hélios, les serviteurs de bas-rangs n'étaient pas faits pour briller. Discrets, ils exécutaient leurs tâches avec application et ne s'adressaient jamais aux membres de la noblesse : ils passaient le message à leurs serviteurs personnels.
— Mademoiselle Soarre, Monsieur, les salua la servante, je vous prie d'excuser mon intrusion. Mademoiselle Soarre, Monsieur Le Preux vous réclame.
Monsieur Camille Le Preux était le médecin qui s'occupait de Sheraz Alfirin. Quand il envoyait une servante de bas rang faire chercher Hélios, c'était toujours au sujet du traitement de Sheraz. Si extérieurement, Hélios se composa un sourire poli, à l’intérieur, l’inquiétude établit son nid. Mais au Grand Palais, les apparences comptaient plus que tout, et il était hors de question que le secrétaire ou la servante de bas rang puissent déceler une once de trouble dans ses yeux.
— Auriez-vous l’amabilité de me faire parvenir une copie de la liste ? demanda-t-elle au secrétaire. Je reviendrai vers vous pour organiser le transport des meubles.
Elle le remercia de son aide puis indiqua à la servante de bas rang d’ouvrir la voie, d’une nouvelle moue polie. Elle s'exécuta avec des gestes mesurés et conduisit Hélios jusqu'au cabinet du docteur Camille Le Preux.
Les Le Preux étaient une famille de lampades ainsi que des membres de la bourgeoisie qui avaient su se faire une place au Grand Palais, notamment grâce à leurs enfants : Camille et Odette, deux grands esprits de la médecine qui pratiquaient la chirurgie. Camille avait choisi de se spécialiser dans les greffes et extractions de corps étrangers et sa sœur jumelle, Odette, dans la pédiatrie et la chirurgie infantile. À la demande des Alfirin, Camille avait accepté de s'occuper de Sheraz ainsi que de son traitement.
Arrivées devant la porte du cabinet du docteur Le Preux, la servante indiqua à Hélios qu'elle pouvait entrer. En effet, il était inutile de toquer, puisque Camille était sourd. L’atalante la remercia et pénétra dans le cabinet de sa démarche dansante. Elle appréciait les Le Preux, le frère comme la sœur, et plus que tout, elle adorait regarder Camille parler, car les gestes qu’il faisait alors avec ses mains ressemblaient à une chorégraphie hypnotisante. À force de pratique, Hélios avait appris certains mots, et même si elle n’était pas capable de tenir une conversation avec le docteur, elle pouvait lui adresser quelques demandes très simples sous forme de simples mots.
Le docteur Le Preux était en train de prendre des notes sur un parchemin, concentré. Ses yeux, entièrement noirs, laissaient quelques lueures les animer, telles des constellations stellaires et une douceur presque tangible émanait de sa personne. Hélios connaissait bien cette impression, typique des lampades comme Stella, la servante personnelle des sœurs Orécaille. Ils étaient sensibles au cœur des gens et c'était aussi la raison pour laquelle, outre leur intelligence, les Le Preux faisaient de bons médecins.
Camille avait la peau d'ivoire et il relevait ses boucles blanches en queue de cheval quand il donnait des consultations. Concentré sur ce qu'il écrivait, sa plume grattait le parchemin. Au bout de quelques instants, il releva la tête et salua Hélios en posant le bout de ses doigts sur son menton, puis en envoyant sa main vers l'avant. La note qu'il rédigeait était à son attention, alors il la lui tendit :
Mademoiselle Soarre,
J'ai reçu votre jeune maître aujourd'hui, Monsieur Sheraz Alfirin. Il se plaint toujours de maux de ventre très douloureux. Je lui ai prescrit de la passiflore, du curcuma et de la mélisse à boire en tisane durant la journée. Si la douleur est trop intense, je lui ai préparé des remèdes à base de graines de pavots mais s'il vous plaît, ne l'utilisez qu'en dernier recours car une dépendance au traitement est possible.
Aussi, le jeune maître Alfirin m'a évoqué de terrifiants cauchemars. Vous en a-t-il parlé ?
Hélios parcourut rapidement la note de ses yeux verts, puis pinça ses lèvres pleines. Avec Camille, elle pouvait être franche, aussi marqua-t-elle son inquiétude d’un froncement de sourcil. Elle attrapa à son tour une plume, retourna le parchemin et l’utilisa pour répondre, en un ballet désormais familier.
Merci pour ces remèdes, je m’assurerais que le jeune maître les prenne consciencieusement.
Il ne m’a pas mentionné de cauchemars, j’en suis navrée. J’ai cependant remarqué qu’il était très cerné et qu’il semblait fatigué, je craignais que son sommeil ne soit agité. Vous a-t-il donné plus de détails concernant ces mauvais rêves ? N’hésitez pas à me dire si je vais trop loin dans ma question et si cela relève du secret médical.
Camille reprit le parchemin. Après lecture, il sembla réfléchir. Il était évident qu'il ne pouvait pas trahir les confidences du jeune maître Sheraz néanmoins, il était bon que sa servante personnelle soit au courant. Camille reprit sa plume, puis rédigea sa réponse :
Je suis navré, je ne peux pas trahir les confidences de votre jeune maître, mais je dois vous avouer que ce qu'il m'a décrit m'inquiète. Aussi, je vais rester vague mais je vous conseille tout de même d'inviter votre jeune maître à se confier à vous à propos de ses cauchemars.
Il m'a partagé des scènes de douleur qui lui semblaient réelles dans lesquelles il sentait son corps se transformer, il m'a parlé de décors infernaux, de corps empalés sur des pieux. Je dois vous avouer que cela m'inquiète, car je connais votre jeune maître comme une personne paisible qui n'a pas ce genre d'imagination. Peut-être que je fais erreur, mais je ne pense pas qu'il soit adepte de ce genre de lecture ou bien de ce genre d'art.
Votre jeune maître m'a demandé une potion de sommeil sans rêve. J'accepte de lui en prescrire, mais je compte sur vous pour le dosage et pour ne pas laisser la bouteille à sa portée.
Hélios écarquilla les yeux en parcourant la note. Non, Sheraz n’était pas adepte de lectures cauchemardesques, bien au contraire ! Elle s’empressa d’en informer Camille, puis hocha machinalement la tête en indiquant dans sa note qu’elle prendrait grand soin de doser correctement la potion.
Je me permettrais également de lui proposer de la musique avant de se coucher, et j’essaierais de discuter avec lui de ces cauchemars afin que l’usage de cette potion soit très ponctuel promit-elle dans la note. Souhaitiez-vous discuter d’autre chose ?
Camille sembla hésiter, puis il reprit sa plume pour écrire :
Si vous le permettez, j'aimerai vous dire un mot en tant que lampade. Comme vous le savez, mon espèce est sensible au cœur des gens. Je ressens une grande tristesse chez votre jeune maître et même si je sais qu'il adore votre compagnie et que vous comptez beaucoup pour lui, il serait bon qu'il tisse d'autres liens avec des jeunes personnes de son âge. Je ne peux pas lui prescrire de sorties hors du grand palais car ce n'est pas à moi d'établir ce genre d'autorisation. Pourriez-vous discuter avec votre jeune maître de sorties dans les jardins, de discussions avec de jeunes gens du grand palais et d'activités en groupe ? Je sais que sa maladie est difficile à supporter mais s'il s'enferme dans la solitude, je crains qu'elle devienne encore plus pénible.
Hélios tritura une boucle rousse. La solitude de Sheraz était également un sujet d’inquiétude pour elle, mais il fallait dire qu’au Grand Palais, tisser des liens était plus que compliqué, surtout pour les jeunes nobles… Elle soupira intérieurement, et se promit de fouiner un peu pour arranger des goûters supportables pour Sheraz, durant lesquels il ne subirait ni moquerie, ni brimade et pourrait discuter avec les jeunes de son âge.
Le bien-être de mon maître compte plus que tout à mes yeux, docteur Le Preux, et je vous remercie de vos conseils. Je les suivrais scrupuleusement, d’autant que je suis d’accord avec vous sur l’effet bénéfique de rencontrer d’autres personnes. J’en discuterais avec lui, et je m’assurerais que ces activités ne le mettent pas en difficulté ! Je vous remercie également de sa part, et de la mienne, de vous souciez de son bien-être.
Camille lui répondit un sourire, signe qu'il n'avait plus rien à ajouter. Il savait que Sheraz plaçait toute sa confiance en sa servante personnelle et que cette dernière faisait tout son possible pour son bien-être.
Hélios le salua et quitta son cabinet pour se diriger vers la chambre de Sheraz. Son jeune maître se reposait avant d'aller prendre le goûter en compagnie des autres jeunes gens de la noblesse du grand palais. Un moment qui était toujours difficile pour lui, car nombreux étaient ceux qui faisaient semblant de s'enquérir de son état de santé pour se calomnier derrière son dos.
Lorsqu'elle arriva devant la porte de sa chambre, Hélios toqua trois fois avant de s'annoncer, puis elle entra. Son regard se posa sur le grand lit dans lequel Sheraz se perdait toutes les nuits et pendant ses heures de sieste. À chaque fois, Hélios avait l'impression que ses draps voulaient l'avaler et elle les retrouvait souvent trempés par la sueur de ses cauchemars et de ses fortes fièvres. Des tapisseries représentant des elfes venaient habiller les murs pendant qu'un grand miroir en occupait tout un pan puis près de la fenêtre qui donnait sur les jardins, un fauteuil que Sheraz aimait occuper. Il s'y trouvait d'ailleurs assis et Hélios comprit pourquoi il ne lui avait pas répondu.
Sheraz Alfirin s'était endormi en pleine lecture. Son livre pendait à bout de bras pendant que sa tête s'était calée sur le dossier de son fauteuil. Lorsqu'il était éveillé, il semblait fragile mais une fois endormi, on avait l'impression que le moindre souffle de vent pouvait l'abîmer. Il avait la peau trop pâle. Hélios tentait de raviver son teint tous les matins grâce à des artifices cosmétiques. Elle tressait ses longs cheveux châtains et tant pis si elle était obligée de rectifier sa coiffure parce qu'il s'endormait pendant une sieste comme en cet instant.
Sheraz avait vingt-et-ans et sa maladie lui volait sa jeunesse. Elle lui tordait les boyaux, le rendait brûlant de fièvre, l'empêchait de manger ce qu'il voulait et le rendait essoufflé comme un vampire après un effort trop intense. Parce qu'il était fragile, il ne pouvait pas quitter le Grand Palais sur ordre de ses parents. Le Grand Palais était d'ailleurs tout ce qu'il connaissait alors quand il était triste, Hélios tentait de le faire voyager en jouant de la musique ou bien avec les livres qu'elle lui trouvait, à l'extérieur.
L’atalante referma doucement la porte pour s’assurer de ne pas être dérangée. Avec la grâce d’un courant d’air, elle entreprit de mettre un peu d’ordre dans la pièce, pour laisser à son maître quelques minutes supplémentaires d’un sommeil qui semblait plus paisible que sa nuit. Une fois le rangement effectué, Hélios se saisit précautionneusement du livre pour ne pas qu’il s’abîme, et elle prépara une infusion, qu’elle déposa sur la table basse devant Sheraz. Enfin, elle s’accroupit devant le jeune homme, un sourire à la fois inquiet et attendri sur les lèvres. Hélios enveloppa la main de l’elfe entre les siennes, avant de murmurer son prénom d’une voix très douce.
Sheraz émergea des limbes du sommeil. Il prit un instant pour faire corps avec la réalité, puis se redressa sur son fauteuil en clignant des paupières à plusieurs reprises. Son état de santé se rappela bien vite à lui en lui laissant un goût amer dans sa bouche pâteuse.
— Bonjour, Hélios… souffla-t-il, confus.
Sheraz réalisa que la matinée était derrière lui et que l'après-midi suivait son cours. Puis il se souvint qu'il était en train de lire un recueil de contes quand la fatigue avait choisi de l'entraîner vers une petite sieste. Au moins, elle avait été un tant soit peu réparatrice.
— Céleste était avec moi, remarqua Sheraz, où…
Un miaulement lui répondit et une femelle ciralak émergea de sous le fauteuil où elle s'était endormie après son maître. Céleste s'étira les pattes une par une, secoua ses trois têtes, se frotta contre les jambes d'Hélios avant de bondir sur les genoux de Sheraz pour s'y pelotonner. Le jeune elfe Alfirin sourit doucement en la grattant entre les oreilles, puis, soupira en levant les yeux vers Hélios :
— Excusez-moi, Hélios. Je suis en train d'émerger. J'ai l'impression qu'il y a un voile qui me tient éloigné de la réalité.
— Prenez votre temps, sourit l’atalante. Je vous ai préparé une infusion, cela vous aidera peut-être à revenir vers moi. Comment vous sentez-vous ?
Hélios haussa les sourcils pour appuyer son propos, puis pressa doucement les doigts de son maître.
— Comment vous sentez-vous, vraiment ? répéta-t-elle.
Sheraz avait attrapé sa tasse pour souffler sur l'infusion, puis la porter à ses lèvres. Il interrompit son geste, plongea dans le regard d'Hélios, puis détourna les yeux en affirmant que tout allait bien.
— Je suis encore fatigué et pour être honnête, je n'ai pas très envie d'assister au goûter, tout à l'heure. Mais les choses sont identiques aujourd'hui comme hier, répondit Sheraz avec un pauvre sourire.
— Vous saviez que le nez des elfes devenaient rouge quand ils mentaient ? répliqua Hélios avec une grimace.
Elle se releva pour tirer un siège et s’installer près de Sheraz, avant de secouer ses boucles d’un air réprobateur.
— Allons, Sheraz, si vous ne vous confiez pas, je ne peux pas vous aider, murmura-t-elle. Vous savez que je peux garder vos secrets pour moi, que je n’irais pas répéter à votre mère ce qui ne la concerne pas, et surtout, que je ne jugerais jamais vos paroles. Je suis à votre service, par choix et par envie, pas par obligation. La nature m’a doté de bons yeux, qui en plus d’être forts charmants, me permettent de voir quand mon jeune maître me raconte des bêtises.
Elle ponctua sa plaisanterie d’un battement de cil exagéré, dans l’espoir de tirer un sourire au jeune homme. Ce dernier pouffa dans un souffle, puis grimaça quand il songea à ses cauchemars. Il ne voulait pas les raconter à Hélios parce qu'ils étaient horribles et qu'elle ne pouvait rien y faire. Lui-même ne comprenait pas d'où ils venaient, même s'il pensait qu'ils étaient le résultat de ses fortes fièvres.
— Je… Je dors mal, amorça Sheraz, mais je vous assure, Hélios, que je ne suis pas fou et que je n'ai pas de mauvaises idées.
Il ne choisissait pas ce qu'il voyait. Il essaya de trouver les bons mots pour raconter ces images infernales à Hélios. Il était allongé sur une pierre froide et il sentait tous ses os se tordre comme s'il se transformait. C'était horriblement douloureux et si réel qu'il vérifiait son corps quand il se réveillait en sursaut, pour s'assurer que tous ses os étaient bien à leur place.
Il voyait des lames sortir du sol et des corps empalés envahissaient sa vision jusqu'à le faire hurler, puis il remarquait que sa propre gorge était traversée par une pointe métallique.
— Je ne sais pas pourquoi je fais ce genre de cauchemar, confia Sheraz d'une petite voix, ils me terrifient. J'ai demandé au docteur Le Preux de me prescrire une potion de sommeil sans rêves, Hélios…
Il leva ses yeux humides vers le visage de sa servante personnelle :
— Vous croyez que ma maladie commence à gangréner mon esprit ?
La jeune femme posa ses mains fraîches de part et d’autre du visage de son maître, puis verrouilla ses yeux aux siens.
— Vous n’êtes pas fou, Sheraz, assura-t-elle. Les rêves sont des messages de nos esprits, et parfois ils révèlent des choses dont nous ne voulons pas avoir connaissance. Vos rêves ont une signification, mais ils ne veulent pas dire que vous sombrez dans la folie.
Néanmoins, elle comprenait mieux la fatigue de son maître… Hélios s’écarta de Sheraz pour frotter son menton, d’un air songeur.
— Le docteur Le Preux m’a dit pour la potion. Vous la prendrez cette nuit, car vous avez besoin de sommeil, et je resterai à vos côtés aussi longtemps qu’il le faudra pour que vous dormiez correctement, réfléchit-elle. Ces cauchemars sont tout de même problématiques, car ils vous épuisent. Que diriez-vous de faire quelques recherches sur la signification des rêves ? Je pourrais vous apporter quelques livres de la bibliothèque, et nous les étudierons ensemble.
Sheraz ne répondit pas. Quand il y pensait, il craignait surtout de découvrir ce que son esprit voulait lui communiquer à travers ces affreux cauchemars. Il n'avait pas envie de savoir, il voulait simplement dormir et arrêter de rêver.
— Vous avez sans doute raison, Hélios, déclara-t-il d'une petite voix, mais vous savez, je préfère rester dans l'ignorance, car si je devais penser à tout ce qui me fait du mal, je crains qu'un beau matin, je sois incapable de quitter mon lit.
— Ça n’arrivera pas, Sheraz, pas sous ma surveillance, assura l’atalante.
S’il ne souhaitait pas savoir, elle respecterait sa volonté. Mais de son côté, Hélios irait tout de même fouiner, car il était dans la nature des atalantes d’être curieuses, et elle ne faisait aucunement défaut à cette règle.
Au cœur de la cité de Rhenia-Gaear, la capitale des Terres Gelées du Grand Nord, tout le monde dormait à poings fermés. Des feux bienvenus ronflaient dans les cheminées, dans les salles de garde, et sur des torches accrochées à des murs de pierre. Les habitants se protégeaient du froid, pourtant, ils savaient qu'un autre, plus cruel, n'était retenu que par le pouvoir d'une porte si haute qu'elle ressemblait à un palais.
Une porte que de puissantes créatures ailées pouvaient ouvrir à la force de leurs bras.
Les habitants de Rhenia-Gaear vivaient non loin du royaume des fées mais en réalité, ils savaient qu'ils étaient simplement tolérés. Le jour où elles laisseraient les battants de leur gigantesque porte ouverts, alors le froid meurtrier de leur contrée viendrait faire des ravages au sein de la capitale et il ne resterait aucun survivant. L'hiver était Maître dans les Terres Gelées du Grand Nord. Il était Maître mais il était dominé par l'une des espèces originelles d'Eldarya, capable de survivre à ses caprices ainsi qu'à ses températures extrêmes. Nombreux étaient ceux qui se demandaient comment les fées vivaient quand d'autres préféraient ne pas le savoir. Elles asseyaient leur joug sur Rhenia-Gaear rien qu'en tenant la vie de ses habitants entre leurs mains et lorsqu'une vague de froid terrible balayait la ville toute entière, alors on savait que les fées sortaient. Elles étaient reçues comme des reines par Maximilien Ville de Fer, le monarque de Rhenia-Gaear, qui leur vouait un culte et rien que par leur présence, elles rappelaient à la population que si elle vivait encore, c'était parce que le peuple des fées le voulait.
Elles étaient l'une des espèces originelle les plus puissantes d'Eldarya. Elles régnaient sur le monde avec d'autres avant le Grand Exil et elles tenaient à le rappeler.
***
Théanore patientait dans le petit salon de lecture. Il adorait cet endroit. Depuis la grande fenêtre de la pièce, il pouvait voir le décor figé du royaume des fées sous l'hiver éternel. Comment les arbres, gelés jusqu'à la moelle, ressemblaient à des sculptures de glace et comment les plantes grimpantes de camérisiers du givre, couraient sur les habitations. Une paix royale régnait sur la contrée et Théanore priait pour qu'elle persiste.
En ce matin pâle, il s'était rendu au palais des Milliget afin de porter une information importante à la reine, Delta Milliget. Quelques jours plus tôt, des éleveurs de familiers travaillant pour le compte des purrekos étaient venus observer les mères skanis en train de mettre leurs petits au monde. Il n'était pas rare que les plus faibles soient abandonnés, voire dévorés. Seulement, les éleveurs les emportaient pour les vendre sur d'autres continents. Théanore comprenait bien la langue commune d'Eldarya. Il s'était rendu à Rhenia-Gaear pour obtenir plus d'informations sur le séjour des éleveurs à la capitale, car la situation l'inquiétait. Beaucoup de familiers étaient en voie d'extinction depuis le Grand Exil. Les danalasm, xylvras, ocemas, perceeds et sowiges bénéficiaient déjà de la protection des fées et vivaient dans leur royaume. Il serait peut-être temps d'accueillir les skanis et Théanore ne doutait pas que la reine Delta donnerait son aval. Il fallait préserver ce qui pouvait être préservé, car les faeliens détruisaient tout. De plus, Théanore faisait partie de la famille Musca. Il était un vassal des Milliget, la lignée royale, alors il était de son devoir de servir leurs intérêts, ceux de sa reine en particulier.
Des éclats de voix résonnèrent dans le palais et Théanore ferma les yeux en espérant que le bruit ne descendrait pas jusqu'au salon de lecture. Là, dans cette pièce silencieuse, il ressemblait à une statue de glace. Sa peau avait d'ailleurs la couleur de la glace, peut-être d'un bleu plus gris, comme une image du passé. Elle jurait avec la robe rouge des Musca, puis elle revenait faire son nid dans ses yeux, ainsi que sur ses longs cheveux pour se transformer en aurore boréale. Théanore était le plus sage et pragmatique des Musca. D'autres disaient qu'il était le plus faible.
— Tiens, te voilà encore à traîner ici, Musca orcha, attaqua une voix traînante, Il y en a qui ont décidément la vie facile.
Le bruit n'était manifestement pas resté en haut des escaliers et la robe rouge de la fée Musca ne lui avait pas échappé. Le bruit s'était aussi disputé avec l'un de ses frères parce qu'il réfutait ses décisions concernant le royaume des fées, mais également le sort réservé aux faeliens. Alors maintenant que ses nerfs brûlaient, il fallait trouver une cible à calciner et Théanore avait toujours la malchance d'être au mauvais endroit, au mauvais moment.
Fidèle à son rôle, il n'en laissa rien paraître. Il s'inclina avec respect, puis répondit :
— Mes respects, kemesh Candice Milliget. J'ai un message à porter à notre reine qui est en audience avec votre frère, alors je patiente ici.
— Je sors de cette audience à l'instant, alors je sais très bien ce que fait ma mère, cracha Candice, tu en as d'autres des évidences comme ça ?
Théanore ne répondit pas. Il était malvenu de contrarier Candice, et pourtant impossible d'éviter ses foudres. Candice était la fée la plus puissante de la famille Milliget et peut-être le prochain roi en devenir.
Théanore garda les yeux baissés sur ses mains. Il imaginait sans mal le regard métallique de Candice le transpercer comme des poignards et chaque nerf de son corps flamber d'agressivité. Même le bleu saphir de sa robe ne parvenait pas à apaiser les brûlures.
— Viens avec moi, décréta Candice, je vais te donner un vrai travail.
Théanore releva la tête pour croiser son regard. Il avait une information à porter à la reine Delta et ça l'ennuyait de manquer à son devoir. Mais il savait aussi que Candice ne souffrirait d'aucun refus.
La fée Milliget lissait une mèche de ses longs cheveux châtain en attendant de voir si Théanore oserait lui tenir tête, mais le vassal finit par acquiescer :
— Shaw.
La fée Musca suivit Candice à travers le palais. L'endroit était comme le reste du royaume des fées : glacial, monochrome, figé par l'hiver et le temps. Le bleu et le blanc se côtoyaient en une danse éternelle, tout comme la délicatesse de l'architecture qui offrait un spectacle agréable à des yeux qui n'en avaient cure. Les fées aimaient le savoir, pas les apparences.
Candice conduisit Théanore dans le laboratoire où il effectuait ses recherches. Comme tous les Milliget, il était un maître de la médecine. Son ancêtre, Jack Milliget, avait découvert cette science bien avant le Grand Exil et Candice entretenait cet héritage avec des recherches. Il avait appris la chirurgie et il était déterminé à trouver un traitement à chaque maladie, même celles qui touchaient l'esprit. Pas par altruisme, non, juste parce qu'il détestait ne pas détenir la réponse à une problématique. Les médecins faeliens envoyaient régulièrement leurs travaux à la famille Milliget afin de faire valider leurs recherches et Candice ne leur laissait aucune chance.
Théanore balaya le décor de son regard glacé. Des organes disséqués flottaient dans un liquide qui les protégeaient du froid. Une large bibliothèque croulait sous des livres, la plupart étant les résultats de recherches menées par Candice et sur une longue table, trônait du matériel alchimique. À travers la verrerie et des tubes, un filtre se synthétisait pour achever sa course dans un récipient. Candice ordonna à Théanore de rester près de la table pendant qu'il allait chercher quelque chose. Il revint avec une éprouvette qui contenait un liquide de couleur orange :
— Tu vas voir, c'est très simple. Même quelqu'un comme toi peut comprendre : tu vas attendre que ces substances finissent leur combinaison et quand ce sera fait, il te suffira de rajouter ce liquide.
Candice rangea son éprouvette sur un support en bois, bien en évidence.
— Contrairement à toi, je suis très occupé, alors je n'ai pas le temps d'attendre. Tu vas donc faire ce petit travail et quand tu auras fini, ma mère aura sûrement du temps à t'accorder pour écouter ton message. Tu as compris ?
Oui, Théanore avait compris. Seulement, il ne savait pas combien de temps la tâche de Candice lui prendrait, ce qui était ennuyeux. Il jeta un regard au matériel alchimique, un autre à l'éprouvette, puis il songea à la situation des skanis. La reine attendait son information.
Musca orcha : le dernier des Musca (pour "le dernier né")
Kemesh : prince
Shaw : oui
Les Choix
La Garde de l'Ombre enquête sur l'existence de réseaux de trafiquants de tap sur le continent du Beryx. Fawkes a été envoyé pour récolter des informations et il revenu avec la preuve que des goules sont présentes sur le continent. Plusieurs problématiques se profilent et il faut agir vite. Que doit décider Nevra ?
➜ Faire une descente dans la forêt, de l'autre côté de la barrière de rozmarin, là où Fawkes a trouvé le cadavre d'un black dog empoisonné avec du venin de goule.
➜ Régler la problématique des black dogs qui se retrouvent hors de leur territoire et qui peuvent attaquer le village d'Albacore.
➜ S'occuper du problème des sous-effectifs à la douane d'Amzer. Les douaniers peuvent laisser passer du tap sans s'en rendre compte.
UNIQUEMENT pour Waitikka : Fawkes est traqueur d'informations à la Garde de l'Ombre. Chrome Talbot, un apprenti traqueur, insiste beaucoup pour l'accompagner en mission afin de profiter de son expérience. Cependant, Nevra ne le trouve pas prêt.
Est-ce que Fawkes veut plaider la cause de son collègue et accepter d'emmener Chrome en mission avec lui ?
UNIQUEMENT pour Florianne : Théanore a des informations à porter à la reine Delta Milliget. Des éleveurs travaillant pour le compte des purrekos viennent chercher les skanis trop faibles abandonnés par leur mère. Malheureusement pour Théanore, il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment : Candice lui est tombé dessus et lui a confié un autre travail. Que devrait faire Théanore ?
➜ Réaliser le travail de Candice. Il est malvenu de le contrarier.
➜ Refuser le travail de Candice. Il est plus important de porter le message à Delta Milliget.
➜ Demander à Candice combien de temps lui prendra sa tâche.
➜ Accepter le travail de Candice, attendre qu'il parte, puis verser le contenu de l'éprouvette dans le récipient sans attendre que les substances finissent leur combinaison.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Après leur mésaventure dans les rues d'Odrialc'h, June et Helouri ont peu manger en compagnie de leurs parents. Leur emménagement n'est pas terminé et il y a encore beaucoup d'affaires à ranger. Cependant, June se demande ce qu'elle fera, à Odrialc'h. Veut-elle y réfléchir seule ou bien avec un ou plusieurs membres de sa famille qui pourront la conseiller, l'orienter, voire l'accompagner dans ses démarches ?
Vous avez jusqu'au mardi 11 février, 23h59, pour voter !
Dernière modification par Aespenn (Le 01-02-2025 à 18h38)